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    Alina Reyes

    Le Boucher

    ditions du seuil, juin 1988.

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    I

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    La lame senfona en douceur dans le muscle, puis le parcourut en souplesse dun bout lgeste tait parfaitement matris. La tranche tomba en flchissant mollement sur le billot.La viande noire luisait, ravive par lattouchement du couteau. Le boucher posa sa main gaut sur lentrecte large et de la droite tailla nouveau dans lpaisseur. Je sentis sous ma p

    ume la masse froide et lastique. Je vis le couteau entrer dans la chair morte et consistante, lomme une plaie radieuse. Lacier glissa le long du relief sombre; la lame et la paroi brillrent.Le boucher souleva les tranches lune aprs lautre, les posa cte cte sur le billot. ombrent avec un bruit mat comme un baiser contre le bois.De la pointe du couteau, le boucher se mit parer les morceaux, taillant le gras et envoyanats jaunes voler contre le mur carrel. De la liasse pendue au crochet de fer, il arracha une fepapier huil, plaa une tranche au milieu, lcha lautre par-dessus. Le baiser encore,

    quant.Puis il se retourna vers moi, le lourd paquet bien plat sur sa paume ; il le jeta sur la balanceLodeur fade de la viande crue me monta la tte. Vue de prs, en plein dans lclairage du m

    t qui sengouffrait par la longue vitrine, elle tait rouge vif, belle jusqu lcurement. Que la chair est triste ? La chair nest pas triste, elle est sinistre. Elle se tient la gauche de e, nous prend aux heures les plus perdues, nous emporte sur des mers paisses, nous saborus sauve; la chair est notre guide, notre lumire noire et dense, le puits dattraction o notrsse en spirale, suce jusquau vertige.La chair du buf devant moi tait bien la mme que celle du ruminant dans son pr, sauf q

    ng lavait quitte, le fleuve qui porte et transporte si vite la vie, dont il ne restait ici que queuttes comme des perles sur le papier blanc.Et le boucher qui me parlait de sexe toute la journe tait fait de la mme chair, mais chau

    ur tour molle et dure; le boucher avait ses bons et ses bas morceaux, exigeants, avides de br vie, de se transformer en viande. Et de mme taient mes chairs, moi qui sentais le feu prre mes jambes aux paroles du boucher.

    Au fond de ltal courait une fente o senfonait la collection de couteaux dcouper, trancher. Avant den pntrer la viande, le boucher aiguisait sa lame en la faisant aller et venir sil, dun ct, de lautre, le long de la baguette dacier. Le raclement aigu mirritait les sens jusracine des dents.

    Derrire la vitre pendaient les lapins roses, cartels, le ventre ouvert sur leur gros fhibitionnistes, martyrs crucifis, offerts en sacrifice la convoitise des mnagres. Les poient suspendus par le cou, leur cou maigre et jaune, tir, transperc par le crochet de feintenait leur petite tte renverse vers le ciel; et leur gros corps de volaille chair grenue tosrablement avec pour seule fantaisie le croupion, pos au-dessus de leur trou de cul comm

    ux nez sur le visage dun clown.Dans la vitrine, exposs comme autant dobjets prcieux, les diffrents morceaux de porc, uf, agneau excitaient lenvie de la clientle. Oscillant entre le rose ple et le rouge foncndes accrochaient la lumire comme des bijoux vivants. Sans oublier les abats, les magnif

    ats, la part la plus intime, la plus authentique, la plus secrtement vocatrice de la bte dfes sombres, sanguinolents, tout en mollesse, langues normes, obscnement rpeuses, cerv

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    Il sourit, planta ses yeux dans les miens. Ce regard tait le signal. Il senfonait bien au-des pupilles, parcourait tout mon corps, se fichait dans le ventre. Le boucher allait parler. Comment va ma petite chrie ce matin? La bave dune araigne tissant sa toile. Ma chrie a bien dormi? La nuit na pas t trop longue? Il ne ta rien manqu?

    Voil. a recommenait. Ctait dgotant. Et si doux pourtant. Il y avait peut-tre quelquun avec toi pour soccuper de ta petite chatte ? Tu aimes a, heivois dans tes yeux. Moi jtais tout seul, je narrivais pas mendormir, jai beaucoup pens sais Le boucher tout nu, secouant son sexe dans sa main. Je me sentis gluante. Jaurais prfr que tu sois l, bien sr Mais tu viendras bientt, ma chrie Tu v

    mme je prendrai soin de toi Jai les mains habiles, tu sais Et la langue longue, tu verras.herai la chounette comme tu nas jamais t lche. Tu le sens dj, hein ? Tu sens lodemour? Tu aimes lodeur des hommes quand tu vas les boire ?

    Il soufflait plutt quil ne parlait. Ses mots venaient scraser contre mon cou, dgoulinaienton dos, sur mes seins, mon ventre, mes cuisses. Il me tenait par ses petits yeux bleus, son soave.

    cette heure, le patron et la bouchre finissaient de prparer leur banc, sur le march couvennaient leurs dernires recommandations aux employs ; les clients taient encore peu nombmme chaque fois que nous tions tous les deux seuls, le boucher et moi, le jeu revenait, notrtre invention prcieuse pour anantir le monde. Le boucher tait accoud ma caisse, tout proi. Je ne faisais rien, je restais assise bien droite sur mon haut tabouret. Jcoutais, seulement.Et je savais que, malgr moi, il voyait sous ses mots monter mon dsir, il connaissacination quexerait sur moi son mange doucereux. Je parie que dans ta petite culotte tu es dj toute mouille. Tu aimes que je te parle, hein ? irait de jouir rien quavec des mots Il faudrait que je continue, tout le temps Si je te touvois, ce serait comme mes paroles Partout, doucement, avec ma langue Je te prendraiss bras, je ferais tout ce que je veux de toi, tu serais ma poupe, ma petite chrie clinerudrais que ce ne soit jamais fini Le boucher tait grand et gros, avec la peau trs blanche. Tout en parlant sans sarrter, il ha

    rement, sa voix se voilait, fondait en chuchotements. Je voyais son visage se couvrir de plaes; ses lvres brillaient dhumidit; le bleu de ses yeux sclaircissait jusqu ne plus faire qhe ple et lumineuse.Dans ma semi-conscience, je me demandais sil nallait pas jouir, mentraner avec lui, si

    allions pas laisser couler notre plaisir avec ce flot de paroles; et le monde tait blanc commouse, comme la vitrine et comme le lait des hommes et des vaches, comme le gros ventucher, sous lequel se cachait ce qui le faisait parler, parler dans mon cou ds que nous tionsdeux seuls, et jeunes et chauds comme une le au milieu de la viande froide. Ce que jaime surtout, cest bouffer la chatte des petites filles comme toi. Tu me laisseras

    , tu me laisseras te brouter ? Jcarterai tout doucement tes jolies lvres roses, dabor

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    andes, ensuite les petites, jy mettrai le bout de la langue, et toute la langue, et je te lcherai dubouton oh le gentil bouton, je te sucerai ma chrie tu mouilleras tu brilleras et tu nen finirajouir dans ma bouche comme tu en as envie hein je mangerai ton cul aussi tes seins tes paul

    as ton nombril et le creux de ton dos tes cuisses tes jambes tes genoux tes orteils je tassiron nez je mtoufferai dans ta raie ta tte sur mes couilles ma grosse queue dans ta mignonne bosse ma chrie je dchargerai dans ta gorge sur ton ventre ou sur tes yeux si tu prfres les nuitslongues je te prendrai par-devant et par-derrire ma petite chatte on nen aura jamais fini jai

    Il chuchotait maintenant mon oreille, pench tout contre moi sans me toucher, et nous ne saus rien ni lui ni moi o nous tions, o tait le monde. Nous tions ptrifis par un souffle ari schappait tout seul, faisait sa propre vie, un animal dsincarn, juste entre sa bouche eteille.

