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[email protected] juillet 2013
Un aller simple pour Luang-Prabang. Départ dans la laiteur de Polignac, le liquide du lave-
glace fait dépôt en couche grasse sur le pare-brise, café-au-lait que je n'ai pas pris pour ne
pas abandonner au frigidaire une brique de lait entamée. Le train se grince aux premières
courbes, je n'ai pas eu le temps de saluer l'hôpital Sainte-Marie, c'est sans regret mais c'est
avec amitié, cette institution-là porte quelque chose du monde, navigue encore dans sa
crème propre, qui ne se livre pas à tous les diktats, mais ici n'est pas une ville, je quitte la
non-capitale de la diagonale du vide. D'une écharpe l'autre, je me jette au sommeil des
cahots du train, gagne la Loire et son tout premier château ocre déjà, le voyage sera chaud.
On the seashore of an endless world, children play
Tagore, cité par Winnicott
Se redire une histoire, puis au matin le réveil sonne comme s'il englobait en soi quelque
chose, l'ami a fait son plan de route, on est heureux pour lui, on est sûr qu'il ne pourra pas,
on ne voudrait pas le cohabiter plus que quelques jours là-bas, on n'a pas le même rythme,
mais le fleuve ne s'inverse qu'en cette période-là, où bien sûr il se prévoit, comment
réserver à soi un seul bateau et ne plus être imposé d'arrêt, ne plus rester en choix de
chaque soirée ? Je savoure mes tartines de bleu à Satolas qui est tout sauf u vol de nuit, lui
clopine de café en café, hier j'ai réussi à l'immerger en plein été, marche à dix minutes de la
maison, épuisement retour, fontaine, mais quels tropiques peut-il espérer sauf l'opium ? Il
n'espère, d'ailleurs, que l'opium, il rêve peu, tandis que je ne cesse de refermer des livres à
chercher ce temps multidimensionnel du désir, qui est aussi cette déesse, qu'elle je ne
désire plus. Le multiple, aussi, peut être mutisme, par toute la génération, et par tout un
langage.
Un aller simple pour Luang-Prabang, il était temps sans doute, cette urgence non seulement
entropique – comme une angoisse ou une évidence, la tumeur noire quand la montagne
brûlera – mais ce maintenant d'un temps de coïncidence qui enfle non pas à sa propre
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vitesse, mais comme en offrande à mes choix instinctifs. L'ordre ne peut être, ne serait-ce
d'un million d'éléphants. L'ordre ne peut être, que par cette inversion de la rivière que sans
doute je me refuserai à voir pour cette toujours première fois.
Les sujets des slogans, les forclus du voyage:n'ont plus aucun vocabulaire, aucun jeu de la
langue, sont forcément arrêtés en pleine vie à la moindre injonction, et le répètents dans
leurs tablettes, incapables. Coïncidencia, en Espagnolie, est changement de quoi. Celui-là
qui sent le gras, à saturation, se soude à un enterrement de vie de garçon sous-titré de
fautes de français. On se charge de ce que l'on ne peut. Mort d'une dialectique stérile (entre
l'est et l'ouest, disons, choix d'empires) mais pas de l'idée passion d'un demain sans cons,
sans gros, sans lents, sans télécécité. Un monde d'étincelles, forcément, de mouches d'or,
de psychose que leur diagnostic devra quand-même nous inciter à traverser. Car la seule
force globale qui nous habite est notre vision propre. Et le courage de ne pas se faire
contaminer par la violence.
L'hyper-courbure lombaire de la gracile maman, faisant contrepoids de son bébé assis dans
ses bras, et agrippé à son corps, sur sa hanche gauche, et l'enfant ni est pas plus lié pourtant
que dans le complexe abeille-orchidée deleuzien qui se présente bien là. Moi j'suis dans la
maison magique, dit cet autre enfant se réfugiant sur le tabouret du bar-TGV. Refuge; elle
magique, aussi, dans cette embrassade sur le quai de la gare, en boulevard-voyage à nous
deux. Attention : à la fenêtre des paupières. De jeunes militaires s'installent maintenant sur
le tabouret de la maison magique. L'un, presque en civil, autistique, se connecte
immédiatement à son écran. L'autre, costaud, en treillis, blague et sandwiche. Connivence
aux cheveux courts, l'ordi. long remplace le fusil. Je pensait le premier en logisticien
intello. Se mettant au boulot, l'armée-entreprise au non-goût du jour, mais ils matent à deux
une série à cousins GI's... Déjà, au bar, un blondinet gestapiste de petit bureau, nazi
néoténique.
Le meilleur est à venir. Freud baptisait la mélancolie la maladie de l'idéal. TomWolfe écrit
sa première fiction à 56 ans, Le bûcher des vanités. Son premier job : une rubrique
nécrologique. Pourquoi la première vue d'un cadavre nous sidère-t-elle ainsi ? Refaire le
monde ; comme Brigitte n'a pas tué Florent, je n'ai pas tué Tante Madeleine en fin de
parenthèse enchantée dans ces années 70 qui auraient pu, plus tôt, ailleurs, me voir
combattre. Chagrin des deuils, marées des délire, vernis des sentiments. Jeunesses gâchées
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des ciments de demain. Typografico de Lecche aurait pu travailler pour les Brigades
Rouges, qu'est-ce donc que ce familial qui lui fit imprimer, certes beau, mais
conventionnel ? Qu'est-ce qu'être un survivant (des guerres, des combats et des maladies) ?
Quelle est la douleur du sursis, et son espoir de décondensation ?
La mère qui faisait croire son monde étroit de parvenue. Contre cette carence constitutive :
misanthropie, violence ? Tout poète rêve de devenir gangster. Seule la lecture régulière des
chroniques littéraires du Monde, le fil de toutes ces histoires plus vraies qu'immatures, me
disent un réel du voyage que je ne fuis pas : social. Politique.
Être publié, sauf pour le poète peut-être, est toujours acceptation du canon, du cadre, de la
maison dont on voudrait percer le toit. Ne dire que l'ouverture, que le pieu, s'est aussi
s'inscrire, cependant, mais aux risques du dire des failles. De ce côté, on n'en est que
spectateur, et souvent désespéré. Voyage, sûr, le non-dit, l'impossible à détourer de mots en
presse. Ici-bas, fabrique de l'individu ; mais au fond de lui-même, l'échappée de la
malédiction sociale, l'inter-dire... Une prison qui d'abord enserre, pour permettre ? Une
école qui s'ouvre, affirmait en substance V. Hugo, c'est une prison qui ferme : au prix d'une
plastique neuronale, et d'une invasion en nous du social, autant que hors de nous. Mais :
nous restent les plis, offerts à l'accroche, et longtemps superfétatoires du quotidien : qu'on
les agrippe, qu'on les perce, qu'on les parle ! Le père, prisonnier, gré-lui.
Se libère-t-on de sa souffrance en écrivant, se demande E. Chevillard ? Ou n'est-ce qu'une
torture supplémentaire que l'on s'impose, non pour vaincre le mal, mais au moins le
connaître, et ne pas être dupe de ce souverain ? L'hémiplégique clame : « j'ai changé
d'identité, je suis un hémi-corps » ! A quoi, à qui alors s'adressent les connexions calleuses
qui faisaient discourir notre droit et notre gauche ? S'ouvrent-elles plus aussi à
l'inorganique, et non plus notre seule périphérie ? Le mal qui résolument se fait interne par
notre corps s'oxydant, riant la limite, cela est peut-être du même registre que la littérature
qui nous fait sentir d'un ailleurs de notre « corps » ; chaque récit qui nous emporte en
devient autopsie. La mère refusa au fils d'être légiste, horrifiée des récits de morgues du
père honni... Le corps du fils aujourd'hui se rappelle, sans cruauté. « La moitié inerte de
mon corps est dédiée aux morts que j'ai aimés et que je n'abandonne pas », le fils a
longtemps eu la totalité de son corps inerte, au seul possible du hors-circuit de la
connaissance. L'organique est un organisé, la souffrance existe dès la cellule et son
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enveloppe, mais dans sa structure la nature n'est pas offerte au diable comme le prétend M.
Houellebecq, elle n'est pas non plus organisée pour notre bien, rappelle S. Crane; l'écriture
est pour beaucoup maladie, mais de lucidité, forçage vers le dernier rivage où nous
atteindrons enfin l'amour par cette compassion indolore du plus de corps ; pour certains,
fous ou mystiques, ça se passe un peu avant : « l'amour est un monde dans lequel on peut
vivre et qui est de dimension suffisante », et K. Gödel aurait des choses à dire là-dessus.
Au réveil: pourquoi toujours pousser le temps, activisme primaire, pour qu'il ne vous
pousse plus ?
La mort des proches, comme une émancipation; le deuil, comme un privilège dont on jouit,
sans ouvrir ici le temps de la préoccupation, car on oublie moins facilement les morts que
les vivants, souffle Virginia Woolf. Lire-mourir, livre-deuil, un temps flexible, on peut
même s'y endormir homme et s'y réveiller femme. L'écriture aurait pu naître peut-être si
alors dans la pré-adolescence qui ne s'éveillerait pas, quelqu'un ou quelque chose m'avait
affirmé, imposé, révélé qu'"il y a peut-être quelque part certaines personnes équipées d'un
cerveau et de tripes, des personnes autres que tes parents", et qui fonctionnent pour toi sans
ces systèmes-là automates-éleveurs obligés: hors généalogie, là où il faudrait en même
temps devenir autre et coïncider avec un soi-même de frontières. Les frontières et le temps
doivent non pas redevenir flexibles, mais indéfinis; alors on survole, on respire entre, on
voyage par-delà, les cerveaux ouverts enfin à tous les vents, exit capitus mortuum... Folie
collective ? Plus nette que celle de la guerre des hommes ? Que faire d'autre sous les
bombardements, sinon que de fuir et de retrouver son soleil parallèle, quelque vague
cousine peut-être, un ami nouveau plus sûrement, et sa mère qui vous accueille ? Que faire
sinon ce pas-de-côté par lequel l'autre tente à vous de se libérer, y aliénant qui sa soeur, qui
sa fille ? Plus tard, on sentira, dit V. Woolf, "dans ses doigts le poids des mots comme des
pierres", on sera passé, quelques mots infiltrés au-delà de la caillasse auront gagné une
veine de compost, et germeront sur un lit de poussière balayée au vent-paille du soleil.
Nous y aurons gagné notre capacité à fabuler, tandis que les femmes, elles, se préserveront
encore du pouvoir, par leur pensée même, originaire et non corrompue, s'épargnant cette
folie, sauvages, crues, fières de leurs seins.
On n'identifie pas nettement le drame, on s'interroge, se torture, culpabilise de pas de
guerre, de pas de crime, alors qu'elle est bien là, la déchirure première, balcon de tous les
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orchestres rouges, bascule de la vie intra-utérine en cette vie extra-terrestre. Survivants
peut-être, contraints au voyage, quand l'écran plat de la ville-état nous autorise à le ré-
écrire, ce drame de chacun de nous et de la perte, qui détoure les mots, que le langage
gagne un jour par la faille. Pourquoi chercher encore en aval une métaphore de son
traumatisme ? "La crypte sous la chapelle est notre chrysalide", se décharge l'aide-
soignante. Et la mémoire des catastrophes est sans doute aussi vraiment la seule à édifier
une véritable communauté: l'homme est par la mémoire de sa perte, beaucoup plus que par
une quelconque réflexivité de sa pensée (la chute est bien plus que simple pas-de-côté).
Après, la guerre est éternelle; demandez plutôt aux hommes ce qu'ils pensent des pierres.
Zaoum (un langage déstructuré c'est-à-dire plein), Zomia (la colline-refuge des fuyards de
l'état, où l'on déstructure volontiers l'écrit vers ce zaoum), mboui, montant ou descendant,
contentement ou rejet, aux marges du babil, lorsque l'enfant peut-être doit basculer dans les
césures du langage-mère, où se refuser, "dysphasique", se retenant au bain premier,
accroche de ne pas dénaître, angoisse de la nage dans ce milieu qui ne fait même pas gel au
chant des oiseaux, sauf en ces rivages lointains de la Caspienne, ou ces hauts-plateaux
d'Asie du Sud-Est... Car une fois sorti, ici, personne dans les rues, à part le vent qui souffle,
et, de derrière les vitres dépolies, des étoiles pourtant, comme d'un soleil pulvérisé... Un
Tyndall de soleil ocre, dans la consistance évidée, et tout derrière vibre encore la grotte,
tout derrière suinte doux l'originaire, la pierre. Bientôt il y aura des égarés, des
dysharmoniques, des reclus; certaines sanctions seront sévères. Des fous et des pervers,
inversions, au-delà des mots, des pratiques, transgressions de la syntaxe comme des
frontières, parfois ne provoqueront que le rire. Souvent, dévoileront, sans être
exhibitionnistes.
Poland, first time (Lettonia was not first, le chemin des Scythes, et Anda). Mais ici c'est, au
soir des motards, vodka-cola, ceux-ci sont plus mûrs, il y a aussi une dame qui ne voudrait
pas qu'on l'appelle comme ça, au sein de ses motards. Hier encore les longues rues
forestières de la Baltique, il a fallu éviter l'enclave, Kaliningrad reste un port qui ne se
tourne pas de ce côté de nous, je suis sur le fil, du Pas-de-Calais au nord de la Lituanie. Ici,
le sol se courbe à la verticale et non plus selon la grève, vallons printaniers, la lune en
croissant rose pâle, et bientôt les brumes qui tardent à quitter l'argile qui déjà n'est plus
tourbe.
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Alors je surgirai et je te soufflerai dans les yeux. Tu les fronceras. C'est ainsi que je t'aime.
Tu comprendras que tu es bien. Que l'on t'aime. Et tu aimeras. Pas moi.
Je sais même comment tes enfants s'appelleront. Je serai dans tes cheveux.
Irina Denejkina
Vodka-Cola
Quelques orages, une roue de doute, les sacs pleins aux épices du sol, en Nord-Europe
seules elles font, avec la langue, enclaves et voyages. Elle: est tout possible et me laisse le
volant, la clef s'échange de poche en poche. Pause ! Jean-Paul II en bonté pleine nous
donne le motel et le jardin, depuis la ville du juste avant, devant son église-mission qui fait
Sud. Pause ! Depuis le jardin de la NDE, les lys se sont fermés, devant la grotte de Lourdes
et son étang miniature. Un grand calme maintenant, après la chaleur de la route, dans ces
fortes voix polonaises. La route, à nouveau. L'orage n'en finit pas d'éclater, ni la roue de se
décrocher, Varsovie, qui éclate des ses gratte-ciels derrière son coeur ancien de bâtisses de
la Hanse des marchands, puis vers Berlin. Qu'est-ce qui la dépêchait ? Mon réel était
atteint, à partager, quant à nous; hier-nuit était un ballet de camions sans leurs remorques,
des tractrices comme miniatures, qui dessinaient le jeu; la voiture, le corps, le
ravitaillement (seule distraction de l'autoroute).
L'Aborigène de la Baltique: ce livre est son gris qu'elle m'imposa, mais ceci est littérature,
NdA. Elle: est très intérieure, et fière de le rester, comment l'admettre ? Partout en
couronnes elle m'étonna, mais ne me chercha pas, moi qui ne sonne qu'à moi. Un saumon,
peut-être, encore, sur l'euro qui vient, et tous les mégots aussi, de rien pourtant, qu'elle veut
partager. Et s'enfuit de mon refus à tout ouvrir, à tout circuler de deux, retour à cet enfant
qui ne vînt pas. Des poteaux CCCP, de la Mongolie à la Baltique, Empire qui attire et que
ceux-là honnissent de nationalisme, attirent de paternité. La Lettonie est cette ligne de
grèves, sans laisse de mer mais à la végétation stable au sable, les communes tondent en
bord de mer, laissant juste un rideau d'herbes hautes entre l'espace de halte et la mer. La
marée y est intérieure, de cette route de pins qui semble une. Liserés. Golfe pourtant. Très
vite les forêts de l'Europe du Nord, menaçantes de l'Allemagne à la Pologne, encre qui
avait là-haut sa lisière.
Gagner Touva pourtant, car elle m'a déniché le Shambala, les chevaux rouges au pied de
l'Himalaya, l'homme les envoie, et puis le souvenir déjà, des femmes devant leur isba, les
montagnes encore d'attente de ce pays-bas (Roehrich). Balloté dans son voyage, qu'elle
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s'efforce de me donner, moi attendant comme au retour de Cohen un merci qui ne vient
pas. Son triste Sire et son résistant. Fuite. Suffisance. Je ne cherche que la ligne, elle sait le
centre; mais son jardin faussement communautaire de famille, en point le plus attirant
pourtant, le potager, les herbes aromatiques si caractéristiques en ce sol de nord, de Kefir et
de Shaschlik, la réserve de bois, le feu-à-feuilles un peu à l'écart, et autour les trois ou
quatre maisons nucléaires de la femme du marin, absence de la clôture, ici toujours on
l'attend.
Cold Case / Cold Facts. Une généalogie peut-être à l'oubli, des réveils, et puis des présents
de temps qui jaillissent, sans prévenir, sans qu'on les enregistre autrement que dans le
poème qui nous écrit: ma fenêtre sera un papier blanc, promène Le Clézio. Un gué qui ne
fait que s'enfoncer, seules les cornes des Elans dépassent encore, se suivent sans angoisse,
comme l'écriture s'enfonçant en la mémoire blanche, on écrit de nulle part et de partout ce
pays qui pourtant existera, on vénère au passage une sainte qu'on n'admet pas là, on stoppe
longtemps devant une cheminée, cette montée de fumée qui est bien encore cendre, on ne
comprend pas encore qu'on aspire cette même combustion de haut, on célèbre ceux de la
tranchée qui brûle comme pour prévenir et comme pour protéger, la faille est cet
élargissement de la frontière que l'on dénigre mais où l'on ne fait que dégager un espace à
partir même de ce feuillet, on pose sa toute petite table sur l'aplomb du terrain vague. On
écoute la mer dans le vent, comme une rumeur de route qu'on ne prendra pas mais qu'on
espère en plein, on entend les mille gouttelettes respirant des profondeurs, on brise les
coquilles qui repartent de nos pas aux millions d'années où nous avons été égarés, on parle
pourtant depuis un peuple qu'on ne peut voir qu'éternel, l'enfant à devenir ne croit à rien
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d'autres qu'à la foule de dire des bibliothèques, le poète se promène au même tissu parmi la
confusion d'un grand peuple, dans ce réseau qui surgit de tous les cris d'avant l'écrit.
Que devînt ce professeur Rollin, qu'était-il déjà, 1939 et posture de dandy, et/ou de
philosophe, filait-il vers l'"ordre nouveau européen", se rangeait-il comme le père, mais lui
plus par choix que par passivité, "hors politique", ou bien se battit-il avec les démocrates ?
Son costume parfaitement posé le déporte du côté de la collaboration idéologique, mais sa
triple flexion à l'hindoue, peut-être, le sauve de l'horreur. Le père, lui, dans son costume au-
même de l'an dernier, devenu peut-être très légèrement étroit, allait bientôt enfourcher la
bicyclette, et dessus la valise bleue. Qui atteste d'un retour, SNCF Toulouse---> Roubaix,
pas de date visible, un seul colis comme bagage, et une identité d'emprunt, Pierre Leriche,
qui ne céderait plus désormais, seule reste d'un avant, seule reste de ces années-là, 40-42/3,
la valise redécouverte ce jour dans le garage de la maison au livre-creux.
Elle m'a dit "vient sur la montagne", chante la radio du chauffeur du car, vient sur la
montagne, alimente la prophétie, circule la Zomia !
Première grand-messe devant Sugar Man. 1968, Detroit: on sent le brouillard qui vient du
fleuve. Dedans: autant, plus, de brouillard; mais la voix le traverse. "Le plaisir ("artificiel")
qui prostitue la perte". Smoking et démolition. Certitude d'une voix, d'une voie. Peace !
Searching for Sugar Man (2): "je démolis, je rénove", working class people: apprendre la
vie en dehors de la ville. Prostitue la perte, à la ré-écoute: un affect positif aussi ! cette
communauté des corps souffrants ! Cette compassion éloignée en première intention
pourtant, de façon automatique, par le carcan éducationnel... Tentative de prostitution de la
perte, de laquelle on est clivé par l'éducation.
Je me fais plaisir et m'achète Zomia pour lecture touquettoise. "L'art de ne pas être
gouverné" à lire en pleine dépendance et en pleine vacance ! En Zomia bien sûr, aussi,
parfois l'orage tonne.
De déménagement en déménagement, mon bureau devient, de mur ici il s'est fait coin, un
jour une pièce, un palais du facteur Cheval ?
Attention flottante de Norman Chabot, analyste à Paris-Châtelet, qui avait dû fumer autre
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chose que son cigare pour rire ainsi (de ma jalousie). Autour de Proust, France-Inter pose
cette dernière en psychopathologie de l'imaginaire, bel au-revoir pour elle, que j'aurai
encore le temps de lui transmettre. La jalousie, d'ailleurs, peut précéder même l'amour de
la personne...
