Anca Vasiliu, L'Économie de l'Image Dans La Sphère Intelligible (Sur Un Sermon d'Alain de Lille)

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Anca Vasiliù L'économie de l'image dans la sphère intell igible (sur un sermon d'Alain de Lille) In: Cahiers de civilisation médiévale. 41e année (n°163), Juillet-septembre 1998. pp. 257-279. Résumé Relais de l'une des plus fameuses défi nitions de Dieu — phrase qui a fait le tour de la pensée occidentale de Parménide à Pascal — le sermon d'Alain de Lille met en jeu une conception noétique héritée de Boèce, une forme de cosmologie « allégorique » proche de la Cosmogr aphia de Bernard Silvestre et une « rhétorique » de la démonstration logique empruntée à Gilbert de la Porrée. L'article propose l'interprétation d'un hapax et analyse le vocabulaire spécifique de l'image forgé par l'auteur afin de désigner le processus qui conduit l'intellect à concevoir une définition de ce qui demeure en tout état de cause indéfinissable.  Abstract Dedicated to one of the most famost definitions of God in the occidental philosophy, from Parmenide to Pascal, the Sermo of  Alanus ab Insulis shows the heritage of the noet ic conceptions of Boe thius and uses bo th all the allegorical fo rms of cosmology, as it has already been done by Bernardus Silvestris in his Cosmographia, and the rhetorical demonstration of an aporia, as it was usual in the XIIth century after Gilbertus Porretanus. The article proposes the interpretation of an hapax and analyses the vocabular y of the image, which was specially concie ved by the author to demonstr ate the way the human mind is steel able to give a definition about what it recognises as being in any way exempt of definition. Citer ce document / Cite this document : Vasiliù Anca. L'économie de l'image dans la sphère intelligible (sur un sermon d'Alain de Lille). In: Cahiers de civilisation médiévale. 41e année (n°163), Juillet-sept embre 1998. pp. 257-279. doi : 10.3406/ccmed.1998.2725 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1998_num_41_163_2725

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    Anca Vasili

    L'conomie de l'image dans la sphre intelligible (sur un sermon

    d'Alain de Lille)In: Cahiers de civilisation mdivale. 41e anne (n163), Juillet-septembre 1998. pp. 257-279.

    Rsum

    Relais de l'une des plus fameuses dfinitions de Dieu phrase qui a fait le tour de la pense occidentale de Parmnide

    Pascal le sermon d'Alain de Lille met en jeu une conception notique hrite de Boce, une forme de cosmologie

    allgorique proche de la Cosmographia de Bernard Silvestre et une rhtorique de la dmonstration logique emprunte

    Gilbert de la Porre. L'article propose l'interprtation d'un hapax et analyse le vocabulaire spcifique de l'image forg par l'auteur

    afin de dsigner le processus qui conduit l'intellect concevoir une dfinition de ce qui demeure en tout tat de cause

    indfinissable.

    Abstract

    Dedicated to one of the most famost definitions of God in the occidental philosophy, from Parmenide to Pascal, the Sermo of

    Alanus ab Insulis shows the heritage of the noetic conceptions of Boethius and uses both all the allegorical forms of cosmology,

    as it has already been done by Bernardus Silvestris in his Cosmographia, and the rhetorical demonstration of an aporia, as it was

    usual in the XIIth century after Gilbertus Porretanus. The article proposes the interpretation of an hapax and analyses the

    vocabulary of the image, which was specially concieved by the author to demonstrate the way the human mind is steel able togive a definition about what it recognises as being in any way exempt of definition.

    Citer ce document / Cite this document :

    Vasili Anca. L'conomie de l'image dans la sphre intelligible (sur un sermon d'Alain de Lille). In: Cahiers de civilisation

    mdivale. 41e anne (n163), Juillet-septembre 1998. pp. 257-279.

    doi : 10.3406/ccmed.1998.2725

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1998_num_41_163_2725

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ccmed_1608http://dx.doi.org/10.3406/ccmed.1998.2725http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1998_num_41_163_2725http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1998_num_41_163_2725http://dx.doi.org/10.3406/ccmed.1998.2725http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ccmed_1608
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    Anca V SILIU

    L conomie de l image dans la sphre intelligible(sur un sermon d Alain de Lille)*RSUMRelais de l'une des plus fameuses dfinitions de Dieu phrase qui a fait le tour de la pense occidentalede Parmnide Pascal le sermon d'Alain de Lille met en jeu une conception notique hrite de Boce,une forme de cosmologie allgorique proche de la Cosmographia de Bernard Silvestre et une rhtorique de la dmonstration logique emprunte Gilbert de la Porre. L'article propose l'interprtation d'un hapaxet analyse le vocabulaire spcifique de l'image forg par l'auteur afin de dsigner le processus qui conduitl'intellect concevoir une dfinition de ce qui demeure en tout tat de cause indfinissable.AbstractDedicated to one of the most famost dfinitions of God in the occidental philosophy, from Parmnide toPascal, the Sermo of Alanus ab Insulis shows the hritage of the noetic conceptions of Boethius and usesboth ail the allegorical forms of cosmology, as it has already been done by Bernardus Silvestris in hisCosmographia, and the rhetorical dmonstration of an aporia, as it was usual in the XIIth century afterGilbertus Porretanus. The article proposes the interprtation of an hapax and analyses the vocabulary of theimage, which was specially concieved by the author to demonstrate the way the human mind is steel ableto give a dfinition about what it recognises as being in any way exempt of dfinition.

    Choix du texte - argument.Pourquoi avoir choisi Alain de Lille, cet universitaire-thologien gyrovague qui traverse le xne s.partag entre la France et l'Angleterre, Paris, Cantorbry et Montpellier, esprit caustique etdbordant d'une verve imaginative qu il n'hsite pas mettre contribution pour dissimuler lenon-conformisme foncier de sa pense, moine bndictin par force, semble-t-il, cistercien pourfinir, rendu malheureux par les travaux pratiques, du moins selon certains de ses exgtesmodernes, magister clbre mais ne ddaignant pourtant pas une certaine activit pastorale,prcurseur de Dante par bien des aspects de sa vie, mais surtout par les visions cosmiquesagences dans les structures intimes d'une parole potique et thologique la fois, prcurseuraussi de tout intellectuel dchir entre un dsir spirituel digne des expriences de la foi dans ledsert, et un dsir du savoir subtil, more geometrico, qui, une fois accompli, laisse l'esprit leplus raffin un arrire-got d'orgueil inassouvi et aux coins des yeux un mlancolique sourire enregard de la vanit du monde ?Pourquoi, par ailleurs, avoir choisi un sermon ? Et pourquoi ce sermon trs prcisment ? C'est,pour l'heure, seulement cette dernire des questions que nous allons essayer de rpondre dansle cadre d une tude faisant partie d une recherche plus ample concernant : 1. le statut de l imageparmi les arts du trivium le rapport de celle-ci avec la grammaire, la rhtorique et la dialectique,

    Cet article reprend une communication prsente le 20 fvrier 1997 au Groupe de Philosophie du Moyen ge latin,CNRS-URA 1085.Cahiers de civilisation mdivale, 41, 1998, p. 257-279.

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    258 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUplus que jamais associes dans les uvres des penseurs en cette fin du xne s., avant l'arrivemassive des traits aristotliciens qui dplacent le dbat thologico-philosophique vers le champde l ontologie et de la mtaphysique; 2. l'identit de cette problmatique, spcifique au xne s. quiassocie philosophie, thologie et criture littraire, dialectique dans la foi et potique dans lecommerce des ides; qui associe aussi la prose et le vers, les muses et Y esprit, le commentairescripturaire et la digression (ekphrasis-QScvplion) littraire, l'allgorie (ou le mythe, ou tout autresorte d'involucrum) et l nonc des formules logiques, mathmatiques, gomtriques ou doctrinaires.C est sur ce plan que se dresse toute une ligne d'auteurs occidentaux situs entre Jean Scot etDante et dont le nud, le relais, le moment le plus riche en exemples est constitu par l colede Chartres et par ceux qui sont proches de son esprit. Enfin, notre choix est motiv aussi parl'orientation propre Alain de Lille et sa gnration (voire cole), gnration d'crivains et depenseurs occidentaux qu on peut considrer comme l'une des mieux informes en matire depatristique et d'auteurs grecs, et donc des plus mme de rpondre aux questions visant le statutnotique accord l'image /icne (eikon versus eidos).DlVISON DU TEXTE ET ANALYSE DES PARTIES.pigraphe (la sphre intelligible comme dfinition de Dieu)A : Argument/position; choix des moyens, de la voix. La fleur de l loquence et lesmoyens de la philosophie mis au service de la thologie; l'harmonie de la voix donne reliefsonore (par intonation, scansion) aux sens secrets enfouis dans la parole [Attendue, ... dicens :Deus est spera int. etc.] l.B : Dfinition de la sphre et des sphres (le passage de l'un au multiple par les formesexemplaires exemplare rerum forme).B 1 : affirmation de la reprsentabilit adquate de Dieu comme sphre-ternit [Cui aptius... etita, spera.]B 2 : dfinition des quatre sphres des facults de l me par le mouvement ; dbut de la sriede sept cercles : premier cercle [Sed notandum... consequenter spera intelligibilis esse dicitur.]B 3 : dfinition des quatre sphres des facults de l me par P image : deuxime cercle [Harumsperarum prima est formalis, ... ad concordiam discordia proprietatum reuertitur.]C : Dfinition des quatre puissances (facults) de Pme [Quatuor vero potentie anime ancillantur...nec ad solium eternorum aspirant]C 1 : dfinition des facults de l me selon la connaissance / structure du monde (macrocosme) :troisime cercle [Per sensum vero,... in sue eternitatis flore virentia contemplatur.]C 2 : dfinition des facults de l me selon la connaissance / structure de l'homme (microcosme) :quatrime cercle [His quatuor pretaxatis potentiis Humana anima regitur... per intellectualitatemexemplaribus siue noeuds.]D : Sermon proprement dit sur les modalits de la connaissance de Dieu.D 1 : les trois premires sphres cartent l'esprit de la connaissance du bon chemin si l'espritcampe dans l'une ou l'autre, s'il reste dans l'enfermement d'une convoitise mimtique vis--vis dechacune de ces sphres, quittant ainsi l'orbite de son mouvement propre, la spirale de sa traverseascendante : cinquime cercle, celui de l opacit, des espaces ferms ; thme du char de laraison, curriculum rationis [Cauendum, ... per ruinam intellectualitas, moritur.]D 2 : la seule sphre qui permet l accs la connaissance est la sphre intelligible car elle donne l me la possibilit de s'identifier Dieu, de s'unir lui ou de devenir mme Dieu (perintellectualitatem fit anima humana Deus); le centre ubique de cette sphre c'est le monde, i. e.l'univers infini infini parce que sa circonfrence est nusquam; c'est la sphre de la dification

    1. La division du texte suit l'dition de M.-Th. d ALVERNY, Alain de Lille. Textes indits, avec une introduction sur lavie et ses uvres, Paris, 1965, p. 297-306.