    La main sous la machine hacher, le boucher recueillait la viande qui sortait en longs eindres, serrs les uns contre les autres en une masse molle saffaissant dans la paume de lhomboucher teignit la machine, avala le tas rouge en deux gorges.Cet aprs-midi, jcrirais Daniel.Daniel. Mon bel amour, mon ange noir. Je voudrais te dire je taime, et que mes mots fasseu, un grand trou dans ton corps, dans le monde, dans la masse obscure de la vie. Je voudrau pour tattacher moi (jy passerais une belle corde comme celles qui tiennent les paquebai et grincent terriblement lhiver par les grands vents), je voudrais ce trou pour y plonger. Nns ta lumire, dans ta nuit de velours lourd, dans tes clats de moire. Si mes mots avaient la cet amour qui me troue le ventre et me fait mal. nigme jamais irrsolue, trange impos

    int dexclamation qui me fera toujours tenir toute droite en danger, debout sur la tte et traversrtiges insolents. O es-tu, Daniel ? Ma tte tourne, la mer chante, les hommes pleurent et je

    s la drive sur des lacs de mercure, mains en avant, je me rcite de vieux pomes o lesnt trop douces. Daniel Daniel Je taime tu mentends ? a veut dire je te veux, je te jette, jrreur, je tai zro, je tai plein, je te mange, je tavale, je te prends tout, je me dtruis, enfonce, je te me dfonce mort. Et je te baise les paupires et je te suce les doigts mon amou

    Le boucher me fit un clin dil amical. Avait-il tout oubli, dj ? Il alla prendre un carelettes dans la vitrine, le posa sur ltal et se mit y dcouper des tranches. Il saisit le coupvrit les ctes dj spares par le couteau, puis, coups secs, cassa les vertbres qui maintencore la viande en bloc.

    Cela va-t-il comme cela, madame? Le boucher affichait toujours une grande politesse avec les clientes, tout en leur rendant du rhommage trs appuy ds quelles ntaient ni trop vieilles ni trop laides. Sans doute aur

    m toucher tous ces seins et toutes ces fesses, les manipuler de ses mains expertes comme autaaux morceaux. Le boucher avait la chair dans lme.Je le regardais considrer les corps en tenue dt avec un dsir peine dissimul ; et je le vimains et en sexe, en accomplissement et en dsir. Laccomplissement, ctait le contact avendes froides, avec la mort. Mais ce qui maintenait le boucher en vie, ctait son ds

    vendication de la chair constamment entretenue et de temps autre matrialise par ce souffle bouche et mon oreille.

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    Et peu peu, par la magie dune puissance plus forte que ma volont, je sentais son dsir demien. Mon dsir contenait la fois le corps gras du boucher et tous les autres, celui des clishabilles par son il et mme le mien. Vers toutes ces chairs montait de mon ventreaspration continue.

    Petite chrie, tu es vraiment lgre ct de moi. Il faudra que je te dshabille tout douceur ne pas te casser. Tu me dshabilleras aussi, dabord la chemise et ensuite le pantalonderai dj, srement ma queue dpassera du slip. Tu lenlveras aussi, et tu auras tout de

    vie de toucher, de prendre tout ce paquet chaud et dur entre tes mains, tu auras envie de son jusmmenceras le branler, le sucer, et finalement tu te le mettras entre les jambes, tu tembroc

    moi et tu galoperas aprs ton plaisir jusqu ce quon sinonde tous les deux oh ma chrie je cela fermente en nous depuis des jours et des jours on va exploser on sera fous on fera ce qa jamais fait et on en redemandera je te donnerai mes couilles et ma queue et tu en feras tout cveux tu me donneras ta chatte et ton cul et moi jen serai le matre absolu je te lenduirai de spde jus jusqu ce que luise ta lune la nuit. taient-ce bien les mots du boucher que transportait le souffle ? Daniel, pourquoi?

    Laprs-midi, je retrouvais ma chambre, chez mes parents. Jessayais de travailler au tableauvais commenc au dbut de lt, mais je navanais pas. Je rvais la rentre, au momefin cette saison serait termine, o je retrouverais ma chambre en ville, mes copains des Bts, et surtout Daniel. Je prenais mon papier, des feutres, de lencre, et je commenais lui ponctuant mes feuilles de petits dessins.La plupart des tudiants des Beaux-Arts aimaient peindre sur des toiles immenses

    cupaient parfois tout un mur. Moi je voulais concentrer le monde, le saisir et le tenir tout ns le plus petit espace possible. Mes uvres taient des miniatures quil fallait regarder de pr

    nt les dtails me cotaient des nuits et des nuits de travail. Depuis quelque temps, javais envsser la sculpture. Javais fait mes premiers essais en modelant des boules de terre grmme longle; mais aprs la cuisson mes objets, taills avec la prcision dun joaillier, nus que babioles cassantes, qui se brisrent entre mes doigts au premier contact, ne me laissapeau quun peu de poudre rousse.Et je lisais les potes, et je me rptais, le soir, un passage duZarathoustrao il tait questialeine chaude de la mer, et de ses mauvais souvenirs, et de ses gmissements.Javais rencontr Daniel chez mon frre. Ils venaient de former un groupe de rock, avec cettee tait assise entre eux sur le lit, ses jambes maigres moules dans un collant panthre et rep

    us elle, les pieds contre les fesses. Ils coutaient de la musique, parlaient de BD, riaient. Son ll laissait deviner une poitrine un peu lourde, elle balanait sa petite tte aux cheveux ras en

    mots dune voix forte. Ctait elle, la chanteuse. Daniel la regardait beaucoup, et jtais tote tombe amoureuse de lui. Du moins, cest ce quil me semblait, maintenant.Je fumais et je buvais du caf comme eux, mais je ne disais rien. Ils se serraient contre ellsaient de temps en temps une main sur la cuisse.Je ncoutais pas non plus. La cassette hurlait.Il tait brun et ses yeux noirs allaient et venaient comme des merles, qui par moment se pomoi et me piquaient de leur bec froce.Javais mal au ventre. Jtais couche par terre. Je dtestais cette fille.

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    Elle avait des seins dgotants, comme ceux de ma poupe Barbie, que je tripotais quand jite. Mon frre et lui crevaient denvie de les toucher, bien sr. Peut-tre lavaient-ils djacun une main sur sa poitrine.Lair que je respirais me descendait en colonnes amres jusquau nombril.Je me retournais contre le sol, et je fumais tant que javais des picotements au bout des de pliait et dpliait ses jambes, et le collant sattachait toute son anatomie, au petit renflere les cuisses avec la fente au milieu. La batterie donnait des coups dans mon thorax. Je surveyeux pour voir sil regardait aussi cet endroit-l du collant, au-dessous du pull o ses

    lottaient chaque mouvement.Et le salaud regardait.

    La chaleur montait. Ctait le grand sujet de conversation. Quand le boucher sortait du friente lui disait: Il fait meilleur l-dedans que dehors, non? Et il acquiesait en riant. Parfofemme lui plaisait, si elle navait pas lair farouche, il senhardissait jusqu proposer : ulez quon y aille voir ensemble? Et son ton tait aussi lger que possible, afin de faire oupeu lclat de son il.Sa phrase ntait pas vraiment anodine. Il ntait pas rare de voir le patron et la bouchre sor

    go dix minutes aprs y tre entrs, la mine dfaite et les cheveux bouriffs.Un jour que le patron ntait pas l, le boucher et la bouchre staient enferms dans le frigout dun moment, javais eu envie douvrir la porte.Entre les ranges de carcasses suspendues de mouton et de veau, la bouchre stait agripp

    ux mains deux gros crochets de fer au-dessus delle, comme on le fait dans le mtro ou das pour garder lquilibre. Sa jupe tait remonte et roule autour de la taille, dcouvransses et son ventre blanc, avec la touffe noire qui, de profil, faisait une tache en relief. Derrirtenait le boucher, le pantalon aux pieds et le tablier galement entortill autour de la ceintu

    air dbordante. Ils sarrtrent de forniquer ds quils me virent, mais le boucher resta pris darrire plantureux de la bouchre.Chaque fois quune cliente faisait allusion la fracheur du frigo, je revoyais la scne, la bou

    ndue comme une carcasse, et le boucher poussant dedans son excroissance, au milieu duneviandes.

