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Que Vlo-Ve? Série 3 N o 17 janvier-mars 1995 pages 1-36 Le Théâtre ialien de Guillaume Apollinaire FONGARO © DRESAT Antoine FONGARO LE THÉÂTRE ITALIEN DE GUILLAUME APOLLINAIRE A Michel Decaudin sans lui, ce travail n'aurait pas pu être entrepris A Henri Monnier pour sa collaboration toujours disponible et toujours efficace. AVERTISSEMENT Dans la production d'Apollinaire, Le Théâtre italien est le plus souvent passé sous silence; il était urgent de débroussailler, baliser, jalonner ce terrain vierge. C'est à cela que vise la présente étude. Certes, plus d'un point reste encore à préciser. Mais la solution de tous les problèmes que pose ce texte demanderait une recherche fort longue et d'un intérêt plutôt limité. Il a semblé préférable de s'en remettre pour maint détail au hasard des connaissances de ceux qui liront ces pages. [1] Le volume sur Le Théâtre italien (224 pp.), publié en 1910 par Apollinaire, dans la collection «Encyclopédie littéraire illustrée» dirigée par Charles Simond 1 , chez l'éditeur Louis Michaud, pose deux types de problèmes. On peut se demander d'abord où et comment le poète a acquis ses connaissances dans ce domaine de la littérature italienne; ensuite comment il a pu traduire les 37 extraits de tragédies et de comédies qui composent son choix et qui occupent, si l'on ne tient compte ni des notices, ni des illustrations (voir annexe a), plus de cent pages. I Le premier problème semble le plus difficile à résoudre. À ma connaissance, lors de sa publication, l'ouvrage 1

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Que Vlo-Ve? Série 3 No 17 janvier-mars 1995 pages 1-36Le Théâtre ialien de Guillaume Apollinaire FONGARO© DRESAT

Antoine FONGARO

LE THÉÂTRE ITALIEN

DE GUILLAUME APOLLINAIRE

A Michel Decaudinsans lui, ce travail n'aurait pas pu être entrepris

A Henri Monnier pour sa collaboration toujours disponible et toujours efficace.

AVERTISSEMENT

Dans la production d'Apollinaire, Le Théâtre italien est le plus souvent passé sous silence; il était urgent de débroussailler, baliser, jalonner ce terrain vierge. C'est à cela que vise la présente étude. Certes, plus d'un point reste encore à préciser. Mais la solution de tous les problèmes que pose ce texte demanderait une recherche fort longue et d'un intérêt plutôt limité. Il a semblé préférable de s'en remettre pour maint détail au hasard des connaissances de ceux qui liront ces pages.

[1]Le volume sur Le Théâtre italien (224 pp.), publié en 1910 par Apollinaire, dans la

collection «Encyclopédie littéraire illustrée» dirigée par Charles Simond1, chez l'éditeur Louis Michaud, pose deux types de problèmes. On peut se demander d'abord où et comment le poète a acquis ses connaissances dans ce domaine de la littérature italienne; ensuite comment il a pu traduire les 37 extraits de tragédies et de comédies qui composent son choix et qui occupent, si l'on ne tient compte ni des notices, ni des illustrations (voir annexe a), plus de cent pages.

I

Le premier problème semble le plus difficile à résoudre.À ma connaissance, lors de sa publication, l'ouvrage présente une originalité absolue.

C'est bien ce caractère que souligne le poète dans la «Préface» (pp. 7-8), signée «Ugo Capponi», probablement hypostase de lui-même, puisque ce nom ne figure dans aucun fichier de bibliothèque en Italie, ni en France, ni non plus dans les annuaires de l'enseignement italien. Qu'il n'y ait pas en France, avant 1910, d'ouvrage d'ensemble sur le théâtre italien2, cela n'est pas étonnant : les études italiennes sont au XIXe siècle en France rares et fragmentaires, et l'Histoire littéraire d'Italie de Ginguené est antérieure à 1820. Il est plus surprenant qu'il n'existe pas d'ouvrage de ce genre en Italie avant cette date. Il faut tenir compte du fait que, traditionnellement, on étudiait les grands auteurs séparément; dès lors, par exemple, la pastorale Aminta du Tasse, les drames d'Alfieri ou ceux de Manzoni n'étaient pas détachés du reste de la production de ces écrivains. Une autre explication réside peut-être dans le fait que la comédie italienne, au langage souvent très grossier et aux situations souvent scabreuses, était bannie des études non seulement scolaires, mais même universitaires : sans parler de l'Arétin, de Calmo, de Ruzzante, La Mandragola de Machiavel ne figure pas, par exemple, dans les six gros volumes de

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la célèbre et «classique» anthologie «D'Ancona e Bacci» (Florence, Barbera, 1893-95)3.Or Apollinaire vient justement de publier en 1909 et 1910 les deux volumes de L'Œuvre

du divin Arétin dans la «Bibliothèque des curieux» des frères Briffaut, et il a eu ainsi l'occasion de connaître la traduction par le «bibliophile Jacob» (Paul Lacroix) de trois comédies dans le volume Œuvres choisies de l'Arétin (Paris, Gosselin, 1845). Il n'est pas impossible que ce soit le point de départ de l'entreprise du poète. De fait, la comédie au XVIe siècle occupe une grande place dans le Tableau du théâtre italien qui précède l'anthologie dans le volume, et Apollinaire y reprend ça et là (pp. 24, 25, 26), ainsi que dans la notice relative à l'Arétin (p. 75) des formules qu'il a employées dans son introduction à L'Œuvre du divin Arétin4. En outre, la comédie au XVIe siècle se taille la part du lion dans l'anthologie (pp. 75-108), avec le record pour le nombre des auteurs cités (six) et le traitement spécial pour l'Arétin, dont figurent trois extraits, tires de trois pièces différentes (l'Arioste, le Tasse et Manzoni ont droit à deux extraits, mais tirés d'une seule pièce).

Cependant une autre hypothèse est possible. Pour Machiavel, en effet, qui occupe une grande place dans le «Tableau» comme dans l'Anthologie (où est donné en entier l'acte III de La Mandragore), Apollinaire disposait du Machiavel de Ch. Simond dans la collection «Les Prosateurs illustres», autre collection que celui-ci dirigeait chez le même éditeur Louis Michaud. Bien mieux, dans la collection «Encyclopédie littéraire illustrée», où paraît le livre d'Apollinaire,

[3]figurait un volume sur Le Théâtre français : l'idée et le principe d'organisation générale (voir annexe b) de l'ouvrage d'Apollinaire existaient donc déjà. Est-ce Ch. Simond5 qui a invité le poète (dont il connaissait peut-être les travaux sur l'Arétin) à faire pour le domaine italien quelque chose d'analogue au Théâtre français7 Ou bien est-ce le poète qui a proposé à Ch. Simond un ouvrage du type du Théâtre français, puisqu'il avait déjà des matériaux sur ce sujet? Pour trancher il faudrait quelque document (lettre, etc.); peut-être apparaîtra-t-il un jour.

Quoi qu'il en soit, il est clair qu'il s'agit pour ce volume d'une organisation stéréotypée. L'Album Apollinaire (Gallimard, 1971, à la p. 108) reproduit en effet le projet manuscrit d'Apollinaire d'une Anthologie de la littérature espagnole qui présente une structure identique à celle du Théâtre Italien :

I — Préface d'un grand écrivain espagnol.II — Littérature comparée par M. Charles Simond.III — Tableau de la littérature espagnole par G. A.IV — Anthologie (avec la liste des textes choisis dans leur ordre chronologique, en colonne)

Un tel document est redoutable pour le sérieux de l'entreprise d'Apollinaire; car enfin, si le poète, qui ne sait pas un mot d'espagnol, a l'audace d'envisager une anthologie de la littérature espagnole, c'est, de toute évidence, qu'il va plagier et son tableau de la dite littérature et les traductions qu'il proposera dans son anthologie. On est en droit de supposer que les choses sont analogues pour son ouvrage sur le théâtre italien.

En tout cas, quelle que soit l'origine de son idée d'un ouvrage sur le théâtre italien, il faut reconnaître qu'Apollinaire a réalisé une entreprise qui, comme dit la «Préface», remplit une lacune. Ee poète écrit à Jules Romains le 8 novembre 1009 : «c'est la première anthologie du Théâtre italien depuis ses origines qui paraîtra en France»6. L'indication «qui paraîtra en France» est préoccupante. Une anthologie du théâtre italien existait-elle en Allemagne ou en Angleterre?

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Je n'en ai pas trouvé, mais sait-on jamais... Le poète n'écrit-il pas à Madeleine, le 6 octobre 1915:

[...] il y a un recueil de contes — ce sont surtout des contes de fées — le Pentaméron de Basile (16e siècle je crois) écrit en dialecte napolitain. J'aurais voulu le traduire. J'en ai une édition, mais cela dépasse ma science linguistique et ne vaut pas la peine (comme gain) d'une étude approfondie de l'ancien dialecte parthénopéen. Cependant il a été traduit en anglais, une édition illustrée pour la jeunesse, que j'ai vue je ne sais plus où. Si tu avais le temps, tu le traduirais, ça t'exercerait en ton anglais, et je le remettrais au point au moyen de ma rare édition ancienne de l'original 7.

S'il propose ainsi de passer par l'intermédiaire d'une traduction anglaise, outre que cela n'augure rien de bon pour les textes de son anthologie, l'hypothèse qu'il ait eu recours à un modèle anglais (ou allemand) pour son Théâtre italien n'est pas à écarter a priori. Reste à trouver ce modèle.

À partir de là, le problème se divise en deux : d'une part les connaissances qu'avait Apollinaire du théâtre italien; de l'autre, les critères de son choix de textes.

A

Pour ce qui est des connaissances, il faut de nouveau reconnaître tout de suite que le Tableau du théâtre italien (pp. 15-52) et les notices consacrées

[4]aux auteurs et aux pièces du florilège sont loin d'être sans valeur pour un non-spécialiste à cette époque8.

Apollinaire a la coquetterie, ou plutôt le culot, de donner dans les notes, dispersées selon les périodes et les genres dans le «Tableau», ou bien selon les auteurs dans l'anthologie, une bibliographie de 69 titres, en ne comptant ni les doublets, ni les ouvrages du poète lui-même. Cette bibliographie n'est pas sans poser, à son tour, des problèmes (voir annexe c). Ce qui est sûr, c'est qu'Apollinaire n'a pas lu ces 69 ouvrages, dont certains n'ont rien à voir avec le théâtre italien, et dont quelques-uns ne lui étaient même pas accessibles. Le poète, comme souvent, jette la poudre aux yeux du lecteur, et son érudition se limite à quelques volumes. On peut même dire que pour les connaissances d'ensemble il s'est contenté (comme il fait toujours) d'un seul ouvrage à la fois complet et d'accès facile. Effectivement une lecture, même rapide, de la célèbre Littérature italienne d'Henri Hauvette (Colin, 1903) fait voir que le poète (qui la cite à la première page du «Tableau», p. 14) l'a pillée à pleines mains. Relever systématiquement les reprises serait fastidieux, et au fond inutile, chacun ayant le droit d'utiliser les travaux de ses prédécesseurs. Il faut toutefois noter qu'en général Apollinaire est aux limites du plagiat. Deux échantillons ponctuels suffiront à révéler la méthode du poète.

À propos de L'Aminte du Tasse, Hauvette écrit (op. cit., p. 282) :

[...] ici ce sont quelques allitérations, discrètes, là des répétitions de mots, des reprises et comme des refrains qui donnent à la période une sorte de balancement; les vers de sept syllabes viennent, au bon endroit, se mêler aux hendécasyllabes, et quelques rimes dispersées au milieu du récitatif en vers blancs y introduisent une espèce de mélodie.

Voici ce que cela donne dans la notice dont Apollinaire fait précéder l'extrait de cette pastorale (p. 110, en haut) :

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Le Tasse tire un parti musical des répétitions de mots ou de phrases. Les vers sont de sept syllabes; quelques rimes par-ci par-là viennent accentuer la mélodie.

Le malheur est que le poète a mal lu : il croit que L'Aminta est en heptasyllabes, alors que ce type de vers n'intervient que sporadiquement, comme le disait Hauvette, parmi les hendécasyllabes, vers normaux de cette pastorale.

A propos du Pastor fîdo de Guarini, Hauvette écrit (op. cit., p. 283) :

Le drame est beaucoup plus long et plus touffu que L'Aminta [...] Guarini a savamment fondu, dans cette œuvre, à laquelle il a donné tous ses soins, les attraits de l'églogue lyrique, de la tragédie et de la comédie.

Voici ce que cela donne dans la notice qu'Apollinaire consacre à Guarini dans son florilège (p. 120, en haut) :

Le Pastor fïdo est trop long et trop touffu. Cependant le Guarini a fort adroitement fondu dans son églogue scénique des éléments tragiques et comiques.

Cette fois le poète en remplaçant «lyrique» par «scénique» (adjectif qui n'ajoute rien, puisqu'il s'agit d'une pièce de théâtre) ne se rend pas compte qu'il élimine un des trois éléments que Guarini a fondus ensemble.

On voit que la concentration et l'allégement constituent le procédé utilisé par Apollinaire pour adapter le texte d'Hauvette à ses besoins. On trouvera

[5]d'autres échantillons du procédé en comparant, par exemple, ce qu'écrit Apollinaire sur la commedia dell'anc (pp. 32-4) ou sur le théâtre au XVIIIe siècle (pp. 36 sq.), avec les passages correspondants du livre dHauvette (respectivement, pp. 317 sq. cl pp. 327 sq.).

En outre, quelques indications de détail relatives aux notices ou au «Tableau» seront données ça et là dans la suite, selon les découvertes d'autres «sources».

Tout cela ne veut pas dire qu'Apollinaire ne mette rien de sien dans ses pages. C'est ainsi que, par exemple, il cite les propos de Goethe rapportés par Eckermann soit au sujet du théâtre à Venise et à Naples (presque une page, pp. 39-40), soit au sujet de Manzoni (p. 42). Cela n'est pas dans Hauvette, et Apollinaire tire parti de ses lectures : en effet, les Conversations de Goethe pendant les dernières années de sa vie (1822-1832), recueillies par Eckermann, 2 tomes en 2 volumes, traduction par Emile Delerot (Charpentier, 1863) figurent dans la bibliothèque du poète9, et celui-ci place cet ouvrage dans la bibliographie de la page 35 du «Tableau».

D'autre part, Hauvette est forcément rapide pour l'époque contemporaine et il ne dit pas grand chose du théâtre italien de cette période. Apollinaire au contraire cherche à garder un certain équilibre entre les diverses époques, et dans son «Tableau» il accorde plus de pages au «Théâtre italien contemporain» (pp. 45-52) qu'au théâtre de la première moitié du XIXe siècle (pp. 40-5), même s'il est vrai qu'il consacre une page aux effets négatifs de la division de l'Italie et aux influences étrangères. Or cet équilibre est loin d'exister dans son anthologie, où le théâtre contemporain est réduit à la portion congrue : 7 pages (pp. 214-20) contre 50 pages (pp. 164-214) au théâtre de la première moitié du siècle. Il y a anguille sous roche. La vérité est qu'Apollinaire était gêné du côté des traductions (on le verra plus loin), tandis qu'il avait une ressource pour son érudition : il a en effet utilisé l'ouvrage spécialisé de Jean Dornis10 sur Le

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Théâtre italien contemporain (Calmann-Lévy, 1904), qu'il cite, curieusement, dans la bibliographie pour le XIXe siècle 11(p. 40). Pour le prouver, il est inutile d'établir des rapprochements de texte, il suffit de signaler (en anticipant sur la suite de cette étude) que de brefs fragments figurant dans l'anthologie pour le théâtre italien contemporain sont repris, à la lettre, du livre de Jean Dornis.

