Architecture Traditionnelle Libanaise - CORPUS · Au XIXe siècle, nommée capitale de province...

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Le territoire et l’habitat

Des vestiges archéologiques et des monumentshistoriques parsèment le territoire du Liban. Ils sont d’unevaleur exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l‘art etde la science, témoignant des civilisations qui se sontsuccédées sur son sol depuis l’Âge du Bronze, du temps desCananéens, jusqu’à l’aube du XXe siècle, sous les Ottomans.L’habitat traditionnel, sans être spectaculaire, est une autreexpression de la culture. Utilisé en l’état ou réadapté, il esttoujours fonctionnel et a valeur d’usage, jouant un rôle vivantdans les cadres urbains et ruraux contemporains.

Il est aussi porteur de témoignages sur les pratiquessociales comme sur les savoir-faire anciens, et sert de sourced’inspiration à la formation des professions et des artisanatset à l’invention de nouvelles formes spatiales.

Aborder ce patrimoine vivant, c’est trouver un équilibreentre le désir de le protéger et sa nécessaire transformationau rythme du temps qui passe. Le pari est de maintenir lespratiques sociales et de conforter sa valeur d’usage, tout enl’intégrant aux schémas d’aménagement.

Le Liban conserve un parc important de demeurespatrimoniales, allant des plus classiques aux plus vernaculaires etdes plus somptueuses aux plus modestes. Si certaines remontentau XVIIe siècle, d’autres, les plus nombreuses, datent du XIXe.Elles témoignent toutes du mode et du rythme de vie deshommes qui ont vécu sur son sol, tant dans les villes du littoralque dans le Mont Liban et dans la plaine intérieure de la Békaa.

Le relief et le climat

Le territoire libanais s'étend sur quelque 120 km le long dela côte orientale de la Méditerranée. Il est formé de deuxchaînes de montagnes parallèles, le Mont Liban et l’Anti Libanséparés par la plaine de la Békaa, et d'une plaine littorale trèspeu large, sauf dans le Akkar, au nord du pays. Le pointculminant dépasse 3.000 m dans le Mont Liban, tandis que la

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Régions géographiques du Liban

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at Békaa culmine à 1.000 m. Ce territoire a connu desétablissements humains successifs depuis le Paléolithique.

Le Liban bénéficie partout d'un climat méditerranéen,avec des variantes plus froides et humides en montagne àpartir de 1.000 m, et steppiques dans la partie nord de laBékaa. Sa végétation naturelle est donc typiquementméditerranéenne, constituée principalement de pins, decèdres et de chênes kermès. On y cultive l’olivier,l’amandier, le figuier, le pommier, le caroubier, le mûrier ettoutes sortes d’agrumes.

Le pays est majoritairement constitué de séries calcaires,marno-calcaires ou marneuses. Quelques épandages debasalte couvrent le Akkar. Du grès dunaire complète cettevariété géologique.

La population

Une diversité humaine caractérise ce pays qui a vécu,depuis l’Antiquité, au sein des grands Empires qui ontgouverné le bassin oriental de la Méditerranée. Ses villes,par définition cosmopolites, jalonnaient les routescommerciales et militaires qui reliaient l’Asie à l’Europe età l’Afrique. Elles ont vu se succéder toutes les puissancesen mouvement, peuples vainqueurs et vaincus (Égyptiens,Assyriens, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Latins,Mamelouks et Ottomans), armées, caravaniers, pèlerins,négociants et artisans en tout genre et de religions et decultures différentes.

Des groupes ethniques variés ont donc habité le pays, etl'habitent aujourd'hui encore. Certains sont d'origine arabeou ont été arabisés par le poids de l'histoire. D'autres sontd'intégration récente et gardent toujours les traits spécifiquesde leur provenance : Kurdes, Arméniens, Grecs, Maltais,Italiens, Français, Russes, etc. Mouvements, brassages etéchanges caractérisent donc l’identité de la population duLiban, qui compte aujourd'hui plus de 3 millions d'habitants.Mais ce pays d’accueil est aussi un pays d’émigration et sadiaspora se compte aujourd’hui en millions.

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Sud Liban

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atLe patrimoine architectural témoigne de ces courantsvariés qui se sont croisés sur ce qui constitue aujourd'hui leterritoire libanais. Il participe d'un syncrétisme d'influencesartistiques et culturelles diverses, tant orientales que d'outre-Méditerranée, image des cultures urbaines du XIXe siècle quiont éclos dans les grandes villes côtières de la Méditerranéeorientale : Thessalonique, Istanbul, Izmir, Alexandrie...

