Alchimie - Lefèvre Nicolas - Cours de Chimie (complet)

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 1 WXWXWXWXWXWXWXWXWXWXWXWXWXWXWX 1 COUR DE CHIMIE POUR SERVIR D’INTRODUCTION à cette Science. PAR NICOLAS LEFEVRE Professeur Royal en Chimie, & Membre de la Société Royale de Londres. CINQUIEME EDITION, Revue, corrige & augmentée d’un grand nombre d’Opérations, & enrichie de Figures, PAR M. DU MONSTIER, Apothicaire de la Marine & des Vaisseaux du Roi ; Membre de la Société Royale de Londres & de celle de Berlin. TOME PREMIER. A PARIS. Chez JEAN-NOËL LELOUP, Quay des Augustins, à la descente du Pont Saint Michel, à Saint Jean Chrysostome. M. DCC. L I.

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    COUR DE CHIMIE

    POUR

    SERVIR DINTRODUCTION

    cette Science.

    PAR

    NICOLAS LEFEVRE

    Professeur Royal en Chimie, & Membre de la Socit Royale de Londres.

    CINQUIEME EDITION,

    Revue, corrige & augmente dun grand nombre dOprations, & enrichie de Figures,

    PAR M. DU MONSTIER, Apothicaire de la Marine & des Vaisseaux du Roi ; Membre de la Socit Royale de Londres & de celle de Berlin.

    TOME PREMIER.

    A PARIS.

    Chez JEAN-NOL LELOUP, Quay des Augustins, la descente du Pont Saint Michel, Saint Jean Chrysostome.

    M. DCC. L I.

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    TABLE DES MATIERES.

    Prface de lditeur : Des Chimies de le Fvre de Glaser, p 8. Avis de Nicolas Le Fvre, p 14. Prface de la troisime Edition de Christophe Glaser, p 15. Approbation, p 16. Privilge du Roi, p 17.

    TRAITE DE CHIMIE, EN FORME DABREGE.

    Prface, p 19. Division de cet Ouvrage, p 21. Avant-Propos. Qui contient plusieurs questions de la nature de la Chimie, p 21. Question premire. Des noms donns la Chimie, p 21. Question seconde. La Chimie doit-elle tre appele Art ou Science ? & sa dfinition, p 22. Question troisime. De la fin de la Chimie, p 25.

    PREMIERE PARTIE.

    LIVRE PREMIER. CHAPITRE I : De lEsprit universel, p 27. CHAPITRE II :

    Des diverses substances qui se trouvent aprs la rsolution, & lanatomie du compos, p 30.

    Principes de la rsolution des corps, p 32. CHAPITRE III : De chaque principe en particulier, p 33.

    SECTION PREMIERE : A savoir si les cinq principes qui demeurent aprs la rsolution du mixte, sont naturels ou artificiels, p .33

    SECTION SECONDE : Du Phlegme, p 34. SECTION TROISIEME : De lEsprit, p 36. SECTION QUATRIEME : Du Soufre, p 37. SECTION CINQUIEME : Du Sel, p 38. SECTION SIXIEME : De la Terre, p 40.

    CHAPITRE IV : Des Elments, tant en gnral quen particulier, p 41. SECTION PREMIERE : Des Elments en gnral, p 41. SECTION SECONDE : De lElment Feu, p 45. SECTION TROISIEME : De lElment de lAir, p 47. SECTION QUATRIEME : De lElment de lEau, p 49. SECTION CINQUIEME : De lElment de la Terre, p 50.

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    CHAPITRE V : Des principes de destruction, p 51. SECTION PREMIERE : De lordre de ce Chapitre, p 51. SECTION SECONDE : Des principes de vie avant la composition, p 52. SECTION TROISIEME : Des principes de mort, p 53.

    LIVRE SECOND.

    Du pur & de limpur. CHAPITRE I : Ce quest le pur ou limpur, p 56. CHAPITRE II : Comment le pur & limpur entrent dans toutes les choses, p 57. CHAPITRE III : Comment on spare limpur de toutes les choses, p 59. CHAPITRE IV : Des substances pures quon tire des mixtes, p 60. CHAPITRE V : De la gnration & de la corruption naturelle des mixtes, & de leur diversit, p 61.

    SECTION PREMIERE : De lordre que nous tiendrons en ce Chapitre, p 61. SECTION SECONDE : De laltration, de la gnration, & de la corruption

    des choses naturelles, p 61. SECTION TROISIEME : De la diffrence des mixtes en gnral, p 64. SECTION QUATRIEME : De la diversit des mixtes parfaits, p 65. SECTION CINQUIEME : Des moyens minraux ou des marcassites, p 67. SECTION SIXIEME : Des mtaux, p 69. SECTION SEPTIEME : Des pierres, p 71. SECTION HUITIEME : Des autres mixtes, tant anims que des inanims, p

    72. CHAPITRE VI : Comment la Chimie travaille sur tous ces mixtes pour en tirer le pur, & pour en rejeter limpur, p 73.

    SECONDE PARTIE.

    LIVRE PREMIER.

    Des termes ncessaires, pour entendre & pour faire les oprations Chimiques. Prface, p 75. CHAPITRE I : Des diverses espces de solutions & coagulations, p 76. CHAPITRE II : Des divers degrs de la chaleur et du feu, p 83. CHAPITRE III : De la diversit des vaisseaux, p 86. CHAPITRE IV : De la diversit de toutes sortes de fourneaux, p 91. CHAPITRE V : Des lutations, p 102. CHAPITRE VI : De lexplication des caractres & termes, dont les Auteurs se sont servi en Chimie, p 105.

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    LIVRE SECOND.

    Des Oprations Chimiques. CHAPITRE I : Des observations pour la sparation & pour la purification des cinq premires substances, aprs quelles ont t tires des composs, p 108. CHAPITRE II : Apologie des remdes prpars selon lart de la Chimie, p 112. CHAPITRE III : Des facults des mixtes, & des divers degrs de leurs qualits, p 117. CHAPITRE IV : De lordre que nous tiendrons dans la description des arations Chimiques, p 120. CHAPITRE V : De la rose & de la pluie, p 121. CHAPITRE VI : Du miel et de la cire, p 122.

    . 1. La manire de tirer les princes du miel, p 123. . 2. Pour faire lhydromel vineux & le vinaigre du miel, p 123. . 3. Pour faire la teinture du miel, p 124. . 4. Pour tirer lhuile de la cire, p 126.

    CHAPITRE VII. De la manne, p 127. Pour faire lesprit de la manne, p 127.

    CHAPITRE VIII : Des animaux, p 128. . 1. De lhomme, p 130. . 2. Des cheveux, p 130. . 3. Du Lait, p 131. . 4. De larrierefaix, p 132. . 5. De lurine, p 133. . 6. Pour faire lesprit ign de lurine & son sel volatil, p 134. . 7. Pour faire leau, lhuile, lesprit, le sel volatil & fixe du sang humain, p 134. . 8. Pour faire le sel & llixir de la pierre de la vessie, p 137. . 9. De la chair humaine & de ses prparations, p 138. . 10. Prparation de la mumie moderne, p 139. . 11. Pour faire le baume de la mumie des modernes, p 140. . 12. Comment il faut prparer & distiller laxunge humaine, p 141. . 13. Pour faire lesprit, lhuile & le sel volatil des os & du crne humain, p 142. . 14. La manire de bien prparer les remdes qui se tirent de la corne de cerf, p 144. . 15. Comment il faut distiller la corne de cerf, qui est encore molle pour avoir leau de tte de cerf, p 145.

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    . 16. La prparation philosophique de la corne de cerf, p 146. . 17. La faon de prparer lesprit, lhuile & le sel volatil de la corne de cerf, p 147. . 18. Pour faire la teinture du sel volatil de la corne de cerf, p 150. . 19. La manire de faire lixir des proprits, avec lesprit de la corne de cerf, p 150. . 20. Des prparations qui se font des vipres, p 151. . 21. La faon de desscher les vipres, pour en faire la poudre & les trochisques, p 153. . 22. Comment il faut faire lesprit, lhuile, le sel volatil, le sel volatil fix, la sublimation de ce sel fix & le sel fix des vipres, p 154. . 23. Comment il faut arrter, fixer & purifier les sels volatils, p 156. . 24. Le moyen de resublimer le sel volatil fix, p 157. . 25. Comment il faut faire lessence des vipres, avec leur vrai sel volatil, p 157. . 26. La manire de faire le sel thriacal simple, qui soit empreint de la vertu alexitaire & confortative des vipres, p 158. . 27. La prparation dun autre sel thriacal, beaucoup plus spcifique que le prcdent, p 158. . 28. De lponge & de sa prparation chimique, p 159. . 29. Comment il faut distiller lponge, p 159.

    CHAPITRE IX : Des vgtaux & de leur prparation Chimique, p 160. . 1. Premier discours des eaux distilles, p 161. . 2. La prparation des plantes succulentes nitreuses, pour en tirer le suc, la liqueur, leau, lextrait, le sel essentiel nitro-tartareux, & le sel fixe, p 165. . 3. La prparation des plantes succulentes qui ont en elles un sel essentiel volatil, pour en tirer leau, lesprit, le suc, la liqueur, le sel essentiel volatil, lextrait & le sel fixe, p 169. . 4. Comment il faut faire lesprit des plante succulentes, qui ont un sel essentiel volatil, p 170. . 5. Manire particulire de faire leau anti-scorbutique Royale, p 173. . 6. Tablettes anti-scorbutiques, p 173. . 7. Pilules anti-scorbutiques, p 174. . 8. Comment il faut faire lesprit & lextrait de cochlaria, p 174. . 9. Extrait de cochlaria, p 175. . 10. De la manire de faire les liqueurs des plantes, & leurs premier tres, p 177. . 11. De la vertu & de lusage de la liqueur des plantes, p 179.

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    . 12. De la vertu & de lusage du premier tre des plantes, p 180.

