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ISSN 1269–472X 81 e ANNÉE - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 - N°6 - ORGANE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE ANDRÉ-MAGINOT Ardennes, 15 mai 1940... Ardennes, 15 mai 1940... Les SPAHIS de la HORGNE Les SPAHIS de la HORGNE

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    81e ANNÉE - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 - N°6 - ORGANE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE ANDRÉ-MAGINOT

    Ardennes, 15 mai 1940...Ardennes, 15 mai 1940...Les SPAHIS de la HORGNELes SPAHIS de la HORGNE

  • Approfondir l’Histoirepour préciser la MémoireArdennes, 15 mai 1940…Le fait d’armes des Spahis de La Horgne

    Le mythe de La Horgne

    Regardez bien cet homme barbuau pas décidé (a)… Il n’est pasabattu, il n’a pas l’attitude d’unvaincu, il toise même le photo-graphe d’un air mauvais. On lit autravers de ce regard de la colèreet de la fierté. Cet homme portedes galons de maréchal des logis-chef et son camarade, tout aussidécidé que lui, porte le doublegalon de laine d’un maoun (briga-dier) marocain (b). Ces deux com-battants marocains sont des Spa-his originaires de Marrakech… Ilsont été capturés par la 1re Panzer-

    Division, le 15 mai 1940, au termed’un combat qui a eu pour cadrele petit village ardennais de LaHorgne.Ce cliché aurait pu ressembler àdes milliers d’autres clichés prispar les Allemands en ces jourssombres de mai 1940 dans le sec-teur de Sedan. Il aurait pu n’inté-resser personne car il n’étaitmême pas renseigné ; mais voilà,ce cliché a constitué un choc, il ya quelques semaines, pourl’épouse, la fille unique et le petitfils de ce maréchal des logis-chefdu 2e Régiment de Spahis Maro-cains de Marrakech. Kabbour ben

    Aomar Zemrani (c) a été identifiésur un cliché de groupe datant del’immédiat avant-guerre (d), puisde fil en aiguille, sur le cliché ci-dessus, acquis auprès d’un mar-chand allemand.Pourquoi le sort de cet hommeconstituerait-il un cas particulier ?En cet été 1940, la France a subi leplus grand désastre militaire deson histoire et rien ne devait plusressembler à un prisonnier qu’unautre prisonnier. Et pourtant non,car cet homme et son compagnonsont considérés comme les raressurvivants d’un effroyable mas-sacre… Alors que les Allemands

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  • percent les lignes françaises à la« charnière » de Sedan et créentune « brèche » que tente vaine-ment de colmater le commande-ment français, toutes les unitésdisponibles sont jetées dans labataille. La 3e Brigade de Spahisdu colonel Marc en fait partie etreçoit pour mission de tenir fermele petit village ardennais de LaHorgne pendant la journée du 15mai. Il faut arrêter temporaire-ment le flux des blindés alle-mands pour permettre l’engage-ment des réserves. A en croire leschroniqueurs de l’époque, puisles autorités de la période d’occu-pation, la 3e Brigade de Spahis àcheval aurait été totalementanéantie, le 15 mai 1940, par la 1rePanzer-Division, l’une des troisdivisions blindées aux ordres dufameux général allemand Gude-rian. Le mythe de La Horgne étaitné.

    La Baraka des Spahis,mythe ou réalité ?

    Il y a aujourd’hui 70 ans, la 3e Bri-gade de Spahis (à cheval), com-posée du 2e Régiment de SpahisAlgériens et du 2e Régiment deSpahis Marocains, s’illustrait encombat à pied face à des élé-ments de la 1re Panzer-Division, lameilleure division blindée alle-mande du moment. Retranchée

    dans le petit village ardennais deLa Horgne, la 3e Brigade de Spa-his du colonel Marc allait tenirtête, huit heures durant, aubataillon de Fusiliers motorisésdu Major Richter. Le courage desSpahis n’aurait sans doute passuffi pour arrêter aussi longtempsun tel adversaire. Mais au com-bat, le simple rapport des forcesne fait pas tout, il faut égalementavoir de la chance, avoir la « Bara-ka » diraient les Spahis.