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 259dfinie comme ressemblance dans la diffrence (similis dissimilitudo, dissimilis similitudo) thmedu Pseudo-Denys, de Maxime et de Jean Scot, plus tard de Matre Eckhart, etc.; on ne peut pasconnatre Dieu par les facults de l me humaine, on ne peut qu'entrer dans sa sphre (l'intelligible)et s'unir lui, devenir Dieu en le connaissant : sixime cercle, celui de la thologie mystique [Inter has predictas speras... omnis mutabilitas est relegata.]D 3 : dans cette quatrime sphre s'inscrit le triangle quilatral de la Trinit; triomphe del'esprit de gomtrie et de la thologie rationnelle : septime cercle [Cum autem cetere spere...diceret : deos.]E : Coda ou exhortation finale. Le modle de la quadrature du cercle dans une sphre; lemouvement en spirale de l me. [Hune triangulum menti imprimamus... quod nobis prestat...]Analyse de la division propose.1. Structure quadripartite (A-B-C-D) pour dfinir les quatre sphres.2. Sept cercles sur lesquels le discours tourne comme sur une spirale ascendante c'est lemme type de mouvement giratoire que celui dcrit par le trajet de l me travers les quatresphres ; dans la Summa de arte praedicatoria, Alain prsente comme modle d homlie un sermonsur l'image de l chelle de Jacob (Gen. 28, 12) qu il dcrit aussi comme ayant sept degrs 2.3. Plusieurs correspondances et symtries intrieures (par exemple entre B 1 et D 2 ou desentrecroisements entre B 2, B 3, C 1 et C 2, que nous analysons plus loin).4. Trois dbuts du sermon : A (argument / position), B 2 (dbut du discours sur les sphres etles facults de l me), D (dbut effectif du sermon).Titre - thme - pigraphe. Dieu est la sphre intelligible dont le centre est partout, la circonfrence nulle part (Deus estspera intelligibilis cuius centrum ubique, circumferentia nusquam).Le sermon appel Sur la sphre intelligible, d aprs la dfinition donne par son pigraphe, n'estque le dveloppement, l'analyse et l'interprtation de ce qui deviendra la rgle 7 dans les futuresRegulae iuris caelestis du mme auteur, connues aussi sous le titre de Regulae theologici. Il s'agit,dans ce recueil de rgles ou maximes thologiques commentes brivement, d une rgle quireprend exactement le thme du sermon, rgle considre comme drivant, avec la sixime, de largle 5, laquelle dfinit (stipule) l'unit-monade, seule alpha et omga, comme seul principe etseule fin, mais sans alpha ni omga, sans principe ni fin. En outre, cette phrase axiomatique surlaquelle Alain de Lille construit son sermon, se retrouve quasi l'identique, dans la secondedfinition qui figure dans le Livre des XXIV philosophes (Deus est sphera infinita cuius centrumest ubique, circumferentia vero nusquam I Dieu est la sphre infinie, dont le centre est partout, etla circonfrence nulle part), dfinition reprenant nouveau frais un vieil adage de Parmnide 3cit et comment par Platon (le Sophiste, 244e) et Aristote (Physique, III, 6, 12), et repris aussipar Boce dans la Consolation. Mais encore faut-il admettre, en ce qui concerne cette derniredfinition, qu'il y a vritablement un rapport entre notre sermon et le texte du Livre desXXIV philosophes qu Alain, parat-il, connaissait dj, et dpasser aussi le seul, mais sans douteimportant, point de divergence entre les deux dfinitions, savoir la question que soulve l'attributaristotlisant de Yinfmit la place de l'intelligible platonicien / plotinien, voire de l'attributde Yternit.

    2. Voir l'analyse de M. Zink, La rhtorique honteuse et la convention du sermon ad status travers la Summa dearte praedicatoria d'Alain de Lille , dans Alain de Lille, Gautier de Chtillon, Jakemart Gile et leur temps, textes ducolloque de Lille, 1978, runis par H. Roussel et F. Suard, Lille, 1980, p. 171-185 (surtout p. 172-173).3. De toutes parts semblable la masse d'une sphre bien arrondie, / Du centre, en tous les sens, galementpuissant car plus grand / Ou moindre, il ne saurait l tre, en aucune part , Le Sophiste, 244e, texte tabli et trad.A. Dms, Paris, 1969, p. 350.

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    260 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUComme pour tout sermon, la citation mise en tte (s'il s'agit d'une citation, en l occurrence) thme, pigraphe ou exergue ? reprsente le point d ancrage dans une problmatiquethologique annonce d emble et que l'on va dvelopper par la suite. C'est en mme temps,comme point de dpart pour le discours, la figure emblmatique, l'vidence qu on est cens nejamais perdre de vue pour ne pas garer le fil, le chemin dira Alain vers la fin du sermon, dansle labyrinthe du discours. L auteur suit ici le principe dcrit par Etienne Gilson (justement propos d Alain de Lille et de ses Regulae de sacra theologia ou Maxime theologiae) qui consiste aller de la maxime la plus universelle {generalissima maxima) celles qu elle contient (principed'duction ?). Aussi cette maxime premire et universelle doit-elle tre immdiatement vidente tout esprit communis animi conceptio comme l noncera la premire rgle d Alain ensuivant de prs les Hebdomades de Boce et le commentaire de Gilbert de la Porre; en outre,sans pouvoir tre prouve par une autre, elle doit servir elle-mme prouver les autres 4. Maiss'agit-il en fait d une rgle ou d une maxime pour cet pigraphe ? comme se demande juste titre Jean Jolivet propos des Regulae d Alain 5.Nous rappelons brivement que rgle appartient, selon l'analyse de J. Jolivet consacre cetteterminologie prcise chez quelques auteurs du xne s., au lexique de la grammaire et de la logique,tandis que maxime fait partie, du moins pour Alain de Lille, du vocabulaire de la dialectique etde la rhtorique ( sciences topiques ). Boce dfinit la maxime comme ce qu on n a pas prouver . Ablard (dans le De dialectica) fonde les infrences topiques sur des lieux : soitlocus differentia soit maxima propositio ; par consquent une maxime exprime un mode d'infrenceet peut avoir donc la fonction pistmologique d'un principe. Alain, quant lui, reprend enattribuant les maximes la dialectique et les lieux la rhtorique (et en se sparant ainsid Ablard) le commentaire de Gilbert de la Porre aux Hebdomades de Boce. Nous allonsvoir, d'ailleurs, que cette distinction entre maxime et dialectique d une part et lieux et rhtoriquede l'autre, est importante pour la comprhension et l'hermneutique de notre sermon.Cela tant admis, l pigraphe de ce sermon suscite encore quelques remarques :1. Ce n'est pas une citation ou un thme scripturaire qui sert ici d'pigraphe, comme l'on s'yattendrait pour un sermon et ce n'est l qu une premire exception dans toute une sried exceptions que nous rencontrerons au long du texte. Le choix mme de cet pigraphe reprsentedj un premier indice du fait que nous nous trouvons devant un texte dessein particulier. Enoutre, c'est ce thme mme qui semble imposer au sermon sa construction inhabituelle, signesupplmentaire du statut spcial que l'auteur entendait donner ce texte en choisissant de parlerd'un thme proprement philosophique et non pas biblique. M.-Th. d'Alverny6 est la premire remarquer qu il s'agit d'un sermon qui n a que l apparence d une homlie et que le jeunemagister s'adressait probablement des tudiants et non pas des moines (mme s'il appelleson auditoire frres , fratres ou commilitones karissim) et des fidles runis pour unequelconque occasion autour d Alain, peut-tre l abbaye Saint-Martial de Limoges (si c'est bienl que le sermon fut prononc, tant donne l'origine incertaine de l unique manuscrit qui leconserve 7). L'ditrice du texte ajoute galement que celui-ci n'est pas l unique sermon d Alainqui porte sur un thme non scripturaire; il y en aurait un autre, sur un thme d Ovide (Regiasolis erat sublimibus alta columnis...), qui, bien que littraire plutt que philosophique ,pourrait fournir des points de comparaison intressants avec celui sur la sphre intelligible (si dumoins il tait dit un jour en dpit de l'tat dplorable du manuscrit, prcise M.-Th. d'Alverny).

    4. Voir E. Gilson, La philosophie au Moyen ge, Paris, 19862, p. 312.5. Voir J. Jolivet, Colloque de Lille (voir n . 1), repris dans Philosophie mdivale arabe et latine, Paris, 1995, p. 280.6. M.-Th. cTAlverny, Alain de Lille... (voir n . 1), chap. Le sermon sur la sphre intelligible et le Trait des cinqpuissances de l'me , p. 163 et n . 2.7. BNF, lat. 3572 copi vers 1200, manuscrit provenant effectivement de l'abbaye de Limoges, mais sur lequelaucune indication ne dvoile l identit du copiste ni l'appartenance d'origine; le sermon aurait-il t prononc devant lechapitre de Saint-Martial, o Bernard (de Cteaux) tait parat-il prsent, comme le laisse croire un autre manuscritprovenant de cette mme abbaye et contenant des sermons d'Alain ? BNF, lat. 5505 (M.-Th. D'Alveny (voir n. 1),p. 26, n . 76).

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 2612. C'est une dfinition aportique (ou axiomatique) elle ne peut pas se dmontrer, donc ils'ensuit que le sermon sera oblig de parler de cette dfinition autrement qu en cherchant la dmontrer. Prdtermin formellement par le thme choisi, ce texte sera donc un discours-aufowr(et non pas un discours-sur), un discours qui semblera parler depuis l'extrieur du sujet, unsermon qui se voudra par consquent persuasif par enveloppement , par sduction formelle,ralise travers une accumulation de termes rares, de figures rhtoriques et de jeux de mots,d'homonymies, symtries et oxymorons, et par la mise en place d une vritable cascade defigures gomtriques 8, bref par des moyens esthtiques censs dissimuler, envelopper dansl harmonie des propositions et des termes les structures et les figures d une dmonstration logique impensable autrement (il sera d'ailleurs question plus loin de la fonction particulirequ Alain accorde la logique dans la description de l'une des demeures de la connaissance dumonde). Nous dsignerons ce type de texte comme tant un discours prichortique. Il seraconstruit l aide d'un instrument prichortique son tour, savoir l aide de l'image, ou desimages (modus ymaginalis, par des images fictives, en trompe-l'il), que l'auteur va mettre enuvre la manire, si l'on nous permet de recourir notre tour une comparaison image ,dont on dcore de fentres peintes un pan de mur blanc pour laisser entendre qu il s'agit d unemaison (d un sermon , en l'occurrence), alors qu il n'y a en ralit que le mur aveugle,fantasmatique, d'un volume ouvert vers d'autres horizons de l'entendement : un discours ol'allgorie embote le pas la gomtrie des sphres et o la structure de l me copie celle del'univers sur le modle d'un palais quatre demeures et d une figure (est-elle gomtriquementabsurde ?) dans laquelle tournent constamment quatre sphres contenues l'une dans l'autre,concentriques (?) mais dcentres en mme temps les unes par rapport aux autres.3. Ceci n'est pas une remarque, mais juste une prcision : nous ne reviendrons pas sur l'origine,longuement dbattue, de la dfinition-maxime qui sert d pigraphe au sermon d Alain; considronsseulement, pour le moment, comme il a t admis par toute l'historiographie, qu elle se retrouveeffectivement dans la seconde dfinition du Livre des XXIV philosophes, sans pouvoir toutefoisciter ce dernier ouvrage comme tant la source de l'pigraphe de notre sermon. Franoise Hudry 9considre qu Alain aurait eu accs un texte (probablement aristotlicien ? des fragments du De philosophia ?) qui aurait servi de source commune la fois au sermon, aux Regulae plustard, et au Livre des XXIV philosophes. Prcisons, en outre, que la sphre intelligible laquellefait rfrence notre pigraphe (ainsi que la rgle 7 des Regulae) est une figure emprunte Plotin, pour qui elle dsigne la puissance contenant la forme du monde (Ennade II, 9, 17, 5);mais, certes, cette figure n'est pas suivie chez Plotin par la dfinition donne/cite par Alain deLille. La dfinition de la sphre intelligible deviendra par la suite un lieu commun de tous lesscolastiques, qui utiliseront cette image pour dfinir la nature divine, certains, Bonaventure ouEckhart, citant d'ailleurs Alain de Lille comme source; elle sera rendue clbre plus tard aussibien dans les milieux littraires que philosophiques, se retrouvant, entre autres, chez Jean deMeun (Roman de la ros), Nicolas de Cues, Marsile Ficin, Rabelais (Tiers Livre), qui l'attribue Herms Trismgiste, Pierre Charon, Giordano Bruno, Pascal, Voltaire, qui l'attribue Timede Locres, etc.A : Prambule - dclaration de position de la part de l'auteur/orateur; choix des moyens et desrfrences d'autorit.L'auteur/orateur s adresse son auditoire en dclarant d emble l'intention de porter ouvertementson attention (attendite) vers plusieurs aspects tropologiques , ou disons d'ordre mthodologiqu; il oriente ainsi, discrtement, son auditoire vers les questions thoriques qui sont ses

