ap364_Commissariat-dexpo_kihm.pdf

5
55 curating art à l’installation des œuvres, et l’activité devient singulière. Ce double-bind fonde l’une des spécificités de cette activité et éclaire les nombreux discours qui la docu- mentent ou cherchent à la préciser. Dans son introduction au livre d’entretiens réalisé par Hans Ulrich Obrist, A Brief History of Curating (1), Christophe Chérix pointe cette spécificité comme une constante, pos- tulant que le déficit d’histoire frappant le tra- vail de commissariat s’explique également par la multifonctionnalité de ses acteurs (on y retrouve directeurs de musées ou de centres d’art, critiques, historiens, marchands, artistes, etc.). Ce livre regroupant, entre autres, des entretiens avec Anne d’Harnoncourt, Werner Hofmann, Seth Siegelaub, Pontus Hulten ou Harald Szeemann, ne répond pas à ce problème, mais le relaye à travers les propos échangés par ses différents interlo- considérée comme une activité plus que comme un métier à part entière. La division du travail des commissaires, sa répartition en plusieurs tâches qui impliquent à leur tour plusieurs fonctions (le choix d’un concept d’exposition, celui des artistes, le suivi de production, la scénographie, l’accrochage et l’installation des œuvres…), associent le tra- vail abstrait au travail social, le travail de ges- tion au travail esthétique. Dès lors, si l’éparpil- lement de cette activité participe pleinement de sa définition en tant qu’elle est, précisé- ment, multiple, deux lignes se détachent sur l’axe de ses identifications et représenta- tions : soit on la considère comme somme d’activités hétérogènes et donc comme mul- tiplicité ; soit on recentre le travail du commis- saire sur certains processus de décision liés à la « forme-exposition », qui touchent prioritai- rement à la conception et à l’accrochage puis Dans le rapport d’enquête « Les commis- saires d’exposition d’art contemporain en France. Portrait socioprofessionnel », trois affirmations posent problème lorsqu’on confronte leurs implications entre des « iden- tifications et représentations » à une activité (le commissariat) et les formes et contenus de cette activité : « L’identification de soi à la seule fonction de commissaire est très minoritaire » ; « le commissariat apparaît d’emblée comme une activité complémen- taire par rapport à une autre activité qui défi- nit mieux les fonctions des individus… » ; « Il semble que les répondants à ce ques- tionnaire se caractérisent par une multiposi- tionnalité dans le monde de l’art qui fait qu’ils occupent plusieurs fonctions. » La fonction de commissaire d’exposition d’art contemporain, combinée à d’autres fonctions dans le monde de l’art ou ailleurs, doit être que font les commissaires ? Christophe Kihm Candida Höfer. « Kunsthaus Zürich I ». 1994. Photographie couleur. 39 x 58 cm. (Court. de l’artiste). Color photograph

Transcript of ap364_Commissariat-dexpo_kihm.pdf

Page 1: ap364_Commissariat-dexpo_kihm.pdf

55

curating art

à l’installation des œuvres, et l’activitédevient singulière. Ce double-bind fondel’une des spécificités de cette activité etéclaire les nombreux discours qui la docu-mentent ou cherchent à la préciser.Dans son introduction au livre d’entretiensréalisé par Hans Ulrich Obrist, A Brief Historyof Curating (1), Christophe Chérix pointecette spécificité comme une constante, pos-tulant que le déficit d’histoire frappant le tra-vail de commissariat s’explique égalementpar la multifonctionnalité de ses acteurs (on yretrouve directeurs de musées ou de centresd’art, critiques, historiens, marchands,artistes, etc.). Ce livre regroupant, entre autres,des entretiens avec Anne d’Harnoncourt,Werner Hofmann, Seth Siegelaub, PontusHulten ou Harald Szeemann, ne répond pasà ce problème, mais le relaye à travers lespropos échangés par ses différents interlo-

considérée comme une activité plus quecomme un métier à part entière. La divisiondu travail des commissaires, sa répartition enplusieurs tâches qui impliquent à leur tourplusieurs fonctions (le choix d’un conceptd’exposition, celui des artistes, le suivi deproduction, la scénographie, l’accrochage etl’installation des œuvres…), associent le tra-vail abstrait au travail social, le travail de ges-tion au travail esthétique. Dès lors, si l’éparpil-lement de cette activité participe pleinementde sa définition en tant qu’elle est, précisé-ment, multiple, deux lignes se détachent surl’axe de ses identifications et représenta-tions : soit on la considère comme sommed’activités hétérogènes et donc comme mul-tiplicité ; soit on recentre le travail du commis-saire sur certains processus de décision liés àla « forme-exposition », qui touchent prioritai-rement à la conception et à l’accrochage puis