De la baie des singes au centre d'ailleurs, un même comique nomade, une même solitude
des marges pleines. On caresse le même chien, rien de plus n'est nécessaire à la maitri, et
aux demains qui sont bien dans le matin du concert, Allwright sur l'escalier-terrasse, et son
groupe. Le Centre d'Ailleurs est à quelques cent bornes de vent, d'eau et de soleil du Puy,
en plein dans la Zomia, et on l'atteint juste après l'orage. Chambre dans l'ancienne colo.,
celle du surveillant d'étage ! Un magnifique chapiteau-yourte, chapiteau de l'extérieur,
yourte de son architecture de bois et de son anneau. Pour l'heure, la pluie couvre tout.
Concert, vivre est ce seul fait d'y être, partons ! partons ! Vers ! Allwright est en forme,
hyper-présent à ses textes, et apparaît plus bronzé sous les projecteur que ses musiciens
malgaches ! "On ne peut pas lutter avec la nature, quand-même", dans un combiné de
petite modestie et de certitude, de rappel de la doctrine... Mais chant ou applaudissements
couvriront l'orage, qui ne renaissait qu'à nous rire. Juste après, dans la meilleure chambre
de tout juste derrière la scène, d'où me parviennent rires et murmures à ma fenêtre. Me
dira-t-on "Mr, Mr, vous êtes au deuxième étage !" ou bien "Mr, Mr, il ne faut pa fumer dans
les chambres !" ? L'esprit du lieu. Il ne manque plus qu'une elle pour m'apercevoir chemise
entrouverte au balcon de ma fenêtre. Relire Moravagine, distribué à mon chevet, dans ma
chambre "Paris-Match". Ca s'est passé la nuit si douce, tant de joie à l'écoute de l'orage, et
le réveil surprit. Longtemps de présent, présent d'élan, quelque peu avec lui, l'eau d'antan
nous y stationne grands. Ne pas rentrer dans le territoire, manger avant, à Arlanc, la
terrasse n'est possible qu'au café. Charcuterie ou charcuterie ? Sloup sloup chabro
trempage du pain. A une autre table, un regard terrible et désabusé sur le plateau de
fromages de son épouse. Pour dix euros tu t'emplis les poches à cholestérol. Loin déjà le
chapiteau, ceux-là qui mangent lourd ont beaucoup travaillé et/ou beaucoup bu, ils ont
accès au message d'une autre faille, ils sont restés dans la vallée. Mais ici, au café de Paris,
on se toise mais on s'accepte, rameurs-au-même, passagers du deuil, doucettement ivres
d'élan.
- C'est le labrador du Jour de Clarté !
- Oui...!
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- Pourquoi le rechantez-vous ?
- Parce que... est-ce que j'avais arrêté de la chanter ? l'âge... et c'est maintenant... ça a
toujours été important... mais c'est maintenant... ca ! oui! j'y crois... Une puissance qui
vient maintenant... oui, une sorte d'addiction, aussi, et tous nos êtres là...et quelques uns ont
été touchés par cette lumière, que je cherche, d'Aurobindo. Je suis ton disciple, répondis-je
à Graeme, tout s'est noué en moi quand j'ai compris, plus tard, que tu chantais Aurobindo,
que je chantais Aurobindo depuis mes huit ans...
Être en marge, spectral, privé de voix aussi, est le statut du poète. Devenir une apparition
indispensable (comme aux concerts d'Allwright, dans les lieux les plus improbables). "On
a discuté, déjà, un peu..." "Oui". "C'est cool, ce que tu fais avec Jenny " (dont je n'ai jamais
visionné le concert): Manana s'écroule, hilare ! "Oui, c'est cool oh trop cool !" Dina
s'exclame encore plus de rire, comme en une suite de leur pantomime sur scène !
On peut soit passer son temps dans la perte et la toujours solitude, quels que soient nos
contacts familiaux et sociaux, quelle que soit notre position dans l'administration du
quotidien, quelle que soit la perfection de la relation amoureuse et sexuelle qui nous
occupe, et rester forcément toujours en manque de ce lien absolu qui précéda notre chute,
de notre bain utérin, de notre contre-forme parfaite et placentaire, en manque et en chute
inévitable, à chaque tournant, dans la douleur de la séparation; on peut aussi chercher plus
haut le vent qui nous souffle. Par exemple, boire aux chansons de Graeme Allwright, qui
ne chantent ni les embouteillages des villes où nous survivrions plus ou moins bien, ni la
fille idéale qui serait et mère et elles toutes, mais qui nous tiennent en marche, et en
certitude d'envol, vers ce demain où tout sera bien, pour peu que nos consciences
s'accommodent peu-à-peu mais des maintenant, chaque jour, à cet au-delà du bien et du
mal.
La palatabilité, qui associe l'ensemble des qualités gustatives de l'aliment lors du passage
dans cette cavité, répond à quelque chose de la perception une et totale qui fit heureuse,
merveilleuse, notre vie intra-utérine.
A pas aveugles de par le monde (Leïb Rochman traduit par Rachel Ertel, Denoël, 2012) ne
sera pas ce tome II de Voyage, un ouvrage total où la thanatosphère n'aurait plus besoin
d'expliquer ses morts et ses vivants. Mais il devient évocation, par le livre, de ce lien
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particulier et spécifique des peuples monothéistes à leurs encres noires, très noires. Un
écrit qui contreforte l'oral, à coups d'arc-boutants du corps des morts, certes, mais qui tient
encore le passage, qui n'écarte pas les séraphins, qui maintient une distance organique. Que
disparaissait le déchet de Voyages. Ces corps des morts bien trop brutalement clivés des
vivants exterminés, des spectres encore néoténiques qui cherchent les pores d'une limite
qui n'est pas tombée encore, la reliure n'a pas brûlé au même rythme que les pages. Il y
aura encore une génération à venir qui tentera de se remémorer ce théâtre du
retranchement, une génération du non-dirre, du "ne pas avoir connu", ce qui est différent
d'un oubli. Tout dans la ville, encore, se gélifie, alors qu'hier l'air était si sec, que tout se
mouvait, ces instants-là, qui ne passent plus, qu'il faut rappeler les spectres, encore, ce
n'était pas une révolution, et même dans la révolution totale, toujours sans doute ressurgira
un os, qui semblera détouré à nos regards d'hier ou de demain, que nous ne verrons pas en
connexion. Ce n'est plus, certes, une assemblée ordinaire, et déjà on soupçonne les juges,
qui se sont hissés sur quelque marche rapidement étayée, pas même fixée d'une cheville ni
d'un clou, mais qui redonne l'illusion de quelque hauteur. Aurait-on pu choisir l'espace
plutôt que cette assemblée de la tradition ? Il nous faut, encore, des juges; nous cherchons
encore, après la catastrophe totale, une démarque, nous célébrons à nouveau des mariages
monogames, pourtant s'y glissent des ombres, ces filles déjà enceintes portant, nous dit
Rochman, leurs parents assassinés à qui elles veulent redonner un nom. C'est bien un
théâtre encore, et y coule encore, maintenant que l'on panse les blessures, cette sève de la
solitude. Derrière les huis rafistolés, pourtant, frappent, inaudibles déjà, les sons des
rescapés, tandis que plus loin, relégués, grondent les vaisseaux de rien des naufragés. Du
violon on ne croît avoir sauvé que l'archet, et l'on joue sur des perruques, et personne
n'écoute, tout le monde est reparti vers la plaine où il n'y a plus de vieillards, où chaque
famille nouvelle est tentative d'une ville déjà morte, cherche son escorte, s'apprête au
carnage qui a déjà eu lieu, veut refaire nation d'inceste. Il aurait pourtant fallu ne pouvoir
donner un âge à quiconque, mais le vieux rabbin interdit l'accouplement des vivants avec
les morts qui courent de part le, monde. Dans les montagnes, la cendre se déversait, mais
pas un son, le cadavre invisible est plongé par la cérémonie dans son propre silence,
espérant en la prochaine litanie des défunts. Le livre, le livre, seul, plonge dans les disparus
licites; avant le livre on ne reproduisait pas le meurtre, maintenant les volumes se
feuillettent eux-mêmes, mon livre à moi aussi veut entrer dans l'inventaire, il est encore à
naître, il est créé pourtant, après tout ce qui est advenu, ses pages sont orphelines, elles ne
savent même pas d'où elles viennent, elles attendent qu'on les parcoure, Auschwitz est,
11
nous développe Rochman, une césure entre l'homme et le livre, qui ouvre la pensée
flottante qui ne joint plus, et alors les livres constituent leur propre tribunal. Errance des
suivants, silence des spectres-violents, silence trop brutal des sens anéantis, fantômes
toujours néoténiques car privés de ce temps, de cet instant du lire-écrire. Dans le corps du
médecin réfugié dans la montagne sont blottis tous les enfants qui ne grandiront jamais
plus, et par ses orbites, on voit la couleur changer sans cesse, c'est un enfant qui regarde le
monde, et vite redescend dans son refuge quand il se sent repéré. Des couleurs, mais tous
les sons restent enfermés, notre tête n'a émergé que pour pousser le cri du monde, un bref
instant, nous ne sommes restés en ce monde que ce bref moment-là.
Compassion occidentale versus Communauté de souffrance. Solution de continuité versus
blessure nomade. Morale des cités. Pensée-livre, écriture des corps, langues non incarnées
d'une norme qui se dit autonome. Errances des morts violentes non-inscrites aux mots des
morts, deuil non-dispensable de nous-mêmes. Passage progressif de nos sens, le spectre s'y
donne à son propre toucher, sa désertion fait partie de notre extermination. Ecrire n'est
donc pas mourir: c'est la mort qui nous dicte, contrepoint de la parole à l'oralité des
vivants.
Conversation, dîner, cercle, cooptation: danger d'une littérature du réseau, cigare ! Marx
affirma que la révolution devait rompre avec l'attrait des cimetières, qu'il fallait échapper à
la tradition de toutes les générations mortes. Une voie minoritaire et souterraine, pourtant,
se maintient, fréquente les spectres en guise d'émancipation, considère la hantise en révolte
même. Y. Haenel en est, comme Cendrars dans la révolution-revanche de son Moravagine,
et ce traumatisme obligé qui fait lien entre les deux sphères, utérine et ovulaire, et, entre,
l'attrait des cimetières, un vide menaçant et joyeux. Toutes ces voix (littéraires), tous ces
messages subtils mais incomplets nous parviennent à la manière de spectres, par le
passage-membrane qui force la femme, qui ouvre l'oeuf, qui n'est que premier cri, vous
tombez dans ce trou, et ce trou vous porte, alors le temps se met à glisser hors de lui-
même, votre vie se dégage, un instant, une journée, vous n'avez plus d'attache, de
généalogie, d'identité, vous n'appartenez plus, et c'est une joie. Libre, vous veillez sur
quelque chose qui vient de loin (Y. Haenel); écrire des livres consiste à faire parler ces
instants de foudre, soifs et éblouissements. Puis les braises: font fondre ces moments un à
un, on ne peut rien faire pour les retenir, la joie nous quitte, on reste seul sur le quai, et il
faut dire le retour, les cendres vives de ces flammes mortes du quotidien (le pyromane est
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un homme seul qu'on empêche de brûler la forêt mais qui pourtant tente encore le transit,
d'une autre flamme). Quelque chose nous suit, c'est un truisme, et venant de très loin
géographiquement, jusqu'à la mort. A moins de se le faire amputer chirurgicalement,
révolution des êtres qui voudraient supprimer des choses qu'ils savent avant que ces choses
ne les anéantissent eux-mêmes (L. Kasischke).
Barbe-bleue, image de sang laqué sur l'anneau de la clef, comme lié chimiquement,
violacé, un voile d'oxyde total et définitif.
On sent l'air frais de la mer, tout-à-l'heure il pleuvra à peine, c'est encore l'été-matin au
Puy, à la brise-terrasse de cette presque ville.
Les quelques-uns du Puy-centre, pierres épaisses, sous le soleil, s'étirent à ne plus finir de
se recroiser, les poignées de mains, la tournée des tables, ignorés les touristes d'un été, eux
sont échoués là, sur ce mon d'un originaire dont ils sont toujours en quête d'un autre nom.
Poussés d'exil, attirés de famille, en escale imaginaire toujours, entre deux visites
maintenant d'habitude à la rade du minimum social, toujours à une case de celle de
l'intermittence, le pianiste, le faux baba, le philosophe, la chanteuse, le flutiste, entre deux
nuits de boeuf de leur exhibitionnisme d'initiés. Et ceux qui se terrent, le psychiatre,
l'écrivaillon, eux qui se filment pour produire leur trame solitaire. Les permanents aussi,
délirant tout leur saoul, ou tractés de leurs chiens. Ici jamais le bateau ne viendra, ils le
savent même s'ils clament le contraire, et quand revient l'hiver de huit mois il faut gratter le
dépôt de tourbe qui les protège si l'on veut les apercevoir, ils ont garés leurs chevaux et
vendu leurs roulottes, ils n'hallucinent plus alors que leur joug invisible aux bourgeois,
qu'ils polissent, vernissent, y posant mille bougies dont ils dénient l'attente. Mais leur voix,
toutes et unes, peuplent l'intérieur des pierres creuses dont ce midi quelques peintres
d'allure tentent de poser les couleurs possibles.
Pourquoi Moravagine de Cendrars n'a-t-il toujours pas été porté à l'écran ? A moins
qu'Apocalyse Now quelque part ne s'en réclame... J'ai beaucoup voyagé à travers les pays et
les livres, mais, certes, pas à travers les hommes, se dit le lecteur inquiet, même si peut-êtte
là est bien une condition possible, celle de la non-représentation croissante, du dévoilage,
du cancer du troisième oeil qui donne ce récit halluciné et pourtant, aussi, d'un réalisme
plein. A l'origine, une thèse de médecine sur la chimie du subconscient, jamais achevée ni
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même entreprise à la faculté pour l'étudiant Cendrars, manière pour le moi-lecteur
d'aborder l'inflammatoire du sexe qui tue, ce moi impossible du coup de couteau porté à
l'envie au bas-ventre de la femme par Moravagine; car Cendrars nous emporte aux lisières
communes de la médecine de la folie et de la métaphysique, déroulant dans son langage la
conscience en "hallucination congénitale", infectieuse, voie nécessaire de l'émancipation.
Et les maladies de cette thèse jamais écrite de l'apprenti médecin parti sur les routes
amoureuses de la Russie, folie, tuberculose, syphilis, carate, tumeur pinéale, de ce tissu
rétinien enfermé au centre du cerveau et dont l'hypertrophie va fermer la pensée et dilater
l'image, sont peut-être la principale manifestation de la matière universelle, de cette énergie
qui, sans la gangue des représentations, toujours nous porterait vers ces forêts moites et
denses dont les fleuves indiscernables gagnent les îles sans rivages. La santé, alors, n'est
plus qu'une maladie morte, l'étouffement de tous les cris, un lieu commun, un cliché
physiologique, un arrêt sur la mort-processus dont nous voudrions voiler l'essence. Mais,
poursuit Cendrars, les médecins d'aujourd'hui croient pouvoir extirper le mal, le détourer,
le disséquer, au prix du cadavre, au prix d'une restriction de tout reste comme de tout
devenir à la norme consciente; le maître de l'asile publiait d'ailleurs tous les ans, "après
avoir couru les congrès internationaux où se triture la science domestique", u gros volume
amphigourique: Cendrars, lui, dans son maître ouvrage autours du cas de Moravagine,
reste médecin des plaies, et non celui de l'extirpation du mal-énergie, de son détourage, de
la norme. Cendrars est le médecin qui cherche à accélérer, plutôt qu'à endiguer ou à
masquer, les accidents toniques: il fait évader Moravagine de son propre inconscient en
flammes, plutôt que de le laisser enrayer son épanouissement dans l'institut doré du
professeur renommé. Alors va surgir, "comme au cinéma", dans le délire des doubles, "une
grandeur d'intensité de chaque objet", donnés jusque là comme inanimés. La folie de
Moravagine, prince déchu enfermé, cultive de sa cellule les objets et leur sensualité, ayant
assassinant sa jeune épouse condamnée à une normalité de cour et à une sexualité partielle;
Cendrars l'en fait évader, et dès lors est gouverné par toutes les images violentes du prince
bancroche, dans un tour du monde de la violence et de la fuite, mais au cours duquel, un
jour, après des semaines de dérive dans le gel de la forêt vierge, sous un soleil devenu
lépreux de profondeur, se condensera la pensée et se dilatera l'organe interne. Car il fallait
à Sauser, rongé de la mort de son aimée, quitter son Eden imposé pour devenir Cendrars,
l'homme qui aime la femme totale, car toutes les formes de l'univers passent par la même
matrice, comme le delta du nerf optique se ramifie en arbre, vision végétale, élargissement
rasique. Il n'y a pas de science de l'homme, l'homme étant essentiellement porteur d'un
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rythme; systole, diastole, tout palpite, ma prison s'évanouit, connaissance du rythme, vérité
monstrueuse, authenticité de la vie, qui toujours ravagera vos maisons statiques du temps
et de l'espace. La folie ? Ou la réclusion absolue de Moravagine ? Evadé, la perversion en
prix à payer pour la "société", la Terre-Mère blessée de ses impubères, Moravagine inclivé,
il jouissait, mais ne pensait pas. Mysticisme de la révolution, vague perverse qui inonde la
technocratie de la dictature en marche (et pourtant le machinisme, lui, émerveille Cendrars,
mais parlé depuis le bleu de l'ouvrier, ses mains, et non la production et sa guerre).
Moravagine sur la trace de R. de Gourmont, père littéraire de Cendrars: " ... je montrerai
comment ce peu de bruit intérieur, qui n'est rien, contient tout, comment, avec l'appui
bacillaire d'une seule sensation, toujours la même et déformée dès ses origines, un cerveau
isolé du monde peut se créer un monde...". Quelqu'un a bien voyagé à ma place,
placentaire, chassant celui que je me refusais; une vie de lente écriture en deviendra la
seule façon d'être libre, de perdre l'impôt du temps, de résister à la monoculture, aux
produits, au broyage des matières premières, à leur dissociation, à leur simplification, à la
loi de l'utilité qui serait le signe de notre grandeur, de nos guerres. Quelle lenteur d'éveil
heureusement nous travaille, nous laissant encore bien des verstes de vie ! (Moravagine,
1999-2013).
Y. Haenel, Les renards pâles. Une odeur de sable, de rivière, et l'orée du village, comme
protégé d'une fine tresse blanche de coton de la circulation du Renard pâle, et du jumeau;
dedans les maisons et les greniers, que d'abord le touriste confond, se rassemblent et
montent à l'assaut d'une falaise qui ne menace pas. Commence le roman, et c'est l'époque
où le coffre de ma voiture était plein, même si aujourd'hui la marche n'est plus la seule voie
conte le capitalisme. Celui qui accepterait de rester dans sa chambre gagnerait tous les
combats, aucun fauve n'y serait plus convoqué, certes. Mais qui le circulera ? Quelle
communauté d'attente est-elle encore possible le jour où nous nous décidons à accepter la
mort ? Car la souffrance est plus qu'un pas-de-côté: quelle vie devient-elle possible "quand
il n'y a plus de place en nous pour la société" ? Bien sûr, une traversée, bien sûr, des
refuges où la lutte ne s'impose plus contre la pieuvre absurde. Hier et demain, peut-être, la
révolte. Attendre ou anticiper la mort, espace mort ou passion, Haenel anticipe. « La police
a remplacé la politique ». Cellule invisible. Un intervalle encore: à gauche l'insurrection, la
folie, Moravagine, la perversité ; ou bien la maitri, la coopérative, la contraction,
Aurobindo. Toutes limites dépassées dans les deux cas. Oxydation et contrôle, ou
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réduction, la parole de tous ceux qui se taisent, babas et zomia en seul espoir, tous ces
« sans » de l'intervalle. Les Renards pâles : un livre au style bien peu révolutionnaire qui
ne fait la une de la critique que parce que les critiques sont hypercitadins, surlimités,
membres d'une police ! Et s'extasient devant ce monde pour eux fantasque... « Je veille sur
quelque chose qui vient de loin, dont je ne connais pas le nom, et qui peut ressurgir à
chaque instant », retour certeaulien du refoulé, réveil d'éclats de ce qui n'est pas
inscriptible, ces étincelles qui dans la solitude ouvrent le temps : la solitude est politique.
La solitude, comme la pensée, reste gratuite. Peut-on hériter d'une extase ? Rousseau,
chutant sur le pavé, percuté par un gros chien, le visage en sang, entre dans la
Communauté de ceux qui sont unis par le sceau de la souffrance : « je naissais dans cet
instant à la vie ». Tracé du sang,voie violente. Et celle de la maitri. « Une mémoire
particulière, et qui traverse les corps disponibles ». « Il n'y a rien de pire que les cicatrices,
il faut que le sang coule ». pourl'heure une lune ivre dialogue sous un soleil lépreux,sous ?