Cependant, ici encore, Apollinaire ne manque pas de mettre sa touche personnelle. D'abord par une bévue : il place dans la première partie du XIXe siècle (pp. 212-3) Giacinto Gallina, qui est né en 1852; probablement il a été induit en erreur par le fait que Gallina est considéré comme un continuateur de Goldoni (p. 45). Ensuite par un détail original : il place dans l'anthologie (pp. 219-20) un bref extrait d'une pièce assez récente de Giovanni Bovio, Cristo alla festa di Purim(1887).

B

Reste à s'interroger sur les critères du choix des auteurs et des textes. La «Préface» déclare : «aucun recueil, sauf celui de Gubernatis12 qui, malgré son exubérance, est trop sommaire, n'a fait connaître les pages classiques des auteurs.» C'est une allusion au célèbre ouvrage d'Angelo De Gubernatis, Storia universale della letteratura dai primi tempi e presse tutti i popoli civili fino ai nostri giorni. Con florilegi. (Milan, Hoepli), et plus précisément à la première série de celle somme, celle qui est consacrée au théâtre, en deux parties : 1 — Storia del teatro drammatico (1882); 2 — Florilegio drammatico (1883). Dans cette seconde partie, c'est, dans la section consacrée au Teatro moderno, le Teatro italiano qui nous intéresse ici.

Comme le dit la «Préface», le recueil de De Gubernatis est à la fois exubérant et trop sommaire. Sur 212 pages (de la p. 405 à la p. 617, dans la

[6]2e section du volume II), il présente 80 fragments de 63 auteurs (la seule division étant entre la tragédie, 30 auteurs, et la comédie, 33 auteurs) : trop d'auteurs et textes trop brefs, le défaut est évident. Pour la même période, qui ne comprend ni les origines (elles figurent dans le volume précédent de De Gubernatis), ni l'époque contemporaine (celle-ci ne pouvant être enregistrée en 1882), Apollinaire présente, sur une centaine de pages, 22 auteurs seulement (il faut éliminer, on l'a vu, Giacinto Gallina, qu'Apollinaire a placé par erreur dans la période romantique) et 24 textes (il y a trois textes pour l'Arétin, on l'a vu). Le florilège est plus simple; il est plus clair grâce au découpage par siècles et, à l'intérieur des siècles, par genres; et les morceaux choisis peuvent être plus longs (par exemple, on a, aux pp. 93-104, l'acte III en entier de La Mandragola de Machiavel, on l'a vu; ou encore tout l'acte III de Ricciarda de Foscolo, aux pp. 179-84; tout l'acte III de Franccsca da Rimini de Pellico, aux pp. 181-91; etc.), et donc plus significatifs pour le lecteur.

Les 22 auteurs présentés par Apollinaire se retrouvent chez De Gubernatis, sauf Calmo, Foscolo et Pindemonte. Pour les auteurs communs aux deux florilèges, ce sont des extraits des mêmes œuvres qui sont choisis, sauf pour l'Arétin, l'Arioste, Métastase, Goldoni, Alfieri et Nota. Déjà la différence est grande entre les deux ouvrages. Elle s'accentue encore du fait que lorsque l'œuvre présentée est la même dans les deux, le fragment choisi n'est pas identique, sauf le cas de Rosmunda de Rucellai.

En outre, Apollinaire introduit pour le XVIIe siècle le livret d'un ballet et le scénario d'une commedia dell'arte, qui ne figurent évidemment pas chez De Gubernatis. Mais surtout il fait précéder chaque morceau choisi d'une brève notice sur l'auteur et sur son œuvre.

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Dès lors, si l'anthologie de De Gubernatis a incontestablement servi de modèle à Apollinaire, elle n'a pas été servilement reprise par celui-ci, et il l'a non moins incontestablement améliorée.

Cependant Apollinaire ne dit mot d'une autre anthologie du théâtre italien, qu'il connaît probablement, puisqu'elle est possédée par la Bibliothèque de l'Arsenal (je signale au passage que les ouvrages cités au cours de la présente étude figurent tous, sauf indication contraire, à la Bibliothèque nationale). Il s'agit du Teatro classico italiano / antico e moderne / ovvero II Parnaso teatrale, publié en 1829, à «Lipsia, presso Ernesto Fleisher». Ce gros volume (LXXXV1+650 pp.) contient 32 œuvres de 24 auteurs (avant l'anthologie il y a un «Compendio storico del teatro italiano», pp. VII-XVII; un «Saggio storico-critico della Commedia italiana, del prof. F. Salfi», pp. XVII-XLI; «Parrre del conte Vitt. Alfieri sull'arte comica in Italia», pp. XLI-XLIII; et surtout les «Notizie intorno alle vite e agli scritti degli autori compresi in questa raccolta, seconde l'ordine cronologico», pp. IL-LXXXVI). Les œuvres publiées le sont dans leur texte intégral, ce qui distingue ce recueil des anthologies de De Gubernatis et d'Apollinaire, qui ne donnent que des morceaux choisis. Si l'on compare la période de temps commune (le Teatro classico va, chronologiquement, de Boccace à Manzoni), des 22 auteurs retenus par Apollinaire il manque, dans le Teatro classico italiano, Rucellai, Calmo, Ruzzante, Pindemonte, Nota et Giraud; et les œuvres choisies coïncident, sauf pour l'Arétin, Métastase, Goldoni, Alfieri et Monti. Au total, l'anthologie d'Apollinaire diffère d'avec celle-ci plus que d'avec celle de De Gubernatis.

Ici, deux détails feront voir combien il est difficile de donner des réponses définitives aux problèmes que pose l'ouvrage d'Apollinaire. On pourrait considérer comme une preuve que le poète a utilisé pour son choix le Teatro classico italiano le fait que celui-ci contient non seulement Ricciarda de Foscolo, qui ne figure pas chez De Gubernatis, mais surtout La Cassaria de l'Arioste, texte moins connu, que De Gubernatis n'avait pas choisi pour représenter l'Arioste auteur de théâtre. Inversement, on pourrait penser qu'Apollinaire n'a pas connu le Teatro classico italiano, puisque celui-ci contient (à la fin du volume, où

[7]l'ordre chronologique n'est pas suivi jusqu'au bout) trois textes de Carlo Gozzi (La Zobeide, I/ Pitocchi fortunati, Turandot). Carlo Gozzi dont l'absence chez Apollinaire surprend beaucoup : le poète parle de lui, bien sûr, dans le «Tableau» (p. 39); il l'évoque plus d'une fois dans ses articles ou dans les introductions aux (ouvres de divers auteurs des «Maîtres de l'amour» ou du «Coffret du bibliophile»13; on peut se demander pourquoi il n'a pas donné un échantillon de ces fiabe qui avaient tout pour séduire un poète d'imagination et de fantaisie comme lui et pour lesquelles existait la traduction facilement accessible d'Alphonse Royer : Théâtre fiabesque de Carlo Gozzi (Michel-Lévy frères, 1865).

En tout cas, le choix des œuvres présentées (et parfois le choix des passages de ces œuvres) par Apollinaire est le plus souvent conditionné par des motifs de commodité de traduction (en particulier il a trouvé, on va le voir, la traduction de fragments de La Cassaria de l'Arioste); tant il est artificiel de séparer les «différentes pièces» (comme disait Montaigne) d'un ensemble organique.

II

C'est seulement dans le cadre d'une enquête sur la connaissance qu'Apollinaire pouvait avoir de la langue italienne , qu'il semble utile d'examiner les traductions des 37 extraits qui

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composent son choix. La moindre familiarité avec la méthode utilisée par le poète dans sa production «alimentaire» (journalistique et autre) conduit à le soupçonner d'avoir plagié ces traductions. Mais il faut contrôler; et ce n'est pas toujours facile.

A

Pour éviter de trop donner à cette enquête l'allure d'une liste, et pour faire voir tout de suite combien les choses sont compliquées avec Apollinaire, je commence par le cas peut-être le plus typique de la façon dont il procède. Il s'agit des deux brefs passages de La Cassaria de l'Arioste qu'il présente (pp. 88 et 90, la p. 89 est occupée par la reproduction d'un manuscrit de l'Arioste).

Comme il n'existe pas de traduction française de La Cassaria, on serait tenté de dire que pour le coup Apollinaire a traduit lui-même. Mais deux détails frappent immédiatement. D'une part, il n'y a aucune indication ni d'acte, ni de scène, et les fragments sont dans l'ordre inverse de leur place dans la pièce : le premier, qu'Apollinaire intitule Les Coquettes, est la scène 3 de l'acte V; le deuxième, qu'Apollinaire intitule Le Ruffian, est la partie centrale de la scène 3 de l'acte III. D'autre part, et c'est beaucoup plus inquiétant, les deux fragments ne proviennent pas de la même version de la comédie. Que celle-ci ait deux versions, Apollinaire le sait puisqu'il écrit dans la notice : «Il [l'Arioste] l'écrivit d'abord en prose et la mit plus tard en vers» (p. 88). Or, indiscutablement, le premier fragment provient de la version en vers, puisque la version en prose ne parle que des femmes, alors que la deuxième partie du fragment, consacrée à la coquetterie des «jeunes gens», n'apparaît que dans la version en vers. Non moins indiscutablement, le deuxième fragment provient de la version en prose : l'allusion satirique : «Si nous étions à la cour de Rome, on pourrait hésiter à nommer celui que tu cherches, mais à Metellino on ne peut en chercher d'autre que moi» (p. 91) a été supprimée de la version en vers, probablement par prudence; en outre, dans la réplique de Trappola précédant la phrase de Lucrano qui vient d'être citée, le texte en prose donne bien, comme chez Apollinaire, «semeur de scandales et de zizanie» («seminator di scandali e di zizania»), alors que le texte en vers donne : «semeur de discordes et de scandales» («seminator di discordie e di scandali»).

[8]De tout cela, il ressort avec évidence non seulement qu'Apollinaire n'est pas allé consulter

le texte italien, mais encore qu'il n'a pas consulté de traduction française du texte intégral de la comédie, sinon il se serait bien aperçu qu'il utilisait deux versions différentes. Où a-t-il donc pu trouver ces deux fragments de La Cassaria?

On va constater ici de quelle étrange façon «travaillait» Apollinaire (et il vaut la peine d'insister, car il semble bien qu'il procédait de la même manière pour sa «création» poétique), en même temps qu'apparaîtra l'artifice qu'il y a à distinguer entre les divers éléments de l'ensemble de l'ouvrage.

Effectuant un rapide contrôle des références bibliographiques fournies par Apollinaire, j'ai ouvert l'ouvrage de Lefèvre Saint-Ogan, De Dante à l'Arétin (1889); j'allais fermer le volume après un coup d'œil sur la table des matières (voir annexe c) qui ne me semblait avoir aucun rapport avec le théâtre italien, quand mon regard est tombé, par hasard, sur le titre en italique La Cassaria... Et j'ai vu que du bas de la page 268 (5 lignes) de l'ouvrage de Saint-Ogan jusqu'au haut de la page 270 (4 lignes ), figurait le fragment qu'Apollinaire présente sous le titre Les Coquettes. La citation se trouve, bien entendu, au chapitre X, «Les Femmes», et elle est introduite par ces quelques lignes :

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L'Arioste dans sa comédie de la Cassaria, fait faire à un valet qui attend la belle de son maître un monologue sur les raffinements de la toilette féminine.

Et Apollinaire d'emboîter le pas : «Voici le monologue d'un valet sur les raffinements de la toilette des dames de son temps» (p. 88). Il reprend la traduction de Saint-Ogan, avec de menues modifications, rarement en mieux, comme lorsqu'il remplace «les potiches» par «les pots» dans l'énumération des accessoires de toilette; parfois en mal, comme lorsque, dans cette même énumération, il met vaguement «les objets de toilette», alors que Saint-Ogan traduisait «tattere» par «brimborions». Les bévues sont souvent plus graves. L'Arioste, après avoir parlé du soin des ongles, passe aux mains, mais Apollinaire omet ce mot, d'où l'incohérence de son texte où la phrase «une heure pour les laver, une autre pour les parfumer, pour les frictionner afin de les amollir» semble se rapporter toujours aux ongles. Parfois Apollinaire allège le texte de Saint-Ogan, comme à la fin de la tirade; celui-ci a traduit quasiment à la lettre :

Des cartons et des feutres donnent à leurs épaules la largeur qui leur plaît. Leurs jambes, qui souvent ressemblent à celles des grues, ils les grossissent avec des doublures et se font des cuisses et des mollets à leur guise.

le poète dit plus rapidement :

Le carton et le feutre augmentent la largeur de leurs épaules. Et ceux qui ont des jambes de grues se font de fausses cuisses et de faux mollets.

Mais, et c'est fort gênant, Apollinaire ne se rend évidemment pas compte des passages qu'a éliminés Saint-Ogan, au plus grand détriment du texte. Celui-ci réduit à deux lignes : «Mais pourquoi les blâmer? Elles suivent leur instinct, qui est de chercher de toute manière à paraître belles...» (encore abrégées par Apollinaire en «Pourquoi les blâmer? elles suivent leur désir qui est de paraître belles...», avec les mêmes points de suspension) un développement de 9 vers qui contient une comparaison réaliste et surtout une misogynie caractéristique de l'époque.

[9]In minor tempo si potrio un navilio Armar di tutto punto; ma che diavolo Se s'ha a dir il ver, perchè riprendere Si dee, che'l proprio loro istinto seguono;Il qual è di cercar con ogni studio Di parer belle, e supplir con industria Dove manchi natura? ed è giustissimo Désir : perchè non hanno altro, levandoneLa beltà, che le faccia riguardevoli.

(= On pourrait en moins de temps armer de tout point un navire; mais que diable, s'il faut parler franchement, pourquoi doit-on blâmer cela; car elles suivent leur propre instinct; lequel consiste à chercher, avec tout leur soin, à paraître belles, et à suppléer par l'artifice les défauts naturels? Et c'est un désir très légitime : parce qu'elles n'ont rien d'autre, si on leur ôte la beauté, qui les rende intéressantes.)

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Plus grave encore est l'édulcoration de deux vers d'un réalisme cru, mais efficace. L'Arioste a écrit :

o che industria In rassettarsi le poppe, che stieno Sorte per forza, e giù fiacche non caschino!

Saint-Ogan traduit pudiquement : «Et quelle industrie, pour se soutenir la taille!». Misérable trahison, qui anéantit toute la saveur du texte et qu'Apollinaire reprend servilement. Il n'est pas possible qu'Apollinaire ait lu le texte d'Arioste. Comment celui qui a chanté Marizibill, les attentives, «une pauvre fille», le «cul de perle fine», les différentes parties du corps de Madeleine et de Lou, sans parler de Pâline, du Condor, etc. aurait-il hésité à nommer les tétons ou les nichons ou les nénés? C'est impensable15 . D'autant plus qu'Apollinaire a insisté dans la notice (pp. 87 et 88) sur les «termes licencieux» et «le langage cynique» des comédies de l'Arioste.

Tout semble clair; pourtant un menu détail fait difficulté. Là où Saint-Ogan traduit correctement : «Ils (les jeunes gens] sont très savants dans la composition, non pas des vers héroïques ou élégiaques [= non heroici nè versi elegi], mais [...]» Apollinaire donne : «Ils savent bien composer non des vers héroïques et élégants, mais...». Cette erreur énorme semble rouvrir le débat. Apollinaire serait-il allé voir le texte italien et aurait-il cru bon de corriger Saint-Ogan? Mais alors non seulement sa connaissance de la langue italienne serait moins que médiocre, mais encore ce serait la seule fois qu'il corrigerait de son chef la traduction qu'il reprend. Il est beaucoup plus probable ou bien qu'il a copié trop vite le texte de Saint-Ogan, ou bien qu'il a mal lu sa propre écriture.

Ainsi il est certain qu'Apollinaire a pris chez Saint-Ogan la traduction du premier fragment qu'il propose de Lu Cassaria. Reste à trouver où il a bien pu prendre la traduction du second fragment16. Recherche d'autant plus ardue, qu'il n'existe pas (du moins à ma connaissance) de traduction française de La Cassaria. Il faut espérer que quelque lecteur rencontre le fragment en question dans l'un des livres innombrables qu'Apollinaire a, non pas lus, mais feuilletés.

