ALBERT LE GRAND ET LA DIVISION...

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A LBERT LE G RAND ET LA DIVISION ARISTOTÉLICIENNE DES SOPHISMES VERBAUX Yvan Pelletier Faculté de Philosophie Université Laval Québec LA DIVISION que fait Aristote des tours sophistiques constitue l’un de ces nombreux passages déconcertants de son œuvre où il donne comme manifestement exhaustive une énumération qui présente les apparences d’une improvisation au petit bonheur. Pour ne consi- dérer que les sophismes verbaux, comment ressentir d’emblée l’impression d’un tout complet, en voyant côte à côte l’homonymie de l’expression, son amphibolie, sa composition, sa division, son accent et son aspect 1 ? Hors la composition et la division, dont, en contraste, la corrélation très étroite laisse difficilement apercevoir matière à deux tours spécifiquement différents, on croit spontané- ment avoir affaire à des items totalement hétéroclites, dont rien ne dise qu'ils soient tous là. Cette impression se renforce, d'ailleurs, à observer la liberté avec laquelle les tenants de la récente logique informelle ajoutent ou retranchent à la liste. Pourquoi refuserait-on à S. Morris Engels, par exemple, l’ajout de l’hypostatisation ? 2 Le procédé visé — prendre un accident pour une substance du fait de le nommer abstraitement — a tout d’une ambiguïté verbale et… son nom affiche le vernis technique approprié. Publié dans Philosophia Perennis, vol. I (1994), #1 (printemps), pp. 49-82. 1 Plus souvent dit ‘forme’ de l’expression. Voir infra, note 6. 2 Voir With Good Reason, An Introduction to Informal Fallacies, 2nd ed., New York: St. Martin's Press, 86.

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ALBERT LE GRAND ET LA DIVISION ARISTOTEacuteLICIENNE DES SOPHISMES VERBAUXlowast

Yvan Pelletier

Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval

Queacutebec

LA DIVISION que fait Aristote des tours sophistiques constitue lrsquoun de ces nombreux passages deacuteconcertants de son œuvre ougrave il donne comme manifestement exhaustive une eacutenumeacuteration qui preacutesente les apparences drsquoune improvisation au petit bonheur Pour ne consi-deacuterer que les sophismes verbaux comment ressentir drsquoembleacutee lrsquoimpression drsquoun tout complet en voyant cocircte agrave cocircte lrsquohomonymie de lrsquoexpression son amphibolie sa composition sa division son accent et son aspect 1 Hors la composition et la division dont en contraste la correacutelation tregraves eacutetroite laisse difficilement apercevoir matiegravere agrave deux tours speacutecifiquement diffeacuterents on croit spontaneacute-ment avoir affaire agrave des items totalement heacuteteacuteroclites dont rien ne dise quils soient tous lagrave Cette impression se renforce dailleurs agrave observer la liberteacute avec laquelle les tenants de la reacutecente logique informelle ajoutent ou retranchent agrave la liste Pourquoi refuserait-on agrave S Morris Engels par exemple lrsquoajout de lrsquohypostatisation 2 Le proceacutedeacute viseacute mdash prendre un accident pour une substance du fait de le nommer abstraitement mdash a tout drsquoune ambiguiumlteacute verbale ethellip son nom affiche le vernis technique approprieacute

lowast Publieacute dans Philosophia Perennis vol I (1994) 1 (printemps) pp 49-82 1 Plus souvent dit lsquoformersquo de lrsquoexpression Voir infra note 6 2 Voir With Good Reason An Introduction to Informal Fallacies 2nd ed New

York St Martins Press 86

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De fait toute manifeste que lui paraisse sa division Aristote en offre quand mecircme deux voies de confirmation agrave lrsquointelligence drsquoa-bord deacutepayseacutee

Il y a deux maniegraveres de reacutefuter3 ainsi certaines [reacutefutations] surviennent par lexpression4 et drsquoautres en dehors de lrsquoexpression5 Les [occasions] de produire lrsquoapparence par lrsquoexpression sont au nombre de six ce sont lrsquohomonymie lrsquoamphibolie la composition la division lrsquoaccent et lrsquoaspect de lrsquoexpression6 Comme preuve on en a celle [qui procegravede] par lrsquoinduction et on en a le raisonnement7

3 ἘλOcircγχειν Puisque la reacutefutation est la cible preacutefeacutereacutee du chicanier comme du

dialecticien elle se fait le patronyme de lrsquoattaque dialectique et par suite de lrsquoattaque chicaniegravere La reacutefutation apparente qursquoAristote va diviser ici crsquoest non seulement la reacutefutation plus strictement dite lrsquoargument dont la conclu-sion contredit directement une position anteacuterieure mais aussi la reacuteduction agrave lrsquoune quelconque des quatre autres inconvenances mdash lrsquoabsurde le paradoxe le soleacutecisme ou le verbiage mdash puisqursquoil srsquoagit toujours drsquoy aboutir comme agrave la conclusion apparente drsquoun raisonnement Cela devient particuliegraverement sensible au moment de preacutesenter la fausse cause reacuteserveacutee agrave la reacuteduction et dont la reacutefutation proprement dite raisonnement direct est exclue Voir 5 167b22-23 Voir aussi Yvan Pelletier La Non-Cause sophisme insolite dans Angelicum vol 70 (1993) fasc 1 123-140 mdash laquo Τρıποι δ᾿ εinfinσUacute τοῦ μOacuteν ἐλOcircγχειν δ˜ο raquo Dans ce contexte τρıποι est synonyme de τıποι lieux Il sagit dune maniegravere dargumenter Τοῦ ἐλOcircγχειν de cette reacutefutation dont nous parlons celle qui en a lair sans en ecirctre une reacuteellement

4 ΠαρIuml τὴν λOcircξιν ΛOcircξις deacutesigne ici en elle-mecircme toute parole simple ou complexe dite pour exprimer quelque chose

5 ucircξω τῆς λOcircξεως 6 Σχῆμα λOcircξεως Il srsquoagit de la forme de lrsquoexpression comme on le traduit

ordinairement mais entendue en ce qursquoelle a de plus superficiel son apparence exteacuterieure sa configuration audible ou visible son aspect et non en ce qursquoelle a de plus profond la formation qui donne agrave la matiegravere phoneacutetique sa nature dexpression en ce sens Aristote parlerait plutocirct de μορφὴ τῆς λOcircξεως Certes lrsquoune deacutecoule de lautre et il nrsquoy a pas de faute agrave traduire forme de lexpression Il est toutefois utile ici de traduire plus litteacute-ralement eacutetant donneacute que nous nous reacutefeacutererons plus loin agrave un texte ougrave juste-ment Albert le Grand enracine cette figura dictionis dans la forma dictionis

7 Συλλογισμıς Pour des raisons de coheacuterence verbale technique que jrsquoai expliqueacutees ailleurs je traduis συλλογισμUgraveς par raisonnement plutocirct que par

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selon que lrsquoon assume [une occasion puis] une autre et que crsquoest drsquoautant de maniegraveres qursquoavec les mecircmes noms ou phrases8 on pour-rait ne pas exprimer la mecircme chose9

Laissons de cocircteacute la premiegravere voie qui affecte trop lrsquoallure drsquoun deacutefi qui compterait sur une histoire assez complegravete de lrsquointelligence erroneacutee pour srsquoassurer agrave fond que cette derniegravere nrsquoaurait pas drsquoaventure treacutebucheacute sur quelque ambiguiumlteacute verbale eacutetrangegravere agrave cette liste Surtout que srsquoouvre une voie plus hautement rationnelle et plus eacuteconomique celle drsquoun raisonnement enracineacute dans la nature propre de lrsquoambiguiumlteacute verbale Mais ce raisonnement ne se laisse pas reconstituer aiseacutement Drsquoabord Aristote en donne seulement le principe et cela dans un texte drsquointelligence difficile ougrave srsquoentrecroisent les deux voies de preuve et leurs principes dans une lettre abreacutegeacutee agrave lrsquoextrecircme laquo ecircν τε ληφθῇ si lrsquoon assumehellip raquo ΛαμβIgraveνειν signifie techniquement lrsquoassomption drsquoune proposition ou plus preacuteciseacutement son obtention via le consentement de lrsquointerlocuteur Comme sujet de ληφθῇ on trouvera donc la matiegravere de propositions leacutegitimes pour en arriver agrave se faire lrsquoeacutevidence que les ambiguiumlteacutes verbales sont bien au nombre de six et celles-lagrave justement que lrsquoeacutenumeacuteration preacuteceacutedente a annonceacutees10 laquo Τε hellip καUcirchellip raquo marque dans ce contexte la coordination sur pied drsquoeacutegaliteacute de deux matiegraveres pertinentes Crsquoest deacutejagrave un avertissement de ne pas attendre dans les deux eacuteleacutements qui suivent la majeure et la mineure drsquoun mecircme raisonnement conjoints plus normalement

syllogisme Voir Yvan Pelletier La Dialectique aristoteacutelicienne Montreacuteal Bellarmin 1991 259 note 39

8 Λıγοις Dans ce contexte il y a deux espegraveces de λOcircξεις lrsquoexpression simple faite drsquoun seul mot dite τUgrave ƒνομα le nom et lrsquoexpression composeacutee faite de plusieurs mots iexcl λıγος la phrase le nom englobe le verbe ici plutocirct qursquoil ne srsquoy oppose et la phrase ne deacutesigne pas seulement lrsquoeacutenonciation complegravete mais deacutejagrave le bout de phrase la locution degraves qursquoil y a plus drsquoun mot Ailleurs lrsquoexpression pourra se prendre plus preacuteciseacutement pour lrsquoexpression simple et srsquoopposer agrave la phrase

9 Reacutefutations sophistiques 4 165b23-30 10 Agrave prendre trop largement ληφθῇ Tricot en arrive agrave ce contresens drsquointerpreacuteter

son sujet comme la conclusion du raisonnement pointeacute par Aristote

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par laquo μOcircνhellip δOcirchellip raquo mais surtout de ne pas ceacuteder agrave la tentation de reacuteduire agrave lrsquoinsignifiance le premier eacuteleacutement11 Car ce laquo τις ἄλλος raquo deacuteroute quelque peu agrave premiegravere lecture Neacuteanmoins agrave le voir ainsi coordonneacute avec ce qui suit asympτι qui dit plus manifestement la matiegravere du raisonnement on saisit que crsquoest comme principe de lrsquoinduction qursquoil meacuterite ce statut En somme dit Aristote on se convaincra par induction que telles sont les occasions de lrsquoapparence sophistique verbale si on en aperccediloit une puis une autre puis une autre jusqursquoagrave ne plus pouvoir en deacutecouvrir drsquoautre encore qui ne se reacuteduise agrave celles-lagrave Reste comme preacutemisse du raisonnement comme tel lrsquoassomption de ce fait que voilagrave justement telles et pas plus les maniegraveres dont on peut avec les mecircmes mots ou phrases ne pas vouloir dire la mecircme chose

On comprendra comment pareille affirmation procure la mineure du raisonnement qui nous inteacuteresse dans la mesure ougrave on a conscience du rocircle fondamental que joue dans la structure de tout raisonnement lrsquoassimilation drsquoune chose agrave une autre Toute lrsquointen-tion de lrsquointelligence raisonnante en effet consiste agrave faire adopter un eacutenonceacute qui revient agrave assimiler un attribut agrave un sujet mdash ou agrave lrsquoen seacuteparer Sa conclusion affirme mdash ou nie mdash que le sujet est la mecircme chose que lrsquoattribut elle eacutenonce qursquoen veacuteriteacute lrsquoun est lrsquoautre Tout homme est animal crsquoest-agrave-dire sous quelque rapport crsquoest la mecircme chose homme qursquoanimal Lrsquohabitude ambigueuml et tenace mdash dont srsquoinspire le remplacement en logique symbolique de la notion drsquouniversel par celle de classe mdash de se repreacutesenter la relation sujet-attribut moyennant lrsquoimagination drsquoun contenant et drsquoun contenu atteacutenue beaucoup la conscience de lrsquoidentiteacute que cette relation implique Par ailleurs non seulement le raisonnement veut toujours aboutir agrave lrsquoassimilation drsquoun sujet agrave un attribut mais son processus entier tient agrave lrsquoassimilation tour agrave tour de ce sujet et de cet attribut agrave quelque autre terme sur la foi directement issue du principe de non-contradiction que deux termes identiques agrave un mecircme troisiegraveme ne manqueront pas de srsquoidentifier entre eux Lrsquoessence du raisonne-

11 Agrave lrsquoinstar de Tricot qui srsquoen deacutebarrasse avec une parenthegravese ougrave Aristote

signalerait la possibiliteacute drsquoargumenter drsquoautres donneacutees

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ment tenant toute agrave une eacutevidence aussi simple toute imitation voudra donner lrsquoimpression de pareille assimilation on assimilera en preacutemisses le sujet et lrsquoattribut du problegraveme agrave un troisiegraveme terme qui ne soit le mecircme qursquoen apparence ou bien ce ne sera encore qursquoen apparence que ce sujet mecircme ou cet attribut mecircme auront drsquoabord eacuteteacute assimileacutes agrave ce moyen terme Drsquoougrave viendra cette fausse apparence drsquoidentiteacute Soit des choses mecircmes dont on parle qui paraicirctront les mecircmes lors qursquoelles ne le seront pas Soit comme cela nous inteacuteresse ici des mots et des phrases dans lesquelles on exprime leur identiteacute quand en eacutetant les mecircmes elles renverront pourtant agrave des choses qui ne le soient pas

Voilagrave donc drsquoougrave part notre raisonnement crsquoest la mecircme chose que des mots ou des phrases qui restant les mecircmes veulent dire autre chose et des sophismes verbaux De lagrave jaillit notre mineure comme une conseacutequence immeacutediate le nombre des seconds sera le nombre des premiers On pressent que la majeure reacutesidera dans la preacutetention agrave une certaine eacutevidence exhaustive sur les possibiliteacutes diverses de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes mots ou phrases Comment obtenir adeacutequatement cet eacuteclairage Albert le Grand peut nous y aider ce grand commentateur de la logique drsquoAristote qui ne se contente quasi jamais comme la plupart de paraphraser plus ou moins la lettre aristoteacutelicienne Le minerai albertien nrsquoest cependant pas pur il faut le deacutegager drsquoune gangue de consideacuterations drsquoadresse et de bonheur ineacutegaux Tout drsquoabord assez eacutetrangement Albert ne semble pas dans la preuve de lrsquoexhaustiviteacute de la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux avoir distingueacute nettement ce qui relegraveve des voies drsquoinduction et de raisonnement Bien qursquoil srsquoexprime exteacuterieurement comme srsquoil deacutecrivait tour agrave tour lrsquoune et lrsquoautre il ne dit rien en fait de linduction et deacuteveloppe toujours agrave quelquune de ses eacutetapes le raisonnement suggeacutereacute par Aristote Lisons dabord la preacutesentation qursquoil annonce comme celle du raisonnement qui donne effective-ment la forme des eacutenonceacutes dont il se compose

Par raisonnement on le prouve de la maniegravere qui suit Chaque fois qursquoavec les mecircmes noms ou phrases nous ne signifions pas la mecircme chose il se creacutee de lune de ces six maniegraveres une apparence

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dans lrsquoexpression Or en toute tromperie qui trompe par lrsquoexpression nous ne signifions pas la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases donc toute maniegravere drsquoargumenter en trompant par lrsquoexpres-sion se fait de lrsquoune de ces six maniegraveres Ainsi donc on obtient la conviction que ce sont celles-ci et tant et pas plus les maniegraveres drsquoargumenter sophistiquement par lrsquoexpression12

La majeure affirme comme je le disais la division des faccedilons de ne pas assigner aux mecircmes choses les mecircmes mots et phrases soit au long Ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose se fait de lrsquoune de ces six faccedilons homonymie amphi-bolie composition division accent aspect de lrsquoexpression On comprend qursquoAlbert signale seulement le nombre six sans faire au long lrsquoeacutenumeacuteration eacutevidente de par le contexte Toutefois il faut voir que lrsquoallusion agrave ce que de chacune de ces six maniegraveres i l se creacutee une apparence dans lrsquoexpression empiegravete deacutejagrave sur la mineure agrave laquelle il revient drsquoassimiler lrsquoapparence verbale et la signification diverse drsquoexpressions identiques Toute tromperie par lrsquoexpression consiste agrave ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose Suit la conclusion en la modaliteacute la plus puissante de la premiegravere figure de raisonnement Toute tromperie par lrsquoexpression se fait ou par lrsquohomonymie ou par lrsquoamphibolie ou par la composition ou par la division ou par lrsquoaccent ou par lrsquoaspect de lrsquoexpression