    En ce 15 mai 1940 au matin,Guderian veut appliquer le « Coupde faucille » du plan Manstein quiva permettre d’encercler le cœurdu corps de bataille franco-britan-nique engagé en Belgique. Simul-tanément, il veut se couvrir face àune possible contre-attaque fran-çaise dans le secteur de Stonne.Fin tacticien, Guderian consacre àcette couverture une division blin-dée entière (la 10e Panzer-Divi-sion) et la renforce même avecdes unités prélevées temporaire-ment dans ses deux autres divi-sions (la 1re et la 2e Panzer-Divi-sion). Au moment où la 1rePanzer-Division doit reprendre saprogression vers l’ouest, le 15 maiau matin, son bataillon de recon-naissance est toujours détaché àla 10e Panzer-Division. Son artille-rie et ses chars sont encore enposition face au sud, prêts à bri-ser une éventuelle contre-attaque

    française, et les ravitaillements encarburant et en munitions sont encours. Voilà pourquoi, de 10heures à 14 heures le 15 mai1940, la 3e Brigade de Spahisaffronte un ennemi « à sa pointu-re » : le 3e Bataillon du Schützen-Regiment 1 de la fameuse 1re Pan-zer-Division. Ce bataillon vaengager successivement ses troiscompagnies d’infanterie portéesur semi-chenillés et ses deuxcompagnies d’appui comprenantdes obusiers d’appui d’infanterie,des canons antichars, des mor-tiers lourds et des mitrailleuseslourdes… Rien n’y fera ! Avec uncanon de 37 mm, deux canons de25 mm antichars, quelques mor-tiers légers, des mitrailleuses etdes fusils-mitrailleurs, les Spahistiendront ferme sur leurs posi-tions.

    La bascule du rapport des forcescoïncide avec l’arrivée sur zonede l’artillerie de campagne alle-mande. Encore convient-il demodérer cette affirmation entenant compte de l’imbricationdes combattants sur la face avantdu village. Ni la 3e Brigade ni le 3eBataillon allemand ne peuventvraiment manœuvrer, l’un fixantl’autre. Pour avancer, les Alle-mands ont besoin d’artillerie etde chars… justement, ces moyensarrivent. Pour continuer de résis-ter ou pour décrocher, les Spahis

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    De la gauche vers la droite : le colonel Olivier Marc (1884-1968, commandant la 3e Brigade de Spahis),le colonel Emmanuel Burnol (1882-1940, commandant le 2e RSA, tué à La Horgne)

    et le colonel Edouard Geoffroy (1890-1940, commandant le 2e RSM, tué à La Horgne).

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  • ont besoin d’artillerie… mais ilsn’en ont pas et n’en auront pas !

    L’imbrication des combattantsempêche l’artillerie allemande detraiter la face avant du village, cequi explique le bon état deconservation du secteur de l’égli-se et de la mairie-école. Parcontre, l’artillerie se déchaîne surl’arrière du village et sur leslisières boisées de la secondeligne de défense. Une trentainede chars interviennent ensuite,débordant les défenseurs et lesprenant à revers. Un escadron deSpahis tentera bien une tardivecontre-attaque à pied, mais nepourra même pas déboucher dufait de la densité du feu. Le décro-chage des Spahis s’opère alorsdans les plus mauvaises condi-tions, sans artillerie amie et sousle feu des « chars qui partoutauront le dernier mot » (colonelMarc).

    Le coup d’éclatde l’adjudant Fiévée

    Contre toute attente, alors que lafin du combat semble proche, une

    erreur tactique va coûter très cheraux assaillants. Au 2e RSA, l’adju-dant Fiévée avait judicieusementpercé le mur de la sacristie del’église pour y placer son vieuxcanon de 37 mm.

    « […] alors que je déplaçais endirection le tube de mon canonpour prendre à partie deux charsqui se présentaient dans monsecteur, j’étais blessé à la maindroite par un éclat de l’une desgrenades que nous envoyaientdes Allemands qui occupaient lespremières maisons du village àune trentaine de mètres de maposition. Le colonel [Burnol] aver-ti vint me voir : je l’assurai de lanon-gravité de ma blessure qui nem’empêcherai pas de tirer aucanon, une fois pansée. Je n’avaisplus à ce moment que deux ser-vants indigènes indemnes etquelques minutes après, l’und’eux – le chargeur – était blesséde deux balles au bras et à lacuisse. Dès cet instant, il étaitpresque impossible de rester prèsdu canon car ne réussissant pas ànous déloger à la grenade, lesrafales dirigées vers l’issue [l’em-brasure] se succédèrent. Je sen-

    tais bien la mission du 37 mms’arrêter là, lorsque le capitaineCombourieu vint me prévenir qu’ilétait regrettable que je ne puisseagir contre un groupe de chars [etde transports blindés] arrêtéscontre une barricade et qui atten-daient la fin de l’occupation duvillage pour reprendre leur pro-gression. […]

