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  • Améliorer son cerveau

  • Michel Le Van Quyen

    Améliorer son cerveauOui, mais pas n’importe comment !

    Flammarion

  • © Flammarion, 2017ISBN : 978-2-0813-8965-6

  • Pour Eva Maria, Nathalie et Dörthe

  • AVANT-PROPOS

    Les neurosciences sont désormais parmi nous. Enlibrairie, les livres se multiplient, chaque semaineou presque, pour nous expliquer comment repro-grammer notre cerveau, vanter les bienfaits du sportsur la réflexion et la mémoire, ou encore nous pro-poser de « libérer » notre cerveau, pas moins. Maiscomment procéder pour exploiter tout le potentielde ce magnifique organe ? Qu’est-ce que les neu-rosciences peuvent vraiment faire pour nous endéfinitive ?

    Tout part d’une révolution conceptuelle désormaisuniversellement acceptée : nous savons, grâce auxtechniques modernes de neuro-imagerie en particu-

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    lier, que le cerveau adulte n’est pas un organe pré-câblé, rigide et voué à se détériorer. Bien aucontraire, il est le siège de prodigieuses promesses dechangement, puisque son fonctionnement modifiesignificativement sa structure intime, comme je l’aiillustré dans mon précédent ouvrage, Les Pouvoirs del’esprit.

  • Améliorer son cerveau

    Je me souviens des premiers temps où j’ai vouluapprendre à jouer du piano : c’était laborieux, j’avaisdu mal à poser les doigts sur les touches, et je faisaissouvent des erreurs… Puis, à force de pratique etd’habitude, mes mouvements sont devenus de plusen plus naturels et automatiques, et cela sans mêmeque je m’en rende compte. On a compris aujourd’huique cette amélioration est directement associée audéveloppement des zones de la région du cortex céré-bral spécialisées dans la motricité des doigts. Plus cetélargissement cérébral opère et plus le geste se per-fectionne. Le constat est simple, mais aussi révolu-tionnaire : le cerveau dispose d’une véritable aptitudeà modifier sa structure pour s’améliorer. Et chez lesexperts exhibant un talent particulier, certaines zonesdu cerveau sont exceptionnellement développées.

    Mais que faire de ce constat ? Il est si alléchantque des impostures n’ont pas manqué d’apparaîtrepour l’exploiter dans une perspective purement com-merciale. 2005 voit ainsi la sortie du programmed’entraînement mental du Dr Kawashima, destiné àfaire rajeunir notre cerveau à la façon d’une crèmeantirides. Vous en avez sûrement entendu parler :l’idée est de recourir à de petits exercices ludiques

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    sur votre console pour, prétendument, stimuler votrecerveau et ainsi amplifier vos capacités intellectuelles.Les ventes de ce jeu d’entraînement cérébral sontcolossales : 2,5 millions d’exemplaires se sont écoulésà travers le monde ! Pourtant, malgré une vraie réus-site marketing, l’efficacité réelle de ces jeux sur l’amé-lioration des capacités intellectuelles est fortement

  • Avant-propos

    controversée 1. Une grande étude publiée dans lacélèbre revue Nature a même démontré que l’intel-ligence générale (celle qui n’est pas entraînée par lesexercices) ne présentait aucune amélioration notableà l’issue de six longues semaines d’entraînement 2. Enun mot, ces jeux ne font travailler qu’une infime par-tie de notre cerveau – les zones qui sous-tendent unecompétence précise – et n’ont aucun effet sur sonbon fonctionnement général.

    Pourtant, des solutions existent et c’est notam-ment pour les analyser que j’ai écrit ce livre. Cesméthodes reposent sur de solides études scientifiques.Elles touchent toutes les dimensions de la viehumaine, en agissant en profondeur sur les perfor-mances intellectuelles, les émotions et le bien-être.Comment ? Grâce aux technologies médicales déve-loppées pour le traitement des maladies du cerveau.

