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GELURES CAUCHY Emmanuel 1,2 MOUTET François 3 1 Praticien Hospitalier Urgentiste, Hôpitaux des Pays du Mont-Blanc. 2 Institut de Formation et de Recherche en Médecine de Montagne (IFREMMONT) 3 Professeur des Universités Praticien Hospitalier CHU de Grenoble. Auteur correspondant : Emmanuel Cauchy, MD, Praticien Hospitalier Urgentiste Hôpitaux des Pays du Mont-Blanc - Hôpitaux du Pays du Mont-Blanc, 380 Rue de l’Hôpital BP 118, 74703 SALLANCHES cedex Institut de Formation de Recherche en Médecine de Montagne (IFREMMONT) Hôpital de Chamonix, 509 route des Pèlerins, 74400 Chamonix, France Tel : 00 33 6 080 080 73 E-mail : [email protected] François Moutet, PUPH Chirurgie Plastique Réparatrice et Esthétique Clinique de Chirurgie de la Main et des Brûlés, SOS Main Grenoble Hôpital Albert Michallon CHU de Grenoble 38270 Grenoble cedex 09 Tel : 00 33 4 76 76 55 44 Fax: 00 33 4 76 76 58 35 E-mail : [email protected] Pour en savoir plus: Site Internet: www.ifremmont.com

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GELURES

CAUCHY Emmanuel 1,2

MOUTET François 3

1 Praticien Hospitalier Urgentiste, Hôpitaux des Pays du Mont-Blanc. 2 Institut de Formation et de Recherche en Médecine de Montagne (IFREMMONT)

3 Professeur des Universités Praticien Hospitalier CHU de Grenoble.

Auteur correspondant :

Emmanuel Cauchy, MD, Praticien Hospitalier Urgentiste

Hôpitaux des Pays du Mont-Blanc - Hôpitaux du Pays du Mont-Blanc, 380 Rue de l’Hôpital

BP 118, 74703 SALLANCHES cedex

Institut de Formation de Recherche en Médecine de Montagne (IFREMMONT) Hôpital de

Chamonix, 509 route des Pèlerins, 74400 Chamonix, France

Tel : 00 33 6 080 080 73

E-mail : [email protected]

François Moutet, PUPH Chirurgie Plastique Réparatrice et Esthétique

Clinique de Chirurgie de la Main et des Brûlés, SOS Main Grenoble

Hôpital Albert Michallon CHU de Grenoble 38270 Grenoble cedex 09

Tel : 00 33 4 76 76 55 44

Fax: 00 33 4 76 76 58 35

E-mail : [email protected]

Pour en savoir plus:

Site Internet: www.ifremmont.com

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RESUME

Gelures

La gelure est une lésion localisée, causée par l’action directe du froid. Elle se caractérise par

un gel des tissus. Corolaire, l’insensibilité à sa phase d’installation en retarde la prise en

charge. Sur le plan physiopathologique, elle est la conséquence d’une vasoconstriction

périphérique réactionnelle à la baisse de température centrale.

Le réchauffement rapide, la reperfusion et le traitement vasodilatateur constituent le

fondement de la prise en charge initiale. La lutte contre l’apparition d’une phase de nécrose

secondaire progressive aggravant les lésions est l’objectif des protocoles thérapeutiques les

plus récents.

La classification est basée, d’une part, sur la topographie initiale qui donne, à J0, un

pronostic d’amputation et, d’autre part, sur la scintigraphie osseuse qui détermine, à J3, le

niveau d’amputation à prévoir. Quatre stades sont définis, le risque d’amputation existant à

partir du stade 3. Le traitement tente d’être le plus conservateur possible en s’appuyant sur

les données scintigraphiques précoces. Il a pour objectif premier la conservation optimale de

la fonction. L’amputation est habituellement tardive (J45) mais si c’est nécessaire, elle pourra

se faire en urgence dans les états septiques graves en relation avec des nécroses étendues.

Mot Clés :

Gelure - Scintigraphie osseuse – IRM – Amputation – Classification des gelures – Pronostic

des gelures

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ABSTRACT

Frostbite Injuries

Frostbite is a local lesion caused by the freezing of tissues. It is characterised by a gradual

onset heralded by numbness, which can delay medical care. Pathophysiology of frostbite is a

peripheral vasoconstriction secondary to a drop in body core temperature. The mainstay of

primary medical treatment is rapid rewarming, reperfusion and use of peripheral vasodilators.

New management guidelines aim to reduce progression of frostbite to progressive secondary

necrosis.

The classification is based on initial lesion involvement and bone scanning findings defines

four stages which correlate with long-term prognosis and has useful prognostic implications

Stages III and IV may lead to bony amputation. Late surgical treatment aims to be maximally

conservative regarding function. In case of uncontrolled sepsis, related with extensive

necrosis, emergency surgical treatment might be needed.

Key words:

Frostbite - Bone scanning - MRI – Frostbites Amputation - Classification - Frostbites

Prognosis

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HISTORIQUE

Dans l’Anabase, Xénophon (430-354 BC) décrit les souffrances infligées aux «Dix Mille» par

le froid de l’hiver dans le haut pays d’Arménie. Les auteurs de l’antiquité romaine, tel Pline le

jeune (61-113), proposaient des traitements complexes à base de navet, voire de vin.

