ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT … · plus grands terrains d’épanouissement de la discipline....

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LVI – 2010 – CNRS Éditions, Paris ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2010) FRANCK LATTY Si l’année 2010 a connu un très léger reflux au regard du nombre de requêtes déposées par des investisseurs sur le fondement de traités relatifs aux investisse- ments 1 , dans la même période pas moins de quarante-sept décisions arbitrales ont été rendues par des tribunaux transnationaux 2 , dont la plupart appliquent, ou à tout le moins prennent en considération, des règles du droit international général. L’arbitrage transnational en matière d’investissement constitue à cet égard l’un des plus grands terrains d’épanouissement de la discipline. Concernant par exemple le droit de la responsabilité, James Crawford a relevé à cet égard que, sur la centaine de décisions juridictionnelles internationales et même internes s’étant référées aux Articles de 2001 sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, plus de la moitié avaient été rendues par des tribunaux transnationaux 3 . Chacune des décisions arbitrales prise isolément n’est certes pas porteuse d’« implications majeures sur la nature et le fonctionnement du droit interna- tional » 4 . Pour autant, de même que la production annuelle d’une région vinicole ne se réduit pas aux quelques bouteilles « grand cru » provenant d’une maison prestigieuse, l’internationaliste ne saurait, sous peine d’avoir une version tronquée de sa discipline, se détourner des « petits producteurs » que sont les tribunaux arbi- traux en matière d’investissement. Les décisions transnationales, dont le nectar réserve parfois de bonnes surprises, devraient attirer son attention tout autant que les arrêts, avis ou ordonnances, bien plus épisodiques, de la Cour mondiale. De nombreux arbitres sont d’ailleurs recrutés parmi les membres ou anciens membres de la vénérable institution de La Haye, ou parmi les professeurs de droit qui en sont généralement coutumiers. Cet environnement internationaliste n’est pas étranger aux indéniables apports au droit international procurés par la foisonnante juris- prudence arbitrale transnationale, que la présente chronique s’efforce de mettre au jour de manière synthétique mais systématique 5 . (*) Franck LATTY, professeur à l’Université Paris 13 Nord, PRES Sorbonne Paris Cité. 1. Vingt-cinq requêtes ont été introduites en 2010, dont la plupart auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Le chiffre est le plus bas depuis 2001 (source : CNUCED, « Latest Developments in Investor-State Dispute Settlement », IIA Issues Note, n° 1, mars 2011, p. 1 [www.unctad.org/diae]). 2. Parmi ces décisions, on compte vingt sentences, cinq décisions sur la responsabilité, onze décisions sur la compé- tence, auxquelles s’ajoutent onze décisions sur mesures conservatoires, la n de la procédure ou les frais de l’arbitrage, auxquelles s’ajoutent sept décisions de comité ad hoc du CIRDI sur des demandes d’annulation de sentences (id., pp. 2-3). Voy. aussi les statistiques propres au CIRDI présentées par S. MANCIAUX, in JDI, 2011/2, pp. 566 et s. Les décisions citées sont toutes accessibles en ligne sur le site de la faculté de droit de l’Université de Victoria (Canada) « Investment Treaty Arbitration » [http://ita.law.uvic.ca]. 3. J. CRAWFORD, « Investment Arbitration and the ILC Articles on State Responsibility », ICSID Rev., vol. 25, n° 1, Spring 2010, p. 128. 4. Ch. LEBEN, « La responsabilité internationale de l’État sur le fondement des traités de promotion et de protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 683, au sujet de l’évolution du droit des investissements depuis la n des années 1980. 5. Pour une présentation de la présente chronique, voy. F. LATTY, « Arbitrage transnational et droit international général (2008) », cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s. Pour une analyse (généralement au regard du droit des investissements) plus détaillée de certaines sentences rendues en 2010, on se référera utilement aux commentaires et chroniques parus en CNRS ÉDITIONS • Tirés à part • CNRS ÉDITIONS • Tirés à part • CNRS ÉDITIONS • Tirés à part

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONALLVI – 2010 – CNRS Éditions, Paris

ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2010)

FRANCK LATTY

Si l’année 2010 a connu un très léger refl ux au regard du nombre de requêtes déposées par des investisseurs sur le fondement de traités relatifs aux investisse-ments 1, dans la même période pas moins de quarante-sept décisions arbitrales ont été rendues par des tribunaux transnationaux 2, dont la plupart appliquent, ou à tout le moins prennent en considération, des règles du droit international général. L’arbitrage transnational en matière d’investissement constitue à cet égard l’un des plus grands terrains d’épanouissement de la discipline. Concernant par exemple le droit de la responsabilité, James Crawford a relevé à cet égard que, sur la centaine de décisions juridictionnelles internationales et même internes s’étant référées aux Articles de 2001 sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, plus de la moitié avaient été rendues par des tribunaux transnationaux 3.

Chacune des décisions arbitrales prise isolément n’est certes pas porteuse d’« implications majeures sur la nature et le fonctionnement du droit interna-tional » 4. Pour autant, de même que la production annuelle d’une région vinicole ne se réduit pas aux quelques bouteilles « grand cru » provenant d’une maison prestigieuse, l’internationaliste ne saurait, sous peine d’avoir une version tronquée de sa discipline, se détourner des « petits producteurs » que sont les tribunaux arbi-traux en matière d’investissement. Les décisions transnationales, dont le nectar réserve parfois de bonnes surprises, devraient attirer son attention tout autant que les arrêts, avis ou ordonnances, bien plus épisodiques, de la Cour mondiale. De nombreux arbitres sont d’ailleurs recrutés parmi les membres ou anciens membres de la vénérable institution de La Haye, ou parmi les professeurs de droit qui en sont généralement coutumiers. Cet environnement internationaliste n’est pas étranger aux indéniables apports au droit international procurés par la foisonnante juris-prudence arbitrale transnationale, que la présente chronique s’efforce de mettre au jour de manière synthétique mais systématique 5.

(*) Franck LATTY, professeur à l’Université Paris 13 Nord, PRES Sorbonne Paris Cité.1. Vingt-cinq requêtes ont été introduites en 2010, dont la plupart auprès du Centre international pour le règlement

des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Le chiffre est le plus bas depuis 2001 (source : CNUCED, « Latest Developments in Investor-State Dispute Settlement », IIA Issues Note, n° 1, mars 2011, p. 1 [www.unctad.org/diae]).

2. Parmi ces décisions, on compte vingt sentences, cinq décisions sur la responsabilité, onze décisions sur la compé-tence, auxquelles s’ajoutent onze décisions sur mesures conservatoires, la fi n de la procédure ou les frais de l’arbitrage, auxquelles s’ajoutent sept décisions de comité ad hoc du CIRDI sur des demandes d’annulation de sentences (id., pp. 2-3). Voy. aussi les statistiques propres au CIRDI présentées par S. MANCIAUX, in JDI, 2011/2, pp. 566 et s. Les décisions citées sont toutes accessibles en ligne sur le site de la faculté de droit de l’Université de Victoria (Canada) « Investment Treaty Arbitration » [http://ita.law.uvic.ca].

3. J. CRAWFORD, « Investment Arbitration and the ILC Articles on State Responsibility », ICSID Rev., vol. 25, n° 1, Spring 2010, p. 128.

4. Ch. LEBEN, « La responsabilité internationale de l’État sur le fondement des traités de promotion et de protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 683, au sujet de l’évolution du droit des investissements depuis la fi n des années 1980.

5. Pour une présentation de la présente chronique, voy. F. LATTY, « Arbitrage transnational et droit international général (2008) », cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s. Pour une analyse (généralement au regard du droit des investissements) plus détaillée de certaines sentences rendues en 2010, on se référera utilement aux commentaires et chroniques parus en

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Le millésime 2010 des décisions arbitrales n’est pas sans saveur. Leur arôme se diffuse tout particulièrement dans les deux grands chapitres du droit international que sont les sources (II) et la responsabilité (III). Plusieurs sentences ont encore colorié de leur tanin le concept de souveraineté étatique, lorsqu’il est affronté aux obligations conventionnelles de traitement et de protection des investissements étrangers (I) 6.

SOUVERAINETÉ DE L’ÉTAT ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES I. – EN MATIÈRE D’INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS

Comme la Cour mondiale l’a dit dans l’affaire du Vapeur Wimbledon, tout traité international « apporte une restriction à l’exercice des droits souverains de l’État, en ce sens qu’elle imprime à cet exercice une direction déterminée » 7. S’agissant des traités relatifs aux investissements étrangers – traités bilatéraux relatifs aux investissements (TBI) et conventions multilatérales comme le traité sur la charte de l’énergie ou le chapitre 11 de l’ALENA –, la « direction » est claire : les investissements devront bénéfi cier d’un bon traitement et d’une protection de la part de l’État. Les chemins à emprunter sont en revanche sinueux, tant les standards, intégrés dans les traités, du « traitement juste et équitable », des « pleines et entières protection et sécu-rité » ou de l’interdiction de l’expropriation, notamment, demeurent fl ous. Interpré-tées de manière extensive, ces normes sont de nature à paralyser tout comportement des autorités étatiques préjudiciable aux investissements couverts. Sans qu’il soit jamais concevable de voir dans la conclusion des traités relatifs aux investissements un « abandon de la souveraineté » 8, la question se pose de l’étendue et des limites à l’aptitude de l’État à exercer ses compétences territoriales vis-à-vis des investis-seurs ou des investissements étrangers 9. Tandis que la question de l’équilibre, du déséquilibre ou du rééquilibrage entre les droits des investisseurs et les obligations

langue française notamment dans les Cahiers de l’arbitrage de la Gazette du Palais (dir. : I. FADLALLAH / Ch. LEBEN / E. TEYNIER), la Revue de l’arbitrage (dir. : C. SANTULLI), le Journal de droit international (S. MANCIAUX, qui a repris la chronique de E. GAILLARD), la Revue générale de droit international public (G. ARÉOU) ou encore la Revue québécoise de droit international (J. FOURET et D. KHAYAT).

6. Les questions relevant du droit du contentieux international, qui ont été l’objet d’un traitement spécifi que dans la livraison de la précédente chronique (cet Annuaire, 2009, pp. 706 et s.), seront cette année incidemment intégrées dans les développements et les notes infrapaginales relatifs aux trois thèmes abordés. On pointera toutefois ici la décision CIRDI, The Rompetrol Group NV c. Roumanie, aff. n° ARB/06/3, décision sur la participation d’un conseil, 14 janvier 2010, dans laquelle le tribunal, garant de l’intégrité de la procédure arbitrale, a consacré des développements au rôle du conseil et à la conciliation qui doit être trouvée entre la préservation de l’indépendance du tribunal et le droit à la représentation des parties (§§ 19 et s.). Se référant à la pratique devant la CIJ et la CourEDH, le tribunal a estimé que l’existence de liens entre un conseil et un juge n’entachait pas nécessairement l’indépendance de la juridiction. Le tribunal ne s’est reconnu qu’un pouvoir limité de contrôle par une partie du choix de ses conseils (§§ 23 et s.). Sur le principe d’autonomie des parties, leur égalité et leur droit d’être entendues, voy. Comité ad hoc CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, décision sur la demande d’annulation, 30 juillet 2010, §§ 192 et s. On relèvera aussi à ce stade que la possibilité offerte par l’article 41, § 5, du règlement d’arbitrage CIRDI permettant à l’État défendeur de s’opposer à « toute demande manifestement dénuée de fondement juridique » dès la constitution du tribunal a été examinée dans deux sentences : CIRDI, Global Trading Resource Corp. et Globex International, Inc. c. Ukraine, aff. n° ARB/09/11, sentence du 1er décembre 2010 (comm. S. MANCIAUX, in JDI, 2011/2, pp. 598 et s.) ; CIRDI, RSM Production Company e.a. c. Grenade, aff. n° ARB/10 juin, sentence du 10 décembre (comm. S. MANCIAUX, in JDI, 2011/2, pp. 610 et s.). Sur cette procédure, voy. L. ACHTOUK-SPIVAK, « Article 41(5) du règlement d’arbitrage CIRDI et objections préliminaires à la compétence à la compétence du tribunal », in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, n° 4, pp. 1033 et s. nos 1 et s. ; A. DIOP, « Objection under Rule 41(5) of the ICSID Arbitration Rules », ICSID Rev., vol. 25, n° 2, Fall 2010, pp. 312-335. Adde CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les exceptions préliminaires, 2 août 2010, où est mise en œuvre la procédure « fi ltrante » prévue par l’accord CAFTA (affaire commentée par L. ACHTOUK-SPIVAK, loc. cit., nos 10 et s.).

7. CPJI, Vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, série A, n° 1, p. 25.8. Ibid.9. Voy. par ex. S. EL BOUDOUHI, « L’intérêt général et les règles substantielles de protection des investissements »,

in cet Annuaire, 2005, pp. 549 et s. ; G. VAN HARTEN, Investment Treaty Arbitration and Public Law, Oxford, Oxford UP, 2007, pp. 87 et s.

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de l’État suscite de nombreux débats 10, plusieurs décisions arbitrales rendues en 2010 ont affi ché une déférence certaine envers les compétences étatiques souveraines (A), qui n’exclut pourtant pas le contrôle de leur exercice (B).

Préservation des compétences souveraines de l’ÉtatA.

i) Les sentences arbitrales sont nombreuses à rappeler que les obligations souscrites par l’État n’ont pas pour effet de le priver de ses compétences norma-tives, pénales ou juridictionnelles 11, même lorsque leur exercice pourrait avoir des conséquences négatives sur les investissements étrangers.

Ainsi l’obligation contenue dans le traité sur la charte de l’énergie de faire bénéfi cier les investissements concernés « d’une protection et d’une sécurité les plus constantes possible » n’a-t-elle pas pour effet de protéger l’investisseur « against a state’s right […] to legislate or regulate in a manner which may negatively affect a claimant’s investment […] » 12. Pour les arbitres de l’affaire Total, les États parties à un TBI « should be aware of the importance for the investors that a legal environ-ment favourable to the carrying out of their business activities be maintained » 13 ; mais pour autant,

« signatories of such treaties do not thereby relinquish their regulatory powers nor limit their responsibility to amend their legislation in order to adapt it to change and the emerging needs and requests of their people in the normal exercise of their prerogatives and duties » 14.

Dans une formule très « lotussienne » 15, le tribunal présidé par Giorgio Sacer-doti ajoute que « [s]uch limitations upon a government should not lightly be read into a treaty which does not spell them out clearly nor should they be presumed » 16. Et même lorsque l’État a pu faire naître des attentes légitimes dans le for de l’investisseur, il n’en résulte pas « a requirement for the host State to freeze its legal system for the investor’s benefi t. A general stabilization requirement would go beyond what the investor can legitimately expect » 17.

Dans l’affaire AES Summit Generation, deux décrets hongrois réintroduisant une tarifi cation administrative des prix de l’électricité étaient contestés au regard du standard du traitement juste et équitable, mis en perspective avec l’obligation

10. Pour des études récentes, voy. B. STERN, « The Future of International Investment Law : A Balance Between the Protection of Investors and the States’ Capacity to Regulate », in J. E. ALVAREZ / K. P. SAUVANT, The Evolving International Investment Regime : Expectations, Realities, Options, Oxford UP, 2011, pp. 174-193 ; T. T. PHAM, « International Investment Treaties and Arbitration as Imbalanced Instruments : A Re-Visit », International Arbitration Law Review, 2010, vol. 13, n° 2, pp. 81-95. Dans une optique de rééquilibrage, on notera les efforts faits (évoqués dans les références doctrinales précitées) pour tirer des traités des obligations pour les investisseurs. En ce sens, voy. CIRDI, Alasdair Ross Anderson e.a. c. Costa Rica, ARB(AF)/07/3, sentence du 19 mai 2010, § 58, où le tribunal juge que l’État a le droit de s’assurer que les investissements respectent la loi, et que les investisseurs ont une obligation de due diligence en ce sens. Voy. aussi l’étude de la CNUCED précitée note 1, p. 11, où sont brièvement évoquées en conclusion la tendance au rééquilibrage des TBI et la question des obligations de l’investisseur.

11. Constatant que l’État ne perd pas le droit de lancer des enquêtes et des poursuites pénales contre un investisseur étranger, voy. CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin 2010, § 297 ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosk Kaplún c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur les mesures conservatoires, 26 février 2010, §§ 121 et s., 164.

12. CIRDI, AES Summit Generation Limited et AES-Tisza Erömü Kft c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010, § 10.3.2 (sentence commentée par G. ARÉOU, in RGDIP, 2011/1, pp. 223 et s.)

13. CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010, § 114.14. Décision Total, § 115.15. CPJI, affaire du Lotus, arrêt du 7 septembre 1927, série A, n° 10, p. 18 : « Les limitations de l’indépendance

des États ne se présument […] pas ».16. Décision Total, § 115.17. Ibid., § 120.

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prévue à l’article 10, § 1, du traité sur la charte de l’énergie d’encourager et de créer « des conditions stables, équitables, favorables et transparentes pour la réalisation d’investissements […] ». Refusant de voir dans la stipulation une clause de stabilité, le tribunal a estimé que « [a] legal framework is by defi nition subject to change as it adapts to new circumstances day by day and a state has the sovereign right to exercise its powers which include legislative acts » 18. En l’absence d’engagement spécifi que de la Hongrie s’interdisant de réintroduire les prix administratifs, l’argument des investisseurs n’a pu prospérer : « This is because any reasonably informed business person or investor knows that laws can evolve in accordance with the perceived political or policy dictates of the times » 19.

ii) La décision Lemire a particulièrement illustré le droit persistant qu’a l’État de réguler certains secteurs d’activités auxquels participent des investisseurs étrangers, en l’occurrence celui de l’audiovisuel 20. Le demandeur, un investisseur américain actionnaire majoritaire d’une station de radio ukrainienne, soutenait que la procédure d’attribution des fréquences radiophoniques prévue par la loi ukrainienne avait eu pour effet de frustrer ses attentes légitimes de développement économique et, partant, portait attente au traitement juste et équitable garanti par le TBI applicable. Était également contestée, au regard de l’interdiction des specifi c requirements contenue dans le TBI, la loi ukrainienne de 2006 sur la programma-tion télévisée et radiophonique, qui – à l’instar des législations française et portu-gaise 21 – imposait aux radios un quota (50 %) de diffusion de musique locale 22. Or, la production ukrainienne de morceaux à succès étant faible, la radio « 100 % hits » se plaignait de toujours devoir diffuser les mêmes « œuvres ».

D’emblée, le tribunal a marqué sa déférence envers la souveraineté de l’Ukraine, en manifestant son respect pour la fonction législative du Parlement, qui lui interdit de « to review or second-guess the rules which the representatives of the Ukrainian people have promulgated » 23. Le tribunal a également précisé que son respect envers la souveraineté ukrainienne était renforcé par la particularité du secteur de la diffusion radiophonique, qui appelle une réglementation spécifi que pour l’allocation de fréquences et la prise en compte des considérations d’intérêt général entourant cette activité (transparence, pluralisme, protection des enfants ou des minorités, etc.) 24. Dans la suite de la décision, pour examiner la partie de la réclamation relative au refus d’attribution des fréquences radiophoniques, le tribunal s’est référé à l’objet et au but du TBI États-Unis/Ukraine exprimés dans son préambule (stimulation des investissements étrangers et des mouvements de capitaux, dans une optique de développement économique des États parties). De manière peut-être un peu poussive, il en a déduit que

« local development requires that the preferential treatment of foreigners be balanced against the legitimate right of Ukraine to pass legislation and adopt measures for the protection of what as a sovereign it perceives to be its public interest » 25.

18. CIRDI, AES Summit Generation Limited et AES-Tisza Erömü Kft c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010, § 9.3.29.

19. Sentence AES, § 9.3.34.20. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabilité, 14 janvier

2010.21. Pour la France, voy. l’article 28 de la loi n° 86-1067 relative à la liberté de communication modifi é par la loi

n° 94-88 du 1er février 1994, citée au paragraphe 506 de la décision Lemire.22. Décision Lemire, § 218.23. Ibid., § 241. Cf. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du

16 juin 2010, §. 6.26 (au sujet des décisions du gouvernement, que le tribunal n’a pourtant pas hésité à critiquer vigou-reusement, voy. infra note 49).

24. Sentence Lemire, § 241.25. Ibid., § 273.

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Les arbitres ont même semblé attentifs à la situation particulière de l’Ukraine, État indépendant depuis peu et « still in the process of developing its institutional framework », ce qui semblerait autoriser certaines imperfections juridiques 26. Dans un obiter dictum sur la conformité au traitement juste et équitable de la loi relative aux quotas, le tribunal a encore constaté que les prérogatives normatives souveraines de l’État s’étendent au domaine de la politique culturelle, laquelle peut avoir pour objet de « to preserve and strengthen cultural inheritance and national identity » 27. Citant la sentence Myers 28, les arbitres ont estimé :

« The ‘high measure of deference that international law generally extends to the right of domestic authorities to regulate matters within their own borders’ is reinforced in cases when the purpose of the legislation affects deeply felt cultural or linguistic traits of the community » 29.

Ainsi, la retenue du tribunal arbitral examinant une loi nationale devrait d’autant plus se manifester que le secteur d’activité réglementé est sensible. Mais la déférence ainsi affi chée ne doit pas être trompeuse : l’arbitre ne renonce pas à évaluer l’exercice par l’État de ses compétences souveraines. Son respect de la souveraineté de l’État ne se traduit pas par un arbitral self-restraint qui ferait échapper l’exercice des compétences souveraines au contrôle arbitral – au contraire, une certaine jurisprudence tendrait à limiter aux seuls actes de souveraineté l’appréciation du comportement de l’État 30. Il ouvre tout au plus la porte à un contrôle nuancé, permettant la prise en compte de considérations d’intérêt général dans l’appréciation de la licéité du comportement de l’État.

Contrôle de l’exercice des compétences souverainesB.

i) Malgré l’hommage appuyé rendu à la souveraineté ukrainienne, le tribunal arbitral de l’affaire Lemire ne s’est pas privé de mettre en perspective le comporte-ment de l’État avec ses obligations internationales. Pour écarter la violation allé-guée de la disposition relative à l’interdiction des specifi c requirements, le tribunal a considéré, d’une manière qui aurait pu être plus convaincante, que l’interdiction des mesures imposant l’achat de biens ou services locaux avait pour fi nalité d’éviter la protection des industries locales et la restriction des importations, alors que la loi ukrainienne visait la protection de l’héritage culturel 31. En passant, le tribunal a également considéré que la loi sur les quotas respectait le traitement juste et équitable 32. De même, concernant le refus d’attribution des fréquences radiopho-niques, la prévenance manifestée par le tribunal ne l’a pas empêché de porter son appréciation sur la législation ukrainienne. Sous couvert d’analyser le cadre général au sein duquel des comportements spécifi ques avaient pu porter atteinte au traite-ment juste et équitable, le tribunal a relevé les failles caractérisant les dispositions législatives relatives au processus d’octroi des licences (manque d’indépendance et de transparence), de nature à faciliter la prise de décisions arbitraires 33. Et de fait, le tribunal a jugé que le refus systématique et clairement discriminatoire

26. Décision Lemire, § 317 (voy. aussi le paragraphe 239).27. Ibid., § 505.28. CNUDCI (ALENA), SD Myers Inc. c. Canada, première sentence partielle, 13 novembre 2000, § 263.29. Décision Lemire, § 505.30. Voy. infra III, A, 2.31. Décision Lemire, §§ 510-511.32. « [T]he necessary conclusion is that [the 50 % Ukrainian music rule] is compatible with the FET standard

defi ned by the BIT » (§ 506).33. Décision Lemire, §§ 315-316.

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opposé par le conseil national de l’audiovisuel aux demandes de licences faites par l’investisseur portait atteinte au traitement juste et équitable 34.