On revient agrave la question preacutealable drsquoougrave tenir lrsquoeacutevidence de cette division exhaustive en six maniegraveres de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes expressions On en trouve lrsquoindication au lieu ougrave Albert preacutetend deacutecrire la voie inductive qui conduirait concurremment agrave la conclusion preacuteceacutedente Traversons drsquoabord une premiegravere fois dans son ensemble lrsquoexplication albertienne sans nous deacutecourager de son caractegravere quelque peu tortueux et reacutebarbatif Nous pourrons deacutejagrave nous deacutefaire de quelques contresens attribuables agrave la neacutegligence de copistes

12 Albert le Grand Commentaria in libris elenchorum sophisticorum Aristotelis

tract I c 6 Dans la suite de lrsquoarticle je renverrai au premier livre de cette œuvre avec lrsquoabreacuteviation In I ES

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Qursquoil y en ait tant et pas plus on en a la preuve agrave la fois par induction et par raisonnement Par induction certes car comme une maniegravere drsquoargumenter dans lrsquoexpression ne creacutee drsquoapparence qursquoen regard drsquoune phrase de raisonnement topique cette ressemblance ou bien sera dans lrsquoexpression ou bien dans la phrase En effet la troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoex-pression et dans la phrase ne diffegravere pas13 de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase Si elle est dans lrsquoexpression14 elle sera ou bien seulement en regard de la matiegravere de lrsquoexpression ou bien seulement en regard de la forme ou bien en regard de lrsquoune et de lrsquoautre de la matiegravere et de la forme Si en effet [crsquoest] seulement en regard de la matiegravere on a la tromperie de lrsquoaccent car dans deux expressions prononceacutees avec un accent diffeacuterent et ailleurs15 quand crsquoest la mecircme chose sur le plan phoneacutetique il nrsquoy a qursquoune seule matiegravere par exemple si je dis personne avec la syllabe du milieu bregraveve et personne avec la syllabe du milieu circonflexe16 Si ensuite crsquoest seulement en regard de la forme comme la terminaison17 appartient agrave

13 Differt On doit lire non differt 14 In oratione On doit lire in dictione 15 In aliis crsquoest-agrave-dire dans les phrases 16 Circumflexa de περισπ˘μενη tireacutee en sens contraire La syllabe circonflexe

est longue drsquoabord aigueuml ensuite grave 17 Terminatio Il y a une triple distinction agrave faire agrave propos du phonegraveme en ce

qursquoon en fait une expression appliqueacutee agrave signifier quelque chose On y trouve drsquoabord un son de base une racine agrave laquelle se rattache deacutejagrave la signification drsquoun type de choses puis on a le compleacutement de ce son de base dans la faccedilon dont on complegravete sa prononciation cela tient surtout mdash mais pas neacutecessairement uniquement mdash agrave sa terminaison agrave laquelle se rattache une maniegravere de renvoyer au type de choses viseacutees par la racine enfin il y a la modulation particuliegravere lrsquoaccentuation lrsquoinsistance plus ou moins grande donneacutee agrave chaque eacuteleacutement de lensemble racine-terminaison Une ressemblance en matiegravere seulement pour saint Albert crsquoest la mecircme racine et la mecircme terminaison mais un accent diffeacuterent une ressemblance en la forme seulement pour lui crsquoest la mecircme terminaison mais pas la mecircme racine En ce cas lrsquoaspect de lrsquoaccent nrsquoest pas pertinent puisque degraves le deacutebut il ne srsquoagit pas tout agrave fait du mecircme phonegraveme

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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De fait toute manifeste que lui paraisse sa division Aristote en offre quand mecircme deux voies de confirmation agrave lrsquointelligence drsquoa-bord deacutepayseacutee

Il y a deux maniegraveres de reacutefuter3 ainsi certaines [reacutefutations] surviennent par lexpression4 et drsquoautres en dehors de lrsquoexpression5 Les [occasions] de produire lrsquoapparence par lrsquoexpression sont au nombre de six ce sont lrsquohomonymie lrsquoamphibolie la composition la division lrsquoaccent et lrsquoaspect de lrsquoexpression6 Comme preuve on en a celle [qui procegravede] par lrsquoinduction et on en a le raisonnement7

3 ἘλOcircγχειν Puisque la reacutefutation est la cible preacutefeacutereacutee du chicanier comme du

dialecticien elle se fait le patronyme de lrsquoattaque dialectique et par suite de lrsquoattaque chicaniegravere La reacutefutation apparente qursquoAristote va diviser ici crsquoest non seulement la reacutefutation plus strictement dite lrsquoargument dont la conclu-sion contredit directement une position anteacuterieure mais aussi la reacuteduction agrave lrsquoune quelconque des quatre autres inconvenances mdash lrsquoabsurde le paradoxe le soleacutecisme ou le verbiage mdash puisqursquoil srsquoagit toujours drsquoy aboutir comme agrave la conclusion apparente drsquoun raisonnement Cela devient particuliegraverement sensible au moment de preacutesenter la fausse cause reacuteserveacutee agrave la reacuteduction et dont la reacutefutation proprement dite raisonnement direct est exclue Voir 5 167b22-23 Voir aussi Yvan Pelletier La Non-Cause sophisme insolite dans Angelicum vol 70 (1993) fasc 1 123-140 mdash laquo Τρıποι δ᾿ εinfinσUacute τοῦ μOacuteν ἐλOcircγχειν δ˜ο raquo Dans ce contexte τρıποι est synonyme de τıποι lieux Il sagit dune maniegravere dargumenter Τοῦ ἐλOcircγχειν de cette reacutefutation dont nous parlons celle qui en a lair sans en ecirctre une reacuteellement

4 ΠαρIuml τὴν λOcircξιν ΛOcircξις deacutesigne ici en elle-mecircme toute parole simple ou complexe dite pour exprimer quelque chose

5 ucircξω τῆς λOcircξεως 6 Σχῆμα λOcircξεως Il srsquoagit de la forme de lrsquoexpression comme on le traduit

ordinairement mais entendue en ce qursquoelle a de plus superficiel son apparence exteacuterieure sa configuration audible ou visible son aspect et non en ce qursquoelle a de plus profond la formation qui donne agrave la matiegravere phoneacutetique sa nature dexpression en ce sens Aristote parlerait plutocirct de μορφὴ τῆς λOcircξεως Certes lrsquoune deacutecoule de lautre et il nrsquoy a pas de faute agrave traduire forme de lexpression Il est toutefois utile ici de traduire plus litteacute-ralement eacutetant donneacute que nous nous reacutefeacutererons plus loin agrave un texte ougrave juste-ment Albert le Grand enracine cette figura dictionis dans la forma dictionis

7 Συλλογισμıς Pour des raisons de coheacuterence verbale technique que jrsquoai expliqueacutees ailleurs je traduis συλλογισμUgraveς par raisonnement plutocirct que par

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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selon que lrsquoon assume [une occasion puis] une autre et que crsquoest drsquoautant de maniegraveres qursquoavec les mecircmes noms ou phrases8 on pour-rait ne pas exprimer la mecircme chose9

Laissons de cocircteacute la premiegravere voie qui affecte trop lrsquoallure drsquoun deacutefi qui compterait sur une histoire assez complegravete de lrsquointelligence erroneacutee pour srsquoassurer agrave fond que cette derniegravere nrsquoaurait pas drsquoaventure treacutebucheacute sur quelque ambiguiumlteacute verbale eacutetrangegravere agrave cette liste Surtout que srsquoouvre une voie plus hautement rationnelle et plus eacuteconomique celle drsquoun raisonnement enracineacute dans la nature propre de lrsquoambiguiumlteacute verbale Mais ce raisonnement ne se laisse pas reconstituer aiseacutement Drsquoabord Aristote en donne seulement le principe et cela dans un texte drsquointelligence difficile ougrave srsquoentrecroisent les deux voies de preuve et leurs principes dans une lettre abreacutegeacutee agrave lrsquoextrecircme laquo ecircν τε ληφθῇ si lrsquoon assumehellip raquo ΛαμβIgraveνειν signifie techniquement lrsquoassomption drsquoune proposition ou plus preacuteciseacutement son obtention via le consentement de lrsquointerlocuteur Comme sujet de ληφθῇ on trouvera donc la matiegravere de propositions leacutegitimes pour en arriver agrave se faire lrsquoeacutevidence que les ambiguiumlteacutes verbales sont bien au nombre de six et celles-lagrave justement que lrsquoeacutenumeacuteration preacuteceacutedente a annonceacutees10 laquo Τε hellip καUcirchellip raquo marque dans ce contexte la coordination sur pied drsquoeacutegaliteacute de deux matiegraveres pertinentes Crsquoest deacutejagrave un avertissement de ne pas attendre dans les deux eacuteleacutements qui suivent la majeure et la mineure drsquoun mecircme raisonnement conjoints plus normalement

syllogisme Voir Yvan Pelletier La Dialectique aristoteacutelicienne Montreacuteal Bellarmin 1991 259 note 39

8 Λıγοις Dans ce contexte il y a deux espegraveces de λOcircξεις lrsquoexpression simple faite drsquoun seul mot dite τUgrave ƒνομα le nom et lrsquoexpression composeacutee faite de plusieurs mots iexcl λıγος la phrase le nom englobe le verbe ici plutocirct qursquoil ne srsquoy oppose et la phrase ne deacutesigne pas seulement lrsquoeacutenonciation complegravete mais deacutejagrave le bout de phrase la locution degraves qursquoil y a plus drsquoun mot Ailleurs lrsquoexpression pourra se prendre plus preacuteciseacutement pour lrsquoexpression simple et srsquoopposer agrave la phrase

9 Reacutefutations sophistiques 4 165b23-30 10 Agrave prendre trop largement ληφθῇ Tricot en arrive agrave ce contresens drsquointerpreacuteter

son sujet comme la conclusion du raisonnement pointeacute par Aristote

Yvan Pelletier

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par laquo μOcircνhellip δOcirchellip raquo mais surtout de ne pas ceacuteder agrave la tentation de reacuteduire agrave lrsquoinsignifiance le premier eacuteleacutement11 Car ce laquo τις ἄλλος raquo deacuteroute quelque peu agrave premiegravere lecture Neacuteanmoins agrave le voir ainsi coordonneacute avec ce qui suit asympτι qui dit plus manifestement la matiegravere du raisonnement on saisit que crsquoest comme principe de lrsquoinduction qursquoil meacuterite ce statut En somme dit Aristote on se convaincra par induction que telles sont les occasions de lrsquoapparence sophistique verbale si on en aperccediloit une puis une autre puis une autre jusqursquoagrave ne plus pouvoir en deacutecouvrir drsquoautre encore qui ne se reacuteduise agrave celles-lagrave Reste comme preacutemisse du raisonnement comme tel lrsquoassomption de ce fait que voilagrave justement telles et pas plus les maniegraveres dont on peut avec les mecircmes mots ou phrases ne pas vouloir dire la mecircme chose

On comprendra comment pareille affirmation procure la mineure du raisonnement qui nous inteacuteresse dans la mesure ougrave on a conscience du rocircle fondamental que joue dans la structure de tout raisonnement lrsquoassimilation drsquoune chose agrave une autre Toute lrsquointen-tion de lrsquointelligence raisonnante en effet consiste agrave faire adopter un eacutenonceacute qui revient agrave assimiler un attribut agrave un sujet mdash ou agrave lrsquoen seacuteparer Sa conclusion affirme mdash ou nie mdash que le sujet est la mecircme chose que lrsquoattribut elle eacutenonce qursquoen veacuteriteacute lrsquoun est lrsquoautre Tout homme est animal crsquoest-agrave-dire sous quelque rapport crsquoest la mecircme chose homme qursquoanimal Lrsquohabitude ambigueuml et tenace mdash dont srsquoinspire le remplacement en logique symbolique de la notion drsquouniversel par celle de classe mdash de se repreacutesenter la relation sujet-attribut moyennant lrsquoimagination drsquoun contenant et drsquoun contenu atteacutenue beaucoup la conscience de lrsquoidentiteacute que cette relation implique Par ailleurs non seulement le raisonnement veut toujours aboutir agrave lrsquoassimilation drsquoun sujet agrave un attribut mais son processus entier tient agrave lrsquoassimilation tour agrave tour de ce sujet et de cet attribut agrave quelque autre terme sur la foi directement issue du principe de non-contradiction que deux termes identiques agrave un mecircme troisiegraveme ne manqueront pas de srsquoidentifier entre eux Lrsquoessence du raisonne-

11 Agrave lrsquoinstar de Tricot qui srsquoen deacutebarrasse avec une parenthegravese ougrave Aristote

signalerait la possibiliteacute drsquoargumenter drsquoautres donneacutees

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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ment tenant toute agrave une eacutevidence aussi simple toute imitation voudra donner lrsquoimpression de pareille assimilation on assimilera en preacutemisses le sujet et lrsquoattribut du problegraveme agrave un troisiegraveme terme qui ne soit le mecircme qursquoen apparence ou bien ce ne sera encore qursquoen apparence que ce sujet mecircme ou cet attribut mecircme auront drsquoabord eacuteteacute assimileacutes agrave ce moyen terme Drsquoougrave viendra cette fausse apparence drsquoidentiteacute Soit des choses mecircmes dont on parle qui paraicirctront les mecircmes lors qursquoelles ne le seront pas Soit comme cela nous inteacuteresse ici des mots et des phrases dans lesquelles on exprime leur identiteacute quand en eacutetant les mecircmes elles renverront pourtant agrave des choses qui ne le soient pas

Voilagrave donc drsquoougrave part notre raisonnement crsquoest la mecircme chose que des mots ou des phrases qui restant les mecircmes veulent dire autre chose et des sophismes verbaux De lagrave jaillit notre mineure comme une conseacutequence immeacutediate le nombre des seconds sera le nombre des premiers On pressent que la majeure reacutesidera dans la preacutetention agrave une certaine eacutevidence exhaustive sur les possibiliteacutes diverses de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes mots ou phrases Comment obtenir adeacutequatement cet eacuteclairage Albert le Grand peut nous y aider ce grand commentateur de la logique drsquoAristote qui ne se contente quasi jamais comme la plupart de paraphraser plus ou moins la lettre aristoteacutelicienne Le minerai albertien nrsquoest cependant pas pur il faut le deacutegager drsquoune gangue de consideacuterations drsquoadresse et de bonheur ineacutegaux Tout drsquoabord assez eacutetrangement Albert ne semble pas dans la preuve de lrsquoexhaustiviteacute de la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux avoir distingueacute nettement ce qui relegraveve des voies drsquoinduction et de raisonnement Bien qursquoil srsquoexprime exteacuterieurement comme srsquoil deacutecrivait tour agrave tour lrsquoune et lrsquoautre il ne dit rien en fait de linduction et deacuteveloppe toujours agrave quelquune de ses eacutetapes le raisonnement suggeacutereacute par Aristote Lisons dabord la preacutesentation qursquoil annonce comme celle du raisonnement qui donne effective-ment la forme des eacutenonceacutes dont il se compose

Par raisonnement on le prouve de la maniegravere qui suit Chaque fois qursquoavec les mecircmes noms ou phrases nous ne signifions pas la mecircme chose il se creacutee de lune de ces six maniegraveres une apparence

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dans lrsquoexpression Or en toute tromperie qui trompe par lrsquoexpression nous ne signifions pas la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases donc toute maniegravere drsquoargumenter en trompant par lrsquoexpres-sion se fait de lrsquoune de ces six maniegraveres Ainsi donc on obtient la conviction que ce sont celles-ci et tant et pas plus les maniegraveres drsquoargumenter sophistiquement par lrsquoexpression12

La majeure affirme comme je le disais la division des faccedilons de ne pas assigner aux mecircmes choses les mecircmes mots et phrases soit au long Ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose se fait de lrsquoune de ces six faccedilons homonymie amphi-bolie composition division accent aspect de lrsquoexpression On comprend qursquoAlbert signale seulement le nombre six sans faire au long lrsquoeacutenumeacuteration eacutevidente de par le contexte Toutefois il faut voir que lrsquoallusion agrave ce que de chacune de ces six maniegraveres i l se creacutee une apparence dans lrsquoexpression empiegravete deacutejagrave sur la mineure agrave laquelle il revient drsquoassimiler lrsquoapparence verbale et la signification diverse drsquoexpressions identiques Toute tromperie par lrsquoexpression consiste agrave ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose Suit la conclusion en la modaliteacute la plus puissante de la premiegravere figure de raisonnement Toute tromperie par lrsquoexpression se fait ou par lrsquohomonymie ou par lrsquoamphibolie ou par la composition ou par la division ou par lrsquoaccent ou par lrsquoaspect de lrsquoexpression

On revient agrave la question preacutealable drsquoougrave tenir lrsquoeacutevidence de cette division exhaustive en six maniegraveres de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes expressions On en trouve lrsquoindication au lieu ougrave Albert preacutetend deacutecrire la voie inductive qui conduirait concurremment agrave la conclusion preacuteceacutedente Traversons drsquoabord une premiegravere fois dans son ensemble lrsquoexplication albertienne sans nous deacutecourager de son caractegravere quelque peu tortueux et reacutebarbatif Nous pourrons deacutejagrave nous deacutefaire de quelques contresens attribuables agrave la neacutegligence de copistes

