Anzu

25
ENS mythologie – Exposé : mythologie mésopotamienne et récits du Déluge – Page 1 sur 25 ENS Ulm, séminaire de mythologie de Mme Leclercq-Neveu Exposé – Pierre Cuvelier – mars 2006 La mythologie mésopotamienne et les récits du Déluge Sources : Jean BOTTERO et Samuel Noah KRAMER, Lorsque les dieux faisaient l’homme – Mythologie mésopotamienne, NRF Gallimard « Bibliothèque des histoires », 1989. Jean BOTTERO, L’Epopée de Gilgameã – le grand homme qui ne voulait pas mourir, Gallimard « L’aube des peuples », 1992. Ecole biblique de Jérusalem (dir.), La sainte Bible, éditions du Cerf, 1961. Collectif, L’Orient ancien, Les collections de l’Histoire n°22, janvier-mars 2004. Cet exposé, après un bref aperçu du contexte historique, donne une présentation succinte de la mythologie mésopotamienne, puis s’intéresse aux récits du Déluge présents dans plusieurs de ces mythes et dans la fameuse épopée de Gilgameã, avant de les comparer, pour conclure, avec le récit du Déluge donné plus tard par la Bible. Note de prononciation : u, notamment dans Uruk, se prononce « ou ». ã, notamment dans Gilgameã, se prononce « sh ». J’ai noté par un H le son « rh », proche de la jota espagnole, qu’on trouve dans AtraHasîs. Note sur les textes : A l’exception des sous-titres explicatifs ajoutés par Bottéro, les récits du Déluge du livre Lorsque les dieux faisaient l’homme sont reproduits dans leur présentation d’origine, en vers pour la plupart ; tous les textes sont en italique, sauf les noms de divinités mis en valeur par Bottéro. Pour la numérotation des tablettes et des vers, trop complexe pour être reprise ici, on se reportera directement à l’ouvrage. Plan de l’exposé I. Un bref aperçu historique II. Dieux et mythes de Mésopotamie III. Les récits du Déluge I. Un bref aperçu historique Cadre géographique La Mésopotamie est la région située entre et autour de deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate, qui prennent leur source aux frontières de la Syrie et de la Turquie actuelles, traversent l’actuel Irak de Nord-Ouest en Sud-Est et se jettent dans le Golfe Persique. C’est à proximité de ces deux fleuves, dans les vallées fertiles, que se sont développées très tôt les principales cités-états de la région, Kiã, Lagaã, Ur, Uruk, puis Akkad et plus tard Babylone. A l’Est de cette région se trouvent les monts Zagros, dans l’actuel Iran. Une civilisation hybride Dans cette région se développe, au moins à partir du IVème millénaire avant J.C., une civilisation connue par les vestiges archéologiques puis, dès le début du IIIème millénaire, par les plus anciens documents écrits connus au monde, conservés sur des tablettes d’argile, parmi lesquels on trouve des récits de mythes. Deux langues étaient employées à cette époque : le sumérien et l’akkadien. Le sumérien est une langue linguistiquement isolée, ni indo-européenne, ni sémitique, ni rattachable à aucun autre groupe. L’akkadien, en revanche, est une langue sémitique, parent de l’araméen, de l’hébreu, de l’arabe, etc. Les différences énormes entre ces deux langues (aussi grandes que celles qui peuvent séparer le français du chinois) n’ont nullement empêché les échanges et les emprunts mutuels.

description

anzu mythe

Transcript of Anzu

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 1 sur 25

    ENS Ulm, sminaire de mythologie de Mme Leclercq-NeveuExpos Pierre Cuvelier mars 2006

    La mythologie msopotamienne et les rcits du Dluge

    Sources :Jean BOTTERO et Samuel Noah KRAMER, Lorsque les dieux faisaient lhomme Mythologiemsopotamienne, NRF Gallimard Bibliothque des histoires , 1989.Jean BOTTERO, LEpope de Gilgame le grand homme qui ne voulait pas mourir, Gallimard Laube des peuples , 1992.Ecole biblique de Jrusalem (dir.), La sainte Bible, ditions du Cerf, 1961.Collectif, LOrient ancien, Les collections de lHistoire n22, janvier-mars 2004.

    Cet expos, aprs un bref aperu du contexte historique, donne une prsentation succinte de lamythologie msopotamienne, puis sintresse aux rcits du Dluge prsents dans plusieurs de cesmythes et dans la fameuse pope de Gilgame , avant de les comparer, pour conclure, avec le rcit duDluge donn plus tard par la Bible.

    Note de prononciation :u, notamment dans Uruk, se prononce ou ., notamment dans Gilgame , se prononce sh .

    Jai not par un H le son rh , proche de la jota espagnole, quon trouve dans AtraHass.Note sur les textes :A lexception des sous-titres explicatifs ajouts par Bottro, les rcits du Dluge du livre Lorsque lesdieux faisaient lhomme sont reproduits dans leur prsentation dorigine, en vers pour la plupart ; tousles textes sont en italique, sauf les noms de divinits mis en valeur par Bottro. Pour la numrotationdes tablettes et des vers, trop complexe pour tre reprise ici, on se reportera directement louvrage.

    Plan de lexposI. Un bref aperu historiqueII. Dieux et mythes de MsopotamieIII. Les rcits du Dluge

    I. Un bref aperu historique

    Cadre gographique

    La Msopotamie est la rgion situe entre et autour de deux fleuves, le Tigre et lEuphrate, quiprennent leur source aux frontires de la Syrie et de la Turquie actuelles, traversent lactuel Irak deNord-Ouest en Sud-Est et se jettent dans le Golfe Persique. Cest proximit de ces deux fleuves,dans les valles fertiles, que se sont dveloppes trs tt les principales cits-tats de la rgion, Ki ,Laga , Ur, Uruk, puis Akkad et plus tard Babylone. A lEst de cette rgion se trouvent les montsZagros, dans lactuel Iran.

    Une civilisation hybride

    Dans cette rgion se dveloppe, au moins partir du IVme millnaire avant J.C., une civilisationconnue par les vestiges archologiques puis, ds le dbut du IIIme millnaire, par les plus anciensdocuments crits connus au monde, conservs sur des tablettes dargile, parmi lesquels on trouve desrcits de mythes.

    Deux langues taient employes cette poque : le sumrien et lakkadien. Le sumrien est unelangue linguistiquement isole, ni indo-europenne, ni smitique, ni rattachable aucun autre groupe.Lakkadien, en revanche, est une langue smitique, parent de laramen, de lhbreu, de larabe, etc.Les diffrences normes entre ces deux langues (aussi grandes que celles qui peuvent sparer lefranais du chinois) nont nullement empch les changes et les emprunts mutuels.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 2 sur 25

    Ces deux langues taient parles par deux ethnies au dpart distinctes : les sumriens et lesakkadiens. Les akkadiens semblent tre venus dans la rgion les premiers, probablement enprovenance du Nord du dsert syro-arabe. On ignore par contre do sont venus les sumriens, peut-tre de lEst ; ce qui est sr, cest que leur population sest trouve coupe de ses attaches une foisinstalle dans la rgion, principalement dans la partie de la Msopotamie la plus proche de la mer, laBasse-Msopotamie, appele pays de Sumer (lautre moiti est parfois nomme paysdAkkad/Akkad ).

    Mais la distinction sarrte l, car ces deux ethnies en viennent former, ds le dbut du IIImemillnaire, une civilisation commune nourrie dinfluences mutuelles Jean Bottro emploie le termede symbiose et aucun moment lune des deux nexerce la prpondrance sur lautre, que ce soitsur le plan politique, conomique ou social. De mme, les textes en sumrien et en akkadien nepeuvent pas se comprendre sparment : lexistence de deux langues distinctes ne signifie pas quilexistait deux cultures distinctes. Ainsi on ne peut pas parler de mythologie sumrienne ouakkadienne distincte, mais dune mythologie msopotamienne.

    Linfluence des sumriens sur le plan culturel est trs forte, au moins dans un premier temps, et lesumrien reste trs longtemps la langue culturelle par excellence ; cest pour la noter que les sumriensmettent au point lcriture, et cest la seule langue crite utilise pendant les deux premiers tiers duIIIme millnaire. Par la suite, mme lorsque lakkadien devient la langue dusage et la langue criteprincipale, le sumrien reste longtemps en usage comme langue rudite, presque comme langueancienne . Parmi les mythes crits qui nous sont parvenus, les plus anciens sont rdigs en sumrien,les plus rcents en akkadien, les premiers textes akkadiens ayant dabord consist en des traductions ou de nouvelles versions de mythes dj crits en sumrien, premire tape avant quene se dveloppe une littrature originale en langue akkadienne. Il nest donc pas tonnant quebeaucoup de divinits et de personnages mythiques msopotamiens soient connus sous deuxnoms, lun sumrien et lautre akkadien (ainsi le dieu Enki prend en akkadien le nom dEa).

    Survol chronologique

    Un survol chronologique rapide, sur plus de 2000 ans, permettra de connatre grossirement lecontexte de lcriture des mythes et des popes msopotamiennes, et de relier lhistoire de laMsopotamie aux vnements connus de la Bible et ceux de lpoque classique.

    Entre 2900 et 2335, durant la priode du dynastique archaque, se dveloppent des cits-tatsrivales qui exercent tour tour leur influence sur le pays de Sumer (donc le sud de la Msopotamie).Les principales sont Ki , Lagash, Ur et Uruk.

    Un document datant du IIme millnaire, la Liste sumrienne des rois, donne la liste des dynasties derois ayant rgn sur le pays de Sumer ; elle mle le mythe lhistoire, puisquelle part des tempsmythiques davant le Dluge.

    Ces rois auraient rgn entre 2900 et 2800, pendant la priode du Dynastique archaque I.La priode comprise entre 2800 et 2600, Dynastique archaque II, correspond historiquement la

    premire dynastie de la cit de Ki . On en retrouve certains rois dans la Liste et certains de ces nomsapparaissent galement dans la mythologie : Akka, dernier roi de la dynastie de Ki , est lun desadversaires de Gilgame . Vers la mme poque, la premire dynastie dUruk connat les noms dautrespersonnages mythiques, dont Lugalbanda, pre de Gilgame dans la version ancienne de lEpope.Gilgame , quant lui, aurait t roi dUruk autour de 2650.

    Entre 2600 et 2334 (Dynastique archaque III) les rivalits entre cits-tats se poursuivent,principalement par lascension de la cit de Laga , qui prend le pas sur sa voisine Umma et connatelle aussi une premire dynastie royale. Cest aussi lpoque de lapparition des royaumes de Mari(vers lOuest, sur lEuphrate) et dEbla ( lOuest, plus prs de la cte mditerranenne).

    Entre 2334 et 2190 av. J.C. : priode de lempire dAkkad.Vers 2340, le roi Sargon accde au trne de Ki . En 2334 il prend Uruk, fonde une nouvelle capitale,

    Akkad (dont lemplacement na pas encore t retrouv) et unifie toute la Msopotamie. Lempire deSargon ne lui survit pas trs longtemps, menac par les peuples voisins : lOuest les Amorrites, ausud-est les Elamites et lest les Guti (ou Qut) venus des monts Zagros.

    Autour de 2200, les Guti envahissent lempire dAkkad et semparent de la royaut dans le sud-est.Vers la mme poque, la cit de Laga connat un regain de puissance.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 3 sur 25

    Entre 2100 et 2000 environ, cest la IIIme dynastie dUr, qui concide avec un renouveaupolitique, conomique et culturel autour de la cit dUr (notamment sous le rgne du roi Ur-Nammu).Beaucoup de textes sumriens retrouvs datent de cette poque. Dans le mme temps, une nouvellepopulation smite, les Amourrites, commence sinstaller dans la rgion. La dynastie dUr III setermine vers 2004, victime dattaques des Elamites et des Amourrites.

    Entre 2004 et 1792 : priode des royaumes rivauxPendant deux sicles, plusieurs cits et leurs dynasties sopposent dans des luttes dinfluence : Isin,

    puis Larsa, puis Mari. Dans le mme temps rgnent les premiers rois dAssur, cit du nord-ouest sur leTigre qui dveloppe un commerce prospre avec lAnatolie notamment ; et une petite cit obscureappele Babylone connat une premire dynastie royale partir de 1894 av. J.C.