De manière comparable, bien qu’il ait pris la peine d’établir que « Bolivia has the sovereign power to prosecute conduct that may constitute a crime on its own territory », le tribunal de l’affaire Quiborax n’en a pas moins précisé que « such powers must be exercised in good faith and respecting Claimants’ rights, including their prima facie right to pursue this arbitration » 35. En l’espèce, le tribunal a estimé que les poursuites lancées par la Bolivie contre l’investisseur pour riposter à sa demande d’arbitrage, menaçaient l’intégrité de la procédure arbitrale 36. À titre conservatoire, le tribunal a alors ordonné à la Bolivie de prendre toutes les mesures nécessaires pour suspendre les poursuites pénales. On notera d’ailleurs que les arbitres ont estimé qu’une telle suspension n’était pas attentatoire à la souveraineté de l’État, qui avait le loisir, à l’issue de la procédure arbitrale, de reprendre les poursuites 37.

Le refus des tribunaux arbitraux de se présenter comme des organes d’appel des juridictions nationales n’empêche pas plus l’évaluation de leur actions ou omis-sions au regard du standard du déni de justice 38. La déférence n’est d’ailleurs souvent qu’une façade, comme tend à le montrer l’affaire Chevron, dans laquelle – pour calculer l’indemnisation due par l’Équateur en raison de délais de procédure excessifs – le tribunal arbitral s’est mis à la place du juge équatorien auquel les plaintes avaient été initialement soumises, sans hésiter à infi rmer certaines des solutions qu’il avait retenues 39.

ii) Si la soumission à l’appréciation arbitrale de l’exercice par l’État de ses compétences souveraines est indiscutablement établie, les standards devant guider cette évaluation – notamment lorsque l’État agit au titre de l’intérêt général dans un secteur sensible ou dans des circonstances qui ne le sont pas moins – demeurent encore incertains. L’effort fait par certains tribunaux pour dégager des critères objectifs de contrôle n’en est que plus louable.

Le contentieux né des mesures anti-crise prises par l’Argentine au début des années 2000 constitue un terreau fertile au développement d’une telle juris-prudence 40. Se référant à la doctrine des « mesures d’intérêt général » (policy measures) 41 mise en œuvre dans plusieurs sentences arbitrales, le tribunal de l’affaire Suez-Vivendi a ainsi considéré que les mesures prises par l’Argentine dans un contexte de crise sévère « were within the general police power of the Argentine State » et qu’elles n’avaient pas eu pour effet d’exproprier les demandeurs 42. De manière plus argumentée, pour apprécier les mêmes mesures argentines au regard

34. Décision Lemire, § 422.35. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosk Kaplún c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur

les mesures conservatoires, 26 février 2010, § 123.36. Décision Quiborax, §§ 139 et s.37. Décision Quiborax, § 165.38. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre

2010, §§ 272 et s.39. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877, sentence partielle

sur le fond, 30 mars 2010, §§ 383, 385-388. Voy. infra III, B, 2. Notant la contradiction entre la déférence affi chée du tribunal arbitral (§ 247) et le peu de respect que lui inspire le système judiciaire équatorien, voy. M. RAUX, « De quelques développements récents sur le dommage et sa réparation dans le cadre du contentieux investisseur-État », in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, n° 4, pp. 1033 et s. no 175.

40. Voy. R. BACHAND, « Les affaires arbitrales internationales concernant l’Argentine : enjeux pour la gouvernance globale », RGDIP, 2010/2, pp. 281-318.

41. Voy. S. EL BOUDOUHI, loc. cit. note 9, p. 551 ; Ch. LEBEN, « La liberté normative de l’État et la question de l’expropriation indirecte », in Ch. LEBEN (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement. Nouveaux développements, Paris, Anthemis/LGDJ, 2006, p. 177.

42. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 140.

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du traitement juste et équitable, le tribunal de l’affaire Total a mis en balance les attentes légitimes de l’investisseur et le droit de l’État de réglementer les questions internes dans l’intérêt général. Dans cet exercice, le tribunal a considéré qu’étaient pertinents

« [t]he circumstances and reasons (importance and urgency of the public need pursued) for carrying out a change impacting negatively on a foreign investor’s operations on the one hand, and the seriousness of the prejudice caused on the other hand, compared in the light of a standard of reasonableness and proportionality » 43.

Le tribunal a encore estimé que l’évaluation du comportement de l’État ne pouvait être faite de manière isolée, ie dans le seul cadre de ses relations bilaté-rales avec l’investisseur. Devaient dès lors être pris en considération l’évolution de l’économie nationale et le caractère raisonnable et approprié des changements normatifs. À ces critères d’appréciation, le tribunal a ajouté le caractère objectif et impartial que doivent revêtir les mesures nationales, inspiré en ce sens par l’ac-cord général sur le commerce des services 44 même s’il n’a été envisagé qu’à titre de « guidance » pour le cas présent 45. À l’aune du « balancing test » matérialisé par ces critères, il a jugé que l’abandon de la parité dollar-peso par l’Argentine au titre de sa souveraineté monétaire ne violait pas le standard du traitement juste et équitable, à l’inverse du gel continu des prix du gaz, qui engageait la responsa-bilité de l’État 46.

Le tribunal de l’affaire précitée AES c. Hongrie a apporté sa pierre à l’édi-fi ce d’une jurisprudence des critères de contrôle des mesures de souveraineté. Le tribunal, qui examinait le processus d’adoption des deux décrets réintroduisant une tarifi cation administrative des prix de l’électricité, a semblé admettre un droit à l’imperfection (« it is not every process failing or imperfection that will amount to a failure to provide fair and equitable treatment. The standard is not one of perfection »), avant d’estimer :

« It is only when a state’s acts or procedural omissions are, on the facts and in the context before the adjudicator, manifestly unfair or unreasonable (such as would shock, or at least surprise a sense of juridical propriety) […] that the standard can be said to have been infringed » 47

La violation alléguée de l’interdiction d’adopter des mesures déraisonnables et discriminatoires (art. 10 du traité sur la charte de l’énergie) a encore conduit le tribunal à défi nir les critères de la politique rationnelle (une politique « following a logical (good sense) explanation and with the aim of addressing a public interest matter » 48) et de la mesure raisonnable (il faut « an appropriate correlation between the state’s public policy objective and the measure adopted to achieve it » 49).

43. Décision Total, § 123. Dans le même sens, voy. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 236.

44. Art. VI, § 1 (« Réglementation intérieure ») : « Dans les secteurs où des engagements spécifi ques seront contractés, chaque Membre fera en sorte que toutes les mesures d’application générale qui affectent le commerce des services soient administrées d’une manière raisonnable, objective et impartiale ».

45. Décision Total, § 123.46. Ibid., citée note 18, §§ 159 et s.47. Sentence AES, § 9.3.40.48. Sentence AES, § 10.3.8.49. Sentence AES, § 10.3.9. Cf. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005,

sentence fi nale du 12 septembre 2010, § 496, où le tribunal dit que le pouvoir de l’État de modifi er ses règles fi scales doit se faire de manière non discriminatoire. Voy. aussi CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, §§ 7-76, où le tribunal ne mâche pas ses mots pour qualifi er le comportement du Mexique de « manifestly irrational, arbitrary and perverse, being also conducted in bad faith towards the Claimants and their rights as investors under the two BITs ».

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La déférence arbitrale envers les compétences souveraines de l’État n’est-elle qu’un paravent destiné à rassurer ceux qui occupent systématiquement la position de défendeur dans les arbitrages jugés sur le fondement des traités relatifs aux investissements ? Certaines décisions rendues en 2010 montrent plutôt que l’exer-cice de la puissance publique dans l’intérêt général appelle un traitement arbitral nuancé, administré à partir de critères dont la détermination se façonne progres-sivement dans la jurisprudence transnationale. Ces considérations militent ainsi dans le sens du développement d’un « droit administratif global » 50 autorisant, dans le cadre du contrôle de la légalité de l’action des pouvoirs publics et de la réparation de leurs excès, une certaine modération dans l’appréciation de la responsabilité internationale de l’État qui agit dans la préservation de l’intérêt général 51. La question de la légitimité des tribunaux transnationaux pour « arbitrer » entre les intérêts privés et les intérêts publics demeure néanmoins posée 52.

ARBITRAGE TRANSNATIONAL II. – ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL

TraitésA.

Défi nition des traités1.

Un contrat d’investissement conclu entre un État et une entreprise privée qui lui est étrangère peut-il être qualifi é de traité ou, à tout le moins, d’accord de droit international ? La question a été examinée en 2010 par un tribunal dont la compétence résultait, chose devenue presque rare, non d’un traité de protection des investissements mais de la clause compromissoire contenue dans un contrat 53. La République centrafricaine arguait que la passation du contrat d’investissement s’était faite en violation de ses dispositions constitutionnelles relatives à la conclu-sion et la ratifi cation des traités et accords internationaux. Pour refuser ce motif de nullité, le tribunal a jugé que le contrat d’investissement ne constituait ni un traité, ni un accord international 54. Les arguments qu’il a avancés à cet égard méritent d’être cités in extenso avant d’être examinés et critiqués tant ils refl ètent une conception rétrograde du droit international :

« selon les défi nitions admises en droit international, un traité est un accord conclu entre États, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque le Contrat a été conclu entre la République centrafricaine et une société privée, RSM. De même, le Contrat en cause n’entre pas dans la catégorie des accords internationaux, qui sont conclus entre des États et d’autres sujets du droit international ou entre plusieurs autres sujets du droit international. Or, les sujets du droit international sont défi nis comme ceux

50. G. VAN HARTEN / M. LOUGHLIN, « Investment Treaty Arbitration as a Species of Global Administrative Law », EJIL/JEDI, 2006/1, pp. 122 et s.

51. A. NEWCOMBE / L. PARADELL, Law and Practice of Investment Treaties, Kluwer Law International, 2009, p. 119. Voy. aussi G. VAN HARTEN, Investment Treaty Arbitration and Public Law, Oxford, Oxford UP, 2007, pp. 143 et s. Adde C. BORIES (dir.), Un droit administratif global ?, Actes du Colloque organisé par le CEDIN (Centre de droit international) et le CRDP (Centre de recherches en droit public), Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 16-17 juin 2011, Paris, Pedone, à paraître.

52. Voy. M. FORTEAU, « La contribution au développement du droit international général de la jurisprudence arbitrale relative aux investissements étrangers », IVe Anuário Brasileiro de Direito Internacional, 2009, p. 32.

53. CIRDI, RSM Production Corporation c. République centrafricaine, aff. n° ARB/07/02, décision sur la compétence et la responsabilité, 7 décembre 2010.

54. Décision RSM, § 79.

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ayant une personnalité juridique internationale, une telle personnalité ne s’éten-dant pas aux individus et groupes ne possédant pas une certaine forme d’existence institutionnelle de droit public. Une société commerciale de droit privé ne peut ainsi pas être considérée comme un sujet du droit international ».

On notera tout d’abord que le tribunal opère une distinction entre traités (conclus entre États) et accords internationaux (conclus par des sujets non étati-ques, entre eux ou avec un État), qui ne repose sur aucune typologie fournie par le droit positif. La distinction, elle consacrée, entre traités et accords en forme simplifi ée, ne porte pas sur la qualité des parties mais sur la procédure de conclu-sion de la convention. Le tribunal a semble-t-il importé dans l’ordre juridique inter-national une distinction qui ne concerne que la constitution centrafricaine 55. De plus, la limitation de la qualifi cation de « traités » aux seuls accords interétatiques est contredite par la convention de Vienne de 1986 sur les traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales. Au reste, la défi nition coutumière du traité désigne « tout accord conclu entre deux ou plusieurs sujets du droit international, destiné à produire des effets de droit et régi par le droit international » 56, sans que la qualité du sujet n’ait a priori de pertinence. Enfi n, on peut s’étonner de la conception ultraconservatrice qui consiste – en dépit des évolutions du droit des gens depuis 1945 notamment dans les domaines pénal et des droits de l’homme – à réserver la qualité de sujet de droit international aux seules entités ayant « une certaine forme d’existence institutionnelle de droit public », à l’exclusion des individus et des personnes morales de droit privé. C’est adopter la politique de l’autruche que de nier le fait que des accords entre États et sociétés privées puissent relever du droit international. Sans même revenir sur le débat, qui n’est pas seulement théorique, relatif à « l’internationalité » 57 des contrats d’État et leur soumission à un « droit international des contrats » 58, on relèvera que le tribunal de l’affaire Eurotunnel a fait siennes les déterminations des parties selon lesquelles le contrat de concession conclu par les sociétés composant le consortium avec les gouvernements français et britannique, bien que ne constituant pas un traité, s’apparentait bien à « une convention régie par le droit international, un ‘contrat international’ », auquel « les principes du droit international en matière d’interprétation doivent donc être appliqués » 59.

Tant dans son domaine d’application que dans ses sujets, le droit international n’est plus exclusivement « public » 60, contrairement à la conception de la première moitié d’un autre siècle – le vingtième – défendue par le tribunal. Si la distinction terminologique qu’il a tentée devait être retenue, sans doute faudrait-il réserver

55. L’article 66 de la constitution alors en vigueur disposait que « [l]e Président de la République négocie, signe et ratifi e ou dénonce les traités et accords internationaux. […] Le Président de la République est informé de toute négocia-tion tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratifi cation ». Cf. dans la constitution française (qui a inspiré la constitution centrafricaine) la distinction, « inopérante au niveau international » (P. DAILLIER / M. FORTEAU / A. PELLET, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), Paris, LGDJ, 2009, p. 167, n° 89), entre traités et « accords non soumis à ratifi cation ».

56. Id., p. 132, n° 62 (it. aj.).57. Expression utilisée par L. LANKARANI EL-ZEIN, Les contrats d’État à l’épreuve du droit international, Bruxelles,

Bruylant, 2000, p. 9.58. À ce sujet, voy. P. WEIL, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et un particulier », RCADI,

1969-III, vol. 128, pp. 184 et s. ; « Droit international et contrats d’État », in Mélanges offerts à Paul Reuter. Le droit international : unité et diversité, Paris, Pedone, 1981, pp. 567 et s., et de façon pragmatique A. PELLET, Recherche sur les principes généraux de droit en droit international public, Thèse, Paris, 1974, pp. 329-330. Voy. aussi la sentence Texaco-Calasiatic qui mentionne le « droit international des contrats » (in JDI, 1977, p. 356). Plus récemment, voy. Ch. LEBEN, « Quelques réfl exions théoriques à propos des contrats d’État », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fi n du 20e siècle. À propos de 30 ans de recherche du CREDIMI. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Paris, Litec, 2000, pp. 129-175 et du même auteur « L’évolution de la notion de contrat d’État », Rev. Arb., 2003, n° 3, pp. 629-646.

59. CPA, sentence partielle du 30 janvier 2007, § 92.60. Voy. D. CARREAU, Droit international, 10e éd., Paris, Pedone, 2009, p. 49.

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le terme « traités » aux conventions entre personnes publiques internationales et celui d’« accord international » à celles impliquant des personnes privées contrac-tant avec les États ou les organisations internationales. Les premières obéissent en effet à des règles codifi ées dans les deux conventions de Vienne sur le droit des « traités », tandis que les secondes sont le fruit d’une pratique encore en quête de systématisation.

Interprétation des traités2.

i) Dès lors que le consentement à l’arbitrage comme les droits invoqués par les investisseurs reposent sur un traité international, et à plus forte raison lorsque la compétence du tribunal dérive aussi de la convention de Washington sur le CIRDI, les décisions arbitrales transnationales n’ont d’autre choix que de procéder à des opérations d’interprétation des normes internationales, qui reposent immanqua-blement sur les règles codifi ées par la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités en ses articles 31 et suivants 61. Les tribunaux s’accordent pour y voir des règles coutumières 62, dont l’application matérielle n’est donc pas conditionnée par l’adhésion de l’État en litige à la convention. Ainsi dans l’affaire Millicom, le fait que les Pays-Bas et le Sénégal en litige n’aient accédé à la convention de Vienne que postérieurement à la conclusion de leur TBI n’a même pas été discuté par le tribunal 63, qui a préféré relever que l’article 31, censé intervenir pour résoudre les problèmes d’interprétation entre les États liés par le traité, pouvait également être invoqué par un tiers auquel le traité reconnaît des droits 64.

Le tribunal de l’affaire Chevron a précisé que les règles d’interprétation, en raison de leur nature coutumière, s’appliquaient lorsque l’État de nationalité de l’investisseur, partie au TBI, ne l’est pas au « traité des traités » 65. Dans la mesure où cet État n’est pas lui-même partie au litige, on peut s’interroger sur la pertinence de l’incise. Se pose incidemment la question suivante : les règles d’interprétation, si elles n’avaient valeur que conventionnelle, devraient-elles lier les deux États parties au TBI pour être invoquées par l’investisseur ? Ou bien, suffi rait-il que l’État partie au litige transnational soit seul lié par ces règles pour que l’investis-seur puisse s’en prévaloir ? La sentence Millicom, qui ne montre aucune réticence envers la transnationalisation des règles interétatiques, tendrait à militer en faveur de la seconde option.

Mettant en œuvre les « directives générales » 66 d’interprétation codifi ées à l’article 31, et plus rarement celles de l’article 32 67, les sentences arbitrales comme les décisions des comités ad hoc saisis de demandes d’annulation sont

61. Voy. par ex. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GMBH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, décision sur la compétence, 2 mars 2010, § 54 ; CNUDCI, Nova Scotia Power Incorporated c. Venezuela, décision sur la compétence, 22 avril 2010, § 84.

62. CIRDI, Burlington Resources Inc. e.a. c. Équateur et PetroEcuador, aff. n° ARB/08/5, décision sur la compé-tence, 2 juin 2010, § 104 ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les exceptions préliminaires, 2 août 2010, § 115.

63. Voy. B. TRANCHANT, in Rev. Arb., 2010/4, p. 917, selon qui le principe de non-rétroactivité interdit l’application de la convention de Vienne à un traité lui étant postérieur dans son entrée en vigueur. Dans le même sens, CPA/CNUDCI, Eureko BV c. Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010, § 231.

64. CIRDI, Millicom International Operations BV et Sentel GSM c. Sénégal, aff. n° ARB/08/20, décision sur la compétence, 16 juillet 2010, § 58.

65. Voy. par ex. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, UNCITRAL, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 59.

66. P. DAILLIER / M. FORTEAU / A. PELLET, op. cit. note 55, p. 290, n° 170.67. Voy. CIRDI, Murphy Exploration and Production Company International c. Équateur, aff. n° ARB/08/4, sentence

sur la compétence, 15 décembre 2010, §§ 71, 143, où le tribunal interprète le TBI au regard de l’article 31, sans estimer avoir besoin de recourir à l’article 32.

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légions à s’attacher au sens ordinaire des termes 68, à l’objet et au but du traité 69, à son contexte interne 70, voire externe 71. Une sentence s’est également référée, en sus de la convention de Vienne, aux maximes d’interprétation proposées par la sentence AAPL c. Sri Lanka 72. Certains tribunaux en appellent à une interpréta-tion raisonnable 73, quand d’autres ont recours à une interprétation évolutive 74 ou téléologique 75. La sentence Millicom précitée illustre cette dernière méthode, dans laquelle le tribunal a retenu une interprétation contraire à la lettre du traité pour établir le consentement du Sénégal à l’arbitrage 76. Occasionnellement, certains actes de droit interne sont susceptibles d’être utilisés à des fi ns d’interprétation du traité applicable. Un tribunal pourra attacher de l’importance à l’instrument de ratifi cation sans encourir la censure du comité ad hoc examinant la validité de sa sentence 77, alors qu’un autre tribunal exprimera sa réticence à interpréter la défi -nition conventionnelle de l’investissement fournie par le TBI Ukraine/États-Unis à l’aide de la lettre par laquelle le président américain a soumis pour approbation le traité au Congrès 78.

Le choix d’une technique plutôt qu’une autre conditionne largement l’interpré-tation fi nale qui sera donnée à un énoncé normatif – quand il n’est pas préalable-ment téléguidé par le sens que le tribunal entend donner à la disposition discutée, le cas échéant selon le courant jurisprudentiel auquel il entend se rattacher 79.

68. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabilité, 14 janvier 2010, §§ 258 et s. ; CIRDI, Alasdair Ross Anderson e.a. c. Costa Rica, ARB(AF)/07/3, sentence du 19 mai 2010, §§ 48 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, aff. n° ARB/02/16, décision sur la demande d’annulation, 29 juin 2010, § 211 ; Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre 2010, §§ 323, 382, 388.

69. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, §§ 188, 214 et s.

70. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabilité, 14 janvier 2010, §§ 264 et s. ; CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010, §§ 84 ; Comité ad hoc CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, décision sur la demande d’annulation, 30 juillet 2010, §§ 306, 311 (référence au préambule du traité) ; CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010, § 116 (interprétation a contrario du préambule).

71. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabilité, 14 janvier 2010, § 93 (interprétation de la convention de Washington en recherchant la compatibilité plutôt que la contradiction avec le TBI applicable) ; CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010, § 84 et s. (pertinence du GATT et du GATS dans l’interprétation de l’expression « in like circumstances »).

72. CIRDI, Alpha Projektholding GmbH c. Ukraine, aff. n° aff. n° ARB/07/16, sentence du 8 novembre 2010, § 223 (« the Tribunal will employ generally accepted rules of interprétation, such as the ones neatly summarized by the AAPL tribunal : (i) the tribunal should not interpret that which has no need of interprétation ; (ii) effect should be given to every provision of an agreement ; and (iii) a provision must be interpreted so as to give it meaning rather than so as to deprive it of meaning »). Voy. CIRDI, Asian Agricultural Products Limited c. Sri Lanka, aff. n° ARB/87/3, sentence du 27 juin 1990, sentence partiellement reproduite et traduite in E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004, pp. 324-325, § 40.

73. CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin 2010, § 343 (au sujet des « clauses parapluie »).

74. CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010, §§ 190 et s. (interprétation évolutive du standard de traitement des étrangers depuis la sentence Neer).

75. Comité ad hoc CIRDI, Helnan International Hotels c. Égypte, aff. n° ARB/05/19, décision sur la demande d’annulation, 14 juin 2010, §§ 42 et s., spéc. § 47 (une interprétation ayant pour effet d’imposer une condition d’épuise-ment des voies recours internes en matière de traitement juste et équitable « would empty the development of investment arbitration ») ; CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 236 (interprétation préservant un équilibre entre les droits des investisseurs et le droit de l’État de réguler).

76. CIRDI, Millicom International Operations BV et Sentel GSM c. Sénégal, aff. n° ARB/08/20, décision sur la compétence, 16 juillet 2010, §§ 69 et s. et le commentaire de B. TRANCHANT, in Rev. Arb., 2010/4, pp. 915 et s.

77. Comité ad hoc CIRDI, Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide c. Philippines, aff. n° ARB/03/25, décision sur la demande d’annulation, 23 décembre 2010, §§ 92 et s.

78. CIRDI, Global Trading Resource Corp. et Globex International, Inc. c. Ukraine, aff. n° ARB/09/11, sentence du 1er décembre 2010, §§ 41 et 50.

79. Voy. notre étude « Les techniques interprétatives du CIRDI », in RGDIP, 2011/2, n° spécial sur « Les techniques interprétatives de la norme internationale », pp. 459-480. Voy. aussi cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 685 et s.