La formation du territoire

Pour comprendre la formation historique du territoirenational, la logique de son peuplement et la physionomieactuelle de ses établissements humains, il faut remonter àl'aube du XVIIIe siècle. À cette date, l'Empire ottoman s’ouvreau capitalisme européen, entraînant le transfert des fluxmarchands majeurs organisés autour des villes intérieuresd’Alep et de Damas vers la côte méditerranéenne. Cettelittoralisation entraîne la croissance démographique et ledéveloppement économique des vieilles Échelles du Levant,Tripoli, Saïda et Akkar en l'occurrence. Ces villes portuairesdeviennent d’importants centres d'échanges, des relais descapitalescontinentales pour le commerce transméditerranéen.

Au XIXe siècle, nommée capitale de province ottomane,Beyrouth s'empare à son tour de ce rôle. Troisième siteportuaire de la Méditerranée orientale après Alexandrie etIzmir, elle s’ouvre au monde de la Méditerranée et devient leport et la porte de Jérusalem et surtout de Damas aveclaquelle elle est maintenant reliée par une route carrossable.

Une restructuration des pouvoirs s'ensuit, de même qu'unautre maillage administratif du territoire. Une hiérarchieurbaine différente de l'ancienne prend place, organiséeautour de cette métropole émergente. Carrefour demarchandises et de capitaux, mais aussi de personnes etd’idées, Beyrouth se transforme encore en un centre culturelà rayonnement régional, un des principaux foyers de laNahda, la Renaissance arabe. Il faut cependant attendre lesannées 1880 pour observer dans le paysage les conséquencesmatérielles de ce décollage. Au plan strictement urbanistique,son emprise va s’étendre entre Mersine et Haïfa.

Pendant ce temps, le Mont Liban est à son tour érigé enprovince autonome, avec le bourg de Baabda commecapitale. Il en résulte une redéfinition du rôle politique etéconomique et de la hiérarchie des chefs-lieux de sescirconscriptions. En 1920, sous le Mandat français, à ceterritoire sont annexés le Akkar, la Békaa et l'Anti Liban, demême que le Sud Liban et les villes côtières de Tripoli, deSaïda et de Beyrouth, le tout constituant l'assise territorialede la République libanaise. Une population aux originesvariées et formant une société métissée, entremêlée et bienlevantine donne ainsi à ce pays son identité dominante.

La morphologie urbaine

Jusqu'en 1870 environ, les cités et les bourgs côtiers entreHalba au nord et Tyr au sud avaient l'aspect de ce qu'il estconvenu d'appeler une « ville arabo-ottomane »: unensemble organique et pittoresque d'habitations auxterrasses plates, traversé par un réseau de ruelles etd'impasses sinueuses, et comprenant des édificescaractéristiques, tels que sérail, mosquées et lieux de culte desminorités.

Quelques voies principales composaient l'armature de cesystème. Elles reliaient les bâtiments importants entre eux et,grâce aux portes, s'ouvraient aux routes du monde extérieur.Les villes importantes étaient en outre remparées etflanquées de tours de garde et de casernes. La citadelle oùrésidait le gouverneur ottoman jouait le rôle d'une place

forte et celui de siège de l’administration urbaine. Sur lesentours de ces villes, des hameaux et des habitations isoléesde métayers occupaient la campagne agricole.

Dans le Mont Liban et dans le Hermon, les quelquesbourgs remarquables étaient des sièges du pouvoir féodalou des carrefours routiers et de foire : Kobeyat, Kousba,Salima, Deir el Qamar ou Hasbaya par exemple. Leurmorphologie n'était pas fondamentalement différente decelle des villes de la côte. Accrochés aux flancs de lamontagne, ces bourgs conservaient cependant unephysionomie particulière, le mode d'établissement devant de

Beyrouth (Le Monde illustré, 1860)

manière générale s'adapter au relief et aussi à un climat et àdes matériaux de construction différents. Contrairement auxvilles côtières, ces bourgs n'étaient pas remparés. Lesseigneurs des lieux résidaient dans des citadelles-palais auxdimensions surproportionnées et organisées autour decours. Les villages de moindre importance ne comprenaientpas ce genre de dispositifs et l'occupation étaitgénéralement plus aérée. Souvent nichés dans des forêts depins parasols ou entourés par des terrasses de culture, cesbourgs et ces villages aux maisons de pierre se fondaientdans leur milieu vivant au rythme de la nature et del’époque. Dans ces ensembles ruraux, un riche patrimoinearchitectural et culturel survit jusqu’à nos jours.

Dans la Békaa, à la même époque, on ne note pas devilles de taille ou de rayonnement régional importants.Hormis quelques bourgs d'un intérêt secondaire et des oasis(Qaa, Baalbeck, Ras Baalbeck, Zahleh), la plaine étaitessentiellement affectée aux parcours de pâturage denomades.