    Second discours : Des sirops, p 185. . 1. La manire de faire le sirop acteux simple ou le sirop de vinaigre, la faon ordinaire & ancienne, p 188. . 2. La faon gnrale de faire comme il faut les sirops des sucs acides des fruits, comme ceux du suc de citrons, doranges, de cerises, de grenades, dpine-vinette, de coings, de groseilles, de framboises, de pommes, &c, p 190. . 3. Comment il faut faire les sirops des sucs qui se tirent des plantes, tant de celles qui sont inodores, que de celles qui sont odorantes, avec les remarques ncessaires leurs dpurations, p 191. . 4. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la premire classe, p 191. . 5. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la seconde classe, p 192. . 6. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la premire classe, p 193. . 7. La faon ancienne de faire le sirop de fleurs doranges, p 195. . 8. La faon de faire chimiquement & comme il fut de sirop de fleurs doranges, p 195. . 9. Lancienne faon de faire le sirop de dcorce du citron, p 196. . 10. La manire de faire artistement le sirop dcorces du citron, p 197. . 11. Comment on a fait communment le sirop de cannelle, p 198. . 12. Comment il faut faire le sirop de cannelle selon les prceptes de la Chimie, p 200. . 13. Lancienne faon de faire le sirop dabsinthe compos, p 204. . 14. Comment il faut bien faire le sirop dabsinthe compos, p 205. . 15. Pour faire chimiquement le sirop acteux compos, p 205. . 16. Comment les Anciens ont fait le sirop dArmoise, p 206. . 17. La description du sirop dArmoise, p 207. . 18. Comment on fait ordinairement le sirop de chicore avec la rhubarbe, p 208. . 19. Comment on fait ordinairement le sirop de chicore, compos avec la rhubarbe, p 209. . 20. Comment on fera bien le sirop de chicore compos avec la rhubarbe, p 211. . 21. La manire de faire le sirop dhyssope compos selon la mthode des Anciens, p 211.

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    . 22. Sirop pectoral dhyssope trs excellent, p 212. . 23. Comment on a fait communment le sirop de carthame, p 213. . 24. La vraie faon de faire le sirop de carthame, p 215.

    ADDITIONS AU TOME PREMIER. I. Prparation particulire dun Hydromel fort sain, & dont le got est peu diffrent de celui du vin dEspagne, ou de la Malvoisie, p 216. II. Quintessence de miel, p 218. III. Huile de miel, p 218. IV. Fermentation du miel, pour en faire vin, eau de vie, & esprit, p 218. V. Manire de faire bonne eau de Mlisse par lesprit de miel, p 220. VI. Manire de faire la vritable eau de la Reine de Hongrie, par lesprit de miel, p 221. VII. Electuaire de grande cousoude trs utile pris intrieurement, de Fioraventi, p 222. VIII. Empltre excellent fait par le miel, p 222. IX. Sirop pectoral, qui convient dans toutes sortes de toux, ou les crachats sont visqueux, p 223. X. Pour faire le sirop laxatif de Fioraventi par le miel, & la manire de le pratiquer en plusieurs maladies, p 223. XI. Elixir de proprit de Paracelse, p 224. Ses forces & son usage, p 225. Dose dudit sel liquide, p 226.

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    PREFACE DE LEDITEUR

    Des Chimies de le Fvre de Glaser.

    Si lon avait la Mdecine des simples, telle que lont eue les premiers hommes, ou que lont la plupart des animaux, on naurait recours ni la Pharmacie, ni la Chimie ; & le corps humain sen trouverait beaucoup mieux. Mais il faut se soumettre au sort prsent de lhumanit, & chercher conserver la sant, lorsquon a le bonheur de la possder, ou du moins la rtablir lorsquon en est priv.

    Il y a plus de huit cents ans que lon sapplique ces deux arts si utiles a lhomme. Dabord ils furent traits fort imparfaitement. Les Arabes embarrassrent extrmement la Pharmacie. Et la Chimie pratique par les anciens Egyptiens ntait pas tourne du ct de la sant ; ils avaient un tout autre objet. Mais depuis, on en a fait un usage plus lgitime. La pratique & la rflexion, quelquefois mme le hasard ont fait natre des dcouvertes. Par-l tout sest perfectionn & se perfectionne encore tous les jours.

    Les Allemands nous ont devanc dans ce genre de travail ; la plupart de leurs Mdecins employs dans les Collges des mines, occupent auprs de leurs fourneaux la meilleure partie de leur loisir, & ce qui fait honneur cette science, est que les Princes mme nen ddaignent pas la connaissance. Basile Valentin, Paracelse & aprs eux Dorneus, Diodore Enchyon, Ulstad & Gesner, sy sont appliqus avec succs, & ont donn lieu aux autres de suivre les mmes traces. Et tous jusquaux premiers Mdecins de leurs souverains, se font aujourdhui un devoir dtat de se livrer cette science, qui est trs louable, quand on sait la contenir dans de justes bornes.

    Ce nest pas nanmoins que la Pharmacie ne soit bien pratique dans toute lAllemagne par les Apothicaires. On est mme tonn, lorsquon entre dans leurs magasins de voir labondance de leurs prparations, aussi bien que lordre & la propret quils ont soin dy maintenir. Cela regarde surtout les villes Impriales, o le nombre des Apothicaires est trs limit ; & il faut mme y employer un bien considrable pour acqurir chez eux un fond de Pharmacie, & cest prcisment chez les Allemands que se vrifie laxiome que lApothicaire doit tre riche. Et lon y trouve des boutiques de Pharmacie, qui montent quelquefois plus dun million de livres, ainsi quil sen trouve Strasbourg, o avec lApothicaire du Roi, il ne peut y en avoir que quatre pour toute la ville, quoique grande & trs peuple.

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    DAllemagne la Chimie ne tarda gure passer en Italie, o Fioraventi, Fumanel, Fallope, & mme une illustre virtuose, cest Isabelle Cortes, sy appliqurent avec succs. Cette science vint presque dans le mme temps en France, comme on le voie par le clbre Fernel premier Mdecin du Roi Henri II, qui en parle dans ses ouvrages. Jean Liebaut, Docteur en Mdecine de lUniversit de Paris crivit beaucoup plus sur cette science, quil ne la pratiqua. On voit cependant quil en donne dassez bons principes dans son Livre de la maison rustique. Beguin, qui avait voyag dans lAllemagne & dans toute lAutriche fut un des premiers, qui parmi nous en crivit par principes. Son Trocinium Chymicum nest pas nanmoins sans beaucoup de fautes, que ses Commentateurs, ou Latins ou Franais, ont t obligs de corriger. Vint ensuite Guillaume Davissone Ecossais retir en France qui sy appliqua fort heureusement. Outre la nature quil avait bien tudie, on trouve en lui un grand fond de raisonnement ; & quoiquil y ait quelques landes dans sa Pyrotechnie, on y voit des oprations utiles & singulires quon a ngliges depuis. Aprs ces deux Artistes & presque en mme temps que ce dernier, il sen forma plusieurs autres parmi nous. Je ne parlerai nanmoins que des principaux.

    Nicolas le Fvre & Christophe Glaser, donc je fais paratre ici une dition nouvelle, sont presque les mmes pour le fond des oprations. Je rapporte nanmoins en quoi ils diffrent lun de lautre. Mais celui qui a le plus brill pour lusage ordinaire, a t Nicolas Lmery. Ce dernier qui a enseign cette science Paris pendant prs de quarante ans. Depuis 1672, jusquen 1710, sert de guide aux commenants, & peut former un Apothicaire de Province, car ceux de Paris ont des lumires suprieures celles de cet Artiste. Son cours de Chimie qui est fort mthodique, na pas laiss davoir de la rputation ; il a mme t traduit soit en latin, soit en quelques-unes des langues vivantes de lEurope. Cependant que de choses ncessaires, utiles & curieuses ne pourrait-on point ajouter son travail, qui a besoin mme dtre rectifi dans bien des occasions par une main habile ? Cest quoi sans doute lon travaille dans la nouvelle dition que lon en prpare.

    Outre sa Chimie, qui est son premier ouvrage & qui dans les trois premires ditions, ne formait quun fort petit Volume in-douze, nous avons encore de lui une Pharmacope recueillie de tout ce qui a paru en ce genre, mais qui me parat infrieure celle de Charas. Il a donn de plus un Dictionnaire universel des drogues simples, assez curieux & plus exact que celui de Pomet. Un Trait quil a publi sur lantimoine, sest vu expos la critique de personnes mieux instrui-tes que lui sur ce minral. Je nai pas t peu surpris devoir avec quelle hardiesse il donne des malades des prparations dantimoine, quil imagine

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    ou quil hasarde pour la premire fois. Lon sent nanmoins sa lecture quil navait point vu ceux de Basile Valentin & de Suchten, tous deux Allemands, dont les ouvrages sont estims des connaisseurs.

    La Chimie de Lmery na point empch des personnes habiles de parcourir la mme carrire, avec moins dtendue & de dtail la vrit, mais avec plus de lumires & de critique. Cest ce quon doit dire de M. de Saulx Mdecin de lHpital de Versailles, qui a donn dans ses Nouvelles dcouvertes sur la Mdecine, beaucoup doprations chymiques galement utiles & curieuses. Il na pas form cependant un corps de principes, ce ne sont que des oprations particulires.

    M. de Senac clbre Mdecin attach la maison de Saint-Cyr & lHpital de Versailles, a mrit lapprobation des plus savants Artistes & des plus habiles Philosophes par son nouveau cours de Chimie, dont on a publi en 1737, une dition nouvelle plus ample que celle de 1723.

    M. Rothe Mdecin Allemand, sest mis pareillement sur les rangs, & son introduction la Chimie a t traduite en notre langue en 1741, & par-l elle a t naturalise franaise & se trouve dcore de plusieurs belles prparations. M. Macquer, aprs avoir donn la thorie de cette science en 1749, en a publi la seconde partie en 1750, qui contient un grand nombre doprations excellentes.

    Enfin nous sommes satisfaits sur limpatience avec laquelle nous attendions louvrage dun grand Matre en cet art, & que son profond savoir a port M. le Chancellier choisir pour Censeur royal des livres de Chimie. Il sen acquitte avec beaucoup de discernement, dexactitude & de diligence. Cest un tmoignage que la vrit moblige de lui rendre, avec autant de justice que de plaisir, pour faire connatre le caractre franc, obligeant & juste, qui constitue lhonnte homme, & le bon citoyen. On voit bien que cest de M. Malouin, Mdecin clbre dont je parle ici, des leons duquel jai autrefois profit Paris.

    La Chimie mdicinale que cet habile homme vient de faire paratre, fait voir quil nest pas moins expert dans la pratique que dans la thorie de cette science. Tout y est marqu au coin dun grand matre, toutes les oprations quil donne sont essentielles, extrmement bien choisies & trs-utiles. Jen aurais volontiers tir quelques articles pour enrichir ldition que je donne de le Fvre & de Glaser. Mais tout en est remarquer, tant pour le choix des oprations que pour la manipulation ; mme pour cette manipulation dlicate qui caractrise le grand Artiste, qui sait allier la pratique de la Chimie avec la connaissance intime & lexprience de la Mdecine.

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    Mais ce quon ne croirait pas si limpression nen faisait foi, un homme de condition de Bretagne, qui a pris du got pour cette science, a donn lui-mme du nouveau. Cest M. le Comte de la Garaye, dont la Chimie hydraulique, qui parut en 1745, est approuve par les plus habiles Mdecins de Paris. Elle fournit un moyen simple de tirer les sels essentiels dans les trois rgnes des mixtes, par la seule trituration avec leau commune.