    Il y a quelques années encore, de telles innovationsétaient totalement inimaginables. Les neurosciencesd’une part, et l’innovation technologique d’autrepart, se développaient dans des directions parallèles,chacune avec son langage et sa culture solidementancrée. Les spécialistes de l’un des domaines pei-naient à exploiter les connaissances de l’autre. Or,

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    depuis peu, la convergence entre disciplines s’estaccélérée, pour le coup sans plan de communication

    1. Lorant-Royer S., Lieury A., « L’entraînement cérébral :une imposture intellectuelle », Cerveau & Psycho, n° 31, 2009.

    2. Owen A.M., Hampshire A., Grahn J.A., et al., « Puttingbrain training to the test », Nature, vol. 465, n° 7299, 2010,p. 775-778.

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    ni vidéos YouTube tapageuses. Des progrès essentiel-lement silencieux – nous verrons pourquoi – quin’ont guère attiré l’attention des politiques, et à peinecelle des médias ; pourtant, ils sont d’une vitesse etd’une ampleur stupéfiantes.

    Il faut s’y préparer : demain, une vague d’innova-tions technologiques totalement inédites va envahirnotre vie, avec à la clé de profonds bouleversementsde notre société. Halo, Focus, Thync, Melomind,Muse, Dreem, iWinks, NeuroSky… Voici le nomde ces nouveaux dispositifs déjà commercialisés ousur le point de l’être, qui promettent d’améliorerconcentration, mémoire, stress, perception, émotion,rêve, sommeil, etc.

    J’en suis le témoin quotidien : l’amélioration tech-nologique des capacités cérébrales est d’ores et déjàune réalité. Dans le cadre de mes recherches, à l’Ins-titut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) àl’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, j’ai en effet eu l’occa-sion d’utiliser la plupart de ces nouvelles technolo-gies. Non invasives, indolores, elles fonctionnent à

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    l’aide de quelques électrodes positionnées à despoints stratégiques du crâne, selon la région dont onsouhaite modifier l’activité. Plusieurs d’entre ellesm’ont convaincu de leur efficacité et laissent entre-voir des possibilités réelles pour suivre, modifier etmême améliorer le fonctionnement psycho-cognitifde notre cerveau. Elles fournissent aussi de précieuses

  • Avant-propos

    passerelles entre la recherche fondamentale en neu-rosciences et des applications pratiques, concrètes,adaptées à un usage à domicile.

    De là le projet de ce livre, qui vise à décrire endétail ces nouvelles façons d’agir sur notre cerveau,les premiers outils destinés au grand public, com-ment ils ont été inventés, ce que l’on sait et ce quel’on ne sait pas encore de leurs effets. Quel que soitle domaine d’action visé, même si leur potentiel estsouvent reconnu en recherche, le recours à ces dis-positifs en dehors des laboratoires suscite bien desinterrogations, tant à propos de leur efficacité réelleque de leur dangerosité supposée. Comment procé-der dès lors ? Et quels sont les risques ? De quellesconnaissances les citoyens ont-ils besoin pour pou-voir les utiliser correctement ? Si certaines lois exis-tent déjà, des réglementations claires sont-elles enplace pour les faire appliquer ?

    Une précision : parmi les dispositifs actuellementdisponibles, aucun ne vise à « fusionner » avec le cer-veau, aucun n’est immédiatement contrôlable par la

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    « pensée » pour former quelque cyborg ou hybridehomme/machine. Tout au contraire, ils se présententpour la plupart sous la forme de casques amovibleset à usage temporaire donc. Ne soyons donc pas tropinfluencés par les visions futuristes proposées parcertains prophètes de l’amélioration humaine (les« transhumanistes », pour les citer). Pour mesurer les

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    bénéfices et les risques des neurotechnologies, je suispersuadé qu’il est absolument crucial de distinguerd’un côté la réalité, ce qui est scientifiquement pos-sible et qui fait consensus, et de l’autre les idéologies,les fantasmes de transgression qui entourent toutesces nouvelles technologies. C’est cette règle que jeme suis efforcé de respecter dans cet ouvrage.