Flip-flop, Mézenc, la nuit où l'on se sentit tourner avec la terre, sur un lit de fruits
d'altitude. « Le vertige de l'expérience ne se compare à rien, sinon peut-être au changement
de sexe, (…) un abîme où la volupté la plus étrange sépare du reste de l'espèce. Cette
volupté proclame une traversée des limites ». Le feu ne veut rien, poursuit Haenel,
« lorsque vous portez en vous un désert, vous allez vers l'eau ». Feu du couchant comme de
l'aurore, feu unique, « une révolution qui élargirait l'intervalle, à l'infini ». L'interstice, le
même que l'on observe entre les planètes ou entre deux pierres, deux pavés, « se déplie
comme les pans d'une carte du monde », interstice d'où fondent les frontières où nos
généalogies d'oubli ont été acculées, nous sommes entrés dans le contre-monde, les
masques se rejoignent, et maintenant les masques vous frappent. L'absence d'identité, et
non une communauté, déborde, absorbe l'espace ; seule la solitude continue d'exister sans
illusion et sans limite, « nous en appelons à la communauté de l'absence de la limite », à ce
qu'il y a d'imprenable en la solitude de chacun, au réseau de finitude des hommes-sans.
Scène finale de I'm not there, ce plus étrange rêve ; abolition par là-même de l'idée de
pays, de l'idée d'identité. Destin du monde. « Les révolutions sont toujours précédées d'une
révolution secrète qui n'est visible que de quelques-uns ».
Nous sommes tous des chiens à entonnoir thérapeutique sautillants dans notre champ de
balayage.
L'allemand "Heimat" donne cette notion de terre natale, comme un pays mais pris au sens
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régional du terme. Que l'on veut éteindre, et que l'on veut rejoindre. Entre: le sentiment
d'inutile est si fort que souvent l'on s'abstient, alors que là est le passage; et le rêve est "die
andere Heimat", le Brésil, pour l'Allemand, comme pour Cendrars le Suisse. La nuit
africaine, pour le Français, n'est qu'enclave de l'Heimat, et n'est pas "andere". Via l'Inde,
par contre, toute une Asie est possible.
Oui, me nourrir du seul soleil, physiquement. Plutôt que de tricher-mourir aux ombres
sociales. Et avoir, toujours, tout ce temps long devant moi, apaisement qui me permet de
pénétrer pleinement dans toute la dimension de l'instant.
L'homme s'arrêta sous le portail de l'asile. Il se livrait, il se rendait, comme un imbécile
aurait pensé P. Levi, mais pourquoi lutter encore, comment attendre quand on ne sait pas se
donner la mort ? Ici quelqu'un peut-être pourrait lui expliquer pourquoi après tant d'années
il est toujours là, à désespérer d'un extraordinaire. Le portail... bon, c'est l'hygiaphone des
urgences, et, finalement, un hôpitalpsychiatrique ne se rejoint qu'à pied dans la nuit, ou
contraint et forcé. Alors, ce sera, plutôt, la Zomia, un éclair de fleuve, la fumée des
pagodes, l'envoûtement des bouddhas. Car enfin, au début de leurrencontre, il avait atteint
ces expériences là, par le souffle, par l'image, par le texte, et c'est bien elle avec sa
résistance qui avait tenté de le faire rechuter en normalité, à l'intégrer en bite incertaine à
son propre social, à forger pour lui un magnifique anneau, certes, mais un anneau. Demi-
tour, cartons, billets, mieux valait partir, et les enfants sans doute préféreraient la légende
du père se dissolvant au fleuve plutôt que les couloirs de l'hôpital psychiatrique Sainte
Marie du Trou-en-Velay. Comme le poisson que le Ponot satisfait sort deux à trois fois de
l'eau avant de le gagner, il allait tenter encore, la tournée des dispensaires Dooley au Laos,
mais juste comme un pèlerinage de ce qui ne fut pas pour lui, mais qui fut rêve, et qui
créa l'extase dans son non-agir, et sans doute est-ce aussi fort, et peut-être y survivra-t-il,
alors que le père, lui, lâcha prise dans l'alcool et la maladie après sa dernière boucle
toulousaine, Montauban, Bouret (Lot-et-Garonne). Mais on ira après les dispensaires
Dooley, on ira après Muong-Sing, si le fleuve ne me retient pas, sans doute un jour poserai-
je mon garde-meuble non loin de là. D'ici-là, prévoir, une fois les cartons bouclés et la
boîte-à-chaussures-testament déposée au Touquet ou chez Pierre, une petite tenue légère,
comme dit la bourgeoise d'à côté. Tout le plaisir est de tenir dans son sac, pourvu que les
finances résistent au deux semaines de Pierrot le Khmer.
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Itinéraire Deville : 1. Vientiane, en mars le grand lac se vide, et le Mekong est un ruisseau,
en amont. 1bis. De Vientiane gagne Luang-Prabang en pirogue à moteur. De Luang-
Prabang Pavie chercha le passage vers le Tonkin, sans détour par la Chine, croisa un
certain Yersin. LP, Muang Xai (à voir, bout du monde, Zomia ? Non loin de Nam-Tha?),
DP Phu, Haïphong. 2. Zomia. On dit les Hmongs sibériens, après leur migration originaire
depuis la Syrie ou l'Irak, et aujourd'hui encore attendant la CIA pour les sauver. Les Karens
fuient la Birmanie, les Ouïgours la Chine. La ligne ferroviaire Singapour-Vientiane va
ouvrir. 2bis. Muong-Singh (la nuit où la montagne brûla), un plateau verdoyant à près de
mille mètres d'altitude. 1896, traité anglo-français établissant l'actuelle frontière
Laos/Birmanie. C'est l'invention du Laos. 3. Navigation sur le Tonlé Sap, entre Siam-Rep
et PP.
Les dispensaires Dooley : Vang-Vieng (gagnée en jeep à partir de Vientiane, jungle et
plaine, rivière Nam Lick), Nam-Tha par l'aéroport (où « ces gens de la montagne se
moquent royalement du pouvoir central), et enfin Muong-Sing. 1956, Van Vieng, la plaine,
et brutalement cette élancée vertigineuse d'un mur de roc. Le dispensaire local est à un coin
du square, en face de la maison du maire. A Nam Tha, la maison d'habitation est au milieu
du plus grand côté du triangle de la place publique, le dispensaire et ses paillotes annexes
n'en sont pas très éloignés.
Vers l'art de ne pas être gouverné. La Zomia, en terme générique de ces hauts-plateaux,
border de toutes les lines imposées : il y est sans doute des hommes étonnants, pleins, au
sommet presque de ce Mont Analogue. Un centre potentiel de contre-culture, comme les
confins indo-népalo-tibétains, comme la côte Ouest des USA lors de l'avènement hippie.
Zomia est bien le tome II de Germs, Diamonds and Guns, qui décrivait la colonisation du
globe par l'homme ; Zomia est cette nouvelle phase de résistance qui s'inscrit à l'approche
du remplissage de ces surfaces enserrées de frontières arbitraires ; Zomia est résistance aux
états-nations-guerre, levant l'impôt et imposant la langue unique, Zomia est ce mouvement
de fuite et de retours qui conteste l'immobile du dogme étatique, quand on ne s'aperçoit
même plus dans nos pauvres plaines que le monde des nations n'est qu'un moment
métastable de l'histoire : Zomia est cette nouvelle épopée centrifuge à laquelle nous devons
nous appliquer, refaçonner les collectivités vers l'adaptativité locale et non plus le relai du
centre., sans exclusion de la technique qui aide à vivre, mais dans le refus de sa
gouvernance normalisante et pléonexique. Au XXè, H. sapiens a 200.000 ans d'histoire,
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dont 60.000 en Asie du Sud-Est ; les états agraires naissent au premier siècle, les limites
des états se posent au XIXè, mais l'enclosure n'est le fait que des états modernes : « vivre
en l'absence de structures étatiques a été la norme de la condition humaine ». L'état central
est dépendant de la saison, se contracte avec la mousson ; aux marges, aux confins de la
Chine, du Laos et de la Birmanie, les souverainetés sont (encore?) multiples et partielles.
Zomia est l'histoire de ces échanges et de ces relations entre une gigantesque périphérie et
la tentative d'immuabilité d'un état encore très central ; Zomia est l'expression de cette
énergie de dé-différenciation étatique. Zomia, ou grande montagne, est la périphérie de
l'Asie du Sud-Est continentale, et a environ la superficie de l'Europe. Postulée par Jean
Michaud, elle englobe la quasi-totalité du Laos au-dessus de la vallée du Mékong, le nordet
le centredu Viet-Nam le long de la cordillière d'Annan, les franges nord et est du
Cambodge. Et d'abord de vastes régions de Birmanie et de Chine. Quatre-vingt à cent
millions de personnes y vivent, et plus de cinq familles linguistiques y existent. Il n'y a pas,
il n'y aura jamais de Zomiens : on n'habite pas la Zomia, on la gagne, on la perd, on la
désire, on l'oublie, on y retourne, on y est acculé, on y résiste. Des éclats d'états_nations y
sont dispersés, totipotents. Sans racines, peut-être, sauf celles que l'on y emmène pour
vivre. Et en Inde ! Car Zomia est un terme qui désigne, aux confins de L'Inde, de la
Birmanie, et du Bengladesh, les gens de la montagne, fuyant la plaine, résistant à la plaine.
Zo : retiré dans les collines ; Mi : peuple. Seul un état-nation du XIXè pouvait tenter une
illusoire perpétuation en établissant une forteresse dans une cuvette, DP Phu ! Zomia : un
air de peuple Shadock en quête de territoire mais qu'il faut créer, sur place, à grands coups
les blancs du monde. Le « truc » des gens de la Zomia : l'espace difficile à conquérir, celui
où Yersin se plaisait (et pourtant s'y vendait, aussi, à l'oeuvre coloniale,hygiéniste,
acclimatation d'espèces de subsistance, mais aussi... de l'hévéa. Se retrouvant, au final, loin
du choléra de la grande guerre, du suicide de l'Europe, auprès de ses fleurs (quand Deville
donne la technique littéraire du pas-de-côté, qui permet l'échappement en la faille, le dire
du dépassement, la collection des sensations).
Car Zomia, colline, est une relation à l'altitude. Inde : « le sanskrit est réduit au silence à
partir de cinq-cents mètres ». Animisme (ou chrétienté-refuge) des collines, millénaristes,
versus religions du salut des plaines, bouddhisme et islam. L'altitude y permet une
pyramide politique plus plate que dans les vallées, domaine de la transcendance, de l'ordre
d'en haut. D'ailleurs, dans la Zomia, il n'est pas de surplus économique détournable en
19
soutien à des rois ou à des religieux ; la Zomia est antithétique de la pléonexie.
La Zomia est zone de migration positive et d'auto-marginalisation (lien vers « la pulsion
étatofuge »). Capacité à « agir sur le champ » (celui que l'on quitte), instabilité. Et
sensibilité aux prophètes : ceux qui annoncent l'autre monde, meilleur. L'auteur pose
l'hypothèse de la dédifférenciation plutôt que du « retour » à des sources, comme l'affirme
l'histoire des états-nation qui voient les collines en sanctuaires d'une humanité primordiale
déficiente ; or ceux de la Zomia ont souvent été ceux des plaines productrices, maltraités
par le système productiviste, et qui décident non pas un retour mais un exil.
Dédifférenciation agricole (abandon de la riziculture irriguée des plaines pour la culture sur
brûlis), des structures de parenté, et linguistique, dans une tactique de résistance à l'état.
L'ouvrage propose une ré-écriture, celle de l'histoire non-étatique, actuellement confinée au
« rebut » par les histoires officielles ; il n'y aurait pas primauté d'un migratoire à partir des
collines, mais une migration secondaire des états en formation vers ces confins moins
sensibles à l'emprise du centre pléonexique. Quête d'une autre emprise, non plus celle d'une
oligarchie, mais individuelle, sur son seul lopin, sans rendement, sans décision, au seul
prisme de la terre qui veille. Un autre ordre politique, refusant l'exclusive de la famille
nucléaire, de la confédération des villes. Une population-rhizome, adaptative, nomade, non
seulement géographiquement mais linguistiquement (on s'adapte à plusieurs dialectes dans
la zomia) comme sur le plan des coutumes, une adaptation résultant de la « friction », de la
résistance du terrain que l'on rejoint, aux échanges aux contrôles (un équivalent du monde
de la colline est celui du monde maritime, non étudié dans cet ouvrage. Peut-être la Chine
actuelle se prépare-t-elle à nouveau à l'état maritime, face au risque annoncé de
désagrégation de son état agraire).
La zomia et l'état sont en relations complexes et dynamiques. L'état précolonial exerce une
domination sur une main-d'oeuvre et non sur un territoire : le poumon rizicole de la plaine
irriguée s'attache à concentrer la main-d'oeuvre mais subit des fuites face à la coercition et
la pénibilité d'existence ; de nombreux événements (guerres, épidémies, inondations, etc...)
peuvent déstabiliser l'état voire le faire disparaître (les états-ruines sont nombreux dans
l'histoire de l'ASE).
L'état est protocole d'assimilation, projet politique, et non identité à l'origine ; l'état se veut
ciment d'une population toujours polyglotte en puissance, et l'identité qu'il proclame est
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bien plus performative que généalogique. L'état dans sa quête de main-d'oeuvre et ses raids
esclavagistes crée un cosmopolitisme ; mais l'état est évanescent, fragile, il oscille, il
saigne des exodes, il provoque sa propre périphérisation : l'état-ville souffre de son risque
démographique. Son centre souffre : en occident, jusqu'au XIXè, le solde natalité/mortalité
des cités est négatif...
Des cultes s'instaurent face à ces protocoles d'assimilation : shivaïtes, brahmaniques,
bouddhiques, (### courbés).
Les « personnes baladées par le vent », vagabonds, clochards, nomades, inquiètent les
états. On invente aux frontières des « catégories ethniques », artefacts de statut civique
distribués par ce « centre » qui se dit homogène et instaure conceptuellement la
« barbarie » en situation politique. La frontière moderne, acculée, acculante, se vide même
de ce concept-là de barbarie, pour ne plus retenir que celui d'étranger, quand il n'existe plus
de marges, comme dans le processus européen actuel « à rebours des nations »:la frontière
même s'autonomise alors comme concept, mais ne sépare plus rien... Plus rien: que des
groupes linguistiques, imposés par l'histoire, par son écriture. Et par la langue nouvelle
devenue pour l'heure maternelle... Eloge du métissage, contre-frontière de l'intérieur du
moi. Réelle tentation de la Barbarie. Psychopathologie de la barbarie, toute autre que l'exil
économique : une pulsion des marges. Une border-linitude en phénomène à venir de
déconstruction des états . Un passage à l'acte de la dénationalisation des sujets.
Alors que l'état, lui,considère son emprise comme irréversible, ce livre dit l'autre flèche,
car il y a bien une entropie des cités ; mais ce « retour » n'a encore aucun espace
légitime,même dans les interstices des discours qui se voudraient opposants à une
souffrance officielle. J.C. Scott décrit scientifiquement dans Zomia la faille étatique,
comme en parallèle à la faille saisie dans le discours par de Certeau, mais au niveau
démographique et non plus linguistique. Faille du corps, aussi, qui par ses blessures évolue.
Dans l'état totalitaire, il n'est plus de marges vers où se mettre en marche (Allemagne
nazie).
Objets superficiels non durables, évoque l'artiste : quel serai leur Δt ?
21
Les nuits et les siestes s'écoulent de repos jusqu'à la presque déprime, où il devient
préférable, tout compte fait, de gagner l'éveil ! Et le soleil redispose, chaque fois qu'il est
présent, et qu'il n'est pas de murs, et qu'Elle n'est pas loin, possible. Et qu'Elle est loin, et
je l'aime, le désir qui émane de notre propre faille et ce sentiment qui « boucle » et que l'on
dit amour, ce « il n'y a pas de rapport sexuel » en fondement psychanalytique, en définition
de notre corps à jamais indéfini, impossible, « ce n'est pas celà », le réel c'est l'impossible,
et raison de plus pour avancer. « J'aime à vous », jouissance narcissique de la boucle du
sentiment, l'amour est l'impossible désir, mais désir cependant, de faire un, écoutons-nous
encore ensemble. Mais elle n'est toujours pas d'accord, elle aspire à être tenue et par le
Duende, et par celui qui la dira et la donnera totale : elle est femme. Nescience de la
psychanalyse lacanienne (séminaire XX), traversée des savoirs, dette plutôt que don,
impossible articulation del'avoir, principe de plaisir, et de l'être, recherche de l'Un. Sauf,
mystique ? à jouer sur la plage d'un monde sans fin.
Corps calleux, communiscence, jonction entre les deux hémisphères, et qui fait le propre
de l'homme, sa réflexivité, selon J. Barry : agénésie et déficience profonde. Syndrome de
« dysconnexion calleuse » dans les atteintes moins radicales de cet organe médian : anomie
tactile gauche, alexie visuelle gauche, ambivalence émotionnelle, asynchronisme. Je dois
être mal connecté, et capable donc de diachronie. Les batteurs eux aussi, qui rythment à
droite autrement qu'à gauche sur leur djembe, doivent être peu calleux... Fabuleux monde
du corps, qui parle ses anomalies, le diagnostic médical est quête de déviation à ce silence,
en autant de passages singuliers, et en compassion interne au déracinement de tous.
Je passe ma journée à appeler des saints au téléphone (les services de l'hôpital Ste Marie du
Trou-en-Velay). St Michel, bateau au coeur renversé, à la tour occidentée... St Michel(1),
sas d'à côté, annonce déléguée. Mères-hauteurs : où est-elle ? Torsion de toits pour
préserver un axe.
Melting-pot sous-patronymique : au-delà même de l'américanisation et de la sécularisation
des prénoms, le pedigree n'est plus géographiquement informatif en occident.
Faiblesse, absence de jugement, refuge dans l'équipe, dissolution... le pluridisciplinaire en
argument.
22
May be a short biography would be better than a « curriculum ». I was born in a post-
colonial nation (France before 1968 events), and started medical studies with the initial
willing of (becoming a Schweitzer or a Dooley) helping what was dsigned by
« developping countries », (in order to fill, by giving help to other people, and by receiving
devotion in return from them, the intrinsic gap of existence that I felt). So I studied
infectious and parasic diseases, and was involved in the system of assistance in former
French West African countries. Nevertheless I rapidly took distances with the « expatriate
system ». My main satisfaction during this period has been the training of African
colleagues, some of them now been themselves involved in South to South collaboration,
for improving local health systems. After a period of HIV research in Pasteur Institute, I
leaved this institution because of the growing influence of private pharmaceutical groups
on research programs. I then had a short but crucial experience in medico-psychological
care to refugees victims from violences, and acquired experience in the fields of disability
and psychotrauma, and was involved since this period beside disabled people, (and more
specifically these recent years) beside patients suffering from psychiatricdiseases. I
became more and more convinced during these years that escape from an imposed
« normality » is a way of resistance against central pressure from oligarchy, and that a
« new deal » could arise from people from social andgeographical margins. The recent
book « Zomia » reinforced me in my willing to explore and be part of this great potential
of people leaving in such resistance to the normalizing program of the modern states only
commited to profit. I am conviced than small autonomous communities acting in a
cooperating way - but without denying modern techologies – are the only answers for
preservation of liberty, human rights and also access to a true spirituality linked to the real.
In the medical feald, I think that preventive medicine, in a global rather than organ-specific
approach, but using scientific basements, is the best way to assure health of local
communities avoiding for them be dependant to external ideological and financial
influences.
L'exotisme de Douai, Nord, le TER Arras-Biache-Vitry, un bar alternatif, et pas que parce
que sans alcool,mais « fondé par un pasteur », alors, forcément, on cause. Jimmy P.,
psychanalyse d'un indien des plaines, fracassé par les guerres des nations. Suis en attente
d'une rencontre avec un Outlaw US, renégat de la Zomia, et aussi d'un câlin-dialogue avec
ma petite sœur ergothérapeute, on nous a mariés, nous n'en savions rien, nous pressentions
quelque chose. Avec SM-la-Khmere aussi je fus marié il y a quelques années, mais elle
23
était d'abord réparatrice de son propre psychotrauma. Marguerite pleure son Maître pingre,
ne pleure plus, reprend sa route. Quelque chose se noue, parfois, de toute nos failles
constitutives. Le plein de bidis est fait dans le Xè où c'est en anglais que l'on me remet sur
le chemin de la gare du Nord, Ganesh est figré sur un bateau, « peut-être a-t-il envie de
voyager ». G. Devereux : une communication entre personnes de bonne volonté, d'abord,
loin le mercantilisme Lacanien, l'efficacité d'une traduction forcément partielle, mais les
cicatrices sont d'abord celles d'un langage imposé qu'il nous faut retraverser.
Le grand-père paternel se présentait comme un « industriel » dans ses tentatives toujours
renouvelées et toujours déçues d'entreprises, Marseille avec son frère bientôt dit disparu en
Amérique, en 1940 le camion de la société réquisitionné par l'armée, etc... Désir et mythe
d'une « entreprise » qui protégeait son fils, et son neveu, réfugiés dans l'autre zone, et qu'il
faudrait faire revenir : le père revînt, obscuré, son cousin persista le Sud. Le grand-père
traduisait son désir en décisions/ordres/arrêts. Maxime, inquiet pour son avenir
professionnel, est comme saisi de ces tentatives-échecs. Un « milieu », un gaz, un éther,
un nuage de son système solaire, qui toujours migre avec le sujet.