En tout cas, on a pu constater que le choix des fragments de l'anthologie dépend, pour une bonne part, des facilités qui se présentaient à Apollinaire pour leur traduction.

[10]

B

Heureusement tous les cas ne sont pas aussi compliqués que celui de La Cassaria. C'est ainsi qu'à quatre reprises Apollinaire signale qu'il reprend une traduction antérieure. À la p. 120, il déclare, à propos du Pastor fïdo de Guarini : «Voici la fin de cette pastorale d'après une ancienne traduction». À la p. 125, on lit : «le Ballet royal de l'Impatience a été traduit de l'italien par Benserade»; et c'est bien le texte en vers de celui-ci qui figure aux pages 125-132. À la p. 214, pour Une Partie d'échecs de Giacosa, Apollinaire dit clairement : «Voici la fin de la pièce dans la traduction de M. d'Audiffret. Paris, 1886.» À la p. 216, pour Les Déshonnêtes de Rovetta, une note à «Voici une scène» renvoie à : «Trad. Lécuyer, sous le titre L'École du Déshonneur, Paris, 1903».

Dans quelques cas, il n'y a pas à chercher beaucoup pour trouver les traductions utilisées par le poète. Pour La Mandragola de Machiavel, il suffit de voir dans la note bibliographique (p.

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91) que cette comédie a été traduite par Alcide Bonneau en 1887, pour savoir où Apollinaire est allé prendre un bien qui ne lui appartenait pas. Mais il ne dit pas, même dans la bibliographie, que La Calandra du cardinal Dovizi da Bibbiena (pp. 84-6) a été traduite elle aussi par Alcide Bonneau en 1886. De même, il ne dit pas que La Talanta, comédie de l'Arétin, dont il donne un fragment (pp. 78-82), se trouve dans le volume Œuvres choisies de P. Arétin, traduites par le bibliophile Jacob [Paul Lacroix], chez Gosselin, en 1845, volume qu'il signale toutefois dans la note bibliographique (p. 75) et qu'il possède dans sa bibliothèque17. Il faut donc souligner fortement que, mis à part les deux références relatives l'une à Machiavel, l'autre à l'Arétin, Apollinaire n'indique jamais dans ses notes bibliographiques les traductions qu'il a toujours utilisées dans son anthologie.

Il n'y a plus qu'à suivre la piste indiquée par le poète lui-même. C'est ainsi qu'il suffit d'ouvrir Le Théâtre italien contemporain de Jean Dornis, signalé dans la bibliographie pour le XIXe siècle (p. 40, n. 1), pour constater qu'Apollinaire a repris à la lettre (pp. 218-9) les fragments de Cavalleria rusticana de Verga qui sont traduits dans ce livre (aux pp. 170-2), et qu'il a seulement effectué une coupure de quatre lignes dans le fragment des Rozeno de Camillo Antona-Traversi (p. 217) repris lui aussi à la lettre du même livre (p. 267). Et on a là, peut-être, une explication de la brièveté des textes proposés par Apollinaire dans la section consacrée au «théâtre contemporain» : il est clair, en effet, que Jean Dornis ne se proposait pas d'offrir une anthologie, mais citait seulement de courts fragments comme exemples. Ainsi quatre des cinq textes présentés par Apollinaire pour le théâtre contemporain sont des citations (Giacosa, Rovelta, Antona-Traversi et Verga). Il ne reste plus que la quinzaine de lignes de la fin de la pièce de Giovanni Bovio Cristo alla festa di Purim que le poète traduit très probablement lui-même (p. 220) à partir de l'exemplaire de la deuxième édition (Napoli, stab. tipografico dell'Iride, 1887, 54 pp.) qui figure à la Bibliothèque nationale de Paris; et encore omet-il quatre lignes au début (peut-être pour leur difficulté) et commet-il une bévue sur une phrase de Marie de Magdala : «io, men sangue umano di Barabba ladrone», qu'il traduit : «moi qui suis moins pour le sang humain que Barabbas le larron», en introduisant un «pour» qui vient tout fausser.

[11]

C

Pour la clarté de l'exposé, il convient peut-être de procéder en remontant le temps.C'est dans les trois volumes consacrés à l'Italie dans la collection (célèbre au XIXe siècle)

des Chefs-d'œuvre des Théâtres étrangers, publiée chez Ladvocat à Paris, qu'Apollinaire a puisé à pleines mains.

Dans la XXIe livraison de cette collection, Théâtre italien moderne : Giraud, De Rossi, Nota, Federici18 , tome II, 1823 (546 pp.), il a pris d'abord Le Précepteur dans l'embarras de Jean Giraud (voir pp. 204-12), qui se trouve aux pages 23 et suivantes de la livraison susdite; quelques coquilles ont été ajoutées («don» a disparu deux fois devant «Grégoire» à la p. 206; Tallemani devient «Tallemain» à la p. 209); la note pour «Or vedi come il diavolo ci fica la coda» a été supprimée (p. 207); deux légères modifications à la p. 205 («à la seule idée» remplace «au seul aspect»; «Allons nous promener un peu?» remplace bizarrement «Voulons-nous aller promener un peu?»).

Il y a pris aussi la traduction du Ier acte de la comédie Le Philosophe célibataire d'Albert Nota (voir pp. 196-204), qui se trouve aux pages 241-56 de la livraison susdite; les changements de scène deviennent des didascalies; une réplique de Lisandre est sautée (p. 197); la note pour

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«Albertino» (rendu par «ce petit Albert») est supprimée.La IIe livraison de cette collection : Théâtre italien moderne, tome I, 1822, où les

traductions sont d'Auguste Trognon, a fourni tout ce qu'Apollinaire publie du «Drame romantique», c'est-à-dire les passages d'Anninius de Pindemonte (pp. 164-72), de Caius Graccus de Monti (pp. 172-7), de Ricciarda de Foscolo (pp. 177-84), de Françoise de Rimini de Pellico (pp. 185-91), du Comte de Carmagnola de Manzoni (pp. 191-6); le poète a seulement placé en tête Arminius que Trognon mettait en troisième position.

Il serait oiseux d'établir une confrontation systématique entre le texte d'Apollinaire d'une part et de l'autre la traduction qu'il reprend et l'original italien. Je me limite à quelques remarques sur les deux derniers textes nommés.

Dans le passage du Comte de Carmagnola qu'il cite (la fin du drame) Apollinaire introduit ça et la des coupures qu'il remplace par des didascalies; mais celles-ci sont souvent erronées. A la page 192 : «Le Doge veut l'interrompre, mais Carmagnola reprend», or dans l'original le Doge dit : «Il parlar vostro / Accenna assai, ma poco spiega : un chiaro / Parer vi si domanda», ce qui est le contraire d'une interruption. À la même page, plus bas : «Le Doge raille ces vastes desseins», or il dit seulement : «Vasti disegni avete». À la page 194 : «Carmagnola récuse les accusations qu'on porte contre lui», en réalité il récuse l'autorité du «collegio segreto». D'autre part, Apollinaire ne prend pas la peine de contrôler la traduction sur le texte italien. Au début du passage (p. 192) le Doge demande à Carmagnola son avis (= «parer») sur les conditions de paix avec Milan; Carmagnola répond : «Signori, un altro io ve ne diedi»; la traduction donne : «Seigneurs, je vous l'ai donné naguère sur un tout autre objet»; mais le texte signifie : «je vous en ai donné un autre», c'est-à-dire : je vous ai donné une autre fois un avis sur le même objet (la guerre contre le Duc de Milan). Plus bas, dans la même tirade, on lit : «Pour répondre au nouvel avis que vous me demandez», mais cet étrange «répondre à un avis» n'est pas dans le texte : «Di novo avviso or chiesto», littéralement : prié de donner [requis de] un nouvel avis. Un peu plus loin, l'original «siete in tempo : è questa / La miglior scella ancora» devient : «Vous êtes toujours à temps, vous y êtes mieux que jamais» (le texte dit : c'est là le meilleur choix encore).

[12]Les remarques sont analogues pour le long fragment (tout le IIIe acte) de Françoise de

Rimini (pp. 181-91). Il y a des coupures; par exemple, au haut de la page 186, il manque quatre vers après la réplique de Paolo : «Vous parler une dernière fois». Le style de l'original n'est guère respecté : partout le «vous» remplace le «tu»; «sovrumana» devient «divine»; «il mio cognato» s'estompe en «celui que j'évite»; «Empia, discaccia /Si rei pensieri» se transforme en «Mais quoi! chasse, chasse, mon âme, de si coupables pensées»; «afflitti cuori» donne «âmes affligées»; «Chi è colei?» devient caricaturalement : «Qui est cette jeune vierge?». Il est surprenant qu'Apollinaire n'ait pas été sensible à cette trahison constante dans le sens «classique» d'un texte qui se veut «romantique». Cela aboutit parfois à des erreurs; par exemple au bas de la page 187 «L'honneur et l'esprit d'aventure ont rendu mon bras assez redoutable» fausse (surtout à cause de l'emploi du passé) l'italien «L'onore assai / E l'ardimento mi fan prode il braccio»; et encore «tirannico ardore» donne «La passion des conquêtes, l'ambition». Visiblement Apollinaire ne s'est pas donné la peine de tenir compte du texte original.

D

On arrive ainsi au XVIIIe siècle. Apollinaire ne s'arrête pas dans son exploitation des

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volumes des Chefs-d'œuvre des Théâtres étrangers consacrés à l'Italie. Cette fois il s'agit de la IXe livraison, Chefs-d'œuvre du théâtre italien — Goldoni, publiée en 1822, où les traductions sont d'E. Aignan. Ce volume contient quatre comédies : Le Menteur, Molière, Térence, L'Auberge de la Poste. C'est là qu'Apollinaire a pris la traduction de la fin de l'acte III et dernier du Menteur (pp. 150-9, mais les pp. 151 et 153 sont occupées par des illustrations). Sans entrer dans le détail, je signale seulement que le fragment est présenté sans l'indication des scènes; la traduction affaiblit parfois l'original (aux deux tiers de la p. 150 : «Voulez-vous me rendre dupe de quelque imposture?» ne rend pas l'expression grossière, populaire, mais plus conforme au théâtre comique : «Vorresti voi piantarmi un'altra carota?», qui ne serait même pas rendue par «tirer une carotte» ou «carotter», dont le sens est différent), et, au milieu de la p. 154, bloque en une seule deux répliques de Lélio, en éliminant ce que dit Ottavio : «E la mattina, che avete condotto le due sorelle alla malvagìa?», probablement parce que E. Aignan n'a pas compris le sens de «malvagìa» dans cette phrase19. Mais Apollinaire, on l'a déjà dit, ne prend certes pas la peine de confronter avec le texte italien la traduction qu'il utilise. Il reste que le choix de celte comédie peut surprendre : elle ne correspond pas à ce que le goût moderne considère comme les chefs-d'œuvre de Goldoni. Mais Apollinaire suit le jugement critique traditionnel qui jusqu'au milieu du XIXe siècle faisait des comédies de caractère de Goldoni «ses meilleures pièces» (voir p. 149) «son véritable titre de gloire» (ibid).

Pour La Conjuration des Pazzi de Vittorio Alfieri, Apollinaire a utilisé la traduction de cette tragédie par Alphonse Trognon, au tome 2 du Théâtre italien (qui est le tome 54 du Répertoire des théâtres étrangers), publié en 1822; il en donne la scène 1 (moins les quatre derniers vers) du premier acte, entre Guillaume Pazzi et son fils Raymond (soit 108 vers, aux pp. 160-3, mais la p. 161 est occupée par le portrait d'Alfieri).

S'il fallait relever tous les détails, on n'en finirait plus. Dès le premier mot, traduire «Soffrir, ognor soffrire, altro consiglio / Darmi, o padre, non sai?» par «souffrir, toujours souffrir! Ne me donnerez-vous pas d'autre conseil, mon père?» est pour le moins ambigu, car ici soffrire ne signifie pas souffrir, au sens d'éprouver un mal physique ou moral, mais supporter (endurer, etc.). De même, aux vers 44-5 : «A me non duole / Bianca, abbenchè sia dri tiranni suora» ne veut pas dire «Blanche ne m'est pas odieuse» (p. 162,1. 25), puisqu'on

[13]a au vers qui suit «Cara la tengo» («Elle m'est chère»), mais, en explicitant un peu : je ne regrette pas d'avoir épousé Blanche.

Sans multiplier les exemples de telles approximations, il suffit de signaler quelques-unes des erreurs les plus grossières. La phrase «Ormai securi / Di libertà più non viveasi all'ombra» (vers 39-40) est rendue étrangement par «Désormais, ne craignant plus pour ma sûreté, J'ai cessé de vivre caché» (p. 162, II. 19-20), alors qu'elle signifie : Désormais, on ne vivait plus en sûreté à l'ombre (= sous la tutelle) de la liberté. — Le vers 57 : «E il mertiam noi, che cittadin non fummo» donne lieu à un contresens total : «et nous méritons tous ces outrages, puisque nous fûmes citoyens» (p. 162, I. 35), quand il faut comprendre : et nous méritons cela (que les tyrans nous méprisent), puisque nous n'avons pas été des citoyens (véritables, mais des lâches). — Aux vers 58-9, l'infidélité au texte est criante : «Sprone ad eccclso oprar, non fren mi vedresti, / In altra terra, o figlio» (= dans une autre patrie, ô mon fils, tu trouverais en moi un aiguillon pour les grandes entreprises, non un frein) devient : «O mon fils! je n'arrêterai pas longtemps le cours de vos grands desseins» (p. 162, II. 36-7). — Un peu plus loin, dans la même tirade de Guillaume, les vers 62-4 : «E' ver ch'io scorsi / D'impaziente libertade i semi / Fin dall'infanzia in te» (= Il est vrai que j'ai remarqué les germes de l'impatiente liberté en toi dès l'enfance) sont

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défigurés ainsi : «Il est vrai que, dans votre enfance, j'ai cherché à vous inspirer l'amour impatient de la liberté» (p. 162, au bas). — Dès que le texte devient tant soit peu difficile, la traduction patauge. Vers la fin de l'extrait, Raymond dit : «Mais ce que ne peut être l'époux et le père, l'homme le peut être» (p. 163, II. 14-5); ce qui n'a aucun sens, surtout avec l'élimination de l'interrogation; en réalité Raymond veut dire : mais, même si j'étais né de n'importe quel autre père (que toi), est-ce qu'un homme peut ici (à Florence, sous la tyrannie des Médicis) être mari et père en toute sécurité?

N'en jetons plus, la cour est pleine. Les mânes de l'altier Alfieri doivent frémir devant de telles trahisons de son texte20. Le malheureux Apollinaire aura exacerbé, dans l'au-delà, le misogallismo 21 du grand Italien.

De Métastase Apollinaire donne «en entier» la pièce Les Grâces vengées (pp. 142-8, mais les pp. 145 et 147 sont occupées par des gravures); c'est probablement la brièveté de ce texte qui a déterminé le choix d'Apollinaire. On est devant un nouvel exemple de plagiat total. Le poète s'est contenté de recopier la traduction de cette pièce qui se trouve aux pages 1 à 19 du tome 4 (l'avertissement y occupe les pages I-XXXII) inséré dans le volume 2 (qui comprend les tomes 3 et 4) de l'ouvrage : Tragédies- Opéras de l'Abbé Métastasio, Traduites en français par M..., À Vienne, MDCCLI (d'après le Dictionnaire d'Antoine Alexandre Barbier, le traducteur est César-Pierre Richelet). À part quelques modifications dans la ponctuation, voici les seules variantes que j'ai pu repérer entre le texte de Richelet et celui d'Apollinaire : à la p. 144, I. 12 du bas, au lieu de «Chaque moment», Apollinaire met «Chaque jour», et deux lignes plus bas il laisse passer la coquille «Amachonte» pour Amathonte; à la p. 146, I. 2, au lieu de «donnez-moi du secours», il met «secourez-moi»; puis à la I. 3, il remplace «je marche vers» par «je me dirige vers»; et à la I. 15, «à me débarrasser» devient «à me délivrer». Dans ces conditions, il ne servirait à rien de contrôler l'exactitude de la traduction par rapport à l'original : ce n'est pas Apollinaire qui serait concerné, mais C.-P. Richelet. J'ajoute que le poète a non seulement repris à la lettre les didascalies, mais encore la notice historique de la page 3 de Richelet (elle donne les lignes 6 à 12 au haut de la page 142).

