Analyse Vol au-dessus d'un nid de coucou Milos … va craquer pour la première fois face à...

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Avant-Propos Bien que la critique et l'analyse soient deux discours différents, nous tenterons d'allier les deux dans ce travail afin qu'il soit le plus complet possible. On a l'habitude de faire correspondre l'analyse au « cinéphile » usant d'une problématique d'ordre esthétique ou langagier, dans le but de faire mieux aimer l'oeuvre en la faisant mieux comprendre. Nous prendrons donc d'un côté l'oeuvre comme unique, infiniment singulière en adoptant une analyse à la fois textuelle, narratologique, iconique et psychanalytique tout en gardant comme flèche directive la question des liens entre création et handicap. Par conséquent, nous éviteront la myopie analytique pouvant se transformer en aveuglement de part une trop grande diversité de détails qui pourrait noyer notre regard global de l'oeuvre. L'interprétation étant le « moteur » imaginatif et inventif de l'analyse, nous tenterons de la maintenir dans un cadre le plus vérifiable possible. D'un autre côté, nous tenterons d'adopter une écriture critique sur l'oeuvre se résumant à trois fonctions principales recoupant parfois l'aspect analytique : informer, évaluer, promouvoir. Introduction Vol au-dessus d'un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo's Nest) est un film américain de 1975 réalisé par Milos Forman d'après un roman de Ken Kezey (1962). Les rôles principaux sont tenus par Jack Nicholson (Randle Patrick McMurphy) et Louise Fletcher (l'infirmière en chef Mildred Ratched). Notons que le terme cuckoo désigne en anglais l'oiseau coucou et une personne mentalement dérangée, à l'image des patients de l'hôpital psychiatrique de l'intrigue. Synopsis R. P. McMurphy se fait interner dans un hôpital psychiatrique pour échapper à la prison suite à un viol. Il va être touché par la détresse et la solitude des patients. Sous les soins de l'infirmière Ratched, il s'oppose vite par sa forte personnalité aux méthodes répressives de cette dernière et décide alors de révolutionner ce petit monde, plutôt au départ par jeu. Sévèrement puni, il tente de l'étrangler. Une lobotomie le transformera en légume, avant qu'un détenu ne l'étouffe par pitié. Séquence : 3ème réunion thérapeutique Analyse Vol au-dessus d'un nid de coucou Milos Forman

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Avant-ProposBien que la critique et l'analyse soient deux discours différents, nous tenterons d'allier les

deux dans ce travail afin qu'il soit le plus complet possible.On a l'habitude de faire correspondre l'analyse au « cinéphile » usant d'une problématique

d'ordre esthétique ou langagier, dans le but de faire mieux aimer l'oeuvre en la faisant mieux comprendre. Nous prendrons donc d'un côté l'oeuvre comme unique, infiniment singulière en adoptant une analyse à la fois textuelle, narratologique, iconique et psychanalytique tout en gardant comme flèche directive la question des liens entre création et handicap. Par conséquent, nous éviteront la myopie analytique pouvant se transformer en aveuglement de part une trop grande diversité de détails qui pourrait noyer notre regard global de l'oeuvre. L'interprétation étant le « moteur » imaginatif et inventif de l'analyse, nous tenterons de la maintenir dans un cadre le plus vérifiable possible.

D'un autre côté, nous tenterons d'adopter une écriture critique sur l'oeuvre se résumant à trois fonctions principales recoupant parfois l'aspect analytique : informer, évaluer, promouvoir.

IntroductionVol au-dessus d'un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo's Nest) est un film américain

de 1975 réalisé par Milos Forman d'après un roman de Ken Kezey (1962). Les rôles principaux sont tenus par Jack Nicholson (Randle Patrick McMurphy) et Louise Fletcher (l'infirmière en chef Mildred Ratched). Notons que le terme cuckoo désigne en anglais l'oiseau coucou et une personne mentalement dérangée, à l'image des patients de l'hôpital psychiatrique de l'intrigue.

