Apocalypse Histoire intime

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D’UN CHEF-D’œUVRE HISTOIRE INTIME Apocalypse

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d’un chef-d’œuvre

Histoire intimeApocalypse

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ApocAlypse, histoire intime d’un chef-d’œuvrechâteau d’angers. 15 novembre 2017 — 11 février 2018

Du fait de leur extrême fragilité, bien peu de tapisseries monumentales sont parvenues jusqu’à nous.

La tenture de l’Apocalypse, la plus grande tapisserie médiévale conservée dans le monde, n’en est que plus précieuse.

Prince puissant et grand amateur d’art, le duc d’Anjou Louis Ier, frère du roi Charles V, passe commande dans les années 1370 d’une remarquable tenture illustrant l’Apocalypse de saint Jean. Mesurant près de 140 mètres de long, chef-d’œuvre artistique et technique, elle frappe les esprits, se révèle une source d’inspiration pour les artistes et de rivalité pour les princes, entraînant une politique de commandes de plus en plus ambitieuses.

Objet d’un luxe ostentatoire, elle devient, à la fin du xve siècle, le fleuron du trésor de la cathédrale d’Angers, magnifiant l’édifice lors des plus importantes fêtes religieuses. Pourtant, trois siècles plus tard, elle tombe dans l’oubli et manque de disparaître. Sauvée au xixe siècle, elle est dès lors à nouveau l’objet

de toutes les attentions : campagnes de restauration, présentation dans les plus grandes expositions et création d’un espace pour l’exposer en permanence.

C’est cette histoire mouvementée et longue de près de sept siècles que cette exposition dévoile. S’appuyant sur des documents d’archive, photographies, œuvres d’art mais aussi sur des fragments de l’Apocalypse rarement montrés au public, elle propose une plongée dans l’intimité de cette œuvre, sa vie matérielle et pratique, ses moments de splendeur et de disgrâce.

Elle renouvelle le regard sur cette tapisserie dont la connaissance a été enrichie en 2016 par un examen minutieux, conduit, au plus près du tissage, par des restauratrices spécialisées.

Cette exposition a été organisée par le Centre des monuments nationaux et la Direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire, deux institutions relevant du Ministère de la Culture qui veillent à la conservation et à la valorisation de ce chef-d’œuvre.

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3Vue générale de la galerie de la tenture de l’Apocalypse, 1997

sommaire

i un chef d’œuvre au temps des ducs d’anjou (xive-xve siècle) 4

ii

du trésor princier à celui de la cathédrale d’angers

(fin du xve – xviiie siècle) 18

iii retrouver, recomposer, restaurer l’apocalypse (milieu du xixe – première moitié du xxe siècle) 20

iv

exposer la plus grande tapisserie du monde : un défi

(de 1950 à nos jours) 30

chronologie générale 38

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Œuvre de grand prestige, la tenture de l’Apocalypse a été commandée vers 1375 par le duc Louis Ier d’Anjou. Tissée en laine, elle est composée de six pièces et mesurait à l’origine cent quarante mètres de long sur six mètres de haut environ.

L’extraordinaire qualité technique de cette tapisserie sans envers atteste l’implication d’un atelier hautement qualifié et de moyens financiers considérables.

Cette tapisserie illustre l’Apocalypse, dernier chapitre du Nouveau Testament, rédigé par saint Jean à la fin du Ier siècle de notre ère. Il y décrit la lutte entre le Bien et le Mal ainsi que la série de catastrophes qui s’abattent sur l’humanité avant l’arrivée de la Jérusalem céleste. C’est un message d’espoir que saint Jean adresse à ses contemporains victimes des persécutions romaines.

Au xive siècle, il reste d’actualité face aux malheurs des temps : famine, grande peste, guerre de Cent Ans… Il n’est donc pas étonnant que le texte de l’Apocalypse ait inspiré le duc d’Anjou.

Cette gigantesque tapisserie est une œuvre de propagande : elle est marquée des armes de son illustre commanditaire, dont elle expose l’idéologie et les ambitions territoriales, tournées vers l’Italie et la Terre sainte. Sa commande est probablement liée, dans la décennie de 1370, à la présence dans la forteresse d’une relique réputée provenir de la Croix du Christ que Louis Ier fait monter en orfèvrerie et qui l’incite à la création de l’ordre de chevalerie de la Croix.

Elle initie une série de monumentales tapisseries « manifeste » qui participent de la représentation politique et culturelle du pouvoir.