    LAngleterre & la Hollande ne lont pas voulu cder aux Franais ni aux Allemands. A peine la Chimie eut commenc a tre pratique par ces deux nations, quon ly a porte aussi loin quelle pouvait aller. Cette science trouva chez les Anglais vers le milieu du dernier sicle le Chevalier Digbi Chancelier de la Reine dAngleterre, femme de linfortun Charles I. Et ce Seigneur ne sy appliqua point sans succs. Pour occuper son loisir, il avait donn dans quelques autres parties de la littrature. Mais le soulagement des malades & peut-tre le soin de sa propre sant, lui inspirrent le got de la Pharmacie & de la Chimie, & nous possdons aujourdhui une partie de ses prparations, imprimes dabord en 1669, & rimprimes en Hollande en 1700, avec beaucoup doprations mdiocres, qui ne sont pas du premier Auteur. On y a joint cependant son trait de la poudre de sympathie, remde quil a le premier fait connatre.

    Le Chevalier Boyle qui vient aprs, remporta de beaucoup sur le Chevalier Digbi pour les oprations chimiques. Il y employa mme pendant plus de quarante ans des sommes trs considrables & y a form dhabiles lves. Les restes de son laboratoire qui sont pass chez Mrs Godefroy pre & fils, en formeraient un fort complet dun Artiste moins opulent. Les uvres du Chevalier Boyle fournissent des preuves dun grand fond de raisonnement dans toutes les parties de la Philosophie, aussi bien que de son assiduit au travail & dune sagacit peu commune. Toute la ville de Londres rend encore aujourdhui un tmoignage avantageux de lordre & de la fidlit des prparations de Mrs Godefroy, qui ont toujours fait gloire de tmoigner quils avaient travaill sous les yeux & sous la direction du Chevalier Boyle. Quoique les Anglais pour lusage commun de leurs Apothicaires aient traduit en leur langue le cours de Chimie de M. Lmery, ils nont pas laiss den donner un fort curieux, qui est d aux soins & lapplication de M. Georges Wilson, imprim Londres en 1699.

    Apres les deux Van Helmont pre & fils, les Pays-bas, surtout la Hollande a produit dans Messieurs Lemort, Barchusen & Boerhave, trois des hommes les plus

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    habiles quils aient eus en ce genre. Les deux derniers surtout ont donn chacun un cours de Chimie, Barchusen en 1718, & M. Boerhave en 1731.

    Tous deux, mais principalement M. Boerhave fait voir la profonde connaissance quil avait dans la Mdecine, la Philosophie & lhistoire naturelle. Le premier Volume de ses lments de Chimie, est suprieur tout ce quon avait donn jusqualors pour la thorie, mais le second Volume qui contient la pratique de cette science, ne rpond point lide quavait fait natre la premire partie. Cependant il a mrit quon le rimprimt parmi nous. Peut-tre le Libraire aurait-il mieux fait den procurer une traduction franaise avec les augmentations ncessaires pour perfectionner ce qui regarde les oprations Chimiques. Je passe beaucoup dautres Ecrivains qui se sont appliqus claircir seulement quelques parties de cette science, & je reviens sur mes pas pour dire un mot des deux Artistes clbres que je fais rimprimer aujourdhui.

    Nicolas LE FEVRE qui tait Franais, fut lev dans lAcadmie protestante de Sedan, ainsi il parat quil tait de la religion prtendue rforme. Il tudia la Pharmacie & la Chimie avec tant de soin & de succs, quil fut choisi par M. Vallot premier Mdecin du feu Roi Louis XIV, pour dmonstrateur de Chimie au Jardin Royal des plantes au Fauxbourg saint Victor. Il avait ici beaucoup de rputation, tait recherch & travaillait avec avantage. Mais Charles II, Roi de la Grande Bretagne, voulant tablir la clbre Socit Royale de Londres, ferma un laboratoire de Chimie a Saint James, lune de ses maisons royales prs de Westminster. Nicolas le Fvre y fut appel pour en avoir la direction. Il ne crut pas devoir refuser cette marque de distinction de la part dun grand Roi, qui lui faisait cet honneur. Se trouvant dans un pays dopulence, o les particuliers npargnent rien pour se maintenir en sant, il eut occasion de faire beaucoup dexpriences. Et travaillant dailleurs aux dpends dun Prince, il fit plus de prparations singulires en un an, quil naurait os en tenter dans toute sa vie sil tait rest simple particulier Paris. Cest ce qui lui donna lieu daugmenter considrablement sa Chimie, dont la premire dition parut Paris en 1660, en deux Volumes in-octavo : deux autres en 1669, & une quatrime en 1674. Et ce fut vraisemblablement en 1664, quil fut appel Londres o il fit paratre en 1665 une dissertation sous ce titre, Discours sur le grand Cordial du Sieur Walter Rauleigh, in-12. Il y mourut & y avait connu M. Boyle, dont le got tait dcid pour la Chimie dans laquelle il a brill si longtemps.

    Il ne faut pas regarder le Fvre comme un chimiste vulgaire, on doit le considrer comme un Philosophe naturaliste, qui ne se contente pas seulement dextraire des mixtes en simple praticien, ce qui peut servir la Pharmacie &

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    la Mdecine. Il va plus loin, & pntre mme jusque dans la nature des tres, dont il sait dvelopper toutes les proprits par un raisonnement juste & solide. Cest ce qui le distingue de tous ceux qui ont embrass la mme profession. On peut dire quon lui a lobligation davoir un des premiers, rform, rectifi & mis dans un meilleur ordre toute la Pharmacie, comme on le verra par le parallle quil fait des anciennes prparations avec celles quil a publies, & les Apothicaires qui aiment leur rputation & leur avantage, ne doivent pas se dispenser de le suivre pied pied. Je sais quon a continu depuis le Fvre, perfectionner la Pharmacie & la Chimie, mais on la suivi comme lui-mme avait suivi Zwelpher premier Mdecin du feu Empereur Lopold. Cest ainsi que lon arrive la perfection, ds que chacun cherche y contribuer de son ct.

    Christophe GLASER, ne parut quaprs le Fvre. Il a pour lui la clart & la prcision. Quant aux principes il ne diffre pas de le Fvre, auquel il parat avoir succd dans lemploi de dmonstrateur de Chimie au Jardin Royal o il fut pareillement appel par M. Vallot. Je nai pas cr devoir rimprimer toute sa Chimie, pour ne pas faire des rptitions inutiles. Jai choisi seulement les pr-parations omises par le Fvre, ou celles en quoi ils diffrent lun de lautre. Glaser ne poussa point sa carrire aussi honorablement que lavait fait Nicolas le Fvre. Il fut impliqu dans laffaire odieuse de la Dame de Brinvilliers en 1676, avec laquelle on trouva quil avait des relations trop intimes pour un honnte homme. Il ne trempait la vrit dans aucun des forfaits de cette Dame : mais des soupons toujours dangereux en matire de poison, lui firent souffrir quelque temps de Bastille. Il en sortit, mais il ne survcu pas longtemps cette disgrce ; & mourut dans le temps quil revoyait en 1678, son ouvrage pour en donner une dition nouvelle plus complte & plus dtaille que les prcdentes. Il en tait la troisime partie qui regarde les animaux : mais une main habile, ce fut le clbre M, Charas, se chargea de conduire louvrage l perfection. Par-l le public ny a rien perdu. Il y a mme insr un petit Trait de la Thriaque royale que jemploie dans cette nouvelle dition.

    Voyons maintenant ce que jai fait pour perfectionner celle que je donne de ces deux Auteurs. La Chimie de le Fvre qui faisait originairement deux Volumes, en forme trois dans celle-ci, parce que la commodit des Lecteurs exigeait den grossir un peu le caractre, qui dans les dernires ditions tait trop petit pour une lecture ordinaire. Mais pour rendre les Volumes gaux & dune grosseur raisonnable, chacun deux contient des additions particulires, relatives aux matires quon y a traites : ces additions places la fin de chaque Volume, sont tires de tout ce que nous avons de bons Auteurs anciens & modernes. Et

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    comme ces additions ne suffisaient pas pour remplir mon objet, jy ai joint deux Volumes de supplments, savoir le quatrime & le cinquime, tirs tous deux soit dEthmuller, soit mme des bons auteurs Allemands Italiens & Franais.

    Outre les prparations ncessaires & utiles, on en trouve quelques-unes qui sont curicuses & qui pourraient peut-tre aller plus loin, & devenir de quelque consquence. Quant aux Auteurs Franais modernes, je les ai fait connatre pour rendre chacun la justice quils mritent ; & par-la me la rendre a moi-mme. Il est louable, il est juste de faire connatre ceux qui on est redevable de quelques remarques importances : cest un devoir de reconnaissance.

    Je nai pas manqu de mettre des Tables toujours ncessaires dans les Livres de dtail ; en quoi jai suivi les grands Matres qui mont prcd ; cependant le Fvre & Glaser y avaient manqu. Quand on a lu quelque Livre que ce soit, une bonne Table sert de rpertoire pour en pouvoir faire usage. Cest lme de ces sortes douvrages. Tous les Lecteurs ne sont pas en tat ou mme manquent du temps ncessaire pour faire des recueils ; & quelquefois on oublie dans ses recueils une matire qui dabord semble peu importante, & qui cependant la devient ensuite dans le temps quon y pense le moins.

    Les diffrences qui se trouvent entre le Fvre & Glaser, ont t places la fin du Tome V. de cette Edition ; o lon a pareillement mis les modles des fourneaux insrs dans la Chimie de Glaser, & dont quelques-uns paraissent trs bien imagins, & sont plus utiles & mme beaucoup plus Commodes que les fourneaux ordinaires.

    AVIS DE NICOLAS LE FEVRE.

    Quoique je sois spar de la France, par un, grand trajet, & que jai consacr mes tudes & mon travail au Roi de la Grande Bretagne mon bienfaiteur, & aux peuples qui remplissent ses Royaumes : cependant je me sens oblig dans la conjoncture de la seconde Edition du Trait de Chimie que jai donn au Public, de faire par mes compatriotes des remdes que jai faits & pratiqus depuis que jai quitt Paris. Et comme jai connu depuis que je suis en Angleterre, les divers accidents des maladies scorbutiques, aussi me suis-je appliqu la recherche des remdes spcifiques, & capables de combattre cette trange maladie, qui attaque toute notre substance, qui al-tre & change la masse du sang, & qui cause des douleurs vagues & fixe, des lassitudes spontanes & les enflures quon attribue en France, aux fluxions & aux rhumatismes. Je communique trs volontiers ce que le travail ma fait dcouvrir de nouveau, & ce que jai appris par la frquentation des plus doctes & des plus expriments Mdecins, qui me font lhonneur de visiter le Laboratoire Royal, & de me recevoir en leur profitable conversation. Il y a des Remdes tirs des vgtaux, des animaux & des minraux, que

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    jai placs en leur propre classe, en attendant que je donne de nouvelles remarques & de nouveaux remdes, tant pour ce qui concerne la thorie, que pour ce qui regarde la pratique. Adieu ami Lecteur, profite de mon travail & m en sais quelque gr.