    Entre 1792 et 1595 : lhgmonie de BabyloneBabylone acquiert subitement une puissance et une influence considrables partir du rgne du roi

    Hammurabi, qui rgne de 1792 1750 et unifie la rgion en un seul vaste royaume. Une littraturenouvelle apparat, en akkadien, en mme temps quest men un grand travail de rebrassage et de miseen forme des anciens mythes (cest ce moment quest compose la grande gense babylonienne : lepome dAtraHass, le Supersage). A la mme poque, lAssyrie se dveloppe autour dAssur. En1595, le royaume dHammurabi seffondre devant linvasion des Cassites.

    Entre 1600 et 1100, loccupation cassite plonge le pays dans une torpeur politique qui nempchepas une grande activit culturelle.

    A partir de 1300 environ, lAssyrie, jusque l soumise lempire de Mitanni (stendant en Syrieactuelle et plus lest) prend son indpendance avec Assur pour capitale. La rgion se divise alors endeux entre Assyrie et Babylonie, qui saffrontent pour le pouvoir. LAssyrie est dabord vainqueurvers le milieu du XIIIme sicle. Vers 1100, Babylone connat un renouveau avec la seconde dynastiedIsin (de 1154 1027), essentiellement sous le rgne de Nabuchodonosor Ier.

    A partir de 1100-1000, les Aramens commencent sinstaller dans la rgion, apportant avec euxune nouvelle langue laramen qui, quelques sicles plus tard, remplace lakkadien commelakkadien avait remplac le sumrien.

    Au cours de la premire moiti du Ier millnaire (1000-626), lAssyrie reprend et conserve laprpondrance politique et militaire, intgrant son empire la Babylonie et les petits Etats aramensapparus dans la rgion. Rgnent notamment Sargon II (721-705) et ses descendants, les Sargonides,qui se font construire de nouvelles capitales : ainsi Sennachrib (704-681) difie Ninive, o lon aretrouv une grande quantit de textes dans un ensemble de palais et de temples nomm bibliothquedAssourbanipal (du nom du roi qui rgne entre 668 et 327). Lempire assyrien seffondre la fin duVIIme sicle av. J.C. sous les assauts combins des Babyloniens et des Mdes.

    Cest donc au tour de Babylone de conqurir lAssyrie : cest le dbut de la dynastie chaldenne,fonde en 626 par Nabopolassar, qui prend Ninive en 612. Son fils, Nabuchodonosor II (604-562) estle Nabuchodonosor de la Bible, qui ravage deux fois le royaume de Juda (en 597 et 587) et dporte lapopulation de Jrusalem en Babylonie.

    En 539 av. J.C. la Babylonie est conquise par le Grand roi perse Cyrus (559-530) et la dynastiechaldenne prend fin. La Msopotamie, qui ne compte plus aucun Etat indpendant, devient alorsprovince de lempire perse.

    Lcriture cuniforme et la transmission des anciennes langues se prolongent encore mais dclinentpeu peu jusqu disparatre au Ier sicle de notre re. Notons que lon retrouve des mentions demythes msopotamiens, et mme de noms sumriens, chez certains rudits des derniers sicles avantJ.C. qui crivent en grec, comme Brose au IVme sicle av. J.C.

    II. Dieux et mythes de Msopotamie

    Il faut garder lesprit que les mythes msopotamiens tels quils nous sont parvenus sont le rsultatde la mise par crit de rcits initialement perptus par une tradition orale : mme si tous ne sont pasdes uvres littraires de lampleur de lpope de la cration babylonienne ou de lpope deGilgame par exemple, ce sont tous des textes ayant subi une certaine composition. Il faut doncprendre un peu de distance pour avoir une ide de ce que ces rcits pouvaient tre dans la traditionorale ide qui reste trs vague. Mais de nombreux procds du rcit, par exemple la rptition de

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 4 sur 25

    tournures formulaires ( Untel ouvrit la bouche et dit avant un discours) et dpisodes ou de discoursentiers (bien plus souvent que chez Homre) sont autant dindices de la tradition orale antrieure.

    On a retrouv plus dune cinquantaine de textes littraires contenu mythologique, rassembls,traduits et comments par J. Bottro et S.N. Kramer dans Lorsque les dieux faisaient lhomme, lexception notamment de ce qui concerne Gilgame , que Bottro a traduit part en tant qu uvrelittraire part entire. Ces rcits sont toujours fragmentaires et, bien entendu, ne forment pas unensemble cohrent puisquil y a diffrentes versions ou variantes dans les rcits, les gnalogiesdivines, etc. ; ils font parfois allusion des rcits qui nont pas (encore) du tout t retrouvs. Do ladifficult dapprhender clairement cette mythologie.

    Plusieurs grandes figures et certaines constantes se dgagent tout de mme de ces rcits : on va lesprsenter ici brivement.

    La religion msopotamienne est non seulement polythiste, mais connat des dieux trs nombreux. Ilest difficile de connatre leur nombre exact, car ce nest pas toujours simple de savoir si un nom ou unqualificatif reprsente un dieu encore inconnu ou ne fait que qualifier un dieu dj connu. On endistingue tout de mme plus dune centaine (six cents selon un classement opr par lloge du dieuMarduk nombre typique du systme sexagsimal employ par les Msopotamiens). Les cits-tats deMsopotamie, ds le troisime millnaire, semblent stre accordes autour dun panthon commun,complt pour chacune par un panthon local. Les dieux taient hirarchiss selon le modle dupouvoir royal (notamment distinction entre Anunnaku, grands dieux, et Igigi, petits dieux, cfgense babylonienne). Le dieu exerant le pouvoir suprme tait Enlil, dont le sanctuaire se trouvait Nippur, capitale religieuse (mais non politique) du pays.

    Il semble quavec le temps la religion msopotamienne se soit concentre autour dun plus petitnombre de grandes figures divines, au fur et mesure que les grands dieux absorbaient en eux lesprrogatives de multiples divinits moins importantes et dveloppaient une personnalit propre. Aucours de la seconde moiti du IIme millnaire, lorsque Babylone prend de limportance, on assiste une concentration plus grande encore autour dun seul dieu nouveau, Marduk (prsent comme unesorte de successeur spirituel dEnki, notamment dans son rle dans la cration des hommes) : ce nestpas encore du monothisme, mais tous les pouvoirs suprmes sont rassembls entre les mains dunseul dieu.

    Les noms des dieux sont donns ainsi : nom sumrien / nom akkadien.

    La grande triade divine : An/Anu, Enlil, Enki/Ea

    Ce sont les trois principaux dieux du panthon msopotamien, reconnus comme dieux suprmes parles cits-Etats, et toujours cits dans cet ordre, par ordre dimportance dcroissante. Mais cetteimportance ne recoupe pas leur rle dans les mythes : ainsi Enki, moins suprme que An et Enlil,au moins au dpart, joue un rle considrable dans toutes sortes de circonstances, quon fasse appel lui en cas de crise grave, ou quil prenne linitiative dintervenir (comme on le verra pour lpisode duDluge).

    An/Anu est le dieu de lEn-Haut. Cest le premier dieu gouverner lunivers, le fondateur de lordrecosmique, mais dans la plupart des rcits il est prsent comme plus ou moins retir , laissant lepouvoir son fils Enlil. Son sanctuaire principal se trouvait Uruk.

    Enlil exerce le pouvoir proprement dit. Il est li au ciel et lair (son nom signifie Seigneur-Air et il possde une divinit pardre1 fminine, Ninlil, Dame-Air ). Enlil est le chef suprme des dieux,il possde un statut un peu comparable celui de Zeus. Mais la comparaison sarrte l : Enlil nestpas le plus fort des dieux, et il est loin dtre le plus sage ou le plus rus. Plusieurs mythes lui donnentun rle tonnamment rduit dans les crises graves qui frappent lunivers, voire lui prtent une attitudemaladroite ou brutale. Le sanctuaire principal dEnlil est lE ume a, Nippur.

    Enki/Ea est le dieu intelligent et rus par excellence. Il exerce la fonction technique du pouvoir (Bottro) : cest lIngnieux, cest toujours lui quon finit par avoir recours en cas de crise, cesttoujours lui qui trouve la ruse, la solution pour rsoudre tous les problmes. Dans la grande gensebabylonienne, cest lui qui faonne lhomme dans de largile fournie par le sacrifice dun dieu (W, lesprit ). Il est souvent appel Nudmmud, celui dont laffaire est de fabriquer et de produire , et

    1 De faon gnrale, une divinit pardre est une divinit frquemment associe une autre. En loccurrence, Enlil et Ninlilforment un vritable couple roi/reine, comparable au couple Zeus/Hra.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 5 sur 25

    a le rle du dieu civilisateur par excellence, donn dans certaines versions (cf 11, Inanna et Enki)comme linventeur des Pouvoirs, (en sumrien me , difficile traduire : la fois essence , secret divin sur la nature des choses et facult ) symboles de puissance divine reprsentantapparemment divers aspects de la vie civilise concrtiss sous laspect de bijoux ou de talismansqui augmentent la puissance dun dieu lorsquils lui sont accords par un autre dieu. Enki/Ea avait unsanctuaire important Eridu.

    Dans la gographie mythique du monde, An et Enlil rsident dans le palais des dieux clestes, Anplus haut quEnlil, tandis quEnki, mme sil se dplace frquemment chez les dieux den-haut,possde une rsidence spare, lAps, qui est la nappe deau douce souterraine sur laquelle flotte ledisque de la terre o vivent les hommes (lEnfer se trouve encore plus bas). Au dieu Enki sontgalement associs les Apkallu, les Sept Sages, des trs-experts originaires de lAps, ayant laforme de poissons dots dune seconde tte visage humain (cf 8, Brose, IVme sicle av. J.C .) etquEnki utilise comme intermdiaires pour apporter la civilisation aux hommes.

    Autres grands dieux intervenant dans les mythes

    Utu/ ama est le dieu du Soleil. Cest le protecteur de Gilgame dans lpope qui lui est consacre.Nanna/Suen, nomm aussi Sn/A imbabbar, est le dieu de la Lune (galement masculin), ador

    notamment Ur.Ere kigal est la reine de lEnfer, qui est dcrit dans les mythes comme une ville souterraine entoure

    de murailles infranchissables. Son dieu pardre est appel Gugalanna ou Nergal.Inanna/I tar est la fois une desse de la guerre, qualifie de Gu a, danseuse , et la desse de

    lamour libre, la sduction et lamour physique ; cest la desse qui na pas damant durable nidenfant (par opposition aux femmes maries et aux mres). Elle est vite associe notre planteVnus. Plusieurs mythes fameux la mettent en scne, ainsi que le seul personnage qui peut apparatrecomme son amant , Dumuzi/Tammuz, humain (il a une s ur, Ge tinanna) ; lorsquInanna descendhardiment aux Enfers et y est retenue prisonnire par Ere kigal, Enki la fait librer, mais Inanna doittrouver quelquun pour y prendre sa place, et ce remplaant sera finalement Dumuzi. Dans lEpopede Gilgame , Inanna (en loccurrence sous son nom akkadien, I tar) tente vainement de sduireGilgame (au dbut de la tablette VI de la version ninivite) pour en faire son amant, mais Gilgame ,mfiant, lui rappelle le sort de ses infortuns prdecesseurs, Tammuz compris. Inanna possdait unsanctuaire Uruk, dans le quartier dUruk-Kulaba.

    Ninurta, dont le nom signifie seigneur de la terre cultivable , est la fois un dieu de lagriculture,auquel est attribue entre autres la mise en place de lirrigation, et aussi et surtout un dieu guerrierdune puissance terrible. Les mythes le mettent en scne dans des affrontements contre des ennemis oudes monstres quil combat avec laide de arur, une arme peu peu doue par le mythe dunepersonnalit propre, au point quelle est la fois larme de Ninurta, son claireur et messager, et legnral de ses troupes. Un long rcit pique, le Lugal.e2, Ninurta et les Pierres , raconte sa victoiresur le peuple de la Montagne, peuple compos de sortes de Pierres vivantes, qui dbouche sur uneclassification des pierres, qui se voient attribuer un usage plus ou moins noble ou ingrat selon le rlejou dans la bataille. Il semble avoir vaincu par ailleurs une douzaine de monstres ; le seul dont lemythe ait t retrouv est Anz, laspect doiseau gant et de nue dorage, qui avait drob Enlilla Tablette-aux-Destins (cf Lorsque les dieux 22 B p. 393, Enlil dpossd de la Tablette pendantquil prend son bain). Un autre mythe voit Ninurta, lui-mme tent de semparer du pouvoir souverainsur les dieux, ridiculis et vaincu par une simple tortue (23) envoye par Enki.

