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HORS SRIE / JUIN 2011

Revue de la qualit de vie au travail

Travail &CHANGEMENT

ENJEUX (P. 2-3) Interview de J. Bernon (Anact) ARGUMENTS (P. 4 9)Le point du vue de la direction

FRANCE TLCOM-ORANGEun pas vers lamlioration des conditions de travailUn regard afft sur le travail quotidien des salaris Un projet concert direction - syndicats des mtiers de la relation client accompagns par lAnact* Des progrs tendre lensemble de lentreprise

D. Ernotte, L. Zylberberg, F. Andr et Ph. PchardLe point de vue des organisations syndicales

S. Arbaoui (FO), D. Allix (SUD), G. Fages (CFDT), B. Chatard (CFE-CGC/Unsa), R. Kessi (CGT), et G. Diakit (CFTC)Les invits du rseau Anact

Ph. Zarifian (universit Paris-Est Marne-la-Valle) et L. Pihel (IAE/Lemna) CT ENTREPRISE (P. 10 15) Les conditions de travail au bout du fil de trois centres client Points de vigilance Rgions : transmission damliorations en cours

* Bimestriel du Rseau Anact pour lamlioration des conditions de travail

ENJEUX

FRANCE TLCOM-ORANGE,un pas vers lamlioration des conditions de travailQuest-ce que le travail bien fait quand on est tlconseiller chez France Tlcom - Orange ? Cest en partie cette question qua permis de rpondre lAgence nationale pour lamlioration des conditions de travail (Anact). Deux annes dchanges et de dbats sur les conditions dans lesquelles chacun ralise son travail et comprend celui des autres.JACK BERNON, responsable du dpartement Sant et travail de lAnact, pilote de lintervention chez France Tlcom - Orangedcisions dorganisation sur le travail des salaris, et des consquences sur leur sant et la performance de lentreprise Une question qui avait besoin dtre dbattue et comprise. cerner les sujets qui nous semblaient pertinents, et den parler ensemble : cest l quest apparue la notion de travail bien fait (voir encadr).

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Comment vous y tes-vous pris ?Nous avons scind notre intervention en deux tapes : pour comprendre dabord cequi se passait dans le travail quotidien, en choisissant trois centres dappel grand public : Ivry, Villeneuve-dAscq et Nice. Ce travail sest fait en coopration avec le CHSCT de chacun de ces sites. Puis, partir de ces investigations, des sminaires dits comits de suivi ont t organiss pour permettre aux salaris, aux cadres et la direction de mieux

Dans quel tat desprit avez-vous trouv les personnels des trois centres investigus ?Ils se rpartissent en trois catgories : le front office, qui gre les appels entrants, le back office, qui gre le service client (contentieux, suivi de dossier) et les fonctions support, qui grent les flux et la rpartition des appels. Avant quils ne puissent discuter partir de matriaux complets collects sur le terrain, et bien que comptents chacun dans leur fonction, ils se rejetaient la responsabilit des

Dans quel contexte lAnact est-elle intervenue chez France Tlcom ?En dcembre 2008, la demande du Comit national sant, hygine, scurit et conditions de travail (CNSHSCT), nous avions expliqu notre vision du stress. La direction mtiers de la relation client avait aussi demand une rflexion pour des amnagements de postes. Puis il y a eu les suicides

Remettent-ils en cause votre intervention ?Ils la font voluer. Trs vite, beaucoup de dcisions sont prises : intervention du cabinet priv Technologia, engagement de ngociations et bullition mdiatique. Tout est assez confus. La direction mtiers et les organisations syndicales confirment alors quelles veulent mener avec lAnact une action en profondeur autour du changement. Choix est fait dun travail de longue haleine, dont les rsultats ne sont pas immdiatement visibles. Chacun a conscience que cette dmarche implique aussi un investissement important en temps, en nergie et de la constance.

LUDOVIC BUGAND, dpartement Sant et travail de lAnact

Le travail bien fait , cest quoi ?reconnue, valorise, donc est faiblement soutenue et accompagne par lorganisation. Une question se pose dsormais : comment remettre le travail bien fait au cur du modle de performance des centres? Orange a regard cette question sous langle de sa stratgie future. Aujourdhui, en effet, 80 % de la population est quipe de mobiles. La question de demain nest plus seulement celle de la vente mais de la fidlisation. Or, la fidlisation passe par la qualit du service rendu. Le zoom sur le travail bien fait prend alors tout son sens : il constitue un point dentre pour dbattre des conditions de travail et de la performance de lentreprise. Il est source de valeur pour le futur de lentreprise. Et il permet denvisager de nouvelles modalits de fonctionnement, favorables au dveloppement des comptences et au bien-tre des salaris.

Pourquoi avoir ax lintervention sur la direction mtiers de la relation client ?Cette direction tait prte sinvestir, sur le long terme, en se dcalant de lurgence. Les enjeux taient de taille : il sagissait de comprendre les effets de

Les analyses de terrain ont rapidement montr que les conseillers taient pris en tenaille dans leur travail. Dun ct, le client entrane le conseiller dans une relation personnalise pour obtenir une rponse sa demande, toujours singulire. De lautre, lorganisation embarque le conseiller dans une production de masse, qui masque la particularit de chacun des changes avec le client, au profit dun flux dappels. Cette double exigence celle du client et celle de lorganisation souligne toute la complexit du travail du conseiller : vendre, rpondre vite tout en conseillant bien. Cest au cur de cette tension que se joue le travail bien fait et que se nichent les comptences individuelles et collectives des conseillers. Nous avons pu en discuter avec les salaris, les managers et la direction. Il en ressort clairement que cette complexit nest pas

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erreurs, du stress, des difficults Ils ne se connaissaient pas et ne reconnaissaient pas le travail des uns et des autres.

Cest--dire ?Les tlconseillers, par exemple, ne comprenaient plus ce que faisaient les cadres, tirs par des missions les loignant du terrain. Un gestionnaire des flux dappels est venu parler de son travail, des difficults quil rencontrait, de la pression quil subissait lui aussi Chacun a pu reconnatre la ralit du travail de lautre et les contraintes dans lesquelles il devait se dbattre. Les jugements ont volu. Nous avons aussi propos chaque membre des comits de suivi de rencontrer son N+1 pour mieux connatre son travail. Opration trs constructive : chaque fois que le travail rel a t mis en exergue, cela a fait mouche!

confiance trs forte sinstalle entre les uns et les autres. Elle ne sest jamais dmentie ni au comit de pilotage, ni aux comits de suivi, ni dans les groupes de travail sur les sites.

DITORIALJean-Baptiste Obniche, directeur gnral de lAnact

Quelles difficults avez-vous rencontres ?Sans doute navons-nous pas assez associ le CNSHSCT aux diffrentes tapes de la dmarche, ce qui a pu produire un dcalage avec le comit de pilotage, pourtant paritaire.

Navez-vous pas eu peur de servir redorer le blason de France Tlcom et de vous faire instrumentaliser ?Le problme est dtre instrumentalis ses dpends Cela na pas t le cas : notre dontologie tait connue de tous les acteurs et a t respecte. Nos remarques et analyses ont toujours t tayes de faits avrs sappuyant sur le travail quotidien, arguments par les acteurs eux-mmes Si cette transformation du regard port sur le travail a t juge bnfique et utile par la direction et les organisations syndicales, il leur appartient dsormais de rflchir son dploiement. Notre intervention ne rgle rien ; elle met en mouvement. La gnralisation de ce mouvement appartient maintenant lentreprise.Propos recueillis par Batrice Sarazin (rdactrice en chef)

En comparaison avec lintervention mdiatise de Technologia, comment situez-vous celle de lAnact ?Technologia a pos un diagnostic. Il a diffus un questionnaire envoy lensemble des salaris et identifi les mtiers les plus exposs au stress. Il a ensuite fait des prconisations : cest le rle attendu dun expert. De son ct, lAnact a men une dmarche concerte daccompagnement qui a mobilis la direction et les organisations syndicales. Cela permet aux acteurs de faire leur propre diagnostic de la situation et denvisager ensemble les moyens de la transformer. Au pralable, il faut quune

omment parler du travail, de ses difficults, de la satisfaction quil apporte, de la performance quil produit? Voil ce que veut vous raconter ce numro de Travail et changement, journal du rseau de lAgence nationale pour lamlioration des conditions de travail (Anact). Dans le cadre de sa mission de service public, lAnact est intervenue France Tlcom-Orange, avec le rseau paritaire des Aract*. Chez France Tlcom, comme dans les entreprises que notre rseau accompagne depuis prs de quarante ans, la dmarche a eu pour objectif de comprendre le travail, de connatre

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Des investigations ralises avec la direction et les syndicats. ce qui sy passe rellement pour agir ensuite, en amont, sur lorganisation et rduire les dysfonctionnements sociaux et conomiques quelle engendre. Ces investigations se sont ralises avec la direction et les syndicats, en permettant que sexpriment les points de vue du terrain, des salaris et de lencadrement. Ce cheminement est aujourdhui racont par chacun des acteurs de cette intervention commence en 2009. Nous tenons en remercier la direction de France Tlcom-Orange, ainsi que les syndicalistes, salaris non-cadres ou cadres, mdecins et prventeurs, qui nous ont accompagns durant lintervention, bien sr, mais aussi lors de la ralisation de ce numro exceptionnel.* Associations rgionales pour lamlioration des conditions de travail.