I. Un CHeF-D’ŒUVre aU temPs Des DUCs D’anJoU xive-xve siècle

Portrait de Louis Ier de France, duc d’Anjou, huile sur toile, Baron Charles de Steuben, 1836, Château de Versailles

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Né en 1339, Louis est le second fils du roi de France Jean le Bon. Il est le frère cadet de Charles, futur Charles V, et le frère aîné de Jean et de Philippe, respectivement ducs de Berry et de Bourgogne.

Ses années de jeunesse sont marquées par la guerre de Cent Ans qui oppose la France à l’Angleterre. En 1360, il épouse Marie de Blois, fille du duc de Bretagne, devient duc d’Anjou et est livré en otage aux Anglais, en échange de son père. Il s’enfuit en 1362, obligeant Jean II à retourner en captivité.

Chargé de la lieutenance du Languedoc, Louis y bataille durant une décennie. En 1380, il devient régent du royaume de France à la mort de Charles V.

Parallèlement, désigné comme son héritier par la reine Jeanne de Naples, il développe des ambitions méditerranéennes. Il devient roi de Sicile et de Jérusalem mais meurt en 1384 à Bari (Italie du sud).

Louis Ier est un grand amateur de tapisseries. En 1364, son inventaire en compte déjà soixante-seize, avec des sujets religieux ou profanes. Son trésor d’orfèvrerie, connu par un inventaire de 1378-1379, dépecé pour les besoins de la guerre italienne, comportait près de quatre mille luxueux objets.

Malgré la dureté des temps, le goût de ces princes pour les collections a favorisé un exceptionnel épanouissement artistique.

Louis ier d’anjou : un prince amateur d’art

Deux valves de miroir en or et émaux translucides, xive siècle, uniques vestiges du trésor d’orfèvrerie de Louis Ier, Musée du LouvreCroix d’Anjou dite de Baugé,

bois, or, pierres et perles. Cette croix à double traverse est apportée de Terre sainte en Anjou au xiiie siècle. Mise à l’abri des troubles de la guerre de Cent Ans au château d’Angers, elle est particulièrement vénérée par Louis Ier qui la fait monter en orfèvrerie. Elle est conservée à la Communauté de la Girouardière à Baugé-en-Anjou.

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On sait peu de choses sur Jean ou Hennequin de Bruges (†1380), artiste qui a été payé pour les maquettes de la tenture. Peintre et « valet de chambre » du roi Charles V, c’est un artiste de grand talent, capable de travailler aussi bien sur des œuvres monumentales comme l’Apocalypse que sur des miniatures. Sa seule autre œuvre documentée est une enluminure de la Bible de Jean de Vaudetar.

Une mention sur un inventaire de la bibliothèque de Charles V atteste que Louis Ier a emprunté un manuscrit illustrant l’Apocalypse pour faire sa tapisserie, mais Jean de Bruges ne l’a pas recopié servilement. Si certains points communs (nombre d’illustrations, séquençage, composition des scènes) peuvent être trouvés entre la tenture et des manuscrits des xiiie et xive siècles, l’art de Jean de Bruges est novateur, alliant sens de la synthèse, de la composition et détails réalistes.

Jean de Bruges, peintre du roi

Fait exceptionnel, les comptes de Louis Ier, bien que lacunaires, nous permettent de connaître les noms de tous les professionnels associés à la confection de la tenture de l’Apocalypse : Jean de Bruges, peintre du roi, a été payé pour les maquettes (documents préparatoires), Nicolas Bataille, marchand et promoteur financier, a servi d’intermédiaire pour la commande de la tapisserie et enfin Robert Poisson est le propriétaire des ateliers de tissage où elle a été réalisée. On sait que ce dernier acquitte ses impôts à Paris.

Avril 1377 : À Nicolas Bataille sur la façon de deux draps de tapisserie à l’istoire de l’Apocalice qu’il a faiz pour mons. le duc (…) 1000 franz.

Janvier 1378 : À Hennequin de Bruges paintre du roi notre seigneur, sur ce qu’il lui puet ou pourra estredeua cause des pourtraitures et patrons par lui faiz pour les diz tapiz à l’istoire de l’Appocalice par mandement (…) 50 franz.

Juin 1379 : À Nicolas Bataille tapissier de Paris, sur la somme de 3000 franz qu’il doit avoir de mond. seigneur par marchié fait pour lui faire trois tapis à l’histoire de l’Apocalice, renduzprests dedans Noel 1379, par mandement dud. Monseigneur le duc (…) 300 fr.

Juin 1379 : Mandement à Nicolas Bataille pour payer 20 fr. que ledmons. le duc ordonna lui estre bailliez pour distribuer aux varlets de Robin Poisson qui ont ouvré en la tapicerie de mond. seigneur, (…).

