Article by Jeune Afrique magazine

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BUSINESS V oix qui porte, démar- che chaloupée mais énergique, Réki Moussa n’y va pas par quatre chemins : bien sûr qu’elle gagne plus d’argent que son mari! Bien sûr, aussi, qu’elle ne porte pas son nom. Monsieur étant un homme politique connu au Niger, cela pourrait la « blo- quer » dans ses affaires. Et les affaires de cette plantureuse matrone en bou- bou blanc ne sont pas rien. Banquières, patronnes, manageuses... Les femmes dʼaffaires sont de plus en plus nombreuses en Afrique. Enquête sur une nouvelle génération qui montre que le pouvoir économique se conjugue aussi au féminin. MARIANNE MEUNIER, envoyée spéciale à Nairobi LE TEMPS DES FEMMES 20 L’ENQUÊTE

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BUSINESS

Voix qui porte, démar-che chaloupée maisé n e r g i q u e , R é k iMoussa n’y va paspar quatre chemins :bien sûr qu’elle gagne

plus d’argent que son mari ! Bien sûr,aussi, qu’elle ne porte pas son nom.Monsieur étant un homme politiqueconnu au Niger, cela pourrait la « blo-quer » dans ses affaires. Et les affairesde cette plantureuse matrone en bou-bou blanc ne sont pas rien.

Banquières, patronnes,manageuses... Les femmesd a̓ffaires sontdeplus en

plusnombreusesenAfrique.Enquête surunenouvellegénérationquimontrequelepouvoir économique seconjugueaussi au féminin.

MARIANNE MEUNIER,envoyée spéciale à Nairobi

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LETEMPSDESFEMMES

20 L’ENQUÊTE

ILLUSTRATION: SÉVERINE ASSOUS POUR J.A.

À 38 ans, Réki Moussa règnesur la moitié du marché de la microfi-nance à Niamey. Son trône: Asusu SA,130 employés, 200 000 clients, uncapital de 3,5 millions d’euros (déte-nu, notamment, par deux fonds d’in-vestissement), un encours de crédit de6,15 millions d’euros. Cette banque,elle l’a créée en juillet 2008 aprèsavoir fondé une association menantdes activités identiques. Pour plusde rentabilité, elle a finalement optépour la société anonyme. « La structu-re associative ne nous permettait pas

de lever des fonds à moindre coût »,explique-t-elle, un œil sur son Blac-kBerry.

PDG EN TALONS AIGUILLESFille de colonel, ingénieure de for-

mation, Réki Moussa a commencé en1995, battant la brousse nigérien-ne au volant d’un 4x4 – « pour unefemme, c’était mal vu » – pour propo-ser aux plus pauvres des produits decrédit et d’épargne. Elle se souvient :« On me disait que j’étais rêveuse.Moi, j’étais sûre que ça marcherait. »

Quinze ans plus tard, elle multiplieles « missions », passe à la télévision,paie les meilleurs cours du soir à safille et finance les études supérieuresde son fils. La gamine qui posait tropde questions – « on m’appelait la jour-naliste » – a réussi. Enfin, pas encoreassez à son goût : elle veut implanterAsusu SA au Burkina, au Mali et auSénégal.

En ce début de XXIe siècle bercépar la litanie des catastrophes – lesmarchés se dérèglent, les fossés entreriches et pauvres se creusent, la pla-

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MARIE-ANDRÉETALLFondatrice de Fruitales etprésidente de lʼAssociationAfriqueAgro Export (Aafex)Sénégalaise, 55 ans

C ’ est un sujet de composi-tion que Marie-Andrée Tallaurait pu donner à ses élèves

à la fin des années 1980. Professeurede philosophie au lycée Kennedy, àDakar, la jeune femme ne pensait pasalors diriger un jour une industrie.Trente ans plus tard, à 55 ans, elleest la patronne d’une société de trans-formation, Fruitales, et préside l’Asso-ciation Afrique Agro Export (Aafex),qui rassemble 106 PME et PMI de 16pays africains, pour un budget de fonctionnement annuelde 538 millions de F CFA en 2010.