    Les gens entraient rgulirement. Le boucher navait plus le temps de me dire un mot. En jetaquets sur la balance, il me faisait des clins dyeux, des petits signes.Pour cette histoire avec la bouchre, je lui en avais voulu plusieurs jours, pendant lesquels jus de me laisser chuchoter loreille. Alors il stait mis me parler de son apprentissageabattoirs. Ctait dur, trs dur, en ce temps-l il tait presque fou, me disait-il. Mais il nar

    s raconter et se taisait rapidement, un voile gris sur le visage.Tous les jours, il se mit voquer ces abattoirs, sans pouvoir rien en dire ; il sassombriss

    us en plus.Vers la fin de la semaine, une heure et demie de laprs-midi (le plus mauvais moment

    urne, cause de la fatigue, de lapritif quon vient de boire et du repas quon attend),puta avec lun des commis revenu du march. Dune voix forte, ils lchaient tous les deu

    rases sches, la tte haute et les muscles raidis. Le commis lana une injure, et avec un largela main, comme pour balayer son adversaire, il entra dans le frigo.

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    Le boucher tait rouge de colre, comme je ne lavais jamais vu. Il saisit un grand couteau la rage aux yeux, dun bond, suivit lemploy dans le meuble.Je me prcipitai, lattrapai par la main gauche en lappelant de son prnom avant quil ne refporte sur lui.Ctait la premire fois que je le touchais. Il se retourna vers moi, hsita un instant, puis me

    ns le magasin.Depuis ce jour, je lavais laiss reprendre ses chuchotements. Ses vocations depothtiques heures damour, auparavant assez discrtes, taient devenues beaucoup plus crues

    Ils rptaient dans la cave de mon immeuble et presque chaque fois montaient me voir. Je mse porter un pantalon en ska moulant et des pulls bien troitement serrs sur mes petits sedessiner une trop grande bouche en dbordant largement avec le rouge lvres.

    Lautre tait l aussi, et jhsitais entre le dsir de lui plaire, de la trouver belle et de laimerousie froce quelle minspirait. Javais parfois envie de la pousser dans les bras de Daniel ;ir la prendre par la taille, poser ses lvres sur les siennes jimaginais le mouvement au radeux visages un peu penchs sapprochant tout doucement lun de lautre, et le choc mo

    res, et les langues fourrageant Mais, quand je surprenais entre eux un geste de compliciulais leur arracher la bouche et les yeux, leur fracasser la tte lun contre lautre.Je leur offrais le th, et nous bavardions en fumant. Quand elle navait pas son collant pante portait une petite jupe en cuir avec des bas dentelle, et toujours un blouson noir, et de grosravagants aux oreilles.Daniel dit un jour que les boucles doreilles avaient t inventes pour que les fille

    couvrent pas le plaisir de se faire mordiller les oreilles par les hommes. Alors elle tira sups, se planta sur les genoux des deux garons assis cte cte et se fit mordre les deux oreifois en criant dune voix aigu: Oh oui, oui, je jouis, je jouis! Et tous les trois rirent beauc

    Je les regardais avec curiosit et crainte. Daniel habitait maintenant chez mon frre. Lapparteit assez grand, et ils partageaient le loyer. Je nallais presque jamais chez eux.Daniel et mon frre se moquaient gentiment de moi parce que je restais enferme peindr

    oses minuscules; ils me parlaient dun ton protecteur, comme si jtais leur petite sur touux, me trouvaient jolie quand je me faisais une queue de cheval pour travailler.Moi, pour me mourir damour comme dans les vieux contes, je me privais de mangedmirais chaque jour dans la glace le dessin de plus en plus saillant de mes ctes, et la pleudonnait ma faiblesse; javais des vertiges, mon corps tait lger, jtais transparente au mondEt les aprs-midi, je me mettais au lit, je pleurais dans loreiller en pensant Daniel, issais par enlever ma culotte pour me caresser dans ma douce tristesse, et me faire jouir jupuisement.

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    Quand lhomme entra dans le magasin, je baissai aussitt les yeux pour ne plus le voir.Je revins moi, surmontai lhorreur.Lhomme navait plus de visage.Sa tte ntait plus quun norme anthrax, une masse informe seme de cloques, de bu

    excroissances inoues, de furoncles monstrueux qui jaillissaient plusieurs centimtres

    face pustuleuse, avec leur dpression profonde au centre, vritables volcans de chair.Je sentis le sang quitter mes membres, des points noirs afflurent devant mes yeux, mon estomuleva.Tte globuleuse, chair humaine, qui sait si tu ntais pas belle ? Et vous siamois, nains et ginos, polycphales, cyclopes?Qui pourrait jamais comprendre le monde ? Ses trfles quatre feuilles ? Le monde lui-m

    tait-il pas monstrueux, ntions-nous pas ses bourbillons glorieux et pourrissants ?Javais ce matin jet le bouquet de roses que je gardais depuis plusieurs jours dans ma chamssitt que je les avais sorties du vase, lodeur nausabonde de leau avait envahi la pice

    es taient encore trs belles. Leurs ptales aux couleurs un peu fanes me glissaient des mainandaient sur le sol en une gerbe ple. Je les ramassais un un, dans leur douceur et leur fiomparables, et lenvie me prenait de les dguster, de men composer une robe de sens, un orves; lorsque jen eus la poigne pleine, jouvris la main, et la laissai seffeuiller au-dessusubelle.

    Lhomme tait parti mais son fantme demeurait. La chaleur stait encore paissie. De la lbe pose sur le billot fleurissait un faisceau de maladies purulentes, de lsions flamboyaffections malignes. Langues dures et mauves, oreilles boursoufles, corps suintant de vers pars pores, une femme sort de son mdius la tte jaune dun serpent, tire doucement sur la btxtrait de son bras, les vers se gondolent et cherchent sarracher des chairs, le ventre soutripes puantes scoulent par terre comme un fleuve de boue, lestomac plein de germes jett

    ndaisons dans les poumons, le cur brille le ventre semplit deau cest une mer profonde os poissons dor, musardent les poissons-chats, et on entend glouglouter les baleines aux ocat et au chant de sirne, on voit venir la pieuvre embarrasse de bras tapie au fond des eaux den rocher sombre cest lantre gnital o sont des poupes roses la mine cruelle celle-l est sourit deux bouches elle se tient couche dans les algues dansantes et sduit les requins dres-ventouses son ventre est plein de crabes et dyeux de poissons fous cette autre flotte et ggr des courants deau on voit lintrieur des ondes liquoreuses transporter des bouquet

    nteurs enttantes et la voil dresse son bout violet luisant do jaillit toute blanche laanouie.

    Nous tions pris dans un rseau de chairs comme des mouches dans une toile daraigncollet des femmes, du short des hommes, je voyais pendre encore des lambeaux de cette molle dont ils staient arrachs grand-peine pour circuler dans la rue, sur la plage, ressembon, la pierre et au sable, tout ce qui na pas de sang qui bat, de cur qui palpite, de sex

    fle. Leurs pauvres tissus, leur bronzage drisoire ne suffisaient pas dissimuler leur honte. Ilait encore se cacher pour chier, pisser, baiser.

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    Voil pourquoi quelques-uns sacharnaient entretenir leur corps comme une machine, paratre deux toute chair inutile et prfraient leur viande bien dresse leur cerveau

    uscle.Clients, clientes de la boucherie, corps aux mes froides! Si vous saviez comme je vous dteec votre got ternel de la juste mesure, votre insouciance affiche de vacanciers, votre sur choisir un bout de viande, votre inquitude au moment de lire le prix sur la balance, ndescendance envers le boucher et la caissire!Jamais comme eux vous naviez invent des pomes interdits quon ne dit qu voix b

    ndant des jours et des jours.Le patron aussi avait son langage secret, que vous ne compreniez pas davantage. Quand il

    ut haut et trs vite en vous servant, madame : La lamdme, elle a un beau luqu qherlme lienboc , quauriez-vous pu rpliquer ? Sans doute souponniez-vous quelque

    ntiez-vous chanceler un peu votre assurance. Mais vous prfriez nen rien montrer, madamet t y perdre votre honneur, briser votre belle carapace de majest dsincarne et, surtoutlige de faire scandale et dabandonner l un si beau gigot, si vous aviez voulu comprendre qron, votre boucher, tenait publiquement un double langage, lorthodoxe et le louchbme.

