Article du journal The Australian

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1 The Australian En finir avec la crispation coloniale Rosalie Higson De : The Australian 1 er novembre 2010 Le dramaturge Australien TIMOTHY DALY s’entretient avec le metteur en scène français Isabelle Starkier de ce qu'il appelle une énigme fascinante. Des dramaturges locaux dont les pièces sont produites outre-mer et presque ignorés chez nous, la petite bande inclut Daniel Keene, Joanna Murray-Smith et Daly, dont Le Bal de Kafka, selon ses calculs, est devenue la pièce australienne la plus jouée au niveau international ces trois dernières décennies. Daly a été honoré par nos prix les plus prestigieux, y compris la Récompense Patrick White 2008 pour L'Homme dans le Plafond. Le Bal de Kafka, à lui seul, a gagné plus de 20 récompenses nationales et internationales. Et pourtant, la dernière fois qu’une de ses pièces a été produite dans son pays d'origine, c’est en 2006 quand Derrida in love est devenu un succès au Théâtre d'Ensemble à Sydney, après avoir été monté à la hâte par la Troupe de théâtre de Sydney. Alors que trois des œuvres de Daly ont été jouées en France, et que d’autres ont été montées en Pologne et en Autriche au cours de l'année suivante ! "Les politiques de programmation sont complexes et délicates ici" dit Daly. "Elles sont facilement dérangées." Il cite la politique régionale, des directeurs artistiques vendus, une gestion étriquée des théâtres et un manque d'intérêt. Il peut s’écouler plusieurs mois avant d’obtenir une réponse d'une des grandes compagnies théâtrales, nous dit-il.

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Article du journal The Australian sur la fructueuse collaboration entre l'auteur australien contemporain Timothy Daly et le metteur en scène Isabelle Starkier - publié le 01/11/10

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The Australian

En finir avec la crispation coloniale • Rosalie Higson • De : The Australian • 1er novembre 2010

Le dramaturge Australien TIMOTHY DALY s’entretient avec le metteur en scène français Isabelle Starkier de ce qu'il appelle une énigme fascinante.

Des dramaturges locaux dont les pièces sont produites outre-mer et presque ignorés chez nous, la petite bande inclut Daniel Keene, Joanna Murray-Smith et Daly, dont Le Bal de Kafka, selon ses calculs, est devenue la pièce australienne la plus jouée au niveau international ces trois dernières décennies.

Daly a été honoré par nos prix les plus prestigieux, y compris la Récompense Patrick White 2008 pour L'Homme dans le Plafond. Le Bal de Kafka, à lui seul, a gagné plus de 20 récompenses nationales et internationales. Et pourtant, la dernière fois qu’une de ses pièces a été produite dans son pays d'origine, c’est en 2006 quand Derrida in love est devenu un succès au Théâtre d'Ensemble à Sydney, après avoir été monté à la hâte par la Troupe de théâtre de Sydney. Alors que trois des œuvres de Daly ont été jouées en France, et que d’autres ont été montées en Pologne et en Autriche au cours de l'année suivante !

"Les politiques de programmation sont complexes et délicates ici" dit Daly. "Elles sont facilement dérangées." Il cite la politique régionale, des directeurs artistiques vendus, une gestion étriquée des théâtres et un manque d'intérêt. Il peut s’écouler plusieurs mois avant d’obtenir une réponse d'une des grandes compagnies théâtrales, nous dit-il.

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"Ici il n’y a pas une culture de collaboration, en 20 ans, je n'ai jamais été sollicité par une grande compagnie de théâtre par une demande du genre ' qu'écrivez-vous à l'heure actuelle ? ' Alors pour être honnête, j’ai un peu laissé tomber.

"Quand vous êtes accueilli en France, que faites-vous?"

Timothy Daly et Isabelle Starkier sont en pourparlers avec le STC, la Troupe de théâtre de Melbourne et Sydney et les festivals de Melbourne pour présenter une trilogie de ses pièces : Le Bal de Kafka, Richard III (ou presque) et L'Homme dans le Plafond.

Starkier est une des plus grande fans de Daly. En 1985 elle a fondé le Star Théâtre, Compagnie basée à Paris. Sa Compagnie compte jusqu’à neuf pièces en tournée, avec une quinzaine d’acteurs employés. Elle a découvert le travail de Daly grâce à un traducteur français, qui l’a contacté après avoir travaillé sur Le Bal de Kafka. Le seul autre dramaturge australien qu'elle connaissait était Keene.

Starkier et Daly semblent s’emboîter comme 2 pièces de puzzle : "Au début j’en étais effrayée, ce n’est pas souvent que vous ressentez une telle connexion entre un metteur en scène et un dramaturge," dit-elle.

