Aristophane Les Guepes

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Les Guêpes de Aristophane Traduction d’André-Charles Brotier, revue par Louis Humbert PERSONNAGES : SOSIE. XANTHIAS. BDELYCLEON. PHILOCLEON. CHOEUR DE VIEILLARDS, habillés en Guêpes. ENFANTS avec des lanternes. UN CHIEN accusé. UN CHIEN accusateur. THESMOTHETE. UNE JOUEUSE DE FLUTE. UN DENONCIATEUR. UN HUISSIER. LES TROIS ENFANTS DE CA.RCINOS, habillés en cancres EURIPIDE. La scène est, à Athènes dans la maison de PHILOCLEON. SOSIE, XANTHIAS, Esclaves couchés à la porte de leur maître. SOSIE. Hé quoi ! Que fais-tu donc là, pauvre Xanthias. XANTHIAS. Je cherche à dormir après avoir fait sentinelle toute la nuit. SOSIE. Prends garde qu'il n'en cuise à tes côtes. Mais sais-tu quel est l'animal que nous gardons? XANTHIAS. Je le sais. Mais laisse-moi dormir un peu. SOSIE. Tu t'exposes; car une douce obscurité se répand aussi sur mes yeux. XANTHIAS. Radotes-tu, ou veux-tu te donner des airs de corybante ? SOSIE. Point du tout : je dois cet assoupissement à Dionysos. XANTHIAS. Tu as donc la même dévotion que moi pour ce dieu. Car un lourd sommeil a fondu comme un Mède sur mes paupières, et je viens de faire de beaux rêves. SOSIE.

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Les GupesdeAristophaneTraduction dAndr-Charles Brotier, revue par Louis HumbertPERSONNAGES :SOSIE.XANTHIAS.BDELYCLEON.PHILOCLEON.CHOEUR DE VIEILLARDS, habills en Gupes.ENFANTS avec des lanternes.UN CHIEN accus.UN CHIEN accusateur.THESMOTHETE.UNE J OUEUSE DE FLUTE.UN DENONCIATEUR.UN HUISSIER.LES TROIS ENFANTS DE CA.RCINOS, habills en cancresEURIPIDE.La scne est, Athnes dans la maison de PHILOCLEON.SOSIE, XANTHIAS, Esclaves couchs la porte de leur matre.SOSIE.H quoi ! Que fais-tu donc l, pauvre Xanthias.XANTHIAS.J e cherche dormir aprs avoir fait sentinelle toute la nuit.SOSIE.Prends garde qu'il n'en cuise tes ctes. Mais sais-tu quel est l'animal que nous gardons?XANTHIAS.J e le sais. Mais laisse-moi dormir un peu.SOSIE.Tu t'exposes; car une douce obscurit se rpand aussi sur mes yeux.XANTHIAS.Radotes-tu, ou veux-tu te donner des airs de corybante ?SOSIE.Point du tout : je dois cet assoupissement Dionysos.XANTHIAS.Tu as donc la mme dvotion que moi pour ce dieu. Car un lourd sommeil a fondu comme un Mde sur mes paupires, et je viens de faire de beaux rves.SOSIE.{C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}{4AA64FEC-977A-4D8A-B089-ADD10D725CBD}{C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}J 'en ai fait un aussi, et unique jusqu' prsent pour moi dans son espce. Mais voyons le tien d'abord.XANTHIAS.J 'ai vu un aigle norme qui dirigeait son vol vers le lieu de l'assemble : il a saisi avec ses serres un bouclier d'airain, et l'a emport jusqu'aux nues; puis j'ai vu ce bouclier entre les mains de Clonyme, qui le rejetait.SOSIE.Clonyme ne diffre donc en rien d'un griffon. Mais comment, se demandera-t-on en jasant familirement table, peut-il se faire que le mme individu soit un lche sur terre, sur mer et dans les airs?XANTHIAS.Hlas, hlas! A quels malheurs dois-je doncm'attendre aprs un pareil rve?SOSIE.Allons, point de chagrin : il n'y aura rien de fcheux pour toi, j'en jure par les dieux.XANTHIAS.Et cependant quel prsage plus affreux que de voir unhomme rejeter son bouclier? Racontemaintenant tonrve.SOSIE.Oli, le mien est de grande importance : il a pour objet levaisseau entier de la rpublique.XANTHIAS.Montre-moi vite le fond de cale de cette affaire.SOSIE.J 'ai cru voir dans mon premier somme une assemble de moutons assis dans le Pnyx, avec des manteaux et des btons. Au milieu d'eux, je croyais apercevoir une baleine carnivore qui les haranguait avec une voix de porc.XANTHIASFi, fi. SOSIEQu'y a-t-il?XANTHIAS.Assez, assez, n'en dis pas davantage. Cesonge sent trop l'odeur infecte du cuir.SOSIE.Cette affreuse bte a pris ensuite une balance, et pesait de la graisse de buf.XANTHIAS.Oh, je suis perdu ! Elle veut dpecer le peuple.SOSIE.J 'ai vu en outre Thoros qui rampait lchement. Il avait une tte de corbeau; alors Alcibiade m'a dit en grasseyant : Regalde Tholos avec sa tte de colbeau.XANTH1AS.J amais Alcibiade n'a grassey plus propos.SOSIE.N'est-il pas trange que Thoros soit ainsi chang encorbeau ?XANTHIAS.Point du tout; au contraire, c'est fort heureux.SOSIE.Comment ?XANTHIAS.Tu veux le savoir? Eh bien, il tait homme; puis il a t mtamorphos tout coup en corbeau : c'est nous dire trs clairement qu'il nous quittera pour aller auxcorbeaux.SOSIE.J e te donnerais bien deux oboles pour expliquer les songes aussi parfaitement.XANTIIIAS.Attends : aprs avoir adress quelques observations aux spectateurs, je veux leur exposer le sujet de cette pice. Qu'on ne s'attende pas quelque chose de trop sublime, ni des niaiseries drobes aux Mgariens : nous n'avons pas mme des noix dans une corbeille pour lesfaire jeter par un esclave aux spectateurs; on ne trouvera point ici un Hrakls glouton et dup, ni une nouvelle satire contre Euripide, et Clon, tout bouffi qu'il est des faveurs de la fortune, n'aura pas se plaindre aujourd'hui de la moindre aigreur de notre part. Notre sujet n'est pas mal imagin, et quoiqu'il ne s'lve pas au-dessus de votre porte, il vaut cependant mieux que toute autre rapsodie comique. Le fait est que nous avons un matre fort illustre, qui dort dans la partie suprieure de cette maison. Il nous a charg de garder son pre, pour qu'il ne sorte pas de l'appartement o il l'a renferm. Ce pre a une maladie singulire : personne ne la connatrait, ne la devinerait, ne la saurait, si je ne la dclarais. Au reste, si vous ne vous en rapportez pas moi, cherchez. Amynias, le fils de Pronapos, dit que c'est la manie du jeu; il se trompe.SOSIE.Certainement. Il en juge d'aprs lui-mme.XANTHIAS.Non : car dans cette affaire-l il y a un peu de manie, et voil quelqu'un, un Sosias, qui dit Dercylos que c'est la manie de boire.SOSIE.Ce n'est pas cela, puisque c'est l la maladie des honntes gens.XANTHIAS.Nicostrate, du bourg de Scambone, prtend que c'est la manie des sacrifices et de l'hospitalit.SOSIE.Non certes; ce n'est pas un prostitu comme Philoxne.XANTHIAS.C'est en vain que vous vous amusez chercher, vous ne trouverez pas. Si vous tes curieux de le savoir, faites silence, et je vous dclarerai la maladie de mon matre. Il a la manie de juger, comme personne ne l'a eue. Cette fureur de juger lui fait tourner la tte : il se dsespre s'il n'est pas le premier au tribunal : il ne ferme pas les yeux de toute lanuit, et s'il s'assoupit un instant, son esprit s'envole aussitt vers la clepsydre. Il est si accoutum manier les suffrages, qu'il se rveille en pressant ses trois premiers doigts, comme pour mettre de l'encens dans une cassolette au retour de la nouvelle lune, et, en vrit, s'il trouve crit quelque part : Demos, fils de Pyrilampe, csi beau, il crit lui-mme ct : Le vase aux suffrages est beau. Son coq s'tant fait entendre dernirement sur le soir, il soutint qu'il ne l'avait veill plus tard qu' l'ordinaire que parce qu'un plaideur lui avait donn de l'argent, A peine a-t-il soup qu'il demande grands cris sessouliers; il court au tribunal, o, se trouvant avant le jour, il s'endort, coll, comme une hutre, au pied de la colonne. Sa svrit lui fait tracer pour tout le monde lu longue ligne de condamnation sur ses tablettes de cire, aussi rentre-t-il chez lui comme l'abeille et le bourdon, les doigts chargs de cire. Son appartement est rempli de petits cailloux : c'est unegrve, et il augmente tous les jours sa provision, de peur d'en manquer et pour tre mme de pouvoir toujours donner son suffrage. Telle est samanie, et plus on lui fait d'observations, et plus ce mal empire. C'est pourquoi nous le tenons bien renfermet bien barricad, de crainte qu'il ne s'vade, car cette maladie fait le dsespoir du fils. Ce jeune homme avait d'abord eu recours aux voies les plus douces, pour l'engager ne plus reprendre son manteau de juge et ne plus sortir dans ce costume; mais le pre ne s'est point laiss persuader. Ensuite on l'a baign, purifi, et mme on l'a soumis aux exorcismes des corybantes; mais aussitt on l'a vu sauter avec son tambour, et courir au tribunal. Tous ces moyens restant sans succs, le fils a men son pre gine, et l'a fait coucher de nuit dans le temple d'Esculape. Mais ds le grand matin, il s'est trouv aux barrires du tribunal. Aprs toutes ces tentatives, on l'a tenu de prs dans sa maison, d'o on l'empchait de sortir : il trouvait encore moyen de s'chapper par les gouttires et les lucarnes; nous avons alors bouch toutes les issues, et les avons bourres de manire n'y laisser aucun passage, mais il a su enfoncer des piquets dans la muraille, et il sautait de l'un l'autre comme une pie. Enfin, nous avons t contraints de tendre un filet tout autour de sa chambre, et nous le gardons ainsi encag. Il se nomme Philoclon, et aucun nom, en vrit, ne pouvait mieux lui convenir; le fils se nomme BDELYCLEON; il cherche gurir son pre deson arrogance.LES PRECEDENTS. BDELYCLEON, PHILOCLEON.BDELYCLEON,Xanthias, Sosie, h! dormez-vous donc?XANTHIAS.Hlas, hlas ! SOSIEQu'y a-t-il?XANTHIAS.Bdlyclonnous appelle.BDELYCLEON.Allons, ici, au plus vite? Mon pre est entr dans In chemine : on y entend un bruit semblable celui d'mir souris qui ronge quelque chose dans un trou. Que l'un veille ce qu'il ne sorte pas par le tuyau des bains, et que l'autre se tienne la porte.SOSIE.Oui, matre.BDELYCLEON.Oh! par Posidon! d'opeut venir ce bruit qui se fait dans la chemine? H, h, qui va l?PHILOCLEON.C'est la fume qui sort.BDELYCLEON.La fume? Mais de quel bois?PHILOCLEON.De figuier.BDELYCLEON.Bon, c'est prcisment la fume la plus cre. Allons, descends au plus vite? O est le couvercle, pour fermer le haut de la chemine? Je vais en outre ajouter une bonne traverse par-dessus. Avise maintenant d'autres ruses. Mais hlas, rien au monde n'gale mon malheur! On ne m'appellera plus que le fils de l'Enfum. Esclave, garde bien la porte : tiens-la fort et ferme. J e vais aller t'aider. Prends garde surtout la traverse et au verrou, et vois s'il ne s'use pas.PHILOCLEON.Que prtendez-vous faire? Infmes que vous tes, vous ne me laisserez pas aller juger? Dracontide se tirera donc d'affaire?BDELYCLEON.Cela te chagrinerait donc bien?PHILOCLEON.Eh ! sans doute : l'oracle de Delphes ne m'a-t-il pas annonc que je prirais ds qu'un criminel pourrait esquiver ma sentence.BDELYCLEON.P dieu t Quel oracle !PHILOCLEON.Allons, je t'en prie, ne me fais pas crever ici de dpit.BDELYCLEON.J 'en jure par Posidon, non, Philoclon, je ne te laisserai pas sortir.PHILOCLEON.Eh bien, je vais ronger le grillage qui m'entoure.BDELYCLEON.Bah, tu n'as pas de dents.PHILOCLEON.Que je suis malheureux ! Comment me dferai-je de toi? Comment? Une pe, vite, ou les tablettes pour les sentences de mort.BDELYCLEON.Il a de fcheux desseins.PHILOCLEON.Non, du tout, non; mais je veux aller vendre mon ne avec son bt, parce que c'est le jour du march.BDELYCLEON,Est-ce que je ne pourrais pas, je te le demande, faire cette commission?PHILOCLEON.Non pas comme moi..BDELYCLEON.J e la ferais bien