Un acte notarié peut bien traverser, intact, le champ des mouches, tentant la fuite encore au
tout dernier étage en cet été indien: le droit de passage se rétrécit, mais persiste à l'infini, de
plus en plus mitoyen. Très en bas, complètes sauf le N° 7, les années 1849-1927 se
négocieront au mieux à l'événement toujours impossible : de l'après-moi, de l'après-soi. Il
fait bon en être. Tout se transmet, malgré. Malgré quoi, qui nous hante et perturbe l'ange-
au-soi ? Cette trace toujours incertaine, nous ne la suivons pas, nous ne la créons pas, nous
l'inventons, perpétuels épilogues plus qu'archéologues de l'être , car nous allons bien plus
fort que ce sens-là du temps qui nous fut, en un instant minéral, imposé. Nous brûlons,
mais par une braise de toutes les dimensions. Aucune traduction ne nous impose, toutes
nous croissent, nous croisent, nous emportent,jusqu'en ce jour enfin unique où nous
parlerons tous, et de plein, libres de la halte et de l'angoisse du silence, heureux et plus
seulement réfugiés, maîtres calmes des couleurs, fruits-sourires. Comme une fête de
Ganesh, qui, de protecteur des foyers,devient celui de la marche commune. Emoi.
Réveil : des vagues de maisons opales.
Karma, krama : « quoi de plus beau que la médecine et l'archéologie ? » pense pour ses fils
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le père de famille occidentalisé, pas encore à l'aune de la terreur Khmer rouge, qui, comme
le nazisme, assignera l'objet-corps à des numéros, S20, ou matricule 7726217, esclavage,
torture, assassinat. On peut en survivre : du karma, mort-folie ; du krama, condensation de
son intime, et lien.
92, 43, 62, 13. Mais j'avais zappé le 34, celui d'aucune femme, face à cette caissière qui me
demandait mon adresse pour retrouver... ma carte de fidélité.
Premier coup-de-fil (il n'y a plus de fil, sauf celui du bidi retrouvé) to propose to Brigit-to-
India insect's repellents. A lot of.
Rencontres d'Aubrac, atteintes en trois jours de chemin, si l'on aime ces montagnes pelées,
on est sans doute libre de beaucoup de choses. Eden et immobilité principielle ? Eden et
Exil, et qui n'est pas forcément perte, marche douloureuse sans doute, mais marche portée,
et contrapuntique: avant que de souffrir, il s'agit de connaître la perte, de deviner la
plénitude de son enveloppe perdue ; sans doute cette aptitude au bonheur encore à venir
est-elle cette aptitude à goûter l'originaire. Des mystiques, des calculateurs, et quelques
ermites douloureux. Un eden encore beaucoup trop terrestre, se rendra-t-on compte bientôt,
car il persiste un interdit en eden, un seul, mais il est encore logique du bien et du mal, il
n'est qu'étape. L'eden n'est-il que la matrice, est-il déjà la matrice, ou bien n'est-il que
plaine presque ouverte, presque, bientôt enclose de la fuite ? Des chérubins gardiens de nos
doubles abandonnés, des angelots d'attente, à la porte d'orient, et qu'il faudra convaincre,
au retour. La passe de Shangri-La, étape intermédiaire de l'immortalité, et encore
différentielle des sexes. Peut-on, d'ailleurs, nous demande O. Germain-Thomas, dans son
habit de pachtoun émacié, parler de l'eden ? Parler de l'amour ? Parler de cette immobilité
principielle, qui dispenserait de tout voyage ? Nous en avons des expériences, nous en
avons un imaginaire, un songe, pouvons-nous y apposer des mots ?
Quelle que soit la cause de de la maladie, quelle que soit l'origine du virus, la maladie est
toujours un fait social total, et traiter la souffrance de l'homme atteint doit utiliser toutes les
ressources possibles, techniques comme spirituelles. Il s'agit de bien plus que de tenter de
guérir sa maladie. Quelle est alors la place de la prévention (hygiéniste, etc...) à long terme,
forcément efficace uniquement à l'échelle d'une seule vie ? Prévenir la maladie serait bien
une politique, à inventer.
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Manuel d'archéologie médiévale, M. de Bouard, 1975. Le mobilier donne le terminus post
quem du milieu. Mais ne sommes nous pas plus vieux que notre naissance ? Notre éther
n'est sans doute pas si assujetti à la chronologie. Hagiographie, pédologie. Les
constructions de bois sont parfois posées sur un solin de maçonnerie. Dont nous sommes
en quête perpétuelle, détourement, que nous masque-t-il et que nous filtre-t-il, tel notre
double dont nous sommes périodiquement clivés, de notre rocher originel ? Et ce rocher ne
fut-il pas d'abord argile, toujours en décomposition ? A partir de la fin du XIè, on n'utilise
plus un bain de mortier, on pose le blocage à la main entre les pierres du parement, dont les
joints, alors, s'amincissent. La pierre remplace le bois dans les édifices civils. Couverture :
au moyen-age, l'ardoise est un matériau noble ; du XIIIè au XVè, la tuile plate gagne du
terrain (ces tuiles sont alors liées, comme les ardoises, par du mortier). Au Vè, l'utilisation
du verre se réduit très fortement. Ce matériau restera un luxe jusqu'au XIVè. Vitrage au
plomb (présent dans les églises dès le VIIè, des fabricants itinérants construisent leurs
fours au voisinage de l'église) : de nombreuses craquelures dans la glaçure lors du
refroidissement. XIIIè : des urinaux en verre (nécessité de parois translucides pour
l'exercice médical).
Les milieux « naturels » du globe, de J. Delumeau. Retour de cette randonnée en Haut-
Atlas, de cette montagne qui s'est levée puis a laissé l'eau couper ses strates rouges,
blanches, jaunes verticales, abîmes de la Pangée, pour nourrir la vallée d'altitude, heureuse.
Erosion : une nature des matériaux, des solutions de continuité qui autorisent la circulation
de l'eau. Mécanique : dessication, pression, cassures ; appel au vide des versants,
tremblements de terre, thixotropie. Et dissociation superficielle, météorisation, blocs,
cailloux, graviers, sables. Dilatation/contraction sous l'effet du gel, du soleil, du
gonflement des poussières. Impacts de l'eau de pluie, de la foudre. Chimie de l'eau:
dissolution, hydratation, oxydation, hydrolyse, réduction. Vecteur CO2 : dissolution
karstique des calcaires. Des sous-produits en solution. Erosion biologique: radicelles,
racines des lichens, des arbres, etc... Transport des débris et érosion stricto sensu : les
débris gagnent l'aval par gravité (ici encore, les gens de la montagne exercent un
mécanisme anti-entropique local mais collectif, significatif, qu'il faut rendre plus
contagieux que l'individuel, celui du soi qui se ferme au « danger » minéral). Gagnent
l'aval directement, ou transportés (le vivant, chez les stoïciens, est le transport inverse,
passif de la pierre ou des tissus non doués de mouvement propre, actif de l'animal).
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Transportés par différents agents, vent, boue, neige, glacier, EAU. Abrasion tout-au-long
de ce trajet : couloirs d'avalanche, vallées glaciaires en auges avec contre-pentes, carènes
des roches tendres exposées au vent. Ravins, lits, gorges au passage des eaux courantes, et
érosions latérales si un obstacle se présente à l'eau : glacis, « plateau » du M'Goun, plus ou
moins creusé d'oueds secondairement. Dépôt des débris, sédimentologie qui trop souvent
ne nous interpelle pas. Cône d'éboulis, moraine secondaire à la fonte du glacier, dune
quand stoppe le vent de sable.
Marseille, fouilles de 2005, opération Collège Vieux-Port. A l'entrée de la calanque, rive
nord, celle-là même dynamitée sur ordre des Nazis en 1943, « opération Sultan ».De 1945
à 1964, on met à jour le théâtre antique, les vestiges sont visibles dans le collège, un
enseignant en sera, migrant dans le Pas-de-Calais, harponnant ensuite une cohorte d'élèves,
et « moi, Monsieur ! ». Un théâtre romain, mais d'inspiration grecque. Les fouilles
récentes, un « typique habitat colonial grec », sur le rivage, 40% de la vaisselle est
importée, c'est inhabituel même à Marseille, c'est énorme, c'est un habitat aisé. Trois
mètres de stratigraphie, de -600 à -500, trois mètres !!! Le niveau archaïque, et le plus
vieux élément connu de Marseille : « on a la chance d'avoir l'élément central sur notre
fouille », déclare-t-il en substance, qu'aurait dit l'autre archéologue, du trou d'à côté ? Une
architecture de terre et de pierre, de terre ou en adobe, cette brique crue, terre et brique
crue, à Marseille ce matériau très courant, et toujours récupéré. Mais le travail ne s'arrête
pas à l'interprétation des structures, il est des fossiles directeurs, microsphérique du
mobilier, macrosphérique du social. On tente la fonction : des boissons, des repas, des
banquets couchés ou symposium. C'est beau, cet alignement de gros et de petits blocs, ces
remblais d'effondrement, ces enduits décorés ! Ici, le « fameux », cet événement qui reste
extérieur à la fouille, devient l' « exceptionnel » d'un mobilier, d'une invention, d'une sortie
de terre. Fameux de la Connaissance, d'une Culture, d'Autres et de l'Education ; une
perception et une action plus loin, un projet et ses traces, l'exceptionnel. Premières toitures
en tuiles des monuments : « une pâte très sableuse avec beaucoup, beaucoup, de petit
dégraissant » . Mais : le gigantesque chapiteau ionique, réemployé dans un mur postérieur,
fut exhumé non loin, en 1952 mais il y a cinquante ans on ne prêtait pas attention aux
vestiges de terre d'aujourd'hui, traces à venir, demain le sable, peut-être, tout juste un peu
plus loin, centre en projet inouï d'une fouille toujours à venir. Pour l'heure : P (A/B)
= ? ...Un sanctuaire à proximité, nous sommes alors basculés par l'explosion d'hier dans
l'emprise d'une des zones sacrées de Marseille... Fondations et élévations, commerce et
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sacré, hasard et mémoire ; la salle de banquet (couché) est forcément double. Mais voici
les niveaux des pleines, assumées, universitaires périodes héllénistiques et romaines : rien
de bien sexy ici, une récupération énorme, classique, entre les VIè et VIIè siècles, y
compris des fondations grecques, sur trois à quatre mètres de profondeur ! Strates
médiévales et modernes, donc, déjà : mais le dérasement des années 1950, disparition de la
stratigraphie. « Bon, mes chers amis, nous nous connaissons, nous avons visité le site
ensemble. Alors, maintenant, pouvez-vous me dire... » Ses accents de ponte politisé, à
l'odeur d'alcool digéré. Attaque personnelle, après l'élévation générale, les rivalités de
l'instant. « Comme vous le savez, je suis... ». Que savons-nous ? Quelles invasions, quelles
présences autres ont permis notre abrasion, notre érosion, notre détourage ? On a arraché
les parements pour lire la stratigraphie, on a même découvert une présence arabe au XIIIè,
par un élément réemployé.
Magritte ou l'éclipse de l'être, M. Paquet. 1898-1967. Théosophie ? Le voyageur et la
messagère. Evolution, rencontres, constructions d'idées par le chemin même. Une sphère
protectrice en suspension royale, loin au dessus de l'écorce. Le thérapeute : l'horizon est
courbé, la nuit est dehors, le sac et le bâton de voyageur-intégrateur, le bout de la route,
cette jeunesse illustrée. L'oiseau-oeuf, l'arbre-feuille (« dernier cri », 1967), clairvoyance-
unité, et découpages. Empire des lumières, la lampe du jour-nuit. Abîme du tout, abîme du
temps. « Le mystère est ce qui est nécessaire pour qu'il y ait du réel » : à appliquer aux
êtres qui nous semblent familiers. Indiscutable antécédence de l'être, le plus ordinaire n'est
pas de penser, et la peinture n'est pas illustration, ni contestation : elle est auto-
développement de la pensée elle-même.
La Madeleine à la veilleuse est océanienne, de cette autre Zomia, que l'on me propose (le
bateau de la liberté, entre Oregon et Akha). Mais d'abord voir la montagne : y serai-je
avant la nuit où l'on décide de la brûler, là-haut, sous l'Himalaya qu'il faut savoir, et bien
au-dessus cependant de la plaine, à Muong-Singh d'où mon jumeau-génie trop efficace
(Tom ! Dooley) ne voulait pas partir, ayant accompli sa traversée ? Dooley, dans son
troisième et dernier livre, écrit alors qu'il se sait condamné, dicté peut-être sous morphine,
le cancer gagnant les vertèbres : « j'avais cru vivre dans un pays hors du temps, animé par
des forces fantômes », relatant ses dix mois passés à Nam-Tha ; « et pourtant je savais que
des forces antagonistes étaient en présence et que des dangers invisibles menaçaient. Le
royaume du Laos était comme une maison divisée contre elle-même ». Mille neuf cent
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quarante cinq, les Japonais défaits déclarent le Laos indépendant. Février 60, Dooley fonde
un nouveau dispensaire à Ban-Houeï-Saï, là où il fit cette chute qui révéla son cancer, alors
qu'il avait décidé de faire le voyage en pirogue de Nam-Tha à Luang-Prabang, et que
« chaque village semblait connaître sa propre épidémie ». Une étape avec son équipe à
Angkor, au bord de l'étang qui se trouve derrière la cour du roi lépreux, Dooley désirait s'y
baigner sous la lune. Puis ce sera enfin « la petite clinique du village de Muong-Sing dans
le Laos du nord » : « cette tristesse sauvage des vallées répondait à celle de mon cœur (…).
Un lieu de quiétude et de repos. Je n'avais pas envie de le quitter ». Un Tchevengour, un
Sukbaatar... « Les gens d'ici ont besoin de toi, et tu as besoin qu'on ait besoin de toi », Tom
Dooley ne veut pas sortir de la maitri, « faire ce travail, et le faire avec amitié ». Dooley
l'américain anticommuniste, Dooley le catholique irlandais, mais maintenant Dooley en
plein dans la Communauté de ceux qui sont unis par le sceau de la souffrance, que lui
décrivit Schweitzer, sceptique pourtant sur l'action alors trop prosélytique de cette tête
brûlée, lors de sa visite à Lambaréné. Imagine : Dooley désobéit au télégramme des US lui
ordonnant de rentrer (en fait la tumeur était bénigne mais le motif politique, émanant de la
CIA qui voulait lui donner de nouvelles instructions), Dooley poursuit son parcours
mystique (comme l'annonce le ton de sa conférence publiée sur youtube, document 3/4) et
devient un prophète de la Zomia, un chef charismatique, qui y disparaîtra à 53 ans
seulement. Ou alors, Dooley rentré aux States est éliminé par la CIA, qui comprend qu'il
lui échappe, qu'il ne soutiendra pas l'entrée en guerre des américains au Viet-Nam et au
Nord-Laos. Il est encore pour l'heure à Muong-Sing, « cernée par des pics très élevés, sauf
au sud, assoupie sur le plateau, enserrée dans des montagnes pourpres ». Et d'avion
« parfois on découvre une montagne brûlée. Je devais apprendre plus tard que c'était en
vertu d'un rite et quelle était la signification de ce rite ». Bruley doola sa montagne en vertu
de ce rite.
Google envisage vers 2045 de pouvoir « uploader »le cerveau humain sur un disque dur, ce
qu'il assimile à une forme d'immortalité... d'une énorme machine de Türing, peut-être. Les
anges pourront-ils faire obstacle à ce transhumanisme, à cette connectique autonomisée ?
Ils proposeront toujours leur solution, obligée, à cette incomplétude, et, comme aujourd'hui
également, aux pauvres, ceux qui n'auront pas pu ou pas voulu être chargés dans le grand
système. Il y a n anges de complétude, sans doute, ce qui laisse espoir de conversation à
tout-un-chacun, quel que soit son handicap actuel. Par contre, peut-être Google nous
fournira-t-il (ou bien doit-on dire elle?) la machine sublime que j'espère : celle qui
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permettrait de dire sans passer par le clavier, de transcrire la pensée sans plus
l'intermédiaire ni de la plume ni des doigts, de dire tous ces pré-mots qui défilent. Là on
ferait grâce à la technologie un pas vers l'inconscient et le réel.
Capitulo 13, c'est ma première « oeuvre » que je détruis, Shiva est à l'oeuvre, dans toute
pulsion créatrice il y a aussi de la destruction. Pas de regret, sous-couche comme motifs
étaient beaucoup trop ternes, me cantonner aux sept couleurs de l'arc-en-ciel, même si je
n'en compte que six (indigo, rouge, bleu, jaune, orange, vert), même hier soir sur ce
double arc époustouflant qui nous donnait au monde d'une hémi-coupole tangible nous
reliant aux verts crus des arbres du soir.
Pour pouvoir boucler le tri de ma bibliothèque -et ce déménagement-ci, quoique des plus
angoissants et des plus exténuants, est à cet égard salutaire, working books d'une part,
conservés avec moi pour l'essentiel ; livres jalons fondateurs, et donc testimoniaux, d'autre
part, mis au garde-meubles et à redécouvrir avec empathie par qui les délivrera ; et enfin
quelques cartons d'ouvrages sans plus d'aura et cédés à des bouquinistes ; pour achever la
réduction de ma bibliothèque il me reste donc à écrire cela :
Les spectres de Leitenberg, dans Un voyage de H.G. Adler, répondent aux critères de
Merleau-Ponty, ils ne sont que gauche et pas droite, ou l'inverse, mais de plus leur grand
nombre rend leur existence particulièrement incroyable, il n'existe donc pas de spectres,
sinon ils existent partout. S'il n'y a pas de zone grise, alors il y a des décisions claires ; et
Paul n'est reconnu de personne, mais il lève les mains pour saluer.
La « Dys » (lexie, graphie) c'est la pression du clavier connecté, Farenheit 4combien
déjà ? 51 comme un poisson dans un autre océan, mais clos, de bits . L'enfantdys pourtant
est heureux, et se fait photographier tout sourire, avec le livre que son copain vient de lui
offrir à son goûter d'anniversaire. Le livre en suspicion d'une nouvelle narcopolice, le livre
grésille.
L'adolescent inquiet demande à l'enfant où est la route. C'est le vieillard, qui lui répond.
Watergut & Mudwoman, dans l'attente on peut se réembourber dans les souvenirs qu'on a
toujours tenté d'éviter, « quelle fut ta boue ?», demandera l'analyste à chacun de ses
patients. Il est des traumas de feu, violents, et d'autres mous, carcans d'abord indolores et
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hypnotiques, promutiques. Un jour enfin on sent s'écouler cette pâte vers l'arrière, gluant
vers le sol, derrière sa tête, comme sous l'effet d'une sauge divinatoire, et l'on peut
raccrocher son génie propre : « allo ! Je suis de retour ! ». Le temps terrestre n'est que cette
façon particulière d'empêcher que tout n'arrive en même temps, et Lee l'opiomane, après
son AVC, abandonne définitivement la chronologie linéaire (Narcopolis). L'important, ce
ne sont pas les mots du textes de notre vie, mais le silence, ce qui passe entre, dans l'éther
qui cotoie, sans les circonscrire, les maux, les désolations, les blessures, la solitude ;
chacun construit son chef-d'oeuvre dans un temps qui n'est pas le sien, se mentant à lui-
même de plus ou moins bonne foi, survivant dans le mythe qu'il s'est fabriqué, les mythes
des contemporains ne peuvent se rencontrer dans ce lieu construit, et tous les mythes
pourtant se parlent dans l'à-côté. Le plaisir, de temps à autre, vit d'expériences, d'états
gazeux, d'ambiances, autant de phases qui donnent aperçu d'un passage, et il est n
passages, comme n corps, n anges. Le malaise : pouvoir aspirer si peu souvent à ce milieu
plein, homogène, si souvent hématique, si souvent tellement diffus qu'impalpable. J'ai été
tôt englouti dans cette quête-là, apprenti biologiste cellulaire, quand d'un prélèvement du
sang de l'autre, déposé sur un gel de densité choisie, il ne s'agissait que de récolter des
cellules pures pour enfin observer quelque chose. « Ficoll » plutôt que capote ; de toutes
les phases du vivant, la cellulaire est la seule qui se donne à l'observation, de par sa limite,
quand on ignore encore l'éther, la zone grise d'attirance, l'informatif du processus de mort.
Quand on est prêt, un jour, le corps-membrane peut disperser ses cendres et s'endormir
sous son chapeau, enfin en certitude. L'oubli n'est pas du côté de la mort, mais du
mouvement longtemps brownien de nos Mois ; la chute de l'empire stoppe la tragédie, mais
pas l'idéalisme.
Narcopolis, donc, de J. Thayil. Une Inde de Chine, l'opium est Shéhérazade, un rêve d'une
grande cité brisée, et déjà l'aube où l'on se tait. Où l'on décide de douter de soi, et alors on
ne mérite pas la compassion comme si on souffrait de cancer ou de tuberculose, quand la
maladie est en scrupule du "sûr-de-soi"...
Nous avons d'un monde fait votre lit
Et des montagnes ses piquets de tente.
Nous vous avons créés des deux sexes,
Et conçu le sommeil pour votre repos.
