ans Entretien Š‹ ANS D’EXPRIM’ TIBO BÉRARD d e création · di ˚˛ novembre de Vincent...

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Entretien TIBO BÉRARD CLÉMENTINE BEAUVAIS BENOÎT MINVILLE La collection « Exprim’ » des éditions Sarbacane fête ses 10 ans, l’occasion de revenir sur la naissance et l’impact de cee collection sur la liérature de jeunesse. À cee occasion, nous avons posé quelques questions à l’éditeur T ibo Bérard, ainsi qu’à deux auteurs de la collection, Clémentine Beauvais, auteure de Songe à la douceur et Benoît Minville, auteur des Belles Vies. Propos recueillis par Mélanie Mignot Librairie Le Grand Cercle (Éragny-sur-Oise) Il y a 10 ans, la collection « Exprim’ » voyait le jour. Comment est-elle née ? Tibo Bérard — « Exprim’ » est le fruit d’une ren- contre, entre l’équipe de Sarbacane et moi, en 2006. Avant cela, j’avais été journaliste pour un magazine littéraire, Topo, et j’arrivais dans le monde de l’édition avec pas mal d’idées liées au rapport des jeunes à la littérature. En gros, j’avais envie de secouer un peu la littérature française, en découvrant des auteurs qui seraient plutôt des « raconteurs d’histoires » à l’anglo-saxonne – des Jack London français, disons. J’avais envie d’énergie, d’outrance, d’incarnation : une littérature expressive, musicale, puissante, qui frapperait les jeunes en plein cœur, mais sans être conçue et formatée « pour ados », afin que tout le monde puisse avoir envie de la lire. J’ai fouillé du côté des scènes urbaines, rencontré des auteurs (notam- ment via le Web), et le catalogue s’est construit d’an- née en année, avec Insa Sané, Axl Cendres, Martine Pouchain, puis Marion Brunet, Clémentine Beauvais, Benoît Minville ou encore Philippe Arnaud et Séve- rine Vidal… Les sujets délicats et d’actualité font la force de cee collection. Comment expliquer son succès dans la déferlante des mondes imaginaires en lit- térature ado ? T. B. — Les sujets ? Je n’aurais pas dit ça comme ça – même si au final, vous avez raison, on retrouve dans la collection une grande variété de sujets d’ac- tualité, et une veine globalement réaliste. Pour moi, cependant, la question du sujet vient toujours en deuxième instance : c’est d’abord l’énergie de la nar- ration – couleurs et justesse des personnages, qua- lité des scènes et des dialogues, originalité du ton, inventivité du style – qui compte, et ensuite seule- ment, je m’intéresse au sujet. Il me semble qu’en fait, les auteurs qui veulent vraiment renouveler les codes littéraires sont aussi ceux qui traitent des sujets les plus actuels ! Et ce, parce que ce sont jus- tement des auteurs qui puisent dans le monde réel, qui n’en ont pas peur ; ils l’affrontent et l’insèrent dans leurs romans. Attention, cela peut parfaitement exister dans la littérature de l’imaginaire ; mais je constate simplement que j’ai, pour l’instant, moins souvent rencontré l’énergie qui m’intéresse dans le pur roman de genre français (alors que je suis un gros lecteur de romans fantastiques américains, ceux de Stephen King, Dan Simmons). Cela dit, quand cela arrive – comme dans Jungle Park de Philippe Arnaud, roman de SF qui est aussi un brûlot politique et un vrai « morceau de poésie » –, c’est formidable. Clémentine, Benoît, Tibo, comment vous êtes- vous connus les uns et les autres ? Clémentine Beauvais — J’ai connu Tibo après avoir d’abord rencontré Emmanuelle Beulque (direc- trice éditoriale et éditrice des albums), qui avait édité et publié La Pouilleuse, mon premier roman chez Sar- bacane, hors collection. Comme des images, le deu- xième, était trop long pour paraître hors collection : avec lui, je suis « passée en Exprim’ » et c’est ainsi que j’ai commencé à travailler avec Tibo. T. B. — Pour Comme des images, nous avons beau- coup échangé sur le texte, réfléchi, discuté, car cette première version nécessitait un retravail assez consé- quent – et passionnant – autour de la structure même du roman. On s’est tout de suite très bien entendu, je me suis aperçu qu’on parlait la même « langue », qu’on avait un rapport à la littérature assez proche, car nous sommes à la fois très sérieux, exigeants avec la chose littéraire, et en même temps cela reste tou- jours pour nous un sujet d’amusement, de plaisir. Quant à Benoît, c’est une rencontre assez insolite : j’ai découvert sur un blog de libraires une chronique 34 qu’il avait faite de La Drôle de vie de Bibow Bradley d’Axl Cendres, en tant que libraire, et cette chro- nique m’a semblé si pertinente, si percutante et si bien écrite, que j’ai eu envie de le contacter, pour le remercier et savoir qui se cachait derrière. On s’est rencontrés autour d’une bière, on a parlé musique (metal), films (Les Goonies, Terminator… : tout le ciné- ma de divertissement intelligent des années 1980 et 1990), littérature (Ellroy, Don Tracy, King) et bientôt Benoît m’a appris qu’il écrivait. J’ai découvert un pre- mier manuscrit, très prometteur, puis un deuxième, qui allait devenir Je suis sa fille – celui-là m’a complè- tement emballé, et l’aventure a commencé. Comment décide-t-on d’écrire, et a fortiori de publier des textes mettant en scène des per- sonnages totalement imprégnés de la réalité du contexte social et délicat dans lequel nous vivons actuellement ? C. B. — De mon côté, ce n’est pas vraiment une déci- sion forte et courageuse : je suis simplement plus adepte de littérature réaliste. Je lis principalement des romans réalistes, et ce sont des idées de romans réalistes qui me viennent en général. Je n’ai jamais beaucoup lu de fantasy, par exemple, donc il est assez 10 a n s d e c r é a t i o n Marion Brunet Frangine Coll. « Exprim’ » Sarbacane 262 p., 14,90 € Insa Sané Sarcelles-Dakar Coll. « Exprim’ » Sarbacane 164 p., 15 € Martine Pouchain La Ballade de Sean Hopper Coll. « Exprim’ » Sarbacane 233 p., 16 € Axl Cendres La Drôle de vie de Bibow Bradley Coll. « Exprim’ » Sarbacane 208 p., 15,50 € 35 ◊ 10 ANS D’EXPRIM’ ◊