! Dans le rapport d’enquête « Les commis-saires d’exposition d’art contemporain enFrance. Portrait socioprofessionnel », troisaffirmations posent problème lorsqu’onconfronte leurs implications entre des « iden-tifications et représentations » à une activité(le commissariat) et les formes et contenusde cette activité : « L’identification de soi à laseule fonction de commissaire est trèsminoritaire » ; « le commissariat apparaîtd’emblée comme une activité complémen-taire par rapport à une autre activité qui défi-nit mieux les fonctions des individus… » ;« Il semble que les répondants à ce ques-tionnaire se caractérisent par une multiposi-tionnalité dans le monde de l’art qui fait qu’ilsoccupent plusieurs fonctions. »La fonction de commissaire d’exposition d’artcontemporain, combinée à d’autres fonctionsdans le monde de l’art ou ailleurs, doit être

que font les commissaires ?Christophe Kihm

Candida Höfer. « Kunsthaus Zürich I ». 1994. Photographie couleur. 39 x 58 cm. (Court. de l’artiste). Color photograph

Page 2: ap364_Commissariat-dexpo_kihm.pdf

57

curating art

56

commissariat d’exposition

mations. Harald Szeemann a ainsi affirmé unart et un style de l’exposition, scellant une com-pétence du commissaire ne répondant pasnécessairement à un art et un style plastiques,mais engageant le mélange des genres.La trajectoire de Szeemann est exemplaire,puisque la compétence du commissaire ycroise une volonté d’indépendance qui,nécessitant une coupure vis-à-vis de l’institu-tion, conditionne la possibilité d’un exercicerenouvelé de sa fonction par sa subjectiva-tion. Historiquement, à la rupture de contratentre Szeemann et la Kunsthalle de Bernesuite à l’exposition Quand les attitudes de-viennent forme en 1969, succède la créationde « l’Agence pour le travail intellectuel à lademande » (« Agentur für geistige Gast-arbeit »), dont il est le seul membre.« Institutionnalisation de moi-même », commel’indique Szeemann, qui manifeste l’indé-pendance comme condition de l’exercicecuratorial, point de rencontre entre un certainart d’exposer (compétence du commissaire)et une certain art de vivre (institutionnalisa-tion de soi).Sur ces transferts d’une « vie-artiste » tellequ’elle a pu trouver à se formuler au 19e siècleà une « vie-commissaire » à la fin du 20e et audébut du 21e siècle, on pourra se reporter à lacourte préface signée par Philippe Parrenoqui ouvre le recueil d’entretiens regroupéspar Hans Ulrich Obrist sous le titre Conver-sations (4). Ce portrait d’Obrist participepleinement de l’élaboration d’une mythologiecontemporaine qui compléterait à merveille laliste de celles que Roland Barthes écrivit à lafin des années 1950. « Dans ce monde, HansUlrich Obrist se présente comme un person-nage qui parcourt frénétiquement l’universconnu, qui cherche à interroger tous ceux quile rêvent, le pensent et qui façonnent unmonde poétique dans lequel il vit ou aimeraitvivre. (…) Il ne veut plus dormir. Dans leshôtels, il demande aux réceptionnistes denuit de le réveiller toutes heures. (…) Vouspensez que Hans vous rapporte le monde,alors qu’à l’instar d’un personnage de roman,dialogique et polyphonique, il le dessine (5). »

Le commissaire et l’énonciationLa mythologie du commissaire s’est cons-truite et installée plus rapidement que ne sesont développées les études permettant desaisir et d’analyser son activité. Quand bienmême les archives d’Harald Szeemann ontété ouvertes à la consultation publique etdonc à la recherche (6), les fonds d’archivessont rares comme font défaut les lieux pourles accueillir. La critique d’art, restreignantson approche de cette activité à la seuleappréciation « ici et maintenant » de l’exposi-tion – dès lors conçue non seulement commefinalité, mais comme totalité du travail –, n’apas su renouveler ses outils pour en appré-hender les formes. Laissant de côté les

vellement de leurs formes, de leurs proto-coles de travail ou de leurs contextes. L’exi-gence de nouveauté, qui distinguerait fonda-mentalement le travail comme le rôle du com-missaire d’expositions d’art contemporain decelui du conservateur, inscrit son activité mul-tiple et dispersée dans une finalité singulière.