    Cette nuit-l, quand nous tions rentrs si tard du concert, mon frre mavait propos de doez lui.Javais d me tourner plus dune heure dans le petit lit du salon avant de me lever comm

    mnambule, dentrer dans la chambre de Daniel, me coucher ct de lui.Il mavait prise dans ses bras, serre contre son corps, et javais senti son sexe durcir sur

    ntre.Il riait de me trouver l, nue en pleine nuit dans son lit ; et je sentais monter ma peur devant

    accomplir, le corps de lhomme dcouvrir. Je voulais aimer, je voulais Daniel, et jaccro

    sesprment ma peau sa peau, ma chaleur sa chaleur, et il entra en moi par deux fois, eux fois me fit mal et jacula.Ctait dj le matin. Je partis pied. Je chantais, je riais. Je navais pas senti venir le p

    prme, mais jtais dpucele et folle damour.Je mtais leve dans le noir et comme une chatte dans la nuit javais march dans le co

    mbre vers Daniel, le trou au ventre, vers lhomme chaud endormi au secret de son lit. Et leses nocturnes staient reconnues sans peine, il mavait accueillie et prise contre lui, javais tpeau et flair son odeur, il avait mis son sexe dans le mien.Son sexe dans le mien. midi, jen avais encore envie, mais je navais pas os tlph

    vais appris le soir seulement que Daniel tait parti en vacances dans sa famille.En rentrant chez moi, ce matin-l, javais dvor trois oranges, je mtais souvenue de tout, uvais pas mempcher de sourire. Je ne savais pas encore quil sen allait. Je ne savais pas eil allait si souvent partir et revenir si rarement, quil y aurait tellement dattente, si peu de nu

    mais de jouissance.

    Je regardai le boucher, et jeus envie de lui. Il tait laid, pourtant, avec son gros ventre moultablier tach de sang. Mais sa chair tait aimable.

    tait-ce la chaleur de cette fin dt, ces deux mois loin de Daniel, ou les mots baveux du bomon oreille? Jtais dans un tat dexcitation peine supportable. Les hommes qui entraient da

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    gasin, je les dshabillais du regard, je les voyais bandants, je me les fourrais entre les jambemmes que le boucher et le patron dsiraient, je leur levais la jupe, je leur ouvrais les jambes,

    leur donnais. Javais la tte pleine dobscnits et dinsultes, mon sexe me montait jusqurge, javais envie de me soulager de la main derrire la caisse, mais cela naurait pas suffffi.Cet aprs-midi, jirais chez le boucher.Daniel. Vois comme je suis, pantelante et misrable. Pose tes mains sur ma tte, Daniel, qure sen aille, que mon corps se calme. Prends-moi, Daniel, fais-moi jouir.

    Daniel. Jai essay de peindre un bouquet de roses. Ne ris pas. Comment rendre la couleur de, sa douceur, sa finesse, sa dlicatesse, son odeur ? Pourtant, je les dsire, je tente, je tour.Ne sommes-nous pas ridicules de vouloir attraper le monde avec nos stylos, nos pinceaux aunotre main droite ? Le monde ne nous connat pas, le monde nous chappe. Je voudrais pl

    and je vois le ciel, la mer, quand jentends les vagues, quand je me couche dans lherbe, quagarde une rose. Je mets le nez dans la rose et je suce le blanc de lherbe, mais lherbe et la rodonnent pas, lherbe et la rose gardent leur terrible mystre.As-tu jamais t frapp par lnigmatique prsence de citrouilles normes au milieu dun potes sont l, calmes et lumineuses comme des Bouddhas, aussi lourdes que toi, et, devant ation insolite de la terre, soudain le doute te prend, tu bascules hors de ta ralit, tu regarde

    rps avec tonnement et tu ttonnes comme un aveugle. Le potager reste impassible, il contindouiller de tomates brillantes et de haricots dans leurs cosses, se couvrir de persil odoranttues ouvertes. Et toi, doucement, tu ten vas, tranger.

    Daniel. Cet aprs-midi, peut-tre, jirai chez le boucher. Ne te fche pas, je naime que toi.

    boucher est plein de chair, et il a lme dun enfant.

    Daniel. Cet aprs-midi, sans doute, jirai chez le boucher. Cela ne change rien, je naime quais le boucher est un vicieux, je ne veux plus quil rve de moi.

    Tu tinquitais, Daniel, de me voir masseoir sur le rebord de la fentre, au troisime tagivais sans bruit derrire moi, tu me saisissais par la taille, pour me faire peur. On riaanais une dernire fois les jambes dans le vide, et tu memportais avec toi, sur le lit. Cand nous tions seuls, tous les deux. Je renversais ma tte hors du lit, je voyais toute la pinvers, tu tasseyais sur moi, mettais tes mains autour de mon cou, doucement tu serrais, fond tournait.

    Te souviens-tu du jour o nous sommes alls voler un bateau sur la plage, laube ? Je naimler, laube tait dchirante, je taimais.

    Si je vais chez le boucher, ce sera comme nous tuer, Daniel. Le boucher en passant sur mon cn gros corps assassinera ton corps mince et ferme. Jaimais tes paules, larges et fines, tach

    n. Jaimais tes cheveux noirs et doux, ta bouche mince, ton nez droit, tes oreilles, tes yeux, javoix, ton rire, jaimais ton torse et ton ventre plat, jaimais ton dos o allaient mes doigts, ja

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    n odeur je ne me lavais pas pour la garder sur moi, jaimais traverser la ville pour aloindre les rues me disaient cest par l il est au bout la neige tincelait et la foule souvrait

    laisser passer il ny avait que moi et le soleil au ciel tous les deux en marche vers la gique o lamour mattendait o jouvrirais mes bras mon manteau et mes jambes o je te meo tu tallongerais contre moi peau peau yeux yeux bouche bouche o je te recevrais

    ternit jaimais tattendre Daniel jaimais ton sexe que je nai jamais pu toucher.

    Quand le boucher sera dans mon corps Daniel nous serons morts notre histoire sera morte e

    belles heures de mes chagrins prochains le boucher avec sa lame bien aiguise le boucher avme fendra mon ventre et nous nous en irons du ventre o nous tions nous naurons plus daez dans les mains pour nous toucher encore nous nous arracherons et je te pleurerai le bo

    ec sa lame fendra et fendra encore fendra et fendra encore fendra et fendra encore juemplir de son lait blanc jaurai les yeux qui saignent Daniel et le ventre qui rit je ne tcriraune fois encore tu mas abandonne moi je te quitterai car le voleur de lune ne reviendra ja

    ur cueillir les toiles il y aura des fantmes trangement pareils ton visage sombre ils vienns mon lit et je les bercerai nous nous donnerons tout dans le temps dune nuit Daniel Dends comme ma voix faiblit le boucher ma jete toute nue sur ltal il a lev sa hache ma t

    uler sur le billot sanglant je ne te verrai plus je ne tentendrai plus lautre me lchera de sa lafrache lautre me mangera comme il me la promis et il ny aura ni toi ni moi je serai bien.