« À l’époque, je suis retournée sur les bancs de l’école pourétudier la gestion afin de monter une école privée, s’amuse-t-elle. Mais mon projet n’a pas abouti puisque j’ai été recrutéepar une conserverie de poisson. » Une première expériencede management de deux ans, que la mère de famille aban-donne en 1992 pour suivre son mari, nommé au Burkinapar le Programme des Nations unies pour le développement(Pnud). Cinq ans plus tard, les Pêcheries frigorifiques duSénégal lui offrent un poste qui ne se refuse pas: directeurgénéral adjoint. La famille rentre au pays. Durant sept ans,elle va gérer une entreprise de 1000 personnes, qui réaliseun chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. Elle parvient às’imposer aussi bien auprès de la main-d’œuvre féminine del’usine que parmi les pêcheurs.

« Pédagogue et toujours souriante, elle est dotée d’unvéritable charisme, explique son amie Caroline Thulliez,

responsable Afrique de l’Association pour le développe-ment des échanges internationaux de produits et tech-niques agroalimentaires (Adepta). Elle est surtout trèsdéterminée. » Elle sait aussi rebondir. La crise dans lafilière thon entraîne la fermeture des Pêcheries en 2005.Dans les mois qui suivent, la patronne lance Fruitales, quiconfectionne des produits exotiques (purée de piment,confiture de papaye, mangue, bissap…), vendus à 75 %en Europe et à 25 % sur le marché local. « L’agroalimen-taire est un métier de femmes, mais peu travaillent dansle secteur formel. Pourtant, nous avons toutes les qualitéspour y réussir : le savoir-faire, la combativité, le goût pourla transparence et la bonne gestion. Généralement, cellesqui percent ont fait des études et su faire accepter leur suc-cès à leur époux », ajoute la présidente de l’Aafex, mère detrois enfants et dont le mari poursuit, lui aussi, une bellecarrière. ■

PASCAL AIRAULT

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Dans le monde,14 femmes milliardairesont fait fortune grâce à leur travail.

La moitié d’entre elles sont chinoises. SOURCES: FORBES, BANQUE MONDIALE

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nète a trop chaud –, il y a peut-êtreune bonne nouvelle : Réki Moussan’est pas un cas unique en Afrique.Au Togo, au Sénégal, en RD Congo, auCameroun, en Tanzanie, en Ouganda,au Maroc, en Égypte, des entreprisesprivées sont dirigées par des PDG entalons aiguilles, qui parlent businessplan, brassent des millions, voiredes milliards, et ne confondent pasun bilan avec un compte de résultat.Dans chaque pays du continent ontrouve un, deux, voire trois modèles,ici dans l’agroalimentaire, là dans lestravaux publics.

PETITE RÉVOLUTIONAvec Maria Ramos, à la tête d’Absa

Bank – filiale de Barclays –, ou TinaEboka, directrice de Standard Bank– première banque du pays –, l’Afri-que du Sud, de son côté, a ouvert lavoie. Hors Afrique australe, quelquesgrandes compagnies continentalesdonnent le la. Au sein du groupepanafricain Ecobank, basé à Lomé,33 % des managers sont des femmes,et deux directeurs exécutifs sur six,des directrices.

Début d’une petite révolution ?C’est sûr. « Hormis la femme commer-çante, il y a vingt ans, il n’y avait pasde femmes d’affaires en Afrique »,selon Marie Delphine Ndiaye, juristeet présidente de la Commission genreau Conseil économique et socialsénégalais. À l’époque, en Afrique del’Ouest, les femmes indépendantesqui se sont enrichies par leur labeursont surtout incarnées par les « NanaBenz », ces vendeuses du marché deLomé, illettrées mais rusées,

KHADIJADOUKALI TAHIRIAdministratrice de la Sociétédepêchehauturière et devalorisationdesproduits de lamer (Pevap), fondatrice dʼEuromedConsulting et deCoccinelle CommunicationMarocaine, 47 ans

«Q uand on s’expose, il y a souvent un retour de boomerang, surtoutlorsqu’on est une femme, car il est plus facile de nous attaquer »,admet avec une petite dose d’amertume Khadija Doukali Tahiri

lorsqu’elle évoque son ascension dans le secteur de la pêche et au sein desinstances patronales marocaines, puis la campagne de dénigrement dont ellefut victime – via la presse – en 2006. Présidente de la Fédération des industriesde la mer (FIM) et fondatrice de l’Association des femmes chefs d’entreprisedu Maroc (Afem), elle a préféré prendre le large. Direction le Canada pour uneannée sabbatique avec ses deux enfants; son époux faisant les allers-retours.« Étant au cœur des négociations entre le Maroc et l’Union européenne sur lesdroits de pêche, je dérangeais certains lobbies », explique aujourd’hui cettepatronne revenue au pays en toute discrétion, qui préfère tourner la page maisqui a bien du mal à oublier les « attaques sexistes ».