mieux. Voyons donc cet ne. (PHILOCLEON sort un instant pour aller chercher l'ne.)XANTHIAS.Quel bon moyen il a trouv l ! Comme il a su adroitement se procurer l'occasion d'chapper un instant !BDELYCLEON.Il n'ira pas bien loin ; je me suis aperu de sa ruse. J e vais mener moi-mme l'ne au march. Pauvre petit baudet, tu as l'air triste ! Est-ce parce qu'on te mne au march? Allons, plus vite. Porterais-tu un Ulysse?XANTHIAS.Oui, par J upiter ! Il porte quelqu'un suspendu souslui.BDELYCLEON.Qui serait-ce donc? Regarde.XANTHIAS.C'est lui !BDELYCLEON.Qu'est-ce dire ? H, h ! Qui va l ?PHILOCLEON.Personne, en vrit.BDELYCLEON.Personne, dis-tu ? Et de quel pays ?PHILOCLEON.J e suis d'Ithaque et fils de Drasippide.BDELYCLEON.Ah, ah, je vais t'apprendre, tes dpens, ne pas te nommer Personne. Le misrable, o s'est-il fourr? Il m'a tout l'air du petit d'une nesse.PHILOCLON.J e plaiderai contre toi pour te forcer de me lcher.BDELYCLEON.Pourquoi vouloir, dis-le, plaider contre nous?PHILOCLEON.Pour l'ombre de l'ne.BDELYCLEON.Tu n'es qu'un mchant et un fou.PHILOCLEON.Moi, mchant? Non, certes. Tu ne vois pas dans cet instant que je suis le meilleur des hommes, mais tu pourras en juger plus tard en gotant les mets dlicats du vieux juge.BDLYCLON.Rentre, rentre avec l'ne.PHILOCLEON, en se retirant.O juges, mes chers confrres, et vous, Clon, mon secours.BDELYCLEON.Va crier en lieu clos. Esclave, mets-moi force pierres contre la porte, remets de nouveau le verrou, barricade-la en outre avec une bonne solive, contre laquelle tu appuieras en mme temps ce grand mortier.SOSIE.Ae ! D'o me tombe cette brique ?XANTHIAS.Ce sera quelque souris qui l'aura dtache du toit.SOSIE.Une souris?Point du tout, mais c'est un juge des gouttires qui s'est juch au haut du toit,XANTHIAS.Ah, que je suis malheureux ! Cet homme-l est un oiseau, il s'envolera. O est le filet? Gare, gare, gare donc.BDELYCLEON En vrit, j'aimerais mieux garder Scione que mon propre pre.SOSIE.Maintenant que nous l'avons fait descendre et qu'il ne peut s'vader sans notre permission, pourquoi ne prendrions-nous pas un peu de repos ?BDELYCLEON.Mais, malheureux, les juges, ses confrres, ne vont pas tarder venir l'appeler grands cris.SOSIE.Que dis-tu l ? Il ne fait pas encore jour.BDELYCLEON.Cela est vrai. Et cependant ils paraissent aujourd'hui plus tard que de coutume, car ils viennent ordinairement ds le milieu de la nuit, avec leurs lanternes la main, et l'appellent en chantant les vers mlodieux des Phniciennes du vieux Phrynichos.SOSIE.Oh, s'il le faut, nous les carterons bien coups depierres.BDELYCLEON.O malheureux t Mais cette espce de vieillards est d'une nature irritable et ressemble un essaim de gupes. Ils ont, comme elles, un aiguillon trs aigu, dont ils piquent; ils le lancent comme un trait et sautent en bourdonnant.SOSIE.Sois sans crainte : que j'aie seulement des pierres, et j'carterai tout un gupier de jugesLE CHOEUR.UN PERSONNAGE DU CHOEUR.Avance, marche ferme. Tu restes en arrire, Comias ! Certes, tu valais mieux que cela autrefois; tu tais dur comme une peau de chien, et maintenant Charinas te devance la marche. O Strymodore de Conthyle, le meilleur des juges, Evergide ou Chabs le Phlyen seraient-ils par hasard ici? Ah! vous voici tous, bravo, bravo, bravissimo ! tout ce qui reste de cette jeunesse qui se signala Byzance, o nous deux, toujours insparables, montions la garde ensemble, et o, en faisant nos rondes de nuit nous drobions le mortier de bois de cette faiseuse de pain, et, aprs l'avoir mis en morceaux, nous nous en servions pour cuire quelque peu de mauvais lgumes. Amis, pressons le pas; il s'agit aujourd'hui de juger Lachs. On dit gnralement qu'il regorge d'argent. C'est pour celaque Clon, notre protecteur, nous fit dire hier de paratre de bonne heure avec de la mauvaise humeur pour trois jours, afin de ne pas pargner le coupable. Car il lui en veut. Allons, chers confrres, pressons-nous avant qu'il fasse jour. Continuons notre route, chacun prcd de la lanterne pour regarder de ct et d'autre, de peur de tomber dans quelque casse-cou.UN ENFANT.Papa, papa, prends garde; voil de la boue.UN PERSONNAGE DU CHOEUR.H, h! Ramasse donc par terre quelque brindille pour aviver la lampe.L'ENFANT.Non, non; je le ferai merveille avec mon doigt.UN PERSONNAGE DU CHOEUR.Pourquoi, tourdi, allonger ainsi la mche, quand nous avons si peu d'huile? Tu ne sais pas ce qu'elle cote. (Il le frappe.)L'ENFANT.Ae ! ae ! Si vous continuez nous frapper, nous teindrons nos lampes et nous nous en retournerons chez nous! Alors, sans lumire, vous irez peut-tre barboter dans la boue, comme des canards.UN PERSONNAGE DU CHOEUR.Parbleu, j'en corrige de bien plus grands que toi. Mais je m'aperois que mes pieds sont dans la boue. J e serais bien tonn si, dans quatre jours au plus d'ici, nous n'avions pas des pluies abondantes, tant la mche de ceslampes est couronne par des champignons normes, car le plus ordinairement cela n'arrive pas sans pluie. Les fruits tardifs ont besoin d'eau et de vents frais. Que vous dirai-je, mes chers confrres, sur ce qui peut tre arriv notre collgue qui habite cette maison-ci? Pourquoi n'est-il pas au milieu de nous? J usqu' prsent il ne s'tait pas encore accoutum se faire remorquer : il tait toujours notre tte, chantant les airs de Phrynichos, car il aime la musique. Mon opinion, citoyens, serait de faire une pause ici et de lui donner une aubade pour le rveiller : le plaisir d'entendre nos airs le fera peut-tre sortir.Pour quelle raison ce vieillard ne parat-il point au-devant de nous sur sa porte et ne donne-t-il signe de vie ? Aurait-il perdu ses souliers? Se serait-il heurt dans l'obscurit les doigts du pied contre quelque chose? Sa cheville serait-elle enfle? Peut-tre aussi souffre-t-il des reins. Il tait sans contredit le plus ardent de nous tous, et lui seul tait inexorable. Quelqu'un le suppliait-il, il baissait la tte aussitt et rpondait : Tu veux cuire une pierre.C'est peut-tre cause de ce malheureux qui nous a chapp hier, en nous en imposant et nous assurant qu'il tait dvou la rpublique des Athniens, et qu'il avait le premier dcouvert ce qui se passait Samos; il en aura t affect, et peut-tre la fivre le retient-elle prsent au lit. Il en est bien capable. Mais, mon brave, allons, debout, ne t'accable pas toi-mme et ne t'chauffe pas la bile. D'ailleurs, nousavons juger un de ces riches personnages qui ont livr la Thrace; il faut que tu travailles le dshonorer et le punir svrement. Avance, mon fils, avance.L'ENFANT.Mon cher papa, me donnerais-tu ce que je te demanderais ?LE PERSONNAGE DU CHOEUR.Certainement, mon enfant. Dis donc ce que tu dsires que je t'achte de bon. Je m'imagine que tu vas, petit drle, me demander des osselets.L'ENFANT.Oh non, mon bon petit papa, mais des figues : c'est bien meilleur.LE PERSONNAGE DU CHOEUR.Tu n'en auraspas, devrais-tu en mourir. L'ENFANT.Eh bien, j'en jure, je ne veux plus t'clairer.LE PERSONNAGE DU CHOEUR.Mais, avec mon chtif salaire de juge, j'ai maintenant acheter pain, bois et bonne chre, et tu me demandes en outre des figues?L'ENFANT.Eh quoi, mon pre ! Et si l'archonte supprimait le tribunal, o trouverions-nous de quoi dner? Entrevois-tu quelque bonne ressource, ou ne nous reste-il que le chemin sacr d'Hell ?LE PERSONNAGE DU CHOEUR.Hlas, hlas ! Non, par Zeus, je ne saiscomment je pourvoirai nos besoins.L'ENFANT.O mre infortune ! Pourquoi m'as-tu donc mis au jour, puisque tu ne m'as laiss aucun moyen de pourvoir ma subsistance ?LE PERSONNAGE DU CHOEUR.Ce petit sac ne me servirait donc plus que d'un vain ornement.L'ENFANT.Hlas, hlas ! Nous ne devons nous attendre qu' des larmes.PHILOCLEONenferm, LE CHOEUR.PHILOCLON.Mes amis, je sche sur pied depuis que votre voix a pntr jusqu' moi par cette fentre. Mais je ne puis me mettre votre tte en chantant. Que faire ? J e suis observ par tous ces gens-ci, parce que je brle d'aller avec vous jeter mes suffrages dans l'urne et de prononcer quelque condamnation. O Zeus, agite fortement tes foudres, et fais que tout coup je devienne fume, ouun Proxnide, ou le fils de Sellos le prestidigitateur. O roi, touch de mon tat pitoyable, n'hsite pas m'accorder ce bienfait, ou que ton tonnerre me rduise tout de suite en cendres et que je sois port par les vents dans de la saumure brlante, ou mtamorphose-moi en cette pierre, sur laquelle on compte les suffrages.LE CHOEUR.Et qui donc te retient ainsi et t'enferme ? Parle : nous sommes tes amis.PHILOCLEON.C'est mon fils. N'levez pas la voix : il repose devant moi; parlez bas.LE CHOEUR.Monpauvre ami, pour quel motif prtend-t-il te retenir ainsi ? Quelle raison allgue-t-il ?PHILOCLEON.Il ne veut pas, mes amis, que je juge ni que je me mle d'aucune condamnation. Il est tout dispos me faire faire bonne chre, mais je m'y refuse.LE CHOEUR.Ce sclrat, cet ennemi du peuple et de Clon, n'a profr de telles choses que parce que tu dis la vrit sur lamarine.PHILOCLEON.Il n'aurait certainement jamais os se permettre de pareils propos, s'il n'tait dans quelque conjuration.LE CHOEUR.Puisqu'il en est ainsi, il est grand temps d'imaginer quelque stratagme qui te mette mme de venir nous l'insu de ce gelier.PHILOCLEON.Que faire? Cherchez-le. Car je me prterai tout, tant je dsire aller siger avec vous pour donner mon suffrage.LE CHOEUR.Vois, si de ton ct il n'y aurait pas quelque fente o tupratiquerais une issue, par o, comme un autre Ulysse, tu passerais couvert de haillons?PHILOCLEON.Tous les trous sont bouchs; une fourmi ne trouverait pas opasser. Cherchez quelqu' autre moyen, car celui-l est impraticable.LE CHOEUR.Ne te rappelles-tu pas comment, la prise de Naxos, tudescendis du haut d'un rempart, l'aide de quelques broches voles, que tu fichais dans le mur? PHILOCLEON.J e me le rappelle, mais quoi bon? J 'tais jeune alors, plein de vigueur et en tat d'aller la maraude; je n'tais surveill par personne : je pouvais m'chapper du danger par la fuite; maintenant, au contraire, tous les chemins sont couverts de sentinelles disperses pour m'observer. J 'en ai, entre autres, deux ma porte, qui, armes de broches, me guettent comme on fait un chat qui aurait emport de la viande.LE CHOEUR.Mais, cher ami, hte-toi donc de trouver toi-mme quelque stratagme : voil l'aurore. PHILOCLEON.J e ne vois pas de meilleur parti que de ronger mon filet. O Artmis, pardonne-moi d'en venir cette extrmit.LECHOEUR.C'est agir en homme avide de sa libert : allons, metsta mchoire en jeu.PHILOCLEON.Voil qui est rong, mais ne dites mot; prenons bien garde que Bdlyclon n'entende quelque chose.LE CHOEUR.Mou ami, ne crains rien, rien, car s'il remue, nous l'en ferons repentir et nous le forcerons prendre sa propre dfense. Nous lui apprendrons ne pas fouler aux pieds les ordres des desses. Allons, fixe une corde la fentre, entoures-en ton corps et laisse-toi descendre, anim d'une fureur digne de Diopithe.PHILOCLEON.Attends. Si mes surveillants s'aperoivent de quelque chose et veulent me retirer et me rentrer en dedans, que feras-tu ? Dis vite.LECHOEUR.Nous viendrons ton secours et nous mettrons une rsistance opinitre pour qu'ils