    La chaleur montait encore. Le boucher tait devenu grave et me regardait au fond des yeuil se retournait vers la balance. Chaque fois, je respirais avec motion les effluves doucetrviande.Je pensais mes roses dont je navais pas chang leau et qui pourtant taient si belles. Je n

    s russi rendre leur couleur, bien sr, celle dune vieille toile de fauteuil fane, mais avec

    nsparence, un dgrad prcieux du rose ple au brun trs ple sur le bord des ptales.Je me laissais baigner maintenant dans lair chaud, bercer par les gestes rptitifs du travagard lourd du boucher. Jtais englue dans une attente passive; le temps et les choses glissaiei ; javais dans le corps des plaques mortes, dautres fermentaient, travailles par un ou

    cret.Il flottait autour des gens une odeur dhuile solaire et de mer; les hommes avaient encore du l dans les poils des jambes, les femmes sur la nuque, au creux des coudes, les enfants avaien

    aux et des pelles et des glaces la vanille; le patron et le boucher sactivaient entre la vitrinelot, la machine hacher et le frigo; le couperet tranchait les ctes coups secs, la scie sciai

    gigot, les couteaux fendaient les viandes, et je mettais largent dans la caisse, les billets salt de mains.Lheure passait et le boucher me regardait jusque derrire la tte. Il tait en train de tailler danchet aux fibres longues et noires lorsque sa main drapa. Son pouce se mit saondamment, de grosses gouttes carlates tombrent en brillant, allrent scraser sur le sol ca

    boucher enfouit son doigt dans son tablier dj macul de tranes rouge sombre. Il vprendre son travail, mais le sang continua couler sur le billot.

    Quand je revins, le torchon blanc que javais mis sous sa main tait dj tremp. Je le chansang tombait sur le tissu par fleurs rouges. Jouvris le flacon dalcool, le versai directement

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    igt. Le boucher rejeta la tte en arrire, la plaie scintilla. Je lessuyai doucement, icatement la bande de gaze sur la chair vif, lenroulai lentement autour du doigt. La gaze r

    ssitt; je fis un autre tour.La seule odeur de lherbe coupe suffisait menivrer.Le pouce tait, maintenant tout propre, envelopp de blanc comme une marie. Je sentis qucher me regardait. Je pris un doigtier de caoutchouc mince, le fit coulisser le long du doigt paLes yeux baisss, je ne me pressai pas de lcher sa main.

    Malgr la chaleur, la bouchre avait mis la table dehors, lombre des arbres. Le patroucher et les employs du march buvaient un deuxime Ricard, se dlassaient grands coueule et de rires.La bouchre apporta un plateau de charcuteries et une salade de tomates. Au passage, le patrot la main la fesse. Elle tendit lautre.Le boucher tait assis ct de moi. Je le servis, cause de son pouce. Comme toujours, le pit en veine de plaisanteries salaces: Alors, on sest fait enrubanner le gros doigt par la pssire ?

    Un saucisson, dont lextrmit tait singulirement vocatrice, relana les rires.Les pts, rillettes, grattons, jambons disparurent en un clin dil.Le vin circulait, de bonnes bouteilles.La bouchre apporta de grandes entrectes saignantes, paisses comme la main, marques ps du barbecue.Le patron et le boucher en prirent chacun une entire, qui dbordait largement des deux ctr assiette comme une langue pendante. Malgr sa blessure, le boucher coupait allgremende, par gros morceaux quil engloutissait belle allure. Les rires et les propos gri

    ntinuaient fuser. Je les entendais peine, cause de lhabitude et du vin qui jetait son brou

    moi.La chaleur tait accablante. Pas un souffle, et le ciel devenait de plomb.Au fromage, lexcitation tait son comble. Jentendis vaguement des obscnits normeuchre disait je ne sais lequel des hommes runis autour de la table: Va te branler, ramen un plein verre, et je te le bois. Plusieurs voix sexclamrent: Chiche! Alors lorage clata. Lclair, le tonnerre, et la pluie. Une grosse pluie chaude et serre.On dbarrassa la table en hte, en se bousculant, avec des cris et des rires gras.

    Les platanes se mirent secouer leurs feuilles.

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    II

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    Nous ne disions rien, ni lun ni lautre. Je regardais aller et venir les essuie-gengourdissais dans lodeur de mes cheveux mouills contre mes joues.Il ouvrit la porte, me prit par la main. Mes nu-pieds taient pleins deau, mes pieds barbotaiensemelle de plastique. Il mamena au salon, me fit asseoir; mapporta un caf. Puis il mit la rdemanda de lexcuser cinq minutes. Il lui fallait prendre une douche.Je mapprochai de la fentre, tirai un peu le rideau, et regardai la pluie tomber.La pluie me donna envie de pisser. En sortant des toilettes, je poussai la porte de la salle de bpice tait chaude, tout embue. Japerus sa silhouette massive derrire le rideau de la dolcartai un peu, le regardai. Il avana la main vers moi mais je mesquivai, lui proposai d

    vonner le dos. Je montai sur la margelle, tendis les mains sous leau chaude, pris le savournai dans mes paumes jusqu men enduire dune couche paisse.Je me mis lui frotter le dos, en commenant par la nuque, les paules, en mouvements tourntait large et ple, muscl et ferme. Je descendis le long de la colonne vertbrale, une maaque ct. Je lui frottai les flancs, en dbordant un peu sur le ventre. Le savon faisait une m

    e et parfume, un rseau arachnen de petites bulles blanches flottant sur la peau mouille, undouceur glissant entre ma paume et ses reins.Je remontai et redescendis le long de la colonne vertbrale plusieurs fois, du bas du dxtrmit de la nuque, juste sur les premiers petits cheveux, ceux que le coiffeur rase parfoiscoiffures trs courtes, avec sa tondeuse si dlicieusement vibrante.Je repartis des paules et savonnai les bras lun aprs lautre. Malgr la dtente des membr

    ntais saillir les boules fermes des muscles. Lavant-bras tait couvert de poils noirs, il me n dlayer le savon pour y accrocher la mousse. Je remontai jusquaux aisselles, profondilues.

    Je menduisis nouveau les mains, les appliquai ensemble en massages tournants sur les falgr un certain volume, ses fesses avaient une forme harmonieuse, une courbe gracieusember des reins, un rattachement sans mollesse aux membres infrieurs. Je passai et repassai sundeurs, afin den connatre le model autant par les paumes que par les yeux.Puis je longeai les jambes dures et massives. La peau tait poilue et recouvrait des barrir

    uscles. Jeus limpression de menfoncer dans une autre contre du corps, plus sauvage, jussor trange des chevilles.Alors, il se retourna vers moi. Je levai la tte et aperus ses bourses gonfles, sa verge ten

    ute droite au-dessus de mes yeux.

    Je me relevai. Il ne bougea pas. Je pris encore le savon entre mes mains, commenai nettoyse, vaste et solide, modrment poilu.Je me mis descendre lentement le long du ventre, gonfl et ceintur dabdominaux puissanfallait du temps pour en couvrir toute la surface. Le nombril tait saillant, petite boule bl

    our de laquelle se dessinait la masse ronde. Un astre autour duquel mes doigts gravitaienfforant de retarder le moment o ils succomberaient lattraction vers le bas, vers la co

    esse contre le bel ordre circulaire de lestomac.

    Je magenouillai pour masser le bas-ventre. Je tournai longuement autour des parties gni

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    ut doucement, jusqua lintrieur des cuisses.Son sexe tait terriblement gros et tendu.Je rsistais la tentation de le toucher, prolongeant les caresses sur le pubis et entre les jambtenait maintenant plaqu au mur, bras carts, appuy des deux mains contre les parois, ventant. Il gmissait.Je sentis quil allait jouir avant que je ne laie touch.Je mloignai, massis en plein sous le jet de la douche et, les yeux toujours fixs sur son sexe

    fl, jattendis quil ft un peu calm.

    Leau chaude coulait sur mes cheveux, sous ma robe ; charg de bue, lair moussait autous, amortissait les formes et les bruits.Il avait t au plus fort de lexcitation, et pourtant navait pas fait un geste pour ht

    nouement. Il mattendait, il mattendrait aussi longtemps que je voudrais faire durer le plaisuleur.Je magenouillai nouveau face lui. Sa verge, encore fortement congestionne, sursauta.Je passai ma main sur les bourses, en remontant depuis la base, prs de lanus. Sa ver

    dressa encore, plus violemment. Je la pris dans mon autre main, la serrai, commenai un

    ouvement de va-et-vient. Leau savonneuse dont jtais enduite facilitait merveilleusemessement. Mes deux mains taient emplies dune matire chaude et vivante, magique. Je la sepiter comme le cur dun oiseau, je laidais courir vers sa dlivrance. Monter, desce

    ujours le mme geste, toujours le mme rythme, et les gmissements, au-dessus de ma tte ; ei gmissais aussi, avec leau de la douche plaquant sur moi ma robe comme un gant tryeux, avec le monde arrt hauteur de mes yeux, de son bas-ventre, au bruit de leau dgoul

    nous et de sa verge coulissant sous mes doigts, des choses tides et tendres et dures entreins, lodeur du savon, de la chair trempe et du sperme qui montait sous ma paumeLe liquide jaillit par rafales, claboussant mon visage et ma robe.