L’école arabe préconisait des bains chauds à l’inverse d’Avicenne (980-1037) qui

recommandait de mettre les parties gelées dans de l’eau froide. Ambroise Paré (1510-1590),

relate des cas de gelures graves avec pertes de membres entiers et même de « membres

virils ».

Dominique-Jean Larrey (1766-1842), chirurgien en chef de la Grande Armée donne les

premières descriptions cliniques. Les deux dernières guerres mondiales, ainsi que la guerre

de Corée, ont fait progresser nos connaissances et codifier le traitement. Killian (1),

chirurgien allemand, fit un excellent ouvrage sur les gelures à la suite de la campagne de

Russie de l’armée allemande.

DEFINITION

La gelure est une lésion localisée causée par l’action directe du froid au cours d’une

exposition plus ou moins longue à une température inférieure à 0°C entrainant une

congélation de l’eau intracellulaire.

La séméiologie de la gelure associe le plus souvent une cyanose persistante ou « lésion

initiale » et des phlyctènes parfois volumineuses et plus ou moins hémorragiques.

Plusieurs facteurs se combinent pour favoriser l’apparition des gelures : la température

extérieure, le vent qui augmente la perte convective (refroidissement éolien ou facteur «wind

chill»), l’humidité (conduction), la gêne à la circulation (vêtements trop serrés entrainant un

effet garrot, fractures déplacées), l’état d’hydratation de la victime, sa température centrale,

l’hypoxémie, la polyglobulie d’altitude et la qualité de l’équipement. Enfin il existe des

variations individuelles considérables de tolérance au froid et de vasoréactivité cutanée

locale au niveau des extrémités. Des facteurs de risque sont classiques : les acrosyndromes,

les connectivites, le tabagisme. Il faut surtout insister sur l’existence de gelures antérieures

(2).

La gelure est indolore et c’est la perte de sensibilité qui alerte en premier. Le diagnostic peut

être rapide pour les mains, il est souvent plus tardif pour les pieds, surtout chez le

montagnard pendant la course. Les engelures, qui sont un acrosyndrome caractérisé par un

œdème et un érythème prurigineux lors du réchauffement, sont habituellement connues du

patient et ne prêtent pas à confusion. Ils sont plutôt la conséquence d’un refroidissement

chronique et répété dans une ambiance à la fois froide et humide. Le « trench foot » ou

« pied de tranchée » est une forme d’exagération de ce phénomène qui peut aboutir à

d’importante séquelle. L’onglée ou «débattue» se caractérise par une douleur volontiers

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syncopale et signe la reperfusion des tissus victimes d’une vasoconstriction brutale et

excessive liée à un choc thermique (froid intense).

Si la gelure évoque «himalayisme» depuis la médiatisation de l’ascension de l’Annapurna en

1950 et les gelures graves de Maurice Herzog victime d’amputations, l’affection semble plus

toucher les populations SDF des grandes capitales pendant les hivers rigoureux (Oulan-

Bator, Chicago,..) et/ou pendant les grandes migrations forcées (migration des populations

tibétaines). Dans nos régions touristiques et montagneuses, la population sportive et

montagnarde est la plus concernée. Dans les trois-quarts des cas, il s’agit de gelures

superficielles. En 2010 on recensait environ 260 gelures en France, dont 119 pour la seule

région Rhône Alpes. L’hôpital de Chamonix-Mont-Blanc, reçoit en moyenne 80 à 100 cas par

an. De 1995 à 2012, 133 cas de gelures graves (stade 3 et 4) ont été analysés. On

dénombrait 116 hommes pour 17 femmes, âgés de 18 à 55 ans (moyenne d’âge 33,1), la

plupart survenues au-dessus de 2000 mètres. Pour les gelures profondes (25% des cas),

toutes les actions thérapeutiques qui étaient engagées, s’attachaient à éviter qu’elles

n’aboutissent à des amputations (8% des cas).

CLINIQUE et PHYSIOPATHOLOGIE

Phase primaire : refroidissement et action du gel (J0)

La clinique ici est pauvre, essentiellement marquée par un aspect livide et froid des tissus

atteints. L’anesthésie induite par le froid rend cette phase indolore [Photo 1].

Photo 1 : Gelure stade 4, main droite à J0, juste après son extraction du froid

L’organisme soumis au froid réagit par une vasoconstriction périphérique dont l’importance

dépend de l’intensité du ce dernier et du tonus vasomoteur de l’individu. Cette

vasoconstriction artérielle et veineuse, avec détournement sanguin par les anastomoses

artério-veineuses et fermeture des sphincters pré-capillaires, entraîne une diminution du

gradient de perfusion capillaire et l’apparition de phénomènes locaux de stagnation, une

hyperviscosité, une hypoxie et une acidose. Souvent consécutive à l’agression mécanique

des cristaux de glace extracellulaires qui se forment avant ceux de l’espace intra cellulaire

du fait de la surfusion, la cause de la mort cellulaire est liée aussi à un phénomène de

déshydratation par baisse de gradient osmotique et par la recristallisation provoquée par le

réchauffement. Ceci peut être limité par un « protocole de réchauffement rapide » dont

l’objectif est de fondre les cristaux avant qu’ils n’augmentent de taille (3).