Le commissaire et le romanesqueDans ces récits comme dans ces anecdotes,dans ces déplacements comme dans cesrencontres, quelque chose de romanesques’empare de l’activité du commissaire, quivient en fonder la figure. Un commissaireaventurier, voyageur et humaniste, au servicedes artistes, de l’art et de ses puissances, quifait évoluer sa réception en usant de compré-hension, d’empathie et d’audace, au seind’un réseau de circulation, d’une sociétéconstruite sur le modèle élargi de la sociétéd’artistes. Harald Szeemann est très claire-ment celui qui incarne le plus directementcette figure associant un art de vivre à un artd’exposer, raison probable de son édificationcomme modèle.Dans plusieurs entretiens et essais (3), Szee-mann a pu désigner l’exposition comme unmoyen, proche du théâtre, où le commissairetiendrait le rôle central (socialement en toutcas), mais aussi comme un moyen intellec-tuel pour se poser des questions sur un planthéorique (qu’est-ce que la propriété, qu’est-ce que la possession ?), comme moyen demonter des programmes auxquels sont asso-ciées des séries d’événements, ou encorecomme moyen – sur un plan esthétique – deconstruire des récits par la sélection d’infor-

cuteurs. Par sa méthode (la conversation etl’entretien) et par les différents récits qui ysont collectés, l’ouvrage pose implicitementl’hypothèse d’une continuité, celle du com-missariat, dont l’évolution s’est effectuée demanière « sauvage » entre différents lieux,différentes personnes et différentes fonc-tions : les galeries, les musées et leurs collec-tions, les artistes, les commissaires, les direc-teurs d’institutions…Dans les paroles recueillies par cette « brèvehistoire », une instance vient enrichir la rela-tion du commissaire à l’exposition : l’institu-tion. Il semble impossible de décrire l’activitéde ce dernier sans penser le jeu d’autorités etde pouvoirs qu’implique son rapport à celle-ci,et tout aussi délicat de séparer l’histoire desexpositions de celle des institutions. De l’ex-position comme laboratoire du musée aumusée comme laboratoire de l’exposition,dans ces points de rencontre, de rupture etde reconnexion, se sont définis, pour le meil-leur et pour le pire, des partages esthétiqueset des batailles autoritaires et juridiques oùsont impliqués commissaires, artistes etadministrations (2).La continuité diffuse repérable au sein de cetouvrage fonde finalement l’activité du com-missaire autour des pratiques de la rencontreet de la visite : la curiosité comme moteur, lamobilité comme moyen, la mise en relationcomme forme. Les expositions d’art contem-porain portent un implicite : celui de la nou-veauté – des œuvres, des relations arrêtéesentre les œuvres, des concepts… cet élanmoderniste favorisant l’affirmation de touteproposition d’exposition au regard du renou-

! In the study of “Contemporary Art Cura-tors in France, a Socioprofessional Portrait,”three statements in particular appear proble-matic when one considers their implica-tions as regards the “identifications andrepresentations” of the activity of curatingand the actual form and content of that acti-vity: “Only a very small minority identifythemselves solely as curators”; “Curatingappears from the first as a complementaryactivity in relation to another activity thatmore clearly defines the functions of theindividuals concerned”; and, “It would seemthat the respondents in this study arecharacterized by their multiple positions inthe art world, where they perform severaldifferent functions.”

The curator and the new

The function of the contemporary art cura-tor, combined with other functions in the artworld, or elsewhere, should be seen as anactivity rather than as a profession in its ownright. The division of curatorial labor and itsseparation into several tasks that eachimplies several different functions (thechoice of exhibition concept, the choice ofartists, follow-up of production, exhibitiondesign, the hanging and installation ofworks, etc.) combine abstract, intellectualwork and social organization. Thus, while itsdisparate nature is very much what definesit as something multiple, this activity can beviewed in two distinct ways: either it can be

A Study of Curators and Curating

considered as an ensemble of heteroge-neous activities, and therefore as amultiplicity, or the curator’s work can berecentered on certain decision-makingprocesses linked to the “exhibition form,”bearing essentially on the conception ofthe show and the hanging and installationof the artworks, in which case the activitybecomes singular. This double-bind is partof what defines the specificity of this activity,and sheds much light on the variousdiscourses involved in documenting orseeking to define it.In his introduction to the book of interviewsby Hans Ulrich Obrist, A Brief History ofCurating,(1) Christophe Chérix shows thisspecificity to be a constant and argues that

Thomas Struth. « Art Institute of Chicago ». 1990. Photographie couleur. 186 x 221 cm.