Archives nationales, KK 242

Une commande bien documentée

La grande prostituée sur les eaux, folio 33 du Manuscrit Français 403, datant du xiiie siècle, Bibliothèque nationale de France. Il s’agit du manuscrit emprunté par Louis Ier.

La même scène dans la tenture de l’Apocalypse (n° 65 de la cinquième pièce).

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Le premier usage connu de la tenture est attesté en Arles, en décembre 1400, pour le mariage de Louis II, fils de Louis Ier, avec Yolande d’Aragon. L’événement est relaté par Bertrand Boysset, un bourgeois de la ville, émerveillé par la beauté des tapisseries tendues dans la cour de l’archevêché, dont l’Apocalypse.

On n’hésite donc pas à la faire voyager et à l’utiliser à l’extérieur comme décor d’une cérémonie, telle une architecture mobile. L’Apocalypse ne connaît pas

les usages quotidiens de la plupart des tapisseries (cloisonner et réchauffer les pièces), c’est surtout une œuvre de prestige, civile, destinée à valoriser celui qui la déploie.

Son succès est tel que les deux frères de Louis Ier veulent également « leur » Apocalypse. On peut supposer que les cartons de la tapisserie d’Angers, simplifiés pour ne faire qu’une seule pièce, sont réutilisés pour celle de Jean de Berry.

Le duc de Bourgogne quant à lui, veut une tapisserie encore plus prestigieuse que celle de son frère. En 1386, Robert Poisson lui fournit 50 kilos de fils d’or, utilisés pour la confection de six pièces de tapisserie de plus de 100 m² chacune*.

Cette tenture a entièrement brûlé dans l’incendie du palais ducal de Bruxelles en 1731.

Un succès immédiat et des copies

*Katherine Wilson, « Paris, Arras et la cour : les tapissiers de Philippe le Hardi et Jean sans Peur, ducs de Bourgogne », La Revue du Nord, 2011/1, n° 389.

« (…) Tout autour, elle fut ornée et parée de riches et beaux tissus sur lesquels était représentée toute l’Apocalypse. Personne ne peut décrire ni raconter la valeur, la beauté, la richesse de ces tissus dont était parée la demeure de l’archevêché de toutes parts (…) ».

Extrait du Journal de Bertrand Boysset, bourgeois d’Arles (1365-1415), Ms. Fr. 5728, Bibliothèque nationale de France

Le quatrième flacon versé sur le soleil, fragment d’une scène provenant de la cinquième pièce. Ce fragment a été retrouvé en 1849 dans les doublures de la tenture. Il manque les personnages principaux : saint Jean et l’Ange, qui répand son flacon sur le soleil et « qui tourmente les hommes par l’ardeur du feu ». Une seule partie du cadre, sous le personnage en jaune, est d’origine.

Fragment montrant Saint Jean devant l’ange. Ce fragment a été retrouvé en 1868 par le chanoine Joubert. Une description de 1870 indique « qu’il n’en reste que saint Jean à genoux, les ailes d’un ange et les pieds du Christ (…) ». Ces derniers ont depuis disparu. Saint Jean, agenouillé, est relevé par l’Ange (manquant). Ce fragment est remarquable par la qualité du tissage de l’arbre, des ailes de l’ange et du visage du saint.

la réserve des tapisseries au château d’angers abrite six fragments de l’apocalypse rarement exposés

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Deux fragments d’une même scène intitulée Saint Jean devant le Christ : on aperçoit, d’un côté, un personnage dans des nuées surmontant un tombeau dont le couvercle a été soulevé et, de l’autre, un ange debout sur fond bleu et vert.Ensemble, ils forment les seuls témoins conservés de la toute dernière scène de la tenture.

Fragment d’un Grand personnage, dont seule la partie basse est conservée mais que de nombreux éléments (disposition du lutrin, du livre ou du coussin…) permettent de le rapprocher de la tenture de l’Apocalypse d’Angers dont quatre Grands personnages sont présentés dans la galerie.Ce fragment a été retrouvé en très mauvais état par le chanoine Joubert.

Un Grand personnage, dit fragment Gould.On suppose qu’il ne provient pas de la tenture d’Angers mais d’une autre Apocalypse, peut être celle du duc de Berry ? L’observation de ce fragment, dont l’échelle est assez similaire à celle des grands personnages de l’Apocalypse d’Angers, révèle un tissage beaucoup moins fin.