    Du Laboratoire Royal au Palais de S. James Londres le 1662.

    Par votre trs humble & trs acquis serviteur N. LE FEVRE.

    PREFACE de la troisime Edition DE CHRISTOPHE GLASER.

    LAccueil favorable que le public a fait aux Editions prcdentes de ce Livre, ma fait entreprendre cette troisime, o jai tch de maccommoder entirement au dessein de lAuteur, puisque la premire fois quil a mis cet ouvrage au jour, il ne la fait que dans la pense dtre utile tous ceux qui se plaisent la Chimie, en leur donnant les claircissements des choses fort caches, avec une manire trs simple & trs aise de les pratiquer. Dans la seconde dition, non seulement il la enrichie de quelques figures, & laugmenta de nouvelles expriences ; mais encore il laccompagna dune Eptre Ddicatoire Monsieur VALLOT, qui fut lev la charge de premier & trs digne Mdecin du feu Roi Louis XIV, lorsque par ses ordres il faisait les leons & prparations publiques de la Chimie au Jardin du Roi ; o il a fait voir & sa sincrit, aussi bien par son travail que dans ses crits, & le dsir quil avait de reconnatre lhonneur quil recevait en satisfaisant lintention de son Bienfaiteur, & linclination naturelle quil avait aux oprations de la Chimie, en quoi il se faisait un devoir & un plaisir de communiquer ses lumires tout le monde. Il tait dautant plus estimable, que la mthode quil nous a laiss, est claire & facile pour pratiquer toutes les prparations quil enseigne dans ce petit ouvrage, o lon trouve en peu de mots la substance entire de plusieurs grands Livres. Ceux qui prendront la peine de le lire & de le bien considrer, ny remarqueront rien dennuyant ni de superflu, ni mme rien domis de ce que lon doit savoir. Et quoique lon ny trouve pas la prparation de toutes choses, on y trouvera pourtant des exemples suffisants pour les oprations les plus ncessaires de ce bel Art. On doit sassurer quil ne donne pas la moindre opration, sans lavoir auparavant pratique, & que lon ne puisse faire aprs lui, en suivant les rgles quil en a prescrites ; car loin de cacher aucun tour de main, il dcouvre sincrement tous les moyens propres pour devenir bon Artiste, & toutes les circonstances ncessaires pour parvenir des connaissances plus grandes en travaillant. Il ne parle que fort succinctement de la thorie, mais il en dit assez pour noublier rien de ce quil est besoin de savoir sur les oprations des minraux & des vgtaux. Pour la troisime Partie qui traite des animaux, nous avertissons le Lecteur que nous avons pris soin de le

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    servir utilement en cette Edition, & que secondant le zle de lAuteur, ( lequel apparemment prvertu de la mort, navait pas mis la dernire main cette section, ) nous la lui prsentons plus acheve & plus entire, soit par la communication que nous avons eue de ses papiers depuis son dcs, soit par lheureux secours que nous a prt une personne aussi claire dans le plus profond de la Physique, & dans le plus fin de la Mdecine, que bien intentionne pour le bien public. Cette personne a bien voulu drober quelques heures ses tudes particulires, pour me dicter la meilleure partie de ce que lon trouvera daugmentations dans ce Trait, entre autre loccasion de la vipre : ce mme curieux, cest M. Charas, fait encore ici un prsent gratuit la postrit dune Thriaque vritablement Royale, quil navait invente & soigneusement recherche que pour son usage, & qui pour ses bons effets doit lemporter sur celle des anciens, qui ntait destine que pour les Empereurs & les ttes Couronnes. Reois donc, ami Lecteur, en bonne part tous mes soins que je consacre avec plaisir ton utilit.

    Approbation des Docteurs de la facult de Mdecine de Paris.

    Nous soussigns Docteurs Rgents en la Facult de Mdecine Paris, avons lu ce Trait de Chimie compos par Christophe Glaser, o la plupart des oprations Chimiques sont dcrites avec beaucoup de nettet & de jugement, & lavons jug digne dtre imprim de nouveau. Cette troisime Edition tant enrichie de quelques observations ncessaires, & de plusieurs descriptions fort curieuses & fort utiles. Fait Paris ce 25 Octobre 1672. LEVIGNON. DE BOURGES. POYLOM, Doyen.

    Approbation de M. MALOIN, Censeur, Royal des Livres de Chimie.

    Jai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, Le Cours abrg de Chimie de Christophe Glaser, avec les additions quon y a jointes, dans lesquelles je nai rien trouv qui puisse en empcher limpression. Fait Paris ce 9 Juin 1749. MALOUIN.

    APPROBATION

    Jai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, japprouv le Trait de Chimie de le Fvre, &c. fait Paris, ce 2 Janvier 1749.

    Pour duplicata MALOIN.

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    PRIVILEGE DU ROI

    LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE :

    A nos ams & faux Conseillers, les Gens tenant nos Cours de Parlement, Matres des Requtes ordinaires de notre Htel, Grand Conseil, Prvt de Paris, Baillifs, Snchaux, leurs Lieutenants Civils, & autres nos Justiciers quil appartiendra ; SALUT : Notre am le Sieur DEBURE Nous a fait exposer quil dsirerait faire rimprimer & donner au Public un Livre qui a pour titre, Trait de Chimie de le Fvre ; sil Nous plaisait lui accorder nos Lettres de Privilge pour ce ncessaires. A ces causes, Voulant favorablement traiter lexposant, Nous lui avons permis & permettons par ces prsentes de faire rimprimer ledit Livre en un ou plusieurs volumes, & autant de fois que bon lui semblera, & de le faire vendre & dbiter par tout notre Royaume pendant le temps de neuf annes conscutives, compter du jour de la date desdites prsentes. Faisons dfense toutes personnes, de quelque qualit & condition quelles soient, den introduire dimpression trangre dans aucun lieu de notre obissance, comme aussi & tous Libraires & Imprimeurs dimprimer ou faire imprimer, vendre, faire vendre, dbiter, ni contrefaire ledit Livre, ni den faire aucun extrait, sous quelque prtexte que ce soit daugmentation, correction, changement ou autres, sans la permission expresse & par crit dudit Exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, peine de confiscation des exemplaires contrefaits, & de trois milles livres damende contre chacun des contrevenants, dont un tiers Nous, un tiers lHtel-Dieu de Paris, & lautre tiers audit Exposant, ou celui qui aura droit de lui, & de tous dpens, dommages & intrts ; la charge que ces Prsentes seront enregistres tout au long sur le Registre de la Communaut des Libraires & Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date dicelles ; que la rimpression dudit Livre sera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, en bon papier & beaux caractres, conformment la feuille imprime, attache pour modle sous le contre scel des Prsentes, que limptrant se conformera en tout aux Rglements de la Librairie, & notamment il celui du 10 Avril 1725 ; quavant de lexposer en vente, lImprim qui aura servi de copie & la rimpression dudit Livre, sera remis dans le mme tat o lapprobation y aura t donne, s mains de notre trs cher & fal Chevalier le Sieur Daguesseau, Chancelier de France, Commandeur de nos Ordres ; & quil en sera ensuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothque publique, un dans celle de notre Chteau du Louvre, & un dans celle de notre trs cher & fal Chevalier, le Sieur Daguesseau, Chancelier de France ; le tout peine de nullit desdites Prsentes : du contenu desquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Exposant & ses ayants cause pleinement & paisiblement, sans souffrir quil

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    leur soit fait aucun trouble ou empchement. Voulons que la copie desdites prsentes, qui sera imprime tout au long au commencement ou la fin dudit Livre soit tenue pour dment signifie, & quaux copies collationnes par lun de nos ams faux Conseillers & Secrtaires soit ajoute comme lOriginal. Commandons au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour lexcution dicelles tous actes requis & ncessaires, sans demander autre permission, & nonobstant clameur de Haro, Charte Normande & Lettres ce contraires. CAR tel est notre plaisir. Donn Versailles le onzime jour du mois de Janvier, lan de grce mil sept cent quarante-neuf, & de notre Rgne le trente-quatrime. Par le Roi en son Conseil. SAINSON.

    Je soussign reconnais avoir cd & transport au sieur Jean-Noel Leloup, le Privilge en entier du Livre ci-dessus, qui a pour titre, Trait de la Chimie de le Fvre, pour en jouir comme il lui appartenant. A Paris ce 28 Juillet 1749. JEAN DEBURE.

    Registr sur le Registre XII. de la Chambre Royale le & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, N. 106. sol. 90. conformment au Rglement de 1723. qui fait de sexse, art. 4. toutes personnes de quelque qualit quelles soient, autres que les Libraires & Imprimeurs, de vendre, dbiter & faire afficher aucuns Livres pour les vendre en leurs noms, soit quils sen disent les auteurs ou autrement, & la charge de fournir la susdite chambre huit Exemplaires prescrits par lart. 108. du mme Rglement. A Paris le 11 Mars 1749.

    G. CAVELIER, Syndic.

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    TRAITE DE CHIMIE, EN FORME DABREGE.

    PREFACE.

    Ceux qui veulent aujourdhui faire passer la Chimie pour une science nouvelle, montrent le peu de connaissance quils ont de la nature & de la lecture des Anciens. Je dis premirement, quils ne connaissent pas la Nature, puisque la Chimie est la science de la Nature mme ; que cest par son moyen que nous cherchons les principes, desquelles les choses naturelles sont composes, & que cest elle encore qui nous dcouvre les causes & les sources de leurs gnrations, de leurs corruptions, & de toutes les altrations auxquelles elles sont sujettes. Jai dit secondement, quils taient ignorants de la lecture des Anciens, puisque cest de l quils ont pris occasion de philosopher, & que leurs faits & leurs crits font voir videmment que cet Art est presque aussi ancien que la Nature mme : Ce qui se peut prouver par lEcriture Sainte, qui nous apprend, que ds le commencement du monde Tubalcan, qui tait le huitime homme daprs Adam, du ct de Can, tait forgeur de toutes sortes dinstruments dairain & de fer, ce quil ne pouvait faire, sans avoir la connaissance de la nature minrale, & sans savoir que cette nature minrale contient la nature mtallique, qui est la plus pure partie de son tre. Or cela ne se peut apprendre que par le moyen de la Chimie, puisque cest elle qui nous enseigne comment on peut tirer un corps mtallique, ductile & mallable de ces corps minraux, qui sont informes & friables. Ce qui nous fait conclure, quil avait reu cet art scientifique de ses prdcesseurs ou que lui-mme en a t linventeur, & quil la laiss ses successeurs comme la portion la plus prcieuse de leur hritage.