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EntretienTIBO BÉRARD CLÉMENTINE BEAUVAIS BENOÎT MINVILLE

La collection « Exprim’ » des éditions Sarbacane fête ses 10 ans, l’occasion de revenir sur la naissance et l’impact de ce� e collection sur la li� érature de jeunesse. À ce� e occasion, nous avons posé quelques questions à l’éditeur Tibo Bérard, ainsi qu’à deux auteurs de la collection, Clémentine Beauvais, auteure de Songe à la douceur et Benoît Minville, auteur des Belles Vies.

Propos recueillis par

Mélanie Mignot

Librairie Le Grand

Cercle (Éragny-sur-Oise)

Il y a 10 ans, la collection « Exprim’ » voyait le jour. Comment est-elle née ?Tibo Bérard — « Exprim’ » est le fruit d’une ren-contre, entre l’équipe de Sarbacane et moi, en 2006. Avant cela, j’avais été journaliste pour un magazine littéraire, Topo, et j’arrivais dans le monde de l’édition avec pas mal d’idées liées au rapport des jeunes à la littérature. En gros, j’avais envie de secouer un peu la littérature française, en découvrant des auteurs qui seraient plutôt des « raconteurs d’histoires » à l’anglo-saxonne – des Jack London français, disons. J’avais envie d’énergie, d’outrance, d’incarnation : une littérature expressive, musicale, puissante, qui frapperait les jeunes en plein cœur, mais sans être conçue et formatée « pour ados », afin que tout le monde puisse avoir envie de la lire. J’ai fouillé du côté des scènes urbaines, rencontré des auteurs (notam-ment via le Web), et le catalogue s’est construit d’an-née en année, avec Insa Sané, Axl Cendres, Martine Pouchain, puis Marion Brunet, Clémentine Beauvais, Benoît Minville ou encore Philippe Arnaud et Séve-rine Vidal…

