Après la représentation Pistes de...

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10 n°   153 novembre 2012 Après la représentation Pistes de travail Les souvenirs de la représentation de La Mouette Yannick  Mancel,  dramaturge  du  théâtre  du  Nord,  dit  à  propos  du  partage  des  regards  entre  spectateurs après une représentation : « Au commencement est la description scrupuleuse de tout  ce qui a été vu et entendu. Aucune analyse ni interprétation n’est possible si on ne l’instruit à la  base et si on ne la déduit ensuite d’une description quasi clinique des faits, signes et symptômes. 1 » Solliciter de la part des élèves des souvenirs précis est capital car l’interprétation se fonde sur les  signes et est sujette à caution si la mémoire est faillible. La réunion de trente élèves permet de  reconstituer au plus près le souvenir de la représentation. 1. Mancel Yannick, « L’apprenti specta- teur : portrait historique, subjectif et  utopique » dans Le théâtre et l’école : histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002, p. 187-189.  Yannick Mancel revient sur ces éléments  dans Théâtre Aujourd’hui n°13 : la scénographie, SCÉRÉN, 2012. Activité Écrire le souvenir d’une image de la représentation Objectif : mener une description  scrupuleuse du spectacle avant  toute appréciation. b Pour que la description « clinique » devienne ludique, chaque élève prend un papier et, à la manière de Georges Perec, écrit une phrase qui commence par « je me souviens » en décrivant très précisément un souvenir visuel (lié à l’espace, au mouvement des corps, aux objets, à la lumière) et sonore (lié aux bruits, aux chants, à la musique enregistrée) de la représentation de La Mouette. Par  exemple :  « Je  me  souviens  des  sons  d’oi- seaux  au  début  quand  Macha  et  Medvedenko  se parlent sous les arbres et que la lumière les  éclaire à peine ». b Puis chacun lit à haute voix son souvenir, ou celui d’un autre élève, et la classe écoute l’ensemble des souvenirs sans commentaire. Pour mesurer la portée symbolique des images  construites  par  le  metteur  en  scène  et  son  équipe, on peut questionner ensuite les élèves  sur  leur  souvenir  de  la  première  et  dernière  image  de  la  représentation.  C’est  une  façon  concrète  de  raconter  l’histoire  qu’ils  ont  com- prise.  L’enseignant  leur  demande  d’être  sen- sibles aux points communs et aux variations de  ces  deux  images  et  de  les  interpréter.  Chacun  contribue  à  les  reconstruire  par  un  échange  oral. La  représentation  commence  par  l’expression  de la douleur de Macha adressée à Medvedenko  sous  les  arbres  par  une  nuit  sombre.  Elle  se  termine  par  une  image  chorale  à  l’intérieur  d’une maison obscure. Seules quelques lumières  venant de lampes rouges sont disséminées sur  le  plateau,  quatre  bougies  sont  allumées  par  Paulina, éclairage pour une catastrophe annon- cée, le suicide de Treplev. Dans l’image initiale,  le rideau de scène presque invisible tombe très  lentement  au-dessus  de  Macha  et  Medvedenko  qui  se  trouvent  dans  le  décor  du  feuillage  et  du  rocher  factice.  Ce  rideau  immense  annonce  la  pièce  de  Treplev.  À  la  fin  il  réapparaît  en  descendant  à  chaque  extrémité  du  plateau  côté jardin sur le bureau vide de Treplev, côté  cour  sur  le  canapé  méridienne,  comme  une  dernière  apparition  fantomatique  de  Treplev.  C’est  Frédéric  Bélier-Garcia  et  non  Tchekhov  qui  propose  ce  retour  du  rideau  de  théâtre  de  Treplev à la fin de la représentation. À partir de  ces images (initiale et finale), on comprend que  Tchekhov  nous  raconte  le  destin  d’hommes  et  de femmes qui rêvent d’art et d’amour et voient  leurs  idéaux  se  briser.  Mais  si  les  hommes  se  tuent, les femmes hurlent leur douleur jusqu’au  bout. © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

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n°  153 novembre 2012

Après la représentation

Pistes de travail

Les souvenirs de la représentation de La Mouette

Yannick  Mancel,  dramaturge  du  théâtre  du  Nord,  dit  à  propos  du  partage  des  regards  entre spectateurs après une représentation : « Au commencement est la description scrupuleuse de tout ce qui a été vu et entendu. Aucune analyse ni interprétation n’est possible si on ne l’instruit à la base et si on ne la déduit ensuite d’une description quasi clinique des faits, signes et symptômes.1 »

Solliciter de la part des élèves des souvenirs précis est capital car l’interprétation se fonde sur les signes et est sujette à caution si la mémoire est faillible. La réunion de trente élèves permet de reconstituer au plus près le souvenir de la représentation.

