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Arthur Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent » « L'homme était grand, bien bâti, presque athlétique, au visage parfaitement ovale d'ange en exil, avec des cheveux châtain clair mal en ordre et des yeux d'un bleu pâle inquiétant » Paul Verlaine, « les Poètes Maudits » L’enfance : Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud naît le 20 octobre 1854 à Charleville dans les Ardennes. Son père abandonne le foyer familial vers 1860 et la mère, Vitalie Cuif, femme austère et dévote, élève les enfants d’une main de fer. Les quatre enfants recevront une éducation catholique sévère. Au Collège de Charleville, Arthur rencontre Ernest Delahaye, celui qui restera son plus fidèle ami. Rimbaud est un élève brillant, il écrit des vers latins, accumule les prix. L'un de ses professeurs de quatrième, M. Pérette dit de lui : « Intelligent, tant que vous voudrez, mais il a des yeux et un sourire qui ne me plaisent pas. Il finira mal : en tout cas, rien de banal ne germera dans cette tête : ce sera le génie du bien ou du mal ! » Rimbaud se lie avec son professeur de rhétorique, Georges Izambard, lui-même poète. Celui-ci se prend d'affection pour Arthur et fait son bonheur en lui laissant l'accès à sa bibliothèque personnelle, ce que Mme Rimbaud apprécie peu car elle pense que la lecture de certains ouvrages peut pervertir son fils. Les premiers écrits Le 24 mai 1870, dans l'espoir d'être publié dans le « Parnasse contemporain », Arthur envoie à Théodore de Banville : « Sensation », « Ophélie » et « Credo in Unam » (première version de « Soleil et Chair »), puis l'année suivante « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs ». L’époque des fugues En juillet, la France entre en guerre avec la Prusse. Izambard part à Douai, en laissant l'accès de sa bibliothèque à Arthur qui s'ennuie ferme : « Ma ville est supérieurement idiote entre toutes les petites villes de province » lui écrira t-il. Le 29 août, il fait sa première fugue à Paris, via Charleroi. Son billet n'étant pas valable jusqu'au bout, il est incarcéré et sera libéré grâce à l’intervention d'Izambard, il passe alors une quinzaine de jours à Douai, chez les vieilles tantes de celui-ci, les demoiselles Gindre. En octobre, Arthur s'enfuit à nouveau, pour la Belgique (Charleroi) puis Bruxelles, avant de revenir chez les demoiselles Gindre à Douai. Là, il recopie ses poèmes et les envoie à Paul Demeny, jeune poète que lui a présenté Izambard. Le 25 février 1871, il refait une fugue, pour Paris, en train cette fois. Sans argent, il erre pendant quinze jours et finit par rentrer à pied à Charleville le 10 mars. Révolte En 1871, la Commune éclate,Rimbaud est de tout coeur avec les insurgés. Il exprime ses sentiments communards dans « Chant de Guerre Parisien », « Les Mains de Jeanne-Marie », « Paris se repeuple ». Il est en pleine révolte, il devient anarchiste, violent, commence à boire et s'amuse à scandaliser par sa tenue. C'est alors qu’il écrit les deux lettres dites « du voyant » à Izambard et Demeny. « Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. - Pardon du jeu de mots. - Je est un autre. » (lettre à Izanmbard, le 13 mai 1971) « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences » (Lettre à Demeny, 15 mai 1871)

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Arthur Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent » « L'homme était grand, bien bâti, presque athlétique, au visage parfaitement ovale d'ange en exil, avec des cheveux châtain clair mal en ordre et des yeux d'un bleu pâle inquiétant » Paul Verlaine, « les Poètes Maudits »

L’enfance :

Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud naît le 20 octobre 1854 à Charleville dans les Ardennes. Son père abandonne le foyer familial vers 1860 et la mère, Vitalie Cuif, femme austère et dévote, élève les enfants d’une main de fer. Les quatre enfants recevront une éducation catholique sévère.

Au Collège de Charleville, Arthur rencontre Ernest Delahaye, celui qui restera son plus fidèle ami. Rimbaud est un élève brillant, il écrit des vers latins, accumule les prix. L'un de ses professeurs de quatrième, M. Pérette dit de lui : « Intelligent, tant que vous voudrez, mais il a des yeux et un sourire qui ne me plaisent pas. Il finira mal : en tout cas, rien de banal ne germera dans cette tête : ce sera le génie du bien ou du mal ! »

Rimbaud se lie avec son professeur de rhétorique, Georges Izambard, lui-même poète. Celui-ci se prend d'affection pour Arthur et fait son bonheur en lui laissant l'accès à sa bibliothèque personnelle, ce que Mme Rimbaud apprécie peu car elle pense que la lecture de certains ouvrages peut pervertir son fils. Les premiers écrits

Le 24 mai 1870, dans l'espoir d'être publié dans le « Parnasse contemporain », Arthur envoie à Théodore de Banville : « Sensation », « Ophélie » et « Credo in Unam » (première version de « Soleil et Chair »), puis l'année suivante « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs ». L’époque des fugues

En juillet, la France entre en guerre avec la Prusse. Izambard part à Douai, en laissant l'accès de sa bibliothèque à Arthur qui s'ennuie ferme : « Ma ville est supérieurement idiote entre toutes les petites villes de province » lui écrira t-il.