* Agence nationale pour lamlioration des conditions de travail.

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ARGUMENTS

Rorganisation du travail rtablissement de la communication?Dans les diffrentes instances de la direction de France Tlcom - Orange, chacun saccorde le dire : la volont de changement est affiche pour mettre en uvre une nouvelle organisation au pouvoir de dcision dcentralis. Pour que lensemble des collaborateurs de loprateur en sentent les bnfices, temps et communication sur les nouvelles pratiques de travail sont les matres mots de cette rorganisation.

Le point de vue de la direction Propos recueillis par Batrice Sarazin et Muriel Jaoen (journaliste)DELPHINE ERNOTTE, directrice excutive Orange Francerorganisation. Une tude dans une unit oprationnelle montre que 70 % des dysfonctionnements peuvent tre rsolus de cette manire, en repensant lorganisation collective du travail. On ne peut pas passer ct de ce levier. prendre tous les niveaux : de lindividu, du collectif et de lquipe, des units, des diffrentsmtiers. Tout le monde doit entrer dans la boucle, en premier lieu les managers intermdiaires, acteurs cls du changement, qui nont plus seulement une fonction RH mais aussi deviennent responsables de leur propre organisation. Je suis convaincue, comme Stphane Richard lest, que cela gnrera du bien-tre au travail, mais aussi une qualit de service qui permettra de fidliser la clientle et dtre plus performants conomiquement.

V

Vous tes charge du nouveau contrat social et de la nouvelle organisation : quelles en sont les grandes lignes ?Le contrat social est un engagement pris auprs des salaris sur toutes les ngociations menes depuis 2009. Il pose les bases des nouvelles relations entre lentreprise et les hommes et les femmes de France TlcomOrange partir desquelles, par exemple, nous avons dcid larrt des mobilits forces ou de la fermeture de petits sites. Nous y avons surtout intgr un accord sur lorganisation du travail. Il doit permettre aux quipes de terrain de retrouver un pouvoir dcisionnel pour mieux faire le travail et servir les clients. Il est flagrant de constater que lorsque les salaris parlent de leurs difficults, ils voquent spontanment la manire de faire leur travail.

Peut-on dire que cette nouvelle faon de travailler collectivement est un changement stratgique ?Cest un tournant stratgique et un pari sur lavenir. La dimension collective est majeure. Ces dcisions dorganisation doivent se

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Que retenez-vous de lintervention de lAnact autour du travail bien fait ?Trois points. La mthode tout dabord : elle a permis dimpliquer les salaris, leurs reprsentants et la direction en crant une dynamique collective, dans la confiance et le respect des uns et des autres. La dure de lintervention ensuite : elle a laiss chacun sapproprier le questionnement et le rapprocher des attentes des salaris, en sextrayant du contexte pour se recentrer sur le travail. La restitution et la mise en uvre de recommandations labores par la direction mtiers enfin, phase dans laquelle nous sommes actuellement impliqus.

LAURENT ZYLBERBERG, directeur des relations sociales groupe, prsident du CNSHSCT (Comit national sant, hygine, scurit et conditions de travail)

Comment concrtement allez-vous appliquer ce nouveau contrat ?Les salaris doivent se rapproprier leur travail, avec plus de marges de manuvre pour le raliser. Par exemple, dans les units dintervention o lon trouve les techniciens, beaucoup ont rflchi, avec leur responsable et leurs collgues, leurs besoins pour raliser un travail bien fait. Idem dans les centres dappel. Chacun doit avoir une autonomie de dcision dans lorganisation de son travail quotidien.

La volont de dbattre du travail semble forte : souhaitez-vous gnraliser cela au reste de lentreprise?De nombreuses actions ont t lances paralllement lintervention de lAnact. Le dernier accord dentreprise de novembre 2010 porte sur lorganisation : il y est prvu des dbats collectifs sur le travail ; des initiatives se prennent dj sur le terrain. Nous vivons un changement important, qui nous fait passer dune forte centralisation des dcisions une dconcentration donnant des marges de manuvre aux entits locales. Cela va mener la cration de dbats sur la richesse des mtiers Mais le processus ne va pas sinverser du jour au lendemain.

Comment allez-vous procder ?Il nous reste encore des freins lever, du scepticisme combattre LAnact peut encore jouer un rle daccompagnateur et de facilitateur lors de cette prochaine tape. La premire proposition du CNSHSCT : est d organiser le suivi des prconisations de la direction mtiers au sein de la commission Stress, avec les personnes impliques. Nous noublions pas tous ceux qui ont contribu ce travail et allons continuer davancer avec eux.

Sur le terrain, les salaris semblent impatients : quelles sont vos chances?Le travail autour de la nouvelle organisation a commenc ds mars 2010, mais pas partout. Rorganiser une entreprise telle que la ntre ne se fait pas en un tour de main. Et il faut embarquer tout le monde en faisant du cas par cas, dans chaque unit. Mais nous avons la volont de mener cette

O le dialogue social en est-il ?Plusieurs accords ont t conclus, chaque syndicat en a sign au moins un. Ils constituent le nouveau contrat social envoy tous les salaris. Le dialogue social progresse petit petit, mais il ne faut pas oublier quil est rcent : le comit dentreprise ne date

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FABRICE ANDR, directeur mtiers de la relation client de France Tlcom

tous les outils susceptibles de les aider. Mais cest aux salaris de choisir ceux dont ils estiment avoir besoin.

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Concrtement, comment cela va-t-il se traduire pour les salaris ?Nous avons construit un plan de travail que nous commenons mettre en uvre. Un exemple : en accord avec les syndicats, nous tudions un nouveau systme de bonus qui pourrait tre oprationnel dbut 2012. Autre changement : les scripts sont devenus davantage des rappels dtapes et ne sont plus les trames serres dentretien quil fallait suivre la lettre. Il est beaucoup plus pertinent que chaque conseiller clientle utilise ses mots pour sentretenir avec

ses clients. Nous avons galement travaill sur une refonte des environnements de travail plateaux, bureaux, chaises, salles de pause en associant les salaris aux choix damnagement.

Quels grands enseignements tirez-vous du travail ralis dans les centres de relation clientle ?Ils sont de deux ordres. Tout dabord, la relation avec les partenaires sociaux est devenue trs diffrente de ce quelle tait et, dans le futur, devrait permettre des travaux constructifs avec les IRP*. En nous focalisant sur le sujet du travail bien fait, nous avons appris instaurer et entretenir un climat de confiance et de concertation. Lintervention de lAnact a aid mettre en lumire des points dintrt commun, identifier ensemble des poches de dysfonctionnement, puis envisager des pistes daction. Ensuite toujours grce ce nouvel esprit de dialogue , nous avons pris conscience de la ncessit de faire voluer nos modles de travail.

Avez-vous arrt un calendrier ?Il sagit dune rorganisation en profondeur du travail de conseiller clientle, qui concerne au total onze mille personnes. Les effets devraient tre progressivement visibles et staler sur une dure totale de trois ans environ.* Au sein de lentreprise, les Institutions reprsentatives du personnel (IRP) sont notamment le Comit dentreprise (CE), le Comit dhygine, de scurit et des conditions de travail (CHSCT), les dlgus syndicaux

Dans quel sens ?Dans les grandes lignes, il sagit de donner plus dautonomie au conseiller en le laissant grer son travail, sa faon et de A Z, pour traiter les questions de chacun de ses clients. En gros, nous allons passer dun modle tayloriste, o les tches senchanent selon un processus prtabli, un environnement o chaque conseiller a les leviers en main et prend lui-mme les dcisions. Cela implique des transformations importantes, notamment en termes de management. Les managers ne doivent plus sinscrire dans une logique de pilotage, mais dans une posture daccompagnement, de soutien et de formation des salaris. Ils sont dsormais l pour donner aux conseillers client

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En quoi peut-on considrer que lintervention ralise avec lAnact vous permet dinnover ? lorigine, notre ide tait plutt de programmer une intervention autour du poste de conseiller clientle et de linterface homme-machine. Nos interlocuteurs lAnact ntaient pas convaincus de lintrt dune telle action. Puis le contexte social extrmement dramatique nous a obligs envisager un champ dintervention sensiblement largi, dont on peut dire aujourdhui quil relve vritablement de la mdiation sociale, dans la mesure o notamment il intgreensemble des parties prenantes : conseillers clientle, reprsentants des salaris, syndicats, acteurs de la sant au travail, managers, ressources humaines, experts

PHILIPPE PCHARD, DRH mtier oprationnel

sont dans un raisonnement trop subtil et vous forcment dans la vrit, ou encore, les raccourcis utiliss sous prtexte de manque de temps. Enfin, elles ont amen construire un vrai modle de concertation et dintelligence collective.

