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Jean Sarocchi 2012 Arkoun 1 Arkoun Jean Sarocchi 2012 Cette oeuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France. http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/

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Jean Sarocchi 2012 Arkoun 1

Arkoun

Jean Sarocchi

2012

Cette oeuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative CommonsPaternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France.

http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/

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Table des matièresAPRES UNE LECTURE DE MOHAMMED ARKOUN ........................................................ 3ISLAM ET CORAN ........................................................................................................... 3PARERGON ........................................................................................................................ 26

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APRES UNE LECTURE DE MOHAMMED ARKOUN

ISLAM ET CORAN

Aborder une fois encore la question de l’islam tel que je me le représente et tel qu’il seprésente dans notre médiacratie exige que je rentre mes griffes et que mes miaulementsd’insatisfaction soient poussés en triple piano dans le département le plus grave de latessiture. Que le lecteur, c’est-à-dire moi-même, ne s’attende pas cependant à desméchancetés ou des railleries. Le souvenir tout chaud des meurtres commis par l’infâmeMerah à Toulouse et Montauban, l’image de cette fillette saisie aux cheveux et flinguée aunom d’Allah Miséricordieux risquerait de m’entraîner à de grossières invectives et à ladétestation sans nuances d’une religion dont se réclament certains de ses membres pour detelles perpétrations. Et s’il n’y avait que Merah ! Pour déterminée que soit notre médiacratie àétouffer les prouesses meurtrières de l’Islam urbi et orbi elle ne peut éviter, par la bande, pararticulets, entrefilets, titres minuscules, commentaires succincts ou « sucrés »(avec l’espoirqu’on ne lira pas), de signaler (furtivement), ici ou là (je veux dire partout), en Irak, en Iran,au Pakistan, au Soudan, au Nigéria, en Egypte, même en Tunisie où le « printemps »1 arabefut arrosé aussitôt par le sang d’un prêtre catholique, des assassinats programmés ouanecdotiques. Mohammed Arkoun savait, et il en souffrait, combien l’islam, quand il s’y met(s’y mahomet ?), est « bête et méchant » (ainsi l’est-il devenu selon A.bdelwahab Meddeb quia la nostalgie, me semble-t-il, d’un islam de jadis, andalou, ni méchant alors, croit-il, ni bête).Entrant avec lui en dialogue posthume je souhaite m’abstenir, au risque de n’y parvenir pas(je lui en demande pardon), de toute agressivité réactive et de dire ce que je lui concède et ceque je lui refuse avec cette courtoisie que recommande un des versets assurément inspirés duCoran. Sois attentif, ô mon esprit ! Sois mesuré, prudent ! Quand un Musulman se comporteavec tant d’intelligence et de tact, tâche de n’être pas inférieur à la tâche que tu t’assignesd’entrer avec lui en débat.

J’ai des raisons de me sentir proche de Mohammed Arkoun. J’eus la chance de lerencontrer, d’échanger quelques paroles avec lui. De ce bref entretien je n’ai retenu que despropos railleurs sur l’islam de l’Arabie séoudite, l’hypocrisie qui y fait le fond de la religion,l’art avec lequel mesdames et messieurs à peine l’avion décolle de ce territoire que certainsdévots ont le culot d’appeler une grande mosquée, les unes se dévêtent de leur moucharabiehtextile, s’attifent, se parfument, se pomponnent, bref se changent en femmes, les autres semettent à tenir des propos lestes cousus d’alcool à grandes lampées. Au diable, n’est-ce pas, lesaint Coran ! Mohammed Arkoun – était-ce au terme de cet entretien ou dans un entretienultérieur ? - me pria de lui adresser la prière de Thomas d’Aquin pour l’étude, ce que je fis enlui signalant, par courtoisie, que le plus strict des mu’minoun pourrait la dire tout entière, sansy rien retrancher sauf les derniers mots sur le Christ « vrai Dieu et vrai homme ». J’ai appris,lisant ses entretiens, publiés avec Rachid Benzine et Jean-Louis Schlegel, en 2012, sous letitre La Construction humaine de l’islam, qu’il avait été pensionnaire au lycée de garçonsd’Oran dont je fus moi-même l’élève, et cela renforce l’amitié que d’emblée j’avais éprouvéepour lui. Il remarque en passant que l’on comptait sur les doigts d’une main, dans ce grand

1 A la niaiserie de ce cliché dont les décervelés de service nous rebattent les oreilles opposons avec RenéChar 1) en poésie « les tendres preuves du printemps », 2) en politique la résolution de « l’extravagant » qui« tourne à jamais le dos au printemps qui n’existe pas ».

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lycée Lamoricière, les élèves issus comme lui de l’ethnie arabe ou berbère, et qu’à ce seulsigne l’on est en droit de douter que la colonisation ait été une œuvre exemplaire de justice.Un de ses professeurs fut, en classe de philosophie, Vié-le-Sage ; ce fut aussi le mien.J’ignorais que monsieur Vié-le-Sage fut un discret partisan de l’Algérie indépendante. Arkounen fut-il averti ? En eut-il le pressentiment ? Je ne sais. Je manquerais à mon devoird’honnêteté – je n’ose dire de transparence – si je ne soulignais qu’à l’époque (année 1949-1950) où je recevais mes premières insufflations de bergsonisme je n’étais en état de penser nien philosophe ni en politique. L’Algérie était française, Oran était une ville française, les« indigènes » comme on les désignait ne se mêlaient à nous que pour le petit commerce ou lecirage de nos chaussures confiées à des « yaouleds », petit peuple jovial et frénétique, quimaniaient avec entrain le chiffon et la brosse pour un très modique salaire. Cet aveu ne mecoûte, ne m’honore ni ne m’accable : jusqu’aux toutes dernières années de l’ »Algériefrançaise » je ne doutai point que l’Algérie ne fût française et ne dût le rester. Quant à l’islam,je n’y attachais aucune attention. Le peu que j’en savais, je le tenais peut-être des frèresTharaud. Certes je m’étais offert le Coran du Club français du livre dans la traduction dulevantin Hamidullah, islamologue érudit, islamophile fanatique, musulman convaincu que sareligion est la seule véritable, mais je n’avais guère de goût à lire sourate après sourate desséquelles d’imprécations ou des consignes de morale élémentaire dont l’Evangile mepourvoyait à suffisance. Et avec qui aurais-je discuté du Coran ? discuté le Coran ?

Sans doute ne m’apparut-il pas alors ce qui aujourd’hui me frappe, me sidère et me rend,quand je compare la Bible au Coran, dédaigneux de celui-ci : il n’est pas une seule des centquatorze sourates où l’on assiste fût-ce à l’amorce d’un dialogue entre le prophète et sonDieu. Un tel constat suffit à mettre en doute l’idée d’un état islamique compatible avecl’exercice réel de la démocratie, car qu’est-ce qu’une démocratie sinon un régime où nulhomme, nul clan, nulle tribu ne détient la vérité, celle-ci s’élaborant dans les conflits et leurrésolution toujours conjecturale et fragile ? Et un autre constat : Arkoun, qui pourtant ne sedérobe pas aux sérieuses difficultés que pose au lecteur averti le texte coranique, n’a pas unmot sur ce mode de révélation où tout est asséné, martelé, tombant du ciel comme un caillousur le crâne de l’anthrope. Son propos cependant n’est pas celui d’un homme qui, pour avoir appris par cœur leCoran (avoue-t-il) (performance qui à la fois me stupéfie et me désole tant je suis persuadéqu’il est bien des textes qui méritent le « par cœur » mieux que ce ramas de versetsquelquefois très beaux, souvent répétitifs jusqu’au radotage, çà et là rancuniers, voirevindicatifs), en aurait eu la tête trop pleine et devenue inapte à la critique argumentée. Arkounn’ignore rien des spéculations les plus audacieuses de la philosophie française moderne etcontemporaine. Dans la ligne de Heidegger et de ses épigones parisiens il voudrait, non pourle détruire comme on l’en accuse, mais pour le sauver, « déconstruire » le Coran, ledéconstruire afin de l’arracher à l’Islam comme des chrétiens ou des ennemis du christianismetentent de soustraire les évangiles à l’autorité de l’Eglise. L’Islam, du moins ce qu’il estdevenu – cela qu’il est aujourd’hui en Europe, où le confisquent frères musulmans, salafistes,wahhabites – lui répugne. « Bête et méchant », comme Meddeb il le dirait ; il le dit en termesplus discrets. La plus conne des religions ? Ce mot de Michel Houellebecq est prophétique. Ilfaut apprécier à son juste prix le constat consterné que fait Arkoun de ses vains efforts pourentrer en dialogue avec des « gardiens de la foi » (les oulémas) : « La parole, le débat ne sontdonc pas seulement impossibles, je suis rejeté a priori. Il est impossible d’aborder un sujetintellectuel ou d’employer un argument philosophique puisqu’ils ignorent de quoi il estquestion ». Même, ajoute-t-il, avec Tariq Ramadan, réputé pourtant habile propagandiste etcontroversiste fûté : « Nous parlons ensemble pacifiquement (ou plutôt je l’écoute parler, /…/mais les présupposés sont tels que des trésors de dialectique et de patience de ma part

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n’arrivent à rien ». Que faut-il en induire ? La solution de Jean-Pierre Millecam, obsédé parl’hypothèse où islam et christianisme se ressemblant seraient convertibles l’un en l’autre,c’est que l’islam « n’existe pas » (sic), et je serais tout prêt à entendre cet énoncéfavorablement si l’on me démontrait qu’il fut une époque où il exista de sorte que le verdictterrible de Michel Houellebecq soit à l’évidence controuvé. Eh bien, oui, cet Islam a existé,existe encore, même aujourd’hui, partout où des musulmans acceptent d’entrer avec deschrétiens dans une relation de mutuelle bienveillance qui féconde, fortifie, assouplitl’intelligence de ceux-ci et de ceux-là. J’en puis témoigner moi-même par les petits séjoursque j’ai faits en Syrie ou au Liban. Par ailleurs il en est de l’Islam à peu près ce qu’il en est ducommunisme : le psittacisme médiatique a fait un slogan de sa « chute », sa « fin » ; or lecommunisme n’a jamais commencé ; plus exactement il avait commencé avec la commune deKronstadt mais on sait (non ! on ne sait pas, censure !) que Lénine, Trotski et Toukhatchevskis’entendirent comme larrons en foire pour mettre brutalement terme à une expérience quicontrariait leur idéologie ; et l’on sait (non ! on ne sait pas) qu’un rescapé de l’utopiebolchevique, Platonov, dans son roman Tchevengour, a conté avec beaucoup de talentcomment il n’est pas de pire adversaire du communisme en vérité que le communismeidéologique. (Ainsi une autre dupe, dessillée, repentie, de cette exécrable utopie, JorgeSemprun, affirmait naguère que nulle part la classe ouvrière ne fut aussi maltraitée qu’aupays des Soviets). De même il y a fort à penser que l’islam originaire n’a pas plus existéjusqu’aujourd’hui que le communisme, le prétendu âge d’or des premiers califes étant lui-même dès l’après-Médine infecté par de sanglantes querelles (comme le sera plus tard aussitôtimporté en Espagne l’islam andalou), si bien que distinguer de l’islam l’islamisme c’estdistinguer un fantôme vénérable d’une réalité.

Il s’agit pour Mohammed Arkoun de sauver non l’islam, mais le Coran de l’islam,déplorant qu’on ne parle dans les médias que de celui-ci et qu’on se réfère peu à celui-là,essayant de soustraire le Livre et le Prophète à leurs lamentables interprètes dont la vilainebesogne ne date pas d’aujourd’hui. Or je crois qu’il y échoue, je crois que sa tentative,soulignée, de réfléchir non en théologien mais en anthropologue est impuissante à disculperl’un et l’autre – le Prophète et le Livre – d’un vice rédhibitoire et d’attitudes ou d’énoncésincompatibles avec les exigences minimales d’une société ouverte et d’une civilisationuniverselle. Voici, au fil de ma lecture, les points sur lesquels j’ai achoppé. Lisant dans Tristes Tropiques le jugement que porte Lévi-Strauss sur l’islam, Arkouns’étonne et sanctionne : « Quant à ce qu’il a dit dans ce livre sur l’islam, il a surtout montréson ignorance. Oui, c’est surprenant de lire ces propos sous la plume d’un grand esprit ».Permettez-moi, cher Arkoun, à mon tour de m’étonner et de vous sanctionner. Que dit Lévi-Strauss de l’islam dans Tristes Tropiques ? Il raconte d’abord un ridicule incident de burqadont il est victime en Inde dans un train où une famille musulmane, plus précisément un marimusulman paranoïaque supporte mal sa présence. S’ensuit un alinéa (une dizaine de lignes,pas plus) où chaque mot semble avoir été pourpensé, pesé au trébuchet. Cette succincteanalyse, quand je la lus, me fit frissonner de la plus vive joie, ce fut comme un orgasmeintellectuel. Bravo, me dis-je, c’est exactement ce que j’ai ressenti mainte et mainte foisdurant mon séjour en Tunisie et dont j’eus confirmation assez récemment, dans un train moiaussi, entre Montauban et Toulouse, où un jeune Maghrébin qui me demandait si je croyais enDieu quand il apprit que j’y croyais certes étant chrétien fit tomber entre lui et moi un mur(une sourate) de non-audition et se tint dès lors rencogné, renfrogné dans le mutisme2 . Je

2 La saynète mérite un petit développement. J’avais affaire non pas à un, mais à deux jeunesmusulmans. Celui qui me fit la tête une fois alerté sur la sorte de Dieu que je confesse était un « rude », un tantetabruti ; j’eus vite décelé en lui un de ces Maghrébins chez lesquels l’islam cercle les méninges d’un cordon defer ; son copain, alerte, fin, vif de gestes et d’esprit, était albanais, se prêta volontiers, lui, au dialogue, admit

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cite ces lignes si perspicaces selon moi de Lévi-Strauss : « Grande religion qui se fonde moinssur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors. En face dela bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l’intolérancemusulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables ; car s’ils necherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sontpourtant (et c’est plus grave) incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Leseul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une« néantisation » d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite. Lafraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut pass’avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants ».