    Il sagenouilla aussi, lcha sur mon visage les larmes de sperme. Il me lavait comme se laat, avec application et tendresse.Sa tte blanche et dodue, sa langue rose sur ma joue, ses yeux bleus dlavs, la paupire l

    core comme sous leffet dune drogue. Et son corps languissant et pesant, son corps de plnituUn champ de pluies vert tendre dans le vent doux des branches Cest lautomne, il pleut, jee petite fille, je marche dans le parc et la tte me tourne cause des odeurs, de leau sur ma pemes habits, l-bas sur le banc je vois un gros monsieur qui me regarde, qui me regarde si for

    fais pipi, toute debout, je marche et je fais pipi, cest moi qui pleus tout chaud sur le parc, re, dans ma culotte, je pleus, je plaisIl menleva ma robe, lentement.Puis il mtendit sur le carrelage chaud et, laissant toujours couler la douche, se mit dposesers sur tout mon corps. Ses mains puissantes me soulevaient et me tournaient avec une dlicarme. Ni la duret du sol ni la force de ses doigts ne me meurtrissaient.Je me relchai compltement. Et il me mit la pulpe de ses lvres, lhumidit de sa langue au

    s bras, sous les seins, dans le cou, derrire les genoux, entre les fesses, il me mit sa bouche paun bout lautre du dos, lintrieur des jambes, jusqu la racine des cheveux.

    Il me posa sur le dos, par terre sur les petits carreaux chauds et glissants, souleva mes rein

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    ux mains, les doigts fermement plaqus dans le creux, jusqu la colonne vertbrale, les pouceventre ; il mit mes jambes sur ses paules, et porta sa langue ma vulve. Je me cam

    usquement. Leau de la douche me frappait des milliers de fois, tout doucement, sur le ventre seins. Il me lchait du vagin au clitoris, rgulirement, la bouche colle aux grandes lvres.

    xe devint une surface ravine do ruisselait le plaisir, le monde disparut, je ntais plus que air vif, do giclrent bientt de gigantesques cascades, les unes aprs les antinuellement, lune aprs lautre, infiniment.Enfin la tension faiblit, mes fesses retombrent sur ses bras, je rcuprai peu peu, sentis

    mon ventre, vis nouveau la douche, et lui, et moi.

    Il mavait sche, mise au chaud dans le lit, et je mtais endormie.Je mveillai lentement, avec le bruit de la pluie contre les carreaux. Les draps taient tidux, loreiller moelleux. Jouvris les yeux. Il tait couch prs de moi, me regardait. Je porin son sexe. Il avait nouveau envie de moi.Je ne voulais que a. Faire lamour, tout le temps, sans rage, avec patience, obstinthodiquement. Aller au bout. Il tait comme une montagne escalader, et il me fallait arriv

    ut, comme dans mes rves, mes cauchemars. Le mieux aurait t de lmasculer tout de nger ce morceau de chair toujours dur toujours dress toujours rclamant, lavaler et le g

    ns mon ventre, dfinitivement.Je me rapprochai, me relevai un peu, lentourai de mes bras. Il prit ma tte entre ses mains, abouche sur la sienne, y fit pntrer sa langue dun coup, lagita au fond de ma gorge, lentorti

    roula contre la mienne. Je me mis lui mordiller les lvres, jusqu sentir le got du sang.Alors je grimpai tout fait sur lui, appuyai ma vulve contre son sexe, me la frottai conturses et la verge; je la guidai de la main pour la faire pntrer en moi, et ce fut comme un ssif, lentre blouissante du sauveur, le retour instantan de la grce.

    Je relevai les genoux, pliai les jambes autour de lui, et le chevauchai vigoureusement. Chaque, tout en haut de la vague, je voyais sortir sa verge, luisante et rouge, je la reprenais en tchalenfoncer plus loin encore.

    Jallais trop vite. Il me calma doucement, je dpliai les jambes et me couchai sur lui. Je mobile un moment, contractant les muscles de mon vagin autour de son membre.Je lui mordis la poitrine sur toute sa largeur; des charges lectriques me parcouraient la lagencives. Je me frottai le nez au gras de sa viande blanche, aspirai son odeur en tremblan

    uchais de plaisir, le monde ntait plus quun tableau abstrait et vibrant, un entrechoquemehes couleur chair, un puits de matire douillette o je menfonais dans un lan joyeu

    rdition. Une vibration partie des tympans me prit la tte, mes yeux se fermrent ; une conscraordinairement aigu se propagea avec les ondes qui parcouraient ma bote crnienne, il

    mme une flamme, et mon cerveau jouit, seul et silencieux, magnifiquement seul.Il roula sur moi, et me chevaucha son tour, en sappuyant sur ses mains pour ne pas mcs bourses frottaient sur mes fesses, lentre de mon vagin, sa verge dure memplissait, glissssait sur mes parois profondes, mes ongles senfoncrent dans ses fesses, il haleta plus fus jouissions ensemble, longuement, nos liquides confondus, nos rles confondus, venus den que la gorge, des profondeurs de nos poitrines, des sons trangers la voix humaine.

    Il pleuvait. Enveloppe dun grand T-shirt quil mavait prt, je mtais accoude la fen

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    ise genoux sur la chaise place contre le mur.Si je savais le langage de la pluie, bien sr, je lcrirais, mais chacun le connat, et pepeler sa mmoire. tre dans un lieu clos quand dehors tout est eau, ruissellements, noyad

    ire lamour dans ltroitesse ingrate dune voiture, quand les vitres et le toit rsonnent de goonotones La pluie dnoue les corps, les rend pleins de mollesse et de mouillures Baventrelchant comme les escargotsLui aussi tait en T-shirt, couch sur le canap, ses grosses fesses, son gros sexe et ses gr

    mbes nus.

    Il sapprocha de moi, appliqua sa verge dure sur mes fesses. Je voulus me retourner, mattrapa par les cheveux, me tira la tte en arrire, et se mit me forcer lanus. Je souffratais coince sur ma chaise, condamne garder la tte au ciel.Enfin il entra totalement, et la douleur sadoucit. Il se mit aller et venir, jtais pleine de lsentais que sa verge norme et ogresse tout au-dedans, tandis que dehors la pluie en coup

    cipitait pure lumire liquide.Tout en continuant se secouer en moi, me travailler comme un terrassier en me maintene en arrire, il glissa deux doigts dans mon vagin, puis les sortit. Jy enfonai alors les mntis sa verge dure battre derrire la paroi, et commenai me frotter dans le mme rythmclra ses coups, mon excitation grandit, douleur et plaisir confondus. Son ventre cognait con dos chaque coup de reins, et il me transperait un peu plus, menvahissait un peu plus. Jaulu librer ma tte mais il tirait davantage encore sur mes cheveux, javais le cou terribledu, les yeux obstinment tourns vers le ciel qui se vidait, et il me frappait et il me marquau plus profond de moi, il mbranlait le corps, et puis me le remplit de son liquide chaudtait par saccades en me heurtant mollement, savoureusement.

    Une grosse goutte cognait rgulirement quelque part avec un son de mtal creux. Il lcha

    eveux, je laissai retomber la tte dans lembrasure, et me mis osciller imperceptiblement.Je le fis mettre nu, allonger par terre sur le dos. Avec les sandows de son exerciseur, jachai les bras aux pieds du fauteuil, les jambes ceux de la table.Nous tions tous les deux fatigus. Je massis dans le fauteuil, le regardai un moment, immob

    artel.Son corps me plaisait ainsi, plein de chair ouverte et prisonnire, clat dans sa spleperfection. Homme dracin, nouveau clou au sol, le sexe comme un pivot fragile exilbres et expos la lumire de mes yeux.