    Avec mon servant, nous réus-sîmes à mettre [la pièce] en bat-terie à la sortie de la place del’église. Quelques minutes après,malgré le feu adverse, je réussis-sais un tir rapide et surtout parsurprise, qui dura le temps de laconsommation de mes munitionset des munitions explosivesabandonnées dans un char FTarmé d’un 37 mm. Dès l’ouvertu-re du feu, le dernier char du grou-pe, mon objectif, était atteint etflambait au milieu de la route,constituant un obstacle pour lesautres unités qui n’eurent pas letemps d’agir. En ce qui concerneles trois premiers chars [blindés]atteints, les occupants surprispar le feu n’ont pu sortir, les troisautres chars [blindés] et les deuxside-cars ont été abandonnés parleurs servants qui fuyaient vers lebois se trouvant à leur gauche.Après avoir détruit les six chars[blindés] et les deux side-cars,utilisant les munitions explosivesrécupérées, j’ai arrosé les lisièresde bois où des éléments d’infan-terie devaient être groupés. […] Jemis rapidement mon canon horsservice en enlevant une clavettedu piston, puis me précipitaidans l’église. Le colonel Burnol,le capitaine du Corail et d’autresme donnèrent l’accolade, la joiede tous fut ma satisfaction […]. »Le servant qui avait exécuté ce tiravec l’adjudant Fiévée était leSpahi algérien Saïdi Attalah,matricule 8073, qui fut cité le 10juin 1943 : « Spahi remarquablepar son courage. Tireur au canonde 37, au combat de La Horgne,le 15 mai 1940, a continué aupéril de sa vie, malgré un feu vio-lent, à tirer sur des chars et desmotocyclistes. A détruit ainsi sixchars [blindés] et deux motossides. »

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    A La Horgne, les chars allemands auront le dernier mot. Ce Panzer III de 1940 estarmé d’un canon de 3,7 cm. En arrière plan, deux Spahis du 2e RSM photographiés

    pendant la Drôle de guerre.

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    La position de résistance s’articule autour de trois lignes échelonnées sur une profondeur d’environ 1200 m. Le colonel Marccompte mener l’essentiel du combat de défense ferme sur la Ligne principale (LP). La Ligne des soutiens (LS) doit permettre de

    faire face à toute tentative ennemie de débordement de la Ligne principale. Enfin, bien en retrait de ces deux lignes, la Ligned’arrêt (LA) doit permettre de battre par le feu les intervalles et constituer une réserve de contre-attaque.

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  • La fin tragiquedes deux chefs de corps

    L’ordre de décrochage a étédonné très tardivement par lesdeux chefs de corps qui sont res-tés avec les derniers défenseursjusqu’à ce que les munitions fas-sent défaut. Le colonel EdouardGeoffroy, chef de corps du 2eRSM, a été tué alors qu’il essayaitprobablement de gagner la ligned’arrêt avec les derniers défen-seurs du 2e RSA. Comme eux, il asans doute tenté la périlleuse tra-versée du glacis de la Plate Terreque les Allemands balayaient dufeu de leurs mitrailleuses. C’est làque son corps a été retrouvé etultérieurement identifié grâce, enparticulier, à son alliance gravée.Le chef de corps du 2e RSA, lecolonel Etienne Burnol, résistaitencore au niveau de l’église, unmousqueton à la main. Ne vou-lant surtout pas être capturé, le

    colonel Burnol tente alors de seforcer un passage en directiongénérale de la Crête Mouton. Ilparvient à traverser le village et às’exfiltrer avec quelques Spahis.Du côté français, les témoignagess’arrêtent là. Il semble que lecolonel Burnol et ses hommessont ensuite tombés nez à nezavec l’état-major du lieutenant-colonel Balck (commandant leSchützen-Regiment 1) faisant unpoint de situation sur le terrain.

    Le peloton de protection alle-mand aurait réagi immédiate-ment, fauchant les deux tiers dugroupe de Spahis. C’est d’ailleursl’officier adjoint du lieutenant-colonel Balck, le lieutenant Brau-ne-Krickau qui rapporte les faitsdont il a été le témoin oculaire :« L’un des tués, resté debout carsoutenu par un pommier, estidentifié par les quelques survi-vants comme étant le colonelcommandant le 2e Algériens, le

    colonel Burnol. » Dans une corres-pondance en date du 4 décembre1988, Andreas Braune-Krickauajoute : « … la mort du comman-dant du régiment de Spahis m’aparticulièrement ému quand noussommes soudain tombés sur sonétat-major. Je me suis alors souciéde lui, mais rien ne pouvait lesecourir, il avait du être tué sur lecoup. […] »

    L’interminabletraverséede la Plate Terre

    Ayant épuisé leurs munitionsmais toujours aptes à combattre,les derniers défenseurs du villagede La Horgne se décident àrompre le combat et à gagner laligne d’arrêt à 800 mètres enarrière de leur position. Cettemanœuvre est l’une des plus déli-cates à réaliser en temps normal,

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    Cette aquarelle évoque l’action décisive de l’Escadron de Mitrailleuses et Engins (EME) du 2e Régiment de Spahis Algériensà La Horgne (aquarelle de l’auteur, 40 x 30 cm).