(Court. Marian Goodman Gallery, New York). Color photograph

Documenta II, Cassel, 1959. En haut : salle principale du musée Fredericarium. Œuvres de J. Pollock. Ci-dessus : salle d’exposition du musée Fredericarium. Œuvres, entre autres,

de Ernst Wilhelm Nay. À droite : Fredericarium, rez-de-chaussée, division « Les arguments de l’art du 20e siècle ». Works by Pollock (top), E. Wilhelm (left) and “20th century” (right)

Page 3: ap364_Commissariat-dexpo_kihm.pdf

59

curating art

58

commissariat d’exposition

méthodes et les processus de travail, les pro-cédés et les procédures mis en œuvre ainsique les types d’exposition produits pour foca-liser son attention sur les œuvres et leur miseen scène, elle ne souligne, le plus souvent,dans la pratique d’exposition du commissaire,que le renouvellement – fût-il en creux – d’unmodèle théâtral.Il faudrait, pour bien faire, reprendre le pro-blème, et multiplier les prises sur cette acti-vité en évitant de la restreindre immédiate-ment à ses marqueurs et à ses inscriptions desubjectivité. La définition la plus plate ducommissariat d’exposition – le commissaired’exposition sélectionne des œuvres et desobjets et les présente dans un espace où ilarrête entre eux certains rapports – ouvre cer-tainement à des stratégies de subjectivation(sélection) et à des effets de subjectivation(mise en rapport). Resterait à préciser les-quels, pour ne pas se contenter de l’octroid’un titre, celui d’auteur, agité ces dernièresannées avec insistance par un milieu en re-cherche de légitimation symbolique. Car ces

the lack of a proper history of curating canalso be explained by the multifunctionalityof its proponents (they include directors ofmuseums or art centers, critics, historians,dealers, artists, etc.). This book, whichincludes interviews with Anne d’Harnon-court, Werner Hofmann, Seth Siegelaub,Pontus Hultén and Harald Szeemann, doesnot address this problem, but echoes itthrough the statements of the various inter-viewees. Through its methods (conversa-tions and interviews) and through thedifferent accounts included there, the bookimplicitly posits the hypothesis of acontinuity, that of curatorship, which hasdeveloped in uncontrolled fashion, diffrac-ted via different places, different people anddifferent functions: galleries, museums andtheir collections, curators, directors of insti-tutions, etc. In the statements recorded forthis “brief history,” the curator’s relation tothe exhibition is shown to be enriched by theagency that is the institution. It seems impos-sible to describe the curator’s activity withoutthinking the play of authority and powerimplied in their relation to the institution, andit is just as difficult to separate the historyof exhibitions from that of institutions. Fromthe exhibition as laboratory of the museumto the museum as laboratory of the exhibi-tion—it is at these points of encounter,rupture and reconnection that, for betterand for worse, the aesthetic sharing of powerand battles of authority and legal statusinvolving curators, artists and administra-tions have taken shape.(2)The diffuse continuity that can be observedin this book situates the curator’s activityaround practices of encounter and exploring:curiosity as motor, mobility as means,connection as form. Contemporary artexhibitions are implicitly about the new—new works, new relations between works,new concepts. And this modernist impulseis conducive to the affirmation of allexhibitions in terms of the renewal of theirforms, their working protocols and theircontexts. This insistence on novelty, whichfundamentally distinguishes the work androle of the contemporary art curator formthat of the museum curator, places his or hermultifarious activity in relation to a singularfinality.

The curator, a dashing figureIn these narratives and anecdotes, in thesedisplacements and encounters, there issomething dashing that attaches to the cura-tor’s activity, something that defines thefigure. The curator as adventurer, travelerand humanist, in the service of artists, of artand of its powers, who furthers its receptionby means of understanding, empathy andaudacity, within a network of circulation, a

society built on the broader model of thesociety of artists. Harald Szeemann is themost obvious embodiment of this figurecombining an art of living and an art ofexhibiting, which is no doubt why he hasbecome a model.In a number of interviews and essays,(3)Szeemann spoke of the exhibition as avehicle that is akin to theater, one in whichthe curator plays the central role (socially atany rate), but also as an intellectualapparatus for posing theoretical questions(what is property, what is possession?), asa way of presenting programs linked toseries of events, or as an aesthetic way ofconstructing narratives by selectinginformation. Szeemann thus affirmed an artand a style of exhibiting, confirming a formof curatorial competence that does notnecessarily correspond to a particular kindof visual art and style, but that certainlyinvolves a mixing of genres.Szeemann’s career is exemplary inasmuchas he combined curatorial competence witha will to independence that, necessitating abreak with the institution, conditioned thepossibility of a renewal of the functionthrough the imposition of a subjective sensi-bility. Historically, Szeemann’s break withthe Kunsthalle Bern, to which he wascontractually tied, after the 1969 exhibitionWhen Attitudes Become Form, wasfollowed by the creation of the Agentur fürgeistige Gastarbeit (Agency for IntellectualWork), of which he was the sole member.This was what Szeemann called the“institutionalization of myself,” which wayof life, combined with a certain art ofexhibition-making (curatorial competence),were the twin pillars of a curatorial practicefounded on independence.Regarding these transfers from an “artist’slife,” as it may have been formulated in thenineteenth century, to the “curatorial life”of the late twentieth and early twenty-firstcenturies, we might refer to PhilippeParreno’s short preface to Hans UlrichObrist’s book of interviews, Conversa-tions.(4) This portrait of Obrist is a full-fled-ged contribution to the elaboration of acontemporary mythology that would makean admirable supplement to the list ofmythologies composed by Roland Barthesin the late 1950s. “In this world Hans UlrichObrist presents himself as a figure whofrantically explores the known universe,trying to question all those who dream andthink it, who are shaping a poetic world inwhich he lives or would like to live. […] Hehas no more time for sleeping. In hotels heasks the receptionists to wake him at allhours of the day and night. […] You thinkthat Hans is telling you about the world,whereas the reality is that, like a character