12 Albert le Grand Commentaria in libris elenchorum sophisticorum Aristotelis

tract I c 6 Dans la suite de lrsquoarticle je renverrai au premier livre de cette œuvre avec lrsquoabreacuteviation In I ES

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Qursquoil y en ait tant et pas plus on en a la preuve agrave la fois par induction et par raisonnement Par induction certes car comme une maniegravere drsquoargumenter dans lrsquoexpression ne creacutee drsquoapparence qursquoen regard drsquoune phrase de raisonnement topique cette ressemblance ou bien sera dans lrsquoexpression ou bien dans la phrase En effet la troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoex-pression et dans la phrase ne diffegravere pas13 de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase Si elle est dans lrsquoexpression14 elle sera ou bien seulement en regard de la matiegravere de lrsquoexpression ou bien seulement en regard de la forme ou bien en regard de lrsquoune et de lrsquoautre de la matiegravere et de la forme Si en effet [crsquoest] seulement en regard de la matiegravere on a la tromperie de lrsquoaccent car dans deux expressions prononceacutees avec un accent diffeacuterent et ailleurs15 quand crsquoest la mecircme chose sur le plan phoneacutetique il nrsquoy a qursquoune seule matiegravere par exemple si je dis personne avec la syllabe du milieu bregraveve et personne avec la syllabe du milieu circonflexe16 Si ensuite crsquoest seulement en regard de la forme comme la terminaison17 appartient agrave

13 Differt On doit lire non differt 14 In oratione On doit lire in dictione 15 In aliis crsquoest-agrave-dire dans les phrases 16 Circumflexa de περισπ˘μενη tireacutee en sens contraire La syllabe circonflexe

est longue drsquoabord aigueuml ensuite grave 17 Terminatio Il y a une triple distinction agrave faire agrave propos du phonegraveme en ce

qursquoon en fait une expression appliqueacutee agrave signifier quelque chose On y trouve drsquoabord un son de base une racine agrave laquelle se rattache deacutejagrave la signification drsquoun type de choses puis on a le compleacutement de ce son de base dans la faccedilon dont on complegravete sa prononciation cela tient surtout mdash mais pas neacutecessairement uniquement mdash agrave sa terminaison agrave laquelle se rattache une maniegravere de renvoyer au type de choses viseacutees par la racine enfin il y a la modulation particuliegravere lrsquoaccentuation lrsquoinsistance plus ou moins grande donneacutee agrave chaque eacuteleacutement de lensemble racine-terminaison Une ressemblance en matiegravere seulement pour saint Albert crsquoest la mecircme racine et la mecircme terminaison mais un accent diffeacuterent une ressemblance en la forme seulement pour lui crsquoest la mecircme terminaison mais pas la mecircme racine En ce cas lrsquoaspect de lrsquoaccent nrsquoest pas pertinent puisque degraves le deacutebut il ne srsquoagit pas tout agrave fait du mecircme phonegraveme

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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selon que lrsquoon assume [une occasion puis] une autre et que crsquoest drsquoautant de maniegraveres qursquoavec les mecircmes noms ou phrases8 on pour-rait ne pas exprimer la mecircme chose9

Laissons de cocircteacute la premiegravere voie qui affecte trop lrsquoallure drsquoun deacutefi qui compterait sur une histoire assez complegravete de lrsquointelligence erroneacutee pour srsquoassurer agrave fond que cette derniegravere nrsquoaurait pas drsquoaventure treacutebucheacute sur quelque ambiguiumlteacute verbale eacutetrangegravere agrave cette liste Surtout que srsquoouvre une voie plus hautement rationnelle et plus eacuteconomique celle drsquoun raisonnement enracineacute dans la nature propre de lrsquoambiguiumlteacute verbale Mais ce raisonnement ne se laisse pas reconstituer aiseacutement Drsquoabord Aristote en donne seulement le principe et cela dans un texte drsquointelligence difficile ougrave srsquoentrecroisent les deux voies de preuve et leurs principes dans une lettre abreacutegeacutee agrave lrsquoextrecircme laquo ecircν τε ληφθῇ si lrsquoon assumehellip raquo ΛαμβIgraveνειν signifie techniquement lrsquoassomption drsquoune proposition ou plus preacuteciseacutement son obtention via le consentement de lrsquointerlocuteur Comme sujet de ληφθῇ on trouvera donc la matiegravere de propositions leacutegitimes pour en arriver agrave se faire lrsquoeacutevidence que les ambiguiumlteacutes verbales sont bien au nombre de six et celles-lagrave justement que lrsquoeacutenumeacuteration preacuteceacutedente a annonceacutees10 laquo Τε hellip καUcirchellip raquo marque dans ce contexte la coordination sur pied drsquoeacutegaliteacute de deux matiegraveres pertinentes Crsquoest deacutejagrave un avertissement de ne pas attendre dans les deux eacuteleacutements qui suivent la majeure et la mineure drsquoun mecircme raisonnement conjoints plus normalement

syllogisme Voir Yvan Pelletier La Dialectique aristoteacutelicienne Montreacuteal Bellarmin 1991 259 note 39

8 Λıγοις Dans ce contexte il y a deux espegraveces de λOcircξεις lrsquoexpression simple faite drsquoun seul mot dite τUgrave ƒνομα le nom et lrsquoexpression composeacutee faite de plusieurs mots iexcl λıγος la phrase le nom englobe le verbe ici plutocirct qursquoil ne srsquoy oppose et la phrase ne deacutesigne pas seulement lrsquoeacutenonciation complegravete mais deacutejagrave le bout de phrase la locution degraves qursquoil y a plus drsquoun mot Ailleurs lrsquoexpression pourra se prendre plus preacuteciseacutement pour lrsquoexpression simple et srsquoopposer agrave la phrase

9 Reacutefutations sophistiques 4 165b23-30 10 Agrave prendre trop largement ληφθῇ Tricot en arrive agrave ce contresens drsquointerpreacuteter

son sujet comme la conclusion du raisonnement pointeacute par Aristote

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par laquo μOcircνhellip δOcirchellip raquo mais surtout de ne pas ceacuteder agrave la tentation de reacuteduire agrave lrsquoinsignifiance le premier eacuteleacutement11 Car ce laquo τις ἄλλος raquo deacuteroute quelque peu agrave premiegravere lecture Neacuteanmoins agrave le voir ainsi coordonneacute avec ce qui suit asympτι qui dit plus manifestement la matiegravere du raisonnement on saisit que crsquoest comme principe de lrsquoinduction qursquoil meacuterite ce statut En somme dit Aristote on se convaincra par induction que telles sont les occasions de lrsquoapparence sophistique verbale si on en aperccediloit une puis une autre puis une autre jusqursquoagrave ne plus pouvoir en deacutecouvrir drsquoautre encore qui ne se reacuteduise agrave celles-lagrave Reste comme preacutemisse du raisonnement comme tel lrsquoassomption de ce fait que voilagrave justement telles et pas plus les maniegraveres dont on peut avec les mecircmes mots ou phrases ne pas vouloir dire la mecircme chose

On comprendra comment pareille affirmation procure la mineure du raisonnement qui nous inteacuteresse dans la mesure ougrave on a conscience du rocircle fondamental que joue dans la structure de tout raisonnement lrsquoassimilation drsquoune chose agrave une autre Toute lrsquointen-tion de lrsquointelligence raisonnante en effet consiste agrave faire adopter un eacutenonceacute qui revient agrave assimiler un attribut agrave un sujet mdash ou agrave lrsquoen seacuteparer Sa conclusion affirme mdash ou nie mdash que le sujet est la mecircme chose que lrsquoattribut elle eacutenonce qursquoen veacuteriteacute lrsquoun est lrsquoautre Tout homme est animal crsquoest-agrave-dire sous quelque rapport crsquoest la mecircme chose homme qursquoanimal Lrsquohabitude ambigueuml et tenace mdash dont srsquoinspire le remplacement en logique symbolique de la notion drsquouniversel par celle de classe mdash de se repreacutesenter la relation sujet-attribut moyennant lrsquoimagination drsquoun contenant et drsquoun contenu atteacutenue beaucoup la conscience de lrsquoidentiteacute que cette relation implique Par ailleurs non seulement le raisonnement veut toujours aboutir agrave lrsquoassimilation drsquoun sujet agrave un attribut mais son processus entier tient agrave lrsquoassimilation tour agrave tour de ce sujet et de cet attribut agrave quelque autre terme sur la foi directement issue du principe de non-contradiction que deux termes identiques agrave un mecircme troisiegraveme ne manqueront pas de srsquoidentifier entre eux Lrsquoessence du raisonne-

11 Agrave lrsquoinstar de Tricot qui srsquoen deacutebarrasse avec une parenthegravese ougrave Aristote

signalerait la possibiliteacute drsquoargumenter drsquoautres donneacutees

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ment tenant toute agrave une eacutevidence aussi simple toute imitation voudra donner lrsquoimpression de pareille assimilation on assimilera en preacutemisses le sujet et lrsquoattribut du problegraveme agrave un troisiegraveme terme qui ne soit le mecircme qursquoen apparence ou bien ce ne sera encore qursquoen apparence que ce sujet mecircme ou cet attribut mecircme auront drsquoabord eacuteteacute assimileacutes agrave ce moyen terme Drsquoougrave viendra cette fausse apparence drsquoidentiteacute Soit des choses mecircmes dont on parle qui paraicirctront les mecircmes lors qursquoelles ne le seront pas Soit comme cela nous inteacuteresse ici des mots et des phrases dans lesquelles on exprime leur identiteacute quand en eacutetant les mecircmes elles renverront pourtant agrave des choses qui ne le soient pas

Voilagrave donc drsquoougrave part notre raisonnement crsquoest la mecircme chose que des mots ou des phrases qui restant les mecircmes veulent dire autre chose et des sophismes verbaux De lagrave jaillit notre mineure comme une conseacutequence immeacutediate le nombre des seconds sera le nombre des premiers On pressent que la majeure reacutesidera dans la preacutetention agrave une certaine eacutevidence exhaustive sur les possibiliteacutes diverses de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes mots ou phrases Comment obtenir adeacutequatement cet eacuteclairage Albert le Grand peut nous y aider ce grand commentateur de la logique drsquoAristote qui ne se contente quasi jamais comme la plupart de paraphraser plus ou moins la lettre aristoteacutelicienne Le minerai albertien nrsquoest cependant pas pur il faut le deacutegager drsquoune gangue de consideacuterations drsquoadresse et de bonheur ineacutegaux Tout drsquoabord assez eacutetrangement Albert ne semble pas dans la preuve de lrsquoexhaustiviteacute de la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux avoir distingueacute nettement ce qui relegraveve des voies drsquoinduction et de raisonnement Bien qursquoil srsquoexprime exteacuterieurement comme srsquoil deacutecrivait tour agrave tour lrsquoune et lrsquoautre il ne dit rien en fait de linduction et deacuteveloppe toujours agrave quelquune de ses eacutetapes le raisonnement suggeacutereacute par Aristote Lisons dabord la preacutesentation qursquoil annonce comme celle du raisonnement qui donne effective-ment la forme des eacutenonceacutes dont il se compose

Par raisonnement on le prouve de la maniegravere qui suit Chaque fois qursquoavec les mecircmes noms ou phrases nous ne signifions pas la mecircme chose il se creacutee de lune de ces six maniegraveres une apparence

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dans lrsquoexpression Or en toute tromperie qui trompe par lrsquoexpression nous ne signifions pas la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases donc toute maniegravere drsquoargumenter en trompant par lrsquoexpres-sion se fait de lrsquoune de ces six maniegraveres Ainsi donc on obtient la conviction que ce sont celles-ci et tant et pas plus les maniegraveres drsquoargumenter sophistiquement par lrsquoexpression12

La majeure affirme comme je le disais la division des faccedilons de ne pas assigner aux mecircmes choses les mecircmes mots et phrases soit au long Ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose se fait de lrsquoune de ces six faccedilons homonymie amphi-bolie composition division accent aspect de lrsquoexpression On comprend qursquoAlbert signale seulement le nombre six sans faire au long lrsquoeacutenumeacuteration eacutevidente de par le contexte Toutefois il faut voir que lrsquoallusion agrave ce que de chacune de ces six maniegraveres i l se creacutee une apparence dans lrsquoexpression empiegravete deacutejagrave sur la mineure agrave laquelle il revient drsquoassimiler lrsquoapparence verbale et la signification diverse drsquoexpressions identiques Toute tromperie par lrsquoexpression consiste agrave ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose Suit la conclusion en la modaliteacute la plus puissante de la premiegravere figure de raisonnement Toute tromperie par lrsquoexpression se fait ou par lrsquohomonymie ou par lrsquoamphibolie ou par la composition ou par la division ou par lrsquoaccent ou par lrsquoaspect de lrsquoexpression

On revient agrave la question preacutealable drsquoougrave tenir lrsquoeacutevidence de cette division exhaustive en six maniegraveres de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes expressions On en trouve lrsquoindication au lieu ougrave Albert preacutetend deacutecrire la voie inductive qui conduirait concurremment agrave la conclusion preacuteceacutedente Traversons drsquoabord une premiegravere fois dans son ensemble lrsquoexplication albertienne sans nous deacutecourager de son caractegravere quelque peu tortueux et reacutebarbatif Nous pourrons deacutejagrave nous deacutefaire de quelques contresens attribuables agrave la neacutegligence de copistes

12 Albert le Grand Commentaria in libris elenchorum sophisticorum Aristotelis

tract I c 6 Dans la suite de lrsquoarticle je renverrai au premier livre de cette œuvre avec lrsquoabreacuteviation In I ES

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Qursquoil y en ait tant et pas plus on en a la preuve agrave la fois par induction et par raisonnement Par induction certes car comme une maniegravere drsquoargumenter dans lrsquoexpression ne creacutee drsquoapparence qursquoen regard drsquoune phrase de raisonnement topique cette ressemblance ou bien sera dans lrsquoexpression ou bien dans la phrase En effet la troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoex-pression et dans la phrase ne diffegravere pas13 de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase Si elle est dans lrsquoexpression14 elle sera ou bien seulement en regard de la matiegravere de lrsquoexpression ou bien seulement en regard de la forme ou bien en regard de lrsquoune et de lrsquoautre de la matiegravere et de la forme Si en effet [crsquoest] seulement en regard de la matiegravere on a la tromperie de lrsquoaccent car dans deux expressions prononceacutees avec un accent diffeacuterent et ailleurs15 quand crsquoest la mecircme chose sur le plan phoneacutetique il nrsquoy a qursquoune seule matiegravere par exemple si je dis personne avec la syllabe du milieu bregraveve et personne avec la syllabe du milieu circonflexe16 Si ensuite crsquoest seulement en regard de la forme comme la terminaison17 appartient agrave

13 Differt On doit lire non differt 14 In oratione On doit lire in dictione 15 In aliis crsquoest-agrave-dire dans les phrases 16 Circumflexa de περισπ˘μενη tireacutee en sens contraire La syllabe circonflexe

est longue drsquoabord aigueuml ensuite grave 17 Terminatio Il y a une triple distinction agrave faire agrave propos du phonegraveme en ce

qursquoon en fait une expression appliqueacutee agrave signifier quelque chose On y trouve drsquoabord un son de base une racine agrave laquelle se rattache deacutejagrave la signification drsquoun type de choses puis on a le compleacutement de ce son de base dans la faccedilon dont on complegravete sa prononciation cela tient surtout mdash mais pas neacutecessairement uniquement mdash agrave sa terminaison agrave laquelle se rattache une maniegravere de renvoyer au type de choses viseacutees par la racine enfin il y a la modulation particuliegravere lrsquoaccentuation lrsquoinsistance plus ou moins grande donneacutee agrave chaque eacuteleacutement de lensemble racine-terminaison Une ressemblance en matiegravere seulement pour saint Albert crsquoest la mecircme racine et la mecircme terminaison mais un accent diffeacuterent une ressemblance en la forme seulement pour lui crsquoest la mecircme terminaison mais pas la mecircme racine En ce cas lrsquoaspect de lrsquoaccent nrsquoest pas pertinent puisque degraves le deacutebut il ne srsquoagit pas tout agrave fait du mecircme phonegraveme