Les sujets délicats et d’actualité font la force de ce� e collection. Comment expliquer son succès

dans la déferlante des mondes imaginaires en lit-térature ado ?T. B. — Les sujets ? Je n’aurais pas dit ça comme ça – même si au final, vous avez raison, on retrouve dans la collection une grande variété de sujets d’ac-tualité, et une veine globalement réaliste. Pour moi, cependant, la question du sujet vient toujours en deuxième instance : c’est d’abord l’énergie de la nar-ration – couleurs et justesse des personnages, qua-lité des scènes et des dialogues, originalité du ton, inventivité du style – qui compte, et ensuite seule-ment, je m’intéresse au sujet. Il me semble qu’en fait, les auteurs qui veulent vraiment renouveler les codes littéraires sont aussi ceux qui traitent des sujets les plus actuels ! Et ce, parce que ce sont jus-tement des auteurs qui puisent dans le monde réel, qui n’en ont pas peur ; ils l’affrontent et l’insèrent dans leurs romans. Attention, cela peut parfaitement exister dans la littérature de l’imaginaire ; mais je constate simplement que j’ai, pour l’instant, moins souvent rencontré l’énergie qui m’intéresse dans le pur roman de genre français (alors que je suis un gros lecteur de romans fantastiques américains, ceux de Stephen King, Dan Simmons). Cela dit, quand cela arrive – comme dans Jungle Park de Philippe Arnaud,

roman de SF qui est aussi un brûlot politique et un vrai « morceau de poésie » –, c’est formidable.

Clémentine, Benoît, Tibo, comment vous êtes-vous connus les uns et les autres ?Clémentine Beauvais — J’ai connu Tibo après avoir d’abord rencontré Emmanuelle Beulque (direc-trice éditoriale et éditrice des albums), qui avait édité et publié La Pouilleuse, mon premier roman chez Sar-bacane, hors collection. Comme des images, le deu-xième, était trop long pour paraître hors collection : avec lui, je suis « passée en Exprim’ » et c’est ainsi que j’ai commencé à travailler avec Tibo. T. B. — Pour Comme des images, nous avons beau-coup échangé sur le texte, réfl échi, discuté, car cette première version nécessitait un retravail assez consé-quent – et passionnant – autour de la structure même du roman. On s’est tout de suite très bien entendu, je me suis aperçu qu’on parlait la même « langue », qu’on avait un rapport à la littérature assez proche, car nous sommes à la fois très sérieux, exigeants avec la chose littéraire, et en même temps cela reste tou-jours pour nous un sujet d’amusement, de plaisir. Quant à Benoît, c’est une rencontre assez insolite : j’ai découvert sur un blog de libraires une chronique 34

qu’il avait faite de La Drôle de vie de Bibow Bradley d’Axl Cendres, en tant que libraire, et cette chro-nique m’a semblé si pertinente, si percutante et si bien écrite, que j’ai eu envie de le contacter, pour le remercier et savoir qui se cachait derrière. On s’est rencontrés autour d’une bière, on a parlé musique (metal), fi lms (Les Goonies, Terminator… : tout le ciné-ma de divertissement intelligent des années 1980 et 1990), littérature (Ellroy, Don Tracy, King) et bientôt Benoît m’a appris qu’il écrivait. J’ai découvert un pre-mier manuscrit, très prometteur, puis un deuxième, qui allait devenir Je suis sa fi lle – celui-là m’a complè-tement emballé, et l’aventure a commencé.

Comment décide-t-on d’écrire, et a fortiori de publier des textes mettant en scène des per-sonnages totalement imprégnés de la réalité du contexte social et délicat dans lequel nous vivons actuellement ?C. B. — De mon côté, ce n’est pas vraiment une déci-sion forte et courageuse : je suis simplement plus adepte de littérature réaliste. Je lis principalement des romans réalistes, et ce sont des idées de romans réalistes qui me viennent en général. Je n’ai jamais beaucoup lu de fantasy, par exemple, donc il est assez