1. J’aurais aimé que Mohammed Arkoun ne se contentât point ici de jouer au professeurqui rature la copie d’un trait décisif et fiche un zéro à ce médiocre écolier que sedécouvre l’auteur de Tristes Tropiques, mais qu’il énumérât et expliquât les attendusde son jugement. Que m’opposerait-il, à moi qui, je le répète, ait vingt et trente foisfait l’expérience de cette allergie, de ce réflexe conditionné, de ce rude horresco ?Qu’il n’est lui-même aucunement passible d’une appréciation aussi accablante ?Certes ! Et ils sont ainsi, sur l’une et l’autre rive de la Méditerranée quelques …centaines ? milliers ? de Musulmans pour lesquels la profession de christianisme chezun interlocuteur loin de produire un refus d’entendre horrifié attiserait un désir dedialogue. (N’ai-je pas été membre à Tunis du groupe de réflexion islamo-chrétien ?imagine-t-on un Abdelwahab Charfi se faisant tête de mort quand le père Casparcommentait un évangile ?). Pour ceux-là, l’analyse de Lévi-Strauss est fausse. Maispour ceux-là seulement. Il y a plus à dire : dès le principe, la religion de Mohammedse veut un substitut au christianisme et au judaïsme, à leurs Ecritures qu’ils ontfalsifiées. Il va de soi à partir de ces prémisses que tout juif, tout chrétien quipersistent à tenir la Bible pour vénérable et à se maintenir dans leur croyance et leurdévotion sont des pauvres d’esprit, des attardés qui n’ont pas compris que Mohammedaccomplissant les prophètes antérieurs les annule, que lire Jérémie ou Isaïe est unsigne de paresse spirituelle, qu’imaginer Jésus-Christ « fils de Dieu » et Dieu mêmeest un énorme blasphème. L’horresco, le retrait sont inscrits dans les gènes del’homme islamisé. Il lui faut, pour devenir intelligent, c’est-à-dire comprendre qu’iln’est peut-être pas le nec plus ultra de l’univers, le favori exclusif d’Allah, frotterfortement sa cervelle à la cervelle d’autrui. Arkoun était en Islam de ces esprits d’élitecapables de soupçonner le risque pour l’islam d’avoir manqué la juste appréciation deJésus-Christ.

2. Son refus d’accorder à René Girard que seul le christianisme a dépassé le couple de laviolence et du sacré se déclare d’abrupt, sans explication. Or un tel dépassement, onconcèderait à un bouddhiste que sa religion de la pitié universelle l’y incite, mais il estpatent que le Coran ne le permet pas. A preuve l’obligation de sacrifier à certainesdates, lors de certaines fêtes, de malheureux animaux et de les sacrifier d’une façonbarbare – on pense par contraste aux fulminations des prophètes bibliques contre cetteillusion sanglante de plaire à Dieu par des hécatombes de bœufs ou de brebis alors quele seul sacrifice efficace serait celui d’un cœur chaste et pacifique. A preuve encore larecommandation coranique du talion, c’est-à-dire la réitération obsolète du vieuxprécepte œil pour œil dent pour dent : « O croyants ! la peine du talion vous est

sans peine qu’il était musulman par le hasard de sa naissance, que chrétien il aurait pu être, et je sentis que soussa fragile croûte islamique circulait à son insu une eau baptismale.

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prescrite pour le meurtre, un homme libre pour un homme libre, l’esclave pourl’esclave, et une femme pour une femme » (sourate II). Quelle grandeur, inconnue dece Mohammed rancunier et vindicatif (mais Arkoun est bien timide quand il s’agiraitde s’interroger sur les défaillances morales du Prophète !), dans ce mot de Thomasd’Aquin : « pardonner aux hommes, les prendre en pitié, c’est œuvre plus grande quela création du monde » ! Comment dissimuler que l’évangélique prescription de ne pasrendre le mal pour le mal, de rompre la chaîne satanique des rétorsions fut ignorée duchamelier koreïchite et qu’à cet égard sa prédication, très en recul sur celle de Jésus-Christ, était grosse d’interminables violences ?

3. Aussi l’admonestation – « il faut absolument s’interdire de dire /…/ que l’islam seraitune « religion du sabre » », l’indignation - « je m’insurge contre le regard méprisant etrepoussant porté sur l’islam « religion du sabre » » - sont-elles stupéfiantes. Troispages d’Elias Canetti, dans son livre Masse et puissance, disent succinctement ce quel’Aquinate dans sa Summa contra gentiles disait plus succinctement encore, et qu’ilfaut un exercice désespéré de torture mentale pour ne pas approuver. L’islam est àl’évidence une religion du sabre, évidence historique, évidence actuelle (partout dansle monde une progression de la foi en Mahomet par des arguments explosifs),évidence coranique (je ne me fatiguerai pas après mille et un autres à repérer dans leCoran les versets qui incitent au meurtre et j’y reviendrai cependant à propos de latristement célèbre, justement déplorable sourate 9, le Prophète n’aurait-il pas alors« pété les plombs » ?). Cette admonestation, cette injonction me rappellent, mais dansun tout autre climat mental, le cri trissé ou même quadrissé de Maurice Bellet quand ilavoue ne pas comprendre ne pas comprendre les (nombreuses !) péricopesévangéliques où le Christ attire sur les pécheurs la peine éternelle avec un luxed’images terrifiantes qu’on ne peut reprocher aux imagiers du Moyen Age d’avoirpeintes ou sculptées. Ici un prêtre animé par une foi insoupçonnable voudrait que leGaliléen n’ait pas prononcé certaines paroles qu’on serait tenté d’imputer au « Dieupervers ». Là, que se passe-t-il ? « Il faut absolument s’interdire de dire que… » Dequelle hygiène relève cet interdit ? Et pourquoi cet absolu ? Espère-t-on parce qu’onaura dégrevé l’islam d’une mauvaise réputation qu’il se réformera, s’attendrira,rentrera ses griffes, remettra l’épée au fourreau, ôtera du livre sacré les versets…sataniques ? Je veux bien que cette manière de suspendre le jugement, de ne pasinfliger au coupable le verdict de réprobation lui offre une chance de s’amender ; celaest vrai d’un individu, et je crois en effet que pour bien des musulmans le sabre n’estpas l’argument décisif de la foi et que les incriminer ce serait remuer en eux lescendres d’un fanatisme presque éteint. Mais ce qui vaut pour l’individu ne vaut paspour la secte et le système, surtout à l’heure où les pétro-dollars laissent espérer auxmecquois une revanche sur la Rome pétrinienne. Les vicaires d’Allah urbi et orbi serecyclent en sicaires dont l’armement, de la mitraillette au missile, a évolué ; ils serendraient célèbres à ce titre si l’Opinion n’avait décidé de faire de l’islamophobie unpéché mortel, annulant donc à mesure qu’urbi et orbi leur liste s’allonge les mortsvictimes de l’islam. « Je m’insurge contre /…/ » Je serais tenté, moi, de m’insurgercontre l’Opinion et de craindre que la peur de l’islamophobie ne trahisse une mentalitéde munichois. Tel qu’est l’islam, redoutable par ailleurs dès ses origines, aujourd’huine pas le craindre me semble l’indice d’une âme frivole ou intoxiquée. Ce quej’accorde à Mohammed Arkoun, c’est que l’islam n’est pas seulement une religion dusabre. Qu’il suscite, en tant que « religion du sabre », c’est-à-dire aujourd’hui duterrorisme multiforme et aujourd’hui comme hier de la coercition exercée partout où ila le pouvoir sur les « infidèles » (les Coptes, par exemple !), un regard « repoussant et

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méprisant », qu’il doive susciter un tel regard, voilà qui me paraît indiscutable. Maispar ailleurs, d’une part chez des penseurs de haut niveau (d’une stature tout autre quecelle des « oulémas » ou « talibans »), d’autre part chez une foule de petites gens pourlesquels le Coran est une école de piété, d’honnêteté, de vertus familiales et sociales etun garde-fou contre les délires du libertinage, il mérite en effet d’être reconnu avecsympathie comme l’une des plus estimables façons d’être ensemble religieusement,pourvu – j’y reviendrai – qu’on l’émonde de quelques pratiques barbares, héritage decette jâhiliyya qu’on se flatte à tort d’avoir exorcisée.

L’islam, qui fut une religion du sabre, ne l’est plus, la civilisation chrétiennel’ayant pourvue d’armes plus sophistiquées, donc d’arguments plus décisifs pouraffirmer l’excellence du dieu coranique. L’Arabie wahhabite exporte sesmissionnaires à grands frais cependant qu’elle ne cesse de passer commande à laFrance, à la Grande-Bretagne, à l’Amérique yankee, à qui encore ? d’un matériel quisuffirait, au cas où quelques sourates se découvriraient captieuses, à en garantircependant la véracité. Contester que l’islam ait été une religion du sabre et continuede l’être avec des sabres superlatifs devient une prouesse de sophistication si l’ons’avise seulement de le comparer aux prescriptions évangéliques : « je vous envoiecomme des agneaux parmi les loups » - où pareil envoi dans le Coran ? L’expédientde l’épée n’est pas ignoré des évangélistes. Dans saint Luc Jésus enjoint à sesdisciples de vendre leur manteau pour en acheter une, et sitôt après, quand on lui enprésente deux, déclare : « c’est assez ». Paroles évidemment ironiques. Un peu plusloin quand l’un d’eux tranche l’oreille du grand-prêtre, Jésus arrête là les frais decontre-offensive et s’empresse de guérir le mutilé. En saint Matthieu Il profère cetaphorisme dont la portée anthropologique et historique est infinie : « tous ceux quiuseront de l’épée périront par l’épée ». Tel fut le cas de Ses agresseurs. Tel fut, telsera le cas des islamistes. Tel fut, tel sera le cas des chrétiens quand ils usent pour ledessein de convertir d’arguments frappants. Ainsi l’islam selon les fluctuations de laconjoncture est-il vainqueur ou étrillé. Il a su, naguère, ce qu’il en coûte de semesurer à la puissance israélienne, mais l’état hébreu n’est pas lui-même à l’abri depéripéties catastrophiques.

Bessif …Dans mon Oranie natale combien de fois ai-je entendu ces deux syllabes !Je ne savais pas alors qu’elles peuvent servir de résumé humoristique à la sourate IXdont nul n’ignore qu’elle est testamentaire et détestable, appelant les mu’minoun à laguerre sainte contre ….tous ceux qui ne se font pas adeptes du Coran, y compris(quoi qu’on die) les juifs et les chrétiens s’ils ne consentent pas à la suprématie desémissaires d’Allah ou même si …. Un point très sensible, que je soumettraisvolontiers à de hautes instances cléricales/oulémales, c’est qu’en effet cette sourate(la seule où ne soit pas invoqué en exergue le Dieu tout entrailles) supporte unelecture qui range chrétiens et même juifs (ceux-ci taxés de tenir Uzaïr pour le fils deDieu !) parmi les exécrables polythéistes dont la piété exige la mise à mort. Voilàquelques lustres un débat courtois opposait à Toulouse le Père Jomié catholique, et leProfesseur Morabia, communiste : celui-là soulignait que la notion de jihad a traitsurtout à l’effort personnel de conversion sur le chemin de Dieu, celui-ci lui opposaitque neuf fois sur dix le jihad désigne la guerre armée pour l’extension de l’islam.Morabia était natif d’Egypte. Les Coptes lui auraient donné mille fois raison.

L’argumentation d’Arkoun, pour atténuer l’effet désastreux que peut (que doit) produire le« petit » jihad, c’est-à-dire le recours aux armes pour propager la religion, dans tout esprit quel’Opinion n’aura pas intoxiqué, me paraît étrangement faible. Il s’agirait de « protéger »,écrit-il, « la parole de Dieu » : la protéger seulement ? Allons donc ! A l’époque, écrit-il