    8. A cascade of gomtrie conceits , cf. P. Dronke, Fabula. Explorations into the Uses of Myth in MdivalPlatonism, Leyde/Cologne, 1974 (chap. The Fable of the Four Sphres , p. 142-153, consacr notre sermon d'Alainde Lille), p. 151.9. Alain de Lille. Rgles de thologie, [suivi de] Sermon sur la sphre intelligible, introd., trad. et notes par Fr. Hudry,Paris, 1995 (voir l'tude introductive) ; cf. galement l'tude introductive du Livre des XXIV philosophes, trad. du latin,d. et annot par Fr. Hudry, Grenoble, 1989.

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    262 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUpropres questions (en l'occurrence, le langage de la thologie entre potique/rhtorique et philosophique ), et cite aussi, cet gard (et son appui), quelques noms qui font pour luifigure d'autorit pour ces aspects.1. Le premier apport invoqu, prcieux comme un trsor, est celui de la philosophie (naturelle,1. e. paenne) la thologie selon l'image biblique de l'enrichissement des Hbreux aux dpensdes Egyptiens (Ex. 12, 35-36), utilise dj par Augustin dans le mme but, et qui revient plusieursfois sous la plume d Alain (voir le prologue de la somme Quoniam homines, par exemple).2. Aprs la philosophie, c'est l'importance de Vornatus (de la fleur humane eloquentie flore)dans le langage de la thologie qui est souligne /. e. l'importance de l loquence (de larhtorique) et du chant (intonation chante), donc de la sonorit appuye de la parole, durelief de la vox qui prononce, scande d une manire particulire, les secrets et les mots les plushauts de la plus haute thologie (altioribus thologie verbis intonuit). L'intonation, la voix moduleselon le sens, la lettre architecture selon les secrets enfouis dans la parole (scrta intonare,intonuit), sont ainsi opposes aux balbutiements (balbutire babils, enfantillages), au mimtismeformel, sans rapport avec le contenu ou sans contenu proprement dit, au chaos des lettres-sonspurs, inarticuls, imitation gratuite de la voix par des crix sauvages comme dira plus tardDante, en se rfrant aux animaux, au dbut du De vulgari eloquentia. Non seulement les motsutiliss sont importants par leur sens, et Alain va souligner cet aspect en choisissant de dcrirela sphre intelligible par des moyens qu il considre plus appropris celle-ci, c'est--dire par desmots rares, des dcalques du grec ou des inventions pour l occasion, mais leur prononciation/intonation (partie sonore de Vars dicand) joue aussi un rle dans l'entendement. On attire ainsinotre attention sur les vertus de l'oralit dressez l'oreille, chers frres, la sonorit des motsque prononcera ce sermon et aux secrets dvoils par leur subtile musique tout en mettanten cause les moyens propres de la connaissance sensible : beaut sonore, harmonie, figures etimages par la suite des relais, comme la nature terrestre par ailleurs (voire la philosophie),pour la transmission d'un savoir enfoui dans les secrets de ses hauteurs et dlivr par lesfleurs rares d une rhtorique ayant atteint sur ses cimes le pouvoir de l'expression thologique,comme Cicron [sic ] qui dit : Deus est spera intelligibilis...3. Les autorits cites ds le dbut ou entendues sous des citations sont : Cicron, cit en tantque rhteur (magnus retor Tullius), mais avec une rfrence textuelle fictive ; Alain, qui lui attribueen effet la maxime qui sert de thme au sermon; Cicron qui est ensuite re-cit avec le Deinventione; Augustin, prsent indirectement, travers l'image biblique qu il a t le premier utiliser comme mtaphore de la transmission du savoir, Ex. 12, 35-36, ainsi qu travers l'importanceaccorde la fleur de l loquence mise au service de la thologie ; et enfin Aristote, presquecit nommment, car l'image de la trompette sonore du philosophe altiloqua philosophituba est une redite d Alain o le nom du Stagirite figurait dj (voir le prologue de la SommeQuoniam homines ut aristotelica tuba proclamt 10 et du De planctu Naturae Aristotelicaeauctoritas tuba proclamt n).Il va complter sa liste d'autorits en citant ensuite Martianus Capella (De nuptiis Mercurii etPhilologiae), Boce (Consolatio Philosophiae, De arithmetica), Mercure (plusieurs fois invoqu il s'agit d Herms Mercure, le Trismgiste, les citations tant en fait tires de VAsclepiusdu Pseudo-Apule), Claudien Mamert (De statu animae) et Augustin (Lettre, 187, 14-17 et Contrecinq hrsies mais il s'agit en fait, pour ce dernier ouvrage, du Pseudo-Augustin, Quodvultdeus,Adversus quinque haereses, ouvrage crit en 437/39 12). On pourrait ajouter ces auteurs, citsdirectement, un certain nombre d'autres philosophes anciens et contemporains auxquels Alain faitplus ou moins ouvertement allusion, en reprenant des ides philosophiques ou des figures et desexpressions propres; nous citons ces auteurs dans l'ordre de leur entre, comme rfrences

    10 . dition du texte par P. Glorieux, La somme Quoniam homines d'Alain de Lille , Archives d histoire doctrinaleet littraire du Moyen ge, 20, 1953 [paru 1954], p. 119.11 . PL, 210, c. 445 cit par M.-Th. d ALVERNY.12 . Voir pour ces deux rfrences, Augustin et Pseudo-Augustin, Fr. Hudry, Alain de Lille. Rgles de thologie...(voir n. 9), p. 291, n . 1 et 293, n. 1.

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 263prsumes, dans le discours : Platon, prsent par l'image des cercles et demi-cercles en rotationqui font penser aux deux cercles, ou sphres armillaires le mme et Vautre, ensuite Vtreet le devenir dans le Time par la suite, bien d'autres allusions encore plus claires au Time :la matire primordiale, le rle des formes, l me du monde, etc.; Bernard de Chartres et Gilbertde la Porre, prsents tous les deux travers les formae nativae, les ymagines et les eikones terminologie propre la cosmologie et la logique en mme temps; Bernard Silvestre, prsent travers la description de la matire premire et de YEndelecheia qui dispose la matire premire recevoir les formes secondes en puissance; Rmi d Auxerre, qui l'on fait allusion traversson commentaire Martianus et ses rfrences la dfinition de Y Endlychia selon Calcidius(perfecta aetas), Aristote (absoluta perfectio interpretatur) et Platon (anima mundi dicit) ; Guillaumede Conches, sous-entendu lui aussi, peut-tre, travers la description de l me du monde Macrobe,prsent travers les vertus politiques exemplaires, allusion un passage du In Somnium ScipionisI, 8, faisant rfrence Plotin et Porphyre 13 ; et enfin Euclide, qui pourrait faire allusion laconstruction du triangle quilatral partir d une droite donne et de deux cercles constructionfigurant dans les lments, ouvrage traduit l poque par Adlard de Bath, mais qu Alain auraitpu rencontrer aussi travers Boce, lequel, selon P. Courcelle, avait eu probablement accs Euclide par l'intermdiaire de Proclus et de son disciple Ammonius, contemporain de Boce 14.Pour l'rudit qu'tait, semble-t-il, Alain de Lille, mme l poque de sa jeunesse (poque laquelle on attribue ce sermon, dat vraisemblablement entre 1177 et 1179, situ donc entre sesdeux grandes uvres littraires, le De planctu Naturae, 1168/72, et YAnticlaudianus, 1181/1185, etbien avant l laboration des Regulae, 1192-1194, si l'on suit, au moins pour ce dernier ouvrage,les datations proposes par Fr. Hudry), la liste des auteurs cits ne reprsente pas la trs richeconstellation d'autorits auxquelles l'on fait appel d'ordinaire pour appuyer une telle dmarche.On peut constater, en revanche, qu Alain s appuie dans ce sermon sur une famille exclusivementphilosophique. Augustin mis part, il n'y a aucune autre citation des Pres et il n'y a en outrequ une unique vritable rfrence biblique (si l'on fait abstraction de l allusion l'enrichissementdes Hbreux, Ex. 12, 35-36 et d une allusion, assez discrte vrai dire, au Rom. 12, 13 sur lasobrit); de surcrot cette seule citation biblique est un passage de la Gense (1, 31) que certainsexgtes avaient dj mis en rapport avec le Time et la tradition de la pense platonicienne 15.Aussi la grande majorit des auteurs cits s'inscrit-elle dans la ligne de la tradition platonisanteou noplatonicienne, en dpit de la prsence d'Aristote au tout dbut du texte. Cette trompettephilosophique aristotlicienne sous la houlette de laquelle dbute le sermon, comme bien d'autresouvrages d Alain, semble d'ailleurs tre plutt l invocation de l'autorit absolue de la philosophieancienne (dite naturelle ), qu une dclaration d'orientation philosophique proprement dite de lapart de l'auteur/orateur. Mais c'est aussi, peut-tre, le signe d'un intrt plus appuy de la partd Alain pour l'aristotlisme logique, bocien et porphyrien, face la prsence massive de lacosmologie platonicienne au xne s., et face au rle accord l'image dans la notique platonicienne,ainsi que dans la rhtorique latine, d'inspiration platonicienne elle aussi, orientation notique ayantdtermin une thorie du statut de l'image et de la mimsis largement suivie par la majorit deschartrains et des victorins.