Le procédé est le même pour les 174 premiers vers (a. I, se. 1) de la Mérope de Scipione Maffei qu'Apollinaire propose dans son anthologie (pp. 137-41). Le poêle a recopié la traduction publiée en 1743 par l'abbé Du Bourg22. Les modifications sont minimes : il écrit Polyphonie et Cresphonle avec ph au lieu de f; il remplace «complaisances» par «tendresses» au vers 26 (p. 138,

[14]I. 20); il ajoute la bourde «Ce dont je me rappelle» au vers 27 (p. 138, I. 21), là où l'abbé avait mis correctement «Ce que je me rappelle»; plus loin (vers 150, p. 140, I. 37), dans la phrase «La dernière révolte t'a fait connaître que le trône où tu règnes est encore chancelant, et que l'empire de Cresphonte est encore affermi dans le cœur de ses sujets», il a remplacé «affermi» par «vivant», ce qui efface l'opposition entre chancelant et affermi; vers la fin du passage (p. 141, I. 8), il écrit «en imposant silence à votre ressentiment» au lieu de «à votre raison». Les autres variantes portent sur quelques virgules ou quelques majuscules. Il est difficile de pousser plus loin le plagiat.

Et, comme toujours, Apollinaire s'est bien gardé d'aller voir l'original italien. Il se serait probablement rendu compte que le bon abbé Du Bourg transformait monstrueusement le texte toujours direct et parfois énergique de Maffei en une espèce de pot-pourri des formules stéréotypées de la tragédie française. Quelques échantillons suffiront, je pense.

Aux vers 6-8 on a : «In consorte io t'elessi; e vo' bon tosto / Che la nostra Messenia

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un'altra volta / Sua regina ti veggia.» Cela donne (p. 138, II. 2-4) : «Oui, belle Mérope, je vous ai choisie pour mon épouse, et je veux que dans ce jour notre Messène vous rende les hommages dus à une Reine». On voit la dilution, sans compter l'absurdité du vocatif «belle Mérope» dans la bouche de Polyphonie pour qui le mariage avec Mérope n'est qu'une combinaison politique. Les vers 21-3 : «[...] e quasi / Prigioniera restar piuttosto vuoi, / Che ricovrar l'antico regno?» sont rendus par «Eh quoi, madame, les fers de l'esclavage brillent-ils plus à vos yeux que le sceptre que je porte?» (p. 138, II. 15-7), avec l'introduction indue de deux métaphores traditionnelles qui défigurent le style de Maffei, sans compter le contresens final. Plus loin (vers 124), «Quel che ora bramo, ognor bramai» devient (p. 140, II. 16-7) : «Les feux que je fais éclater aujourd'hui, sont allumés depuis longtemps dans mon cœur». Et il en est ainsi tout au long d'une traduction où il est impossible de retrouver Maffei.

Visiblement, c'est tout à fait au hasard qu'Apollinaire a choisi le texte de Du Bourg. Il aurait été mieux inspiré de reproduire la traduction de Fréret 23, plus ancienne, mais beaucoup plus fidèle à l'original. Les lecteurs qui connaissent tant soit peu la langue italienne s'en rendront compte dans le simple rapprochement suivant.

Voici d'abord les 30 premiers vers du texte de Maffei :

Pol. — Mérope, il lungo duoi, l'odio, il sospettoScaccia, ormai dal tuo sen : miglior destinoIo già l'annuncio, anzi ti reco. AltruiForse tu nol credesti; ora a me stessoCredilo pur, ch'io mai non parlo indarno.In consorte io t'elessi; e vo' ben tostoChe la nostra Messenia un'altra voltaSua regina ti veggia. Il bruno ammanto,I veli e l'altre vedovili spoglieDeponi adunque, e i lieti panni e fregiRipiglia; e i tuoi pensieri nel ben presenteRiconfortando omai, gli antichi affanni,Come saggia che sei, spargi d'oblio.

Mer. — 0 ciel! qual nuova specie di tormentoApprestar mi vegg'io! Deh, Polifonte,Lasciami in pace, in quella pace amaraChe ritrovan nel pianto gli infelici;Lasciarni in preda al mio dolor trilustre.

Pol. — Mira, s'ei non è ver che suoi la donnaFarsi una insana ambizion del pianto!

[15]Dunque negletta, abbandonata, e quasi Prigioniera restar piuttosto vuoi, Che ricovrar l'antico regno?

Mer. — Un regno Non varrebbe il dolor d'esser tua moglie. Ch'io dovessi abbracciar colui che in seno Il mio consorte amato (ahi rimembranze!) Mi svenò crudelmente? e ch'io dovessi

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Colui baciar che i figli miei trafisse? Solo in pensarlo io tremo, e tutto io sento Ricercarmi le vene un freddo orrore.

Voici la traduction de ce passage par Fréret :

Pol. — Bannissez désormais, Mérope, ces longs regrets, la haine, les soupçons qui troublent votre cœur; je viens vous annoncer, ou plutôt je viens vous offrir, un destin plus heureux. Vous eussiez peut-être refusé d'en croire un autre que moi; mais croyez mes discours, assurez-vous sur une parole que je n'ai jamais donnée sans effet. Je vous ai choisie pour mon épouse; je veux que bientôt Messène vous reconnaisse encore une fois pour Reine. Quittez donc ces lugubres habits, ces voiles et ces autres marques de votre veuvage. Prenez des ornements conformes à votre nouvelle fortune, et que votre bonheur présent efface le souvenir de vos chagrins passés.

Mér. — 0 ciel! quel nouveau genre de tourment m'est préparé? Eh, Polifonte, laisse-moi en paix, dans celte paix amère que les infortunés trouvent à verser des larmes : Laisse-moi en proie à la douleur qui me possède depuis trois lustres.

Pol. — Qu'il est bien vrai que par une ambition insensée, les femmes font parade de leur douleur! Eh quoi voulez-vous donc rester dans cet état obscur, abandonnée et presque captive, plutôt que de remonter sur votre ancien trône?

Mér. — Quel trône voudrait-on acheter par l'horreur d'un tel hyménée? Quoi, je devrais mes embrassements au barbare qui a égorgé entre mes bras un époux que je chérissais si tendrement? Quel souvenir! Mes baisers seraient dus au bourreau de mes enfants? Ah, la seule pensée m'en fait frémir, et je sens tout mon sang se glacer d'horreur dans mes veines.

Et voici la traduction de Du Bourg :

Pol. — Mérope, ces longs regrets, cette haine, ces soupçons, bannissez-les à jamais de votre cœur. La destinée que je vous annonce est plus heureuse, et il ne tient qu'à vous de l'accepter. Vous savez que mes paroles ne furent jamais sans effet : refusez-vous de m'en croire? Oui, belle Mérope, je vous ai choisie pour mon épouse, et je veux que dans ce jour notre Messène vous rende les hommages dus à sa Reine. Loin de vous ces lugubres habits, ces voiles, et ces autres marques de votre viduité. Les ornements de l'allégresse sont plus conformes à votre nouvelle fortune; et voyant ce que vous allez devenir, oubliez ce que vous avez été.

Mér. — 0 ciel, quel nouveau genre de tourments s'offre à mes yeux! M'envies-tu, cruel Polyphonie, m'envies-tu cette douceur amère que les infortunés trouvent dans les larmes! Une douleur de trois lustres mérite tes respects.

Pol. — Il est donc vrai que l'ambition du sexe se plaît quelquefois dans l'infortune. Eh quoi, madame, les fers de l'esclavage brillent-ils plusà vos yeux que le sceptre que je porte?

[16]Mér. — La douceur d'être Reine ne vaut pas la douleur d'être ton épouse. Quoi,

j'accorderais mes embrassements au meurtrier de cet époux, l'objet de mes tendresses? Cruel souvenir! Ces mains encore fumantes du sang de mes enfants, je devrais les chérir! À cette affreuse pensée je frémis, et je ne sais quelle horreur glacée coule dans mes veines.

Tout commentaire sérait inutile.

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Que Vlo-Ve? Série 3 No 17 janvier-mars 1995 pages 1-36Le Théâtre ialien de Guillaume Apollinaire FONGARO© DRESAT

E

Rien d'étonnant à ce que le XVIIe siècle occupe la plus petite place dans le choix d'Apollinaire; c'est indiscutablement une période de décadence pour le théâtre italien. Le poète se limite à deux textes anonymes très brefs. Il donne d'abord la traduction par Benserade du Ballet royal de l'Impatience dansé par Louis XIV le 19 février 1661 (pp. 125-32, mais les pp. 127 et 129 sont prises par des gravures). Vient ensuite un fragment de scénario de la commedia dell'arte. Dans sa lettre à Madeleine25 du 20 septembre 1915, après avoir dit qu'il a publié en 1910 Le Théâtre italien, Apollinaire continue :

[...] j'y ai traduit un acte du scénario d'une comédie ressortissant à l'art scénique improvisé de la commedia dell'arte. Le titre était, autant qu'il me souvienne : Colombine soldat par amour. C'était assez amusant [...]

La mémoire du poète le trahit. Il s'agit de La Veuve constante ou Isabelle soldat par vengeance, dont la traduction du premier acte se trouve aux pages 132-135 (la p. 133 étant prise par une gravure). Apollinaire a pris le premier texte présenté dans le volume d'Adolto Bartoli, Scenari inediti della Commedia dell'Arte. Contributo alla storia del teatro italiano, Firenze, Sansoni, 1880 (inexactement cité dans la note de la bibliographie à la p. 31 du «Tableau»), ouvrage important (l'introduction compte CLXXXIII pages, et vingt-deux scénarios occupent 303 pages) présent à la Bibliothèque Nationale. La traduction de ce texte facile est plutôt approximative. Voici quelques exemples. À la scène 5 (p. 134) «chiamano le figliole allequali danno la nuova, gli vogliono toccare la mano, ed esse aspramente recusano» se réduit à «ils appellent leurs filles auxquelles ils apprennent la nouvelle qu'ils veulent les épouser, elles refusent». À la scène 6 (ibid) : «Vengono con chitarra armati sotto la finestra d'isabella; dopo diversi discorsi cominciano a sonare» devient «Ils jouent de la guitare sous la fenêtre d'Isabelle» (mais l'indication «armati» est indispensable puisque un duel va avoir lieu entre Horace et Octave). Il y aussi quelques erreurs : à la scène 7 (ibid.) «i padroni si ritirano» devient «les maîtres se battent», et «dopo alquanti colpi» devient «bientôt». Enfin Apollinaire omet de signaler qu'il a éliminé les scènes 11, 12 et 13, et que sa scène 11 est la scène 14.

F

C'est le XVIe siècle qui occupe la plus grande place dans le livre d'Apollinaire aussi bien dans le Tableau du théâtre italien (pp. 21-30) que dans le «Choix de textes» (pp. 64-124). On a déjà vu que cette prépondérance tenait pour une bonne part à des motifs personnels de facilité : Apollinaire avait travaillé sur l'Arétin, pour lequel il avait le secours de la traduction du bibliophile Jacob (Paul Lacroix) pour La Talanta (pp. 78-82, avec la p. 81 occupée par le portrait de l'Arélin); pour Machiavel, il avait l'ouvrage de Ch. Simond, et la traduction de La Mandragola par Alcide Bonneau; de même, pour la Calandra du cardinal Dovizi da Bibbiena, il avait la traduction du même Alcide Bonneau.

[17]Par ailleurs, nous avons fait, plus haut, un sort spécial aux deux fragments de La Cassaria de l'Arioste (pp. 86-90, avec la p. 88 occupée par un autographe de l'Arioste). On peut donc laisser de côté les textes dont il vient d'être question et ne pas trop s'attarder sur le très bref passage de

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La Calandra, d'une quarantaine de lignes (pp. 84-6, les deux tiers de la p. 85 étant occupés par le portrait du cardinal). On constate d'abord que le titre donné au fragment ne correspond pas au contenu : il n'y est pas question du «transport de Calandre» (il aura lieu au début de l'acte III), mais du projet de ce transport. Ensuite qu'Apollinaire n'a pas indiqué à quel endroit de la pièce se situe le passage qu'il cite (il est tiré de la scène 6 de l'acte II). D'où le soupçon qu'il puisse s'agir d'un cas analogue à celui de La Cassaria, qu'on a vu plus haut. En tout cas, ici non plus Apollinaire n'a pas consulté le texte original. Les coupures sont nombreuses. La plus grave est à la fin du fragment (p. 86). Il y manque le passage où Fessenio fait répéter à Calandro, une à une, une série de syllabes26 dont les dernières sont : «Telle / Do» (= «te le do» = je te les donne, c'est-à-dire : je te donne des coups, je te bats), qui déclenchent des coups (de pied au cul?) de Fessenio sur Calandro, qui se met à crier : «Oh, oh, oh! oi, oi, oimè!». La traduction met une didascalie (inutile dans le texte italien) «frappant Calandre» après (!) les cris de celui-ci, au début de la réplique de Fessenio qui, alors, ne donne plus aucun coup. Il est surprenant qu'Apollinaire ne se soit pas rendu compte de ce manque de logique, même s'il n'est pas allé contrôler le texte original. Comme on peut s'étonner qu'il ait conservé (p. 86, 1.1) le pluriel au dernier mot de la phrase de Calandro : «Dans le coffre, je prendrai garde qu'on ne me change pas les membres»; le salace et souvent obscène poète aurait pu comprendre que dans cet échantillon de comédie ita-lienne de la Renaissance dont il a signalé lui-même, on l'a vu, le caractère licencieux, c'est d'un singulier qu'il s'agit (comme pour le grenadier qui revient des Flandres); effectivement le texte italien fait dire avec précision à Calandro : «mi guarderò bon io, che non mi sia nel forziero scambiato il membro mio».

Une des caractéristiques de la littérature italienne du XVIe siècle est l'éclosion de la pastorale, avec deux chefs-d'œuvre : L'Aminta du Tasse et le Pastor fido de Guarini, dont le succès fut énorme dans toute l'Europe. Apollinaire donne à ces deux textes la place qu'ils méritent (pp. 109-34). Ce sont eux que nous rencontrons les premiers dans notre remontée du temps.

Apollinaire possédait la pastorale de Guarini dans le texte italien27, mais on peut douter qu'il l'ait lue.

À la fin du passage cité (p. 124) figure l'indication : «Acte V, scènes VIII, IX et X»; en réalité la scène X manque. En outre il y a deux coupures importantes : l'une de 35 vers, indiquée par (rois points de suspension après «doux baisers», aux trois-quarts de la page 122 (c'est la fin de la scène VIII); l'autre de 14 vers, après le second refrain du chœur au bas de la page 123.

En tête du passage (p. 120), Apollinaire déclare : «Voici la fin de cette pastorale, d'après une ancienne traduction». Les traductions françaises du Pastor fido pullulent, l'œuvre ayant eu un vif succès au XVIIe siècle, succès qui se prolonge au XVIIIe siècle. Mais il s'agit de rééditions (parfois pirates) d'un petit nombre de traductions originales. Dans le cas présent, il faut, Dieu merci! éliminer les traductions en vers28 . Parmi les traductions en prose, Apollinaire a choisi la plus ancienne : celle de Roland Brisset, sieur Du Jardin29, Tourangeau, dont la première édition fut publiée à Tours, chez Jamet Mettayer en 1593, et qui fut souvent rééditée au XVIIe siècle. Comme dans celle-ci, chez Apollinaire les passages dits par le chœur et les vers gnomiques contenus dans les tirades sont en alexandrins présentés séparément du texte en prose (ils étaient même en italique dans l'«ancienne traduction»).