    Il aurait fallu que tout soit sexe, les rideaux, la moquette, les sandows et les meubles, il mlu un sexe la place de la tte, un autre la place de la sienne.Il nous aurait fallu pendus tous les deux par un crochet de fer face face dans un frigo r

    ochets par le haut du crne ou par les chevilles, tte en bas, jambes cartes, face facairs, livrs impuissants au couteau de nos sexes brlant comme des fers rougis, ouverts, brandus aurait fallu hurlants la mort sous la tyrannie de nos sexes, quest-ce que nos sexes ? rnier, premier acide, jai perdu mes mains dabord, et puis ensuite jusqu mon nom, jusquauma race, perdue lhumanit dans ma mmoire, dans le savoir de ma tte et de mon corps, pe

    de de lhomme, de la femme ou mme de la bte

    ; je cherchais un peu, que suis-je

    ? Mon sexonde restait mon sexe, sans nom, et son envie de pisser. Le seul endroit o mon me stait rfu

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    ncentre, le seul o jexistais, la manire dun atome, errant entre ciel et herbe, entre vert etns autre sentiment que celui dun pur sexe-atome, juste, peine, travaill par lenvie de par, bienheureux, dans la lumire, presqule Saint-Laurent, ctait un jour dt, ou non cutomne, il ma fallu une nuit et encore un matin pour redescendre, mais aprs pendant des and je pissais je me perdais, le temps dun vertige a y est, je me rentre tout entire dans monmme dans un nombril, mon tre est l dans cette sensation au centre du corps, annihil le resrps, je ne me connais plus, plus de forme plus de gnrique, le trip total chaque fois et pacore, juste un instant, comme dtre pendu la tte en bas dans la grande spirale de lunivers,

    savoir ce que valent ces instants-l, aprs je me dis cest vrai a, qui je suis ? et tmme le monde est beau, avec toutes ces grappes de raisin noir, comme cest bon de fairndanges en plein midi, avec le soleil qui saccroche aux raisins et aux yeux des vendangeurps sont tordus, comme jaimerais pisser au bout du rang! , et on a dans le corps toutes sortises comme a, tellement on se sent bien, aprs ce drle de vertige qui nous manque un peu, qme, dj.Je me levai, magenouillai jambes ouvertes au-dessus de sa tte. Sans me mettre porte dage, jcartai de mes deux mains mes grandes lvres, lui fit regarder ma vulve, longtemps.Puis je la caressai lentement, avec un mouvement tournant, de lanus au clitoris.

    Jaurais voulu des ciels gris o lespoir se concentre, o les arbres en tremblant tendent leursfe, des songes capricieux emports dans les herbes embrasses par le vent, jaurais voulu s cuisses sentir le souffle immense des millions dhommes de la terre, jaurais voulu, reg

    garde bien ce que je veux

    Jenfonai mes doigts gauches dans mon vagin, continuai me frotter. Mes doigts ne sont pasigts, mais un lourd lingot, un gros lingot carr fich en moi, blouissant dor au plus noir de

    ve. Jallai de plus en plus vite des deux mains ; je chevauchai lair convulsivement, jetai la tire, jouis en sanglotant sur ses yeux.

    Je rejoignis le fauteuil. Son visage avait rougi, il bandait nouveau, assez mollement. Il taifense.Quand jtais petite, je ne savais rien de ce qutait lamour. Faire lamour, le mot le gique, la promesse de la chose incroyable et merveilleuse qui nous arriverait tout le temps dus serions grands. Je navais aucune ide de la pntration, ni mme de ce quont les hommesjambes, malgr les douches avec mes frres. On a beau voir et voir, que sait-on, quand on

    t du mystre?Quand jtais plus petite encore, quatre ans peine, on parle devant moi et on croit q

    entends pas, papa raconte quun fou la nuit court en hurlant dans la fort. Jouvre le portadin de ma grand-mre, et toute seule avec ma chienne-loup jentre dans le bois ; dans la premue entre les arbres, sur une motte de sable, je me couche avec la chienne, tout contre son aud, un bras autour de son cou; elle tire la langue et elle attend, comme moi. Personne. Les prent et se penchent vers nous, dun geste tendre et inquitant. Au milieu de la fort, il y a

    ngue saigne de bton, toute borde de ronces o on trouve des mres, et o un pilote de kaur, en quittant brutalement la course, devant moi, sest crev les yeux. Il y a un blockhaus aveeule noire en guise de porte, et tout au bout un lavoir mang de mousse et dherbes. La p

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    nserv lempreinte dure dun pied, immense.Jallai me coucher par terre prs de lui, posai ma tte sur son bas-ventre, la bouche cont

    rge, une main sur ses bourses, et je mendormis. Srement la trace dans le ciment frais du pasand soldat blond, et fort, et beau peut-tre.Quand je me rveillai contre son sexe, je le pris dans ma bouche, laspirai plusieurs fois gue, le sentis gonfler, toucher au fond de ma gorge. Je massai ses bourses, les lchai, revins

    rge. Je me la mis dans le creux de chaque il, sur le front, sur les joues, contre le nez, suche, le menton, dans le cou, y posai la nuque, la coinai entre mon omoplate et ma tte pen

    ns mon aisselle, dans lautre, la frlai de mes seins jusqu les en faire presque jouir, y frottantre, mon dos, mes fesses, mes cuisses, la serrai lintrieur de mes bras et de mes jambes plpuyai la plante du pied, jusqu en garder lempreinte sur tout mon corps.Puis je la remis dans ma bouche et la suai trs longuement, comme on suce son pouce, le semre, la vie, pendant quil gmissait et haletait, toujours, jusqu ce quil jacule, dans une pu, et que je boive son sperme, sa sve, son don.

  • 7/21/2019 Alina Reyes - Boucher, Le

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    Javais tenu remettre ma robe mouille, partir pied. La pluie stait calme.Jarrivai la plage sans le vouloir. La mer tait haute et forte, le sable mouill, il ny

    rsonne. Je descendis jusqu leau. Elle tait sombre, et transportait des paquets dcume gringeai le rivage en zigzaguant avec les vagues qui arrivaient et repartaient, et amenaienllions de petites bulles, comme la mousse du savon.Les dunes avaient la couleur et les formes de la chair.Jenfonai mes deux doigts dans la masse humide et molle. La mer narrtait pas de baver

    anler sans cesse contre le sable, courir aprs sa jouissance.O est lamour, sinon dans le mal brlant du dsir, de la jalousie, de la sparation?

    Jamais Daniel ne sera couch contre mon corps. Daniel est mort, je lai enterr derrire la corps que je naimerai plus, le corps que le couteau du boucher a tranch, spar du

    ntme qui continue aimer loin de moi, fantme, mon ventre est bant. Je me suis fait ton sexes deux doigts pour foutre la terre, la salope, qui ne veut pas maimer, moi lhomme, moi la fem

    air et sang, ventre dchir des enfantements, viande mortelle habiter.

    Je remontai au pied dune dune, massis dans le sable, sec et tendre comme mes os. Douce temps.Je me fis emmener au Chat noir par quatre garons que je venais de rencontrer au bar de la Pjtais alle me rchauffer. Sur le sige arrire de la voiture, Pierre et Dominique me tenaienpaules, membrassaient sur les joues et riaient.Ctait une nuit masque , et la bote tait envahie par une fort de visages rigides, grimagrotesques. Je dansai avec plusieurs partenaires, dont je ne pouvais apprcier que le cmme ils nchangeaient pas de baisers, les couples se touchaient beaucoup, en aveugles.Pierre minvita le temps dun slow. Il avait dix-huit ans, de longues jambes et, sous sa tte decaoutchouc, un gentil petit nez. Jappuyai bien fort ma tempe contre son torse, mes mains sus, et je le laissai me caresser. la fin du morceau, il me prit par la main, retira son masque et mentrana dehors.Il faisait frais, un ciel sans toiles. Pierre me prit contre lui, et je my serrai avec plaisembrassa.Dans la voiture, il membrassa encore. Puis il alluma ses phares, dmarra.