  • Chapitre premier

    AMÉLIORER SON CERVEAU PAR LES NOUVELLES TECHNOLOGIES

  • « Je ne t’ai donné ni visage, ni placequi te soit propre, ni aucun don qui tesoit particulier, ô Adam, afin que tonvisage, ta place, et tes dons, tu les veuilles,les conquières et les possèdes par toi-même. […] Je ne t’ai fait ni céleste niterrestre, mortel ou immortel, afin que detoi-même, librement, à la façon d’un bonpeintre ou d’un sculpteur habile, tuachèves ta propre forme. »

    Pic de La Mirandole,Discours sur la dignité de l’homme, 1486,

    traduction de Marguerite Yourcenardans L’Œuvre au noir, 1968

    Un casque pour booster ses muscles

    De prime abord, le dispositif développé par la

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    start-up californienne Halo Neuroscience ne se dis-tingue guère du casque audio banal que vous utilisezpour écouter votre playlist préférée 1. Sauf sur sa faceintérieure, où apparaît une brosse parsemée de picotsen plastique souple, qui viennent chatouiller le haut

    1. Voir le site de la start-up : www.haloneuro.com/.

    http://www.haloneuro.com/

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    de votre tête. Ce sont, en fait, de petites électrodesdestinées à transmettre, à travers votre crâne,d’infimes impulsions électriques dans votre cortexmoteur. Une région du cerveau cruciale, puisquec’est elle qui contrôle la planification et les mouve-ments volontaires. L’intensité du courant se règledepuis un simple smartphone, qui communique sansfil avec le casque. Pas de panique : la puissance dela stimulation est minime et la sensation se résume,au plus fort, à un léger picotement. L’intérêt ?Titillés par le dispositif, les neurones envoient dessignaux amplifiés vers les muscles, qui gagnentalors… en énergie et en puissance. En un mot, ilsuffit de stimuler votre cerveau par des impulsionsélectriques pour améliorer artificiellement votreforce physique !

    Et ça marche ! Le casque Halo est actuellementtesté au camp d’entraînement fondé par MichaelJohnson, le quadruple champion olympique desprint. Située près de Dallas aux États-Unis, cettestructure vise à parfaire la forme physiqued’athlètes de haut niveau par le biais de pro-grammes d’entraînement intensifs, à la pointe dela technologie. En stimulant le cerveau des sportifs

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    durant leurs exercices, Johnson espère accroître larapidité de leurs réflexes, mais aussi renforcer leurcondition physique, leur force et leur dextérité.Une promesse qui séduit, puisque plusieurs ath-lètes américains ont fait appel à ce dispositif pourse préparer aux Jeux olympiques de Rio en 2016.Vous êtes sceptique ? Sachez que les footballeurs

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    soumis à ce traitement ont réellement témoignéd’une augmentation de leur force explosive 1. Et,comme rapporté dans la prestigieuse revue Nature,les sauteurs à skis de l’équipe olympique améri-caine qui l’ont testé cet hiver ont fait état d’uneaugmentation de 70 % de leur force de propulsionpar rapport aux athlètes qui n’ont pas subi cesstimulations 2.

    Forte de ce succès, la société envisage mainte-nant de diffuser le casque Halo auprès des sportifsamateurs. D’ailleurs, elle l’a déjà proposé en pré-commande en février 2016 – au prix réduit de550 dollars l’unité, tout de même. Croyez-le ounon, tout le stock a été vendu en moins d’unesemaine ! Si vous n’en avez pas entendu parler,c’est aussi que l’entreprise tient à rester discrète.Car une question se pose : recourir à cette tech-nologie est-il équitable ? S’agirait-il d’une formeélectronique, proprement inédite, de dopage, tota-lement indétectable après usage de surcroît ? Pourl’heure, en tout cas, dans la mesure où le dispositifn’a pas de finalité médicale, il n’entre pas dans lechamp de régulation des autorités sanitaires sur ledopage.

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    1. TechCrunch, Startup Battlefield : Halo Neuroscience,www.youtube.com/watch?v=4ypX4NKUXkM, YouTube, 09/05/2016. Ou Farr C., « A new device stimulates the brain to boostathletic performance », Fast Company, 2016 [consultable enligne : www.fastcompany.com/3058464/startup-report/].