ne puissent te retenir. Voil ce que nous ferons pour toi.PHILOCLEON.Assur de votre appui, je descends avec confiance; mais souvenez-vous bien, s'il m'arrive quelque accident funeste, de m'emporter vous-mmes, pour aller, en m'arrosant de vos larmes, m'enterrer au tribunal.LECHOEUR.Il ne t'arrivera rien : n'aie pas peur. Allons, cher ami, laisse-toi couler avec courage, aprs avoir invoqu les dieux de la patrie.PHILOCLEON.O Lycos, gnie tutlaire, hros dont j'approche tous les jours de si prs ! Toi qui te repais avec plaisir, ainsi que moi, ds larmes et des plaintes continuelles des accuss, tu as sans doute choisi ce sjour dessein de ne rien perdre de leurs soupirs; tu es, de tous les hros, le seul qui ait voulu vivre au milieu des malheureux; prends piti de moi et sauve un de tes plus fidles assistants; je te promets en revanche de ne plus lcher ni eau, ni autreordure auprs de ta balustrade.LES MEMES, BDELYCLEON, SOSIE. XANTHIAS.BDELYCKEON SOSIE. Hol ! h ! debout.SOSIE.Qu'y a-t-il ?BDELYCLEON.J 'entends comme des voix bourdonner mes oreilles.SOSIE.Notre vieillard se serait-il gliss quelque part?BDELYCLEON.Il fait mieux : il s'vade l'aide d'une corde.SOSIE.O malheureux, o vas-tu? J e ne te laisserai pas descendre.BDELYCLEON.Monte au plus vite par l'autre fentre et frappe-le avec cette branche d'olivier; peut-tre rebroussera-t-il chemin, quand il la sentira.PII1LOCLON.Au secours, vous tous qui devez avoir des procs cette anne, Smicythion, Tisiade, Chrmon et Phrndippe! Quand donc, si vous ne le faites prsent, avant que je sois tout fait remont, viendrez-vous mon secours?LE CHOEUR.H bien donc, que tardons-nous dchaner cette colre que nous dployons ordinairement contre quiconque trouble un de nos essaims? Voici, voici le moment de darder avec force cet aiguillon, dont nous perons les coupables. Mais, enfants, posez l vos manteaux et courez vite, en jetant de grands cris, rapporter tout ceci Clon; dites-lui de venir tenir tte un ennemi de la rpublique, qui prira misrablement, puisqu'il ose nous empcher de juger.BDELYCLEON.Amis, coutez un peu et n'levez pas la voix si haut.LE CHOEUR.Nous crierons jusqu'aux cieux. Nous n'abandonnerons pas ce malheureux. Cela n'est-il pas insupportable et d'une tyrannie manifeste? O citoyens, Thoros, ennemi des dieux, et vous tous, nos partisans !XANTHIAS.Par Hracls ! ils sont arms d'aiguillons. Ne les aperois-tu pas, mon matre !BDELYCLEON.Ce sont ceux sous lesquels Philippe, fils de Gorgias, a succomb dans les tribunaux.LE CHOEUR.Tu en deviendras aussi la victime. Que chacun de nous se tourne par ici, tombons en bon ordre sur lui coups d'aiguillon, serrons les rangs, redoublons de rage et de fureur, pour qu'il sache dornavant quel essaim il a irrit.XANTHIAS.Par Zeus, je ne suis pas sans peur. J e crains quand je vois ces aiguillons.LE CHOEUR.Lche cet homme ou, nous te le dclarons, tu envieras la carapace des tortues.PHILOCLEON.Courage maintenant, juges, mes confrres, gupes pleines de colre, prcipitez-vous avec rage; piquez-le au derrire, aux yeux, aux doigts.BDELYCLEON.Midas, Phryx, Masyntias, ici du secours ! Saisissez cet homme et ne le lchez qui que ce soit, moins que vous ne veuillez prir de faim sous le poids de chanes normes. J 'ai souvent entendu craquer au feu les branches de figuier.LECHOEUR.Si vous nele laissez, vous allez sentir notre aiguillon.PHILOCLEON.O grand Ccrops, notre chef, la queue de dragon, souffriras-tu que je sois le jouet de ces barbares, qui j'ai arrach des larmes de quoi remplir quatre chnix?LE CHOEUR.Dira-t-on que la vieillesse n'est pas en proie mille dsagrments? Voil que ces deux misrables tiennent leur matre de force et le subjuguent; ils oublient les peaux, les petites tuniques et les bonnets de cuir qu'il leur achetait, et tout ce qu'il faisait en hiver pour garantir leurs pieds de la rigueur de la saison. Ils n'ont aucune pudeur, aucune reconnaissance en souvenir de leurs anciennes chaussures.PHILOCLEON.Me lcheras-tu, mauvaise bte; ne te rappelleras-tu pas qu'un jour, t'ayant surpris voler des raisins, jet'attachai un olivier, et que je te corrigeai coups d'trivires au point que tu faisais des jaloux ? Mais tu n'es qu'un ingrat. Allons, laisse-moi, et toi aussi, et toi encore, avant que mon fils n'accoure ici.LE CHOEUR.Attendez, attendez; vous allez tout l'heure expier ces attentats. Vous saurez ce que valent les gens irascibles, quitables et qui ont du caractre.BDELYCLEON.Frappe, frappe, Xanthias, et chasse ces gupes loin de la maison.XANTHIAS.C'est ce que je fais; faites de votre ct beaucoup de fume pour les loigner plus efficacement.SOSIE.Allons, sauvez-vous. Fuyez. Donne du bton.XANTHIAS.Pour toi, fais de la fume en jetant au feu Eschine, fils de Slartios. Enfin, nous t'avons donn la chasse.BDELYCLEON.Ah ! il ne t'et pas t aussi facile de t'en dfaire, s'ils avaient mang des vers de Philocls.LE CHOEUR.Les pauvres n'ouvriront-ils donc pas les yeux sur la tyrannie qui nous accable en ce moment? Peux-tu nier, misrable mule d'Amynias, que tu nous fais fouler aux pieds les lois tablies par notre ville, et que tu t'arroges toute l'autorit sans donner aucun motif et sans mettre de mnagement dans tes propos.BDELYCLEON.Pourrions-nous donc avoir une explication et nous raccommoder ensemble sans en venir aux mains et sans pousser des cris perants ?LE CHOEUR.Irais-je m'expliquer avec toi, ennemi du peuple, partisan de Brasidas ! Toi, qui vises au despotisme, qui portes des franges de laine et qui laisses crotre ta barbe ?BDELYCLEON.J e crois en vrit que je ferai bien mieux d'abandonner totalement mon pre, plutt que d'tre chaque jour expos de pareilles horreurs.LE CHOEUR.Bah, tu n'en es encore ni au persil ni la rue, suivant le proverbe : ce n'est rien que ce que tu souffres, mais il t'en cuira lorsque l'orateur rvlera tes iniquits et citera tes complices.BDELYCLEON.Au nom des dieux, partez ou je suis rsolu vous rosser tout le long du jour.LE CHOEUR.Nous tiendrons bon tant qu'il restera quelque portion de nous-mmes, puisque tu aspires la tyrannie.BDELYCLEON.Mais tout, vos yeux, est tyrannie et conjuration, qu'on soit gravement ou lgrement accus; je n'avais mme pas entendu, depuis cinquante ans, une seule fois le nom de tyrannie. A prsent, il est plus commun que le poisson sal, ce point que ce nom retentit dans tous les coins du march. Si quelqu'un, en effet, y va pour acheter des rougets, et qu'il refuse des sardines, le vendeur de sardines crie aussitt : En voil un qui aspire la tyrannie. Qu'un autre aille demander de la ciboule pour accommoder des loches, la marchande, en le regardant de travers, lui dit : Ah! tu demandes de la ciboule: vises-tu la tyrannie, ou penses-tu qu'Athnes doive te fournir ces assaisonnements?XANTHIAS.Et parbleu, hier, vers midi, je vais chez une courtisane. J e veux y faire l'cuyer, et elle me demande, pleine de rage, si je prtends rtablir la tyrannie d'Hippias.BDELYCLEON.Voil des choses charmantes entendre. Et moi, parce que je veux procurer mon pre une vie heureuse comme celle du pote Morychos, loin des calomniateurs et des plaideurs, on m'accuse de conjuration et de tyranniePHILOCLEON.Et c'est bien fait. Car, pour moi, je prfre au lait des poules cette manire de vivre que tuveux me faire quitter : je ne suis fou ni de raies, ni d'anguilles, mais je mangerais bien plus volontiers une bonne petite condamnation l'touffade.BDELYCLEON,Voil, je le sais, les mets qui te flattent le plus. Mais si tu peux m'couter un instant et entendre ce que j'ai te dire, j'imagine que je te dmontrerai ton erreur.PHILOCLEON.J e suis dans l'erreur, parce que j'aime juger?BDELYCLEON.Tu ne vois pas que tu prtes rire ces hommes, dont tu es le trs humble serviteur, je dis plus, l'esclave.PHILOCLEON.Tais-toi, avec ton esclavage. J e prtends bien tre roi.BDELYCLEON.Tu ne l'es pas. En croyant rgner, tu n'es qu'un esclave. Apprends-moi donc, mon pre, quelle considration tu t'es acquise en attirant toi tous les tributs de la Grce?PHILOCLEON.Mais beaucoup; j'en fais juge tous mes confrresBDELYCLEON.J 'y consens. Qu'on laisse mon pre en libert. Si je perds mon procs, qu'on me donne une pe, je me perce l'instant. A quelle peine te condamneras-tu en cas que j'aieraison et que tu rcuses les arbitres?PHILOCLEON.A ne jamais boire de vin en l'honneur du bon Gnie.LE CHOEUR.Pour toi, qui es des ntres, il faut que tu nous donnes du neuf, pour que tu ne paraisses pas t'en tenir aux mmes expressionsque ce jeune homme. Tu vois la querelle importante o tu es engag. Tout est perdu, si, ce dont les dieux nous prservent, tu viens succomber.BDELYCLEON.Qu'on m'apporte bien vite des tablettes.LE CHOEUR.Mais tu auras un air bien important, en te montrant avec cet attirail.BDELYCLEON.J e veux, pour soulager ma mmoire, prendre note de ce qu'il dira.PHILOCLEON.Que dites-vous, vous autres ? Sil venait triompher ?LE CHOEUR.Le conseil des vieillards ne servirait plus de rien. Nous serions la risede tout le monde : dans les rues, on nous traiterait de thallophores et de sacs calomnie. Allons, toi, qui vas prendre la dfense de notre pouvoir, dploie hardiment toute la force de ton loquence.PHILOCLEON.J e vais prendre ma course ds la barrire, et je dmontrerai que notre pouvoir n'est infrieur aucun autre. Quelle flicit, ou quelles dlices, ou quel bonheur plus grand que celui d'un juge? Et quand il est vieux, quel tre plus redoutable? A peine ds le grand matin suis-je au tribunal, que je suis gard par de grands hommes de quatre coudes. Aussitt je me vois caress par une main souple qui a su ravir le trsor de l'tat; alors le coupable tombe mes pieds et s'crie d'une voix soumise : Aie piti de moi, mon pre, s'il t'est jamaisarriv de drober quelque chose, soit dans les premires places de l'tat, soit dans l'approvisionnement des troupes. Eh bien, si je ne sauvais ces malheureux, sauraient-ils seulement que je suis au monde ?BDELYCLEON.J e note sur mes tablettes ce que tu dis l des clients.PHILOCLEON.Ensuite je prends place au tribunal et, ma colre passe, je ne songe plus ce que j'ai promis, mais je reois tontes sortes de prires de la part de ceux qui veulent luder un jugement; et quelles caresses ne fait-on pas au juge pour le gagner ? Les uns nous font dpositaires de leurs maux, qu'ils augmentent de moiti jusqu' les galer aux ntres. Les autres nous font des contes. Ceux-ci nous dbitent quelque morceau du comdien Esope; ceux-l tchent de nous drider par leurs bons mots. S'ils ne gagnent rien par l, ils nous amnent leurs petits enfants, garons et filles. J 'coute, et tous s'inclinent et se mettent brailler en mme temps; ensuite le pre tremblant me supplie par eux comme un dieu, pour que je le blanchisse. Aimes-tu, ajoute-t-il, la voix d'un agneau, sois touch de celle de ce petit garon. Aimes-tu les sacrifices chers Aphrodite, coute cette petite fille. A de pareils propos, on relche quelque peu de sa mauvaise humeur. N'est-ce pas l magnifiquement rgner et se moquer des richesses ?BDELYCLEON.Autre note pour mes tablettes, ton mpris des richesses. Rappelle-moi les avantages dont tu jouis comme souverain de la