SynopsisR. P. McMurphy se fait interner dans un hôpital psychiatrique pour échapper à la prison suite

à un viol. Il va être touché par la détresse et la solitude des patients. Sous les soins de l'infirmière Ratched, il s'oppose vite par sa forte personnalité aux méthodes répressives de cette dernière et décide alors de révolutionner ce petit monde, plutôt au départ par jeu. Sévèrement puni, il tente de l'étrangler. Une lobotomie le transformera en légume, avant qu'un détenu ne l'étouffe par pitié.

Séquence : 3ème réunion thérapeutique

AnalyseVol au-dessus d'un nid de coucou

Milos Forman

La première séquence que j'ai choisie d'analyser se trouve à la fin du troisième tiers du film. Elle suit la scène où McMurphy tente en vain d'arracher une énorme structure d'eau pour s'échapper de l'asile afin de voir les World Series qu'il n'a pas pu regarder à la télévision, personne n'ayant voté pour modifier l'emploi du temps commun (excepté Cheswick méfiant de l'infirmière et Taber qui semble comprendre que cela ne servira à rien). Il finira par sortir de la salle de bain en expliquant aux internés qu'il aura au moins essayé.

La troisième réunion thérapeutique constitue une articulation forte de la totalité du récit : McMurphy va craquer pour la première fois face à l'infirmière Ratched qui commet une nouvelle injustice provocante, situation où elle semble finalement se complaire. C'est donc le moment d'un basculement psychologique de McMurphy qui, ne l'oublions pas est surveillé de très prés. Voyons par quels procédés Forman va montrer cette croissance de nervosité à travers la séquence.

Cette séquence constituée d'un grand nombre de plans (9min 11 pour 112 plans, alors qu'un film de 90min contient en moyenne 400 à 600 plans, ce qui « devrait » réduire de moitié le nombre de plans de cette scène en suivant cette logique) est structurée en quatre parties que l'on peut qualifier de continues dans la séquence. En effet, elles ne sont pas articulées de façon spécifique, mais juste par succession de plans. Seul l'espace changera légèrement en passant de la réunion tous assis sur les chaises, à l'espace télé cette fois tous en train de sauter sur le banc et les chaises (sauf Mrs Ratched évidemment). Elle a une durée totale de 9min 11 et un important nombre de plans : 112. Nous verrons la raison d'être de ce nombre de plans par la suite.

Nous pouvons donc retenir une première partie (A) qui consiste à introduire la cruauté que Mrs Ratched peut avoir dans sa manière de faire une thérapie, en questionnant Billy Babbit à propos de l'amour puis de son suicide tout en le faisant culpabiliser. Celle-ci dure 2min 10 environ (comme la suivante) et comporte 18 plans. Elle est introduite par un dé-zoom sur la radio des infirmiers écoutant les World Series, puis amené par le déplacement de Washington vers la réunion.

La partie B (2min 10 également et 31 plans) débute par l'intervention de Cheswick qui se questionne sur la thérapie et introduit la demande d'un nouveau vote pour voir les World Series. Ce vote réunira cette fois-ci les 9 malades participant à la réunion.

Mais l'aile de Mrs Ratched comportant 18 patients, elle estime qu'il manque 1 vote pour obtenir la majorité. McMurphy tente de trouver ce vote. Cette partie C commence donc au moment où Mrs Ratched commet une nouvelle injustice et se termine 4min et 42 plans plus tard, après le refus de mettre en marche la télévision une fois le dernier vote trouvé. Notons que cette scène est centrale à la séquence de par sa durée et son importance sur la plan psychologique de McMurphy qui arrive à bout.

La dernière partie D (1min et 20 plans), est la seule comportant de la musique (sur toute sa durée). C'est la scène où McMurphy fait semblant de regarder la télévision (alors qu'elle n'est pas allumée) et est rejoint par le reste des votants pour faire les fous. Mrs Ratched leur demandera d' “arrêter immédiatement, en vain, fière d'avoir à nouveau des preuves que le patient est dangereux. La séquence suivante se déroulera dans le bureau du directeur de l'asile pour décider de la situation psychologique de McMurphy.

Nous devinons ce qu'il en sera décidé.