Sourate LXXVIII
31
" Les femmes confondent sexe et esprit, les hommes distinguent toujours leurs deux ' " ' . natures, l homme et le chien , seul le désir voudrait fondre, ne faire quun Avant, juste
' - ' avant, on se prépare au grand calme, cest le juste avant de la drogue que l on espère, que ' . . l on sait, de la ville brisée Puis, on separle, voyageurs O: ' on parle à l horizontale, comme
- une cybernotoxique de divan peut être, comme une extase refusée aux abords de la . " ' " psychanalyse, et commeH Michaux disait le regard indien celui dun corps allongé , dans
Un barbare en Asie... " 'Et moi je voulais simplement être ailleurs, quelque part, n importe "... ' - . où, mais pas là rentrer chez soi ? Jai personne là bas Et bien sûr, pourtant, que ce
" " passage du mot, cette extase et ce creuset, même solitaires , se déposent quelque part en ' ' l espace intermédiaire, et circulent à tous, qui veut les toucher, qui veut sy appuyer; ' - - . l identité étant la grande illusion, nous participons tous de ce corps qui revient Mais
" ' !!" -cétait miraculeux, la façon dont son humeur changeait Une structure du border line, 'mais qui serait décompensée par la répétition cyclothymique, ou bien par la solitude quon
- ' se refuse; le corps se tord il dans le passage à l acte ? Sur son autre pôle ? En simple ' conséquence dune humeur devenue instable, par lâchage, par déplacement de la limite ?
' ' : Dans le passageà lacte qu il soit familial, social, ou toxicomane O. Et desandrogynes, des ' anges féminins, en pierres dattente aux murs de ce refus; les fantômes montent rarement
- sur le pont, car ils doivent trimer trois fois plus que les vivants, non linéaires, à tous ces plans, attirant si peu notre attention, dans leurs boutres enmer rouge ouHollandais volants,
. " " - puis le retour au fleuve, enfin, à temps plein, au soir de feu Le musulman ici la femme - ' émaciée de son opium sait la mort, l énorme mort interne, le vent toujours étranger, qui
. faseille saburka, ne tentant plus le havre unique desvertébrés
" " Les rêves ne sont pas étanches , on se frotte, ghrei est le sanscrit de frotter et a donné le " ' " Christ, l oint , on circule par tranches comme par prophètes dans le pit loka . , le bardo On
' - " ". y croise vers l animal de la douleur pure, et le minéral du sans douleur du speed Passe - )!( aussi une femme plus trop jeune, la trentaine peut être, soprano soprano colocature, ' .cette facilité à vocaliser plutôt quun registre à tenir, elle est encore, elle, au septième ciel
" " ' Une voix aussi puissante de ce petit bout de femme , mais ici, àNarcopolis, l opéra est la " ' ' véritable expression du chagrin; être dieu, cest y prendre la vie de quelquun et le réduire
". - en cendres comme un beedi Comme un paquet de beedis, peut être, vendus encore en ce - ' . Bombay là dansun paquet fait dune feuille cousueavec un fi l, structure en abîme
32
Ici, au Lager, dit P. Levi, "il n'y a pas plus de criminels que de fous: pas de criminels
puisqu'il n'y a pas de loi morale à enfreindre; pas de fous puisque toutes nos actions sont
déterminées et que chacune d'elles, en son temps et son lieu, est sensiblement la seule
possible". Douleur, ici, à l'extérieur, de la prise de décision; douceur extrême, aussi, de ces
moments d'anti-Lager où aucune décision n'est nécessaire et où peut flotter le temps. Si
c'était cela, qu'il y a après ce passage obligé du terrifiant bardo ? Et que "musulmans" par
leur condensation et mystiques par leur évanescence ont atteint durablement, se refusant au
retour ? Notre société hyper-normée tend à ce fonctionnement du Lager, les évasions
furtives rentrent dans le schéma de consommation et sont encouragées, la sortie par le fond
est cachée. Il faut pour la trouver soit constamment voyager, changer de norme; soit
inscrire sa propre norme, devenir tyran (en puissance). Il n'est de penseur que le voyageur
ou le tyran, il n'y a pas dans la sortie du trauma de voie médiane entre la perversité et la
folie; dès que je tente de m'installer, je deviens tyran déçu. Toute son existence, l'homme
tente de s'envelopper à nouveau de tuniques, de mères, de foyers placentaires; l'homme nu
est impossible, souffrant, par trop néoténique, tentant le leurre quotidien de la reliaison
prothétique au réel. L'homme privé de tout par le Lager n'est plus que vide et souffrance de
ne pouvoir aucunement combler ce vide, réduit à un rouage d'une machine grise, machine
qui peuple ses nuits aussi de cauchemars, lui n'en est plus qu'une pièce mécanique affamée
sans plus de contenant, ou plutôt remplie d'un immense du vide interne, machine se
mouvant dans un vide lui-même infini. Economie du Lager, ici il n'y a aucune entraide,
mais des quantités de trocs marchands, des candidats à la survie se nourrissent du naufrage
des autres. "Celui qui ne sait pas devenir Organisator, Kombinator, Prominent, devient
inéluctablement un "musulman"; dans la vie il existe une troisième voie, c'est même la plus
courante; au camp de concentration il n'existe pas de troisième voie". Le regard de
l'ingénieur SS "ne fut pas celui d'un homme à un autre homme; et si je pouvais expliquer à
fond la nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d'un aquarium entre deux
êtres appartenant à deux mondes différents, j'aurais expliqué du même coup l'essence de la
grande folie du Troisième Reich." "Et ma fièvre, celle de mes examens, cette mobilisation
spontanée de toutes les facultés logiques et de toutes les notions qui faisait tant envie à mes
camarades". Mais au Lager, l'usage de la pensée est inutile, puisque les éléments se
déroulent sans prise; "il est néfaste, puisqu'il entretient en nous cette sensibilité génératrice
de douleur, qu'une loi naturelle d'origine providentielle se charge d'émousser lorsque les
souffrances dépassent une certaine limite". Traumatisme par sidération brutale, on cherche
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partout l'attentat, la guerre, les sévices; traumatisme par émoussement de la pensée, comme
celui d'une enfance contrainte au mutisme... Le Lager d'une mère elle-même enfouie par
l'histoire et dont on ne peut sortir que de l'intérieur de soi-même.
Parfois quand la marche est arrêtée une autre douleur que celle du vide survient, une
pensée cette fois, Heimweh, mal de la maison. Je vide ma maison d'exil vide et tente de me
rapprocher de ce qui fut mon antre. "La conviction que la vie a un but est profondément
ancrée dans chaque fibre de l'homme. Les hommes libres s'interrogent inlassablement sur
sa définition, pour nous la question est plus simple". Les peines et les souffrances
éprouvées simultanément se dissimulent les unes derrière les autres, et nous avons faim.
Parfois, rassasiés pour quelques heures, nous pouvons être malheureux à la manière des
hommes libres. Et la pulsion migratoire, sur quoi donc peut-elle ici s'ancrer ? Celle qui
permet de rompre un lien, de se jeter délibérément, après peu de calculs, sur un obstacle à
franchir... L'entrée au camp est traversée d'un Lethe, s'estompent les souvenirs de la vie
d'avant, comme ceux doucereux et vagues d'une enfance, se réactivent et se renforcent les
souffrances nouvelles. La mort d'un homme est laborieuse.
Fleur-de-bidi sera son nom, les Ganesha que je fume depuis ma migration altiligérienne ont
bien le rose-fil de mon écharpe du marché du Trou: y rester jusqu'à nouvelle étape: Uzes !
Pourquoi ce mas m'attire-t-il, hôpital psychiatrique, m.a.s., familles d'accueil... Aller voir !
le ciel peut tenir ses promesses de retour-lutte, l'abandon de lutte est inutile, il faut trouver
la porte tout-au-fond du Lager.
Peleka, encres et aquarelles, 2013, fin du monde, Moravagine, soleil transverse, terrasse en
forêt vierge, peu de machines ici, encore moins d'indiens bleus, le caraté a fait place au
contagieux du choc des tablettes, plus aucun enfant n'écrira son nom, et le nagual même
n'attire plus au musée à venir de la civilisation amérindienne. Il ne me reste en cet ici qui se
déploie par reproduction asexuée, par image plate, par couleurs choisies dans une pauvre
palette, par rétro-éclairage au mieux, il ne reste en cet ici que l'envers d'un étourdissement:
le rire d'un immobile. Sur le quai pourtant, là où tu devrais gagner un fleuve que tu n'oses,
que tu ne penses, passe parfois, entre quelque automobile à enfant et quelque sortie de
restaurant au rapide des bureaux, le sourire imparfait d'attente d'un bronzage fantôme, le
chapeau d'une autre terre, ou le sac trop lourd du pèlerin de deux jours. Sur le quai qui seul
résiste aux quatre heures de cellule collective, qui égrène au malgré de la pensée les cents
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privés de rêves, qui affronte les dents de la déesse fondue d'instants au trésor blanc des
banques sans plus de guichets, seules les lignes de sécurité; mais un sas, diurèse des
étoiles, et le quai guide toute une bipédie encore, malmenée, quelque chose de timide en
moi mais d'indiscret, mal assuré et comme coupable, mais qui guette ta beauté.
La Bourlingue, et un petit chapitre seulement sur "les décades lilloises" en fin desquelles le
ponte m'hypnotisera quelque peu: tout était bien joué avant, coup de queue à la fille du
patron malgré tout, et une prodigieuse soif de comprendre son priapisme, il lui fallait
démontrer tout un axe plus cérébral. Je ne voyais, moi, que la continuité des
cytomembranes, mystique message, union de tout le biologique à partir de son unité de
base, la cellule. Mystères des sourires et des courbures asiatiques, bref passage à Hanoï où
le médecin capitaine faisait le mur du laboratoire d'histologie pour poursuivre la nuit ses
travaux. Héros de le résistance, qui l'eut cru, face à ce mandarin à la façade purement
intellectuelle ? Notre nature est le mémorial de la traversée des formes qui nous ont
précédées, à partir de l'étoffe de "cet" univers dont nous sommes issus, proclame dès les
premières lignes de ces mémoires le professeur qui ne jure que par le réseau neuronal, mais
un réseau issu... d'une sacrée bourlingue... Puis, un prude style ampoulé qui souvent se
perd à lui-même; Julien Barry fut son propre guru, récusant tous les autres, étant part de cet
aboutissement qu'il scrutait dans la connexion neuro-endocrine, dans la commande régulée
des humeurs et des affects... Certains de ces récits composants ces mémoires, précise-t-il
pourtant, pourraient avoir tellement été décontextualisés et métabolisés "que je pourrais ne
les avoir que rêvés". Et relate en l'enfance la naissance en lui "d'un double insupportable,
ricaneur, mal intentionné, qui n'est que notre commun démon de l'animalité vomie,
heureusement tempérée chez moi". "J'avais horreur de la souffrance, de la maladie et de la
mort; j'en venais à penser que l'humanité était une sorte de maladie honteuse planétaire(...).
Je me passionnais, depuis la seconde, pour la philosophie. J'avais lu le traité de Bréhier
(traducteur de Plotin ???) et m'autoproclamais Tatagatha (celui qui est arrivé au vrai),
Mahavira jina, le grand homme victorieux. J'étais passionné par les cours du Pr
d'histologie, friand des spéculations ultrastructurales à la Frey-Wyssling" (le maître fera
donc passer cette fascination...), "et qui outrepassait prophétiquement les capacités
conceptuelles de la chimie biologique de l'époque". Affecté à Palavas en 1942, "j'aimais à
faire de longues promenades solitaires, le long de la plage sablonneuse, et, plus encore,
entre les étangs de l'arrière-pays, dans la direction de l'ancien évêché de Maguelonne... des
éclairages comme j'en ai retrouvés plus tard à Hanoï." Rejoins à l'été 43, tout juste diplômé
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de l'école du service de santé des armées, un maquis patronné par les jésuites de
Fourvières. Désir de refaire un monde plus juste, s'engage ensuite dans les FTP
(d'obédience communiste). Une scène réelle mais relatée de façon onirique, au maquis:
une main tendue du héros de l'histoire vers son amante qui ne l'aimait pas, un peu derrière
un troisième personnage, c'était le monde d'un miroir antisymétrique, inversant le rôle des
acteurs réels, mais cela bien peu le savaient; le suicide du délaissé le lendemain, une balle
de fusil à blanc tirée à bout portant dans le crâne, je ne fis que le certificat de décès, mais je
revois toujours la première scène, celle exposée aux regards de tous, type théâtre aux
armées... J. Barry ne sera jamais le troisième personnage, ne croira jamais à un troisième
de la vie ou de l'amour: puisqu'il faut vivre, se battre, régner. J. Barry trouvera la raison de
l'amour dans la verticalité qui nous traverse, héritée de toute cette traversée constitutive
mais qui ne nous juge plus. J. Barry n'avait pas de comptes à rendre. Mais voilà le NHLDI
maintenant, qui condense toute cette traversée, voilà la quête du bon père de famille très
sexué, dont la Monique périra pourtant dans un tableau de cirrhose hépatique qu'il
s'acharnera à relier à une infection tropicale négligée lors de l'année indochinoise. Et, plus
sûrement sans doute, à ce premier-né décédé à l'hôpital de Hanoï. Et le "regain" de ses
septante ans, l'homme assaillant alors les agences matrimoniales pour refaire couple. Avec
succès. Juin 1956, Bulletin de la Société des Sciences de Nancy, J.BARRY : Les cellules
neurosécrétoires acidophiles du noyau hypothalamique latéro-dorsal interstitiel du Cobaye.
Tout le reste suivrait. Pas les publications, ni donc le Nobel, pour peut-être, pourtant, cette
toute première démonstration d'un contrôle neuronal central sur le système endocrine.
L'observation directe et la conviction du phénomène lui suffirent. Jusqu'à ce que, par trop
ignoré de la communauté internationale, son oeuvre de transmetteur accomplie, il ne se
retire, anticipant l'âge de la retraite, de l'université. Je le croisai juste à temps, en PCEM1 et
2. "J'étais reparti, libre, dans ma curiosité (ou mes délires ?) encyclopédiques". Et une
attirance/répulsion pour le Tao, mais la blague ! de la rétention séminale ! et de celui-qui-
sait-tout-pouvant-ne-rien-connaître ! La connectique neuronale, et sa téloduction évolutive,
oui ! La mort de tous les vivants, depuis l'apparition de la sexualité obligatoire, et Dieu, ce
déploiement évolutif. "Multiplexages combinatoriques, des viscérocepts aux percepts"...
J'approche de la terminaison. Poursuivre à tout prix le traçage des connectivités (J. Barry
tenta de financer des chercheurs formés aux nouvelles techniques de biologie moléculaire
sur ses deniers de retraité, pour tenter de visualiser par sondes moléculaires le tractus du
NHLDI). Trop latéral, et trop intersticiel, sans doute. Pour une synthèse ultime, "Dong
Xihuan", comprendre aimer. Libido du rêve. "Nous commençons d'abord par aimer/fuir
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avant de comprendre, il nous faut aimer pour comprendre, mais nous ne savons pas ce qu'il
faudrait que nous aimions". Humanisme de vieillard libre, enfin, puis Exit. Exit ?... La
Bourlingue: l'Indochine qui fait sa féminine couverture ressemble terriblement à un axe
hypothalamo-hypophysaire, et tout un tractus à gonado-libérine y était inscrit. La vie des
disciples n'est pas colinéaire de celle de leurs maîtres.
Les femmes n'ont rien à voir là-dedans; je veux bien gracier n'importe qui mais pas toi
(Le Maître-Monchu et Marguerite-lettone)
Plus ma maison doucement se vide, et plus j'en apprécie l'espace. J'élimine des livres de
cartons, écrivant au passage l'essence des notes prises. Contrainte physique du
déménagement, plein le dos douloureux, mais condensation intellectuelle du contenu qui se
réduit. Déstockage/métabolisation, positif. Rester en état de déménagement perpétuel,
plutôt que de courir la brousse ?
Le « Quelque-chose n'est pas symbolisé qui se manifeste dans le réel » de Lacan est en
parfaite concordance avec le théorème d'incomplétude de Gödel !!!
Sur l'épais dépôt de fumier, dont une partie a été réincorporée progressivement dans le
champ voisin, quelque végétation archaïque déjà s'est implantée, comme timide et
squelettique, sur un des bords de la masse brune; mais les feuilles orangées de l'automne
s'incorporent maintenant par toute la surface de cet organe nouveau dont la face supérieure,
quasi-plane et horizontale, surplombe la croisée du goudron et du chemin de pouzzolane.
Un sol nouveau est toujours en train de naître. Nolhac, volcans et bouses.
18 OCTOBRE 2013. MICHEL DE CERTEAU PUBLIE LE TOME II DE LA FABLE
MYSTIQUE. Trente ans après son cancer du pancréas. Circulation par les plaies et les
souffrances. Les corps transportent et projettent les sens, les jouissances, et les
hallucinations, dans cette science expérimentale qu'est la vie et que l'auteur cherchait à
dire. La veille au soir Sloterdijk me disait la porte de l'intérieur des chairs qui enveloppent-
disparaissent... La renaissance, après l'épreuve où l'on craint, immobile, la perte, est état de
nouvelle connaissance, me rassure ce matin France Inter.
Sphères III, Ecumes, Sloterdijk. Une pensée diverse et non nihiliste, pré-métaphysique; une
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encre discrète, de marée basse au vent de terre: ce tome III dit les compromis
contemporains aux sphères, les passages au pôles des courbures de l'espace humain et des
blessures des organismes. Cap sur le Thanatotope - oui, dans ce tome III les sphères se
mille-feuillent à la Deleuze, deviennent tissus, mais ces strates n'en restent pas moins
courbées en lien avec la force de gravité des morts, comme l'espace physique est depuis A.
Einstein courbé de par sa propre masse, ce qui donne effet gravitationnel. Dans ces topes,
donc, nous sommes plus ou moins directement soumis à l'ivresse ou à la rage, ou à la
compassion, de nos morts, et notre réel se construit bien de par même cette poussée
rétrograde; les hommes sont mortels plus encore dans le sens qu'ils ont leurs morts derrière
eux que parce que la mort les attend. Thanatotope, donc, province du divin, car notre
pensée-savoir actuel n'est qu'une île dans la mer du savoir-pensée, l'intelligence y prend
pour point de repère ce par quoi elle est surmontée, nous y explorons ce Dieu que pessoa
désignait comme un intervalle immense, entre cette porte du dedans et celle du dehors,
entre quoi et quoi ? Pour l'heure, on a les ancêtres sur l'échine, leurs images nous touchent,
nous effleurent, nous poussent et nous blessent, cultes et spectres, sur l'île anthropocène.
Tout d'abord, in illo tempore, dans ces petites collectivités où s'équilibrent morts et vivants,
de par leur nombre proche et leur terre partagée, le thanatotope est un quelque-chose quasi-
personnel et visqueux entoure et imprègne l'être, tout près, tandis qu'en haut de la colline
cent yeux regardent, affamés, vers le petit camp des vivants. L'âme personnelle et des
forces anonymes s'associent étroitement, le culte est celui des échanges de la petite
thanatosphère, le vivant est réceptacle d'une pronoïa toute pregnante, comme si notre
campement était l'objectif logique des sorties et des razzias de nos voisins invisibles, qui
revendiquent, qui sont ce Dieu premier, "raseur transcendental" ! Puis, du campement, on
éloigne les tombes, on met du silence, de la distance, le Dieu s'éloigne, nous nous en
croyons parfois abandonnés: alors on obéit à la logique que l'on s'invente, cette
organisation de l'espace comme de la société et du langage autour de trous, de manques,
d'indicible, d'interdits; alors on communique encore par-delà la sphère, mais par la
blessure, et le temps absolu du traumatisme, ce temps archaïque devenu invasif à l'isolant
imparfait de notre société, ce temps électrique, et qui nous dépasse quand il gagne le
conducteur, quand il inonde la contenance. Les groupes actuels naviguent au sein de la
double membrane d'une violence externe, celle des morts-Autres déniés, et interne, celle de
la blessure logique que cet oubli impose. Cette double membrane est bien un trope courbe,
car l'espace humain se courbe sous la gravité des morts; et aux instants d'équivalence sans
doute y-a-t-il flip-flop transitoire de la membrane, et instants de possibles, d'émergence de
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tous les refoulés, de communication pleine dans la thanatosphère, d'utopies naissantes et
autres contre-cultures. Courbure du trope, dès la domestication néolithique, et aussi
production dès lors d'une immunologie des organismes-groupes, d'une xénopathie du
psychisme, où seul le spécifique incorporé est alors soumis à l'entropie, tandis qu'on
s'autorise et on s'invente les "bons" Dieux éternels de la création, mais exilés, inaudibles;
mais chaque résistant au sein de ce système immun a pourtant le possible de l'oreille
directe de son ancêtre de choix.
La main de Maxime est dans la fondation de cette maison de Fosseux, dans cette reprise du
début du XXIè siècle de l'assise du compost humain des habitants précédents. Maxime y
accourut à la naissance graphique de son aïeul sur l'imprimante à jet d'encre, front
déchevelé en avant, dont sa naissance à moi fut: "car l'abondance ne se partage pas".
Poursuivre cette bâtisse du chantier perpétuel.
Le soir où je me suis endormi avec mon crayon orange et que le drap se tacha: mes
descendants croiront sans doute que j'ai défloré une extra-terrestre (option 1: x) ou une
impubère avec ses bonbons Haribos (option 2: ).
