Article Victoire

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 Vrais faux billets À l’heure ù le mt « crie » et « dette » t ur tute le lèvre, certai chiiet d’échapper au « ytème » grâce aux maie lcale. Ue autre d’ eviager tre maière de cmmer et de u lier aux habitat de tre cmmuauté. Par Sandra Evrard. Illustrations Caat Fradier. C’est l’histoire de Luzia et Gastão. Deux jeunes issus de la favela de Conjunto Palmeiras, surnommée ironiquement le « quartier des palmiers ». Les amoureux habitent la jolie, mais également très pauvre région de Fortaleza, au nord du Brésil. Ils souhaitent se marier. Un projet difficile à concrétiser lorsqu’o n est sans le sou ! Pourtant, Dona Marinette, présidente de l’association des habitants du quartier, incite Luzia à ne pas abandonner son rêve. Sa solution ? Se recentrer sur le quartier et acheter local, avec une monnaie complém entaire créée par une banque solidaire, la Banco Palmas. Celle-ci émet depuis quelques années une monnaie dite communautaire, la palma, qui possède une parité avec le real, la monnaie nationale. C’est donc avec des palmas que Luzia va acheter sa robe de mariée chez Palma Fashion, qu’elle va commander son buffet au Rai Lanches et se faire coiffer au Sa lão de beleza do Naza, des enseignes de son quartier. Grâce à l’argent gagné, ces commerçants pourront honorer leurs dettes auprès des épiciers voisins. Et Luzia fin ira même par trouver un emploi au sein d’une petite entreprise de son quartier. Un conte de fées de telenovela brésilienne ? Oui, mais aussi une réalité. Et une question : et si un autre argent faisait fina lement le bonheur ? Celui de communautés locales ayant réinventé une nouvelle façon de consommer. La diversification permet souvent la survie. L’adage populaire recommande d’ailleurs de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. La nature est elle-même 30 23 avril 2011 perspectiVes 31 perspectiVes 23 avril 2011

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 Vraisfaux billets

À l’heure ù le mt « cet « dette » t ur tutelèvre, certai chiied’échapper au « ytèmgrâce aux maielcale. Ue autre açd’eviager tre maiède cmmer et de lier aux habitat de cmmuauté.Par Sandra Evrard. Illustrations Caat

C’est l’histoire de Luzia et Gastão. Deux jeissus de la favela de Conjunto Palmeiras, surironiquement le « quartier des palmiers ». Lehabitent la jolie, mais également très pauvre de Fortaleza, au nord du Brésil. Ils souhaitemarier. Un projet difficile à concrétiser lorsqsans le sou ! Pourtant, Dona Marinette, présl’association des habitants du quartier, incitene pas abandonner son rêve. Sa solution ? Sesur le quartier et acheter local, avec une moncomplémentaire créée par une banque solidaBanco Palmas. Celle-ci émet depuis quelquune monnaie dite communautaire, la palmapossède une parité avec le real, la monnaie nC’est donc avec des palmas que Luzia va achde mariée chez Palma Fashion, qu’elle va comson buffet au Rai Lanches et se faire coiffer beleza do Naza, des enseignes de son quartil’argent gagné, ces commerçants pourront hodettes auprès des épiciers voisins. Et Luzia fpar trouver un emploi au sein d’une petite enson quartier. Un conte de fées de telenovela bOui, mais aussi une réalité. Et une question autre argent faisait fina lement le bonheur ? Ccommunautés locales ayant réinventé une nofaçon de consommer.

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Fashion, créée grâce au microcrédit. C’est là que Julia ,notre fiancée du Conjunto Palmeiras, a commandésa robe de mariée. Ces emplois sont générateurs derevenus, mais aussi de fierté pour ces personnes issuesdes favelas. Les jeunes, qui éprouvaient des difficultés àtrouver leur premier job ont quant à eux créé une usinede fabrication de détergents ménagers qui sont vendusaux commerces du quartier. Près de 1200 emplois ontpu être créés grâce à ce système.