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  • c’est à dire quand cette rupturebrutale du contact s’effectue avecun appui massif de l’artillerie ouun appui aérien… Dans le cas descombattants de La Horgne, aucunappui d’aucune sorte n’est àattendre et le décrochage sous le

    feu direct de l’ennemi est unevéritable gageure. Alors que lespositions défensives retranchéesont permis aux spahis de limiterun tant soit peu les pertes, laphase de décrochage va occa-sionner en un laps de temps très

    court des pertes équivalentes auxheures passées depuis le matin àdéfendre la position de LaHorgne. En effet, pour gagner lacrête boisée sur laquelle le 2eRSM occupait la ligne d’arrêt dudispositif de la 3e BS, il faut fran-

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  • chir un véritable « billard » : laPlate Terre. Les blindés allemandsayant déjà débordé le village parles deux côtés au moment dudécrochage, les spahis doiventtraverser la Plate Terre sous le feudirect des chars dont lesmitrailleuses balaient impuné-ment la zone depuis que les deuxcanons de 25 mm antichars du 2eRSM ont été neutralisés. En 1971,l’ex brigadier-chef Joseph Peltierdu 2e RSA, a relaté avec beaucoupde précision son interminable tra-versée de la Plate Terre :

    « Les munitions manquent, on tireau mousqueton, on lance les der-nières grenades. Il doit être 5heures du soir, lorsque le capitai-ne de Tillières [commandant l’EHRdu 2e RSA] surgit près de nous :« baïonnette au canon, lesenfants, il faut se dégager ! »… […]Il faut courir le plus vite possibleet le plus longtemps possible.Nous traversons le cimetièrecomme des fous et montons lacolline qui précède le bois. […] Leschars ont pris maintenant le relaisdes mitraillettes et leurs tourelles

    crachent à une vitesse folle. Uneballe fracasse mon mousquetonet m’érafle la main, une autrearrache la boucle de mon hou-seau, puis je reçois comme unénorme coup de gourdin à la che-ville et m’écroule. […] Les ballesse fichent dans la terre autour demoi et je parviens à ramper jus-qu’au bois. Enfin le feu cesse,c’est soudain le silence et la soli-tude. Le temps semble suspenduet je crois m’éveiller après un cau-chemar. J’ai dû m’endormird’épuisement car je suis brutale-ment réveillé par des claque-ments de mitraillette et vois,comme en rêve, des Allemandsqui nettoient le bois. Je fais lemort. Ils ne me voient pas. Jem’endors à nouveau et l’aube mesurprend, grelottant de fièvre. Macheville fracassée me fait terrible-ment mal. Le sang s’est coaguléet forme une croûte noire sur monbrodequin.

    Je place avec précaution majambe gauche sur ma jambe droi-te et rampe sur le coté vers unemare que j’ai vue la veille en grim-

    pant la colline. J’arrache au pas-sage des touffes d’herbe et boisla rosée fraîche. J’ai dû mettretrès longtemps pour atteindremon but, rencontrant sur monchemin des cadavres de spahisque les hautes herbes me dissi-mulent. Je les contourne lente-ment, à les frôler, ne pouvantdétacher mon regard de cesvisages cireux, de ces yeux ternisfixant le soleil.

    Je bois enfin de cette eau croupiequi me parait si bonne et, à boutde force, laisse retomber ma têtesur le sol. […] des voix au timbreheurté me tirent de ma torpeur. Jedois rêver ! Non, il y a là sept ouhuit Allemands en uniforme noirdes Panzer qui retournent nosmorts et font entre eux des com-mentaires que je ne peuxentendre. J’ai dû appeler car ilssursautent et viennent dans madirection, surpris et méfiants, l’ar-me braquée. […] Ils me transpor-tent vers une voiture tout terrainet je vois avec terreur mon piedqui pend au bout de ma jambecomme prêt à s’en détacher […] ».