Elle a été fascinée par le fait que le travail de Daly combine le rêve et la réalité. "C'est très théâtral et ensuite il y a le comique et le tragique : nous ne savons pas très bien faire ça en France," dit-elle. "Il est très difficile de mêler un sujet profond, des messages métaphysiques et politiques, avec l'humour.

"Ce mélange est immédiat, universel et original pour des Français, c'est pourquoi nous rencontrons beaucoup de succès en France. Le travail de Timothy est si précis, tant dans le rêve que dans la réalité, c’est quelque chose que nous ne voyons pas très souvent."

Daly insiste : il est temps que le théâtre australien s’exporte, et surtout pour les occasions extraordinaires de jouer en Europe. Il y a environ 400 théâtres à Paris et chaque année au Festival d'Avignon, 1000 pièces tournent pendant un mois. "C’est comme « L’Easter Show* » pour la culture," dit-il avec un rire. "C’est aussi simple. Nous exportons nos acteurs mais nous sommes beaucoup moins intéressés par l'exportation de nos produits culturels. Premièrement, nous accordons probablement trop d’attention à l'Amérique. En fait, le théâtre américain est un peu en danger comparés à l’Europe, où le théâtre se porte mieux. Et il y a aussi les traces du vieux passé colonial culturel, où nous préférerions faire venir une Star Américaine plutôt que de hisser les stars australiennes au niveau international.“

Pour provoquer le changement, le théâtre australien doit établir des relations durables dans le monde entier.

“Chaque fois qu’une pièce britannique est achetée, chaque fois qu’une pièce New Yorkaise est à l’affiche sans qu’il y eu au préalable un échange ou une coproduction négociée avec l’Australie, c'est une perte pour le théâtre australien," dit Daly. "A chaque fois qu’un travail étranger est acheté, on

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devraient se dire ' que pouvons-nous faire à New York, ou Londres ou Paris ?“

L’organisme qui subventionne les auteurs et traducteurs, l’Australia Council, doit développer une approche plus visionnaire pour encourager les Compagnies à voir le monde entier comme leur public. "Si un simple auteur peut le faire, imaginez ce que notre culture théâtrale dans son ensemble pourrait faire" dit Daly. "Nos spectateurs veulent voir le meilleur du théâtre mondial et veulent aussi le succès des pièces et des auteurs. Cela n'a aucun sens pour le spectateur de vouloir garder les auteurs australiens pour lui, les Australiens sont très fiers de leur succès à l’étranger. Mais il y a quelques fois une sorte d’interdit culturel : « nous luttons constamment pour avoir des spectateurs, » etc, etc. Mais si vous voyez le monde comme votre poche... vous avez vraiment besoin d’oeuvres qui parlent à toutes les nations.

"J'ai découvert cela accidentellement, car je n’ai pas pris d’initiative, ce sont les Français et les Polonais qui m’ont contacté."

Le fait de réaliser que le théâtre australien peut être populaire - et pas seulement les pièces qui sont des histoires repliées et locales – a mis du temps à s’installer. "Nous ne sommes pas des historiens, ce n'est pas notre travail de dire ce qui est australien ou ne l’est pas" dit-il.

Daly décrit la sensibilité dominante dans le théâtre contemporain comme « gothique ». Pour la France, il parle de « gothique physique ».

"La mise en scène d’Isabelle a, ce que j'appellerais, un style « carnavalesque brillant » comparable à la troupe de théâtre australienne Nimrod à ses débuts : un théâtre de fête, proche du cirque, avec de grandes marionnettes et des masques," dit-il.

"Nous connaissons ce monde car nous le voyons chaque année dans les festivals, il a infiltré notre culture théâtrale, donc tout ce que je dis c’est changeons un peu de direction et nous constaterons que nous pouvons parler au monde beaucoup plus facilement que ne nous l’avions imaginé."

"Et même si en Grande-Bretagne on pense qu'il y a peu de théâtre digne de ce nom chez nous, et si en Amérique on pense qu’il n’y a rien à part New York, nous pouvons changer cela. Le succès change tout." Quand des acteurs australiens ont commencé à attirer l'attention à Hollywood, les Américains ont été étonnés et enchantés par l'énergie, l'optimisme et la joie qu'ils apportaient dans leur travail. « Dans un sens c’est un cadeau que ce que l’écriture australienne a à offrir au monde » dit Daly.

Ce que les gens découvrent en Kafka, à leur grand étonnement, c’est qu’il n’est pas conforme au cauchemar « orwellien » que nous servent toujours les allemands. Ils découvrent que Kafka est drôle...

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« Nous devons prendre conscience du fait que nous pouvons exporter davantage d’acteurs, d’oeuvres à grande portée culturelle dans le monde. La France n’est que le début. »

* easter Show : salon de l’Agriculture Australien.