Anheim, Historiographie comme histoire intellectuelle

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L'HISTORIOGRAPHIE EST-ELLE UNE FORME D'HISTOIRE INTELLECTUELLE ? LA CONTROVERSE DE 1934 ENTRE LUCIEN FEBVRE ET HENRI JASSEMIN Étienne Anheim Belin | Revue d'histoire moderne et contemporaine 2012/5 - n° 59-4bis pages 105 à 130 ISSN 0048-8003 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2012-5-page-105.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Anheim Étienne, « L'historiographie est-elle une forme d'histoire intellectuelle ? La controverse de 1934 entre Lucien Febvre et Henri Jassemin », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2012/5 n° 59-4bis, p. 105-130. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of California at Berkeley - - 169.229.32.36 - 14/02/2015 03h57. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of California at Berkeley - - 169.229.32.36 - 14/02/2015 03h57. © Belin

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Étienne Anheim, "Historiographie comme histoire Intellectuelle"

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  • L'HISTORIOGRAPHIE EST-ELLE UNE FORME D'HISTOIREINTELLECTUELLE ? LA CONTROVERSE DE 1934 ENTRE LUCIENFEBVRE ET HENRI JASSEMIN tienne Anheim Belin | Revue d'histoire moderne et contemporaine 2012/5 - n 59-4bispages 105 130

    ISSN 0048-8003

    Article disponible en ligne l'adresse:

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Anheim tienne, L'historiographie est-elle une forme d'histoire intellectuelle ? La controverse de 1934 entre Lucien

    Febvre et Henri Jassemin ,

    Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2012/5 n 59-4bis, p. 105-130.

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  • Regards sur lhistoire intellectuelle

    Lhistoriographie est-elle une forme dhistoire intellectuelle ? La controverse de 1934

    entre Lucien Febvre et Henri Jassemin

    tienne ANHEIM

    Au milieu du XVIIIe sicle, alors quil est retenu hors dune cour qui lemploie mais ne lapprcie gure, Voltaire crit au roi : Votre historiographe na pu faire sa cour comme il le dsire ; il passe son temps souffrir et historiographer 1. Cette citation rapporte par Littr voisine curieusement avec la dfi nition trs diffrente quil donne de lhistoriographie, histoire littraire des livres dhistoire , quil illustre en citant lhistoriographie allemande de la fi n du XVesicle jusquau temps prsent , releve dans la Revue historique en 1877. Mme si lhistoire littraire du XIXe sicle ne dsigne plus aujourdhui la mme ralit, mais plutt ce quon appellerait, peut-tre, lhistoire intellectuelle, cette dernire dfi nition de lhistoriographie est largement encore la ntre. Entre les historiographeries de Voltaire, pour reprendre un autre de ses mots, et la Revue historique de Monod, le glissement de sens est rvlateur dune nouvelle histori-cisation de la discipline elle-mme. Dun terme dsignant lcriture du discours historique en gnral, lhistoriographie devient le nom de lactualisation dun hritage bibliographique dans le discours de lhistorien ; dun rapport au temps pass, elle devient rapport au pass de la discipline. Cette opration singulire est cependant accentue dans la langue franaise et moins forte dans dautres traditions intellectuelles. Le terme anglais est explicite, History of historiography, ce qui vite la superposition smantique du franais historiographie . Le terme storiografi a, en italien, est le plus souvent utilis pour dsigner lensemble du travail des historiens passs ou prsents, par opposition storia, qui dsigne

    1. mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise, Paris, Pauvert, 1957, t.4, p.552. Cette com-munication, prsente la table ronde de la Socit dHistoire Moderne & Contemporaine le 17mars 2012 Paris, a galement fait lobjet dune discussion au sminaire darchivistique de mon collgue et ami Pierre Chastang lUniversit de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines ; je le remercie beaucoup, ainsi que lensemble des tudiants, pour leurs remarques amicales. Je remercie galement Michel Zink, qui ma permis davoir accs la Bibliothque de lInstitut, ainsi que Yann Potin, Antoine Lilti, Olivier Poncet et Valrie Theis pour leur aide et leurs conseils.

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  • 106 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    lhistoire comme pass, alors quen France le terme histoire est employ pour les deux sens. Lallemand, on le sait, connat le binme Historie/Geschichte et lon parle de Historiographiegeschichte ou de Geschichte der Geschichtsschreibung, mais les historiens allemands utilisent aussi, pour parler de ce que nous appe-lons en franais historiographie , le terme Forschungsgeschichte, histoire de la recherche , qui lve lambigut. Ce nest peut-tre pas sans rapport avec le fait que les termes storiografi a ou Forschungsgeschichte semploient, en gnral, avec un gnitif : on fait lhistoriographie de tel ou tel objet de la recherche. Au contraire, en franais, des titres de livres, de manuels ou des cours de licence et de master sont l pour en tmoigner, le terme historiographie semploie couramment seul, dans un sens absolu comme si lhistoriographie tait une sorte de mtahistoire 2.

    Mais dans quel cadre mthodologique sinscrirait-elle ? Si lon suit Littr, il sagirait dune sorte dhistoire intellectuelle qui retracerait lhistoire des livres dhistoire. Si lon modernise cette vision en tenant compte de ce que la sociologie a apport lhistoire des savoirs, on pourrait arriver la dfi nition de Nicolas Offenstadt, dans lintroduction de son rcent ouvrage dans la collection Que sais-je ?, emblmatiquement intitul Lhistoriographie :

    Lhistoriographie, qui sest longtemps consacre lhistoire des ides sur lhistoire, lanalyse des uvres des historiens, est dsormais plus attentive situer les discours et les pratiques des historiens dans leurs socits, rattacher leurs crits des contextes, des luttes acadmiques, des enjeux politiques, des mondes sociaux 3.

    Dans cette proposition se retrouvent en fi ligrane les apports dune histoire des concepts qui fait signe vers Quentin Skinner ou Reinhart Koselleck, ajouts une sociologie pragmatique du travail des historiens qui est le principal dpla-cement opr par rapport la gnration prcdente, illustre par exemple par C.-O. Carbonnell, dont lapproche faisait une moindre place aux pratiques pro-fessionnelles4. Dans cette perspective, lhistoriographie serait donc en thorie une forme de lhistoire intellectuelle, applique par les historiens leur propre tradition disciplinaire. En pratique nanmoins, la situation est moins simple quil ny parat. Sans mme entrer dans les dbats de mthode et dans les nuances entre manires de faire de lhistoire intellectuelle, un coup dil sur les textes rassembls sous lappellation historiographie montre rapidement que coexistent des discours trs divers, dont seulement quelques-uns pourraient rellement tre considrs comme appartenant lhistoire intellectuelle, prise en un sens rigoureux. En effet, ct

    2. Voir par exemple les deux Que sais-je ? successifs cits dans les notes suivantes ou, parmi les publications rcentes, Philippe POIRRIER, Introduction lhistoriographie, Paris, Nathan, 2009, ou Christian DELACROIX, Franois DOSSE, Patrick GARCIA et Nicolas OFFENSTADT, Historiographies : concepts et dbats, 2 vol., Paris, Gallimard, Folio , 2010.

    3. N.OFFENSTADT, Lhistoriographie, Paris, PUF (coll. Que sais-je ? ), 2011, p.4.4. Charles-Olivier CARBONELL, Lhistoriographie, Paris, PUF (coll. Que sais-je ? ), 1981 (dition

    remplace par le volume de N. Offenstadt).

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 107

    de travaux comme ceux de Bernard Guene pour le Moyen ge5, de Franois Hartog pour le XIXe sicle6 ou de Bertrand Mller, dOlivier Dumoulin ou de Christian Delacroix, Franois Dosse et Patrick Garcia pour le XXe sicle7, qui reprsentent une histoire intellectuelle applique tudier les crits mais aussi les pratiques sociales et le travail des historiens, on trouve des crits de natures trs diverses, allant de lhistoire des ides la plus classique lhistoire de la mmoire disciplinaire, en passant par des formes dintervention dambition normative, prospective ou prescriptive8. Plus remarquable encore, lhistoriographie est un champ dtude partag entre des chercheurs qui en sont spcialistes et dautres qui ajoutent lintervention historiographique un autre domaine de comptence9 cest dailleurs sans doute le seul domaine du mtier dhistorien o lon trouve normale cette situation, ce qui montre son plus faible degr dinstitutionnalisation et de conceptualisation. Allons encore un peu plus loin : les historiens qui ont un domaine de spcialisation auquel sajoute lhistoriographie nemploient pas tou-jours les mmes outils conceptuels et les mmes mthodes dans les deux facettes de leur production, et cela, sans provoquer de leve de boucliers au sein de la profession. Tout se passe comme si lhistoriographie, qui devrait normalement tre une rgion de lhistoire intellectuelle, tait en fait un territoire beaucoup plus trange, dans lequel les lois normales de la gravit historienne ne sappliquaient pas toujours. Cest sur cette tranget que je voudrais minterroger, ce qui est une manire non seulement de poser des questions de mthode en histoire intel-lectuelle, mais aussi et surtout de rfl chir la place stratgique que lhistoire intellectuelle, travers la pratique historiographique, occupe ou devrait occuper dans tout projet historique scientifi que, cest--dire rfl exif. Plutt que de me

    5. Bernard GUENE (dir.), Le mtier dhistorien au Moyen ge : tudes sur lhistoriographie mdivale, Paris, Publications de la Sorbonne, 1978 ; ID., Histoire et culture historique dans lOccident mdival, Paris, Aubier-Montaigne, 1980.

    6. Franois HARTOG, Le XIXe sicle et lhistoire : le cas Fustel de Coulanges, Paris, PUF, 1988 ; ID., Rgimes dhistoricit : prsentisme et expriences du temps, Paris, Seuil, 2003.