Quelles sont les rpercussions concrtes de cette rflexion sur le travail des conseillers client ?Jai invit lensemble des partenaires sociaux formuler des propositions, et me suis engag toutes les tudier pour dfinir un programme de mesures 2011-2012. Ce programme nest pas ferm. Il reste ouvert la discussion et toutes nouvelles propositions. Notre ide est de crer une dynamique. Mais nous avons dores et dj arrt un certain nombre de mesures qui, elles aussi, traduisent une nouvelle manire de faire. Nous avons mis en place des boucles damlioration , dispositifs de consultation qui impliquent les publics concerns au premier chef par lorganisation du travail. Ce sont eux qui identifient les problmes et imaginent les solutions apporter. Nous avons galement refondu nos critres de fixation des objectifs, en optant, l aussi, pour des processus plus ouverts et plus inclusifs, et en intgrant des indicateurs exclusivement qualitatifs. Autre axe de rflexion : la conduite du changement en termes de ressources humaines. Il sagit, par exemple, de mieux tenir compte du parcours et de lhistoire de nos collaborateurs au sein de lentreprise. Nous rflchissons galement des politiques de rmunration variables, aux parcours professionnels, la formation

Comment tous ces acteurs ont-ils travaill ensemble ? lissue dun travail dobservation et dchanges au niveau des units oprationnelles, quatre sances de deux jours ont t programmes autour de problmatiques spcifiques : performance, mode de production, ressources humaines, dfinition du travail bien fait Puis une dernire runion a t consacre la notion de travail bien fait comme dnominateur commun dclinable dans lensemble des dimensions tudies. Toutes ces sances se sont avres trs constructives. Elles ont permis tous, moi le premier, de lever certains freins comme ceux associs la fonction que vous reprsentez (ct entreprise ou ct syndicat). Elles ont forc laisser de ct certains rflexes comme la prudence ou lide que vos interlocuteurs

que de 2004. Cest un dialogue exigeant, parfois frustrant, mais vivant.

La crise est-elle passe ?Non, rien nest fini. Mais les salaris ont envie de passer autre chose : nous avons instaur un baromtre social montrant un sentiment damlioration des diffrents critres dapprciation (management, qualit de vie au travail, organisation, conditions de travail, rmunration) et la perception de changements dans lentreprise. En revanche, les salaris disent ne pas en avoir senti encore les effets. La confiance se rtablit peu peu, mais du temps est ncessaire. Le changement est amorc, il faut dsormais quil se concrtise pour tous.

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ARGUMENTS

Du scepticisme lespoir, les syndicats donnent la tonalitSuivant pas pas la dmarche engage avec lAnact et parties prenantes du comit de pilotage, les organisations syndicales expriment lunisson satisfaction et mfiance. Des avances sont bien constates, mais leur application sur le terrain tarde, insinuant parfois le doute sur la volont daction de la direction.

Le point de vue des organisations syndicales Propos recueillis par Sylvie Setier (responsable des ditions de lAnact)SANA ARBAOUI, reprsentante de FO, centre de Villeneuve-dAscqpas notre demande pour trouver un meilleur quilibre vie prive-vie professionnelle. Nous ne nous sentons pas couts et ne percevons pas une grande volont de changement. Bref, le ressenti est que rien na chang.

Comment expliquez-vous cette avance ?LAnact emporte ladhsion : cest un acteur public dont on peut difficilement remettre en cause le statut et la dontologie. Son objectif est dabord de remettre les acteurs autour de la table, en invitant chacun prendre ses responsabilits, sans se substituer aucun dentre eux.

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Quel regard portez-vous sur lintervention initie par lAnact ?Sa qualit dorganisme extrieur a t dterminante. LAnact a confirm, et surtout lgitim, ce que nous disions depuis des annes. Ctait un il neuf, un regard critique, qui trouvait un cho auprs de la direction. Pour ma part, je nai pas appris grand-chose sur les conditions de travail, lvolution professionnelle, les horaires ou encore lquilibre vie prive-vie professionnelle. Cest plutt normal : cela signifie que, en tant qulus, nous navons pas rat le coche.

Quen est-il des propositions faites lissue de lintervention ?Les conclusions des comits de suivi ne sont, pour linstant, pas appliques. Nous savons que la concurrence est rude. Mais justement, lorsque les salaris travaillent dans de bonnes conditions, avec de la reconnaissance, les rsultats et la qualit de service nen sont que meilleurs. Il faut avoir envie de changer, de prendre des risques. Pour linstant, lespoir est toujours l, mais je reste sur ma faim.

Comment cela se traduit-il dans vos travaux ?Avant toute chose, nous devions nous mettre daccord sur le sens des mots. Chacun a sa propre reprsentation des choses, surtout lorsquil sagit de sujets mergents ou/et sensibles. Par exemple, les risques psychosociaux et la prvention des risques : cest la premire fois que nous partagions des dfinitions. Un pas en avant pour dpasser les dbats smantiques et aborder les questions concrtes.

Que pensez-vous de la mthode ?Mettre les syndicats, la direction et lAnact autour de la table a permis un travail formidable, trs constructif, nourri de respect mutuel. Ctait enrichissant dchanger, mme si chacun porte un point de vue spcifique. Lanimation du groupe, les synthses, la capacit comprendre les attentes des salaris : sur tous ces points-l, je suis satisfaite. Mais la mthode nest pas tout.

DENIS ALLIX, reprsentant de SUD

Sur quoi vos attentes portent-elles ?Au niveau national, jaimerais que lon prenne bras-le-corps les questions de carrire, de formation et de reconnaissance. Les conseillers client, par exemple, nont aucune possibilit dvoluer vers un poste de cadre. Il nexiste pas de parcours flch, mme latteinte des objectifs nest pas un critre pour accder une autre qualification.

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Dans quel contexte lintervention de lAnact prend-elle place ?

Celle du travail, par exemple ?Oui, cest la porte dentre propose. Parler du travail, de son organisation, du quotidien sur les plateaux La partie nest pas gagne. Les rticences taient encore nombreuses des deux cts, direction et syndicats ntant pas daccord. Cependant, la gravit de la situation a responsabilis tous les participants.

Dans un contexte de tension invivable sur les plateaux. Il y a urgence tant la souffrance de nos collgues est grande. Au moment des premiers contacts, la crise tait dj trs mdiatise.

Avez-vous immdiatement accept de travailler avec la direction et les autres syndicats ?La dfiance est grande envers France Tlcom Il a fallu rassurer, convaincre que lon a quelque chose gagner travailler avec la direction, et le principe propos par lAnact dun travail en commun ntait pas facile vendre. Mais il est encore plus inacceptable de ne rien faire face la dtresse des salaris. Cest la premire fois que la direction a accept de travailler avec un expert externe et les syndicats. a a pris un peu de temps, mais personne ne sest mis en retrait.

Le discours Actes sassouplit dans lesLors de la runion du CNSHSCT du 31 mars, la direction a officiellement annonc larrt du discours Actes , tel quil avait t cr en 2006. Cette procdure, appele aussi client attitude , prconisait de nombreuses tapes suivre dans le discours face aux clients. Les syndicats en dnonaient le ct

Constatez-vous des changements au quotidien ?Dans notre centre, les chaises, les bureaux, les couleurs des tapis tout a chang. Cest trs bien. Mais les objectifs sont toujours les mmes. Quant aux horaires, nous navons pas russi trouver un compromis, les propositions de la direction ne rpondant

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TRAVAIL ET CHANGEMENT HORS SRIE juin 2011

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Quel regard portez-vous sur lintervention de lAnact ?Je connaissais lAnact et tais trs favorable sa dontologie, qui associe tous les acteurs du CHSCT au sein dune mme dmarche. Nous avons d convaincre la direction de son intrt travailler dans cet esprit. Elle a accept. tre considr de la sorte, cest une rvolution chez France Tlcom.

GUY FAGES, reprsentant de la CFDTmthodologie bien huile, le volontarisme et la comprhension mutuelle ont permis que toutes les parties en sortent dans une logique gagnant-gagnant .

Et le dploiement sur les sites ?Pour que les CHSCT locaux semparent de cette dmarche, le rle et le volontarisme des relais seront essentiels, tant du ct direction que syndical. Lappropriation de ce travail doit venir dune impulsion collective, mais les directions et les prventeurs ne sont pas assez forms cela. Un accompagnement extrieur sera sans doute ncessaire.

Pointez-vous des difficults ?Jai parfois eu le sentiment quil y avait de la dperdition dinformations entre les diffrents comits. Je pense aussi que lAnact nest pas alle assez loin dans lanalyse des mthodes de management. Mme avec une organisation du travail donnant plus dautonomie aux salaris, rien ne sera possible si la direction continue dexiger des managers un pilotage tatillon et permanent des salaris. Il faut donc revoir les objectifs imposs aux managers.

Une rvolution : un mot lourd de sensNous partions de loin. Pour moi, travailler dans cette configuration paritaire en abordant lorganisation du travail, cest une rvolution. Jusqualors, on parlait couleur de la tapisserie et choix des bureaux. Nous avons enfin abord les conditions de travail. Cette thmatique est trs sensible, porteuse de trs fortes attentes de changement.

sommes encore dans une phase de transition. Cela ne rpondra pas toutes les attentes individuelles

Pourtant, des marges de manuvre existent ?Pas sur tous les plans. Ainsi, les salaris nont pas de perspectives dvolution de carrire et de rmunration. Cest un facteur de stress indniable. Un conseiller client en catgorie C chez Orange, par exemple, gagne environ 22 000 annuels 30 ans. Il en touchera 30 000 60 ans. Un actionnaire de OF SA multipliera prs de quatre fois son capital en quatre fois moins de temps Nous nous heurtons une quation simple : de moins en moins de salaris pour travailler, de plus en plus dexigences et pas de reconnaissance proportionnelle la valeur ajoute produite par chacun.