    13. Voir les prcisions de M.-Th. d'Alverny, Alain de Lille. Textes indits... (voir n . 1), p. 303, n. 48.14. P. Courcelle, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe Cassiodore, Paris, 1943 (chap. L'Orient au secoursde la culture profane Boce , surtout p. 287-289).15. Dieu vit tout ce qu'il avait fait. Voil, c'tait trs bon (Gen. 1, 31). La tradition philosophique d'o proviennentles concepts d ordre et de beaut, prsents dans ce verset, est affirme propos de ce passage mme par Eusbe deCsare (PE XI, 31), qui cite ce que dit Platon dans le Time 29a (voir La Bible d'Alexandrie, Gense, p. 98, note),ainsi que par Jean Chrysostome (Sur la Providence de Dieu, IV, 2-3, dans Mondzain, Image, icne, conomie. Les sourcesbyzantines de l'imaginaire contemporain, Paris, 1996, p. 53). Mais encore faut-il prciser que le texte d'Alain de Lille neprsente aucune proximit avec un commentaire de la Gense de type In Hexaemeron, genre d'exgse largement exploitedepuis Basile de Csare et Augustin jusqu' Thierry de Chartres, mais qu'il se rattache plutt au genre philosophico-littrairereprsent par la Cosmographia de Bernard Silvestre. Sur ce dernier point, concernant les possibles interprtations de laCosmographia comme une tentative de concilier le rcit biblique et le Time, voir l'tude introductive de M. Lemoine,dans Bernard Silvestre, Cosmographie, Paris, 1998, p. 19.

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    264 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUB. 1 : Prmisse : dfinition de la sphre comme figure de Dieu.La sphre (toute forme sphrique en gnral) est considre grce sa proprit (notammentson infinit mais Alain se garde bien de prononcer cet attribut qui le raccrocherait d emble la tradition philosophique paenne) comme tant la forme la plus adapte, la plus apte (cuiaptius quam diuine essentie sperice forme aptatur proprietas ?), [reprsenter] l essence divine parses proprits, savoir Y alpha et Yomga, principe et fin, mais sans dbut ni fin (que est alphaet omga, principium et finis, principio carens et fine), pareille en effet la dfinition de la monade : c'est--dire principe et fin, sans avoir elle-mme ni commencement ni fin, sujet derien mais forme pure, informe elle-mme par rien, et cause de tout 16. La forme interrogativede cette premire assertion n a pas beaucoup d'importance dans ce contexte. En revanche, notonsque cette question rhtorique, qui n'est pas une vritable figure d loquence digne de MatreAlain, est conue pour rpondre en fait l axiome initial : Deus est spera... Rpondant par unedfinition de la sphre comme figure approprie la monade on dirait par une attribution defigure analogique si ce dernier mot n'tait pas anachronique pour la pense du xne s. l'auteurdplace ainsi la proposition axiomatique de l'pigraphe depuis le champ ontologique de la monadecomme principe constitutif de l'tre, vers celui de la reprsentation ou du mode d'tre deDieu, tout en laissant sous-entendre une quivalence entre les modes d'tre et l essence mme deDieu qui rattache bien la pense d Alain de Lille celle de son matre porrtain 17. Ce glissementsubreptice est en outre accompagn par un non-dit : toute forme sphrique est une figure approprie reprsenter Dieu, mais Dieu est la sphre intelligible, et uniquement celle-l. Bref, Alain installed emble une quation de premier degr, avec une trame cosmologique qui se laisse deviner dansl'arrire-plan du thme abord (comme c'est d'ailleurs trs souvent le cas dans les critsphilosophiques du xne s.) : Dieu est ternit/infinit, la sphre est une image-figure-forme-ide del'ternit/infinit, donc la sphre est approprie dans certaines conditions figurer ou dfinirDieu. Mais, comme il dteste apparemment rester dans le cadre d'un sermon attach au domainestrict de la dialectique ou de la logique, il dplace en fait, ds le commencement du sermon,l'assertion de l'pigraphe vers l'horizon de la grammaire thologique et de la rhtorique, et ensomme depuis le champ de l ontologie vers les arts de la reprsentation/figuration et dela nomination.Les images et les appuis d'autorit invoqus immdiatement pour cette assertion, esquisse d'ailleurstrs rapidement, sont de deux ordres et illustrent bien, par leur choix, l'orientation de l'auteur :a. Les premires images sont des figures allgoriques empruntes Martianus Capella (De NuptiisMercurii et Philologiae I, 7). Mais l'ouvrage de Martianus est en fait cit sous le nom d pitha-lame , Epithalamica comme dans le prologue d'un autre ouvrage d Alain, Expositio Prosae deangelis, o l'auteur cite plus clairement epithalamica Salomonis, ainsi que dans les Distinctiones,o il s explique, enfin, prcisant qu il s'agit du Cantique des Cantiques : scilicet EpithalamiumSalomonis, quod canit de ineffabili coniunctione Christi et Ecclesiae 18. Le lecteur ralise donc, parcette fictive appellation/attribution d une uvre, qu il s'agit en effet d'un croisement de deuxuvres, d une superposition et d une lecture en filigrane du prosimtre latin et du pome bibliquerunis sur le thme commun des noces du sensible et de l'intellect, de l me et du corps, duprissable et de l'ternel. Les images invoques sont les demi-diadmes passs par la volont deJupiter (id est universalis pater, Deus scilicet) de sa fille aine ternit une autre fille, appele

    16 . C'est la dfinition de la monade d'Alain donne par E. Gilson, qui fait driver cette maxime sur la sphrede la premire maxime figurant dans le Livre des XXIV philosophes ( savoir de la dfinition de Dieu comme Monadequi produit le multiple mais engendre l unit en rflchissant/renvoyant sur elle-mme sa propre ardeur, c est--dire sonther flamboyant) (voir n . 4, p. 313-314).17 . Voir chez Gilbert de la Porre l quivalence/identit dispute, autour d'une interprtation de l ablatif, et fortementconteste par les autorits ecclsiastiques, entre Deus et deitas dans deitas qua est Deus, ainsi que dans l autre formuledevenue clbre quidquid in Deo est Deus est (voir A. Dondaine, crits de la petite cole porrtaine, confrencesAlbert le Grand, Montral/Paris, 1962, p. 15 et ss.). La valeur du in prsent dans l'adage de Gilbert se retrouve d ailleursexpliqu chez Alain travers un dtour dans la mythologie voir Distinctiones, PL, 210, col. 816, in ... cum ablativo ...nott similitudinem rei ... (M.-Th. d ALVERNY, Alain de Lille (voir n . 1) p. 204, n . 33).18 . Ibid., p. 194.

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 265Chlo, fille cette fois-ci de l Endlchie et du Soleil, du Principe-de-perfection (principe-fminin)et de la Lumire (agent-masculin). Cette dernire fille n'est autre que l me humaine (psych),laquelle, ce que l'on comprend, toute honore qu elle soit de noble perptuit comme ditle texte (jouant sur perptuit/ternit), n'est toutefois pas issue directement de Jupiter/Dieu. Dansl'explication de la rgle 7, Alain recourt aux mmes images, diadme et demi-diadmes alorsqu il venait justement d'affirmer qu il ne faut pas se laisser entraner par les images lorsqu onaffirme que Dieu est une sphre et il dvoile, comme argument de son choix de l'image,un secret dissimul dans la partie invisible de celle-ci, dans le non-dit de la parole immdiate,une tymologie propre du mot diadema lequel dsignerait/ aurait mme, selon ses termes,l'ternit (Martianum diadema dicitur aeternitatem habere) parce que le diadme est priv de dbutet de fin : quasi duo dmens , id est principium et finem appellatur 19. La mme image et lamme explication se retrouvent d'ailleurs dans notre sermon, dans les Distinctiones 20 et dansd'autres ouvrages d Alain21. Remarquons, toutefois, que l'cran littraire dress par la rfrenceaux allgories de Martianus, et auxquelles il n'est pas le premier faire rfrence (Jean Scotavait dj utilis l'image du diadme comme image de l'ternit en citant Martianus), repose enfait sur toute une tradition philosophique et gomtrique platonicienne et noplatonicienne celle des tres gomtriques et que la figure des demi-diadmes, annonant les demi-cerclesqu Alain cite dans le passage suivant, est, avec la spirale et les arceaux, une figure des tresgomtriques mixtes , c'est--dire des figures qui, analogues aux principes des tres, ne sont nilimites ni illimites (peras-apeiron) mais un mixte des deux (mikton), commme nous le trouvonspar exemple chez Proclus, dans le Commentaire au Livre I des lments d Euclide, o Proclusaffirme lui aussi, comme Plotin pour la figure de la sphre, que le cercle constitue l'expressiondu mouvement intelligible du fini, alors que la droite est l'expression du mouvement vers le sensiblede l'infini (prcisons que dans la classification de Geminus, suivie ici par Proclus, le cercle estune figure du limit et la droite de l'illimit 22). Retenons ce rapprochement avec les tresgomtriques , les figures intermdiaires ou mixtes, la descente linaire de l'infini et la monteen spirale de l'intellect fini, ayant une rfrence (indirecte certes) Proclus, car ces figures etces mouvements vont se retrouver en quelque sorte dans notre sermon et deviendront, noussemble-t-il, clairantes pour son interprtation.b. En second lieu viennent en effet des figures gomtriques empruntes Boce (De arithmetica ouvrage non cit) et Cicron (De inventione ouvrage cit) : ce sont des demi-cercles parla rotation intelligible desquels on obtient une forme sphrique (ou un cercle) qui est la figurede l'ternit, mais aussi celle du temps, lequel n'est d'ailleurs qu une partie de l'ternit, son buttant par consquent de retourner au sein de celle-ci. S ajoute sur ce dernier aspect, le temps temporel , une troisime rfrence, Mercure (c'est une citation libre de VAsclepius, prciseM.-Th. d'Alverny 23), pour qui la temporalit se retourne sur elle-mme se refltant en mmetemps sur/dans l'ternit jeu de miroirs et de rotation qui assure le passage du temps(temporalit) l'ternit, rappelant la dfinition de la Monade (cite plus haut) et justifiant ainsiles images du demi-cercle pour le temps et de la sphre pour l'ternit.Le premier paragraphe fait donc appel, mais sans s'y attarder, des allgories (les dieux paens,des personnages mythologiques), tandis le second paragraphe utilise, lui, sur le mme sujet unlangage appropri la science philosophique (par gomtrie interpose); la sphre (ou le cercle)est ainsi dfini(e) comme une image du temps, de l'ternit et de leur rapport. La problmatiquephilosophique aborde reste donc subordonne pour l'instant au platonisme classique : l medu monde et les mes, le temps et le mouvement, l'ternit du monde, subtilement souligne parle lger dcalage avec la perptuit de l me humaine. Nous noterons toutefois que pour parler

    19. Fr. Hudry, Alain de Lille... (voir n . 9), p. 110.20 . PL, 210, c. 766-767.21 . M.-Th. d'Alverny, Alain de Lille... (voir n. 1), p. 298, n. 10.22 . Voir A. Charles-Saget, L architecture du divin. Mathmatique et philosophie chez Plotin et Proclus, Paris, 1982,p. 280-284 et n . 30.23 . M.-Th. cI'Alverny, Alain de Lille... (voir n. 1), p. 298, n. 14.