Contrastes et parallèles sont de paire dans cette séquence, en commençant par l'atmosphère qui est d'abord calme (pas de bruit, le silence prend beaucoup de place, McMurphy baille, tout est rangé comme il se doit), puis emporté, nerveux à la moitié de cette séquence (le ton se lève, le mouvement est lancé, le bruit prend place et le désordre se crée).

D'autre part, nous pouvons faire un parallèle entre le début et la fin de la séquence : la radio filmée en dé-zoom et la télé filmée en zoom (toutes deux ayant un peu le même design). Notons que cette pratique ne sera que très peu utilisée au cours de cette séquence donc qu'il est important de la faire remarquer ici. La radio est allumée et passe les World Séries alors que la télé est éteinte et les « fous » imaginent l'image des commentaires entendus dans la pièce à côté.

Enfin, le comportement des deux personnages principaux est très proche (mais incompatible bien-sùr) dans cet extrait (mais aussi durant tout le film). Ils jouent tout deux au jeu de la provocation et sont prêts à ne pas lâcher prise, l'une pour faire régner son autorité, l'autre pour obtenir son programme ; l'une par son pouvoir accordé par l'institution, l'autre par son caractère de meneur très influençable. Au final, on comprend que McMurphy apporte bien plus de soins aux malades que l'infirmière en leur redonnant simplement le goût de vivre.

Cadrage, mouvements et points de vue sont assez révélateurs dans cette séquence. Nous voyons que le gros-plan occupe une place majeure dans la première partie de cette séquence entre Ratched et Billy. Ceci donne un aspect effrayant et diabolique à Ratched qui reste totalement insensible au renfermement de Babbit sur lui-même, comme un foetus. Nous remarquons que lorsque Ratched ne contrôle plus totalement la situation ou qu'elle ne dirige pas tout comme bon lui semble, les plans sont plus éloignés. Remarquons aussi que McMurphy est au plus, filmé en plan rapproché lors de la première partie, contrairement aux autres filmés en gros plan, ce qui montre assez bien son détachement, désintéressement à la situation. Le zoom de la fin du passage en gros plan sur le visage de Ratched illustre le fait qu'elle va reprendre le contrôle de la situation (scène suivante).

Les caméras de chaque partie sont fixes et en nobody's shot, même si parfois on a l'impression de voir ce que le personnage voit, nous faisons juste partie de la scène. Seule la partie C comporte des déplacements, le premier étant celui pour suivre McMurphy en quête d'une voix et le second étant très léger derrière Ratched pour se lier à la partie D. Elle opère souvent en champ / contre-champ dans chaque partie pour insister sur l'importance de l'expression du visage dans les dialogues. Nous voyons ainsi la transformation de McMurphy et des autres qui contraste avec la froideur de Ratched. Un mouvement de panoramique est effectué lors du vote dans B ; travellings (parfois précipités), légers panoramiques, champs/contre-champs dans C et D (mais plus lents et cette partie comporte aussi deux zoom importants, rappelons-le).

Voici des schémas vus du dessus révélant la position des caméras (en rouge) selon les scènes (les lettres correspondent a l'initiale des personnage).

Les couleurs et symboles jouent ici un rôle primordial. Tout dans l’asile est d’une douloureuse blancheur, depuis les murs jusqu’aux vêtements des pensionnaires. Mais Forman centre l'intérêt du spectateur sur les personnages principaux d'une scène par un moyen simple. Il les fait porter autre chose que du blanc. On remarque alors que Cheswick sera l'élément perturbateur de la séquence, portant un manteau noir par dessus son habit blanc. McMurphy est évidemment central aussi, dicerné par sa chemise bleue sous ses vêtements blancs.