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Phase secondaire : réchauffement et nécrose progressive (J1-J2)

Phase cliniquement la plus riche (œdème, phlyctènes, nécrose), elle débute dès la phase de

réchauffement. Elle est caractérisée par la démarcation de la lésion initiale, grise, cyanosée,

peu sensible au toucher. Cette zone, où la microcirculation interrompue, est essentielle pour

établir le premier diagnostic. Sur les mains et/ou les pieds, elle évolue de manière centripète

remontant des pulpes vers la racine des membres [Photo 2]. Cette lésion initiale persiste

jusqu’à l’apparition de phlyctènes qui surviennent généralement entre 12 à 24 heures.

Absentes pour les gelures superficielles, les phlyctènes peuvent être hématiques, séro-

hématiques voire hémorragiques signant une atteinte plus profonde de caractère péjoratif

Elles sont parfois volumineuses et compressives [Photo 3]. En l’absence de parage

chirurgical, elles finissent par se rompre spontanément.

Photo 1 : Lésion de la main stade 4 juste après son extraction du froid

Photo 2 : Même patient, juste après le protocole de réchauffement rapide : démarcation de la

« lésion initiale »

Photo 1 Photo 2

Sur le plan physiopathologique, c’est le début de la nécrose secondaire progressive avec

syndrome d’ischémie-reperfusion (4) caractérisé par la libération de substances vaso-actives

aboutissant en quelques heures à un arrêt complet de la microcirculation. Les lésions

élémentaires, constituées durant la phase de vasoconstriction et de cristallisation

extracellulaire ischémiante, s’expriment durant la phase de reperfusion. La vasoconstriction

artériolaire fait place à une hyperhémie réactionnelle et à une hyperperméabilité capillaire

post-ischémiques. Il s’en suit une augmentation de la viscosité sanguine, un ralentissement

du flux et une activation leucocytaires (rolling, sticking) libérant cytokines et radicaux libres.

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Des agrégats plaquettaires ou érythrocytaires peuvent endommager les tissus viables par

détournement de flux et spoliation des capillaires ou thromboses distales. Un syndrome de

loge et un syndrome inflammatoire peuvent venir encore compliquer le tableau. En fonction

de l’importance des dégâts, l’évolution pourra se faire soit vers la dissolution des thrombi

plaquettaires et cruoriques et le recouvrement d’une fonction vasculaire normale, soit vers un

collapsus vasculaire avec thrombose, ischémie, nécrose et gangrène.

Le regel après réchauffement cause une glaciation intracellulaire avec destruction cellulaire

étendue et libération de substances pro-thrombogènes et vasoconstrictrices. Enfin, dans les

cas où l'intensité du froid n'entraîne pas de mort cellulaire, apparaissent des lésions

dégénératives des vaisseaux et des nerfs.

Photo 3 : volumineuses phlyctènes à 48 heures

Phase tardive : les lésions définitives (J7-J45)

Cette phase lente et progressive peut prendre plusieurs semaines, en moyenne 45

jours. Les tissus revascularisés se réorganisent et cicatrisent alors que les tissus

dévitalisés évoluent lentement vers la gangrène sèche. Un sillon d’élimination très

marqué délimite le vivant du mort [Photo 4]. Les lésions sont alors irréversibles. Si le

traitement n'est débuté qu'à ce stade, les résultats ne relèvent plus que de

l’amputation de propreté.

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Photo 4 : Gelure tardive d’un stade 5 du pouce à 45 jours

CLINIQUE

Dans notre série rétrospective de 133 cas de patients hospitalisés pour gelures graves

(1995-2012), qui ne concernait que les extrémités, 45 patients étaient atteints aux mains, 63

aux pieds et 24 aux mains et aux pieds. D’une manière plus générale 17% des gelures

atteignent la face et 1,5% les genoux et les poignets. Au niveau des mains et des pieds (les

plus fréquentes), ces lésions s’étendaient de manière centripète de l’extrémité des

doigts/orteils vers la racine des membres. Le degré d’extension était différent selon les

doigts/orteils concernés, parfois même chez le même patient. Certaines, les plus légères, ne

recouvraient que l’extrémité de la pulpe, alors que les plus graves, pouvaient remonter au-

dessus de la cheville/poignet. La première et seule étude publiée sur les risques

d’amputation en fonction de l’extension des lésions a montré une excellente corrélation, ce

qui nous a permis de proposer une table de pronostic à J0 (5).

L’aspect clinique évolue en fonction du temps entre l’extraction du patient du milieu

réfrigérant et sa prise en charge aux urgences. Dans notre série, tous les patients pris en

charge dans les 12 premières heures ne présentaient pas de phlyctène. L’aspect était gris

et/ou cyanosée avec disparition nette de la sensibilité au toucher, la température pulpaire

était inférieure à 15°C. Chez les patients pris en charge entre 12 et 36 heures, de

volumineuses phlyctènes séreuses ou séro-hémorragiques parfois déjà rompues, gênaient la

détermination du pronostic initial. Cet aspect des lésions exprime les troubles de reperfusion

anarchiques conséquente de la phase secondaire de nécrose progressive.