Comment ce travail a-t-il t possible?Dabord, grce au respect extraordinaire qui sest construit pendant lintervention. Ensuite, grce la parole accorde des acteurs jamais couts : des syndicalistes, des salaris, qui donnent souvent les solutions pour amliorer leur travail. Srs de dtenir la vrit, les dirigeants ont d les couter, accorder du crdit leurs propositions, sans les rejeter demble. Enfin, grce une

Comment envisagez-vous la suite ?Le 31 mars dernier, la direction a annonc que le suivi des propositions de la direction mtiers se ferait au sein de la commission Stress, manation du CNSHSCT dans laquelle la direction est partie prenante. Nous pourrons galement faire des propositions, enrichir ou inflchir les rsultats selon les avances. Les amliorations ne sarrteront jamais.

Cinq mois aprs lintervention, que sest-il pass ?Au dernier CNSHSCT [le 31 mars] , la commission Stress a t mandate pour instruire les propositions issues de lintervention. Cest un premier pas, mais il reste beaucoup faire. La direction a aussi annonc labandon du discours Actes (voir encadr) , dcision sans doute lie aux rflexions de ces derniers mois. Elle rvle que lon a pris la pleine mesure des dgts provoqus par ce type de management, robotis et infantilisant. On peut esprer quun nouveau regard sur le travail et les faons de le raliser vont donner naissance un meilleur cadre de travail.

BERNARD CHATARD, reprsentant de la CFE-CGC/UNSA

Le levier conomique est-il intouchable ?France Tlcom est la premire valeur de rendement du CAC 40. Pour en arriver l, les cots ont t rduits de faon drastique, avec une masse salariale prise comme valeur dajustement des rsultats. En mme temps, on concentrait les sites, on renforait les process de contrle de lactivit, on multipliait les objectifs de vente et de qualit, le tout ponctu de dysfonctionnements incessants des systmes dinformation. Tous les ingrdients de la crise taient runis.

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Quel regard portez-vous sur lintervention de lAnact ?LAnact a apport sa pierre ldifice, comme Technologia un autre niveau et lobservatoire du stress avec des universitaires. Ces accompagnements ont contribu faire voluer les mentalits, notamment grce lexpression des salaris. Avec lAnact, nous avons appris en marchant par lcoute, le dialogue et sans recettes prtes lemploi. partir de ces rflexions, nous avons pu alimenter les ngociations en cours.

Sur quoi peut-on agir alors ?Beaucoup de choses ont avanc en prs dun an et demi de ngociations sur les conditions ou lorganisation du travail. Mais je constate que les discussions lies la productivit (pauses, horaires, congs) ont, quant elles, chou. Il reste aussi dbattre de la pnibilit, des parcours professionnels, de la qualit de vie au travail et de la rpartition des richesses.

centres dappelinfantilisant, peu respectueux de la personnalit de chacun. Aprs dj des assouplissements en 2009, la client attitude volue vers des rponses cinq attentes essentielles du client : on maccueille, on me comprend, on me rpond, tout est clair, on prend congs courtoisement Formations courant 2011.

Quels en sont les principaux apports ?Cela a confirm quil fallait modifier les relations sociales et humaines, renouer le dialogue social, ngocier les objectifs, lorganisation, les conditions de vie et de travail. Ce qui passe par labandon du management top-down . Mais nous

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ARGUMENTS

L

Lintervention de lAnact vous parat-elle diffrente des autres ?Je dirais quelle est complmentaire dinterventions telles que celle de Technologia. Elle confirme ses rsultats. Ces interventions et la mdiatisation des suicides ont permis de mettre sur la table ce que la CGT na cess de dnoncer depuis trs longtemps : la souffrance au travail. France Tlcom tait dans le dni et refusait lide que lorganisation du travail puisse engendrer de la souffrance.

RACHID KESSI, reprsentant de la CGT

travaux : rythmes de travail, arrt des doubles coutes, allgement de la charge de travail ny ont pas t voqus, pas plus que le systme informatique dont les dysfonctionnements ont t relevs.

Que pensez-vous de la mthode propose ?Ce qui importe, cest le rsultat. On connat lAnact et son rseau pour son srieux, la qualit de son expertise et de ses intervenants. Cest un outil et un partenaire essentiel. Mais aujourdhui, seule la suite nous intresse. Le temps des diagnostics, des observatoires, des cellules dcoute et des numros verts est rvolu. Il faut passer la vitesse suprieure et sattaquer lorganisation du travail.

tes-vous satisfait des propositions prsentes lissue de cette intervention ?La question primordiale de lemploi ny est pas souligne. Ces propositions ne changeront pas le quotidien des salaris, qui doivent faire face, chaque jour, des contre-la-montre quun imprvu peut transformer en catastrophe. La pression est toujours l Au centre de VilleneuvedAscq, une grve est reconduite depuis plus de deux ans, aucune solution satisfaisante ntant trouve pour les horaires de travail, faute dembauche.

dactions curatives et individuelles au lieu dagir au niveau collectif. Il sagit de redonner du sens, sortir du taylorisme et de lidologie de lvaluation quantitative individuelle. Refondre lorganisation est donc une priorit, tout comme mettre laccent sur la qualit plutt que sur la quantit, proposer une vraie politique de dveloppement des comptences et de parcours professionnels. Ltre humain doit tre remis au centre du travail.

tes-vous optimiste ?Plutt circonspect. La commission Stress va semparer des propositions damlioration pour un travail bien fait . Il est encore tt pour se prononcer. Une chose est sre : le CHSCT doit tre une instance respecte et coute ; une force de proposition et un acteur essentiel de la politique de prvention.

Lorganisation du travail ntait-elle pas au cur de cette intervention ?Les sminaires ont abord les horaires, les indicateurs, les scripts. Mais la restitution finale ne reflte pas la richesse de ces

Quattendez-vous pour la suite ?Lurgence est toujours l, la souffrance des salaris aussi, et France Tlcom se contente naires, comme les horaires ou lvolution professionnelle, ont t carts, alors quils sont trs sensibles sur le terrain. Nous avons beaucoup insist sur la ncessit de travailler sur la reconnaissance, sur les parcours et la fixation des objectifs.

GUILLAUME DIAKIT, reprsentant de la CFTC

ginale pour nous, mais le fait que lAnact soit une agence nationale, un acteur extrieur reconnu, tant par la direction que par les organisations syndicales, a t dterminant.

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Quel regard portez-vous sur lintervention de lAnact ?France Tlcom traverse une crise grave. Les situations dchanges entre organisations syndicales et direction existent : nous avons beaucoup dinstances pour cela, mais avons connu des priodes de grande tension, voire de blocages. LAnact a t un facilitateur de discussion. Nous avons pris le temps de dbattre, hors des rounds de ngociations habituels. Nous avons abord dune manire diffrente les fondamentaux du mtier, le travail en soi. Nous avons pu changer sur lvolution professionnelle, les parcours, les processus dvaluation

Comment cette intervention sarticule-t-elle avec les accords dj signs en 2010 sur lorganisation du travail ?Laccord sur lorganisation du travail est trs gnrique et na pas encore produit ses effets dans lentreprise. Lintervention mene par lAnact tait centre sur la direction repre par Technologia comme celle abritant les mtiers les plus sous pression (ceux de la relation clientle). Ce primtre daction a permis de travailler sur le mtier, lactivit. Les salaris ou les reprsentants sollicits se sont retrouvs, couts, ont chang et, ensemble, ont produit de lintelligence.

tes-vous optimiste sur la mise en uvre ?Cela reprsentera loccasion de mesurer la relle volont de changement de la direction. Pour linstant, nous sommes au milieu du gu. Jai encore des doutes, mais aussi de lespoir. Comme lensemble des salaris, jattends des mesures concrtes.

Vous semblez prudentBien des situations restent problmatiques. Pour ne citer queux, trois centres dappel ont trs rcemment connu des dbrayages lis aux conditions de travail. Le mouvement est amorc, mais changer une culture dentreprise et des pratiques managriales dans une entreprise de plus de cent mille salaris ncessite du temps. Il nempche quil faut donner des signes concrets aux salaris. Le plus rapidement possible.

Comment cela a-t-il t possible ? la CFTC, nous avons une culture de ngociation, de mdiation et de dialogue La mthode dintervention ntait donc pas ori-

Que pensez-vous des propositions faites en sortie dintervention ?Jai parfois eu le sentiment que certains sujets, largement abords dans les smi-

TRAVAIL ET CHANGEMENT N330 mars/avril 2010 TRAVAIL ET CHANGEMENT HORS SRIE juin 2011 HORS-SRIE juin 2011

Reconnecter lindividu et le collectifPour ces deux intervenants chez France Tlcom - Orange, le constat est le mme : le travail collectif doit tre remis au centre de lorganisation. En redonnant chacun une certaine autonomie tout en se dgageant dobjectifs individuels, les nouvelles organisations peuvent permettre de retrouver confiance en soi, en les autres et en son travail.