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encore, les chrétiens font de même. A l’époque peut-être, au septième siècle de l’ère que l’ondit chrétienne. Oublierait-il que durant trois cents années environ ces agneaux envoyés aumilieu des loups et armés par ironie d’une ou deux épées ont fait exactement au contraire ? Lesang qu’ils versaient en témoignage était le leur, non celui des réfractaires à leur foi.L’Inquisition, remarque-t-il encore. Mais dans les nations islamisées l’inquisition est partout,de tous à tous, de chacun à chacun, j’entends encore un jeune Irakien sous les arcades duCapitole toulousain crier son « ras le bol » au poids insupportable que fait peser dans son payssur les consciences la religion des sourates. Arkoun insinue aussi que les catholiques seraientgênés par le livre de Josué. Il est exact que certaines pages de la Bible, et pas dans Josuéseulement, sont si répugnantes à un esprit épris de justice et de paix que l’hérésie marcionite,qui refuse « l’Ancien Testament » s’est faufilée jusqu’à nous à travers les âges – Simone Weils’en réclame, et s’en réclament aujourd’hui encore nombre d’intellectuels agacés par lapolitique israélienne ou l’emprise juive sur les médias. Mais il me semble que ces pogromsperpétrés par le peuple hébreu entrant en terre promise doivent inquiéter les juifs plus que leschrétiens, et il est certain que ceux-ci comme ceux-là comprennent la Bible comme unelongue histoire d’alliance et une purification progressive de la conscience et des mœurs. Riende tel dans le Coran dont les révélations resserrées en quelque trois lustres d’une vie d’hommeexcluent une pédagogie évolutive. »Tuez », « tuez » ! Que de fois, bon sang ! Suffit-il de direque l’on tue aujourd’hui encore dans des guerres civiles, que la riposte au 11 septembre new-yorkais fut meurtrière ? Eh oui, les hommes semblent nés moins d’Adam que des dents dudragon : s’entre-tuer est un de leurs hobbies. Mais comment ne pas s’indigner qu’un Livrequ’on dit divinement inspiré le prescrive ? Il y a dans les Evangiles nombre de ces « parolesfort violentes », insupportables à Maurice Bellet, sur la géhenne qui attend les pécheurs : j’enconviens, mais il faut préciser que les mu’minoun de Jésus-Christ ne sont aucunement appelésà collaborer pour la peine afflictive avec la puissance divine. La grande idée biblique etchrétienne c’est que le châtiment est l’affaire exclusive de Dieu. Il ne manque pas dans lepsautier d’appels à la vengeance – et on préfère dans bien des communautés monastiques lesmettre entre parenthèses – mais nulle part le psalmiste n’implore ou n’est averti de lui-mêmese venger. Enfin Arkoun a l’honnêteté de souligner que le Pape ne prononce pas de fatwas,non sans avouer sa gêne à l’abus qu’en fait l’islam contemporain. Mais le Livre sacré n’est-ilpas farci de fatwas ? La catastrophe de l’islam, parce que c’est la maldonne originelle du Coran, c’estde n’avoir pas compris que la rédemption (le rachat des captifs de la mort) ne pouvait se fairepar l’épée, bessif, mais par le renoncement à l’épée, comme l’illustre dans les évangiles cemoment de la Passion où Jésus refuse le secours des armes humaines ou angéliques. Une destrès graves erreurs de Mohammed, c’est d’avoir inconsidérément répété la fable selon laquelleun quidam aurait été substitué au Christ sur la croix. Interprétant mal cet événementclimatérique il ne s’est pas aperçu qu’il interprétait mal l’épisode abrahamique du MontMoriah. Le bessif d’Abraham, homme pacifique, absolument prémuni contre les violences dupetit jihad, intéresse sa pathétique relation avec son fils. Loin de lui l’idée de combattre pour,s’il en a une, sa religion. Kierkegaard est ici l’herméneute le plus clairvoyant : dans l’instantqu’il lève le couteau Abraham est seul, et ce n’est pas un kufar, un impie, qu’il lui estdemandé d’immoler, mais sa propre chair effarée et consentante. Acceptant sa propreimmolation le Christ met fin aux immolations substitutives. Le bessif ne concerne que lui. Asa suite les chrétiens propageront leur foi, du moins trois siècles durant, par leur propresacrifice, non par celui de bêtes innocentes ou de nations rétives. Par après …Faut-il redireaux sourds obstinés à ne pas entendre, avec le catholique Pierre de Ronsard que Jésus-Christ« sans conduire aux champs ni soldats, ni armées, Fit germer l’Evangile ès terres Idumées »,ou avec le protestant Jacques Ellul ? « Lorsque les chrétiens agissaient par la violence etconvertissaient par force, ils allaient à l’inverse de toute la Bible, et particulièrement des

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Évangiles. Ils faisaient le contraire des commandements de Jésus, alors que lorsque lesmusulmans conquièrent par la guerre des peuples qu’ils contraignent à l’Islam sous peine demort, ils obéissent à l’ordre de Mahomet ».

Je voudrais croire qu’un islam revu et corrigé, recyclé dans la (post)-modernité, essarté deses sourates ou versets obsolètes et obstinément rancuniers, dédouané de ses contingencesarabiques et historiques, un Islam repensé par des musulmans aux vues larges, à la dialectiquefine, à l’esprit œcuménique, tels qu’un Mohammed Arkoun, un Abdelwahab Meddeb, unAbdelmajid Charfi, d’autres …, bref un Islam qui ne serait plus « bête et méchant » ne seraitplus passible d’être appelé « religion du sabre ». Je voudrais le croire, mais je ne le crois pas,ou alors ce ne serait plus l’islam, le Coran aurait été échenillé de ses bévues, le Prophèteguéri de sa berlue et dessillés ceux qui le tiennent, comme madame Pernelle tient Tartuffe pour un « dévot personnage », pour le « Beau Modèle », Tel qu’est le Coran, telle qu’est ladévotion confinant à la bigoterie dont il est l’objet, tel que passe pour avoir été Mohammedauprès des oulémas et mu-minoun endoctrinés, il ne peut être, quelque effort que fassent desmusulmans de haute lice pour l’adapter sinon aux conditions de la démocratie universelle, dumoins à un idéal d’universelle sympathie, que cette « religion du sabre » qu’il a été dès sesorigines. Ne connaît-on pas la fable du scorpion et de la grenouille ? Le scorpion est unscorpion. Priez-le de se délivrer de son venin et de son dard ! Tant qu’il n’aura pas brisé l’un(c’est le « sabre »), évacué l’autre (ce sont les versets assassins), sachez, grenouille, frog(tiens ! c’est un sobriquet pour français), que toutes ses promesses, captieuses ou candides iln’importe, ne le retiendront pas d’obéir pieusement à sa nature de scorpion.

J’ajoute une remarque sur la Fatiha. Elle a été souvent comparée au Notre Père. Elle seraitla patenôtre des Musulmans. Du moins est-elle la prière islamique par excellence, celle quenul mu’min n’évite de connaître par cœur et de réciter s’il est pieux plusieurs fois par jour.Selon Arkoun la Fatiha devrait inspirer à l’énonciateur « la crainte d’être lui aussi noncroyant ». Je veux bien que ce soit le cas si l’énonciateur est à l’instar d’Arkoun une hauteconscience morale, s’il a été formé à la pensée du péché et du repentir. Mais prise à la lettre,au premier degré de l’énonciation, que dit cette prière apéritive ? Que le fidèle ne soit point deceux « qu’encourent Ton courroux », qui s’égarent. Comparez au Notre Père : « remets-nousnos dettes comme … ». Ici le devoir souligné de ne pas faire grief. Là un bref discriminant, undoigt pointé sur les impies, la pointe du sabre émergente : une implicite déclaration de guerre.

4. Question drastique : Mohammed fut-il un imposteur ? Le cas le plus critique (le pluscomique) – Arkoun ne l’élude pas - est celui de la sourate 33 où Mohammed, épris del’épouse de Zaïd son fils adoptif, se fait conter par l’Ange une version décente de saconvoitise et signifier par celui-ci que « ce n’est pas un crime pour les croyantsd’épouser les femmes de leurs fils adoptifs après leur répudiation ». Ta ta ta ! Lasupercherie est grosse. Je ne peux que je ne pense à l’histoire biblique de David etd’Uri le Hittite. Faute moins que vénielle, certes, dans la sourate 33 où il s’agitseulement d’évincer Zaïd par la (peut-être comminatoire) persuasion, faute très gravedans le livre de Samuel puisque Bethsabée n’est acquise par le roi qu’au prix de lamort tramée d’Uri. Du moins le récit biblique souligne-t-il et la faute de David et sonrepentir à la suite de la remontrance que lui adresse sous forme de parabole leprophète Nathan. Dans le Coran Mohammed est nanti d’impeccabilité. Le Sceau des prophètes, n’ayant pas mis les scellés sur sa semence, eut à ladifférence du Christ – souligne Arkoun - « une vie sexuelle intense ». Peut-êtremême quelques-uns de ses thuriféraires l’auront-ils doté d’un pouvoir de séductionsupérieur à celui d’un Casanova, d’un pouvoir d’érection supérieur à celui d’Hercule,

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d’un réservoir de substance séminale supérieur à celui du verrat romanesque deGiono. Je m’émerveille. Mais …le soupçon surgit que l’activité des gonades pourraitavoir quelque incidence sur celle des méninges, que le don prophétique pourrait êtreperverti par le désir érotique, bref qu’il y a mille et un risques pour Mohammedd’avoir quelquefois confondu les monitions de l’archange avec ses motionslibidinales. C’est ce que l’on est en devoir d’induire de l’épisode saillant de Zaïd.Qu’on se reporte à la Bible : aucun des prophètes n’y est tracassé par le prurit sexuel.La plupart d’entre eux au contraire se prononcent avec véhémence contre lelibertinage et la débauche. Si Dieu demande à tel d’entre eux (Osée) qu’il s’unisse àune putain, c’est pour illustrer par cette obscénité l’adultère du peuple élu avec lesdieux étrangers. Cela semble une loi spirituelle infrangible que l’attention à l’Esprit-Saint comme le nommeront les évangélistes exige une sainteté préalable, c’est-à-direune rigoureuse abstinence physique et mentale de tout ce qui troublerait cetteattention. « Comme un poupon chéri mon sexe est innocent », ce plaintif aveu del’ermite d’Apollinaire ne suffit pas à garantir l’intégrité de la transmission dumessage si l’esprit est pollué par les fantasmes. Or il semble bien que Mohammed,après que la fidélité conjugale puis les longues méditations solitaires l’avaientprédisposé à son incontestable charisme de prophète, offrant à son poupon chérimainte occasion folâtre ait gâté sa clairvoyance çà et là par des images salaces.Quelques versets du Coran s’indignent avec grossièreté que Dieu ait pu avoir un fils ((VI, 100-101 ; XIX, 88-93) : c’est que Mohammed n’imagine pas, empoissé qu’il estdans les images charnelles, un engendrement qui ne soit pas l’effet d’une fornication.Aussi bien n’imagine-t-il le paradis que comme une rave party, une folle partouze oùle droit de cuissage devenu divine licence s’exercera sans lassitude sur des myriadesde houris relayées (LII, 24) par des beaux garçons dans un hourra éternel. Condamné,quoi, le fidèle, au coït à perpétuité ! Quelle chute dans la basse atmosphère quand oncompare cet autre monde si décalqué sur ce monde-ci à l’autre monde évangélique,aussi différent de celui-ci que l’est de celui-ci le ventre ou l’œuf prénatal. Dansl’Eden second le bref plaisir obtenu ici-bas très bas par les secousses de l’intercoursesera transcendé en jouissance de tout l’être enfin délivré de la sexualité, c’est-à-direde la mort. Du moins c’est ce que le message du Christ donne à entendre. Comprend-on bien qu’un Dieu qui n’a à offrir à ses dévots dans son paradis que les mêmesdélectations que ceux-ci ont déjà goûtées dans la vie triviale n’est qu’une Idole, laprojection dans un Ciel illusoire des lourds fantasmes de leur libido ? Comme il esttroublant que cet Allah supposé infiniment au-delà de tout ce qu’il est possible deconcevoir, affecté de 99 Noms vénérables plus un centième trop mystérieux pour êtrenommable, n’élève pas ses mu’minoun ressuscités plus haut que la petite routine desfornications !

5. De même qu’il n’est pas possible de présenter l’Andalousie des califes comme unmodèle de civilisation pacifique et tolérante sans reléguer dans l’ombre nombre de sesaspects, de même l’on ne peut rendre le Coran présentable à un esprit de hauteexigence intellectuelle et spirituelle sans camoufler tel verset, voire telle neuvièmesourate qui fait tache, qui rebute, qui répugne. Même Arkoun, si courageux, si honnêtepourtant, si hardi à s’exposer à la Neuvième (qui n’est pas avec chœurs, moins encoreavec cœur), pratique le camouflage, et il y a tout lieu de penser que les courantsmystiques en Islam ont opéré un tri, ont mis en valeur quelques très hautesinspirations – ainsi dans la sourate 24 les fameux versets de la lumière -, oubliant,mitigeant ou négligeant le reste. Mais les Pères Blancs, Frères de Foucauld,Dominicains, depuis quelques dizaines d’années font précisément ce que fait Arkoun,

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et le font même, sous couleur de dialogue irénique et sympathique, avec un zèleémouvant, très soucieux d’arrondir les angles sinon de supprimer ce qui seraitanguleux, stranguleux. La haine islamique des chrétiens, pour ces chrétiens, semblen’être qu’un accident de l’histoire récente ou une réaction aux Croisades.

On doit à la collaboration de Mohammed Arkoun et de Louis Gardet, l’un etl’autre extrêmement qualifiés, L’Islam hier-demain, ouvrage paru en 1978 chezBuchet-Chastel. Or l’un et l’autre, dont l’honnêteté pourtant est insoupçonnable,semblent s’être donné le mot pour éliminer ou élimer du Coran certains mots, voirecertains versets par trop désastreux. Je prends tout à trac deux ou trois exemples. Surla question si délicate de la femme, ni l’un ni l’autre certes n’a le culot d’unHamidullah statuant que celle-ci est singulièrement bien traitée dans le saint Livre,mais ni l’un ni l’autre ne prend le risque de mettre dans tout son jour le verset 34 dela quatrième sourate où il est dit sans ambages, crûment, drûment, que la femme estinférieure à l’homme3 – que c’est ainsi (commenté-je) pour l’éternité et que Ledeuxième sexe est à brûler pour l’éternité. C’en serait assez, cet apartheid de lafemme, pour contester que l’Islam soit une religion universaliste. Gardet le croitpourtant, Arkoun, lui, émet des réserves, mais ni l’un ni l’autre ne s’interrogent surles versets à mon sens névralgiques où le Prophète se vantant d’avoir émis sesprophéties en langue arabe confesse par là même, quelle que soit sa prédication parailleurs, que les musulmans dont l’arabe n’est pas la langue seront toujours desfidèles de seconde catégorie – on ne le voit que trop dans des pays comme lePakistan où une population inculte farcie de sourates pour elle inintelligibles neretient du Coran que le plus étroit fanatisme. La question de l’esclavage est emblématique des contournements de difficulté.Une façon humoristique de la traiter serait de considérer avec Jean Paulhan quetoute société, qu’elle l’avalise ou non, le légalise ou non, a ses esclaves, et, horshumour l’on n’a pas manqué de dénoncer dans la société moderne l’esclavage duprolétariat dans les usines ou les mines, mais – ce serait une variété d’humour noir -le puissant mouvement de libération inauguré par le manifeste communiste a eu poureffet spectaculaire quoique longuement nié la constitution du Goulag, et la Chineaujourd’hui encore, sous la rubrique du maoïsme héritier de Lénine, entretient desmillions d’esclaves dans de véritables camps de concentration. « La raisonreligieuse », note Arkoun, « jamais /…/ n’a dénoncé l’esclavage ». C’est une manièred’innocenter le Coran. « Jamais » ? Il y a tout de même une parole de l’apôtre desgentils qui, sans le dénoncer précisément, signifie sa virtuelle abrogationqu’implique une « raison religieuse »: il n’y a plus dans une société chrétienne « nijuif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ». Comparons à ceténoncé décisif celui du Coran, non moins décisif (sourate 16, versets 73 et 74) :«Dieu vous a favorisés les uns au-dessus des autres dans la distribution de ses dons.Mais ceux qui ont été favorisés font-ils participer leurs esclaves aux acquits de leursmains ? Dieu vous a élevés les uns au-dessus des autres dans les moyens de cemonde ; mais ceux qui ont obtenu une plus grande portion ne vont point jusqu’à faireparticiper leurs esclaves à leurs biens, au point que tous soient égaux. Nieront-ilsdonc les bienfaits de Dieu ? » . C’est clair comme eau de roche : Dieu veut de touteéternité qu’il y ait différentes catégories d’hommes, certains mieux dotés qued’autres ; de même que la femelle est à jamais inférieure au mâle, de même l’esclaveest à jamais, sauf magnanimité du maître ou circonstance exceptionnelle, condamné

3 Louis Gardet traduit : « Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la prééminence que Dieuleur a accordée sur elles ». Kasimirski traduisait : « Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualitéspar lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci » .

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à l’esclavage. Référons-nous aussi aux lumineux versets de la sourate 23 « Heureuxsont les croyants /…/ qui bornent leur jouissance à leurs femmes et aux esclaves queleur a procurées leur main droite ». Arkoun se dérobe ici et à la mise en montre et aucommentaire. Malek Chebbel, qui met en lumière la traite des nègres comme l’Islamla pratiqua bien avant les Européens, avec plus d’ampleur que ceux-ci et moins descrupules, ne cache pas, lui, que le Coran peut légitimer cette désolante pratique.« Plusieurs versets », note-t-il, « entérinent /…/ l’infériorité de l’esclave par rapportà son maître ». N’oublions pas encore le verset 27 de la sourate 30 : « Prenez-vousvos esclaves, que vos mains vous ont acquis, pour vos associés dans la jouissance desbiens que nous vous avons donnés, au point que vos portions soient égales ? Avez-vous pour eux cette déférence que vous avez pour vous ? » Louis Gardet, évitant deciter ces versets désastreux, emprunte les voies tortueuses d’un contournement paratténuations, corrections et indulgence analogique. Le Coran serait suspect ?Attrapons un hadîth : « n’oubliez pas qu’ils sont vos frères ». Soulignons que « lestatut d’esclavage reste, pour le musulman du moins, un statut d’exception ». (Laréserve « pour le musulman du moins » est impayable). Remarquons que« l’acceptation de l’esclavage par les mentalités du temps n’est peut-être pas trèsdifférente en Islam de ce qu’elle fut aux débuts du christianisme ». (Ici encore lestyle d’approximations atténuatives « peut-être », « pas très », vaut son pesant !).Appelons à la rescousse saint Paul : Ephésiens, 6, 5-9 ; Philémon : 8, 21. Gardons-nous de citer la déclaration révolutionnaire susdite –« il n’y a plus ni Juif ni … »-qu’on chercherait en vain, quelque délicatesse qu’il eût à l’endroit de son esclaveMus, même chez un Epicure, et dont aucun stoïcien ne propose l’équivalent. Gardetne dissimule pas cependant, sauf à ne pas insister sur le commerce du cheptelafricain inauguré par l’Islam des siècles avant les négriers européens, que l’esclavageperdura dans les régions du globe gouvernées par la Sourate. L’Arabie séoudite,note-t-il, ne l’a aboli qu’en 1962. Mais il ne dit pas le traitement que les Mecquoisréservent jusqu’aujourd’hui à la main-d’œuvre importée. Le mot de Renan sur lesmartyrs de Lyon - « La servante Blandine montra qu’une révolution était accomplie.La vraie émancipation de l’esclave, l’émancipation par l’héroïsme, fut en grandepartie son ouvrage » - éclaire, d’une lumière d’autant plus crue qu’elle émane d’unpenseur des Lumières, le tournant éthique du Nouveau Testament par rapport auquel,sur cette question de l’égale dignité de tous les êtres humains, le Coran marque unaffligeant recul que parviennent mal à cacher des subterfuges rhétoriques ou deslogia non authentifiés. Il n’y a pas trace de Blandine au pays de …Aïcha. Ah ! j’aitort : l’Arabie ne manque sûrement pas de Blandines, aujourd’hui comme hier,victimes de l’Islam comme l’est Asia Bibi au Pakistan.

L’allergie à la religion coranique prend quelquefois des formes excessives.Dans ce moment de l’histoire planétaire où les ressources du pétrole permettent àmaint état islamisé une arrogance et une ingérence dont l’Europe se défend mal ceuxou celles que l’épreuve ou une conscience avertie immunisent contre la séductionexercée par les missionnaires d’Allah courent le risque d’être par trop virulents dansla critique. Mon ami Alain S. me communique ce texte d’Imran Firasat, apostat del’Islam, adressé au Comité constitutionnel espagnol :

« Le coran n’est pas un livre sacré religieux mais un livre violent, débordant de haine et de

discriminations.

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Le coran est un livre horrible qui incite une communauté appelée « les musulmans » à

s’engager dans le djihad, à tuer des innocents et à détruire la paix dans le monde.

Le coran est responsable de tous les actes terroristes commis ces dernières années dans

lesquels des milliers de personnes ont perdu la vie.

Le coran est un livre infâme qui oblige les croyants à conquérir le monde entier et à imposer

un pouvoir absolu coûte que coûte.

Le coran est un livre qui, en toute légalité, permet et encourage la violence et la haine, ce qui

le rend incompatible avec le monde moderne, Espagne comprise.

Le coran est un livre qui établit des discriminations directes entre les personnes.

Le coran est un livre qui n’autorise ni liberté d’expression ni liberté de religion.

Le coran est un livre qui impose des souffrances et tortures aux femmes par ses prescriptions

misogynes et injustes.

Le coran est un livre qui enseigne les divisions plutôt que l’unité : les croyants ne sont pas

autorisés à créer des liens d’amitié avec les non musulmans, car le coran les considère comme

des infidèles.

Le coran est une menace considérable pour la liberté de la société espagnole. C’est un livre

qui prêche clairement le djihad, le meurtre, la haine, la discrimination et la vengeance. »

Une telle véhémence dans le décri n’est pas admissible. C’est ignorer tant de versets, voirede sourates qu’un homme de bonne foi sinon de foi ne peut qu’admirer. Saint Thomasd’Aquin, sévère pour le Coran, ne cache pas qu’il comporte de sages consignes ; celles-ci,remarque-t-il seulement, non sans pertinence, se rencontrent dans toutes les traditionsspirituelles. Imran Firasat, passant la mesure, déconsidère sa cause. Il n’est pas le seul. Onvoit en Europe se multiplier les pamphlets contre le Prophète et sa religion cependant quecelle-ci avec l’affreuse chari’a tend à y devenir conquérante et ouvertement agressive. Maisles détracteurs frénétiques de l’Islam le seraient moins s’ils ne savaient ou ne sentaient lasupercherie ecclésiastique, les atténuations caramélisées de clercs que le souci de dialogueinvite indûment à édulcorer le Coran. J’ai pris l’exemple d’un prêtre hautement qualifié,Louis Gardet, d’un point particulièrement disputé, celui de l’esclavage, pour montrercomment la charité peut écorner la vérité. Un recteur d’Al-Azhar aurait proféré, paraît-il, vers

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les années 70 que l’islam est la « religion de l’amour ». Je veux bien qu’on le cite (j’ai moi-même entendu naguère sur une radio laxiste ce mensonge impudent), pourvu qu’on le raille!Prétendre que l’islam est la « religion de l’amour » relève ou de l’imposture ou de la « Bêtiseau front de taureau ». Imaginez Hitler déclarant son amour du peuple juif au camp de Dachau-Allach. Arkoun ? Revenons à lui. Je suis très frappé du mixte d’audace et de réticence que l’ontrouve dans ces Entretiens. J’apprends par ailleurs que Mohammed Talbi, lui-même penseurconnu pour sa finesse et sa largeur de vues, s’effraie d’une pensée qui sous couleur de« déconstruire » le Coran viserait subrepticement à le détruire. Je ne crois rien de tel, mais ceque je crois, c’est qu’à son insu même, manœuvré par sa rigueur intellectuelle et son vœud’attaquer de front les points les plus sensibles, Arkoun ébranle une Maison dont il a le plusgrand mal à se faire le défenseur tant il lui paraît évident qu’elle est en ce début du troisièmemillénaire sapée à la base par le crétinisme de nombre de ses adeptes. Osé-je insinuer que cesMusulmans d’Afrique du Nord, surtout quand leur origine est berbère, sont construitsmentalement, comme le sont les roches physiquement pour le géologue, de diverses couchesculturelles ? Le vieux filon chrétien qui dort dans le passé de la race affleure dès qu’ils seforment aux méthodes critiques de la modernité, laquelle s’est développée contre lechristianisme mais peut engager des victimes du formatage islamique dans une régressionintelligente vers le formatage chrétien. Ebranler la Maison ? Essayer de l’étayer par de nouveaux soutènements ? A certains indicesl’on serait fondé à soupçonner chez Arkoun un double jeu, le seul qu’il puisse jouer dans unesociété où la liberté de penser est très sévèrement restreinte. Il défendrait le Coran éternel,contre l’Islam actuel, avec une imprudence calculée, des arguments si fragiles que le Livresaint apparaîtrait enfin pour ce qu’il est, un recueil assez chaotique et rabâcheur d’inspirationsdiverses, les unes divines les autres chauvines, qui eut son temps, qui ne perdure aujourd’huique comme un Mein Kampf de peuples prétentieux et humiliés. Ainsi son insistance à parlerde la sourate 9, sa conjecture qu’elle a valeur de testament, sa perplexité ( ?) à constaterqu’elle est la seuls à se passer de la « Basmala liminaire », écrit-il, comme si le Prophèteavant de rendre l’âme avait eu scrupule d’invoquer la divine miséricorde en exergue à unesérie d’imprécations et de discriminations meurtrières – car, faut-il le répéter ? le meurtre despolythéistes y est prescrit et parmi ceux-ci n’importe quel fanatique a licence de compter leschrétiens adorateurs du Christ en sus de Dieu et même (c’est le comble !) les Juifs qui font unfils de Dieu de leur Uzaïr (confusion du toponyme – c’est à Uzaïr qu’il est enterré – et dupatronyme, Esdras). Le vieil homme amer et décati semble ici expectorer sa bile, sans quel’Archange Gabriel s’en soit le moins du monde mêlé. Oui, je soupçonne Mohammed Arkouns’exposant à cette sourate d’avoir tenté sinon d’en soulager le Coran du moins de s’en être lui-même soulagé. Il fait partie de cette élite, hélas trop petite et persécutée, de musulmans prêts àécheniller le Coran de ses versets sataniques (ceux-ci étant plus nombreux que ceux quivalurent une fatwa à Salman Rushdie), sataniques pour autant qu’à l’évidence ce n’est pas lemessage de Gabriel qu’ils transmettent mais les préoccupations casuelles d’un hommeirascible et concupiscent.

« L’Islam est la plus complète négation de l’Europe » : ce mot décisif de Renan, ce seraitun beau défi que de le faire mentir. Pour l’heure, pour quelques heures encore, la prophétie deRenan se vérifie : l’Islam envahit l’Europe, le pire Islam, celui de ces oulémas qui sont laconsternation d’Arkoun, de Meddeb, de quelques autres. Cet Islam-là est à l’évidence la pluscomplète négation de l’Europe ; l’opium médiatique pour endormir les consciences ne peutavoir de l’effet que sur des consciences que le foot et le foutre ont suffisamment préparées àgober toutes les coquecigrues. Une France (pour ne parler que de « mon » pays) où l’abattagerituel des moutons va de soi n’est déjà plus tout à fait la France ; dans quelques années on

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peut imaginer l’arrachage de nos plus beaux vignobles puis la métamorphose de Notre-Dameen mosquée. Dans ce moment même de notre décomposition mentale de hautes instances ontdécidé d’étendre la notion de mariage à la collusion sexuelle entre deux hommes ou deuxfemmes. « Mal nommer les choses », je récite Camus, « c’est ajouter au malheur du monde ».C’est en effet un malheur que d’ajouter aux dérives du désir une subversion de l’ordresymbolique. Un Bourgogne n’est pas un Bordeaux, un vinaigre de Xérès n’est pas une huilede Nyons. L’assortiment de deux verges ou de deux vagins n’est un « mariage » que parviolence faite au mot, et c’est un mal. Je dirais que, de même, une France islamisée,wahhabitée ne serait, ne sera plus la France. S’agit-il donc, instruit par le très lucide Renan,de bouter hors cet Islam désastreux, dont les premières victimes sont les mu’minoun eux-mêmes ? Je réponds sans ambages : oui, et Arkoun, si je l’ai bien compris, répond oui avecmoi, me conforte dans un oui viril, franc. Poussons encore plus loin. A quel degré de fanatisme brutal, de crétinisation religieusel’islam peut atteindre, on en eut l’illustration récente au Pakistan moins avec l’incarcérationde la chrétienne Asia Bibi coupable d’avoir souillé l’eau d’un puits islamique en osant y boirequ’avec le récit confiée par elle à Isabelle Tollet du drame de sa voisine de geôle, jeunemariée musulmane : la moto conduite par son mari, lui aussi musulman, dérape, l’engin s’enva heurter une statue du Prophète ; sacrilège ! on les met en prison, bien sûr pas dans lamême ; et Zarmina en est morte. J’imagine l’effet que ce récit, dont l’authenticité ne semblepas douteuse, eût produit sur un Mohammed Arkoun. Si j’apprenais, moi chrétien, que desinstances ecclésiastiques sanctionnent de la sorte un couple chrétien dont le péché mortelaura été le heurt par leur Honda d’une statue représentant le Christ ou la Vierge, je serais aucomble de l’indignation, de la honte, et sur le bord de jeter l’anathème contre ma religion. Avrai dire je n’ai jamais lu nulle part à propos d’aucune croyance le récit d’une inculpationaussi stupidement sinistre. Houellebecq n’a-t-il pas dit sur l’Islam exactement ce qu’il fautdire ?