L’étude réalisée en 2001 à l’hôpital de Chamonix sur 70 cas de gelures graves montrait que

le risque d’amputation était de 1% quand la lésion initiale ne dépassait pas la phalange

distale, de 31% quand elle ne dépassait pas la phalange intermédiaire, 67% pour la

phalange proximale, 98% pour l’articulation métacarpo/métatarso-phalangienne et de 100%

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quand elle atteignait de poignet ou la cheville (10) (Tableau 1). Quatre stades on ainsi été

identifiés en fonction du risque d’amputation à prévoir. Cette première évaluation est

indispensable pour le premier triage. Les lésions de stade 3 et 4 devant impérativement

bénéficier des nouveaux protocoles thérapeutiques en vigueur (voir chapitre Traitement)

EXAMENS COMPLEMENTAIRES

La scintigraphie osseuse au Technétium 99m

Proposé par de nombreux auteurs (6) (7), et confirmée sur une série de 88 cas en 2000 par

nos équipes (8) (9) la scintigraphie osseuse a été validée comme étant l’examen

complémentaire de référence. Elle ne doit pas être effectuée avant le deuxième jour car

parfois faussement rassurante du fait du délai d’apparition de la nécrose progressive. La

scintigraphie se déroule en deux temps après injection intraveineuse de technétium (Tc99):

une phase précoce ou tissulaire et une phase tardive ou osseuse à 180 minutes. C’est la

phase tardive qui donne les meilleurs résultats car elle correspond à la phase de

Tableau'1:'Risque'd’amputation'en'fonction'de'l’extension'de'la'lésion'initiale'à'J0'après'protocole'de'réchauffement'rapide'(Wilderness'Environnemental'Medical'Journal,'2001)'

' Degré'd’extension' Probabilité'd’amputation'du'

segment'atteint'(95%'CI')'

'

Main'

5'(carpe)' 100'

4'(metacarpe)' 100'

3'(phalange'proximale)' 83'(66;'100)'2'(phalange'intermédiaire)' 39'(25;'52)'1'(phalange'distale)' 1'(00;'03)'

' ' ''

Foot'

5'(tarse)' 100'

4'(métatarse)' 98'(93;'100)'3'(phalange'proximale)' 60'(45;'74)'2'(phalange'intermédiaire)' 23'(10;'35)'1'(phalange'distale)' 0'

' ' ''

Hand'and'Foot'

5'(carpe/tarse)' 1.00'

4'(métacarpe/métatarse)' 98'(95;'100)'3'(phalange'proximale)' 67'(55;'79)'2'(phalange'intermédiaire)' 31'(22;'41)'1'(phalange'distale)' 1'(00;'02)'

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vascularisation osseuse qui conditionne la survie de l’os. Elle est à la fois spécifique et

sensible, permettant d’assurer une excellente corrélation entre l’absence de fixation osseuse

et le niveau d’amputation à prévoir, [Photo 5]. Cet examen, s’ajoutant à la classification

clinique précédente, permet de préciser le pronostic et de visualiser précisément le niveau

d’amputation finale à prévoir une fois la phase de nécrose secondaire progressive terminé

(environ 36 heures). L’évolution ne pourra pas être modifiée au-delà de J3 et aucune étude à

ce jour n’a pu montrer d’efficacité thérapeutique capable d’infirmer le pronostic fixé par la

scintigraphie osseuse.

Photo 5 : scintigraphie osseuse au Tc99m: la première, réalisée de façon trop précoce,

surestime le pronostic. Du fait de la nécrose progressive elle aboutira à l’amputation des

dernières phala nges de D3 D4

main gauche.

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Artériographie

L’artériographie intra veineuse sélective est l’examen de référence pour les équipes

habilitées à traiter les gelures graves par thrombolytiques. Quelques études rétrospectives

(10, 11) et une méta-analyse (12) semblent en faveur de cette technique qui consiste à

injecter des doses réduites de thrombolytiques in situ et visualiser immédiatement après le

niveau de l’occlusion. L’artériographie reste malgré tout invasive et nécessite la disponibilité

d’un plateau technique d’artériographie interventionnelle dans les 12 premières heures du

dégel.

Imagerie de Résonance Magnétique (IRM)

L’IRM a été peu utilisée à ce jour dans les gelures. Des travaux relatent une expérience

limitée sur des cas isolés(13). Aucune série ne permet de reconnaître l’intérêt de cet

examen. Une étude est en cours dans nos hôpitaux à partir d’une série encore insuffisante

de patients hospitalisés aux Hôpitaux du Mont-Blanc atteints de gelures distales avec

réalisation de séquences d’Inversion Récupération (IR) et d’Angiographie par Résonance

Magnétique (ARM) dans un plan axial et coronal/sagittal à différentes étapes du séjour. La

séquence IR semble apporter un intérêt pour visualiser et localiser l’œdème médullaire

osseux. La séquence ARM pourrait être à même de visualiser l’occlusion partielle ou totale

des artérioles digitales. L’injection de produit de contraste ne semble pas apporter

d’information supplémentaire [Photo 6]. Cet examen pourrait, à terme, détrôner la

scintigraphie (180’) car il est plus bref (30’) et ne compromet pas les délais de traitement

mais il sera toujours tributaire des difficultés d’interprétation que ne présente pas

l’artériographie sélective.

Photo 6 : ARM du pied stade 3 des deux gros orteils

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Doppler et Echo Doppler

Un simple examen Doppler avec une sonde continue haute fréquence est réalisable et

répétable en urgence et au cours du suivi par un opérateur formé. Il permet facilement de

mettre en évidence un arrêt de la circulation sur la pulpe du doigt/orteil concerné et, un peu

moins facilement, de localiser la zone de coagulation au niveau des pédicules vasculaires.