    Ce que je viens de dire, peut tre prouv par les plus anciens Auteurs, & ceux qui sont les plus dignes dtre crs. Ainsi nous voyons que Mose prit le Veau dor, Idole des Isralites, quil le calcina & le rduisit en poudre : quil fit boire ces Idoltres, pour servir de reproche leur pch. Or il ny a personne qui ne sache, que lor ne peut tre rduit en poudre par la calcination, que cela ne se

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    fasse, ou par la calcination immersive, qui se pratique par le moyen des eaux rgales, ou par lamalgamation qui se pratique par le moyen du Mercure, ou par la projection ; qui sont trois choses qui ne peuvent tre comprises que par ceux, qui sont consomms dans la thorie & dans la pratique de la Chimie. Hippocrate mme confirme cette vrit, quand il dit au Livre de la dite, Artifices aurum molli igne liqutant. Puisque tous les Artistes savent quil faut un feu trs violent pour fondre lor, & que de plus le feu purifierait lor plutt quil ne le dtruirait, sil nest rendu traitable & volatil par le moyen de quelques sels, ou de quelques poudres, qui ne sont connues que de peu de personnes, qui lont appris par le seul travail de la Chimie. Nous pourrions encore rapporter lautorit dAristote, que ses sectateurs daujourdhui veulent employer pour combattre la Chimie, qui dit que les peuples dOmbrie calcinaient des Roseaux pour en tirer le sel, qui tait pour leur usage ordinaire, ce quils ne pouvaient faire sans la Chimie, qui leur en avait appris le moyen, & qui leur avait fait connatre, que le sel tait dune nature incorruptible, qui ne pouvait prir par cette simple calcination.

    Si nous parcourons tous les sicles depuis la cration de lUnivers, nous nen trouverons aucun qui nait fourni quelque excellent homme, qui se sera rendu recommandable la postrit par le moyen de la Chimie. Tmoin ce Mercure Egyptien, nomm Trismgiste, cest--dire, trois fois grand, dont les uvres rendent encore les plus savants de ce sicle confus. Tmoin encore celui qui trouva linvention du Verre, & cet autre beaucoup plus louable que lui, qui avait le secret de le rendre mallable, qui prit nanmoins avec son secret par la politique trange & tyrannique de lEmpereur Tibre. Dmocrite, Cloptre, Zozime, Synsius, & beaucoup dautres du mme temps, & aprs eux Raymond Lulle, Pierre dApono, Basile Valentin, Isaac Hollandais, & Paracelse, prouvent par leurs excellentes oeuvres, que la Chimie est la vritable clef de la nature ; que cest par son moyen que lArtiste dcouvre ses plus rares beauts, & que sans elle personne ne pourra jamais parvenir la vritable prparation des remdes ncessaires la gurison de tant de diffrentes maladies qui affligent le corps humain tous les jours. Mais ce serait tre ingrat notre sicle, la mmoire dun trs excellent & trs charitable Mdecin, & au travail dun des plus habiles & des plus curieux Artistes qui aient jamais t, que de ne point nommer dfunt M. de Helmont & M. Glauber qui vit encore ; puisque ce sont prsent comme les deux phares quil faut suivre pour bien entendre la thorie de la Chimie, & pour en bien pratiquer les oprations. Nous tirerons donc des uvres de Paracelse, de Helmont & de Glauber, la thorie & la pratique de ce Trait de Chimie, que nous rduirons en forme dAbrg.

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    Division de cet Ouvrage.

    Nous le diviserons en deux parties. La premire traitera de la Thorie, & la seconde de la Pratique. La premire Partie aura deux Livres, dont le premier traitera des principes & des lments des choses naturelles. Le second montrera les sources & les effets du pur & de limpur.

    La seconde Partie sera aussi divise en deux Livres. Le premier contiendra les termes ncessaires pour bien faire & pour bien entendre les oprations de la Chimie, pour finir par le dernier, dans lequel nous donnerons le moyen & la description pour pouvoir anatomiser les mixtes que nous fournissent les Vgtaux, les Animaux & les Minraux, afin den tirer les remdes ncessaires la cure des maladies. Mais avant que dentrer en matire, jai jug ncessaire de traiter quelques questions qui concernent la nature de la Chimie.

    AVANT-PROPOS.

    Qui contient plusieurs Questions de la nature de la Chimie.

    Il est quelquefois facile de traiter & denseigner une science ou un Art, mais il ne lest pas toujours den discourir par principes. Le premier regarde lArtiste mme, au lieu que le second appartient une science plus Haute & plus releve ; puisquil il y a que la premire Philosophie, qui puisse faire connatre avec la mthode requise, quel doit tre lobjet, la fin & le devoir de la Science ou de lArt. Nous suivrons donc ses rgles dans cet Avant-propos, que nous diviserons par questions, qui clairciront en peu de mots la plupart des difficults qui se proposent sur cette matire.

    QUESTION PREMIERE.

    Des noms donns la Chimie.

    Cette science, comme beaucoup dautres, a reu plusieurs noms selon ses divers effets. Le plus ordinaire est celui de Chimie, qui tire son tymologie, a ce quon dit, dun mot Grec qui signifie suc, humeur ou liqueur, parce quon apprend rduire en liqueur les corps les plus solides, par les oprations Chimiques, ou de la prparation de lor & de largent, selon Suidas. On lui donne aussi le nom dAlchimie, limitation des Arabes qui ajoutent la particule Al, qui signifie Dieu & grand, lorsquils veulent exprimer lexcellence de quelque chose. Les autres lont appele Alchamie, prsupposant que Cham, qui tait un des fils de No, et t aprs le dluge linventeur & le restaurateur des Sciences & des Arts, mais principalement de la Mtallurgie. Quelquefois on lappelle Spagyrie,

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    ce qui dclare ses plus nobles oprations, qui sont de sparer & de conjoindre. Et comme ses oprations ne se peuvent faire que par le feu extrieur qui excite celui du dedans des mixtes, on lui donne encore le nom de Pyrotechnie. Que si on lappelle lArt de Herms ou Hermtique, ce nom tmoigne son antiquit, comme le nom dArt distillatoire signifie la plus commune de ses oprations. De tous ces noms, nous ne nous servirons que de celui de Chimie, comme le plus commun & le plus connu.

    QUESTION SECONDE.

    La Chimie doit-elle tre appele Art ou Science ? & sa dfinition.

    Avant que de donner la dfinition de la Chimie, il faut chercher son genre & sa diffrence ; puisquil est ncessaire de savoir ces deux choses, pour en pouvoir donner une vraie dfinition. Il faut donc examiner, si cest un Art ou une Science, afin den avoir le genre, & de chercher sa diffrence dans son objet, cest mme de cet objet quon la doit tirer. Mais pour ne point envelopper cette question de difficults, disons en peu de mots la diffrence qui est entre lArt & la Science, & comment on peut prendre le mot de Chimie en beaucoup de faons.

    La diffrence qui est entre lArt & la Science, se peut tirer de la diffrence de leurs fins. Comme la science na pour but que la seule contemplation, & que la fin nest que la seule connaissance, dont elle se nourrit & se contente, sans aller plus avant : de mme lArt ne tend qu la seule opration, & il ne cesse point doprer quil nait excut ce quil stait propos de faire. Do nous pouvons infrer que la Science nest proprement que lexamen des choses qui ne sont pas en notre puissance : au lieu que lArt soccupe sur ce qui est en notre pouvoir.

    Cela pos, il faut savoir, que comme la Chimie est dune trs grande tendue, aussi a-t-elle plusieurs fins. Dans toute la nature quelle a pour objet, il y a des choses qui sont tout fait sous la puissance de ses disciples, comme il y en a dautres qui ny sont nullement soumises : outre ces deux sortes de sujets qui sont totalement diffrents, il y en a une troisime sorte qui sont en partie sous leur domination, & qui ny sont pas aussi en partie. Ce qui fait quon peut dire quil y a trois espces de Chimie, lune, qui est tout fait scientifique & contemplative, se peut appeler philosophique. Elle na pour but que la contemplation & la connaissance de la nature & de ses effets, parce quelle prend pour son objet les choses qui ne sont aucunement en notre puissance. Ainsi cette Chimie philosophique se contente de savoir la nature des Cieux & de leurs Astres, la Source des lments, la cause des mtores, lorigine des

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    minraux, & la nourriture des plantes & des animaux, parce quil nest pas en son pouvoir de faire aucune de toutes ces choses l, se contentant de philosopher sur tant deffets diffrents.

    La seconde espce de Chimie se peut appeler Iatrochimie, qui signifie Mdecine Chimique, & qui na pour son but que lopration, laquelle toutefois elle ne peut parvenir que par le moyen de la Chimie contemplative & scientifique : car comme la Mdecine a deux parties, la thorie & la pratique, & que cette thorie nest que pour parvenir la pratique, ainsi cette Iatrochimie participe aussi de lune & de lautre, puisquelle ne contemple que pour oprer, & quelle nopre que pour satisfaire les esprits de ses disciples sur la contemplation des choses, tant de celles qui ne sont pas, que de celles qui sont en notre puissance.

    La troisime espce sappelle la Chimie Pharmaceutique, qui na pour but que lopration : puisque lApothicaire ne doit travailler que selon les prceptes & sous la direction des Iatrochimiste, dont nous avons le vritable modle en la personne de M. Vallot, choisi par Sa Majest trs Chrtienne pour son premier Mdecin, qui possde trs minemment la thorie & la pratique des trois Chimies que nous avons dcrites. Cette troisime Chimie a pour son objet les choses qui sont soumises notre puissance, pour oprer dessus, & pour en tirer les parties diffrentes quelles contiennent. On peut conclure de tout ce que dessus, que la Chimie peut tre dite Science & Art, eu gard aux espces quelle contient sous soi, ce qui me fait dire quelle peut tre appele une science pratique.

    Aprs avoir trouv le genre, il faut aussi que nous trouvions la diffrence, pour en donner une exacte dfinition. Quelques-uns dfinissent la Chimie, lArt des transmutations; dautres, lArt des sparations, & dautres encore, lArt des transmutations &des sparations. Mais comme la transmutation & la sparation sont des effets de la Chimie ; aussi ne peuvent-elles pas en tablir la spcifique & vritable diffrence. Il y en a encore plusieurs autres qui la dfinissent de diverses faons, qui se rapportent toutes aux dfinitions que nous avons rapportes. Cest pourquoi il faut ncessairement que nous prenions sa diffrence de son objet, comme nous lavons dit ci-dessus. Quelques Auteurs donnent, le corps mixte pour objet la Chimie, mais ils se trompent : car les lments qui font des corps simples, sont aussi sujets cette science. Dautres veulent que ce soit le corps naturel : ceux-l se trompent aussi, puisque la Chimie parle & traite d lesprit universel, qui est dpouill de toute corporit. Je dis donc que la Chimie a pour objet toutes les choses naturelles que Dieu a tires du chaos par la cration.