Grce.PHILOCLEON.S'agit-il d'examiner l'ge des enfants, nous avons droit de les regarder tout nus. Qu'Eagre soit cit l'audience, nous exigeons de lui, avant tout jugement, qu'il nous rcite le plus bel endroit de sa Niob. Pour remerciement d'avoir gagn son procs, le joueur de flte nous joue une marche notre sortie. Si un pre en mourant laisse une riche hritire, et s'il dtermine dans son testament celui qui il veut la marier, nous laissons tristement dans la poussire le testament avec les coquilles qui recouvrent le cachet. Nous n'avons aucun gard aux volonts du pre, et nous donnons la fille celui qui sait mieux l'art de nous persuader. Tout en faisant cela, nous ne devons compte de notre conduite personne. Voil un privilge que n'a nul souverain.BDELYCLEON.J e te flicite pour tous les avantages dont tujouis; j'en excepterai pourtant l'injustice que tu te permets au sujet du testament de l'hritire.PHILOCLEON.Autre avantage encore : quand le snat et le peuple sont partags sur une affaire importante, par exemple sur le jugement de quelque criminel, c'est nous autres vieillards qu'on remet la cause. C'est alors qu'on voit un coquin d'Evathlos et un Clonyme lche et rampant nous annoncer qu'ils sont nous et qu'ils ne cherchent que le bien public. Enfin nulle affaire considrable n'est juge dans l'assemble du peuple qu'elle n'ait pris forme notre tribunal, et c'est vritablement de nous que partent les arrts. Ajoute cela que Clon avec ses cris vainqueurs, loin d'oser nous contredire, nous fait la galanterie de chasser les mouches autour de nous. Toi, tu n'en as jamais fait autant pour ton pre. Et Thoros, ce complaisant gages, qui ne le cde en rien Euphmios, ne ddaigne pas de prendre l'ponge pour nettoyer notre chaussure. Sont-ce l des biens ddaigner ? En jouir, est-ce tre esclave, comme tu oses tmrairement l'avancer ?BDELYCLEON.Parle jusqu' extinction de voix; tu en rabattras quelque jour de cette belle royaut et tu n'en seras pas plus beau garon.PHILOCLEON.Mais un dernier avantage et beaucoup plus dlicieux, que j'oubliais, ce sont les caresses que je reois chez moi quand je reviens du barreau avec l'argent que j'y ai gagn. Ma fille est la premire me verser de l'eau pour me laver, me parfumer les pieds et les baiser, et tout en me cajolant et en me caressant elle russit avec sa langue tirer le triobole de ma bouche. Ma petite femme la suit de prs, les mains charges d'un gros gteau; aussitt elle s'assied prs de moi et me presse en ces termes : Gote de ceci, mange de cela. Voil ce que j'aime; je n'ai pas besoin alors d'avoir l'air de demander toi, ou un maudit sommelier, quand il vous plaira de me faire dner; encore ne fait-on que pester et grommeler contre moi. Le gteau se fait-il attendre, j'ai l un rempart contre les maux et de quoi repousser les traits. Si tu me refuses du vin quand j'aurai soif, ce vase en est plein : je n'aurai qu' me pencher un peu pour m'en gorger; ses glouglous se feront entendre au loin, et sa liqueur me communiquera cette impudence ncessaire pour tenir bon contre tous les emportements. N'ai-je donc point d'aprs cela une vraie souverainet et capable d'aller de pair aveccelle de Zeus? On parle de nous comme de ce dieu mme. Les passants entendent-ils du tumulte dans notre assemble, ils s'crient : O grand Zeus, quel horrible orage s'lve dans la place aux jugements! Et quand je fais clater ma foudre, ils m'adorent en battant des mains, et la peur les prend au point que les riches et les plus hupps font tout sous eux. Et toi-mme, tu me crains plus que les autres, oui, tu me crains, j'en jure par Dmter; pour moi, que je meure, si j'ai peur de toi. LE CHOEUR.J amais nous n'avons entendu plaider avec autant d'habilet et de prudence.PHILOCLEON.Sans doute. Il s'imaginait venir vendanger une vigne abandonne; il sait maintenant que j'tais bien sur mes gardes.LE CHOEUR.Comme il a suivi l'affaire de point en point, et sans rien omettre ! Chacun de nous se glorifiait de l'entendre, et lecharme de ses paroles nous faisait croire que nous sigions dans le sjour des bienheureux.PHILOCLEON.Voyez comme celui-ci s'tend de plaisir et est dj hors de lui-mme ! J e veux, mon ami, que tu ne rves que fouets aujourd'hui.LECHOEUR BDELYCLEON.Allons, il faut mettre toute ruse en uvre pour te tirer d'affaire. Il serait difficile de flchir notre courroux en tenant des propos contraires nos intrts. C'est donc a toi de chercher une bonne meule, nouvellement prpare, si tu ne russis pas parler de manire briser les efforts de notre fureur.BDELYCLEON.C'est, la vrit, une entreprise difficile et au-dessus de tous les efforts d'une comdie, que de gurir une maladie depuis longtemps invtre dans une ville. Mais, mon pre, digne descendant de Cronos.....PHILOCLEON.Cesse de m'appeler ton pre. Si tu ne me dmontres pas dans l'instant que je suis esclave, ne cherche pas te soustraire la mort, duss-je pour ce forfait tre exclu de la participation aux sacrifices.BDELYCLEON.Ecoute maintenant, mon cher pre, et prte-moi un peu d'attention. Fais d'abord un calcul bien simple, non pas a l'aide de tes suffrages, mais sur tes doigts, et suppute la totalit des tributs qui nous viennent de toutes les villes; ajoutes-y les impts personnels, tous les centimes, les frais de justice, les produits des marchs, des ports, du commerce et des confiscations. Le produit de tous ces revenus se monte prs de deux mille talents; or, combien en revient-il pour les honoraires des juges, qui sont au nombre de six mille, le nombre en effet de ceux qui inondent la ville ne va pas au-del ? Il ne vous en revient que cent cinquante talents.PHILOCLEON.Ainsi nous ne touchons pas la dixime partie du trsor public?BDELYCLEON.Non, certes.PHILOCLEON.Mais o va donc le reste ?BDELYCLEON.A chacun de ces gens qui ne cessent de crier : J amais je ne trahirai la cause des Athniens; je serai toujours pour le peuple. C'est ainsi, mon pre, que tu deviens leur esclave et que tu te laisses sduire par ces belles paroles. Tandis qu'ils se font donner par les villes des cinquantaines de talents, en y rpandant la frayeur par de semblables menaces : Accordez le tribut que je vous demande, ou je vais foudroyer et dtruire votre ville, tu te contentes des restes de ta propre puissance. Nos villes allies, les entendant s'expliquer ainsi, jugent que tous les autres citoyens se bornent un vil brouet et une nourriture du plus bas prix, et ne font pas plus de cas de tes suffrages que de celui de Connos; ils apportent au contraire ces harangueurs-l des vases pleins de salaisons, du vin, des tapis, du fromage, du miel, du ssame, des coussins, des fioles, de belles laines, des couronnes, des colliers, des vases, enfin tout ce qui donne la richesseet la sant. Pour vous autres, qui commandez sur terre et sur mer et qui vous donnez bien de la peine, vous ne recevez d'aucun d'eux pas mme une tte d'ail pour assaisonner de misrables petits poissons.PHILOCLON.Non, assurment. J 'ai d moi-mme envoyer acheter trois gousses d'ail chez Eucharids. Mais tu oublies que tu dois me prouver que je suis un esclave.BDELYCLEON.Ne te regarderas-tu donc pas comme le vritable esclave de tous ces vaniteux qui sont les matres, et qui, ainsi que leurs flatteurs, sont combls de prsents, tandis que tu te contentes de trois oboles qu'on te donne et que tu es parvenu gagner la sueur de ton front, soit en livrant des batailles sur terre ou sur mer, soit en escaladant des villes? Mais ce qui me chagrine par-dessus tout, c'est que tu es forc de siger au tribunal ds qu'il plat un autre de t'y appeler : par exemple, le fils de Chre, ce petit libertin, se prsentera chez toi les jambes cartes, avec un air effmin et lascif, il te sommera d'tre prt juger le lendemain de grand matin, et l'heure proscrite, il faudra que tu sois l, car, le signal une fois donn, il n'est plus question d'entrer, et par consquent point d'oboles. Le magistrat, au contraire, charg de la dfense d'un autre, reoit une drachme, quelque tard qu'il vienne l'assemble, et s'il reoit un prsent de quelque riche sclrat, il le partage avec l'un de ses collgues, et tous les deux, d'un commun accord, arrangent l'affaire ensemble : ils se renvoient de l'un l'autre, comme s'il s'agissait de diriger une scie; pendant ce temps-l, tu es biller aprs le payeur pour avoir ton triobole, sans t'apercevoir de rien.PHILOCLON.Serait-il possible ! Oh ! que dis-tu l ? Quel coup tu me donnes ! Tu me forces rflchir un peu, et je ne saisrellement plus o j'en suis.BDELYCLEON.Considre donc, en effet, qu'avec le dsir que tu peux avoir de t'enrichir et qui est inn chez tout le monde, tu es circonscrit dans une certaine sphre troite par ceux qui font toujours les empresss pour le bien public, et toi, qui fais la loi depuis le Pont jusqu' la Sardaigne, tu n'as pour toute jouissance qu'un trs mince honoraire; encore te le donnent-ils par parcelle et goutte goutte, comme de la bouillie pour sustenter tes jours. Ils veulent te tenir dans la pauvret, et je vais t'en dire la raison : leur dessein est que tu sois dans leur dpendance, afin que tu dchires impitoyablement leurs ennemis, contre lesquels ils t'exciteront et te feront aboyer leur gr. S'ils voulaient assurer le bien-tre du peuple, rien ne serait plus facile. Nous percevons annuellement l'impt rel sur mille villes; que chacune se charge de nourrir vingt citoyens, cela mettrait cependant vingt mille hommes dans la jouissance de toutes sortes de dlices : ils auraient en abondance du livre, des couronnes de toute espce et du lait le plus pur; enfin, de tout ce qui convient une patrie telle que la ntre et la magnificence des trophes de Marathon. Bien loin de cela, tu sers de cortge ces administrateurs, de qui tu attends ton salaire, comme un mercenaire qui a fait la rcolte des olives.PHILOCLON.H, h ! Quel engourdissement subit s'empare de mamain ? Pourquoi ne puis-je saisir mon pe et d'o vient que la force m'abandonne?BDELYCLEON.Mais quand ces brigands se voient presss par la crainte, ils ne manquent pas de vous promettre l'Eube partager et cinquante boisseaux de bl par tte, tandis qu'ils n'ont jamais donn plus de cinq boisseaux d'orge; encore ne t'ont-ils t fournis que par petites portions, parce qu'on te traitait d'tranger. Voil pourquoi je me suis dtermin te tenir toujours renferm, pour avoir soin moi-mme de ton entretien et pour ne plus t'exposer la rise de ces vains prometteurs. Et encore maintenant, je suis prt te fournir tout ce que tu demanderas, hormis ce triobole qui te tient si fort cur.LE CHOEUR.On a toujours eu raison de dire : Ne jugez pas sans avoir entendu les deux parties, car c'est toi maintenant qui me parais l'emporter : c'est pourquoi nous reprenons une humeur plus douce et nous rengainons nos aiguillons. Allons, notre ami et notre confrre, cde, cde ces raisons : ne fais point preuve ici de mauvaise tte, de caractre dur et inflexible. Hlas, plt au ciel que j'eusse reu pareille proposition de la part de quelque parent ou alli ! Oui, c'est une divinit qui dans ce moment te tend les bras, qui t'offre en notre prsence des ressources, que tu ne peux refuser d'accepter.BDELYCLEON.Oui, je