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Un fragment au Museum of Fine Arts de San Francisco (USA) : seuls cinq petits morceaux proviennent de l’Apocalypse d’Angers. Ils ont été « fondus » dans un tissage illusionniste réalisé au xixe siècle*.

Deux fragments à la Burrell Collection de Glasgow (Écosse), dits Fragment à l’église et Fragment à l’Ange. L’identification de ces scènes et la confirmation de leur appartenance à l’une ou l’autre des Apocalypses (Anjou ou Berry) est difficile et nécessiterait une comparaison physique des pièces avec la tapisserie d’Angers.

hors du château d’angers sont conservés trois autres fragments

* Anna G. Bennett, « Recycling the Apocalypse: a reconstruction using fourteenth-century fragments », Bulletin de liaison du centre international d’étude du textile ancien, n° 59, 1984

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Portrait du roi René, huile sur toile, xixe siècle, Château de Versailles

René (1409-1480), le petit-fils de Louis Ier, hérite de la tenture. En 1471, un inventaire des pièces du château d’Angers fait mention d’une « chambre de la tappicerie ». Elle comporte entre autres « unes armoires à deux guischez fermans à clef » et « une grant table sur quoy on dresse la tappicière ».

Un siècle plus tôt, les comptes de Louis Ier évoquent déjà l’aménagement d’une pièce « à meutre la tapisserie » à la porte des Champs, l’ancienne entrée principale de la forteresse, située à l’angle sud-est. Cette mention ne concerne pas la tenture de l’Apocalypse, qui n’était pas encore réalisée, mais les tapisseries de la collection de Louis Ier. Il s’agit sans doute du même lieu et il est intéressant de constater qu’il a conservé son usage.

Les comptes du roi René attestent, à au moins cinq reprises entre 1454 et 1478, de paiements pour l’entretien ou la conservation de la tenture à laquelle il reste fortement attaché.

Les troupes de Louis XI occupant le château d’Angers, le roi René lui cède l’Anjou et part pour la Provence. En 1476, il fait transporter sa tapisserie au château de Baugé, à une quarantaine de kilomètres d’Angers.

Après la mort du roi René, l’exécution de son testament de 1474 nécessite le retour de la tenture à Angers, cette fois à la cathédrale. Elle y est installée à l’été 1480.

au temps du roi rené

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Vue de la cathédrale d’Angers

« Item, il donne et laisse à [ladite églize d’Angiers] sa belle tapisserie en laquelle sont contenues toutes les figures et visions de l’Apocalice »

Extrait du testament du roi René, le 22 juillet 1474

À la cathédrale, la tenture devient un objet religieux. Elle est conservée dans un grand coffre dans la sacristie puis, après 1539, dans de grandes armoires dans le cloître. Toujours encensée pour sa beauté, elle est régulièrement tendue dans l’édifice.

À partir de 1699, la destruction du jubé et la modification du chœur permettent de l’accrocher sur la totalité des murs de l’édifice, quatre fois par an, à la saint Maurice, à Noël, Pâques et à la Pentecôte.

Vient ensuite une période de désaffection.

Les registres de la cathédrale indiquent en 1767 que « les tapisseries, causant aux voix un très grand préjudice, ne seront plus tendues » et, en avril 1782, « qu’elles seront toutes mises en vente à l’exception de celles qui seront nécessaires pour le reposoir du jeudi saint ».

Elles ne trouvent cependant pas d’acquéreur et sont par la suite utilisées comme de vulgaires tissus de protection : les pièces sont découpées et les morceaux servent à couvrir les chevaux, les orangers ou encore à protéger les planchers. Elle subit alors de graves mutilations.

II. DU trÉsor PrinCier à CeLUi De La CatHÉDraLe D’anGers

fin du xve – xviiie siècle

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Les deux bêtes, détail de la scène 62 (Les grenouilles), 5e pièce de la tenture de l’Apocalypse.

Après la Révolution, l’Apocalypse est utilisée au décor de la cathédrale avant d’être à nouveau mise de côté, sans soin. Inventoriée tous les ans dans le mobilier du palais épiscopal, elle est déclarée « à réformer » car « complètement usée » en 1843 et mise en vente par les Domaines, administration gérant les biens de l’État. Monseigneur Angebault, alors évêque d’Angers, la rachète, sans savoir qu’il s’agit d’un objet appartenant à la cathédrale ; l’Apocalypse était à nouveau tombée dans l’oubli. Il finit par se rendre compte de son erreur et la restitue à la Fabrique, organe gérant les biens de la cathédrale, sous réserve de pouvoir continuer à l’utiliser pour le décor de l’édifice.