Sans aucun doute, le rouge a son importance dans l'extrait étant la seule couleur vive présente. Elle semble correspondre à la folie de McMurphy et au danger qui le guète, à savoir celui de paraître pour quelqu'un de trop dérangé pour sortir de cet asile. Elle apparaît trois fois dans la scène : à travers la lumière au-dessus de sa tête quand il s'approche d'Ellis sans finalement prendre la peine de lui parler (comme l'inverse d'une lumière symbolisant « Eureka ! »), sur le mots accrochés à la grille quand il chante l'hymne américain (alors qu'il recherche des voix, comme pour une élection), et enfin sur la grosse poubelle à coté du banc sur lequel il s'asseoit. Notons aussi que cette couleur est toujours placée au centre du cadre. Elle peut aussi avoir une fonction d'avertissement pour McMurphy qui n'y fait pas attention ; on remarque notamment le mot « No » écrit en gros sur la grille derrière le vielle homme qui reste d'ailleurs centré alors que McMurphy arrive sur les bords du cadre en dansant. Ce mot explique la prémonition de la défaite de McMurphy pour regarder la télé et aussi qu'il ferait mieux d'arrêter de se faire remarquer s'il ne veut pas rester plus longtemps dans l'institution. Remarquons aussi le rouge un peu moins visible sur un magazine avec le mot « Life » qui aura une importance dans l'autre analyse de séquence, nous le verrons. Ce mot est assez explicite et ne demande pas forcement plus d'informations que cela, car nous voyons bien la liaison qui existe entre les patients et l'enthousiasme général qui renaît à ce moment là.

Le repli sur soi-même de Billy Babbit tel un foetus, fait indubitablement référence à son traumatisme, timidité et bégaiement, liés à sa mère. La façon dont le surveillant les « range » dans les douches désigne la maltraitance adoptée sur les patients de l'institution en général. Enfin, le reflet de McMurphy dans la télé insiste à nouveau sur le fait qu'il est grandement surveillé, presque filmé.

On pourrait qualifier la musique de quasi rare dans tout le film, comparé aux « films symphonies » du cinéma hollywoodien tel qu'on le connaît aujourd'hui (prés de 100% du temps est accompagné de musique). Pourtant dans la partie C, Ratched en met (elle est donc diégétique) ce qui accentue la provocation, atteignant presque la torture à ce stade-ci pour McMurphy. De plus, elle fait entendre de la musique calme, joyeuse, à l'opposé de l'ambiance régnant dans la salle à cet instant. Elle souhaite pousser à bout son « adversaire » en refusant de baisser la musique pour qu'il puisse parler sans crier en jouant aux cartes. Remarquons que ce style de musique classique toujours entendu dans l'asile contraste avec celui, plus folk, entendu quand ils partent en bus, faire du bateau, un moment de liberté des patients dans ce film.

En conclusion, cette séquence au montage dynamique (112 cuts), nous enseigne, grâce à un jeu d'acteurs hors-pair (regard de Jack Nicholson), des cadrages et mouvements de caméra révélateurs, un jeu sur les couleurs symboliques par leurs quasi-inexistence, ainsi que par une musique diégétique venant renforcer l'empathie du public, que l'évolution psychologique de McMurphy dégénère et qu'elle ne semble pas optimiste pour la suite.

Séquence : Agitation après fête

Cette nouvelle séquence est un peu la suite logique de celle analysée précédemment, à savoir la goutte d'eau qui fait déborder le vase, ou plus explicitement l'attitude de Ratched qui n'est plus supportable pour McMurphy poussé à bout. Elle succède à la dernière séquence d'espoir d'échappée de McMurphy et Chef qui se déroule lors d'une fête clandestine qui met un beau bazar dans l'aile de Ratched.

Commençant par une interrogation du spectateur sur la fuite ou non de McMurphy (le premier plan cadrant la fenêtre ouverte), cette séquence a une montée en puissance que je trouve personnellement bien agencée et réalisée. Cependant, nous en analyserons que le second fragment de 7min 05 (la séquence entière durant un peu plus de 11min) à partir de l'arrivée de Babbit. Ce fragment est central pour le film dans son entier car il illustre en quelque sorte le climax de l'histoire (et l'état psychologique de McMurphy au plus bouillant) ; la scène suivante étant le dénouement rapide et conclusif.

Cette séquence (afin de faciliter, nous appellerons désormais le deuxième fragment “séquence“), en plus d'être une continuité de la précédente analysée, peut être mise en relation par les outils similaires utilisés et bien d'autres choses, nous le verrons. Elle dure 7min 05 et comporte aussi 112 plans, nous en déduisons donc tout de suite que son montage est plutôt dynamique. Nous la structurons en 5 parties, distinctes du point de vue narratif et spatial.