Les invits du rseau Anact Propos recueillis par Muriel JaoenPHILIPPE ZARIFIAN, professeur de sociologie luniversit ParisEst Marne-la-Valle, spcialiste des organisations du travailt revalorise : lorsquun technicien rencontre des difficults en intervention, il peut appeler un collgue. lhabitude de raliser des missions de bout en bout, en autonomie, loin du travail segment des centres dappel.

V

Vous avez rcemment men des recherches au sein des units dintervention (les techniciens) de France Tlcom. Quels changements constatez-vous aujourdhui en termes dorganisation du travail ?Lvolution est incontestable Depuis un an, on est revenu sur la prescription bte et mchante , qui consistait pour les salaris appliquer strictement la procdure. On a redonn de linitiative aux techniciens. Lorsquil est chez le client, le salari a dsormais une autonomie de jugement. Il prend le temps de faire son propre diagnostic, dcide de la rponse apporter, et mne son intervention selon des critres qualitatifs : ainsi, ct valuation de la performance, le principal critre nest plus la dure dintervention, mais le taux de rintervention*. La pression productiviste est donc relativise, et le travail du technicien valoris, ce qui permet une meilleure prestation. Par ailleurs, cette valorisation se trouve renforce par la rintroduction dune dynamique collective, l o lindividualisme tait devenu la rgle.

Les salaris ont-ils t associs ces changements de lorganisation du travail ?Ils nont pas t associs aux dcisions, qui relvent de la direction. En revanche, ils ont t associs leur mise en uvre. Et pour cause : sans eux, ces nouvelles orientations nauraient pas pu prendre corps. Quand il est question dautonomie et de collectif, les salaris sont ncessairement les acteurs du changement. Cela dit, il est invitable de se heurter un certain scepticisme lorsquon change ce point lorganisation du travail

Quels sont les grands enseignements de cette intervention ?Elle a mis en exergue les contraintes de travail et ses tensions pour des travailleurs pris entre leur volont trs affirme de fournir un service de qualit et lobligation de rpondre des rgles de travail strictes (objectifs quantifis, scripts). Le travail en centre dappel ncessite une adaptation permanente, qui nest pas propre France Tlcom. Alors que lon considre souvent ces mtiers comme trs individuels, ltude montre que cest avant tout un travail collectif. Et chez France Tlcom, un sens profond de la solidarit existe sur les plateaux. Lentraide entre collgues est continue et spontane.

Pensez-vous que ces volutions puissent se dcliner lidentique sur les centres dappel ?Pour les conseillers client, la tche est sans doute plus difficile, car ils ne forment pas un corps social. On ne considre pas encore la relation client distance comme un mtier.* Un nombre dinterventions rduit signifie que la demande du client a t satisfaite avec rapidit et efficacit.

Comment qualifieriez-vous la relation des salaris lentreprise?Pour les plus anciens, lentreprise est devenue une socit anonyme , au sens propre. Cest dautant plus douloureux pour eux quelle a une longue histoire laquelle ils sont trs attachs. Beaucoup avaient limpression dtre devenus de simples numros, dans des restructurations vers le commercial dont ils ne voyaient pas la fin. Preuve de leur ressenti : la gestion des ressources humaines (GRH) se faisait distance par un centre dappel ! Cet loignement tait trs mal vcu.

Comment cette dimension collective se traduit-elle ?Les runions entre techniciens ont t rinstaures. Les salaris peuvent ainsi changer sur leurs pratiques, donner leur avis sur les modalits et les moyens dintervention, soumettre des ides la discussion Certaines units vont mme jusqu prvoirdes ateliers de rflexion sur les problmes rencontrs lors des interventions. Cette approche est, bien sr, essentielle en termes doptimisation des comptences, mais elle a aussi le grand mrite de redonner chaque technicien limpression dexister en tant que corps social, dappartenir un milieu social de mtier. Avec cette dimension collective, la solidarit dans les quipes a galement

LTITIA PIHEL, matre de confrences, Institut dconomie et de management de Nantes IAE/Laboratoire dconomie et de management Nantes-Atlantique (Lemna)

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Vous tes intervenue chez France Tlcom dans le cadre de ltude Sant, organisation et gestion des ressources humaines (Sorg). Quel tait votre champ dinvestigation ?Avec Ccile Clergeau et Bndicte GeffroyMaronnat, nous avons travaill sur un centre dappel. Les conseillers client taient des agents redploys qui avaient exerc des mtiers bien diffrents par le pass au sein de France Tlcom (marketing, RH, secrtariat, entretien des lignes). Ils avaient

Quen est-il du rle des managers de proximit ?Ce dlitement relationnel, cest au management de proximit de le grer. Et cest dur : les difficults de la fonction managriale sont mal comprises; les managers doivent jongler entre la proximit et le contrle Ce sont des funambules improviss. Ils manquent de moyens. Beaucoup finissent par basculer dun ct ou de lautre, donc par se couper de lune des deux dimensions structurantes de leur fonction.

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CT ENTREPRISE

Les conditions de travail au bout du fil de trois centres clientRorganiser le travail et amliorer ses conditions imposaient la relation client de France Tlcom Orange de mener une analyse de terrain. Trois centres client Orange ont donc t choisis pour leur reprsentativit. Les remontes des difficults rencontres par les collaborateurs de ces sites ont men aux prmices dune meilleure prise en compte de la ralit du travail effectu par chacun.

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> IVRY-SUR-SEINEActivit : centre client Orange Effectifs : 410 salaris Moyenne dge : 40 ans Statut : priv, majoritairement personnel Orange Rgion : le-de-France

> NICEActivit : centre client Orange Effectifs : 150 salaris Moyenne dge : 49 ans Statut : public, anciens salaris de France Tlcom Rgion : Provence - Alpes - Cte dAzur

> VILLENEUVE-DASCQActivit : centre client Orange Effectifs : 300 salaris Moyenne dge : 30 ans Statut : priv, nouveaux embauchs Orange Rgion : Nord - Pas-de-Calais

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e mmoire commune, la premire rencontre fut quelque peu tendue Une prise de contact un peu difficile, menant pourtant six sminaires de travail runissant les salaris et la direction de la relation client. Le but de ces changes ? Aboutir une dfinition du travail bien fait et identifier les

mme runion, relve Patricia Goriaux, directrice du centre client Orange de Rhne-Mditerrane. Nous avons appris dialoguer entre diffrents acteurs de lentreprise, avec un rel partage et dans le respect des points de vue de chacun. Au fur et mesure, nous nous sommes retrouvs avec plaisir, quelles que soient nos casquettes, autour dune thmatique commune : Patricia Goriaux, directrice du centre client Orange de Rhne-Mditerrane le travail. Dlgue syndicale Sud-PTT, Myriam Saqu, conseillre front-prvenance membre du comit de et secrtaire du CHSCT pilotage et active au sein des comits de suivi, Annie lments susceptibles de le mettre Mosnier constate de son ct que des en pril, avec pour perspective un discussions concrtes sur le travail futur plan daction. Entre le premier de tlconseiller ont t rendues sminaire et le dernier, nous navons possibles : Dun affrontement sur pas eu limpression de participer la

le terrain de lidologie, nous sommes arrivs un dbat reposant sur des arguments factuels. Cela a fait entendre la voix de personnes qui parlent du vrai travail ralis face au client, et a conduit constater la convergence de leurs analyses.

Diffrence des difficults selon les centresEn effet, ces sminaires du comit dit de suivi ont t nourris en amont par une dmarche mene auprs de trois centres dappel locaux, Nice donc, mais aussi Ivry-surSeine et Villeneuve-dAscq. Recueil de donnes, entretiens, observations et groupes de travail ont aid lidentification des situations qui

Trois questions DENIS BRARD, dpartement Changements technologiques et organisationnels de lAnactComment les trois centres ont-ils t choisis ?Ils ont tous trois fait lobjet de compromis reprsentatifs : par la prise en compte des populations diverses en ges et en statuts, de lquilibre gographique Nord - Sud - le-deFrance, ainsi que du dosage des reprsentations syndicales prsentes. Cest le comit de pilotage paritaire de lintervention qui a eu la charge de les choisir.

Combien dentretiens avez-vous mens ?Une vingtaine dans chaque centre, essentiellement avec des salaris aux fonctions diverses (mais la direction a videmment t entendue). Partant de leur situation personnelle, ils ont chacun exprim leur ressenti. Aussi, y avait-il une diffrence entre certains anciens de France Tlcom, au vcu marqu par les accidents de parcours, et les

salaris dOrange, qui vivent leur premire exprience professionnelle

Combien dobservations du travail ont t faites ?Une dizaine, choisies de manire alatoire, en allant dans les centres et dans les diffrents services. Au bout de dix, nous avions une bonne vision du travail des tlconseillers. Et, surtout, des situations problme les plus courantes

TRAVAIL ET CHANGEMENT HORS SRIE juin 2011

posent des problmes (les situations problme ), lesquelles ont ensuite concouru dgager des problmatiques densemble lies, par exemple, au management ou aux moyens et ressources mis la disposition du salari (voir interviews). Travailler quotidiennement face aux clients, ne pas se sentir quelquun dimportant dans le systme, venir travailler sans savoir ni pourquoi, ni si lon est un bon ou un mauvais salari, manquer dautonomie sur les dossiers dun centre lautre, ces mmes problmatiques se sont poses, mais dans des ordres dimportance diffrents , dtaille Christophe Visse, dlgu syndical CFDT, qui a la fois particip la dmarche aux niveaux local, Villeneuve-dAscq, et national, en tant que membre du comit de pilotage.