On constate immédiatement qu'Apollinaire a travaillé sur'«la traduction ancienne»30 , sans se préoccuper du texte italien. '

Au début du passage cité, «l'ancienne traduction» donne :

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[18]Corisque — Mais voilà Ergasto; comme il vient à temps.Ergasto — Que maintenant toutes choses se réjouissent! Le Ciel, la terre, l'air, le feu, et

tout le monde rie. Notre réjouissance même passe jusqu'aux enfers, et qu'il n'y ait aujourd'hui aucun lieu de peine étemelle.

Cor. — Que cettui-ci est réjoui.Erg. — Forêts heureuses, si autrefois soupirant d'un triste murmure avez accompagné nos

plaintes, éjouissez-vous à nos joies, et déliez autant de langues que vous avez de feuilles se jouantes au bruit de ces zéphirs riants, émus de votre réjouissance. Chantez les contentements et les aventures des deux heureus amants.

Voici le texte correspondant d'Apollinaire (pp. 120-1) :

Cor. — Ah! voici Ergasto.Erg. — Ciel, terre, air et feu, réjouissez-vous! Que le monde entier s'adonne à la gaieté!

Que l'enfer lui-même participe à la joie! Qu'il n'y ait nulle part de peines éternelles.Cor. — Il a l'air ravi.Erg. — Forêts bénies! Autrefois vous mêliez votre triste murmure à nos plaintes. Jouissez

maintenant de notre bonheur. Déliez autant de langues que vous avez de feuilles caressées par le zéphir! Chantez le contentement de deux amants.

En dehors du toilettage normal (orthographe, forme moderne du subjonctif impératif, subordination remplacée par la juxtaposition, modification de «tout le monde», etc.), Apollinaire laisse tomber des détails qui sont dans l'original et que l'ancienne traduction respectait; par exemple, «quante fronde / scherzano al suon di queste / piene del gioir nostro aure ridenti» est réduit à «que vous avez de feuilles caressées par le zéphir».

La méthode d'Apollinaire est extrêmement périlleuse, comme l'atteste un deuxième échantillon comparatif, pris dans une longue tirade d'Ergasto (vers le milieu de la p. 122). L'ancienne traduction a ceci :

Mais jaçoit, Corisque, que ce que je t'ai dit soit beaucoup : toutefois ce n'est rien au prix de jouir de celle pour laquelle mourant, il se réjouissait : de celle, dis-je, qui si résolument combattait avec lui, non seulement en amour, mais à vouloir mourir, courir, dis-je entre les bras de celle, pour laquelle peu auparavant il courait si volontiers à la mort. C'est une telle rencontre, c'est un contentement si grand, qu'il passe beaucoup ce que l'on en pourrait penser.

Cela donne chez Apollinaire :

Corisque, tout ce que je t'ai dit, ce n'est rien auprès du bonheur de posséder celle pour laquelle, mourant, il se réjouissait; de celle pour qui il courait si volontiers à la mort.

Certes Apollinaire a bien fait de supprimer les lourdes subordinations (jaçoit que... toutefois), les répétitions (dis-je...dis-je); mais il a trahi l'original en éliminant le jeu verbal (caractéristique du goût de l'époque) qui exprimait l'espèce de compétition des deux amants dans l'amour et dans la mort. Pire encore, Apollinaire n'étant pas allé voir le texte italien n'a pas pu se

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rendre compte que «l'ancienne traduction» introduisait au début de ce passage un «au prix de» qui fausse tout. Guarini a écrit : «[le changement des obsèques en noces] ancor che molto sia, Corisca, è però nulla [encore que ce soit beaucoup, n'est

[19]pourtant rien].» L'arrêt de la phrase est essentiel; après la ponctuation forte, commence une phrase nouvelle (qu'aucune particule comparative ne lie à la précédente) dont la structure est : «Ma goder di colei per cui [...] questa è ventura tal, questa è dolcezza / ch'ogni pensier avanza» = Mais jouir de celle pour qui [...] c'est une chance si grande, un bonheur qui dépasse toute ima-gination.

Dès lors, il n'est pas surprenant qu'Apollinaire non seulement conserve les bévues de l'ancienne traduction, mais encore y introduise des erreurs. Pour rester dans la longue tirade d'Ergasto (p. 122), là où l'italien dit : «[Tu la verras avec Myrtil] uscir dal tempio ov'ora sono», l'ancienne traduction confond ora adverbe temporel (= où ils sont maintenant) avec ora substantif féminin, et donne :«sortir du temple où il y a bien une heure qu'il sont»; Apollinaire répète : «il y a bien une heure qu'ils sont là». Un peu plus loin, pour l'italien : «Chi loda la pietà, chi la costanza, / chi le grazie del ciel, chi di natura», «l'ancienne traduction» donnait correctement : «Qui loue la piété; qui, la constance; qui, les grâces du ciel; qui, de nature». Apollinaire semble ne pas avoir compris l'ellipse, et il a écrit : «Les uns louent la piété, les autres la constance, d'autres rendent grâces au ciel».

Une bévue plus étonnante encore apparaît vers la fin du fragment présenté (p. 124). «L'ancienne traduction» met en alexandrins séparés du texte deux vers gnomiques de l'original :

Et le fer et le feu, quand ils nous ont guéris, Bien qu'ils ayent fait mal, sont encore chéris.

Apollinaire modernise en aient (monosyllabe) l'auxiliaire «ayent» (bisyllabe), transformant du coup le dodécasyllabe en hendécasyllabe. Comment n'a-t-il pas perçu cette horreur?

Pour l'Aminta du Tasse Apollinaire donne un très large extrait : la scène 1 et plus de la moitié de la scène 2 (jusqu'au vers 449) du premier acte (pp. 110-9, la p. 113 étant occupée par le portrait du Tasse). Apollinaire se contente, comme à son habitude, et cette fois sans rien dire, de reprendre la traduction d'Emmanuel Chambert (Paris, Imprimerie de D. Jouaust, 1879). L'a-t-il confrontée au texte original dont il possède31 l'édition de Londres, 1774? Certaines menues retouches pourraient le faire penser. Dès le début Apollinaire rétablit l'ordre de l'italien :

Verrai dunque pur, Silvia, da i piaceri di Venere lontana menarne tu questa tua giovanezza?

en écrivant : «Tu veux donc, Sylvie, loin des plaisirs de Vénus, passer ainsi ta jeunesse», alors que Chambert avait : «Tu veux donc, Sylvie, passer ainsi la jeunesse, loin des plaisirs de Vénus». De même, il ajoute, quatre vers plus bas, le «je l'en prie», correspondant au «prego» du texte, que Chambert avait oublié. Dans la première réplique de Sylvie (toujours à la p. 110), Apollinaire change le mot «jouissances» de Chambert en «délices», qu'il juge plus proche de l'italien «diletti». Mais il commet une erreur en remplaçant «la montagne» par «les Alpes» à la fin de la deuxième réplique de Sylvie (p. 111, I. 7) : «amerà l'orso il mare e 'l delfin l'alpe» (vers 46, où

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«l'alpe» avec la minuscule désigne bien la montagne en général). Plus loin Apollinaire est plus fidèle au texte en mettant : «se moquer de loi en riant» (p. 112, I. 8), plutôt que «se moquer de toi sans pitié» pour l'italien : «te schernir ridendo» (vers 100); et il n'a pas de mal à corriger la bévue de Chambert qui, quelques lignes plus bas, faisait de «la haine» le «fils cruel» de l'amour (p. 112, I. 16).

[20]Mais pour le reste Apollinaire reproduit à la lettre la traduction de Chambert sans jamais

en voir les approximations ni les inexactitudes. Limitons-nous aux cas les plus graves. Au haut de la page 112 (I. 3-6), on lit : «Tâche donc (et veuillent les dieux que cette tentative soit vaine!), tâche que, lassé de mépris, il en vienne à trouver aimable celle à qui il plaîl si ton. Qu'en penses-tu?»; mais le texte italien est (vers 94-8) :

[...] Or fingi (e voglia pur Dio che questo fingere sia vano) ch'egli teco sdegnato, alfin procuri ch'a lui piaccia colei cui tanto ei piace;quai anime fia il tuo? [...]

qui signifie : Eh bien! imagine (et Dieu veuille que cette imagination soit vaine) qu'indigné contre toi, il en vienne enfin à faire que lui plaise celle à qui il plaît tant; qu'éprouvera ton cœur? — D'où l'on voit que si Apollinaire est capable de remplacer le «fassent les dieux» de Chambert par «veuillent les Dieux», il ne voit pas le sens de «fingere» et reprend le «qu'en penses-tu?» où est ignoré le sens de «fia». Il me semble qu'on a là la mesure de la connaissance qu'avait Apollinaire de la langue italienne. S'il l'avait connue davantage, il n'aurait pas accepté «cesse donc de soupirer et de te plaindre» (p. 115, I. 16) pour traduire : «tu bramar più non dèi» (vers 215); ni «Et s'il se livrait à des actes de folie, il écrivait aussi les choses les plus folles» (p. 115, 11. 25-6) pour traduire (vers 225-6) :

Nè già cose scrivea degne di riso, se bon cose facea degne di riso.

qui signifie au contraire : Et il n'écrivait certes pas des choses ridicules, même s'il faisait des actes ridicules.

Mais le plus surprenant peut-être est qu'Apollinaire ne se soit pas rendu compte de l' édulcoration pudique que la traduction de Chambert faisait systématiquement subir au texte, tout de même suggestif sans être salace, de l'Aminta(la chose sera beaucoup plus grave avec les textes comiques, on le verra plus loin). Voici quelques exemples. Là où le texte dit (vers 120) : «insidiator di mia virginitate», Chambert-Apollinaire ont «quiconque voudrait attenter à mon honneur» (p. 112, I. 31); même chose pour «la vite s'avviticchia a 'l suo marito» (vers 154), qui donne «la vigne s'unit à l'ormeau» (p. 114, I. 9). Apollinaire est même plus pudibond que Chambert. Pour le passage (vers 143-6) :

la biscia or lascia il suo veleno e corre cupida a 'l suo amatore;van le tigri in amore, ama il leon superbo [...]

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il écrit (p. 114, 11. 2-4) : «la vipère dépose son venin pour aller trouver le serpent. Les tigres subissent la loi de l'amour, le lion y soumet son orgueil [...]», en supprimant l'adjectif «amoureuse» que Chambert mettait à côté de la vipère, pour essayer, au moins, de ne pas oblitérer totalement le «cupida» du texte italien; inutile, bien sûr, de commenter le «subissent la loi de l'amour» pour rendre le réalisme de «van in amore».

Il faudrait répéter pour la traduction de la moitié de la scène 2 les mêmes remarques que pour la traduction de la première scène. Je signale seulement d'abord une grosse bévue. Là où le texte italien a un subjonctif de regret-souhait

[21] (vers 306) : «Oh pur qui fosse, e fosse mio!» (= Oh pourvu qu'il fût ici et qu'il fût mien!) la traduction Chambert-Apollinaire (p. 117, I. 21) «Quel qu'il fût, il était à moi!» non seulement ne comprend pas la valeur du subjonctif, mais encore confond l'adverbe de lieu italien qui (= ici) avec le relatif français qui (en italien = che). Et je relève ensuite une timidité surprenante de la part du poète. Là où le Tasse dit avec audace (vers 339-40) «e bevea da' suoi lumi / un'estranea dolcezza», Apollinaire recopie Chambert : «Je trouvais dans ses yeux une étrange douceur dont je m'enivrais» (p. 118, I. 4), oubliant que Baudelaire32 a écrit : «je buvais […] / Dans son œil [...] / La douceur [...]» («À une passante»). Mais Apollinaire a-t-il vraiment lu le texte de l'Aminta?

La comédie est la tranche principale de la section réservée au XVIe siècle. On a vu plus haut pour quelles raisons; raisons qui permettent de laisser de côté : La Mandragore de Machiavel, La Cassaria de l'Arioste, La Calandra de Dovizi da Bibbiena, et La Talanta de PArétin.

Les deux auteurs comiques que l'on rencontre d'abord dans ce siècle, en remontant le temps, sont Angelo Bcolco dit Il Ruzzante (1502-1542) et Andrea Calmo (1510-1571). Apollinaire donne un bref fragment de Rhodiana(pp. 106-9), qu'il attribue, selon la tradition, au Ruzzante, alors que depuis la thèse d'Alfred Mortier (Ruzzante, Paris, Peyronnet, 1925) cette pièce a été rendue à Calmo33. Et de celui-ci il donne un fragment encore plus bref de La Saltuzza. Pour le Ruzzante il disposait à la Bibliothèque nationale de deux éditions de Tutte le opere (Vicenza, 1584 et 1598) et d'une édition séparée de Rhodiana (Venetia, Bonadio, 1565); pour La Saltuzza, il n'avait qu'une édition (Trivigi, 1600). D'autre part, Apollinaire indique pour les comédies de Calmo : «aucune n'a encore été traduite en français» (p. 104), mais il ne dit rien pour Rhodiana, qui pourtant ne semble pas non plus avoir été traduite en français.

Dans ces conditions, en l'absence d'une découverte, analogue à celle advenue pour La Cassaria, qui montrerait qu'Apollinaire a plagié dans quelque livre les deux fragments en question, il faudrait supposer qu'il a, cette fois, travaillé directement sur le texte italien. Pourtant certains détails font naître le doute. Laissons de côté les lacunes trop nombreuses, parfois énormes (toute une page à la fin de la tirade de Lecardo, au début du fragment de La Saltuzza, p. 105). Parfois elles sont inexplicables, comme les trois lignes de latin coupées dans la première réplique de Robert dans Rhodiana (p. 106). Souvent elles sont dues à la difficulté du texte. Dans La Saltuzza par exemple (p. 105), l'italien «Tu debbi contender con il farnetico, bestia che soi» se réduit à «Bête que tu es», et «Forse che non soi venuto per tempo, manigoldo» à «Coquin!». Quant à Rhodiana, elle est en dialecte vénitien, et on peut se demander comment Apollinaire a bien pu avoir l'audace de s'attaquer à un tel texte.

Mais le plus étrange, ce qui rend presque impensable que ces traductions soient d'Apollinaire, c'est l'édulcoration quasi caricaturale des passages grossiers. Dans La Saltuzza, le

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parasite Lecardo, dans sa tirade du début (p. 105), déclare : «Écoutez Lecardo», alors que le texte dit : «il vostro padre corporale don Lecardo de Grassis», avec une allusion satirique au «padre spirituale» et un nom descriptif. Il continue «et faites selon ses préceptes», alors que le texte dit : «E fate quanto vi comanda gli santi precetti». Non seulement la traduction est un véritable contresens (à cause du possessif), mais de nouveau elle escamote l'allusion religieuse (= et faites tout ce que vous commandent les saints préceptes); à partir de là on tombe dans le ridicule le plus total avec «Il faut ouïr les oiseaux à l'aurore», quand le texte dit : «udir messa in l'aurora». Il me semble qu'il n'est pas nécessaire de connaître l'italien pour comprendre cela. Et il est difficile d'admettre qu'Apollinaire ait pu commettre pareille bourde.

Les choses ne vont pas mieux avec Rhodiana. Le fragment traduit est une scène d'exorcisme burlesque. Il s'agit pour deux compères, le faux possédé Truffa et le faux exorciseur Robert, de se débarrasser du vieux Cornelio. II y a d'abord une coupure pudibonde. Dans la seconde réplique de Robert (p.