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    266 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUde la destine temporelle et de l accs l'ternit de l'me humaine Alain utilise un langageallgorique, alors que la problmatique du temps, aborde sous un angle purement philosophique(gomtrique), est traite dans un langage dnu de toute figure littraire ou rhtorique et rduite des citations de figures gomtriques tires des Matres (Boce, Cicron, Mercure).Arrive ce point, une nouvelle remarque nous vient l'esprit : en effet, ni Platon, ni Parmnide,ni Aristote ne sont cits pour ce lieu commun de la philosophie qu'est l'image de la sphre enrapport avec l'ternit ou l'infinit; la paternit philosophique, longuement dispute, du topos dela sphre semble ne pas entrer en ligne de compte dans un sermon. Pour Alain, les grandsphilosophes restent dans l'arrire-plan, dans la trame invisible du discours (sources dcelesventuellement par les connaisseurs ) et l'on fait appel nommment des autorits pour laplupart latines, c'est--dire des philosophes-rhteurs, thoriciens du langage et de l loquence,qui sont les mdiateurs de Platon et d'Aristote, leurs intercesseurs vis--vis du monde chrtienoccidental, et qui s'expriment, eux, comme Alain, par des images, par des allgories, par desdiscours btards entre la philosophie, la posie et la thologie. D autre part, Magister Alanus,Doctor Universalis, a raison de ne pas tenir un discours philosophique mais de rester plutt dansl'enclos disons littraire (rhtorique-allgorique) et de le dclarer, de surcrot, par le choix desauteurs cits, car il dfinit ainsi sa position sans crainte de confusion ou de glissement d interprtatione la part de son auditoire vers une possible hrsie : comme on ne peut pas dfinirDieu (mme si, par esprit de contradiction, on se le proposait ), l'on doit rester, ce sujet, dansle champ de la reprsentation et des modalits ainsi ce n'est pas Dieu lui-mme qui seraitmis en cause mais bien la reprsentation-de-Dieu (autrement dit : Flos in pictura non est flos,immo figura selon un vers clbre des Carmina Burana 24), dmarche la fois raliste , sil'on peut dire, et proche par ses positions et ses moyens de la voie ngative, qu Alain a toujoursprivilgie en la considrant par ses dtours plus adquate la thologie 25.B. 2 et 3 : Description et analyse de la partie consacre la dfinition des sphres par lemouvement et par l'image.B. 2 : Plusieurs sphres; dfinition par le mouvement.Mais, brusquement, notons (sed notandum) qu il y a plusieurs sphres, car Alain, peine amorcle discours, semble se souvenir en passant toutefois sous silence ce glissement effectudiscrtement sur un autre plan du discours que la sphre est en fait une image du cosmosavant d'tre une dfinition de Dieu, ou plutt qu elle serait une image de la connaissancedu monde, et qu il y a plusieurs types de connaissances (du monde), selon la structure quadripartitedes puissances de l me dcrite par son matre Boce dans un passage de la Consolatio (V. 4-5),rendu clbre par ses commentateurs 26. Il y aurait donc quatre facults : sensible, imaginaire,rationnelle et intelligible et chacune d'entre elles est reprsente par une sphre, c'est--direun monde en mouvement, un monde qui tourne sur son propre axe; quatre sphres concentriqueset mobiles qui rappellent (si on nous permet une image qui aurait au demeurant pu servird exemple Alain) le modle astronomique d Eudoxe. Soudainement il n'est plus question deDieu, partir de ce point, ni de thologie chrtienne proprement parler, du moins pour unmoment assez long dans l conomie de l'ouvrage.

    24 . Cit ce propos par Alain Michel, Rhtorique, potique et nature chez Alain de Lille , dans Colloque deLille (voir n. 1), p. 116.25 . Voir dans ce sens les observations du Pre J. Chatillon (dans Colloque de Lille, p. 47-60) et de W. Wetherbee Theology for Alan is a ngative theology, grounded in the conviction that human language and the propositions ofreason are fundamentally incapable of addressing the divine reality directly, and it involves a transformation of the workof the sciences so radical as to divorce language from the natural rfrence, reducing the Platonic cosmos, at best aphantasma of its divine model, to no more than a ngative image of the divine infinitude. (L'auteur cite pour appuyerses affirmations un passage de YAntidaudianus, I, 488-503) ; voir A History of XII'h Cent. Western Philosophy, Cambridge,1988, chap. I, p. 51-52.26 . Voir les prcisions de Fr. Hudry, Alain de Lille... (voir n . 9), p. 285, n . 3.

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 267Nous sommes en fait devant une premire rupture dans l'articulation du discours, rupture volontaire(comme le remarque Peter Dronke aussi, en situant ce point prcis le dbut effectif de la fable d Alain, cette metaphysical fabula 27 comme il l appelle), pour amorcer le premier tour l'extrieur, en dehors de la dfinition qui sert d pigraphe au sermon. Le trajet du discours vadessiner partir de ce moment plusieurs cercles concentriques (B 2, B 3, C 1, C2, D 1, D 2, D 3),vraisemblablement sept cercles, constituant la structure de ce discours que nous avons appel detype prichortique . Alain va donc essayer de dcrire ainsi le trajet d une pense qui avanceelle-mme par des circonvolutions, par un mouvement giratoire {non per linearum motum sensualitas,... sed per orbicularem motum rationis non pas par le mouvement linaire de la sensibilit,... mais par le mouvement giratoire de la raison , dira jusqu au dernier paragraphe le sermon, eninsistant plusieurs reprises sur la rotation, l'orbite et le mouvement centripte de l me), afind'approcher de cette manire le centre intouchable, indfinissable, le centre paradoxal ou aportique,le centre ubique de la sphre intelligible qui constitue pour l'orateur la figure la plus appropriepour nous reprsenter Dieu. En mme temps cette rupture volontaire montre, nous semble-t-il,que le souci de l'auteur de ce sermon n'est pas exgtique, ou pas seulement exgtique commel'on pourrait s'y attendre pour un sermon, mais qu il est tout aussi bien tourn vers la forme,vers une russite d'ordre esthtique, pour laquelle il met en uvre tout son savoir dans lemaniement des instruments de la persuasion, propres plutt une preuve d'art oratoire. Or, lersultat de ce double effort, hermneutique et rhtorique en mme temps, laisse entrevoir que ledsir de perfection de l'auteur se partage gale mesure, pour le mme sujet, entre V enseignement(thologique) d une part et la recherche (des sciences , des arts) de l'autre. Alain se posevisiblement des questions de disposition, de progression et de figures mettre en jeu : sur lasphre l'on va donc discourir en forme de cercle, tourner autour et chercher ou forger des imageset des figures, de telle sorte que l'on finira par s'approcher du centre en jouant littrairementet philosophiquement sur ce qu on pourrait appeler en grec peri-peras, c'est--dire sur la limiteque l'on contourne (circa) sans pouvoir la dpasser/traverser, parce qu elle est en fait, toutsimplement, nulle part (nusquam comme la circonfrence de la dernire sphre, l'intelligible).Pourtant, tout en tant invisible parce que nulle part, non localisable, atopique, non-lieu car lasphre est proprement non corporelle 28, cette limite qui n'est autre que celle du langage etnotamment de la figure, de la reprsentation a le pouvoir de dfinir (de dlimiter) toutefoisl'indfinissable, de circonscrire l'incirconscriptible 29 et de permettre ainsi, terme, de reprsenter l'irreprsentable, savoir l'union intelligible avec Dieu. Ainsi la limite de Yart du langageassure-t-elle aussi le principal pouvoir de celui-ci : un rapport privilgi avec le paradoxe, auxabords duquel s'arrtent les autres sciences, la logique, la dialectique ou les mathmatiques.L auteur va d'ailleurs choisir un instrument privilgi, un moyen qu il va annoncer un peu plustard et qui sera particulirement appropri au but (peut-tre impossible atteindre) que se donnece sermon.Cette manire d amorcer un discours par un nonc et un premier dpart suivi d une rupture quiannonce un nouveau dpart de l expos est-ce le vrai cette fois-ci ? fait partie des astuces d'un auteur (Platon fait la mme chose dans le Time par exemple) qui se sent plus proche deslettres (voire des mythes) et des moyens mis en place par la rhtorique pour mettre en videnceun paradoxe, que de la thologie exprime dans un langage sans distance; ou disons que c'estl'un des moyens propres un auteur qui du moins n'rige pas des barrires infranchissables entreles sciences et leurs langages spcifiques. On ne peut pas s'empcher de penser, arriv ce

    27 . P. Dronke, Fabula... (voir n . 8), p. 147.28 . Voir aussi les prcisions et les comparaisons d ordre quantitatif, petitesse, ... quantit de lieux circonscrits , dansl'explication de la rgle 7.29 . Nous empruntons ici encore une terminologie propre Alain, qui affectionne tout particulirement, comme JeanScot, les associations des contraires; circonscrire l'incirconscriptible, expression utilise dans le dbat sur l'iconoclasme(Jean Damascne, le patriarche Nicphore), est employe par Alain dans la variante incircumscriptum describit (par ex.dans VAnticlaudianus, V, 115), mais il est plus vraisemblable qu'il ait emprunt cette expression Jean Scot ( lacirconscription de l incirconscr it , Priphyseon, III, 633B, trad. Fr. Bertin, PUF, p. 89), plutt qu'aux auteurs grecs. Voiraussi A. Michel Rhtorique... (voir n. 24), p. 119-120.