le nourrirai et lui fournirai tout ce qui est ncessaire un homme de son ge. Il aura chez moi du bon gruau, un habit fourr bien fin, une bonne couverture, une femme enfin pour lui rendre toutes sortes de petits services. Mais il se tait, il ne bronche pas : c'est bien dcourageant !LE CHOEURAh, c'est qu'il rflchit sur ce qu'il doit faire : il reconnat prsent quelle tait sa folie, et il se reproche lui-mme de n'avoir pas suivi tous les bons avis que tu lui as donns. Peut-tre que depuis ce moment il gote et cherche remplir tes intentions, en se conformant pour la suite de sa conduite tes dsirs.PHILOCLEON.Hlas, hlas !BDELYCLEON.Hlas, dis, de quoi te plains-tu?PHILOCLEON.Ah, loin de moi tes flatteuses promesses. J 'aime mieux entendre l'huissier crier : Que celui qui n'a pas encore vot se lve. Oui, je ne soupire qu'aprs l'urne du tribunal, et le comble de mes vux est d'y mettre mon suffrage le dernier de tous. Voyons, mon courage. Allons, o es-tu? Parais dans cet instant d'obscurit. Quoi, par Hracls, je n'aurais pas aujourd'hui la libert de convaincre Clon de friponnerie !BDELYCLEON.Au nom des dieux, mon pre, rends-toi a mes voeux.PHILOCLEON.Que veux-tu que je fasse? Demande-moi tout ce que tu voudras, sauf une chose.BDELYCLEON.Laquelle? Dis-le-moi.PHILOCLEON.Ne plus juger! J e serai descendu dans le royaume dHads avant d'y consentir.BDELYCLEON.Eh bien ! si tu as tant de plaisir rendre la justice, tu n'as pas besoin pour cela de sortir de chez toi; reste ici et juge tes esclaves.PHILOCLEON.Qu'est-ce a dire? Pourquoi railler ainsi?BDELYCLEON.Fais ici tout ce qui se pratique au tribunal. S'il arrive que ta servante ouvre ta porte ton insu, tu lui feras porter la peine de ce crime, comme tu l'as pratiqu jusqu' prsent au tribunal. Il y aura un avantage rel : c'est que tout se fera dans l'ordre. Tu attendras que le soleil soit lev pour juger l'ardeur de ses rayons; qu'il pleuve ou qu'il neige, tu instruiras les procs prs de ton feu, et quelque tard que tu te lves, nul thesmostte ne pourra t'exclure du droit de siger chez toi.PHILOCLEON.Cela me plat assez.BDELYCLEON.Autre avantage : si l'avocat fait des plaidoyers sans fin, le besoin de manger ne vous fera tort ni l'un ni lautre.PHILOCLEON.Bon, et comment pourrai-je me bien mettre l'affaire dans la tte, si je mange pendant le plaidoyer?BDELYCLEON.Mais tu la possderas bien mieux. Ne dit-on pas, qu'au milieu des fausses dpositions, le juge ne peut dcouvrir la vrit qu'en ruminant.PHILOCLEON.J e comprends cela : mais tu ne me dis pas qui me payera mes vacations.BDELYCLEON.J e m'en charge.PHILOCLEON.J e suis bien aise d'tre pay part, et non pas avec quelque autre. Car j'ai dernirement t affreusement filout par ce fripon de Lysistrate : il reut une drachme pour nous deux; il me mne la poissonnerie pour changer cette monnaie, et au lieu de trois oboles qui me revenaient, il me donne trois cailles de mulet, que je mets aussitt dans ma bouche tant j'tais plein de bonne foi; mais incommod de l'odeur, je les ai craches bien vite, et j'ai voulu le traduire en justice.BDELYCLEON.Eh bien, qu'a-t-il rpliqu pour sa dfense?PHILOCLEON.Tu me le demandes? Il a rpliqu que j'avais un estomacde coq. C'est donc ainsi, disait-il, que tu digres l'argent?BDELYCLEONprsente son pre de l'argent. Vois au contraire le profit que tu feras ici.PHILOCLEON,Certes, il est grand. Allons, arrange donc tout ta fantaisie.BDELYCLEON.Reste tranquille : je vais t'apporter tout ce qu'il faut.PHILOCLEON.Voil cependant comment les oracles s'accomplissent. J 'avais toujours ou dire qu'un jour viendrait o chaque Athnien jugerait dans sa maison, et se pratiquerait dans son vestibule un tout petit tribunal, l'instar du temple d'Hcate.BDELYCLEON.Que peux-tu dsirer de plus? Me voici avec tout ce que je t'ai annonc, et mme beaucoup plus. En cas de petits besoins, voil un vase ta porte suspendu un clou.PHILOCLON.Chose trs bien imagine, et d'une trs grande ressource dans la vieillesse contre la rtention d'urine.BDELYCLEON.Voil aussi sur le feu des lentilles dont tu peux goter, si la faim te presse.PHILOCLON.Fort bien encore. Ainsi j'aurai toujours mes honoraires, quand mme je serais malade. Sans bouger d'ici, je mangerai mes lentilles. Mais que veux-tu que je fasse de ce coq?BDELYCLEON.C'est pour qu'il te rveille par son chant, si tu venais dormir pendant qu'on plaide. PHILOCLEON.Tout cela me convient fort; mais il me faudrait encore une chose.BDELYCLEON.H quoi?PHILOCLEON.J e voudrais ici une statue de Lycos.BDELYCLEON.En voil une devant toi : c'est lui-mme.PHILOCLEON.O hros, notre chef, au regard terrible ! Tu ressembles Clonyme.SOSIE.Celui-ci est galement en effet un hros sans armes.BDELYCLEON.Si tu te dpchais de siger, je ne tarderais pas citer une cause ton tribunal.PHILOCLEON.Allons, voyons : il y a longtemps que j'attends.BDELYCLEON, part.Eh bien, quelle cause appellerai-je la premire? Quelqu'un des gens a-t-il fait quelque sottise? Bon, la Thralla la cuisinire a laiss dernirement brler la marmite...PHILOCLEON.H, h ! un moment. Hlas, peu s'en faut que tu ne fasses mon malheur. Quoi, tu veux appeler une causeavant d'avoir tabli une balustrade ? C'est cependant lapremire chose qui nous saute aux yeux dans tout sacrifice.BDELYCLEON.Il n'y en a pas : cela est vrai. Mais dans l'instant je vais ten apporter. Qu'est-ce que cela signifie? Ah, comme on est l'esclave de l'habitude par rapport aux lieux qu'on frquente le plus !XANTHIASsurvenant. Peste de l'animal ! Pourquoi nourrir un pareil chien?BDELYCLEON.Qu'y a-t-il?XANTHIAS.Est-ce que Labs ... tout l'heure ... ton chien ... n'a pas mangtout un fromage de Sicile.BDELYCLEON.Bon, c'est le premier dlit que nous mettons sous les yeux de mon pre. Allons, prsente-toi et cite le coupable.XANTHIAS.J e n'en ferai rien. Mais si quelqu'un doit porter plainte, il y a un autre chien qui dit qu'il s'en chargera.BDELYCLEON.Allons, fais-les paratre.XANTHIAS.Il faut bien en venir l.PHILOCLEON.Qu'apportes-tu l mon fils ?BDELYCLEON.C'est le panier d'osier o l'on engraisse les cochons destins aux sacrifices domestiques.PHILOCLEON.C'est ainsi que tu y portes une main sacrilge?BDELYCLEON.Non pas. Mais j'en sacrifierai quelqu'un pour commencer par les dieux Lares.PHILOCLEON.Dpche donc d'appeler la cause. J 'entrevois dj la peine encourue.BDELYCLEON. .Soit. Je t'apporte l'instant les tablettes et le stylet. PHILOCLEON.Hlas, hlas ! Tu me feras mourir avec tes lenteurs : je me serais servi de mon ongle pour tracer les lignes sur mes tablettes.BDELYCLEON.Tiens, les voil. ,PHILOCLEON.Appelle maintenant la cause.BDELYCLEON.J 'y suis.PHILOCLEON.Par qui commenceras-tu ?BDELYCLEON.Malheur moi ! J 'ai oubli les urnes aux suffrages!PHILOCLEON.Eh bien, o cours-tu donc?BDELYCLEON.Chercher les urnes.PHILOCLEON.C'est inutile : je compte me servir de ces vases.BDELYCLEON.Allons, fort bien. Nous avons tout ce qu'il nous faut, except la clepsydre.PHILOCLEON.Qu'est-ce que je vois donc l ? N'est-ce pas un vase eau ?BDELYCLEON.C'est fort bien trouv et parfaitement conforme nos usages. Mais qu'on apporte ici du feu, des feuilles de myrte et de l'encens, pour que nous commencions par offrir nos voeux aux dieux.LE CHOEUR.Et nous, pendant vos libations et vos sacrifices, nous ferons des voeux pour vous et nous clbrerons votre noble rconciliation.BDELYCLEON.Commencez donc nous faire entendre vos vux.LE CHOEUR.OApollon Pythien ! permets que tout ceque celui-ci prpare dans ce moment, tourne notre commun avantage, pour que, dgags de toute erreur, nous entonnions librement le pan.BDELYCLEON.O divin matre, dieu qui prsides l'entre de nos maisons ! reois ces nouvelles offrandes que je prsente aujourd'hui pour la premire fois en faveur de mon pre. Adoucis un peu son caractre revche et dur. Son cur est tel qu'un vin aigri; verses-y un peu de miel, afin que par la suite il montre de la clmence envers ses semblables, plus de sensibilit pour les coupables que pour les accusateurs, et afin qu'il se laisse toucher par les larmes des suppliants, et que, dposant toute rudesse, sa colre n'ait plus rien d'acrimonieux.LECHOEUR.Excits par tes sages discours, nous faisons les mmes voeux et les mmes prires que toi qui es maintenant revtu d'une nouvelle dignit. Depuis que nous savons que tu aimes le peuple plus qu'aucun autre jeune homme, nous nous sentons pleins de bonne volont pour toi.LES MMES, XANTHIAS COMME ACCUSATEUR, SOSIE comme hraut et comme thesmostte, UN CHIEN accus.BDELYCLEON.Si quelque juge n'a pas encore pris sance, qu'il entre. Une fois que les plaidoiries seront commences, il ne sera plus permis d'entrer.PHILOCLEON.Quel est ce coupable ? Comme il va tre condamn ! XANTHIAS, accusateur.Ecoutez maintenant le chef d'accusation. Le chien Cydathnien accuse Labs, chien Exonien, d'avoir escroqu seul, contre tout droit et permission, un fromage de Sicile. Qu'il soit condamn un collier de figuier.PHILOCLEON.A une mort de chien, bien plus, s'il est une fois convaincu.BDELYCLEON.Voil ledit Labs, le coupable.PHILOCLEON.Oh ! qu'il est affreux ! Comme il a le regard d'un fripon ! Comme il a l'air, en serrant les dents, de vouloir me tromper ! Oest le chien Cydathnien qui porte plainte contre lui?LECHIEN.Hau, hau.BDELYCLEON, en montrant LE CHIEN accusateur. Voici un autre Labs, excellent aboyeur et lcheur de marmites.SOSIE, en habit de hraut.Qu'on s'asseye, silence. Pour toi (A l'accusateur.), monte sur cette banquette et fais ta plainte.PHILOCLON.Pendant ce temps-l je vais verser cette bouteille et lalamper.XANTHIAS, accusateur.O juges, vous connaissez le motif qui me force citer ce malheureux en justice : il s'est permis, contre moi et contre les autres marins, l'action la plus indigne. Il s'est retir dans un coin et a dvor un gros fromage; il s'est rempli dans l'obscurit.PHILOCLEON.Il est suffisamment convaincu de ce forfait. Le puant vient de faire un rot des plus infects de l'odeur de fromage.XANTHIAS, accusateur.J 'ai eu beau lui en demander un morceau, jamais il n'a voulu m'en cder. Et de qui pouvez-vous attendre quelque cadeau, si ce n'est de celui qui me jette volontiers, moi chien, la moindre petite chose.PHILOCLEON.Il ne t'a rien donn ?XANTHIAS, accusateur. Non, pas mme moi qui suis son compagnon.PHILOCLEON.Ce drle-l n'est pas moins chaud que cette lentille.BDELYCLEON.Au nom des dieux, mon pre, ne prononce pas avantde les avoir entendus tous deux.PHILOCLEON.Mais, mon ami, la chose est claire. Cela parle tout seul.XANTHIAS, accusateur.Non, ne lui rends pas la libert. C'est de tous les chiens le plus ardent se faire seul sa part : s'il est auprs d'un mortier, il en parcourt les bords avec autant de clrit que s'il voguait autour d'une le, et il dvore l'enduit des villes.PHILOCLEON.Hlas ! il ne m'en restera par consquent pas de quoi boucher les fentes de ma cruche.XANTHIAS, accusateur.Chtie-le donc. J amais une maison ne pourra suffire deux voleurs. Il faut que je sois rcompens si j'obis, ou, par la suite, je ne japperai plus.PHILOCLEON.Hiou, hiou ! Que de sclratesses il vient d'accumuler contre lui ! Cet tre-l est sans contredit un fripon. N'est-ce