[22]107), après «Messer Comelio vous le commande», le texte italien continue : «huomo di bona fama et conditione, et per le sue profumate muande, quali appresso voi son di grande autorità, presto uscite fuori» (et par ses caleçons parfumés, qui ont grande autorité auprès de vous, sortez vite), cela a été remplacé par trois points de suspension. Le bouquet, comme de juste, arrive à la fin. Le diable, qui est censé parler à travers le corps du mystificateur Truffa, dit enfin pour faire fuir le vieux Cornelio : «me voio ficar ne lo foro», et la traduction donne : «que je me mette dans le nez de ce petit vieux». Incroyable, impayable ce «nez», quand tout le monde peut comprendre dans quel trou (foro) veut se ficher (ficar) le diable. Vraiment il est impossible qu'Apollinaire ait pu écrire une telle insanité. Mais il est impardonnable de ne pas être allé contrôler le texte original.

Pour l'Arétin il ne reste à examiner que l'extrait de la comédie L'Hypocrite et l'extrait de la tragédie L'Orazia.

À propos de la comédie, Apollinaire déclare à la fin de la notice sur l'Arétin (p. 75) : «On a dit que L'Hypocrite (qui n'a pas encore été traduite en français) aurait donné à Molière l'idée du Tartuffe». Effectivement je n'ai pas trouvé de traduction française de cette comédie avant 1910. On peut donc, ici encore, supposer qu'Apollinaire a traduit lui-même le passage qu'il présente ainsi (p. 83) : «Voici une partie du prologue récité par deux acteurs». C'est la tirade du premier acteur, moins 6 lignes au début et 9 lignes à la fin. Je crois qu'il est inutile de relever tous les mots, syntagmes ou membres de phrase qui sont omis dans la traduction; ou d'insister sur les nuances (par exemple, l'emploi de «puisse» en concomitance avec «je voudrais», oblitère un peu la répétition systématique à 22 reprises dans cette page, de «vorrei» en tête de chaque phrase). Limitons-nous à quelques erreurs indiscutables. «Jusqu'à battre et à gratter les vieux chiens et les mules» ne rend pas «ritornasse a pettinare et a stregghiare i cani usati e le mule solite»; on a un véritable contresens avec «me plagient» pour traduire «mi compongon contra», qui signifie : écrivent contre moi (cf. à la ligne au-dessus : «leur enseigne comment se font les œuvres et non comment on les mord»); pour «una persona non men tacagna che finta», l'adjectif «bornés» ne peut rendre l'italien «finta»; un peu plus bas Apollinaire traduit «gagliofferia» par «lâcheté», alors qu'il s'agit en italien ancien de coquinerie, polissonnerie; dans la phrase «vorrei svisare gli sfacciati al modo che si sgrifano i porci» le contexte même empêche de traduire «je voudrais dévisager les impudents», à moins de donner à dévisager le sens archaïque de «déchirer le visage avec les ongles ou les griffes» que Littré enregistre encore, mais qui n'était plus usuel en 1910 (et voilà que ce menu détail jette la suspicion sur l'authenticité de la traduction d'Apollinaire : le

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poète a peut-être tout simplement plagié une traduction antérieure de ce fragment; mais où l'a-t-il trouvée?); bien sûr, «vorrei frappare i bugiardi» est traduit «je voudrais frapper les menteurs» alors que l'italien frappare n'a rien à voir avec «frapper» mais signifie au propre «festonner» et au figuré «ridiculiser»; l'italien «vorrei che quei Graziani, che...» devient «Et vous, gracieux qui [...]», alors qu'il s'agit d'une allusion à «Messer Graziano», type de médecin ignorant de la comédie italienne; il est étonnant qu'Apollinaire ait traduit «stronzi» par «ordures», lui qui ne craint pas le mot... sale, au besoin (et pour donner l'équivalent de «stronzi», il n'y a pas à savoir beaucoup d'italien). Le bouquet, de nouveau, est à la fin : «vorrei che una frequente milizia di polmoni rifrustasse il mostacciaccio de le mezze teste» donne «puisse une constante inflammation de poumons abattre la moustache...»; ce n'est plus de la traduction, c'est de l'in-vention, qu'Apollinaire a peut-être trouvée poétique; autant de mots, autant d'erreurs; milizia n'a jamais signifié «inflammation»; rifrustare, qui vient de frusta (= fouet), n'a jamais signifié «abattre», mais : fouetter sans cesse; quant à «il mostacciaccio», il suffit de lire la comédie, pour trouver en I, 4, subfine «pigliando piatti e scodelle, rompergliene tutti nel mostaccio» et en III, 10, à la fin :

[23]«Questa porta, chevi serriamo in sul mostaccio, le farà l'imbasciata», et comprendre qu'il ne s'agit pas de «moustache», mais de sale gueule; il faut donc traduire la phrase en question ainsi : je voudrais qu'une armée nombreuse de costauds (gens qui ont du souffle, de solides poumons) fouette mille fois la sale gueule des... (et il y aurait beaucoup à dire sur la traduction littérale de «mezze teste» par «demi-têtes»). Au total, il est à souhaiter pour la renommée d'Apollinaire que cette traduction ne soit pas de lui.

De L'Orazia, pour laquelle non plus je n'ai pas trouvé de traduction, Apollinaire donne un extrait assez bref du deuxième acte, vers 439-88. Pour faire vite, je laisse de côté les approximations («à tout amour» pour «ad ogni affetto d'amor colmo»; «riverire» est bien traduit par «révérer» au vers 480, mais «riverisco» devient étrangement «je vous rends grâce» au vers 481), et ne relève que les deux bévues caractérisées : au vers 454 «la vita di colui che piagni» est traduit «la vie de celui qui pleure», absurde dans le contexte («comme si plus digne / Était la vie de celui qui pleure / Que la victoire...»), alors qu'il faut comprendre : la vie de celui que tu pleures (et de nouveau naît le soupçon qu'Apollinaire ait copié une traduction quelque part, sans aller voir le texte original); le vers 470 «Teco d'un seme in un solo orto nati» est traduit : «Nés avec toi d'une semence dans le même sol», et il est à craindre que le traducteur (je n'ose plus dire Apollinaire) ait confondu orto, latin ortus, du verbe orior (= naître), avec orto = jardin (hortus)…

Il ne reste plus pour le XVIe siècle que les extraits des deux tragédies : Rosmunda de Rucellai et Sophonisbe de Trissino.

Il ne semble pas y avoir de traduction française de Rosmunda, et il est curieux qu'Apollinaire ne signale pas la chose. Comme, d'autre part, le passage qu'il cite coïncide exactement avec le passage qui figure aux pages 411-3 de l'anthologie de De Gubernatis (dont il a été question au début), on peut penser, cette fois encore, que la traduction est d'Apollinaire. Il s'agit de la fin de la pièce (acte V), moins les trois derniers vers dits par Rosemonde et moins le chœur final (15 vers). Le fragment n'est pas long : 60 vers dont certains sont très brefs. La traduction n'appelle pas de remarques importantes (un seul vers est omis en treizième position, p. 72). Malheureusement un menu détail vient de nouveau éveiller les soupçons : dans toutes les éditions, et dans l'anthologie de De Gubernatis, la scène a lieu entre Rosemonde et la suivante (serva, en italien); chez Apollinaire on a «Le Messager»; ce changement est-il dû au caprice du

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poète, ou à la traduction fragmentaire qu'il plagie peut-être (comme pour La Cassaria)?Pour Sophonisbe, Apollinaire déclare : «Aucune œuvre du Trissin n'a été traduite en

français» (p. 66). Or il existe la traduction en prose (mais en vers pour les chœurs) de cette pièce par Mellin de Saint-Gelais pour la représentation «devant le Roy en sa ville de Bloys» (Paris, de l'imprimerie de P. Danfrie et R. Breton, 1559), et l'imitation en vers par Claude Mermet (Lyon, L. Odet, 1584). Le plus troublant est qu'Apollinaire cite ces deux textes dans sa conférence35 L'Arétin et son temps, à l'Université nouvelle de Bruxelles, en janvier 1911 : en avait-il eu connaissance après la publication du Théâtre italien? ou bien les a-t-il volontairement passés sous silence? ou bien encore (car tout est possible avec Apollinaire) l'indication citée plus haut était-elle destinée, malgré la présence du nom de Trissin, à la notice sur Rucellai?

Passons sur les menues imprécisions de détail. Après le seizième vers de l'extrait (la traduction est vers pour vers), trois vers de l'original sont omis. Au vers 18 de l'extrait, on a «mes deux frères», quand le texte dit : «dolci miei fratelli». Aux vers 27-8 (p. 68) : «Je sens maintenant que la force me manque / et cependant je marche encore, lentement», la bévue est surprenante sur un texte très clair : «Or sento ben, che la virtù mi manca / A poco a poco, e tuttavia cammino». Un peu plus bas, les vers 36-7 sont dits par le chœur et non par Herminie. Aux vers 44-5 (p. 69), Sophonisbe dit dans l'original :

[24] «O figlio [...] statti con Dio», confiant son fils à Dieu, puisqu'il n'aura plus de mère (vers 44); Apollinaire traduit : «Dieu soit avec vous toutes», comme si Sophonisbe confiait les femmes du chœur à Dieu; mais l'italien «statti» est la deuxième personne du singulier de l'impératif du verbe starsi (mi sto, ti stai, etc.), dont la deuxième personne du pluriel est statevi. Encore plus grave est l'erreur au vers 49 (p. 70) : «Soulevez-vous encore vers mon baiser, vers mon visage» fait dire à Herminie Apollinaire, oubliant que l'objet de la douleur de Sophonisbe est son enfant, non sa suivante; le texte italien est : «Alzate il viso a questo che vi bacia», ce qui signifie : «Levez votre visage vers celui-ci [= cet enfant, votre fils] qui vous donne un baiser». Et l'erreur continue dans la réplique du chœur des femmes (ibid.) «Regardez encore ce visage», alors que le texte renvoie toujours au fils de Sophonisbe («Riguardatelo ancora»), Après le vers 62 (p. 76) il y a une coupure de 56 vers de l'original (dits par le chœur et par Herminie); et après le vers 74 (p. 71) il y a une coupure de 23 vers. Le fragment s'arrête à 77 vers de la fin de la tragédie.

G

Notre marche à rebours arrive à la dernière étape, qui est la première dans le volume : «Les Origines du théâtre italien» (pp. 54-64). Apollinaire a choisi trois auteurs échelonnés sur trois siècles, de façon à rendre sensible l'évolution vers une forme théâtrale véritable : Le Politien (1454-1494), Feo Belcari (1410-1484), Jacopone da Todi (1236-1306).

Pour le Politien, Apollinaire donne une sorte de résumé avec citations à'Orphée (représenté en 1471) : «Voici, en même temps que l'argument de l'Orfeo, des extraits traduits en français pour la première fois» (p. 60). II est vrai qu'il existe une traduction : Orphée (Orfeo), tragédie lyrique en 5 actes, dans Théâtre européen (Nouvelle collection des chefs-d'œuvre des théâtres allemand, etc.), Théâtre italien, lère série, t. I, Paris, Guérin, 1835; mais ce n'est pas l'œuvre du Politien, qui ne compte que 342 vers et n'est pas divisée en actes; il s'agit d'une élaboration selon le goût classique faite par Ireneo Affò en 1776 (Venezia, Giovanni Vitio). Il faut donc, jusqu'à preuve du contraire, croire Apollinaire sur parole et contrôler sa traduction sur le texte du Politien.

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Il n'y a rien à dire sur le premier fragment (pp. 61-2), monologue de Mercure qui annonce la fête (vers 1-14). Mais Apollinaire commet une erreur dans le résumé qui suit, car le vers «Aristée aime et ne veut pas désaimer» ne se trouve pas «plus loin» (p. 62) par rapport au vers «Mopse, autant dire ces choses au vent» (d'ailleurs inexactement traduit), qui le précède immédiatement dans l'original (vers 46 et 47). Ce détail est gênant, car il fait penser qu'Apollinaire ne travaille pas directement sur le texte italien, mais qu'il utilise un résumé antérieur.

Viennent ensuite des fragments de la Canzona d'Aristée : le refrain (vers 54-5), puis la première strophe (vers 56-61), la troisième (vers 72-7), et les deux derniers vers de la dernière (vers 84-5).

Après la traduction de trois vers d'une tirade de Tircis (vers 104-6), on a les six premiers vers brefs de la déclaration d'Aristée à Eurydice (vers 128-33) où une «mademoiselle» surprend un peu, et où «ch'i' ti son tanto amico» devient «je suis ton amant», et «chi ti porta amore» devient «je te voue mon amour». Dans la traduction (p. 63) de douze vers des lamentations d'Orphée (vers 153-64) quelques erreurs apparaissent : «merzé s'empetra» (vers 158) ne signifie pas «on admet la pitié», mais «on obtient la pitié»; «svolgerem la dura sorte» (vers 159) est faiblement rendu par «changerons-nous», de même pour «e' fiumi svolti» (vers 164) rendu par «détourné de leur lit les fleuves», car svolgere est là l'inverse de volgere, et signifie : faire aller en sens inverse; enfin «la cervia e 'l tigre insieme avemo accolli» (vers 163) n'est pas «nous avons

[25]attiré en même temps le cerf et le tigre», mais : « nous avons réuni la biche et le tigre» (Orphée énonce une série d'adunata). La réponse de Pluton (vers 237-44) contient une autre bévue; deux vers avant sa fin (vers 241-2) on a :

dunque el tuo gran disire, Orfeo, correggi, se non, che tolta subito ti fia.

Apollinaire traduit (p. 64) :

Donc, Orphée, modère ton grand désir afin qu'Eurydice ne te soit pas aussitôt ravie.

mais le sens littéral est : sinon, qu'elle te soit aussitôt ravie. Enfin les dernières paroles d'Eurydice (vers 245-50) sont :

Oimè, che'l troppo amoren'ha disfatti ambendua.Ecco ch'i' ti son tolta a gran furore,nè sono ormai più tua.

Apollinaire n'a pas compris «disfatti» qu'il a traduit par «sépara», alors qu'il signifie «nous a perdus»; il n'a pas compris non plus «a gran furore» qu'il traduit «par la fatalité cruelle», alors que cela signifie «avec grande violence»; et il commet une bévue sur «ormai» du dernier vers : «je ne suis plus à toi! à jamais!», alors qu'il faudrait : «je ne suis désormais plus à toi».

C'est encore au seul Apollinaire qu'il faut, jusqu'à preuve du contraire, attribuer et le

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choix et la traduction d'un passage de la Représentation de l'Annonciation de Feo Belcari, comme échantillon des «sacre rappresentazioni» du XVe siècle (pp. 59-60). Je n'ai pas trouvé ce texte dans les diverses anthologies consultées, comme je n'en ai pas trouvé de traduction française. Mais on n'est jamais sûr de rien avec Apollinaire Je peux dire, en tout cas, qu'il a suivi (lui ou celui qu'il a pillé) l'édition de 1608 de La Rapresentatione della Annuntiatione di Nostra Donna (In Siena, alla loggia del Papa), possédée par la Bibliothèque nationale de Paris, puisque les autres éditions qui figurent dans cette Bibliothèque (Firenze, aprile 1546, et Fiorenza, ad istantia di J. Chiti, 1572) n'ont pas «adoralo» comme dernier mot du dernier vers cité par Apollinaire, mais «scaldato» (il s'agit de bêtes; peut-être craint-on au XVIIe siècle de ternir la gloire de Dieu).

La traduction est plutôt libre36 . Par exemple, le dernier vers de l'Ange au prophète Daniel est : «che tu ne sai quanto altri, o più l'intero» : il devient : «Mieux que quiconque tu connais la vérité» (p. 59); le deuxième vers de l'Ange à la Sibylle de Cumes est : «Per gratia di, di quel Signor che regge», il devient :«Par la grâce, de ce Seigneur qui gouverne», alors que le sens est : De grâce, parle de ce Seigneur qui gouverne; l'avant-dernier vers prononcé par la Sibylle de Cumes (p. 60) est «di poverello, et ricco essendo nato», il devient, par un étrange passage du masculin au féminin : «Il naîtra d'une pauvre femme de riche extraction». Dois-je dire que c'est ce vers qui me fait le plus douter qu'on ait affaire à une traduction vraiment d'Apollinaire?