Si Khadija Doukali Tahiri a conservé des responsabilités au sein de l’entre-prise familiale – la Société de pêche hauturière et de valorisation des produitsde la mer (Pevap), dirigée par son père, Mohamed Doukali –, elle s’est lancéedans une nouvelle aventure: la communication et l’événementiel avec Coc-cinelle Communication et le conseil en stratégie avec Euromed Consulting.L’activité a changé mais pas le style, ni la volonté. « Une femme doit avant toutse comporter en chef d’entreprise, ne pas mettre en avant le genre et réunir lescompétences requises », assure cette titulaire d’un DEA en stratégie financière(Paris-XIII) et d’un MBA obtenu également à Paris (ESCP).

Sans rancœur, ni esprit de vengeance, elle est persuadée qu’il y a de laplace pour les femmes d’affaires au Maroc. Salwa Akhannouch (groupe Aksal),Miriem Bensalah (Eaux minérales d’Oulmès), Laïla Mamou (Wafasalaf), SaïdaLamrani (Safari)… Il est vrai que les exemples ne manquent pas. ■

KAYAR THIAM, à Rabat

Plus de 30 %des managers du

groupe Ecobank sontdes manageuses.

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qui avaient fait fortune dansle commerce de pagnes imprimés enHollande et affichaient leur réussiteau volant d’une Mercedes… Pour lereste, les affaires « nobles » – indus-trie, banque, conseil, immobilier –étaient interdites au deuxième sexe.Sa place : les champs, le marché et lesfourneaux, ou, suprême consécration,quelque ministère du Genre ou de laCondition féminine. L’entrepreneuriatet toute autre forme de responsabilitééconomique digne de ce nom, horssecteurs informel et public, étaientréservés aux mâles.

UNE FORCE D’AVENIREn vingt ans, les lignes ont – len-

tement mais sûrement – bougé.Un consensus a fini par s’imposer :l’implication des femmes dans tousles rouages de la machine écono-mique, même les plus sensibles, estindispensable au continent. « C’estaxiomatique, dit Donald Kaberuka,président de la Banque africaine dedéveloppement (BAD). Il y a 500 mil-lions de femmes en Afrique, qui réa-lisent 80 % du travail agricole. Elles

constituent une force d’avenir. Lecontinent ne peut avancer franche-ment sans elles. »

Une autre vérité est désormaisadmise, même par les hommes :les CEO (chief executive officers) entailleur (ou en boubou) sont meilleu-

res gestionnaires que les hommes.Moins corruptibles, moins corrup-trices, plus prévoyantes, plus parta-

geuses… Dans un cou-ple, elles sont fourmisquand leur époux estcigale. FinMark Trust,une coopérative sud-africaine œuvrant pourl’accès des plus pauvresaux marchés financiers,

a réalisé un sondage au Rwanda surles motivations des emprunts ban-caires : 8 % des femmes interrogéesdéclarent avoir contracté un prêtpour l’éducation des enfants, quandaucun des hommes n’apporte cetteréponse.

Parfaite preuve par l’exemple, leSommet économique des femmesafricaines (co-organisé par la BAD),qui s’est déroulé les 19 et 20 marsdernier à Nairobi, auquel ont par-ticipé près de 150 businesswomen.Du matin au soir, les ateliers se sontenchaînés autour de thèmes comme« reconstruire le secteur financier enprenant en compte les femmes ». Cesdames n’avaient pas fait le voyagepour croquer des petitsfours et serrer la pincede leurs consœurs. Assi-dues, voire zélées, ellesn’auraient manqué uneminute des discussionssous aucun prétexte,

CÉLIBATAIRES, DIVORCÉES OU MÈRES DE FAMILLE particulière-ment discrètes… Cette nouvelle génération de femme d’affairessemble avoir du mal à mener de front – ou tout du moins à assumerau grand jour – carrière professionnelle et vie familiale. « Cela neme surprend pas, commente un banquier sénégalais. Je viens dedécouvrir que la plupart de mes collaboratrices sont en procédurede divorce. Elles gagnent trop! Leurs maris ne le supportent pas. »Rares sont les hommes qui assument en effet ce statut d’un nou-veau genre : « mari de ».