10 ans de création

Marion BrunetFrangineColl. « Exprim’ »Sarbacane262 p., 14,90 €

Marion BrunetInsa SanéSarcelles-DakarColl. « Exprim’ »Sarbacane164 p., 15 €

Martine PouchainLa Ballade de Sean HopperColl. « Exprim’ »Sarbacane233 p., 16 €

Martine Pouchain Axl CendresLa Drôle de vie de Bibow BradleyColl. « Exprim’ »Sarbacane208 p., 15,50 €

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normal que je ne me mette pas à en écrire. Par contre, j’aime beaucoup le réalisme magique et j’aimerais m’y mettre un jour. Mais je réfl échis beaucoup, en effet, à ma manière d’écrire quand j’aborde des sujets très contemporains, très délicats, très casse-gueule. On a forcément une responsabilité par rapport à ces sujets, et pour des thèmes polémiques, il faut appor-ter un soin particulier à rendre les nuances. Il y a des tas de thèmes que je refuse d’aborder, par peur de mal le faire, ou sans la légitimité nécessaire. T. B. — Cela rejoint ma réponse à la question sur le sujet des romans : je suis d’abord guidé par l’éner-gie de la narration, l’incarnation des personnages… et ensuite seulement, quand je me sens emporté, je m’intéresse au sujet – et je « découvre » que Fran-gine de Marion Brunet traite de l’homoparentalité, ou que la représentation des jeunes via les réseaux sociaux est un sujet récurrent chez Clémentine. Par rapport au lectorat, je ne me demande jamais s’il va se retrouver ou non dans un sujet ; je me demande si le lecteur va être ému, frappé, dérouté, bouscu-lé, tourneboulé, amusé, diverti, bouleversé par le roman ! Même dans le cas d’un livre comme Same-di 14 novembre de Vincent Villeminot, je ne me suis pas posé cette question du sujet : j’ai été happé par son histoire, terrible et belle, puis je suis tom-bé amoureux de son héroïne, sa Layla, j’ai souffert avec son Benjamin, j’ai été impressionné par l’ad-mirable construction héritée de la tragédie grecque du roman, par ses envolées poétiques acérées… et ensuite seulement, je me suis aperçu que j’allais publier un roman qui explore les attentats du 13 novembre.

Comment se déroule le travail entre auteurs et éditeur ? Dans quelle mesure Tibo intervient-il ?C. B. — Tibo est un interventionniste de haute volée. Il intervient à toutes les étapes, s’enquérant de nos

projets à l’avance, et pour Songe à la douceur, il a vu le manuscrit se développer pratiquement depuis le pre-mier jour, en vingt à trente pages à la fois. Il travaille avec nous à la fois en macro – structure, questionne-ments sur les personnages, les thèmes, etc. – et en micro – il fait attention à la moindre virgule ! C’est un lecteur très interactif : quand il lit un manuscrit, il prend des tas de notes, fait des dessins, s’inscrit vraiment dans le texte. Mais c’est surtout un lec-teur très fi n et très psychologue : il sait quels chan-gements nous demander selon nos personnalités, il sait ce que l’on pourra faire bien, et ce qui ne serait pas vraiment « nous ». C’est un analyste perspicace à la fois des textes et de leurs auteurs.T. B — C’est pour moi le cœur du métier. Repé-rer le talent… et ensuite, essayer d’accompagner à fond l’auteur en lui proposant une vraie lecture, bourrée de pistes de retravail, de suggestions de coupes, d’idées d’ajouts. J’aime proposer plein de choses car c’est à mes yeux la seule façon de mon-trer à l’auteur que je suis amoureux de son texte – car je suis amoureux des textes que je publie, je m’en imprègne à fond, ils entrent dans ma tête jour et nuit jusqu’à leur publication, et je veux être là pour eux de mon mieux, afi n de les amener à leur maximum. Concrètement, ma technique consiste d’abord à lire et relire le texte de façon très scrupu-leuse pour essayer d’identifi er sa cohérence – mon mot d’ordre –, et à partir de là, toutes mes propo-sitions de modifications vont s’articuler autour de cette idée de cohérence. Mon but étant de faire en sorte que chaque idée, chaque phrase et même chaque mot soit du 100 % Clémentine Beauvais, du Benoît Minville pur jus. Je m’appuie sur la cohé-rence de leurs univers littéraires, et j’essaie d’ap-porter des réponses constructives pour faire en sorte que cet univers littéraire soit parfaitement consolidé.