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

Yvan Pelletier

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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par laquo μOcircνhellip δOcirchellip raquo mais surtout de ne pas ceacuteder agrave la tentation de reacuteduire agrave lrsquoinsignifiance le premier eacuteleacutement11 Car ce laquo τις ἄλλος raquo deacuteroute quelque peu agrave premiegravere lecture Neacuteanmoins agrave le voir ainsi coordonneacute avec ce qui suit asympτι qui dit plus manifestement la matiegravere du raisonnement on saisit que crsquoest comme principe de lrsquoinduction qursquoil meacuterite ce statut En somme dit Aristote on se convaincra par induction que telles sont les occasions de lrsquoapparence sophistique verbale si on en aperccediloit une puis une autre puis une autre jusqursquoagrave ne plus pouvoir en deacutecouvrir drsquoautre encore qui ne se reacuteduise agrave celles-lagrave Reste comme preacutemisse du raisonnement comme tel lrsquoassomption de ce fait que voilagrave justement telles et pas plus les maniegraveres dont on peut avec les mecircmes mots ou phrases ne pas vouloir dire la mecircme chose

On comprendra comment pareille affirmation procure la mineure du raisonnement qui nous inteacuteresse dans la mesure ougrave on a conscience du rocircle fondamental que joue dans la structure de tout raisonnement lrsquoassimilation drsquoune chose agrave une autre Toute lrsquointen-tion de lrsquointelligence raisonnante en effet consiste agrave faire adopter un eacutenonceacute qui revient agrave assimiler un attribut agrave un sujet mdash ou agrave lrsquoen seacuteparer Sa conclusion affirme mdash ou nie mdash que le sujet est la mecircme chose que lrsquoattribut elle eacutenonce qursquoen veacuteriteacute lrsquoun est lrsquoautre Tout homme est animal crsquoest-agrave-dire sous quelque rapport crsquoest la mecircme chose homme qursquoanimal Lrsquohabitude ambigueuml et tenace mdash dont srsquoinspire le remplacement en logique symbolique de la notion drsquouniversel par celle de classe mdash de se repreacutesenter la relation sujet-attribut moyennant lrsquoimagination drsquoun contenant et drsquoun contenu atteacutenue beaucoup la conscience de lrsquoidentiteacute que cette relation implique Par ailleurs non seulement le raisonnement veut toujours aboutir agrave lrsquoassimilation drsquoun sujet agrave un attribut mais son processus entier tient agrave lrsquoassimilation tour agrave tour de ce sujet et de cet attribut agrave quelque autre terme sur la foi directement issue du principe de non-contradiction que deux termes identiques agrave un mecircme troisiegraveme ne manqueront pas de srsquoidentifier entre eux Lrsquoessence du raisonne-

11 Agrave lrsquoinstar de Tricot qui srsquoen deacutebarrasse avec une parenthegravese ougrave Aristote

signalerait la possibiliteacute drsquoargumenter drsquoautres donneacutees

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ment tenant toute agrave une eacutevidence aussi simple toute imitation voudra donner lrsquoimpression de pareille assimilation on assimilera en preacutemisses le sujet et lrsquoattribut du problegraveme agrave un troisiegraveme terme qui ne soit le mecircme qursquoen apparence ou bien ce ne sera encore qursquoen apparence que ce sujet mecircme ou cet attribut mecircme auront drsquoabord eacuteteacute assimileacutes agrave ce moyen terme Drsquoougrave viendra cette fausse apparence drsquoidentiteacute Soit des choses mecircmes dont on parle qui paraicirctront les mecircmes lors qursquoelles ne le seront pas Soit comme cela nous inteacuteresse ici des mots et des phrases dans lesquelles on exprime leur identiteacute quand en eacutetant les mecircmes elles renverront pourtant agrave des choses qui ne le soient pas

Voilagrave donc drsquoougrave part notre raisonnement crsquoest la mecircme chose que des mots ou des phrases qui restant les mecircmes veulent dire autre chose et des sophismes verbaux De lagrave jaillit notre mineure comme une conseacutequence immeacutediate le nombre des seconds sera le nombre des premiers On pressent que la majeure reacutesidera dans la preacutetention agrave une certaine eacutevidence exhaustive sur les possibiliteacutes diverses de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes mots ou phrases Comment obtenir adeacutequatement cet eacuteclairage Albert le Grand peut nous y aider ce grand commentateur de la logique drsquoAristote qui ne se contente quasi jamais comme la plupart de paraphraser plus ou moins la lettre aristoteacutelicienne Le minerai albertien nrsquoest cependant pas pur il faut le deacutegager drsquoune gangue de consideacuterations drsquoadresse et de bonheur ineacutegaux Tout drsquoabord assez eacutetrangement Albert ne semble pas dans la preuve de lrsquoexhaustiviteacute de la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux avoir distingueacute nettement ce qui relegraveve des voies drsquoinduction et de raisonnement Bien qursquoil srsquoexprime exteacuterieurement comme srsquoil deacutecrivait tour agrave tour lrsquoune et lrsquoautre il ne dit rien en fait de linduction et deacuteveloppe toujours agrave quelquune de ses eacutetapes le raisonnement suggeacutereacute par Aristote Lisons dabord la preacutesentation qursquoil annonce comme celle du raisonnement qui donne effective-ment la forme des eacutenonceacutes dont il se compose

Par raisonnement on le prouve de la maniegravere qui suit Chaque fois qursquoavec les mecircmes noms ou phrases nous ne signifions pas la mecircme chose il se creacutee de lune de ces six maniegraveres une apparence

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dans lrsquoexpression Or en toute tromperie qui trompe par lrsquoexpression nous ne signifions pas la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases donc toute maniegravere drsquoargumenter en trompant par lrsquoexpres-sion se fait de lrsquoune de ces six maniegraveres Ainsi donc on obtient la conviction que ce sont celles-ci et tant et pas plus les maniegraveres drsquoargumenter sophistiquement par lrsquoexpression12

La majeure affirme comme je le disais la division des faccedilons de ne pas assigner aux mecircmes choses les mecircmes mots et phrases soit au long Ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose se fait de lrsquoune de ces six faccedilons homonymie amphi-bolie composition division accent aspect de lrsquoexpression On comprend qursquoAlbert signale seulement le nombre six sans faire au long lrsquoeacutenumeacuteration eacutevidente de par le contexte Toutefois il faut voir que lrsquoallusion agrave ce que de chacune de ces six maniegraveres i l se creacutee une apparence dans lrsquoexpression empiegravete deacutejagrave sur la mineure agrave laquelle il revient drsquoassimiler lrsquoapparence verbale et la signification diverse drsquoexpressions identiques Toute tromperie par lrsquoexpression consiste agrave ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose Suit la conclusion en la modaliteacute la plus puissante de la premiegravere figure de raisonnement Toute tromperie par lrsquoexpression se fait ou par lrsquohomonymie ou par lrsquoamphibolie ou par la composition ou par la division ou par lrsquoaccent ou par lrsquoaspect de lrsquoexpression

On revient agrave la question preacutealable drsquoougrave tenir lrsquoeacutevidence de cette division exhaustive en six maniegraveres de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes expressions On en trouve lrsquoindication au lieu ougrave Albert preacutetend deacutecrire la voie inductive qui conduirait concurremment agrave la conclusion preacuteceacutedente Traversons drsquoabord une premiegravere fois dans son ensemble lrsquoexplication albertienne sans nous deacutecourager de son caractegravere quelque peu tortueux et reacutebarbatif Nous pourrons deacutejagrave nous deacutefaire de quelques contresens attribuables agrave la neacutegligence de copistes

12 Albert le Grand Commentaria in libris elenchorum sophisticorum Aristotelis

tract I c 6 Dans la suite de lrsquoarticle je renverrai au premier livre de cette œuvre avec lrsquoabreacuteviation In I ES

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Qursquoil y en ait tant et pas plus on en a la preuve agrave la fois par induction et par raisonnement Par induction certes car comme une maniegravere drsquoargumenter dans lrsquoexpression ne creacutee drsquoapparence qursquoen regard drsquoune phrase de raisonnement topique cette ressemblance ou bien sera dans lrsquoexpression ou bien dans la phrase En effet la troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoex-pression et dans la phrase ne diffegravere pas13 de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase Si elle est dans lrsquoexpression14 elle sera ou bien seulement en regard de la matiegravere de lrsquoexpression ou bien seulement en regard de la forme ou bien en regard de lrsquoune et de lrsquoautre de la matiegravere et de la forme Si en effet [crsquoest] seulement en regard de la matiegravere on a la tromperie de lrsquoaccent car dans deux expressions prononceacutees avec un accent diffeacuterent et ailleurs15 quand crsquoest la mecircme chose sur le plan phoneacutetique il nrsquoy a qursquoune seule matiegravere par exemple si je dis personne avec la syllabe du milieu bregraveve et personne avec la syllabe du milieu circonflexe16 Si ensuite crsquoest seulement en regard de la forme comme la terminaison17 appartient agrave

13 Differt On doit lire non differt 14 In oratione On doit lire in dictione 15 In aliis crsquoest-agrave-dire dans les phrases 16 Circumflexa de περισπ˘μενη tireacutee en sens contraire La syllabe circonflexe

est longue drsquoabord aigueuml ensuite grave 17 Terminatio Il y a une triple distinction agrave faire agrave propos du phonegraveme en ce

qursquoon en fait une expression appliqueacutee agrave signifier quelque chose On y trouve drsquoabord un son de base une racine agrave laquelle se rattache deacutejagrave la signification drsquoun type de choses puis on a le compleacutement de ce son de base dans la faccedilon dont on complegravete sa prononciation cela tient surtout mdash mais pas neacutecessairement uniquement mdash agrave sa terminaison agrave laquelle se rattache une maniegravere de renvoyer au type de choses viseacutees par la racine enfin il y a la modulation particuliegravere lrsquoaccentuation lrsquoinsistance plus ou moins grande donneacutee agrave chaque eacuteleacutement de lensemble racine-terminaison Une ressemblance en matiegravere seulement pour saint Albert crsquoest la mecircme racine et la mecircme terminaison mais un accent diffeacuterent une ressemblance en la forme seulement pour lui crsquoest la mecircme terminaison mais pas la mecircme racine En ce cas lrsquoaspect de lrsquoaccent nrsquoest pas pertinent puisque degraves le deacutebut il ne srsquoagit pas tout agrave fait du mecircme phonegraveme

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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ment tenant toute agrave une eacutevidence aussi simple toute imitation voudra donner lrsquoimpression de pareille assimilation on assimilera en preacutemisses le sujet et lrsquoattribut du problegraveme agrave un troisiegraveme terme qui ne soit le mecircme qursquoen apparence ou bien ce ne sera encore qursquoen apparence que ce sujet mecircme ou cet attribut mecircme auront drsquoabord eacuteteacute assimileacutes agrave ce moyen terme Drsquoougrave viendra cette fausse apparence drsquoidentiteacute Soit des choses mecircmes dont on parle qui paraicirctront les mecircmes lors qursquoelles ne le seront pas Soit comme cela nous inteacuteresse ici des mots et des phrases dans lesquelles on exprime leur identiteacute quand en eacutetant les mecircmes elles renverront pourtant agrave des choses qui ne le soient pas

Voilagrave donc drsquoougrave part notre raisonnement crsquoest la mecircme chose que des mots ou des phrases qui restant les mecircmes veulent dire autre chose et des sophismes verbaux De lagrave jaillit notre mineure comme une conseacutequence immeacutediate le nombre des seconds sera le nombre des premiers On pressent que la majeure reacutesidera dans la preacutetention agrave une certaine eacutevidence exhaustive sur les possibiliteacutes diverses de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes mots ou phrases Comment obtenir adeacutequatement cet eacuteclairage Albert le Grand peut nous y aider ce grand commentateur de la logique drsquoAristote qui ne se contente quasi jamais comme la plupart de paraphraser plus ou moins la lettre aristoteacutelicienne Le minerai albertien nrsquoest cependant pas pur il faut le deacutegager drsquoune gangue de consideacuterations drsquoadresse et de bonheur ineacutegaux Tout drsquoabord assez eacutetrangement Albert ne semble pas dans la preuve de lrsquoexhaustiviteacute de la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux avoir distingueacute nettement ce qui relegraveve des voies drsquoinduction et de raisonnement Bien qursquoil srsquoexprime exteacuterieurement comme srsquoil deacutecrivait tour agrave tour lrsquoune et lrsquoautre il ne dit rien en fait de linduction et deacuteveloppe toujours agrave quelquune de ses eacutetapes le raisonnement suggeacutereacute par Aristote Lisons dabord la preacutesentation qursquoil annonce comme celle du raisonnement qui donne effective-ment la forme des eacutenonceacutes dont il se compose

Par raisonnement on le prouve de la maniegravere qui suit Chaque fois qursquoavec les mecircmes noms ou phrases nous ne signifions pas la mecircme chose il se creacutee de lune de ces six maniegraveres une apparence

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dans lrsquoexpression Or en toute tromperie qui trompe par lrsquoexpression nous ne signifions pas la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases donc toute maniegravere drsquoargumenter en trompant par lrsquoexpres-sion se fait de lrsquoune de ces six maniegraveres Ainsi donc on obtient la conviction que ce sont celles-ci et tant et pas plus les maniegraveres drsquoargumenter sophistiquement par lrsquoexpression12

La majeure affirme comme je le disais la division des faccedilons de ne pas assigner aux mecircmes choses les mecircmes mots et phrases soit au long Ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose se fait de lrsquoune de ces six faccedilons homonymie amphi-bolie composition division accent aspect de lrsquoexpression On comprend qursquoAlbert signale seulement le nombre six sans faire au long lrsquoeacutenumeacuteration eacutevidente de par le contexte Toutefois il faut voir que lrsquoallusion agrave ce que de chacune de ces six maniegraveres i l se creacutee une apparence dans lrsquoexpression empiegravete deacutejagrave sur la mineure agrave laquelle il revient drsquoassimiler lrsquoapparence verbale et la signification diverse drsquoexpressions identiques Toute tromperie par lrsquoexpression consiste agrave ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose Suit la conclusion en la modaliteacute la plus puissante de la premiegravere figure de raisonnement Toute tromperie par lrsquoexpression se fait ou par lrsquohomonymie ou par lrsquoamphibolie ou par la composition ou par la division ou par lrsquoaccent ou par lrsquoaspect de lrsquoexpression

On revient agrave la question preacutealable drsquoougrave tenir lrsquoeacutevidence de cette division exhaustive en six maniegraveres de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes expressions On en trouve lrsquoindication au lieu ougrave Albert preacutetend deacutecrire la voie inductive qui conduirait concurremment agrave la conclusion preacuteceacutedente Traversons drsquoabord une premiegravere fois dans son ensemble lrsquoexplication albertienne sans nous deacutecourager de son caractegravere quelque peu tortueux et reacutebarbatif Nous pourrons deacutejagrave nous deacutefaire de quelques contresens attribuables agrave la neacutegligence de copistes

12 Albert le Grand Commentaria in libris elenchorum sophisticorum Aristotelis

tract I c 6 Dans la suite de lrsquoarticle je renverrai au premier livre de cette œuvre avec lrsquoabreacuteviation In I ES

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Qursquoil y en ait tant et pas plus on en a la preuve agrave la fois par induction et par raisonnement Par induction certes car comme une maniegravere drsquoargumenter dans lrsquoexpression ne creacutee drsquoapparence qursquoen regard drsquoune phrase de raisonnement topique cette ressemblance ou bien sera dans lrsquoexpression ou bien dans la phrase En effet la troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoex-pression et dans la phrase ne diffegravere pas13 de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase Si elle est dans lrsquoexpression14 elle sera ou bien seulement en regard de la matiegravere de lrsquoexpression ou bien seulement en regard de la forme ou bien en regard de lrsquoune et de lrsquoautre de la matiegravere et de la forme Si en effet [crsquoest] seulement en regard de la matiegravere on a la tromperie de lrsquoaccent car dans deux expressions prononceacutees avec un accent diffeacuterent et ailleurs15 quand crsquoest la mecircme chose sur le plan phoneacutetique il nrsquoy a qursquoune seule matiegravere par exemple si je dis personne avec la syllabe du milieu bregraveve et personne avec la syllabe du milieu circonflexe16 Si ensuite crsquoest seulement en regard de la forme comme la terminaison17 appartient agrave

13 Differt On doit lire non differt 14 In oratione On doit lire in dictione 15 In aliis crsquoest-agrave-dire dans les phrases 16 Circumflexa de περισπ˘μενη tireacutee en sens contraire La syllabe circonflexe

est longue drsquoabord aigueuml ensuite grave 17 Terminatio Il y a une triple distinction agrave faire agrave propos du phonegraveme en ce

qursquoon en fait une expression appliqueacutee agrave signifier quelque chose On y trouve drsquoabord un son de base une racine agrave laquelle se rattache deacutejagrave la signification drsquoun type de choses puis on a le compleacutement de ce son de base dans la faccedilon dont on complegravete sa prononciation cela tient surtout mdash mais pas neacutecessairement uniquement mdash agrave sa terminaison agrave laquelle se rattache une maniegravere de renvoyer au type de choses viseacutees par la racine enfin il y a la modulation particuliegravere lrsquoaccentuation lrsquoinsistance plus ou moins grande donneacutee agrave chaque eacuteleacutement de lensemble racine-terminaison Une ressemblance en matiegravere seulement pour saint Albert crsquoest la mecircme racine et la mecircme terminaison mais un accent diffeacuterent une ressemblance en la forme seulement pour lui crsquoest la mecircme terminaison mais pas la mecircme racine En ce cas lrsquoaspect de lrsquoaccent nrsquoest pas pertinent puisque degraves le deacutebut il ne srsquoagit pas tout agrave fait du mecircme phonegraveme