1. Mancel Yannick, « L’apprenti specta-teur : portrait historique, subjectif et utopique » dans Le théâtre et l’école :

histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002, p. 187-189. 

Yannick Mancel revient sur ces éléments dans Théâtre Aujourd’hui n°13 : la scénographie, SCÉRÉN, 2012.

ActivitéÉcrire le souvenir d’une image de la représentation

Objectif : mener une description scrupuleuse du spectacle avant toute appréciation.

b Pour que la description « clinique » devienne ludique, chaque élève prend un papier et, à la manière de Georges Perec, écrit une phrase qui commence par « je me souviens » en décrivant très précisément un souvenir visuel (lié à l’espace, au mouvement des corps, aux objets, à la lumière) et sonore (lié aux bruits, aux chants, à la musique enregistrée) de la représentation de La Mouette.Par  exemple :  « Je  me  souviens  des  sons  d’oi-seaux  au  début  quand  Macha  et  Medvedenko se parlent sous les arbres et que la lumière les éclaire à peine ».

b Puis chacun lit à haute voix son souvenir, ou celui d’un autre élève, et la classe écoute l’ensemble des souvenirs sans commentaire.

Pour mesurer  la portée symbolique des  images construites  par  le  metteur  en  scène  et  son équipe, on peut questionner ensuite les élèves sur  leur  souvenir  de  la  première  et  dernière image  de  la  représentation.  C’est  une  façon concrète  de  raconter  l’histoire  qu’ils  ont  com-prise.  L’enseignant  leur  demande  d’être  sen-sibles aux points communs et aux variations de ces  deux  images  et  de  les  interpréter.  Chacun contribue  à  les  reconstruire  par  un  échange oral.

La  représentation  commence  par  l’expression de la douleur de Macha adressée à Medvedenko sous  les  arbres  par  une  nuit  sombre.  Elle  se termine  par  une  image  chorale  à  l’intérieur d’une maison obscure. Seules quelques lumières venant de  lampes rouges sont disséminées sur le  plateau,  quatre  bougies  sont  allumées  par Paulina, éclairage pour une catastrophe annon-cée, le suicide de Treplev. Dans l’image initiale, le rideau de scène presque invisible tombe très lentement au-dessus de Macha et Medvedenko qui  se  trouvent  dans  le  décor  du  feuillage  et du  rocher  factice.  Ce  rideau  immense annonce la  pièce  de  Treplev.  À  la  fin  il  réapparaît  en descendant  à  chaque  extrémité  du  plateau côté jardin sur  le bureau vide de Treplev, côté cour  sur  le  canapé  méridienne,  comme  une dernière  apparition  fantomatique  de  Treplev. C’est  Frédéric  Bélier-Garcia  et  non  Tchekhov qui propose ce  retour du  rideau de  théâtre de Treplev à la fin de la représentation. À partir de ces images (initiale et finale), on comprend que Tchekhov  nous  raconte  le  destin  d’hommes  et de femmes qui rêvent d’art et d’amour et voient leurs  idéaux  se  briser.  Mais  si  les  hommes  se tuent, les femmes hurlent leur douleur jusqu’au bout.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

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Le jeu amoureux

ActivitéRejouer un instant de duo amoureux

Objectif : développer le regard du spectateur sur le jeu physique des acteurs dirigés par Frédéric Bélier-Garcia.