Benoît, vos personnages possèdent toujours une dimension cinématographique, est-ce une volonté propre ou un eff et de votre inconscient ?Benoît Minville — Je suis un enfant des années 1980 et 1990, biberonné à la littérature populaire, au cinéma pop-corn, aux VHS et aux séries télé. J’ai grandi en lisant aussi bien du polar que de la SF au sens large, des romans ado et adulte. Depuis tou-jours et d’autant plus depuis que je suis libraire, je suis pour une désacralisation de la littérature, je ne veux pas que la lecture devienne un luxe et je crois que nous sommes plusieurs au sein de la collection « Exprim’ » à œuvrer pour offrir cette idée de littéra-ture populaire mais exigeante. L’alchimie de tous ces ingrédients donne alors dans mon cas des romans visuels, vifs et incarnés. Le plus important pour moi est de réellement embarquer le lecteur, comme mes auteurs fétiches arrivent à le faire avec moi.

Un tournant important s’est opéré dans la collec-tion avec vous, Clémentine Beauvais. Comment avez-vous réussi à imposer vos textes pleins de fraîcheur et de poésie ?C. B. — Je n’ai pas l’impression d’avoir eu à les impo-ser ! J’ai eu la chance que Les Petites Reines et Songe à la douceur plaisent immédiatement à Tibo et au reste de l’équipe. Ils ont énormément suivi et pous-sé ces textes. Je ne sais pas vraiment si mes écrits représentent un tournant dans la collection : je pense qu’Axl Cendres avait déjà beaucoup réorienté la col-lection vers l’humour avant Les Petites Reines, et la poésie avait toujours été présente avec des auteurs comme Insa Sané. Je suis arrivée après tout ce travail.

Que symbolise la collection pour vous, en tant qu’éditeur et en tant qu’auteurs ?B. M. — « Exprim’ » permet à un auteur d’exploser le champ des possibles et quand j’ai rencontré Tibo,

j’ai ressenti cette liberté de ton qui permet à un ima-ginaire d’exister et d’offrir aussi sa propre vision de la littérature au sein d’une bande d’auteurs et de copains.C. B. — C’est une carte de visite extraordinaire pour un auteur : « Je publie chez Sarbacane en “Exprim’” suscite toujours des réactions positives. Il y a un vrai respect dans la profession pour cette collection exi-geante et originale. Cependant, ce n’est pas la seule, et je suis ravie de voir qu’en littérature jeunesse, il y a de plus en plus d’identités de collections, menées par des éditeurs et éditrices qui ne sont plus consi-dérés comme des exécutants, mais vraiment comme des personnalités ayant des goûts et des désirs, et qui guident l’évolution de la littérature jeunesse fran-çaise. En littérature « adulte », on est depuis toujours conscient que, de Gaston Gallimard à Christian Bour-gois, les éditeurs sculptent la littérature contempo-raine. En littérature jeunesse, cette idée commence aussi à émerger.T. B. — Oh, pour moi, le mot juste, c’est : une aven-ture. Une grande, belle, merveilleuse aventure. Qui, en plus, prend des airs de success story depuis envi-ron trois ans ! Ça fait drôle d’entendre tout le monde nous dire qu’on a « le vent en poupe », de s’apercevoir qu’on en est déjà à six romans en cours d’adaptation ciné ou TV, que certains de nos romans se mettent à dépasser les 25 000 exemplaires… On se sent telle-ment soutenus – par nos représentants Flammarion, par les libraires et bibliothécaires : un grand élan qui nous pousse en avant. C’est tout neuf, plein de vie ; on se sent plein d’envie et d’espoir, on se demande jusqu’où on va aller et emmener nos auteurs. Loin, je pense ! Il y a pour moi un esprit de collection très fort : je suis très sensible à ce que les auteurs se lisent les uns les autres, se soutiennent, s’apprécient… et j’ai vraiment envie qu’on réussisse ensemble – car en fait, la collection « Exprim’ » aujourd’hui est le résul-

Benoît MinvilleJe suis sa fi lleColl. « Exprim’ »Sarbacane253 p., 14,90 €

Benoît MinvilleLes GéantsColl. « Exprim’ »Sarbacane284 p., 15,50 €

Benoît Minville Philippe ArnaudJungle ParkColl. « Exprim’ »Sarbacane277 p., 15,50 €