L’écho-doppler couleur énergie avec une sonde barrette haute de fréquence est encore plus

facile à manier. Cette technologie non invasive en pleine expansion est probablement la voie

d’avenir aux urgences du fait de sa précision et sa simplicité (14),(15)

Le laser doppler (Perimed®) est intéressant pour mesurer les flux et évaluer la micro

perfusion des extrémités surtout quand elle est associée à une mesure de TcPO2. Elle

permet d’évaluer l’état fonctionnel de la micro vascularisation périphérique. Cet examen très

spécifique peu adapté aux urgences est plutôt réservé au domaine de la recherche.

Température pulpaire

La température cutanée peut être facilement mesurée directement sur la pulpe des

doigts/orteils grâce à un thermomètre adapté [Tempteller®]. Ce procédé simple est encore

utilisé aux Hôpitaux du Mont-Blanc mais sa sensibilité n’a pas été étudiée. En association

avec l’aspect clinique il pourrait s’avérer utile sur le terrain pour l’orientation des patients

atteints de gelures graves. Une température de 10°C mesurée une heure après l’immersion

dans un bain d’eau chaude à 38°C semble être la valeur cutoff qui permet de préjuger d’un

risque d’amputation sans en déterminer précisément le niveau topographique.

NOUVELLE CLASSIFICATION ET PRONOSTIC

La classification utilisée a pu évoluer grâce à l’analyse rétrospective de plusieurs séries

importantes de gelures graves suivies à l’hôpital de Chamonix de 1993 à 2001 (5). Elle est

maintenant connue sous le nom de classification DMTM et permet de donner un pronostic

précis à partir de deux critères objectifs (Tableau 2):

1- à J0 : le degré d’extension de la lésion initiale (mesurée juste après le protocole de

réchauffement rapide : immersion dans un bain d’eau à 38-40°C pendant 1 heure

avec 250 mg d’aspirine)

2- à J2 : le niveau de défect au temps osseux de la scintigraphie osseuse après

débridage des phlyctènes.

A J0, la classification n’est pas précise, mais elle permet déjà de trier et d’orienter le patient

vers un traitement ambulatoire si la lésion ne dépasse pas la dernière phalange d’au moins

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un doigt/orteil (stade 1 et 2) et vers l’hospitalisation dans le cas contraire (stade 3 et 4) pour

avoir recours au nouvelles thérapeutiques de revascularisation (iloprost et/ou thrombolyse).

Pour les stades 4, l’hospitalisation en soins intensifs peut s’avérer nécessaire, car le risque

de complications générales n’est pas rare.

A ce niveau et en cas de doute, l’écho-doppler peut aider au diagnostic

Photo 7 (a b c d) :

Stade 1 Stade 2 Stade 3 Stade 4

A J2, la scintigraphie précise le tableau et annonce le verdict car les dégâts sont faits.

L’absence de fixation osseuse détermine le niveau d’amputation à prévoir

Un délai de trente à 45 jours était auparavant nécessaire avant la décision d’amputation

chirurgicale. En dehors de l’attente, qui était le plus souvent mal supportée par le patient

(douleur puis odeur !), l’amputation précoce était difficile à entreprendre sans argument para

clinique. Avec la classification DMTM, si la lésion initiale ne s’étend pas au-delà de la

phalange la plus distale, le risque d’amputation est nul et l’hospitalisation n’est donc pas

nécessaire

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Tableau 2 : classification initiale après le protocole de réchauffement rapide

!

Tableau'1':!Prise!en!charge,!évaluation!et!classification!des!gelures!en!fonction!du!risque!d’amputation!à!J0.!

!

Classifica/on'des'gelures'(DMTM)'

J0'Protocole'de'réchauffement'rapide'

Immersion!des!par>es!gelées!dans!un!bain!d'eau!chaude!asp>sé!à!38C40°C!

Aspirine!250mg!PO!or!IV!(alterna>ve:!ibuprofen!!800mg!PO!ou!nifedipine!10mg!PO)!

stade!de!gravité!

Absence!!of!ini>al!lesion!

stade'1'pas!d'amputa>on!

traitement'ambulatoire''

Lésions!ini>ales!!sur!

les!phalanges!distales!

''

stade'2'1%!de!risque!d'amputa>on!

''!

traitement'ambulatoire''

!

Lésions!ini>ales!!sur!

les!phalanges!intermédiaires!et!

proximales!

stade'3'31%!to!67%!!(risque!

d'amputa>on)!

iloprost'(voir!protocole)!

Lésions!ini>ales!!auCdelà!des!ar>cula>ons!

métacarpo/tarso!phalangiennes!

stade'4'98%!to!100%!

(risque!d'amputa>on)!

iloprost'+/G'rtPA'(voir!protocole)!

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TRAITEMENT

La thérapeutique découle de la physiopathologie : il faut réchauffer le segment gelé, lutter

contre le vasospasme, l’hyperviscosité sanguine, la thrombose et prévenir l’inflammation et

l’infection.