    On verra, loccasion du rcit du Dluge quelle comporte, le dtail de lEpope de Gilgame , dontle hros nest pas un dieu mais un mortel, mme sil est aux deux tiers divin et bnficie de laprotection de ama .

    2 Certains pomes msopotamiens sont dsigns par leurs incipits : Lugal.e ( Roi ) est le premier mot du pome. Demme, le pome dAtraHass, la grande gense babylonienne, que lon retrouvera plus tard, est souvent appel l Enuma.eli ( Lorsque l-haut ). Le point entre deux syllabes nest l que pour souligner la composition du mot enakkadien.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 6 sur 25

    III. Les rcits msopotamiens du Dluge

    On en trouve plusieurs, dampleur trs ingale : soit de simples allusions, soit des pisodes entiersinclus dans des pomes de grande ampleur, soit de petits rcits ou des rsums dauteurs ultrieurs.

    La liste des souverains de Laga

    La liste des souverains de Laga a t compose en sumrien (v. 1800-1700) pour quilibrer laListe sumrienne des rois, qui excluait dlibremment Laga . Elle fait allusion au Dluge au dbut,une faon de raccrocher le temps mythique au temps historique, puis explique les origines delagriculture, donne aux hommes par les dieux aprs le Dluge. => Lorsque les dieux p.521 :

    Quand le Dluge eut tout emportEt provoqu la ruine de la terre,La permanence des hommes demeurait cependant assure,Et prserve leur descendance :Les ttes-noires3 pouvaient resurgir de leur argile.Mais lorsque An et EnlilEurent derechef appel les hommes lexistence,Sils institurent le Gouvernement,La royaut, joyau des cits,Ils ne la firent pas encore descendre ici-bas !Pour la foule des successeurs de lhumanit disparue, ils ne mirent pas davantage en place,De par ( ?) Ningirsu, bche ni Houe,Ni Couffin, ni Charrue, qui animent la terre !En ce temps-l, les hommes en avaient pour cent ans ;Et lorsque arrivait leur ge avanc,Ils en avaient encore pour cent ans !Mais, faute de pouvoir sacquitter des travaux ncessaires,Leur nombre diminua, diminua beaucoup [],Et, dans les bergeries, le Menu-btail dprit !Survient alors la scheresse, puis la famine ; et les dieux donnent aux hommes lagriculture pour leur

    permettre de survivre.Un dtail intressant est la longue dure de vie des hommes mme aprs le Dluge (ils vivent deux

    fois 100 ans, dtail diffrent de la version expose dans le pome dAtraHass). Ils se rvlentnanmoins incapables de travailler correctement sans lagriculture.

    La grande gense babylonienne : AtraHass le Supersage

    Le pome dAtraHass le Supersage est la grande gense babylonienne qui a t compose enakkadien (plus vieux manuscrit copi par Kasap-Aya sous le rgne dAmmi-sadqa, quatrimesuccesseur de Hammurabi, 1646-1626, donc probablement compos un sicle avant, au XVIIImesicle av. J.C.). Elle raconte non pas la cration du monde ou des dieux mais la cration de lhomme,puis le Dluge. Elle commence ainsi :

    Lorsque les dieux faisaient lhomme,Ils taient de corve et besognaient :Considrable tait leur besogne,Leur corve lourde, infini leur labeur.Car les grands Anunnaku, aux Igigu,Imposaient une corve septuple !

    Il y a division hirarchique entre les grands dieux, Anunnaku, et les dieux serviteurs, Igigu, quijouent vis--vis des Anunnaku le mme rle que les hommes joueront plus tard vis--vis de tous lesdieux : cultiver la terre pour les nourrir et accomplir toutes sortes de corves pnibles leur service.Les Igigu finissent par se lasser et protestent contre leur statut pnible. Ils se rendent au palais dEnlil

    3 Ttes-noires : expression courante pour dsigner les mortels dans les rcits mythologiques msopotamiens.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 7 sur 25

    pour le tirer de chez lui . Averti par son page Nuska, Enlil est terroris, il se barricade. LesAnunnaku tiennent un conseil de guerre, en prsence dAnu et dEnki. Nuska est charg de ngocieravec les Igigu, qui se plaignent de la duret de leur tche. Anu, puis Enki, prennent la dfense desIgigu. Enki propose alors que Blet-il, la Matrice, appele aussi Mammi, sage-femme des dieux, ouencore Nintu (cest la desse-mre que lon associait date ancienne aux trois dieux suprmes)produise lHomme pour assurer la corve des dieux. Enki immolera un dieu et mlangera sa chair etson sang largile de la fabrication, partir duquel Mammi produira lhomme (ce mlange dieu/argileexplique lexistence dune me qui survit la mort). On immole le dieu W, esprit , pour cela.Lopration russit, les Igigu sont librs de leur corve, les dieux sont de loisir .

    Mais les hommes, au dpart immortels, se multiplient et leur vacarme sur terre empche Enlil dedormir ! => Lorsque les dieux p. 541 :

    Douze cents ans [ne staient pas couls][Que le territoire se trouva largi] et la population multiplie.[Comme un taur]eau, le pa[y]s tant donna de la voixQue le dieu-souverain fut incommod [par le tapage]. La rumeur des humains [est devenue trop forte] :Je narrive plus dormir, [avec ce tapa]ge ![Commandez donc] que leur vienne lpidmie(la suite immdiate est perdue)Enlil a recours une solution assez brutale, des flaux divers, qui mneront finalement au Dluge. Le

    Dluge nest donc que la dernire et la plus dvastatrice dune srie de catastrophes. Enlil lancedabord lEpidmie. Mais sur terre, AtraHass, le Supersage , particulirement attach Enki, luidemande conseil, apprend chaque fois la solution pour faire cesser le flau, la met en pratique : le flaucesse, et les hommes se multiplient de nouveau. Cela fonctionne pour lEpidmie et de mme pour lesecond flau, la Scheresse. Enlil renforce alors la Scheresse en demandant leur collaboration tousles dieux, mais Enki, semble-t-il, trouve le moyen de la diminuer de nouveau ; Enlil le lui reproche,rappelle ses premires mesures vaines devant lassemble des dieux ; Enki se prend rire, donouveaux reproches dEnlil, qui dcide de recourir un cataclysme radical, le Dluge. Enki syoppose, rappelant le service quil a rendu aux dieux en crant lhomme et dfendant sa cration. Ilrefuse de prter le serment dacceptation du Dluge demand tous les dieux par Enlil. Mais ladcision est tout de mme prise. => Lorsque les dieux p.547-548, Enki soppose au Dluge :

    [ Ainsi vous ai-je dbarrasss de votre lourde corve, ][En imposant] votre beso[gne aux hommes],Vous [leur] avez alors [conc]d la rumeur (du pullulement),Aprs leur avoir mme immol [un dieu] (pour leur accorder) de l es[prit] ;Et maintenant, [en s]ance, vous comm[anderiez][Leur limination (?)] ?Vous vous laisseriez aller dc[ider]Leur retour au n[ant] ?Faisons prter serment (!) en ce sens (, avez-vous rsolu,)A Enki-le-prince (?) ! Et Enki, rouv[rant] la bouche,Sadressa (derechef) aux di[eux, ses frres] : Pourquoi voulez-vous me lier dun serment ?Puis-je porter la main contre [mes] cr[atures] ?Et ce Dluge dont vous par[lez],Quest-ce que cest ? Je [lignore] !Est-ce moi de [le] produire ?Non ! Cest l loffice [dEnlil] !Quil dcide, lui, [et commande] :Et alors, que ullat et [Hani ]Partent [en tte] (du cortge fatal) ;Que Ner[gal arrache] les tais des vannes clestes ;Que [Ninurta] sen ailleFaire dbord[er les barrages den-haut] !

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 8 sur 25

    Enki envoie un songe prmonitoire AtraHass, qui lui en demande linterprtation. Enki, qui a sansdoute t contraint de prter serment entre temps, lui rpond indirectement en sadressant unepalissade et lui commande de construire un bateau pour chapper au Dluge. => Lorsque les dieuxp.548-50 :

    [Supersage] ouvrit (encore) la bouche[Et sadressa] son seigneur : Explique-moi le sens [de ce rve],Que jen comprenne [la porte] et saisisse les consquences ! Et [Enki], ayant ouvert la bouche,Sadressa son serviteur : Tu veux comprendre [ce songe], dis-tu.Eh bien ! retiens exactementLe message que je te dlivre : Paroi ! Ecoute-moi bien !Retiens tout ce que je dis, palissade !Jette bas ta maison, pour te construire un bateau !Dtourne toi de tes biens,Pour te sauver la vie !Le bateau que tu dois construire[] quilatral []Toiture-le, pour que, comme (de) lAps,Le soleil nen voie pas lintrieur !Il sera clos de tous cts,Et son quipement devra tre solide,Son calfatage pais et rsistant !Aprs, je te ferai pleuvoirOiseaux profusion et poissons par corbeilles ! Enki ouvrit alors et remplit la clepsydre,La rglant pour larrive du Dluge, sept jour aprs !Quand Supersage eut reu ces instructions,Il runit devant lui les AnciensEt, ayant ouvert la bouche,Il sadressa eux : Mon dieu nest [plus daccord] avec le vtre :Enki et [Enlil] sont fchs !Ce qui moblige quitter [votre ville (?)],Puisque je suis dv[ot dEnki] !Ainsi en a-t-il dc[id] :Je [ne] resterai donc plus en [votre cit],Je ne ga[rderai plus les pieds] [sur] le territoire dEnlil,Mais je [] avec les dieux, et [] ![Ainsi] en a-t-il dcid !(La suite immdiate est perdue)Commencent alors les prparatifs et la construction du navire de Supersage, dans une partie du texte

    trs mutile :Les Anciens []Les charpent[iers avec leurs doloires],Les roseleu[rs munis de leurs mailloches-de-pierre],[Les plus petits apportaient] le bitume,Les plus pauvres [le fourniment](Une quinzaine de lignes trop mutiles pour tre intelligibles)Tout ce quil avait [dor],Tout ce quil avait [dargent] ;[Les animaux] purs (?) []Les plus gras (?) [],

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 9 sur 25

    Il les attrapa et les emba[rqua].[Oiseaux] emplums du ciel,Troupeaux []Best[ioles] de la steppe :[Tous,] il les embar[qua].Et, [] quand la lune [dispa]rut (?),Il invita ses gens un banquet [],[],Aprs avoir embarqu sa famille.[On mang]ea donc copieusement[Et lon b]ut dabondance.Lui, cependant, ne faisait quentrer et sortir,Sans jamais sasseoir, ni mme saccroupir,Tant il tait dsespr et nauseux.Survient alors le Dluge, sous la forme dune gigantesque inondation :Puis le temps changea daspectEt Adad retentit dans les nues :Sitt que sentendit le grondement du dieu,On apporta du bitume, pour obturer lcoutille,Et, peine fut-elle close,Adad de tonner dans les nues,Tandis quun vent furieux, du premier coup,Rompait les amarres et librait le bateau.Quelques lignes perdues. Le Dluge se dchane. Les dieux eux-mmes sont effrays par le

    spectacle, particulirement Enki et Nintu/Mammi, la desse-mre, crateurs de lhumanit.[] la tempte[] attels (?) [].[Anz labourait] le ciel[De] ses [se]rres.[La tempte frappait] la terre,Interrompant sa rumeur [comme (lon brise) un pot] !Et, le Dluge [dchan],LAnathme passa [comme la guer]re sur les hommes !Personne [ne] voyait plus personne :[Nul n]tait discernable dans ce carnage ![Le Dl]uge mugissait comme un taureau,Et, [comme] un aigle [qui gl]atit,Le vent [hurlait].[Profondes] taient les tnbres, le soleil ayant disparu.[Les gens (?) mouraient (?)] comme des mouches.[][] le fracas du [Dl]ugeEpouvantait (?) mme les dieux.E[nki] tait hors du sens,[A voir (?)] ses enfants emports[So]us ses yeux ![Nin]tu, la grande Dame,Trahissait [son h]orreur de ses lvres,Tandis que les Anunnaku, les grands-dieux,[Demeura]ient l, anantis de faim et de soif.A ce spectacle, la desse clata en sanglots,La sage-femme divine, Ma[mmi]-lexperte : Disparaisse ce jour (criait-elle),Puisse-t-il retourner aux tnbres !Mais moi, dans lassemble des di[eux],Comment ai-je pu, avec eux,