pas l ton avis, mon petit coq?... Par ma foi, il faitsigne qu'oui. H, h, Thesmostte ! O est-il? Qu'il me donne le pot-de-chambre.BDELYCLEON.Prends-le toi-mme; je suis occup rassembler les tmoins. Voici ceux qui dposent en faveur de Labs : un plat, un pilon, un couteau nettoyer les fromages, un gril, une marmite et autres ustensiles de cuisine. Mais pisses-tu encore ? N'as-tu pas fini ?PHILOCLEON.Pas encore, mais pour celui-l, je pense qu'aujourd'hui il lchera tout sous lui.BDELYCLEON, au chien accusateur.Ne cesseras-tu pas d'tre dur et intraitable envers les accuss? Seras-tu toujours acharn aprs eux? Labs, monte sur cette banquette et justifie-toi. Pourquoi ce morne silence ? Parle.PHILOCLEON.Il parat n'avoir rien rpliquer.BDELYCLEON.Point du tout. Mais je pense qu'il en est de lui comme du coupable Thucydide, qui, frapp d'tonnement, ne put desserrer les dents. (Au chien.) Retire-toi d'ici. Je vais prendre ta dfense. Il est difficile, juges, de dfendre un chien accus d'un crime odieux. Je parlerai nanmoins. C'est un bon chien : il chasse les loups.PHILOCLEON.C'est un voleur et un conspirateur.BDELYCLEON.Non, certes. C'est bien au contraire le meilleur des chiens et le plus excellent pour la garde d'un grand troupeau.PHILOCLEON.Beau mrite, s'il est vrai qu'il ait mang un fromage.BDELYCLEON.Il se bat pour ta dfense, il garde ta porte et a d'ailleurs des qualits minentes. Pardonne-lui s'il adrob quelque chose. Ce n'est pas la vrit un grand joueur de cithare.PHILOCLEON.J e voudrais qu'il ne st pas mme lire et qu'il lui et t impossible d'crire pour se disculper d'un crime.BDELYCLEON.Excellent juge, coute nos tmoins. Approche, petit couteau, et parle voix claire. Tu tais alors payeur, rponds distinctement. N'as-tu pas partag les portions quidevaient tre distribues aux soldats...? Il affirme l'avoir fait.PHILOCLEON.Eh ! par Zeus, c'est un imposteur.BDELYCLEON.O bon gnie, aie pitides malheureux ! Ce Labs-ci ne vit que de ttes et d'artes de poisson et ne reste jamais en place. Mais son accusateur ne sait que garder la maison; il a bien ses raisons. Quelqu'un apporte-t-il quelque chose, il en veut sa portion; si on la lui refuse, il a bientt donn un coup de dent.PHILOCLEON.Ouf! J e me sens dj pris de compassion. Qu'est-ce qui marrive ? J e me laisse branler !BDELYCLEON.Allons, mon pre, aie piti de lui, je t'en conjure. Ne 1i- sacrifie pas. O sont les petits? Venez, petits infortuns, faites entendre vos vagissements; suppliez, versez des larmes.PHILOCLEON.Descends, descends, descends, descends(de la tribune, pour tre absous).BDELYCLEON.J e me retirerai, et quoique cet ordre de descendre en ait tromp plusieurs, je descendrai cependant.PHILOCLEON.Que la peste t'emporte ! Comme je souffre d'avoir mang ! Il m'est chapp des larmes, ce qui, j'en suis sr, ne me serait jamais arriv sans ces maudites lentilles dont je me suis gonfl.BDELYCLEON.Tu ne lui feras pas grce ?PHILOCLEON.C'est difficile dcider.BDELYCLEON.Allons, cher petit papa, aie des sentiments plus humains; prends ce suffrage, mets-le dans le second vase, sans faire semblant de t'en apercevoir, et qu'il soit absous, mon pre !PHILOCLEON.Non. J e ne sais pas plus absoudre que jouer de la cithare.BDELYCLEON.Allons, allons. Je vais t'approcher l'urne l'instant.PHILOCLEON.O est la premire ?BDELYCLEON.La voici.PHILOCLEON.Allons, j'y mets mon suffrage.BDELYCLEON.Il est attrap ! Il vient d'absoudre sans le savoir.PHILOCLEON.Quoi ! J e vais renverser les suffrages. Qu'est-ce que cela signifie ?BDELYCLEON.Tu vas le voir. Labs est absous..... Mon pre! Monpre ! Qu'as-tu donc?PHILOCLEON.A moi, moi ! De l'eau ?BDELYCLEON.Soutiens-toi; reprends tes sens.PHILOCLEON.Dis-moi : est-il vritablement absous? Oui, en vrit. Ah ! je suis mort.BDELYCLEON.Tranquillise-toi, mon bon pre; reprends courage.PHILOCLEON.Comment pourrai-je jamais me persuader qu'un coupable a tabsous par moi ? Que doit-il donc m'arriver ? O dieux rvrs, pardonnez-moi ! J e l'ai fait malgr moi. Ce n'est pas un pch d'habitude.BDELYCLEON.Console-toi de cela. Viens, j'aurai soin de t'amuser par toutes sortes de plaisirs. Tu iras aux festins, aux bals, aux spectacles. Laisse-l les jugements et ne souffre pas qu'un Hyperbolos te dupe dsormais.PHILOCLEON.Fais donc de moi ce que tu voudras.LE CHOEUR.PREMIER DEMI-CHOEUR.Allez, vous autres, promptement o la joie vous appelle. Pour vous, nombreuse assemble, daignez donner assez d'attention aux sages observations que l'on va faire, et qu'elles ne soient point perdues pour vous. Au reste, on ne pourrait avoir craindre pareille chose que de la part de spectateurs ignorants et non de la vtre.Voici, peuple, le moment d'couter favorablement, si tu aimes entendre la vrit. Notre pote ne peut se refuser de vous faire quelques reproches. Il prtend avoir lieu de se plaindre de vous, lui qui, souvent sans se faire connatre, s'est dj livr et consacr vos divertissements, en mettant sous le nom d'autres potes plusieurs de ses pices pour les faire jouer. Dou du talent et de l'esprit d'Euricls, il parlait par la bouche des autres. Souvent aussi, depuis, il n'a pas craint d'avouer ses ouvrages, il a os tenter des succs au thtre, sans chercher dguiser sa muse sous un nom tranger. Combl d'honneurs plus que personne ne l'a jamais t, il dfie qu'on l'accuse de s'tre flatt d'un mrite transcendant, ou de s'tre enorgueilli de sesavantages et d'avoir frquent les palestres pour y sduire les jeunes gens. Si quelque effmin est all lui tmoigner sa peine de voir son amant sacrifi au ridicule, il assure n'avoir jamais eu la faiblesse de se prter un silence condamnable; il est assez honnte pour loigner des Muses qu'il cultive toute atteinte criminelle. La premire fois qu'il a paru sur le thtre, ce n'tait pas pour attaquer des hommes, mais bien des monstres affreux contre qui il a fallu dployer toute la force d'Hracls. Telle tait en effet sa position, lorsqu'il dbuta par assaillir ouvertement cette bte horrible dont la gueule tait arme de dents aigus. Son regard, semblable celui de Cynna, inspirait l'effroi; cent flagorneurs des- plus corrompus lui caressaient les oreilles. Sa voix tait le fracas d'un torrent qui rompt ses digues; il puait comme un phoque, il avait la malpropret d'une Lamie et le derrire d'un chameau. A la vue d'un tel monstre, il ne fut point contenu par la crainte et ne chercha point l'amadouer par des prsents, et maintenant encore il ne montre pas moins d'ardeur pour vos intrts. L'anne dernire, il l'attaqua de nouveau, et d'autres monstres qui, comme autant de cauchemars et de fivres, tranglaient de nuit nos pres et suffoquaient nos aeux; mollement tendus sur des lits, ils troublaient le repos de chacun, quelque ennemi qu'on ft des procs,par des sommations, des citations et des tmoignages; c'tait au point que plusieurs, ne sachant que devenir, recouraient la justice du polmarque. Vous n'avez pas senti alors le bonheur d'avoir trouv un tre aussi prcieux, qui a su chasser toutes ces pestes et en purger le pays; vous ne lui avez donn aucun encouragement, parce que vous n'avez pas su apprcier les maximes qu'il rpandait avec intelligence et qui taient dignes de toute votre attention par le mrite de la nouveaut; c'tait en vain qu'au milieu des libations, il attestait Dionysos que personne n'avait jamais entendu de meilleurs vers que les siens. Il est honteux pour vous de n'avoir pas prononc en leur faveur ds la premire fois; au reste, le pote n'en recueille pas moins les suffrages des gens sages, quoiqu'il ait t frustr de la victoire que lui assurait sa supriorit sur ceux qu'il avait combattre. Mais, par la suite, chers concitoyens, si vous trouvez des potes disposs imaginer et dire des choses neuves, prodiguez ceux-ci surtout vos caresses et vos louanges; recueillez leurs maximes et serrez-les prs de vos oranges dans vos coffres. Avec cette prcaution, tous vos vtements rpandront toute l'anne l'odeur de votre prudence.DEUXIME DEMI-CHOEUR.O nous, autrefois si ardents la danse, si ardents an combat, et par l mme si intrpides ! C'tait autrefois, oui, c'tait autrefois! Il n'en est plus de mmeaujourd'hui : la blancheur de nos cheveux gale celle du cygne. Mais il faut trouver encore sous ces cendres tout le feu de notre jeunesse. Et ne doutons point que notre vieillessene vaille mieux que les airs apprts, manirs et effmins de bien des jeunes gens.PREMIER DEMI-CHOEUR.Si quelqu'un parmi vous, spectateurs, surpris de notre costume, dsire savoir pourquoi nous nous prsentons avec des corsages grles comme ceux des gupes et avec des aiguillons, nous le mettrons aisment au fait et dissiperons son ignorance. Tels que vous nous voyez, arms de nos aiguillons, nous sommes des Athniens, originaires du territoire attique, auquel nous devons toute notre illustration; nous sommes la race la plus courageuse, celle qui combattit si bien pour cette ville quand les barbares, affams de nos rayons, ravagrent tout ce pays, qu'ils livrrent aux flammes et qu'ils couvrirent de fume. C'est alors qu'en un clin d'il nous sommes tombs sur eux : nous tions arms de haches et de boucliers, bouillants decolre, chacun saisissait son adversaire et se dchirait les lvres de rage. La multitude des traits drobait la vue du ciel et obscurcissait l'air; enfin, l'aide des dieux, nous les avons, vers le soir, contraints prendre la fuite. La chouette de bonaugure avait, avant la mle, pass au-dessus de notre arme. Nous nous sommes mis la poursuite de ces fuyards, leur lanant des aiguillons dans les fesses, comme si nous eussions harponn des thons; pour eux, ils ne pensaient qu' fuir, les joues et les sourcils martyriss de piqres. Aussi parmi eux regarde-t-on la gupe attique comme tout ce qu'il y a de plus formidable.DEUXIEME DEMI-CHOEUR.Il fallait voir pour lors notre ardeur, qu'aucune espce crainte ne pouvait ralentir. Monts sur les trirmes, nous avons dtruit ces brigands. Nous ne pensions pas dans ce moment-l aux moyens de faonner un discours, d'accumuler des calomnies contre quelqu'un; mais chacun, l'envi, n'aspirait qu' la gloire d'excellent rameur. Or, comme dans cette expdition nous soummes un grand nombre de villes, c'est donc notre courage surtout que l'on doit tous les tributs qu'on nous paie, et qui deviennent l'objet des dprdations de jeunes tourdis.PREMIER DEMI-CHOEUR.Si vous nous examinez avec attention, vous nous trouverez en tout semblables des gupes, pour le caractre et les habitudes. D'abord il n'y a point d'animal plus cruel et plus colre que nous quand on nous irrite. D'un autre ct, nous avons des ouvrages et des occupations toutes pareilles celles des gupes. Nous formons comme elles divers essaims qui se rpandent dans diffrentes ruches : ceux-ci chez l'archonte, ceux-l chez les onze, d'autres l'Odon; on en voit qui sont colls contre les murs, la tte penche en terre, n'ayant presque aucun mouvement, et ressemblant des chrysalides dans leurs alvoles. Rien de plus industrieux que nous pour nous approvisionner de toutes les ncessits de la vie. Nous lestirons de tous ceux que nous piquons avec nos aiguillons. Mais nous comptons quelques frelons