Le renouveau urbanistique

Durant le dernier quart du XIXe siècle, les villes du littoralcommencent à se transformer, par suite d'une accélérationdes flux marchands et des échanges culturels avec l'Europe,de l'arrivée de nouvelles et très diverses populations, et del'adoption d'un mode de vie différent. À ces contacts directsavec l’Europe, s’ajoute une politique d’occidentalisationinduite par la capitale de l’Empire, Istanbul. Dans le mêmetemps, un programme de réformes politiques est édicté parla Sublime Porte. Un des résultats est la promulgation derèglements urbanistiques et d'une loi sur le bâti, etl'adoption de schémas d'aménagement.

La planification naît à ce moment et prend la relève desmodes anciens et spontanés de peuplement. Et les villeschangent de rythme et de mode d’extension. À l’origineserrées ou fermées, elles mutent rapidement en desagglomérations ouvertes sur la campagne environnante. Dèslors, deux morphologies différentes se présentent : au tissuimbriqué des cœurs des cités traditionnelles s'opposent lesextensions récentes aérées, au tracé régulier et àl'architecture innovante.

Transformées en centre ville des nouvelles agglomérations,les noyaux urbains anciens se sont densifiés par un mouvementde construction des surfaces libres (cours et jardins), d’élévationen hauteur ou de simples rénovations. Le résultat fut uneimbrication à l’extrême des bâtiments et la transformationgraduelle des édifices résidentiels en lieux de travail.

Les zones extérieures furent, elles, sujettes à une dynamiquede peuplement différente, donnant naissance à des faubourgs-jardins et à un mitage progressif de la campagne agricole. Àcôté des constructions rurales anciennes et des maisons à courconstruites dans cette zone, une architecture domestique d'ungenre différent prit corps, qui intégra des configurationspréexistantes à des traits de création récente.

Le syncrétisme méditerranéen

L’archétype de cet habitat récent est une structure à hallcentral, portant une baie frontale en arcs et un toit de

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Vue aérienne de Saïda vers la fin du XIXe siècleet projet d’aménagement de la ligne côtière

Plan de Beyrouth vers 1912 et photo aérienne actuelle

tuiles de Marseille. Une convergence d'influences sembleen avoir favorisé l'élaboration. Reprenant, tout en lesréinterprétant, des éléments caractéristiques des deux rivesde la Méditerranée, elle apparaît comme un pur produit dumétissage méditerranéen qui a caractérisé le Levant à cetteépoque.

C'est à Beyrouth, capitale cosmopolite, que s'est forgéce renouveau de l’art du construire et de l’habiter. Par lafréquence des spécimens construits et conservés à ce jouret par le nombre des variantes observées, ce modèlesingularise en effet et tout d’abord cette ville. Par effet demode, il allait ensuite conquérir les villes voisines et serépandre largement dans les bourgs de la montagne.Intimement lié à l’émergence de cette ville commemétropole, ce modèle s’y est lentement élaboré, pours'imposer au paysage urbain et constituer un archétype. Ily est significatif d’un nouveau type de société. Lareformulation de l’architecture s’explique en effet parl’émergence d’une classe importante de bourgeois,influencée par les normes et les valeurs de l’Europe. Le toitde tuiles de Marseille était sans doute le moyen d’exprimer,à sa manière, cet engouement. C’est sans compter un effetde mimétisme : exhiber des arcades, autrefois l’apanagedes riches et des féodaux, c’était mettre en scène uneappartenance à une classe sociale différente.

Dans le Mont Liban comme dans la Békaa et sur leHermon, les bourgs récemment élevés à un rangadministratif et ceux situés sur des voies stratégiques se sontdéveloppés. Des souks y furent en outre construits, à Beino,Douma, Broummana, Zahleh, Baalbeck, Rachaya etMarjeyoun, par exemple. Édifiée ex nihilo ou en adaptantune ancienne construction, la maison au toit de tuiles rougesexprimait dans ces bourgs le rang de la bourgeoisiemontante.

Dans les villages de moindre importance, on note aussiquelques transformations, en raison essentiellement desretours d'émigrés qui se saisissent du même modèle pour sedémarquer du reste de la population.

Une maison, un symbole

S’étant répandue partout, à Beyrouth et jusqu'auxmarges de sa sphère d'influence, la maison à hall central,aux trois arcs et au toit de tuiles rouges s’ajouta aux signesurbains militaires et religieux antérieurs, tels que tours,minarets et clochers. Elle se présenta comme un nouveautrait d’union entre les différentes régions du Levant.

Il reste que le symbole premier de cette habitation est letriple arc de sa façade, un schéma décoratif qui a différenciéce modèle spécifique au littoral des autres maisons à hallcentral qui apparurent dans l’ensemble de la région dutemps de l'Empire ottoman.

Par sa taille, sa couleur et sa forme particulière, cettemaison marque fortement, aujourd'hui encore, les paysagesau Liban. Elle n'a certes pas complètement éliminé lesconstructions plus anciennes, dont beaucoup survivent denos jours. Mais elle fut la première à être honorée del'appellation « maison libanaise » et à acquérir une valeurpatrimoniale, et ce dans les années 1960.

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