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    268 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUpoint, au prologue de la somme Quoniam homines o Alain en citant dj la trompetted'Aristote, ut aristotelica tuba proclamt, pour proclamer la vertu des mots, des noms des choses,vertutis nominum, et la figure biblique de l'enrichissement des Hbreux au dpens des gyptiens(Ex. 12, 35-36) comme figure du rapport entre thologie et philosophie fait une fois de plus(voir le De planctu Naturae et plus tard Y Anticlaudianus), mais en contexte thologique cettefois-ci, un loge dclar des arts libraux qui possdent le don de pouvoir transfrer la voieimpriale des facults thologiques des significations nouvelles prises au monde de la nature et l'Antiquit (lire la philosophie paenne) 30. Mais il faudrait prciser aussi que le souci esthtique dont tmoigne le sermon Sur la sphre intelligible entre en mme temps en contradiction avec lesdclarations d Alain de Lille dans son ultrieur Ars praedicandi (Summa de arte praedicatoria),ainsi qu avec la plupart de ses autres sermons. Sans nous attarder sur la question, il nous sembletoutefois important de rappeler que, dans son texte thorique sur l'art de la prdication, Alainfait preuve d'un certain refus l gard de la rhtorique et dclare avoir une vritable rticence la fois vis--vis des figures luxuriantes d une loquence fleurie et de la construction sophistiqued'un discours, qui mettraient en danger les esprits en les effminant, et vis--vis de l'excs inverse,d une sobrit qui rendrait le verbe exsangue (... et animos quodammodo effeminantia ponuntur :praedicatio enim non dbet splendere phaleris verborum, purpuramentis colorum, nec nimis exsangui-bus verbis dbet esse dejecta... 31). Mme en voyant dans le rejet des figures de l loquence fleurienon pas une opposition d'ordre stylistique mais plutt un rejet (au moins apparent) de laphilosophie (sous les habits de la rhtorique) savoir des sciences naturelles et de ladialectique au profit de l'enseignement moral et thologique, il reste toutefois que ce sermonn'entre aucunement dans la typologie habituelle de l loquence sacre, ni dans celle qui la remplaceparfois au xne s. et qu on a appel la revue des tats du monde 32. Le ddoublement ressentidans son ars praedicandi entre les exemples donns et les expressions (les techniques rhtoriques)utilises pour expliquer la dmarche, ddoublement entre le thologien et le pote, le moralisteet l'crivain, est, nous semble-t-il, entirement dpass dans un sermon comme celui sur la sphreintelligible, mais bien au dpens de la thologie, du moins considre en tant que science morale .Mais revenons enfin nos sphres et leur mouvement. Chacune de ces sphres est soumise un mouvement particulier :a. Mouvement circulaire simple pour la sphre adonne l'investigation des sens ; c'est--diresaisie et emprise (domination) esthtique du monde, manire de tourner autour des choses, de lesvoir sans comprendre d emble sur quel plan de la connaissance se situe ce que l'on voit ouentend. C'est la sphre sensible (spera sensilis) et en mme temps, si l'on s'arrtait l, c'estl abme du mimtisme pur et du balbutiement non architecture par un sens.b. Circulation alternative des formes (orbiculari formarum reciprocatione circumfertur) pour lamatire primordiale (primordialis vero materia), considre par la fantaisie imaginative (ymaginatio-nis fantasia) comme sphre imaginaire, ou plutt imaginale (spera ymaginabilis) ; l'on comprendqu il s'agit ici d'un va-et-vient entre ce qui vient de l'extrieur se reflter dans l'imagination etce que l'imagination projette son tour comme forme (imprime) sur/dans la matire primordiale;un mouvement qui ne comporte donc pas de dplacement car il se traduit dans un espace demiroir. D ailleurs aucun des mouvements dcrits ici par Alain ne comporte un quelconquedplacement : ce sont quatre types de mouvement immobile, soit de rotation autour d'un centrequi n'est pas le mme pour chacune des sphres, mais qui est chaque fois un centre atopiqueou ubique et par consquent invisible, soit d'alternance (balancement) en-de ou au-del d'unpoint ou d une ligne qui comporte les mmes caractristiques que le centre atopique.c. Mouvement circulaire incessant de la raison (indefessa rationis orbiculatione voluitur) qui setourne vers elle-mme (et eiusdem inuestigatione comprehenditur) ; c'est la spera rationabilis,c'est--dire la sphre de la pense qui se pense elle-mme dfinition de la pense, de la nosis

    30 . P. Glorieux, La somme... (voir n . 10), p. 119-120.31 . Cit et comment par M. Zink, La rhtorique... (voir n. 2), p. 175-176.32 . Ibid., p. 181.

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 269suprieure selon la mtaphysique aristotlicienne (Met., livre lambda, 1072b, 19-24), mais qui estappele ici, selon la tradition du Time, me du monde (mundana vero anima) c'est aussi,nous semble-t-il, une allusion la cosmologie aristotlicienne (De caelo), au ciel dernier, celui qui touche le Premier Moteur et qui l'on a imprim non pas l'immobilisme de l'ternit maisbien la circularit parfaite et de ce fait infinie (il s'agit du ciel de l'ther), alors que plus bas lesautres cieux sont soumis un mouvement imparfait (voir l'alternance cite avant); et c'est aussi,peut-tre, le mouvement infini du cercle, c'est--dire l'expression du mouvement intelligible dufini , selon le passage de Proclus cit plus haut. D ailleurs, ce mouvement giratoire de la raisonsera invoqu de nouveau la fin extrme du sermon (orbicularem motum rationis), mais placcette fois-ci sur le pallier thologique et non pas physique du discours.. Enfin, la quatrime sphre n'est pas elle-mme en mouvement mais, tout en tant immobile,elle produit le mouvement universel, celui qui meut le monde (uniuersitas mouetur) ; il s'agit duMoteur Premier appel Essence divine immense , ou bien non pas appel, car il n'y a pas denom qui puisse lui correspondre, mais plutt dfini par une qualit : l'immensit de l essencedivine (diuine vero essentie immensitas) ; il s'agit de la spera intelligibilis.Avec ces quatre types ou qualits du mouvement (l'immobilisme compris) qui sont en dehors detout progrs spatial et se dfinissent tous/toutes dans un lieu qui reste atopique (la proximit avecla dfinition du mouvement chez le Stagirite nous semble, par l'intermdiaire de Boce, vidente),Alain estime qu il peut dsormais franchir un premier cercle dans ce qu on pourrait appelerl exgse concentrique de la sphre intelligible, et qu il peut passer maintenant une nouvellesrie typologique de quatre qualits appliques aux quatre sphres des facults de l me et de laconnaissance du monde.L on remarquera encore, avant de passer ce second cercle de la dfinition, que le discourscommence par noncer ce qu'est Dieu une sphre intelligible (Deus est...) mais lorsqu onsait par le mouvement, ensuite par la forme, ce qu est la sphre intelligible, il n'est plus questionde Dieu dans la dfinition, mais bien du monde, de sa structure et de la progression de l me travers les tapes/tages du cosmos. Comme le Dieu d Alain ne peut tre identifi ni auPremier Moteur aristotlicien ni la sphre platonicienne des ides, le marchepied du discours(l'affirmation initiale Deus est...) se retire ds ce premier cercle (la dfinition par le mouvement),et le discours semble dsormais suspendu, dcentr, ou en tout cas spar du thme annonc,situ en quelque sorte l'extrieur, excentr volontairement, comme pour laisser la place audveloppement, l closion d'une spirale, comme pour permettre la constitution d une vritabledmarche prichortique. Il ne sera plus question avant la fin du sermon de la dfinition de Dieu,ni d'ailleurs de celle de cette sphre intelligible comme tant la figure la plus approprie deDieu, mais il sera question uniquement des sphres dans leur succession et des moyens dedpassement, de sortie de chaque sphre pour passer vers l'autre, dans une progression en spiraledestine atteindre l'inatteignable, c'est--dire le centre ubique de la quatrime sphre, la plusproche de ce centre invisible ou ineffable et la plus englobante en mme temps de toutes lesautres sphres. Notons d'ailleurs que c'est trois reprises (B 3, C 2, E) que le discours d Alaininsiste sur le mouvement de rotation, de tournoiement (circumuolans), d lan centrifuge de lapense, qui emmne par la quatrime puissance (intellectualitas) l me au-dessus d elle-mme (suprase), et que dans cette analyse des diffrents mouvements des facults notiques l'on peuteffectivement retrouver les traces des mouvements dcrits par Proclus en rapport avec la typologiedes tres gomtriques 33. Digne hritier de l rigne par sa proximit avec un certain noplatonisme(avec Proclus, en l'occurrence), ainsi que par son got pour le paradoxe et pour les visions

    33. Proclus voque la prsence du droit et du circulaire dans l'me, dans le cosmos, et, avant eux, dans l intellectet chez les dieux (A. Charles-Saget, L architecture du divin (voir n. 22), p. 282); il s agit, en l'occurrence, d'unmouvement linaire de l me, s exprimant dans la gnration processive, ce qui pourrait correspondre chez Alain auxmouvements du sensible et de la sphre imaginale qui gardent l'me autour d'elle-mme (circa se), ainsi que d'unmouvement circulaire propre l activit intellectuelle, par lequel l'me entre en elle-mme pour s'lever ainsi au-dessusd'elle-mme (apud se et supra se, chez Alain). Voir aussi plus haut.

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    270 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUet les expressions mtaphoriques qui le mettent en scne, Alain prfigure aussi, et plusieurstitres d'ailleurs, l'architecture des cercles et la structure bi-frontale, thologico-potique, de laDivine Comdie 34.B. 3 : Plusieurs sphres; dfinition par l'image.Le deuxime cercle comporte une longue dfinition de l'exercice des facults de l me (respectivementes quatre sphres qui les reprsentent ) par l'intermdiaire de la forme et de l'imagerunies. Alain entend entreprendre en fait, dans la partie centrale de son sermon, la dfinitiondes puissances de l me selon leurs rapports spcifiques avec l'image et la forme. Il superpose cette fin une typologie formelle des quatre puissances de l me (des reprsentations de celles-cien tant qu occupantes de chacune des sphres ou demeures de la connaissance gnosologie parmtaphore ou allgorie interpose) et une typologie du fonctionnement (typologie oprationnelle ?),c'est--dire un essai de structuration du processus de la nosis selon le rapport particulier tabliavec l'image chacun des degrs de l me (sensible, imaginaire, rationnel et intellectif). Nousvoici entrs prsent dans le noyau mme de notre sujet, dans ses apparentes contradictions etdans les jeux sur les sonorits, les proximits tymologiques et les sens multiples des mots qu Alainaffectionne tout particulirement.Selon ce second cercle de dfinitions, la premire sphre, sensible (sensilis), est formelle (formalis),la deuxime, imaginaire (ymaginabilis), est informe (deformis disons plutt dformante et sans consistance , on dirait incorporelle et dissemblable), la troisime, rationabilis, est conforme(conformis gnrant la similitude, la conformit, ou la ressemblance envers elle-mme) et laquatrime, intelligible (intelligibilis), est sans forme (informis prsente, si l'on veut, mais enl absence de toute forme, non imaginale). Ces quatre qualits formelles des sphres prsententou engendrent en outre quatre types de mouvements spcifiques qui n'ont pas de vritablesressemblances, d analogie formelle ou proportionnelle avec la dfinition des sphres par leursmouvements propres dans le premier cercle de la dfinition. Ainsi la sphre sensible est-ellemobile (mobilis), la sphre imaginaire immobile (immobilis), la sphre rationnelle instable (instabilis)et la sphre intelligible stable (stabilis). Si le souci de rptition et de symtrie semble vident au demeurant, il est loin de nous tonner de la part d Alain de Lille (voir, par exemple, audbut de la Somme Quoniam homines, ses jeux linguistiques sur la thologie ypothetica etapothetica, sur thesis et extasis, etc.) la signification et l'origine de ces attributs paraissent enrevanche plutt obscures dans ce contexte. Ces sphres logent, chacune sa manire, les variererum species, les aspects des choses, comme si celles-ci, les species, taient en effet les locatairesdu palais, de l espace intrieur de chacune de ces sphres. Ces species sont pourtant diffrentesselon le palais qu elles habitent : elles s'appellent ychones dans la premire sphre, yconiedans la seconde, ychome dans la troisime et ydee dans la quatrime.En dpit de leurs noms abstrus, qui calquent, et dforment dans au moins un sinon deux descas, des termes grecs la manire spcifique d Alain (dans la plupart de ses ouvrages), ceshabitantes des demeures de la connaissance propre chacune des sphres des facults de l melaissent aisment voir qu il s'agit pour toutes les quatre d tres d image . Il s'agit justement dece qu Alain semble critiquer plus tard dans le commentaire de la rgle 7, c'est--dire d'unglissement vers un mode de l'entendement habit par l'image (modus ymaginabilis) et vers lacomprhension des sphres par ressemblance (mensongre) avec des corps/tres gomtriques. Or,il n'est toutefois pas question, nous semble-t-il, d une simple critique du sermon glisse au dtourd une phrase des Regulae par son propre auteur, assagi ultrieurement par des expriencesphilosophiques ou plutt religieuses et par une maturit thologique acquise auprs desbndictins anglais (de l abbaye du Bec ou Cantorbry) ou chez les sobres cisterciens franais(auprs desquels il ne cherchera un abri spirituel qu la fin de sa carrire de magister).