Mais ce que répondrait Arkoun et que je réponds avec lui c’est que jamais au grand jamaisla lettre ni l’esprit du Coran n’autorisèrent et n’autoriseront de si monstrueuses aberrations.Sauver donc le Coran de l’Islam ? Me voici rendu, après un examen dont je ne me dissimulepas la sévérité (encouragée par un penseur musulman de haute lice), à ce dialogue islamo-chrétien dont je fus naguère partie prenante et dont je continue malgré l’obscène offensiveaujourd’hui des oulémas contre l’Europe aux croulants parapets à ne pas désespérer. Pourvuque … Je reprends le mot terrible (terriblement lucide) de Renan : « L’islam est la pluscomplète négation de l’Europe ». Tel qu’il était au temps de Renan, tel qu’il est « aujourd’huiplus qu’hier et bien moins que demain » en sa version wahhabite, salafiste ou Tariq Ramadan,c’est vrai, sinon que l’Europe se reniant aujourd’hui elle-même on ne voit pas pourquoi ellene se couvrirait pas de mosquées, ses femmes de burqas, ses étals du sang de bêtesrituellement massacrées. La crétinisation par le shoot est en bonne voie, elle se complètera dela crétinisation par la chari’a, dont les musulmans, je le redis, sont les premières victimes.Mais ce désastre (en cours) est-il inéluctable ? N’y a-t-il pas moyen de sauver, non seulementle Coran de l’Islam – c’est l’option d’un Meddeb, d’un Arkoun -,mais (c’est la mienne etpeut-être aussi mais subtile, subreptice, la leur ) le Coran du Coran ? …Sourate 17, verset 88 : « Dis : si les hommes et les jinns s’unissaient pour produirequelque chose de semblable à ce Coran, ils ne produiraient rien qui lui ressemble, même s’ilss’entraidaient ». Un musulman doué d’esprit comprendra qu’un étranger à la religionislamique s’esclaffe à une parole aussi outrecuidante, où le manque de tact, de goût, de hilmsoit aussi flagrant et désopilant, où l’on sent le brocanteur, le charlatan qui fait de la réclame,le mercanti que ses fonctions auprès de la riche Khadîja auraient dû prémunir contre cettesorte de pub. N’importe qui a la plus petite expérience de la littérature universelle sait fort

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bien que, si l’on veut s’exprimer sur le mode emphatique et publicitaire, autant peut en être ditde bien des livres, à commencer par les Psaumes ou Job, et l’on ne manquera pas de soulignerque la Divine Comédie à maint égard est une œuvre considérablement plus époustouflante quele Coran. Dois-je mentionner le Tao, les Upanishad ? … Quant aux évangiles, ou ce sont lesdivagations de grands bêtas qui se sont laissé enfariner par un bluteur de balivernes, ou cesont des témoignages qu’aucun homme, aucun djinn de soi-même n’aurait le culot deproduire. Ce qui est vrai dans cette assertion ampoulée où il est visible que le Prophète fait dutam-tam pour se rendre crédible, c’est qu’aucun livre comme celui-ci n’a eujusqu’aujourd’hui le pouvoir d’écarter de la Bible des millions de lecteurs et de rendrevraisemblable pour ceux-ci la fiction d’une dictée divine. Ce constat pourrait engager le juifou le chrétien, l’un et l’autre accusés par Mohammed d’avoir falsifié leurs Ecritures, à jugersans indulgence et même avec mépris une Ecriture qui s’arroge sans autre preuve quel’énonciation péremptoire de ce Mohammed le privilège d’une exclusive authenticité. Je veux tenter en chrétien une échappée œcuménique en adoptant un point de vueérasmien. Première remarque : l’Islam est satanique – ainsi pensait, nonobstant sa profondeempathie, Louis Massignon ; ce jugement est confirmé par une parole testamentaire du pèreVoillaume, héritier spirituel de Charles de Foucauld, insinuant que le Diable n’aurait rientrouvé de mieux que l’Islam pour tenter de détruire le christianisme. Deuxième remarque :nous avons mérité la prise de Jérusalem puis celle de Constantinople par l’infidélité deByzance aux préceptes évangéliques, et je me dispense, tant nos médias sont diserts sur lesujet, d’énumérer les atrocités dont le catholicisme romain s’est rendu coupable. Nousméritons maintenant la peste coranique dévastant l’Europe, celle-ci ayant renié ses racineschrétiennes et s’abandonnant au matérialisme hédoniste. Et si je cédais à la tentation depoursuivre sur ce mode sarcastique je n’hésiterais pas à dire qu’il vaut évidemment mieuxfréquenter la mosquée et se plier à la routine quotidienne des cinq prières que de lireaujourd’hui dans le journal L’Equipe au prix d’une heure perdue le récit des matches qu’auprix d’autres heures perdues l’on aura regardés la veille à la télé. Il me paraît évident quenotre civilisation « occidentale », performante dans les techno-sciences, est, s’il s’agitd’héroïsme, de sagesse ou de sainteté, fort en régression sur les façons anciennes de penser.De là le regain d’intérêt, l’actuelle vogue, chez des esprits débrouillés, de l’épicurisme, dustoïcisme, du cynisme, du cyrénaïsme voire de la sophistique etc s’ils sont férus de culturelatino-grecque, ou du taoïsme, du bouddhisme, du tantrisme, du confucianisme etc s’ilsinclinent vers l’Extrême-Orient. Il n’y a donc pas à s’étonner qu’un Riberi, dont la tête estmieux faite pour donner dans un ballon que dans des idées, se convertisse à l’islam qui luioffre avec son catéchisme sommaire un supplément d’âme que lui refuse le stade. Ne nous arrêtons pas à passer en revue la longue liste des crimes commis au nom du Christ,mais contre son enseignement, depuis qu’un empereur se fit chrétien, ni la liste non moinséprouvante des crimes islamiques, hélas autorisés pour nombre d’entre eux par le Coran, listequi journellement s’allonge en tout pays où l’islam tient le pouvoir. N’ironisons même pas surl’impayable imprudence du Prophète (sourate V, verset 17 ) assurant que Dieu, pour punir leschrétiens d’avoir falsifié leurs écritures, a « suscité entre eux l’inimitié et la haine qui doiventdurer jusqu’au jour de la résurrection ». Certes c’est un des versets du Livre les plus ridiculesquand on se rappelle que trois siècles durant les chrétiens se signalèrent par l’amour fraternelet qu’à peine trente ans après l’Hégire les musulmans se livraient déjà au jeu peu édifiant des’étriper en sorte qu’un autre verset fameux (III, 110), « vous êtes la communauté la meilleuresurgie parmi les hommes » ne peut produire chez un lecteur averti que suffocation oudérision. Ah ! Le lecteur averti qui aura poussé la patience de me lire jusqu’à cet alinéa risqued’être convaincu qu’en désaccord avec l’autorité ecclésiastique, en rupture franche avecl’œcuménisme et notamment l’esprit d’Assise tel que le suscita Jean-Paul II je tends àpréconiser, sur le mode optatif (le seul qui me soit permis), la désacralisation radicale du

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Coran qui, loin de rendre superflu tout autre écrit comme l’idée en fut prêtée (à tort) au califeOmar, viendrait se ranger sur les rayons de la bibliothèque universelle en bonne place maissans suprématie aucune, conséquemment à souhaiter l’élimination de la croyance et des ritesreligieux dont le Coran est fauteur. Eh bien, ce lecteur se trompe. Et c’est ici, après ce détourhérissé de dards, que je voudrais rejoindre Mohammed Arkoun en posant avec lui, écartés lesclichés du commérage médiatique, la question d’un islam qui ne serait ni bête ni méchant,c’est-à-dire d’un Coran épépiné de tout ce qui induit ses sectaires à l’être.

Que l’islam soit condamné à disparaître, c’est infiniment probable. Son expansionactuelle ne doit pas faire illusion. Le savent les musulmans éclairés. Le Coran sent trop lenaphte. « La désagrégation terminale de l’islam », comme dit Dantec, se laisse pressentir àcertains indices dont la prétention salafiste de revenir à l’Umma originelle n’est pas lemoindre cependant que les sectaires de cette obédience sont déjà entre eux en bisbille(incident tunisois, ce mois d’août 2012, à propos d’une mosquée). Cependant cettedésagrégation, cette disparition ne concernent, me semble-t-il, que les formes actuellesdominantes d’un mouvement religieux appelé à perdurer pour le bien commun de l’espècehumaine et les exhortations ou adjurations d’un Livre qui fut à quelque égard divinementinspiré, cela pour moi ne fait pas de doute, et comment ce Livre, cette religion se seraient-ilsmaintenues vaille que vaille jusqu’aujourd’hui, si des pépites d’or pur n’y étaient pas mêlées àl’or noir de la vindicte, de la rouerie et de la confusion ? Je dirais même, et je l’exposerai toutà l’heure, comment il importe que la prière coranique persiste à côté des prières chrétienne oujuive pour autant qu’elle répond à des sensibilités locales et à des routines ataviques,cependant que celles-ci (les prières juive ou chrétienne) souffrent, elles aussi à leur façon, demonomanies héréditaires. Ce qu’énonçait Camus au terme de son Homme révolté – « chacundit à l’autre qu’il n’est pas dieu » - autrement énoncé donnerait : chaque religion dit à l’autrequ’elle n’est pas aussi universelle dans ses pratiques qu’elle le prétend. Nul relativisme, cependant. Chrétien, j’entends bien qu’il n’y a aucune soustraction àfaire dans les évangiles et j’ai la certitude que Celui qu’ils attestent est beaucoup plus qu’unprophète. Catholique, je me veux, pour autant que m’assiste l’Esprit-Saint, fidèle à l’autoritéromaine, faisant mienne la déclaration d’une Thérèse d’Avila ou d’un Montaigne « tenantpour exécrable » (c’est au chapitre des prières) « s’il se trouve chose dite par moiignoramment ou inadvertement contre les saintes prescriptions de l’Eglise catholique,apostolique et romaine, en laquelle je meurs et en laquelle je suis né ». J’accorde à l’auteur duCoran (qui n’est pas, foi d’ânesse, l’ange Gabriel !) que les anâjil sont des récitsfragmentaires, conjoncturels, que Jésus a dit et fait bien plus que ce qu’ils rapportent – c’estsouligné à la fin de l’évangile selon saint Jean (« Jésus a fait bien d’autres choses encore, sion les relatait par le détail, je ne crois pas que le monde lui-même pourrait comprendre leslivres qu’il en faudrait écrire ») par une formule hyperbolique dont se souviendront les PirkéAbot et à la suite de ceux-ci le Coran répétant la sublime image rabbinique - »si la mer étaitune encre pour décrire les paroles de mon Seigneur, la mer s’épuiserait avant les paroles demon Seigneur ». Je concèderai même à l’auteur du Coran que les évangiles sont comme destissus dont quelque maille çà et là a lâchée et qu’on a réparés par un astucieux travail dereprisage. Les exégètes sont habiles à déceler ces reprises et en apprécier la portée. Maisl’idée que le Coran, lui, serait dictée divine exactement transcrite sans que le truchement,Mohammed, ou ses fondés de pouvoir (les premiers califes) ne soient intervenus, ne se soientinterposés, n’aient sollicité, infléchi, diverti quelquefois la Parole, la faisant servir à leurusage personnel, cette idée est si stupide qu’à moins d’une régression totale de l’espècehumaine vers les singes anthropoïdes on peut prophétiser qu’elle ne tardera pas, usée jusqu’àla corde par la critique des derniers siècles, à disparaître. On sait bien par ailleurs que le« saint Coran », comme disent les dévots, n’est qu’un des Corans peu à peu constitués, que le