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    Remarquez en passant que par les choses naturelles, jentends non seulement les corps quon dit tre composs de matire & de forme, mais aussi toutes les choses cres, quoique prives de tout corps : ainsi lopposition des choses naturelles aux surnaturelles, mettra la diffrence entre le Crateur & les cratures, pour effacer le reproche qui se fait ceux qui font profession de cette belle & noble science. Cest pourquoi je dfinis la Chimie une science pratique, qui travaille sur les choses naturelles. Elle est science, comme je lai dj dit, parce quelle ne contemple pas seulement les choses naturelles, mais encore parce quelle passe de la contemplation lopration ; cest de cette dernire partie quelle peut tre appele une science pratique, en un mot ce nest autre chose que la Physique mme, en tant quelle met la main luvre pour examiner toutes ses propositions par des raisonnements qui sont fonds sur les sens, sans se contenter dune pure & simple contemplation.

    Voici donc la diffrence qui est entre le Physicien Chimique, & le Physicien de spculation ; qui est, que si vous demandez au premier de quelles parties un corps est compos, il ne se contentera pas de vous le dire simplement, & de satisfaire votre curiosit par vos oreilles, mais il vous le fera voir & connatre vos autres sens en vous faisant toucher, sentir & goter les parties qui composaient ce corps, parce quil sait que ce qui demeure aprs la rsolution du mixte, tait cela mme qui faisait sa composition. Mais si vous demandez au Physicien de spculation de quoi un corps est compos ; il rpondra que cela nest pas encore dtermin dans lEcole, que sil est corps, il a de la quantit, & que par consquent il doit tre divisible, quil faut donc que le corps soit compos de choses divisibles ou indivisibles, cest--dire de points ou de parties. Or il ne peut tre compos de points, puisque le point est indivisible, & na aucune quantit, & que par consquent il ne peut communiquer la quantit au corps, puisquil ne la pas lui-mme, do on conclut quil doit tre compos de parties divisibles. Mais on lui objectera, que si cela est, quil ait marquer si la plus petite partie de ce corps est divisible ou non, si elle est divisible, ce nest pas encore la plus petite partie, puisquelle peut tre divise en dautres plus petites : & si cette plus petite partie est indivisible, ce sera toujours la mme difficult, parce quelle sera sans quantit, quainsi elle ne pourra la communiquer au corps, ne layant pas elle-mme. On sait que la divisibilit est la proprit essentielle de la quantit.

    Vous voyez que la Chimie rejette les arguments spculatifs de cette nature, pour sattacher aux choses qui sont visibles & palpables ; ce que nous ferons voir dans le travail : car si nous vous disons quun tel corps est compos dun esprit acide, dun sel amer & dune terre douce, nous vous ferons voir, toucher,

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    sentir & goter les parties que nous en tirerons, avec toutes les conditions que nous leur aurons attribues.

    QUESTION TROISIEME.

    De la fin de la Chimie.

    Il ne faut pas stonner si les Physiciens-ordinaires ont trouv si peu de lumires pour la connaissance des corps naturels, puisquils nont jamais eu dautre but que la seule contemplation, nayant pas cr quils fussent obligs de mettre la main luvre, pour sacqurir une vritable connaissance des mixtes par le dpouillement & lanatomie Chimique. Eux & leurs sectateurs se sont imagins que ce serait faire tort leur gravit, de se noircir les mains avec du charbon, ce que les Physiciens Chimistes nont pas apprhend, quoiquils eussent aussi bien queux la contemplation pour objet : ils ont cru quil y fallait joindre lopration, afin davoir un contentement entier, & de trouver des fondements stables & fermes pour soutenir leurs raisonnements, ne voulant pas btir sur les ides des opinions vaines, frivoles & fantastiques. Ce qui leur a fait prendre en gr, les frais, la peine & le travail, & quils ne se sont pas rebuts pour les veilles ni pour les mauvaises odeurs. Mais ils se sont acquis une belle & entire connaissance des choses naturelles : ils ont trouv par les expriences de leur travail, les causes de tant deffets qui se voient dans la nature des choses : ce qui les distingue des Empiriques, qui confondent & mlent toutes choses sans discernement & sans aucun raisonnement.

    Disons donc que la fin gnrale de la Chimie est vritablement lopration, car le Philosophe nopre que pour mieux contempler ; lIatrochimie nopre aussi que pour savoir par le moyen de lopration, celle qui se fait dans lintrieur de lhomme sain, afin quil puisse tre capable de rtablir sa sant, lorsquelle est drange par la maladie. Enfin le Pharmacien Chimiste nopre que pour fournir des remdes bons & salutaires aux malades, selon lordre quil en recevra du Mdecin savant & expriment.

    Faut-il donc stonner si les Chimistes travaillent avec tant de soins pour acqurir cette belle science, puisquil est impossible de sy rendre parfait, sans avoir premirement anatomis la plus grande partie des choses naturelles. Comme il est ncessaire de dissquer le corps humain, pour avoir la connaissance de ses organisations, il est galement ncessaire douvrir les choses composes, pour dcouvrir ce que la nature a renferm de plus beau sons leur corce, do il est ais de recueillir quil est impossible de devenir bon Physicien, si lon nacquiert une parfaite connaissance de toutes les parties de la

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    Chimie, & quun homme ne peut tre parfait Mdecin, sans avoir acquis cette belle Physique, puisque la Physique est le fondement de la Mdecine, & que sans elle personne ne se peut attribuer dautre titre que celui dEmpirique. Ce nest pas assez davoir du parchemin, des sceaux, une soutane, ni davoir pris ses degrs dans quelque fameuse Universit, cela nappartient, ni ne peut vritablement appartenir qu celui qui aura acquis une science solide, & qui se sera rendu bon praticien par une longue exprience fonde sur le raisonnement, avec un jugement mr & parfait.

    Do il senfuit deux choses : la premire, que la Chimie ne consiste pas simplement savoir prparer quelques remdes, comme quelques-uns se limaginent ; mais quelle consiste principalement sen bien servir avec toutes les circonstances & les dpendances des thormes de ce bel Art, qui est proprement la vritable Mdecine.

    La seconde, que celui qui se sert des remdes Chimiques, sans avoir la vritable connaissance de sa thorie, ne peut avoir dautre nom que celui dEmpirique, puisquil ignore les causes efficientes internes de leurs effets, & quil ne sait pas les raisons physiques, qui le portent donner un tel remde dans telle ou telle maladie, nayant pas le fonds pour pouvoir connatre que ces rares mdicaments nagissent jamais par leurs qualits premires ni secondes ; mais quils agissent toujours par des vertus qui leur sont spcifiques, comme nous le ferons voir dans la suite de ce Trait.

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    PREMIERE PARTIE.

    LIVRE PREMIER.

    CHAPITRE PREMIER.

    De lEsprit universel.

    Le titre de ce Chapitre montre que quelques-uns soutiennent tort que le corps naturel est le seul objet de la Chimie, puisquelle traite de lesprit universel, qui est une substance dpouille de toute corporit ; cest pourquoi nous lui avons donn avec beaucoup plus de raison toutes les choses naturelles pour son objet, cest--dire, toutes les choses cres, tant celles qui sont corporelles que les spirituelles, & les invisibles aussi-bien que les visibles, & cela parce que la Chimie ne montre pas seulement comment le corps peut tre spiritualis, mais elle montre aussi comment lesprit se corporifie. Car aprs avoir fait lanatomie de la nature en gnral & en particulier ; aprs avoir fouill & pntr jusque dans son centre, la Chimie a trouv que la source & la racine de toutes choses, tait une substance spirituelle, homogne & semblable soi-mme, que les Philosophes anciens ou modernes ont appele de plusieurs noms diffrents. Ils lont nomme substance vitale, Esprit de vie, Lumire, Baume de vie, Mumie vitale. Chaud naturel, Humide radical, Ame du monde, Entelechie, Nature, Esprit universel, Mercure de vie ; ils lont encore nomme de beaucoup dautres faons, quil est inutile de rapporter, puisque nous en avons donn les appellations principales. Mais comme nous voulons traiter en ce premier Livre des principes & des lments des choses naturelles, il est raisonnable que nous traitions premirement du premier principe, dont les autres sont principis. Or ce principe nest rien autre chose que la nature mme, ou cet esprit universel, duquel nous traiterons en ce Chapitre.

    Paracelse dit en son Livre des vexations, que domus est semper mortua, sed eam inhabitans vivit : il nous veut montrer par cette comparaison, que la force de la nature nest pas dans le corps, mortel & corruptible, mais quil la faut chercher dans cette semence merveilleuse, qui est cache sous lombre du corps, qui na de soi aucune vertu ; car tout ce quil en a & tout ce quil en peut avoir, vient mdiatement de cet esprit sminal quil contient en soi, ce qui parat manifestement en la corruption de ce corps, pendant laquelle son esprit interne sen forge un nouveau, ou mme plusieurs corps nouveaux par le dbris du premier. Cest ce qui fait dire encore au mme lieu notre Trismgiste Allemand, que la force de la mort est efficace, parce qualors lesprit se dgage

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    des liens du corps, dans lequel il paraissait tre comme sans pouvoir, puisquil tait prisonnier & quil commence manifester sa vertu, lorsquon croyait quil le pouvait moins faire. Le grain de froment qui se pourrit en terre prouve cette vrit, cest par cette pourriture que le corps tant ouvert, lesprit interne sminal qui est enferm dedans, pousse un tuyau au bout duquel il produit un pi garni de plusieurs grains, qui sont totalement semblables celui qui se perd & qui se dtruit en la terre.

    Cette substance spirituelle, qui est la premire & lunique semence de toutes choses, a trois substances distinctes & non pas diffrentes en soi-mme, car elle est homogne comme nous avons dit ; mais parce quil se trouve en elle un chaud, un humide & un sec, & que tous trois sont distincts entre eux, & non pas diffrents. Nous disons que les trois ne sont quune essence & une mme substance radicale : autrement, comme la nature est une, simple & homogne, il ne se trouverait cependant en la nature, rien qui fut un, simple & homogne, parce que les principes sminaux de ces substances seraient htrognes, ce qui ne peut tre cause des grands inconvnients qui sen suivraient ; car si le chaud tait diffrent de lhumide, il ne pourrait en tre nourri, comme il le nourrit ncessairement, parce que la nourriture ne se fait pas de choses diffrentes, mais de choses semblables. Si laliment tait en son commencement diffrent de laliment, il faudrait quil se dpouillt de toute ncessit de cette diffrence, avant quil pt tre son dernier aliment. Or, il est trs assur que lhumide radical est le dernier aliment de la chaleur naturelle, ce qui fait quil ne peut tre diffrent de cette chaleur ; de plus, sils demeuraient diffrents, chacun voudrait produire son semblable, & ainsi cette guerre intrieure empcherait la gnration du compos. Concluons donc que cette substance radicale & fondamentale de toutes les choses, est vritablement unique en essence, mais quelle est triple en nomination : car raison de son feu naturel, elle est appele soufre : raison de son humide, qui est le propre aliment de ce feu, elle est nomme mercure : enfin raison de ce sec radical, qui est le ciment & la liaison de cet humide & de ce feu, on lappelle sel. Ce que nous ferons voir plus exactement, lorsque nous parlerons de ces trois principes en particulier, & que nous examinerons sils peuvent tre transmus les uns aux autres.