    7. Bertrand MLLER, Lucien Febvre, lecteur et critique, Paris, Albin Michel, 2003, ainsi que les trois volumes annots de la correspondance de Lucien Febvre et Marc Bloch ; Olivier DUMOULIN, Marc Bloch, Paris, Presses de Sciences Po, 2000 ; ID., Le rle social de lhistorien, Paris, Albin Michel, 2002 ; Christian DELACROIX, Franois DOSSE et Patrick GARCIA, Les courants historiographiques (XIXe-XXe s.), Paris, Gallimard, Folio , 2007 pour la dernire dition on pourra cependant noter que lensemble de la production de ces derniers auteurs ne relve pas de lhistoriographie au sens dune histoire intellec-tuelle et sociale de la production historique, mais de pratiques plus prospectives ou plus prescriptives, comme par exemple, des mmes auteurs, Paul Ricur et les sciences humaines, Paris, La Dcouverte, 2007, ou Historicits, Paris, La Dcouverte, 2009.

    8. Cest le cas de tout ou partie dun grand nombre de travaux classiques de la tradition historio-graphique, la frontire entre mthodologie, historiographie et pistmologie, comme Marc BLOCH, Apologie pour lhistoire ou le mtier dhistorien, Paris, Armand Colin, 1997 (2e d.) ; Lucien FEBVRE, Combats pour lhistoire, Paris, Armand Colin, 1953 ; Henri-Irne MARROU, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1954 ; Paul VEYNE, Comment on crit lhistoire ?, Paris, Seuil, 1971 ; Grard NOIRIEL, Sur la crise de lhistoire , Paris, Belin, 1996 ; Roger CHARTIER, Au bord de la falaise : lhistoire entre certitudes et inquitude, Paris, Albin Michel, 1998 ; Bernard LEPETIT, Carnets de croquis : sur la connaissance historique, Paris, Albin Michel, 1999 ; Jacques REVEL, Un parcours critique : douze exercices dhistoire sociale, Paris, Galaade, 2006 ; Andr BURGUIRE, Lcole des Annales : une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006.

    9. Je prcise que cest mon cas, cette remarque na donc rien de stigmatisant.

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  • 108 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    livrer un palmars des historiographes ou des considrations mthodologiques gnrales, je voudrais tudier un exemple ponctuel de dploiement du discours historiographique, celui dune brve polmique dans les colonnes des Annales en 1934. Il sagira la fois den reconstituer le droulement en montrant comment il est possible dtudier une controverse entre historiens en mobilisant les outils de lhistoire intellectuelle, et den mesurer les rappropriations par les discours historiographiques, qui tiennent parfois davantage de la mmoire professionnelle et de la justifi cation de positions mthodologiques contemporaines, que dune vritable histoire sociale et intellectuelle de la discipline.

    LHISTOIRE LONGUE DUNE POLMIQUE

    Au printemps de lanne 1934 clate une polmique entre Lucien Febvre et Henri Jassemin, chartiste et conservateur aux Archives nationales, propos de la recension par le premier dans les Annales du livre du second sur la Chambre des comptes de Paris au XVe sicle, laquelle fait suite la publication dun droit de rponse prcd dun chapeau des directeurs. Cet pisode a une fortune singulire : trs ponctuel, il ne fi gure pas au premier rang de la geste historiographique du XXe sicle, mais il est souvent considr comme emblmatique de lopposition entre la mthode des Annales et celle de lcole des chartes, et fi gure ainsi occasionnellement dans la bibliographie sur les Annales. Carole Fink, dans sa biographie de Marc Bloch, parle ainsi de la clbre affaire Jassemin 10, tandis que Bertrand Mller consacre un passage lpisode dans son livre sur Lucien Febvre11. On le retrouve aussi voqu par les historiens du Moyen ge, comme Philippe Contamine, qui y consacre les premires pages de son introduction au volume sur les chambres des comptes en France la fi n du Moyen ge, marquant le renouveau des tudes sur les comptabilits publiques dans la deuxime moiti des annes 199012 :

    Pour nous autres mdivistes franais de la seconde moiti du XXe sicle, linstitution appele Chambre des comptes est passe pendant plusieurs dcennies pour un sujet sinon tout fait rbarbatif du moins relativement dissuasif. Pourquoi cela ? cause de la parution en 1933, Paris, par les soins des ditions Auguste Picard, du livre de Henri Jassemin, archiviste aux Archives nationales, docteur s lettres, intitul La Chambre des comptes de Paris au XVe sicle, prcd dune tude sur ses origines. Ce livre fi t en effet lobjet lanne suivante dune recension extrmement critique, au vitriol peut-on mme dire, de la part de lillustre Lucien Febvre, alors lapoge de sa verve, recension parue dans les Annales dhistoire conomique et sociale, t.VI, 1934, p.48-53, sous le titre Comptabilit et Chambre des comptes . [] Il va de soi quOlivier Mattoni et moi-mme, en retenant le principe dun colloque sur les Chambres des comptes, dans lespace franais au sens large, durant les XIVe-XVe sicles, ne pouvions pas ne pas nous remmorer cette belle et exemplaire polmique [] .

    10. Carole FINK, Marc Bloch, une vie au service de lhistoire (1989), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1997, p.145 : Febvre va aussi embarquer les Annales dans la clbre (notorious dans ldition originale anglaise de 1989) Affaire Jassemin .

    11. Bertrand MLLER, Lucien Febvre, op. cit., p.384-386.12. Philippe CONTAMINE, Olivier MATTONI (d.), La France des principauts. Les chambres des

    comptes (XIVe-XVe s.), Paris, Comit pour lhistoire conomique et fi nancire de la France, 1996, Intro-duction qui consacre trois pages lpisode, p.XXXI-XXXIII.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 109

    Cette mmoire historiographique de lpisode se met en place trs rapide-ment aprs la controverse de 1934. Jassemin tait un personnage bien connu de la communaut chartiste, major de lcole, ancien membre de lcole franaise de Rome, rcipiendaire du prix Robert Andr-Michel et du prix Gobert, et sa rputation accentua leffet de la polmique13. De plus, il tait de sant fragile, et disparut 41 ans, en 1935. Sa ncrologie dans la Bibliothque de lcole des chartes consacre une page entire sur quatre au rcit de laffron-tement avec Lucien Febvre, sur un ton hros mettant en scne lopposition de deux visions du monde14 :

    Dans un dialogue avec Jassemin, on naspirait qu jouer le rle de simple comparse, trop heureux si, apportant un thme qui accrochait son attention, on pouvait lui donner quelques rpliques pour que cela continue. Car on se sentait petit devant Jassemin, sans jamais tre cras. Et voil que cest fi ni, que tout sest envol ! Tout, sauf une exception. Et cest parce que cette exception est unique quil nous est impossible de la passer ici sous silence. Lun des directeurs des Annales dhistoire conomique et sociale, M.Lucien Febvre, navait pas trouv, dans le livre de Jassemin sur la Chambre des comptes de Paris, ce quil cherchait. Il faut grandement remercier M. Febvre davoir, par son compte rendu, oblig Jassemin sortir de sa rserve et sexpliquer, pour une fois, par crit, sur plusieurs points dune grande importance. Aussi bien, la tenue littraire de sa rponse la place-t-elle au-dessus mme du dbat dj trs lev que M. Febvre avait engag. [] Et puis, quel tait exactement lobjectif que visait M. Febvre : Je dis, concluait celui-ci dans son compte rendu, je rpte : jusqu quand durera ce gaspillage de forces et dintelligences ? Jusqu quand la mdiocrit intellectuelle de ces travaux anecdotiques ? Il ne sagit pas de M.X. ou de M. Y, auteur dun travail savant et rudit souhait sur le Parlement de Myrelingois entre 1433 et 1467, ou sur tout ce que vous voudrez de cette sorte. Il nest l qu titre dexemple. titre de victime aussi. Car il fait ce quon lui a appris faire, hlas ! Cest moi qui souligne ces dernires phrases : on voit pourquoi lincident doit tre mentionn ici, dans la BEC. Mais on ne peut que renvoyer le lecteur aux pices du dbat []. Il y a l un tout dont on ne saurait rien dtacher et dont la porte nest pas prte de saffaiblir. O donc trouver notre ami ? L, dans cette dfense .

    En 1936, dimportants mdivistes de la Sorbonne, comme Louis Halphen, mentionnent Jassemin dans leurs crits ou font directement rfrence la polmique, comme douard Perroy dans les colonnes de la Revue historique15 :

    13. On scarte sur ce point du jugement de B. MLLER, Lucien Febvre, op. cit., p.386, qui considrait que Jassemin tait peu connu dans le milieu chartiste ; au contraire, sa grande rputation fut sans doute un lment important dans la transmission mmorielle de la polmique.

    14. Jean MALLON, Ncrologie de Henri Jassemin , Bibliothque de lcole des chartes, 96, 1935, p.186-187.

    15. Louis HALPHEN, Bulletin historique. Histoire de France. Le Moyen ge jusquaux Valois , Revue historique, 177, 1936, p.393, qui prsente ldition par Jassemin du Mmorial de RobertII, thse complmentaire compltant le volume sur la Chambre des comptes, en regrettant la mort prmature de lauteur et en en louant les qualits ; douard PERROY, Bulletin historique. Histoire de France. Fin du Moyen ge (1328-1498) , Revue historique, 178, 1936, p.539-540. Aprs avoir prsent les qualits du livre, Perroy nen revient pas moins, sa manire, sur une objection quil partage avec Febvre et Bloch : On tirera grand profi t des renseignements mthodiquement numrs dans cette tude un peu terne, mais consciencieuse. Llment humain y est trop constamment absent ; lanonymat y est de rgle, au point que les noms des offi ciers ont t rejets la table, o il est peu prs impossible de les y retrouver . Cette manire de procder est intressante en ce quelle montre chez Perroy le souci la fois de se montrer solidaire de son collgue chartiste dcd, mais de maintenir un jugement critique, dessinant lespace complexe des prises de position liant stratgies intellectuelles et institutionnelles.