parmi nous, dpourvus de cette arme, qui, sans partager nos peines, en dvorent les fruits. Nous souffrons on ne peut plus de voir enlever notre salaire par un homme qui ne se montre jamais au combat et qui n'a jamais gagn aucune ampoule manier la hache ou la rame pour le service du pays. Au reste, mon avis est qu' l'avenir quiconque n'aura point d'aiguillon soit priv du triobole.PHILOCLON, BDELYCLEON.PHILOCLEON.Non, tant que je vivrai, je ne me dferai pas de mon manteau. Hlas, il fut seul toute ma ressource dans cette fameuse bataille o le fougueux Bore souffla si propos.BDELYCLEON.Tu ne me parais curieux d'aucun bien-tre.PHILOCLEON.J e m'embarrasse en vrit fort peu des beaux vtements. Dernirement, en effet, aprs m'tre gorg de petits poissons, je tachai mes habits; je les donnai au foulon, et il m'en cota un triobole, ce qui est le prix ordinaire.BDELYCLEON.Essaie au moins de ma bonne volont, puisque tu t'es confi moi.PHILOCLEONQu'exiges-tu donc?BDELYCLEON.Laisse-moi l ton manteau, et prends cette robe fourre qui t'en tiendra lieu,PHILOCLEON.Faites donc des enfants et nourrissez-les : le mien ne veut-il pas m'touffer?BDELYCLEON.Allons, prends donc, revts-t'en et ne dis mot.PHILOCLEON.Oh ! de par tous les dieux, que diable est cela?BDELYCLEON.Les uns en font un habit la Persique, d'autres une grande robe fourre.PHILOCLEON.Bon, je pensais que c'tait un couvre-pied la Thymtide .BDELYCLEON.Il n'y a rien d'tonnant cela : tu n'as jamais t Sarde; tu le saurais si tu y avais t, mais tu l'ignores prsent.PHILOCLEON.Moi? Non pas, certes, non. Mais il me parat semblable la houppelande pluche de Morychos.BDELYCLEON.Tu n'y es pas : cela sort des manufactures d'Ecbatane. PHILOCLEON.Est-ce qu' Ecbatane on travaille ainsi la laine par flocons?BDELYCLEON.Eh non! mon cher; mais cette toffe est manufacture grands frais : il entre pour plus d'un talent de laine danscette robe.PHILOCLEON.Ne serait-il pas plus simple de l'appeler toffe mange-laine que robe fourre ?BDELYCLEON.Allons, tiens-toi donc et revts-t'en.PHILOCLEON.Oh! que je suis malheureux! Quelle chaleur cette pesante robe va m'occasionner !BDELYCLEON.Ne t'habilleras-tu pas?PHILOCLEON.Non, en vrit. Ah! mon ami, j'aimerais autant me jeter dans un four.BDELYCLEON.Eh bien, je vais donc te la mettre moi-mme. Approche.PHILOCLEON.Prends donc au moins ce croc.BDELYCLEON.A quoi bon?PHILOCLEON.Afin de me retirer de cette fournaise avant que je sois fondu et rduit en eau.BDELYCLEON.Quitte maintenant cette affreuse chaussure, et mets bien vite ces souliers la Lacdmonienne.PHILOCLEON.Moi, je souffrirais mes pieds une chaussure grossirement fabrique par nos ennemis ?BDELYCLEON.Fais-y vite entrer ton pied, et appuie ferme. PHILOCLEON.Pour qui me prends-tu, de vouloir me faire aller en pays ennemi ?BDELYCLEON.Allons, l'autre pied.PHILOCLEON.Ah, pour celui-l, c'est impossible. Il y a un des doigts de ce pied qui dteste les Lacdmoniens.BDELYCLEON.Il n'en fera pas autrement.PHILOCLEON.Que je suis malheureux de n'avoir pas d'engelures mon ge !BDELYCLEON.Dpche donc de le mettre; puis imite dans ta marche les airs mous et effmins des riches.PHILOCLEON.Tiens, vois mon air, et dis quel est le riche dont j'imite le mieux la dmarche,BDELYCLEON.Quel il est? Ma foi cela te va comme de l'ail sur un furoncle.PHILOCLEON.H h, je me sens dj le dsir de frtiller des fesses.BDELYCLEON.Maintenant donc sais-tu la manire agrable et judicieuse de t'expliquer dans une socit de gens instruits et bien levs ?PHILOCLEON.Certainement.BDELYCLEON.Que diras-tu donc?PHILOCLON.Beaucoup de choses. D'abord je raconterai comment Lamia surprise lcha un pet; puis que Cardopion et sa mre...BDELYCLEON.Il ne s'agit pas de contes ici, mais de choses ordinaires dans la vie commune, et qui sont le sujet de nos entretiens la maison.PHILOCLEON.Oh, rien ne convient mieux des propos de cette nature que celui-ci : Il y avait une fois un rat et un chat...BDELYCLEON.O sot et ignorant ,disait Thogne un vidangeur, qui il faisait le mme reproche que je pourrais t'adresser. Prtends-tu donc entretenir de rats et de chats desgens raisonnables ?PHILOCLEON.De quoi faut-il donc que je parle ?BDELYCLEON.De choses importantes. Par exemple, comment tu t'es acquitt de ta thorie avec Clisthne et Androcls.PHILOCLEON.Mais je n'ai t envoy nulle part, si ce n'est Paros, et je reus pour cela deux oboles.BDELYCLEON.Raconte-nous donc au moins comment Ephudion se battit glorieusement au pancrace contre Ascondas. Quoique cet Ephudion ft g et blanchi par les annes, il avait nanmoins des reins, des poignets, une rate et unecuirasse excellente.PHILOCLEON.Arrte, arrte : tu ne sais ce que tu dis. Comment sefait-il qu'il et une cuirasse pour le pancrace ? BDELYCLEON.Voil les propos ordinaires de nos sages. Maisparlons d'autres choses. Si tu te trouvais boire avec des trangers, quel est, parmi les plus beaux faits de ta jeunesse, celui dont tu aimerais les entretenir.PHILOCLEON.Le plus beau, oui, le plus beau de mes exploits, est sans contredit d'avoir drob les chalas d'Ergasion.BDELYCLEON.Tu m'assommes. Quels chalas? Pourquoi ne parles-tu pas plutt de ton adresse poursuivre un sanglier ou un livre, ou conserver ta torche allume, ou de toute autre action digne de la verte jeunesse.PHILOCLEON.J 'ai certainement une action des plus brillantes devant moi : tant encore tout jeune, je l'ai emport de deux suffrages sur le coureur Phayllos, qui m'avait injuri.BDELYCLEON.Assez; monte plutt sur ce lit pour apprendre le maintien qu'il faut avoir dans les festins et dans la socit.PHILOCLEON.Comment me tiendrai-je donc ? Allons vite.BDELYCLEON.Modestement et honntement.PHILOCLEONEst-ce bon comme cela?BDELYCLEON.Point du tout. PHILOCLEONComment donc ?BDELYCLEON.Etends les jambes et laisse aller tous tes membres sur ton lit avec cette flexibilit qui convient un matre en gymnastique; ensuite, fais l'loge des vases d'airain, regarde ces toits, admire les tapisseries de la matresse dela maison... Qu'on apporte de l'eau pour les mains; entrons dans l'appartement du festin aprs nous tre purifis. Mangeons et faisons les libations.PHILOCLEON.H ! de par tous les dieux, vit-on ici de songes?BDELYCLEON.La musicienne s'est dj fait entendre. Les convives sont Thoros, Eschine, Phanos, Clon, Acestor et je ne sais quel tranger de la trempe de ce dernier. Tu feras nombre avec eux; occupe-toi donc de les rgaler de charmants airs.PHILOCLON.En vrit, je m'en acquitterai mieux qu'aucun montagnard.BDELYCLEON.Allons, j'essayerai; suppose que je sois Clon. J e vais entonner un Harmodios, tu reprendras aprs moi. Il n'y eut jamais aucun Athnien...PHILOCLEON.Non, certes, de fripon plus adroit.BDELYCLEON.Sont-ce l tes chansons ? Tu n'y tiendras pas. Il criera de toutes ses forces qu'il te perdra, qu'il te fera prir et qu'il t'expulsera de ce pays.PHILOCLEON.S'il se fche, je lui chanterai ceci : Hol, mon ami ! es-tu dispos, n'coutant que ta fureur et ton pouvoir, bouleverser cette ville ! Dj elle est assez branle et ne penche que trop vers sa perte.BDELYCLEON.Quoi? Mais si le flatteur Thoros, assis tes pieds, chante, en tenant la main de Clon : Ami, instruit de l'histoire d'Admte, aime les braves gens, par quelle chanson lui riposteras-tu ?PHILOCLEON.J e lui rpliquerai en mesure : Il ne nous est pas possible de jouter ensemble, ni d'tre amis.BDELYCLEON.Eschine, fils de Sellos, garon sage et bon musicien, chantera celle-ci son tour : Du bien et de la sant pour ma Clitagora et pour moi, avec le secours des Thessaliens.PHILOCCLON.Nous avons en effet bien dissip de l'argent l'un et l'autre.BDELYCLEON.Tu dois tre fort au courant de cela. Mais il est temps d'aller chez Philoctmon pour souper. Esclave, esclave, prpare ce qu'il nous faut dans une corbeille, afin que nous puissions nous enivrer aujourd'hui.PHILOCLEON.Point du tout. Il est dangereux de boire : il en rsulte des effractions de portes, des coups de btons et de pierres, et puis, quand on a cuv son vin, il faut mettre tout son avoir pour payer sa sottise.BDELYCLEON.Ce n'est pas ainsi que cela se passe chez les gens honorables. Eux-mmes s'empressent de vous excuser auprs de l'offens, ou bien on lui raconte quelqu'une des facties qu'on aura dbites pendant le festin, quelque fable sopienne ou sybaritique. On tche de faire rire le battu et de s'en tirer sans plus de frais.PHILOCLEON.Il est donc essentiel que je te meuble la tte de nombre d'historiettes, puisque c'est le moyen d'viter toute amende en cas d'incartades. Allons, partons : que rien ne nous retienne davantage.LE CHOEUR.PREMIER DEMI-CHOEUR.J e peux me vanter d'avoir montr du savoir-vivre; jamais je n'ai fait preuve de sottise ou d'ignorance, comme Amynias, ce fils de Sellos, issu de Grobylos. J e l'ai vu autrefois s'asseoir, pour une pomme et une grenade, la table de Logoras, car cet Amynias n'est pas moins affam qu'Antiphon. Il a t dput auprs des Pharsaliens; mais l, seul, il n'avait de communication qu'avec les plus indigents, et lui-mme n'tait pas moins dans l'indigence que tout autre manoeuvre de ce pays.DEUXIME DEMI-CHOEUR.O fortun Automne, que nous te trouvons heureux ! Tu as pour enfants les artistes les plus habiles. Le premier est plein d'agrment, d'amabilit, de finesse et excelle sur la flte; le second est un bouffon, qui pousse son art au-del de ce qu'on peut dire. Quant Ariphrads, c'est un gnie bien plus surprenant. Son pre a toujours dit de lui qu'il n'avait jamais eu besoin de matre, mais qu'il s'tait form seul en frquentant les mauvais lieux.PREMIER DEMI-CHOEUR.Il y en a qui prtendent que je me suis rapproch de Clon. Tandis qu'il me tracassait et qu'il m'accablait d'injures et de coups, les spectateurs loigns se moquaient de mes criset attendaient l, moins par piti que par curiosit, pour s'assurer si, pouss bout, je lcherais quelque trait mordant. Quand j'ai vu cela, j'ai fait le doucereux, et voil que l'chalas manque la vigne.XANTHIAS, LE CHOEUR.XANTHIAS.O tortues, que votre enveloppe vous rend heureuses ! Vous tes trois fois plus heureuses que moi avec ma peau. Cette caille, qui empche que vous ne sentiez les coups, est place propos et prudemment sur votre dos. Pour le mien, ds qu'on le btonne, jesuis mort.LECHOEUR.H, qu'y a-t-il, morveux? Car c'est le nom d'un homme, quelque vieux qu'il soit, quand il s'est laiss battre.XANTHIAS.Est-ce que ce vieillard n'est pas pire que la peste et le plus ivrogne de tous les convives? Et quoiqu'il soit au milieu des Hippyle, des Antiphon, des Lychon, des Lysistrate, des Thophraste et des Phrynique, il est de beaucoup le plus insolent de tous. Quand une fois il a t gorg de bons morceaux, il s'est mis sauter, gambader, pter, regimber comme un ne rgal d'orge, et me rosser en criant : Esclave, esclave. Lysistrate, en voyant cela, a voulu le faire rougir par cette comparaison : O vieillard, tu ressembles un gueux enrichi ou un ne qui court l'curie. -Pour toi, s'est-il cri, tu ressembles une sauterelle surprise par le froid et Stnlos dpouill de sa garde-robe. Tous aussitt de l'applaudir, hormis le seul Thophraste, qui, en homme capable et du bel air, se mordait les