Trois questions Ce qui gnre des appels polluants pour le back office. Ou encore : Quand un client appelle un conseiller, puis un autre, et obtient deux rponses diffrentes son problme, cela montre un manque de clart des procdures, qui gnre la colre du client.

ANNE-MARIE GALLET, dpartement Sant et travail de lAnactQuest-ce quune situation problme ?Cest une situation concrte qui met un individu en difficult pour raliser son travail. Il faut la reprer, la prciser et la formaliser en rpondant la question : dans quelle(s) situation(s) de travail ressentez-vous des tensions, du mal-tre, une impression de dbordement ou dimpasse ?

Quels sont les exemples types de situations problme chez France Tlcom ?Nous en avons repr une quinzaine par centre et tabli la slection dune dizaine, reprsentatives de la direction mtiers. Par exemple,: Le front office manque de soutien et rpercute les appels quil ne peut pas traiter au back office.

Quelles sont les solutions les plus pertinentes ?Elles se trouvent souvent dans la formulation de la situation problme. Nous les avons catgorises, en dterminant ce qui relevait du local ou du national. Cela a ainsi renvoy des problmatiques telles que la professionnalisation, la gestion de linformation et des procdures, ou encore la qualit de la relation client

Mieux vivre les horaires dcalsCest Villeneuve-dAscq quest ressortie la question des horaires, particulirement prgnante dans ce centre dappel. Le sujet des horaires touche directement les salaris dans leur vie de tous les jours, et cristallise beaucoup de crispations, explique Cyrille Henniaux, responsable du site. Il nest pas toujours vident dassurer les 20 heures et les samedis. Un chantier a t ouvert mi-2010, qui vise mettre laccent sur lquilibre entre vie prive et vie professionnelle, en lien avec les engagements du nouveau contrat social de France Tlcom, et en concertation avec les organisations syndicales et le CHSCT , raconte Cyrille Henniaux. Par exemple, les nouvelles grilles horaires ne devraient plus imposer un salari qui a travaill jusqu 20 heures de reprendre le travail le lendemain matin ds 8 heures. La solution actuellement ltude entend donner aux salaris le choix des jours o ils ne veulent pas travailler, cela en contrepartie des contraintes du service qui nous amnent rpondre aux clients en horaires dcals , dclare Christophe Visse, qui souligne aussi que les difficults se ressentent dautant plus que lanciennet des conseillers avance . Et si certaines organisations syndicales ont souhait quitter le groupe de travail, le responsable du site de

Villeneuve-dAscq prcise Christophe Visse, dlgu syndical CFDT que cette mthodoloCyrille Henniaux, responsable du site gie, si elle permet de bien de Villeneuve-dAscq intgrer les contraintes personnelles tout en tenant compte ne se sente pas isol face au client . de celles du service, prend du temps, Nous sommes en train de nommer si bien que les attentes sont de plus un correspondant SI dans chaque dparen plus fortes . tement, indique Barbara Colin, directrice du centre client Orange dle-deFrance. De plus, un brief rgulier est Ne plus tre isol dsormais organis avec les responface au client sables dquipe, ce qui permet de faire remonter les dysfonctionnements. Un autre groupe de travail sest pen Paralllement cela, poursuit-elle, ch sur les parcours professionnels. nous travaillons ce que les salaris Dans ce cadre, Cyrille Henniaux montent en comptences. Notre indique que, Lille, par exemple, objectif est de mettre en place un plan certaines personnes prsentes individuel de dveloppement des depuis la cration du site, en 1998, comptences et damliorer les connaissent finalement assez peu modules de formation. Disposer dun les autres mtiers et activits de plan de formation solide et connatre France Tlcom. Lune des actions les rponses adquates apporter consiste dj leur faire percevoir au client favorisent la prvention du ces possibilits dvolution professtress. Fin juin, un questionnaire sionnelle, en organisant, par exemple, sera propos aux salaris pour mesudes journes dcouverte . rer leur bien-tre au travail et, pr Ivry-sur-Seine, la rflexion sur le cise Barbara Colin, pour sassurer travail bien fait a plus particulirement port sur le systme dinformation (SI). Il ny avait Khalid Boukacem, conseiller client et lu CHSCT pas dinterlocuteur identifipour assurer les remonBarbara Colin, directrice du centre client Orange dle-de-France tes des problmes vers le national et trouver des que les conditions de travail ont bien solutions aux dysfonctionnements, progress aprs la mise en place des explique Khalid Boukacem, conseiller diffrentes mesures mises en uvre client et lu CHSCT. Le travail avec dans le cadre du management en lAnact a men la mise en place dune mode lean un type de manageboucle damlioration et la ractivit ment cependant dnonc par certaines dans la rponse devient meilleure. organisations syndicales. Cest essentiel pour que le conseiller

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CT ENTREPRISE

Par ailleurs, dans le cadre du nouveau contrat social, le plateau dIvry-surSeine a aussi bnfici damnagements, comme des espaces privatifs pour dcompresser aprs un appel difficile, des espaces verts ou des salles ddies la convivialit.

continue-t-elle : le nombre de portables que je dois vendre. Cest l quon men demande le plus. Cest ma faon de faire, quitte perdre des bonus. Mais certains vivent trs mal cette pression. Expliquer pourquoi certains objectifs augmentent quand dautres baissent, cest le but de la Objectifs et double coute lettre mensuelle PVV (Part variable de vente), remise chaque conseiller rediscuts client. Un support de communication qui va tre enrichi : Nous allons Le centre dappel de Rhne-Mditermettre en place un comit de rdacrane, Nice, a, quant lui, rcemtion en y associant des responsables ment dmnag dans un btiment, dquipe et des conseillers clients, certes, plus fonctionnel et aux quaaffirme Patricia Goriaux. Lobjectif est lits acoustiques meilleures mais, daller au-del du simple tableau aux dires du personnel, moins convichiffr et de donner du sens la stravial. Ce centre traite en particulier tgie commerciale de lentreprise. des tous premiers clients, qui nont La double coute, quant elle, est souvent aucune option attache leur perue par beaucoup comme un outil forfait. Lun des challenges que lon de contrle Ainsi, une salarie* nous pose est de les faire monter en confie : Je suis entre en 2000 chez gamme , dclare Myriam Saqu, Orange. Jaime beaucoup le contact conseillre front-prvenance et secravec les clients, la qualit Perfectaire du CHSCT. Outre les dfaillances tionniste, je prends beaucoup de du systme informatique les temps pour chaque appel. Du coup, les responsables Annie Mosnier, dlgue syndicale SUD-PTT dquipe me poussent faire plus vite. [] On appels continuent darriver alors que nous demande de traiter sept appels nous navons pas les moyens tech lheure. Ce dbat est ouvert, niques de les traiter Cest une source prcise Patricia Goriaux : il faut dnormment de stress , deux redonner du sens, faire de la double sujets en particulier sont remonts : coute un outil de monte en comles objectifs et la double coute (coute ptences, non dvaluation. Le dbriedu salari par son manager). fing doit avant tout porter sur les titre personnel, je ne regarde quune points positifs. Une premire action seule chose sur la feuille dobjectifs va consister rcrire la charte de que je reois au dbut de chaque mois, la double coute, une autre accom-

pagner les responsables dquipe sur le sujet.

Renouer la confiance dans les quipesPour Myriam Saqu, les runions dquipes, dans lensemble, se droulent mieux : Tout le monde est lcoute de ce que lon a dire. Cela a libr la parole des agents. Mme ressenti du ct de Christophe Visse : Durant ces sminaires, nous avons partag entre managers et nonmanagers, et fait le constat commun de la ncessit de trouver des solutions. Il faut redonner confiance en eux aux managers qui, dans lhistoire, ont beaucoup t dsigns comme les boucs missaires , mais aussi retisser celle des salaris vis--vis deux. Nous avons parl formation, responsabilit, autonomie, et nous sommes aperus que, dans une trs grande entreprise, des pratiques diffrentes existent parfois. De faon gnrale, ce que nous souhaitons, cest davantage dautonomie et moins de standardisation, pour amliorer les conditions de travail. Pour sa part, Annie Mosnier veut esprer que les boucles damlioration, en partant du salari, permettent chacun de participer une rflexion collective lorsquun problme concret rencontr sur le terrain est relev. Un porteur, dsign au niveau local, sassurerait de la mise en uvre de la solution retenue, de son valuation et de son suivi. Comme beaucoup de personnes dont le tmoignage a t recueilli par lAnact, Annie Mosnier relve la dure quimpose un accompagnement du changement en profondeur, et regrette le dcalage qui peut exister entre le discours qualit tenu par la direction Paris et ce qui se vit sur le terrain ainsi que le manque de temps et de lieu pour dbattre, linstar de ce qui a t fait durant lintervention de lAnact. Caroline Delabroy (journaliste)

Trois questions afin de ragir rapidement tout changement. Cela peut tre, par exemple, les boucles damlioration proposes par la direction de la relation client. Le principe est de reconnatre le changement permanent de lorganisation et den anticiper les effets sur le travail des uns et des autres.