stratégies et effets de subjectivation ne doi-vent pas être détachés de procédés de misesen espace et d’assemblage, peut-être pluscommuns qu’il n’y paraît (logique formelle,thématique, processuelle, spectaculaire, ap-pariement, construction de saynètes, archive,récit, etc.)… tout l’enjeu d’une critique d’ex-position reposerait dès lors sur la productiond’outils permettant d’analyser et de distin-guer ces constructions (leurs plans pratiquesengageant toujours des effets symboliques,ne seraient-ce que des effets de discours),sur l’établissement de critères d’évaluationpermettant de distinguer une bonne exposi-tion d’une mauvaise (7).Reconnaître le rôle déterminant de l’exposi-tion dans la formation de notre compréhen-sion de l’art ne suffit pas, il faut comprendrequelle idée de l’art produisent les expositions,quels types de significations et de définitions(de l’art et de l’exposition) elles mettent enœuvre à travers des processus de décision,de sélection et de présentation des œuvres,sans négliger l’intervention d’un ensemble desavoir-faire techniques et de compétencesmultiples (scénographie, éclairage, bâti, etc.).

Maîtres d’œuvres et montagesToute exposition formule une idée de l’art –certes restreinte par une sélection, par lecadre et le contexte d’un ici et maintenant.Car exposer est aussi définir, accorder un sta-tut aux objets et aux choses que l’on montre,et par voie de conséquence, définir l’exposi-tion. Ces cadres de définition de l’art et del’exposition par l’exposition, attribuent aucommissaire une manière de définir.Une opération essentielle, qui qualifie aussibien des opérations concrètes que des opé-rations discursives traverse la pratique ducommissaire : le montage. Ces opérations demontage concernent son travail social (au car-refour de différents champs de compéten-ce), son travail esthétique (déterminant desrapports entre des œuvres et des objetssélectionnés dans un espace donné), commela réalité pratique des objets retenus (la plu-part des œuvres étant souvent fournies enpièces détachées, littéralement démontées).Le montage, entendu selon une acceptioncinématographique, propose la combinaisonde deux opérations complémentaires : lamise en relation et l’ajustement (le raccord).Ces deux opérations nécessitent à leur tourune série de réglages où se décident à la foisl’autonomie des œuvres et leur communautéici et maintenant. Une exposition est donc lefruit de montages qui structurent, rythmentet dessinent des significations et un espace.Ces montages sollicitant des compétencesmultiples qui déterminent l’exposition commeun objet commun, comme une machinecollective.La critique d’art contemporaine, en portantson attention sur ces pratiques de montage,

in a polyphonic, dialogic novel, he isdesigning it.”(5)

The curator and utteranceThe curator myth has developed andbecome current more quickly than thestudies that would allow us to apprehendand analyze curatorial activity. And whileSzeemann’s archives have been opened forpublic consultation, and therefore to re-search,(6) archives remain rare, as do spacesto house them. Art critics have limited theirapproach to curating to judgments of theexhibition “here and now,” conceiving ittherefore not as the finality but as the totalityof the work, and so criticism failed to adaptand renew its tools so as to grasp the diffe-rent forms. Leaving aside working methodsand processes and the types of exhibitionproduced, and focusing solely on the worksand their mise-en-scène, reviewers tend totalk only about the curator’s renewal (evenif only implicit) of a given theatrical model.To apprehend the problem more fully, weneed to go back over the issues and adoptmultiple approaches to this activity, insteadof going straight to delimiting markers andsigns of subjectivity. The flattest possibledefinition of exhibition organizing—the cura-tor chooses works and objects and arrangesthem in a space where he or she fixes certainrelations between them—certainly opensonto strategies of subjectification (selection)and effects of subjectification (connecting).But we still need to define what these are, andnot merely content ourselves with the appli-

Ci-dessus : Affiche de la Documenta II, Cassel, 1959.