En 1846, le chanoine Joubert est nommé custode de la cathédrale, et donc chargé de la bonne garde du trésor et des tapisseries qu’il abrite.

Comprenant l’immense valeur artistique de la tenture de l’Apocalypse, il rassemble les tapisseries qui sont alors trouées, coupées en morceaux, parfois partiellement tronquées. Dès 1849 et pendant plus de dix ans, le chanoine, accompagné de mesdames Logerais, Bazantay et Nau, licières, restaure la tenture grâce aux deniers de la Fabrique et de l’État. Parallèlement, il se lance dans une étude attentive des tapisseries, qu’il met en lien avec le texte de saint Jean, et, peu à peu, retrouve l’ordre des scènes qui avait été perdu. Cette restauration sauve l’Apocalypse qui retrouve ainsi son intégrité.

Louis de Farcy, historien de la cathédrale d’Angers, reprend les restaurations en 1870 et complète les scènes fragmentaires par des retissages.

III. retroUVer, reComPoser, restaUrer L’aPoCaLYPse milieu du xixe – première moitié du xxe siècle

Le sauvetage d’un chef-d’œuvre

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Restitution de la structure des pièces de l’Apocalypse par Louis de Farcy dans Histoire et description des tapisseries de la cathédrale d’Angers, sans date (c. 1900).

La disposition de certaines scènes diffère de la présentation dans la galerie car des recherches plus récentes ont conduit à repositionner certaines tapisseries.

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2524La tenture de l’Apocalypse suspendue dans la nef de la cathédrale d’Angers, photographie du début du xxe siècle.

Le musée des tapisseries d’Angers, photographie d’Emmanuel-Louis Mas, 1910-1920

Très vite, la tenture de l’Apocalypse émerveille et il s’impose à tous qu’elle doit être à nouveau exposée. Elle retrouve sa place dans la cathédrale où elle est tendue plusieurs fois par an.

Au début du xxe siècle, la prise de conscience de son importance artistique conduit à la création d’un musée des tapisseries qui s’installe dans le palais épiscopal d’Angers. L’Apocalypse en est la pièce maîtresse.

L’engouement du public français, mais aussi international, est presque immédiat. À partir des années 1860, et jusqu’au milieu du xxe siècle, elle fait le tour du monde, présentée dans les Expositions universelles et les plus grands musées.

L’apocalypse admirée

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1864Exposition des Arts appliqués à l’industrie (Paris) et Exposition nationale (Angers)

1867Exposition universelle (Paris)

1900Rétrospective de l’Art français à l’Exposition universelle (Paris)

1904Les primitifs français, la peinture en France sous les Valois, Musée du Louvre (Paris) et Bibliothèque nationale de France (Paris)

1913Exposition universelle, Pavillon dit de la vieille Flandres (Gand)

1937Chefs-d’œuvre de l’Art français, Palais de Tokyo (Paris)

1977Angers, tapisserie vivante, Palais des Congrès (Paris)

1992Exposition universelle, Pavillon Anjou (Séville)

2000Vingt siècles en cathédrale, Palais du Tau (Reims)

2004Paris 1400, Musée du Louvre (Paris)

1946La tapisserie française du Moyen Âge à nos jours, musée d’Art moderne de la Ville de Paris (exposition itinérante présentée les années suivantes à Bruxelles, Londres, New York, Chicago, Madrid, Rome, Naples et Venise)

1951L’Apocalypse, Tapisserien aus der Kathedrale von Angers, Kunsthalle Basel (Bâle)

1951-1954Prêts de multiples fragments à Arras et Laval en 1951. Madrid, Lisbonne, Tours en 1952, en Italie et Yougoslavie en 1953 et à Arras en 1954.

1968L’Europe gothique, 12e exposition du Conseil de l’Europe au Musée du Louvre (Paris) et La librairie de Charles V, Bibliothèque nationale de France (Paris)

1972L’Art du Moyen Âge en France, Musée national d’Art occidental (Tokyo)

1973-1974Chefs-d’œuvre de la tapisserie du xive au xvie siècle, Grand Palais (Paris), puis Metropolitan Museum (New York)NEW YORK

LONDRES GAND

PARIS

ROMEMADRID

LISBONNE

BRUXELLES

YOUGOSLAVIE

BÂLE

ARRAS

TOURS

LAVAL

ANGERS

SÉVILLE

REIMS

NAPLES

VENISE

CHICAGO

TOKYO

« Personne n’en disconviendra,  

cette tenture d’Angers c’est de tout l’art 

français une des pièces capitales. »

jean lurçat (1892-1966), peintre, céramiste et créateur de tapisseries. février 1955

« Je t’ai raconté avoir visité le palais des Ducs d’Anjou  

et vu une pièce de tapisserie qui portait des images d’un saint  

et qui ressemblait à une nappe sale et qui valait 100 000 $ […].  