Sur le terrain

Les manœuvres actives mais non traumatiques sont conseillées dès qu’une perte de

sensibilité survient (massage doux, réchauffement actif musculaire). Il faut proscrire les

frictions agressives (avec de la neige). L’effet garrot de vêtements trop serrés et le serrage

excessif des chaussures doit être évité. On doit rechausser les pieds gelés rapidement après

les avoir réchauffé et avant que l’œdème ne survienne si la victime doit redescendre à un

camp de base par ses propres moyens. Une bonne hydratation est primordiale. Dès que

l’environnement le permet, le protocole de réchauffement rapide est systématiquement

entrepris : réchauffement immédiat du segment atteint dans de l’eau à 38-40°C additionnée

d’un antiseptique doux (Savon, Bétadine®). On associe de principe l’aspirine à dose anti

aggrégant-plaquettaire (250mg) si la victime n’est pas allergique ou un anti-inflammatoire

(ibuprofène 400mg). A défaut, on pourra proposer de manière empirique certains

médicaments aux propriétés vasodilatatrices connues comme la nifedipine, souvent présent

dans la trousse du montagnard (16). Ce traitement doit être effectué au plus tôt, en refuge ou

au camp de base lors d’une expédition. Le ‘‘regel’’ est à éviter formellement. Une fois le bain

terminé, le stade de gravité doit être évalué en suivant la classification initiale. Les stades 3

et 4 devront être hospitalisés en urgence pour bénéficier au plus vite des protocoles de

reperfusion par iloprost et/ou thrombolyse.

Si la victime est en altitude (> 4500m) et que le délai de redescente est important (>6h)

l’utilisation du caisson hyperbare est recommandée pour relancer la thermogénèse,

augmenter le débit microcirculatoire, favoriser la fermeture des shunts vasculaire et traiter

l’hypoxie tissulaire (17) (18) (Photo 8)

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Photo 8 : Traitement de la gelure grave en altitude avec le caisson de recompression

portable

A l’hôpital

Le protocole de réchauffement rapide sera effectué s’il n’a pas été réalisé sur le terrain.

L’aspirine (250mg) sera injectée par voie IV en association avec des antalgiques si

nécessaire. Ensuite une évaluation rapide sera entreprise, cliniquement en se référant à la

classification DMTM et avec l’aide de la température pulpaire et du doppler haute fréquence.

Pour le stade 1 : le traitement sera ambulatoire (aspirine 250mg, 10 jours) le temps de

retrouver toute la sensibilité initiale.

Pour le stade 2 : traitement ambulatoire avec excisions des phlyctènes et des éventuels

escarres pulpaires (mise à la cicatrisation dirigée par pansements régénératif,

hydrocolloïdes) (aspirine 250mg/jr pendant 3 semaines). Durée des soins 45 jours.

Pour les stades 3 : (lésion initiale remontant au-delà d’au moins une dernière phalange de

doigt/orteil) : Hospitalisation : aspirine + iloprost (Ilomédine®) au pousse-seringue électrique

((jusqu’à 50 µg/j) (voire posologie tableau 3) quotidiennement pendant 2 jours. L’iloprost est

relativement bien supportée et présente peu d’effets secondaires (céphalées, nausées,

hypotension (le patient doit rester allongé pendant la perfusion)). Une bonne volémie est

essentielle, ainsi que le respect des règles d’asepsie. Les parties gelées sont surélevées tant

que persiste l’œdème (une semaine). En dehors du bain de réchauffement initial, on évitera

les bains au cours du séjour. Les pansements doivent être quotidiens et utiliser des

interfaces hydro-colloïdes additionnées de flammazine.

Si la scintigraphie effectuée à J3 est normale, le patient sera libéré et suivi en ambulatoire

comme s’il s’agissait d’un stade 2

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Si la scintigraphie effectuée à J3 montre des zones de défect, le traitement par iloprost sera

maintenu jusqu’à 7 jours à l’issu desquels sera effectuée une deuxième scintigraphie de

contrôle pour le suivi chirurgical.

Pour les stades 4

Le patient sera hospitalisé aux soins intensifs pour être traité par iloprost car les

complications générales ne sont pas rares surtout (septicémie, SDRA,..), sur les terrains

fragiles. Cependant, si les patients sont en bonne santé et ne présentent pas de contre-

indication, le recours à un traitement thrombolytique peut se discuter dans certaines

circonstances : si la gelure date de moins de 12 heures, que l’infrastructure médicale le

permet, que les lésions sont graves et potentiellement invalidantes (ex : gelure des deux

mains), c’est le tPA par voie IV selon protocole Gusto (100mg) qui sera proposé au patient

(10, 19) Si l’accès à une plateforme de radiologie interventionnelle est possible, cette dose

pourra même être réduite (25-50mg) et injectée par voie artérielle in situ (11, 12) (Tableau

4).

Tableau 4 : algorithme décisionnel

Grade&1&

Grade&2& Grade&3& Grade&4&J0&

J3&:&&1ère&scin3graphie&J3&

aspirine!iloprost&&&&3&Jrs&

!>!12!h!de!l’extrac/on!aspirine!iloprost&&&&3&Jrs&

<!12h!de!l’extrac/on!aspirine&rt:PA&puis&

Aspirine&iloprost&3&Jrs&

&&

aspirine!iloprost&&4&Jrs&

J7&:&2ème&scin3graphie&J7&

scin3graphie&normale&

aspirine!10&Jrs&

aspirine!cicatrisa3on&dirigée&

&&&45&Jrs&

AMBULATOIRE! HOSPITALISATION!!!!USI!