Directeur : Arnold Bode. À droite : « Visiteurs de la

Documenta II ». Série photographique de Hans Haacke.

1959. Poster for Documenta II, 1959 (above). Right visi-

tors at the exhibition (photographs by H. Haacke)

Philippe Parreno et Rirkrit Tiravanija, « Hans Ulrich Obrist ».

Marionnette de Ventriloque. 2006. Jaquette de la couver-

ture du livre « Conversations », éd. Manuella, 2008

Hans Ulrich Obrist as a ventriloquist’s dummy

Page 4: ap364_Commissariat-dexpo_kihm.pdf

61

curating art

60

commissariat d’exposition

cation of a title, that of author, which has beeninsistently touted in recent years by a milieuhungry for symbolic legitimization. For thesestrategies and effects of subjectificationshould not be separated from the proce-dures for composing in space and assem-bling, which may be more widespread thanthey seem (formal, thematic, processual,spectacular, presentation, construction ofanecdotes, archives, narrative, etc.). Thecriticism of exhibitions would then revolvearound the production of tools making itpossible to distinguish these constructions(the practical side of which always leads tosymbolic effects, if only on the level ofdiscourse), and the establishing of criteria ofevaluation whereby a good exhibition canbe distinguished from a bad.(7)It is not enough to recognize the decisive roleof the exhibition in forming our understan-ding of art. We also need to know what ideaof art exhibitions produce, and what typesof meaning and definitions (of art and exhi-bitions) they put into play via processes ofdecision and the selection and presentationof works, not to mention the intervention ofa set of technical skills and other kinds of

la compréhension artistiques (là où intervient,chez Goodman, une dimension pédagogique,savoir voir n’étant pas du domaine de l’évi-dence et nécessitant un apprentissage, toutcomme savoir lire).Selon les résultats réunis par l’enquête « Lescommissaires d’exposition d’art contempo-rain en France », le commissaire bénéfie pré-cisément d’une compétence spécifique : legoût (critère appliqué à la sélection desœuvres). Or, si la sélection des œuvres peut

en « démontant » précisément les exposi-tions, s’offrirait la possibilité de spécifier lesdifférentes machineries sollicitées par cesconstructions. Il en irait non seulement de lacompréhension des dramaturgies et desparcours produits par les expositions, maisencore de la détermination précise du rôle ducommissaire parmi les artistes et les œuvres,ses compétences et savoir-faire, comme desidées de l’art et de l’exposition produites.On y gagnerait probablement une clarificationde la tâche du commissaire non pas en artiste(première identification retenue par les per-sonnes ayant répondu à ce questionnaire),mais en maître d’œuvres, sachant structurerdes équipes (des collectifs d’objets et decompétences) pour construire des formescollectives. Les dimensions politiques de safonction n’en seraient que plus claires.

ImplémentationsAu chapitre 9 de l’Art en théorie et en action(texte écrit en 1984), « L’implémentationdans les arts », Nelson Goodman précise unconcept utile : « L’implémentation d’uneœuvre d’art peut être distinguée de sa réali-sation (exécution). (…) Le roman est achevélorsqu’il est écrit, la toile lorsqu’elle estpeinte, la pièce lorsqu’elle est jouée. Pourfonctionner, le roman doit être publié d’unefaçon ou d’une autre, la toile doit être mon-trée publiquement ou en privé, la pièce repré-sentée devant un public. La publication,l’exposition, la production devant un publicsont des moyens d’implémentation – et c’estainsi que les arts entrent dans la culture. Laréalisation consiste à produire une œuvre,l’implémentation consiste à la faire fonction-ner (9). » En ce sens, l’implémentation « réa-lise un fonctionnement esthétique ».Mais que signifie « fonctionner, pour uneœuvre d’art ? » « Les œuvres fonctionnentlorsque, en stimulant une vision pénétrante,une perception acérée, une intelligencevisuelle en éveil et des perspectives élargies,en apportant des connexions et des contras-tes nouveaux, en signalant les aspects signi-ficatifs jusqu’alors négligés, elles participentà l’organisation et à la réorganisation del’expérience et donc à la fabrication et à lare-fabrication de nos mondes. » Faire fonc-tionner une œuvre, c’est donc se demander« comment exposer », « comment promou-voir », « quelles sont les connaissances indis-pensables à la mise en œuvre de l’œuvre ».Si l’activité du commissaire d’expositionconsiste, pour parité, à faire fonctionner lesœuvres, alors, en suivant la philosophieconstructiviste de Goodman, se précise unedéfinition de l’exposition comme machine oucomme machinerie. Mais faire fonctionnerles œuvres s’accompagne également d’unmouvement consistant à déplacer les critèresde goût pour mettre l’accent sur les condi-tions nécessaires ou utiles à la production et à

competence (display design, lighting, cons-truction, etc.).