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  • 110 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    Henri Jassemin, qui fut llve de M. Dupont-Ferrier, et dont la disparition prmatu-re laisse un vide dans le monde des rudits, a montr dans sa thse sur La Chambre des comptes au XVe sicle quil possdait presque toutes les qualits de son matre ; il faut ajouter que ce volume a provoqu des critiques dun ton souvent injuste .

    Par la suite, lincident sefface peu peu de la mmoire des Annales on notera que le texte nest pas repris dans les Combats pour lhistoire de Febvre, ce qui laisse peut-tre souponner une pointe dembarras de sa part, mais qui traduit aussi la position acadmique dsormais dominante des Annales, grce la VIe section de lEPHE ou au jury dagrgation. Cette mmoire persiste en revanche au sein de la communaut des historiens du Moyen ge, et plus particulirement des chartistes, comme en tmoignent des mentions parses mais rgulires dans laprs-guerre. Outre la ncrologie publie dans la Bibliothque de lcole des chartes en 1935 mentionne plus haut, on trouve par exemple la mme anne un compte rendu dans la Revue belge de philologie et dhistoire par P. Kauch, qui semble ignorer la mort de lauteur. Il rsume de manire distancie louvrage, en vantant son rudition et son utilit, tout en soulignant certaines limites, dont la premire, propos de lexpos insuffi sant des techniques de calcul, le conduit rejoindre Lucien Febvre. Cependant, plutt que de sen expliquer dans le corps du texte, Kauch insre une note dans son compte rendu, ce qui montre une autre stratgie pour grer lhritage de la polmique que celle dploye par Perroy16 :

    M.Febvre pose M. Jassemin la mme question sous la forme dun reproche dune ironie vhmente. Cela sexplique par le fait que lminent professeur de lUniversit de Strasbourg [pas plus quil ne connat la mort de Jassemin, Kauch ne semble connatre llection de Febvre au Collge de France, ndla], faisant la guerre au gaspillage des intelligences, sinsurge contre les vertus formelles et traditionnelles qui semblent devoir maintenir la tradition sacro-sainte de la thse rudite. Le sujet choisi par M. Jassemin fournissait en effet ample matire des dveloppements dordre sociologique. Mais il ne plat pas tous de sy lancer. Je pense dailleurs que lapprciation que M. Febvre porte sur le travail de M. Jassemin pche par des excs peu justifi s et que, sen prenant lespce, il tait de son devoir de ne pas accabler lindividu .

    La position nen est pas moins nuance, le souci tant, une fois encore, de marquer sa rprobation lendroit de la violence de Febvre tout en comprenant ses raisons, dautant quil en partage certaines. Ces interventions, trs diffrentes des comptes rendus contemporains de celui de Febvre, sur lesquels on reviendra, montrent comment lespace savant est transform par la polmique, et sont rvlatrices des formes de rgulation de la controverse scientifi que au sein du milieu des historiens des annes 1930. La violence de Febvre est condamne mais la nature de ses objections est prise en compte ; une vision courtoise et pacifi e de lchange savant soppose dautant plus clairement le travail de Febvre visant produire des ruptures dans lespace historiographique et acadmique, ce qui a particip de la promotion du positionnement des Annales, mais qui a parfois laiss des traces durables, comme dans le cas de cet incident. En 1983,

    16. Pierre KAUCH, Compte rendu du livre dHenri Jassemin , Revue belge de philologie et dhistoire, 14/3, 1935, p.951-954, ici p.953.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 111

    toujours dans la Bibliothque de lcole des chartes, on trouve une mention trs rvlatrice de la via media emprunte par le milieu historien face la polmique et de la persistance du souvenir de cette dernire dans un compte rendu de Paul Ourliac consacr un recueil darticles de Bernard Guene17 :

    Dix tudes sont consacres ce que lauteur appelle lhistoire de ltat, adoptant ainsi une position moyenne entre la conception, reconnue trs mritoire, qui fut celle de Gustave Dupont-Ferrier et de Henri Jassemin, et la revendication, par lcole des Annales, dune histoire avant tout sociale .

    Depuis sa parution, le livre incrimin est rgulirement cit dans les travaux des historiens mdivistes, jusquau renouveau de lhistoire de la comptabilit mdivale au milieu des annes 1990. De manire attendue, les chartistes y sont pour beaucoup, depuis les travaux de Louis Carolus-Barr en 1940 sur les conseillers royaux au XIVesicle jusqu ceux de Xavier de La Selle en 1993 en passant par limportante tude de Jean Gurout, galement publie dans la Biblio-thque de lcole des chartes, en 1972, sur Fiscalit, topographie et dmographie Paris la fi n du Moyen ge . On retrouve cependant la rfrence Jassemin jusque dans les Annales, certes sous la plume dun chartiste, Jean Favier, en 1973, mais aussi, ponctuellement, sous celle de Marc Bloch, dans un texte posthume publi en 1953 sur les mutations montaires18. Cette survie de la rfrence louvrage ainsi que la clbrit de luvre de Febvre sont pour beaucoup dans la prennisation du souvenir de la polmique, mme sil est douteux que cette dernire ait rellement favoris la premire, due avant tout aux qualits relles du livre et la raret des travaux sur cette matire ardue. Si le terme d affaire est peut-tre exagr quoique la bibliographie sociologique sur ce point soit trs prcieuse pour analyser cet pisode , que controverse est sans doute plus adapt, mme si le terme est dj ambitieux pour un change aussi rapide19, et

    17. Paul OURLIAC, Compte rendu du livre de Bernard Guene , Bibliothque de lcole des chartes, t.141, 1983, p.378-379.

    18. Louis CAROLUS-BARR, Deux conseillers du roi au XIVesicle : Guy et Alphonse Chevrier , Bibliothque de lcole des chartes, 1940, 101/1, p.49-79 ; Jean GUROUT, Fiscalit, topographie et dmographie Paris la fi n du Moyen ge , Bibliothque de lcole des chartes, 1972, 130/1, p.33-129 ; Xavier DE LA SELLE, La confession et laumne. Confesseurs et aumniers des rois de France du XIIe au XVe sicle , Journal des Savants, 1993-2, p.255-286 ; Jean FAVIER, Une ville entre deux vocations : la place daffaires de Paris au XVe sicle , Annales ESC, 28-5, 1973, p.1245-1279 ; Marc BLOCH, Mutations montaires dans lancienne France (seconde partie) , Annales ESC, 8-4, 1953, p.433-456.

    19. Sur la forme affaire , voir les travaux fondateurs de Luc BOLTANSKI, Lamour et la justice comme comptences, Paris, Mtaili, p.255-265, ainsi que ses dclinaisons socio-historiques, comme lisabeth CLAVERIE, Laffaire du Chevalier de la Barre , dans Philippe ROUSSIN (d.), Critique et affaires de blasphme lpoque des Lumires, Paris, Champion, 1998, p.185-265 ; sur la notion de scandale, voir Damien DE BLIC et Cyril LEMIEUX (d.), lpreuve du scandale, numro spcial de la revue Politix, 71, 2005 ; sur les controverses, dans une bibliographie immense, voir le numro Comment on se dispute dirig par Christophe PROCHASSON et Anne RASMUSSEN de la revue Mil Neuf Cent, 25-1, 2007, en particulier les contributions de Jean-Louis FABIANI, Antoine LILTI, Jacques REVEL, Christophe PROCHASSON et Cyril LEMIEUX, fondamentales dans la perspective qui est la ntre ici, ainsi que Luc BOLTANSKI, lisabeth CLAVERIE, Nicolas OFFENSTADT et Stphane VAN DAMME, Affaires, scandales et grandes causes, Paris, Stock, 2007, et Vincent AZOULAY, Patrick BOUCHERON (d.), Le mot qui tue. Histoire des violences intellectuelles de lAntiquit nos jours, Seyssel, Champ Vallon, 2009.

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  • 112 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    que le mot clbre employ par Carole Fink semble aussi un peu fort, on peut cependant bien reprer une forme de cristallisation presque immdiate, qui informe le rcit de cet pisode dans les annes 1990-2000.

    LA POLMIQUE DANS LES ANNALES

    Ce rcit fi g rduit le sens de lpisode un affrontement direct entre Febvre et Jassemin, devenus les porte-drapeaux idaliss dun confl it de mthode destin difi er les jeunes tudiants, incarnation de la lutte sculaire entre lhistoire rudite et lhistoire problmatique. Il faut dire que la vigueur des textes se prte cette mise en scne historiographique. Le ton est donn demble par Febvre dans sa recension20 :

    Un soin minutieux. Lattention la plus exacte se procurer les documents utilisables, les dpouiller, les mettre en fi ches, classer ces fi ches dans un ordre rationnel. Bref, les vertus prouves de lcole des chartes. Mater Eruditionis ; et voil qui est bien. []

    Oui, de ce livre sort un parfum de vertus formelles et traditionnelles. Il tmoigne dune grande force de labeur, et dune belle endurance. Mais au fond, dcid tre hrtique jusquau bout, je dirais volontiers : cest dommage, que voil de bonnes qualits gches. []

    Je gote la fermet de ton des conclusions de lauteur, leur intrt et leur intelligence une intelligence qui se tient en bride perptuellement, dune main ferme : si elle allait se laisser voir, faire un clat, renverser les traditions sacro-saintes de la thse rudite, quelle catastrophe, mais surtout quel scandale ! []

    Prenez la liste bibliographique qui ouvre le livre : pas un livre tranger sur une Chambre des comptes trangre au royaume. Comparaison, nous nen usons point cans. Il nous suffi t de nous asseoir sous la tonnelle, dans notre carr de jardin, en face de la boule bleue qui refl te notre Univers familier : trente mtres de long, vingt de large et une petite maison volets verts

    Je ne dis pas : cela nest pas de lhistoire. Ou alors, si lhistoire cest cela, que la collectivit cesse immdiatement dencourager, et de soutenir, une activit aussi totalement inutile !