Les habitants du quartier ont également mis surpied un laboratoire d’agriculture urbaine où ils ont

identifié les plantes qui poussaient le mieux dans larégion. Une pépinière fournit des pousses à ceux quisouhaitent verdir leur environnement ou cultiver desfruits ou légumes pour leur consommation personnelle.Un système de troc est également entré en vigueur af ind’encourager les échanges de services et une école a puêtre construite en payant les ouvriers en palmas, af in destimuler une fois de plus l’ économie locale. Après septans d’utilisation de cette monnaie communautaire, leConjunto Palmeiras a vu plusieurs de ses baraquementsremplacés par de véritables maisons, des restaurantsapparaître ici et là et une pension devrait même voir le

 jour pour accueillir les touristes désireux de découvrircette jolie région du nord du Brésil. Et pour convaincreefficacement les habitants qui n’auraient pas encore prisconscience de l’opportunité de ce système alternatif,la Banque de Palmas présente ce dernier de façon

originale sur son site internet. C’est sous forme detelenovelas, ces soaps brésiliens que suivent assidûmentune majorité de la population, qu’est présentéel’histoire de Luzia et Gastão. Une manière concrèteet humoristique de conscientiser la communauté à ceprojet collectif qui leur permet de sortir de la pauvreté.

L’intérêt fait la pérennitéSelon Tim Nichols, le Project Manager de la B£,

les études prouvent que les achats effectués dans degrosses enseignes n’ont que 10 à 12 % de retombéessur la communauté locale. En Angleterre, on observela fermeture de 2000 petits magasins chaque annéeet de 39 pubs chaque semaine… Favoriser l’achatlocal permettrait donc de stabiliser l ’emploi local. Leproblème de ce système, c’est qu’il exige un certainengagement de la part de ses utilisateurs. On ne peuten effet les utiliser en dehors de son quartier et même à

ce niveau-là, certains commerçants ne l’acceptent pas.À Brixton et dans la plupart des v illes d’Angleterreoù les monnaies complémentaires existent, on ne peutles échanger contre des livres sterling qu’à certainspoints précis et évidemment, les cartes bancairesdemeurent libellées en monnaie nationale. Si lorsde son lancement, une septantaine de commerces y avaient adhéré, la frilosité reste de mise aujourd’hui.L’expérience du C onjunto Palmeiras implique unecommunauté de près de trente mille personnes et ilest très structuré, ce qui semble un gage de réussite

pour la viabilité de ces monnaies rebelles. Le problème de ces monnaies complémentaires c’est qu’elles ne répondent 

 pas toujours à un besoin assez précis, estime BernardLietaer. Dans le cas des potagers gantois, tant que les

 gens auront envie de cultiver leurs fruits et légumes, le système perdurera. Selon moi, les modèles les plus pérennesrépondront à des demandes importantes et je songe 

 particulièrement à l’emploi. Une autre façon d ’encourager les monnaies complémentaires serait d’inciter les citoyensà payer leurs taxes avec celles-ci. Dans la région de Vorarlberg, en Autriche, les taxes locales peuvent être payées

avec une monnaie locale. C’est aussi le cas en Uruguay oùtoutes les taxes peuvent être payées en C 3, qui est ensuite convertible dans la monnaie nationale. Ce système, qui est en développement depuis plusieurs années, est officialisé depuis peu à l’échelle du pays. À suivre !H

diverse. Ce qui lui assure en quelque sorte sa pérennité.Pour le système financier, ce serait la même chose.Introduire des monnaies locales, en complémentaritéde l’euro, permettrait par exemple à celui-ci de mieuxrésister aux crises et aléas de la mondialisation. AuxÉtats-Unis, une équipe de chercheurs a étudié lefonctionnement d’un écosystème naturel durant vingt-cinq ans af in d’essayer de comprendre les mécanismesde cette durabilité. Suite à leurs observations, ilsont émis deux hypothèses : pour qu’un système soitdurable et résistant, il lui faut de la diversité et de

l’interconnectivité.À Brixton, l’un des quart iers paupérisés du sudde Londres, les habitants peuvent payer leurs coursesen B£, les Brixton pounds. Il y a un an et demi,cette monnaie qui possède une parité avec la livresterling, est née sous la houlette du réseau des Villesen transition. Sur les billets des B£, on peut l ire : The money that sticks to Brixton (la monnaie qui reste à

Brixton) et admirer le portrait deDavid Bowie, du groupe The Clashou d’autres personnalités ayant vécudans le quartier.