Le 29 août, il fait sa première fugue à Paris, via Charleroi. Son billet n'étant pas valable jusqu'au bout, il est incarcéré et sera libéré grâce à l’intervention d'Izambard, il passe alors une quinzaine de jours à Douai, chez les vieilles tantes de celui-ci, les demoiselles Gindre.

En octobre, Arthur s'enfuit à nouveau, pour la Belgique (Charleroi) puis Bruxelles, avant de revenir chez les demoiselles Gindre à Douai. Là, il recopie ses poèmes et les envoie à Paul Demeny, jeune poète que lui a présenté Izambard.

Le 25 février 1871, il refait une fugue, pour Paris, en train cette fois. Sans argent, il erre pendant quinze jours et finit par rentrer à pied à Charleville le 10 mars. Révolte

En 1871, la Commune éclate,Rimbaud est de tout coeur avec les insurgés. Il exprime ses sentiments communards dans « Chant de Guerre Parisien », « Les Mains de Jeanne-Marie », « Paris se repeuple ». Il est en pleine révolte, il devient anarchiste, violent, commence à boire et s'amuse à scandaliser par sa tenue. C'est alors qu’il écrit les deux lettres dites « du voyant » à Izambard et Demeny. « Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. - Pardon du jeu de mots. - Je est un autre. » (lettre à Izanmbard, le 13 mai 1971) « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences » (Lettre à Demeny, 15 mai 1871)

Rimbaud et Verlaine

Fin août, il écrit à Verlaine et lui envoie des poésies. Séduit, celui-ci l'invite à le rejoindre à Paris : « Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ». À la mi-septembre, Rimbaud part à Paris avec son poème « Le Bateau ivre ».

Verlaine est marié à Mathilde Mauté de Fleurville, et vit chez ses beaux-parents. L'arrivée d' Arthur fait scandale dans la famille, par sa tenue grossière, débraillée et insultante. Il se rend tellement indésirable, qu'il finit par être logé par les différents amis de Verlaine. Celui-ci se remet à boire et passe le plus clair de son temps à traîner avec Rimbaud. Ils fréquentent le cercle des poètes Zutistes (ou zutiques), fondé par Charles Cros et collaborent à l'Album collectif du groupe.

Verlaine l'entretient. Leur liaison fait scandale. Ils mènent une vie dissolue et hantent les cafés, se saoulant à l'absinthe. Finalement, tous les deux s'enfuient à Bruxelles au mois de juillet 1872, puis, en septembre ils partent pour Londres où ils côtoient des communards exilés. C’est sans doute alors que Rimbaud compose une partie des Illuminations et Verlaine écrit les Romances sans Paroles.

Arthur Rimbaud, Les Illuminations (1873-1875), « Les ponts » Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives chargées de dômes s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie. Paul Verlaine (1844-1896), « Ariette III », Romances sans paroles(1874) Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ? Ô bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits ! Pour un cœur qui s'ennuie, Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison Dans ce cœur qui s'écœure. Quoi! nulle trahison ?.. Ce deuil est sans raison. C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine Mon cœur a tant de peine !

Ils quittent Londres le 4 avril. Verlaine part pour Namur, toujours obsédé par l'idée de se réconcilier avec sa femme. Mais elle refuse tout contact. Resté seul, Arthur rentre à Roche, chez sa mère, le 11 avril et commence à rédiger un « Livre Païen, ou Livre Nègre », qui deviendra Une Saison en Enfer.

Début juillet, il accepte de retourner à Londres avec Verlaine, ils donnent des cours de français. À la

suite d'une violente dispute, Verlaine quitte Rimbaud et se réfugie à Bruxelles, dans l'espoir d'y faire venir sa femme pour une réconciliation. Sa mère et Rimbaud le rejoignent.

Le 10 juillet, voyant que Rimbaud veut absolument repartir pour Paris, Verlaine tire sur lui deux coups de revolver, dont l'un l'atteindra au poignet. À la suite, Verlaine sera condamné à deux ans de prison, malgré le retrait de la plainte de Rimbaud.

Rimbaud blessé, tableau de Jef Rosman. Collection Musée Rimbaud, Charleville.

Le 20 juillet, Arthur, désespéré, rentre à Roche et s'enferme dans le grenier pour terminer une Saison en Enfer.