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618 ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2010)

C’est ainsi que les standards classiques du droit des investissements (traitement juste et équitable, respect des engagements souscrits, etc.) acquièrent un sens variable selon le tribunal qui les interprète. Il en va de même pour la défi nition de l’investissement, laquelle conditionne la compétence des tribunaux arbitraux. Deux sentences rendues en 2010 interprètent ainsi de manière radicalement contradictoire le terme « investissement » utilisé à l’article 25 de la convention de Washington sur la compétence du CIRDI. Pour justifi er la défi nition objective de l’investissement qu’il a retenue, le tribunal de l’affaire Saba Fakes s’est appuyé sur le sens littéral, selon lui, du terme « investissement », qui emporterait trois critères (l’apport, la durée, le risque), sans que cette interprétation fasse violence ni au texte de la convention, ni à ses objet et but 80. Contrairement à certains tribunaux ayant recouru au préambule de la convention de Washington au titre du contexte interne, le tribunal a en outre rejeté l’ajout d’un quatrième critère, celui de la contribution au développement économique du pays hôte. Un cinquième critère, celui de l’in-vestissement réalisé de bonne foi ou légalement, que certains tribunaux ont cru bon de dégager 81 ou de reprendre 82, a été également exclu comme étant étranger à la convention de Washington 83. Mais à rebours de la sentence Saba Fakes, le tribunal de l’affaire Alpha Projektholding a refusé d’interpréter le terme « investis-sement » comme désignant une notion objective, quel que soit le nombre de critères la composant. En l’absence de défi nition de l’investissement dans la convention de Washington, conformément au choix retenu par les rédacteurs et les signataires du traité, le tribunal a choisi de se référer à la défi nition de l’investissement fournie par le TBI applicable. À cet effet, c’est la volonté des parties au traité qui a été prise en compte 84. Ces deux sentences antinomiques témoignent de l’immense marge de manœuvre qu’ont les arbitres transnationaux dans l’interprétation des instruments relatifs aux investissements, la convention de Vienne contraignant moins l’interprète qu’elle ne lui offre des éléments variés d’argumentation.

iii) Bien que censées concerner les traités, les règles d’interprétation de la convention de Vienne voient leur champ d’application s’étendre. La Cour interna-tionale de Justice et le Tribunal international pour le droit de la mer ont admis qu’elles pouvaient inspirer l’interprétation des actes unilatéraux des organisations internationales 85. Des tribunaux transnationaux en ont pour leur part fait usage pour l’analyse des dispositions relatives à la récusation des arbitres du règlement

80. CIRDI, Saba Fakes c. Turquie, aff. n° ARB/07/20, sentence du 14 juillet 2010, § 110.81. CIRDI, Phoenix Action, Ltd. c. République tchèque, aff. n° ARB/06/5, sentence du15 avril 2009, § 142. Voy.

cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 686-687.82. CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin 2010,

§ 123 ; CIRDI, RSM Production Corporation c. République centreafricaine, ARB/07/02, décision sur la compétence et la responsabilité du 7 décembre 2010, § 58.

83. Sentence Saba Fakes, §§ 111 et s.84. CIRDI, Alpha Projektholding GmbH c. Ukraine, aff. n° aff. n° ARB/07/16, sentence du 8 novembre 2010, §§ 311

et s. Contra voy. par ex. CIRDI, RSM Production Corporation c. République centreafricaine, aff. n° ARB/07/02, décision sur la compétence et la responsabilité du 7 décembre 2010, §§ 46 et s. Sur les « dernières tendances de la jurisprudence CIRDI » relatives à la défi nition de l’investissement, voy. S. LEMAIRE, in Rev. Arb., 2010/4, pp. 924 et s. Voy. aussi, concernant « la condition de légalité des investissements et le procès arbitral », J. MATRINGE, ibid., pp. 929, où l’auteur démontre de manière convaincante que la prescription de légalité est traitée à tort comme une question de compétence, alors qu’elle devrait relever du fond. Adde A. DE NANTEUIL, « La notion d’investissement réalisé ‘conformément au droit de l’État d’accueil’ », in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, n° 4, pp. 1033 et s. nos 33 et s. ; P.-E. DUPONT, « The Notion of ICSID Investment : Ongoing ‘Confusion’ or ‘Emerging Synthesis’ ? », Journal of World Investment and Trade, vol. 12, n° 2, April 2011, pp. 245-261.

85. CIJ, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet 2010, § 94 (la Cour estime que les règles de la convention de Vienne « peuvent fournir certaines indications » mais que d’autres éléments doivent intervenir en raison de la spécifi cité des résolutions du Conseil de sécu-rité) ; TIDM, Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, avis du 1er février 2011, §§ 59-60 (pour l’interprétation des règlements de l’Autorité, « les règles d’interprétation de la Convention de Vienne peuvent, par analogie, fournir certaines indications »).

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ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2010) 619

d’arbitrage du CIRDI 86, et ont même admis leur relevance aux fi ns d’interpréter une loi nationale.

Dans les affaires Mobil et CEMEX, les tribunaux saisis (tous deux présidés par l’ancien président français de la Cour internationale de Justice) étaient en effet chargés d’interpréter l’article 22 de la loi vénézuélienne sur l’investissement qui prévoyait le recours à l’arbitrage sous certaines conditions. Les investisseurs soute-naient que la disposition valait consentement à la compétence du CIRDI, ce que le Venezuela contestait 87. Après avoir rappelé qu’un tribunal a la compétence de sa compétence 88 et, en vertu de ce principe et conformément à la jurisprudence de la Cour mondiale, qu’un tribunal international n’est pas lié par l’interprétation donnée par un État souverain de son consentement unilatéral à sa juridiction 89, les deux décisions se sont interrogé sur la source à laquelle puiser les règles d’interprétation de la disposition litigieuse. Plutôt que d’interpréter l’article 22 à l’aide des règles vénézuéliennes, les tribunaux ont estimé être en présence d’un acte unilatéral international devant être interprété au regard du droit international. En l’absence de règles explicites d’interprétation relatives aux actes unilatéraux pris dans le cadre d’un traité (la convention de Washington en l’occurrence), les tribunaux se sont référés aux principes dégagés par la CIJ dans l’interprétation des déclarations de juridiction obligatoire des États effectuées au titre de l’article 36, § 2, de son statut. Le régime qui en résulte se distingue de celui proposé par la convention de Vienne car l’intention de l’État mérite selon la jurisprudence de la Cour une consi-dération plus forte que celle que lui accorde le traité des traités 90. Toujours est-il que selon la Cour et les tribunaux qui la citent, les règles de la convention de 1969 ne doivent pas être « complètement ignorées » : elles « peuvent s’appliquer […] par analogie dans la mesure où elles sont compatibles avec le caractère sui generis » des déclarations unilatérales 91.

L’analyse littérale de l’article 22 de la loi, passablement mal rédigé, ne permet-tant pas d’en éclairer le sens, les tribunaux ont envisagé le principe d’effet utile dont la CIJ a reconnu le rôle important en droit des traités 92. Lorsque sont examinés des actes unilatéraux, ce principe d’interprétation doit toutefois céder devant la recherche de l’intention de l’État auteur de l’acte 93. Dès lors, c’est dans le droit national vénézuélien que le tribunal de l’affaire Mobil a fouillé (constitution, loi sur l’arbitrage commercial, histoire législative de l’article 22 94) pour tenter d’y déceler l’intention du Venezuela, en l’occurrence non établie, de consentir à l’arbitrage CIRDI à travers l’article 22 de sa loi. Le tribunal CEMEX, pour aboutir à la même

86. CIRDI, Alpha Projektholding GmbH c. Ukraine, aff. n° ARB/07/16, décision sur la demande de récusation d’un arbitre, 19 mars 2010, §§ 33, 37 (sens littéral), 48 et s. (travaux préparatoires du règlement d’arbitrage).

87. CIRDI, Mobil c. Venezuela, aff. n° ARB/07/27, décision sur la compétence, 10 juin 2010, § 69 ; CIRDI, CEMEX Caracas Investments BV et CEMEX Caracas II Investments BV c. Venezuela, aff. n° ARB/08/15, décision sur la compétence, 30 décembre 2010, § 65. Cf. CIRDI, Southern Pacifi c Properties (Middle East) Limited c. Égypte, aff. n° ARB/84/3, décision sur la compétence, 14 avril 1988 (in E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004, pp. 347 et s.)

88. Décision Mobil, § 74 ; décision CEMEX, § 69.89. Décision Mobil, § 75 ; décision CEMEX, § 70.90. CIJ, Compétence en matière de pêcheries, arrêt (compétence) du 4 décembre 1998, § 46 (cité dans la décision

Mobil, §§ 92 et s. et dans la décision CEMEX, §§ 85 et s.).91. CIJ, Compétence en matière de pêcheries, § 46 (cité dans la décision Mobil, § 96 et dans la décision CEMEX,

§ 89).92. CIJ, Compétence en matière de pêcheries, § 52 (cité au paragraphe 116 de la décision Mobil et au paragraphe

107 de la décision CEMEX).93. CIJ, Compétence en matière de pêcheries, § 52 (cité au paragraphe 118 de l’affaire Mobil et au paragraphe 111

de la décision CEMEX, qui, plus documentée, cite également au paragraphe 110 l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co.). La décision CEMEX constate à titre subsidiaire que même si le principe d’effet utile devait s’appliquer aux déclarations unilatérales, l’interprétation de l’article 22 de la loi n’en serait guère facilitée (§§ 113 et s., où la jurisprudence de la CIJ est abondamment citée).

94. Décision Mobil, §§ 126 et s.

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conclusion, a semblé toutefois plaquer sur l’article 22 les techniques classiques d’interprétation des traités, dans la mesure où il a recherché l’intention de l’État en examinant « l’objet et le but » de la loi 95, avant d’envisager son « histoire législative » comme s’il s’agissait de travaux préparatoires 96. Dans les deux cas, au paradoxe de l’assimilation d’une loi nationale à un acte international 97 a succédé l’artifi ce de son interprétation au regard du droit interne par renvoi de la technique internationale d’interprétation à l’intention des parties. Quoi qu’il en soit, cet entremêlement du droit international et du droit interne confi rme que « du point de vue de son offi ce », le juge CIRDI « agit comme juge international aussi bien que comme juge interne », ici de manière cumulative 98.

Non rétroactivité des traités3.

Le principe de non rétroactivité des traités est d’application courante dans l’arbitrage transnational pour régler des questions de fond 99 comme pour établir ou rejeter la compétence du tribunal 100. La sentence de l’affaire Railroad 101 illustre les confusions, sinon les liens, qui peuvent intervenir ratione temporis entre champ d’application du traité et compétence juridictionnelle 102.

Pour traiter de sa compétence temporelle, le tribunal s’est en effet appuyé sur l’article 10.1 de l’accord de libre-échange entre l’Amérique centrale, les États-Unis d’Amérique et la République Dominicaine (ALEAC/CAFTA), qui précise le champ d’application du chapitre 10 de l’accord, relatif aux investissements, et non pas sur la clause juridictionnelle du traité qui, elle, ne comporte pas de limitation temporelle – et qui, du reste, ne cantonne pas la compétence ratione materiae du tribunal aux obligations en matière d’investissement souscrites par les États dans le chapitre 10 103. Mais la clause juridictionnelle couvrant les réclamations relatives à la violation alléguée du chapitre 10, on comprend, malgré le silence sur ce point du tribunal, que l’examen de la compétence ne puisse être dissocié de la vérifi cation au moins prima facie que les faits litigieux se situent bien sous l’emprise du traité.

À cet égard, le Guatemala se prévalait de l’art. 10.1.3 de l’ALEAC selon lequel :

« For greater certainty this Chapter does not bind any Party in relation to any act or fact that took place or any situation that ceased to exist before the date of entry into force of this Agreement ».

95. Décision CEMEX, §§ 116 et s.96. Décision CEMEX, §§ 127 et s.97. Sur cette qualifi cation, voy. infra B, 3.98. M. FORTEAU, « Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son offi ce : juge interne, juge international, ou l’un

et l’autre à la fois ? », in Liber Amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 97. Cf. CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, § 223 (droit applicable).

99. Voy. infra III, A, 2.100. CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2, sentence du 18 mai

2010, §§ 108-109 (incompétence du tribunal pour examiner un déni de justice allégué, portant sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du TBI applicable). Sur la question de la prescription équitable dans l’établissement de la compétence ratione temporis, voy. CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, §§ 258 et s.

101. CIRDI, Railroad Development Corporation c. Guatemala, aff. n° ARB/07/23, seconde décision sur les exceptions d’incompétence, 18 mai 2010.

102. Voy. A. DE NANTEUIL, « Application des traités dans le temps et compétence ratione temporis des tribunaux arbitraux », Gaz. Pal., 13-15 décembre 2009, pp. 33 et s. ; J. MATRINGE, « La compétence ratione temporis et l’applicabilité du traité dans le temps », in Ch. LEBEN (dir.), La procédure arbitrale relative aux investissements internationaux : aspects récents, Paris, LGDJ/Anthémis, 2010, pp. 45 et s.

103. Art. 10.16 de l’ALEAC. Le consentement à l’arbitrage vaut pour les réclamations des investisseurs reposant sur une violation du chapitre 10 de l’ALEAC, mais également relatives à une « investment authorization » ou un « investment agreement » (art. 10.16.1).

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C’est pourtant à l’aune du principe de non-rétroactivité que ses objections à la compétence du tribunal ont été rejetées. L’investisseur reprochait en effet à l’État l’adoption d’une réglementation ayant permis l’annulation de ses contrats (Lesivo). L’argument du Guatemala consistait à dire que la date critique, ie celle de prise d’effets du Lesivo, ne correspondait pas à la date de sa publication, postérieure à l’entrée en vigueur du traité, mais lui était au contraire antérieure.

Rappelant le principe de non-rétroactivité des traités codifi é à l’article 28 de la convention de Vienne et le commentaire du projet d’articles de la CDI ayant précédé le « traité des traités », le tribunal a estimé en toute logique que « [t]he treaty cannot be breached before it entered into force » 104. Or pour les arbitres, si la préparation du Lesivo était certes antérieure au traité, son entrée en vigueur était conditionnée par un acte de l’exécutif et par sa publication intervenue postérieu-rement à l’ALEAC 105. À titre subsidiaire, le tribunal a jugé que le Lesivo était le fruit d’un processus qui, même s’il était devenu inéluctable avant l’ALEAC, avait nécessité des actes d’exécution postérieurs, fondant la compétence temporelle du tribunal 106. Pour aboutir à cette conclusion, le tribunal s’est appuyé sur la notion d’acte continu, en invoquant tant les commentaires de la CDI sur la disposition qui allait devenir l’article 28 de la convention de Vienne 107 que sur la jurispru-dence rendue par les tribunaux transnationaux sur cette notion, y compris au sens du droit de la responsabilité internationale 108. Signe d’une certaine forme d’œcuménisme conceptuel couramment à l’œuvre dans l’arbitrage transnational, l’indistinction entre droit des traités et droit de la responsabilité s’ajoute ici à l’inclusion de la question du champ d’application du traité dans celle relative à la compétence juridictionnelle.

Fin des traités4.

La compatibilité avec le droit de l’Union européenne des traités de protection des investissements liant des États membres soulève d’épineux problèmes juridi-ques, que ne devrait pas aplanir l’attribution à l’Union, par le traité de Lisbonne, de compétences explicites en matière d’investissement 109. Le cas des traités bila-téraux devenus intracommunautaires à la suite de l’accession à l’UE de nouveaux États membres fait partie des problèmes désormais classiques traités tant par la Cour de Justice que par les tribunaux arbitraux 110. Deux sentences arbitrales 111 ont été rendues dans ce contexte en 2010, à l’occasion desquelles on notera que

104. Décision Railroad, § 116.105. Décision Railroad, §§ 118 et s.106. Décision Railroad, §§ 121 et s.107. Ann. CDI, 1966, II, p. 231, commentaire de l’article 24, §§ 3 et 4, notamment : « le traité ne s’appliquera ni

aux actes ou faits qui ont été accomplis avant que le traité n’entre en vigueur, ni à des situations qui ont cessé d’exister avant que le traité n’entre en vigueur » (§ 4, italiques dans le texte, cité au paragraphe 123).

108. Dans la sentence Tecmed citée par le tribunal, la notion d’acte continu a été employée aux fi ns d’examiner le respect de ses obligations par le Mexique, et non la compétence ratione temporis du tribunal (CIRDI, Técnicas Medioam-bientales Tecmed, SA c. Mexique, aff. n° ARB (AF)/00/2, sentence du 29 mai 2003, §§ 62 et s.).

109. Voy. R. LEAL-ARCAS, « The European Union’s Trade and Investment Policy after the Treaty of Lisbon », Journal of World Investment and Trade, vol. 11, n° 4, August 2010, pp. 463-514 ; B. POULAIN / M. RAUX, « Actualité du droit européen des investissements internationaux », RGDIP, 2011-1, pp. 115-140.

110. Voy. H. WEHLAND, « Intra-EU Investment Agreements and Arbitration : Is European Community Law an Obstacle ? », ICLQ, 2009, vol. 59, n° 2, pp. 297-320 ; Ch. SÖDERLUND, « Intra-EU BIT Investment Protection and the EC Treaty », Journal of International Arbitration, 2007, pp. 455 et s. ; E. TEYNIER, « L’applicabilité des traités bilatéraux sur les investissements entre États membres de l’Union européenne », Cahiers de l’arbitrage, 2008/1, pp. 12 et s.

111. CIRDI, AES Summit Generation Limited et AES-Tisza Erömü Kft c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010 (comm. G. ARÉOU, in RGDIP, 2011/1, pp. 223 et s.) ; CPA/CNUDCI, Eureko BV c. Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010 (comm. G. ARÉOU, in RGDIP, 2011/1, pp. 230 et s. ; B. POULAIN, in Rev. Arb., 2011/1, pp. 257 et s.)

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la Commission européenne est intervenue dans la procédure en tant qu’amicus curiae 112. Dans la sentence AES, le problème de la compatibilité entre le droit de la concurrence et le TBI Hongrie/Royaume-Uni était soulevé, dans la mesure où la Hongrie justifi ait le rétablissement du contrôle administratif des prix de l’électricité au regard des règles européennes relatives aux aides d’État. L’argument a toutefois été balayé au terme d’un raisonnement qui montre que le dualisme n’a pas déserté le CIRDI : pour le tribunal, le droit communautaire de la concurrence répond à une double nature : à la fois régime international et composante des droits internes une fois introduit dans les ordres juridiques nationaux. Se focalisant sur ce deuxième aspect, le tribunal a affi rmé que « [i]t is common ground that in international arbi-tration, national laws are to be considered as facts » 113. C’est donc seulement à titre factuel que les règles en matière d’aides d’État ont pu être prises en compte pour examiner la conformité du comportement hongrois à ses obligations en matière de traitement des investissements britanniques 114.

La seconde sentence, qui portait sur la contestation par une société néerlan-daise des mesures slovaques remettant en cause la libéralisation du secteur de l’assurance maladie, aborde de front la question de la fi n des traités. Le tribunal y a examiné l’argument selon lequel le TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie de 1991 se serait éteint du fait de l’adhésion de la Slovaquie à l’Union européenne, conformément à l’article 59 de la convention de Vienne (« Extinction d’un traité ou suspension de son application implicites du fait de la conclusion d’un traité postérieur »). Il y a répondu par la négative en avançant des motifs inégalement convaincants.

Le tribunal a en effet considéré que l’article 59 était conditionné par l’article 65 de la convention de Vienne (« Procédure à suivre concernant la nullité d’un traité, son extinction, le retrait d’une partie ou la suspension de l’application du traité »). Faute de notifi cation par la Slovaquie de sa position sur l’invalidité ou l’extinction du TBI 115, l’argument de la fi n du traité ne pouvait, selon le tribunal, prospérer 116. Il peut sembler paradoxal que l’extinction « implicite » envisagée à l’article 59 doive suivre une procédure formelle de notifi cation 117. L’article 65 n’ajoute néanmoins aucune condition substantielle affectant la fi n du traité : le traité sera implicite-ment abrogé même sans notifi cation des prétentions de l’État à cet égard, de même que la nullité d’un traité vicié est matériellement acquise par la simple existence du vice. L’article 65 concerne plutôt la mise en œuvre de la fi n du traité : il ne pose des règles de nature que procédurale, qui conditionnent la prise des mesures

112. Voy. sentence AES, §§ 8.2 et s. ; sentence Eureko, §§ 175 et s. Dans son commentaire de la sentence, B. Poulain relève que là où le tribunal de l’affaire AES « a fait le nécessaire pour contenir et encadrer les velléités d’intervention des autorités communautaires », le tribunal de l’affaire Eureko a en revanche sollicité lui-même l’intervention de la Commission (Rev. Arb., 2011/1, p. 261). Voy. S. MENÉTREY, « La participation ‘amicale’ de la Commission européenne dans les arbitrages liés aux investissements intracommunautaires », JDI, 2010/4, t. 137, pp. 1127-1155 et plus généralement T. ISHIKAWA, « Third Party Participation in Investment Treaty Arbitration », ICLQ, 2010, vol. 59, n° 2, pp. 373-412. Voy. aussi infra III, A, 4, l’amicus curiae pris en compte dans l’une des « affaires argentines ».

113. Sentence AES, § 7.6.6. Contra voy. la sentence Eureko, §§ 229, 282. Cf. CPJI, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt du 25 mai 1926, Série A, n° 7, p. 19.

114. Au paragraphe 7.6.9, la sentence précise que « [t]he question of whether Hungary was, may have been, or may have felt obliged under EC law to act as it did, is only an element to be considered by this Tribunal when determining the ‘rationality’,‘reasonableness’, ‘arbitrariness’ and ‘transparency’ of the reintroduction of administrative pricing and the Price Decrees ». Voy. aussi le paragarphe 7.6.10, où le tribunal conclut à l’inapplicabilité de l’article 307 (ex art. 234) du traité CE.

115. Art. 65, § 1 : « La partie qui, sur la base des dispositions de la présente Convention, invoque soit un vice de son consentement à être liée par un traité, soit un motif de contester la validité d’un traité, d’y mettre fi n, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application, doit notifi er sa prétention aux autres parties. La notifi cation doit indiquer la mesure envisagée à l’égard du traité et les raisons de celle-ci ».

116. CPA/CNUDCI, Eureko BV c. Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010, §§ 231 et s.

117. En ce sens, voy. B. POULAIN, comm. in Rev. Arb., 2011/1, p. 265.

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envisagées à l’égard du traité et renvoient, en cas d’objection de l’État notifi é, aux modes de règlement pacifi que des différends 118. Comme l’a remarqué la CDI, il s’agit d’« empêcher que la nullité, la fi n ou la suspension de l’application d’un traité puisse être arbitrairement invoquée comme simple prétexte pour s’affranchir d’une obligation gênante » 119. Contrairement à ce qu’affi rme le tribunal, on peut douter que les conséquences du non respect de l’obligation de notifi cation consti-tuent un obstacle à la disparition du traité implicitement abrogé ; elles engagent plutôt la responsabilité de l’État qui n’a pas respecté les conditions procédurales de l’article 65, sans préjudice de sa responsabilité pour violation du traité s’il s’avère qu’il n’a pas été implicitement abrogé par le traité postérieur.

Le tribunal s’est ensuite penché sur la condition de l’article 59 limitant l’extinc-tion implicite aux cas dans lesquels le traité ultérieur porte « sur la même matière ». L’article 30 de la convention de Vienne ayant recours à la même terminologie (« Application de traités successifs portant sur la même matière »), le tribunal a entrepris une analyse comparative des deux dispositions 120, dont il est ressorti que l’incompatibilité de l’article 59 était plus exigeante que celle de l’article 30. Puis, au terme d’une comparaison entre les règles du TBI et celle du droit communau-taire, le tribunal va établir qu’aucune des deux causes alternatives d’extinction du traité 121 n’était atteinte en l’espèce 122. Au demeurant, la Commission euro-péenne elle-même considérait que l’adhésion de la Slovaquie n’avait pas entraîné l’abrogation implicite du TBI 123.

Enfi n, le tribunal a avancé une troisième raison pour rejeter les arguments contestant sa compétence par application au TBI de l’article 59 de la convention de Vienne. Le tribunal a refusé de considérer que les dispositions du traité avaient été remplacées par le droit communautaire, dans la mesure où les investisseurs se voient offrir par le TBI une voie de recours contre l’État (l’arbitrage) que les règles communautaires ignorent. Les atteintes au principe communautaire de non discrimination qui peuvent en résulter ne doivent pour le tribunal, ni priver l’investisseur de ses droits, ni entraîner l’invalidité du consentement des parties à l’arbitrage 124.

Pour ces raisons, le tribunal a retenu sa compétence dans l’affaire Eureko, tout en rejetant les demandes de suspension de procédure dans l’attente d’une décision

118. Art. 65, § 2 : « 2. Si, après un délai qui, sauf en cas d’urgence particulière, ne saurait être inférieur à une période de trois mois à compter de la réception de la notifi cation, aucune partie n’a fait d’objection, la partie qui a fait la notifi cation peut prendre, dans les formes prévues à l’art. 67, la mesure qu’elle a envisagée » ; § 3 : « Si toutefois une objection a été soulevée par une autre partie, les parties devront rechercher une solution par les moyens indiqués à l’art. 33 de la Charte des Nations Unies ».