    2. Reardon S., « “Brain doping” may improve athletes’ per-formance », Nature, vol. 531, n° 7594, 2016, p. 283-284.

    http://www.youtube.com/watch?v=4ypX4NKUXkMhttp://www.fastcompany.com/3058464/startup-report/]

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    Un esprit de perfection

    Le casque Halo n’est qu’un exemple parmi tantd’autres des technologies qui envahissent aujourd’huile vaste champ de l’amélioration artificielle ducerveau. Apprendre sans peine, réagir plus vite, seconcentrer pendant des heures… Le désir de pouvoirs’élever un jour au-delà de sa condition d’hommeest sans doute presque aussi vieux que l’humanité.Le mythe de Prométhée en est l’allégorie parfaite :l’aventure d’un homme qui, égal des dieux, a trans-gressé les règles imposées par la nature. Prométhéea volé le feu – la technique, le moyen de décuplerson pouvoir – pour le donner aux siens.

    Fait remarquable, depuis quelques années, destechnologies inédites ravivent le vieux rêve de repous-ser ses limites naturelles. Notamment parce que, alorsmême que notre compréhension du cerveau connais-sait une accélération fulgurante, on a découvert desmoyens d’agir sur le système nerveux. Les voies sontaujourd’hui très diverses, pharmaceutiques ou pro-cédant par des stimulations électriques, acoustiquesou visuelles. Leur utilisation médicale est promet-teuse pour neutraliser certaines maladies du cer-

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    veau. Et c’est heureux pour les patients, car cesnouvelles possibilités d’action sur le cerveau sontautant de chances de retrouver des capacités perduesou dégradées.

    Mais voilà que ces techniques sont parfois détour-nées au profit de personnes en bonne santé. Le but ?Augmenter ses performances cognitives, dépasser ses

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    limites et faire de ces technologies « réparatrices » unusage radicalement différent. On parle alors de« neuro-amélioration » ou de « neuro-augmentation »,autant d’expressions qui trahissent la difficulté àrendre compte de la dimension à la fois quantitative(l’augmentation) et qualitative (l’amélioration) duterme anglais enhancement. Laissons de côté la syn-taxe et l’objectif apparaît des plus clairs : améliorerartificiellement le fonctionnement du cerveau biolo-gique.

    Admettons-le : nous considérons comme une évi-dence le fait que notre cerveau est une œuvre achevéeune fois pour toutes, que nos capacités sont déter-minées, immuables et intangibles. Pourtant, depuisla nuit des temps, l’être humain a tenté de s’amé-liorer au-delà des limites imposées par la nature.D’innombrables techniques ont été inventées : édu-catives pour étendre ses connaissances, cosmétiquespour enjoliver le paraître, sportives pour parfaire laperformance physique, mécaniques pour accroître lescapacités humaines, sa force ou son déplacement, etc.

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    Sans oublier les antiques entraînements de l’espritcomme la méditation, qui engendrent des change-ments psychologiques profonds avec un impact béné-fique sur l’attention ou le bien-être physique 1.

    1. Le Van Quyen M., Les Pouvoirs de l’esprit, Flammarion,2015.

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    Certains Anciens ont même pensé que c’est l’essencemême de l’homme que de se transfigurer, de se dépas-ser, jusqu’à, peut-être, changer de nature. Voyez Picde la Mirandole en Italie, à la fin du XVe siècle : cepoète a chanté l’infinie plasticité humaine, exaltant lescapacités de transformation et de dépassement deslimites de notre espèce. Il a aussi compris que l’intel-ligence elle-même est modifiable.