Scin3graphie&anormale&

avec&défect&&de&fixa3on&

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Traitement par oxygénothérapie hyperbare (OHB)

L’oxygénothérapie hyperbare est intéressante car elle semble s’opposer aux effets de

l’ischémie-reperfusion (diminution de l’œdème, revascularisation des territoires en

souffrance, néo-genèse vasculaire. Ses effets bactéricides et bactériostatiques évitent

l’apparition de gangrène gazeuse. Enfin l’OHB accélère la cicatrisation ainsi que la

démarcation tissu saint / tissu nécrosé. Elle a par ailleurs fait la preuve de son efficacité dans

le traitement des brulures dont la pathogénie se rapproche de celle de la gelures (20-24). Le

traitement par OHB est recommandé dans des études récentes mais le niveau de preuves

reste encore insuffisant. Les Hôpitaux du Pays du Mont-Blanc, en collaboration avec l’hôpital

cantonal de Genève (HUG), fait actuellement le point sur cette hypothèse dans une étude

prospective de 20 patients graves (Etude Interreg européenne Franco-Suisse Gelox).

Localement

Les premiers gestes chirurgicaux se limitent à la ponction excision des phlyctènes surtout

quand elles sont volumineuses, constrictives ou/et surinfectées. Ils sont réalisés entre le

troisième et le cinquième jour, le plus souvent sous anesthésie générale pour y associer un

nettoyage chirurgical. La réalisation sous anesthésie locorégionale (plexique) (25) est

souhaitable car elle induit une vasodilatation par effet sympatholytique temporaire. Des

nécrosectomies partielles sont parfois nécessaires. Ces épluchages des lésions permettent

de reconnaître les zones vascularisées qui pourront être conservées. Les antalgiques

majeurs sont souvent indispensables à ce stade. A la disparition de l’œdème, le patient doit

s’astreindre à une mobilisation active pour éviter les rétractions cutanées et capsulo-

ligamentaires. La prévention du tétanos est systématique. Les antibiotiques et les héparines

de bas poids moléculaire sont volontiers prescrits à titre prophylactique pour les gelures

sévère de stade III et IV du pied. Un bon état nutritif et psychologique doit être maintenu. En

dehors d’un rarissime syndrome des loges, les aponévrotomies ne sont jamais indiquées.

Traitement chirurgical

Le premier temps est celui de l’excision et l’épluchage des phlyctènes et tissus nécrosés

superficiellement. Il doit être répété et suivi.

Les amputations, si elles doivent être réalisées en urgence pour des raisons septiques sont

‘‘minimales’’. La fermeture du moignon parfois problématique (26) ne doit alors pas être

réalisée à tout prix. Il est de loin préférable de réaliser secondairement un geste de chirurgie

plastique reconstructrice ou de simple couverture.

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Le plus fréquemment, en l’absence de complications septiques, l’intervention chirurgicale est

dictée par les résultats de la scintigraphie osseuse entre J+5 et J+ 7. Il ne faut plus attendre

la formation du sillon d’élimination entre J30 et J45. La scintigraphie donne le niveau

d’amputation osseuse ‘‘nécessaire’’. Les possibilités de reconstruction chirurgicales

dépendent de la qualité des tissus restants. Par un phénomène de creeping substitution, il

est possible de conserver l’intégralité de la phalange distale et de ne réséquer que les tissus

mous nécrosés, pour conserver le plus de longueur possible aux doigts dans les stades

DMTM.

L’amputation si elle est nécessaire, consiste en la résection des tissus mous de façon

circulaire avec une recoupe osseuse la plus distale possible au regard de la scintigraphie. En

général la tranche de section osseuse sera couverte par le glissement de deux lambeaux,

l’un palmaire, l’autre dorsal qui viendront se rejoindre à l’extrémité du doigt. L’idéal est

d’avancer plus le lambeau palmaire pour décaler la cicatrice en dorsal afin qu’elle soit moins

gênante. Il s’agit de tissus qui ont souffert, les lambeaux doivent être larges et fiables. La

cicatrisation pose peu de problèmes. Une rééducation sensitive est souvent utile pour

valoriser la sensibilité du moignon qui est toujours moindre que celle d’une pulpe saine.

Une reconstruction microchirurgicale est possible, mais très à distance de l’accident avec

des pontages longs pour limiter le risque vasculaire. Ce choix est à discuter de très près car

la morbidité de la zone donneuse (transfert d’orteil) est parfois incompatible avec les activités

du patient (métiers de la montagne).

GELURES ET HYPOTHERMIE

Les hypothermies de montagne peuvent se classer deux grandes catégories (27):

Les hypothermies d’apparition rapide qui s’observent dans les chutes en crevasse ou dans

les avalanches. Comme la gelure peut être considérée comme un moyen de lutte contre le

froid, elle n’a pas le temps d’apparaître car l’ischémie distale liée à la vasoconstriction

périphérique est de courte durée. Elle pose un problème de réanimation aigüe qui sort du

sujet de cet article.

Les hypothermies d’apparition lente où l’épuisement et l’hypoxie rentrent en jeu. L’ischémie

se prolonge et gagne du terrain heure après heure. Les extrémités sont sacrifiées au profit

du maintien de la température centrale et font l’objet de lésions irréversibles et se combinent

alors les deux ‘‘pathologies’’.