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zèle des propagandistes a éliminé des versions concurrentes afin d’entretenir la superstitionque celui que l’on connaît serait divinement, absolument l’Unique proféré par l’Unique. Je neserais pas insolent si je murmurais que cela qu’on nous impose comme le Livre des Livres,transcendant les écritures, est une Mahommeyade plus probablement que la transcriptionscrupuleuse de ce que le Prophète aurait recueilli de la bouche de l’Ange. Lui-même, leProphète, est-il « le Beau Modèle », comme ses dévots l’affirment avec une onction toutesacerdotale ? J’ai déjà dit, me fondant sur les historiens les plus sérieux, qu’il ne le serait quesi l’envie, l’ire, l’impatience, la ruse, l’appétit sexuel, la cruauté, l’ivresse du pouvoir sont desvertus dignes d’admiration. Mais à ce compte Mohammed ne manque pas de rivaux et je nelui donnerais pas de primesaut la palme. En revanche de Celui qu’attestent les évangiles rienne peut être dit, à moins de fictions sentimentales ou salaces, qui n’en fasse l’exemplaireachevé d’une manière de vivre indemne des vulgaires passions. « Nous n’avons jamais lu le Coran », titre attractif d’un essai du tunisien Youssef Seddik.Plût à Dieu que ce musulman ingénieux, perspicace, fécond en idées suggestives, ait raison !Hélas, nous l’avons lu, ce satané bouquin. Et nous souhaiterions qu’on cesse d’y lire oumieux qu’on en retranche tout ce qui porte les stigmates d’un moment historique, les marquesd’une mentalité locale, tout ce qui rétrécit la notion la plus générale et généreuse de l’hommeet – cela au premier chef m’importe – qui blesse la conscience chrétienne. N’ai-je pas lu dansle Coran cette sottise que Jésus n’aurait pas été crucifié ? que le Credo catholique inclurait ladivinisation de Jésus et de sa mère ? Cette ineptie se trouve à la fin de la sourate La Table, queYoussef Seddik trouve admirable et où je déplore, moi, que Mohammed ait le toupet deprêter à Jésus un petit discours qui contredise l’ineptie susdite (« prenez pour dieux moi et mamère plutôt que le Dieu unique ») – on l’en loue - mais contredise aussi, sans aucuneautorité, ce qu’Il dit de Lui tel que rapporté dans les évangiles. « Nous n’avons jamais lu leCoran » ? Les soufis, dont Youssef Seddik fait le plus grand cas, semblent l’avoir lu avec unfiltre qui leur permît d’éliminer toutes les scories d’un texte souvent inspiré, quelquefois malinspiré. Les versets de la lumière dans la sourate du même nom (médinoise me le faisaitremarquer le Père Caspar) sont merveilleux, je me réjouis de les avoir appris par cœur. Maisles soufis sont-ils encore des musulmans ? Dans un trait d’humeur qui est aussi un trait degénie Roger Arnaldez le nie. Sans doute s’affichent-ils comme tels, mais le feu de leur foidément leur profession de foi. Les salafistes ne s’y trompent pas, qui les persécutentpieusement. (Ce jour même, en Libye, destructions fanatiques). Et Ibn °Arabi , a-t-il, n’a-t-ilpas lu le Coran ? Il n’y pas lu ce poème qui résume en peu de vers sa pensée religieuse :« Mon cœur est devenu capable de toutes les formes Une prairie pour les gazelles Uncouvent pour les moines Un temple pour les idoles Une Ka’ba pour le pèlerin Les Tables dela Thora Le Livre du Coran Je professe la religion de l’amour et quelque direction queprenne sa monture L’Amour est ma religion et ma foi ». Il est évident pour tout lecteur duCoran qui s’en tiendrait à une lecture suivie, laborieuse, méticuleuse, exhaustive, verset aprèsverset, sourate après sourate, que rien, hormis de rares échappées, n’y autorise une telleampleur de vues, une si large tolérance, un œcuménisme (le mot n’est pas ici incongru) sigénéreux. Sourate II, verset 115 : « Ceux à qui nous avons donné le livre et qui le lisentcomme il convient de le lire « … Non, Ibn °Arabi ne le lit pas « comme il convient », c’est unautre livre ou un livre mussé dans le Livre qu’il lit, en musulman émancipé de son étroitereligion. Et je soupçonne un Youssef Seddik, un Mohammed Arkoun, eux aussi, de lire unCoran dont tout le poison a été éliminé et dont le palimpseste est l’Evangile. Il s’agit alors,imaginant au prix d’un anachronisme que Mohammed (ou l’Ange), pareil à Nietzsche, auraitjoué au jeu des vérités éclatées, multiples, inconciliables dont l’ultime leçon serait qu’il n’y aaucune leçon sinon l’endurance joyeuse de la pensée, de regarder les sourates de très haut,d’un œil d’aigle, de ne plus rien y voir de tâtillon, d’ étroitement prescriptif, de dogmatique,de péremptoire, exhalant le ressentiment et l’irritation. Alors on insinuera avec une audace

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vertigineuse que les inspirations du Quraïshite sont interprétables à la lumière de l’Ethique,Allah n’étant que des noms possibles du Dieu/Nature de Spinoza, et alors le jugement sévèrede Lévi-Strauss sur l’Islam, qui consterne Mohammed Arkoun, serait invalidé. « Nousn’avons jamais lu le Coran ». Eh bien, continuons, avec l’aide de Dieu, de ne le pas lire. Oulisons-le comme Ibn °Arabi, mais ce comme signifierait un exploit aussi exceptionnel que detrouver dans le Carmen saeculare d’Horace la substance de La Montée du Carmel. Quoi qu’il en soit du Prophète et si obéré que soit son Livre par les impuretés d’uneimagination charnelle ce Livre n’aurait pas fécondé dans la durée (déjà plus de treize siècles),je le répète, une religion qu’il est juste de dire grande par le nombre de ses adeptes, lessplendeurs de sa civilisation et la qualité spirituelle de ses élites s’il ne s’y trouvait donc,mêlées aux scories, des pépites d’or pur. Jean Daniel a osé une Bible nouvelle, sélective, oùdes extraits du Coran seraient adjoints à des extraits de l’un et l’autre Testaments. Le coup est-il bien joué ? C’est un coup de maître, dont un wahhabite, un salafiste, un Ramadan devraients’ils ont une once d’esprit s’effaroucher que dis-je s’indigner puisqu’il s’agit de compromettrele Livre censé l’éliminer avec la Bible dont il devient un département, un supplément, unerectification susceptible par comparaison d’être elle-même rectifiée. Mon bon Ange mesusurre même que le Coran pâtira, pour tout lecteur éclairé, de ce voisinage avec Job ou Jean.Mais je ne pense pas que Jean Daniel ait voulu, comme un président de notre républiqueassocia naguère pour le couler le P.C. à son gouvernement, rendre la sourate vomitive parcequ’elle serait servie avec les Psaumes ou les Lamentations. Quant à moi, je ne retirerais pasdes malebolge où Dante l’assigne ce Maometto qui fut seminator di scandalo e di schisma,mais je ne refuserais pas d’accueillir, du moins dans ma liturgie intime, et de ruminer nombrede ses versets dont précieuse est la substance. Il me vient de dire du Coran ce que Pascaldisait de Montaigne : « Ce qu’il a de bon ne peut être acquis que difficilement ». Aussi nel’acquièrent dans le monde islamique – je continue en clef de Pascal - que les simples fidèleset les Meddeb, Arkoun, Seddik. La strate médiane, celle des oulémas ou talibans, estconstituée de demi-habiles, demi-intellectuels, demi-spirituels, qui ergotent, argumentent mal,arguent des pires versets du Coran pour légitimer la chari’a, et pratiquent aux fins deconquérir la planète le double jeu de l’énonciation-caramel quand ils veulent séduire et de lavirulence quand ils sont en position de pouvoir. Ceux-ci produisent l’ »étatisation dureligieux » déplorée par Mohammed Arkoun. Il faut sauver le Coran du Coran et lesmusulmans de l’Islam : c’est ce que ne comprend pas un Tariq Ramadan, sous ses dehorsséduisants un virtuel SS de la sourate (demi-habile selon la hiérarchie pascalienne)(Mohammed Talbi le désignant comme l’antipode de son climat mental) (et qui feindraitencore d’ignorer la connivence entre fascisme et frères musulmans ?). Il faut sauver le Corandu Coran, et le Prophète des ratés de la prophétie. Ainsi le catholique romain que je suis, prémuni contre le totalitarisme d’Eglise, hésite-t-ilentre le souhait de voir les fidèles d’Allah rejoindre les ouailles du Christ, convaincu qu’ilaura manqué à l’Islam le joint très fort, l’épissure de l’amour de Dieu et de l’amour duprochain, cela qu’illustre la première épître de Jean, le Visage de Dieu discernable dans unvisage, cela qui indigne l’ordinaire conscience musulmane (faute de quoi cependant Dieu-Allah, tout Rahmân qu’on le dise et redise, n’est plus qu’un zombie suspendu au haut de lagrande vergue des rêveurs de l’Absolu) et la résignation sereine à ce fait que des millions demu’minoun depuis plus d’un millénaire ont des pratiques de piété différentes des nôtres etdifficilement convertibles si bien qu’il est raisonnable et juste, pour autant qu’elles ne blessentpas les fondamentaux du raisonnable et du juste, de les admettre et de les respecter où qu’elless’expriment. Je touche ici au point le plus critique. Trois remarques. Ceci d’abord. Dieu, grimé en « Allah » tel que le tam-tamisent les dévots fanatiques,

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m’inspire une extrême répulsion. Il apparaît, paraît-il, 1697 fois dans le Coran4. C’est 1690 detrop. Je me sens aujourd’hui, dans une Europe menacée par les minarets, plus proche d’unathée paisiblement impie, tel André Comte-Sponville ou Marcel Conche, que d’un musulmandont Dieu est à l’évidence, sans qu’il s’en doute, la maussade et massacrante Idole. Le« Dieu » de Tariq Ramadan est-il le mien ? Non, non et non. Trois fois non. En revanchel’athéisme d’un philosophe épris des pré-socratiques, ou celui d’un Martin du Gard et d’unGide, m’est tout proche, parce qu’ asymptote à la foi dans la rigueur même de ses négations.Je préfère un athée qui nie le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob à un croyant que fanatisele Dieu d’Ismaël et de la Ka’aba. Telle n’est pas, par ces temps qui délestés du dépôt séculairegalopent, l’option de mon Eglise : elle répugne à rejeter l’Islam (même celui, pandémique,des pétro-dollars) parce que ses fidèles, même les pires, se prosternent devant le Seigneur desmondes. Et c’est vrai que la discrimination des hommes qui se savent en Sa dépendance et deceux qui s’arrogent illusoirement les pleins pouvoirs est importante. « L’espérance a les yeuxplus ouverts que l’algèbre », Fârâbî voit plus clair que Trotski. Dans le premier moment de satrouvaille Jacques Keryell me fit un vibrant éloge de l’ouvrage d’Ibn Waraq (Pourquoi je nesuis pas musulman) puis, s’étant rendu compte que ce renégat converti aux « Lumières »méprisait la religion en général, ne m’en souffla plus mot. Mais je garde en mémoire l’énoncédrastique de Maurice Zundel : « Dieu, ce cauchemar ». Que le Dieu de l’Islam soit parquelque aspect un cauchemar - « cauchemar » ne serait-il pas son centième Nomimproférable ? – qu’Il soit, matraqué par les oulémas, un cauchemar, cela n’aura sûrement paséchappé à un Arkoun. Mais ma seconde remarque est pour tirer en faveur de l’Islam la conséquence de la mort deDieu dans une Europe elle-même morte. Ce Dieu mort, comme Nietzsche meilleur prophèteque Mohammed l’avait constaté, c’est Celui de la chrétienté. L’effondrement du christianismeeuropéen est patent. On s’en aperçoit moins aux sondages– qu’importe le chiffre, ce « floconde l’incommensurable » ! - qu’à l’expérience quotidienne de la vie dans les groupes sociaux àcommencer par les familles où la dévotion dominicale quand elle subsiste encore n’est le plussouvent qu’une corvée de routine, et à la religion substitutive dont les effets de masse et demassive crétinisation grâce aux médias sont sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Leséglises sont vides, les stades, pour les « messes » du ballon rond, pleins à craquer. Leprésident d’un club de foot est un personnage beaucoup plus considérable qu’un évêque, ons’en assure à la consultation des radios nationales qui donnent religieusement les dernièresnouvelles concernant le Paris-Saint-Germain ou les derniers résultats de la ligue deschampions mais sont assidûment inattentives à ce qu’élaborent les têtes mitrées. Dans un telmoment de détresse spirituelle comment l’Islam, même le plus débile et servile dans l’ordrede l’esprit, ne représenterait-il pas, tant que le shoot n’a pas marqué un point décisif sur lachari’a, un progrès sur le crétinisme ambiant ? Et voilà que tirant la plus rigoureuseconséquence de ce constat – l’Europe shootée est morte – il faut n’accorder plus la moindrevaleur au vieux diagnostic de Renan : qu’importe que « l’islam soit la plus complètenégation de l’Europe » si l’Europe elle-même reniant ses racines chrétiennes s’est reniée ? Ma troisième remarque sera sur le mode optatif. La sorte d’islam qui infecte aujourd huil’Europe est à peu près la pire, c’est elle qui tient non seulement la rue passante mais aussi lehaut du pavé, courtisée qu’elle est par nos édiles, ce n’est certes pas celle dont rêvent unArkoun ou un Meddeb. Je dirais en me souvenant des prophètes bibliques que nos péchésnous condamnent pour un temps à subir une fièvre naphteuse qui est la vulgate wahhabite dela prophétie médino-mecquoise. Quel serait un Coran, quel serait un Islam expurgé despoisons qui altèrent l’esprit de ses oulémas et compatible avec le génie européen ? Pour le

4 2893 fois, selon Maurice Gloton, spécialiste des « 99 Noms d’Allâh. On me pardonnera de ne pasintervenir dans cette querelle de décompte.

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Coran, j’en ai déjà touché un peu plus qu’un mot : tout ce qui y transpire le ressentiment, quidélire sur la chose chrétienne ou juive (le nec plus ultra, à cet égard, se trouve dans la sourateIX, verset 30), tout ce qui justifie l’esclavage et la condition subalterne des femmes, tout leradotage frénétique sur les sept enfers et les exécrations conséquentes, tout cela doit êtreéchenillé. Le vieux Mohammed, à l’instar d’Homère, aura somnolé quelquefois ! Pour lapratique de l’Islam, voici ce qui devrait paraître souhaitable à une conscience européenneéclairée, exigeante, forte de ses acquêts civilisationnels, indemne de componction perverse etde pleutrerie. (Je joue à croire, mon lecteur le comprend, que l’Europe n’est pas morte ouqu’elle est susceptible de ressusciter). Le Ramadan ? Substituer à cette abstinence diurnetotale (jusqu’à la peur d’avaler sa salive !) suivie du nocturne ramdam, nuisible pour la santéde l’individu (quoique disent les dévots) et pour celle du corps social (fatigue, irritabilité) unjeûne plus souple, mieux adapté à la cité moderne, moins grégaire et plus spiritualisé. Laviande halal ? Pitié pour les bêtes. La peur du porc ? Comme si Dieu se mettait en rognecontre toi, mu’min, parce que tu auras mangé un bout de lard ! Le Christ a chassé du templeune bonne fois au bénéfice de la vraie foi ces prescriptions matérialistes et tâtillonnes dontl’on voit bien qu’elles n’eurent pour intérêt dans les premiers temps d’une éclosion religieuseque de souder ensemble en une communauté compacte et opaque des êtres que la civilisationglobale appelle en ce troisième millénaire à se dégager de ces rites et interdits agglutinants. Laburqa, le niqab ? Non, évidemment. La circoncision ? Le Coran n’en souffle mot. Bref,adaptez votre Islam aux pays qui vous accueillent, ne commettez pas l’incivilité grossièred’introduire vos mœurs sans les émonder là où tout, jusqu’à l’air et aux pierres, à la croix etau cep, les rend irrecevables. Passant à la considération de ce qui se déroule actuellement sous nos méridiens entreReggio di Calabria, Molenbeck et Kiruna je proposerais, toujours sur le mode optatif maiscette fois avec la certitude de m’appuyer sur des réalités psychiques, la distinctionpascalienne, appliquée à la communauté musulmane, des trois niveaux de qualificationspirituelle. A la base, au plus bas (ce « bas » n’étant nullement péjoratif) se trouve l’humble,tenace pratique des rites et des vertus traditionnels : il se perpétue ainsi un bon peuple qui nedemande qu’à bien vivre entre coreligionnaires selon l’ancestrale coutume, ne songeantnullement à infliger sa croyance à ceux dont il est l’hôte voire le compatriote. Au sommet il ya ceux dont s’éveille l’Intellect, hwn’ dans le langage d’Isaac le Syrien, cette fine pointe del’esprit qui touche le Réel divin ; ceux-là peuvent dire comme Pascal en son Mémorial :« Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix ». Tout proches d’eux il convient de placer lesvirtuoses de l’esprit, tels un Arkoun ou un Meddeb, dont l’adhésion au Livre est mitigée parune allergie aux dogmes, une liberté à l’endroit des rites et au moins un soupçon de doute.Très au-dessous de ceux-ci se situent les « demi-habiles » dont l’intelligence peu développéeet fanatisée parce que peu développée concocte un mixte de dogmatismes politique etreligieux. Ce sont les oulémas dont la « continuité » - je le redis avec Arkoun – estdésespérante », « gardiens de la foi » qui ne le sont en vérité que d’une croyance fossile,bourrés de convictions agressives faute d’avoir gagné le pôle de la certitude mystique. Aceux-là, pour le bien et du corps social en sa totalité et de l’Umma islamique en sa spécificité,il conviendrait de recommander une cure laxative de doute pour évacuer les étrons de leurdétonnant Allah akbar. Que ton Dieu ne se dise qu’on the tip of the tongue and the toes, qu’Ilse lise, mu’min, sur ton visage, qu’Il soit l’aurore boréale d’un sourire angélique. Ah ! ce n’estpas ce Dieu-là que transpire la gueule d’un salafiste braillard ! Au fond, que demandé-je à unmusulman pour que son insertion dans une Europe qui n’aurait pas cessé d’être l’Europe fassementir l’assertion de Renan ?...