    34. Plusieurs tudes sur les proximits littraires et thologiques (lire visionnaires ) entre Alain de Lille et Dante,mais sans rfrence prcise au sermon Sur la sphre... E. R. Curtius, Dante und Alanus , Romanische Forschungen,62, 1950, p. 28-31; Peter Dronke, Boethius, Alanus and Dante, ibid., 78, 1966, p. 119-125; Andra Ciotti, Alano e Dante , Convivium, 28, 1960, p. 257-288.

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 271L allusion critique aux images dans le commentaire de la rgle 7 n'entre pas en fait en contradictionfondamentale avec le long dveloppement sur les habitantes images des demeures de laconnaissance dans le sermon sur la sphre intelligible. Ce n'est l, selon nous, qu un bref rappelde la dmonstration dialectique labore, l aide d allgories et de figures gomtriques, dansle sermon.Voyons pour l'instant qui sont ces habitantes des palais de la connaissance, comment les dcritl'orateur et quel rle revient chacune dans l'agencement des puissances de l me et dans leurfonctionnement spcifique :a. Les ychones sont les images (Le. ymagines) qui sont sujettes (supports) des formes (ychonesLe. subiecta suarum formarum). Elles sont pares de pourpre (purpuramentis oranata) comme lesfigures de l loquence fleurie incrimines plus tard dans la Summa de arte praedicatoria (voir plushaut), pares de pourpre comme un personnage drap en habit imprial, ou costum pour desnoces, prpar pour le repas de fte (de la parabole vanglique), ou bien, comme le bois, lesupport des icnes byzantines revtu de pourpre (rouge cinabre) afin de recevoir la lumire (la feuille d or) et la reprsentation, F ombre colore des figures peintes (nous empruntons iciencore une expression chre Alain imagines rerum ab umbra picturae..., De planctu, 479). Ellessont appeles des images (ychones, Le. ymagines) parce que leur tre, leur vrit ontologique , at produit(e) (in veritatem essendi sunt producta) en les amenant vers la similitude avec lesexemplaires ternels (ad similitudinem eternorum exemplarium) qui depuis l'ternit furent dansl'esprit divin (que ab eterno fuerunt in mente divina). Le palais qu'habitent les ychones est eneffet un palais de noces (in hoc palatio celebrantur nuptie), rappelant celui voqu par la citationsuperpose du De nuptiis de Martianus et du Cantique au tout dbut du discours. Ce sont lesnoces de Nature et du natif, de Forme et de la forme native , de la proprit et du sujet(Nature e nati, Forme e forme nati, proprietatis et subiecti)... Et l'auteur s'arrte l, n ajoute pas,par exemple, les noces de l essence et de l'accident, ou de l acte et de la puissance, car il s'agitici, trs prcisment, d'un lieu de rencontre spcial, non pas entre le dterminant et le dtermin,ni entre le quid et le quomodo, mais bien d'un lien incestueux entre le Prototype et ce qu ilengendre lui-mme par rduplication ou miroitement. P. Dronke associe, juste titre d'ailleurs,ce passage celui des trois miroirs dans VAnticlaudianus et dans le futur Ars praedicandi 35. C estdonc un palais de la fiction, une sphre du sensible et de l'illusoire, un lieu fictif o l Exemplaireternel gnre/engendre et rencontre sa propre similitude, savoir justement la ressemblance quidtermine le principe constitutif, l'tre des habitantes de ce palais, de ces vestales ychonespares de pourpre, gardiennes en tant que supports des formes, et en mme temps futures pouses du sujet prpares ainsi honorer la clbration du baiser, de l'treinte nuptiale,charnelle prcise le texte, conscutive au ddoublement de la Forme, ou de la Nature, et l' inceste qui suit leur narcissique miroitement. Par ce langage nous ne faisons d'ailleursqu'utiliser nouveaux frais des images et des mtaphores la mode chez les auteurs du xne s. voir la Cosmographia de Bernard Silvestre 36, par exemple, ou mme avant, dans le commentairede Calcidius au Time le raisonnement btard que ncessite la dfinition de la matire adulterina quadam ratione opinabile...Le passage, riche en clins d'il philosophiques, jeux littraires, et allusions mythologiques sur lesthmes du double et de l'image, mrite bien qu on s'y attarde. Plusieurs remarques s'imposentdonc. La premire, sans insister, concerne la prsence des formes natives formes quiviennent l'tre , comme on les a traduit 37, mimmata chez Platon, simulacra chez Calcidius,rappelant trs prcisment les commentaires contemporains du Time, comme celui de Bernard

    35 . P. Dronke, Fabula (voir n . 8), p. 148-149, n. 2; voir aussi les mmes miroirs dans De planctu, d. M . -Th. d ALVERNY,Alain de Lille... (voir n . 1), p. 169, n . 28.36 . Dans l'analyse des principes et des images fminines par J. Jolivet, Les principes fminins selon laCosmographie de Bernard Silvestre , dans Philosophie mdivale arabe et latine, Paris, 1995, p. 269-278.37 . J. Jolivet, annuaire de EPHE, 1992/93, p. 308-309, et dans l article La question de la matire chez Gilbert dePoitiers , dans From Athens to Chartres. Neoplatonism and Mdival Thought (tudes en honneur d'E. Jeauneau), Leyde,1992, p. 254-255.

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    272 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUde Chartres, inspirs de Calcidius, ou bien la terminologie de Gilbert de la Porre sur la dfinitionde la matire, laquelle fait allusion Jean de Salisbury (Metalogicon). Remarquons aussi, aupassage, que de cette union naissent trois filles, Possibilit, Essence et Vrit, la dernire jouantun rle immdiat dans l'histoire. Mais le plus surprenant dans cette sphre du sensible noussemble tre le rle accord la Logique dans le palais des icnes, des reflets et des noces. LaLogique assiste en effet aux noces, au titre de tmoin de l'ordre naturel de la vrit (veritatisnaturalium declaratiua) vrit qui est, il vient de le dire, la dernire des trois filles mises aumonde naturellement par l union de la forme et du sujet son tmoignage du spectacle setraduisant par une manifestation philologico-musicale : spectatrice (et non pas actrice) de la fictionsensible, la Logique joue aux orgues, comme le Psalmiste la cithare ( moins que les tubes del'orgue de la Logique ne soient ici une discrte allusion Y aristotelica tuba), citharise donc,mais aux orgues, sur des propositions et des termes qui peuvent, la rigueur, dcrire harmonieusem ntout ce fatras (propositionum terminorumque organis citarizat). Nous sommes ici trs, trsloin du thme de notre sermon, de la dfinition de Dieu comme sphre intelligible; et pourtantAlain n'est pas encore prt revenir au thme annonc, mais continue encore longuement dcrire les demeures des images dans l'exercice des quatre facults de l me.b. Dans la deuxime sphre habitent d une manire exubrante, bouillonnante, exalte (exultant),les yconie ; celles-ci ne sont pas les heureuses habitantes , mais plutt les prisonnires de cepalais, prises (contamines) dans/par l'ombre qui accompagne le flot ondoyant de la matire, dans/par les vapeurs fuligineuses qui les aveuglent (fluitantis materie contagio fluctuantes esse caligantesumbratili de sue caligationis fuligine conquerentes) Ombre, vapeurs sombres, suintantes, aveuglement ce sont les termes qui peuvent ventuellement nous guider comprendre le(s) sens du nomdonn aux images dans ce contexte : yconie. De surcrot, l'endroit, moins calme que le palaisdes noces prcdent, est toujours un lieu de rencontre, mais cette fois-ci pour des renversementset non par pour des treintes d'union nuptiale : les opposs se rencontrent ici pour passer l'undans l'autre c'est un lieu inquitant , ombreux, sphre de la concidence des contraires,sphre du devenir et de l'alternance, du balancement (et de l'identit au prix d une seconde)entre le mme et le diffrent (idem diuersum), l'indivis et le divis (indiuiduum diuiduum), lecleste et le prissable (cleste caducum), le propre, la ralit du genre et le conjoncturel quifeint seulement d'tre (y dos ycos). Nous prcisons que dans ce contexte nous prfrons traduireces derniers termes plutt selon leur sens platonicien premier, que selon la terminologie logiquebocienne et porrtaine, car il nous semble qu Alain privilgie ici le langage propre l'image enrapport avec la cosmologie, et ne fait pas allusion des propositions logiques qui seraient propresau domaine de la dialectique/sophistique et dont il n'est pas question pour l'instant; d'autre partnous suivons l'inversion des termes telle que la suggre P. Dronke, par rapport l'dition tabliepar M.-Th. d'Alverny. Enfin, ce lieu est aussi celui de la rencontre entre l'immortalit et lacaducit (immortale fit caduce proprietatis mortalis). Mais de quel ordre serait le lien qui retiendraitles yconie prisonnires de ce lieu alchimique o fume , dans le flot bouillonnant de lamatire, la concidence des contraires, figures prisonnires de cette seconde demeure des imagesmue par un mouvement incessant de va-et-vient, de morts et de naissances, semblable la rouede la fortune, dans la vision bocienne, qui tourne continuellement entre l'existant et le non-existant spera ymaginabilis caractrise plus haut comme deformis (inconsistante, incorporelle et dissemblable) ?Suivant les principes de reprise et de symtrie propres aux constructions d Alain, il nous semblepossible de trouver une rponse concernant l'identit mystrieuse des habitantes de ce secondpalais de l me (les yconie) en cherchant leur correspondant dans les passages suivants. Prcisonsd emble que nous refusons de traduire, en suivant Fr. Hudry, yconie par fantasmes ( la rigueur,par figurations, comme le propose P. Dronke), et plus loin y chme par concepts ou thormes(theorems, selon P. Dronke). Pourquoi Alain n'aurait-il pas utilis alors phantasmata la placed'yconie (alors qu il avait prcis plus haut que la matire primordiale est conue par la fantaisieimaginationnelle ymaginationis fantasia concipitur), et respectivement noemata pour y chme ?Par simple esprit ludique, prfrant des mots invents pour garder travers le voisinage sonore(des quasi homonymes) l'unit du sens, ou bien parce qu il entendait par ces mots plus ou moins