    Jassemin rplique en adressant une lettre qui est publie dans le numro suivant des Annales, sous le titre Correspondance , aprs un chapeau intro-ductif sur la gense duquel nous reviendrons plus bas21 :

    Il y a deux faons de collaborer une revue : sur linvitation des directeurs, ou au nom de la loi. Pour la premire fois, depuis 5 ans que les Annales existent, et croyons-nous, parlent franc, un auteur sest rencontr qui, de ces deux mthodes, a choisi la seconde. Nous publions donc sa lettre, qui nhsite pas se dire, elle-mme, fort longue. Nous ny rpondrons pas. Nos lecteurs le jugeront. Sur un point seulement, nous ne saurions garder le silence.

    M.Jassemin, len croire, incarnerait lesprit chartiste ; et ce serait cet esprit, pr-cisment, qu travers sa personne les Annales auraient voulu atteindre. La manuvre est par trop candide. Nous ne connaissons ici, quelle que soit la provenance des travailleurs, que deux sortes de livres : ceux qui servent utilement lhistoire, telle qu tort ou raison nous la concevons et les autres. []

    20. Lucien FEBVRE, Comptabilit et chambre des comptes , Annales HES, 26, 1934, p.148-153.21. Rubrique Correspondance , introduction de la lettre dHenri Jassemin, Annales HES, 26,

    1934, p.332-333.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 113

    Parmi les savants qui, anciens lves de lcole des chartes, nous ont ds la premire heure apport une aide si prcieuse, [] les hommes ne manquent pas dont la voix sera toujours coute par nous avec beaucoup de respect. eux de dcider si lauteur de louvrage critiqu a le droit de chercher abri derrire la grande institution rudite dont il se rclame avec tant dassurance.

    Les Directeurs .

    La lettre de Jassemin qui suit donne elle aussi libre cours la verve pol-miste, de sorte que le dbat prend un tour dune grande vivacit22 :

    Jai nglig, dites-vous, le ct social de mon sujet : mais mon intention a t dcrire une monographie dhistoire administrative et juridique et non de maventurer parmi les nbulosits de ce pays cimmrien quon appelle le social. []

    Je mappesantirai encore moins sur vos autres griefs : manque de rapprochements avec ltranger, timidit des conclusions, etc. Il me faudrait entrer dans le vieux dbat de lrudit et du rhteur. Dieu me garde de donner un sens pjoratif ce dernier mot ! Je veux simplement marquer la diffrence de lhistorien dont la vocation essentielle est dtablir des faits et de lhistorien dont la vocation essentielle est de vulgariser des ides. [] Voil ce quon nous enseigne lcole des chartes : si nous ne faisons pas autre chose, cest que nous ne le voulons pas. [] Dailleurs, croyez-le bien, nous autres chartistes, nous avons, nous aussi, t en Arcadie ; nous aussi, nous avons compar Corneille avec Racine et Vol-taire avec Rousseau. Mais enfi n il vient un moment o la barbe achve de pousser et o la jeunesse perd toute grce. []

    travers ma mince toffe vous avez vis tout le corps des chartistes, notre pauvre vieille cole []. Je ne serais pas son champion envers et contre tous : elle a aussi ses dfauts. Mais tous ceux quelle a nourris y ont appris certaines choses : se gurir de la manie de dcouvrir lAmrique ; voir les documents avant den tirer les conclusions et parcourir les livres avant den rendre compte .

    Cependant, la reconstitution minutieuse du droulement de laffrontement esquisse un tableau videmment plus complexe que ne le laisse paratre cet affrontement brutal entre deux visions de lhistoire qui semble destin aux manuels dhistoriographie23 non pas que le dbat ne possde pas cette dimen-sion daffrontement, mais que ce dernier nest que le rsultat dune dynamique intellectuelle, sociale et ditoriale quil importe de comprendre.

    DES COULISSES LA NGOCIATION DITORIALE : GENSE DE LA POLMIQUE

    La premire mention du livre de Jassemin dans la correspondance change entre Bloch et Febvre se trouve en septembre1933, sous la plume de Lucien Febvre24 :

    22. Lettre de Henri JASSEMIN, Annales HES, 26, 1934, p.333-336.23. On trouvera une premire esquisse de description de la dynamique du confl it, ne se contentant

    pas de mettre les deux textes clbres face face, mais mentionnant la recension de Marc Bloch et utilisant la correspondance, chez Olivier PONCET, Lhistoire des institutions de lpoque moderne en France depuis le XIXe sicle , dans Michael HOCHEDLINGER et Thomas WINKELBAUER (d.), Herrs-chaftsverdichtung, Staatsbildung, Brokratisierung, Vienne-Berlin, Bhlau-Oldenbourg, 2010, p.105-131.

    24. Marc BLOCH-Lucien FEBVRE, Correspondance, d. Bertrand MLLER, Paris, Fayard, t.1, 1994, CLVII, septembre1933, p.410.

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  • 114 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    Jai aussi de la copie personnelle vous envoyer. Dabord une douzaine de pages de mon criture intitules : sur lhistoire qui ne sert pas : Comptabilit et Chambre des comptes. Il mest tomb sous la main un livre dun certain Jassemin, archiviste aux Archives natio-nales, sur la Chambre des comptes de Paris au XVe sicle. Thoriquement, ce nest pas mon rayon. Mais ayant mis le nez dedans, je nai pas rsist au plaisir den montrer les beauts .

    Bloch rpond quelques jours plus tard, en disant quil na pas encore lu le livre, et en rservant, somme toute, son opinion : Votre compte rendu de Jassemin ma bien amus et intress. [] Sans mtre encore offert cette savante lecture, je suis tout persuad, lavance, que vous touchez juste trop juste, hlas 25. Quelques mois plus tard paraissent presque simultanment le compte rendu de Febvre dans les Annales, et un compte rendu critique mais au ton plus mesur, on le verra, de Bloch dans la Revue critique dhistoire et de littrature26. En avril1934, les deux directeurs des Annales reoivent chacun une lettre de Jassemin. Le 24, Marc Bloch crit Lucien Febvre27 :

    Reu une trange lettre du Sieur Jassemin, soit disant pour me remercier (!) de mon compte rendu. Effort grossier pour nous dsolidariser. Je lui ai rpondu de telle sorte que lenvie lui passera, je pense, de poursuivre la manuvre .

    Le lendemain ou le surlendemain, Febvre rpond en faisant part Bloch de ce que Jassemin lui a crit, dune teneur fort diffrente, puisquil sagit de la rponse qui sera fi nalement publie deux mois plus tard dans les Annales28 :

    Autre chose. Jai reu hier soir le texte ci-joint. Je mabstiens de le juger. Il se juge de lui-mme. Mais je pose la question : que faire ? Publier la lettre, cest entendu. La loi nous y contraint. Je le crois du moins. Mais faut-il publier sans commentaires ? Nous recevons la lettre suivante. Nous la publions pour obir la loi. Faut-il au contraire faire prcder la publication dun chapeau ? Ce chapeau, faut-il le signer L.F., ou le signer Les direc-teurs ? Je nai pas davis, tant un peu gn par ma mise en cause directe, pour en exprimer un. Cest vous, du dehors, qui devez juger. Je vous envoie, tout hasard, quelques formules. vous de choisir. Il est bien entendu que si vous jugez un autre ton prfrable vous avez toute libert pour laisser de ct mon texte. Il nest l qu titre de suggestion. Seulement, quand vous aurez choisi, je vous demande de renvoyer directement le tout aux Colin. Ne vous rcriez pas. Jenvoie Jolis un simple mot lui disant : Jai bien reu le factum que vous me transmettez au nom de M. Philippon. Je le communique M. Bloch, qui, tant hors du dbat, dcidera de la faon dont il convient de le publier : sans aucun commentaire, ou avec une note liminaire. Je vois la procdure que jindique aussi Jolis les plus grands avantages. Il y a des dessous cette histoire, je vous lindiquais dun mot lautre jour. Vous savez que Jolis est intervenu trs maladroitement il y a deux mois pour que jadoucisse mon texte ; je me suis mme fch cette occasion. Jolis avait t jusqu me dire : Sil y a une lettre de protestation, que dirait M. Jacques Leclerc. Je lui avais rpondu trs vivement que je nadmettrais aucune pression en pareille matire. Comme je suis naturellement dans les mmes dispositions, il est sage que je ne me laisse pas acculer une situation telle quelle mobligerait dire non la Maison ; car derrire ce non, il est facile de voir ce quil y aurait. Et ce nest pas le moment Je vous demande donc de prendre la chose en main, dans

    25. Ibid., CLVIII, 4octobre 1933, p.413.26. M.BLOCH, recension de Henri Jassemin, Revue critique dhistoire et de littrature, 7, 1933,

    p.303-305.27. M.BLOCH-L. FEBVRE, Correspondance, op. cit., t.2, 2003, 24avril 1934, p.74.28. Ibid., p.76-77.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 115

    lintrt de la revue et pour viter toute maladresse ditoriale qui pourrait avoir de grosses consquences. Je vous en demande bien pardon. Mais nous avons lhabitude de ne pas nous arrter, pour le bien commun, de petites considrations de paresse, ou de prvenance .