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 10 sur 25

    Prendre une telle dcision finale ?Enlil, par son discours aussi habileQue celui de la Tiruru fameuse,A rendu vaines mes paroles !Cest pourtant bien moi, en personne,Qui avais peru lappel des hommes au secours :Sans que jy pusse rien, ma prognitureEst devenue comme mouches abattues !Comment rester encore ici,Mes cris touffs, dans cet habitacle en deuil ?Je vais monter au ciel,Pour ne point demeurerEn cette rsidence funeste (?).Cest l-haut que cest rendu Anu, notre chef (?),Et les dieux, ses enfants, qui ont ou son appel,Aprs avoir, inconsidrment, dcid le DlugeEt vou les humains cette hc[atombe] ! Quelques lignes perdues, puis Nintu poursuit ses lamentations sur les hommes.Davoir pleur lui apaisa le c ur !Ainsi Nintu gmissait-elle,Exhalant (?) son moi (?),Et les dieux, avec elle, dploraient la terre.Sole de dsespoir,La desse avait soif de bire :L o elle restait, en pleurs,Ils se tenaient aussi, pareils des moutonsSerrs autour de labreuvoir,Leurs lvres dessches dangoisse,Et titubant dinanition.Sept jours et sept nu[its]Se poursuivirent bourrasques, pluie battante et [Dluge]L o []Fut abattu [](La suite immdiate est inintelligible.)Puis le Dluge cesse. AtraHass finit par dbarquer et offre un sacrifice aux dieux, qui sattroupent

    aussitt, attirs par la bonne odeur (Lorsque les dieux p.552) :[Il dispersa] aux quatre-vents [tout ce que portait le bateau],Puis servit [un repas-sacrificiel (?)]Pour subvenir la nourriture des dieux,[Et il leur fit une fumigation orodante. (?)][Humant] la bonne odeur, [les di]euxSattrouprent autour du banquet, [comme des mouc]hes !Mais Nintu clate en reproches contre les dieux qui ont demand le Dluge pour exterminer tous les

    hommes, et prennent pourtant part au festin donn par le seul homme survivant : Do nous arrive Anu, notre chef ?Et Enlil ? Il a donc particip au banquet,Lui qui, inconsidrment, avait dcid le DlugeEt vou les hommes cette hcatombe,Tandis que vous autres preniez avec lui une pareille dcision finale ?A prsent, les visages des hommes ont disparu dans les tnbres ! Enlil se rend compte quil a t jou encore une fois et il est furieux. Enki se dfend, et propose alors

    dimposer aux hommes la mort et de frapper certaines femmes de strilit, afin viter toute futuresurpopulation. Lorsque les dieux p.554 :

    divine [Ma]trice, [toi] qui arrtes les destins,Impose donc aux hommes la mort[]

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 11 sur 25

    En sus, triple (?) loi appliquer aux hommes ;Chez eux, outre les femmes fcondes, il y aura des infcondes ;Chez eux svira la Dmone-teigneuse,Pour ravir les bbsAux genoux de leurs mres ;Institue-leur pareillement des femmes-consacres : ugbabtu, entu et igistu,Avec leur interdit particulierPour leur dfendre dtre mres !

    Une autre description du Dluge figure dans le fragment 5.a, lecture p.562 :Alors, louragan cassure frache4 entrana la temp[te].Adad, aux quatre-vents, chevauchait ses Mulets :Vent-du-Nord, vent-du-Sud, vent-de-lEst, vent-de-lOuest !Bourrasques, aquilons et rafales soufflaient.Vent-mauvais et les autres se rurent cassure frache dauprs de lui bondit vend-du-SudEt siffla vent-de-lOuest.[] allait []Le Chariot des dieux [][Sac]cagea, flagella, laboura [la terre (?)].Ninurta [sava]nait, [laissant dborder] les barrages clestes.Nergal arrachait les [tais des vannes den-haut].De ses serres, [An]z lac[rait] le ciel.[] le pays : il en bri[sa] lentrain (?) comme un pot !Et le Dluge apparut []LAnathme passa sur les hommes [comme une guerre] !Anu [] le fracas du Dluge[] faisait trembler mme les dieux.A son commandement, ses enfants lui furent amens[] tout son sol.(La suite a disparu.)

    Cette autre description du Dluge, qui donne une prsentation lgrement diffrente du mme rcit,mentionne entre autres lors du Dluge lintervention dAnz, loiseau gant affront par Ninurta, etdont les descriptions montrent le pouvoir li la tempte. Cf par exemple Lorsque les dieux 22 B I48 II 4, p.399, lorsque Ninurta dfie Anz :Lorsque Anz entendit ces mots,De sa Montagne il lana une clameur sauvage !Les tnbres rgnaient : la Montagne stait voil la face,Et ama , divine lumire, stait obscurci.[Le Tonnerre (?)] grondait puissamment, en mme temps quAnz !Ds les premires escarmouches, sur le point de la mle, sabattit un Dluge !De la cuirasse dAnz le poitrail tait ensanglant (?) !Depuis les nues, il pleuvait de la mort,Il fulgurait des flches !

    [ (?)] : entre eux le combat faisait rageNotons que, comme le montre le contexte, il ne faut pas prendre ici au pied de la lettre le Dluge

    que lance Anz contre Ninurta : le terme semble avoir t parfois employ par hyperbole dans lesaffrontements piques, au sens de pluie de coups ou d normes dgts (cf aussi, dans lEnumaeli , tablette IV v. 48-51, la lutte de Mardouk contre larme monstrueuse de Tiamat, o Dluge estlune des armes de Mardouk : Lorsque les dieux p.627 : Puis le Seigneur leva Dluge, sa Grand-Arme, / Et monta le terrifique Char Tempte Irrpressible , description fortement inspire par lesrcits dexploits guerriers de Ninurta comme le Lugal.e ou encore lAn.gim, avec son impressionnantcatalogue darmes, cf Lorsque les dieux p. 382-383)

    4 Le scribe signale une cassure sur la tablette quil recopie.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 12 sur 25

    Les fragments j et k donnent des descriptions du navire du Supersage comportant davantage dedtails sur sa construction et sur lembarquement. Lorsque les dieux p.562-63, Enki donne sesindications Supersage :

    Extrait du fragment j : Construis un grand bateau []Dont la structure devra tre de roseaux excellents :Ce sera un vaisseau, appel Sauve-vie !Toiture-le solidement. [Dans ce bateau], quand tu lauras construit,[Embarque] animaux sauvages, oiseaux du ciel !Entasses-y [] (La suite est perdue)Fragment k : [] comme un cercle.Du haut en bas, [le calfat] en doit tre pais.[] toupes-en hermtiquement [la carne (?),Puis attends] le moment que je [t]indiquerai.Alors entre [dans le bateau], et tires-en lcou[tille],Aprs y avoir [charg] ton froment, tes biens, [tes] richesses,T[a] femme, ta famille, ta parentle, tes techni[ciens],[Des animaux] sauvages, grands et petits : tout ce qui se repat de verdure,[Et que je ten]verrai : ils tattendront devant chez toi ! [Super]sage, ayant alors ouvert la bouche, prit la parole[Et sadr]essa a, son seigneur : Mais je nai [jama]is construit de bateau [ (?)] !Dessine-men lpure sur [le so]l,Et, quand je laurai vue, je saurai le [construire] ! []a dessina donc [lpure] par terre : [Je ferai] tout ce que tu mas command, monseigneur ! Cette prcision de dtail, notamment les dtails techniques de llaboration et de la construction du

    navire, se retrouvent plus tard dans le rcit du Dluge dUtanapi t la fin de Lpope de Gilgame(voir plus loin).

    Deux autres rcits du Dluge

    On a retrouv aussi un rcit du Dluge en sumrien, o le Supersage porte le nom de Zi.u.sud.r : Vie-de-jours-prolongs . Le schma global du rcit est peu prs le mme ; on y voit Enki, unmoment donn des flaux successifs, aider les hommes en leur apportant le Pouvoir royal et descapitales politiques. Puis, aprs un passage perdu, le Dluge menace, la grande inquitude de Nintuet dEnki, malgr tout contraints dobir par un serment, comme tous les autres dieux. => Lorsque lesdieux p. 566 :

    Or, en ce temps-l, Ziusudra, le roi, dvot []Et qui avait difi [].Humblement et en termes choisis [implorait Enki (?)],[Devant lequel (?)] il se tenait, longueur de journe,Remmorant et racontant ses rves [],Et adjurant tous les dieux.Dans le sanctuaire (?), le dieu [] une paroi.Et Ziusudra entendit, tout prs de lui,Tandis quil se tenait contre la paroi, sa gauche [] : Paroi, je vais te parler ! Ecoute mes paroles ![Prte loreille] mes instructions !Le Dluge [va anantir] les agglomrations et recouvrir leur capitale,Pour dtruire la race humaine : [Ainsi en a-t-il t dcid],Dcision ratifie par lassemble et irrvocable !Ordre port par Anu et Enlil, et [inaltrable] :Le Royaume des Hommes [sera dtruit].

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 13 sur 25

    La suite immdiate est perdue ; le texte reprend au moment de larrive du Dluge :Coups de vents et tempte se prcipitaient,Tandis que le Dluge engloutissait la capitale.Et lorsque, aprs sept jours et sept nuits,Le Dluge eut recouvert le pays,Et que le bateau eut t ballott par les vents sur les eaux,Utu rapparut, illuminant ciel et terre !Ziusudra pratiqua alors dans le bateau une ouverture,Par laquelle Utu-le-preux en claira tout lintrieur,Et Ziusudra, le roi,Se prosterna devant Utu,Et sacrifia, foison, b ufs et moutonsLe texte reprend aprs le Dluge, au moment o Enlil, furieux davoir t jou par Enki, lui adresse

    des reproches. Malgr tout, Enki fit de nouveau sortir de terre les tres-vivants (?) , et ainsirapparatre lhumanit. Apparat alors un dtail jusque l absent des textes retrouvs : Ziusudra sevoit accorder limmortalit, dtail qui prendra toute son importance une fois repris et intgr lpope de Gilgame . Lorsque les dieux p.567 :

    Cependant, Ziusudra, le roi,Stant prostern devant An et Enlil,Ceux-ci le prirent en affection.Aussi lui accordrent-ils une vie comparable celle des dieux :Un souffle-de-vie immortel, comme celui des dieux !Voil comment le roi Ziusudra,Qui avait prserv animaux et race humaine,Ils linstallrent en une contre transmarine :A Dilmun, l o se lve le soleil.[](Les dernires lignes sont perdues.)En outre, Ziusudra part vivre lcart du reste de la nouvelle humanit, dans un pays lointain,

    Dilmun, l o se lve le soleil . Dans son Epope, Gilgame devra accomplir un long voyage pourparvenir dans ce pays du bout du monde. Et on retrouve cette mention de la mise lcart dusurvivant du Dluge voire du survivant et de ses compagnons dans les deux rsums conservs durcit du Dluge par Brose (voir plus loin).

    On a retrouv galement un rcit du Dluge Ras Shamra, lancienne Ougarit, mais il est en trsmauvais tat et napporte apparemment pas de nouvel lment ou de variante aux autres sources.