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 273invents quelque chose d'autre, plus proche de l'image que fantasme et concept, termes tropenclins renvoyer l'auditeur sur la piste d une analyse du processus notique ? En effet, cesombre palais o dferle la fuligineuse matire premire correspond, dans la srie suivante desdfinitions des quatre puissances de l me (C 1), une demeure dans laquelle les formes pleurentleur informit dans les images (ubi formas quasi de dampno sue informitatis lacrimantes...imaginabiliter intuetur) rclamant le rconfort d'un meilleur sujet (subsidia subiecti meliorispostulantes), le secours d'un support plus appropri. Si dans la sphre sensible les images taientde rjouissants supports, des lits pars de pourpre pour les formes, et si mme la Logiquepouvait attester la vrit de leur tre naturel en tant que fille authentique (Vrit) de l unionvolontaire du Modle exemplaire et de la similitude de son reflet, pour les formes de cetteseconde demeure de la connaissance l'tre d image n'est plus un tre qui puisse satisfaire l'espritavec les balbutiements de son mimtisme d apparence, ni suffire comme substrat pour une vritablesimilitude avec la forme. Par consquent, les formes souffrent de la dissimilitude/difformit queleur renvoie le reflet dans les images, leur propre reflet mais dans un miroir brouill, aveugl parl'ombre de la matire, par les vapeurs et les ondoiements incessants d une matire dchire enpermanence par les contraires. Il s'ensuit que, dans ce purgatoire de la sphre ymaginabilis, lesyconie, dchues de leur dignit de formes spares de la matire, se trouvent obliges en fait dejouer un rle d'intermdiaire subordonn justement leur difficile relation avec la matire, unjeu de corps--corps avec ce que celle-ci leur propose comme support. Mais, pour allerdirectement l'essentiel, nous dirons que les yconie ne peuvent en fait tre proprement comprisesque si on les associe aux habitantes de la sphre suivante, aux ychome.Si le terme d iconia se rencontre dans plusieurs textes philosophiques du xne s, surtout commeterme rhtorique avec le sens d'imago, si Alain lui-mme l emploie dans le De planctu pourdsigner les formes intermdiaires (cum Hem spculum formarum meditantem aeternalis salutauitidea, eam iconiae interpretis interuentu vicario osculata... 38), ychome est en revanche un vrai hapax,et donc le terme a priori le moins apte nous fournir une quelconque information supplmentairesur les autres mots employs par Alain dans ce contexte. Pourtant, si on essayait de dterminerle rle qui revient aux ychome dans le troisime palais de la connaissance par rapport aux autrestres d'image, et la place qui leur est accorde selon les dfinitions de chacune des sphres etdes puissances de l'me, le sens du terme et mme son origine pourraient peut-tre venir petit petit l vidence.c. Habitantes de cette troisime demeure en forme de sphre, les ychome sont en effet des formesspares du sujet (Le. forme a subiectis diuise), suspendues en dehors de tout support. Autant lesyconie souffraient dans la tombe du substrat ombreux de la matire, autant les ychome serjouissent, elles, de leur indpendance qui est l'origine de leur immortalit (ad propriam sueimmortalitatis reuertentes originem). Ddaignant tout compromis, tout adultre avec la matrialitd'un sujet (in subiecti dedignantur adulterari materiem et plus loin nulla adulteratione rei corruptibilisdeflorantur), toute relation trangre leur genre ou espce, tout danger de corruptibilit quiengendrerait des miasmes de putrfaction semblables celles dans lesquelles se dbattent lesyconie, prises dans le flot de la matire et dans le circuit incessant des contraires, de naissanceset de morts perptuelles, les ychome restent pour toujours des images-vierges, des fleurs au parfumd'incorruptibilit (sue incorruptionis odore viventes... sue perpetuitas virginitate florentes), bref desimages dpourvues de toute vritable similitude avec les ycones (les images sensibles) et donc desimages, certes, du moins par leur nom proche d'ycones, mais des images paradoxales car, de faitde leur puret virginale, invisibles pour un il corporel. La sphre qu elles occupent, sperarationabilis, est pourtant appele conformis, gnrant la similitude, la conformit; elle est en outresoumise une rotation parfaite qui lui vaut l'attribut d'instabilis. Pour augmenter nos chances decomprendre quelque chose l'identit propre de ces images, ajoutons que cette sphre correspond,dans le cercle de la dfinition des puissances de l me (C 1, 3e cercle), au troisime degr del'chelle, c'est--dire la raison, facult par laquelle l me humaine accde au palais de l me du

    38. PL, 210, c. 480 comme le suggre M.-Th. cI'Alverny, Alain de Lille... (voir n . 1), p. 300, n. 24.

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    274 CAHIERS DE CIVILISATION MDIVALE, 41, 1998 ANCA VASILIUmonde (anima humana ad mundane anime regiam ascendit) o brille le soleil perptuel l'inondantde lumire vivifiante, comme dans les tnbres de la machine du monde luit l'il intrieur enramenant l'esprit la clart (quasi quodam oculo interiori clarificat).Du croisement de ces descriptions et de la juxtaposition des dtails, un claircissement commence se frayer un chemin jusqu nous. Cette construction par opposition, par symtrie inverse, enmiroir, entre les termes de la deuxime et de la troisime sphre corruptibilit/incorruptibilit,formes-prisonnires/formes-spares, noblesse-dchue/noblesse-non-abme, combat-des-opposs/paix-sereine-des-semblables, enfin lieu-obscur/lieu-illumin, miasmes/parfums, pleurs/rjouissances,etc. cette articulation propre un ddoublement, dont l'effet d'inversion n'est que la consquencedu principe catoptrique mis l'uvre, pourrait bien tre l'indice d une relation particulire installepar Alain entre les habitantes (yconie/ychome) de ces demeures contrastes. Or cette relationparticulire vaut, selon nous, pour une quasi identit. C'est comme s'il s'agissait en fait de montrerun seul et unique personnage , un tertium genus esse, se comportant de deux maniresradicalement diffrentes selon les lois du monde o il se trouve : soit pris dans un mondetourn vers le sensible, mais dplorant cette orientation vers le rgne de la matire et n'oubliantpas qu il n'appartient que temporairement lui, soit rest virginalement dans un jardin intemporel,tourn vers la contemplation rjouissante de la sphre parfaite, laquelle il n accde pourtantpas, ou pas encore. Que voulons-nous insinuer par cela? Eh bien, il nous semble que MagisterAlanus pousse ici l'extrme limite de la subtilit son astuce linguistique et son esprit hermneutiquemalicieux vis--vis de la structure et du rle des sciences, des arts et du savoir de son temps. Sices quatre sphres ne sont qu une affabulation diffrente qui correspondrait au spectacle quecontemple dans ses trois miroirs la Raison de YAnticlaudianus 39, ou du De planctu et de YArspraedicandi, pourquoi ne pourrait-on voir dans les deuxime et troisime sphres de notre sermonle ddoublement du second miroir (celui au reflet d'argent) des autres uvres d Alain ?Autrement dit, il serait possible, nous semble-t-il, de concevoir que l'auteur a opr ici, pour lesbesoins de la dmonstration, une reduplication en miroir du terme central. C est partir de lque le discours pouvait enfin s'ouvrir l' abme de la fiction, au nant de la reprsentation,et pouvait laisser pntrer, par l'interstice du miroir, le flot des moyens littraires et des figures rhtoriques , en les considrant dsormais comme les intermdiaires les plus mme de dcrirele rapport dialectique qui unit dans la diffrence l'imagination et la raison, et qui noue, traversles fonctions/orientations spcifiques des deux insparables (ymaginabilis-rationabilis situs surle mme plan, celui de la notique), les deux mondes radicalement spars du sensilis et deYintelligibilis, de la facult sensible et de Yintellectualitas 40. Et si c'est effectivement le cas, alorsles ymagines de notre sermon ne sont pas analyses par Alain dans ce sermon, comme on l aaffirm 41, c'est--dire selon la signification de cette terminologie chez certains chartrains ouporrtains, en l'occurrence sous leur aspect logique uniquement, dsignant par consquent lesmodes d'infrence entre la forme et la substance, et la dfinition de cette dernire, Le. substratou essence (pour recourir une problmatique et une terminologie d'origine bocienne etporphyrienne voir les Hebdomades, mais aussi le commentaire Ylsagoge certainement pastrangres Alain). Les ymagines pourraient donc avoir chang de plan pour une fois : Alainleur attribue alors, volontairement dans ce contexte, un rle diffrent, un rle appropri cettefois-ci la tche de reprsentation ou de figuration qui leur revenait de droit dans une dmarchede type prichortique, telle la dmonstration rhtorique, par dtour d image ou par locus differentia,d une maxime. Ce rle dcoulerait de l'extension, jamais aussi gnreusement mise en valeur dansla pense occidentale avant lui, du champ d action de l'image la quasi totalit du processusnotique (fonction gnosologique comprise dans le reprsentation ), l'image comprenant ainsi

    39 . Ibid., p. 168.40 . Il s agit d'un quivalent de Y inellegentia de Boce, la facult suprieure la ratio, lie au divin et formant aveccette dernire le correspondant latin du binme logos-nos, lieu commun aristotlico-noplatonicien voir ibid, p. 170-171.41 . M.-Th. d'Alverny et Fr. Hudry d'une part (les quatre noms de l image seraient em prunts la terminologielogique bocienne et porrtaine), P. Dronke d autre part, qui interprte le sermon sous le signe de Yinvolucrum,d'une fable .

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    L'CONOMIE DE L'IMAGE DANS LA SPHRE INTELLIGIBLE 275d une part un tre propre, celui de l'intermdiaire, et d'autre part une manifestation opratoirepropre, celle d'un intercesseur, d'un passeur d'un degr l'autre des puissances sensible,notique et spirituelle de l'me. Rappelons-nous que la logique elle-mme tait ici appele vieller , et non pas dmontrer quoi que ce soit, crer donc des harmonies verbales entmoignant de la vrit ontologique des ychones dans le palais sensible. C'est, nous semble-t-il,la fonction mme qui est assigne aussi ces deux tres d images intermdiaires dans le sermonconsacr la dfinition aportique de la sphre intelligible. Nous irons mme jusqu formulerl'hypothse qu l'horizon non avou du dessein d Alain dans ce sermon il y avait eu peut-trel ide de transposer sur le plan de la figuration, de la reprsentation intermdiaire, et deYimage du divin en bref, la dialectique du dpassement (par la reprsentation comme par lanomination) de la dichotomie semblable-dissemblable (appropri-inappropri) figurant dans lecommentaire de Jean Scot au trait des Noms Divins du Pseudo-Denys. (Mais cela mrite undveloppement spcial et nous n avons pas, pour l'instant, la possibilit de le dmonter dansce cadre.)Cela voudrait dire aussi que la structure quadripartite, rclame par les quatre puissances del me dcrites par Boce, ncessitait bien un amnagement spcial en ce qui concerne la dfinitionpar l'image dans le sermon d Alain de Lille. Tandis que les ychones et les ydee, les habitantesde la premire et de la quatrime demeure de la connaissance, sont dfinies dans un rapporttroit avec les formes exemplaires ternelles, ou avec la Forme qui engendre et rencontre enmme temps son reflet, les yconie et les ychome sont, elles, dtermines par un rapport de corps--corps avec le support ou le substrat des formes, soit en tant emprisonnes, lies laprissabilit du sujet, soit en se rjouissant d une sparation libratrice de celui-ci. Dans les cerclessuivants de la dmonstration Alain ajoute encore quelques traits ces dfinitions, quelquescomparaisons qui clairent davantage l enjeu de cette observation.Ainsi les ychones deviennent-elles semblables des critures (quasi quasdam litteras speculatur) 42dans la dfinition des sens, c'est--dire du premier mode de fonctionnement de l me humaine(C 1, le 3e cercle). Comme nous sommes ici dans le cercle de la dfinition des facults de l meselon le modle de la structure du monde (macrocosme), ces critures reprsentent, nous semble-t-il,le premier degr de lecture des uvres de Dieu dans le cosmos cr. Plus loin Alain prciseralui-mme cette interprtation : legendum supremum auctorem in rbus caducis ( lire l'auteursuprme dans les choses prissables , dbut de la partie D) 43. Suivent la matire primordiale,saisie par l'imagination, l me du monde laquelle accde