Je n’en voudrais pas comme cadeau. »

lettre d’harry truman (1884-1972), président des usa de 1945 à 1953, à sa fiancée bess wallace, 30 juin 1918, angers

Un chef-D’œUvre exPosé AUx qUAtre coIns DU monDe

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2928Vue du château de Brissac (Maine-et-Loire)

Dès le début de la guerre, commence, dans la France entière, un vaste mouvement d’évacuation des œuvres d’art vers des châteaux réquisitionnés et transformés en dépôts. Éloignés des centres urbains, ils les protègent ainsi des bombardements.

Dans l’ouest, le choix se porte sur le château de Brissac dont le propriétaire s’est porté volontaire. Le château devient ainsi un « dépôt des musées nationaux ». Ses innombrables pièces permettront d’accueillir des œuvres provenant du Maine-et-Loire mais aussi du château de Versailles ou du musée des Arts décoratifs de Paris.

Le château étant considéré comme un « monument artistique sous protection militaire », l’accès n’est permis que sur autorisation spéciale du Service de protection des œuvres d’art et toute circulation dans le parc interdite.

En 1942, les autorités allemandes demandent l’évacuation d’œuvres d’art précieuses d’Angers, parmi lesquelles l’Apocalypse, qui n’avait pas été transférée. Devant l’insistance allemande, son départ pour Brissac, un temps retardé, ne peut plus être différé.

Elle arrive au dépôt le 24 octobre, transportée dans soixante-sept ballots et trois caisses, et ne sera de retour à Angers qu’en 1946.

Cachée et protégée : la seconde Guerre mondiale

« Le calme revint à Brissac, les temps de l’Apocalypse n’étaient pas encore arrivés ; les célèbres tapisseries d’Angers gardèrent leur valeur prophétique ».

Rose Valland, Le Front de l’art, 1961

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La galerie de l’Apocalypse en construction, photographie des années 1950

Exposée aux quatre coins du monde, la tenture de l’Apocalypse acquiert rapidement une réputation internationale. Une solution doit être trouvée pour l’exposer en entier et en permanence, ce que ne permettent pas la cathédrale ou le musée des tapisseries.

Une réflexion pour l’aménagement, au palais épiscopal, d’un nouveau musée permettant l’accrochage de la tenture dans son entier est conduite dans les années 1930-1940 mais aucune solution n’est trouvée. Le 2 mai 1952 est donc signée une convention entre l’évêque d’Angers et l’État, décidant du transfert de l’œuvre du palais épiscopal au château d’Angers où elle sera exposée en permanence dans une salle à construire.

Cependant, la tenture fait toujours partie du trésor de la cathédrale et reste affectée au culte.

Le projet est confié par le Ministère de la Culture à Bernard Vitry, qui construit une galerie de cent dix-sept mètres de longueur, à l’architecture résolument contemporaine, inaugurée en 1954. La muséographie est élégante, la tenture visible dans son ensemble. Un événement ! Mais les tapisseries sont exposées en pleine lumière, dans un environnement difficile à maîtriser. Conservateurs et experts alertent du danger de dommages irréversibles sur les fibres de laine.

Iv. eXPoser La PLUs GranDe taPisserie DU monDe : Un DÉFi

de 1950 à nos jours

Construire un écrin pour l’apocalypse

Vue de l’ancienne entrée de la galerie, aquarelle d’Henri Enguehard, architecte et conservateur du château d’Angers, 9 août 1957

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La galerie de l’Apocalypse dans les années 1950

À son ouverture, la galerie est baignée d’une lumière naturelle qui entre par les grandes baies. Cet éclairage excessif provoquera des dommages très importants sur les tapisseries.

La galerie de l’Apocalypse à la fin des années 1970

Cette photographie illustre la première muséographie de la galerie : une exposition sur un fond rouge foncé. Mais, différence notable avec les années 1950, les baies ont été occultées pour limiter l’impact de la lumière sur les tapisseries.

La galerie de l’Apocalypse dans les années 1980

Suite à des problèmes d’humidité dans la galerie, décision est prise de déposer les tapisseries pour les faire sécher à plat et de changer le revêtement mural qui devient beige.