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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dans lrsquoexpression Or en toute tromperie qui trompe par lrsquoexpression nous ne signifions pas la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases donc toute maniegravere drsquoargumenter en trompant par lrsquoexpres-sion se fait de lrsquoune de ces six maniegraveres Ainsi donc on obtient la conviction que ce sont celles-ci et tant et pas plus les maniegraveres drsquoargumenter sophistiquement par lrsquoexpression12

La majeure affirme comme je le disais la division des faccedilons de ne pas assigner aux mecircmes choses les mecircmes mots et phrases soit au long Ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose se fait de lrsquoune de ces six faccedilons homonymie amphi-bolie composition division accent aspect de lrsquoexpression On comprend qursquoAlbert signale seulement le nombre six sans faire au long lrsquoeacutenumeacuteration eacutevidente de par le contexte Toutefois il faut voir que lrsquoallusion agrave ce que de chacune de ces six maniegraveres i l se creacutee une apparence dans lrsquoexpression empiegravete deacutejagrave sur la mineure agrave laquelle il revient drsquoassimiler lrsquoapparence verbale et la signification diverse drsquoexpressions identiques Toute tromperie par lrsquoexpression consiste agrave ne pas avec les mecircmes noms ou phrases signifier la mecircme chose Suit la conclusion en la modaliteacute la plus puissante de la premiegravere figure de raisonnement Toute tromperie par lrsquoexpression se fait ou par lrsquohomonymie ou par lrsquoamphibolie ou par la composition ou par la division ou par lrsquoaccent ou par lrsquoaspect de lrsquoexpression

On revient agrave la question preacutealable drsquoougrave tenir lrsquoeacutevidence de cette division exhaustive en six maniegraveres de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec les mecircmes expressions On en trouve lrsquoindication au lieu ougrave Albert preacutetend deacutecrire la voie inductive qui conduirait concurremment agrave la conclusion preacuteceacutedente Traversons drsquoabord une premiegravere fois dans son ensemble lrsquoexplication albertienne sans nous deacutecourager de son caractegravere quelque peu tortueux et reacutebarbatif Nous pourrons deacutejagrave nous deacutefaire de quelques contresens attribuables agrave la neacutegligence de copistes

12 Albert le Grand Commentaria in libris elenchorum sophisticorum Aristotelis

tract I c 6 Dans la suite de lrsquoarticle je renverrai au premier livre de cette œuvre avec lrsquoabreacuteviation In I ES

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Qursquoil y en ait tant et pas plus on en a la preuve agrave la fois par induction et par raisonnement Par induction certes car comme une maniegravere drsquoargumenter dans lrsquoexpression ne creacutee drsquoapparence qursquoen regard drsquoune phrase de raisonnement topique cette ressemblance ou bien sera dans lrsquoexpression ou bien dans la phrase En effet la troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoex-pression et dans la phrase ne diffegravere pas13 de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase Si elle est dans lrsquoexpression14 elle sera ou bien seulement en regard de la matiegravere de lrsquoexpression ou bien seulement en regard de la forme ou bien en regard de lrsquoune et de lrsquoautre de la matiegravere et de la forme Si en effet [crsquoest] seulement en regard de la matiegravere on a la tromperie de lrsquoaccent car dans deux expressions prononceacutees avec un accent diffeacuterent et ailleurs15 quand crsquoest la mecircme chose sur le plan phoneacutetique il nrsquoy a qursquoune seule matiegravere par exemple si je dis personne avec la syllabe du milieu bregraveve et personne avec la syllabe du milieu circonflexe16 Si ensuite crsquoest seulement en regard de la forme comme la terminaison17 appartient agrave

13 Differt On doit lire non differt 14 In oratione On doit lire in dictione 15 In aliis crsquoest-agrave-dire dans les phrases 16 Circumflexa de περισπ˘μενη tireacutee en sens contraire La syllabe circonflexe

est longue drsquoabord aigueuml ensuite grave 17 Terminatio Il y a une triple distinction agrave faire agrave propos du phonegraveme en ce

qursquoon en fait une expression appliqueacutee agrave signifier quelque chose On y trouve drsquoabord un son de base une racine agrave laquelle se rattache deacutejagrave la signification drsquoun type de choses puis on a le compleacutement de ce son de base dans la faccedilon dont on complegravete sa prononciation cela tient surtout mdash mais pas neacutecessairement uniquement mdash agrave sa terminaison agrave laquelle se rattache une maniegravere de renvoyer au type de choses viseacutees par la racine enfin il y a la modulation particuliegravere lrsquoaccentuation lrsquoinsistance plus ou moins grande donneacutee agrave chaque eacuteleacutement de lensemble racine-terminaison Une ressemblance en matiegravere seulement pour saint Albert crsquoest la mecircme racine et la mecircme terminaison mais un accent diffeacuterent une ressemblance en la forme seulement pour lui crsquoest la mecircme terminaison mais pas la mecircme racine En ce cas lrsquoaspect de lrsquoaccent nrsquoest pas pertinent puisque degraves le deacutebut il ne srsquoagit pas tout agrave fait du mecircme phonegraveme

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Qursquoil y en ait tant et pas plus on en a la preuve agrave la fois par induction et par raisonnement Par induction certes car comme une maniegravere drsquoargumenter dans lrsquoexpression ne creacutee drsquoapparence qursquoen regard drsquoune phrase de raisonnement topique cette ressemblance ou bien sera dans lrsquoexpression ou bien dans la phrase En effet la troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoex-pression et dans la phrase ne diffegravere pas13 de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase Si elle est dans lrsquoexpression14 elle sera ou bien seulement en regard de la matiegravere de lrsquoexpression ou bien seulement en regard de la forme ou bien en regard de lrsquoune et de lrsquoautre de la matiegravere et de la forme Si en effet [crsquoest] seulement en regard de la matiegravere on a la tromperie de lrsquoaccent car dans deux expressions prononceacutees avec un accent diffeacuterent et ailleurs15 quand crsquoest la mecircme chose sur le plan phoneacutetique il nrsquoy a qursquoune seule matiegravere par exemple si je dis personne avec la syllabe du milieu bregraveve et personne avec la syllabe du milieu circonflexe16 Si ensuite crsquoest seulement en regard de la forme comme la terminaison17 appartient agrave

13 Differt On doit lire non differt 14 In oratione On doit lire in dictione 15 In aliis crsquoest-agrave-dire dans les phrases 16 Circumflexa de περισπ˘μενη tireacutee en sens contraire La syllabe circonflexe

est longue drsquoabord aigueuml ensuite grave 17 Terminatio Il y a une triple distinction agrave faire agrave propos du phonegraveme en ce

qursquoon en fait une expression appliqueacutee agrave signifier quelque chose On y trouve drsquoabord un son de base une racine agrave laquelle se rattache deacutejagrave la signification drsquoun type de choses puis on a le compleacutement de ce son de base dans la faccedilon dont on complegravete sa prononciation cela tient surtout mdash mais pas neacutecessairement uniquement mdash agrave sa terminaison agrave laquelle se rattache une maniegravere de renvoyer au type de choses viseacutees par la racine enfin il y a la modulation particuliegravere lrsquoaccentuation lrsquoinsistance plus ou moins grande donneacutee agrave chaque eacuteleacutement de lensemble racine-terminaison Une ressemblance en matiegravere seulement pour saint Albert crsquoest la mecircme racine et la mecircme terminaison mais un accent diffeacuterent une ressemblance en la forme seulement pour lui crsquoest la mecircme terminaison mais pas la mecircme racine En ce cas lrsquoaspect de lrsquoaccent nrsquoest pas pertinent puisque degraves le deacutebut il ne srsquoagit pas tout agrave fait du mecircme phonegraveme

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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la forme de lrsquoexpression 18 on aura la tromperie de lrsquoaspect de lrsquoexpression19 Si ensuite crsquoest en regard de lrsquoune et lrsquoautre en mecircme temps on aura lrsquohomonymie qui comporte mecircme phonegraveme20 agrave la fois quant agrave la matiegravere et quant agrave la forme Crsquoest ainsi que lrsquoon obtient lrsquoeacutevidence par induction car il en va ainsi dans le phonegraveme incomplexe et pareillement dans le phonegraveme complexe et il nrsquoy en a pas plus mais tant il y a donc six maniegraveres Car si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera ou bien en regard de la matiegravere et de la forme et ainsi on a lrsquoamphibolie ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression ou bien seulement en regard de la matiegravere et ainsi on aura la composi-tion et la division si en effet on prononce en une prononciation

18 Forma dictionis 19 Figura dictionis Forma et figura ont ici un sens tregraves voisin drsquoabord la forme

en elle-mecircme en ce qursquoelle fait la nature de lrsquoexpression ensuite la forme dans son apparence exteacuterieure dans lrsquoaspect qursquoelle donne agrave lrsquoexpression lrsquoallure de lrsquoexpression

20 Comme vox et φωνή phonegraveme deacutesigne tout son produit par le langage articuleacute en commenccedilant par le plus eacuteleacutementaire voyelle ou consonne Les termes latin et grec ont porteacute leur extension au son vocal assez composeacute pour revecirctir un sens agrave linteacuterieur du langage On pourrait objecter que phonegraveme a jusqursquoici eacuteteacute reacuteserveacute agrave lrsquoexpression technique des tout premiers eacuteleacutements vocaux je crois pour ma part qursquoil vaut mieux lui imposer lrsquoextension plus large des deux autres plutocirct que de continuer lrsquohabitude un peu lourde de rendre φωνὴ et vox par les peacuteriphrases son vocal ou son de voix Car on ne peut pas non plus pour deacutesigner un son particulier eacutemis par un animal et susceptible drsquoune signification srsquoen tenir agrave voix qui ne renvoie pas spontaneacutement agrave un son particulier eacutemis mais agrave lrsquoorgane de la parole ou agrave un ensemble de qualiteacutes des sons eacutemis par une personne donneacutee ni agrave son qui a trop drsquoextension deacutesignant tout objet de lrsquoouiumle On pourra encore objecter que phonegraveme est restreint agrave la signification des sons articuleacutes de la voix humaine tandis qursquoAristote appelle φωνὴ jusqursquoaux geacutemissements inarticuleacutes et aux cris des animaux ce que le latin traduit encore par vox Mais la mecircme difficulteacute vaut pour son de voix ou son vocal et lrsquoextension qui lui est neacutecessaire pour rejoindre le son animal inarticuleacute se fait aussi bien pour phonegraveme La mecircme extension nrsquoa-t-elle drsquoailleurs pas eacuteteacute neacutecessaire avec vox dont la premiegravere imposition paraicirct bien srsquoecirctre restreinte au son articuleacute

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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continue la phrase sera composeacutee et si on la prononce en des pro-nonciations diffeacuterentes21 elle sera diviseacutee or la phrase composeacutee et la diviseacutee se ressemblent seulement quant agrave leur matiegravere22

Lrsquoallusion au raisonnement topique crsquoest-agrave-dire dialectique nous inteacuteresse peu ici Certes il y a inteacuterecirct agrave rester conscient que la chicane et la sophistique se veulent plus preacuteciseacutement une imitation de la dialectique et que lrsquoimitation de la science est plutocirct affaire de pseudographie Mais notre inteacuterecirct central ici est de saisir les critegraveres drsquoapregraves lesquels discerner les faccedilons speacutecifiquement diffeacuterentes de renvoyer avec les mecircmes expressions agrave des choses diverses Agrave remarquer drsquoentreacutee de jeu par contre lrsquoapparition du mot convenientia en quasi-synonymie avec apparentia la racine de lrsquoapparence ce sera la ressemblance plutocirct que lrsquoidentiteacute que preacutesente en ses deux occurrences lrsquoexpression utiliseacutee Comme le dira plus clairement Albert plus loin il ne faut pas prendre trop strictement le fait drsquoune mecircme expression laquo Quand on dit ne pas signifier la mecircme chose avec les mecircmes noms ou phrases on doit prendre la mecircme chose et la mecircme phrase de maniegravere large raquo23 Notre question se preacutecise quelles sont les ressemblances qursquoentretiennent entre elles les expressions et qui conduisent agrave confondre leurs usages pour des choses diffeacuterentes Le premier principe de division noteacute par Albert suggegravere que cette confusion revecirctirait une nature diffeacuterente dans lrsquoexpression simple et dans la phrase cette derniegravere lrsquooratio eacutetant entendue au sens tregraves large de tout groupement de mots non au sens restreint drsquoun eacutenonceacute complet Ne nous emballons pas neacuteanmoins malgreacute la seacuteduction que deacutegage tout de suite un critegravere aussi simple il faudra avant de lrsquoaccepter deacutefinitivement srsquoassurer qursquoeffectivement un mecircme bout de phrase ne renvoie pas agrave plusieurs sens de la mecircme maniegravere qursquoun mecircme mot dans le cas contraire y recourir pour diviser lrsquoopeacuteration viseacutee ne deacutepasserait pas le verbiage comme crsquoest le cas drsquoun troisiegraveme membre qursquoAlbert eacutecarte lui-mecircme justement pour cette raison

21 Diversis prolationibus avec solution de continuiteacute dans la prononciation 22 In I ES I 6 23 In I ES I 6

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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laquo La troisiegraveme ressemblance que lrsquoon pourrait avoir agrave la fois dans lrsquoexpression et dans la phrase ne diffegravere pas de la ressemblance que lrsquoon a dans la phrase raquo24

Nous reviendrons plus loin agrave cette division entre ressemblance entre mots et ressemblance entre bouts de phrase25 Suivons quand mecircme Albert qui srsquoapprecircte agrave sous-diviser les ressemblances entre mots cette ressemblance portera dit-il tantocirct sur la matiegravere tantocirct sur la forme des mots tantocirct sur les deux agrave la fois Qursquoest-ce agrave dire Albert nous introduit dans lrsquointimiteacute essentielle de lrsquoexpression simple Car crsquoest agrave voir ce qursquoelle est essentiellement que lrsquoon appreacutehendera par quoi elle se precircte agrave ressembler agrave une autre Or qursquoest-ce qursquoun mot qursquoest-ce qursquoune expression simple Crsquoest le plus mateacuteriellement un phonegraveme de base un radical qui deacutejagrave renvoie agrave une signification geacuteneacuterique agrave une famille de signification just- par exemple renvoie agrave la rectitude des rapports drsquoeacutechange entre les hommes Crsquoest ensuite deacutejagrave formellement une finition mdashtenant principalement de fait mais pas toujours uniquement agrave la terminaison de lrsquoexpression mdash qui renvoie agrave une maniegravere speacutecifique drsquoenvisager la signification radicale -ice par exemple et -e en terminant just- preacuteciseront respectivement que cette rectitude de rapport est signifieacutee en elle-mecircme ou comme qualiteacute drsquoun sujet En-fin plus formellement encore un tour deacutetermineacute de prononciation insistera ou non de quelque maniegravere sur chacun des eacuteleacutements vo-caux donnant encore occasion de renvoyer eacuteventuellement agrave une diversiteacute correspondante de reacutealiteacutes Crsquoest sur cette toile de fond que se dessinent les opportuniteacutes particuliegraveres qui srsquooffrent agrave une expression de ressembler assez agrave une autre pour donner lrsquoimpression de renvoyer agrave la mecircme chose agrave laquelle cette autre renvoie

A Lrsquoaccent La confusion peut tirer occasion drsquoune ressemblance mateacuterielle

la matiegravere srsquoentendant alors du radical et de la terminaison en

24 In I ES I 6 25 Voir infra 64

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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opposition agrave la forme qui reacutesidera dans un tour de prononciation dont on tacircchera autant que possible de camoufler la diffeacuterence De ce type de confusion sortira le sophisme de lrsquoaccent qui revecirct lui-mecircme autant de modaliteacutes que des variables susceptibles drsquoentraicircner une reacutefeacuterence agrave des choses diffeacuterentes toucheront lrsquoouiumle dans la prononciation des mecircmes sons de base Lrsquoaccent a acceacutedeacute au statut de patronyme de ces variables du fait qursquoil en constitue la principale en grec ougrave le mecircme agencement de syllabes reccediloit une distribution varieacutee drsquoaigu de grave et de circonflexe qui renvoie agrave une variation correspondante de sens Mais lagrave ne reacuteside pas la seule variable sus-ceptible drsquoengendrer de la confusion en drsquoautres langues comme en franccedilais ougrave lrsquoaccent intervient fort peu ce ne sera mecircme pas la principale Aussi faut-il encore entendre par accent en ce contexte lrsquoaspiration26 la dureacutee et peut-ecirctre aussi le timbre qui joue un assez grand rocircle en franccedilais pour qursquoon en soit venu agrave nrsquoy recon-naicirctre comme accents grave aigu et circonflexe que les degreacutes drsquoouverture ou de fermeture des voyelles27 Enfin la confusion agrave