Publier est cet objectif de liberté-quant-à-cette-peur-d'être-seul
(là-où-les-organes-ne-nous-coordonnent-plus)
et qui porte le nom de marche et de compromis du gîte
Un mot en zaoum, sans doute, peut-être posé pour ce dire à apprendre la langue des
montagnes, celle qui serait sans-accent-qui-me-rend-les-autres-insurmontables.
Au Laos, 7 Français sur les 49 morts dans le Mékong... Le bardo ne sera pas long.
Que ma prière les guide dans ces 7 jours vers la source dont ils s'étaient peu approchés.
(last call for Monchu in this flight)
"Négatif: on tente Luang-Prabang plutôt que de crasher sur la même ligne"
La Fable Mystique II vient alors que je ne l'attendais plus, qu'elle devait à jamais rester une
évangile sur le corps jamais écrite, impossible. Pourtant tout était dit, déjà, il n'y aura qu'un
inédit, mais des retouches, pourtant, dirigées depuis un corps qui n'était plus que palliatif et
douleur. Certeau n'aura jamais rien eu de nouveau à donner, depuis son compagnonnage
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initial avec J.-J. Surin, mais cisèlera toujours en un "plus près", au plus près, au fur-et-à-
mesure de ses textes, le contour de l'expérience qu'il voulait nous donner à toucher. Les
entrelacs de son dire se croisent dans une tension de plus en plus forte, et la FM II nous
donne - dans son introduction déjà - le plus intense de cette friction de son expérience au
réel. Comme le rapporte A. de Baecque dans Le Monde des Livres, la FM circule
"l'invention d'un corps éloquent, portant les marques de ces crises mystiques des XVIè et
XVIIè siècles: plaies, incisions, enflures, stigmates, mais aussi transport des sens,
jouissances, privations, hallucinations; elle nous donne en décryptage la science
expérimentale qui habite la scène mystique". Pour l'heure, le colis, reçu depuis deux jours
déjà, attend sur la table, comme pour retarder et préserver l'émotion de... l'ouvrir ! Une
forte encre, comme artisanale d'Asie, et un fabuleux posthume de ce II... "Le chercheur
peut espérer que les questions que ses archives posent déroutent ce qu'il leur a demandé",
ainsi va-t-on vers la mer, devant cette étrangeté de nos cadres, dans une friction entre
exigence et rationalité d'un comprendre d'une part, et l'attraction depuis un ailleurs d'une
histoire qui hante nos territoires; quelque chose arrive, qui s'instaure.
"Excusez-moi, on est diminche ou sameudi" ?, demande l'homme en cet encore gris et frais
matin provençal de la place Voltaire. Il ne devait pas ne changer que d'heure, sans doute.
Tous nous nous astreignons à ce rythme, tous nous cherchons la ligne qui ferait
achoppement à ce quotidien. Pour la nième fois, depuis même avant cette aube qui a été
reculée, passent et repassent les nettoyeuses à brosses gigantesques, la course se prépare,
celle que j'ai snobée, abandonnée, cette course qui n'est plus qu'avec moi-même et comme
sans objet.
J'ai déjà enlevé une femme, après l'avoir laissé cicatriser un peu, peut-être aurait-on pu
poursuivre loin ensemble sa quête de l'organic sex, mais sur ce seul point on eut été
ensemble. La femme qui m'attire est un splendide petit bloc de post-it en arc-en-ciel dont il
faut trouver le feuillet qu'on est capable de circuler plein, et d'agrandir à l'infini, à deux:
l'amour est abandon de toutes les autres couleurs, synchronie sur la vibration commune. Je
lui dis un jour: "tu es mon grand bleu du ciel", et elle sourit.
Pays de Rhône, Sud, l'herbe n'est pas ici de tendre plus-value, mais les arbres, et les îles.
Chacun tend à son mas, sans être astreint à aucune pâture, la vigne fait appel, le musicien y
sera aussi, et sa famille. Le temps sait être discret à la certitude du demain, les peuples
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frayent sans plus de combat, toutes les femmes enfin sont métisses du soleil, sans que les
hommes pourtant ne fraternisent à ce possible.
On se nourrit alors d'une expérience autre que celle que l'on aurait dû accumuler à l'âge du
maître de maison. Autre ? Qui ne passe plus par le corps de la production ni de la
reproduction, qui fait strate quand elle perspire, qui n'est plus que lien de beauté; mais qui,
peut-être, rend inutile la lecture intégrale des grands traités. Paresse d'écrire et du faire,
comment donner à d'autres, plus vite, le passage de ce lien-là ? Comment devenir guru
avant que de hanter la thanatosphère, que de basculer pour ces corps finis en l'énergie qui
se s'émancipe justement de leur limite ?
Arles est peuplée de
soleil et de langueur
pâle, mais aussi de
découvertes
d'errance. Elle est
Vézelay en hiver, et
Cisternino au coup
de minuit. Ring du
solitaire: elle permet
la distance qui
sépare de l'ennui, ce
regard interne. Car il
y a bien ici, quelque part, un "entre" parisiens-sur-un-pied et coréens-sur-un-tournesol-
doré: une femme d'attente. Ici l'une se vit proposer la prostitution au hammam, l'autre sans
doute a oublié son extase face au trio Chostakowicz (moi, pas les ondes des vibrions des
cordes), et la première: simplement, amicale. On oublie vite un sud, cette sorte d'immunité
mais naturelle, qu'on n'en a aucun dieu externe de rappel (les sphères de Sloterdijk ne
traitent que de l'immunité acquise, spécifique). Mais aujourd'hui, assis, seul le courant du
fleuve m'abrite du vent; chacun de nous est un spectre de son vent, en contemplant de
temps à autre le reflet, d'une rétine immature. Entrevue, puis vient la rouille. Mais ici, la
lumière du Rhône et de son delta-miroir toujours rappelle; il est si haut, rapide et brun de
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plein qu'il suffirait de peu.
Heimat, Heimweh. Il "renie" (dit la traduction) ses parents, reçoit l'offrande-deuil de
l'amour, et part, emporté par son désir. Déflorée par le frère, la belle pleure les 27 mots des
lointains pour dire vert. Pleure aussi son amie. Arles dit la mer. Arles est comme un remou
calme du fleuve: le courant n'y semble pas porter, pourtant caravanes, bêteaux et vents
immobiles s'y nuent, presque silencieusement, palmes de retour.
Sur le forum, les Arlésiennes parlent toujours de l'ailleurs de la fête; pourtant ici chaque
recoin de pierre pleure et se déplie. Feria du Sud, sourires, cagoles, accents. Du Rhône il
est vrai ne montent pas les fêtes, on recherche son port, on va à Marseille. On revient,
happé de pierre blanche. Et du chant des gitans sur la place, et des gitanes, interdites, aux
yeux noirs de foudre.
Le "Voltaire" est toujours le seul hôtel où la fenêtre-suite est une place blanche de tilleuls -
et c'est l'automne. Se tenter, demain, à son réveil. Seule la chambre n°2 est occupée...
Pouvoir être à ciel ouvert et à air frais ou à vent souple est le premier enthéogène; sortir de
la chambre, des murs de pression et d'a-mission. Et c'est bien dès les platanes de Valence
qu'on en a la permission, celle des près lassés. Surgit dans ce calme un flot d'Allemands,
puis de canadiens, peut-être bien le sonotone relié en HF au micro de la guide, chapeaux de
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brousse, traversent la place Voltaire, cap sur les arènes.
Nous oscillons tous du discret au chaos, il n'est pas de "petite vie". La plume seule
repousse encore plus loin la frontière, que les seins toujours fiers d'hier tentent de courber.
Gravité des morts, fierté des naissants.
Arles-Bénarès par les ghats et retour. Deux gitans, deux Indiens méditent au fleuve,
certains fument dans le courant qui est même corps sans organe, tissu liquide, et ses
transports. Même courbure de ce rasa sous le poids des passants. Incinération ou interdit,
courbure par l'interne du méandre comme par l'effroi du vivre (vire)-à-côté du parti.
Si tous les sages fuient, comment feront les temples pour les suivre ?
Pascal Quignard, les Ombres errantes
Le fleuve étire plus que le souvenir de nos songes.
Les rues mettent des oeufs à leurs fenêtres, les restaurateurs des ovoïdes blancs mais
énormes dans leurs salades. Interrogent, surprennent, se goûtent. Il y a une sphère de Sud,
qui gravite sur le fenouil, pour le passage des défunts on cuit mes marrons avec le fenouil;
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l'accent et la lumière, le parler vif mais contenant, le regard-foudre, et à la sieste l'Un
immobile. Un monde de l'indispensable des terrasses d'ombrages, en haut des maisons
comme en haut de l'esprit.
Mieux vaut pleurer sur un broute-minou que sur un service informatique.
En exil de mon propre solitaire, plus solitaire que solitaire, immergé dans la foule par
l'alcool, et pourtant: quelque chose d'immanent, une beauté se font palpables, au peau-à-
peau, quand sons et images ne sont plus que magma bourdonnant, direct, immédiat. En
rentrant chez moi - encore heureusement chez moi, malgré tout - plus vite que prévu, pour
courir, mais seul, sur ce sol d'autres, j'ai failli arracher les oriflammes, les trouvant éculés:
mais devant le Mézenc maintenant ils faseyent, témoignent, d'un cryptoportique toujours
vivace (le cryptoportique: une porte cachée par le panoptique).
Palladium. Boris Razon, ça fait vraiment pseudo. facile, pour quelqu'un qui explore le flou
de la limite du corps. C'est aussi une belle encre du solvant qui monte, du champ opératoire
vers les neurones des chirurgiens-spectateurs; Palladium, le mythe de l'extrus, voudrait
réaffirmer, face à notre angoisse, quelque chose qui serait détouré par l'évidence de notre
contingence, ce rapport à l'intrus. Une vie vite, mais une vie sans plus de rythme, car c'est
le corps qui lui donne, de ses sensations, de ses mouvements, et le corps de Razon s'est
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abandonné, comme s'il avait dépassé la dose autorisée de sauge, et lui a basculé ailleurs,
dans l'instant où le temps n'a aucune valeur: "le temps est un caméléon, il se transforme en
puits, en tunnel qui se prolonge dans les entrailles de la terre et tu t'y perds". Sans corps:
une vie sans temps, et une vie sans sexe et sans désir, aussi, même si la beauté parfois
calme les monstres, les démons et les brigands qu'il va combattre, dont il va être. Il
embarque sur l'autre rive, celle de l'enchaînement des faits, et non plus celui du temps que
l'on retient. Car le temps tient le corps en respect, et le corps tient l'Autre, et ici tout se
décroche. Ou presque. Métamorphose, et échappée non pas mystique - car Razon a bien
vécu l'expérience organique - mais lutte, avec, et parce que, en dernière vision, "ses seins
fiers, quand elle me chevauchait": Razon était bien resté accroché, par delà son corps
perdu, à quelque chose, comme une matrice de son corps perdu, et qui lui permettrait de
revenir. L'amour est notre matrice corporelle perdue. Bonheur frissonnant de ces moments
où je prenais Maxime sur mes genoux, dans la cuisine, à Fosseux; et des jeux de "catch"
quand ces deux zozos se jetaient sur moi dans l'herbe de la campagne; de nos petites
cavernes de toile et de pierres, d'un mobil-home ou du Touquet, que l'on peinait à quitter.
Ce frisson-là qu'expérimente, amplifié, celui que son corps quitte: "le trépas est un
processus erratique".
Sept ans de travail pour ce livre, sept fois sept jours de traversée, dit aussi le livre des
morts. Au carnaval des morts-vivants, l'humanité est diachronique et totale. Vision de
désastre, de bardo, il y a plein de réfugiés comme moi, nous sommes en pleine littérature
post-exotique, Dondog de Volodine, l'effondrement de la limite et l'errance. Dans le même
style délirant que dans Voyage. Dans cette jungle des autres agressifs, "la pulsion de vie
cherchait un coin, un rocher où s'ancrer", "il fallait que je séduise la femme, et qu'elle me
protège". Le corps peut bien voyager, l'esprit doit rester à l'intérieur du monde, Razon n'est
pas dans le lâcher-prise final de l'auteur du Scaphandre et du papillon. Ni dans la quête du
noir de source d'un J. Bousquet: il est dans les catastrophes de voyages au plus profond.
"J'étais arrivé au fond (d'Ecully): une zone désolée, entre un vieux village à la française et
une banlieue plus récente, une zone de jonction sous la neige, grise. Je devais passer par
là". On peut même envisager le caractère psychosomatique de ce lâchage du corps, sa
métamorphose était nécessaire, comme pour chacun de nous, mais ne pouvait se faire que
dans le brutal, comme Bousquet s'offrit debout aux balles ennemies pour échapper à son
social et gagner l'interne de la femme qu'il désirait. Mais dans trois jours tout sera plus
clair.
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Nième conflit dans le bardo, et religieux celui-là ! Agression, fuite, protection, et toujours
cette tentative de retour (dans son lit, à l'hôpital, là où l'"autre" est chargé de veiller son
corps, et là où la famille l'appelle), mais "ils étaient des hordes à vouloir ma peau", dans la
thanatosphère... Au-delà de quelle limite, de quelle décision, de quel lâcher-prise la
thanatosphère échappe-t-elle à l'agitation du bardo ? Quelle est l'étape suivante ? Quel est
l'après de la dysautonomie ? Pourquoi le pas-tout-à-fait mourant irrite-t-il ainsi les morts ?
Puis, imperceptiblement, le vivant-mourant émerge, par quelque tressaillement; les êtres du
bardo, eux, sur le toit, sont de plus en plus décharnés, en lambeaux. Et Razon perd alors la
part morte de lui-même, quelque chose qui lui était tombé dessus de son transgénérationnel
indicible, sans doute, il lâche cette part là, il est un autre, dans toutes ces plaies que la vie
forme au jour le jour cela aussi aurait pu se faire, mais dans le bardo, ou dans le camp, on
se métamorphose plus vite, et plus radicalement. Quand on meurt c'est cet autre qui voyage
et nos limites d'hier s'unissent au bain du Lethe, on ne les percevra plus que dans son
écume; quand on ne meurt pas encore, quand le voyage est incomplet, on réintègre la
forme, encore, pour l'heure, mais c'est l'autre aussi qui l'habite, et bien plus libre qu'hier.
C'est, après "ton petit camp de concentration en toi", "le plus nu et le plus pur en toi".
Les images construites du bardo sont un langage de la douleur, qui n'est pas le même que
celui de l'inconscient. Un langage régi par l'a-corps, l'inconscient lui a un espace de
dilution plus large encore. Mais les compartiments échangent: équivalence de l'image
hallucinatoire et de la douleur, la douleur condense le bidimensionnel de l'image, cette
compagne psychotique, grâce à la troisième dimension de l'électrique, de sa décharge,
pour nous rendre au corps. Le corps, c'est l'aura de la douleur, qui permet de contenir l'arc
pur de douleur. La psychose, le rêve, l'extase, ce sont les chemins de vent qui disent plus
que leurs poussières de temps, ces images qui s'y papillonnent. Chemins de la douleur,
dans le temps et le corps; hallucinations en chemins détournés quand ces voies du corps
sont coupées. "La douleur est un monde sans frontières", comprend l'ancien bobo; un
scrupuleux serait-il mort, lui, sans tenter d'agresser et de tuer les spectres ?
A chaque instant nous mourrons et quittons l'autre (la maladie catalyse des étapes et nourrit
la sphère). Le retour, ou arrivée de l'autre, un voyage triangulaire qui rapporte quelque
chose du continent nouveau en y laissant une part ancienne de soi en gage. "Il (celui qui
me surveillait) est maintenant tapi dans mes os et mes muscles, et se tait"; lui, sorti, se sent
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bien dehors, laissant les autres dedans. Nous vivons à l'extérieur du scaphandre qui nous
masque à la source d'une litanie de fleuves du Lethe; image du monde en abyme dans la
bouche de Krishna, l'Himalaya de la source nous est masqué, le monde du sans-limites
accroché aux versants de la Zomia.
Il ne me scanne pas si mal, mais il a les tennis qui puent et l'invasion facile, le Rebeu du
Clermont-Paris. « Une écriture qui parle quoi qu'illisible, de par son organisation élégante
même », me dit-il en substance voyant les notes que je retranscris. « Les pommettes
saillantes de celui qui fait du sport, au moins du footing, non ? Mais vous ne faites pas de
sports de combat ? ». Là il abandonnera, face à mon dédain des paramilitaireries qui
semblent l'attirer, lui, violent verbalement au téléphone avec un proche, menaçant, c'est lui
sans doute qu'il voulait maintenant « scanner ». « Et un milieu parental aisé, sans doute,
une mère de famille qui n'avait pas besoin de travailler » jugera-t-il aussi, sans jugement,
un peu avant. Mon refus de le laisser enlever ses chaussures, ma réserve face à son
invasion, mes quelques efforts de conversation, il m'avait fait ranger tout mon matériel
épanché sur le siège vide à côté de moi, prétextant le siège le plus proche et un handicap du
genou gauche, bien sûr il lui fallait ce fauteuil gauche, bien sûr il cherchait quelque chose,
une voiture peut-être à la gare, et moi qui, insolemment, déclare continuer mon voyage en
train. Et n'avoir « quoi, pas encore ! » ouvert de cabinet libéral ! Il faudra le réveiller,
quelques sièges derrière, pour qu'il ne reste pas la nuit dans le train en gare. « Vous devez
être extrêmement structuré ». Oui, mais alors avec beaucoup de jeu dans beaucoup de
structures ; une polystructure psychotique compensée, et ce sur plusieurs jeux de sphères.
Yeeh !!
Décidément j'ai eu raison de toujours avoir ce sentiment de défiance envers Jean Daniel
(du Nouvel Observateur) que d'autres semblent vénérer comme démocrate éclairé, et
homme de combats justes pour l'homme à libérer. D'où me venait cette image que je ne
pouvais faire mienne ? Un éditorial de pseudo-homme de gauche, malthusianiste au moins
sur ses vieux jours, comprenant les perturbations consécutives aux « déplacements sans
mesure ni contrôle des nouvelles populations »... comme si le déplacement était nouveauté,
et cette apologie du Lethe de l'état-sclère !
A la table derrière, deux couples bien « terroir-foot » semblent préparer une émission de
« téléréalité ». « Au début on faisait beaucoup de choses en couple, maintenant etc... c'est
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sans doute parce que etc... » ; les autres : « Moi j'ai déjà été dans des mariages de gens que
je ne connaissais pas, ça ne me serait pas venu à l'esprit moi, ça ». Aux soirées de VRP-
commerciaux, on finit plutôt à poil dans la piscine, en défonce, parce qu'il y a quelque
chose qu'en longueur de tout le jour on ne peut pas dire, une attitude de programme et
d'organigramme.
Le génie d'Einstein : un corps calleux très développé. Un droit et un gauche très connectés.
Relativité et cosmogonie, et raisonnement en abîme.
Violette Leduc, auteur de La Bâtarde: "Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée
de mes défauts qui m'ont torturée. J'aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon
fumier". Elle naît en 1907 à Arras, écrit ces lignes en 1942. Sa mère, bonne à Valenciennes,
engrossée du fils tuberculeux des patrons, part y accoucher seule. Amours homosexuelles,
ou avec des homosexuels, dont elle avortera. La littérature sera sa grande affaire.
L'esprit court sur l'eau à Maguelone
Le vin des Compagnons : exprimés
La laisse de mer en feu
Et cette mer qui se gonfle, un peu en arrière, au vent, emmenant le tout, fatale
Il y a comme peu d'enfants à Montpellier
Sœurs Sourire et Violette du Nord
Qui tente la prison au nom de son père
Enfant assassiné, « je m'en irai comme »
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On ne peut pas être ami avec V. Leduc, dit S. de Beauvoir, pensait-elle féminin ou
masculin, éconduisant l'admirateur mâle homosexuel ? Elle ne veut qu'aimer, et elle reste
seule. Elle pensait.rek.
Les étudiants passent ou s'affublent de seins, rue de l'Aiguillère. Before et After, ils boivent
un présent qui ne soit pas prison ; dans l'amitié, ils ne trouvent : ils passent.
Je passai, dans l'autre sens.
L'infirmière-hôtesse aussi tue sa fille, et cherche les fenêtres qu'on lui refuse dans le grand
mur, cette « vue sur le jardin des plantes » qu'elle voudrait afficher pour son hôtel.
Tant que l'on travaillera à l'acte, la parole sera confisquée (les soins ne peuvent être que
libéraux).