    Le rcit du Dluge dans lEpope de Gilgame

    Ce rcit du Dluge comme norme inondation, la prsence dun survivant unique dou dune grandesagesse par sa proximit envers les dieux et le recours un navire, lequel survivant se voit accorderlimmortalit, se retrouve, avec peu de diffrences, dans lEpope de Gilgame .

    Gilgame nest pas un dieu mais un homme, fils de Lugalbanda et de Ninsuna (dans la versionninivite de lEpope), un roi dUruk qui aurait rgn quelques sicles aprs le Dluge. Sil a vraimentexist (ce qui reste encore improuv) il a t trs vite lobjet dune lgende et presque divinis, celaprs quil tait mortel, bien qu aux deux tiers dieu . Gilgame apparat dune part dans cinq rcitsen sumrien (IIme mill. ?), dautre part dans un long pome en onze tablettes et en akkadien,lEpope de Gilgame , connue surtout par sa version babylonienne, dite ninivite, retrouve sur desmanuscrits du Ier millnaire.

    Lun des rcits en sumrien relate la mort de Gilgame sur 300 vers mal conservs. Gilgame estmalade, il va mourir ; en rve, il se prsente devant la grande assemble des dieux ; les dieux luirappellent ses aventures, dont son voyage jusque chez le survivant du Dluge, premire mention dupersonnage en lien avec Gilgame . Les dieux expliquent Gilgame que ses exploits lui ont valu dedevenir, aprs sa mort, le grand juge des trpasss , une forme de consolation aprs lchec de saqute dimmortalit.

    Mais le rcit principal de ce voyage se trouve dans lEpope elle-mme.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 14 sur 25

    Tablette I - LEpope commence par la rivalit, puis lamiti, entre Gilgame , roi dUruk, etEnkidu, rival suscit contre lui par les dieux pour le forcer en rabattre un peu de ses excs depouvoir. Enkidu grandit seul dans la steppe en compagnie des animaux sauvages. Il est dcouvert parun Chasseur qui, effray, va trouver Gilgame ; celui-ci lui conseille de sparer Enkidu de sa harde enamenant prs de lui la Courtisane Lajoyeuse dont les attraits lattireront ; une fois Enkidu uni cettefemme, sa harde lui deviendra hostile. Le Chasseur obit, le pige fonctionne, Enkidu se laissesduire ; ayant pass six jours et sept nuits faire lamour avec la Courtisane, il sen trouveaffaibli, mais dcouvre lintelligence. Il discute avec la Courtisane, qui lemmne Uruk. Enkidu veutmontrer sa supriorit sur Gilgame ; la Courtisane lui promet quils deviendront amis, en luirapportant deux rves raconts par Gilgame Ninsuna sa mre (la mre de Gilgame ).

    II - Sur le chemin, Enkidu se civilise un peu. Arriv Uruk, il ose barrer la route Gilgame ,apparemment pour une affaire de droit de cuissage. Ils se battent ; on ne sait pas comment le combatfinit, mais ils finissent par faire un pacte damiti devant la mre de Gilgame . Gilgame entreprendalors daller dans la Fort des Cdres pour affronter le terrible Huwawa/Humbaba, et finit parconvaincre Enkidu, au dpart effray. Les Anciens, prvenus par Enkidu, mettent en garde Gilgame ,mais les deux amis se mettent en route.

    III - Prparatifs du voyage, prire au dieu soleil. Ninsuna confie Gilgame Enkidu.IV - Le voyage, en six tapes, dont chacune est marque par un songe prmonitoire de Gilgame ,

    quEnkidu interprte favorablement. Arrivant prs de la Fort, Gilgame appelle ama son aide.Parmi les arbres rsonne le cri de Humbaba. Gilgame encourage Enkidu et les deux amis pntrentdans la fort.

    V - Dfi et combat de Gilgame et dEnkidu contre Humbaba, avec laide de ama . Gilgame estvictorieux ; malgr les suppliques de Humbaba, Enkidu pousse Gilgame achever le vaincu, bien queles dieux ne veuillent pas sa mort. Les deux amis coupent les Cdres de la Fort et les rapportent Uruk.

    VI - tar, sduite par Gilgame et ses exploits, tente de le sduire, mais il la repousse en luirappelant le sort de ses amants, tous malheureux. I tar, furieuse, va rclamer Anu de crer contreGilgame le Taureau-cleste. Enkidu tente vainement de vaincre le Taureau par la force puis suggreune tactique Gilgame ; ils parviennent ensemble tuer le monstre. I tar est furieuse, mais Enkidulinsulte. Les deux hros offrent les dpouilles du Taureau aux dieux et triomphent.

    VII - Un rve prmonitoire dEnkidu lui montre quil va bientt mourir. Enkidu tombe malade.Lamentations dEnkidu. Il finit par mourir devant Gilgame impuissant.

    VIII - Lamentations et dsespoir de Gilgame . Deuil et funrailles dEnkidu.IX Gilgame , boulevers par la mort de son ami, refuse de devoir subir le mme sort. Il dcide

    alors daller trouver Utanapi ti ( Jai trouv ma vie ), le hros du Dluge, qui a obtenulimmortalit. Il voyage jusquaux Monts-Jumeaux, loin lorient, vers lentre du long tunnel noirpar o passe le soleil pour venir clairer le monde. Rencontre avec le couple dHommes-scorpionsqui garde le passage ; ils lavertissent des difficults qui lattendent, mais le laissent finalement passer.Gilgame entame la longue traverse du tunnel obscur. Il parvient finalement jusquau Jardin desGemmes, o poussent des arbres de pierres prcieuses, et en admire les merveilles.

    X - Plus loin encore sur la plage, il rencontre la Tavernire. Dabord effraye devant son aspect, ellefinit par lui parler. Gilgame lui explique ce quil recherche. Elle lui indique le Nocher qui seul peutlui faire traverser la Mer et surtout lEau-mortelle qui la termine. Gilgame doit terroriser le Nocher,nomm Ur anabi, pour le dcider lui faire passer la Mer. Bien quayant massacr les Hommes-pierres censs faire avancer le navire sur lEau-mortelle, Gilgame peut encore effectuer la traverse,en prparant lavance cent vingt perches qui serviront de gaffes. Gilgame parvient finalement delautre ct et rencontre Utanapi t.

    XI - Celui-ci lui raconte donc le Dluge et les circonstances extraordinaires qui lui ont valu dedevenir immortel. => Lorsque les dieux p. 569- 575 (cf Lpope de Gilgame p. 183 pour uneautre traduction) :

    Uta-napi t expliqua donc Gilgame : Gilgame , je vais te rvler un mystre,Je vais te confier un secret des dieux !Tu connais la ville de uruppak,Sise [sur le bord] de lEuphrate,Vieille cit, et que les dieux hantaient.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 15 sur 25

    Cest l que prit aux grands-dieux lenvie de provoquer le Dluge :[Les instiga]teurs en taient Anu, leur pre ;Enlil-le-preux, leur souverain ;Leur prfet, Ninurta,Et Ennugi, leur contrematre.Or, bien quayant jur avec eux le secret, Ea-le-prince (?)Rpta leur propos la palissade dUta-napi t : Palissade ! palissade ! Paroi ! Paroi !Ecoute, palissade ! Rappelle-toi, paroi ! roi de uruppak, fils dUbar-Tutu,Dmolis ta maison pour te faire un bateau ;Renonce tes richesses pour te sauver la vie ;Dtourne-toi de tes biens pour te garder sain et sauf !Mais embarque avec toi des spcimens de tous tres-vivants !Le bateau que tu dois fabriquerSera une construction quilatrale :A largeur et longueur identiques.Tu le toitureras [com]me lAps ! Moi, lorsque jeus compris, je dis monseigneur a : Monseigneur, [lordre] que tu viens de me donner,[Je my ap]pliquerai et lexcuterai ![Mais comment] faire face ma ville : au peuple et aux anciens ? Alors Ea ouvrit la bouche, prit la paroleEt sadressa moi, son serviteur : [Hom]me ! Tu leur diras ceci : [Je cra]ins quEnlil ne mait pris en haine.Je ne resterai donc plus les pieds sur le territoire dEnlil,[Mais je des]cendrai en lAps demeurer auprs de monseigneur Ea.Alors, Enlil fera pleuvoir [sur] vous labondance :Oiseaux [ profusion] et poissons par corbeilles.[Il vous accorde]ra les moissons les plus riches.[Sur vous il fera choir, ds laurore], des petits-pains,Et des averses de grains-de-froment, [au crpuscule] ! [Au premier] point du jour,Tout le pays se rassembla [autour de moi] :[Les charpentiers] avec leurs doloi[res],[Les roseleurs m]unis de leurs maill[oches de pierre].[] les hommes [][] le secret.Les plus petits apportaient le bitume,Les plus pavures, le fourniment.Au bout de cinq jours, javais mont larmature du bateau :3600 (mtres carrs) pour sa superficie,60 (mtres) pour ses flancs,Et son primtre extrieur, carr sur 60 (mtres) de ct.Puis jen tablis et amnageai le cadre interne,Le plafonnant six reprises,Pour le subdiviser en sept tages,Dont je dcomposai le volume en neuf compartiments.Je plantai en ses flancs des chevilles lpreuve de leau (?).Puis je pourvus aux gaffes et mis larmement en place.Je jetai au creuset 10 800 (litres ?) dasphalte,Ce qui donna (?) autant de bitume.Les porte-baquets ayant charg (ces) 10 800 (litres ?) d( huile ),Dduction faite des 3600 ncessaires au calfatage,Le capitaine en mit donc 7200 en rserve.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 16 sur 25

    Pour les artisans, je fis abattre quantit de b ufs,Et sacrifiai chaque jour des moutons :Cervoise, bire fine, huile et vin,Ces mmes ouvriers en consommrent autant queau de rivire !On fit enfin une fte comme pour lAktu,Et moi, [au coucher du soleil, je fis] toilette.[Le soir du septim]e jour, le bateau tait achev.[Mais, comme sa mise leau (?)] tait difficile assurer,On amena, du haut en bas, des rondins de roulage (?),Jusqu ce que ses flancs fussent immergs aux deux tiers.[Le lendemain matin, tout ce que je possdais], je len chargeai :Tout ce que javais dargent,Tout ce que javais dor,Tout ce que javais de spcimens dtres-vivants.Jembarquai ma famille et ma maisonne entires,Ainsi que gros et petits animaux-sauvages, et tous les techniciens.

    ama mavait fix le moment, (me disant) : Lorsque, ds laurore, je ferai choir des pet[its-pains], et des averses de grains-de-froment au

    crpuscule,Entre dans le bateau et obtures-en lcoutille ! Et ce moment arriva :Ds laurore, il chut des petits-pains, et des averses de grains-de-froment au crpuscule.Jexaminai laspect du temps :Il tait effrayant voir !Je mintroduisis donc dans le bateau et en obturai lcoutille :Celui qui la ferma, Puzur-Amurru, le nocher,Je lui fis cadeau de mon palais, avec ses richesses.Au premier point du jour, le lendemain,Monta de lhorizon une nueDans laquelle tonnait Adad,Prcd de ullat et de Hani ,Hrauts divins qui sillonnaient monts et plaines.Nergal arracha les tais des vannes clestes,Et Ninurta se prcipita pour faire dborder les barrages den-haut,Tandis que les Anunnaki, brandissant leurs torches,Incendiaient de leur embrasement le pays tout entier.Adad tendit dans le ciel son silence-de-mort,Rduisant en tnbres tout ce qui avait t lumineux ![] bris[rent] la terre comme un pot !Le premier jour que [souffla] la tem[pte],Si fort elle souffla que [],Et [lAnathme] passa comme la guerre sur les [hommes].Personne ne voyait plus personne :Les foules ntaient plus discernables dans cette trombe-deau.Les dieux taient pouvants par ce Dluge :Prenant la fuite, ils escaladrent jusquau ciel dAnu,O, tels des chiens, ils demeuraient pelotonns et accroupis terre.La Desse criait comme une parturiente Blet-i[l] la belle voix se lamentait(, disant) : Ah ! sil pouvait navoir jamais exist, ce jour-lO, parmi lassemble des dieux, je me suis prononce en mauvaise part !Comment ai-je pu ainsi dparler dans lassemble des dieux ?Comment ai-je pu dcider ce carnage pour faire disparatre les populations ?Je naurai donc mis mes gens au mondeQue pour en remplir la mer, comme de poissonnaille ! Et les Anunnaki divins de se lamenter avec elle !