Enfin Apollinaire ouvre son Choix de textes avec deux passages des Laude de Jacopone da Todi. Cette fois il n'y a pas à chercher bien loin : il s'est contenté de copier ces deux passages dans Les Poètes franciscains en Italie au treizième siècle de A.-F. Ozanam (ce livre est cité deux fois dans les notes bibliographiques, p. 16 et p. 54). On peut se demander comment le poète n'a pas signalé son plagiat comme il a signalé qu'il reprenait des traductions antérieures pour le Pastor fido, le Ballet royal de l'Impatience, Une Partie d'échecs,

[26]

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Les Déshonnêtes car l'ouvrage d'Ozanam a été fameux pendant le XIXe siècle et au-delà37 (et utilisé par tout le monde, d'ailleurs). Apollinaire reprend même les titres38 qu'Ozanam avait donnés aux deux fragments. Voici comment celui-ci introduit le premier (p. 214) : «composition de 444 vers, où, sous une forme empruntée à la fois du drame et de l'épopée, le poète s'est proposé de chanter la réparation de la nature humaine», puis le second (p. 220) : «je trouve l'essor lyrique dans le cantique suivant, où Jacopone représente le Christ en quête de l'âme errante» (j'ai mis en italique les titres des deux passages dans l'anthologie d'Apollinaire).

Apollinaire ne prend même pas la peine d'aller voir l'original. S'il l'avait fait, il aurait constaté au premier coup d'œil qu'il n'y a pas chez Jacopone d'indication de personnage. Dans le premier morceau, Jacopone introduit par quelques mots ou quelques vers le personnage qui va parler, dans le second, le changement d'interlocuteur est seulement indiqué par le texte même. Il est clair qu'en mettant le nom du personnage en tête de chaque réplique qu'il découpe dans la trame du poème Ozanam a accentué abusivement l'aspect scénique du texte. À deux reprises, d'ailleurs, il n'est pas cohérent avec lui-même. Lorsqu'il écrit :

La Pénitence envoie la prière à la Cour du Ciel : «Je demande miséricorde, dit-elle, et non justice»

et encore :

Aussitôt la Miséricorde est entrée à la cour céleste : «Seigneur, je pleure mon héritage [...]»

il oublie que partout ailleurs il a remplacé l'espèce de didascalie narrative qui introduit le personnage chez Jacopone par le nom seul du personnage; il aurait donc dû mettre : La Pénitence — «Je demande [...]», et La Miséricorde — «Seigneur, je pleure [...]». Apollinaire ne s'est même pas rendu compte de cet illogisme. Bien plus, il aggrave encore la trahison d'Ozanam, en supprimant les raccords que celui-ci avait insérés chaque fois qu'il opérait de grandes coupures dans le texte de Jacopone. Par exemple, après les paroles de Dieu le Fils qui se terminent par «conserveront leurs droits» (p. 56), Apollinaire met trois points de suspension et élimine le raccord d'Ozanam (qui saule du vers 121 au vers 168) : «Ici le poète raconte la création de Marie, l'annonciation, l'enfantement divin». Après les paroles du Poète qui se terminent par «ni un toit ni une couverture» (p. 56), Apollinaire met trois points de suspension et élimine le raccord : «Les vertus rassemblées devant Dieu font de grandes lamentations». Après les paroles de Dieu le Père qui se terminent par «je relèverai au-dessus des cieux» (p. 56), Apollinaire met trois points de suspension et élimine le raccord : «Les sept Dons du Saint-Esprit viennent faire la même plainte et Dieu le Père les envoie de même au Rédempteur. Enfin paraissent les sept Béatitudes». Tout cela fait qu'un lecteur qui ne connaît pas le texte de Jacopone peut croire que celui-ci a écrit une scène de pièce de théâtre!

Quant à la traduction elle-même, c'est celle d'Ozanam qui ne s'astreint absolument pas à la littéralité. Apollinaire y apporte de menues retouches, comme le remplacement de «félonies» par «trahisons», et une bévue à la fin de ce que dit la Miséricorde (bas de la p. 55) : «et de tout mon bonheur elle m'a dépouillée», alors qu'Ozanam, fidèle au texte italien, donnait «honneur», terme qu'appelle tout le contexte (voir à la suite : «qui nous rende l'estime el l'honneur», et «vous ayez le repos, l'honneur sans tache»); mais, on l'a dit, Apollinaire survole tout cela de haut.

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* * *

Peut-on tirer quelques conclusions de tout ce qui précède? Il vaut mieux ne pas insister sur les plagiats, ni sur l'ignorance de la langue italienne de la

part du poète. Cela on le savait, sans qu'il soit besoin de celte nouvelle preuve. Accabler sur ce point Apollinaire serait faire preuve d'une rigueur partiale : de tout temps, et même aujourd'hui, les traducteurs souvent connaissent peu ou môme ignorent tout à fait la langue des textes qu'ils traduisent, et presque toujours ils «utilisent» les traductions antérieures. Le plus grave, de ce côté, c'est qu'en adoptant, les yeux fermés, des traductions antérieures infidèles (qui ne sont même pas belles, en général) Apollinaire donne à ses lecteurs une vue fausse (pour le vocabulaire, la langue, le style, le ton, etc.) des textes italiens (comme la chose a été signalée plus d'une fois au cours de la présente étude).

Mais il faut, me semble-t-il, souligner que Le Théâtre italien, plus que pour son contenu (qui n'est cependant pas à négliger, on l'a vu) est intéressant pour le problème fondamental qu'il soulève, parce que c'est le problème que pose le fonctionnement même, quel que soit le domaine où il s'exerce, du génie du poète. Le registre change, les démarches restent identiques : intégrer dans un ensemble des morceaux pris de divers côtés. Quand il s'agit d'une espèce de manuel scolaire et d'une anthologie (ou quand il s'agit de la présentation d'un auteur, comme ceux dont s'est occupé Apollinaire pour les collections des «Maîtres de l'Amour» et du «Coffret du Bibliophile», chez les frères Briffaut) le procédé apparaît dans son caractère élémentaire, et il entre dans une pratique généralement admise. Mais quand il s'agit de poésie, ce travail de marqueterie ou de mosaïque39 est infiniment plus risqué : ou bien Apollinaire réussit l'assimilation des emprunts et leur synthèse, et on a un chef-d'œuvre; ou bien il livre les matériaux tels quels et plus ou moins en vrac (un minimum d'organisation est tout de même indispensable), en espérant que la poésie viendra s'y ajouter d'elle-même.

[28]

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ANNEXE a

Sur un total de 44 gravures et portraits, 11 sont en pleine page, et 22 occupent plus de la moitié de la page. Les portraits n'ont pas grand intérêt. Mieux venues sont les illustrations en pleine page représentant : une scène d'opéra (p. 127) et un ballet (p. 129) au XVIIe siècle, une salle de spectacle à Vérone au XVIIIe siècle (p. 133), et une scène du Menteur de Goldoni (p. 151).

Ces illustrations posent, elles aussi, un problème difficile à résoudre. Le choix est-il de Ch. Simond ou d'Apollinaire? Un fort argument en faveur du premier est que le volume fait partie de la collection «Encyclopédie littéraire illustrée», qu'il dirige. En outre, les illustrations relatives au XVIlc et au XVIIIe siècle, et en particulier aux comédiens italiens, sont les plus significatives et en pleine page : frontispice («un protagoniste de la commedia dell'arte»), p. 13 («départ des comédiens italiens en 1697»), p. 127. p. 129, p. 133, p. 151 (pour ces quatre dernières illustrations, voir plus haut); or Ch. Simond a inséré dans le volume son étude sur «Le Théâtre italien en France» (pp. 9-14).

Mais Apollinaire semble revendiquer le choix dans la «Préface» : «l'iconographie très abondante donne une saveur particulière à l'ensemble» . Si c'est exact, où a-t-il pris les illustrations? Aucune des anthologies italiennes que j'ai pu consulter (voir ci-après note 3) n'en comporte; le «recueil» (comme dit Apollinaire) de De Gubernatis (voir plus haut, p. 6) n'en a pas non plus; dans le Teatro classico italiano de 1829 (voir plus haut, p. 7), on trouve, réunis dans une seule page, 24 médaillons reproduisant les têtes des 24 auteurs présentés dans le recueil, mais aucune de ces gravures ne correspond à celles qui figurent dans le volume d'Apollinaire. Du côté français, aucune des traductions, aucun des recueils de traductions du théâtre italien antérieurs à 1900, que j'ai pu consulter, aucune des histoires de la littérature italienne publiées en France avant 1900, que j'ai pu consulter, n'en comportent. Apollinaire est-il allé les chercher ça et là dans divers volumes? Peut-être quelque «spécialiste» dans le domaine de l'illustration réussira-t-il à trouver la solution.

ANNEXE b

La structure (ou le plan, comme on disait autrefois) du «Tableau du théâtre italien» (pp. 15-52) est claire, simple et solide, comme il ressort du schéma suivant commenté.

Après une page, un peu en hors-d'œuvre, sur les influences que le théâtre italien a exercées sur les autres littératures, les origines du théâtre italien sont abordées avec les «tensions» ou disputes politiques et les dialogues franciscains aux XIIIe et XIVe siècles.

[29]Au XVe siècle apparaissent les premières ébauches d'un théâtre avec les «sacre

rappresentazioni», et vers la fin du siècle Orfeo du Politien inaugure un genre nouveau où le chant se mêle aux dialogues.

Le XVIe voit l'épanouissement des trois genres «classiques» : la tragédie, la comédie, la pastorale.

Au XVIIe le renouvellement se manifeste grâce à l'opéra et à la commedia deirartc.Le XVIIIe est une période de renaissance pour la tragédie, pour l'opéra et pour la

comédie.La première moitié du XIXe siècle est remplie par l'éclosion du drame romantique, alors

que la comédie est plutôt faible.

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C'est ici que se place une inadvertance d'Apollinaire. Il tient compte, à juste titre, de la «renaissance du théâtre dialectal», mais il a le tort de la mettre à côté du drame romantique et de la comédie, alors qu'il écrit lui-même (p. 44) : «Cette renaissance du théâtre en patois (en réalité : dialecte] date de la seconde moitié du XIXe siècle». Elle devait donc entrer dans la dernière partie de son exposé, consacrée au «Théâtre italien contemporain» (de 1850 à 1900).

Quant à l'anthologie, elle n'a plus qu'à remplir avec les textes les cases d'un ensemble si nettement dessiné.

ANNEXE c

Il y aurait beaucoup à dire sur les références bibliographiques disséminées ça et là (toujours en note) dans le livre. Voici quelques remarques.

II convient, d'abord, de distinguer les références aux ouvrages italiens des références aux ouvrages français. Ce sont les premières qui sont le plus sujettes à caution. Tel ce MARZOCIO, Goldoni, 1909 (p. 148), où cet étrange «marzocio» semble plutôt défigurer les éditions du «Marzocco» de Florence, mais comment en retrouver l'auteur? Il existe bien (possédé par la Bibliothèque nationale) un Carlo Goldoni, publié à Florence par Angelo De Gubernatis; mais c'est chez Le Monnier et non au Marzocco, et il s'agit d'un cours tenu à l'Université de Rome pendant l'année scolaire 1910-1911, et publié en 1911; Apollinaire ne pouvait en avoir connaissance, puisqu'il écrit à Jules Romains le 8 novembre 1909 qu'il a livré son travail (il paraîtra en 1910) à l'éditeur (Correspondance Jules Romains — Guillaume Apollinaire, citée, p. 55).

Parfois les indications sont extrêmement vagues. C'est ainsi qu'on trouve à la p. 18 : Rossi, Il Quatrocento [sic], et à la p. 120 : Rossi, Battista Guarini e il Pastor fido, Turin, 1886. Mais Rossi en Italie, c'est Dupent ou Durand en France. Un Rossi Vittorio a collaboré au volume Il Quattrocento, Milano, Vallardi, 1900, dans le cadre d'une «Storia letteraria d'Italia, scritta da una società di professori». Mais je n'ai pas réussi à trouver le Rossi auteur d'un ouvrage sur Guarini.

Passons sur les coquilles : dans Emma Longinotti-Baccini e Manfredo Baccini, la conjonction e devient E., initiale de prénom (p. 15); Pasquale Villari perd un 1 à la p. 91; etc. Plus préoccupant est le cas de cet étrange Dr Gubernalis [sic], qui ne figure dans aucun fichier des grandes bibliothèques, donné à la p. 141 comme l'auteur d'un Metastasio (1910); on pense tout de suite à une grosse coquille pour Angelo De Gubernatis, et effectivement ce dernier a publié un Pietro Metastasio, chez Le Monnier à Florence en 1910; mais il s'agit d'un cours tenu à l'Université de Rome pendant l'année scolaire 1909-1910 (postérieur donc à juin 1910); Apollinaire ne pouvait en avoir connaissance : non seulement cet ouvrage ne figure pas à la Bibliothèque nationale, mais encore Apollinaire écrit à J. Romains le 8 novembre 1909 qu'il a remis son travail à l'éditeur

[30] (voir plus haut) et son livre ne semble pas avoir été publié après le mois de juin 1910.

Il serait trop long de relever les approximations. On trouve, par exemple, à la p. 16, F. Torraca, Teatro italiano di secoli XIII et [sic] XIV, Milano, 1902; mais la référence précise est : Francesco Torraca, Il teatro italiano dei secoli XI II, XIV e XV, Firenze, Sansoni, 1883, XL-456 pp. Ou encore, à la p. 15. Ernesto Masi, Studi sulla storia dei teatro Italiano, Milan, 1902, alors qu'il faudrait : Ernesto Masi, Sulla storia dei teatro italiano nel seccolo XVIII, studi, Firenze, Sansoni, 1891, 424 pp., et du coup l'indication ne devrait pas figurer à la p. 15 comme étude

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générale, mais à la p. 35 comme étude sur le théâtre italien au XVIIIe siècle.Plus d'une fois la référence est de pure façade : si l'on va contrôler le contenu de l'ouvrage

cité. on constate qu'il n'a rien à voir avec le théâtre italien. C'est le cas, par exemple, pour Flamini Francesco, Studi di storia letteraria italiana e straniera, Livourne, 1895 (p. 15; il faut ajouter : éd. R. Giusti, et IX-453 pp.), dont voici la table des matières :

— Gli imitatori della lirica di Dante e del Dolce stil novo.— Il luogo di nascita di Madonna Laura e la topografia del canzoniere petrarchesco.— Per la storia d'alcune antiche forme poetiche italiane e romanze.— Le lettere italiane alla corte di Francesco I, re di Francia.— Le rime di Odette de la Noue e l'italianismo a [sic] tempo d'Enrico III.— La Historia di Leandroy Hero e l'Octava Rima di Giovanni Boscan. Appendice — Trionfo della Bellezza di Amomo.

I plagi di Filippo Desportes.Ero e Leandro di Musco [sic, pour Museo] (traduzione metrica).

C'est le cas encore pour Graf Arturo, Attraverso il cinquecento, Turin, 1888 (p. 24; il faut ajouter : éd. Loescher, et 394 p.), dont voici la table des matières :

1 — Petrarchismo ed antipetrarchismo.2 — Un processo a Pietro Aretino. 3— I pedanti.4 — Una cortigiana fra mille : Veronica Franco.5 — Un buffone di Leone X.

Inutile d'insister. Apollinaire n'a pas lu les ouvrages italiens qu'il cite dans ses notes bibliographiques (je prends au hasard : p. 24, De Amicis, L'imitazione latina nella commedia italiana dei XVI secolo. Milan, 1902; p. 172, Kerbaker, Un luogo di Shakespeare imitato da V. Monti, Florence, 1902; etc.). Encore moins a-t-il lu la dissertation latine de l'allemand F. 0. Mencken, Historia vitae et in litteras [sic] meritorum Angeli Politiani, Leipzig, 1736 (p. 60), pointe extrême de sa mise en scène bibliographique.