b Dans un premier temps, l’enseignant demande aux élèves d’écrire, sous forme d’un schéma, la chaîne des amours : Medvedenko aime Macha qui aime Treplev qui aime Nina qui aime Trigorine qui aime… ? Paulina aime Dorn qui aime… ? Comme pour l’Andromaque de Racine, tous aiment sans être aimés en retour. Puis en s’appuyant sur la mémoire du spectacle, les élèves préparent par deux la reconstitution d’un duo amoureux sous forme d’images fixes. L’enseignant rappelle que le dessin des corps, la gestuelle, les attitudes, la physionomie, les regards doivent être précis : – Arkadina allongée au pied de Trigorine lorsque ce dernier lui avoue son attirance pour Nina (acte III) ;– Macha qui frappe avec violence le dos de Medvedenko quand ce dernier veut la ramener dans leur maison (acte IV) ;– Nina qui serre dans ses bras Treplev tout en lui avouant son amour pour Trigorine (acte IV) ;– Macha qui se refuse à Medvedenko et se débat dans ses bras (acte IV) ;

– Paulina qui dégrafe son corsage pour attirer Dorn… (acte II).

b L’enseignant, pendant ce bref temps de préparation, dessine au sol une aire de jeu de 3 x 3 m à l’aide d’un scotch blanc et demande aux duos à tour de rôle de se placer à l’endroit du plateau où se tenait l’image dans leur souvenir. Ils tiennent ce tableau vivant puis l’animent brièvement. Ils peuvent alors émettre un son ou une parole.

b Après chaque reconstitution sans parole, les élèves spectateurs disent de quels personnages il s’agit et par quel traitement du corps le metteur en scène a montré le désir ou la douleur des personnages. L’enseignant aide les élèves joueurs à être précis dans la reconstitution de la relation amoureuse et les élèves spectateurs à analyser toutes les variétés physiques de l’expression de la douleur d’aimer.

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Le jeu choral

ActivitéReconstituer un tableau collectif par le jeu et analyser deux photos de groupe

Objectif : être sensible à ce qui les rend vivantes.

b L’enseignant peut proposer aux élèves de se souvenir d’une scène chorale et de la reconstituer devant les autres. Par groupe de dix, ils préparent ce tableau après avoir choisi une scène collective où chacun s’attribue un rôle. Chaque groupe présente son image dans l’aire de jeu. L’enseignant demande

« La difficulté des scènes chorales, dit Frédéric Bélier-Garcia, c’est que deux parlent pendant que dix sont sur scène. Il faut absolument veiller à ce que les dix soient impliqués sans artifice dans le dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais enjeux humains pour que la scène ne relève pas de la simple conversation » (annexe 14).

« Tchekhov compose avec La Mouette un grand cabaret de  l’existence, dit Frédéric Bélier-Garcia. Chaque personnage est introduit dans un duo (Macha/Medvedenko, Paulina/Dorn…) puis y va de son numéro. Chacun essaie d’être aimable… tandis qu’au plus profond de  lui  ahane  la panique d’exister » (annexe 14).

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aux élèves d’être précis dans l’attitude, les regards, la place de chacun dans l’espace et de tenir l’image muette quelques secondes. Les spectateurs disent ensuite de quelle scène il s’agit et comment « les enjeux humains » sont visibles.

b Deux photos de la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia peuvent être observées

afin de voir comment le metteur en scène réussit à rendre vivant ce grand groupe (annexe 15). Les élèves observent avec précision les regards et attitudes qui rendent vivant l’individu au milieu du groupe. Les expressions des visages et des corps permettent de comprendre les enjeux de la scène pour chaque personnage.

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Acte I : scène du début, le groupe assiste à la pièce de Treplev mais quelques uns n’ont pas les yeux rivés sur le spectacle. Chamraiev (côté jar-din) regarde vers la salle, signe d’ennui face à cette pièce d’avant-garde, lui qui aime le vieux théâtre  et  les  acteurs  d’« avant  le  déluge », 

comme le lui dit Arkadina. Sorine s’inquiète des réactions de sa sœur qu’il voit lever les bras en signe de désapprobation, Paulina n’a d’yeux que pour  Dorn  côté  cour.  Quant  aux  autres,  leurs yeux convergent vers Nina et le spectacle.

Fin de l’acte IV : tous sont regroupés autour du jeu  de  loto  mais  seuls  Trigorine  et  Chamraiev regardent  le  jeu. Arkadina,  la mère, et Macha, l’amoureuse, regardent Treplev. Paulina adresse 

un regard noir de jalousie à Arkadina. Quant à Dorn,  il semble regarder de façon nonchalante le  duo  Treplev-Arkadina  ou…  dormir  comme Sorine qui se trouve sur le canapé à l’arrière.