Philippe ArnaudClémentine BeauvaisLes Petites ReinesColl. « Exprim’ »Sarbacane304 p., 17 €

Clémentine Martine PouchainZelda la rougeColl. « Exprim’ »Sarbacane245 p., 14,90 €

Clémentine BeauvaisComme des imagesColl. « Exprim’ »Sarbacane204 p., 14,90 €

Clémentine Axl CendresDysfonctionnelleColl. « Exprim’ »Sarbacane305 p., 15,50 €

Axl Cendres Marion BrunetDans le désordreColl. « Exprim’ »Sarbacane251 p., 15,50 €

Marion Brunet

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Clémentine BeauvaisSonge à la douceurColl. « Exprim’ »Sarbacane240 p., 15,50 €

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tat de choses que nous avons enclenchées il y a dix ans avec les « anciens » auteurs comme Insa, Axl ou Martine, et de ce qu’apportent les nouveaux venus… Les auteurs font vraiment vivre la collection, ils font partie de sa vie – et de la mienne ! – avec leurs pro-jets, mais aussi leurs personnalités… C’est comme ça que je la perçois, cette collection, comme un petit monde vivant, bruyant et coloré. Comme la vie, décidément !

Comment voyez-vous l’avenir pour la collection « Exprim’ » ?C. B. — Je pense que dans les années à venir, « Exprim’ » va conserver ses exigences tout en élar-gissant son public et ses genres. Mes projets ne sont pas encore assez développés pour les présenter ici, hélas !T. B. — L’avantage que l’on a, c’est que l’esprit de la collection est désormais identifié par les pro-fessionnels du livre et même par une partie du public. Émotion, énergie, personnages : voilà notre axe. Maintenant, on peut aller encore plus loin : il y a plein de choses que j’ai envie de développer, plein d’univers littéraires à explorer pour ouvrir l’éventail de la collection. Par exemple, on s’est dit récemment avec mes deux lectrices – Marion Bru-net et Julia Robert (du blog « Allez-vous faire lire ») – que ce serait intéressant de faire émerger plus de romans SF ou fantastiques façon « Exprim’ » – ce qui nous renvoie à votre toute première question. Je suis à l’affût de ce côté-là, je cherche des Dumas et des Lovecraft modernes, j’ai envie de magie, de fantastique, de polar ou d’aventure, mais tou-jours dans l’esprit « Exprim’ ». Côté auteurs, j’ai à la fois envie de découvrir de nouveaux talents et, bien sûr, de continuer à accompagner les auteurs que nous avons publiés, afi n qu’ils puissent s’épa-nouir dans notre catalogue, tenter des choses diffé-

rentes, oser, comme l’a fait Clémentine avec Songe à la douceur, merveille littéraire et très audacieux pari après le succès des Petites Reines, et comme Benoît l’a fait en nous proposant une superbe comédie, Les Belles vies, après avoir fait beaucoup parler de lui en polar avec Rural noir chez Gallimard. Et pour fi nir, je veux qu’on fasse entendre nos voix si fort qu’elles fi nissent par faire sauter le fameux plafond de verre qui sépare la littérature jeunesse de la littérature générale ! Car cela devient franchement stupide, par moments, de voir à quel point le secteur ado-adulte est un vivier de talents et d’inventivité, en création française, sans que cela ne soit jamais remarqué par les médias généralistes… Et si on dépoussiérait un peu les rentrées littéraires ? Il est vraiment temps que cela arrive, que l’on s’aperçoive que la littérature ado-adulte d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le gentil roman ado tel que beaucoup de gens se le représentent : aujourd’hui, qu’on soit ado ou adulte, on peut très vite s’apercevoir que c’est le secteur qui bouge le plus, qui mute, qui ose et propose toute une gamme d’univers variés, riches et forts ! ◼

Benoît MinvilleLes Belles ViesColl. « Exprim’ »Sarbacane272 p., 15,50 €

Vincent VilleminotSamedi 14 novembreColl. « Exprim’ »Sarbacane216 p., 15,50 €

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