119. Commentaire de l’article 62 du projet de la CDI sur le droit des traités, Ann. CDI, 1966, vol. II, p. 285.120. Sentence Eureko, § 241 (« Under Article 30 the test is whether the two successive treaty provisions are

‘compatible’. Under Article 59 the test is whether the provisions of the later treaty are ‘so far incompatible with those of the earlier one that the two treaties are not capable of being applied at the same time’. Article 30 may be triggered by the slightest incompatibility between the provisions of the earlier and later treaties. Article 59 clearly requires a broader incompatibility between the two treaties »). Aux paragraphes 268 et s. de la sentence, le tribunal a examiné, pour les rejeter, les arguments de la Slovaquie selon lesquels l’art. 30 rendrait les dispositions du TBI inapplicables. Le tribunal constate dans cette optique qu’aucune règle de droit communautaire n’interdit l’arbitrage État/investisseur (§§ 273 et s.). Voy. B. POULAIN, comm. précité note 117, pp. 270 et s.

121. Art. 59, § 1 (extinction implicite « a) s’il ressort du traité postérieur ou s’il est par ailleurs établi que selon l’intention des parties la matière doit être régie par ce traité ; ou b) si les dispositions du traité postérieur sont incompatibles avec celles du traité antérieur à tel point qu’il est impossible d’appliquer les deux traités en même temps »).

122. Sentence Eureko, §§ 242 et s. Voy. B. POULAIN, comm. précité note 117, pp. 267 et s., où l’auteur estime que l’exercice a été « légèrement détourné » par le tribunal qui a tenté de justifi er le maintien des TBI intra-communautaires en raison des « garanties sui generis qu’ils comportent au bénéfi ces des investisseurs » (p. 267).

123. Sentence Eureko, § 187.124. Sentence Eureko, §§ 264 et s.

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de la Commission européenne ou de la Cour de Justice au sujet des aspects du différend couverts par le droit communautaire :

« While the Tribunal wishes to organise its proceedings with full regard for considera-tions of mutual respect and comity as regards other courts and institutions, it does not consider that the questions in issue in the infringement case are so far coextensive with the claims in the present case that it is appropriate to suspend its proceedings now. Should it become evident at a later stage that the relationship between the two sets of proceedings is so close as to be a cause of procedural unfairness or serious ineffi ciency, the Tribunal will reconsider the question of suspension » 125.

On notera enfi n, pour conclure sur la fi n des traités, que dans l’affaire Murphy c. Équateur, le tribunal saisi a mis en œuvre l’article 54 de la convention de Vienne (« Extinction d’un traité ou retrait en vertu des dispositions du traité ou par consen-tement des parties ») ainsi que son article 39 (« Règle générale relative à l’amende-ment des traités ») pour rejeter l’argument de l’État défendeur selon lequel, par la simple notifi cation prévue à l’article 25, § 4, de la convention de Washington 126, il aurait pu réduire à néant son consentement à l’arbitrage exprimé dans le TBI.

Autres sourcesB.

Coutume1.

La place de la coutume dans la jurisprudence transnationale concerne moins l’identifi cation de nouvelles normes 127 qu’elle ne soulève la question de ses rapports avec les normes conventionnelles. En effet, les standards de traitement des inves-tissements garantis par les traités ayant pris corps à partir des standards coutu-miers de traitement des étrangers, le contentieux transnational aborde de manière récurrente la question des rapports entre droit coutumier et droit conventionnel, notamment lorsqu’est examinée la question du traitement juste et équitable 128. À travers les cas du déni de justice 129 ou de l’état de nécessité 130, il a été rappelé que le droit coutumier pouvait être utilisé à des fi ns d’interprétation du droit

125. Sentence Eureko, § 192. À noter que l’affaire de l’Usine MOX fait l’objet de nombreuses références dans la sentence (voy. notamment les paragraphes 148, 178, 184 et s., 203, 209, 276). Cf. aussi CNUDCI, Nova Scotia Power Incorporated c. Venezuela, décision sur la compétence, 22 avril 2010, § 149.

126. Voy. infra B, 3, la question des actes unilatéraux.127. Voy. cependant CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin

2010, §§ 123-124, où le tribunal s’est appuyé sur des « general principles that exist independently of specifi c language to this effect in the Treaty » aux termes desquels un investissement ne bénéfi cie pas de la protection « if it has been created in violation of national or international principles of good faith ; by way of corruption, fraud, or deceitful conduct ; or if its creation itself constitutes a misuse of the system of international investment protection under the ICSID Convention. It will also not be protected if it is made in violation of the host State’s law ».

128. CNUDCI (ALENA), Chemtura Corporation c. Canada, sentence du 2 août 2010, §§ 121 et s. ; CIRDI, Alpha Projektholding GmbH c. Ukraine, aff. n° aff. n° ARB/07/16, sentence du 8 novembre 2010, §§ 420 et s. ; CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010, § 125 ; CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, §§ 428 et s. ; CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabilité, 14 janvier 2010, §§ 247 et s. ; CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010, §§ 182 et s., 201 et s. ; CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, §§ 188 et s. (et l’opinion dissidente de l’arbitre Pedro Nikken qui privilégie le standard coutumier de la sentence Neer). Voy. V. KIRSEY, « Le traitement juste et équitable », in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, n° 4, pp. 1033 et s. nos 120 et s.

129. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 244.

130. Comité ad hoc CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, aff. n° ARB/02/16, décision sur la demande d’annulation, 29 juin 2010, § 197. Sur la question de l’état de nécessité, voy. infra III, A, 4.

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conventionnel. Mais en tout état de cause, le traité peut déroger à la coutume 131 et la lex specialis du premier doit l’emporter sur la lex generalis de la seconde 132. Le tribunal de l’affaire Saba Fakes a ainsi jugé que les règles coutumières du droit de la protection diplomatique – en l’occurrence la règle de l’effectivité de la nationa-lité consacrée par l’arrêt Nottebohm – devaient s’effacer devant la spécifi cité des dispositions conventionnelles du droit des investissements ouvrant le recours à l’arbitrage aux ressortissants d’un État partie contre l’autre partie 133. De même, quand le droit coutumier de la protection diplomatique exprimé par l’arrêt Barce-lona Traction ne reconnaît pas le droit des actionnaires de demander réparation pour les dommages subis par la société, le tribunal de la Chambre de commerce de Stockholm saisi d’une des affaires Yukos a estimé que le traité bilatéral appli-cable consacrait expressément ce droit, à l’instar de la plupart des instruments de protection des investissements et de la jurisprudence transnationale y relative 134. La Guinée, dans l’affaire Diallo, s’était d’ailleurs appuyée sur cette pratique géné-ralisée pour faire admettre, en vain, le concept de protection diplomatique par substitution par la Cour internationale de Justice 135. La circulation des normes entre le droit international général et le droit des investissements connaît donc ici une limite, dans la mesure où le tribunal arbitral a bien affi rmé que

« modern investment treaty arbitration does not require that a shareholder can only claim protection in respect of measures that directly affect shares in their own right, but that the investor can also claim protection for the effect on its shares by measures of the host state taken against the company » 136.

Principes généraux de droit2.

Le « rôle ‘proéminent’ joué par les principes généraux de droit international » 137 dans l’arbitrage transnational n’est plus à établir. On se contentera de relever qu’en 2010 plusieurs principes tirés, au moins en partie, de la comparaison des droits internes ont été mis en œuvre par des tribunaux arbitraux. Dans la décision Total, le tribunal a considéré que le concept d’attentes légitimes découlait de l’obligation de bonne foi, elle-même envisagée en tant que principe général de droit au sens de l’article 38 du statut de la CIJ. Pour que l’autorité attachée à cette dernière rejaillisse sur les legitimate expectations, le tribunal a estimé qu’il lui revenait de mener une analyse de droit comparé, dont il a ressorti que le concept d’attentes légitimes était admis, dans des limites bien défi nies, tant par les systèmes de droit civil et de Common Law, que dans la jurisprudence européenne 138. Alors que la plupart des tribunaux associent les legitimate expectations au traitement juste et équitable sans prendre la peine d’en prouver la positivité autrement que par des

131. Comité ad hoc CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, décision sur la demande d’annulation, 30 juillet 2010, § 114.

132. Décision Sempra, §§ 176, 190. 133. CIRDI, Saba Fakes c. Turquie, aff. n° ARB/07/20, sentence du 14 juillet 2010, §§ 64, 68.134. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. C. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre

2010, §§ 605 et s.135. CIJ, Ahmadou Sadio Diallo, arrêt sur les exceptions préliminaires du 24 mai 2007, § 90 (« Le fait, dont se

prévaut la Guinée, que différents accords internationaux tels les accords sur la promotion et la protection des investisse-ments étrangers et la convention de Washington aient institué des régimes juridiques spécifi ques en matière de protection des investissements […] ne suffi t pas à démontrer que les règles coutumières de protection diplomatique auraient changé ; il pourrait tout aussi bien se comprendre dans le sens contraire »).

136. Sentence RomInvestCo, § 608.137. M. FORTEAU, « Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son offi ce… », loc. cit. note 98, p. 126.138. CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010, §§ 128 et s.

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références jurisprudentielles, la décision Total a le mérite de démontrer que le concept est puisé à l’une des sources « principales » du droit international.

Justement, pour apprécier le standard du traitement juste et équitable, le tribunal Merrill chargé d’appliquer l’ALENA – dont les articles 1105 et 1131 renvoient au droit international général – s’est référé aux « sources » de l’article 38 du statut de la Cour 139. À ce titre, le tribunal a considéré que les principes généraux de droit avaient un rôle à jouer dans le litige, dans la mesure où même si les prin-cipes de bonne foi et d’interdiction de l’arbitraire et de la discrimination n’avaient ni valeur conventionnelle, ni valeur coutumière (argument défendu par le Canada), « these concepts are to a large extent the expression of general principles of law and hence also a part of international law » 140. Force est néanmoins de constater que le tribunal n’a pas fait l’effort de démontrer, au terme d’un travail de droit comparé, la positivité de ces « principes généraux de droit » 141. La remarque vaut d’ailleurs aussi pour la « doctrine of collateral estoppel » (estoppel subsidiaire) 142, qui selon le tribunal de l’affaire RSM c. Grenade « is now well established as a a general prin-ciple of law applicable in the international courts and tribunals such as this one » 143. Le fait est que le principe désigné de la sorte est étranger aux systèmes romano-germanique, mais la description qu’en donne le tribunal le rapproche de l’autorité de la chose jugée 144, ce qui témoigne de son partage par les principales familles de droit. Enfi n on notera pour mémoire que, de manière implicite, la sentence Gemplus a admis qu’il existait un principe général de droit permettant l’allocation de dommages-intérêts pour la perte d’une chance 145, tandis que le comité ad hoc Fraport a rejeté l’application de principes généraux de droit pénal (nullum crimen sine lege, in dubio pro reo) à la procédure arbitrale 146.

Actes unilatéraux3.

Dans les affaires soulevées par les investisseurs, les arbitres sont occasion-nellement conduits à examiner des actes unilatéraux étatiques, que ceux-là inter-viennent, selon la typologie dressée par la CDI, « dans le cadre et sur le fondement d’une habilitation expresse du droit international », ou bien « dans l’exercice de la liberté des États d’agir au plan international » 147.

i) C’est dans ce second contexte que la décision sur la responsabilité dans l’affaire Total a eu recours à la notion d’acte unilatéral pour s’enquérir des attentes légitimes que l’Argentine avait pu faire naître, au sujet des prix du gaz, dans le for

139. CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010, §§ 183 et s.140. Sentence Merrill, § 187.141. Il se contente de renvoyer, en note de bas de page (note 106 de la sentence), à une référence doctrinale de

1953…142. S. MANCIAUX, in JDI, 2011/2, pp. 614.143. CIRDI, RSM Production Company e.a. c. Grenade, aff. n° ARB/10 juin, sentence du 10 décembre 2010,

§ 7.1.2.144. Le tribunal note que les parties s’accordent sur les conditions d’application de la doctrine du collateral estoppel,

à savoir que « a fi nding concerning a right, question or fact may not be re-litigated (and, thus, is binding on a subsequent tribunal), if, in a prior proceeding : (a) it was distinctly put in issue; (b) the court or tribunal actually decided it; and (c) the resolution of the question was necessary to resolving the claims before that court or tribunal » (§ 7.1.1). Sur le principe d’estoppel (non « collatéral »), voy. CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2, sentence du 18 mai 2010, § 122.

145. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, §§ 13-88 et 13-89.

146. Comité ad hoc CIRDI, Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide c. Philippines, aff. n° ARB/03/25, décision sur la demande d’annulation, 23 décembre 2010, §§ 190 et s. Le comité ad hoc a discuté à ce titre les opinions soumises par Antonio Cassese (§§ 121 et s.) et Alain Pellet (§§ 134).

147. CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176.

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de la société 148. Quoique la jurisprudence des Essais nucléaires, citée par les arbi-tres, concerne les actes unilatéraux émis dans le cadre des relations interétatiques, sans l’once d’une hésitation le tribunal a admis qu’elle pouvait s’appliquer aux actes unilatéraux adressés aux investisseurs étrangers. Effectivement, « unilateral acts, statements and conduct by States may be the source of legal obligations which the intended benefi ciaries or addressees, or possibly any member of the international community, can invoke » 149. Les principes directeurs de la CDI n’abordent pas plus que la jurisprudence de la CIJ la question des actes unilatéraux adressés à des personnes privées, bien qu’ils admettent qu’ils puissent viser des entités autres que les États 150. Mais alors que ces principes ne concernent pas les « domestic normative acts relied upon by a foreign investor », le tribunal considère que « the conditions required for unilateral declarations of a State to give rise to international obliga-tions are of relevance here since the issue before the Tribunal has to be resolved by application of international law » 151.

ii) Concernant les actes unilatéraux adoptés « dans le cadre et sur le fonde-ment d’une habilitation expresse du droit international », la sentence Murphy a été l’occasion d’examiner le cas des notifi cations autorisées par l’article 25, § 4, de la convention de Washington 152. L’Équateur prétendait en effet avoir notifi é son refus de consentement pour les types de litiges dont relevait la réclamation de l’investisseur. S’en tenant à une interprétation stricte de la disposition, le tribunal a considéré que la notifi cation de l’État n’avait pas pour effet de modifi er un consen-tement donné dans le cadre d’un autre traité – en l’occurrence le TBI Équateur/États-Unis – antérieur à celle-là 153.

Selon les tribunaux des affaires Mobil et CEMEX, constitue également un acte unilatéral formulé « in the framework of a treaty and on the basis of such a treaty » la disposition d’une loi nationale susceptible d’exprimer le consentement de l’État à l’arbitrage CIRDI 154. Pour les deux tribunaux, ce type d’acte unilatéral obéit à des règles d’interprétation « somewhat different » de celles applicables aux actes unila-téraux pris « dans l’exercice de la liberté des États d’agir au plan international » 155. Se fondant sur la jurisprudence de la CIJ relative aux déclarations de juridiction obligatoire, les tribunaux ont jugé que les actes exprimant le consentement à la

148. CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010, §§ 131 et s.149. Décision Total, § 131. Pour le tribunal, le fondement du caractère obligatoire de l’acte unilatéral repose moins sur

le concept d’attentes légitimes que sur le principe d’estoppel. Voy. sur cette question, W. M. REISMAN / M. H. ARSANJANI, « The Question of Unilateral Governmental Statements as Applicable Law in Investment Disputes », in Common Values in International Law, Essays in honour of Christian Tomuschat, N. P. Engel Verlag, Kehl, Strasbourg, Arlington, 2006, pp. 409 et s. Dans un registre différent, cf. le cas des engagements étatiques unilatéraux envers les organisations sportives internationales à l’occasion des compétitions se déroulant sur leur territoire, in F. LATTY, La lex sportiva – Recherche sur le droit transnational, coll. Études de droit international, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, pp. 591 et s. et, dans le contexte du droit des investissements, « Compétition sportive et droit des investissements. Quelques élucu-brations juridiques à l’approche de la Coupe du monde de football au Brésil et des Jeux olympiques de Rio de Janeiro », VIe Anuário Brasileiro de Direito Internacional, 2011, à paraître.

150. Le sixième principe énonce que « [l]es déclarations unilatérales peuvent être adressées à la communauté interna-tionale dans son ensemble, à un ou plusieurs États ou à d’autres entités ». Au titre de ces « autres entités », le commentaire se contente de mentionner l’Organisation de libération de la Palestine et les organisations internationales (p. 396).

151. Décision Total, § 132. La décision se réfère en particulier au septième principe directeur de la CDI (§ 133).152. « Tout État contractant peut, lors de sa ratifi cation, de son acceptation ou de son approbation de la Convention

ou à toute date ultérieure, faire connaître au Centre la ou les catégories de différends qu’il considèrerait comme pouvant être soumis ou non à la compétence du Centre. Le Secrétaire général transmet immédiatement la notifi cation à tous les États contractants. Ladite notifi cation ne constitue pas le consentement requis aux termes de l’alinéa (1) ».

153. CIRDI, Murphy Exploration and Production Company International c. Équateur, aff. n° ARB/08/4, sentence sur la compétence, 15 décembre 2010, §§ 60 et s.

154. CIRDI, Mobil c. Venezuela, aff. n° ARB/07/27, décision sur la compétence, 10 juin 2010, § 90 ; CIRDI, CEMEX Caracas Investments BV et CEMEX Caracas II Investments BV c. Venezuela, aff. n° ARB/08/15, décision sur la compétence, 30 décembre 2010, § 83.

155. Ibid.

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compétence d’un tribunal international devaient faire l’objet d’une interprétation stricte laissant toute sa place à la recherche de l’intention de son auteur 156.

Au terme du raisonnement retenu par les arbitres, la loi nationale subit une sorte de dédoublement normatif : à la fois acte unilatéral interne et acte unilatéral international. La jurisprudence de la Cour de La Haye sur les déclarations de juridiction obligatoire était-elle pour autant aussi immédiatement transposable à une disposition législative ? Ces premières sont en effet des actes intrinsèquement et formellement internationaux 157, qui interviennent sur le fondement même du statut de la Cour. Or, la seconde est un produit de l’ordre interne, au sein duquel elle s’applique, et dont le rapport avec la convention de Washington ne relève pas de l’habilitation explicite. L’élévation de la norme nationale au rang international aurait sans doute nécessité une plus ample motivation, à l’image de celle seulement amorcée dans la décision Total précitée. Elle alimentera en tout état de cause la théorie des actes unilatéraux, tout comme elle consacre la ruine des raisonnements exclusivement dualistes dans l’arbitrage transnational 158.

Jurisprudence4.

Au vu de la cacophonie qui règne au sein de l’arbitrage transnational sur des notions aussi fondamentales que la défi nition de l’investissement, le traitement juste et équitable, la portée des clauses parapluie, etc., il n’est guère surprenant que la question de l’autorité du précédent agite les spécialistes de l’arbitrage 159 comme les arbitres dans le cadre de leur activité juridictionnelle 160. Tous les tribunaux transnationaux s’accordent pour écarter la règle du précédent obligatoire 161. Deux positions principales s’affrontent toutefois parmi les décisions arbitrales rendues en 2010 : l’une s’inscrit dans une approche systémique fondée sur le besoin d’une cohé-rence jurisprudentielle (i) ; l’autre, dissidente, tend à réduire autant que possible l’autorité des précédents – souvent pour mieux se démarquer d’une jurisprudence majoritaire que le tribunal n’entend pas suivre (ii).

i) Faute de juridiction suprême apte à trancher par voie d’autorité les ques-tions controversées faisant l’objet de solutions contradictoires parmi les tribunaux transnationaux, c’est au terme d’une évolution « darwinienne » 162 que s’imposent les bons précédents en droit des investissements. Dans cette optique, le comité ad hoc chargé d’examiner la sentence Enron a estimé qu’en dépit de l’absence de règle du précédent obligatoire, « in the longer term there should develop a jurispru-dence constante in relation to annulment proceedings » 163. La plupart des comités d’annulation n’ayant d’ailleurs pas l’ambition de « faire jurisprudence » sur les

156. Voy. supra A, 2.157. L’article 36, § 4, du statut prévoit que les déclarations de juridiction obligatoire « seront remises au Secrétaire

Général des Nations Unies qui en transmettra copie aux parties au présent Statut ainsi qu’au Greffi er de la Cour ».158. Cf. M. FORTEAU, « Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son offi ce… », loc. cit. note 98, pp. 111 et s.159. Pour des contributions récentes sur cette question récurrente, voy. J. GILL, « Is There a Special Role for Precedent

in Investment Arbitration ? », ICSID Rev., vol. 25, n° 1, Spring 2010, pp. 87-94 ; G. GUILLAUME, « Le précédent dans la justice et l’arbitrage international », JDI, 2010/3, t. 137, pp. 685-703 ; J.-M. JACQUET, « Avons-nous besoin de jurisprudence arbitrale », Rev. Arb., 2010/3, pp. 445-466 ; L. REED, « The De Facto Precedent Regime in Investment Arbitration : A Case for Proactive Case Management », ICSID Rev., vol. 25, n° 1, Spring 2010, pp. 95-103.

160. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s.161. Voy. par ex. CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010,

§ 176 ; CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, UNCITRAL, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 284.

162. J. PAULSSON, « International Arbitration and the Generation of Legal Norms : Treaty Arbitration and International Law », Transnational Disputes Management, vol. 3, n° 5, 2006, p. 16.

163. Comité ad hoc CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, décision sur la demande d’annulation, 30 juillet 2010, § 66.

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questions controversées de droit des investissements 164, il reviendrait aux tribu-naux arbitraux de les appréhender à travers des décisions idéalement aptes à susciter l’adhésion de tribunaux futurs, qui œuvreraient à leur consolidation dans un esprit de système.

Illustrant le courant systémique, le tribunal de l’affaire Suez-Vivendi n’a pas voulu limiter les décisions antérieures sur le traitement juste et équitable à un simple « mode auxiliaire de détermination des règles de droit ». En effet, pour les arbitres,

« Moreover, considerations of basic justice would lead tribunals to be guided by the basic judicial principle that ‘like cases should be decided alike,’ unless a strong reason exists to distinguish the current case from previous ones. In addition, a recog-nized goal of international investment law is to establish a predictable, stable legal framework for investments, a factor that justifi es tribunals in giving due regard to previous decisions on similar issues. Thus, absent compelling reasons to the contrary, a tribunal should always consider heavily solutions established in a series of consistent cases » 165.

Implicitement, le tribunal se considère comme un organe du droit des investis-sements, chargé d’en assurer la cohérence. De même, le tribunal de l’affaire Saba Fakes chargé de donner sa défi nition de l’investissement au sens de l’article 25 de la convention de Washington, a dit qu’il devait prêter dûment attention (should pay due regard) aux décisions antérieures des tribunaux CIRDI 166. Par un bel effet de mise en abîme, le tribunal s’est alors référé à un précédent ayant abordé la notion de précédent :

« The present Tribunal shares the opinion of the Tribunal in the Bayindir v. Pakistan case[ 167] that, unless there are compelling reasons to the contrary, it ought to follow solutions established in a series of consistent cases that are comparable to the case at hand, subject to the specifi city of the treaty under consideration and the circumstances of the case. By doing so, it will fulfi ll its duty to seek to contribute to the harmonious development of investment law and thereby meet the legitimate expectations of the community of States and investors towards certainty of the rule of law » 168.

Nombreuses sont les sentences à fonder ainsi l’autorité du précédent sur des besoins de prévisibilité du droit et, partant, de sécurité juridique. Pour le tribunal Total par exemple, « judicial consistency in the fi eld of international investment law is as far as possible desirable » 169.

Une question aussi controversée que la défi nition de l’investissement, sujette à des courants jurisprudentiels contradictoires, peut toutefois conduire à revoir à la baisse l’autorité du précédent, envisagé dès lors comme un simple moyen de persuasion 170 : dans l’affaire Inmaris, « the tribunal fi nds it appropriate to consider the reasoning of and conclusions reached by [prior] tribunals, and to assess whether

164. Sur la question de l’état de nécessité, voy. néanmoins infra III, A, 4.165. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine,

aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 189.166. CIRDI, Saba Fakes c. Turquie, aff. n° ARB/07/20, sentence du 14 juillet 2010, § 96.167. CIRDI, Bayindir Insaat Turizm Ticaret Ve Sanayi AS c. Pakistan, aff. n° ARB/03/29, sentence du 27 août 2009,

§ 145. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2009, p. 697.168. Ibid. Adoptant une formule similaire, voy. CIRDI, Giovanna a Beccara e.a. c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,

ordonnance procédurale n° 3 (ordonnance sur la confi dentialité), 27 janvier 2010, § 58 ; CNUDCI (ALENA), Chemtura Corporation c. Canada, sentence du 2 août 2010, § 109.

169. CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010, § 176.170. Cf. J. GILL, loc. cit. note 159, p. 91.

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they may be persuasive in the particular circumstances in the case before us » 171. Pourtant, même dans ce cas de fi gure, l’approche systémique continue d’animer le tribunal : « with a view to the reasoned development of investment law, we may also undertake to explain how or why we concur with or diverge from the deci-sions reached by other tribunal on questions that may appear similar to the one we face » 172. Il est au demeurant fréquent que, malgré l’absence de stare decisis, les arbitres entreprennent, à l’instar des juges de Common Law 173, de bien distinguer le cas d’espèce traité des précédents invoqués pour expliquer une solution qui s’en éloigne 174.

ii) A rebours du penchant dominant qui milite en faveur d’une prise en compte de la jurisprudence dans un souci de cohérence, un autre courant tend à en relati-viser l’autorité. Pour le tribunal de l’affaire RosInvestCo, par exemple, le recours à la jurisprudence ne relève pas des méthodes d’interprétation des traités codifi ées aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne de 1969. Si cette absence n’interdit pas au tribunal de prendre en considération des sentences arbitrales précédem-ment rendues par d’autres tribunaux, leur apport est limité « to the extent that [the tribunal] may fi nd that they shed any useful light on the issues that arise for decision in this case » 175. Peut encore être relevée la dissidence de l’arbitre Brigitte Stern dans l’affaire Burlington, qui s’est opposée aux arbitres majoritaires ayant adopté l’approche systémique, pour considérer qu’il était de son devoir de « to decide each case on its own merits, independently of any apparent jurisprudential trend » 176. Une opposition d’un type particulier s’est également manifestée au sein du comité ad hoc de l’affaire Vivendi. L’un de ses membres a en effet pris la peine de rédiger une opinion critiquant le rôle intrusif du secrétariat du CIRDI dans la conduite des procédures. Parmi les reproches formulés fi gurait la prétention sinon les aspirations du secrétariat à se faire la voix d’une « jurisprudence constante », dont l’existence n’est du reste pas établie, lui donnant le droit d’intervenir dans la procédure 177.

Ces remarques ne sont probablement pas étrangères à la prévalence de l’approche systémique du précédent au sein des tribunaux CIRDI, à laquelle les tribunaux transnationaux constitués dans le cadre de la Chambre de commerce de Stockholm ou de la Cour permanente d’arbitrage sont bien moins sensibles. Para-doxalement toutefois, en raison des positions contradictoires sur l’interprétation de la convention de Washington et notamment de son article 25, les divergences jurisprudentielles demeurent plus marquées au sein du CIRDI qu’ailleurs. On peut effectivement douter qu’il revienne au secrétariat du CIRDI d’y remédier.

iii) L’utilisation de « précédents extérieurs » 178 par les arbitres transnationaux est une constante. L’article 41 du statut de la Cour ayant inspiré l’article 47 de

171. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GMBH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, décision sur la compétence, 2 mars 2010, § 55. Considérant que le tribunal qui se contente de se référer à une décision ou au raisonne-ment d’un autre tribunal ne manque pas à son obligation de motivation, voy. Comité ad hoc CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, décision sur la demande d’annulation, 30 juillet 2010, §§ 94 et 107.

172. Ibid. Mettant en œuvre cette méthode, voy. §§ 126 et s.173. G. GUILLAUME, loc. cit. note 159, p. 686.174. Voy. par ex. CIRDI, Burlington Resources Inc. e.a. c. Équateur et PetroEcuador, aff. n° ARB/08/5, décision

sur la compétence, 2 juin 2010, §§ 192 et s.175. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre

2010, § 285. La même formule a été antérieurement utilisée in CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 164.

176. CIRDI, Burlington Resources Inc. e.a. c. Équateur et PetroEcuador, aff. n° ARB/08/5, décision sur la compétence, 2 juin 2010, § 100. Voy. le comm. de M. BENLOLO-CARABOT in Rev. Arb., 2010, n° 4, p. 935.

177. Opinion du Professeur J. H. Dalhuiser jointe à la décision sur la demande d’annulation du 10 août 2010, dans l’affaire Compañiá de Aguas del Aconquija SA et Vivendi Universal c. Argentine, aff. n° ARB/97/3, §§ 16 et s.

178. G. GUILLAUME, loc. cit. note 159, p. 698.

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la convention de Washington relatif aux mesures conservatoires, il n’est guère surprenant que les arbitres n’hésitent pas à se référer aux déterminations de la CIJ y relatives 179. Au-delà de ce cas particulier, l’infl uence de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice est manifeste dès lors que sont abordées des questions de droit international général. Par exemple, en l’absence de défi nition du terme « différend » dans l’accord de libre-échange entre l’Amérique centrale, les États-Unis d’Amérique et la République Dominicaine (ALEAC/CAFTA), le tribunal de l’affaire Railroad s’est référé à celle donné par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Timor oriental 180. Après avoir rejeté la défi nition fournie par la sentence arbitrale de l’affaire Vieira 181, considérée comme « stricter than the way the term ‘dispute’ has been understood in arbitral practice and under the jurisprudence of the ICJ » 182, la sentence en a retenu une conception proche de celle de la Cour : « a confl ict of views on points or law or fact which requires suffi cient communication between the parties for each to know the other’s views and oppose them » 183. Cette assimilation pure et simple du différend mixte État/investisseur au différend interétatique est toutefois susceptible de soulever certains problèmes tenant à la différence de nature des parties. Un investisseur ne fait en effet pas valoir ses vues auprès d’un gouvernement de la même manière qu’un autre État le ferait. Sur ce point, un représentant de la société Burlington a témoigné dans l’affaire du même nom que : « When you are seeking assistance from a Government, you are not going to tell then, ‘You are not doing anything’. You are going to say… ‘I appreciate what you have been doing’… ‘but I need you to do a lot more’ » 184. Le tribunal a estimé que cette diffi culté n’empêchait pas l’investisseur d’exprimer clai-rement son désaccord. Il a tout de même admis « that it can be diffi cult to fi nd an adequate balance between diplomacy and assertiveness » 185. La diffi culté peut certes se retrouver aussi dans les rapports interétatiques. Mais dans la mesure où l’État et l’investisseur étranger ne sont pas sur un pied d’égalité, une certaine souplesse dans l’appréciation de l’expression du désaccord pourrait être envisageable.

L’arrêt rendu le 1er avril 2011 par la Cour internationale de Justice dans l’affaire opposant la Géorgie et la Russie, s’il devait être suivi par les tribunaux d’investis-sement, non seulement s’opposerait à une telle adaptation, mais remettrait encore

179. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 712 et s. ; A. TSANG, « Transnational Rules on Interim Measures in International Courts and Arbitrations », International Arbitration Law Review, 2011, vol. 14, n° 2, pp. 35-42. Pour l’année 2010, voy. notamment CIRDI, CEMEX c. Venezuela, aff. n° ARB/08/15, décision sur les mesures conservatoires, 3 mars 2010, §§ 39 et s., où le tribunal, s’alignant sur la jurisprudence de la CIJ, analyse le critère du « préjudice irréparable » puis la possibilité d’indiquer des mesures destinées à éviter l’aggravation du différend, indépendamment de l’indication de mesures destinées à protéger les droits en cause. Adde CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosk Kaplún c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur les mesures conservatoires, 26 février 2010, où référence est faite à la jurisprudence de la Cour mondiale relative aux mesures conservatoires, notamment au moment d’aborder la question (présentée comme un droit du demandeur) du maintien du statu quo et de la non aggravation du différend (§ 134) et du critère de l’urgence (§ 150). On relèvera également que le tribunal de l’affaire Quiborax a considéré, conformément à la jurisprudence internationale comme transnationale (voy. C. SANTULLI, Droit du contentieux international, Paris, Montchres-tien, 2005, pp. 436-437, n° 757), que les droits susceptibles de faire l’objet d’une protection par des mesures conservatoires ne se limitaient pas aux droits en litige, mais pouvaient également inclure les droits procéduraux attenant au litige principal (§§ 116 et s.). Dans le même sens, voy. CIRDI, RSM Production Company e.a. c. Grenade, aff. n° ARB/10 juin, décision sur la demande de provision, 14 octobre 2010, § 5.12.

180. CIRDI, Railroad Development Corporation c. Guatemala, aff. n° ARB/07/23, seconde décision sur les exceptions d’incompétence, 18 mai 2010, § 127.

181. CIRDI, Sociedad Anónima Eduardo Vieira c. Chili, aff. n° ARB/04/7, sentence du 21 août 2007, § 249.182. Décision Railroad, § 128.183. Décision Railroad, § 129. Dans un sens voisin, bien que ne se référant pas directement à la jurisprudence de la

CIJ mais à la sentence Lucchetti qui la refl ète, voy. CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2, sentence du 18 mai 2010, § 99.

184. CIRDI, Burlington Resources Inc. e.a. c. Équateur et PetroEcuador, aff. n° ARB/08/5, décision sur la compétence, 2 juin 2010, § 301.

185. Ibid.

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en cause la défi nition du différend retenue dans l’affaire Railroad et la plupart des sentences transnationales : alors que la Cour était jusqu’alors peu formaliste sur l’expression de l’opposition des vues, elle a exigé dans cette affaire une notifi cation préalable de la demande et son rejet par le défendeur 186. Même si l’investisseur n’a pas accès aux canaux diplomatiques traditionnels, l’exigence n’est pas néces-sairement incompatible avec la nature des relations État/investisseur. Dès lors, il y a tout lieu de croire que l’arrêt, aussi critiqué soit-il, sera régulièrement invoqué devant les tribunaux transnationaux pour écarter leur compétence.

Si les tribunaux transnationaux font un usage productif de la jurisprudence de la Cour mondiale, la réciproque ne joue pas, comme le montre cette même affaire sur l’Application de la convention sur la discrimination raciale. La Cour y a en effet jugé que l’obligation de négociation préalable à sa saisine prévue par la convention n’avait pas été satisfaite, ce qui avait pour effet d’écarter sa compétence pour connaître de la requête déposée par la Géorgie. Or, précisément, les sentences Railroad et Murphy rendues en 2010 ont abouti à une solution similaire, dans la mesure où, pour certains aspects de leur réclamation, les investisseurs n’avaient pas respecté la clause du TBI Équateur/États-Unis conditionnant la saisine du CIRDI à des consultations et négociations initiales et à l’écoulement d’un délai de six mois. Or on constate que ni l’arrêt, ni les plaidoiries orales, n’ont songé à faire référence à ces précédents transnationaux 187.

Il faut dire que la fonction de l’obligation de négociation préalable diverge selon qu’elle intervient au titre de la convention sur la discrimination raciale ou au titre du traité bilatéral de protection des investissements. Tel est du moins ce qui ressort des décisions examinées – ce qui témoigne de nouveau que la transposition de la jurisprudence interétatique aux affaires d’investissement devrait se faire prudemment. Pour la CIJ, le recours aux négociations remplit « trois fonctions distinctes », à savoir la notifi cation et la délimitation du différend, l’incitation au règlement amiable, ainsi que l’indication des limites du consentement 188. Pour le tribunal de l’affaire Murphy, le délai laissé à la consultation et la négociation correspond à une période de « refroidissement » du différend (cooling off period 189), ce qui est peu ou prou en ligne avec la deuxième fonction identifi ée par la Cour. Mais le tribunal précise que tout l’intérêt de cette période dans le domaine des investissements est d’éviter de recourir à l’arbitrage « which makes future business relationships diffi cult » 190. De son côté, le tribunal de l’affaire Burlington insiste moins sur les négociations elles-mêmes que sur le délai de six mois prévu par le TBI, qui emporte le droit pour l’État d’être informé de la prétention de l’investis-seur préalablement à la saisine du tribunal arbitral : « The purpose of this right is to grant the host State an opportunity to redress the problem before the investor submits the dispute to arbitration » 191. L’obligation de négociation s’efface ainsi

186. CIJ, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (exceptions préliminaires), arrêt du 1er avril 2011, §§ 30 et s. Critiquant la conception du différend donnée par la Cour contraire à sa jurisprudence, voy. notamment les paragraphes 7 et s. de l’opinion individuelle du juge Abraham jointe à l’arrêt (spéc. §§ 24-25). Cf. CIRDI, Murphy Exploration and Production Company International c. Équateur, aff. n° ARB/08/4, sentence sur la compétence, 15 décembre 2010, § 104 (pas d’obligation de notifi cation formelle).

187. La sentence Rairoad a été rendue avant la tenue des plaidoiries orales devant la CIJ ; la sentence Murphy leur est postérieure, mais elle est antérieure à l’arrêt de la Cour.

188. Arrêt précité, § 131.189. Sentence Murphy, § 97. Voy. aussi le paragraphe 135 de la sentence, où le tribunal présente l’obligation de

négocier comme une obligation de moyens.190. Sentence Murphy, § 151.191. CIRDI, Burlington Resources Inc. e.a. c. Équateur et PetroEcuador, aff. n° ARB/08/5, décision sur la compé-

tence, 2 juin 2010, § 315 (accentué dans le texte). Le passage est cité dans la sentence Murphy (§ 150), au terme d’une démonstration ayant pour objet de rejeter, jurisprudence transnationale à l’appui, la distinction invoquée par le demandeur au sujet du délai de six mois, entre condition procédurale et condition de compétence (§§ 140 et s.).

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ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2010) 633

au profi t du droit de l’État d’utiliser le délai imparti pour corriger ses éventuelles violations. Elle remplit à cet égard une fonction analogue à celle de l’épuisement des voies de recours internes 192.

Doctrine5.

Quelques décisions rendues en 2010 ont abordé incidemment la question de l’autorité de la doctrine en tant que source du droit. La sentence Merrill a ainsi pris la peine de préciser que la doctrine et la jurisprudence contribuaient à l’interprétation, à la clarifi cation et au développement du droit 193. Pour le tribunal,

« cases and writers have to be considered on their own merits, as some might be related to different legal frameworks and applicable law. Yet, on the whole, they all contribute one way or the other to the same end of identifying the content of customary law and other sources » 194.

Le membre du comité ad hoc Vivendi ayant critiqué les intrusions du secré-tariat du CIRDI a pour sa part estimé que la formulation d’une éventuelle « juris-prudence constante » était du ressort des universitaires (et non du secrétariat), tout en procédant à une mise en garde : « it should be appreciated that to engage in a form of system creation in this manner or of thinking in academic models is not necessarily objective and free of intellectual prejudice or other bias » 195.

Dans la pratique arbitrale, contrairement à celle de la Cour mondiale notam-ment, on remarquera que rares sont les décisions qui ne se réfèrent pas à des travaux doctrinaux relatifs au droit des investissements ou à d’autres questions plus générales 196, ce qui confi rme, si besoin était, leur pertinence en tant que « moyen auxiliaire de détermination des règles de droit » au sens de l’article 38 du statut de la Cour internationale de Justice. La matière du droit des investissements connaissant encore à l’heure actuelle un nombre relativement limité de spécialistes, il n’est pas rare que les principaux auteurs soient également des acteurs de l’ar-bitrage transnational, que ce soit (parfois alternativement) en tant que conseils, témoins, ou arbitres. Dans ce dernier cas de fi gure, les positions de l’auteur sur telle ou telle question discutée du droit des investissements sont susceptibles de marquer les choix interprétatifs de l’arbitre. Tel est du moins l’argument qu’ont invoqué les demandeurs de l’affaire Urbaser pour obtenir la récusation du profes-seur McLachlan. De ses prises de position doctrinales sur la clause de la nation la plus favorisée et sur l’état de nécessité 197 résultait selon les demandeurs un manque d’impartialité, dans la mesure où les questions étaient déjà « préjugées » par l’arbitre.

192. Sur cette question, voy. III, A, 2.193. CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010, § 188.194. Ibid.195. Opinion précitée note 177, § 17.196. Voy. par ex. CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010,

§ 195, où référence est faite, au sujet de l’expropriation à la jurisprudence transnationale, internationale et aux « schorlarly legal opinions ». Voy. aussi CIRDI, CEMEX Caracas Investments BV et CEMEX Caracas II Investments BV c. Venezuela, aff. n° ARB/08/15, décision sur la compétence, 30 décembre 2010, § 136, où le tribunal reconnaît avoir examiné les publi-cations universitaires relatives à la loi vénézuélienne sur l’investissement, sans toutefois en tirer de conclusions.

197. CIRDI, Urbaser SA et Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c. Argentine, aff. n° ARB/07/26, décision sur la demande de récusation du professeur Campbell McLachlan, 12 août 2010, §§ 53 et s. Cf. CIRDI, Tidewater Inc. e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la demande de récusation du professeur Brigitte Stern, 23 décembre 2010, §§ 58 et s. (comm. S. MANCIAUX, in JDI, 2011/2, pp. 575-577), où le tribunal a refusé de considérer que les désignations multiples d’un arbitre dans des affaires parfois similaires et impliquant une même partie étaient de nature à nuire à son indépendance et à son impartialité. Sur les confl its d’intérêts des arbitres, voy. Comité ad hoc CIRDI, Compañiá de Aguas del Aconquija SA et Vivendi Universal c. Argentine, aff. n° ARB/97/3, décision sur la demande d’annulation, 10 août 2010, §§ 204 et s.

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Pour les deux membres du tribunal examinant la demande, l’expression d’opi-nions académiques, même si elles ont un rapport avec certaines questions maté-rielles de l’affaire à trancher, ne suffi t pas en soi à établir le manque d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre 198, dès lors qu’elles ne l’empêchent pas de prendre pleinement en considération les faits et circonstances de l’espèce, ainsi que les arguments présentés par les parties 199.

Le tribunal a dans son raisonnement mis en avant l’importance de l’échange d’opinions (auquel participent les universitaires) dans le développement du droit des investissements :

« The wide spreading of ICSID awards through publication and appearance on the Centre’s website has greatly contributed to dense exchanges of views throughout the world on matters of international investment law. This is very largely considered as a positive contribution to the development of the law and policies in this segment of world economy. It goes without saying that such a debate would be fruitless if it did not include an exchange of opinions given by those who are actually involved in the ICSID arbitration process, whether they are writing and speaking as scholars, arbitrators, or counsel. Such activity is part of the ‘system’ […] » 200.

L’incise confi rme que la doctrine ainsi que la jurisprudence ont dans le « système » du droit des investissements une importance qu’elles ont moins ou qu’elles n’ont plus dans les domaines plus traditionnels du droit international, du moins si l’on s’en tient à l’extrême rareté de leur emploi dans les décisions de la Cour internationale de Justice, peu encline à se référer à d’autres autorités que la sienne 201.

ARBITRAGE TRANSNATIONAL III. – ET RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE

Les affaires soumises par les investisseurs aux tribunaux transnationaux s’apparentent toutes à des actions en responsabilité visant à obtenir de l’État la réparation de préjudices subis du fait d’atteintes à l’investissement. Dès lors que la source des obligations dont la violation est alléguée est internationale (traité bilatéral ou multilatéral de protection des investissements, fondant du reste la compétence du tribunal), les parties comme les arbitres se tournent naturellement vers le texte de référence en la matière : les Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, dont la mise en œuvre soulève d’intéressantes questions, pour ce qui a trait tant à l’engagement de la responsabilité (A) qu’aux questions de réparation (B).

198. Décision Urbaser, § 45.199. Décision Urbaser, §§ 49 et s.200. Décision Urbaser, § 48. Sur la conciliation entre la publicité de l’arbitrage CIRDI et la confi dentialité de la

procédure arbitrale, voy. CIRDI, Giovanna a Beccara e.a. c. Argentine, aff. n° ARB/07/5, ordonnance procédurale n° 3 (ordonnance sur la confi dentialité), 27 janvier 2010, §§ 72 et s. Le tribunal relève notamment que la transparence favorise la bonne gouvernance et le développement du droit des investissements.

201. Voy. toutefois CIJ, Ahmadou Sadio Diallo, arrêt du 30 novembre 2010, § 66, où, pour interpréter le pacte de 1966 sur les droits civils et politiques, la Cour « estime devoir accorder une grande considération à l’interprétation adoptée par cet organe indépendant [le Comité des droits de l’homme], spécialement établi en vue de superviser l’application de ce traité ».

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Engagement de la responsabilitéA.

Conditions d’engagement de la responsabilité : le retour du dommage ?1.

Le travail de codifi cation effectué par la Commission du droit international des Nations Unies refl étant à leurs yeux l’état du droit international coutumier 202, les tribunaux arbitraux transnationaux ont tendance à s’y référer comme le mathéma-ticien à un théorème, c’est-à-dire sans en discuter l’autorité, sans en contester les options retenues, ni chercher à séparer le bon grain (le droit coutumier) de l’ivraie (les normes relevant du développement progressif du droit) 203. À contre-courant de ce suivisme spontané, une sentence doit être relevée, qui n’hésite pas à s’éloigner radicalement de la conception de la responsabilité retenue par la CDI.

L’on sait que la Commission a exclu le constat du dommage des critères d’enga-gement de la responsabilité internationale, pour le reléguer au stade du contenu de la responsabilité : le dommage, et le lien de causalité avec le fait illicite, ressortis-sent à la détermination de la réparation 204. La sentence Merrill se situe en porte-à-faux avec cette conception : pour se prononcer sur la responsabilité du Canada en vertu de l’ALENA, le tribunal a décidé de se concentrer non pas sur la question de la violation de l’obligation de traitement juste et équitable mais de vérifi er que les réglementations canadiennes relatives au commerce du bois avaient bien causé un préjudice à l’investisseur 205. Faute de preuve en ce sens, le tribunal a écarté la responsabilité du Canada sans prendre la peine de se prononcer sur les violations alléguées de l’ALENA. Pour le tribunal en effet, le fait internationalement illicite repose, dans le domaine du droit des investissements sur trois éléments cumulatifs, à savoir la violation, l’attribution, et le dommage qui en résulterait :

« an international wrongful act will only be committed in international investment law if there is an act in breach of an international obligation, attributable to the [State] that also results in damages » 206.

En l’absence de l’un de ces éléments constitutifs, le préjudice en l’occurrence, la responsabilité de l’État ne saurait être engagée. La sentence s’inscrit ainsi expli-citement dans la conception qualifi ée de « traditional » de la responsabilité inter-nationale, « identifi ed with the concepts of ‘liability’ and ‘responsabilité civile’ » 207. Pour le justifi er, le tribunal croit pouvoir s’appuyer sur l’arrêt rendu dans la phase préliminaire de l’affaire de l’Usine de Chorzów, selon lequel

« [c]’est un principe de droit international que la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate. La réparation est donc le complé-ment indispensable d’un manquement à l’application d’une convention » 208.

Contrairement aux arbitres, on peine à voir dans l’extrait cité une consécration du dommage en tant que condition d’engagement de la responsabilité de l’État.

202. En ce sens, voy. par ex. CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin 2010, § 171.

203. J. KURTZ, « The Paradoxical Treatment of the ILC Articles on State Responsibility in Investor-State Arbitration », ICSID Rev., vol. 25, n° 1, Spring 2010, pp. 201 et s.

204. Voy. B. STERN, « The Elements of an Internationally Wrongful Act », in J. CRAWFORD / A. PELLET / S. OLLESON (Ed.), The Law of International Responsibility », Oxford UP, 2010, pp. 194 et s.

205. CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010, §§ 243 et s. Voy. M. RAUX, « De quelques développements récents sur le dommage et sa réparation dans le cadre du contentieux investisseur-État », in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, n° 4, pp. 1033 et s. nos 160 et s.

206. Sentence Merrill, § 266.207. Ibid., § 244.208. CPJI, Usine de Chorzów (compétence), arrêt du 27 juillet 1927, série A, n° 9, p. 21 (italiques ajoutés par le

tribunal arbitral).