    La lettre de Febvre claire sur la dynamique de la polmique et sy esquisse progressivement lide de la publication de la rponse de Jassemin, ainsi que celle du chapeau qui la prcde. Largumentation de Febvre vis--vis de Bloch est remarquable : Febvre semble hsiter sur la conduite tenir dans les premires lignes de son rcit mais, alors que le texte a t reu la veille, il a dj arrt la fois une stratgie lgard de lditeur et des lments de rponse quil transmet Bloch, tout en sen remettant lui. Jassemin, quelques jours avant, le 16avril 1934, navait pas procd trs diffremment en demandant lopinion de Ferdinand Lot, historien du Moyen ge et membre de lInstitut, sur la rponse donner29 :

    Monsieur et cher matre,Vous avez peut-tre vu larticle de M. Febvre sur ma thse. Permettez-moi en cette

    occasion davoir encore une fois recours votre bienveillance, pour la raison suivante : on me dit quil peut arriver quune Acadmie se laisse impressionner par de pareils comptes rendus : il ne sagit videmment pas de ceux de ses membres qui sont comptents et ont lu le livre en question, mais des autres. Je me crois dautant plus fond envisager laffaire sous cet angle que, daprs une phrase assez trange qui est la fi n de larticle, il me semble que lauteur ait eu intentionnellement en vue un effet de ce genre. Cest pourquoi je vous envoie la note ci-incluse qui dmontre, je crois, linanit des critiques de M. Febvre et sa lgret invraisemblable. Au cas o mes apprhensions ne seraient pas tout fait chim-riques, jose compter sur votre bont et votre justice pour faire de cette note lusage que vous estimeriez effi cace.

    Jai crit dautre part une rponse dtaille, qui vaut ce quelle vaut, mais qui serait de nature, ce que mont dit les personnes qui je lai montre, engager M. Febvre plus de prudence. La question est de savoir si je la lui enverrai personnellement ou si jen exigerai linsertion. mon point de vue, cela mimporte peu. Mais M. Febvre a visiblement voulu atteindre sur mon dos lensemble des chartistes, et lon peut se demander si nous devons tolrer que des Vadius sen fassent accroire nos frais, sans que nous tentions la moindre riposte. Cest sur ce point que je viendrai prochainement vous supplier de me donner votre avis.

    Veuillez agrer, Monsieur et cher matre, lexpression de mes sentiments tout dvous et profondment respectueux.

    H.Jassemin

    Il est clair que le premier souci de Jassemin est le prix Gobert de lInstitut, qui lui tait promis et dont lattribution devait avoir lieu au dbut du mois de mai ; ce moment, la question de la publication dun droit de rponse est encore ouverte, et mme si le souci de dfendre lcole des chartes est bien exprim, dautant que Lot est lui-mme chartiste, les considrations de mthode histo-rique ne se trouvent pas places au premier plan. La rfrence la dimension juridique du droit de rponse court de la lettre de Jassemin celle de Febvre. Il est impossible de savoir ce que Jassemin a rellement demand dans le billet

    29. Bibliothque de lInstitut, Fonds Ferdinand Lot, ms. 7308, pice 211. Sur cette correspondance, voir O. DUMOULIN, Deux correspondances de mdivistes la lumire du rseau tiss par un icono-claste , dans Odon-Daniel HUREL (d.), Correspondance et sociabilit, Cahiers du GRHIS, 1, Rouen, Presses universitaires de Rouen, 1994, p.113-124.

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  • 116 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    accompagnant sa rponse, mais il ne semble pas que la question ait jamais t vraiment examine dun ct ou de lautre, Jassemin comme Febvre ne semblant pas parfaitement certains de lexigence du droit en loccurrence. Son invocation par Febvre ressemble en partie un prtexte pour enfoncer le clou en rpondant par lintermdiaire du chapeau , tout en masquant ses intentions polmiques derrire les ncessits de la loi.

    La lettre de Febvre Bloch aprs la rponse de Jassemin dvoile galement une dimension fondamentale de lhistoire intellectuelle des Annales, celle du fonctionnement de la revue. En effet, si la bibliographie sur l cole des Annales est abondante, la revue elle-mme na encore jamais fait lobjet dune vritable tude approfondie. Cette polmique permet de montrer les deux directeurs au travail face une diffi cult diplomatique, mais aussi de comprendre la position de la revue, par rapport lespace savant et aux contraintes ditoriales, puisque le compte rendu de Febvre avait visiblement dj fait lobjet de commentaires, sous-entendus dans le texte ( il y a des dessous cette histoire ). Le principal souci de Febvre est en effet davantage la raction de la maison Armand Colin et la stratgie adopter son endroit, que le propos de Jassemin lui-mme, de mme que le souci de ce dernier regardait le prix Gobert plus que lpistmologie de lhistoire. Plaant le confl it sur un terrain institutionnel, il avait adress sa lettre non pas ladresse personnelle de Febvre, mais sous couvert dArmand Colin, ce qui tait une manire de mettre les directeurs mais aussi lditeur devant leurs responsabilits. La prudence et la crainte de Febvre par rapport aux frres Colin montrent bien que la prennit des Annales na encore rien dassur alors que la revue entre dans sa sixime anne, et que Febvre tente de naviguer entre le got dune affi rmation mthodologique en rupture, quitte provoquer la polmique, et le souci de continuer jouir du soutien de son diteur qui pourrait risquer de se retirer.

    Lensemble de ces considrations conduit Febvre charger Bloch de lessen-tiel de la mise en uvre de la rponse, alors mme que le contenu de celle-ci est principalement rdig par Febvre, qui, en annexe de sa lettre, donne une premire version du chapeau . Ainsi, dans la lettre du samedi 28avril 1934, peine trois jours plus tard, Bloch revient sur cette question30 :

    Mon cher ami,Ci-joint divers papiers :[]2. ma lettre Jolis et notre rponse lineffable Jassemin. Doubles, naturellement. Les

    originaux ont t directement envoys lhomme aux chemises empeses. Inutile de vous expliquer le sens de mes propos Jolis. Il tait ncessaire daffi rmer avec lourdeur notre solidarit. Jai conserv la note une certaine raideur, non seulement pour rpondre mon sentiment intime, mais aussi, en cas dabsolue ncessit, pour me mnager une position de repli. Je prfrerais dailleurs ne pas me replier. vrai dire, la lettre de ce chartiste la manque est si ridicule quelle se juge de soi-mme.

    30. M.BLOCH-L. FEBVRE, Correspondance, op. cit., t.2, 28avril 1934, p.78-79.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 117

    Bloch marque ainsi immdiatement sa solidarit, cependant, mme sil est question de son sentiment intime , sa premire proccupation est stratgique et les relations avec lditeur tiennent toujours une place centrale : cest dabord par rapport Jolis et Armand Colin que Bloch fait front aux cts de Febvre, de manire ne pas fragiliser la revue. Quant Jassemin, les formules de Bloch semblent parfois ambigus, par exemple propos de cette position de repli . Ces changes montrent la ralit de travail de direction scientifi que de la revue et la manire dont la dcision dans la conduite tenir tient davantage des questions de politique qu des convergences absolues de vue entre Febvre et Bloch la diffrence de ton entre leurs deux comptes rendus, on y reviendra, en rend bien compte, malgr la dngation de Bloch voquant une manuvre de dsolidarisation. Bloch, en tout cas, ne pensait pas du livre de Jassemin la mme chose que Febvre, et quoi quil en soit, ne laurait pas crit de la mme manire. La ngociation pistolaire sur le chapeau se prolonge encore dans la lettre suivante, date du 29 ou du 30avril 1934, dans laquelle Febvre revient sur les amnagements oprs par Bloch dans sa proposition de texte, tout en lui tmoignant une reconnaissance qui traduit sa conscience des motifs plus politiques quintellectuels de la solidarit de Bloch31 :

    Pardon de la corve dont je suis linvolontaire responsable, je veux dire de la corve Jassemin. Je naurais en aucun cas rpondu. Je nai pas derreurs matrielles confesser : jai revu les passages allgus par Jassemin, aucun na la moindre porte dans le dbat. Je nai dautre part pas coutume de poursuivre la conversation avec des gens qui se prsentent par ministre dhuissier et qui me renvoient Plattard pour me documenter sur Rabelais ! Quant la note que vous avez rdige elle va trs bien. un mot prs : Nous dnions M. Jassemin le droit dabriter ses erreurs derrire une collectivit vitons tout ce qui pourrait donner occasion ce vaniteux dbile (qui essaie de sassurer son prix acadmique en se posant en dfenseur du chartisme) de rpliquer. En faisant, son habitude, un contresens, il pourrait dire : Vous minculpez derreurs, quelles sont celles que jai com-mises, etc. Il faut se dfi er de ces qurulents ? Je ne fais pas la correction, vous dciderez. Simplement, je termine, comme jai commenc, en vous disant pardon et merci. Je najoute pas, paroles de mauvais augure : charge de revanche !