NADIA RAHOU, dpartement Changements technologiques et organisationnels de lAnactQuest-ce que le travail dans ces trois sites a apport lintervention ?Il a permis de monter les comits de suivi pour que salaris et directions changent sur des thmatiques et nourrissent la notion de travail bien fait. Sur la forme, trois sminaires de deux jours chacun ont trait du management du travail, des outils et moyens organisationnels, puis de la professionnalisation. Cest de ces comits quest ressortie la prconisation majeure du travail bien fait .

Quelles suites donner au comit du travail bien fait ?La phase de production de connaissance tant acheve, il serait souhaitable de mettre rapidement en place des espaces et cadres pour que chacun puisse se rapproprier le questionnement et la mthode. Cest tout lobjet des discussions actuelles

* Ce tmoignage tant issu des changes avec lAnact, lanonymat de son auteur est donc respect.

Quest-ce que cela a gnr au niveau du dialogue social ?Lune des recommandations tait la mise en place dun espace o rguler lorganisation

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TRAVAIL ET CHANGEMENT HORS SRIE juin 2011

Les points de vigilancePropos recueillis par Batrice Sarazin

Se centrer sur le collectif pour dpasser les raccourcis habituels. Linda Constans-Lesne, mdecin du travail

La qualit du dialogue grce au choix du thme retenu : le travail bien faitLa russite de cette dmarche est venue avant tout de la volont de chacun de dbattre du travail bien fait, en laissant tomber ses postures de fonction. Cela a t possible car cette thmatique renvoie autant des questions de performance pour lentreprise que de bien-tre pour les salaris. Elle est porteuse despoir et permet de dgager des convergences entre toutes les catgories dacteurs.

Le centrage de la dmarche sur le collectifEn vitant la personnalisation et lindividualisation, on permet de dpasser les raccourcis habituels, qui pointeraient de supposes faiblesses individuelles et amneraient des solutions simplistes. Mettre le travail et son organisation au cur de la dmarche : une faon efficace de porter les vraies questions et de dgager des solutions en profondeur.

Les situations problmes en point dorgueLa prvention primaire, qui permet de positionner les actions de prvention le plus en amont possible en sattelant identifier les risques dans le travail et son organisation, a prvalu. Elle sest appuye sur une dmarche trs concrte, une mthodologie pratique : celle des situations problmes.CONCLUSION

E Certains points mis en exergue lors de cette intervention sont galement valables pour dautres mtiers. Cela fait

parfois cho des problmatiques que je rencontre dans dautres services.

Une mthode dintervention solide, qui doit tre suivie deffets. Pierre Ottaviani, charg de la scurit et des conditions de travail

La force dune dmarche venant de lextrieurLapport de lintervention est notamment li au poids que reprsentent des arguments parfois connus, mais ports par une quipe qui nappartient pas lentreprise et dont la comptence et lindpendance sont reconnues par les diffrents interlocuteurs. Cest un lment fort de cette dmarche que davoir pu changer entre nous, soutenus par le regard dexperts du domaine des conditions de travail et de lorganisation.

Une mthode solide et peu utilise dans lentreprisePartir du travail rel, de lexpression du vcu de chaque catgorie de salaris pour aller au cur des problmatiques de lentreprise est un bon choix : la mthode a t trs structurante pour investiguer de faon approfondie des sujets comme les comptences, les parcours professionnels, la reconnaissance, les modes de management, la dfinition dobjectifs, puis de les reprendre globalement pour orienter les actions. Elle a cr du consensus en permettant dlaborer des actions partir dun diagnostic partag.

Un plan daction concrtiserDsormais, le principal enjeu pour que cette dmarche soit suivie deffets reste la diffusion et la mise en uvre des plans daction au niveau local. La direction mtiers sest engage, mais il convient daller plus loin, de passer une rappropriation par les CHSCT et les acteurs locaux.CONCLUSION

E Tout lenjeu est de propager la dynamique cre. Trois centres ont t investigus Il faudrait maintenant

capitaliser sur la mthode, les rsultats de lanalyse, le diagnostic, pour que les entits o lactivit est comparable sengagent dans ce type de dmarche.

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CT ENTREPRISE

Rgions : transmission daChez France Tlcom - Orange, les demandes daccompagnement pour amliorer les conditions de et dans les Carabes, des units territoriales ont fait appel aux Aract pour les aider progresser

> MARTINIQUE, GUADELOUPE, GUYANEActivit : agence vente service clients Effectifs : 320 salaris

C

est aprs la mise en place dun module de formation des managers aux risques psychosociaux, avec laccompagnement de lAract (Association rgionale pour lamlioration des conditions de travail) en Martinique, que lagence Vente service clients Carabes (AVSC) a resollicit celle-ci pour laider dans une dmarche plus gnrale de prvention. Notre agence est rpartie sur trois dpartements doutre-mer Martinique, Guadeloupe et Guyane , et nous ne pensions pas tre concerns par ces risques que nous avions du mal cerner , indique Rose-Aime

comit, nous avons travaill avec lui sur les indicateurs, ajoute Sonia Martial, charge du dveloppement lAract Martinique. Lobjectif tait didentifier les services les plus en souffrance .

Prs des trois quarts du personnel consultsParmi les indicateurs passs en revue figurent labsentisme, les comptes rendus des runions de CHSCT, des questions des dlgus du personnel, ou encore les activits de lassistance sociale et du mdecin du travail Les rsultats de cette premire tude ntaient pas trs caractristiques, estime Rose-Aime Bolor. Il en a t tout autrement de ceux obtenus la suite des entretiens mens avec des salaris volontaires : les remontes ont montr que de vrais problmes se posaient toutes les catgories de personnel. LAract a en effet rencontr prs de deux cents collaborateurs et managers de tous les services de lagence, en front office comme en back office, soit 73 % de ses effectifs. Une douzaine de sources de tensions potentielles ont t passes en revue, puis mieux cernes grce aux obser-

vations faites sur le terrain du travail au quotidien. Les difficults caractrises sont dordres multiples et se cumulent, relve Sonia Martial. Ltude a rvl un manque de soutien gnralis, quel que soit le niveau hirarchique. Le diagnostic a aussi montr limpact des dysfonctionnements des applications et du systme informatique sur les objectifs fixs et sur la qualit de services que les collaborateurs rendent aux clients. Derrire ces questions apparat celle de la perte de sens du travail. Le manque de perspective professionnelle est aussi considr comme un dfaut de reconnaissance : notre situation dinsulaires rduit nos possibilits dvolution Pour certains, voluer professionnellement signifie changer de mtier ou de territoire.

Rose-Aime Bolor, directricedes ressources humaines

Sonia Martial, chargedu dveloppement lAract Martinique

Place laction et la communicationLes rsultats ont t restitus lensemble du personnel par le comit de pilotage, qui sest appropri le diagnostic et a rdig une synthse. Un plan daction est en cours dlaboration, de faon collective, et doit bientt tre soumis pour validation la direction. La rflexion devrait permettre de revoir les moyens de reconnaissance, le mode de management, la question de la formation et de prciser le contenu et la nature de chaque fonction. Des efforts de communication sont aussi envisags, notre gros point noir , reconnat Rose-Aime Bolor.Caroline Delabroy

Bolor, directrice des ressources humaines. Cest pourquoi la premire phase de laccompagnement a consist former les membres du comit de pilotage* aux notions et connaissances sur les risques psychosociaux et le stress. Aprs avoir dfini le rle du

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SANDRA VOLTINE, secrtaire du CHSCT et membre du comit de pilotage

Il y avait un vrai besoin de reconnaissance.Nous avons dtermin des actions court, moyen et long termes, dont nous suivrons limpact et lefficacit dans le temps. Notre priorit va ladquation entre les comptences et le poste occup. Si elle est absente, cela peut gnrer beaucoup de stress ou de manque de reconnaissance.

Cette dmarche a t positive et trs constructive. Elle a donn aux salaris de lentreprise la possibilit de faire part de leur mal-tre au travail : il y avait un vrai besoin dexpression. Il est essentiel que chacun puisse sidentifier au travers des actions actes par le comit de pilotage pour lutter contre les sources de stress.

Exemples de situations concrtes entranant des difficults (situations problmes)TRAVAIL ET CHANGEMENT HORS SRIE juin 2011

RELATION CLIENT- valuation individuelle reposant sur un script - Rponses standardises des demandes spcifiques - Mission relle du conseiller client peu explicite : vente ou service? - Dbordement des demandes clients peu grables

* Le comit de pilotage runissait le directeur, les DRH de lAVSC et de France Tlcom, les trois secrtaires de CHSCT (un par dpartement-rgion), un manager, trois collaborateurs volontaires, le mdecin du travail et lassistante sociale.

mliorations en courstravail ne sont pas seulement pilotes par le national Cest ainsi que, en Lorraine sur cette voie.