    Aprs avoir ainsi parl de la nature & de lessence de cet esprit universel, il faut que nous examinions quelle est son origine, & les effets quil produit. Pour le premier, il ne faut nullement douter que cet esprit nait t cr par la Toute-puissance de la premire cause, lorsquelle fit clore ce beau monde hors du nant, & quelle le logea dans toutes les parties de cette grande machine, comme la trs bien reconnu le Pote, quand il dit :

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    Spiritus intus agit, totamque infusa per artus, Mens agitat molem.

    Dautant que toutes les parties de cet Univers ont besoin de sa prsence, comme nous le remarquons par ses effets ; car si on en a priv quelquune, il ne manque pas de revenir se loger chez elle, afin de lui rendre la vie par son arrive. Ainsi nous voyons quaprs avoir tir du vitriol beaucoup de diffrentes substances quil contient, si on expose la tte morte de ce vitriol lair, en quelque endroit qui soit couvert des injures de leau, que cet esprit ne manque pas dy reprendre sa place, parce quil est puissamment attir par cette matrice, qui na point dautre avidit que de se refournir de cet esprit, qui est celui qui fait la meilleure partie de tous les tres ; car comme les choses ne sont que pour leurs oprations, elles ne peuvent agir aussi que par leurs principes efficients internes, cest pourquoi Dieu qui ne veut pas crer tous les jours des choses nouvelles, a cr une fois pour toutes cet esprit universel, & la rpandu par tout, afin quil se put faire tout en toutes choses.

    Or, comme cet esprit eu universel, aussi ne peut-il tre spcifi que par le moyen ; des ferments particuliers, qui impriment en lui le caractre & lide des mixtes, pour tre faits tels ou tels tres dtermins, selon la diversit des matrices, qui reoivent cet esprit pour le corporifier. Ainsi, dans une matrice vitriolique, il devient vitriol, dans une matrice arsenicale, il devient arsenic, la matrice vgtable le fait tre plante, & ainsi de tous les autres. Mais remarquez ici deux choses s la premire, que lorsque nous disons que cet esprit est spcifi dans telle ou telle matrice, que nous ne voulons entendre autre chose, sinon que cet esprit a t corporifi en tel ou tel compos, selon la diversit de lide quil a reue par le moyen du ferment particulier, & que nanmoins on le peut retirer de ce compos, en le dpouillant, par le moyen de lart, de ce corps grossier, pour le revtir dun corps plus subtil, & le rapprocher ainsi de son universalit ; & cest alors que cet esprit manifeste ses vertus beaucoup plus minemment & plus sensiblement quil ne faisait. La seconde chose que vous avez remarquer est, que cet esprit ne peut retourner sa premire indiffrence, ou sa premire universalit, quil nait perdu totalement lide quil a reue de la matrice, dans laquelle il a t corporifi. Je dis quil faut quil ait tout fait perdu cette ide, parce que quoique ces esprits aient t dcorporifis par lart, cependant ils ne laissent pas de conserver encore pour quelque temps le caractre de leur premire corporification, comme cela parat manifestement dans un air empest des esprits ralgariques & arsenicaux, qui voltigent invisiblement par tout ; mais lorsquil a perdu entirement cette ide, il se rejoint alors lesprit universel, sil se rencontre nanmoins quelque matrice fertile, tant encore un peu empreint de son ide, alors il se corporifie en plusieurs composs

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    diffrents, comme cela parat par les plantes & par les animaux, quon voit tre produits sans semence apparente, comme les champignons, les orties, les souris, les grenouilles, les insectes, & plusieurs autres choses quil nest pas besoin de rapporter.

    Voil ce que nous avions dire touchant cet esprit universel, nous rservons de parler des matrices qui le spcifient, qui le corporifient, & qui lui communiquent lide & le caractre dun tel tre dtermin, lorsque nous traiterons des Elments.

    CHAPITRE II.

    Des diverses substances qui se trouvent aprs la rsolution, & lanatomie du compos.

    Nous pouvons considrer les principes & les lments qui constituent le compos, en trois diffrentes manires, savoir, ou avant sa composition, ou aprs sa rsolution, ou bien lorsquil composent encore & quils constituent le mixte. Nous avons montr au Chapitre prcdent quelle tait la nature des principes, avant quils composassent le mixte : il faut que nous fassions voir en ce second Chapitre quels ils sont, aprs la rsolution & pendant la composition : ce que nous ne traiterons que gnralement & succinctement, parce que nous en parlerons plus amplement & en particulier dans les Chapitres qui suivent.

    Nous avons dit ci-dessus que lesprit universel, qui contient radicalement en soi les trois premires substances, tait indiffrent tre fait toutes sortes de choses, & quil tait spcifi & corporifi, selon lide quil prenait de la matrice o il tait reu ; quavec les minraux, il devenait minral ; quavec les vgtaux, il devenait plante, & quenfin avec les animaux, il se faisait animal. Nous parlerons ci-aprs, & de cette ide & des matrices qui la lui communiquent.

    Pendant la composition du mixte, cet esprit retient la nature & lide quil a prise dans la matrice. Ainsi lorsquil a pris la nature du soufre, & quil en empreint de son ide, il communique au compos toutes les vertus & toutes les qualits du soufre. Je dis la mme chose du sel & du mercure : car sil est spcifi, ou sil est seulement identifi en quelquun de ces principes, il le fait incontinent paratre par ses actions : ainsi les choses sont en leur composition fixes & volatiles, liquides ou solides, pures ou impures, dissoutes ou coagules, & ainsi des autres, selon que cet esprit tient plus ou moins de sel, de soufre ou de mercure, & selon quil tient plus ou moins du mlange de la terrestrit & de la grossiret des matrices.

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    Mais aprs que ces principes sont spars les uns des autres, aussi bien que de la terrestrit & de la corporit quils ont de leurs matrices, ils montrent bien par leurs puissants effets, que cest en cet tat quil faut les rduire, si on dsire quils agissent avec efficace, quoiquils retiennent encore leur caractre & leur ide intrieure. Ainsi quelques gotes desprit de vin feront plus deffet quun verre entier de cette liqueur corporelle, en laquelle il tait enclos. Ainsi une gote desprit de vitriol fera paratre plus deffet que plusieurs onces du corps du vitriol. Mais remarquez que ces grandes vertus, & ces grands & puissants effets ne demeurent en ces esprits quaussi longtemps que lide du mixte dont ils ont t tirs, leur demeure : car comme toutes choses tendent leur premier principe, par une circulation continuelle qui se fait par la voie de la nature, qui corporifie pour spiritualiser, & qui spiritualise pour corporifier, aussi ces esprits tchent continuellement de se dpouiller de cette ide qui les emprisonne, pour se runir leur premier principe, qui est lesprit universel.

    Aprs avoir clairci ces choses, il faut que nous voyons combien la Chimie trouve de substances dans la rsolution du compos, & quelles elles sont. Aristote dit, que la rsolution des choses montre & fait voir les principes qui les constituent ; cest sur cette mme maxime que se fonde notre science, tant parce quelle est trs vritable, qu cause que la Chimie ne reoit pour principes des choses sensibles, que ce qui se peut apercevoir par les sens. Et comme lAnatomiste du corps humain a trouv un nombre certain de parties similaires, qui composent ce corps, auxquelles il sarrte, la Chimie sefforce pareillement de dcouvrir le nombre des substances premires & similaires de tous les composs, pour les prsenter aux sens, afin quils puissent mieux juger de leurs offices, lorsquils sont encore joints dans le mixte, aprs avoir vu leurs effets & leurs vertus en cette simplicit. Et cest de l que le nom de Philosophe sensible a t donn au Chimiste. Car comme lAnatomiste se sert de rasoirs & dautres instruments tranchants, pour faire la sparation des diffrentes parties du corps humain, ce qui est son principal but, cest ce que fait aussi lArtiste Chimique, qui se sert de linstruction prise de la nature mme, pour parvenir sa fin, qui nest autre que dassembler les choses homognes, & de sparer les choses htrognes par le moyen de la chaleur, car de lui-mme il ne contribue rien autre chose que son soin & sa peine, pour gouverner le feu, selon que lexigent les agents & les patients naturels, afin de rsoudre les mixtes en leurs diverses substances, quil spare & quil purifie ensuite : alors le feu ne cesse point son action, au contraire, il la pousse & laugmente plutt, jusqu ce quil ne puisse plus trouver aucune htrognit dans le compos,

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    Principes de la rsolution des corps.

    Aprs que la Chimie a travaill sur se compos, elle trouve dans sa dernire rsolution cinq substances quelle admet pour principes & pour lments, sur quoi elle tablit sa doctrine, parce quelle ne trouve aucune htrognit dans ces cinq substances. Qui sont le phlegme ou leau, lesprit ou le mercure, le soufre ou lhuile, le sel & la terre. Quelques-uns leur donnent, dautres noms, car il est permis un chacun de les nommer comme bon lui semble ; puisque cela nest pas de grande importance, pourvu quon saccorde & quon puisse convenir de la chose, sans se soucier du nom.

    Or de mme que lintgrit des mixtes ne peut subsister, si on leur te quelquune de ces parties, aussi la connaissance de ces substances serait imparfaite & dfectueuse, si on les sparait, parce quil les faut considrer tant absolument que respectivement. Trois de ces substances se prsentent nous par laide de lopration Chimique en forme de liqueur, qui sont le phlegme, lesprit & lhuile, & les deux autres en forme solide, qui font le sel & la terre. On appelle ordinairement & communment le phlegme & la terre, des principes passifs, matriels & moins efficaces que les trois autres, mais au contraire, on appelle lesprit, le soufre & le sel, des principes actifs & formels, cause de leur vertu pntrante & subtile. Quelques-uns appellent le phlegme & la terre des lments, & donnent le nom de principes aux trois autres.

    Mais si la dfinition quAristote a donne aux principes, est essentielle, savoir que les principes neque ex aliis, neque ex se invisem siunt ; lexprience nous fait voir que ces substances ne peuvent pas tre appeles proprement principe ; parce que nous avons dit ci-dessus que le mercure se change en soufre, puisque lhumide est laliment du chaud, or laliment se mtamorphose en laliment. Voil pourquoi l dfinition dlment conviendrait plutt ces substances, puisque ce sont les dernires qui se trouvent aprs la rsolution du compos, & que les lments sont ea quae primo componunt mixium, & in quae ultime resolvitur.