    Si Febvre a volontairement attaqu le livre comme symbole dune histoire qui nest pas celle des Annales, la rponse de Jassemin lincite dsormais cher-cher clore lchange. Le type dchanges entre Febvre et Bloch est cependant ici aussi intressant que largumentaire chang : la correspondance presque quotidienne a t le principal lieu de conception et de discussion du contenu des Annales durant les annes 1930, et les dcisions ditoriales faisaient lobjet de ngociations entre les deux directeurs, rendues encore plus complexes lorsque la matire tait sensible, en particulier vis--vis de leur diteur. Lchange de lettres entre Bloch et Jolis juste aprs les discussions pistolaires entre les deux directeurs porte la trace de ce rapport de force, du ct dArmand Colin. Le 2mai, aprs avoir reu la version du chapeau revue par Bloch, Jolis crit32 :

    31. Ibid., p.80-81.32. Ibid., p.500.

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  • 118 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    Cher Monsieur,Jai bien reu votre lettre du 28avril, ainsi que la lettre de M. Jassemin que vous nous

    retournez et le texte qui doit en accompagner la publication, et vous en remercie. Nous avons lu et relu ce texte. Nous avons pris le temps dy rfl chir, car la question est dlicate. Nous comprenons trs bien votre dsir de ne pas laisser les attaques de M. Jassemin sans rplique, mais nous souhaitons, comme vous dailleurs, que laffaire ne rebondisse pas et nous ne voudrions pas que la rplique pt ouvrir nouveau le droit de rponse. Cest pourquoi, nous expliquant en toute franchise, comme il a toujours t de rgle entre nous, nous vous demandons dexaminer la possibilit de raccourcir encore votre texte, en gardant votre ide trs heureuse du dbut et en rduisant la suite un simple alina de caractre gnral, vitant de citer aucune personnalit, mais protestant nettement contre la prtention de M. Jassemin de confondre sa cause avec celle de lcole des chartes.

    Suit une proposition de reformulation du chapeau soumis au jugement de Marc Bloch. Aprs une nouvelle rcriture de Bloch adresse le 4mai Armand Colin, le 7mai, une dernire lettre de Jolis clt laffaire du point de vue de lditeur33 :

    Je vous remercie vivement davoir bien voulu prendre la peine de raccourcir le texte primitivement envisag et den liminer tout ce qui pourrait donner prtexte une rplique. Je donne tout de suite composer ce nouveau texte et jespre que nous nentendrons plus parler de M. Jassemin .

    Ces lettres tmoignent de la minutie qui rgle les rapports entre directeurs et diteurs, mais aussi de leur rapidit : en moins de deux semaines, cest une dizaine de lettres changes qui aboutissent la mise au point dune solution acceptable. Laffaire Jassemin, dailleurs, nen fi nit pas de servir de rvlateur ce travail de ngociation, base de llaboration de la revue, qui est men dans la correspondance, puisquon la retrouve encore une fois trois semaines plus tard, loccasion des preuves, o cest cette fois la prsentation matrielle du texte qui fait question ce qui montre aussi au passage le soin et la signifi cation donns par Febvre et Bloch la ralisation concrte de la revue et la dfense de leur entreprise commune. Febvre crit ainsi Bloch34 :

    Mon cher ami,Je reois linstant les preuves de la lettre Jassemin. Je suis trs tonn de la voir

    introduite dans le texte de la revue par un titre propos dun livre sur la Chambre des comptes et de sa critique qui est de votre main. quoi rpond ce titre ? Avez-vous lintention de voir la lettre Jassemin insre dans le corps de la revue, parmi les notes ? Dans ce cas, je me verrais oblig de dire non. Cette lettre est un corps tranger. Marquons-le en la publiant comme le font toujours la Revue Critique et la Revue Historique sous le seul vocable de : Correspondance la fi n du numro, l o sa place est prvue dailleurs. Je nai fait, rendez-moi cette justice, aucune diffi cult pour accepter le texte du chapeau tel quil a t agr dfi nitivement par la Maison bien quil ne contienne pas un mot sur la srie de mensonges hypocrites accumuls par le sieur Jassemin dans sa peur que mon compte rendu ne nuise son prix Gobert. (Et donc, vive lInstitut, entre parenthses, et la liste de quatre membres de lInstitut, comme par hasard, quon nous propose pour le Conseil Suprieur de la Recherche). Mais ici, il ne sagit pas de moi. Il sagit de la revue. Je

    33. Ibid., p.501.34. Ibid., p.94-95.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 119

    ne veux pas que M. Jassemin y collabore. Je subis M. Jassemin parce quune loi imbcile me contraint publier (encore le cas est-il douteux) quatre pages dneries mensongres ; je les subis, mais je naccepte pas. Donc : Correspondance, in fi ne. Comme je ne sais si ce point a t touch dans la correspondance de Jolis, je vous renvoie la dcision dautant plus que je pars demain en Bourgogne avec ma femme sous le prtexte de chercher une maison, et que je ne puis indiquer davance de lieu sr o faire suivre. Donc, saisissez Leuilliot directement, mais je dis et redis : dans le corps de la revue, sous un titre qui lintgre dans notre propre corps, non. la fi n, comme un embarras aprs un tiret terminant le numro normal de la revue oui. Encore une fois, l, il ne sagit plus de moi, qui me suis laiss faire bien sagement et sans crier ouf il sagit de la revue .

    Ainsi, la construction dune thique ditoriale de la revue est une entreprise dont la correspondance porte la marque, mais on retrouve aussi une nouvelle fois dans cette lettre la trace des ngociations avec lditeur ainsi que des procdures de correction des preuves, en lien avec Leuilliot, le secrtaire de la rdaction. Enfi n, la position personnelle de Febvre affl eure sans laisser de surprendre : il prtend stre laiss faire, forc par la loi, alors mme que son premier courrier relatif la lettre de Jassemin montre quil a pris demble la dcision la publier, sans que Febvre fasse aucune vrifi cation du point de vue juridique (il ajoute lui-mme, entre parenthses, quant lobligation lgale, encore le cas est-il douteux ). De plus, comme le montre la comparaison des tapes de rdaction successives, malgr llagage et les rcritures de Bloch, puis la tentative vaine dintervention de Jolis, la version dfi nitive du chapeau reste trs largement de sa plume, alors quil la prsente maintenant comme un texte qui lui aurait t impos et quil aurait accept avec bienveillance. (voir tableau page suivante)

    Plus que de la mauvaise foi ou de la duplicit, cette attitude rvle surtout une oscillation entre deux Febvre, lauteur du compte rendu, et le directeur des Annales, le second ayant comme impos au premier la publication de ce droit de rponse.

    LE POINT DE VUE DE MARC BLOCH

    Dune recension banale, caractristique de la manire de Febvre, comme la montr Bertrand Mller, de donner une leon mthodologique de porte gn-rale partir dun ouvrage particulier35, fut-il situ comme cest le cas ici hors de son domaine de comptence scientifi que, dcoule une polmique publique

    35. Bertrand MLLER, Lucien Febvre, lecteur, qui montre limportance de lactivit de compte rendu pour la structuration du programme thorique des Annales ; voir aussi lexpression trs claire de ce point de vue par Febvre dans M. BLOCH-L. FEBVRE, Correspondance, op. cit., t.3, 2003, p.10, quand il voque un livre dont jai envie parce que, tout de suite, je devine le thme quil me permettra dorchestrer , ou p.16 : Les livres ? Ils ne mintressent encore une fois que dans la mesure o ils peuvent susciter un article. Dfi ons-nous du compte rendu de comptence. Il faut que 7 sur 10 des comptes rendus soient de ce type, avec tous les avantages et tous les inconvnients qui en peuvent rsulter. Il faut que trois chappent cette rgle et que les livres ainsi slectionns soient vus avec des yeux neufs par des incomptents qui ont quelque chose dire leur propos .

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  • 120 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    Proposition de Lucien Febvre pour le chapeau

    Proposition de Jolis au titre dArmand Colin

    Chapeau publi dfi nitivement

    Il y a deux faons dcrire aux Annales : sur linvitation des direc-teurs, ou bien au nom de la Loi. Lauteur du factum quon va lire a choisi la seconde. Il a bien faitCelui des deux directeurs de la revue qui se trouve vis dans ce document il laisse le soin de le qualifi er ceux qui en prendront connaissance se borne dire quil na pas un mot changer son article. Il instituait, son habitude, un dbat de mthode. Dans la rplique qui suit, ce dbat est esquiv. Dont acte. Pour le reste, crire dune certaine faon et sur un certain ton, on sexclut soi-mme de toute discussion.Un seul mot cependant. Le livre qui a fourni matire larticle incrimin incarnerait, en croire son auteur, lesprit chartiste . Et cest cet esprit que les Annales auraient voulu sen prendre Nous ne sommes pas dupes de cette habilet cousue de fi l trop candide. Nous ne connaissons ici, quelle que soit la provenance de leurs auteurs, que deux sortes de livres : ceux qui servent utilement lhistoire telle que nous la concevons et les autres. Aucune cole, aucun groupe dhommes, aucun pays na le mono-pole de ceux-ci, ni de ceux-l ; on sen apercevra aisment, nous lesprons, feuilleter les cinq volumes parus des Annales. Que si par aventure, nous voulions, par une curiosit un peu trange, nous documenter sur lesprit chartiste ajoutons que nous saurions qui nous adresser et que notre collaborateur de la premire heure, Georges Espinas, ou Georges Bourgin, ou lun de ces archivistes dpartementaux qui nous lient les liens dune collaboration solide et dune communaut de vues entire le ferait avec autorit. La dernire ide qui pourrait nous venir, ce serait bien de nous adresser lauteur, sans mandat, dune tude sur La Chambre des comptes de Paris au XVe sicle.

    Les Annales dhistoire conomique et sociale comptent, pour cette fois du moins ? un collabora-teur de plus. Il sest prsent, non sur linvitation des direc-teurs ou par dsir de sassocier spontanment nos libres recherches, mais au nom de la loi : cela seul nous dispense de tout commentaire.Nous publions donc purement et simplement la longue lettre ci-dessous, faisant nos lecteurs juges de procds de discus-sion qui ne sont pas les ntres et laissant aux chartistes , parmi lesquels nous sommes heureux de compter de nom-breux amis et collaborateurs, le soin dapprcier dans quelle mesure M. Jassemin a le droit de confondre sa cause avec elle de lcole des chartes.