En Côte d’Ivoire, Gaoussou Touré fait de ce point de vue figurede pionnier lorsqu’il affiche son émerveillement devant la réussitede son « épouse PDG », Massogbè Diabaté Touré, aux commandesde la Société ivoirienne de traitement d’anacarde (Sita) : « Elle a unesprit créatif et imaginatif. C’est pour cela qu’elle a réussi à se faireun nom en très peu de temps. » Gaoussou Touré, qui mène paral-lèlement une carrière politique aux côtés d’Alassane Ouattara, estbeaucoup plus qu’un témoin privilégié. C’est lui qui a encouragéMadame à démissionner de l’entreprise dans laquelle elle était em-ployée pour développer le business de la noix de cajou. Résultat :un chiffre d’affaires annuel de 15 milliards de F CFA (23 millionsd’euros). S’il a eu le nez fin, « le mari de Massogbè Diabaté », ou« Monsieur Massogbè Diabaté » pour les plus moqueurs, a dû sup-porter les railleries et les regards pleins de sous-entendus. Surtoutau sein de sa propre famille, complexée par cette ascension fulgu-rante. « Aujourd’hui, mes proches ne me regardent plus comme unmari dominé, confie-t-il. Avant d’ajouter : Massogbé a su prouverque sa fonction de chef d’entreprise ne lui a pas fait perdre de vueson rôle d’épouse dévouée et de mère attentive. » D’ailleurs, pourles 1000 employés de la Sita, comme pour ses nombreux interlo-cuteurs, n’est-elle pas « Madame Touré »? ■

BAUDELAIRE MIEU, à Abidjan

« MARI DE »: UN NOUVEAU STATUT

En Inde,la deuxième banque du pays (Icici Bank)

est dirigée par une femme, Chanda Kochhar.

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Moins corruptibles, moinscorruptrices, plus prévoyantes,

plus partageuses...

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rognant sur les pauses déjeuner, pre-nant consciencieusement des notes,posant des questions.

Ces femmes d’affaires à la tête defleurons de l’économie formelle sontcependant des pionnières. « En financepar exemple, je peux les compter surmes dix doigts », dit Graça Machel,l’épouse de Nelson Mandela, qui afondé, en 2009, New Faces, New Voi-

ces, un réseau de professionnelles dela finance visant à faire une meilleureplace aux femmes dans les instancesde direction des entreprises. Alors, lesclichés font de la résistance face à lanouveauté. « Il y a autre chose que lapetite coiffeuse et la petite couturièremembres d’une coopérative ! » s’agacela présidente de la Fédération des fem-mes entrepreneures et femmes d’affai-res de la Communauté économique desÉtats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), laTogolaise Candide Bamezon-Leguede.Cette dernière nourrit un rêve : voir,un jour, « une femme à la tête d’unegrande entreprise industrielle qu’elleaurait elle-même créée ».

PRÉJUGÉS ET MÉFIANCESon vœu se réalisera sûrement, mais

après-demain plutôt que demain. Entrepréjugés, doutes et méfiance, cellesqui ont créé leur affaire ou atteint lesommet d’une entreprise ont dû sinuerà travers un parcours d’obstacles, queleurs diplômes ne leur ont pas permisd’éviter. Les banquiers claquent plussouvent la porte au nez des femmes.Ils leur font moins confiance, donc ilsleur prêtent moins. Partout en Afri-que, elles sont d’ailleurs moins ban-carisées que les hommes. « Au

On est loin ducliché de la petite

couturière membred’une coopérative.

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I l faut voir cette grand-mère de 60 ans, cheveuxcoupés ras, lunettes à

monture dorée et tailleurdémodé, par t i r dans unéc lat de r i re… SabethaMwambenja ne perd jamaisson sens de l’humour trèslongtemps, même quand ils’agit d’expliquer le schémad’actionnariat d’Exim Bank,qu’elle a créé en 1997.

A v e c u n c a p i t a l d e27,5 millions d’euros et desdépôts s’élevant, au total,à 187 millions, c’est la 6e

banque de Tanzanie (sur untotal de 36). Depuis 2008,Exim Bank détient deux filia-les aux Comores. Elle vientd’obtenir une licence pour enouvrir une en Zambie.