L’enseignant peut aussi rendre les élèves sensibles à l’équilibre du plateau visible dans ces deux photos, équilibre dont tout metteur en scène connaît les lois et qu’il doit particulièrement recher-cher dans les scènes collectives.

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La bande sonore

André Serré est  le  concepteur  son de La Mouette  et a  commencé avec Patrice Chéreau dans  les années 1970. Ils ont été les premiers à proposer des sons venant du décor : « Avant La Dispute mise en scène par Chéreau, le son venait exclusivement de la salle. Avec Chéreau on a inventé le son du décor. Dans La Dispute, le rideau s’ouvrait sur une forêt et on a mis le bruit de la forêt. Cela a été une révolution. Au théâtre l’œil guide l’oreille. Si l’image est sur scène, le son est sur scène. Ce sera aussi le cas dans la mise en scène de La Mouette.2 »

À la question du choix des bruits réalistes et des musiques suggérés par Tchekhov dans les didas-calies, André Serré répond : « Il y a des sons inscrits dans le texte : les musiques de l’autre côté du lac, des gens qui jouent du piano… la tempête sur le lac… Mais le son est subjectif et je ne vais pas tout faire entendre : je sais par exemple qu’il y aura des aboiements des chiens car ils éner-vent Sorine et doivent aussi énerver le spectateur. Quant aux musiques, elles viendront de toutes les époques, antérieures ou postérieures à Tchekhov mais rien de russe… Ce que j’aime dans une bande-son c’est que, même si elle est faite de plein de petits bouts, elle ait une cohérence et que le public ait l’impression qu’elle a été écrite pour le spectacle. »

2. Propos recueillis par l’auteur.

ActivitéÉcrire une liste de souvenirs sonores

Objectif : comprendre la fonction du son.

b L’enseignant demande aux élèves de faire une liste de tous les sons dont ils se sou-viennent et de préciser leur intensité (fort au 1er plan ou plus lointain au 2e plan). Il peut ensuite relire avec eux les didascalies initiales de Tchekhov (annexe 9 et repérer les sons qui relèvent de l’auteur et ceux qui ont été choisis par l’équipe artistique. Enfin il leur demande de se questionner sur la fonction des sons entendus et d’en choisir un pour chacune des trois fonctions ci-dessous, en sachant bien que le bruit réa-liste a souvent une portée symbolique pour Tchekhov.

– Créer un effet de réelAinsi  les  bruits  d’oiseaux  du  début  créent  un effet  de  réel  et,  comme  le  dit  André  Serré, correspondent  à  ce  que  le  spectateur  a  sous les  yeux :  deux  êtres  sous  les  arbres,  près  de rochers, un soir.

– Accroître la tension dramatiqueLa  musique  enregistrée  (Variations Enigma d’Elgar)   accompagne  à  chaque  fois  le  dépla-cement du décor mais aussi  la grande tension 

dramatique  à  la  fin  de  chaque  acte.  Tchekhov le  disait  lui-même :  « Je  termine  chaque  acte comme  mes  récits :  je  le  conduis  doucement, paisiblement  et,  à  la  fin,  pan !  sur  la  gueule du spectateur. » Ainsi Macha avoue à Dorn son amour pour Treplev à la fin de l’acte I. L’acte  III se clôt sur le premier baiser entre Trigorine et Nina.  Le  choix  d’Elgar,  musique  très  lyrique et  quasi  cinématographique,  est  une  traduc-tion sonore puissante de  l’émotion voulue par Tchekhov  à  ces  moments-là  et  rappelle  les formes opératiques et cinématographiques que connaît bien Frédéric Bélier-Garcia.

– Apporter une lecture symbolique de la pièceLe bruit du vent (voulu par Tchekhov au début de l’acte IV) crée évidemment un effet de réel mais a surtout une portée symbolique. C’est à une violente et dernière tempête dans les cœurs que nous assistons. Le drame s ‘achève. Macha essaie  d’échapper  à  l’étreinte  brutale  de  son mari et, dans une valse de plus en plus rapide avec sa mère, dit son souhait d’« arracher » de son  « cœur »  l’amour  pour  Treplev. Nina,  entre rire  et  larmes,  serre  une  dernière  fois  Treplev tout  en  lui  disant  son  amour  pour  Trigorine. Sorine attend la mort allongé sur la méridienne et,  à  l’image  de  Firs  dans  La Cerisaie,  semble déjà oublié de tous. Quant à Treplev, il se sui-cide. Finie la tempête. Silence sur le plateau.