La galerie de l’Apocalypse à la fin des années 1990

Les travaux lancés par le ministère de la Culture conduisent à la création d’une « boîte dans la boîte » répondant aux normes de conservation des tapisseries. La lumière naturelle n’y pénètre plus et un système de contrôle du climat y est installé. Parallèlement, une importante restauration conduit, notamment, à la désolidarisation des registres haut et bas.

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restaurer, hier et aujourd’hui

Relevé de constat d’état de l’Adoration de la Bête à sept têtes, scène 42 de la troisième pièce, 2017

Parallèlement à la construction de la galerie de l’Apocalypse, la tenture fait l’objet d’une importante restauration conduite par les ateliers Aubry en région parisienne. Parmi les interventions réalisées, les retissages du xixe siècle, dont les couleurs avaient mal évolué, sont maquillés grâce à l’ajout de peinture. Cette opération, appelée « potomage », pose aujourd’hui des problèmes de conservation.

Dans les années 1980, le ministère de la Culture lance une campagne de « stricte conservation » destinée à traiter les urgences les plus importantes. Les doublures, éléments indispensables qui permettent aux lourdes tapisseries de soutenir leur propre poids, sont changées. Des usures sont consolidées mais un travail de grande ampleur reste à faire.

Il est lancé dans les années 1990, profitant des travaux sur la galerie. Pendant près de dix ans, les tapisseries passent entre les mains de Marie-Annick Loubaud, restauratrice qui a installé son atelier au château, suivie par l’abbé Ruais.

Malgré ce travail d’envergure, il subsiste des problèmes de conservation, induits par la présentation pérenne d’une œuvre fragile.

Ceux-ci sont soulignés par le récent constat d’état qui pointe également l’évolution importante, depuis les années 1990, des méthodes et des prescriptions en matière de restauration textile.

^ bandes rapportées ^ incrustations ^ potomages ^ relais ouverts ^ retissages ^ rentrayages et coutures ^ repiquages ^ taches

III 42 L’adoration de la bête

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Un constat général des tapisseries, commandé par la DRAC des Pays de la Loire, responsable scientifique de l’œuvre, a été réalisé en 2016. Mené par Montaine Bongrand et Susanne Bouret, restauratrices spécialisées dans le traitement des tapisseries, il avait pour objectif de faire un bilan précis de l’état de conservation de chaque pièce, de se pencher sur les conséquences de l’accrochage permanent et de l’éclairage de la tenture.

Dans ce cadre, des relevés des soixante-sept scènes exposées ont été réalisés sur une application créée pour l’occasion sur une tablette numérique. Ce travail témoigne de l’importance croissante des technologies de pointe dans la conservation du patrimoine.

Que ce soit pour réaliser des campagnes photographiques en très haute définition, témoin de l’état des tapisseries à un instant t, consigner des informations sur l’histoire des œuvres ou transmettre au public les résultats des dernières recherches, le recours au numérique ne cesse de se développer.

La gigapixelisation réalisée par Google fait pénétrer jusqu’à la fibre, démontrant que c’est un accès intime et inédit à ce chef-d’œuvre monumental qu’offrent les nouveaux outils numériques.

L’apocalypse à l’ère du numérique

De haut en bas et de gauche à droite :

Décrochage du Grand personnage de la quatrième pièce ; prise de mesure pour une colorimétrie ; réalisation du relevé sur tablette numérique ; envers et endroit d’une bande de terre.

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1377-1379

Paiements du duc d’Anjou à Nicolas Bataille, marchand parisien de tapisseries ; à Jean de Bruges, peintre du roi ; et à Robert Poisson, lissier.

1400

Utilisation de la tenture lors du mariage du duc Louis II d’Anjou et de Yolande d’Aragon en Arles.

1404

La tenture est tendue dans la cathédrale d’Angers entre Noël et l’Épiphanie.

1474

Dans son testament, le roi René lègue la tapisserie à la cathédrale d’Angers. Elle est transportée à Baugé en 1476 puis installée dans la cathédrale après sa mort en 1480.

1484

La tenture est tendue pour le retour de Jean Balue, ancien évêque d’Angers devenu cardinal.

1699

Les travaux importants conduits dans le chœur permettent de présenter entièrement la tenture dans la cathédrale.

1767

La tenture n’est plus exposée. Les pièces sont déposées à l’évêché.

1782

Mise en vente par le chapitre de la cathédrale, la tenture ne trouve pas preneur.

révolution française

Les tapisseries du trésor sont déplacées à l’abbaye Saint-Serge puis au Logis Barrault (actuel musée des Beaux-Arts).