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 17 sur 25

    Tous les dieux demeuraient prostrs, en larmes, en dsespoir,Lvres brlantes et dans langoisse (?).Six jours et [sept] nuits durant,Bourrasques, pluies-battantes, ouragans et Dluge ne cessrent de ravager la terre.Le septime jour arriv, Tempte, Dluge et hcatombe stopprent,Aprs avoir distribu leurs coups, au hasard, comme une femme dans les douleurs.La mer se calma et simmobilisa, Ouragan et Dluge stant stopps !Je regardai alentour : le silence rgnait :Tous les hommes avaient t (re)transforms en argile,Et la plaine-liquide semblait un toit-terrasse !Jouvris une lucarne et lair vif me sauta au visage.Je tombai genoux, immobile, et pleurai,Les larmes me dvalant sur les joues.Puis du regard je cherchai les ctes, lhorizon.A quelques encablures, une langue de terre mergeait :Ctait le mont Nisir, o le bateau accosta.Le Nisir le retint, sans le laisser repartir :Un premier, un second jour, le Nisir le retint, de mme ;Un troisime, un quatrime jour, le Nisir le retint, de mme ;Un cinquime, un sixime jour, le Nisir le retint, de mme.Lorsque arriva le septime jour,Je pris une colombe et la lchai.La colombe sen fut, puis revint :Nayant rien vu o se poser, elle sen retournait.Puis je pris une hirondelle et la lchai :Lhirondelle sen fut, puis revint :Nayant rien vu o se poser, elle sen retournait.Puis je pris un corbeau et le lchai.Le corbeau sen fut, mais ayant trouv le retrait des eaux,Il picora, il croassa (?), il sbroua, mais ne sen revint plus.Alors je dispersai tout aux quatre-vents et fis un sacrifice,Disposant le repas sur le fate de la montagne !Je plaai de chaque ct sept vases-rituels--boire,Et, en retrait, versai dans le brle-parfums cymbo, cdre et myrte.Les dieux, humant lodeur,Humant la bonne odeur,Sattrouprent comme des mouches autour du sacrificateur !Mais, ds son arrive, la princesse-divineBrandit le collier de grosses mouches quAnu lui avait fait au temps de leurs amours (et

    sexclama) : dieux ici prsents, je noublierai jamais ces lazulites de mon collier :Jamais je noublierai, non plus, ces jours funestes : jen ferai toujours mmoire !Les autres dieux peuvent venir prendre part au repas,Mais Enlil ny devrait point paratre,Puisque, inconsidrment, il a dcid le DlugeEt livr mes gens lextermination ! Enlil, pourtant, aussitt arriv,Aperut le bateau et entra en fureur,Plein de courroux contre les Igigi : Quelquun a donc eu la vie sauve, alors quil ne devait pas rester un seul survivant ? Ninurta alors ouvrit la bouche, prit la parole et sadressa Enlil-le-preux : Qui donc, hormis Ea, pouvait mener bien une pareille opration,Puisque Ea sait tout faire ?Ea ouvrit donc la bouche, prit la parole et sadressa Enlil-le-preux : Mais toi, le plus sage des dieux, le plus vaillant,Comment donc as-tu pu, aussi inconsidrment, dcider le Dluge ?

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 18 sur 25

    Fais porter sa coulpe au seul coupable, et son pch au seul pcheur !Ou alors, ne les supprime point : pardonne-leur ! Ne les [anantis] pas : sois-leur clment !Plutt que le Dluge, mieux eussent valu des lions, pour dcimer les hommes !Plutt que le Dluge, mieux eussent valu des loups, pour dc[imer] les hommes !Plutt que le Dluge, une disette et mieux valu, pour d[biliter] le pays !Plutt que le Dluge, une pidmie et mieux valu, pour fr[apper ] et l les hommes !Non ! Je nai pas dvoil le secret jur par les grands-dieux :Jai seulement fait voir Supersage un songe, et cest ainsi quil a appris ce secret !A prsent, dcidez de son sort ! Alors Enlil monta sur le bateau,Me prit la main et me fit monter avec lui,Et fit monter et sagenouiller avec moi ma femme.Il nous toucha le front, et, debout entre nous, nous bnit en ces termes : Uta-napi t, jusquici, ntait quun tre-humain :Dsormais, lui et sa femme seront semblables nous, les dieux !Mais ils demeureront au loin : lEmbouchure-des-fleuves ! Cest ainsi quon nous enleva, pour nous installer au loin, lEmbouchure-des-fleuves !

    Ce rcit montre que ces circonstances exceptionnelles lissu desquelles Utanapi t a obtenulimmortalit ne peuvent se reproduire : Gilgame na donc aucun espoir dchapper la mort. Unepreuve de rsistance au sommeil, laquelle Gilgame choue, lui confirme quil na pas la moindrechance. Utanapi t recommande alors au Nocher de prendre soin du hros et de le ramener chez lui.Mais la femme dUtanapi t intervient, prise de piti, et lui demande daccorder Gilgame unefaveur. Utanapi t accepte et indique Gilgame comment semparer de la plante de jouvence, quiprolongera sa vie. Gilgame va chercher la plante et la trouve, puis commence le trajet du retour encompagnie du Nocher. Mais un jour que Gilgame prend un bain, un serpent sempare de la plante etlemporte. Gilgame ne peut la retrouver. Bredouille, il rentre Uruk et prsente au Nocher, fiermalgr tout, la ville dont il est roi.

    Le rcit du Dluge selon Brose

    Brose tait un lettr de Babylone, qui crivait en grec vers 300 av. J.C. Son uvre est perdue, maisconnue par des citations dautres auteurs. Son rcit du Dluge est ainsi connu par deux rsums. Unpremier rsum est celui dAlexandre Polyhistor, un grammairien du Ier sicle av. J.C. Le secondest un rsum dAbydne, auteur dhistoires (perdues) crites vers la fin du premier sicle de notrere. => Lorsque les dieux p.576-77 :

    Rsum de Brose par Alexandre Polyhistor :(Brose) raconte qu Xisouthros Kronos apparut en songe, pour lui rvler que, le 15 du mois de

    Daisios, les hommes seraient anantis par un Dluge. Il lui commanda donc, aprs avoir creus untrou, dy ensevelir toutes les critures dans la ville du dieu-du-soleil, Sippar ; puis de construire unbateau et de sy embarquer, avec ses parents et ses proches. Il devait le munir de nourriture et deboisson ; y charger volatiles et quadrupdes et, une fois tout apprt, appareiller. Que si on luidemandait pour o, il expliquerait : Pour rejoindre les dieux, afin de les prier que tout aille bienchez les hommes ! . Se gardant de dsobir, il construisit donc un bateau de 15 stades de long, sur 2de large5. Puis il rassembla tout ce quon lui avait prescrit et embarqua sa femme, ses enfants et sesproches. Le Dluge survint ; et, aussitt quil fut calm, Xisouthros lcha des oiseaux, lesquels, netrouvant ni de quoi se nourrir ni o se poser, revinrent au bateau. Aprs quelques jours, il les lcha denouveau, et ils revinrent au navire les pattes fangeuses. Lchs une troisime fois, ils ne revinrentplus, et Xisouthros en conclut que la terre avait rapparu. Il enleva alors une partie de la texture dubateau et, constatant que celui-ci avait accost une montagne, il descendit terre avec sa femme, safille et son pilote. Aprs avoir difi un autel, il offrit un sacrifice aux dieux, puis disparut, et, avec lui,ceux qui avaient, en sa compagnie, quitt le bateau. Comme nul dentre eux ny revenaient, ceux qui ytaient demeurs les cherchrent, les appelant par leurs noms. Xisouthros en personne ne rapparut

    5 Ce qui quivaut environ 3 km de long sur 400 m de large.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 19 sur 25

    pas ; mais une voix den-haut se fit entendre, les exhortant la pit, puisque ctait grce sadvotion quil tait parti demeurer chez les dieux et que sa femme, sa fille et son pilote avaient eudroit au mme privilge. La voix leur dit ensuite de sen retourner Babylone et, puisque tel tait leurdestin, daller reprendre Sippar les critures pour les transmettre aux hommes. Elle ajouta que lepays o ils se trouvaient tait lArmnie. Ces mots entendus, ils sacrifirent aux dieux et sen furent pied Babylone. Une pave du bateau rest en Armnie sy trouve encore, sur les monts Kordyens :on en emporte des raclures dasphalte pour servir damulettes. De retour en Babyonie, lescompagnons de Xisouthros dterrrent Sippar les critures, fondrent maintes cits, difirent dessanctuaires et (re)construisirent Babylone.

    Rsum de Brose par Abydne :Rgna ensuite Sisithros, qui Kronos rvla par avance que surviendraient, le 15 du mois de

    Daisios, dnormes pluies torrentielles ; et il lui commanda de mettre en lieu sr tout ce quil y avaitdcritures en la ville de Sippar. Ce quayant fait, Sisithros appareilla aussitt pour lArmnie : et,sans tarder, survint ce que les dieux avaient annonc. Le troisime jour aprs larrt de la pluie, illcha des oiseaux pour savoir sils trouveraient quelque terre merge ; mais, nayant devant euxquune mer sans limites, et dans limpossibilit de se poser, ils revinrent auprs de Sisithros ; etdautres pareillement ensuite. Quand il eut russi, avec un troisime envoi, et que les oiseaux furentrevenus les pattes fangeuses, les dieux lenlevrent dentre les hommes. Le bateau, en Armnie, fournitaux habitants du lieu des pendeloques de bois, qui leur servent de charmes.

    On observe dans ces rcits :- la seule reprise de lpisode du Dluge proprement dit, comme dans lpope de Gilgame , et non

    de son contexte ;- des noms grciss ou remplacs par leurs quivalents mythologiques grecs, comme Kronos la

    place dEnki dans la version de Polyhistor ;- mais surtout, les noms donns au survivant du Dluge, Xisouthros (Polyhistor) ou Sisithros

    (Abydne) proviennent manifestement du nom sumrien de ce personnage, Ziusudra. Il est doncncessaire que Brose ait eu connaissance de ce rcit par des sources employant ce nom sumrien,diffrentes du nom dAtraHasis dans le pome du Supersage. Cela est dautant plus tonnant qulpoque de Brose, lexistence mme des anciens sumriens tait tombe dans loubli lhypothsela plus probable est que Brose a eu accs des sources en akkadien, sans doute proches du rcit dupome dAtraHass, et conservant lancien nom sumrien ;

    - la mention des crits quil faut enterrer Sippar pour les prserver lattention de lhumanitpostdiluvienne reprenant peut-tre la mention des ingnieurs, symboles de connaissance et de savoir-faire, qui travaillent la construction du navire dans AtraHass ;

    - le navire de Ziusudra est dcrit par des proportions extravagantes ;- Ziusudra (et, selon Polyhistor, certains de ses compagnons) se trouve spar du reste de lhumanit

    aprs la fin du Dluge, non pour vivre au bout du monde mais pour vivre chez les dieux ;- le point darrive du navire est localis dans lespace, en Armnie ;- il est fait mention de restes de ce navire dont on fait des objets aux vertus magiques, au point que le

    rcit entier semble l pour expliquer cette ralit prsente (pratique frquente dans lusage que font desmythes les rudits grecs) et non pour fournir la rponse une grande interrogation sur les origines delhomme l encore le rcit est dtourn de son but premier et employ un autre.

    Ces deux rsums sont lire avec prudence, dans la mesure o il est malais de savoir, dans ce querapporte chacun des deux auteurs, o sarrtent les informations fournies par le texte de Brose et ocommencent les ajouts, corrections et interprtations personnelles dAlexandre Polyhistor oudAbydne

    Le rcit du Dluge dans les pomes la gloire de Mardouk

    Le rcit du Dluge, en revanche, est tout diffrent Babylone dans le grand pome la gloire dudieu Mardouk, appel Enuma eli daprs ses premiers mots (Lorsque l-haut) et mis par crit aucours de la seconde dynastie dIsin, vers 1100 av. J.C. Il y brille en effet par son absence ! Cepome, qui dcrit la cration du monde et laccession la souverainet du grand dieu Mardouk,reprend de nombreux lments de mythes et de pomes plus anciens, en les recomposant autour de ce

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 20 sur 25

    dieu nouveau et tout-puissant. Le Dluge proprement dit semble avoir disparu dans lopration, maison retrouve par contre le contexte qui amenait son dclenchement dans le pome dAtraHass ragenc avec des diffrences significatives.