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ActivitéSuivre la vie d’un objet sur scène

Objectif : apprécier la fonction des objets au théâtre.

b L’enseignant rappelle que, dans les didas-calies de Tchekhov (annexe 6), un certain nombre d’objets sont présents, objets dont ne tient pas toujours compte le metteur en scène. Ainsi des objets datés : le croquet (jeu de l’époque de Tchekhov) disparaît, la tabatière de Macha est remplacée par la cigarette… Les élèves écrivent sur un papier le nom d’un objet dont ils se souviennent. L’enseignant rappelle au préalable le sens de l’objet : devient objet au théâtre tout élément manipulé par l’acteur (objet certes, mais aussi accessoire du personnage, élé-ment de décor ou morceau de costume). Chacun place dans un chapeau le nom de son objet puis les élèves à tour de rôle sortent un papier, lisent le nom de l’objet, le décri-vent rapidement disent par qui et de quelle manière il est manipulé. Enfin, ils émettent une hypothèse sur sa fonction. Les élèves peuvent aussi découvrir combien la mise en scène de Frédéric Bélier Garcia est proche de l’esprit tchekhovien avec une forte présence d’objets réalistes qui ont une fonction sym-bolique. Très souvent l’élément le plus banal révèle, par l’usage qu’en font les acteurs, désir et souffrance des personnages.

Quelques exemples :– la  corde  au  milieu  du  plateau  avec  laquelle joue  Macha  et  qui  est  aussi  manipulée  par Paulina dans une sorte d’autoflagellation ;– le  verre  d’alcool  partagé  par  Macha  avec Trigorine, signe de sa souffrance de ne pas être aimée par Treplev ;– les feuilles mortes cueillies puis jetées une à une par Treplev quand il parle de l’amour filial de sa mère dont il doute ;– la mouette jetée au pied de Nina par Treplev comme  symbole  de  sa  douleur  et  qui  reparaît empaillée à la fin comme une image de la mort symbolique de Nina ;– le col du costume de Paulina qu’elle dégrafe violemment pour séduire Dorn ;– la fleur donnée par Nina à Dorn et détruite par la jalouse Paulina.

Pour  prolonger  cette  recherche,  on  peut,  à titre de comparaison, regarder quelques photos de  la mise  en  scène  d’Arthur Nauzyciel  (Pièce (dé)  montée  n° 148)  d’où  toute  trace  d’objet a  disparu.  L’enseignant  questionne  les  élèves sur  cette  opposition  entre  les  deux  mises  en scène :  d’un  côté  chez  Frédéric  Bélier-Garcia une pléthore d’objets réalistes, de l’autre chez Arthur  Nauzyciel  une  disparition  totale  des objets  qui  évoque  plutôt  un  monde  de  morts que de vivants.

La fonction des objets

« Il ne faut pas mettre sur scène un fusil si personne n’a l’intention de s’en servir », dit Tchekhov. Dans la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, il y a un nombre considérable d’objets qui servent le jeu et contribuent à recréer de façon authentique une époque révolue. Mais l’abondance d’objets sur scène est peut-être aussi un signe d’ironie face à l’esthétique réaliste.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

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La scénographie : une mise en abîme du théÂtre

« La Mouette parle d’une mise en abîme du théâtre, dit Sophie Perez. Entre l’histoire de la mère et du fils, ça ne parle que de réinventer le théâtre. Il faut que la scénographie soit envisagée comme un objet de théâtre relatant l’histoire des codes théâtraux et l’idée de la modernité » (annexe 8). Certes les meubles, les objets sont authentiques et relèvent d’une esthétique réaliste que le travail de l’éclairagiste accentue. Ainsi le clair-obscur du dernier acte semble vraiment venir des objets lumineux du décor, appliques, lampes, bougies. Mais la scénographie, elle, est bien une machine de théâtre qui éloigne le spectateur de toute illusion.