    Sur la route qui traversait la fort il sarrta. Il se remit membrasser.Il me fit descendre et, me tenant par la nuque, senfona avec moi dans le bois.Il me fit tendre par terre, se coucha sur moi en relevant ma robe. Jtais reste nue dessous,

    mpris quil avait baiss son pantalon. Il faisait un noir dencre, je ne voyais rien. Pierre me pssitt, et se mit trs vite souffler bruyamment. Je regardais de tous mes yeux dans les tntais de distinguer le ciel des arbres. Bientt je vis une tache plus claire, et un mouvementte tache. La lune sortit dun coup du nuage, lana sur nous sa lumire laiteuse.Alors je vis au-dessus de moi la tte de mort.Je poussai un cri, et le garon cria aussi, en me jetant son sperme dans le ventre.

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    Laube me ramassa dans le foss. Jtais poisseuse, pleine de terre, assoiffe, couche danu qui lhiver servait lcoulement des eaux.Le jour se levait, tuait les tnbres avec leur cortge de mystres. Et la lumire tait bien

    quitante encore, qui imposait de tout voir, tout savoir. Pourtant je laccueillis en souriant.Les oiseaux de jour staient mis chanter tous ensemble. Jallais rentrer chez moi et peindre

    Lorsque je voulus sortir du trou, je maperus que je ne pouvais plus bouger. Le bras dropaule la main, tait paralys. Au moindre mouvement, des lancements douloureuxrvenaient du dos et des jambes.Javais toute la nuit entendu la mer rver sur de durs coussins, la fort tressaillir. Javais

    ns les tnbres et je mtais cogne aux arbres aux racines aigus, javais pleur des larmes tires et jtais tombe dans le foss, dans la terre chaude qui mavait recueillie, javais dormux du lit de terre, sous la chape immense de charbon, sous laile du corbeau, dans le ululescur des hiboux.La nuit vibrante et scintillante tait passe sur moi, je lavais bue larges goules, jen

    ine.Et maintenant le jour se levait et dchirait les tnbres, qui saccrochaient par lambeaux dearbres. Et puis il y eut un premier rayon de soleil, qui traversa la route et darda entre les bra

    mme le fil aigu dune lame. Et toute la nuit fut efface.Les oiseaux crirent plus fort ; dans lherbe, sous les feuilles des pins, des choses se mir

    urir. Jentendis la mer, encore, qui devait, l-bas, tre toute tachete de lumires.Une voiture passa.Je tentai nouveau de me relever. Jtais totalement endolorie, mais je fis leffort de me tranappuyant sur le coude gauche. Javanai peine, restai immobilise par la douleuommenai, gagnai quelques centimtres. cet endroit, le foss tait trop profond pour que je puisse penser le remonter dans lttais. Il me fallait progresser jusquau moment o je trouverais une dclivit plus faible.Je me mis ramper sur le coude gauche sans marrter, malgr les douleurs qui me transperplus petit mouvement. Je gagnais du terrain pas minuscules, des pas miniatures que jaurare entrer dans mes tableaux. Je ris en pensant Daniel, nos amours gches, sa lucidicotille.Je riais sans voix, avec des lancements douloureux dans les ctes et dans le dos ch

    ubresaut. Mais jtais heureuse, et je ris encore, la tte contre les aiguilles de pin.Je rampai encore, jetant le coude devant ma tte, lenfonant dans le sol, et tranant aprs tte du corps. Les douleurs sestompaient peu peu, et je pus bientt maider des genoux.Jaimais ce foss, jtais contente de my traner. Ctait un beau foss, avec de lherbe et e, et une terre sableuse et noire, et un tapis daiguilles de pin sous lequel vivait un monits tres. quelques mtres devant moi, le foss svasait, souvrait en cuvette. Ctait la sortiettendais. Mes forces redoublrent.Jatteignis lendroit o la pente tait bien plus faible. Mon bras droit tait encore peu

    utilisable. Je commenai lascension en me servant de mon avant-bras gauche, de la pointe de

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    ds et de mes genoux. Je glissai plusieurs fois, et jtais oblige de tout recommencer. Mais chai pas mon effort avant dtre parvenue au sommet.Quand je me retrouvai au bord de la route, le sentiment de ma tnacit me fit aspirer lair pumons. Et je russis me mettre quatre pattes.Je constatai que mon bras droit commenait mobir. Ma robe tait toute dchire, je sentites de sperme couler lintrieur de mes cuisses, la peau de mes membres, rpe, raflesait.Jtais sur le bord de la route. Je me mis faire mon chemin quatre pattes.

    On nimagine pas tout ce quil peut y avoir sur le bord des routes : plusieurs espces dherbeurs, des champignons, des cailloux tous diffrents et toutes sortes de petites btesJentendis de loin venir une voiture. Je maplatis contre le sol autant que je le pus, me fis de ts forces camlon, herbe, bord de route.La voiture passa.La route stendait devant moi toute droite. Il ne me restait plus que quelques kilomt

    rcourir, et je pouvais maintenant marcher quatre pattes. Mon cur semplit de joie.Heureusement il ny avait personne. Ceux qui mauraient vue l mauraient aussitt prise en

    gch tout mon bonheur plein despoir. Ainsi sont les autres : ils ne voient pas la beaut de , votre vie leur semble horriblement triste si, par exemple, vous ntes pas bronz en plein ulent que vous voyiez comme eux o est la juste joie, et si vous avez la faiblesse de vous lare, jamais ensuite vous ne trouvez loccasion de dormir seul dans un foss, tout dchir, pat noire. quatre pattes, je mimaginai que jtais un chien, un chat, un lphant, une baleine. Le

    ontait devant moi, chauffait sur mon visage tout ruisselant de sueur. Les baleines ont des ocur demeure, et crachent leau pour sarroser le visage. Je broutai un peu dherbe pourachir. Sans faire exprs, je mangeai aussi quelques insectes qui passaient par l.

    Bientt, je me sentis suffisamment en forme pour tenter de me mettre debout. Les mains toujore, je dcollai les genoux du sol, soulevai la croupe. Quand je sentis le terrain plaqu sousds, je me lchai des deux mains, comme en vlo, me lanai en arrire, en prenant ga

    uilibrer de mon mieux ce mouvement de bascule, de faon ne pas retomber.Je me mis en marche, pieds nus sur le bord de la route, sur lherbe et les cailloux, et toute

    oses quon nimagine pas.

    Des voitures passaient, une sarrta mais je ne voulus pas monter. Jtais plus solide que javais la force du boucher, la malignit du garon la tte de mort.Une large avenue souvrait devant moi. Jallais peindre un bateau, et, quand la pluie revienserais prte. Je prendrais mon bord les animaux de la terre et un boucher, et nous naviguesemble pendant tout le dluge.

    Jarrivai une premire maison, entoure dune haie do dbordaient des roses. Jen coupaarrachai ses ptales par paquets, les mangeai. Ils avaient beau tre fins et dlicats, jen avais

    bouche. Le chien de garde se prcipita derrire le portail, en aboyant et en grognant de toutents. Je finis de dguster la fleur, et lui jetai la tige pineuse.

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    Quatrime de couverture

    La chair du buf devant moi tait bien la mme que celle du ruminant dans son pr, sauf qng lavait quitt, le fleuve qui porte et transporte si vite la vie, dont il ne restait ici que queuttes comme des perles sur le papier blanc.Et le boucher qui me parlait de sexe toute la journe tait fait de la mme chair, mais chau

    ur tour molle et dure; le boucher avait ses bons et ses bas morceaux, exigeants, avides de b

    r vie, de se transformer en viande. Et de mme taient mes chairs, moi qui sentais le feu prre mes jambes aux paroles du boucher.

    Le Boucher,premier roman dAlina Reyes, a reu en 1987, sur manuscrit, le prix littraire Pus, dcern par un jury de Bordeaux (le Groupe Art-Phare).