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    Jeune sous-officier de Panzer, Fritz Oswal Goritzka avait rejoint la 1re Panzer-Division en novembre 1935 et participé à la campagnede Pologne. Il est tué le 15 mai 1940 au village de La Horgne. Il venait d’avoir 26 ans (courtoisie Rob Johnson, USA).

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  • Novembre-Décembre 2010 – La Charte 15

    Des recherches minutieuses, effectuées dans les archives françaises et allemandes, ont permis de préciser la nature,le volume et l’attitude des forces en présence à La Horgne, le 15 mai 1940.

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  • La Mémoire, grandegagnante de l’étudede la réalité des faits

    Le combat de La Horgne constitueun beau fait d’armes… pour lesdeux belligérants. En effet, au soirdu 15 mai 1940, défenseurs etattaquants pouvaient légitime-ment annoncer « mission accom-plie ». Les premiers avaient réussile tour de force de tenir la posi-tion de La Horgne jusqu’en find’après-midi. Les seconds avaientréussi à faire sauter le verrou deLa Horgne.Le 15 mai 1940, la 3e Brigade deSpahis a perdu 50 tués dans lesecteur de La Horgne et sansdoute deux à trois fois plus deblessés. Après leur avoir rendules honneurs de la guerre, lesAllemands ont capturé 86 prison-

    niers dont un bon nombre étaientblessés. Les deux chefs de corpsdes Spahis ont été tués au com-bat. L’adversaire a perdu 31 tuéset 102 blessés, et une dizaine deses engins blindés ont été neutra-lisés. La 3e Brigade de Spahisréussira à s’exfiltrer et se regrou-pera près de Reims. Engagéedurement sur l’Aisne, les 9 et 10juin 1940, elle ne déposera lesarmes que le 23 juin, sur ordre, etaprès s’être battue jusqu’au boutde ses forces et de ses munitions.Entre le 10 mai et le 23 juin 1940,la 3e Brigade de Spahis auraperdu 148 tués : 12 officiers, 15sous-officiers et 121 gradés etSpahis.

    Dans une démocratie comme lanôtre, la notion bien comprise deliberté doit permettre à toutescelles et ceux qui le désirent, de

    chercher à faire la part deschoses entre mythe et réalité. Lamise à plat de la réalité des faitsnous rapproche encore plus deces combattants oubliés du 15mai 1940. Ainsi précisée et débar-rassée de sa gangue de légende,l’Histoire des Spahis de LaHorgne vient nourrir utilement laMémoire. Certes, il faudra encoredu temps pour que la réalité histo-rique vienne se substituer auximages d’Epinal qui hantent notreinconscient collectif. C’est sansdoute là tout l’intérêt d’une actionmémorielle bien conduite, à la foisnécessité et privilège d’une démo-cratie mature, capable de se pen-cher sur son vrai passé et de l’as-sumer. ■

    Thierry MONÉ[email protected]

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    Cette aquarelle évoque les Spahis du 2e Marocains à La Horgne. Elle est ici en cours de réalisation ; on se reportera à la premièrede couverture de la présente revue pour voir le Spahi garde-chevaux mis en couleurs (aquarelle de l’auteur, 40 x 30 cm).

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  • Novembre-Décembre 2010 – La Charte 17

    Présents en 2010 à La Horgne, au premier rang, trois vétérans du 15 mai 1940 (d. à g.) : Pierre Gravelle (2e RSM), Jean Proponet(2e RSA) et François Bro. N’ayant pu se déplacer mais présents par la pensée, Henri Prévost (2e RSA) et Raymond Dumet (2e RSM).

    Ci-contre, symbole de l’amitié franco-allemande,un dépôt de gerbe effectué par le lieutenant-colonelLudwig Jens (attaché militaire adjoint à l’ambassaded’Allemagne à Paris) et le chef de corps actueldu 1er Régiment de Spahis, le colonel Arnaud Dupuyde la Grand’rive. Des soldats allemandsde la 1re Panzerdivision furent inhumés initialementsur le lieu des combats du 15 mai 1940.Ils reposent aujourd’hui au cimetière militairede Noyers-Pont-Maugis, au sud de Sedan.©

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    En mai 2010, les jeunes Spahis du 1er Régiment de Spahis de Valence (Drôme) rendent hommage à leurs aînés tombés au feu.Le carré militaire de La Horgne regroupe 41 tombes. Unis au combat, les Spahis de la 3e Brigade le sont demeurés dans la mort et

    reposent côte à côte sans aucune préséance de grade, d’origine ou de religion. Parmi eux, les deux chefs de corps, les colonelsBurnol et Geoffroy. En arrière plan, on aperçoit une partie de la Plate Terre, de sinistre mémoire.

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