Première femme à avoirfondé une banque en Tanza-nie, Sabetha Mwambenja estappelée « Queen » par sestrois enfants. « C’est pourm’encourager ! » Aupara-vant, quand elle était cadreà la National Bank of Com-merce, toujours à Dar es-Salaam, c’est sur son époux,décédé il y a dix-sept ans,qu’elle se reposait : « Quand je finissais tard, il m’attendait dans la voiture.Si les enfants étaient malades, il les conduisait chez le médecin. »

Cette fille de fermiers, qui a grandi dans un petit village du sud-ouest de la Tanzanie, est une pionnière parmi les femmes d’affaires.« Je ne me suis jamais inspirée d’un modèle pour réussir, dit-elle, iln’y en avait pas. J’ai livré ma propre bataille. » Son père, qui a eu cinqfilles et seulement un fils, était la risée de ses amis : avec une descen-dance si féminine, l’ascension sociale de la famille était compromise.« Alors j’ai voulu faire plaisir à mon père ! » s’amuse-t-elle. Ses enfantssemblent vouloir perpétuer la tradition. L’aîné étudie à New York etles deux autres en Australie et en Malaisie. « J’ai tant investi dans mesenfants », dit-elle. Sans oublier son bon plaisir. Elle confie en effettoujours voyager en business class, « avoir une belle maison, une bellevoiture et bien manger ». ■

MARIANNE MEUNIER

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Au Maghreb et au Moyen-Orient, 13 % des entreprises sont détenuespar des femmes, contre 24 % en Europe

et en Asie centrale, et 10 % en Afrique subsaharienne.

SABETHAMWAMBENJADirectrice générale dʼEximBank Tanzania Tanzanienne, 60 ans

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Rwanda, il y a à peine quinzeans, une femme ne pouvait ouvrir uncompte bancaire sans l’autorisation deson mari », rappelle Donald Kaberuka,rwandais. Conséquence : la plupartdes femmes d’affaires démarrent avecleurs fonds propres.

Certaines sont découragées avantd’avoir osé. Jacqueline Bisimwa estprésidente de l’Association des femmeschefs d’entreprise en RD Congo. Uneforte tête que cette petite dame qui aélevé seule les cinq enfants d’une sœurdécédée. Mais quand, en 1995, elle a

créé à Kinshasa les établissements Ste-phy-Mondo, une société de services auxentreprises qui compte onze employés,elle n’a même pas osé solliciter un ban-quier : « Je ne voulais pas m’endetter,on ne sait jamais, un problème pouvaitsurvenir qui m’aurait empêchée de rem-bourser. » Aujourd’hui, elle veut mon-ter une usine de fabrication de papier.Encore une fois, une bonne partie deses économies ira dans le capital. « Les

femmes manquent de confiance en elles,dit Candide Bamezon-Leguede. Elles nepensent pas pouvoir aller au-delà d’uncertain seuil et s’autocensurent. Ducoup, elles manquent de modèles qui lesinspirent, c’est un cercle vicieux. »

ÉPOUX COMPLEXÉSÀ défaut d’inspiration, elles peuvent

trouver le soutien de leur époux. Maisil est rare. Sous le couvert de l’anony-mat, une patronne célèbre dans sonpays raconte que son premier mari n’apas supporté de la voir dans les avionset les journaux, ni de savoir que soncompte bancaire se garnissait plusque le sien. Il a demandé le divorceet, aujourd’hui, vit avec les enfants.« Il avait des complexes », pense cellequi « ne regrette rien ». Réki Moussa,elle, explique que, dans les milieuxsimples, les époux sont dans un pre-mier temps satisfaits de voir Madamegagner sa vie. Ce second salaire paieles frais de la maisonnée et permet àl’époux de moins trimer. « Mais dèsque ce salaire permet l’autonomisa-tion des femmes, ça se corse, et laplupart renoncent à aller plus loin »,poursuit la Nigérienne.

Avec l’adversité, les défricheuses

Au Maroc et en Arabie saoudite, 40 % des femmes propriétairesd’entreprises sont à la tête d’une structure de plus de 100 salariés.

Et si la banqueLehman Brothers

s’était appeléeLehman Sisters?

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SAÏDABALTIFondatrice de Cogepha Tunisienne, 53 ans