26 laquo En ce lieu Aristote signifie avec lrsquoappellation drsquoaccent mecircme lrsquoaspiration

bien que les grammairiens ne lrsquoappellent pas accent mais esprit raquo (Julius Pacius a Beriga In librum singularem Aristotelis de sophisticis elenchis commentarius analyticus 484b) mdash laquo Il y a tromperie de lrsquoaccent quand nous prenons avec un autre accent ou esprit un son vocal qui doit se prendre avec tel accent ou esprit Avec comme conseacutequence qursquoensuite nous reprochons agrave la proposition drsquoecirctre absurde raquo (Sylvester Maurus In duos libros elenchorum 575a)

27 Je mrsquoeacutecarte quelque peu avec cette extension plus grande de la racine du sophisme de lrsquoaccent de la penseacutee privileacutegieacutee par Albert qui neacuteglige comme minimes ces variations de prononciation et range sous lrsquohomonymie la con-fusion qui peut en ressortir Comparer laquo Par ailleurs avec une diffeacuterence dans la dureacutee [tempus dureacutee de la prononciation dune voyelle] la syllabe ou lrsquoexpression garde la mecircme matiegravere et reste la mecircme pour la prononciation crsquoest pourquoi elle ne diffegravere pas de sens ni ne fait de multipliciteacute de sens potentiellehellip Ou si quelque chose diffegravere il y aura homonymie et non accent Parce que lrsquoaccent veut avoir mecircme matiegravere et maniegravere diffeacuterente de pronon-cer Pareillement encore lrsquoesprit qui incombe agrave lrsquoexpression ne diffeacuterencie pas lrsquoexpression quant agrave sa matiegravere ni pour la maniegravere de prononcerhellip Or quand un nom est le mecircme quant agrave sa matiegravere et quant agrave sa prononciation et que ses signifieacutes sont diffeacuterents crsquoest de lrsquohomonymie que lrsquoon ahellipraquo (In I ES I 6) Toutefois ce nrsquoest pas sans aucune heacutesitation qursquoil prend ce parti

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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laquelle precircte ce tour diffeacuterent de prononciation pourra traiter comme identiques soit une expression simple de part et drsquoautre soit une expression simple dune part et une pluraliteacute dexpressions de lrsquoautre Crsquoest drsquoailleurs en cela qursquoAlbert voit la principale subdivision de ce sophisme en modaliteacutes

Par ailleurs les deux modaliteacutes qui ont eacuteteacute preacutesenteacutees pour la tromperie de laccent se prennent en regard de deux variations drsquoaccent [Lrsquoaccent] en effet peut varier drsquoun agrave plusieurs ou inver-sement et ainsi on a la premiegravere modaliteacute comme suit Rien de ce qui est contraint nrsquoest libre Tout plaisir qui dure est une chose qursquoon traicircne Aucun plaisir qui dure nrsquoest libre28 Lrsquoaccent peut aussi varier drsquoune diffeacuterence agrave une autre diffeacuterence et on a ainsi la seconde modaliteacute2930

B Lrsquoaspect de lrsquoexpression La confusion peut ensuite tirer occasion drsquoune ressemblance

formelle la forme srsquoentendant ici de la finition donneacutee agrave lrsquoexpression mdash geacuteneacuteralement une terminaison une deacutesinence mdash pour consignifier un certain aspect sous lequel on renvoie agrave la signification principale que comporte son radical La confusion ne consistera pas alors agrave identifier deux choses diffeacuterentes signifieacutees mais plutocirct deux faccedilons diffeacuterentes de les concevoir ce qui se

comme on peut en observer un signe plus loin laquo Cependant certains Anciens ont preacutetendu que lrsquoerreur causeacutee par lrsquoesprit et la dureacutee se reacuteduit agrave la tromperie de lrsquoaccenthellip Cette preacutesentation nest pas inconvenanteraquo (In I ES I 6)

28 Toute lrsquoapparence reacuteside dans la prononciation semblable drsquoun mot unique contraint accompagneacute du son initial du mot qui le suit nn et dun groupe de mots qursquoon traicircne mdash Lrsquoexemple original de saint Albert en latin laquo Quidquid Deus fecit invite fecit invitus sed vinum fecit in vite ergo vinum fecit invitus raquo crsquoest-agrave-dire laquo Tout ce que Dieu a fait invite malgreacute lui il la fait contre son greacute or il a fait le vin in vite dans la vigne donc il a fait le vin contre son greacute raquo

29 Crsquoest-agrave-dire les mecircmes sons exactement agrave lrsquointeacuterieur de ce qui ne fait qursquoun seul mot mais la syllabe accentueacutee passe de lrsquoaigu au circonflexe ou au grave ou inversement

30 In I ES II 10

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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subdivisera en autant de modaliteacutes que la langue aura inventeacute de signes plus ou moins semblables pour les angles divers sous lesquels on se repreacutesente et exprime les essences

Disons donc que les phrases qui se conforment agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression se produisent quand on interpregravete quelque chose qui ne signifie pas la mecircme chose comme srsquoil signifiait de maniegravere sem-blable agrave autre chose agrave cause drsquoune terminaison31 semblable du pho-negraveme Cela se fait sous deux modaliteacutes32

La modaliteacute en sera plus superficielle si elle tient agrave la confusion de qualiteacutes grammaticales comme le genre et le nombre ou le temps et le mode verbaux elle alimentera alors la reacuteduction au soleacutecisme33 Mais elle sera plus grave plus proprement logique si elle devient preacutetexte agrave confondre avec un autre le style drsquoat-tribution suprecircme 34 le mieux adapteacute agrave lrsquoexpression adeacutequate de lrsquoessence de la chose consideacutereacutee

Sous une modaliteacute crsquoest dans les genres consignifieacutes qui signi-fient la forme de la nature et de lrsquoessence par exemple si lrsquoon interpregravete le masculin pour le feacuteminin ou inversement le feacuteminin pour le masculin agrave cause drsquoune ressemblance de terminaison comme dans le cas de muse et drsquoEacutetienne 35hellip Sous une seconde modaliteacute

31 Significationem Il faut lire terminationem 32 In I ES II 11 33 On pourrait embarrasser quelque peu un interlocuteur qui preacutetendrait aimer

une jeune fille en lui donnant lrsquoimpression que sa preacutetention lrsquooblige agrave parler fautivement par exemple agrave rattacher un attribut masculin agrave un sujet feacuteminin laquo Tu preacutetends que tu aimes Jocelyne Mais quand tu aimes quelqursquoun crsquoest ton ami Donc tu preacutetends que Jocelyne est ton ami raquo

34 La κατηγορUcircα 35 Musa Catilina Le premier typique du feacuteminin avec sa terminaison en -a

donne lrsquoimpression que le second aussi sera du feacuteminin De mecircme en franccedilais qursquoun nom se termine en -e donne quelque occasion agrave le croire feacuteminin

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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crsquoest dans les genres significatifs des attributions36 agrave cause de la res-semblance de terminaison on interpregravete un quantifieacute comme qualifieacute ou inversement ou bien on interpregravete le sujet disposeacute agrave des passions comme un agent et pareillement des autres genres comme il en a eacuteteacute traiteacute auparavant dans les Attributions 37

Par exemple voir et aimer parce qursquoils ont la finition de la voie active donnent facilement lrsquoimpression de signifier des actions alors qursquoen reacutealiteacute la sensation et lrsquoaffection auxquelles ces verbes renvoient sont des passions De faccedilon comparable lrsquousage drsquoun nom concret peut fournir lrsquooccasion de prendre un accident susceptible drsquoexister seulement en un sujet pour une substance doteacutee drsquoune existence indeacutependante Crsquoest ainsi qursquoagrave force de parler de lrsquoEacutetat on finit par srsquoimaginer avoir affaire agrave quelque substance doteacutee drsquoune volonteacute indeacutependante de celle des personnes individuelles qui le constituent et le gouvernent ou qursquoagrave force de parler de Bien Commun on en arrive agrave le regarder comme srsquoil srsquoagissait drsquoune chose indeacutependante et mecircme contraire aux reacutealiteacutes individuelles bonnes pour des individus Il ne faut pas voir autre chose dans cette hypostatisation que jrsquoempruntais agrave S Engel Morris au deacutebut de cet article De multiples occasions se preacutesentent ainsi de confondre toujours en raison de la ressemblance entre les termes employeacutes une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune attribution avec une chose dont lrsquoessence relegraveve drsquoune autre Ou encore agrave un niveau plus preacutecis une chose dont lrsquoessence appartient agrave une espegravece avec une chose dont lrsquoessence appartient agrave une autre Albert donne cet exemple drsquoune confusion entre quantiteacutes discregravete et continue

Cette tromperie de la forme de lrsquoexpression peut se faire aussi agrave partir de la commutation drsquoune espegravece de quantiteacute en une autre Par exemple Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme Preuve Hier au moment ougrave tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme et avant-hier et la veille et apregraves-demain et ainsi de suite et tout le temps Contre-

36 Praedicamentorum Pour une justification de ma traduction de κατηγορUcircα et

de praedicamentum en attribution voir ma traduction Aristote Les Attri-butions (cateacutegories) MontreacutealParis BellarminLes Belles Lettres 1983 16

37 In I ES II 11

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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preuve Tant que tu as eacuteteacute assis tu as eacuteteacute un homme donc tu as eacuteteacute homme plusieurs fois Crsquoest que tant que dit le temps sous la continuiteacute crsquoest ainsi que ses parties sont hier et la veille et apregraves-demain et on change cela en toutes les fois que qui dit le nombre Crsquoest la forme semblable dans toutes les fois que et tant que qui est cause drsquoerreur38

Je reviens maintenant agrave une allusion faite plus haut comme quoi la finition des expressions qui occasionne ressemblances et confusion ne se limite pas toujours agrave la terminaison des mots mais srsquoeacutetend agrave tout ce qui concerne la consignification drsquoun aspect sous lequel on regarde la signification principale des mots Cette consignification srsquoattache le plus souvent agrave la terminaison la terminaison semblable affecteacutee agrave lrsquoexpression de consignifications diffeacuterentes constitue donc lrsquooccasion principale du sophisme de lrsquoaspect de lrsquoexpression Mais la consignification tient quelquefois agrave un preacutefixe ou agrave une forme drsquoensemble du mot39 Aussi lrsquoaspect de lrsquoexpression pourra ecirctre responsable de confusions entre deux expressions tout agrave fait semblables tant que consignifie tantocirct la quantiteacute continue tantocirct la quantiteacute discregravete Ou elle pourra tenir au deacutebut de lrsquoexpression comme dans lrsquoexemple suivant ougrave la diffeacuterence tient agrave lrsquousage ou agrave lrsquoabsence drsquousage de lrsquoarticle indeacutefini laquo Mais non je ne vois pas ce mur blanc mais bleu raquo mdash laquo Crsquoest pourtant bien celui que tu as vu hier raquo mdash laquo De faithellip raquo mdash laquo Et hier crsquoest un blanc que tu as vu raquo mdash laquo Oui maishellip raquo mdash laquo Tu le vois donc blanc aujourdrsquohui raquo Blanc est exactement le mecircme mot dans la mineure et dans la conclusion et il a exactement le mecircme sens aussi ce qui exclut qursquoil soit question drsquohomonymie Lrsquooccasion de la confusion est la forme adjectivale qui creacutee lrsquoim-pression qursquoil est toujours question de la couleur alors que lrsquousage

38 In I ES II 11 39 laquo On doit encore remarquer que bien que la forme semblable de lrsquoexpression

soit surtout en regard drsquoune ressemblance dans la fin de lrsquoexpression elle peut toutefois se trouver au milieu et au deacutebut et dans toute lrsquoexpressionraquo (In I ES II 11)

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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de lrsquoarticle indeacutefini dans la mineure consignifie qursquoon y parle de la substance ainsi coloreacutee40

C Lrsquohomonymie Enfin lrsquooccasion de la confusion peut ecirctre plus complegravete si la

ressemblance entre les expressions confondues rejoint agrave la fois leur matiegravere et leur forme Crsquoest alors lrsquohomonymie source la plus seacute-rieuse de lrsquoambiguiumlteacute de lexpression et par conseacutequent du sophisme verbal Lrsquoexpression suspecte est tout agrave fait la mecircme mdash mecircme radical mecircme terminaison mecircme prononciation jusque dans le deacutetail mdash et ne comporte donc aucun avertissement agrave lrsquoouiumle ou agrave la vue comme quoi elle renvoie agrave autre chose Albert marque la graviteacute de cette occasion de confusion en soulignant lrsquoaspect actuel de la multipliciteacute de sens lagrave concerneacutee laquo Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie comportent une multipliciteacute de sens en acte tandis que les autres tromperies dans lrsquoexpression comportent une multipliciteacute de sens ou potentielle ou imaginaireraquo41

Albert fait toutefois fausse route ensuite en arrachant aux trois illustrations fournies par Aristote trois modaliteacutes distinctes de lrsquohomonymie Crsquoest qursquoil se fait degraves le deacutepart de lrsquohomonymie agrave laquelle le logicien consacre son inteacuterecirct privileacutegieacute une conception inadeacutequate suggeacutereacutee faussement par lrsquoeacutetymologie latine laquo Lrsquoeacutequi-vociteacute se dit agrave partir drsquoune appellation eacutegale raquo42 La traduction latine de iexclμωνυμUcircα aequivocatio appelle une certaine eacutegaliteacute dans lrsquoappellation alors que le mot grec suggeacuterait simplement une res-semblance dans le nom (iexclμοUcircωσις ƒνομα) Albert fait grand cas de cette preacutesumeacutee eacutegaliteacute et celle-ci le conduit avec une pleacutethore de commentateurs drsquoailleurs agrave la conviction eacutetrange que le logicien doive accorder son inteacuterecirct agrave lrsquohomonyme accidentel plutocirct qursquoagrave

40 Albert le Grand parle un peu autrement de ce cas Il y rend responsable de

lrsquoaspect de lrsquoexpression tantocirct blanc tantocirct ce que mais toujours en y voyant une illustration de ce que lrsquoaspect de lrsquoexpression tient parfois agrave une ressemblance qui recouvre toute lrsquoexpression et non seulement sa terminaison

41 In I ES II 1 42 In I ES II 1 laquoAequivocatio ab aequa vocatione dicaturraquo

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

43 In I ES II 1

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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lrsquohomonyme deacutelibeacutereacute En conseacutequence laquo la modaliteacute premiegravere et principale raquo de lrsquohomonymie celle en regard de laquelle les suivantes ne repreacutesenteront qursquoune homonymie diminueacutee crsquoest laquo quand un phonegraveme renvoie si eacutegalement agrave plusieurs signifieacutes qursquoil renvoie agrave chacun eacutegalement et ne signifie pas lrsquoun principalement et lrsquoautre secondairement comme une modaliteacute du signifieacute principalraquo 43 Crsquoest reacuteduire agrave un accident insignifiant lrsquoun des instruments les plus preacutecieux de lrsquointelligence le plus dangereux aussi pour la confusion agrave laquelle il precircte Il faut que cette opinion ait eacuteteacute deacutejagrave bien forte chez le commun des penseurs pour qursquoAlbert ne se soit pas aviseacute de son extravagance Qursquoon regarde lrsquohomonymie dans le contexte des Attributions ou dans celui des Reacutefutations sophistiques en effet on ne peut accorder grand inteacuterecirct agrave celle laquo qui signifie eacutegalement plusieurs choses raquo crsquoest-agrave-dire agrave ces expressions qui en sont venues accidentellement le plus souvent au hasard des lois de lrsquoeacutevolution phoneacutetique de deux expressions originellement distinctes mdash comme louer de locare et de laudare mdash agrave se voir imposer des significations diffeacuterentes sans ordre ni hieacuterarchie mdash comme emprunter contre paiement et feacuteliciter Le premier contexte preacutesente une maniegravere de se repreacutesenter des choses en deacutependance dune autre de nature imparfaitement semblable mais assez semblable pour conduire agrave leur en donner le nom Le second met en garde contre le risque de confondre une chose avec une autre du fait qursquoelles portent le mecircme nom Ni un cas ni lrsquoautre nentretient grand rapport avec celui de choses assez eacutetrangegraveres lrsquoune agrave lrsquoautre pour ne devoir qursquoagrave un pur accident de partager agrave eacutegaliteacute le mecircme nom impossible que lrsquoune soit connue gracircce agrave la connaissance que lrsquoon aurait deacutejagrave de lrsquoautre peu possible non plus que lrsquoon confonde lune avec lrsquoautre du fait de leur nom commun Ce ne sera de fait que suivant une homonymie superfi-cielle qursquoon en viendra mecircme agrave en parler comme drsquohomonymes Pourtant porteacute par lrsquoopinion reacutegnante et lrsquoillusoire confirmation de lrsquoeacutetymologie latine Albert invoque jusqursquoagrave une laquo conformiteacute agrave la deacutefinition de lrsquohomonymie donneacutee dans les Attributions comme