ActivitéReconstruire les éléments et mouvements du décor

Objectif : comprendre l’évolution et le fonc-tionnement de la scénographie.

b Par groupe de cinq, l’enseignant demande aux élèves de reconstituer avec des croquis l’évolution de la scénographie au cours des quatre actes. Quelques groupes présentent l’évolution du décor.

Un sol noir suggère la brillance d’un lac ou d’un parquet,  délimite  l’aire  de  jeu  et  est  entouré de  feuilles mortes  rougeoyantes.  Le  décor  est composé  d’un  immense  rideau  de  scène  et de  cinq  éléments  mobiles  qui  sont  déplacés pour se joindre ou se disjoindre dans l’espace. Trois  d’entre  eux  glissent  sur  le  sol  :  le  décor de  feuillages  et  rochers  et  les  deux  éléments qui  ressemblent  à  des parties de pièces  (salon et  bureau).  Deux  autres éléments  descendent des  cintres  :  une  porte (avec  des  dorures  et deux  appliques  rouges) et  un  élément  composé de  trois  cadres-fenêtres en bois brut. Les acteurs se  déplacent  de  façon 

très libre et non réaliste d’un élément à l’autre.L’espace  change  quatre  fois.  Le  décor  de feuillages  et  rochers  de  la  pièce  de  Treplev, fermé  par  un  rideau  qui  disparaît  dans  les cintres, est retourné à la fin de l’acte et placé côté  jardin  (acte  I).  Le  spectateur  voit  alors une  sorte  de  déjeuner  sur  l’herbe  avec  corde, balançoire,  nappe  recouverte  de  coussins  et de  bouteilles,  fermé  au  lointain  par  les  trois cadres-fenêtres (acte II). Puis les deux parties de  pièces  de  la maison  avancent  ainsi  que  la porte et viennent créer un angle côté cour. Une table  et  des  chaises  occupent  le  côté  jardin. Avant la rencontre entre Treplev et sa mère, le décor change à nouveau et les deux pièces de la maison se disjoignent :  le  salon côté  jardin légèrement en arrière et le bureau côté cour plus proche de l’avant-scène. La porte aux appliques disparaît au  lointain  (acte  III). Enfin  l’espace est  totalement  fermé  sous  forme  rectangu-laire : le salon glisse côté cour, le bureau côté 

jardin (parallèles aux coulisses),  la  porte aux  appliques  rouges au centre et les trois cadres-fenêtres  légè-rement  au  lointain. Le rideau de la pièce de  Treplev  tombe. Les personnages sont totalement enfermés, la  maison  a  avancé © STÉPhANE TASSE

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

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n°  153 novembre 2012

L’évolution du personnage à travers le costume

« Nina a quatre costumes, dit Catherine Leterrier. On a marqué le temps. À la fin, elle a un corset sous sa robe : elle est devenue une femme marquée par la vie. »

Si l’espace évolue, les costumes aussi, signe du temps qui passe. Nina passe de « l’amour sororal » pour  Treplev  à un « amour  événement » pour  Trigorine,  selon une distinction de Roland Barthes citée par Georges Banu 3. De l’espace de son enfance (les bords du lac) Nina part dans les grandes villes, prend le train…

Nina est  le  seul  personnage dont on peut dire  qu’elle  change  vraiment :  la  toute  jeune  fille  du début, rêvant d’amour et de théâtre, devient une femme qui part tenter sa chance sur les scènes de théâtre, a un enfant de Trigorine, enfant qui meurt, puis est abandonnée par son amant.

3. Banu Georges, op.cit.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

progressivement  et  emprisonné  ceux  qui  vou-laient partir (acte IV).

b L’enseignant demande ensuite aux élèves de chercher un argument qui révèle que toute la scénographie est une mise en abîme du théâtre (et pas seulement quand il est question de jouer la pièce de Treplev). Au préalable l’enseignant peut lire et commenter avec les élèves l’extrait de l’entretien de Sophie Perez. Voici quelques arguments :– l’importance du rideau qui est inspiré de l’histoire du théâtre russe et de la mise en scène de Stanislavski ;– le décor factice de la pièce de Treplev (arbres et rochers) ;– les murs de la maison qui évoquent aussi des châssis de théâtre ;– le jeu avec les nombreux cadres vides qui trouent les cinq éléments mobiles et qui peuvent être des portes, des fenêtres mais aussi des cadres de scène. À travers eux,

les personnages espionnent, regardent des scènes qu’ils ne devraient pas voir ;– le déplacement à vue des meubles et des objets par des machinistes qui sont aussi ponctuellement acteurs (ils viennent d’ailleurs saluer) et des acteurs qui sont machinistes ;– le décor qui s’avoue décor de théâtre puisqu’il est déplacé, déconstruit et recons-truit à vue et que le spectateur ne voit que des murs coupés ou des pièces tronquées.