Nager sur la frontière, d'Antonin Potoski: j'y voyais une écume nouvelle de la Zomia, et
dans ce "sentiment géographique" annoncé par la collection et la critique, un entre qui
encore vivait, s'indignant des frontières. Mais on se retrouve avec un pédéraste synesthète,
tourisme sexuel et voyage interne, cet homme ne pense pas, il prend l'avion. "Toute rêverie
apporte sa terre", j'espérais y sentir l'énergie de reliaison, ou la chtonalgie, et cette
impression précieuse d'avoir toujours souhaité vivre en ce là que l'on découvre; mais lui
laisse le monde aux opprimés, et il ne le circule que pour se dire. Son rêve: les couches
multiples d'une action vécue et décryptée en même temps, qu'il tente par ses aller-retours
de 5000 km chacun, entre son observatoire et son terrain de chasse. Sentiment permanent
de transgression, quand l'inégalité sociale du voyage dans les pays du Sud s'ajoute à
l'inégalité constitutive avec les femmes, quand l'amitié se confond avec "ce désir qui habite
tous les corps d'un monde protégé", ce sentiment heureux, contenant, mais d'un habitant
d'une île, ou d'une forêt endémique, ou "d'un corps d'enfant qui n'en pouvait plus d'attendre
que l'on emmène rejoindre sa vie, la mienne". "La transformation de la vastitude en mots la
réduirait au fait sexuel", nous dit l'auteur, et c'est bien ce que fait son livre.
Potovski, donc, se découvre synesthète lettres-couleurs, mais aussi idées-points
géographiques, et ce livre se veut "un maillage de la matière du réel pour pouvoir la
formuler". Pourtant, on ne le découvrira pas derrière ses mouvements incessants et trop
rapides. On sentira le devenir-femme de tout voyage, "un jour je serai reine", savait-il
depuis toujours, même si pour l'heure les femmes couchées ne le sont que dans des gestes
horribles d'agression, et que cette douleur le répugne. Et on n'atteindra pas, par ce trop
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interne du sentiment géographique du synesthète, au sentiment océanique de la féminité.
On fait des aller-et-retour plutôt qu'une nage sur la frontière, on retourne le 33 tours, et,
d'une face à l'autre, on se perd, le lien entre les pôles ne donne pas au lecteur sa couleur.
Un magnifique préambule cependant, la mise en abîme de la maladie du grand-père, un
parallèle entre handicap et voyage, ces possibles qui exigent des nouveautés: "je voyage, il
dérive". Et quelques descriptions fortes: "L'inconfort, les longues heures de promiscuité
dans un car sont une expérience obligatoire pour apprendre à aimer les gens: on est tous
ensemble, on traverse des atmosphères interplanétaires, gaz et liquides, qui dépassent la
condition humaine, on a peur de mourir, on s'observe et on s'aime"; je me retrouve en plein
syndrome de la boîte à sardines mongole, à la coupe-plafonnière emplie de vodka, ou de
machine à gravir la montagne indienne, quand le voisin me protège de son cartable alors
que la roche coule sur l'autocar. La culture, dit Potovski, est une infinité de solutions, et
l'Autre, informulable, propose une couche de plus à l'intelligence, tandis que s'étend à ras
de terre le mono-feuille du racisme, à coups de frontière et de religion. "Pour être capable
de tout donner individuellement à des gens sans se réfugier derrière le sourire humanitaire,
il faut désirer la différence".
Il voyage. "Je ne meurs pas, puisque je ne reconnais pas entièrement mon corps,
transitoire", dit celui que pourtant le bouddhisme effraie, repousse, angoisse, "comme s'ils
me demandaient de regarder la vie s'épuiser", lui le jouisseur. Ce corps transitoire "est un
casse-tête qui m'a toujours retenu de m'installer, de fabriquer, de m'imposer à une situation
donnée pour y prospérer". "Cet avenir proche est toujours repoussé, depuis que mon corps
a enjambé sans accident la zone obscure que j'aurais dû traverser, à la fin de
l'adolescence": le trauma manquant du voyageur endémique. Synesthète, il est
extrêmement dispersé dans son être comme dans les lieux du livre, on ne saura pas qui il
est, sauf par son catéchisme d'amitié sexuelle de rencontres; mais peut-être faut-il prendre
ce livre pour ce qu'il est, ces instants géographiques associés à l'amour du jeune Bengali.
Enfin, dans le dernier quart du livre, survient la révolte de l'Arakan, ce pays intermédiaire
que l'on espérait, révolte des frontières; on reprend alors un peu son souffle, mais cette
Zomia ne souffrirait pour Potoski que sous prétexte de religion, alors qu'elle meurt de
vouloir rester transnationale. Lui semble cependant regretter la colonisation des dernières
collines par ses amis des plaines; mais il y a trop de "je" dans sa frontière.
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Montpellier-Le Trou en Velay: jeunesse et couleurs de la place de la Com', sinistrose des
fonctionnaires de terrasses et des éleveurs vieillis de trop, place du Breuil... Hors les
pèlerins d'été, ici est consanguin: que tous les enfants y-nés s'en sauvent.
« Quand tu hésites : prends toujours le parti des Opprimés, tu ne te trompes pas »
Un Résistant, Les jours heureux
Les opprimés : mes fous, qui me nourrissent, et comme hésitants à se mouvoir, les fous
sont des hésitants ici-bas, au-dessus de nous, trop seuls, nécessiteux en ce système
instantané dont nous sommes pauvres de la contenance du groupe pour exister (CAT de
Maguelone, trois me croisent qui ne sont pas tranquilles de me voir seul chez eux ;
psychothérapie institutionnelle, pourquoi porte-t-elle ce nom ambigu?). Seuls face aux
opprimants : alors comme résignés, attirés ou envahis de leur fuite. Si la mer souffle l'esprit
des vents, les ports chantent aux cables des vies et des épris.
Ne sais plus trop si je suis à Marseille, Montpellier ou Arles, ce triangle que j'ai reparcouru
en quelques semaines : Sud, mixité, fières andalouses. Ma Gitane est là, toujours la-même,
comme la prostituée du Fleuve du Sahel, l'une entreprenante, l'autre inaccessible.
Le chirurgien pense le visage qu'il greffe en organe externe ; notre face pourtant est sans
doute notre seule identité, bien en-deça de l'espèce, bien au-delà du moi. Dès qu'un groupe
en rencontra un autre seulement, pour Sloterdijk : au paléolithique on ne représenta jamais
une face.
Avant la crise capitaliste de 1929 qui ferma les frontières il n'existait pas de « migration
illégale », terrible oxymore. Aujourd'hui, Lampedusa. Les camps sont aussi ceux de la mer
aujourd'hui. Des nouveaux-nés y meurent, sur ces embarcations de vie. Nous nous
obstinons pourtant encore à choisir et défendre l'usage, chacun, de notre mer du milieu ;
alors qu'il faut en dire non plus les frontières mais les courants. Quelle est cette attirance
qui me fait plus méditerranéen que baltique ? Des flottes de conquérants puis de fuyards,
mer de Chine. Peut-être la Chine, justement, doit-elle être soutenue dans son projet d'une
mer totale, à nouveau de brassage plutôt que de faire des flots un cimetière des terres,
aujourd'hui interdites à l'Homme. Les « pirates » qui viennent ne sont que les touaregs des
océans à venir.
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Evangile de Mathieu : « Quand vous parlez, dites oui ou non, tout le reste vient du Malin ».
La littérature est tout ce reste, et le malin ne peut s'enfermer dans aucune logique, et toute
une écriture peut en suivre, que l'on dira ampoulée, ou passée à l'écrase-pomme de terres,
mais celle-là seule peut dire l'entre ; la littérature choisit soit le non, soit la perte du nom ;
le Beau ne se désigne qu'en contrepoint, le Vrai ne peut s'affirmer : il irrite toujours à la
limite. La poésie, comme la purée verbale, diffuse une lumière, qui n'est mystérieuse que
comme la crème glacée meringuée du même nom envahit tout le palais, parfois jusqu'à la
douleur derrière sa fraîcheur. Le texte est le filet du pécheur attisant Madeleine sur la berge
toujours opposée ; Madeleine, elle, est prête et nous attend au sacrifice du négatif. Les
amours perdues suent le sang et l'eau, remplissent le lac, masquent de leurs limons d'espoir
la troisième rive ; tout près déjà la forêt grouille de tous les voyages que nous ne ferons
pas, de tous ceux dont nous ne nous souvenons pas, et le touriste soupire sur la grève,
perpétuel revenu. Sous une toile, derrière trois palmiers plantés par Robinson, à moins
qu'ils n'aient déjà été rongés par la jalousie du vendredi, un rebelle des sixties s'acharne sur
son dernier joint, le bateau ne passera plus, les caisses dérivent sur les flots d'ailleurs, lui
chante encore, la guitare en berne, aux cordages défaits de leurs couleurs, l'oiseau proteste,
l'oiseau déleste, l'homme sourit. Il ne peut plus contenir toute son histoire dans sa tête,
alors il écrit, alors il sourit, et se souvient, elle, et les proto-hippies qui tournaient autour de
ses seins moyens juste à prendre, tendres et chauds. Elle s'affirmait en nouvelle partenaire,
il fallait lui offrir et lui souffler le souhait de vérité, ne pas le tarir, tenir, tenir, à ce oui-
gémir, et périr à ce désir de partir : bientôt, loin d'elle, les projets reviendraient, le naufragé
se relèverait, l'amour n'est qu'une île, tous les bateaux y font relâche aux soirs de sabbat.
Avant ? Quoi ? Avant qu'on se connaisse ; le narrateur n'a qu'une amante, qui le pousse à
dire toute la vérité, toi, lecteur, dépourvu de sexe, jusqu'à la dernière page, puis tu
rechuteras, Madeleine sur la rive, toi dans tes filets lourds. La transparence n'est qu'une
base, déjà le lac enfle, et gronde. Et tu ne te dévoreras toi-même qu'après avoir bu la
dernière goutte de sa sève, la sécrétion de son interne. Lecteur, tu as une histoire qui ne
peut se ramener à celle de ce livre, mais bien à sa saveur, elle qui t'attend, elle qui tremble
déjà de ta mort, qui n'est pas ce trop tard, mais qui t'emplira deux. L'écrivain, lui, depuis
longtemps n'habite plus ce monde ; un livre est toujours un wagon suspendu au dessus du
vide, dans lequel le crâne d'un pantin branle sur un corps de cendres. Le texte peut être
mité, rongé, ou gluant d'un liant bien trop épais, le personnage reste en rade avec le lecteur,
le personnage se tartine à ta feuille, le personnage s'enveloppe à ta sueur, tu meurs, tu ries,
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tu dégueules, tu t 'endors sous le chaud et le puant de ta vieille couette humide et pénétrée
de tes goudrons, tu vis, enfin, glorieux, le bras gauche enserrant le vieil oreiller, son cul
n'étant qu'une chaude pensée, tu es plein, elle te pense, tu tiens toute une ère entre tes
propres bras souples et doux. Et puis c'est l'aube, depuis longtemps tu traînes, tout le
monde est descendu, toi le premier, ta mémoire souffre, tout le monde est là sauf elle, qui
pourrait t'épauler, tout le monde te déchire, tu t'accroches encore quelques minutes, peut-
être elles pourraient être des heures, si seulement le temps se posait sur la surface du drap,
mais il faut tout virer, il faut se lever, même si la lumière n'est pas là, car dehors gronde
quelque chose, qui n'est pas à toi. Tu rêves du gros lot pour supporter ça. Ton corps, les
montagnes froides, et puis l'onde, et puis l'onde, qui te pousse, jusqu'au soir de retour,
jusqu'au soir de plaine et de repos, jusqu'au soir de l'enfant de peau.
Elle se formate, dînant avec son n+1 de petit chef, mais seulement en apparence j'espère,
narquoise encore un peu sinon toute espérance s'effondre, au démarchage de dentifrice en
pharmacie, son chef de projet plus ironique du tout, plein de suffisance, ignorant le fond du
tube que l'on torture dans les matins de rien, il y a de la vérité dans la pourriture, clame-t-il,
une promo sur la gencive, quel secteur convoiter, que veut dire ton dernier mail ? Cesse de
ma hanter. Achève ce cycle. Persiste en toi.
Fureur, de Ch. Boukhobza. Revendu avec ce commentaire très pro: "une belle puissance
littéraire pour dire le trauma transgénérationnel, mais un livre qui cède à la facilité
d'intrigue du roman policier". Cercles privés et mémoires officielles; l‹ vbn,;a folie de
Rosie ne lui appartient pas, elle vient de plus loin qu'elle, elle jaillit d'un lieu que Rosie
s'évertue à ne pas nommer, sans comprendre qu'il est planté en elle, qu'elle transporte cette
obscurité de ces années 40. Le vieil homme, lui, a le choix entre la tyrannie et la plainte,
dans ce fonctionnement de la famille retranchée; son visage est du calleux qui se dit
toujours le même au regard affectueux de sa fille, mais un coup d'oeil directeur, directif,
peut lui en faire ressortir, après avoir été un temps neutralisé, son vieux, ses tumescences,
ses vallées et ses rougeurs, toute cette histoire que déplie ce livre. L'écrire, cette psychose
familiale, Christine et le retranchement maximal de l'aînée, etc...; mais je sais peu de leur
enfance classiquement "spiessbürger, de cette première famille. Déjà dans le bistro des
vieux, "le nouveau propriétaire lancera deux maçons à l'attaque de ces murs, il fera
recouvrir les murs de placo, en moins d'un mois six décennies de vie disparaîtront. Qui se
souviendra de lui ?" Quand il était arrivé à Toulouse, la lumière était chaude, c'était le
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milieu de l'après-midi, il découvrit une ville surpeuplée, avec des gens partout et des forêts
de vélos: depuis la signature de l'armistice, Toulouse avait reçu plus d'un million de gens
qui fuyaient le Nord. Certains sont restés, d'autres sont repartis. Certains sont restés,
d'autres sont repartis. Certains... Le vieil homme, survivant, tente chaque jour, coupable, de
les faire revivre. Le père ne fut pas un vieil homme et ne se sentait pas coupable;
insuffisant, sans doute, mais pas coupable.
Des livres lisses, et d'autres ou l'écrivain qui manque d'endurance, mais ne compose pas, se
ramasse dans la note. Expérimentateur de formes, écrivain sans style, volontariste, par une
sorte de neutralité excessive; on peut mal écrire par maladresse ou par subversion. Une
posture qui est loin de n'être qu'esthétique, et qui d'ailleurs n'est pas posture mais
trajectoire; tous les désespoirs ne font pas venir, ni au même endroit. Et parfois la
littérature, foucaldienne, est anti-subjectiviste, parfois, certeaulienne, le Je enfin s'autorise,
et le lecteur est plus que son livre.
Les médiévaux ne parlèrent que tardivement de "croisade", ils employaient plutôt
"passage", "traversée": le choc de civilisations est une vision simplificatrice. Des chrétiens
d'ailleurs déjà s'élèvent et préconisent le pèlerinage plutôt que la conquête. Et même les
guerriers étaient d'abord dans une quête interne.
Un curateur d'un nouveau genre, qui classe les documents des morts.
A Nolhac le temps des plantes s'inverse: elle rapetissent. Langri-Sha.
La parole du témoin est dans le champ du mal, qui précède celui de l'histoire. Ecart entre
le sujet de l'expérience et le sujet du récit. Pensées sans propriétaires, mots manquants,
mots en corps d'attente. Génocides inconfortables aux nations...
Tant que l'on parle à partir d'une discipline, on reste à venir.
Quelle est cette reculade sur Luang-Prabang alors que tout est prêt ? Qu'attendre qui ne
viendra pas, alors qu'une rupture permettra d'écrire le nouveau credo, mais que pour l'heure
je suis dans une circularité qui ne me portera pas plus loin ? Risquer d'être « grillé »
professionnellement au retour, par mon départ brusque ? Mais ne le suis-je pas déjà,
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positivement ? Et d'ailleurs certains m'apprécient même pour cela.
Dis leur qu'ils ne sont que cadavres, de Jurdi Soler, saga d'Anthonin Arthaud, et son
dernier voyage libre, Dublin-Rodez ! Nous le fîmes aussi ; auparavant je n'avais pu
m'asseoir qu'une fois à sa place, à Montpellier, dans l'actuelle pizzeria de Figuerolles au
patron toujours débordé, ancien café où il avait sans doute ses extravagances. Au pub
Cobblestone de Dublin, où commence le roman, « he used to seat on this table », même si
l'usage, semble-t-il, ne survint en fait qu'une fois, mais quoi bon multiplier ce qui a eu lieu,
au risque de provoquer l'habitude ? Artaud expulsé d'Irlande en 1937 et interné à Rodez ;
moi je dus supplier mon ambulance pour y voir l'hôpital psychiatrique. Je ne m'attardai
pas. Lui avait, avant Dublin, usé des lianes hallucinogènes des Tarahumas, cette expérience
qu'aujourd'hui l'Européen peine bien à faire, condamné à de pauvres approches
touristiquement encadrées. Mais Soler, lui, pour l'heure : poète de la terre, de la substance,
et de la laisse de mer, au bruit des coquillages écrasés par nos propres pas sur les fonds
marins. La laisse de mer ! Ce sol toujours nouveau, et toujours interdit ! D'ailleurs l'encre
de ce livre à l'odeur du sable de la plage. Artaud arrive à Cuba en 1936, tel un Colomb qui
y apporta aussi sa part de réel, et sans retour ; sans doute le voyageur protège-t-il sa
structure jusqu'en un certain lieu seulement, où le monde de sa quête enfin s'ouvre. De
l'opium, de la cocaïne, dans les poches de sa veste, son seul bagage. « Fou comme un poète
français », dira-t-on longtemps après son passage. Cuba : Arthaud suit au hasard de la ville
« un couloir humide comme l'intérieur d'un organe » et pénètre en pleine séance vaudou,
cri du « Ong », un seul corps s'agite dans la pièce brûlante, Arthaud retrouve « l'univers
préchrétien primitif », effacé par l'Europe. Alors le maître, maintenant immobile au centre,
lui donne l'objet... et le fait sortir. Mais il tient son Graal. Le train de Veracruz à Mexico
(un voyage que Breton retracera dans Fata Morgana) ; les Taharumaras et le peyotl, « la
plante donnée à l'homme par Jésus-Christ », Arthaud débute sa phase christique, la plante
qui « ôte l'âme de derrière le dos et la replace dans la lumière éternelle », qui donne la
perception du monde comme unifié, « Ciguri-J.-C. ». Retour à Paris, ici « eux ne sont que
cadavres », mais on lui remet la canne de St Patrick, sa mission est donc de la restituer, en
cet univers Celte préchrétien. L'Irlande, la chose faite, et l'ambulance peut bien l'attendre
au port maintenant : aucun voyage n'est circulaire.
J'ai été aimé d'une étoile, elle savait ce fracas, elle marche, je meurs. Pourquoi ai-je de la
haine pour son a-amour ? Pourquoi suis-je toxique comme la mère ? Reprendre encore
cette relation avec elle eut été douloureux, encore plus pour elle, me dit-elle. Refuser son
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amitié est plus apaisant, en somme. Reste : la joie de ce qui s'est formé et déposé en notre
réel.
Hitler se suicida, acculé, à 56 ans. Mais pourquoi n'ai-je jamais eu une affectation
dangereuse, moi, gyrovague-de-mon-désastre-qui-a-déjà-eu-lieu... ? Je reste dans la zone
grise, celle qui n'existe pas, par défaut de trauma. Lui sort des tranchées aveuglé par les
gaz, et son regard recouvré sera désormais fou, Rosenberg, R. Hess et la société de Thulé
trouveront à qui s'adresser, et le drapeau rouge du sang contaminera tous les autres, dans un
seul mouvement haineux, qui est celui de l'a-culture, car la culture, finalement, est
simplement cette émanation de la pensée, que nous confisquent les totalitarismes et leur
biopolitique. Autodafé, fin de la culture : mieux vaut, et de loin, me consolè-je, ma
souffrance du penser, fut-ce au prix de mon grand immobilisme.
La culture de la solitude ne porte pas de fruits : le train du Puy est à l'heure, la voie est
dégagée, l'hiver sera rude, l'hiver sera long, le froid ne permet pas l'expansion de l'être.
Alors, quelle évasion ? Ce franchissement du fleuve autrefois m'émerveillait, mais je suis
déjà allé jusqu'à la source, seul, puis-je - ou dois-je - repartir encore ? Ou installer la
grande table qui parle, les feuillets, l'imprimante, et tenter cette fois un lisible de ce monde
énorme, solidaire, et à la fois interne et externe qu'est la littérature ? Sans doute mes
petits-enfants, au moins, riront-ils de ce grand-père évanescent qui tressait en trous
géographiques toutes ses conquêtes, en recherche d'une grande table plane et vide, à la
seule tâche, qui donnerait tout : sauf des regrets. D'ici-là ressortir quelques fétiches
directeurs. Survivre avec quelques fantasmes, mais pas trop. Et entrer en moi, dans cette
remise en cause permanente... qui coupe de tout entourage.
Tu veux mourir, me demande la collègue, semi-inquiète ? Non, mais la mort ne me fait pas
peur, lui répondis-je. Elle me fait peur, part tout en dedans, évidemment, mais elle
m'enthousiasme aussi, de son possible enfin d'un dire, de ce tout-voyage. La mort répond
en paix à notre ironique de vouloir dire toutes les plaies de l'humanité, de risquer cette
sensibilité souffrante de réseau, quand la douleur est bien au-delà d'un signal d'alerte.
Tandis qu'on voudrait nous imposer un monde d'un seuil feuillet où il serait devenu inutile
d'être communiste comme chrétien, d'être juste ou pieux, mais seulement de tendre à être
heureux : entre ces deux solitudes, seule celle de la souffrance est réseau, chairs d'attente,
le bonheur étant forcément membrane croissante et isolante.