    Plus proches de nous, les philosophes du siècle desLumières exprimaient précisément la même inten-tion sous le nom de « perfectibilité ». C’est ainsi queJean-Jacques Rousseau désigne la faculté qu’a l’êtrehumain de s’arracher à ses instincts, « au lieu qu’unanimal est au bout de quelques mois, ce qu’il seratoute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, cequ’elle était la première année de ces mille ans 1 ».Cette idée-force est au fondement de l’humanisme,qui se définit avant tout comme une formation del’homme par lui-même. Ce n’est pas un hasard siRousseau écrit l’une des plus grandes œuvres surl’éducation, l’Émile…

    La découverte est majeure : si l’intelligence est mal-léable, c’est aussi qu’elle peut être stimulée. Et tout en

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    reconnaissant la part des facteurs génétiques dans ledéveloppement intellectuel, on sait maintenant queles sollicitations de l’environnement culturel sont les

    1. Rousseau J.-J., Discours sur l’origine et les fondementsde l’inégalité parmi les hommes, Flammarion, coll. « GF »,2012.

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    véritables clés de l’apprentissage. Dit autrement : pluson apprend, plus on peut apprendre.

    Sans compter sur un halo de petits facteurs simplescomme la qualité de l’environnement social et desrapports humains, l’alimentation, le calme, l’exercicephysique et le sommeil, tellement évidents qu’ontend à négliger leur importance. Les recherches ensciences de l’éducation le confirment d’ailleurs : ilimporte d’adopter une approche globale, qui tiennecompte des liens étroits entre corps et esprit et quine néglige pas l’interaction entre bien-être physiqueet performances intellectuelles, entre les aspects émo-tionnels et cognitifs. Ainsi, porter une attention touteparticulière à l’état de son corps reste l’une desmeilleures façons de stimuler l’esprit.

    Toutefois, il faut bien reconnaître que c’estl’aspect culturel, voire psychologique ou même spi-rituel, qui a été longtemps mis à l’avant-plan danscette quête de perfectionnement. Et ce n’est querécemment que le cerveau, en tant qu’organe, s’estretrouvé la cible des investigations. Aujourd’hui, onpeut ainsi observer un basculement spectaculaired’une conception purement psychologique à unevision plus biologique, plus « cérébrale » de l’amé-

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    lioration cognitive.

    Internet dans la tête

    La science l’a confirmé sans ambiguïté : notre cer-veau n’est pas un organe figé une fois pour toutes. Il

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    possède une incroyable capacité, celle de s’amélioreren se transformant, en évoluant en fonction de l’expé-rience et des besoins, et en élaguant des éléments deve-nus inutiles. Tout au long de notre vie et jusqu’à unâge bien plus avancé que ce qu’on croyait naguère,notre cerveau modifie son architecture en fonction desapprentissages et reste capable de développer de nou-velles aptitudes. Plus précisément, les connexions entreles neurones sont modifiées lorsqu’on apprend : desconnexions supplémentaires apparaissent tandis qued’autres, existantes, se renforcent ou s’affaiblissent.

    Un peu comme Internet, en somme : la « toile »comporte d’innombrables réseaux, petits et grands,reliés entre eux (figure 1). Elle est le siège d’uneconstante évolution de ses connexions, qui se réor-ganisent dynamiquement en fonction des besoins oudes intérêts du moment. Vous pourriez m’objecterqu’Internet représente une quantité astronomique deconnexions (100 000 milliards d’hyperliens) et que lacomparaison s’arrête là. Il n’en est rien car, tenez-vous bien, le cerveau de l’adulte en possède le triple(300 000 milliards de connexions synaptiques) ! Etl’enfant ? Il est doté de dix fois plus de connexionsqu’Internet : 1 million de milliards de connexions

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    synaptiques 1 ! Chaque stimulation provoque lamodification de milliers de connexions. Et même àl’âge adulte, ce réseau continue de se transformer enfonction des expériences.

    1. C. Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant, Les arènes,p. 44.

  • Améliorer son cerveau par les nouvelles technologies

    Figure 1 : Cette cartographie sommaire des principalesconnexions physiques du réseau Internet n’est pas sans évoquerle cerveau humain. Comme Internet, ce dernier est un système extraordinairement complexe, auto-organisé, qui modifie dyna-miquement ses connexions en fonction du temps.