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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quoi les homonymes sont ce dont le nom seul est commun tandis que la conception de la substance signifieacutee est diffeacuterente raquo44 Sur son eacutelan Albert prend agrave contresens la deacutefinition drsquoAristote pour qui au contraire meacuteritent drsquoecirctre laquo dites homonymes les choses dont le nom seul est parfaitement commun et identique tandis que la conception de leur essence en rapport agrave ce nom a quelque chose de diffeacuterent raquo45 crsquoest-agrave-dire nrsquoest pas tout agrave fait la mecircme Il y a contre-sens aussi grotesque que reacutepandu agrave faire soutenir agrave Aristote que lrsquohomonymie la plus pleine impliquerait absence totale de rapport et de hieacuterarchie dans la conception des homonymes Il est drsquoailleurs facile de srsquoen rendre compte simplement agrave prendre acte de ce qursquoaucune des illustrations procureacutees par Aristote ni en ses Attributions ni en ses Reacutefutations sophistiques ne srsquoaccorde drsquoaucune faccedilon avec cette absurditeacute quelque eacutenergie qursquoAlbert mette agrave soutenir le contraire Quelle distraction ne faut-il pas en effet pour mettre au compte de lrsquoaccident la communauteacute de nom drsquoun homme et de son image peinte et pour leur faire porter ce nom agrave eacutegaliteacute comme deux significations principales Et quelle violence Albert ne devra-t-il pas faire au verbe discere pour lui faire signifier agrave eacutegaliteacute sans subordination recevoir et transmettre un apprentissage

Crsquoest drsquoapregraves cette modaliteacute de paralogismes que lrsquoon conclut sophistiquement que ce sont les savants qui apprennent en formant le paralogisme comme suit Les grammairiens apprennent or les grammairiens sont savants ce sont donc les savants qui apprennent

Pour montrer que la multipliciteacute de sens est drsquohomonymie on doit voir qursquoapprendre dans la majeure et dans la conclusion est homonyme Apprendre en effet se dit de maniegravere homonyme pour user dun apprentissage et pour recevoir un apprentissage Nous disons qursquoil apprend en effet celui qui lors drsquoune consideacuteration de son intelligence en acte use de son apprentissage et se meut de lrsquohabitus agrave lrsquoacte cet apprendre-lagrave est en rapport agrave un habitus deacutejagrave enracineacute crsquoest ainsi qursquoil est vrai que les grammairiens et les savants

44 In I ES II 1 45 Attributions (Cateacutegories) 1 1a1-2

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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apprennent Mais46 les grammairiens ne reccediloivent pas la science de cette maniegravere aussi est-il faux que les savants apprennent Il appert donc que ceci est la premiegravere modaliteacute de lrsquohomonymie car apprendre entretient une relation eacutegale avec les deux signifieacutes user dune discipline et recevoir une discipline47

De fait il ny a cette eacutegaliteacute de sens ni pour apprendre ni pour discere ni pour μανθIgraveνειν Apprendre ou discere ou μανθIgraveνειν crsquoest drsquoabord et avant tout recevoir une connaissance alors qursquoon lrsquoignorait crsquoest seulement ensuite et par extension la faire passer agrave lrsquoacte alors qursquoon la posseacutedait deacutejagrave en habitus puis la faire connaicirctre ou recevoir par un autre qui ne la posseacutedait pas Il nrsquoy a qursquoentre les homonymes de pur hasard que lrsquoon peut trouver cette eacutegaliteacute cette absence drsquohieacuterarchie entre plusieurs significations attribueacutees agrave un mecircme phonegraveme Et lagrave malgreacute lrsquoidentiteacute phoneacutetique on sera davantage porteacute agrave distinguer plusieurs mots et agrave les classer comme tels sous des eacutetiquettes diffeacuterentes dans un dictionnaire qursquoagrave reconnaicirctre le mecircme nom agrave des choses diffeacuterentes

Apregraves cette incartade Albert revient agrave deacutecrire de la meilleure faccedilon ce qui confegravere agrave lrsquohomonymie le danger dont elle menace lrsquointelligence qui raisonne qursquoen raison de leur nom commun elle peut faire prendre une chose pour identique agrave une autre agrave laquelle elle avait associeacute sa repreacutesentation sous quelque rapport Pour les motifs que lrsquoon vient de voir toutefois Albert va eacutetiqueter cette unique homonymie comme une preacutetendue seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute de lrsquohomonymie crsquoest quand un phonegraveme ne signifie pas eacutegalement plusieurs choses mais lrsquoune principalement et lrsquoautre secondairement Par cette modaliteacute on conclut so-phistiquement que des maux sont bons en formant le paralogisme comme suit Ce qui sert est bon48 des maux servent donc des maux sont bons Preuve de la mineure Lrsquoincision drsquoun membre pu-

46 Quia On regarde maintenant qursquoen lrsquoautre sens drsquoapprendre qui consiste agrave

recevoir un apprentissage crsquoest-agrave-dire agrave venir agrave savoir alors qursquoon ne savait pas le savant nrsquoest pas celui qui apprend

47 In I ES II 1 48 Quaecumque expediunt bona sunt

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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trescent est mauvaise puisque peacutenible pourtant elle sert pour que le corps ne se putreacutefie pas [tout entier] agrave cause du membre putreacutefieacute On prouve ensuite qursquoil y a dans le paralogisme pareille multipliciteacute de sens crsquoest que servir est agrave double sens crsquoest-agrave-dire signifie deux choses agrave savoir ce qui est neacutecessaire si lrsquoon doit avoir la santeacute du corps comme lrsquoincision drsquoun membre et ainsi ce qui est mauvais sert souvent il arrive la plupart du temps en effet qursquoil y ait dans les maux quelque chose qui serve Puis de la seconde maniegravere crsquoest principalement dans ce qui est bon en soi que nous dirons que lrsquoune sert comme cela sert la vertu de srsquoappliquer et de srsquoenrichir et de philosopher et de faire de mecircme Cependant on parle de servir principalement agrave propos de biens et secondairement pour certains maux du fait que les maux aident quelquefois sous un aspect49

Lrsquoexemple original drsquoAristote reste tout de mecircme plus convain-cant qui recourt plus preacuteciseacutement agrave la neacutecessiteacute absolue en un sens premier conditionnelle agrave lrsquooption pour une fin en un second sens

Pour imposer au troisiegraveme exemple apporteacute par Aristote de repreacutesenter une troisiegraveme modaliteacute de lrsquohomonymie Albert se livre ensuite agrave drsquoautres consideacuterations saugrenues dont je reporte lrsquoexamen un peu plus loin puisqursquoelles comportent la confusion de lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie Il vaut mieux peacuteneacutetrer drsquoabord la nature propre qui permet agrave lrsquoamphibolie de se classer comme so-phisme speacutecial Peut-ecirctre auparavant voudra-t-on une assurance plus manifeste que lrsquoon a bien eacutepuiseacute toute possibiliteacute de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec une expression unique En effet les habitueacutes des tables de veacuteriteacute craindront qursquoAlbert ait neacutegligeacute plusieurs combinaisons possibles entre les trois critegraveres de deacutepart identiteacute et alteacuteriteacute sur le plan de la racine de la terminaison et de la prononciation paraissent bien suggeacuterer huit possibiliteacutes de confusion

radical terminaison prononciation

1) mecircme mecircme mecircme homonymie 2) mecircme mecircme diffeacuterente accent

49 In I ES II 1

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

Yvan Pelletier

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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3) mecircme diffeacuterente mecircme 4) mecircme diffeacuterente diffeacuterente 5) diffeacuterent mecircme mecircme 6) diffeacuterent mecircme diffeacuterente air 7) diffeacuterent diffeacuterente mecircme 8) diffeacuterent diffeacuterente diffeacuterente

Albert aurait-il donc neacutegligeacute cinq occasions originales de con-fusion entre les expressions De fait ce tableau un peu grossier confirme lrsquoanalyse drsquoAlbert en donnant de voir comment toutes les autres combinaisons imaginables se disqualifient becirctement Les possibiliteacutes 3) 5) et 7) sont impensables que des mots ougrave le radical ou la terminaison ou les deux divergent gardent exactement la mecircme prononciation est chose absurde La possibiliteacute 8) nrsquoest pas pertinente avec tous les critegraveres diffeacuterents un mot ne donne plus de prise agrave confusion avec un autre Enfin la possibiliteacute 4) mdash un mecircme radical avec une terminaison diffeacuterente et eacutevidemment une prononciation de deacutetail diffeacuterente mdash ne se diffeacuterencie de la premiegravere qursquoen degreacute en effet lrsquoessentiel de la signification eacutetant porteacutee par le radical du mot la confusion eacuteventuelle due agrave une communauteacute de radical mais non de terminaison revient agrave une homonymie imparfaite moins dangereuse50

D Lrsquoamphibolie Au deacutepart51 Albert le Grand preacutesentait la simpliciteacute et la com-

plexiteacute comme premier outil de partition des occasions de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes avec la mecircme expression Crsquoest le moment drsquoexaminer jusqursquoougrave cette suggestion meacuterite drsquoecirctre retenue en quoi la phrase semblable trompe-t-elle drsquoune maniegravere autre que lrsquoexpres-

50 Albert eacutecarte nommeacutement cette possibiliteacute quoiquen une remarque assez

obscure laquo Il ne peut pas y avoir de tromperie avec mecircme matiegravere et termi-naison diffeacuterente car pour tout ce qui en phonegraveme et en syllabes on a en tout mecircme matiegravere il faut qursquoon ait mecircme terminaison et mecircme forme de terminaison raquo (In I ES II 6) On se serait plutocirct attendu agrave une discussion de lrsquoopportuniteacute de ranger cette eacuteventualiteacute comme autre modaliteacute de lrsquoaspect de lrsquoexpression ou comme homonymie incomplegravete

51 Voir supra 56

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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sion simple Agrave srsquoen poser la question la diffeacuterence semble assez accidentelle surtout qursquoAlbert impose agrave la phrase les mecircmes motifs de division qursquoagrave lrsquoexpression simple selon sa matiegravere les expres-sions simples dont elle est constitueacutee et sa forme crsquoest-agrave-dire sa finition mdash le sens deacutetermineacute acquis en conseacutequence des consignifications des expressions eacuteleacutementaires mdash et sa prononcia-tion mdash un rapport plus speacutecial mis entre telles ou telles expressions constituantes Entre-t-on chaque fois dans une situation speacuteci-fiquement diffeacuterente du fait drsquoavoir affaire agrave plusieurs mots plutocirct qursquoagrave un seul

Refaisant le mecircme chemin mais agrave rebours regardons drsquoabord la multipliciteacute en acte que procure lrsquoidentiteacute de radical de finition et de prononciation La phrase incrimineacutee mettra en jeu les mecircmes expressions simples leur fera entretenir entre elles les mecircmes rapports et sera prononceacutee de maniegravere identique mais elle renverra quand mecircme agrave des choses diffeacuterentes Y a-t-il lagrave de quoi voir autre chose speacutecifiquement qursquoune homonymie Y a-t-il au moins un inteacuterecirct pratique agrave donner un autre nom agrave cette occasion essentiellement identique de confusion Albert est conscient quon puisse en douter

On doit drsquoabord remarquer qursquoagrave la fois dans lrsquohomonymie et dans lrsquoamphibolie crsquoest lrsquoidentiteacute du phonegraveme quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere qui est la cause de lrsquoapparence et crsquoest la diffeacuterence de signification qui est la cause de la non-existence qursquoainsi elles paraissent bien avoir la mecircme cause dapparence et la mecircme cause de non-existence et que par conseacutequent il ne paraicirct bien y avoir qursquoune tromperie unique52

Il nrsquoen maintient pas moins qursquoil y a lieu de reconnaicirctre une confusion speacuteciale alors que lrsquohomonymie preacutesentait une confusion de signification des phrases identiques de matiegravere et de forme entraicircneront une confusion drsquoeacutenonciation ce que lon ne peut trouver qursquoen une phrase rappelle-t-il On appellera amphibolie mdash de ἀμφUacute et βIgraveλλω mdash cette aptitude agrave lancer la penseacutee en deux directions agrave la fois

52 In I ES II 4

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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Pourtant on nrsquoa pas lagrave une tromperie unique tant parce que lrsquoune agit dans lrsquoexpression [simple] et lrsquoautre dans la phrase qursquoaussi parce que lrsquoune tient agrave une assertion53 diffeacuterente et lrsquoautre agrave une signification diffeacuterente Lrsquoassertion nrsquoappartient pas proprement agrave lrsquoexpression mais agrave la phrase Cest pourquoi la ressemblance qursquoelles ont dans leur cause drsquoapparence et dans leur cause de non-existence est une ressemblance en genre et non en espegravece et ne fait ressembler lrsquohomonymie avec lrsquoamphibolie qursquoen ce que lrsquoune et lrsquoautre causent une multipliciteacute en acte mais non quant agrave leur maniegravere speacuteciale de tromper54

Il ne se trouve en cela qursquoapparente subtiliteacute cependant Tenir cette position entraicircne des incoheacuterences multiples si lrsquoon creuse un peu Conceacutedons que lrsquoassertion est reacuteserveacutee agrave la phrase complegravete agrave lrsquoeacutenonciation Quand mecircme lrsquoeffet de lrsquohomonymie confusion du sens drsquoune expression avec celui drsquoune autre entraicircne toujours une confusion au niveau de lrsquoeacutenonciation qui integravegre cette expression Autrement lrsquohomonymie resterait inoffensive et ne menacerait pas de devenir lieu sophistique Dira-t-on alors que toute homonymie entraicircne une amphibolie Les lier agrave ce point annule leur distinction En outre la phrase nrsquoa pas besoin drsquoecirctre complegravete pour precircter agrave confusion deux ou plusieurs mots groupeacutes suffisent agrave procurer lrsquooccasion drsquoune imposition multiple de sens Drsquoailleurs une confusion au niveau de lrsquoassertion ne procegravede jamais agrave la fois de tous ses eacuteleacutements elle est toujours entraicircneacutee par lrsquoambiguiumlteacute de quelques-unes des expressions simples qui la composent Alors quelle diffeacuterence cela fait-il au regard de lrsquoambiguiumlteacute si elle est le fait de la multipliciteacute de sens drsquoun seul mot ou si elle est le fait drsquoun nom qualifieacute par un article par un adjectif ou par un compleacutement de quelque sorte Voyons un cas ougrave Albert croit pouvoir rencheacuterir sur Aristote

Lrsquoamphibolie provient hellip aussi de lrsquoambiguiumlteacute drsquoune assertion selon qursquoelle est prise proprement et meacutetaphoriquement Par exemple Tout ce qui est riant a une bouche or le preacute est riant donc le preacute a

53 Sententia 54 In I ES II 4

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

Yvan Pelletier

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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une bouche Certes crsquoest de la mecircme maniegravere geacuteneacuteriquement que lrsquoon construit ce que lrsquoon prend meacutetaphoriquement et ce que lrsquoon prend proprement cependant il y a et pour lrsquoun et pour lrsquoautre une ambiguiumlteacute de lrsquoassertion selon que lrsquoassertion renvoie agrave son intelligence Et cela suffit agrave lrsquoamphibolie car cela produit dans une phrase unique quant agrave sa forme et agrave sa matiegravere une assertion douteuse Cependant Aristote ne preacutesente pas cette modaliteacute parce qursquoelle est tregraves utiliseacutee et manifeste car presque tous usent de comparaisons55

Agrave lrsquoencontre de son intention Albert confirme ici qursquoil ne suffit pas drsquoavoir une phrase ambigueuml pour donner matiegravere agrave une faccedilon speacutecifiquement diffeacuterente de lrsquohomonymie de creacuteer une fausse apparence Qursquoon navigue dans les sens propres ou meacutetaphoriques la phrase ambigueuml se comporte en tout comme lrsquoexpression ambigueuml En outre dans lrsquoexemple preacutesent crsquoest le mot riant en lui-mecircme qui fait toute la confusion qursquoil renvoie au fait drsquoecirctre fleuri ne lui vient pas de sa conjonction avec le mot preacute celle-ci fournit simplement le contexte ougrave se reacutevegravele cet usage Or ce besoin de contexte vaut pour toute homonymie on ne sait jamais en quel sens joue un mot tant qursquoon ne le trouve pas dans le contexte drsquoune phrase Il nrsquoy a donc vraiment aucun motif seacuterieux ici de voir autre chose qursquoune homonymie Le cas ressemble drsquoailleurs fort meacutetaphore mise agrave part agrave la troisiegraveme illustration aristoteacutelicienne de lrsquohomonymie dont Albert veut faire une modaliteacute speacuteciale qui tiendrait agrave lrsquoinsertion dans une phrase Retrouvons cet exemple laquo La troisiegraveme modaliteacute [de lrsquoho-monymie] raquo dit Albert laquo vient de ce qursquoune expression prise en elle-mecircme signifie une seule chose et selon une seule maniegravere de signifier mais lieacutee agrave une autre expression dans la mecircme phrase reccediloit plusieurs maniegraveres de signifier raquo56 Ne voilagrave-t-il pas assez paradoxalement une maniegravere de parler qui oriente vers ce quelque chose drsquoautre que lrsquohomonymie que nous cherchons dans lrsquoamphibolie