    Mais parce que les lments sont considrs en deux faons, ou comme des parties qui composent lunivers, ou qui composent seulement les corps mixtes, cependant pour nous accommoder la faon ordinaire de parler, nous leur donnerons le nom de principes, parce que ce sont des parties constitutives du compos, & nous retiendrons le nom dlment pour ces grands & vastes corps, qui sont les matrices gnrales des choses naturelles.

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    CHAPITRE III.

    De chaque principe en particulier.

    SECTION PREMIERE.

    A savoir si les cinq principes qui demeurent aprs la rsolution du mixte, sont naturels ou artificiels.

    La Chimie reoit pour principes du compos les cinq substances, dont nous avons parl ci-dessus, cette source tant tout fait sensible, elle ne raisonne que sur ce que les sens lui font apercevoir, & cela parce quaprs avoir fait une trs exacte anatomie dun corps naturel, elle ne trouve rien au-del qui ne rponde lune de ces cinq substances.

    Mais on peut ici faire une question, qui na pas peu de difficult ; savoir, si ces cinq substances sont des principes naturels, ou sils sont artificiels, & sils ne sont pas plutt des principes de destruction & de dsunion, que des principes de composition & de mixtion. On peut rpondre cela, quil y a vritablement de la difficult pour savoir si ces principes sont naturels, parce que nous ne les voyons pas sortir du compos par une corruption, ou par une putrfaction naturelle, mais que cela ne peut tre fait que par une corruption artificielle, qui se pratique par le moyen de la chaleur du feu. Si on veut cependant examiner la chose de prs, il se trouvera quon ne peut la vrit tirer ces substances que par le moyen de lart chimique, elles sont nanmoins purement & simplement naturelles, puisque tout ce que fait ici lArt est de fournir les vaisseaux propres les recevoir, cause que ces vaisseaux manquent la nature, & sans le secours de ces vaisseaux, nous ne pourrions rendre ces principes palpables & visibles : ce qui fait quon ne doit pas trouver trange que nous napercevions pas ces substances dans la corruption & dans la rsolution naturelle du compos, car la nature qui travaille sans cesse, se sert de ces substances la gnration de plusieurs autres tres, comme Aristote la trs bien observ, quand il dit que corruptio unius est generatio alterius. Ainsi nous sentons quelque chose qui frap-pe, ou qui choque mme notre odorat dans la putrfaction naturelle des choses, ce qui tmoigne que lair est plein desprits volatils, qui sont salins & sulfureux, par lesquels se fait la dissolution radicale du mixte : le sel se rsout par le moyen du phlegme, & comme le sel est le lieu des deux autres principes, aussi ne peuvent, ils plus subsister dans le mixte, parce que la chaleur qui accompagne tomes les putrfactions, les subtilit & les emporte si bien, quil ne nous reste que ce qu y a de terrestre dans le compos. Cest pourquoi nous concluons que ces principes, quoique rendus manifestes & sensibles par les

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    seules oprations de la Chimie, nanmoins cela nempche pas quils ne soient naturels. Parce que si la nature ne les avait pas logs en toutes les choses, on ne ls pourrait pas tirer indiffremment de sons les corps comme on le peut faire. Do nous tirons cette consquence, que ce nest point par transmutation que ces substances sortent du mixte ; mais par une pure sparation naturelle, aide de la chaleur des vaisseaux & de la main de lArtiste.

    Tous les tres ne sauraient tre transforms indiffremment & immdiatement en une seule & mme chose. Cest pourquoi, il ne faut pas trouver trange, lorsquon tire dautres substances de ces mixtes, quand on travaille dessus, par dautres voies que par la sparation des principes, comme sont les quintessences, les arcanes, les magistres, les spcifiques, les teintures, les extraits, les fcules, les baumes, les fleurs, les panaces & les lixirs, dont Paracelse parle en ses Livres des Archidoxes ; puisque toutes ces diffrentes prparations tirent leurs diverses vertus de la diversit du mlange des principes, dont nous parlerons dans les sections suivantes, selon lOrdre quils tombent premirement sous nos sens, o nous les considrons comme lorsquils composent encore le mixte, & comme tant spars de lui.

    SECTION SECONDE.

    Du Phlegme.

    On donne le nom de phlegme cette liqueur insipide, quon appelle vulgairement eau, lorsquelle est spare de tout autre mlange. Cest la premire substance qui se montre nos yeux, lorsque le feu agit sur quelque mixte : on la voit premirement en forme de vapeur, & lorsquelle est condense, elle se rduit en liqueur. Sa prsence est aussi utile dans la composition du mixte, que celle daucun autre principe.

    Et nous ne sommes pas de lopinion de ceux qui la regardent comme inutile ; mais il faut que la proportion & lharmonie demeure dans les bornes, que requiert la ncessit des corps naturels ; car le phlegme est comme le frein des esprits, il abat leur acidit, il dissout le sel & affaiblit son acrimonie corrodante, il empche linflammation du soufre, & sert enfin lier & mler la terre avec les sels ; car comme ces deux substances sont arides & friables, elles ne pourraient pas donner beaucoup de fermet & de solidit au corps sans cette liqueur. De-l vient quil cause la corruption & la dissolution par son absence, ce qui fait que quelques-uns lappellent le principe de destruction, car il svapore facilement ; do il arrive que le mixte ne peut demeurer longtemps dans un mme tat & dans la mme harmonie, cause que cette partie

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    principiante sexhale aisment & toute heure, ce qui la rend sujette aux moindres injures qui arrivent, tant par les causes intrieures, que par les causes extrieures. Cest pourquoi, il faut que ceux qui travaillent la conservations des mixtes, studient retenir ce principe dans le compos, parce que cest lui qui retient tous les autres en bride. Il est de si facile extraction, quil ne faut quune chaleur lente & modre, pour le sparer des autres principes, comme on le voit dans les oprations. Il souffre plusieurs altrations, qui ne changent pourtant pas sa nature ; car sil nous parait en vapeurs, elles ne sont nanmoins essentiellement autre chose que le phlegme mme.

    Vous remarquerez ici que les vapeurs sont de diffrente nature ; les unes sont simplement aqueuses & phlegmatiques ; les autres sont spiritueuses & mercurielles, les autres sulfures & huileuses, & il y en encore quelques autres qui sont mlanges des trois prcdentes ensemble ; il faut encore observer que les sels mmes & les terres minrales & mtalliques peuvent tre subtilises & rduites en vapeurs, qui sont encore diffrentes des quatre prcdentes, puisquil en rsulte des esprits fixe & pesants, & des fleurs. On peut trs bien rapporter toute la doctrine des mtores igns, aqueux ou ars, la diffrence de ces exhalaisons & de ces vapeurs ; car comme on voit que les vapeurs aqueuses se condensent facilement en eau dans les alambics, ce que ne font pas les spirituelles ni les huileuses, qui demandent beaucoup plus de temps & de rafrachissement : on pourra aussi tirer de l plusieurs consquences pour la Mdecine, & particulirement pour ce qui concerne les douleurs, quon croit provenir des vapeurs & des exhalaisons, quon appelle ordinairement mtorismes du ventricule & de la rate ; car les aqueuses ne peuvent faire tant de distension, parce quelles sont plus promptement serres & condenses, que celles qui proviennent des esprits, des huiles & des sels mlangs. Or, comme trop de phlegme teint la chaleur naturelle, & ralentit le corps & toutes ses actions ; aussi le trop peu fait que le corps est comme brl ou rong, lorsque le soufre, lesprit fixe ou le sel gagne le dessus : ce qui prouve videmment, que lintgrit du mixte ne peut subsister que par lharmonie & la juste proportion de toutes ses substances.

    Pour conclure ce que nous avons dit de ce principe, vous observerez que le phlegme du mixte doit tre ordinairement le menstrue le plus propre pour en tirer la teinture & lextrait, parce quil garde encore quelque caractre de son compos & quelque ide de sa vertu ; mais principalement parce quil est accompagn le plus souvent de lesprit volatile du mixte, qui le rend capable de le pntrer plus facilement & den extraire la vertu, dautant plus quil est

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    participant dune nature mle dun soufre & dun mercure trs subtils qui approchent le plus de luniversel.

    SECTION TROISIEME.

    De lEsprit.

    Quelques-uns appellent Mercure, la seconde substance qui nous parait visible, lorsque nous anatomisons le compos ; dautres la nomment humide radical ; mais nous retiendrons le nom desprit, qui est le plus en usage. Cependant pour que vous ne vous abusiez point en ces appellations vulgaires des principes ; afin mme que vous ne les confondiez pas avec les composs, il est ncessaire que vous sachiez quils nont t nomms de la sorte, que par la ressemblance & la correspondance quils ont avec eux : ne prenez donc pas le phlegme principi pour de la pituite, ni le mercure pour du vif-argent, ni le soufre pour ce soufre vulgaire, qui entre dans la composition de la poudre canon avec le salptre, ni le sel pour ce sel commun que nous mettons sur nos tables, & moins encore la terre pont du bol dArmnie, ou pour de la terre sigille, puisque toutes ces choses sont des corps composs de ces mmes principes, que nous dsignons par ces noms l. Ainsi ce sont des noms communs, dont nous attachons lide des substances particulires. Lesprit donc nest autre chose que cette substance are, subtile, pntrante & agissante, que nous tirons du mixte par le moyen du feu. Do il faut conclure que ce principe est en soi un, simple & homogne, qui a pris son ide du caractre de sa matrice spcifique & particulire. Ce que nous clairerons ci-dessous, lorsque nous traiterons des lments & de leurs vertus.

    Or, on considre cette substance, comme composante encore le mixte, ou comme en tant spare. Hors du mixte cette substance est extrmement pntrante, elle incise, elle ouvre & attnue les corps les plus solides & les plus fixes ; cet esprit excite le chaud dans les choses en les fermentant ; il dnoue les liens du soufre & du sel, & les rend sparables ; il rsiste la pourriture, & cependant il peut la produire par accident ; il dvore le sel & se joint si troitement avec lui, qu peine les peut-on sparer que par lextrme violence du feu. Il a sa chaleur, comme il a aussi sa froideur ; car il nagit pas par des qualits lmentaires, mais par celles, qui lui sont propres & spcifiques ; enfin nous manquons encore dexpressions propres sa nature, puisque cest un vritable Prothe, qui ne travaille que comme le soleil, qui humecte & qui dessche, qui blanchir & qui noircir, selon la diversit des objets sur lesquels il agit. Ce mme esprit communique beaucoup de belles qualits au phlegme ; car il empche quil ne se corrompe, il le rend pntra