> LORRAINEActivit : unit dintervention Effectifs : 1 500 personnes

M

tier phare de la relation clientle avec celui du tloprateur, lactivit de technicien dintervention seffectue directement chez le particulier ou lentreprise. Les techniciens construisent une ligne, installent un quipement de tlcommunications ou rparent une liaison dfaillante Ces mtiers ont eux aussi beaucoup volu depuis le boom des annes 1970-1980, quand la France squipait de lignes tlphoniques. Il ntait alors pas question dADSL, encore moins de fibre optique, et la situation de monopole caractrisait le rapport au client, que lon appelait encore usager .

CHRISTIAN TRICAUD, secrtaire du CHSCT

Des progrs, mais pas de remise en cause de lorganisation.tant que la continuit se fasse entre les membres du comit de pilotage accompagns de lAract et de lAnact et le groupe de travail qui a pris leur suite. On a commenc redonner un peu plus dautonomie aux gens. Nanmoins, je dresse un bilan plus contrast sur lorganisation qui, de faon gnrale, nest pas remise en cause.

Nous tions face une entreprise qui, pendant longtemps, a ni tous les risques alors que les valeurs et nos mtiers ont chang du tout au tout. Dans cette dmarche, jai beaucoup apprci la prise en compte des choses dans leur aspect global, en partant dune situation concrte, et avec une certaine neutralit. Il mapparat impor-

Urgence aprs deux suicides Outre les changements en termes de technologie, les notions de client et de productivit taient moins prgnantes, admet Franois Pierson, responsable des relations sociales de lunit dintervention Lorraine Nord. Lenvironnement de travail a volu avec le statut de France Tlcom. Le suicide de deux agents en juin 2008 a fortement secou les quipes. En mars 2009, une lettre du CHSCT sollicite lappui de lAract Lorraine pour accompagner une dmarche de prvention des risques psychosociaux. Les analyses des diffrents facteurs du stress taient souvent dnonces comme tant trop gnrales et loin des ralits quotidiennes du mtier , affirment de concert Aline Dronne et Anne-Marie Gallet, charges de mission lAract Lorraine

susceptible de faire entrer les salaet lAnact. Il a donc fallu travailler ris en concurrence les uns avec les sur des cas concrets par exemple, autres, au mpris des rgles de scucelui dun technicien soumis un rit , indique Franois Pierson. plan de charges trop lourd. Nous les La facturation mal vcue par certains avons analyss au prisme de quatre intervenants nest pas supprime, familles de tensions contraintes, exigences des salaris, relations et changements Franois Pierson, responsable des relations sociales de lunit dintervention Lorraine Nord qui, lorsquelles sont insuffisamment rgules Aline Dronne, Aract Lorraine par lorganisation et le mais un argumentaire a t construit systme de relations sociales, gnpour aider trouver un quilibre entre rent des risques psychosociaux. la dimension commerciale et les valeurs Lintrt de cette mthode est de perdu mtier. Ct organisation de la mettre didentifier les risques de la journe, la direction a clairement indifaon la plus exhaustive possible, mais qu que la pause mridienne de lheure aussi den partager le droul et les du djeuner devait tre respecte. retombes avec les membres du Ainsi, si le plan de travail se rvle plus CHSCT , complte Franois Pierson. important que prvu, le technicien nest pas tenu de faire tout ce qui a t La reconnaissance planifi. Les personnes ayant vu avant tout passer beaucoup dexperts, nous avons t vigilants ce que cette tape Laccompagnement du Rseau Anact de diagnostic soit suivie dun plan sest termin cette tape, et le daction , indiquent Aline Dronne travail sest poursuivi en interne sur et Anne-Marie Gallet. Autre bnfice la dfinition de pistes daction. Parmi tir de cette action : la construction du les axes de rflexion : la reconnaisdialogue social autour de cet objet sance. Nous avons suspendu la partag quest le travail. pratique qui consistait dsigner le salari du mois : elle a t identifie Caroline Delabroy comme un facteur de stress puisque

RELATIONS INTERSERVICES- Transferts sauvages du front vers le back office - Pas de lieux dchanges pour harmoniser les pratiques - Des objectifs individualiss ne favorisant pas les cooprations

PROFESSIONNALISATION- Notions de base mal intgres par les nouveaux - Manque de matrise des procdures, formation peu prioritaire - Difficults avec le management/dficit de soutien - Mobilit faible entre le front et les autres services

OUTIL INFORMATIQUE- Conception de loutil en dcalage avec les besoins des tlconseillers - Dispositif de formation mal adapt, conseills non associs la conception - Outil informatique peu moderne : lenteur, fonctionnalits manquantes

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lire

SUR FRANCE TLCOM - ORANGEARTICLES France Tlcom : nouveaux principes gnraux dorganisation du travail , Bref Social, n 15 732, supplment 222/2010, 18 novembre 2010. Deux accords sociaux la signature chez France Tlcom , Entreprise & carrires, n 989, 16 fvrier 2010. France Tlcom : une mutation marche force , LUsine nouvelle, n 3 163-3 164, 8 octobre 2009, pp. 18-22.

TRAVAIL ET CHANGEMENTNUMROSQuels indicateurs de la qualit de vie au travail ? , n 334,novembre 2010, 16 p.

Manager le travail, n 333,septembre 2010, 16 p.

OUVRAGESPendant quils comptent les morts : entretien avec un ancien salari de France Tlcom et une mdecin psychiatre, Marin Ledunet Brigitte Font Le Bret, postface Bernard Floris, d. Le Tengo, 2010, 167 p.

Risques psychosociaux : reparler du travail, agir sur lorganisation,n 332, juillet 2010, 16 p.

Construire les parcours professionnels,n 319, mai 2008, 20 p.

Orange, le dchirement : France Tlcom ou la drive du management,Bruno Diehl et Grard Doublet, d. Gallimard, 2010, 113 p.

La machine broyer : de France Tlcom Orange, quand les privatisations tuent, Christophe Faurie, dition revue et augmente, coll. Coup de gueule ,Dominique Decze, d. Jean-Claude Gawsewitch, 2008, 248 p.

Quelles priorits pour la qualit de vie au travail ?,n 325, mai 2009, 16 p.

Orange stress : agir contre le stress chez France Tlcom,Observatoire du stress et des mobilits forces - France Tlcom, 2008, 223 p.

Amliorer la qualit de vie au travail : des pistes pour agir,n spcial, mai 2007, 31 p.

SUR LA QUALIT DE VIE AU TRAVAIL

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sur anact.fr

OUVRAGESLe Travail cur : pour en finir avec les risques psychosociaux,Yves Clot, d. La Dcouverte, 2010, 190 p.

www.anact.frDes ressources, des articles, des informations, des exemples dentreprises qui ont amlior les conditions de travail sur

Travail : la rvolution ncessaire, Dominique Mda, d. de lAube, 2010, 93 p. Faire face aux exigences du travail contemporain,Pascal Ughetto, d. de lAnact, 2007, 157 p.

Travailler sans drouiller ? Le bien-tre au travail est-il encore possible ?,Michel Niezborala et Annie Lamy, d. Milan, coll. Dclic de soi , 2007, 141 p.

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CE HORS SRIE NAURAIT PU TRE RALIS SANS LE CONCOURS ACTIF DE FRANCE TLCOM-ORANGERemerciement particulier Hlne Escalet-Salette, Philippe Pchard, Fabrice Andr, Denis Allix, Sana Arbaoui, Bernard Chatard, Guillaume Diakit, Guy Fages, Rachid Kessi, Annie Mosnier, Christophe Visse, membres du copil de lintervention ainsi qu lensemble des intervenants de lAnact : Jack Bernon, Denis Brard, Ludovic Bugand, Anne-Marie Gallet et Nadia Rahou. Ce numro est tir 135 000 exemplaires dont 105 000 destins aux salaris de France Tlcom - Orange et 30 000 aux abonns habituels de Travail et changement.

TRAVAIL ET CHANGEMENT , le bimestriel du Rseau Anact pour lamlioration des conditions de travail.Directeur de la publication : Jean-Baptiste Obniche directeurs de la rdaction : Gilles Heude Dominique Vandroz directrice technique et scientifique : Pascale Levet rdactrice en chef : Batrice Sarazin, [email protected]. Contributeurs au dossier : Denis Brard, Jack Bernon, Ludovic Bugand, Aline Dronne, Anne-Marie Gallet, Sonia Martial, Nadia Rahou. Ralisation Reed Publishing chef de projet : B. Lacraberie ; journalistes : C. Delabroy, M. Jaoun, S. Setier ; secrtaire de rdaction : G. Hochet ; directrice artistique : V. Brocard ; illustratrice : S. Allard ; fabrication : M-N Faroux 52, rue Camille Desmoulins 92448 Issy-les-Moulineaux cedex impression : imprimerie Chirat, 744, rue Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-La-Pendue. Dpt lgal : 2e trimestre 2011. Une publication de lAgence nationale pour lamlioration des conditions de travail, 4, quai des troits, 69321 Lyon Cedex 05, tl. : 04 72 56 13 13.