La première partie (A) contient 11 plans (55 secondes) et fait référence à l'accueil qui est fait à Billy après avoir été trouvé par les surveillants dans une chambre avec l'amie de McMurphy. Cette scène est très touchante, car elle montre la relation forte qui existe désormais entre les patients, construite grâce au bouleversement qu'a opéré McMurphy. La « stratégie » de McMurphy semble avoir été la meilleure pour qu'on se range de son côté, car à ce moment tout le monde rit et est heureux (comme lors de la fin de la dernière séquence analysée) ; alors que Ratched n'est forcément pas de cet avis (elle semble avoir perdu son pouvoir à cet instant).

La partie B fait référence à la discussion sérieuse entre Billy et Ratched (on remarque tout de suite le parallèle avec la scène A de la première séquence). Elle comprend 36 plans dans 2min 31. Grâce à quelque chose qui ressemble à de la perversité ou du sadisme, Ratched récupère l'autorité en rentrant à nouveau dans le traumatisme de Billy, alors qu'il l'avait presque oublié si l'on en croît sa perte assez évidente de bégaiement et son assurance face à elle au début de la séquence, comme s'il était guéri.

La troisième partie illustre la reprise du pouvoir de Ratched et le quasi-amusement qu'elle semble en faire. Elle dure 46sec pour 14 plans. Cette scène confirme l'horreur que le spectateur peut ressentir pour Ratched, face à son comportement presque malsain. Elle joue avec ses pouvoirs et reste froide face à l'effondrement d'un de ses patients par sa faute, alors qu'il était « normal » et heureux plus que jamais.

L'avant-dernière partie (D) laisse une dernière fois le spectateur penser qu'il peut assister à la fuite de McMurphy et Chef, même si cette fois-ci il commence à y croire qu'à moitié. Cette scène continuant la violence amorcée mentalement par Ratched dure 1min 10 et comporte 22 plans.

Accrochée à la précédente par le son (un cri), la dernière partie peut elle aussi se diviser en deux. La partie E1 est la découverte du corps mort de Babbit suite à son suicide (18 plans), la suivante (E2) est l'étouffement de Ratched par McMurphy (11 plans). Cette séquence dure 1min 43 et termine le climax du film. Elle dessine un peu ce que le spectateur redoutait : que McMurphy craque psychologiquement face à Ratched. Cette séquence sera suivie par la dernière du film où Forman joue encore avec la naïveté du spectateur en nous laissant penser, grâce à des rumeurs, que McMurphy a réussi à s'échapper (bien que cela ne semble pas logique). On le verra en fait arriver en pleine nuit, tel un légume, dans le dortoir et son ami Chef l'euthanasiera avant de s'enfuir de cette institution, se sentant fin prêt. Notons que la fin de la séquence analysée termine de façon remarquable comparée au reste du film : fondu avec écran noir assez long (4sec) et fondu du son de la séquence (toux) à la fin de l'écran noir.

Du bonheur à l'horreur ou de la fête à la violence, cette séquence met en œuvre une représentation du pathos des plus fortes du film en allant progressivement de la première partie à la dernière vers une antithèse, un contraire. Nous pouvons aussi, dans un même temps montrer les analogies entre cette séquence et la première analysée.

Alors que dans la séquence de la 3ème réunion, nous allions du pouvoir de Ratched, de son autorité, de l'ordre, vers un rassemblement autour de McMurphy, son pouvoir à lui, un désordre ; nous voyons un peu cette séquence d'agitation après fête comme son inverse (applaudissement des fous dans les deux séquences : à la fin et au début). Nous comprenons ainsi directement l’antithèse produite dans cette même séquence qui va du bonheur, de l'excitation des patients vers une violence incroyable. Le comportement de Billy connaît aussi deux phases complètement opposées autour de sa parole et de son bien-être moral étant effectivement forcé par Ratched à dénoncer, trahir ses amis. Une telle fluctuation morale le poussera au suicide. Le sourire de Taber est aussi très significatif au début et à la fin de la séquence. Nous pouvons aussi mettre en avant la similitude entre la disposition du début des deux séquences, les patients étant en arc de cercle autour de Ratched qui parle à Billy. Enfin, nous pouvons rapprocher le déraillement de la voix de McMurphy quand il chante l'hymne dans la première séquence à celui de Ratched à la fin de cette seconde séquence lorsqu'elle demande le calme. La différence la plus notable entre les deux séquences est évidemment que McMurphy craque cette fois-ci face à l'inhumanité de Ratched.