1846

Le chanoine Joubert est nommé custode de la cathédrale. Il s’intéresse très vite à la tenture, dont le mauvais état le préoccupe.

1848

L’évêque Angebault accepte de donner la tenture à la cathédrale à condition qu’il puisse continuer à l’utiliser.

1849

Le chanoine Joubert lance une importante campagne de restauration financée par la Fabrique de la cathédrale et en partie par l’État. Elle s’achève en 1863.

1870

La tenture est à nouveau exposée dans la cathédrale chaque année. Une nouvelle restauration, visant notamment à compléter des scènes manquantes, est entreprise par Louis de Farcy.

6 juin 1902

L’Apocalypse est classée au titre des Monuments historiques.

1906

Les tapisseries deviennent propriété de l’État suite à la loi de séparation des Églises et de l’État (1905).

1910

Le musée des Tapisseries est créé au palais épiscopal d’Angers. Une partie de la tenture y est exposée. Les autres pièces sont toujours tendues dans la cathédrale.

à partir de 1952

L’évêque renonce à sa présentation dans la cathédrale et l’État s’engage à construire une salle pour l’accueillir au château. La tapisserie est nettoyée et restaurée.

juillet 1954

L’Apocalypse est installée et présentée au public dans la galerie spécialement construite au château par l’architecte Bernard Vitry.

début des années 1980

Une campagne de « stricte conservation » commence aux ateliers Aubry et Chevalier.

1990-1996

D’importants travaux de réaménagements de la galerie sont conduits par l’architecte Gabor Mester de Parajd pour le ministère de la Culture. Une vaste campagne de restauration des tapisseries est effectuée par Marie-Annick Loubaud, au sein même du château.

2016

Un constat d’état général des tapisseries est mené in situ par la DRAC des Pays de la Loire.

sept siècles d’une histoire mouvementée

1806

Découvrant la tenture en mauvais état, Monseigneur Montault, évêque d’Angers de 1802 à 1839, la fait transporter à la cathédrale où elle masque les dégâts provoqués par la Révolution.

1825-1843

La tenture est tendue à de rares occasions dans la cathédrale et utilisée pour les processions de la Fête-Dieu. Elle est déposée à l’évêché où elle est malmenée.

1843

Mise en vente de la tenture par les Domaines. Elle est achetée sur ses fonds personnels par l’évêque d’Angers, Monseigneur Angebault.

1845

Les tapisseries sont déclarées « complètement usées ».

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Auteurs

Catherine Leroi, chef du service culturel du château d’Angers

Clémentine Mathurin, conservateur des monuments historiques à la DRAC des Pays de la Loire

Graphisme

Tania Hagemeister

Remerciements

Montaine Bongrand, Susanne Bouret, Eve Bouzeret, Mathilde Falguière, Patricia Le Page, Mathilde Moreau, Maud Tharreau

Bibliographie sélective

Cailleteau Jacques (dir.), Apocalypse, la tenture de Louis d’Anjou, Éditions du patrimoine, 2015

Muel Francis et Ruais Antoine, La tenture de l’Apocalypse d’Angers, Cahiers de l’inventaire, 1987

Collection Sensitinéraire, La tenture de l’Apocalypse d’Angers, Éditions du Patrimoine, Paris, 2015

Viémont Rodolphe, La tenture de l’Apocalypse, un chef d’œuvre angevin, DVD, 2011, 52 mn

Crédits photos

Archives départementales de Maine-et-Loire : p. 24

Bibliothèque nationale de France : p. 9

S. Bouret et M. Bongrand : p. 37

Burrell Collection (Glasgow) : p. 14

Conservation départementale du patrimoine de Maine-et-Loire / B. Rousseau : p. 19, 29

Centre des monuments nationaux, château d’Angers : p. 22, 23, 31

Centre des monuments nationaux, fonds photographiques / B. Renoux : p. 2, 12, 13 ; E. Revault : p. 32 ; P. Berthé : p. 33

Collection particulière : p. 31

DRAC des Pays de la Loire / I. Guégan : p. 9, 11, 21, 37

DRAC des Pays de la Loire / C. Mathurin : p. 37

DRAC des Pays de la Loire / S. Bouret et M. Bongrand : p. 35

Fine arts museum (San Francisco) : p. 15

Ministère de la Culture, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine : p. 25, 32

Région Pays de la Loire, Inventaire général / P. Giraud : p. 7 ; F. Lasa : p. 33

RMN-Grand Palais (Château de Versailles)/ F. Raux : p. 5, 17

RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / D. Arnaudet : p. 7

Plan ci-contre : C. Quiec

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