GELURE EN EXPEDITION

En expédition, le risque d’amputation est augmenté par plusieurs facteurs: le manque de

moyens, tant médicamenteux que de soins locaux. L’absence d’asepsie qui peut favoriser la

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surinfection. Les complications thromboemboliques liées à la polyglobulie d’altitude, la

déshydratation et l’hypoxie tissulaire, conséquente de l’hypobarie d’altitude, sont des

obstacles incontournables à la reperfusion des pédicules vasculaires. Une étude récente

visant à réduire le risque d’amputation grave (18) propose une approche fondée sur

l’utilisation de l’iloprost en expédition sous réserve de disposer d’un médecin formé à son

utilisation et de disposer d’un monitorage de la tension artérielle. Deux cases report

décrivent une expérience de thrombolytiques sur des camps de base himalayens à plus de

4500 mètres sans complication particulière. Les auteurs ne recommandent cette utilisation

que pour des gelures graves étendues réchauffées depuis moins de 12 heures et par un

médecin expérimenté et le patient étant informé des risques encourus. Le recours au

caisson de recompression hyperbare portable est encouragé à raison de trois séances d’une

heure par jour en attendant la redescente aux altitudes inférieures (17). Le recours au bloc

distale sélectif à la ropivacaïne ou la bupivacaïne est proposé comme alternative pour lever

le spasme et traiter la douleur (25) (28).

SEQUELLES

En cas d’amputation, les premières séquelles sont bien sûr cosmétiques et fonctionnelles.

Elles sont à évaluer, compenser et prendre en charge en fonction de la localisation.

Des troubles sensitifs sont régulièrement constatés. Ils peuvent persister longtemps sous

forme de douleurs et/ou de dysesthésie. Les troubles vasomoteurs sont fréquents ainsi que

l’ankylose articulaire et les troubles trophiques de la peau et des phanères. A plus long terme

(plusieurs années), peuvent apparaitre ostéoporose et/ou arthrose précoce par atteinte du

cartilage (29) ou effondrement de géodes sous-chondrales.

Les études sur les séquelles de gelures sont peu nombreuses. L’expérience de Chamonix

rapporte que la symptomatologie subjective apparaît comme la cause principale des

séquelles se manifestant par des phénomènes douloureux qui iront en s’atténuant avec le

temps alors que l’hypersensibilité au froid persistera. Les signes subjectifs sont caractérisés

par des modifications de la peau qui reste fine, lisse et très sensible. Les extrémités seront,

plus tardivement, le siège d’une hyperhydrose ou d’une hyperkératose. La déformation des

phanères est classique. En cas d’amputation, des cicatrices inesthétiques et gênantes

peuvent s’observer. Des transformations carcinomateuses (spinocellulaires) de cicatrices de

gelures ont été t rapportées. Nous n’en avons jamais été témoins.

Les séquelles précoces sont dominées par l’ostéoporose, présente dans 50 % des cas et qui

disparaît dans un délai de 6 à 15 mois. Les séquelles tardives sont caractérisées par de

véritables ostéo-arthropathies secondaires avec pincement de l’interligne et micro géodes

juxta-articulaires volontiers en miroir. Plus rarement on observera des périostites, des

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acropathies ulcéro-mutilantes, et des troubles tardifs au niveau des cartilages de croissance

chez l’enfant. De notre expérience il ressort que 8 %, des patients ne présentent aucune

séquelle, 46 % présentent une hypersensibilité au froid, 36 % sont porteurs de troubles

subjectifs et trophiques permanents plus ou moins invalidants et 10 % ont un résultat

fonctionnel médiocre.

CONCLUSION

La prévention reste essentielle. En cas de gelure constituée, la mise en route précoce d’un

traitement adapté fait toute la différence. Le réchauffement rapide est primordial.

Lorsqu’intervient le phénomène de nécrose progressive secondaire il faut essayer de limiter.

L’évolution est toujours longue, les amputations sont rares, mais les séquelles fonctionnelles

et trophiques peuvent être invalidantes.

Photo 9 : Traitement gelure des mains stade 3 avec iloprost seul 10 heures après l’extraction

du milieu froid. Guérison totale a J10 (Photo G.Gardini)

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PREVENTION ET CONDUITE A TENIR

Prévention

. Bonne hydratation, vêtements, gants et chaussures adaptés et de bonne qualité.

. Eviter le serrage exagéré des chaussures et des vêtements en général.

. Eviter le tabac et les excitants (caféine).

. Combattre l’humidité (sous-vêtements et chaussettes de rechange).

. Prévention médicamenteuse possible par aspirine, le matin de la course.

Conduite à tenir sur le terrain

. Réchauffement des parties gelées par massage doux et décongestion en évitant les

traumatismes cutanés.

. Réchauffement interne par boissons chaudes et réchauffement externe en immergeant dès

que possible les extrémités gelées dans l’eau à 38°C pendant une heure.

. Aspirine (1 g) ou nifédipine (10 mg)

. Classification selon [Tableau 3] en stade de gravité :

Si stade I ou II : traitement ambulatoire aspirine et soins locaux (interface hydro-colloïde).

Si stade III et IV : antibiothérapie prophylactique (amoxycilline + acide clavulanique) -

Orientation en urgence vers une structure hospitalière.

Conduite à tenir à l’hôpital

. Aspirine (250 ou 500 mg) par voie parentérale / 8 jours.

. Rt-PA IV seulement si gelure grave de stade 4 de moins de 12 heures

. Iloprost IV, 3 jours + 4 jours si la scintigraphie à J3 montre une absence de fixation

. Antibiothérapie prophylactique si gelures sévères des pieds (amoxycilline + acide

clavulanique)

. Scintigraphie osseuse au Technétium 99 à J3 et J7

. Excision et/ou brossage des phlyctènes au bloc opératoire entre J3 et J5

. Amputation en fonction de la scintigraphie et chirurgie plastique secondaire si besoin.

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