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Au contraire, en faisant reposer l’obligation de réparer sur le manquement à une obligation – sans faire mention des préjudices qui peuvent en résulter – l’arrêt de la CPJI préfi gure plutôt la conception « objective » de la responsabilité qui sera retenue par la Commission du droit international sous l’impulsion de Roberto Ago. De manière sans doute plus adéquate, le tribunal s’appuie aussi sur les travaux de codifi cation privée ou publique antérieurs à ceux de la CDI, ainsi que sur le premier rapport de John Dugard dans le cadre du projet d’articles sur la protection diplomatique 209. La sentence cite encore l’affaire Waste Management II tranchée par un tribunal CIRDI qui a explicitement fait le lien entre l’atteinte au traitement juste et équitable et un comportement « attributable to the State and harmful to the claimant » 210. L’argument est pourtant faible au regard de la masse de déci-sions juridictionnelles, internationales comme transnationales, qui, dans le sillage de la CDI, ont effacé le dommage des conditions d’engagement de la responsabi-lité de l’État 211. Suivant d’ailleurs cette tendance lourde, en 2010, le tribunal de l’affaire Suez-Vivendi a rendu une « décision sur la responsabilité » constatant que l’Argentine avait manqué à ses obligations de traitement juste et équitable des investisseurs, sans à aucun moment envisager les éventuels dommages subis comme l’un des éléments du fait générateur. La bifurcation opérée par le tribunal entre la question de la responsabilité et celle de l’indemnisation des dommages a même eu pour effet de renvoyer l’examen du préjudice à une phase ultérieure 212, ce qui concorde avec les Articles de la CDI qui n’envisagent le dommage qu’au stade du contenu de la responsabilité.

Le tribunal de l’affaire Merrill tente maladroitement de justifi er sa conception des conditions d’engagement de la responsabilité en invoquant les commentaires de la CDI accompagnant l’article 2 de son texte (« Eléments du fait internationalement illicite), selon lesquels « la nécessité de tenir compte de tels éléments [le dommage] dépend du contenu de l’obligation primaire, et il n’y a pas de règles générales à cet égard » 213.

D’un point de vue conceptuel, on constatera tout d’abord l’incohérence de l’argumentation : alors que le tribunal prétend s’inscrire dans une conception civi-liste de la responsabilité, qui situerait le critère du dommage parmi les règles secondaires d’engagement de la responsabilité, la sentence renvoie au contenu de règles primaires du droit des investissements. Le glissement entre le commen-taire de l’article 2 (pour certaines obligations, pas de violation sans dommage) et la conception civiliste défendue (dans tous les cas, pas de responsabilité sans dommage) est d’ailleurs perceptible lorsque le tribunal affi rme que

« a fi nding of liability without a fi nding of damages would be diffi cult to explain in the context of investment law arbitration and would indeed be contrary to some of its fundamental tenets » 214.

Que le dommage soit lié à la violation de l’obligation primaire ou qu’il constitue une condition autonome d’engagement de la responsabilité, la position

209. Sentence Merril, § 244.210. CIRDI, Waste Management, Inc. c. Mexique, aff. n° ARB(AF)/00/3, sentence du 30 avril 2004, § 98.211. Voy. notamment CIRDI, Biwater Gauff (Tanzania) Ltd. c. Tanzanie, aff. n° ARB/05/22, sentence du 24 juillet

2008, § 222 (« the absence of economic loss or damage is primarily a matter of causation and quantum – rather than a necessary ingredient in the cause of action of expropriation itself ») ; sentence commentée dans cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 496.

212. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 273.

213. Commentaire reproduit in J. CRAWFORD, Les Articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, Paris, Pedone, 2003, p. 102, § 9.

214. Sentence Merril, § 245.

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du tribunal demeure la même : dans le domaine du droit des investissements, l’État ne sera pas responsable si le demandeur n’a pas subi un préjudice (écono-mique, croit-on comprendre, car à aucun moment la sentence ne semble envisager le préjudice moral ni le préjudice juridique). Il est vrai que le contentieux trans-national est un contentieux de la réparation des dommages matériels subis, assez éloigné des considérations touchant au respect de la légalité internationale qui ont animé la CDI dans son travail de codifi cation. L’investisseur ne recherche « pas tant le redressement de la légalité […] que l’indemnisation pour le préjudice qu’il subit » 215. Pour autant, les Articles de la CDI, loin de faire obstacle à la fi nalité indemnisatrice de la responsabilité, intègrent pleinement cette dimen-sion. De plus, la pratique a connu des cas dans lesquels l’absence de préjudice économique (par exemple parce que l’investissement avait perdu toute valeur indépendamment du comportement de l’État) n’a pas empêché l’engagement de la responsabilité de l’État n’ayant pas respecté ses obligations vis-à-vis de l’investisseur 216.

Dès lors, il est permis de douter que le domaine du droit international des inves-tissements justifi e le développement d’une lex specialis en matière de responsabilité internationale de l’État, même si de telles velléités « fragmentaristes » ne sont pas complètement isolées 217. Mais en l’espèce toutefois, la solution semble moins guidée par un impérieux besoin de règles de responsabilité spécifi ques que par des considérations de circonstance : c’est parce que les membres du tribunal n’avaient pas réussi à s’entendre sur la portée et la violation de l’obligation de traitement juste et équitable qu’ils ont opportunément contourné l’écueil en se concentrant sur la question, consensuelle, de l’absence de dommage 218. Le retour à la conception civiliste de la responsabilité s’explique ainsi. Le risque de fragmentation du droit international n’en est que réduit.

Violation d’une obligation internationale2.

i) Le demandeur de l’affaire Gustav Hamester soutenait que, de l’article 2 des Articles de la CDI selon lequel le fait internationalement de l’État peut résulter d’une action comme d’une omission 219, découlait une responsabilité systématique de l’État qui omet de prévenir les atteintes, quel qu’en soit l’auteur, aux droits des investisseurs. Comme cela était prévisible, le tribunal a rapidement écarté

215. G. BURDEAU, intervention lors de la table ronde « Le système actuel est-il déséquilibré en faveur de l’inves-tisseur privé étranger et au détriment de l’État d’accueil ? », in Ch. LEBEN (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement…, op. cit. note 41, p. 188. Voy. CPA/CNUDCI, Eureko BV c. Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010, § 56, où le tribunal relève que le demandeur s’est dit contraint de recourir à l’arbitrage pour obtenir réparation, la procédure en manquement contre l’État défendeur ouverte par la Commission devant la Cour de justice de l’Union européenne ne pouvant pas aboutir à l’allocation de dommages-intérêts.

216. Voy. notamment la sentence CIRDI, Biwater Gauff (Tanzania) Ltd. c. Tanzanie, aff. n° ARB/05/22, sentence du 24 juillet 2008, dans laquelle le tribunal a accordé réparation à l’investisseur pour le dommage moral subi (sentence commentée dans cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 496-497).

217. Développant, eu égard aux « réalités du droit international économique », l’idée d’une lex specialis régissant l’attribution à l’État des comportements des entités qu’il contrôle, voy. CIRDI, Bayindir Insaat Turizm Ticaret Ve Sanayi AS c. Pakistan, aff. n° ARB/03/29, sentence du 27 août 2009, §130, évoquée dans la présente chronique in cet Annuaire 2009, pp. 702-703. Voy. aussi la sentence CNUDCI United Parcel Service of America Inc. c. Canada, 11 juin 2007, §§ 59-62, dans laquelle le tribunal a appliqué la lex specialis de l’ALENA pour déterminer si le comportement de la poste canadienne pouvait être attribué à l’État canadien. Dans cette affaire, il faut pourtant noter que le chapitre XV de l’ALENA régit spécifi quement le comportement des monopoles et des entreprises d’État, dont des règles d’attribution peuvent être déduites (en ce sens, voy. J. CRAWFORD, loc. cit. note 3, p. 131 ; contra voy. J. KURTZ, loc. cit. note 203, p. 209).

218. Voy. notamment sentence Merril, § 266.219. Voy. F. LATTY, « Actions and omissions », in J. CRAWFORD / A. PELLET / S. OLLESON, op. cit. note 204,

pp. 355 et s.

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l’argument : l’article 2 donne une défi nition générale du fait internationalement illicite ; il ne crée pour l’État aucune obligation générale de prévention des compor-tements interférant avec les droits des investisseurs, pas plus qu’il ne constitue une « autonomous basis for attribution » 220.

ii) Nombre de traités de protection des investissements étrangers sont entrés en vigueur à une date encore récente et souvent postérieure à la réalisation des inves-tissements couverts. Ces données factuelles expliquent que, de manière récurrente, les tribunaux arbitraux soient conduits à examiner les notions d’actes continus ou d’actes composites, invoquées par les demandeurs pour inclure des actions ou des omissions étatiques antérieurs à l’entrée en vigueur du traité 221.

Ces considérations ratione temporis ne sont pas intervenues dans l’une des affaires ayant trait au démantèlement par les autorités russes de l’empire pétro-lier Yukos, portée devant un tribunal de la Chambre de commerce de Stockholm sur le fondement d’un « vieux » traité bilatéral URSS/Royaume-Uni, antérieur à la réalisation de l’investissement par la société britannique RosInvestCo 222. Plus simplement, la notion d’acte composite y a été mise en œuvre pour établir que, par une série d’actions, la Russie avait exproprié le demandeur. Les arbitres ont en effet jugé que les mesures prises par la Russie devaient être analysées en bloc – « seen together and in their cumulative effect » 223 – et non de manière isolée. Dans cette perspective le tribunal a pris en compte – à titre factuel car sa sentence se limite à la question de l’expropriation – divers comportements discriminatoires des autorités russes envers Yukos, notamment en matière fi scale 224. Le tribunal a même estimé pouvoir inclure dans son appréciation des faits des comportements antérieurs à l’achat d’actions Yukos par la société RosInvestCo 225. Comme M. Jourdain fait de la prose, les arbitres se sont inscrits dans le travail de codifi cation de la CDI, sans le savoir ou du moins sans en faire état. Les déterminations du tribunal selon lesquelles « the totality of [Russia]’s measures were structured in such a way to remove Yuko’s assets from the control of the company and the individuals associated with Yukos » 226 résonnent en effet comme un écho au commentaire de l’article 15 des Articles, qui met le doigt sur le caractère systématique de la politique ou du comportement à l’origine du fait illicite composite 227. Alors que la sentence Walter Bau de 2009, qui avait explicitement eu recours à la notion d’acte composite au sens de l’article 15, n’avait pas établi l’expropriation rampante 228, la sentence RosInvestCo conclut sans s’embarrasser de références au travail de la CDI que les

220. CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin 2010, § 173. Voy. infra 2).

221. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 484-485 et 2009, pp. 700-701.222. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre

2010. Voy. la sentence sur la compétence d’octobre 2007. Cf. aussi le commentaire des sentences partielles sur la compétence et la recevabilité dans trois autres affaires « Yukos » portées devant la CPA : N. CHAEVA, « Les affaires Yukos devant la Cour permanente d’arbitrage : 1er acte », in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, n° 4, pp. 1033 et s. nos 89 et s.

223. Sentence RosInvestCo, § 410. Cf. le commentaire par la CDI de l’article 15 de ses Articles : « Les faits compo-sites visés par l’article 15 sont limités aux violations d’obligations qui concernent un ensemble de comportements et non des faits individuels en tant que tels ».

224. Sentence RosInvestCo, § 611225. Ibid., §§ 407-408.226. Ibid., § 621. La sentence ajoute : « They must be seen as elements in the cumulative treatment of Yukos for

what seems to have been the intended purpose » (ibid.).227. Commentaire reproduit in J. CRAWFORD, op. cit. note 213, pp. 168 et s. Voy. J. SALMON, « Duration of the

Breach », in J. CRAWFORD / A. PELLET / S. OLLESON, op. cit. note 204, pp. 391-392.228. CNUDCI, Walter Bau c. Thaïlande, sentence du 1er juillet 2009, commentée dans cette chronique in cet

Annuaire, 2009, pp. 700-701.

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mesures russes « seen in their cumulative effect towards Yukos, were an unlawful expropriation » 229.

iii) L’épuisement des voies de recours internes ressortit généralement aux conditions de recevabilité d’une requête. Développée dans le domaine de la protec-tion diplomatique, l’exigence s’est notamment étendue aux recours fondés sur des instruments de protection des droits de l’homme, tout en demeurant exceptionnelle dans les traités de protection des investissements 230. L’article 26 de la convention de Washington prévoit d’ailleurs que « [c]omme condition à son consentement à l’arbitrage […], un État peut exiger que les recours administratifs ou judiciaires internes soient épuisés », ce qui consacre a contrario le principe de non-épuisement en l’absence de disposition expresse 231.

Dans une sentence de 2008, le tribunal de l’affaire Helnan avait présenté sous un autre jour la règle de l’épuisement des voies de recours internes : tout en reconnaissant qu’elle n’était pas une condition procédurale à sa saisine 232, il l’avait envisagée comme une condition de la réalisation de la violation de l’obligation de traitement juste et équitable. Faute d’avoir contesté le déclassement de son hôtel devant les tribunaux administratifs égyptiens, la société ne pouvait invoquer une violation du TBI : « It needs more to become an international delict for which Egypt would be held responsible under the Treaty » 233.

C’est ce raisonnement qu’un comité ad hoc saisi d’un recours en annulation a censuré, sans toutefois que la sentence succombe, eu égard au caractère surabondant du motif contesté. Dans sa décision du 14 juin 2010, le comité a en effet considéré que poser l’exigence d’épuisement des voies de recours internes en matière de trai-tement juste et équitable revenait à « to do by the back door that which [Article 26 of] the Convention [of Washington] expressly excludes by the front door » 234. Pour le comité, la décision ministérielle de déclassement suffi t à engager la responsabilité de l’Égypte dès lors qu’elle viole ses obligations conventionnelles 235.

Le comité entretient toutefois un certain fl ou autour de la cristallisation de la violation du standard de traitement juste et équitable, lorsqu’il admet que

« a single aberrant decision of a low-level offi cial is unlikely to breach the standard unless the investor can demonstrate that it was part of a pattern of state conduct applicable to the case or that the investor took steps within the administration to achieve redress and was rebuffed in a way which compounded, rather than cured, the unfair treatment » 236.

229. Sentence RosInvestCo, § 633. Voy. aussi CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, §§ 12-44, où référence est faite à l’article 15, § 2, des Articles de la CDI, aux fi ns de fi xer la date à partir de laquelle court l’évaluation des dommages subis.

230. Voy. C. SANTULLI, op. cit. note 179, pp. 269-270, nos 471-472.231. Voy. CIRDI, Maffezini c. Espagne, aff. n° ARB/97/7, sentence sur la compétence, 25 janvier 2000, § 22 :

« unless a Contracting State has conditioned its consent to ICSID arbitration on the prior exhaustion of domestic remedies, no such requirement will be applicable. Article 26 thus reverses the traditional international law rule, which implies the exhaustion requirement unless it is expressly or implicitly waived ».

232. CIRDI, Helnan International Hotels A/S c. Égypte, aff. n° ARB/05/09, sentence du 3 juillet 2008, § 148.233. Ibid.234. Comité ad hoc CIRDI, Helnan International Hotels c. Égypte, aff. n° ARB/05/19, décision sur la demande

d’annulation, 14 juin 2010, § 47. Le tribunal ajoute que « it would empty the development of investment arbitration of much of its force and effect, if, despite a clear intention of State parties not to require the pursuit of local remedies as a pre-condition to arbitration, such a requirement were to be read back as part of the substantive cause of action » (ibid.). Voy. le commentaire de la décision par B. TRANCHANT, in Rev. Arb., 2010/4, pp. 919 et s.

235. Décision Helnan, § 51.236. Ibid., § 50. Dans un sens très voisin, voy. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la

compétence et la responsabilité, 14 janvier 2010, § 278 : « This does not mean that an investor can come before an ICSID tribunal with any complaint, no matter how trivial, about any decision, no matter how routine, taken by any civil servant,

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À défaut d’être conditionnée par l’épuisement des voies de recours internes, la violation du traitement juste et équitable pourrait donc l’être par l’actionnement des voies de recours administratives lorsqu’est en cause le comportement d’un organe subalterne. La question se pose toutefois du seuil hiérarchique à partir duquel l’investisseur devra contester par la voie administrative la décision de l’organe-auteur. Cette exigence contraste de plus avec l’indifférence de la position de l’organe dans l’organisation de l’État aux fi ns d’attribution du fait illicite 237.

L’extrait cité semble du reste directement inspiré du deuxième rapport de James Crawford sur la responsabilité des États, qui avait envisagé le cas d’une « décision irrégulière d’un fonctionnaire subalterne » dans le contexte du déni de justice 238. Or précisément, le déni de justice, qui est susceptible de constituer une atteinte au traitement juste et équitable 239, ne sera caractérisé qu’une fois épuisées les voies de recours internes 240. Lorsqu’on sait que la règle de l’épuisement a pour fonction de donner à l’État l’opportunité de corriger via son système juridique la violation du droit international émanant d’une juridiction inférieure 241, on peut se demander si la considération du comité selon laquelle le standard de traite-ment juste et équitable « is concerned with consideration of the overall process of the State’s decision-making » 242 ne milite pas en faveur de la solution, pourtant annulée, rendue par le tribunal.

La question de l’épuisement des voies de recours en matière de déni de justice a d’ailleurs été explicitement envisagée, mais par analogie, dans l’affaire Chevron. Le tribunal a considéré qu’une réclamation fondée sur l’obligation conventionnelle d’assurer aux investisseurs des « effective means of asserting claims and enfor-cing rights » se distinguait d’une réclamation invoquant un déni de justice 243. Si l’épuisement des voies de recours internes n’était dès lors pas requis, le tribunal a toutefois jugé que l’investisseur devait « d[o] its part by properly using the means placed at its disposal » 244. Doit également être relevée la conclusion des arbitres, toujours inspirée du cas du déni de justice, selon laquelle la responsabilité de l’État pour délai judiciaire excessif est engagée dès la cristallisation de la violation, et ce même si les tribunaux internes fi nissent par rendre une décision après la saisine du tribunal arbitral 245.

iv) En marge de la responsabilité internationale « classique », une forme de responsabilité de type procédural se développe dans l’arbitrage transnational, dont les manifestations interviennent au stade de la répartition des frais de l’arbitrage. Alors que traditionnellement chaque partie supporte ses frais de représentation tandis que le coût de l’arbitrage est partagé entre elles 246, plusieurs tribunaux

no matter how modest his hierarchical place. In this case, however, the claim is raised against the conduct of the National Council, that is to say the highest regulatory organ for the broadcasting industry ».

237. Art. 4, § 1, des Articles de la CDI.238. A/CN.4/498, § 75 : « Il y a aussi des cas dans lesquels l’obligation consiste à avoir un système d’une certaine

sorte, par exemple l’obligation d’assurer un système judiciaire équitable et effi cace. La question de la violation dépend alors de la prise en considération du système et une décision irrégulière d’un fonctionnaire subalterne qui peut être reconsidérée ne constitue pas en elle-même un acte illégal ».

239. R. DOLZER / Ch. SCHREUER, Principles of International Investment Law, Oxford, Oxford UP, 2008, pp. 162 et s.240. CIRDI, Loewen Group, Inc. et Raymond L. Loewen c. États-Unis, aff. n° ARB (AF)/98/3, sentence sur le fond

du 26 juin 2003, §§ 147 et s. ; CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2, sentence du 18 mai 2010, § 107.

241. Sentence Loewen, § 156.242. Décision Helnan, § 50.243. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877, sentence

partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 321.244. Sentence Chevron, § 324.245. Ibid., § 272.246. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 723-727. Pour l’année 2010, voy. CIRDI, Alasdair Ross

Anderson e.a. c. Costa Rica, ARB(AF)/07/3, sentence du 19 mai 2010, §§ 62 et s. ; CIRDI, AES Summit Generation

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ou comités ad hoc ont utilisé leur pouvoir discrétionnaire en la matière 247 pour condamner la partie perdante à assumer la totalité de ces charges 248, ce qui aboutit parfois à sanctionner des requêtes jugées inconséquentes 249. À côté de la responsa-bilité de l’État pour violation de ses obligations de traitement et de protection des investissements étrangers, prend forme une responsabilité de l’investisseur pour recours abusif, qui participe sans doute du rééquilibrage du droit international des investissements.

Attribution du comportement3.

La sentence rendue en 2010 dans l’affaire Gustav Hamester a consacré d’amples développements à la question de l’attribution, en prenant naturellement appui sur les Articles de la CDI. Dès lors que certains comportements contestés prove-naient d’organes de l’État ghanéen (gouvernement, police), l’opération d’attribution s’est faite sans grande diffi culté 250. Le cas moins évident du bureau ghanéen du cacao (Cocobod) a conduit le tribunal arbitral présidé par Brigitte Stern à rappeler certains principes d’ordre général. Ainsi la sentence précise-t-elle qu’un compor-tement n’est attribué à l’État que s’il existe un lien serré (« close link ») entre le premier et le second, ce lien pouvant résulter de la participation de l’auteur du comportement à la structure organique de l’État (article 4 de la CDI), de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique, même si l’auteur constitue une entité distincte de l’État (article 5), ou des instructions, directives ou contrôle de l’État, que l’auteur soit un entité publique ou privée (article 8) 251. Le tribunal a synthétisé de la sorte les règles d’attribution :

« The following acts are attributable to the State, under the rules of international law :– all acts – including acts de jure gestionis – of State organs ;

Limited et AES-Tisza Erömü Kft c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010, § 15.3.1 ; Comité ad hoc CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, décision sur la demande d’annulation, 30 juillet 2010, §§ 418 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, aff. n° ARB/02/16, décision sur la demande d’annulation, 29 juin 2010, § 226 ; Comité ad hoc CIRDI, Rumeli Telekom et Telsim Mobil Telekomuni-kasyon Hizmetleri c. Kazakhstan, aff. n° ARB/05/16, décision de rejet, 25 mars 2010, § 184 ; Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre 2010, §§ 699 et s.

247. CIRDI, Piero Foresti, Laura de Carli e.a. c. Afrique du Sud, ARB(AF)/07/01, sentence du 4 août 2010, §§ 98 et s. ; CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, § 687.

248. Voy. par ex. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, § 17.1 et s. ; CPA, CNUDCI/ALENA, Melvin J. Howard, Centurion Health Corp. & Howard Family Trust c. Canada, aff. n° 2009-21, ordonnance sur la fi n des procédures et sentence sur les coûts, 9 août 2010, §§ 73 et s. ; CNUDCI (ALENA), Chemtura Corporation c. Canada, sentence du 2 août 2010, § 272 ; CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, § 692 (comm. M. BENLOLO-CARABOT, in Rev. Arb., 2010/4, pp. 941-942). Adde CIRDI, Piero Foresti, Laura de Carli e.a. c. Afrique du Sud, ARB(AF)/07/01, sentence du 4 août 2010, §§ 107 et s. (désaccord sur l’identifi cation de la partie perdante) et CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les exceptions préliminaires, 2 août 2010, §§ 262 et s. (non attribution des coûts de l’arbitrage à la partie perdante en raison du caractère inédit de l’invocation de la disposition du traité CAFTA en cause et des enseignements que tout le monde est susceptible d’en tirer).

249. Voy. CIRDI, Saba Fakes c. Turquie, aff. n° ARB/07/20, sentence du 14 juillet 2010, §§ 153 et s. ; CIRDI, Quadrant Pacifi c Growth Fund LP et Canasco Holdings Inc. c. Costa Rica, ARB(AF)/08/1, ordonnance prenant note de la fi n de la procédure et sur l’allocation des coûts, 27 octobre 2010, §§ 70-71 ; CIRDI, RSM Production Company e.a. c. Grenade, aff. n° ARB/10 juin, sentence du 10 décembre, § 8.3.4.

250. CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin 2010, §§ 182, 291 et s. Adde Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre 2010, §§ 602-604 ; CIRDI, Alpha Projektholding GmbH c. Ukraine, aff. n° ARB/07/16, sentence du 8 novembre 2010, §§ 399 et s. ; CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, §§ 273 et s.

251. Sentence Gustav Hamester, § 172.

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– acts of public or private entities or persons exercising governmental authority, if executed in the exercise of such authority – which by defi nition cannot include acts de jure gestionis ;– acts of public or private entities or persons done on the instructions of, or under the direction or control of that State – which can encompass acts de jure gestionis as well as acts de jure imperii » 252.