    Il y a deux faons de collaborer une revue : sur linvitation des directeurs, ou au nom de la loi. Pour la premire fois, depuis 5 ans que les Annales existent, et croyons-nous, parlent franc, un auteur sest rencontr qui, de ces deux mthodes, a choisi la seconde. Nous publions donc sa lettre, qui nhsite pas se dire, elle-mme, fort longue. Nous ny rpondrons pas. Nos lecteurs le jugeront.

    Sur un point seulement, nous ne sau-rions garder le silence.M.Jassemin, len croire, incarnerait lesprit chartiste ; et ce serait cet esprit, prcisment, qu travers sa personne les Annales auraient voulu atteindre. La manuvre est par trop candide. Nous ne connaissons ici, quelle que soit la provenance des tra-vailleurs, que deux sortes de livres : ceux qui servent utilement lhistoire, telle qu tort ou raison nous la concevons et les autres.

    Si dailleurs, par aventure, nous dsirions nous documenter sur les mthodes que ses matres de la rue de la Sorbonne ont enseignes M. Jassemin nous ne disons pas sur celles quil pratique ce nest pas lui que nous songerions nous adresser. Parmi les savants qui, anciens lves de lcole des chartes, nous ont ds la premire heure apport une aide si prcieuse, parmi ces archivistes dpartementaux auxquels nous unissent les liens dune colla-boration chaque jour plus troite et dune entire communaut de vues, les hommes ne manquent pas dont la voix sera toujours coute par nous avec beaucoup de respect. eux de dcider si lauteur de louvrage critiqu a le droit de chercher abri derrire la grande institu-tion rudite dont il se rclame avec tant dassurance.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 121

    qui conduit non seulement Marc Bloch mais aussi les Annales, comme revue, rejoindre la position de Febvre, dont rien ne dit que le mdiviste la partageait au dpart. En effet, Bloch lit le texte de Febvre avant louvrage de Jassemin, ce qui infl ue probablement sur son jugement, mais son propre compte rendu, qui est le grand oubli de lhistoriographie de cet pisode, sen distingue clairement. Certes, il lui tait diffi cile, quoi quil en soit, de djuger son ami et collgue, mais il choisit un angle dattaque diffrent dans ce texte qui associe louvrage de Jassemin celui de son matre Dupont-Ferrier sur les institutions fi nancires de la France la fi n du Moyen ge. Avec un ton dnu de virulence, Bloch critique deux points. Tout dabord, en conclusion, il rejoint Febvre, quoique moins svrement, dans le manque dhistoire sociale36 :

    Ces gens des Aides ou des Comptes, depuis les prsidents jusquaux conseillers ou aux clercs aristocrates notre tour, nous pouvons bien omettre les huissiers ! quel milieu appartenaient-ils ? Quelles taient leurs fortunes, leurs alliances, leur culture ? Quelques-uns dentre eux ne nous ont-ils pas laiss, par exemple, de ces testaments qui jettent lordinaire un jour si vif sur la mentalit des hommes et des classes ? L-dessus, je ne dirai pas que les deux livres ne nous donnent rien, car on peut sans doute glaner, par endroits, quelques indications. Mais ce quil est sans doute permis dappeler, commodment, lhistoire sociale des cours nest nulle part aborde de front ; il semble que les auteurs ne sy soient pas intresss ; et cest grand dommage .

    Mais il sengage galement sur le terrain de lrudition, reprochant Jasse-min non pas son chartisme mais, au contraire, son manque de consquence dans ce domaine, savoir une rudition qui nest pas alle jusqu intgrer la rfl exion archivistique lcriture de lhistoire, ce qui est la fois une manire de critiquer lauteur, tout en tmoignant de son intrt pour lanalyse critique de la documentation37 :

    En tte du livre, je lis ce titre, plein de promesses : Sources . Mais, au-dessous, que trouve-t-on ? Une liste de manuscrits, tous emprunts dailleurs aux dpts parisiens. Lenqute ne parat pas avoir t poursuivie en province. tort, peut-tre. Passons cependant sur ce point. Ce sur quoi il faut insister une fois de plus cest quune numration de cotes nest pas une tude de sources et ne saurait en tenir lieu. Comment ! voici une institution dont lrudit le moins averti sait que ses archives ont t victimes dune foule de vicissitudes et daccidents ; une institution pour qui la tenue mme de ses dossiers et registres tait une part essentielle de son activit ; qui enfi n, par nature mme, ne sera jamais quimparfaitement connue laide des seuls documents offi ciels mans delle, moins que ces tmoignages, toujours suspects et incomplets, ne soient soumis une svre critique et rapprochs dautres textes ; et, entreprenant de nous en exposer les destines, vous ne vous donnez pas la peine de prsenter au lecteur vos tmoins, de lui dcouvrir les lacunes que vous avez constates dans nos connaissances, de lui expliquer ce qutaient au juste ces mmoriaux conservs, perdus ou reconstitu et ces manuels [] .

    Enfi n, ce dispositif remarquable de rponse est complt par une autre note critique qui suit immdiatement, portant sur une autre publication de Jassemin, Un document fi nancier du XIIIe sicle : le Mmorial de Robert II, duc de

    36. Marc BLOCH, dans Revue critique dhistoire et de littrature, 7, 1933, p.305.37. Ibid., p.303.

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  • 122 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    Bourgogne (1273-1285), sur laquelle son apprciation est plutt fl atteuse, ce qui explique peut-tre que la lettre de Jassemin Bloch ait t de remerciement (ce que Bloch passe sous silence dans son rcit Febvre)38 :

    Le document lui-mme est dun trs vif intrt et lIntroduction, dont son diteur la fait prcder, non seulement en met parfaitement en lumire la nature vritable, mais encore apporte sur lhistoire mme des fi nances bourguignonnes, et sur leur dsordre, des observations fort utiles et intelligentes .

    Le rapprochement de ces deux recensions et des lettres virulentes changes entre Bloch et Febvre en 1938 propos de lquilibre entre lrudition et les ides au sein des Annales montre bien quil y avait l une ligne de partage au sein mme de la direction de la revue, et que Bloch poursuivait lobjectif de surmonter, prcisment, lopposition entre les deux, avant mme que la controverse entre Febvre et Jassemin prenne de lampleur et que Febvre engage, par le chapeau, Bloch ses cts. En mai1938, Febvre crit ainsi Bloch39 :

    Fondamentalement, vous tes, en tant quhistorien, plus rudit que moi. Je veux dire plus sensible certaines qualits techniques dans un article, dans un mmoire et limportance de certains apports de fait. Cela vient sans doute, tout simplement, de ce que votre activit premire fut celle dun mdiviste. Or il est certain que, dans les Annales, la part des articles drudition court rayon [] devient plus forte proportionnellement. On ma dit ces derniers temps, de plusieurs cts : Trop de Moyen ge ! Formule sotte. Ou plutt, formule pas sortie. Traduction mauvaise dune impression mal dgage. Mais videmment, nous nous alourdissons .

    Un mois plus tard, Febvre revient sur sa conception de la revue dans une autre lettre40 :

    Mais tout de mme, sommes-nous bien daccord ? Je voudrais une revue dides avant tout. Des articles brefs. Quelques rares modles darticles. Aucun devoir dlve. Pas damplifi cation dun thme connu. Or, trop souvent, naboutissons-nous point cela ? Et puis, et puis : nos Annales ne tendraient-elles pas, doucement, vers une sorte de conformisme universitaire centre gauche, respectueux des convenances et des situations ? .

    Ces mots suscitent une raction rapide de Bloch, quatre jours plus tard, le 22juin 193841 :

    Les Annales, revue dides. Je veux bien. Les ides sont une bonne chose. Mais rare, hlas ! Surtout, ides, faits : pour le brave homme de praticien des sciences humaines que je mefforce dtre, lopposition, je lavoue, me semble un peu scolastique. Plus que vous, cest vrai, jprouve le besoin de mappuyer sur le laboratoire. Jai regrett, vous le savez, que la vie vous en cartt par trop, mon gr. [] En tous cas, si les Annales commencent agir, vraiment, cest parce que lesprit quelles reprsentent se diffuse travers une infor-mation solide, soigneuse, exacte, modeste. Ne me traitez pas de vil rudit, pas plus que de plat conformiste. Je suis, je pense, un honnte rudit. Tout comme vous. Je mefforce dtre autre chose, tout en restant cela, la base. Et je pourchasserai toujours, avec la mme

    38. Ibid., p.305.39. M.BLOCH-L. FEBVRE, Correspondance, op. cit., t.3, 2003, 10 ou 11mai 1938, p.15-16.40. Ibid., p.22.41. Ibid., p.29.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 123

    vigueur, tant que le Destin men laissera un peu, et lrudition oiseuse, qui est btise, et la pseudo-illumination de pseudo-ides, qui est hallucination (ou paresse) .

    Cette position de Marc Bloch, galement prsente dans son compte rendu, a cependant t efface par la logique intellectuelle et sociale du confl it, qui a radicalis laffrontement. De la mme manire, les autres recensions contempo-raines du livre de Jassemin, qui restituent les nuances intellectuelles du monde de lhistoire mdivale des annes 1930, sont galement oublies alors quon saperoit, par exemple, que le compte rendu du chartiste Jules Viard dans la Bibliothque de lcole des chartes, avant laffaire, est certes positif mais reste modr dans son enthousiasme42.