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    Changer de cerveau

    Aussi stupéfiant que cela paraisse, le cerveau amême la capacité de transformer radicalement sonarchitecture anatomique s’il le faut. Prenez l’exemplede la lecture, une invention somme toute récente de

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    l’humanité. Elle est indissociable de l’écriture et lespremières traces attestées, l’écriture cunéiforme del’Empire sumérien, remontent à quelque 5 300 ans.Une échelle de temps insuffisante pour que l’évolutionfasse son œuvre, ce qui signifie que notre cerveau n’està l’origine pas câblé pour la lecture. Comment expli-quer alors que nous ayons tous cette capacité ?

    La réponse a été donnée par Stanislas Dehaene, pro-fesseur de psychologie cognitive expérimentale auCollège de France 1 : c’est à l’issue d’un long apprentis-sage que, exploitant sa remarquable plasticité, les circuitsde notre cerveau se reprogramment littéralement en vued’accéder à cette capacité inédite. Il s’agit d’abord quele système visuel apprenne à déchiffrer les lettres d’unalphabet. Ensuite, comprendre que ces signes corres-pondent à des sons dans les aires du langage. Le cerveauva donc créer de nouveaux câblages entre les aires dela vision et les aires du langage parlé. En d’autres termes,les tablettes cunéiformes, les papyrus emplis de hiéro-glyphes ou les livres écrits à la main sont les premièresprothèses mnésiques que nous ayons inventées. Et pourles utiliser, notre cerveau a dû transformer sa structurepar un entraînement intellectuel spécifique.

    Mais il y a mieux : on sait que l’amélioration de

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    certaines fonctions intellectuelles laisse une tracetangible à certains endroits précis du cerveau. Plusprécisément, lorsque nous apprenons un savoir spéci-

    1. Dehaene S., Pegado F., Braga L.W., et al., « How lear-ning to read changes the cortical networks for vision and lan-guage », Science, vol. 330, n° 6009, 2010, p. 1359-1364.

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    fique, la région concernée va réellement gonfler devolume au fur et à mesure que nos performancess’améliorent avec la pratique. C’est ce qu’a montrénotamment Alvaro Pascual-Leone, de l’université deHarvard. Ce chercheur a étudié les modifications ducerveau lorsque des individus apprennent à jouer d’uninstrument de musique, le piano en l’occurrence 1. Vial’imagerie cérébrale, il a mis en évidence un plus grandvolume de la zone corticale motrice chez des débutantsqui faisaient quotidiennement leurs gammes, et celaaprès une seule semaine de pratique.

    Ainsi, c’est par la répétition de gestes spécifiques,des dizaines de milliers de fois, que chaque musi-cien se fabrique petit à petit un cerveau sur mesure.Chez les musiciens professionnels qui pratiquentintensivement leur instrument depuis l’enfance, cesmodifications structurales atteignent d’ailleurs desniveaux considérables 2. Cette plasticité est égale-ment observée chez d’autres experts comme les jon-gleurs 3, les personnes multilingues, les parfumeurs,

    1. Pascual-Leone A., Nguyet D., Cohen L.G., Brasil-NetoJ.P., Cammarota A., Hallett M., « Modulation of muscle res-ponses evoked by transcranial magnetic stimulation during theacquisition of new fine motor skills », J. Neurophysiol., vol. 74,

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    n° 3, 1995, p. 1037-1045.2. Gaser C., Schlaug G., « Brain structures differ between

    musicians and non-musicians », J. Neurosci., vol. 23, n° 27,2003, p. 9240-9245.

    3. Draganski B., Gaser C., Kempermann G., Kuhn H.G.,Winkler J., Büchel C., May A., « Temporal and spatial dyna-mics of brain structure changes during extensive learning »,J. Neurosci., vol. 26, n° 23, 2008, p. 6314-6317.

  • Composition et mise en pagesNord Compo à Villeneuve-d’Ascq

    N° d’édition : L.01EHBN000843.N001Dépôt légal : janvier 2017

    Avant-propos1. Améliorer son cerveau par les nouvelles technologiesUn casque pour booster ses musclesUn esprit de perfectionInternet dans la têteChanger de cerveau