On remarque que le tribunal appuie avec insistance sur la distinction classique, tirée du droit des immunités, entre actes de jure imperii et actes de jure gestionis. Indépendamment des circonstances de l’espèce et des arguments soulevés par les parties, l’effort n’est pas vain, tant le droit des investissements est propice à l’uti-lisation de la distinction dans un sens qui tend à limiter la responsabilité de l’État aux comportements traduisant l’exercice de prérogatives de puissance publique 253. Si, sur la question de l’attribution, les remarques de la sentence Gustav Hamester restent dans l’orthodoxie en n’écartant pas l’attribution à l’État des actes de jure gestionis, ses déterminations surabondantes sur la licéité des actes de Cocobod 254 s’inscrivent dans la tendance sus-évoquée. Dès lors que la distinction entre actes gouvernementaux/commerciaux constitue donc le pivot de la solution apportée – en bout de course l’absence de responsabilité du Ghana – les efforts de pédagogie du tribunal n’en sont que justifi és.

Après ses considérations générales relatives à l’attribution, le tribunal a examiné le cas concret des actes de Cocobod. Ayant conclu que l’organisme – une société commerciale, de création législative, chargée de commercialiser les graines de cacao et de générer des profi ts pour l’État – ne pouvait être qualifi é d’organe de l’État 255, le tribunal a constaté que la loi ghanéenne avait confi é des prérogatives de puissance publique à Cocobod, au sens de l’article 5 de la CDI 256. Pour que les comportements litigieux soient attribués au Ghana, ils devaient cependant traduire l’exercice de ces prérogatives, ce qui a conduit le tribunal à examiner individuelle-ment chacun des actes en question au regard de l’article 5. Comme ces actes ont tous été qualifi és de jure gestionis 257, ils ont été subsidiairement évalués au regard de l’article 8 des Articles 258. Au fi nal, aucun des actes de Cocobod n’ayant été attribué au Ghana, le tribunal s’est attaché à évaluer la licéité des seuls actes des organes gouvernementaux 259 – en l’occurrence aucune violation n’a été constatée.

À titre surabondant toutefois, les arbitres ont pris la peine d’établir que même si les actes commerciaux de Cocobod étaient attribuables au Ghana, aucun d’eux n’engagerait la responsabilité de l’État « because of their very nature » 260. La plupart des réclamations reposaient sur la violation alléguée du contrat d’in-vestissement par Cocobod, dont résultait selon les demandeurs une violation du TBI (atteinte au traitement juste et équitable, traitement discriminatoire, expro-priation, etc.). S’inscrivant dans un mouvement jurisprudentiel déjà établi 261

252. Sentence Gustav Hamester, § 180.253. Voy. P. JACOB, L’imputation d’un fait à l’État en droit international de la responsabilité, thèse, Rennes 1,

2010, pp. 267 et s.254. Voy. infra.255. Sentence Gustav Hamester, § 188.256. Ibid., § 192.257. Voy. par ex. les paragraphes 250, 255, 266, 283 de la sentence Gustav Hamester. Le tribunal note, par exemple,

que la menace par Cocobod de ne pas livrer les graines et le fait même de ne pas les livrer ne révèlent pas l’exercice de prérogatives de puissance publique mais constitue une stratégie courante des acteurs économiques « exercising their bargaining power » (§ 253).

258. Voy. notamment les paragraphes 203, 256, 267, 281, 283, 285 de la sentence Gustav Hamester.259. Ibid., §§ 296 et s.260. Ibid., § 315.261. Voy. par ex. CIRDI, Siemens AG c. Argentine, aff. n° ARB/02/8, sentence du 6 février 2007, § 253.

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bien que contesté 262, le tribunal a considéré que la violation d’un contrat d’investissement ne pouvait équivaloir à une violation du TBI qu’à la condition de résulter de comportements traduisant l’exercice de prérogatives de puissance publique 263 : seul un « comportement exorbitant de celui qu’un cocontractant ordinaire pourrait adopter » 264 engagerait la responsabilité internationale de l’État. En l’espèce, les actes reprochés à Cocobod avaient une nature commer-ciale, ce qui faisait obstacle à l’engagement de la responsabilité du Ghana 265. La distinction acta de jure gestionis / de jure imperii n’est ici pas intervenue au stade de l’attribution mais de la portée de l’obligation primaire. Un ultime argument examiné par le tribunal va toutefois le conduire à lier les deux champs d’intervention de la distinction.

L’existence d’une clause dans le TBI par laquelle l’État partie s’engage à respecter les engagements pris envers les investisseurs de l’autre partie (« clause parapluie ») était effectivement invoquée par le demandeur pour justifi er l’éléva-tion de ses contract claims au rang de treaty claims. À titre principal, le tribunal s’est contenté d’interpréter la stipulation conventionnelle comme ne couvrant que les engagements pris par l’État lui-même – et non ceux pris par des entités autonomes comme Cocobod 266. À titre subsidiaire, et au vu d’un courant juris-prudentiel en ce sens 267, le tribunal a néanmoins accepté d’examiner l’éventuelle extension du champ de la clause parapluie aux contrats conclu par des entités distinctes de l’État par référence aux règles d’attribution : les contrats conclus par des entités distinctes de l’État seraient considérés comme des contrats conclus par l’État lui-même en raison de l’assimilation de celles-là à celui-ci. Le tribunal en est revenu à ses déterminations premières selon lesquelles ni l’article 5 (pas de mise en œuvre de prérogatives de puissance publique), ni l’article 8 (pas d’instructions, de directives ou de contrôle) des Articles ne permet-taient d’établir un lien suffi sant entre le Ghana et la conclusion par Cocobod du contrat d’investissement. Dans ce cas de fi gure, les règles d’attribution ont été employées à une fi n autre que l’imputation d’un comportement illicite : il s’agissait en l’occurrence de préciser l’étendue d’une règle primaire (la clause parapluie). Si l’on y ajoute leur utilisation aux fi ns d’établir la compétence ratione personae des tribunaux transnationaux 268, il devient frappant que les Articles de la CDI ont une portée qui déborde largement de leur objet initial : au-delà de la seule question de l’attribution, leur fonctionnalité plus large est celle de l’identifi cation de l’État 269.

262. Voy. M. RAUX, La responsabilité de l’État sur le fondement des traités de promotion et de protection des investissements. Étude du fait internationalement illicite dans le cadre du contentieux investisseur-État, thèse, Paris II, 2010, pp. 213 et s.

263. Sentence Gustav Hamester, § 330. Voy. aussi en ce sens CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, §§ 153 et s.

264. CIRDI, Consortium RFCC c. Maroc, aff. n° ARB/00/6, sentence fi nale du 22 décembre 2003, § 51.265. Sentence Gustav Hamester, § 331.266. Ibid., § 347.267. Voy. par ex. CIRDI, Noble Ventures, Inc. c. Roumanie, aff. n° ARB/01/11, sentence du 12 octobre 2005, §§ 68

et 79-80 et les autres sentences citées à la note 259 de la sentence Gustav Hamester. Adde K. HOBER, « State Responsi-bility and Attribution », in P. MUCHLINSKI e.a., The Oxford Handbook of International Investment Law, Oxford, Oxford UP, 2008, pp. 578 et s.

268. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2008, pp. 488-489 et 2009, pp. 703 et 708 et s. Sur les questions de fond abordées dès le stade de l’établissement de la compétence ratione materiae, voy. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GMBH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, décision sur la compétence, 2 mars 2010, §§ 57 et s. ; CIRDI, Burlington Resources Inc. e.a. c. Équateur et PetroEcuador, aff. n° ARB/08/5, décision sur la compétence, 2 juin 2010, §§ 110, 208 ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les exceptions préliminaires, 2 août 2010, §§ 244 et s.

269. Cf. P. JACOB, thèse précitée note 253, pp. 24-26.

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Circonstances excluant l’illicéité : l’état de nécessité4.

Le CIRDI n’a toujours pas purgé le contentieux né des mesures adoptées par l’Argentine pour faire face à la grave crise économique qu’elle a subie au début des années 2000. Plusieurs décisions ont ainsi été rendues en 2010 qui portent sur la sempiternelle question de l’état de nécessité invoqué par l’Argentine pour excuser la violation des obligations internationales qui lui incombaient envers des investisseurs étrangers. Il est bien connu que la jurisprudence du CIRDI sur la question de la nécessité se caractérise par un « éclatement » regrettable, auquel une décision du comité ad hoc de l’affaire CMS avait pourtant tenté de remédier en posant certains jalons méthodologiques 270.

La sentence Sempra rendue seulement trois jours après la décision du comité CMS participait de ce désordre jurisprudentiel 271 qui porte en grande partie sur le problème de l’articulation entre l’article 25 des Articles de la CDI sur l’état de nécessité et la clause de sauvegarde contenue dans l’article XI du TBI Argentine/États-Unis, lequel autorise des mesures d’urgence en cas de circonstances excep-tionnelles 272. Comme le tribunal CMS 273, le tribunal Sempra avait jugé que l’article XI devait être interprété sur la base du droit coutumier de la nécessité codifi é à l’article 25 des Articles. Tel est l’un des aspects de la sentence que l’Argentine a contestés dans sa demande d’annulation, à bon droit selon le comité ad hoc mis en place 274.

Pour ce faire, le comité Sempra a fait implicitement sien le raisonnement suivi par le comité CMS concernant l’articulation entre les deux normes 275, mais là où le second avait constaté une erreur de droit sans pour autant annuler la sentence au motif que le mécanisme CIRDI ne lui permettait pas de substituer sa propre appréciation à celle du tribunal 276, le premier a pour sa part considéré que le tribunal avait commis un excès manifeste de pouvoir : pour le comité Sempra, la fusion opérée entre le droit conventionnel primaire (art. XI du TBI) et les règles secondaires du droit coutumier (art. 25 des Articles) équivalait à une non applica-tion du droit applicable et encourait dès lors la censure 277.

Le comité ad hoc constitué dans l’affaire (très similaire) Enron a également procédé à une annulation de sentence, pour des motifs toutefois distincts. Prenant le contrepied du comité CMS et à plus forte raison celui du comité Sempra, il a refusé de porter une appréciation sur le choix du tribunal de plaquer les conditions

270. Comité ad hoc CIRDI, CMS Gas Transmission Company c. Argentine, décision d’annulation du 25 septembre 2007, aff. n° ARB/01/8. Voy. Th. CHRISTAKIS, « Quel remède à l’éclatement de la jurisprudence CIRDI sur les investis-sements en Argentine ? La décision du comité ad hoc dans l’affaire CMS c. Argentine », RGDIP, 2007, pp. 879-896. Adde cette chronique, in cet Annuaire, 2008, pp. 490-493.

271. CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, sentence du 28 septembre 2007, aff. n° ARB/02/16.272. Art. XI : « This treaty shall not preclude the application by either Party of measures necessary for the main-

tenance of public order, the fulfi llment of its obligations with respect to the maintenance or restoration of international peace or security, or the protection of its own essential security interests ».

273. CIRDI, CMS Gas Transmission Company c. Argentine, sentence du 12 mai 2005, aff. n° ARB/01/8. 274. Comité ad hoc CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, aff. n° ARB/02/16, décision sur la demande

d’annulation, 29 juin 2010.275. Décision Sempra, §§ 196 et s.276. Ibid., §§ 205 et s. Retenant une conception limitée de leur mission, conformément à la jurisprudence dominante,

voy. aussi Comité ad hoc CIRDI, Rumeli Telekom et Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri c. Kazakhstan, aff. n° ARB/05/16, décision de rejet, 25 mars 2010, §§ 74 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Helnan International Hotels c. Égypte, aff. n° ARB/05/19, décision sur la demande d’annulation, 14 juin 2010, §§ 20 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Sociedad Anónima Eduardo Vieira c. Chili, aff. n° ARB/04/7, décision d’annulation, 10 décembre 2010, §§ 234 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide c. Philippines, aff. n° ARB/03/25, décision sur la demande d’annulation, 23 décembre 2010, §§ 36 et s.

277. Décision Sempra, §§ 159 et s.

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de l’article 25 sur l’article XI du TBI 278. Pour le comité, ces questions relevaient de l’appréciation du tribunal auquel il ne saurait se substituer. Ainsi, l’annulation n’a pas reposé sur une erreur de droit ou un manquement à appliquer le droit applicable dans l’interprétation de l’article XI du TBI, mais sur la manière dont le tribunal a mis en œuvre l’article 25 des Articles de la CDI, à la fois de manière autonome et dans le cadre de l’interprétation de l’article XI.

Sans craindre, paradoxalement, de substituer sa propre appréciation de l’article 25 à celle du tribunal, le comité ad hoc a consacré de longs dévelop pements aux critères permettant de déterminer si les conditions de l’état de nécessité étaient remplies. Plus précisément, la décision reproche au tribunal de n’avoir pas « disséqué » les conditions de l’article 25 avant de considérer, sur la simple base du témoignage d’un professeur d’économie, que l’Argentine ne les remplissait pas. Ainsi le tribunal aurait-il dû s’interroger sur la teneur de la condition selon laquelle le fait non conforme à une obligation internationale doit constituer pour l’État le « seul moyen » de protéger un intérêt essentiel 279. À côté de l’interprétation littérale (qui, comme l’avançait l’Argentine, est tellement rigoureuse qu’elle aboutit inévitablement à rejeter l’argument, en raison de la pluralité des mesures anti-crise susceptibles d’être adoptées), le comité envisage une interprétation plus large au terme de laquelle l’État, lorsque plusieurs mesures alternatives sont concevables, ne pourrait pas avancer l’excuse de nécessité s’il avait la possibilité de prendre une mesure licite ou entraînant une violation moins grave de ses obligations 280. Le comité s’interroge en outre, ce que n’avait pas fait le tribunal, sur la prise en compte de l’effi cacité attendue des mesures dans l’appréciation du critère du « seul moyen » 281. Se poserait encore la question de la personne habilitée à apprécier l’existence de mesures alternatives (l’État ? le tribunal ?) et les critères à mettre en œuvre à cette occasion (l’existence d’autres moyens s’apprécie-t-elle au moment de la prise des mesures ou a posteriori au moment de la sentence ? L’État bénéfi cie-t-il d’une marge d’appréciation ?) 282. Faute d’avoir abordé ces questions et, à tout le moins, d’avoir mis en perspective l’analyse purement économique fournie par le témoin avec les conditions de l’article 25, le comité a jugé que le tribunal avait manqué d’appliquer le droit applicable et, partant, commis un excès manifeste de pouvoir.

Le comité a aussi estimé que participait d’un défaut de motivation la consi-dération du tribunal selon laquelle les intérêts essentiels du demandeur étaient touchés, alors que l’article 25, § 1, litt. b), écarte la nécessité si le fait illicite de l’État porte « gravement atteinte à un intérêt essentiel de l’État ou des États à l’égard desquels l’obligation existe […] » 283. En fi ligrane se pose la question de la transpo-sition aux relations transnationales d’une circonstance excluant l’illicéité codifi ée

278. CIRDI, Enron Corporation et Ponderosa Assets LP c. Argentine, sentence du 22 mai 2007, aff. n° ARB/01/3, §§ 331-342 et Comité ad hoc CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets, LP c. Argentine, aff. n° ARB/01/3, décision sur la demande d’annulation, 30 juillet 2010, §§ 400 et s.

279. Décision Enron, §§ 369 et s.280. Ibid., § 370 : « For instance, another possible interprétation would be that there must be no alternative measures

that the State might have taken for safeguarding the essential interest in question that did not involve a similar or graver breach of international law. Under this interprétation, if there are three possible alternative measures that a State might adopt, all of which would involve violations of the State’s obligations under international law, the State will not be prevented from invoking the principle of necessity if it adopts the measure involving the least grave violation of international law. Under this interprétation, the principle of necessity will only be precluded if there is an alternative that would not involve a breach of international law or which would involve a less grave breach of international law ».

281. Décision Sempra, § 371. En substance, le comité se demande si la possibilité qu’avait l’État d’adopter une mesure licite dont l’effi cacité était incertaine doit aboutir à écarter l’excuse de la nécessité lorsque l’État a pris une mesure illicite à l’effi cacité avérée, au motif que cette dernière ne constituait pas le « seul moyen » de protéger un intérêt essentiel.

282. Décision Enron, § 372.283. Ibid., § 383. Italiques ajoutés.

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dans le cadre de relations interétatiques 284. Le comité a encore jugé qu’encourait l’annulation la manière expéditive dont le tribunal avait jugé que l’Argentine avait contribué à la survenance de la situation de crise économique – cause de disqua-lifi cation de l’argument de la nécessité selon l’article 25, § 2, litt. b – alors que le contenu de la norme aurait dû une fois de plus faire l’objet de discussions 285.

Dans la décision Enron, le comité ad hoc n’a donc pas hésité à démonter une partie du moteur de l’article 25 des Articles de la CDI, même s’il a plus posé de questions qu’il ne leur a apporté de réponses. Si l’on peut douter, même dans ces limites, qu’il relève de la compétence d’un comité ad hoc d’ainsi « mettre les mains dans le cambouis » 286, il n’en demeure pas moins que la décision jette utilement la lumière sur les marges d’interprétation qui entourent les conditions de l’état de nécessité que la CDI a pourtant voulu codifi er de manière restrictive.

Les décisions arbitrales rendues en 2010 dans les affaires Suez-Vivendi et Total ont d’ailleurs insisté sur la rigueur des conditions imposées par l’article 25 287, avant de les examiner successivement – sans toutefois en discuter les différentes interprétations envisageables, ce qui pourrait leur attirer les foudres de comités ad hoc par trop inspirés par la décision Enron. Ainsi les arbitres ont-ils considéré que la fourniture d’eau pour la région de Buenos Aires 288, mais non le gel des tarifs du gaz 289, relevait bien d’intérêts essentiels de l’Argentine, et dans les deux cas que la violation du TBI n’était pas le seul moyen de les protéger 290. Le tribunal de l’affaire Total a en outre constaté que l’Argentine n’avait pas prouvé que la condition du « péril grave et imminent » était remplie 291. Se contentant de constater l’échec de l’article 25, § 1, litt. a, les arbitres de l’affaire Total se sont dispensé d’examiner les autres conditions formulées par la CDI, à l’inverse des arbitres de l’affaire Suez-Vivendi qui en ont déroulé toute la séquence.

Le fait que les « intérêts essentiels » des demandeurs aient pu être touchés n’a pas été pris en considération par le tribunal, qui s’est de la sorte implicitement opposé à la transnationalisation de l’état de nécessité, ie son acclimatation parfaite aux relations mixtes investisseur-État : seul importait que les « intérêts essentiels » des autres États parties aux trois TBI applicables n’aient pas été atteints, ce qui a permis à l’Argentine de satisfaire aux exigences de l’article 25, § 1, litt. b 292. La troisième condition selon laquelle l’état de nécessité ne peut être invoqué si l’obli-gation primaire violée exclut cette possibilité (art. 25, § 2, litt. a) a été rapidement évacuée dans la mesure où les TBI de l’affaire ne contenaient aucune clause de

284. Cf. au sujet des contre-mesures cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 493-495. Voy. aussi infra B, 1, c, la question de la transnationalisation de la question de la contribution de la victime au préjudice.

285. Décision Enron, §§ 385 et s. Le comité relève qu’une interprétation littérale de l’art. 25 aboutit au rejet de l’argument de la nécessité dès lors qu’il y a un lien de causalité entre le comportement de l’État et la situation de néces-sité, peu importe l’intensité de la contribution étatique à la nécessité, l’absence de faute de l’État ou l’imprévisibilité des conséquences du comportement (§ 387). Le tribunal est ainsi critiqué pour avoir semblé considérer que le comportement de l’État contribuant à la situation de nécessité devait être fautif (§ 388), sans avoir cherché à défi nir la faute dans le contexte de l’état de nécessité – doit-il s’agir d’une faute volontaire, destinée à faire naître la situation de nécessité, ou bien un comportement négligent peut-il constituer la faute ? (§ 389).

286. Voy. la chronique précitée de S. MANCIAUX, in JDI, 2011/2, pp. 584-586.287. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi Universal, SA c. Argentine, aff.

n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, §§ 249, 258 ; CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010, § 220.

288. Décision Suez-Vivendi, § 260289. Décision Total, § 222.290. Décision Suez-Vivendi, § 260 ; décision Total, § 223.291. Décision Total, § 223 (« Argentina has not shown that the economic security of the gas users would have been

imminently and gravely threatened if the gas tariffs would have been adjusted in mid-2002 as Argentina’s own legislation provided for »).

292. Décision Suez-Vivendi, § 261.

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sauvegarde analogue à celle du TBI Argentine/États-Unis 293. Du reste, les affaires argentines ont montré que l’effet de clauses de ce genre n’est pas exclusif, bien au contraire, de l’application du droit coutumier. Dans ce cadre toutefois, le tribunal a examiné l’argument (soutenu par un amicus curiae 294) selon lequel les obliga-tions internationales de l’Argentine en matière de droits de l’homme (notamment celle d’assurer le droit à l’eau de sa population) l’emporteraient sur ses obligations découlant du TBI 295. On comprend mal en quoi l’argument trouve sa place à ce stade de la sentence – il n’est pas question d’obligation primaire excluant l’argu-ment de la nécessité. Toujours est-il que le tribunal a jugé qu’il n’y avait aucune incompatibilité intrinsèque entre le respect des droits de l’homme et celui du TBI et que l’Argentine aurait dès lors pu et dû respecter les deux types d’obligations 296. Concernant enfi n la condition de non contribution à l’émergence de la situation (art. 25, § 2, litt. b), le tribunal a jugé dans le sillage des sentences CMS et Sempra et Enron que la crise argentine résultait de facteurs endogènes comme exogènes, ce qui privait l’Argentine de l’argument de la nécessité 297.

À l’issue de l’année 2010, force est de constater que l’harmonie jurispruden-tielle sur l’état de nécessité n’est toujours pas réalisée. La remise en question de la décision du comité ad hoc CMS, qui jusqu’alors faisait autorité ou en avait du moins la vocation, par les comités des affaires Sempra et Enron encourage même les velléités dissonantes, que seul le tarissement du contentieux argentin devrait réussir à calmer.

RéparationB.

Dans la mesure où les arbitres transnationaux s’alignent, dans la majorité des cas, sur les Articles de la CDI, la question du dommage et celle du lien de causalité entre ce dernier et la violation ressortit au contenu de la responsabilité – et non à ses conditions d’engagement, ce en dépit du caractère patrimonial du conten-tieux transnational (1). Bien que la réparation prenne dans la quasi totalité des cas la forme d’une indemnisation, dont le calcul laisse des marges de manœuvre importantes aux arbitres, dans deux sentences de 2010 la restitution a pu être envisagée (2).

Dommage et lien de causalité1.

Dommages susceptibles d’être réparésa)

Les dommages dont la réparation est généralement recherchée via l’arbitrage transnational sont des pertes économiques, qui peuvent inclure la perte de profi ts futurs, voire la perte de chances 298, sans que la distinction entre les deux types de pertes soit toujours claire dans la jurisprudence 299. Chose rare mais non inédite

293. Décision Suez-Vivendi, § 262.294. Sur l’amicus curiae dans l’arbitrage transnational, voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 718 et s.

et supra II, A, 4.295. Sur la question des droits de l’homme dans le domaine du droit des investissements, récemment voy.

A. AL FARUQUE, « Mapping the Relationship between Investment Protection and Human Rights », Journal of World Investment and Trade, vol. 11, n° 4, April 2010, pp. 539-560 ; T. G. NELSON, « Human Rights Law and BIT Protection : Areas of Convergence », Journal of World Investment and Trade, vol. 12, n° 1, February 2011, pp. 27-47.

296. Décision Suez-Vivendi, § 262.297. Ibid., § 264.298. Contra voy. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, UNCITRAL,

aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, §§ 376 et s.299. Voy. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010,

§§ 13-87 et s. Voy. infra 2.