    LA CRISTALLISATION DE LA POLMIQUE : FORMES DE JUSTIFICATION ET STRUCTURES DE LESPACE SAVANT

    Leffacement des nuances dans la transmission historiographique de lpisode est le rsultat de laction de Jassemin, autant que de Febvre. Tandis que ce dernier sollicitait le soutien de Bloch et du rseau des Annales, comme Espinas, Jassemin sadressait lInstitut, en particulier Ferdinand Lot, dont le fonds conserve la correspondance, qui lavait toujours protg et qui dfendait son ouvrage en vue du prix Gobert. On a dj mentionn la lettre du 16avril 1934, dans laquelle il demande conseil Ferdinand Lot. La note qui accompagne cette lettre, indite, vaut la peine dtre cite elle aussi, car elle montre les fondements de la rplique de Jassemin et le foss qui pouvait exister entre sa conception non seulement de lhistoire comme science mais aussi de lthique professionnelle, et celle de Febvre43 :

    Note sur le compte rendu de la thse de M. Jassemin, donn par M. Febvre dans les Annales conomiques de mars1934.

    Les critiques de M. Febvre sont de deux sortes. Les unes sont dordre gnral et ne comportent pas de rponse. Elles se ramnent ceci : M.J. a eu le tort demployer la mthode historique, qui est aussi celle de lcole des chartes, et non la mthode conomico-sociale invente par M. Febvre. Les autres critiques sont particulires. Voici les principales :

    1. M.J. na pas dit que les gens des comptes calculaient avec des jetons. M.J. la dit, pp. 129 et 139.

    2. M.J. na pas parl des erreurs de calcul. M.J. en a parl, p.148.3. M.J. ne donne aucune explication de son frontispice, qui demeure inintelligible,

    moins de longues recherches dans les publications de la Socit de comptabilit. M.J. donne, au chapitre Jugement des comptes, tous les renseignements utiles pour linterpr-tation de cette miniature.

    4. M.J. ne sest pas proccup des milieux auxquels appartenaient les gens des comptes. La question a t traite pp. 29 et suiv. (Recrutement Hrdit).

    42. Jules VIARD, recension du livre dHenri Jassemin, Bibliothque de lcole des chartes, 1933, 94-1, p.366-368 ; voir aussi la notule dYvonne BEZARD dans la Revue dhistoire de lglise de France, 1933, t.19, n85, p.551-552, et les recensions de Barthlemy POCQUET DU HAUT JUSS, Revue des questions historiques, 118, 1933, p.499, et de Eleanor C. LODGE, English Historical Review, 49, 1934, p.344-345.

    43. Bibliothque de lInstitut, Fonds Ferdinand Lot, ms. 7308, pice 213.

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  • 124 REVUE DHISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE

    5. M.J. na jamais lu Rabelais et ignore que le Ve livre contient une satire o les gens des comptes sont appels apedeftes. M.J. navait pas parler de Rabelais, qui crivait bien aprs 1500. Il a pourtant voulu montrer quil savait ce dtail et il nomme les apedeftes, p.170.

    Conclusion : hypothse sur la faon dont le compte rendu a t rdig.M.Fr a regard le frontispice, qui la plong dans de longues perplexits. Puis il a lu

    le titre, qui lui a appris que M.J. tait archiviste, ce qui la instantanment clair sur le contenu de louvrage et sur sa valeur. Il a lu la premire phrase de lIntroduction, ce qui la confi rm dans son verdict, puis il a coup quelques pages au hasard. De l, il a saut la Conclusion, dont il a parcouru la fi n. Il na pas lu la Table des matires .

    On se trouve donc face deux stratgies de justifi cation incompatibles44. L o Febvre voit de lrudition inutile, Jassemin voit de la mthode historique ; quand le premier raisonne en termes dhistoire-problme, le second dsigne la mthode socio-conomique invente par M. Febvre . Alors que Febvre considre son activit de recenseur comme un travail militant destin poser des questions de mthode, Jassemin met en vidence la rapidit avec laquelle Febvre a parcouru son ouvrage pour rfuter ses objections. La note de Jassemin est dailleurs une sorte de mise en abyme de cet cart : Jassemin reconstruit avec une prcision philologique la mthode de lecture de Febvre dune manire plutt convaincante on peut douter que Febvre ait consacr louvrage de Jassemin le temps dune vritable lecture approfondie , ce qui, pour autant, ne suffi t pas entirement rpondre aux critiques de Febvre sur lapproche employe par le chartiste. On voit queffectivement, aucune vritable discussion nest possible : ne reste que laffrontement de deux adversaires qui, fondamentalement, ne sentendent pas et, dune certaine faon, trouvent tous les deux un intrt et une lgitimation dans leur dsaccord. Une deuxime lettre, de remerciement, date de mai45, suit lobtention du prix Gobert le 11mai46, enfi n une dernire du 3juillet 1934 raconte la fi n de lhistoire du point de vue de Jassemin47 :

    Sans aucune insistance de ma part, sur la premire et unique sommation que je leur avais envoye il y a trois mois, Febvre and Co ont publi ma rponse, non sans la faire prcder dun petit chapeau o ils exhalent leur mauvaise humeur dune faon assez enfantine. Il y

    44. Luc BOLTANSKI, Laurent THVENOT, De la justifi cation. Les conomies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.

    45. Ibid., pice 214, 11mai 1934 : Monsieur et cher Matre, Je ne veux pas attendre plus long-temps pour vous remercier. Je sais bien que cest vous seul que je dois limmense honneur que ma fait lAcadmie. Cest le couronnement de tous les sujets de reconnaissance que jai votre gard. Je ne puis vous dire combien jai t touch, en particulier, de la faon dont vous avez tenu mannoncer sans dlai cette bonne nouvelle. Avec lexpression de ma profonde gratitude, veuillez agrer, Monsieur et cher Matre, celle de mes sentiments sincrement dvous et respectueux. H.Jassemin .

    46. Sur lattribution du prix Gobert, voir les Comptes rendus de lAcadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1934, p.140 : Lordre du jour appelle la discussion pour lattribution du prix Gobert. Personne ne demandant la parole, il est procd immdiatement au vote. Par 28 voix contre 2 M. Flix Olivier-Martin, et un bulletin marqu dune croix, le premier prix est dcern M. Jassemin pour son ouvrage sur La Chambre des Comptes de Paris au XVe sicle . Sance du 11mai on voit que lAcadmie fait bloc ; cependant, lattribution du prix tait prmdite puisquen janvier, on sait dj quun seul livre est pris en compte par lAcadmie, celui de Jassemin, voir ibid., p.6. Dans quelle mesure Febvre a-t-il eu connaissance de tout cela ? Cest diffi cile dire, mais le plus probable est quil sagisse dun hasard.

    47. Bibliothque de lInstitut, Fonds Ferdinand Lot, ms. 7308, pice 215.

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  • LA CONTROVERSE FEBVRE-JASSEMIN EN 1934 125

    a notamment une palinodie trs rjouissante, au sujet de lcole des chartes, qui devient la grande institution rudite ! Alls well that ends well .

    Au mme moment, le 6juillet 1934, Febvre fait tat Marc Bloch de plusieurs lettres reues dEspinas, dont la dernire porte directement sur laffaire Jassemin48 :

    La dernire est r-vo-lu-tion-naire, oui. Je vous le jure. On y lit ce conseil : Frappez la tte !!! La tte, Monsieur, cest lInstitut. Il sagit de Jassemin et de sa lettre, qui a rvolutionn ce Saint Homme. Il me parle dun organisme corrupteur, oui il dit mme un grand organisme corrupteur ; il qualifi e dun mot la phrase de Jassemin sur les ides : cest un monde et fi gurez-vous quacharn par son loquence, javais lu cest immonde !.

    La divergence de regard sur lissue de la polmique ne fait que confi rmer ce qui sest esquiss dans cette reconstitution de dtail : la confrontation fi nale apparat comme le rsultat dune dynamique dont on peut restituer les logiques microsociales. Deux lignes causales se croisent en effet quand Febvre dcide de faire le compte rendu polmique de Jassemin. Dune part, le directeur des Annales, qui utilise lespace ditorial des comptes rendus pour mener, comme cela avait t le cas avec le cercle durkheimien de lAnne sociologique au dbut du sicle, une lutte ouverte pour imposer la lgitimit intellectuelle et acad-mique de sa revue et de la conception dune histoire-problme appuye sur une approche sociale et conomique, quitte gommer parfois les nuances scientifi ques. Dautre part, un chartiste conservateur aux archives nationales, menant une carrire brillante et aspirant lobtention, laide du livre tir de sa thse dtat, dun prix de lInstitut. Le premier moment du croisement de ces deux trajectoires oppose donc deux rgimes daction radicalement tran-gers, pour lesquels le contenu proprement scientifi que du livre en question est presque secondaire : Febvre agit dabord en fonction du travail militant des Annales comme il continuera le faire ensuite, avec Bloch, dans la rfl exion sur le chapeau, prenant principalement en compte un point de vue largement autant ditorial que scientifi que ; Jassemin, ensuite, est principalement guid par la protection de ses intrts vis--vis de son prix, et de la rputation de lcole des chartes dont il est issu. La polmique, contrairement lapparence et au traitement historiographique dont elle a t lobjet, nest donc pas dabord purement mthodologique et pistmologique, elle le devient progressivement. Laccent se place alors sur lhostilit anti-rudite de Febvre, tandis que le rejet des ides et du social chez Jassemin nest pas moins outrancier.

    Laffrontement navait pas la ncessit tlologique quon peut lui prter rtrospectivement : il est aussi le rsultat, indtermin au dpart, de discussions informelles, dchanges pistolaires (entre Febvre et Bloch, entre Jassemin et Lot), de dcisions, sur la toile de fond dune diversit de positions tenues dans les diffrents comptes rendus publis au mme moment. Lopposition avec ce que devient laffaire dans la mmoire collective historienne des annes

    48. M.BLOCH-L. FEBVRE, Correspondance, op. cit., t.2, 6juillet 1934, p.112.

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