Si les objets, les beaux meubles d’époque mis en lumière par Roberto Venturi entraînent le spec-tacle  vers  ce  que  Vitez  appelait  « un  réalisme enchanté », la scénographie en revanche repose sur un jeu de construction et de déconstruction qui  éloigne  du  réalisme  et  affirme  la  moder-nité. Ce mélange radical d’esthétiques fait bien résonner le propos de Tchekhov sur l’opposition entre formes anciennes et formes nouvelles.

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n°  153 novembre 2012

ActivitéÉcrire la lettre de l’acteur à son person-nage

Objectif : comprendre le lien entre l’écriture de Tchekhov, la psychanalyse et la direction d’acteurs de Frédéric Bélier-Garcia.

b L’enseignant demande aux élèves d’écrire la lettre de l’acteur à son personnage et de choisir l’un des quatre jeunes : Éric Berger écrivant à Medvedenko, Agnès Pontier à Macha, Manuel Le Lièvre à Treplev, Ophélia Kolb à Nina.

La lettre doit révéler les choix de l’acteur dirigé par Frédéric Bélier-Garcia pour incarner son per-sonnage  et  s’appuyer  sur  des  souvenirs  précis du jeu de l’acteur. Comme s’il était son double conscient,  l’acteur  écrit  au  personnage  peu conscient de ses actes et paroles et  lui  révèle pour quelles raisons  il  l’incarne ainsi (actions, manières de parler, pensées intérieures, passage d’une émotion à l’autre sans transition, évolu-tion, mouvements dans l’espace).

L’enseignant  précise  que  la  psychanalyse  est née à  la même époque que La Mouette et que 

Tchekhov  se  tient  constamment  informé  des travaux de Freud. Il n’est pas surprenant alors qu’il crée des personnages aussi peu maîtres de leurs  paroles  et  de  leurs  gestes  et  dont  nous nous sentons si proches aujourd’hui. Pour ana-lyser cette écriture du non-dit et voir comment Frédéric Bélier-Garcia traduit cette inconscience du  personnage,  l’enseignant  demande  aux élèves de  se  souvenir de moments où un per-sonnage agit sans savoir ce qu’il fait (Arkadina dit  « Pourquoi  ai-je  blessé  mon  pauvre  petit garçon ? »)  ou  parle  à  une  personne  et  pense complètement  à  quelqu’un  d’autre  (l’actrice Ophélia Kolb — Nina — se jette dans les bras de Manuel  Le  Lièvre —  Treplev —  à  l’instant même  où  elle  dit  aimer  toujours  Trigorine). Tchekhov,  lui,  proposait  cette  étreinte  seu-lement  à  la  fin  de  leur  échange.  La  cruauté inconsciente de Nina est mise en valeur par la mise  en  scène  de  Frédéric  Bélier-Garcia :  Nina ne voit pas que ses mots et gestes sont en train de précipiter le suicide de Treplev.

b Les élèves font entendre au reste de la classe un extrait de leur lettre. Celles-ci circulent enfin dans la classe pour être lues par tous.

La construction du personnage par l’acteur

À la question : « Comment avez-vous construit le personnage de Macha ? » Agnès Pontier répond : « Je pense toujours à Macha comme si  j’étais elle. Je  regarde dans  la  rue  les  filles habillées en noir et qui cultivent cette façon de se vêtir. J’essaie d’avoir une vision globale de l’évolution de Macha qui apparaît toujours en début et fin d’acte et ponctue la pièce. Sous son costume noir je cherche la vie, le pétillement, la ferveur. Certes elle se morfond mais, si je vais dans le sens du texte, cela peut devenir linéaire. Je l’imagine au contraire exaltée, lisant la poésie amoureuse de Louise Labbé. Sous le costume noir, serré et couvrant tout le corps brûle un feu intérieur. Je joue contre le costume qui pourrait évoquer une femme asexuée. »

ActivitéObserver deux costumes de Nina (annexe 16)

Objectif : être sensible à l’évolution d’un personnage à travers ses costumes.

b L’enseignant demande aux élèves d’ana-lyser l’évolution de Nina à travers deux de ses costumes : costumes de l’acte I et de l’acte IV pour qu’ils mesurent l’évolution du personnage en l’espace de deux ans.