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dans l’arbitrage transnational 300, la sentence Lemire a également accepté le prin-cipe de la réparation des dommages moraux potentiellement subis par l’investis-seur. Le demandeur, qui avait investi dans une station de radio, prétendait avoir fait l’objet d’un harcèlement des autorités ukrainiennes, qui auraient tout fait pour « s’en débarrasser » (get rid of) 301. Sans l’exclure, le tribunal a renvoyé à un stade ultérieur de la procédure la question de l’indemnisation des préjudices moraux, tout en relevant que dans le droit des investissements la demande de réparation pour ce type de dommages n’intervient que dans des « circonstances exceptionnelles » 302. Si l’on s’en tient à la description du dommage moral fournie par la CDI, il est vrai que les cas sont heureusement rares dans lesquels un investisseur peut se prévaloir de préjudices prenant la forme de « souffrances causées à l’individu, la perte d’êtres chers ou une injure personnelle associée à une intrusion dans le domicile ou une atteinte à la vie privée » 303.

Preuve du dommageb)

Le principe en matière de réparation est que la charge de la preuve des dommages subis revient au demandeur, sous peine de voir sa réclamation rejetée 304. Et « [i]f that loss is found to be uncertain or speculative or otherwise unproven, the Tribunal must reject these claims, even if liability is established against the Respondent » 305. Faute de dommage prouvé, la responsabilité demeurera alors « platonique » 306.

Le dommage doit être certain, ce qui soulève des diffi cultés lorsqu’il s’agit d’éta-blir, conformément à l’article 36 des Articles de la CDI, l’existence d’un manque à gagner. La certitude n’est toutefois pas un standard de preuve absolu 307, comme la sentence Gemplus a tenté de le faire valoir : « the concept of certainty is both relative and reasonable in its application, to be adjusted to the circumstances of the particuliar case » 308. S’appuyant sur le commentaire de l’article 36, les sentences Sapphire et SPP c. Égypte, ainsi que sur les principes UNIDROIT, la doctrine, les droits nationaux 309, les arbitres ont préféré retenir le standard plus souple du

300. CIRDI, Desert Line Projects LLC c. Yemen, aff. n° ARB/05/17, sentence du 6 février 2008, commentée dans cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 498. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2009, p. 705.

301. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabilité, 14 janvier 2010, § 449.

302. Sentence Lemire, §§ 476, 477, 486.303. Commentaire de l’article 31 (« Réparation ») in J. CRAWFORD, Les Articles de la CDI, op. cit. note 213,

p. 243, § 5.304. Parmi les décisions rendues en 2010 ayant consacré des développements à la charge de la preuve dans l’arbi-

trage transnational, voy. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, §§ 328 et s. (charge de la preuve en matière d’épuisement des voies de recours internes) ; Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. C. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre 2010, § 250 (charge de la preuve pesant sur le demandeur, sauf exception invoquée par le défendeur) ; CIRDI, Alpha Projektholding GmbH c. Ukraine, aff. n° aff. n° ARB/07/16, sentence du 8 novembre 2010, §§ 235 et s. Sur les standards de la preuve, voy. CNUDCI (ALENA), Chemtura Corporation c. Canada, sentence du 2 août 2010, § 137 ; CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabilité, 14 janvier 2010, §§ 325 et s. (question des statistiques en tant que moyens de preuve) et 405 et s. (preuves prises en compte conjointement) ; CIRDI, Giovanna a Beccara e.a. c. Argentine, aff. n° ARB/07/5, ordonnance procédurale n° 3 (ordonnance sur la confi dentialité), 27 janvier 2010, § 151 (refus des expertises provenant d’autres procédures arbitrales en tant que moyen de preuve) ; CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, §§ 225 et s. (degré de la preuve).

305. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, §§ 12-56.

306. P. DAILLIER / M. FORTEAU / A. PELLET, op. cit. note 55, p. 880, n° 483.307. J. BARKER, « The Different Forms of Reparation : Compensation », in J. CRAWFORD / A. PELLET / S. OLLESON,

op. cit. note 204, p. 602.308. Sentence Gemplus, §§ 13-83.309. Ibid., §§ 13-82 et s.

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ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2010) 649

« certain degré de certitude », ce qui n’encourt guère la critique dès lors qu’il s’agit d’évaluer des profi ts qui par défi nition ne se sont pas réalisés.

Lien de causalité et contribution de la victime au préjudicec)

i) La chaîne de causalité entre la violation de l’obligation internationale et le dommage subi constitue un élément essentiel de la responsabilité interna-tionale, sur lequel la CDI n’a guère insisté dans ses Articles. Aussi les arbitres n’hésitent-ils pas à citer in extenso les quelques commentaires sur cette question fi gurant sous l’article 31 310. Il est vrai qu’un comité ad hoc a considéré qu’en-courait l’annulation la sentence qui manquerait d’établir le lien de causalité 311, ce qui ne peut qu’inciter les tribunaux arbitraux à se référer au travail de la Commission. À la première extrémité de la chaîne, la sentence Chevron a jugé nécessaire d’insister sur l’identifi cation précise de la violation : la causalité n’est pas la même selon qu’un tribunal rend une décision manifestement injuste ou selon qu’il fait subir au demandeur, par son abstention, un délai excessif 312. À l’autre extrémité de la chaîne, la sentence Al-Bahloul a montré combien le lien de causalité souffrait de l’incertitude des dommages allégués lorsque sont invoquées des pertes de profi t futurs 313.

ii) Alors qu’elle relève classiquement de la détermination de la réparation – tel est du moins ce qui ressort de l’article 39 des Articles –, le tribunal Gemplus a relié à la question du lien de causalité celle de la contribution de la victime au préjudice 314. Comme pour la question du lien de causalité, le tribunal a instincti-vement fait sien le commentaire de la CDI de l’article 39 315. Le tribunal a d’ailleurs semblé ignorer le fait que l’article 39 ne désigne que la contribution au préjudice « de l’État lésé ou de toute personne ou entité au titre de laquelle réparation est demandée », ce qui ne couvre pas a priori le cas de l’investisseur qui demande directement réparation. Pourtant les arbitres ont considéré que l’article 39 visait le « claimant state or person » 316, ce qui témoigne encore, si besoin était, que les tribunaux transnationaux font parfois une analogie spontanée entre les relations transnationales et les relations interétatiques pour lesquelles les Articles ont été initialement élaborés 317. C’est en revanche sans référence au texte de la CDI, mais sans s’éloigner du principe qu’il pose, que le tribunal de l’affaire RosInvest a considéré que Yukos avait contribué à la perte de ses avoirs, avec les conséquences susceptibles d’en résulter dans le calcul de l’indemnisation 318.

310. Sentence Gemplus, §§ 11-10. Voy. aussi CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, §§ 465 et s.

311. Comité ad hoc CIRDI, Rumeli Telekom et Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri c. Kazakhstan, aff. n° ARB/05/16, décision de rejet, 25 mars 2010, § 112.

312. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 376.

313. Ch. Comm. Stockholm, Mohammad Ammar Al-Bahloul c. Tadjikistan, aff. n° V (064/2008), sentence fi nale du 8 juin 2010, § 96.

314. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, § 11.11 : pour le tribunal, « the particular question here is whether the claim for compensation […] should as a matter of causation or analogous principle, be extinguished or partially reduced […] ».

315. Sentence Gemplus, §§ 11-12.316. Ibid.317. Voy. Ch. LEBEN, « La responsabilité internationale de l’État… », op. cit. note 4, p. 697, qui constate que les

tribunaux d’investissement appliquent les Articles « sans être le moins du monde gêné par le fait qu’il[s] ne se trouv[ent] pas […] en présence d’une relation entre deux États ».

318. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre 2010, §§ 634-635.

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Modes de réparation2.

Alors que la restitution est censée constituer le mode premier de répara-tion 319, la nature patrimoniale du contentieux relatif aux investissements fait de l’indemnisation son mode systématique 320. Contrairement aux États qui tendent souvent à privilégier la restitution 321, les investisseurs défendent des intérêts privés qui, au rétablissement du comportement conforme au traité, préfèrent les espèces sonnantes et trébuchantes. Le droit de l’indemnisation peut ainsi se nourrir copieusement de la jurisprudence transnationale (a), tandis que la restitution fait timidement son apparition dans le contentieux transnational (b).

Indemnisationa)

Au cours de l’année 2010, plusieurs États ont été condamnés à verser des indemnisations aux investisseurs pour les dommages qu’avait entraînés le non respect de leurs obligations dues au titre des traités de protection des investisse-ments. Ainsi, la Géorgie, la Russie, et l’Ukraine ont été respectivement condamnées à verser aux investisseurs concernés $ 45 millions, $ 3,5 millions et $ 3 millions, ce qui est assez peu au regard des $ 700 millions envisagés, mais dont l’évaluation précise a été renvoyée à une phase ultérieure, par le tribunal de l’affaire Chevron c. Équateur 322.

Les célèbres principes posés par la CPJI dans l’affaire de l’Usine de Chorzów pour « inspirer la détermination du montant de l’indemnité d’un fait contraire au droit international » 323, tout comme l’article 36 des Articles de la CDI et son commentaire, font offi ce de référence pour les tribunaux transnationaux 324.

i) En l’absence de formule mathématique unique et indiscutable permettant d’obtenir automatiquement, à partir des dommages prouvés, le montant de l’indem-nité, la marge d’appréciation discrétionnaire que la Cour mondiale s’est reconnue dans le calcul de l’indemnisation 325 sert de caution aux arbitres confrontés à des situations non moins complexes que celle relative à l’illustre usine 326. Ainsi, dans l’affaire Gemplus, où il s’agissait d’évaluer l’opportunité de faire des profi ts, perdue par l’investisseur en raison de la révocation de sa concession du registre automobile mexicain, le demandeur proposait deux modèles de calcul fondés sur la méthode du « Discounted Cash Flow » (DCF method) 327 qui prend en compte les rentrées

319. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, pp. 46-47.320. Voy. Z. DOUGLAS, « Other Specifi c Regimes of Responsibility : Investment Treaty Arbitration and ICSID »,

in J. CRAWFORD / A. PELLET / S. OLLESON, op. cit. note 204, pp. 829 et s.321. Commentaire de l’article 35, § 3, in J. CRAWFORD, Les Articles de la CDI, op. cit. note 213, p. 256.322. CNUCED, « Latest Developments in Investor-State Dispute Settlement », IIA Issues Note, n° 1, mars 2011,

pp. 9-10 [www.unctad.org/diae].323. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 47.324. Voy. par ex. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877,

sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 374 ; CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, §§ 12-51.

325. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, pp. 53-54 (« Partant, la Cour se réserve toute liberté d’apprécier les évaluations visées par les différentes formules […] »).

326. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, §§ 12-57. Le tribunal s’appuie également sur la jurisprudence du Tribunal irano-américain de réclamations (§§ 12-58).

327. Sentence Gemplus, §§ 13-9 et s. Envisageant l’application de la méthode DCF alors que le projet d’inves-tissement (en l’occurrence l’exploration d’hydrocarbures) ne s’était pas encore matérialisé, et ce contrairement à une jurisprudence majoritaire, voy. Ch. Comm. Stockholm, Mohammad Ammar Al-Bahloul c. Tadjikistan, aff. n° V (064/2008), sentence fi nale du 8 juin 2010, §§ 69 et s. Le tribunal a toutefois posé les conditions suivantes à l’utilisation de la méthode, destinées à s’assurer que des rentrées d’argent seraient bien intervenues : l’investisseur aurait-il été en mesure de fi nancer l’exploration ? ; les réserves découvertes auraient-elles été exploitables ? ; le demandeur aurait-il pu fi nancer l’extraction et la commercialisation des réserves ? (§ 77). Ces conditions n’étant pas réunies, le tribunal a rejeté l’utilisation de la méthode (§ 96).

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d’argent escomptées, tandis que le défendeur, critiquant la trop large part faite à la fi ction dans cette approche, proposait au tribunal trois méthodes alternatives (« asset or cost approach », « declared tax value approach » et « expected returns approach ») 328 aboutissant, on s’en doute, à un montant moindre. Au vu des circons-tances de l’espèce le tribunal a toutefois considéré qu’aucune des méthodes propo-sées n’était à elle seule appropriée 329, ce qui l’a conduit, a-t-il presque admis, à « couper la poire en deux » 330. Dans les faits, le tribunal a moins puisé librement dans les différentes techniques envisageables qu’il n’a essayé de fi xer grosso modo un montant équitable, sous couvert de référence à des méthodes comptables dispa-rates et à des principes juridiques fl ous. Ainsi, jonglant entre l’absence de certi-tudes ou d’attentes réalistes sur la rentabilité du projet initialement envisagé et les opportunités raisonnables que l’investisseur pouvait en attendre, le tribunal a estimé que « [t]hat opportunity, however small, has a monetary value for the purpose of Article 36 of the ILA [sic] Articles [« Indemnisation »] and the indemnities for compensation provided by the two BITs » 331.

Pour le comité ad hoc de l’affaire Rumeli, il est certes « highly desirable that tribunals should minimise to the greatest extent possible the element of estimation in their qualifi cation of damages and maximise the specifi cs of the ratiocination explaining how the ultimate fi gure was arrived at » 332. Toutefois, même en l’absence d’explication sur le calcul mathématique ayant abouti à la somme de $ 125 millions, le comité a refusé d’annuler la sentence contestée, dès lors que le tribunal avait bien satisfait à l’obligation de motivation en sous-pesant les arguments des parties concernant l’étendue du dommage et les méthodes de calcul de l’indemnisation à mettre en œuvre. Car pour le comité, l’estimation des dommages-intérêts n’est pas une science exacte :

« It is of the essence of such an exercise that the tribunal has a measure of discre-tion, since the fi nal fi gure must of its nature be an approximation of the claimant’s loss » 333.

L’immense marge de manœuvre des tribunaux arbitraux dans la fi xation de l’indemnisation en cas de manque à gagner s’est encore exprimée, dans un sens qui n’est pas politiquement inintéressant, à l’occasion d’une des sentences rendues dans le cadre des affaires Yukos. Le cas de fi gure examiné était celui d’un « fonds vautour » ayant acquis des actions dévaluées, tout en espérant par effet d’aubaine un retournement du marché leur faisant prendre de la valeur. Ces attentes devai-ent-elles être prises en considération pour indemniser le manque à gagner ? Loin d’encourager les investissements spéculatifs, le tribunal de l’affaire RosInvestCo

328. Sentence Gemplus, §§ 13-46.329. Ibid., §§ 13-72 et s.330. « It is necessary for the Tribunal to steer an appropriate middle course, between Scylla and Charybdis »

(Ibid., §§ 13-75).331. Ibid., §§ 13-97.332. Comité ad hoc CIRDI, Rumeli Telekom et Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri c. Kazakhstan, aff.

n° ARB/05/16, décision de rejet, 25 mars 2010, § 178.333. Comité ad hoc CIRDI, Rumeli Telekom et Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri c. Kazakhstan, aff.

n° ARB/05/16, décision de rejet, 25 mars 2010, § 179. Voy. aussi Comité ad hoc CIRDI, Compañiá de Aguas del Aconquija SA et Vivendi Universal c. Argentine, aff. n° ARB/97/3, décision sur la demande d’annulation, 10 août 2010, §§ 254 et s. où le comité reconnaît la marge d’appréciation du tribunal arbitral dans le choix de la méthodologie à suivre pour l’évaluation des dommages. Adde CIRDI, Total SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/01, décision sur la responsabilité, 27 décembre 2010 : le tribunal renvoie à un stade ultérieur la fi xation de l’indemnisation mais, ayant constaté la responsabilité de l’Argentine, donne aux parties des indications générales sur le calcul des dommages-intérêts, concernant la période à considérer et la base du calcul.

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a refusé d’accepter les « alleged optimistic expectations [du demandeur] regarding the future development of the value of the investment » 334 :

« the Tribunal fi nds that any award of damages that rewards the speculation by Claimant with an amount based on an ex-post analysis would be unjust. The Tribunal cannot apply the most optimistic assessment of an investment and its return » 335.

En s’en référant aux buts du TBI, les arbitres ont ainsi refusé de suivre les prétentions du demandeur, qui, si elles avaient été suivies, auraient eu pour effet de récompenser son investissement effectué « in a manner only refl ecting the small possibility of upside risk at the time of investment but disregarding the high like-lihood of no return on investment » 336. Dès lors, la sentence RosInvestCo pourrait s’ajouter à la liste d’exemples donnée par la CDI pour illustrer son constat que « [d]es tribunaux ont hésité à accorder des indemnités dans le cas de réclamations émaillées d’éléments relevant foncièrement du domaine de la spéculation » 337.

ii) Certaines techniques, plus ou moins originales de calcul de l’indemnisation peuvent encore être relevées. Ainsi, le tribunal de l’affaire Gemplus a estimé pouvoir s’inspirer des principes d’indemnisation de l’expropriation licite contenus dans les TBI applicables en tant que « useful guide » pour évaluer l’indemnisation due au titre de l’expropriation illicite mais aussi au titre de l’atteinte au traitement juste et équitable 338. Plus surprenant, le tribunal Chevron, devant lequel était en cause le délai (très) excessif pris par les tribunaux équatoriens pour juger les actions en justice intentées par la société américaine, a calculé l’indemnisation due à partir des sommes initialement réclamées devant les tribunaux internes défaillants, après d’être substitué à ceux-là pour constater que les demandeurs auraient obtenu gain de cause si leurs requêtes avaient été dûment considérées 339. C’est donc dans une large mesure sur la base du droit interne équatorien que le calcul de l’indemnisation a été effectué, le tribunal ayant « step[t] into the shoes and mindset of an Ecuado-rian judge » 340. C’est également au regard du droit équatorien que la question des intérêts a été traitée.

iii) Aux sommes dues au titre de l’indemnisation, il est de pratique constante d’ajouter des intérêts « in order to ensure full reparation for the act which caused damage » 341. Si les juridictions internationales classiques privilégient générale-ment les intérêts simples 342, les tribunaux arbitraux transnationaux n’hésitent pas pour leur part à retenir des intérêts composés, ie des intérêts « qui sont capitalisés

334. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre 2010, § 666.

335. Ibid., § 670.336. Ibid., § 671.337. Commentaire de l’article 36, in J. CRAWFORD, Les Articles de la CDI…, op. cit. note 213, p. 274 et les exemples

note 599.338. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010,

§§ 12-53, 13-81, 13-93. Sur la distinction entre le régime de l’expropriation pour fait licite et celui de l’expropriation illicite, voy. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, pp. 46-47. Sur sa mise en œuvre dans l’arbitrage transnational, voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 704-705.

339. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, §§ 374 et s. Voy. à ce sujet M. RAUX, « De quelques développements récents sur le dommage et sa réparation dans le cadre du contentieux investisseur-État », in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, n° 4, pp. 1033 et s., nos 172 et s. (notamment la comparaison faite avec la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme qui se contente d’accorder une satisfaction équitable aux victimes des lenteurs de la justice).

340. Sentence Chevron, § 375.341. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre

2010, § 688.342. J. CRAWFORD, Troisième rapport sur la responsabilité des États, A/CN.4/507/Add.1, § 211.

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et deviennent à leur tour productifs d’intérêts » 343 et sont donc nettement plus favorables aux investisseurs. La sentence Kardassopoulos note à cet égard que « [s]imple interest has the great advantage of simplicity ; but it is often a simplicity combined with arbitrariness » 344. Estimant plus juste de retenir la méthode des intérêts composés, le tribunal s’est appuyé sur son pouvoir discrétionnaire quant au choix de la méthode, ce en faisant appel à la sentence Santa Elena qui, à l’époque, constatait que « no uniform law has emerged from the practice in international arbitration as regards the determination of whether compound or simple interest is appropriate in any given case » 345. Prenant implicitement le contre-pied de cette sentence, le tribunal Gemplus a cru déceler

« a form of ‘jurisprudence constante’ where the presumption has shifted from the position a decade or so ago with the result it would now be more appropriate to order compound interest, unless shown to be inappropriate in favour of simple interest, rather than vice-versa » 346.

L’affaire RosInvestCo relève de ces cas dans lesquels les intérêts composés peuvent être jugés « inappropriés » : en raison de la nature spéculative de l’inves-tissement dans l’entreprise Yukos, le tribunal a refusé de retenir cette méthode, à ses yeux injustement avantageuse pour l’investisseur 347. D’autres considérations ont présidé à l’application d’intérêts simples dans l’affaire Chevron sus-évoquée : le droit équatorien – appliqué par le tribunal arbitral qui s’était glissé dans la peau du juge équatorien pour évaluer les dommages subis – interdisait les intérêts composés 348.

Restitutionb)

La pertinence de la restitution en tant que mode de réparation des atteintes aux investissements étrangers est discutée 349, même si certains tribunaux ont déjà admis cette possibilité 350. La question concerne particulièrement la possibilité pour le tribunal arbitral d’imposer à l’État responsable des « specifi c performances », ayant pour objet de rétablir des droits et obligations contractuels entre l’État et l’investisseur 351. Pour le tribunal de l’affaire Al-Bahloul, « specifi c performance is a permissible remedy in international law » 352, affi rmation que vient conforter à ses yeux la clause parapluie contenue dans le traité sur la charte de l’énergie et le principe codifi é à l’article 29 des Articles de la CDI selon lequel le devoir de l’État

343. V° « Intérêts composés » in J. SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p. 598.

344. CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18 et Fuchs c. Géorgie, aff. n° ARB/07/15, sentences du 3 mars 2010, § 664.

345. CIRDI, Compañía del Desarrollo de Santa Elena SA c. Costa Rica, aff. n° ARB/96/1, sentence fi nale, 17 février 2000, § 103.

346. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence du 16 juin 2010, §§ 16-26.

347. Ch. Comm. de Stockholm, RosInvestCo UK Ltd. c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence fi nale du 12 septembre 2010, § 690.

348. CPA/CNUDCI, Chevron Corporation et Texaco Petroleum Company c. Équateur, UNCITRAL, aff. n° 34877, sentence partielle sur le fond, 30 mars 2010, § 548.

349. Voy. Z. DOUGLAS, loc. cit. note 320, pp. 829 et s.350. CIRDI, Ioan Micula e.a. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/20, décision sur la compétence et la recevabilité,

24 septembre 2008, §§ 158 et s. (voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2008, p. 499).351. Voy. Z. DOUGLAS, loc. cit. note 320, p. 829, selon qui les « specifi c performances », confi nées à la mise en œuvre

d’obligations contractuelles, ne doivent pas être confondues avec la restitution, et qui note que la pratique internationale ne révèle pas de cas dans lesquels un tribunal international aurait ordonné des « specifi c performances ».

352. Ch. Comm. Stockholm, Mohammad Ammar Al-Bahloul c. Tadjikistan, aff. n° V (064/2008), sentence fi nale du 8 juin 2010, § 47.

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Page 48: ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT … · plus grands terrains d’épanouissement de la discipline. Concernant par exemple le droit de la responsabilité, James Crawford a relevé

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d’exécuter ses obligations n’est pas affecté par leur violation 353. S’inscrivant dans le droit coutumier codifi é par la CDI, le tribunal a toutefois refusé d’accéder à la demande de l’investisseur 354 : dès lors que la restitution était matériellement impos-sible en l’espèce, l’indemnisation devait prendre le pas sur elle 355. En revanche, la sentence ATA c. Jordanie a accédé à la demande de « specifi c performance » faite par l’investisseur. Après avoir constaté que la Cour de cassation jordanienne avait commis une violation du TBI en mettant fi n à la convention d’arbitrage contenue dans le contrat de construction de l’investisseur, le tribunal a jugé que « the single remedy which can implement the Chorzów standard is a restoration of Claimant’s right to arbitration » 356. Le tribunal arbitral a, dès lors, ordonné à la Jordanie de mettre un terme aux procédures relatives au litige contractuel devant les tribunaux jordaniens, tout en reconnaissant le droit au demandeur de soumettre le différend contractuel au tribunal arbitral désigné par le contrat 357. En 2010, la restitutio in integrum a donc pénétré le contentieux transnational, ce qui met à mal l’une de ses spécifi cités persistantes par rapport au contentieux international classique.

353. Sentence Al-Bahloul, § 48.354. L’investisseur demandait au tribunal d’ordonner au Tadjikistan de lui délivrer les licences exclusives

d’exploitation pétrolière, conformément aux contrats conclus entre les deux parties.355. Sentence Al-Bahloul, §§ 52 et s.356. CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2, sentence du 18 mai

2010, § 131.357. Sentence ATA, § 132.

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