En août, il apporte le manuscrit à un imprimeur de Bruxelles. Le 22 octobre, n'ayant pu le payer, il retire quelques exemplaires d'auteur qu'il distribue à de rares amis, et abandonne l'édition de son livre. Les années d’errance

En mars 1874, il repart à Londres, puis revient à Charleville fin décembre. Ensuite, jusqu'en 1879, il va errer, le plus souvent à pied, dans toute l'Europe.

Le 2 mars 1875, à Stutgart, il est rejoint par Verlaine qui vient de sortir de prison et qui est en pleine crise d'exaltation religieuse. « Verlaine est arrivé ici l'autre jour, un chapelet aux pinces" écrit-il à Delahaye le 5 mars. "Trois heures après, on avait renié son dieu et fait saigné les 98 plaies de N.S. Il est resté deux jours et demi fort raisonnable et sur ma remonstration s'en est retourné à Paris ». Rimbaud lui confie le manuscrit des Illuminations pour le faire éditer. Ils ne se reverront jamais plus.

C’est la fin de la création poétique pour Rimbaud. À partir de ce moment, il continue à voyager en Europe, puis part pour Aden en 1880.

Pendant ce temps, à Paris, on commence à parler de lui. Verlaine a publié « les Poètes Maudits », avec un chapitre sur Rimbaud, et au début de l'été 1886, les Illuminations paraissent dans la revue la Vogue.

En février 1891, une douleur au genou droit commence à l'empêcher de marcher. L'état de sa jambe ne faisant qu'empirer, il traverse le désert et se rend à Marseille. Le 27 mai, il est amputé de la jambe droite à l'hôpital de la Conception.

Il meurt le 10 novembre 1891, à l'âge de 37 ans.

L’œuvre de Rimbaud

L’œuvre de Rimbaud se compose premièrement de poésies versifiées dont certaines ont été rassemblées par Rimbaud lui-même dans un recueil intitulé communément soit « recueil Demeny » soit « Cahier de Douai ». Y figurent des poèmes très célèbres comme « Sensation », « Ophélie », « Le Dormeur du val », « Ma Bohème »

Sensation Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l'herbe menue : Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue. Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, Mais l'amour infini me montera dans l'âme ; Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature, heureux- comme avec une femme.

Puis entre 1870 et 1871, Rimbaud écrira d’autres poèmes qui ne sont pas rassemblés en recueil et parmi lesquels on peut remarquer « Le bateau ivre », « Voyelles », « L’étoile a pleuré rose… »

Le bateau ivre (extrait) Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus tiré par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. J'étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands et de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Puis viendra le seul recueil que Rimbaud ait fait édité : Une saison en enfer, recueil que le poète rédigea en grande partie après l’incident dramatique de Bruxelles. Il est daté « avril-août, 1873 ». Écrit majoritairement en prose, c’est tout à la fois un récit autobiographique et un texte poétique dont les images fulgurantes, « alchimie du verbe », annoncent la poésie des Illuminations. Alchimie du verbe (extrait) J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction. Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. Les Illuminations sont énigmatiques à plus d’un sens : on ne sait exactement quand ces poèmes en prose, ces fragments poétiques ont été écrits. La critique a longtemps estimé qu’elles étaient antérieures à Une Saison en enfer. Aujourd’hui, on pense plutôt que certaines pièces ont été écrites avant mais aussi et surtout après.

Rimbaud remit à Verlaine lors de leur dernière rencontre en 1875 une liasse de feuillets comportant ces poèmes et Verlaine les fit publier en 1886. L’ordre des poèmes dans le recueil n’a pas été décidé par Rimbaud. Le titre lui-même doit beaucoup à Verlaine sans qu’on sache si c’était celui choisi par Rimbaud. Enfin le sens du titre peut être compris diversement : Verlaine faisait référence aux « painted plates », gravures peintes donc des enluminures, des miniatures colorées de couleurs vives ; autre sens possible : l’inspiration hallucinée, illuminée du poète. Le recueil est composé de poèmes en prose majoritairement dont la grande caractéristique est la diversité (poèmes brefs, longs, en prose, en vers libres ; récits, évocations, descriptions) et la modernité (originalité des images, métamorphose du réel….) qui influenceront profondément les surréalistes. Aube J'ai embrassé l'aube d'été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi. Pour finir…

Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest, peintre contemporain Départ Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs. Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. Assez connu. Les arrêts de la vie. — Ô Rumeurs et Visions! Départ dans l'affection et le bruit neufs! Arthur Rimbaud, Illuminations

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Tes dix-huit ans réfractaires à l'amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d'abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l'enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples. Cet élan absurde du corps et de l'âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c'est bien là la vie d'un homme! On ne peut pas, au sortir de l'enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies. Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. René Char (1907-1988), Fureur et mystère, 1962