Un système pour babascool ? Pas vraiment ! L’initiativede Brixton n’est pas isolée. EnAngleterre, différentes monnaieslocales sont également employées

à Devon, dans le Sussex etGloucestershire. L’Allemagneest elle aussi une figure deproue de cette tendance. EnSuisse également, une monnaie

inter-entreprises est employée depuis 1934 : le wir.Mais avec une adaptation du concept à l’échelledes PME, qui s’échangent des wir afin de créer unfonds de roulement circulaire et solidaire, da ns cetissu économique. Ce système est finalement ancien,on l’utilisait déjà en Égypte ou au Moyen Âge. Ce n’est que depuis Napoléon que l’on se concentre sur une seule monnaie. Il existe aujourd’hui cinq mille systèmes dans le monde, de cinquante types différents, dans une dizaine de 

 pays, explique Bernard Lietaer, professeur d’universitébelge, qui a notamment travaillé à la Banque nationalede Belgique. Cela reflète un changement de valeurs et de priorités dans la société. Et ça correspond peut-être 

au passage d’une société patriarcale, caractérisée par la concentration du pouvoir au sommet, à une société matrifocale plus décentralisée, réseautée.

Des Torekes aux Time dollarsEn fait, nous utiliserions déjà tous certaines

monnaies complémentaires sans nous en rendrecompte. Je pense que j’ai fait une erreur il y aune quinzaine d’années en parlant de monnaiescomplémentaires. Aujourd’hui, j’utiliserais plutôt le vocable de « système de motivation ». L’euro étant l’un d’entre eux,

mais pas le seul. L’armée utilise par exemple les médailles,les compagnies aériennes les Miles, les magasins des pointsde fidélité. Je vois dans le concept de ces « autres monnaies »de nouveaux moyens d’ échanges qui sont susceptibles de créer des tissus relationnels moins conventionnels, préciseBernard Lietaer. À Gand, des monnaies alternativessont également en train de voir le jour sous sa houlette.Dans le quartier du Rabot, le plus pauvre de Flandre,les habitants réclamaient des parcelles communalespour créer des potagers. La ville a accepté de leur louer des terrains en échange de torekes. Cette nouvelle monnaie 

locale, équivalant à 0,10 cent d ’euro. Pour 150 torekespar an, les habitants du quartier peuvent louer un petitbout de potager. Ils peuvent aussi gagner ces torekesen rendant des serv ices à leurs voisins (250 torekes), enfleurissant leurs façades (10 torekes), en apposant unautocollant antipub sur leur boîte aux lettres(10 torekes) ou en réa lisant des actions en faveur del’environnement. Le but étant de tisser des liens entre leshabitants de ce quartier métissé où tout le monde ne parle 

 pas la même langue et ne partage pas toujours les mêmeshabitudes de vie, bref où les liens ne vont pas de soi. Desmagasins locaux étant aussi inscrits dans ce circuit afinde permettre aux habitants d’acheter de l ’alimentation entorekes. Cela fait maintenant un trimestre que le système est lancé, mais je crois que nous en évalueront vraiment les

 premiers résultats quand les jardins seront utilisables, dès le  printemps 2012, explique Bernard Lietaer.

Dans le même style, plusieurs communautésaméricaines ont créé des time dollars. Le principe :les heures de services prestées pour un membre de lacommunauté – garder son enfant, donner un coursde yoga, repeindre le mur de la cuisine de la voisine– permettent de gagner des crédits qui peuvent êtreutilisés pour obtenir à son tour l’aide d’autres membresdu groupe. L’échange ayant lieu via les Time Banks.

Des baraques aux maisonsDans certains cas, comme celui du Banco Palmas,

les monnaies complémentaires deviennent des outilssociaux, complémentaires au système normatif danslequel nous vivons. L’intérêt de ce projet brésilien estsurtout d’avoir permis aux habitants de la communautéd’avoir accès à l’emprunt et même de posséder une cartede crédit pour les bons gestionnaires. La Palma cardpouvant être employée pour effectuer les achats au sein

des magasins du quartier qui bénéficient d ’une garantiede la banque. À l’ instar de certains rares commerçantsde Brixton, les employés du Conjunto Palmeiras sontégalement payés en palmas, ce qui les incite à acheterlocal et donc à favoriser l’économie de leur quartier.La Banque de Palmas réinvestit également ses deniersau sein de projets solidaires, pourvoyeurs d’emploispour la population. Parmi ceux-ci figure un incubateurféminin axé sur la réinsertion socioprofessionnelle desfemmes en situation précaire. Ces dernières ont putrouver un emploi au sein d’une usine textile, la Palma

Pour 150torekes, les

habitants duquartier du Rabot

à Gand peuvent

louer un bout depotager.

InfosLe site des Brixton pounds :http ://brixtonpound.org

Le site de Bernard Lietar :www.lietaer.com

Le site des Torekes :www.torekes.be

Le site de Time banks :www.timebanks.org

Le site de Banco Palmas :www.bancopalmas.org

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