Si  à  l’acte  I  elle  est  encore  une  toute  jeune fille (costume aux couleurs claires, robe courte, 

sans manche et légère qui laisse voir beaucoup de  chair),  le  costume  de  l’acte  IV  est  long, plus sombre, recouvre le corps, sauf la poitrine et le cou entouré d’un foulard rouge, signe de  sensualité. La robe a des rayures qui rappellent celles  des  costumes  de  l’actrice  admirée  de Nina,  Arkadina.  Un  corset  invisible  soutient et  enferme  le  corps  moins  libre  qu’à  l’acte  I. Le manteau semi-long est  recouvert de taches blanches  qui  peuvent  évoquer  la  mouette  à laquelle  Nina  s’identifie.  La  chevelure  et  le maquillage  viennent  accentuer  cette  transfor-mation : les cheveux assez libres du début sont tirés et tenus par un chignon à la fin et les yeux non maquillés finissent charbonneux.

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n°  153 novembre 2012

Comité de pilotageJean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts  et Culture, CNDP  Patrick LAUDET, IGEN Lettres-ThéâtreCécile MAURIN, chargée de mission Lettres, CNDPMarie-Lucile MILhAUD, IA-IPR honoraire Lettres-Théâtre

Responsable de la collection Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts  et Culture, CNDP

Auteur de ce dossierDany PORChÉ, professeure de Lettres, formatrice

Directeur de la publicationFlorence CABRESIN, directrice du CRDP  de l’académie de Nantes

Responsabilité éditorialeCyril ROY

Secrétariat d’éditionSandrine BERCIER

Maquette et mise en pageLydia BOILEAU, d’après une création d’Éric GUERRIER, CRDP de l’académie de Paris© CRDP académie de Nantes, novembre 2012

ISSN : 2102-6556ISBN : 978-2-86628-461-1

Ce dossier a été élaboré dans le cadre du PRÉAC (Pôle de Ressources pour l’Éducation Artistique et Culturelle Théâtre Angers-Nantes)

Nos chaleureux remerciements à Frédéric Bélier-Garcia, directeur du NTA et metteur en scène, ainsi qu’à ses collaborateurs, qui ont permis la réalisation de ce dossier dans les meilleures conditions.

Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique et ne peuvent être reproduits hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur.

La mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés est strictement interdite.

Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée »

Bibliographie

Filmographie

Banu Georges, « Ruptures dans l’espace de La Mouette », dans Le Texte et la Scène, Institut d’études théâtrales, 1978.La scénographie, Théâtre Aujourd’hui n° 13, SCÉRÉN, 2012.Mancel Yannick, « L’apprenti spectateur : portrait historique, subjectif et utopique », dans Le théâtre et l’école : histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002.naBokov Vladimir, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Stock, 1999.neMirovski Irène, La vie de Tchekhov, Albin Michel, 1989.Pastoureau Michel, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Éd. du Seuil, 2003.Porché Dany, 10 rendez-vous avec Yannis Kokkos, Actes Sud/ANRAT, 2005stanislavski Constantin, Ma vie dans l’art, Éditions l’Âge d’homme, 1980.stein Peter, Mon Tchekhov, Actes Sud, 2002.tchekhov Anton, La Mouette, préface de Patrice Pavis, traduction de Antoine vitez, Actes Sud/Librairie Générale Française, 1999.—, La Mouette, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud/Labor/Lemeac, 1996.« Stanislavski/Tchekhov », Alternatives théâtrales, numéro 87, octobre 2005.vinaver Michel, Écritures dramatiques, Actes Sud, 1993.

La petite Lili, Claude Miller, adaptation de La Mouette avec Nicole Garcia et Bernard Giraudeau, 2002.Partition inachevée pour piano mécanique, Nikita Mikhalkov, adaptation à l’écran de Platonov, 1977.La Mouette, Youli karassik, Russie, Potemkine K, 1972.