«N ous, les femmes chefsd’entreprise, on parlepeu mais on agit ! » La

phrase est lâchée avec un largesourire. Pharmacienne de forma-tion, Saïda Balti a fait la réussitede la Cogepha, le plus importantgrossiste-répartiteur de produitspharmaceutiques de Tunisie. Sil’aventure démarre en couple en1986, la disparition accidentellede son mari, il y a maintenantplus de quinze ans, la propulseaux avant-postes. Aujourd’hui, laCogepha affiche un chiffre d’af-faires de 100 millions de dinarstunisiens (52,2 millions d’euros).Sa réussite, dans un secteur for-tement concurrentiel, n’a pasplu à tout le monde. « On lui amis des bâtons dans les roues,confie un proche. On a tenté delui créer des problèmes de tréso-rerie, soit en exigeant d’elle unpaiement anticipé, soit en tardant à lui régler la facture. » Elle baisse lesyeux, relève la tête et sourit encore : « Il faut être forte et avoir une visionà long terme. » Pour faire face au « match de la mondialisation », commeelle dit, la patronne s’est attelée à la mise en place d’indicateurs de per-formance sur tous les postes de l’entreprise, « jusqu’au déchargement descamions », précise-t-elle. En femme d’affaires avisée de 53 ans, mère decinq enfants – quatre garçons et la cadette de 12 ans –, elle a commencéà organiser sa succession et a transmis, en mars 2009, le titre de PDGà son aîné, Razi Miliani, 26 ans. Elle peut ainsi mieux se concentrersur les orientations stratégiques et managériales de la Cogepha, ainsique sur l’officine de nuit qu’elle a ouverte l’an passé dans le quartier duBardo, à Tunis. Les combinés qui occupent son large bureau ne cessentde sonner, l’obligeant à jongler entre appels professionnels et coups defil de ses enfants. Son credo : « Je veux plus de spiritualité dans ce queje fais », insiste la femme à poigne. ■

FAÏZA GHOZALI

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M ême quand elle prononce les mots « engin »,« chantier », « buse » ou « route pénétrante »,son accent anglais la rend un peu précieuse et

ses gestes restent élégants. Ces mots lui sont pourtantfamiliers. C’est son métier.

Elizabeth Nangah Ngalle, 57 ans (en déplacement àDubaï sur la photo), est à la tête de PC International, uneentreprise de travaux publics. Elle l’a elle-même créée, àla fin des années 1990, après avoir tenu une galerie d’art,à Douala, qui portait le même nom. Parmi ses chantiers,une route de terre sur une colline dans la zone ruralede Mamfé, à la frontière avec le Nigeria, ou une grandeartère dans la ville côtière de Limbé, où elle est basée.

Avec ses bagues et ses manières de dame (diplôméed’un MBA), « Lyz » pourrait détonner un peu dans cemonde de pelleteuses et de rouleaux compresseurs. Maiselle y a grandi. Son père avait lui aussi une affaire dansles « TP » (liquidée en 1982). « Je suis un vrai garçon

manqué, dit-elle. À 8 ans, il me faisait superviser lestravaux. Je connais tous les micmacs des hommes. »

La vie de PC International est pourtant aussi caho-teuse que les routes camerounaises. Les travaux sontfinancés par les avances des clients – l’État bien souvent.Résultat : la trésorerie est toujours « ric-rac ». « Pouravoir des rentrées régulières », l’ancienne étudiantede l’université de Leeds (Grande-Bretagne) se consa-cre donc en ce moment à l’ouverture prochaine d’uncomplexe de loisirs à Limbé, Parker Place. Un moyen,espère-t-elle, de financer les chantiers qu’elle comptesoumissionner cette année. « Sans verser d’argent par-derrière », promet-elle. A-t-elle trimé davantage parcequ’elle est une femme ? « On ne m’informe pas quandil y a des marchés. » Pour le reste, elle ne s’offusque derien ni ne s’inquiète, entrepreneure avant tout : « Si çane marche pas, je fais autre chose, c’est tout ! » ■

MARIANNE MEUNIER

ELIZABETHNANGAHNGALLEPDG-fondatrice de PC InternationalCamerounaise, 57 ans

africaines des affaires deviennent desconquérantes, des dures à cuire. « Cequi m’a beaucoup inspirée, ce sont lesdéfis, dit, comme beaucoup d’autres,Réki Moussa. Là où on pensait que çane marcherait pas, je voulais démon-trer que c’était possible. » Féministesavec ça? Rarement. « Nous ne sommes

pas dans la revendication, expliqueLeila Mokaddem, chef de division à laBAD. Exiger que les femmes soient pré-sentes à tous les niveaux de décision,c’est une question de rationalité écono-mique, c’est tout. » Elles sont donc peunombreuses à réclamer la discrimina-tion positive. « On n’en veut pas, dit

Marie Delphine Ndiaye. Sinon, on vadire “elle a eu ce poste cadeau” ! »

Mais toutes sont persuadées quesi la banque Lehman Brothers s’étaitappelée Lehman Sisters la crise finan-cière n’aurait pas eu cette ampleur.Auront-elles l’occasion d’enrayer laprochaine? ■

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