    Le pome commence par une thogonie. Le couple originel, Tiamat et Aps, reprsente leauprimordiale sous laspect dune desse-mre, Tiamat, et dAps, ici personnifi comme dieu masculinde leau. => Lorsque les dieux p. 604 :

    Lorsque L-haut le ciel ntait pas encore nomm,Et quIci-bas la terre-ferme ntait pas appele dun nom,Seuls Aps-le-premier, leur progniteur,Et Mre (?)-Tiamat, leur gnitrice tous,Mlangeaient ensemble leurs eaux :Ni bancs-de-roseaux ny taient encore agglomrs ni cannaies ny taient discernables.Tiamat et Aps, aprs avoir engendr LaHamu et LaHmu, espces de monstres marins, enfantent

    deux dieux vigoureux, An r ( Ciel total ) et Ki r ( Terre totale ), lesquels donnent naissance Anu, lequel procre Nudimmud, qui nest autre quEnki/Ea sous un de ses qualificatifs les plusfrquents. Le vacarme caus par lagitation des jeunes dieux drange Tiamat et Aps ; Tiamat,refusant de sen prendre ses propres enfants, prend patience, mais Aps sirrite ; pourtant,rprimand par Tiamat, il se tiendrait tranquille sans lintervention perfide de son serviteurobsquieux, Mummu, qui lui conseille de mettre fin ces troubles. Ea, qui le complot na paschapp, rduit Aps limpuissance avec sa ruse habituelle en lendormant pour lui ter ses attributsde pouvoir, et en fait non plus un dieu mais un simple endroit, ltendue deau souterraine bienconnue des autres mythes ; il sarrange aussi pour capturer Mummu.

    Ea donne alors naissance son fils, Mardouk, un fils plus puissant que tous les autres dieux. Anu,merveill, donne Mardouk les Quatre-Vents du monde pour lui servir de hochet. La tempte et levacarme qui en rsultent drangent de nouveau Tiamat et les ans des dieux. Ceux-ci reprochentaigrement leur mre de ne pas tre intervenue ds la premire fois. Tiamat complote alors avec euxet enfante toutes sortes de monstres avec lintention de les lancer contre les jeunes dieux. => Lecturep. 610 :

    La Mre-Abme, qui avait tout form,Saccumula des Armes irrsistibles : elle mit-au-monde des Dragons-gants,Aux dents [point]ues, aux crocs (?) impitoyables,Dont elle emplit le corps de venin en guise de sang ;Et des Lviathans froces, quelle revtit dpouvante,Et chargea dEclat-surnaturel, les assimi[lant] ainsi des dieux : Qui les voit tombe en dfaillance !Et quune fois lancs (dit-elle), ils ne reculent jamais ! Elle suscita encore des Hydres, des Dragons-formidables, des Monstres-marins,Des Lions colossaux, des Molosses-enrags, des Hommes-scorpions,Des Monstres-agressifs, des Hommes-poissons, des Bisons-gigantesques :Tous brandissant des armes impitoyables et sans peur au combat,Leurs pouvoirs-dlgus, dmesurs, et eux, irrsistibles !En vrit, ces onze-l, cest bien tels quelle les fit ! Seul Mardouk parviendra les vaincre, non sans avoir demand, en change du sauvetage des dieux,

    la puissance absolue sur le monde. Parmi les armes de Mardouk figure Dluge, sa Grande Arme ,mais le mot nest employ que comme synonyme de puissance, et non comme inondation universelle.Mardouk vainc Tiamat, puis rutilise les diffrentes parties de son corps pour organiser le monde, etdcide de se construire un temple prestigieux, qui nest autre que Babylone. Mardouk dcide alors ,spontanment, de crer lhomme afin dpargner tout travail pnible aux dieux lavenir. Un dieu estbien immol pour fabriquer lhomme, mais cest un dieu rebelle, Qingu, le meneur de larme deTiamat. Mardouk rpartit les dieux, au nombre de six cents , dans lunivers : trois cents poursoccuper du Ciel et autant pour soccuper de la Terre. Les dieux construisent ensuite Babylone deleurs propres mains, leur seul et unique travail, pour y loger Mardouk et les trois autres dieuxsuprmes, An, Enlil et Enki. Un banquet clbre alors le triomphe de Mardouk et lachvement de son

    uvre.Dans lEnuma eli , il ny a donc pas de Dluge proprement dit, pas dinondation du monde, ni de

    mention dun homme qui aurait obtenu limmortalit. Mardouk, aprs avoir remport la bataille qui

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 21 sur 25

    loppose Tiamat et son arme monstrueuse (pisode qui pourrait la rigueur tenir un rlequivalent celui du Dluge dans la structure du rcit, cf Lorsque les dieux p. 609-610) estvainqueur et dcide spontanment de crer lhomme ; il ny a aucune mention de dieux asservis audbut du monde, ni de rvolte, ni dhumeur hostile du roi des dieux lgard des hommes. On observedans cette version, qui est visiblement la reprise et la synthse adapte au culte de Mardouk deplusieurs uvres prcdentes, le refus net de reprendre la version dAtraHass, o le roi des dieuxapparat son dsavantage.

    Une autre grande oeuvre prenant place dans le cadre du culte de Mardouk est le pome dErra, sansdoute la dernire grande composition mythologique msopotamienne. Elle est consacreessentiellement au dieu Erra, qui nest autre que Nergal, le souverain des Enfers, assist de son page

    um et dun groupe de guerriers nomm la Troupe des Sept . Ce pome raconte les vellitsbelliqueuses de Nergal, dieu connu pour les carnages quil cherche toujours provoquer afin depeupler le royaume des morts. Nergal est ici tent par la perspective de la dvastation pour ladvastation, la guerre pour elle-mme, afin de prouver tous sa valeur quil croit remise en doute parles hommes. Ebranl par les rcriminations de ses guerriers las de leur inaction et excit par son page

    um, il entreprend dloigner la surveillance du grand Mardouk afin de pouvoir semer la mort parmiles hommes et se faire redouter deux. Dans ce but, il tente dloigner Mardouk de Babylone par laruse en lui faisant remarquer que sa grande statue de culte celle qui symbolise mais surtout rendpossible sa prsence dans la ville est devenue sale et use, et quil faudrait len enlever pour lanettoyer et lui rendre son clat originel. Mardouk rechigne devant cette proposition, car ter sa statuedu temple revient quitter sa demeure ; or il se souvient de lavoir dj fait une fois et davoir ainsiprovoqu un vritable catalysme cosmique. => Lorsque les dieux, p. 687-688 :

    Le roi des dieux, ayant ouvert la bouche, prit la paroleEt adressa ce discours Erra, le champion des dieux : Erra-le-preux, touchant lopration que tu suggres,Sache que dj autrefois, pour avoir quitt ma rsidence, la suite dune colre, jai provoqu le

    Dluge !A peine avais-je quitt ma demeure que le lien de lunivers se dfit :Le ciel en ayant t branl, des toiles clestes la position changea sans quelles pussent reprendre

    leur place ;LIrkallu-infernal ayant bronch, le produit des sillons samenuisa, rendant dsormais difficile la

    subsistance ;Le lien de lunivers dfait, la nappe-souterraine baissa et le niveau des eaux descendit ! A mon

    retour je vis comme il tait malais de tout racommoder !Le crot des tres vivants tait tomb, et je ne pus le restaurerSans me charger, en personne, comme un paysan, de leur rensemencement !Je fis donc reconstruire mon temple, pour my rinstaller.Or, ma prcieuse-image, maltraite par le Dluge, avait son aspect terni !Pour faire rebriller mes traits et nettoyer ma tenue, je recourus au feu.Lorsquil eut achev son travail et fait ( nouveau) resplendir ma prcieuse-image,Et que, mtant recoiff de ma couronne impriale, je fus revenu ma place,Mes traits taient altiers, mon regard fulgurant !Les hommes qui, chapps au Dluge, ont t les tmoins de cette opration,Te laisserai-je tirer les armes pour en anantir la descendance ?Ces fameux techniciens, aprs les avoir fait descendre en lAps, je nen ai jamais ordonn la

    remonte.Et quant la rserve du bois-prcieux et de lambre-jaune ncessaires, jen ai chang le lieu, sans

    en rvler personne le nouvel emplacement ! Lpisode quil voque semble jouer un rle quivalent celui du Dluge, en tant que grande

    catastrophe passe expliquant une chute brutale de la population des hommes, mais on ny trouve niinondation, ni disparition complte de lhumanit (seulement une baisse de laccroissement naturel),alors mme que les vnements voqus sont plus terribles encore que le Dluge dcrit par nosprcdentes versions : le Dluge devient ici un vritable bouleversement de lordre cosmique, qui tientdavantage dun drglement mcanique , accidentel un peu comparable ce qui se passe quandPhaton narrive pas conduire le char dHlios sa place ou quand Hrakls peine soutenir la vote

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 22 sur 25

    cleste habituellement porte par Atlas que de lacte dlibr montr par le pome dAtraHass. Onretrouve donc un thme voisin, sinon identique, mais lourdement transform et dot dun sens biendiffrent de ce que montraient les versions prcdentes.

    Complment : le rcit du Dluge dans la Bible

    Voici, pour achever cette srie de textes, le rcit du Dluge tel quil apparat dans la Bible. Ce rcitcourt depuis le chapitre 6, verset 5, jusquau chapitre 9, verset 17.

    (Chapitre 6) (verset5) Yahv vit que la mchancet de lhomme tait grande sur terre et que sonur ne formait que de mauvais desseins longueur de journe. (6) Yahv se repentit davoir fait

    lhomme sur la terre et il saffligea dans son c ur. (7) Et Yahv dit : Je vais effacer de la surface dusol les hommes que jai crs, et avec les hommes, les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits. (8) Mais No avait trouv grce aux yeux de Yahv.

    (9) Voici lhistoire de No :No tait un homme juste, intgre parmi ses contemporains, et il marchait avec Dieu. (10) No

    engendra trois fils, Sem, Cham et Japhet. (11) La terre se pervertit devant Dieu et elle se remplit deviolence. (12) Dieu regarda la terre : elle tait pervertie, car toute chair avait une conduite perverse surla terre.

    (13) Dieu dit No : La fin de toute chair est arrive, je lai dcid, car la terre est pleine deviolence cause des hommes et je vais les faire disparatre de la terre. (14) Fais-toi une arche en boisrsineux, tu la feras en roseaux et tu lenduiras de bitume en dedans et en dehors. (15) Voici commenttu la feras : trois cents coudes pour la longueur de larche, cinquante coudes pour sa largeur, trentecoudes pour sa hauteur. (16) Tu feras larche un toit par-dessus, tu placeras lentre de larche surle ct et tu feras un premier, un second et un troisime tages.

    (17) Pour moi, je vais amener le dluge, les eaux, sur la terre, pour exterminer de dessous le cieltoute chair ayant souffle de vie : tout ce qui est sur terre doit prir. (18) Mais jtablirai mon allianceavec toi et tu entreras dans larche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi. (19) Detout ce qui vit, de tout ce qui est chair, tu feras entrer dans larche deux de chaque espce pour lesgarder en vie avec toi ; quil y ait un mle et une femelle. (20) De chaque espce doiseaux, de chaqueespce de bestiaux, de chaque espce de toutes les bestioles du sol, un couple viendra avec toi pourque tu les gardes en vie. (21) De ton ct, procure-toi de tout ce qui se mange et fais-en provision : celaservira de nourriture pour toi et pour eux. (22) No agit ainsi ; tout ce que Dieu lui avait command,il le fit.