Builders and montagesEvery exhibition formulates an idea of art,which of course is limited by selection andby the framework and context of a here andnow. For to exhibit is also to define, to imparta status to the objects and things that oneshows, and consequently, to define the exhi-bition. These frameworks for the definitionof art and the exhibition by the exhibitiongive the curator a role as definer.There is an essential operation, which in-volves concrete operations as well as discur-sive operations, that informs the curator’spractice: montage. This characterizes hissocially interactive work (at the intersectionof different fields of competence), his aesthe-tic work (determining relations between theworks and objects selected in a given space),and the practical reality of the objects chosen(most of the works being provided asdiscrete items—literally, de-mounted).Montage, understood in the cinematogra-phic sense, proposes the combination oftwo complementary operations: relating

être fonction d’un goût (et elle ne l’est pasnécessairement), les conditions de visibilitéet d’intelligibilité des œuvres, si l’on suitGoodman, y échappent totalement. Le pre-mier apport d’une théorie pragmatique del’exposition, à travers l’étude des modalitésd’implémentation des œuvres, serait de per-mettre le développement et la compréhen-sion des pratiques et des savoirs des com-missaires en les arrachant à la seule sphèredu goût. !

and adjusting (continuity, joining). Thesetwo operations in turn necessitate a seriesof adjustments that determine both thecommunity of the works and their here andnow. An exhibition is thus the result ofstructuring montages, imparting rhythmand sketching out meanings and a space.These montages call for multiple skills thatdetermine the exhibition as a shared object,as a collective machine.In concentrating on these practices ofmontage, and more precisely, in dis-mantling exhibitions, critics of contemporaryart would be able to specify the differentmachineries brought into play by theseconstructions. This would apply not only tothe understanding of the dramaturgicalstructures and sequences produced byexhibitions, but also to the precisedetermination of the role of the curatorbetween artists and works, his/her skills andknow-how, and the ideas of art and theexhibition thereby produced.This would probably help us clarify the taskperformed by curators not as artists (thefirst identification put forward by the peoplewho answered this questionnaire), but as

Group Material. « AIDS Time Line ». 1991. (Biennale, Whitney Museum, New York ; Court. J. Ault)

Vues de l'exposition « Robert Morris: Bodyspacemotionthings ». Tate Modern, Londres (mai - juin 2009). Reconstitution

d'une exposition de 1971. (Ph. F. Ostende). Reconstitution of R. Morris’s “Bodyspacemotionthings at Tate Modern

Page 5: ap364_Commissariat-dexpo_kihm.pdf

62

commissariat d’exposition

(1) Hans Ulrich Obrist, A Brief History of Curating,

Zurich/Dijon, JRP/Ringier & Les Presses du Réel, 2008.

(2) On pense, bien sûr, au travail effectué par Hans

Haacke, qui, à travers la reconstitution d’expositions, ex-

plore les relations entre artistes, institutions et commis-

saires. Tout comme à la récente affaire opposant Christof

Büchel et le Mass Moca, à propos de l’exposition de l’ar-

tiste, Training Ground for Democracy :

www.nytimes.com/2007/09/ 16/arts/design/16robe.html

(3) On mentionnera, pour les éditions les plus récentes,

non seulement l’entretien reproduit dans A Brief History

of Curating, mais aussi Harald Szeemann, Méthodologie

individuelle, édité par JRP/Ringier, placé sous direction

de Florence Derieux et réalisé dans le cadre du pro-

gramme pédagogique de l’école du Magasin (Formation

professionnelle aux pratiques curatoriales) à Grenoble.

(4) Hans Ulrich Obrist, Conversations, Paris, Manuella

éditions, 2008.

(5) Préface de Philippe Parreno in Hans Ulrich Obrist,

Conversations, Paris, Manuella éditions, 2008. p.12.

(6) De cette ouverture est issu le livre Harald Szeemann,

Méthodologie individuelle mentionné plus haut.

(7) Le travail mené récemment par Jérôme Glicenstein,

dans l’Art : une histoire d’expositions, Paris, PUF, coll.

Lignes d’art, 2009, permet d’avancer sur le sujet en déga-

gaent des modèles d’exposition : « l’exposition comme

fiction » ; « l’exposition comme langage et comme dispo-

sitif »; « l’exposition comme événement et comme jeu

de société » ; « l’exposition comme site de l’art ».