Le comportement des personnages joue un rôle crucial ici. Nous pouvons le partager en quatre : celui de Ratched, Billy, les surveillants et McMurphy. Ratched est toujours froide, autoritaire et finira paniquée, étranglée (la fin du film fera d'ailleurs un clin d'oeil à cette scène quand Chef étouffera McMurphy. McMurphy se tue donc lui même sur cette séquence). McMurphy

est fier d'avoir donné un peu de bonheur à ses amis au début et tombera rapidement dans la folie à cause de Ratched, tout comme Billy. Les surveillants sont eux impassibles face à l'horreur qu'ils voient et se contentent de répondre aux ordres (à la différence des autres) ; ils sont aussi curieux (regard dans la chambre de Billy), hautains et bagarreurs, ils rient devant le malheur des autres et traitent les malades avec brutalité. C'est un peu l'extension de Ratched (elle, étant plus dans l'esprit, le subtil alors qu'eux sont plus dans le concret, visible), tout comme les patients sont l'extension de McMurphy.

Notons aussi le travail fait sur l'évolution du regard expressif de certain personnages, assez descriptif de leur état psychologique :

Le rouge rappel dans cette séquence le regard du spectateur, non plus pour apporter de nouveaux symboles, mais pour jouer avec ceux-ci et continuer de montrer les rapports entre les séquences. On le retrouve au-dessus de la tête de Ratched au début de la séquence, sur l'extincteur derrière elle. Il est aussi la couleur du sang de Babbit (ainsi que de la tête de Ratched à la fin) et de la nourriture sur la table où tombe Warren. Le “Nobody“ écrit sur la fenêtre du bureau de Ratched fait penser au “No“ derrière le vieux en fauteuil roulant. Et, par transparence, sa signification peut annoncer la tentative de tuer Ratched à la fin. Le magazine sur lequel était écrit “Life“ lors de la séquence de la 3ème réunion a ici disparu ce qui annonce aussi la mort dans cette fin de film. Il faut aussi remarquer la couleur choisie pour les guirlandes de la fête : le rouge encore une fois.

Les mouvements (ou non) et positions de la caméra pour insister sur la pathos de la séquence ainsi que les effets de focales, sont multiples dans cette séquence. Tout d'abord, la caméra ne se déplace pas du tout durant cette séquence, et n'opérera que très peu en panoramique. On

remarque que les seules fois où elle n'est pas fixe, c'est pour suivre les mouvements légers et brusques de la tête de Billy ou pour suivre les grands mouvements des personnages qui se déplacent (ce qui est de plus en plus fréquent quand on avance dans la séquence). Il va donc de soi que la caméra évolue de : fixe, immobile, statique vers un mouvement de plus en plus grand et brusque (tout comme la séquence en général, rappelons-le). Cette manière que la caméra à de bouger sur le visage de Billy met en relief son malaise. A contrario, la caméra fixe fait souvent référence à la froideur de Ratched. Forman utilise au début de la première partie un jeu de profondeur de champ faisant passer un personnage flou à net et inversement, ainsi la caméra est encore plus immobile qu'ensuite où il use des champs/contre-champs (comme dans la séquence de la 3ème réunion). Le montage est donc de plus en plus dynamique lui aussi.

Nous voyons après avoir fait le plan de la position de la caméra en fonction des scènes, que sur cette séquence une grande partie de l'aile est utilisée. De plus, nous remarquons que Forman utilise de nombreuses caméras dans un espace restreint et que l'espace de chaque scène est légèrement modifié à chaque fois.