Utopiste, idéaliste ? Je continue. Mon vœu n’est pas d’abolir l’islam ni le Coran,pourvu que soient épouillés l’un et l’autre. Car tout catholique romain que je me veuille, j’ai à

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cette heure la certitude, résignée et réjouie, que d’autres façons de croire et de pratiquer unecroyance sont inéluctables voire souhaitables. Nul relativisme cependant, je le répète. Celuiqui a dit – et il n’y aucune raison de tenir cette parole pour fictive - « Je suis la voie, la vérité,la vie » indique par là qu’Il est beaucoup plus qu’un prophète. Menteur le prophète qui le nie.Mais si je suis intransigeant sur cet article de foi qui est le fondement même de l’acte de foitel que seul le chrétien, comme l’a admirablement montré Kierkegaard dans son Ecole duchristianisme, est appelé à l’oser je puis et même je dois accueillir la diversité des croyanceset des rites et ne pas méconnaître que la chrétienté comme l’Umma musulmane est composéede fidèles au cœur simple, de mystiques ou virtuoses de l’Intellect et de demi-habiles,dogmatistes et donc étriqués, intransigeants. Ayant écrit cent pages en manière d’apologie duDogme je n’en suis que plus à l’aise pour mettre en cause non les énoncés dogmatiques telsquels mais les scories mentales qu’ils sont susceptibles de devenir et, je le crains, qu’ils sontquand la foi du fidèle s’est habituée, figée en croyance. Je prends un exemple : arpentant àTunis l’avenue Bourguiba, passant devant la cathédrale je fus mainte fois saisi de deuxsentiments contrastés : cette foule, me disais-je, ignore qui est Jésus-Christ – c’est poignant ;mais ne serait-ce pas la narguer que de lui infliger avec la salutation angélique la formule« sainte Marie mère de Dieu » ? Soyons précis et prompts, c’est-à-dire exigeons la lenteurinspirée : il y a dans les évangiles et les épîtres de Paul tous les éléments d’une démonstrationque Jésus-Christ est un homme et plus qu’un homme, mais sa divinité ne se donne à découvrirque par une capillarité d’indices convergents ; elle est à redécouvrir jour après jour dans lepartage fraternel ou le recueillement de l’oraison. Enoncée d’abrupt, proclamée par routineelle perd consistance. Je comprends le juif ou le musulman qui la conteste, qu’elle choque. Jesuis, dans une région de moi-même ou sur un vecteur de mon évolution spirituelle, juif oumusulman. A Mohammed comminatoire qui profère dans la sourate 112 son bref évangile enquatre sentences – « Dieu est un C’est le Dieu éternel Il n’a point enfanté et n’a point étéenfanté Il n’a point d’égal » - j’oppose la sonate opus 111, eschatologique, où Beethovennous livre sans mot dire en un frisson de triples croches et de trilles un message plus divinque le Coran. « Dieu est un » ? Soit, pourvu que cet un ne soit pas un chiffre, cela (SimoneWeil l’a pointé) le réduirait à n’être qu’une Chose. « C’est le Dieu éternel » : on le sait. « Iln’a point enfanté et n’a point été enfanté » : prophète, d’où le sais-tu ? Qui prouve que c’estl’Unique ici qui t’a inspiré ? « Il n’a point d’égal ». Faux ! Chacun des trois, Père, Fils, Esprit,est intégralement Dieu. Le niet du Coran au dogme chrétien est net. Non moins net mon nietau Coran. Je suis intraitable. Où La Mecque affirme avec aplomb Rome riposte avec le mêmeaplomb, et je tiens que c’est Rome qui voit clair. Tel est, si je m’y amuse, le clash desincompatibilités. Mais si le musulman renonce à être péremptoire, comminatoire, enkystédans son arrogance, si Tariq Ramadan, devenu assez courageux pour entrer avec MohammedArkoun en un vrai dialogue (avec lui, dit-il, « la communication (au sens fort et réel) estimpossible »), met un bémol de doute à ses présupposés et une pédale d’atténuation à sapieuse propagande, alors je lui concèderai que l’affirmation de Jésus-Christ Dieu et homme,de Dieu Un et Trois ne va pas de soi, qu’elle se tisse dans la plus fine soie filigranée au fil desévangiles, qu’elle exige une ardente veille et comme un héroïsme spirituel ; alors je luiconcèderai que l’énoncé « Marie mère de Dieu », auquel j’ai tendance à substituer enmémoire de Bernanos « Marie plus ancienne que le péché », est une audace conciliaire enforme de déduction logique à laquelle adhèrent de grand coeur le simple fidèle et l’âme saintemais qui gêne quelque peu les chrétiens formés à la critique. Au fond le purgatif du fanatismec’est, appliquée à la chose religieuse, la question « comment peut-on être persan ? » descélèbres Lettres. Je vois très bien comment un musulman est possible et comment il estlouable, je le vois fort bien, par exemple, quand je médite, extraits du Coran, de beaux versetsoù se disent les Noms divins. Qu’en retour le musulman– ce serait la moindre des civilitésdans l’Europe de Montesquieu (ah ! qu’il est loin, Montesquieu !) – comprenne comment il

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m’est impossible d’être musulman. Renan s’est-il trompé, hommes d’Allah, en vous décrivantla tête cerclée d’un tortil de fer, et après lui Lévi-Strauss vous imaginant allergiques à l’idéemême d’une dévotion différente de la vôtre ? Prouvez-le nous, montrez-nous que vousn’habitez pas une prison de dogmes, de préceptes et d’exécrations, rendus sourds par vossourates à toute Parole qui n’est pas inscrite dans votre Coran. Je vous concède que ce tortilde fer autour du crâne, qui semble pour la plupart d’entre vous une fatalité, menace toutressortissant, pieux ou laïque, d’une religion close. Mais le risque ordinaire, pour tous lescroyants dont la foi n’a pas été secouée par le grand vent du doute ou portée par le courantascendant de l’amour jusqu’à l’expérience mystique, c’est de rester enfermés dans leur Bulle,dans le cocon du Dogme et le ronron liturgique. Je suis douloureusement frappé de constaterchez la plupart de mes frères en Christ un enfermement dans les courtes certitudes de leurCredo comme s’il allait de soi alors que chacun de ses énoncés qui sont des coups de sondedans le mystère exige une dévotion héroïque. Je m’adresse non aux simples, non aux« parfaits », mais aux demi-habiles dont je suis, intellectuels, universitaires, penseurs demoyen format : nous ne pouvons être chrétiens à vif en Europe 2012 sans nous étonner, ce mesemble, de l’être. Nous n’avons pas à retrancher un iota de notre Credo mais nous ne devonspas nous retrancher dans notre Credo. Pour les musulmans, je l’ai dit, il n’en va pas demême : leur Coran ne sera tolérable en Europe (je continue de parler sur le mode optatif etidéaliste), soulagé de sa foncière intolérance que s’il s’épuce de ses versets pestifères. Cela ditle b, a, ba de tout dialogue et notamment du dialogue interreligieux c’est pour chacun despartenaires de fissurer un peu sa Bulle en sorte que l’une morde sur l’autre et l’autre sur l’une.L’assertion coranique (3, 110) –« vous êtes la communauté la meilleure qui ait surgi pour leshommes » - au vu de l’Histoire est une niaiserie, l’actualité la dément comme elle futdémentie dès Médine. Mais je serais indigné si des chrétiens affichaient la mêmeoutrecuidance. Parlons maintenant des rites, des pratiques pieuses. Il n’en est aucune dansmon Eglise à laquelle je ne consente ou ne me résigne. Certaines me font mal. Humilité,obéissance me détendent, me libèrent : soumis, non subjugué, mitigeant le sérieux d’unsourire. Je salue avec sympathie les cinq prières quotidiennes que le Prophète sur le modèledes heures monastiques recommande au mu’min ; nos trois Angelus, s’ajoutant aux prières dulever et du coucher, ressortissent au même principe rythmique. Réciter quelques versets duCoran au lieu de trois Ave Maria, pourquoi non ? Mais rien en Islam ne peut égaler ni lasplendeur d’une grand’messe ni la discrète célébration de la liturgie eucharistique dans unechapelle. La raideur militaire, les prosternations mécaniques des fidèles agglomérés à lamosquée sous la direction d’un zélé adjudant de service manquent de grâce, c’est le moinsqu’on puisse dire. Ma foi, s’il leur plaît ainsi !

Je me résume : à mes frères dans la foi s’ils sont entrés dans la zone de turbulences où ilfaut affronter le scepticisme et le sarcasme je demande quand ils ont à rendre compte de celle-ci (comme le leur enjoint l’Apôtre) de ne pas oublier que ses preuves sont conjecturales, queles énoncés qui en constituent la panoplie (l’Apôtre ne dédaigne pas le lexique des armes)doivent être régulièrement fourbis, qu’il n’est aucun d’eux qui tel quel tienne le coup sous lescoups de la critique moderne, qu’ils ne font pas mouche dans le cirque où s’affrontent lesidées car le combat spirituel ne se mène pas avec l’intellect au sens trivial mais l’Intellect ausens mystique. S’il s’agit de se confronter à l’Islam qui a le culot de presque tous les récuser,concédons à celui-ci, non par faiblesse ou courtoisie mais par honnêteté, que la plupart d’entreeux ont exigé avant que fût trouvée leur formulation exacte des cheminements, destâtonnements, des approximations. Que Jésus soit Dieu, voilà ce qu’affirme le chrétien.Convenons que cette affirmation est audacieuse, scandaleuse, qu’elle mûrit peu à peu dans la

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conscience de l’Eglise naissante puis adolescente. Le miracle serait que le musulman, sansaccepter cet article de foi, consente à s’interroger sur l’énigme de ce rabbi exceptionnel dontles évangiles font à l’évidence mieux qu’un prophète et à raboter à ce sujet les dénégationsvéhémentes de son Prophète. Mais c’est un peu plus que je demande au musulman !L’ambiguïté de Mohammed et du Coran, ce qui a fait et fait encore leur succès, ce qui a fait etfait leur échec et fatalement fera leur disgrâce et leur perte, c’est le mixte chez l’un et l’autred’inspiration authentique et de truquages. Que l’on ait pu tenir et que l’on tienne encoremordicus Mohammed pour le « Beau Modèle » si bien que son prénom dans l’Umma soitcomme une incurable éruption de petite vérole, cela, pour un homme doué de raison, estsidérant. Que l’on ait pu croire et que l’on croie encore dans l’Umma que le « Saint Coran »soit dictée divine, langue de Dieu, copie conforme de l’édition princeps incréée, cela n’est pasmoins sidérant pour un homme qui aurait la moindre dose d’esprit critique. La perpétuation detelles niaiseries est, pour des musulmans de l’envergure intellectuelle d’Arkoun, un lourdhandicap dont ils ne peuvent manquer de souffrir et dont leur dialectique chaque fois qu’ils’agit de défendre l’indéfendable ne manque pas de se ressentir. Ceux-ci (ces intellectuels de haut niveau) sont indemnes de fanatisme parce qu’ils ontporté à leur conscience un doute qu’on peut dire radical sur l’islam tel qu’aujourd’hui il seprésente. Les plus hardis d’entre eux sont prêts à épucer le Coran de ses versets pestifères.Mais combien sont-ils ? Combien de doigts de combien de mains, dans notre Europe où lesinstances bruxelloises se résignent enfin à dénoncer la chari’a, faudrait-il pour les compter ?Je m’amusai hier à interroger Google sur la notoriété de quelques musulmans rompus à nosformes de pensée, connus par leurs publications. Nombre d’entrées proposées : Seddik,209000, Meddeb, 181000, Charfi, 215000, Chebel, 1420000, Arkoun, 386000. Le cas deChebel est singulier : les connaisseurs du monde médiatique interprèteront correctement, jeme dérobe. Ceux-là sont tous des musulmans, au moins de tradition, que déconstruire, épucerou corriger le Coran n’épouvante pas. Ce sont des intelligences ouvertes qui souhaitent unereligion ouverte. Faisons-leur crédit pour rendre le « Saint Livre » compatible avec un idéalde tolérance, de justice, de paix, d’amour, oui, d’amour au sens glorieux que prend ce vocableau dernier chant du Paradis de Dante. Mais Tariq Ramadan, lui, peut s’enorgueillir de3860000 entrées. (Ne nous excitons pas : Mélanchon, 7370000, Fillon, 13900000, le cochon17100000). On devine bien le commentaire que m’inspire un tel résultat : ce » frèremusulman », avec lequel « la communication (au sens fort et réel) est impossible », ce demi-habile assez habile toutefois pour se faire passer auprès de chrétiens naïfs ou sots pourl’interlocuteur de choix du dialogue inter-religieux mais assez sûr dans son credo suranné quine retrancherait pas un alif au « Saint Livre » pour n’effaroucher en rien les plus obtus dessalafistes et les plus inquisiteurs des wahhabites, cet adepte donc d’un islam usé, clos et reclusdans le mortier de ses sourates, jouit d’une popularité médiatique qui de très loin surclassecelle de ses coreligionnaires plus audacieux, plus intelligents, habilités, eux, à rendre lareligion mecquoise compatible avec l’Europe. Tariq Ramadan est un fanatique. Les autres, Arkoun, Meddeb, Chebel, Charfi, Seddik…ne le sont pas. Mais – ceci est peut-être la vérité la plus dure que j’aie à leur soumettre – lefanatisme n’est-il pas la fatalité de l’islam ? Le jihadisme, cette « grande calamité » entendais-je dire tantôt par Amin Malouf, n’est-il pas son carburant, faute de quoi il cale ? On citerarement le verset 35 de la sourate 47 qui encourage les mu’minoun à passer à l’attaque dèsqu’ils sont en force. On ne comprendrait pas un Tariq Ramadan sans cette consigne de miseen branle offensive à la première occasion, dont l’argument implicite est que les infidèles nedoivent pas exister et que l’on ne tolère leur existence qu’aussi longtemps que l’on n’a pas lemoyen d’y mettre un terme. On rejoint ici le subtil diagnostic de Lévi-Strauss. Le fanatiquehurle Allah akbar avec d’autant plus de conviction que cette conviction est infectée par undoute subreptice que l’existence des infidèles risque à tout moment de porter à la conscience.