(8) Comme le récent colloque organisé le vendredi 13

novembre par Dork Zabunyan à la maison européenne

des SHS de Lille, « Qu’est-ce qu’une mauvaise expo-

sition ? », a tenté d’y répondre à partir de l’étude de cas

concrets.

www.meshs.fr/page.php?r=24&id=580&lang=fr

(9) Nelson Goodman, l’Art en théorie et en action, Paris,

Éditions Gallimard, coll. Folio essais, p. 63 et suivantes.

architects and organizers capable of struc-turing teams (ensembles of objects andskills) in order to construct collective forms.This would certainly make the political dimen-sions of their function that much clearer.

ImplementationsIn “Implementation in the Arts,” a chapterin his book Of Mind and Other Matters(1984), Nelson Goodman specifies a usefulconcept: “Implementation of a work of artmy be distinguished from execution […]The novel is completed when written, thepainting when painted, the play when perfor-med. […] In order to work, the novel mustbe published in one way or another, thepainting shown publicly or privately, theplay presented to an audience. Publication,exhibition, production before an audienceare means of implementation—and waysthat the arts enter into culture. Executionconsists of making a work, implementationof making it work.”(9) In this sense, imple-mentation “realizes an aesthetic function.”But what does it mean for a work of art to“function”? “Works work when by stimula-ting inquisitive looking, sharpening percep-tion, raising visual perception, wideningperspective, bringing out new connectionsand contrasts, and marking off neglectedsignificant kinds, they participate in the orga-nization and reorganization of experience,and thus in the making and remaking of ourworlds.” To make a work work is thus to ask“how to exhibit?” “how to promote?” and“what knowledge is vital to the implemen-

tation of the work?” If the curator’s activityconsists, in part, of making works function,then, following Goodman’s constructivistphilosophy, a definition of the exhibition asmachine or machinery begins to emerge. Butmaking works work also means a move-ment that displaces criteria of taste andemphasizes conditions that are necessary oruseful to artistic production and unders-tanding (which, with Goodman, is where apedagogical dimension comes into play,since, like reading, knowing how to look isnot self-evident but requires a learningprocess).According to the findings of the study of“Contemporary Art Curators in France,” cura-tors do indeed enjoy special competence:taste, as applied to the selection of works.Now, if the selection of works may be afunction of taste (it is not necessarily so), theconditions of visibility and intelligibility forartworks, according to Goodman, are totallyindependent of it. The first contribution ofa pragmatic theory of the exhibition, throughthe study of the ways in which works areimplemented, would be to enable the deve-lopment and understanding of the practicesand knowledge of curators by ceasing toassess them exclusively in terms of taste. !

Translation, C. Penwarden

(1) Hans Ulrich Obrist, A Brief History of Curating,Zurich/Dijon: JRP/Ringier & Les Presses du Réel, 2008.(2) I am thinking, of course, of the work done by HansHaacke, who uses the recreation of exhibitions as a wayof exploring the relations between artists, institutionsand curators. And also of the recent disagreementbetween Christof Büchel and Mass Moca over theartist’s exhibition Training Ground for Democracy:www.nytimes.com/2007/09/16/arts/design/16robe.html(3) Regarding the most recent publications, there isnot only the interview reproduced in A Brief History ofCurating, but also Harald Szeemann, Méthodologieindividuelle, published by JRP/Ringier, edited byFlorence Derieux and produced by students and staffat the École du Magasin in Grenoble.(4) Hans Ulrich Obrist, Conversations, Paris: ManuellaÉditions, 2008.(5) Preface by Philippe Parreno in Hans Ulrich Obrist,Conversations, Paris: Manuella Éditions, 2008, p.12(6) This opening led to Szeemann’s book, Méthodologieindividuelle, mentioned above.(7) Jérôme Glicenstein’s book L’Art : une histoire d’ex-positions, (Paris: PUF, 2009) offers a number of workablemodels of exhibitions: “the exhibtion as fiction”; “theexhibition as language and dispositif”; “the exhibitionas event and social game”; “the exhibition as art site”.(8) The symposium organized by Dork Zabunyan onNovember 13, 2009, at the Maison Européenne at theSHS, Lille, entitled “What Is a Bad Exhibition?”, triedto provide an answer based on concrete examples.http://www.meshs.fr/page.php?r=24&id=580&lang=fr(9) Nelson Goodman, Of Mind and Other Matters,Harvard University Press, 1984, especially p. 142 ff.

Hans Haacke. « MetroMobiltan ». Construction en fibre de verre, 3 bannières avec impression photographique.

355 x 609 x 152 cm. (Coll. Mnam, Paris ; Ph. A. Tannenbaum). Fiberglass structure. 3 flags with photographic print