Pour les ouvrages français les choses sont différentes. Certes les approximations ne manquent pas ça et là; elles attestent qu'Apollinaire n'a pas lu l'ouvrage qu'il cite. À la p. 35 on trouve : Rabany, Goldoni et son temps, le théâtre et les mœurs en Italie au XVIIIe siècle; et à la p. 148 voici : Rabany, Goldoni et son temps, Paris, 1900. Il s'agit là certainement d'une référence de seconde main, et mal enregistrée. D'après les catalogues des grandes bibliothèques, il existe seulement le volume : Charles-Guillaume Rabany, Carlo Goldoni — Le théâtre et la vie en Italie au XVIIIe siècle, Paris, Berger-Levrault, 1896, IX-429 pp. De même, pour n'ajouter qu'un seul exemple, Apollinaire cite, bien sûr, à propos de la commedia dell'arte (p. 31) les deux volumes de l'ouvrage classique de Maurice Sand, mais avec le titre, Masques et bouffons

[31]de la comédie italienne, alors qu'il faudrait Masques et bouffons (comédie italienne), et avec la date 1862 au lieu de 1860.

D'autre part, il est raisonnable de penser qu'Apollinaire n'a pas lu les grandes sommes, comme l'Histoire littéraire d'Italie de Pierre Louis Ginguené, terminée en 1819, à laquelle il attribue 3 volumes (p. 15), mais qui en comporte 9. On en a peut-être une confirmation dans le fait qu'il cite seulement (p. 40) de Roux Amédée le dernier volume de la Littérature contemporaine en Italie (1883-1896), Paris, 1897 (la date est 1896, l'éd. Plon), alors que celui-ci

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est précédé de trois volumes (respectivement pour les périodes : 1800-1859, 1859-1874, 1873-1883).

En revanche Apollinaire a puisé à pleines mains dans la Littérature italienne d'Henri Hauvette (1903, un seul volume, cité p. 15) et dans Le Théâtre italien contemporain de Jean Dornis (1904, cité p. 40), comme il a été montré au cours de la présente étude. Il a pillé Frédéric Ozanam, Les Poètes franciscains en Italie au treizième siècle (p. 16 et p. 54), pour la traduction de Jacopone da Todi.

Même certains ouvrages, signalés dans les notes bibliographiques, mais qui n'ont pas de rapport direct avec le théâtre italien, lui ont fourni quelque chose. C'est ainsi que de la traduction des Dernières lettres de Jacques Ortis signalée p. 40, note 2 (il faut ajouter : Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, 1906, in-16, XLII-282 pp.) il tire une citation de J. Luchaire et une autre d'Emile Faguet (pp. 40-1). De même, La Bibliothèque de Guillaume Apollinaire (Éd. du C.N.R.S., 1983) signale que le poète possède les Conversations de Goethe pendant les dernières années de sa vie (1822-1832) recueillies par Eckermann; et Apollinaire fait figurer cet ouvrage dans une de ses notes bibliographiques (p. 35), et il en cite des passages à propos du théâtre italien au XVIIIe (pp. 39-40) et à propos de Manzoni (p. 42).

Mais le cas le plus amusant est celui de l'ouvrage de Lefebvre Saint-Ogan, De Dante à l'Arétin, signalé à deux reprises dans les notes bibliographiques (p. 21 et p. 24; ajouter éd. Quantin, 330 pp.). Le sous-titre (non indiqué par Apollinaire) : «La Société italienne de la Renaissance» et la table des matières (1. Le Caractère national — 2. La Religion — 3. La Démocratie — 4. La Tyrannie — 5. La Guerre — 6. Le Commerce — 7. L'Humanisme et les lettrés — 8.. La Vie de cour — 9. La Famille et l'éducation — 10. Les Femmes — 11. La Campagne et la vie champêtre — 12. Les Fêtes) semblent exclure a priori ce livre d'une recherche sur le théâtre italien. Or Apollinaire en a tiré le premier fragment de La Cassaria de l'Arioste qu'il met dans son anthologie. Il est vrai que ce fragment se trouve dans le chapitre Les Femmes. Il est probable qu'Apollinaire n'en a pas lu davantage.

Enfin, dans la note 1 de la p. 40 figure François Gaeta, L'Italie littéraire d'aujourd'hui, Paris, Sansot, 1904. Or La Bibliothèque de G. Apollinaire (op. cit., p. 73) signale que cet ouvrage de 63 pp. (qui n'est pas au catalogue de la Bibliothèque nationale) était possédé par le poète et que celui-ci a coché au crayon rouge plusieurs noms dans les notices bibliographiques des principaux écrivains italiens.

[32]

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NOTES

1. C'est le pseudonyme du polygraphe Paul Adolphe Van Cleemputte.2. En revanche les collections des «Théâtres étrangers» ou des «Théâtres européens»

(sous des appellations diverses : «Chefs- d'œuvre des...», «Panthéon dramatique...», «Répertoire des...», etc.) ne manquent pas dans lesquelles le théâtre italien occupe plusieurs volumes.

3. Les choses ne changent guère avec la monumentale anthologie de Giuseppe Lipparini, Le Pagine della letteratura italiana (Milano, Carlo Signorelli, 1923-1925, 20 vol.), où, par exemple, dans le vol. VI, consacré à Machiavel, sur 174 pages de texte (pp. 10- 184), six exactement sont accordées à La Mandragola (pp. 165-70; a. 11. se. 3 et 4; a. IV, se. 1, 2 et 9; a. V, se. 1), avec l'indication suivante : «è considerata il capolavoro del Teatro comico e cinquecentesco; ma poco, e di poco sapore, se ne può riferire, per ragioni di onestà». Et dans l'importante (plus de 4 500 pages au total) anthologie de Luigi Russo, I Classici italiani, utilisée dans les classes supérieures des lycées d'après la seconde guerre mondiale (la 1ère éd. est de 1938-1940, la 5e de 1948; éd. augmentée en 1949. etc.) ne figurent ni La Mandragola, ni les comédies de l'Arétin, ni aucun texte de Calmo ni de Ruzzante.

4. Pour faire bref, je renvoie aux pp. 652-3 du vol. III des Œuvres en prose complètes dans la «Bibliothèque de la Pléiade». On y trouvera facilement les passages repris dans Le Théâtre italien.

Apollinaire parle de Ca;mo dans son introduction à L'Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo («Les Maîtres de l'amour», Bibliothèque des curieux), ouvrage qu'il cite dans une de ses notes de bibliographie (p. 35, n. 1). Mais la coïncidence de la date de publication (1910) avec celle du Théâtre italien ne permet pas de trancher la question d'antériorité.

5. Charles Simond s'est très certainement occupé du livre d'Apollinaire, puisqu'il publie, aux pp. 9-14, une étude sur Le Théâtre italien en France.

6. Voir Correspondance Jules Romains — Guillaume Apollinaire, publiée par Claude Martin, éd. Jean-Michel Place, 1994, p. 55.

7. Apollinaire, Tendre comme le souvenir, Gallimard, 1952, p. 182.8. J'ose dire que le contenu de ce volume dépasse les connaissances d'un agrégé d'italien

actuel, qui n'aurait pas eu le théâtre italien au programme de son concours.9. Catalogue de la bibliothèque de Guillaume Apollinaire, établi par Gilbert Boudar, avec

la collaboration de Michel Décaudin, Éd. du C.N.R.S., 1983, p. 77.10. C'est le pseudonyme d'Elena Goldschmidt (née à Florence en 1870), épouse de

Guillaume Beer, puis d'Alfred Droin. Elle a écrit des romans et des ouvrages de critique (sur la littérature italienne, en particulier).

11. Il a dû se passer quelque chose; alors qu'il n'y a aucune bibliographie pour le théâtre italien contemporain (à la p. 45), quatre des cinq ouvrages cités dans la bibliographie pour le XIXe siècle (à la p. 40) portent sur la

[33]période contemporaine (outre Dornis, il y a : Roux, La Littérature contemporaine en Italie, 1897; François Gaeta, L'Italie littéraire d'aujourd'hui, 1904; et Luigi Capuana, Il teatro italiano contemporaneo).

12. Apollinaire semble ignorer que le De italien n'est pas une marque de noblesse (il le confond avec le de français).

13. Voir l'«Index des noms» à la fin du vol. III des Œuvres en prose complètes, cité. Apollinaire s'est procuré après 1912 le vol. Le Fiabe di Carlo Gozzi (Lanciano, 1912), voir La

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Bibliothèque de G. Apollinaire, cité, p. 211.14. Voir Que vlo-ve?, 2e série. n° 23, juillet-septembre 1987, pp. 16-20; 3e série, n° 2,

avril-juin 1991, pp. 50-2; 3e série, n° 5, janvier-mars 1992, pp. 6-9; 3e série, n° 10. avril-juin 1993, pp. 29-35.

15. Et s'il avait connu tant soit peu l'italien, comment n'aurait-il pas été frappé par l'extraordinaire sorte, participe passé de sorgere (latin : surgere), où il y a tout le jaillissement des sources (sorgenti), du soleil (sorge il sole), de la vie.

16. Je signale, au passage, dans ce second fragment, une phrase omise (parce que difficile?) : «E' forse triste guadagno saper giuocare di terra?»; la traduction étrange de «malanno» par «mal an»; et l'erreur sur la phrase «Si che 'l mio proprio nome ti vo ricordare anco», traduite par : «et si tu veux te souvenir de mon nom» (alors qu'il faudrait : de sorte que je veux te rappeler mon nom).

17. Voir Catalogue, cité.18. Le nom du traducteur n'apparaît ni sur la couverture, ni sur la page de titre, mais l'

«Avertissement» indique clairement qu'il s'agit du «cavalier Sigismondo Visconti».19. Malvagia est la corruption populaire de malvasîa (malvoisie) et désigne ici la

boutique où l'on vend le vin.20. Apollinaire aurait été mieux inspiré de copier la traduction de Pr. Comte (de Maynal)

publiée en 1853, dans un volume du Théâtre italien de la collection Panthéon dramatique étranger, elle semble plus fidèle au texte que celle d'A. Trognon.

21. On sait qu'Alfieri, qui vécut à Paris de 1787 à 1792, déçu de voir «la sacra e sublime causa della libertà» trahie par la Révolution française, a écrit une violente diatribe contre les Français : Il Misogallo.

22. Scipione Maffei, Mérope, nouvellement traduite par M. l'abbé D.[u] B.[ourg], Paris, Veuve Bienvenu, 1743.

23. Mérope, Tragédie par Monsieur le Marquis Scipione Maffei, traduite en français par Monsieur Fréret, Secrétaire de l'Académie royale des Belles-Lettres, Paris, 1718.

J'ajoute que l'abbé Du Bourg ne s'est pas fait faute de reprendre, ça et là, la traduction de Fréret; par exemple, les II. 36-41 de la p. 139, et les II. 3-9 de la p. 40, sont identiques chez l'un et chez l'autre.

24. Encore, selon l'habitude de Du Bourg, une image banale de la tragédie française introduite dans le texte de Maffei.

25. Tendre comme le souvenir, cité, p. 153.26. Parmi lesquelles figure «Cul», bien entendu; et il me semble qu'il ne faudrait pas dire

«Ambracoulac» dans la traduction française (p. 80), mais au moins «Ambraculac», pour conserver la valeur évocatrice de «cul».

27. La Bibliothèque de G. Apollinaire, op. cit., indique à la p. 212 : Il Pastor fido, Tragi-comedia Pastorale del Cav. Guarini [s.l., s.n., s.d.], 237 pp.

28. Par ex., celle de l'abbé de Torche, qui a eu plus de dix éditions de 1064 à 1720, tant en France (principalement à Lyon) qu'à l'étranger (ces dernières ne figurent pas au catalogue de la bibliothèque Nationale de Paris, mais il y a, par ex., deux éditions à Cologne, chez Pierre de Marteau, en 1671 et 1677, possédées par la Biblioteca nazionale Centrale di Firenze [Palatine], et

[34]une édition à Bruxelles, chez Jean de Smedt, en 1705, possédée par la Biblioteca Marucelliana de Florence).

29. Je signale au moins les traductions :

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— par le chevalier de Bueil (1637);— par M. de Mandé (1661 bilingue, 1663 français seul; nouvelle édition des deux 1676);— par J.-H. Pecquet (de 1732 à 1759).30. On peut se demander pourquoi Apollinaire a changé le titre traditionnel Le Berger

fidèle en celui (ambigu) de Le Pasteur fidèle. Mystère.31. Voir La Bibliothèque de G. Apollinaire, cité.32. Accessoirement : Baudelaire avait-il lu l'Aminta? Voir : «Baudelaire, "L'Aminta" et

"Le Moine"», Bulletin baudelairicn, tome 17, nos 1-2, avril-août 1982, pp. 5-8.33. Cependant, sur la page de garde d'une édition de 1598 de cette pièce, j'ai vu

l'indication manuscrite, d'une écriture archaïque : «Del Calmo Venetiano»; et Apollinaire lui-même fait figurer Rhodiana à la fois dans les œuvres de Ruzzante et dans les œuvres de Calmo, à 3 lignes de distance, à la p. 29.

34. Apollinaire n'ayant pas traduit (ou n'ayant même pas vu) ce début : «Da che tu vuoi ch'io sia il primo a sciorinare ciò che io desidero, sappi che vorrei [...]» (= Puisque lu veux que je sois le premier à exhiber ce que je désire, sache que je voudrais...), il a dit de ce prologue, dans sa conférence à l'Université nouvelle de Bruxelles, en janvier 1911, qu'«il devrait être récité simultanément par deux acteurs» (Œuvres en prose complètes, III, p. 868). Dieu merci, il n'a pas mis : «simultanément» dans sa phrase du Théâtre italien (ni dans son Arétin de 1912, au Mercure de France, où il reprend ce texte aux pp. 171-2).

35. Voir Œuvres en prose complètes, III, p. 806 : «[...] cette tragédie, traduite en vers d'abord en 1500 par Mellin de Saint-Gelais et ensuite en 1585 par Mermet, fut encore imitée par Montchrétien sous le titre La Carthaginoise, par Nicolas Montreux, et nous valut encore, vers 1630, la Sophonisbe de Mairet [...]».

30. C'est ainsi que les vers 3-0 de la tirade de Daniel sont remplacés par trois points de suspension, à la p. 59.

37. Je cite d'après la 5e édition, Lccoffre, 1872; les deux passages s'y trouvent respectivement aux pp. 214-8 et 220-2.

38. Les titres qu'Apollinaire met aux textes de son anthologie posent un nouveau problème, tellement ils ont l'air de provenir d'une anthologie antérieure.

39. Il me semble que ceux qui emploient le mot «collage» pour désigner cette technique étendent ou déforment le sens de ce terme, qui est très précis en peinture. Assembler des fragments de minéraux (mosaïque) ou de lamelles de bois (marqueterie) de formes et de couleurs différentes, pour obtenir un ensemble, n'a absolument rien à voir avec l'introduction d'un élément préexistant hétérogène dans un ensemble par ailleurs homogène. Apollinaire n'a pas collé des timbres, ni des morceaux de journal au beau milieu des textes de son anthologie du théâtre italien. De même, dans un poème, ce sont toujours des mois, des syntagmes, des propositions, des phrases qu'il assemble; il n'y mélange pas des es asticots ni de la mie de pain.

40. Même son de cloche dans la lettre à Madeleine du 20 septembre 1915 : «J'ai publié chez Michaud (1910) un petit livre très illustré de documents, portraits, etc., intitulé Le théâtre italien […]» (Tendre comme le souvenir, Gallimard, 1952. p. 153).

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TABLE DES MATIÈRES

Ière Partie — Les connaissances littéraires

A) Le «Tableau du théâtre italien» et les noticesB) Le choix des textes

IIe Partie — Les Traductions

A) Un cas typiqueB) Quelques indications immédiatesC) Le XIXe siècleD) Le XVIIIe siècleE) Le XVIIe siècleF) Le XVIe siècleG) Les origines du théâtre italien

Conclusion

Annexe a — Les illustrations Annexe b — La structure Annexe c — La bibliographie

Notes

Table des matières[36]