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Or ce mal est là dès le Prophète, je l’ai déjà insinué : sans aller jusqu’à le tenir (commecertains le soupçonnent) pour un imposteur j’en viens après mûre réflexion (qu’importentquand il s’agit d’un tel diagnostic les biographies contrastées des détracteurs ou desapologètes ?) à penser qu’il compensa les incertitudes ou les vicissitudes de son inspirationpar la véhémence de ses exécrations, et qu’il fit du fanatisme l’ersatz d’une foi dont il étaitassez finaud pour savoir qu’il n’ en était pas une suffisante caution, exigeant que l’on crût enlui avec d’autant plus d’insistance qu’il avait du mal à se convaincre lui-même. L’effetinéluctable de telles dispositions mentales ou spirituelles, ce sera dans la dictée (imaginaire)du Coran par l’Ange une veine de paroles d’or qui confirment (ainsi Mohammed l’a-t-ilvoulu) les messages antérieurs et une veine de ressentiment et d’outrecuidance dont il résultedes versets tortueux et agressifs. Tout musulman qui se ferme à l’hypothèse au moins de cetteambiguïté est un fanatique potentiel et au pire un tueur à la manière de ce Merah qui le 19mars 2012 (19 mars, accords d’Evian !) crut rendre hommage à Dieu en assassinant un adulteet trois mômes. Chesterton pensait que l’Islam était une religion parodique, une copiemaladroite et d’autant plus comminatoire qu’elle est maladroite du christianisme. « Islam »,écrit-il, « was a product of Christianity, even if it was a by-product ; even if it was a badproduct. It was a heresy or parody emulating and therefore imitating the Church »5.

PARERGON

Au moment où je mets avec Chesterton un point final à cette controverse que j’aurai voulucourtoise deux incidents, mineurs mais amplifiés par la rage islamique et le caquetagemédiatique - m’incitent à la prolonger par la réflexion que voici portant sur le licite oul’illicite en matière de satire ou de caricature. Ecartons d’abord la double respectable objection que l’on peut faire et aux caricatures deCharlie-Hebdo et au film « L’Innocence des musulmans , l’une portant sur l’esprit caustiqueen général auquel il faut toujours préférer le tact, l’indulgence et la charité, l’autre sur laconjoncture – il était fort mal venu, dit-on, d’exciter dans un climat international tendu desfanatiques dont le seul mode de répartie serait l’aveugle meurtrière vengeance. J’aurais àl’une et l’autre de ces objections de quoi répondre, mais je m’en dispense car ce n’est pas icila question. L’Europe, l’Amérique étant des parties du monde où il n’est pas interdit dans leprincipe de se moquer de qui et de quoi que ce soit pourvu que l’on évite la calomnie, laquestion est de savoir si la calomnie aura été en l’occurrence le péché irrémissible dudessinateur ou du cinéaste. Quant à la suggestion que s’agissant de l’Islam l’interdit de rireserait incontournable, elle ne mérite que d’en rire aux éclats.

Charlie-Hebdo n’épargne pas l’Eglise, le Pape, le clergé, les manières cléricales, ni même,je crois, le fondateur de l’institution. Catholique romain je puis souffrir de ces agressions.Mais m’interdis de protester ou de m’insurger. L’on a vu récemment, paraît-il (je me tiens fortloin de la foire aux vanités), au théâtre ou au musée, une croix trempée dans l’urine (Golgothanégatif !), un Christ aspergé de fiente. Cela est choquant. Mais je ne vois, en tant que chrétien,aucune raison de m’indigner et de saisir la justice. La dérision du Christ, si souventreprésentée en peinture, est décrite par les évangélistes : moqueries, crachats, soufflets,dénudation, supplice infamant, rien de ce qu’il y a de pire n’a été épargné à Celui que nousvénérons comme l’Homme-Dieu. Ceux qui en l’année 2012 continuent en « artistes » moinsroués que routiniers d’exploiter ce motif de la dérision, outre qu’ils méritent la plus cinglantedes mornifles – « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » -, pèchent par

5 Le même écrit encore, dans le même ouvrage, The everlasting man : « The truth is that Islam itself wasa barbaric reaction against that very human complexity that is really a Christian character ».

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crispation réactive et manque pathétique d’imagination. Mais encore une fois, en eussé-je lepouvoir, je ne leur interdirais pas de se soulager ainsi de leurs fantasmes réactifs. (Certes megardant de leur attribuer quelque subvention que ce soit car un gouvernement français, silaïque soit-il, renierait la France s’il finançait des productions qui souillent sa mémoire de« fille aînée de l’Eglise »). Le seul cas où je censurerais et sanctionnerais sans indulgence serait celui où la caricature,le blasphème seraient mensongers. On a le droit de traiter Benoït XVI de vieux schnock. Maissi Plantu, m’a-t-on rapporté, l’a dessiné sur son Blog sodomisant un môme, Plantu seraitpassible lui-même, pour avoir menti, du supplice grec de la rave au cul, non, soyonsindulgents, d’une sévère amende. Il est licite de se moquer de Jésus-Christ, de prétendre qu’ilfut un rabbi roublard, qu’il n’est pas ressuscité (car la résurrection est à la croisée del’Histoire et de la trans-Histoire), mais affirmer qu’il était l’époux de Marie-Madeleine,comme le donne à croire la fiction romanesque Da Vinci Code alors que les exégètes les plussérieux n’accordent aucun crédit à cette craque qui n’est qu’une concession au mode « cucusentimental » de notre époque astreinte aux mornes mélodies de la libido, cela aurait dû êtrepuni par l’instance judiciaire avec une extrême rigueur, même s’agissant d’une œuvrefictionnelle, si ladite instance avait eu à coeur comme l’exigent justice et vérité de ne pasabandonner une grande figure historique et en l’occurrence un destin qui est un tournant letournant de l’Histoire, à des niaiseries captieuses. Je dirais dans le même ordre d’idées qu’unromancier qui ferait de Socrate un invétéré sodomite devrait être interdit de publication. Et jedis sans ombre d’hésitation que les erreurs ou mensonges coraniques, notamment ceux de lasourate IX, devraient imposer à notre République, si elle n’était pas déliquescente et doncacquiesçante à cent façons de se dérober à son devoir, soit d’interdire le Coran sur leterritoire français soit à exiger des musulmans qui y résident la répudiation signée ouparaphée de ces erreurs ou mensonges. Voilà, il ne s’agit de rien de moins que de tracer lafrontière délicate, avec les cent nuances qu’exige le tact spirituel, entre ce qui est diffamationcalomnieuse et ce qui est seulement tendancieux, outrancier, haineux mais non offusquant ououtrageant la vérité. Un mot ici sur L’Innocence des musulmans. Que ce film soit un navet, il n’importe. Qu’iln’honore pas le Prophète, c’est une autre affaire. Une seule question : l’outrage-t-il enfalsifiant sa biographie (plus exactement les romans qui en tiennent lieu) ? La bande-annoncedu film laisse entrevoir deux calomnies, donc deux chefs d’accusation plausibles :Mohammed aurait été un enfant illégitime et un homme adonné à la sodomie. A ce doubletitre L’Innocence des musulmans est condamnable. Le même critère de discrimination doit être appliqué aux caricatures de Charlie-Hebdo.Eh bien il n’y a là dans le principe rien à redire. Il y aurait à redire sans doute si le Prophèteétait ce « Beau Modèle » que se figure la bigoterie islamique6. Mais quand on sait la sorted’homme que fut, même embelli par les hagiographes, ce Mahomet, ces caricatures sont nonseulement tolérables, mais salubres par leur action détersive sur une berlue séculaire, uneabusive crédulité. On ne dira jamais assez comment l’Islam, qui aura compté bon nombred’hommes de première grandeur, se porte mal, se trouve en porte-à-faux à cause des bévuesspirituelles de cet inspiré et des bassesses politiques de cet homme de pouvoir. Entreparenthèses l’épidémie du prénom Mohammed, dont je regrette qu’on ait affublé un être déliéde l’Umma comme Arkoun (en territoires de langue française seul Mahomet, consacré par la

6 Le recteur de la mosquée de Villeurbanne, Azzedine Gaci, trace dans le Figaro du 29 septembre 2012,un portrait du Prophète absolument idyllique et, emporté par l’ enthousiasme, se flatte de l’aimer « infiniment,passionnément, tendrement ». Les derniers mots de son article sembleraient, à un mot près, un emprunt àl’Evangile – « Seigneur, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », - s’il n’était avéré pour Azzedine Gacique Jésus n’a pas été crucifié, qu’il ne s’est jamais reconnu un « Père » dans les cieux., qu’à la vérité cettesublime parole du pardon seul Mohammed était digne de l’adresser à son « Seigneur »..

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routine donc la patine des siècles, devrait être admis sur les registres d’état-civil), ad’évidence un caractère pathologique. C’est un peu comme si la moitié de nos garçons seprénommaient Jésus. Mahomet ? Mohammed ? Muhammad ? En le caricaturant l’artiste deCharlie-Hebdo l’a recadré, il a rabattu la figure idéale, fictionnelle, captieuse du « BeauModèle » que fut peut-être Mahomet dans les premiers temps de son inspiration et de saprédication, qu’il est sans le moindre doute pour les pieux musulmans, qu’il n’est sans lemoindre doute pas pour les historiens sérieux, sur la trivialité d’un chef de tribu surdoué queses bonnes fortunes rendent à la fin rusé, rapace et salace. Car c’est ici le point décisif. Si Jésus-Christ a été outragé et continue de l’être par deslégions d’individus assez bas pour outrager Celui qui consentit à se tenir dans l’extrêmebassesse et assez vulgaires pour ne comprendre pas que c’est l’extrême bassesse consentiepuis convertie qui atteste Sa messianité, la raison décisive non seulement de ne pas Lui égalerMuhammad mais même de contester à celui-ci son intégrité de prophète et l’authenticité deses prophéties, c’est la réussite, sociale politique érotique militaire du potentat de Médine.Henri Meschonnic le rappelait naguère (sauf à ne pas l’illustrer par son cas personnel) : lesigne indubitable du prophète, c’est qu’il rompt en visière avec les idées établies, s’affronte àl’Opinion, se trouve rejeté par ses compatriotes et ses contemporains. Il en fut ainsi de tous lesprophètes hébreux, sans exception. Nietzsche, le dernier grand prophète européen (non, aprèslui il y a Bernanos !) (non ! après lui il y a Soljenitsyne !), beaucoup plus spirituel (en toussens) et plus scintillant, plus pénétrant que Mohammed, le savait bien, qui se flatte à maintereprise d’être incompris et incompréhensible. Tout me porte à croire7 que le don de prophétieaura été accordé à celui qui, nonobstant les contes je veux dire les tripatouillages d’Othman cesourcilleux Offenbach du califat, fut d’abord le fidèle truchement d’un Dieu arabe ou d’unrabbin ébionite, et c’est ce qui rend si beaux ou si belles tant de versets tant de sourates duCoran où transpire le meilleur des évangiles apocryphes, mais que grisé et enhardi par sessuccès Mohammed, ne se sentant plus de joie, tel le corbeau de la fable laissa choir lefromage – la dictée véridique - et se mit à croasser dans une langue de bois, celle de sa libido.C’en est assez de ce soupçon pour faire admettre me semble-t-il à tout musulman dont la têten’est pas cerné d’un tortil de fer que son prophète est passible infiniment plus que Jésus-Christ d’être frappé de suspicion et tourné en dérision, qu’il doit se résigner, ce musulman, aumoins en Europe, à supporter virilement ce que les chrétiens ont accoutumé de supporterdepuis vingt siècles, trahissant l’Evangile quand ils ne le supportaient pas.

7 Cette hypothèse est absolument indemne d’originalité.