lvres; cela lui a valu cette apostrophe de la part de notre vieillard : Dis-moi, pourquoi faire tant le quelqu'un, pourquoi vouloir affecter des tons agrables et gentils, toi, qui es continuellement caresser les riches en vrai bouffon? Voil les impertinences qu'il disait chacun; il plaisantait grossirement, puis dbitait les propos les plus saugrenus. Quand il a t bien enivr, il est revenu et a frapp tout ce qui s'est prsent devant lui. H, h, h ! le voici qui arrive en chancelant; je me retire, avant qu'il me rgale encore de coups.CHEREPHON, BDELYCLEON, LE CHOEUR, PHILOCI.ON en jeune homme, ivre, arm detorches, et suivi d'une J OUEUSE DE FLUTE.PHILOCLEON.Retirez-vous loin d'ici. Quelqu'un de ceux qui me suivent s'en repentira. Eh donc ! si vous ne vous retirez, je vous grillerai avec cette torche.BDELYCLEON.J e t'assure que, quoique tu fasses le jeune impertinent, demain tu nous paieras cher tous ta sottise. Nous comptons bien nous runir pour te citer en justice.PHILOCLEON.Ah ! ah ! ils me citeront. Ce n'est plus de mode. Ignorez-vous que le nom mme de procs me fatigue l'oreille? Ouf, ouf. Voulez-vous me plaire? A bas les urnes; bas les juges ! Loin d'ici ! (A la joueuse de flte.) Monte ici, mon cher hanneton, l'aide de cette corde dans ta main. Tiens ferme, mais avec prcaution, car la corde est use. Cependant elle peut encore servir. Vois comme j'ai sute tirer adroitement des mains des convives, dont tu allais devenir le jouet; tu devrais bien m'en tmoigner ta reconnaissance. Mais tu ne le feras pas, tu n'y essayeras pas, je le sais. Tu te moqueras de moi et tu me riras au nez, car tu en as fait autant bien d'autres. Si cependant tu te prtais de bonne grce, je te retirerais, aussitt que j'aurais perdu mon fils, de ta maison de prostitution, et je te prendrais avec moi, .mon petit mignon. Car prsent je ne suis pas le matre de mes propres biens : je ne suis qu'un jeune homme, et fort observ. Mon fils ne me perd pas de vue. Il est grogneur, minutieux, avareet colre : il craint de me perdre, parce qu'il n'a pas d'autre pre que moi. Mais tiens, ne le vois-tu pas accourir en grande hte de notre ct ? Allons vite, fais bonne contenance avec ces torches; je lui ferai un de ces tours d'espigle dont il me tourmentait avant que je fusse initi.BDELYCLEON.Quoi, toi ! Toi ! Vieux libertin, il te faut une si belle bire. Ah, j'en jure par Apollon, il t'en cuira pour celle-ci.PHILOCLEON.Tu voudrais bien te rgaler d'un procs la vinaigrette.BDELYCLEON.N'est-ce pas affreux de se moquer ainsi du monde et de priver des convives de leur joueuse de flte ?PHILOCLEON.Quelle joueuse de flte? Pourquoi donc extravagues-tu comme un chapp de cercueil?BDELYCLEON.Il s'agit, je pense, de cette Dardanienne que tu asl prs de toi.PHILOCLEON.Non, c'est une torche que j'ai allume pour les dieux dans le march.BDELYCLEON.Elle ! une torche ?PHILOCLEON.Oui, une torche. Tu ne vois pas qu'elle est de diffrentes couleurs ?BDELYCLEON.Qu'est-ce que j'aperois de noir dans le milieu?PHILOCLEON.C'est la poix que la chaleur fait couler.BDELYCLEON.Que vois-je donc l par derrire?PHILOCLEON.Cest l'autre bout de la torche.BDELYCLEON.Que dis-tu ? Quel bout ? Ne descendras-tu pas de l ?PHILOCLEON.Ha, ha! Que prtends-tu donc faire?BDELYCLEON.Enlever cette torche. Tu n'es plus qu'un vieux vilain et un incapable...PHILOCLEON.Ecoute un instant. J e me rappelle avoir vu aux jeux olympiques le vieux Ephudion se battre fort bien avec Asconda, et le plus g renversa le plus jeune d'un coup de poing. Prends garde, d'aprs cela, que je ne te donne sur la mchoire.BDELYCLEON.Oh ! tu n'as pas bien vu cela.IA J OUEUSE DE FLUTE, au jeune homme. Au nom des dieux, prends mon parti : c'est ce bonhomme qui m'a perdue. Il me pourchassait avec cette torche et m'a renvers des pains pour dix oboles et d'autres choses pour quatre.BDELYCLEON.Vois-tu ce que tu as fait l de nouveau ? Voil beaucoup de procs que te suscite ton ivrognerie.PHILOCLEON.Ce n'est rien. Depetits contes pour rire arrangeront cela. J e sais que je viendrai bout de l'amadouer.LA J OUEUSE DE FLUTE.J 'en jure par les desses, aprs le tort que tu as fait ma marchandise, tu ne te joueras pas impunmentde Myrtie, fille d'Amylion et de Sostrate.PHILOCLEON.coule, femme. J e vais te raconter une charmante historiette.LA J OUEUSE DE FLUTE.J e n'en ai que faire, matre sot.PHILOCLEON.Un soir, Esope, revenant de souper, fut assailli d'injures par une femme impertinente et pleine de vin. Il lui rpliqua : O femme, femme, tu ferais bien mieux, mon avis, si tu changeais cette langue pestifre pour un morceau de pain.LA J OUEUSE DE FLUTE.Tu me plaisantes? Eh bien, qui que tu sois, je t'accuse au tribunal des agoranomes du tort fait mes marchandises. Chrphon me servira de tmoin.PHILOCLEON.Eh, pourquoi plutt ne pas couter quand je veux te parler ? Lasos et Simonide faisaient un jour assaut de talents; Lasos se mit aussitt dire : Cela ne me fait rien.LA J OUEUSE DE FLUTE.En vrit, c'est comme cela?PHILOCLEON.Et toi, Chrphon, comment peux-tu servir de tmoin une femme aussi dfaite qu'Ino colle aux pieds d'Euripide,BDELYCLEON.Au reste, voici un autre dnonciateur qui m'a l'air de venir te citer. Il est suivi d'un tmoin.LES MEMES, UN DNONCIATEUR, UN TMOIN.LE DENONCIATEUR.(Sans apercevoir Philoclon.) Oh, que je suis malheureux !..... (Il aperoit Philoclon,) O vieillard, je demande justice de tes injures.BDELYCLEON.De ses injures? Au nom des dieux, je ten conjure, ne le cite pas. Je te ferai telle rparation qu'il te plaira, et t'en aurai encore obligation.PHILOCLEON.Bah, bah, je vais raccommoder cela sans peine. J e conviens de l'avoir battu, de lui avoir jetdes pierres... Mais approche ici d'abord. Veux-tu que je dtermine moi-mme la somme que j'aurai te payer, au prorata des torts que je jugerai t'avoir t faits, afin qu'il n'y ait plus d'inimiti entre nous, ou ne t'en rapporteras-tu qu' toi seul?LE DNONCIATEUR.Fais, fais. J e hais les procs et n'aime que le repos.PHILOCLEON.Un Sybarite s'tait laiss choir de dessus un char et s'tait grivement bless la tte; il n'tait pas trs expriment dans l'art de mener des chevaux. Un de ses amis se rencontrant l, lui dit : Il faut que chacun fasse son mtier. Maintenant va te faire gurir chez Pittalos.BDELYCLEON.Tu es toujours le mme.LE DENONCIATEURau tmoin, part. Toi, au moins, souviens-toi de sarponse.PHILOCLEON.coute : ne t'loigne pas. Une femme avait un jour cass, Sybaris, le vase des suffrages...LE DENONCIATEURau tmoin, part. J e te prends tmoin de cette nouvelle extravagance.PHILOCLON.Ce vase, second d'un tmoin, cita ma Sybarite en justice; celle-ci rpliqua : Oui, par Proserpine, tu eusses bien mieux fait, si, laissant l toute chicane, tu eusses achet des ligatures.LE DENONCIATEUR.Ris, ris, en attendant que l'archonte appelle l'affaire.BDELYCLEON PHILOCLEON.Oh, j'en jure par Dmter, je ne souffrirai pas que tu restes ici davantage. J e vais t'emporter.PHILOCLEON.Que fais-tu l ?BDELYCLEON.Que fais-je? J e veux te tirer d'ici. Autrement tous ceux qui sont disposs t'accuser ne manqueront pas de tmoins.PHILOCLEON.Esope un jour tant Delphes...BDELYCLEON.Cela ne me fait rien.PHILOCLEON....Fut accus d'avoir vol la fiole d'Apollon. Lefabuliste raconta aussitt comment une fois l'escarbotBDELYCLEON.Bast ! Tu m'assommes avec ton conte. (Il l'emporte.)LE CHOEUR seul.Nous te flicitons, vieillard ! Comme il a chang son genre de vie, dur et maussade ! Il a got des principes nouveaux et ne va plus respirer que pour le plaisir et la tranquillit. Peut-tre, au reste, s'y refusera-t-il, car il est difficile de dpouiller le vieil homme, quoiqu'on en ait vu plusieurs changer leurs habitudes, d'aprs les conseils des autres. Chacun de nous et tout homme sage lvera Bdlyclon aux nues, raison des soins qu'il prodigue avec tant de prudence son pre. Nous n'en avons jamais rencontr de plus poli, dont nous ayons eu plus sujet de goter les manires, et qui nous ait fait autant de plaisir. Chaque fois qu'il rpondait son pre, n'a-t-il pas eu toujours l'avantage, en voulant le ramener une vie plus digne et plus honorable ?XANTHIAS seul.Oui, j'en jure par Dionysos, il n'y a qu'un dieu qui ait pu introduire chez nous le trouble et le tapage qui y rgnent. Notre vieillard, qui a prodigieusement bu et qui est chauff par la musique, s'est livr toute sa gaiet : il a rpt toute la nuit ces danses antiques, clbres par les churs de Thespis, et il prtend dmontrer aujourd'hui, en dansant que les tragiques modernes ne sont que des sots.XANTHIAS, PHILOCLEON (IVRE), BDELYCLEON, LE CHOEUR.PHILOCLEONdclamant. Qui va l dans mon vestibule ?XANTHIAS, part. Voil le flau qui approche.PHILOCLEON.Qu'on carte cette balustrade, car voici la danse qui commence. (Il danse.)XANTHIAS, part. C'est plutt le commencement de la folie.PHILOCLEONComme mes ctes s'largissent ! Comme mes poumons poussent l'air avec violence ! et quel bruit font mes vertbres !XANTHIAS.Prends de l'ellbore.PHILOCLEON.Phrynichos tremble de peur comme un coq.XANTHIAS. Bientt tu me jetteras par terre.PHILOCLEON.On montre son derrire quand on lance ses pieds en l'air.XANTHIAS.Prends garde toi-mme.PHILOCLEON.Mes os tournent librement dans leurs jointures.BDELYCLEON.Cela certes ne dnote rien de bon. C'est l de la folie.PHILOCLEON.Voyons maintenant que je dfie ceux qui pourront se mesurer avec moi. Si quelque tragique s'imagine exceller dans la danse, qu'il approche ici pour faire assaut de danse avec moi. Y a-t-il quelqu'un ou non ?BDELYCLEON.Voici le seul.PHILOCLEON.Quel est cet infortun ?BDELYCLEON.C'est le second fils de Carcinos.PHILOCLEON.J e le ferai bien vite disparatre; il succombera sous mes coups de poing frapps en mesure, car il ne connat rien au rythme.BDELYCLEON.Mais, pauvre homme, son frre, autre tragique, Carcinite, vient aussi.PHILOCLEON.Eh bien ! j'aurai de quoi souper.BDELYCLEON.C'est vrai. Mais tu n'auras que des cancres; car voici un autre fils de Carcinos.PHILOCLEON.Qu'est-ce que je sens donc sur moi? Est-ce une crevisse ou une araigne ?BDELYCLEON.C'est encore un Carcinos, enfant pun du mme pre, et qui a fait une tragdie.PHILOCLEON.O Carcinos ! pre heureux en enfants ! Quelle niche de roitelets tu as l ! Mais enfin, il me faut, pauvre malheureux, jouter avec eux. Qu'on prparede la saumure, si je sors vainqueur.LE CHOEUR.Allons, permettons-leur de se mouvoir librement en notre prsence, comme autant de sabots vivement agits.Courage, clbres enfants de la mer, frres des squilles, sautez sur le sable et sur le rivage strile de la mer. Agitez vivement vos pieds en rond, et que quelqu'un lance les siens en l'air, comme Phrynichos, afin que chacun des spectateurs, vous voyant faire de pareils sauts, soit dans l'admiration.Remue-toi, Philoclon, forme des cercles, frappe-toi l'estomac, jette tes jambes en l'air, fais la roue. En effet, voici le pre de tes adversaires, ce matre de la mer, qui se glisse ici, tout radieux de la joie que lui causent ses trois fils, les danseurs. Mais si tu prends got ces jeux, conduis-nous au plus vite dehors; voil bien la premire fois que l'on voit une comdie finir par un Choeur de danse,FIN