56
Badiou : avec Lacan, le symptôme passe, dans la cure, de l'impuissance à l'impossible (ce
Réel).
Le pittoresque des vieillards en camping-car dans les grandes plaines. Tandis qu' »un
homme enclin aux mélancolies prolongées quitte sans un mot le village perdu où il est
arrivé, échoué au sortir d'une tempête, quarante ans plus tôt, anonyme et spectral » (J. R.
Pedro, La main de Joseph Castorp).
Lorsque l'horloge a fait tous ces tours, depuis le réveil à 4h de l'autre jour, et que l'on se re-
glisse avec satisfaction dans son lit, on peut se dire que l'on a laissé penser le temps. La vie
est de cet autre intervalle : où il passe, hors la coïncidence. Coïncidence qui nous sera
donnée dans le grand passage.
Être réfugié, c'est être traversé par la frontière, comme l'on gagne le cercle-sanctuaire du
jeu, enfant. Où l'on devient et l'hôte et la crainte de soi-même ; à l'intérieur de ce cercle il
n'est plus de phrasé du monde, il n'est plus de découpe, d'assaillants possibles ni d'ancêtres
morts, il n'est qu'une consistance qui tremble à l'acte que l'on vient d'oser. Toute frontière
doit redevenir cet « entre » qui tremble, au travers desquelles ce sont les langues qui
migrent, laissant des traces, n'imposant rien. Mais souvent l'adulte trahit la règle du jeu,
blesse cette enceinte du « je », qui ne peut plus dès lors dire « nous » ; un moi clivé, sidéré
de forfaiture, qui ne peut plus dire nous, une zygotie perdue qui nie le zygote. Mais revient,
au-delà de la sidération, dans l'après fragile, la plaie commune, la communauté de
souffrance, où se déploie l'Autre (le racisme est lui un parasitisme dévoyé, qui crée une
membrane non biologique qui se dit interspécifique). Le nazisme est un kyste hydatique.
On lit Le Monde sur le mode de l'indignation, de l'affirmation des droits fondamentaux,
universels. Pas sur celui d'une défense d'intérêts : aujourd'hui le social n'est plus porteur de
sens, mais l'éthique (A. Touraine).
Que lit-on ? L'entre de la traduction, cette poésie de la transcréation, qui ne se retrouve
dans aucun des deux textes, traduit ou produit, lu ou écrit.
Ne tient pas en place, désespérant. Sinon, écrirait.
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Je n'ai pas bougé depuis la place de la Com', les magnifiques jeunes filles non plus,
superbes beautés de peaux de soleil. Mais lui, guitariste-sourire, a vieilli, dans sa musique à
l'identique et pourtant toujours cristalline.
1950, Un barrage contre le Pacifique, acheté un euro et tout jauni au petit bouquiniste,
alors que je désespérais de trouver quelque chose de "lisible", c'est-à-dire d' emportant et
d'autobiographique à la fois, dans les pauvres librairies standardisées du Trou-en-Velay.
Avec la joie et l'espoir d'y trouver l'interdit, le malgré et le comment de la "pension
d'Arras" que Duras évoque dans India Song. La pension d'Arras: ce sont toutes les mères
qui renforcent le barrage pour à la fois empêcher de fuir leurs enfants de la concession, et
leur laisser ce qu'elles ont désiré pour eux, les castrant au passage, de leur bonne volonté
amibienne, de cette folie furieuse, vue de l'adolescence qu'elle entretient. Mille huit cent
quatre-vingt dix-neuf: les jeunes instituteurs du Nord, sous influence de leurs "ténébreuses
lectures de Pierre Loti", s'engagent dans l'armée coloniale. C'eut pu être mon tournant. Ils
sont restés à Roubaix, Nord. Le père disparaît rapidement, on ne sait pas bien quelle fut sa
mort, à lui; les deux enfants cherchent l'amour, seuls dans leur anti-Eden à la Paul et
Virginie, le barrage qui devait assurer le rêve de la mère, ancrer la concession dans son
temps, ayant cédé à la première marée. Extraordinaires pages d'introduction de Duras, où le
style, le mythe, le drame, l'épopée familiale transfrontalière et traumatisante, pleine de
reviviscences, sont posés. Après cela, et ces quelques romans, l'écrivain pouvait bien
passer au langage psychotique de son théâtre: celui de sa mère. Pour l'heure, solidarité dans
le conflit et le rire, et le langage, d'une famille pauvre, et donc forte. La fille se donne-
refuse, attendant l'accord de la mère: car le barrage est tentative de lutte contre l'exogamie.
Contre la misère alentour: "La boue de la plaine contenait bien plus d'enfants morts qu'il
n'y en avait eu qui avaient eu le temps de chanter sur les buffles". Acte I, Mr Jo. Pourquoi
Suzanne ne se donne-t-elle pas à ce fils de famille riche ? Il ne lui plait pas, elle sait qu'elle
n'en veut qu'à son argent, pour sauver le rêve de la mère; elle sait qu'elle est le piège de cet
homme, sa perte, lui aussi le sait: la richesse sépare les mondes. Anda n'avait pas cette
ligne là d'honnêteté (mais une autre, un autre plan). Comment vont-ils se rejoindre ? Par
une blessure de "Mr Jo" qui lui ferait rejoindre leur communauté ? Mais quel est son nom
qu'il cache, dans le refus d'un père ? Acta II, Joseph. Comment Suzanne va-t-elle se séparer
de la mère ? Par le classique de l'enfantement ? Et Joseph ? Par l'Amour, l'amour qui seul
sépare ? Le sexe parfait ? Mais il n'en oublie pas la mère, il ne peut pas... Il ne peut malgré
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Elle oublier qui il est, qui Elle est, sa soeur, qui Elle est, la mère, qui recommence toutes
les nuits ses barrages pour protéger la concession. "Tant qu'il saurait la mère vivante il ne
pourrait rien entreprendre"... Cette mère pourtant qui construit les barrages sur elle pour
qu'eux puissent un jour... Rideau, la mère. Alors, la gloire du vieillard, et son errance.
Alzheimer: quand la gloire du vieillard ne peut se faire interne, brillante, elle se dit fugue.
Je préfère la poule sur le toit à l'oeuf dans la main.
Olivier Bleys, Concerto pour la main morte. Croqué au deuxième passage : Sibérie
centrale (là), Golovkine (vers), et un membre fantôme (thalamique?). Tiens... une odeur de
formica de la table de la cabane, et aussi de sexe tendre : utérine ? (7) débute, pessoesque !
Dans les villages d'isbas du far-west mongol ! D'anciens goulags ici, d'anciennes usines là-
bas, sombrés dans la végétation ; « des hommes qui virent de bord, horrifiés, sitôt qu'à
l'horizon se profile la côte aride de la lucidité ». Endémicité du Samogon, l'eau de vie aux
baies rouges, qui peut titrer à plus de 80°... Et, entre, Vladimir Golovkine, « éboueur »,
Golovanov et ses poésies géographiques, comme des cousins Galatchapov antipodiques,
souvenirs de ma vie morte, car Mourava est à 1823 km au nord de Krasnoïarsk, par le
fleuve Iienisseï. Vladimir, homme des gestes de la terre, y aurait, lui, tout meublé de ces
bois qu'il nettoie, mais pour l'heure il part. Débarque l'histoire incomplète, mutilée, du
pianiste. Alors ils rêvent tous, artistes et ivrognes, au centre l'éboueur en partance, ils
rêvent tous:la Russie. Et Oleg l'ermite. Mais... celui-là est si peu... est tellement... bobo !
psychanalyste de salon ! Que quelque chose alors s'éteint dans le roman, une fois le seuil d
ela cabane-jouet passé... On reste, heureusement, surexposé au pouvoir de description si
imagé, si papillon, si métonymique, de la première partie. Ah, Sibérie !
Le poète se mourait, au bout de la route de neige, attendant le bateau: Varlam Chalamov,
Récits de la Kolyma; le "toute pensée exprimée est mensonge" (cf. aviapadesya, le non-
énonçable: le commentaire, l'hyper-commentaire est la seule voie vers le Réel) du Cicéron
de 1836 de F.I. Tioutchev (1803-1873), repris en 1910 dans le poème éponyme de
Mandelstam, repris dans les voyages de Golovanov, "fonde dans la culture russe une
esthétique apophatique que l'on retrouvera dans certains aspects des avant-gardes", nous dit
Luba Jurgenson, éditeur de la version "poche" chez Verdier du Chalamov. Des phrases
courtes et claires, un peu à la S. Zweig, pour ce survivant dont, comme Semprun, le corps
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ne s'autorise pas au récit du goulag, c'est un autre corps qui écrit, d'ailleurs cet autre a
laissé là-bas, perdues, ses empreintes avec toute la peau de ses mains, desquamée en gants ,
et ce n'est pas une image, et on ne peut rapporter que des images, sous la presse de
l'épuisement... "Car même la pierre n'est pas née à l'état de pierre, mais de "créature" molle
semblable au beurre. De créature, pas d'objet. La pierre n'est un objet que lorsqu'elle est
vieille. Les jeunes tufs liquides des roches calcaires de la montagne fascinaient les évadés
et les travailleurs des prospections géologiques. Il fallait des miracles de volonté pour
s'arracher au spectacle de ces rivages de gelée et de ces rivières de lait formés par les
coulées de jeune pierre. Mais là-bas, c'était la montagne, le rocher, la vallée. Et ici, les
fournitures en prêt-bail, de fabrication humaine..." Et Chalamov de conclure, "se souvenir
du mal d'abord, et du bien ensuite", en cela dit-il il se distingue de tous les humanistes
russes du XIXè et du XXè, comme cela seulement on peut encore écrire après la Kolyma,
comme après Auschwitz. Deux voies testimoniales peut-être restent autorisées après l'acmé
totalitaire du XXè : une "objectivité poétique" à la Chalamov, qui rejoint celle de P. Levi ou
de J. Semprun, qui restent temporelle, que l'on pourrait dire "perverses" sous l'oeil absent
des naufragés; et un discours plein et hors-temps, "psychotique", celui du Voyage de Adler:
par celui-ci le lecteur est porté, de celui-là il doit porter quelque chose.
Toutes ces mains droites souffrantes aujourd'hui sont appel heureux sur son épaule gauche
d'angoisse. Et moi, "je ne pouvais agir que par l'entremise de Nina Vladimirovna".
Elle, le cul qui tangue, lui, les bras qui balancent: la mère et le fils ado, en grande
résonance. Vénus, « des veines dans l'anus », crient les ados libérés, retrouvant le langage
du corps, tripes, chair, qui fut mère.
Dysharmonie de celui qui chante faux et entend juste; tu ne chantes pas faux, me dit-elle:
c'est cela l'amour. Nous allons nous créer un lieu, où tu pourra être toi, laisser voguer notre
amour. Mais il faut un projet de lieu. Tu me liras pour me dire si tu peux l'attendre.
Quelque texto peut-être espèrè-je fort d'ici là, même une seule note, pour me dire que tu
penses à moi. Puisqu'à cette heure ce lieu qu'il faut croire (c'est le premier mouvement de
l'amour) passe par des ondes seules, dans ce temps si long sans toi. Dis moi.
Terrasse d'été, toutes libertés des légers d'année.
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Agressivité de l'amour: si je le croise à son concert, les tripes de son soupirant Guididou
finiront gelées dans son sang au fond d'une poubelle l'étonne lettone entarté durant le
coktail final.
Au foyer, il vaut mieux faire le boucher que la viande, disent les jeunes (pré)ados en milieu
d'éducation surveillé. Règne une autre loi, du respect par la violence chez les jeunes, par la
plainte et le contrat chez leurs parents. Une dent cassée impose au nouveau venu. Enchaîne
les conneries, je t'assure, tu quitteras le foyer plus vite que les sages, ils verront que tu veux
rien faire de ta vie, et tu rentres chez toi ! Et puis t'as deux portables, tu leur en donnes un,
et t'est tranquille. L'an dernier au collège, c'était trop bien : on avait fait cramer le mur avec
du déo et un briquet. Sans déficit dans cette déficience sociale, dans ces codes autres, où ce
n'est pas grave, où il est bien, que les murs éclatent ; ma déficience est d'un autre ordre,
celui de l'évitement, sensation de perte de temps dans le groupe, et pourtant besoin de
reconnaissance pour combler le manque constitutif ; savoir constante envers moi la pensée
de l'autre pourrait me suffire de longs jours ; il faut encore qu'elle me laisse le temps de la
méditation devant le fleuve du paysage du monde. Mais l'autre veut des preuves tangibles
et le contact, et le pas de deux ; elle n'éprouve pas entre, le besoin de penser à l'autre que je
veux rester. Moi, empli sur le quai de gare, et pensant constamment à elle, pourtant,
pourtant. A elle, ou bien à la Déesse ?
Circuler la Zomia est-il forcément délinquance ? Pour les journaux, les affaires de
banditisme et de trafics s'arrêtent ou débutent de leurs frontières...
Nous rêvions tous deux et simultanément, avant ces retrouvailles, de larmes de séparation,
de ce trans-larmes. Elle ne peut, ni moi, renoncer à Oka, ni à Roerich, ni à toute cette
littérature qui nous rejointoye, vers le sanctuaire sans âge.
Condamné longtemps à la mémoire motrice de l'écriture, découvrant enfin le dit-de-plus de
la dialectique qui rapporte à la pensée préverbale. Mémoire motrice graphique, chant,
marche. Plutôt qu'une engueulade, "Oncle Guillorke" de Mr Rau en 6ème eut dû me valoir
un bilan orthophonique !
Je vogue au fleuve du sâmânya (général), où tout est lié déjà, vers celui du visesa, où tout
le sera, nous sommes tous liés, et sans obligation, le lien total est la seule liberté et la seule
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survivance, circulation de pensée sans qu'il ne soit plus besoin de rougir ni de se blesser, de
se cliver.
Khrishnamurti: le temps est dans la distance entre deux images.
Débat parental: pourquoi une connaissance valide de la couleur ne serait-elle pas le produit
d'un pratyaksa (perception directe) ? Lui dans le concept, elle dans la sensation ?
Technique littéraire aussi de l'échappement en la faille, par le pas-de-côté, pour dire le
dépassement (cf. P. Deville dans Peste et Choléra).
Le Loup de steppes, Hermann Hesse, 1927 : il fit notre voyage à Bénarès, mais elle ne me
dit pas alors qui était ce loup dans lequel je me reconnais tant aujourd'hui (sur quelle invite
récente fus-je amené à lui demander de me prêter aujourd'hui son livre ?). Son livre, sa
déclaration qu'elle me fit d'emblée, maintenant se faisant tirer l'oreille, demandant un
amour qui ne soit plus fou, ou qui soit partiel, pour qu'elle soit toute ; elle est forte et elle
acquiesce de ses marques en marges. Je l'aime. « Nous lui avons donné le nom qu'il s'est
souvent donné lui-même ; seuls peuvent se montrer ainsi les vrais intellectuels qui ont
chassé toute espèce d'ambition, qui n'ont jamais envie de briller, qui ne songent même pas
à persuader, à avoir raison, à avoir le dernier mot ; et une aptitude à souffrir infinie,
terrible, géniale:j'ai lieu de croire que ses parents fondaient l'éducation sur la nécessité de
briser la volonté ; mais avec cet élève-là, la destruction de la personnalité, l'écrasement de
la volonté n'avaient pas réussi : au lieu de la détruire, ils n'étaient arrivés qu'à la lui faire
haïr. Toutes les critiques, les pointes, les violences, les répudiations dont il se servait, il les
déchaînait avant tout et par-dessus tout contre lui-même. « Aimer son prochain » était
inscrit en lui aussi profondément que se haïr lui-même : ainsi, toute sa vie (il a la
cinquantaine) n'a-t-elle pas démontré qu'il est impossible d'aimer son prochain sans s'aimer
soi-même, que la haine envers soi équivaut à l'égoïsme et engendre le même isolement
sinistre, le même désespoir ? » L'égoïsme de celui qui fonctionne en se haïssant et souhaite
se nourrir du flux de compassion irradiant de la communauté (weberienne,
schweitzerienne), de ceux qui sont marqués par le sceau de la souffrance... « Quand vous
déciderez-vous à être heureux ? », demandait, irrité, le psychanalyste ; et le Loup alors de
se sauver, craignant de ne plus pouvoir fonctionner... Je reviens, « ma nostalgie secrète de
ce qui ressemble à une patrie me ramène toujours, sans espoir, vers ce vieux monde petit-
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bourgeois ; j'aime le contraste entre ma vie désordonnée, solitaire, traquée et sans amour, et
ce milieu familial et bourgeois ». « Ce qu'il n'avait pas appris, c'était à être content de lui-
même et de sa vie. Cela, il ne le pouvait pas, il était un mécontent. Probablement parce
qu'au fond de son cœur il savait (ou croyait savoir) qu'il n'était pas du tout un homme, mais
un loup de la steppe ». « Les suicidés comme des êtres qui se sentent coupables du péché
d'individualisation, comme des âmes qui ne croient plus avoir pour but de leur vie leur
développement et leur achèvement, amis leur absorption, leur retour à la Mère, à Dieu, au
Tout ». « Je descendis les escaliers, qu'il avait des difficultés à monter », nous dit le lecteur
des carnets de « Harry Haller » (et cette nuit je le vis boiter dans l'escalier de mon rêve).
Jours de douleur, souffrance de la pensée ordinaire de celui qui tente « le passage du milieu
solide au milieu liquide », est dans l'entre-deux. Révolte face à la civilisation marchande,
dédain des jours de gaieté médiocre, et du ratiociné. Mais diaprer : faire chatoyer, scintiller,
en réverbérations ou nuances. Ces images-émotions cristallisées en étoiles, qu'il pouvait
oublier sans les détruire, dont les constellations formaient sa légende ; il avait pour ce
monde une dimension de trop, mais sa foi n'avait plus d'air pour respirer.
Livre en abîme, introduction, manuscrit, puis une brochure « seulement pour les fous » ;
enfin, le théâtre, car « on ne peut vivre intensément qu'aux dépens du moi ». Ce n'est pas
d'une simple dualité qu'il s'agit, dans le Loup des steppes, entre instinct et esprit : mais de
milliers de contrastes, d'innombrables oppositions. Un faisceau de mois disparates :
l'exprimer et c'est la majorité qui l'enferme, qui constate la schizophrénie, qui protège
l'humanité contre cet appel à la vérité. « Seulement pour les fous ». Le « moi » est une
erreur inhérente à tout être humain, une nécessité de la vie comme la nutrition et la
respiration. Une simple nécessité de transmission : de corps, chaque homme est un ; d'âme
jamais. Le héros de Hesse, héros des épopées hindoues, est un faisceau de personnes, une
série d'incarnations ; des crises, au cours desquelles surgit la beauté du monde ; des
réincarnations, où reprend le règne de la douleur:l'homme est dans ce nouage entre la voie
de l'esprit, de Dieu, et celle de la Mère, de la Nature. L'homme réincarnant a la tentation du
suicide, pour gagner l'immortalité, et peut-être pas pour lâcher Sysiphe.
La maîtresse n'y pouvait mais, la maîtresse revenait pourtant, mais enfin une femme lui
donne des ordres, et lui de tout jeter à ses pieds, sans en être du moins du monde
amoureux, mais happé par l'évidence de leur devenir. Entre elle et lui, entre toi et moi, il y
a des choses dont tu n'as aucune idée, souffrance, mort. Hermine, exit Erika ! Acte II : Le
Loup snobe la souffrance, et s'adonne au plaisir, et s'adonne à l'instant, soumis à la belle.
Un pacte, notre moment, j'ai besoin de toi comme tu as besoin de moi, l'amour viendra de
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surcroît, nous n'avons besoin de personne qui nous conduise, notre seul guide est la
nostalgie. La chtonalgie ? « Dimension de trop des exigeants, qui ne pourraient pas respirer
s'il n'y avait d'autre air que l'atmosphère de ce monde, si, en dehors du temps, il n'existait
pas l'éternité. Pour l'éternité, il n'y a pas de survivants, il n'y a que des contemporains »,
hors la représentation, le livre du temps brûle, à pas aveugles de par le monde.
Vivre c'est bouger. Go to Latvia, and then back to my North... Puis, Elle, mouvement,
ensemble. Pour. Avec. Vers. Eux. Déséquilibre de liaison. Bon pour une chasse à tous ses
ours, infinie, avec notre petit kit, sur la troisième rive de l'Oka. Balcon de Riga, chauffage
à la soviétique fenêtre ouverte, mais c'est bien à l'occidentale qu'un étage plus bas, à peine,
l'ouvrier casqué arrime les étoiles. Il pourrait presque se passer du feu : il en crépite à ses
doigts. Trolley et bus gardent leurs files, comment ceux-là, interdits de quai, peuvent-ils
stopper ? Ce balcon strict sur l'avenue bruyante de relatif a quelque chose d'un palace
indien, sus les grandes façades blanc sale et austères d'un extérieur longtemps KGBisé.
Dedans, intimité-sourire, et je suis entre : ma cellule et la guest-house. Fin 2013, toutes les
Limes de l'ex-URSS disent encore, et même toute cette foule noire en bas, l'Asie : je suis à
Luang-Prabang.
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