    (Chapitre 7) (1) Yahv dit No : Entre dans larche, toi et toute ta famille, car je tai vu seul juste mes yeux parmi cette gnration. (2) De tous les animaux purs, tu prendras sept de chaque espce,des mles et des femelles ; des animaux qui ne sont pas purs, tu prendras une paire, un mle et safemelle (3) (et aussi des oiseaux du ciel, sept de chaque espce, mles et femelles), pour perptuer larace sur toute la terre. (4) Car encore sept jours et je ferai pleuvoir sur la terre pendant quarante jours etquarante nuits et jeffacerai de la surface du sol tous les tres que jai faits. (5) No fit tout ce queYahv lui avait command.

    (6) No avait six cents ans quand arriva le dluge, les eaux, sur la terre.(7) No avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils entra dans larche pour chapper aux

    eaux du dluge. (8) (Des animaux purs et des animaux qui ne sont pas purs, des oiseaux et de tout cequi rampe sur le sol, (9) une paire entra dans larche avec No, un mle et une femelle, comme Dieuavait ordonn No.) (10) Au bout de sept jours, les eaux du dluge vinrent sur la terre.

    (11) En lan six cent de la vie de No, le second mois, le dix-septime jour du mois, ce jour-ljaillirent toutes les sources du grand abme et les cluses du ciel souvrirent. (12) La pluie tomba sur laterre pendant quarante jours et quarante nuits.

    (13) Ce jour mme, No et ses fils, Sem, Cham et Japhet, avec la femme de No et les trois femmesde ses fils, entrrent dans larche, (14) et avec eux les btes sauvages de toute espce, les bestiaux detoute espce, les bestioles de toute espce qui rampent sur la terre, les volatiles de toute espce, tousles oiseaux, tout ce qui a des ailes. (15) Auprs de No, entra dans larche une paire de tout ce qui estchair, ayant souffle de vie, (16) et ceux qui entrrent taient un mle et une femelle de tout ce qui estchair, comme Dieu le lui avait command.

    Et Yahv ferma la porte sur No.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 23 sur 25

    (17) Il y eut le dluge pendant quarante jours sur la terre ; les eaux grossirent et soulevrent larche,qui fut leve au-dessus de la terre. (18) Les eaux montrent et grossirent beaucoup sur la terre etlarche sen alla la surface des eaux. (19) Les eaux montrent de plus en plus sur la terre et toutes lesplus hautes montagnes qui sont sous tout le ciel furent couvertes. (20) Les eaux montrent quinzecoudes plus haut, recouvrant les montagnes. (21) Alors prit toute chair qui se meut sur la terre :oiseaux, bestiaux, btes sauvages, tout ce qui grouille sur la terre, et tous les hommes. (22) Tout ce quiavait une haleine de vie dans les narines, cest--dire tout ce qui tait sur la terre ferme, mourut. (23)Yahv fit disparatre tous les tres qui taient la surface du sol, depuis lhomme jusquaux btes, auxbestioles et aux oiseaux du ciel : ils furent effacs de la terre et il ne resta que No et ce qui tait aveclui dans larche. (24) La crue des eaux sur la terre dura cent cinquante jours.

    (Chapitre 8) (1) Alors Dieu se souvint de No et de toutes les btes sauvages et de tous les bestiauxqui taient avec lui dans larche ; Dieu fit passer un vent sur la terre et les eaux dsenflrent. (2) Lessources de labme et les cluses du ciel furent fermes ; la pluie fut retenue de tomber du ciel (3) etles eaux se retirrent graduellement de la terre ; les eaux baissrent au bout des cent cinquante jours(4) et, au septime mois, au dix-septime jour du mois, larche sarrta sur les monts dArarat. (5) Leseaux continurent de baisser jusquau dixime mois et, au premier jour du dixime mois, apparurentles sommets des montagnes.

    (6) Au bout de quarante jours, No ouvrit la fentre quil avait faite larche (7) et il lcha le corbeau,qui alla et vint jusqu ce que les eaux aient sch sur la terre. (8) Alors No lcha dauprs de lui lacolombe pour voir si les eaux avaient diminu la surface du sol. (9) La colombe, ne trouvant pas unendroit o poser ses pattes, revint vers lui dans larche, car il y avait de leau sur toute la surface de laterre ; il tendit la main, la prit et la fit rentrer auprs de lui dans larche. (10) Il attendit encore septautres jours et lcha de nouveau la colombe hors de larche. (11) La colombe revint vers lui sur le soiret voici quelle avait dans le bec un rameau tout frais dolivier ! Ainsi No connut que les eaux avaientdiminu la surface de la terre. (12) Il attendit encore sept autres jours et lcha la colombe, qui nerevint plus vers lui.

    (13) Cest en lan six cent un de la vie de No, au premier mois, le premier du mois, que les eauxschrent sur la terre.

    No enleva la couverture de larche : il regarda, et voici que la surface du sol tait sche !(14) Au second mois, le vingt-septime jour du mois, la terre fut sche.(15) Alors Dieu parla ainsi No : (16) Sors de larche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes

    fils avec toi. (17) Tous les animaux qui sont avec toi, tout ce qui est chair en fait doiseaux, de bestiauxet de tout ce qui rampe sur la terre, fais-les sortir avec toi : quils pullulent sur la terre, quils soientfconds et multiplient sur la terre. (18) No sortit avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils ;(19) et toutes les btes sauvages, tous les bestiaux, tous les oiseaux, toutes les bestioles qui rampent surla terre sortirent de larche, une espce aprs lautre.

    (20) No construisit un autel Yahv, il prit de tous les animaux purs et de tous les oiseaux purs etoffrit des holocaustes sur lautel. (21) Yahv respira lagrable odeur et il se dit en lui-mme : Je nemaudirai plus jamais la terre cause de lhomme, parce que les desseins du c ur de lhomme sontmauvais ds son enfance ; plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme jai fait.

    (22) Tant que durera la terre,semailles et moissons,froidure et chaleur,t et hiver,jour et nuitne cesseront plus. (Chapitre 9) (1) Dieu bnit No et ses fils et il leur dit : Soyez fconds, multipliez, emplissez la

    terre. (2) Soyez la crainte et leffroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel,comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrs entre vosmains. (3) Tout ce qui se meut et possde la vie vous servira de nourriture, je vous donne tout cela aumme titre que la verdure des plantes. (4) Seulement, vous ne mangerez pas la chair avec son me,cest--dire le sang. (5) Mais je demanderai compte du sang de chacun de vous. Jen demanderaicompte tous les animaux et lhomme, aux hommes entre eux, je demanderai compte de lme delhomme.

    (6) Qui verse le sang de lhomme,par lhomme aura son sang vers.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 24 sur 25

    Car limage de Dieulhomme a t fait.(7) Pour vous, soyez fconds, multipliez, pullulez sur la terre et la dominez. (8) Dieu parla ainsi No et ses fils : (9) Voici que je conclus mon alliance avec vous et avec vos

    descendants aprs vous, (10) et avec tous les tres anims qui sont avec vous : oiseaux, bestiaux, toutesbtes sauvages avec vous, bref tout ce qui est sorti de larche, tous les animaux de la terre. (11)Jtablis mon alliance avec vous : nulle chair ne sera plus dtruite par les eaux du dluge, il ny auraplus de dluge pour ravager la terre.

    (12) Et Dieu dit : Voici le signe de lalliance que je mets entre moi et vous et tous les tres vivantsqui sont avec vous, pour les gnrations venir : (13) je mets mon arc dans la nue et il deviendra unsigne dalliance entre moi et la terre.

    (14) Lorsque jassemblerai les nues sur la terre et que larc apparatra dans la nue, (15) je mesouviendrai de lalliance quil y a entre moi et vous et tous les tres anims, en somme toute chair, etles eaux ne deviendront plus un dluge pour dtruire toute chair. (16) Quand larc sera dans la nue, jele verrai et me souviendrai de lalliance ternelle quil y a entre Dieu et tous les tres anims, ensomme toute chair qui est sur la terre.

    (17) Dieu dit No : Tel est le signe de lalliance que je mets entre moi et toute chair qui est sur laterre.

    Conclusion

    Nous pouvons distinguer trs grossirement trois stades du mythe du Dluge dans les diffrentsrcits o il apparat.

    Un premier stade correspond la version donne par le pome dAtraHass.Un second stade, des reprises de cet pisode isolment de son contexte, avec des remaniements

    limits dans le rcit lui-mme et un inflchissement du sens global dans un but diffrent, variable.Un troisime stade correspond ce quon peut appeler un remaniement du mythe, qui passe par une

    remise plat complte (et, semble-t-il, raisonne) du rcit au cours de la composition de lEnuma eli ,et par lapparition dun Dluge entirement nouveau, dont le sens change lui aussi considrablement.

    Si lon compare ces rcits msopotamiens avec celui donn par la Gense, on ne peut manquer dyrelever de nombreux points communs sur le plan du droulement du rcit dans le pome dAtraHass :

    - lannonce faite un homme par un dieu dune catastrophe venir, provoque dlibremment parune instance divine et destine faire presque disparatre lhumanit (on a dj vu diverses variantesde ce presque dans les rcits gravitant autour de lAtraHass) ;

    - la construction dun navire aux allures de coffre, assortie dindications techniques prcises ;- la survie de lhumanit centre sur un seul homme, accompagn dun groupe variable mais o lon

    trouve des animaux ;- lembarquement et lengloutissement de la terre ;- lpisode des oiseaux utiliss pour savoir si la terre a reparu ou non, avec ses trois tapes (retour de

    loiseau sans rien ; retour avec indice que la terre commence reparatre ; non-retour prouvant que latroisime fois est la bonne) ;

    - dbarquement.

    Les diffrences essentielles se situent, sur le plan du rcit, dans :- la runion en un seul dieu, dans le rcit biblique, des deux dieux adversaires qui dans les versions

    msopotamiennes interviennent au premier chef au moment du Dluge, Enlil pour lenvoyer auxhommes, Enki pour les sauver ;

    - le souci du dtail dans la classification des animaux sauver (animaux purs ou impurs ,nombres de couples diffrents) ;

    - les nombreuses variantes sur tout ce qui concerne limmdiat aprs-Dluge et la renaissance, ou leraccroissement, de lhumanit.

  • ENS mythologie Expos : mythologie msopotamienne et rcits du Dluge Page 25 sur 25

    Mais on observe aussi une diffrence de taille sur le sens dont se voient dots ces rcits : en effet, aucun moment dans les rcits msopotamiens nest faite la moindre allusion une connotation moralede cette catastrophe. Elle est soit volontaire, mais rsultat dun mouvement dhumeur des dieux(AtraHass), soit involontaire et presque la simple consquence mcanique dun faux-mouvement du dieu (pome dErra). Nulle part rien de similaire au jugement moral dfavorable que Yahv portesur les hommes et qui motive le Dluge.

    Il est intressant de noter aussi quen fin de compte, cest la version sumrienne, et la plus ancienne,qui a le plus influenc le rcit biblique, non seulement sur le plan de la forme du rcit, de ses tapessuccessives, mais aussi sur le degr de svrit du dieu lorigine du Dluge. La bienveillanceuniverselle de Mardouk et le Dluge mcanique du pome dErra semblent tre rests lettre mortedans la diffusion ultrieure du mythe.

    *

    Table des matires

    Sources Note de prononciation Note sur les textes Plan de lexpos 1I. Un bref aperu historique 1Cadre gographique 1Une civilisation hybride 1Survol chronologique 2II. Dieux et mythes de Msopotamie 3La grande triade divine : An/Anu, Enlil, Enki/Ea 4Autres grands dieux intervenant dans les mythes 5III. Les rcits msopotamiens du Dluge 6La liste des souverains de Laga 6La grande gense babylonienne : AtraHass le Supersage 6- rcit dans la restitution principale 7- fragment 5.a 11- fragment j 12- fragment k 12Deux autres rcits du Dluge 12- rcit du Dluge en sumrien 12- rcit du Dluge de Ras Shamra 13Le rcit du Dluge dans lpope de Gilgame 13Le rcit du Dluge selon Brose 18- rsum par Alexandre Polyhistor 18- rsum par Abydne 19Le rcit du Dluge dans les pomes la gloire de Mardouk 19- lEnuma eli 19- le pome dErra 21Complment : le rcit du Dluge dans la Bible 22Conclusion 24