Forman utilise aussi les effets de plongée/contre-plongée pour mettre en évidence la situation hiérarchique et psychologique des personnages. Ainsi, quand on voit ce que voit Babbit (sans pour autant que la caméra soit incarnée en lui, car on est toujours en « nobody's shot »), on le voit souvent en contre-plongée, on voit donc souvent Ratched comme un monstre avec cet effet produit. Le zoom sur Billy, lorsqu'il est emmené de force par un surveillant, annonce une fin tragique et prédite et le très gros plan sur la main de McMurphy et les clés amplifie le suspens de la situation. Pour finir, il est important de rappeler que la séquence se termine par un fondu écran noir (avec comme une résonance la toux de Ratched) annonçant la conclusion du film très prochainement.

En conclusion, cette séquence est une continuité et une référence à la première analysée (même nombre de plans, évolution parallèle et inverse à la fois, utilisation des mêmes outils par Forman...). Elle nous confirme les prédictions faites, s'en “amuse“ et renforce l'émotion du spectateur qui a eu le temps d'assimiler les codes utilisés par Forman (fixe/mouvement, couleurs...). Cette séquence climax n'aurait pas fonctionné sans une interprétation parfaite des acteurs (cf

regards...) permettant une montée en suspens et émotion sensationnelle.

ConclusionIl fut intéressant d'analyser ces 2 séquences afin de pouvoir les mettre en relation par la

suite. Nous voyons donc comment le film à été réalisé en partie et les outils que Forman a utilisé. Elles illustrent bien l'évolution psychologique des personnages et le traumatisme de chacun, car nous l'aurons compris, les patients ne sont pas les seuls à être malades s'il y en a. En effet, que ce soit Ratched ou les surveillants, ils semblent se décharger sur les patients en intensifiant leur traumatisme et donc avoir autant besoin de cet hôpital qu'eux. Il est donc normal de se demander finalement qui est malade. De plus, en analysant l'attitude des protagonistes principaux (Ratched et McMurphy), on se rend vite compte de leurs grandes similitudes.

Ce film s'inscrit dans un courant de remise en question des excès de l'univers carcéral, où les malades sont soumis à une psychiatrie inhumaine aboutissant à une totale dépersonnalisation. Il s'inscrit à la suite de La fosse aux serpents (Litvak, 1950), La tête contre les murs (Franju, 1959) ou encore Shock Corridor (Fuller, 1963).

Premier grand succès public et critique de Milos Forman, Vol au-dessus d'un nid de coucou est finalement un beau film, très rythmé, justement interprété, qui porte le spectateur à réflexion autour du pouvoir, la manipulation, la provocation, la liberté et l'autorité. Comme dans Amadeus ou Man of The Moon, il place l'individu au centre de la résistance à la norme, ce qui le conduit à une place de supplicié. Ce film est ainsi symbole de la confrontation éternelle opposant l'être humain à la société et montre les mécanismes par lesquels se forgent des rapports de domination. La morale qu'on pourrait tirer de ce brillant manifeste contre une société coercitive est finalement que : les gens anormaux n'ont rien d'exceptionnel, ils ont droit aussi au respect.

BibliographieLe montage (Vincent Pinel)Dictionnaire technique du cinéma (Vincent Pinel)Le siècle du cinéma (Vincent Pinel)Les films-clés du cinéma (Claude Beylie et Jacques Pinturault)L'Art du film : une introduction (David Bordwell et Kristin Thompson)Précis d'analyse filmique (Francis Vanoye et Anne Goliot-Lété)L'Analyse des films (Jacques Aumont et Michel Marie)L'Analyse du film (Raymond Bellour)

http://www.analysesdesequences.com/accueil.html (Patrick Le Goff)

http://www.sites.univ-rennes2.fr/arts-spectacle/cian/image-cinema/interface.htmlhttp://www.sites.univ-rennes2.fr/arts-spectacle/cian/montage/interface.htmlhttp://www.sites.univ-rennes2.fr/arts-spectacle/cian/forme_sonore/interface.html(Jean-Pierre Berthomé et Patrick Le Goff)

AnecdotesAprès avoir vu et revu ces séquences, j'y ai trouvé 2 « erreurs », sans intérêt pour l'analyse,

mais que je trouvais toutefois amusant de reporter à la fin de celle-ci.On peut apercevoir les ombres de câbles sur la première séquence analysée :

McMurphy perd son bonnet et l'a à nouveau au plan suivant lors de la bagarre de la deuxième séquence analysée :