55 In I ES II 4 56 In I ES II 1

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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Crsquoest sous cet angle que lrsquoon conclut sophistiquement que la mecircme personne est assise et debout et que la mecircme personne souffre drsquoune maladie et est en santeacute en formant le premier paralogisme comme suit Qui sest leveacute57 est debout la personne assise sest leveacutee donc la personne assise est debout Le second se forme ensuite comme suit Qui a eacuteteacute gueacuteri 58 est en santeacute telle personne malade a eacuteteacute gueacuterie donc telle personne malade est en santeacute Que par ailleurs il y ait dans ces phrases multipliciteacute de sens par homonymie on le montre comme suit La force [apparente de lrsquoargu-ment] en effet tient agrave ce que lrsquoon dit srsquoest leveacutee et a eacuteteacute gueacuterie Du fait que ces verbes sont au passeacute composeacute59 ils incluent le temps preacutesent60 et ont ainsi en eux deux temps le passeacute en partie et le preacutesent Aussi si on met un passeacute qui nrsquoinclut pas en lui le preacutesent et qursquoon dise Qui se leva est debout la phrase est fausse Pareillement si lrsquoon dit comme suit Qui fut gueacuteri est en santeacute la proposition est fausse Mais quand on met le passeacute composeacute alors elles sont vraies en un sens car le passeacute composeacute parle drsquoune action compleacuteteacutee dans son rapport avec le preacutesent ougrave son effet continue agrave se faire sentir61 Qursquoil y ait par ailleurs en pareil contexte une multipliciteacute de sens par homonymie cela appert de ceci que la personne malade donneacutee au passeacute composeacute62 comme faisant ou subissant quoi que ce soit crsquoest-agrave-dire selon lrsquoadjonction agrave un verbe de signification active ou passive ne signifie pas seulement une chose concernant le passeacute mais plusieurs En raison des deux temps que le [passeacute composeacute] renferme en lui il signifie tantocirct le preacutesent qui se poursuit mainte-nant de faccedilon que lrsquoon indique la personne malade maintenant prise

57 Surgebat 58 Sanabatur 59 Praeteriti imperfecti temporis 60 Il nen va pas ainsi en franccedilais ougrave crsquoest plutocirct le passeacute composeacute qui preacutesente

une action passeacutee dans son rapport avec le preacutesent 61 Litteacuteralement laquo Quand on met le passeacute imparfaithellip car le passeacute imparfait

parle drsquoune action incomplegravete qui inclut en elle le preacutesent ougrave se continue lrsquoaction raquo Lrsquointerpreacutetation qursquoAlbert fait de lrsquoimparfait est quelque peu inadeacutequate

62 Praeterito imperfecto

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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ainsi [cette phrase] est fausse La personne malade est en santeacute parce qursquoil srsquoensuivrait qursquoelle est malade maintenant et qursquoelle est en santeacute maintenant Tantocirct par ailleurs [le passeacute composeacute] signifie le passeacute comme lorsqursquoon dit La personne qui a eacuteteacute malade 63 auparavant est maintenant en santeacute et cette [phrase]-ci est vraie Il en va pareillement aussi de celle-lagrave La personne assise64 est debout Ainsi appert-il qursquoil y a ici multipliciteacute de sens par homonymie dans une expression simple mais en raison de la liaison drsquoune expression avec une autre qui si elle eacutetait placeacutee toute seule ne serait pas homonyme Ainsi crsquoest la personne malade et la non-malade qui a eacuteteacute gueacuterie mais selon des sens diffeacuterents et la non-malade qui est en santeacute en ce sens que la personne en santeacute est la malade non pas maintenant dans le preacutesent ougrave elle est en santeacute mais la malade auparavant dans le passeacute ougrave elle nrsquoeacutetait pas en santeacute65

Dans son ensemble lrsquoexplication de cet exemple souffre de la mecircme inadeacutequation que celle qursquoAlbert donnait de lrsquoexemple preacuteceacute-dent Srsquoil y avait raison drsquoattacher lrsquoambiguiumlteacute de sens drsquoassis et de malade agrave une relation particuliegravere avec drsquoautres expressions dans une phrase il nrsquoy aurait pas ici stricte homonymie mais ce quelque chose de plus qursquoil faudrait pour leacutegitimer une autre espegravece drsquoambiguiumlteacute et ne pas faire sombrer dans le verbiage tout le discours sur lrsquoamphibolie Mais il nrsquoy en a aucun motif Comme riant plus haut assis et malade ici possegravedent deacutejagrave par eux-mecircmes lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave des situations diffeacuterentes et comme en toute autre homonymie crsquoest le contexte drsquoune phrase qui va reacuteveacuteler si crsquoest agrave des gens assis et malades maintenant ou dans le passeacute que lrsquoon renvoie Encore une fois il y a simple homonymie et pas mecircme une homonymie drsquoun type speacutecial

Alors quoi Aristote a-t-il distingueacute dans le vide en ajoutant lrsquoamphibolie agrave son eacutenumeacuteration ou Albert a-t-il failli agrave en saisir lrsquoessence propre Ni lrsquoun ni lrsquoautre exactement Malgreacute ce que nous en avons vu jusqursquoici Albert a aperccedilu clairement ce qui fonde

63 Laborabat 64 Sedebat 65 In I ES II 1

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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lrsquooriginaliteacute de lrsquoamphibolie Il est seulement assez eacutetonnant qursquoil ne srsquoy soit pas accrocheacute assez pour eacuteviter cet empiegravetement sur lrsquohomonymie En effet ses allusions agrave ce que laquo lrsquoamphibolie produit une multipliciteacute actuelle dans la phrase en raison drsquoune construction diffeacuterente raquo 66 et agrave ce que laquo lamphibolie provient principalement drsquoune diffeacuterence de relation raquo 67 traduisent on ne peut mieux par quoi lrsquoamphibolie se deacutemarque de lrsquohomonymie et pourquoi une expression simple ne peut y acceacuteder Mais agrave quoi rime au juste cette construction diffeacuterente et cette diffeacuterence de relation Retrouvons-le dans les exemples mecircmes des Reacutefutations sophisti-ques

Sont [causeacutes] par lrsquoamphibolie les [raisonnements] de la sorte Vouloir la capture des ennemis Et Est-ce que cela que lon connaicirct il y en a connaissance Crsquoest qursquoavec cette phrase il est eacutegalement possible de signifier que le [sujet] connaissant et que lrsquo[objet] connu connaicirct Et Est-ce que ce que lrsquoon voit il y en a vue Mais on voit cette colonne par conseacutequent cette colonne a la vue Et Est-ce que ce que tu dis ecirctre cela tu le dis ecirctre Or une pierre tu la dis ecirctre donc tu dis ecirctre une pierre Et Est-il possible de nommer quelqursquoun en silence Crsquoest que ce sont deux choses encore que nommer quelqursquoun en silence crsquoest que celui qui nomme et que celui qursquoil nomme gardent le silence68

Cet unique bout de phrase Vouloir la capture des ennemis prend deux sens opposeacutes selon qursquoon relie ennemis agrave capture agrave titre de sujet ou agrave titre drsquoobjet Selon le cas il srsquoagit de vouloir capturer ses ennemis ou de vouloir ecirctre captureacute par ses ennemis On peut imaginer le dialogue suivant pour visualiser davantage lrsquousage que le chicanier fera de pareille source de confusion laquo As-tu renonceacute agrave la victoire raquo mdash laquo Mais non raquo mdash laquo Mais ne souhaites-tu pas la capture des ennemis raquo mdash laquo Justement raquo mdash laquo Alors tu as renonceacute agrave la victoire ce sera la deacutefaite si tu es captureacute par les

66 In I ES II 3 67 In I ES II 4 68 Reacutef soph 4 166a6-14

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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ennemishellip raquo On le voit bien deacutejagrave le ressort speacutecifique de lamphi-bolie cest un signe grammatical unique pour deux fonctions diffeacuterentes dans la phrase69 Le second cas apporteacute confirme cette observation Dans la phrase Il y en a connaissance lrsquounique pronom en sous la forme grammaticale unique de compleacutement deacuteterminatif de connaissance peut tout aussi bien ecirctre signifieacute comme sujet ou comme objet de la connaissance concerneacutee Encore une fois visualisons-le dans un dialogue laquo Une plante peut-elle connaicirctre raquo mdash laquo Bien sucircr que non raquo mdash laquo Mais elle peut ecirctre connue raquo mdash laquo Oui raquo mdash laquo Cette plante que lrsquoon connaicirct ainsi est-ce qursquoil nrsquoy en a pas reacuteellement connaissance raquo mdash laquo Bien sucircr que si raquo mdash laquo Donc cette plante connaicirct raquo70 Peut-ecirctre protestera-t-on

69 La chose se preacutesente quelque peu diffeacuteremment en grec ougrave sujet et objet de la

proposition infinitive sont signifieacutes par le mecircme cas accusatif et en franccedilais ougrave sujet et objet drsquoune action srsquointroduisent avec la mecircme preacuteposition de et se preacutesentent sous la mecircme fonction grammaticale de compleacutement deacutetermi-natif drsquoun nom drsquoaction Le latin est plus proche du grec ce qui permet agrave Albert de donner cette mecircme explication agrave partir drsquoune traduction plus colleacutee au texte original Vellem accipere pugnantes laquoLa multipliciteacute se produit en rapport avec une amphibolie du fait que cet accusatif me peut se construire avec lrsquoinfinitif comme eacuteleacutement anteacuterieur (ex parte ante) et peut se construire avec lui comme eacuteleacutement posteacuterieur (ex parte post) [crsquoest-agrave-dire comme sujet et comme objet] dans le premier sens la phrase est vraie tandis que dans le second elle est fausse raquo (In I ES II 3)

70 Encore une fois neacuteanmoins le signe grammatical identique qui constitue lrsquooccasion de confondre sujet et objet diffegravere en franccedilais mdash ougrave il est le pronom en position de compleacutement deacuteterminatif drsquoun nom drsquoaction mdash et en grec mdash ougrave il est lrsquoidentiteacute des deacutesinences du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres Lagrave aussi de commenter une traduction latine mdash Putas quod quis scit hoc scit mdash permet agrave Albert drsquoattribuer lrsquoamphibolie agrave un eacutechange de fonctions plus voisin du grec laquo En pareille phrase il se trouve que lrsquoon signifie comme connaissant agrave la fois celui qui connaicirct et ce qui est connu parce que ce pronom hoc peut signifier celui qui connaicirct et alors il se construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet et se met devant le verbe et ainsi la phrase est fausse il peut aussi signifier ce qui est connu et alors il se construit du cocircteacute de lrsquoobjet et alors elle est vraie raquo (In I ES II 3) Toutefois Albert srsquoeacutevertue comme avec lrsquohomonymie et aussi steacuterilement agrave associer agrave chaque exemple apporteacute par Aristote une modaliteacute diffeacuterente ainsi croit-il voir ici lrsquoillustration drsquoune phrase qui ne precircterait pas agrave ambiguiumlteacute par elle-mecircme et qui acquerrait lrsquoaptitude agrave renvoyer agrave plusieurs choses du fait drsquoecirctre

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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que la traduction srsquoeacutecarte trop de la lettre pour en teacutemoigner fidegravelement De fait on pourrait traduire drsquoune maniegravere qui paraisse plus litteacuterale en gardant le verbe agrave lrsquoindicatif avec sujet et compleacutement drsquoobjet Est-ce que cette chose quune personne connaicirct elle la connaicirct Mais cette fideacuteliteacute superficielle trahit la source de confusion logique illustreacutee dans la phrase grecque la confusion tient au fait que le deacutemonstratif τοῦτο qui repreacutesente sans homonymie possible asymp la chose connue a la double possibiliteacute drsquointervenir comme sujet et comme objet du verbe γιν˘σκει en raison de lrsquoidentiteacute du nominatif et de lrsquoaccusatif neutres les deacutesi-nences propres ici agrave signifier chacune des fonctions cette confusion de fonction se perd en la seconde traduction franccedilaise ougrave toute la confusion tient agrave ce que elle sujet de toute faccedilon de connaicirct peut par pure homonymie remplacer ou chose ou personne Dans la seconde traduction en somme on a plutocirct un jeu drsquohomonymie que drsquoamphibolie Pour aller au bout du raisonnement je dois avouer qursquoalors que la phrase grecque pegraveche uniquement par amphibolie ma premiegravere traduction pegraveche agrave la fois par amphibolie et par homonymie en pouvant se recevoir autant comme agent que comme objet de lrsquoaction signifieacutee par connaissance et pouvant aussi selon le cas renvoyer ou agrave on ou agrave cela Le troisiegraveme exemple est quasi le mecircme au point que lrsquoon se demande pourquoi un auteur aussi peu adonneacute agrave la prolixiteacute peut bien lrsquoavoir donneacute on dirait un simple prolongement du second en plus concret Le quatriegraveme fait intervenir une tournure speacuteciale rare et artificielle en franccedilais la proposition infinitive On peut la conserver dans la traduction du fait qursquoelle est gouverneacutee par un verbe drsquoopinion Dans tu le dis ecirctre le pronom personnel le preacuteceacutedant un verbe drsquoopinion suivi drsquoun infinitif agit soit comme sujet de lrsquoinfinitif ecirctre soit comme attribut de son sujet qui sera alors tu deacutejagrave sujet de dis Visualisons laquo Nrsquoavoues-tu pas ecirctre une pierre raquo mdash laquo Bien

associeacutee agrave une autre phrase On voit facilement que ce nrsquoest pas le cas Il y en a connaissance mdash et tout autant ses correspondants grec et latin mdash preacutesente deacutejagrave de lrsquoambiguiumlteacute il est vrai toutefois qursquoon ne srsquoen avisera peut-ecirctre et qursquoen tout cas on nrsquoarrivera agrave discerner agrave quoi au juste on renvoie que dans un contexte plus large que la phrase incrimineacutee comme on a vu que crsquoest aussi le cas au niveau de lrsquohomonymie

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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sucircr que non raquo mdash laquo Mais quand tu admets qursquoune chose est cette chose tu la preacutetends ecirctre raquo mdash laquo Eacutevidemment raquo mdash laquo Nrsquoadmets-tu pas que cette pierre est raquo mdash laquo Certes raquo mdash laquo Donc tu preacutetends ecirctre cette pierre raquo 71 Enfin le dernier exemple fait lui aussi intervenir une confusion de fonctions attribuable agrave lrsquoidentiteacute dans la consignification de fonctions diffeacuterentes La preacutesentation grecque que la traduction ne peut reproduire sans violenter le franccedilais ne diffegravere pas vraiment du cas preacuteceacutedent σιγῶντα parce qursquoagrave lrsquoaccusatif peut se recevoir tant comme sujet que comme objet de lrsquoinfinitif λOcircγειν La traduction que jrsquoai proposeacutee habilite en silence tant agrave qualifier lrsquoobjet qursquoagrave servir drsquoapposition au sujet du verbe Visualisons laquoPeux-tu en silence nommer quelqursquoun raquo mdash laquo Non bien sucircr raquo mdash laquo Mais ne peux-tu pas nommer Pierre raquo mdash laquo Facile raquo mdash laquo Et Pierre nrsquoest-il pas justement en silence raquo mdash laquo Il en a bien lrsquoair raquo mdash laquo Alors tu peux nommer quelquun en silence raquo72

71 En grec la mecircme confusion origine de ce que dans la phrase infinitive

lrsquoaccusatif est identiquement signe du sujet comme de lrsquoattribut Crsquoest ce que remarquera Albert agrave partir de la traduction latine Putasne quod tu dicis esse hoc tu dicis esse laquo La multipliciteacute de celle-ci ressort de ce que ce pronom hoc peut ecirctre de cas nominatif et se construire avec le sujet du verbe comme deacuteterminant le sujet avec ce sens tu penses que tu dis ecirctre toi-mecircme cette chose qui existe Ou bien il peut ecirctre de cas accusatif et se construire avec dis comme eacuteleacutement posteacuterieur agrave titre drsquoobjet du verbe dis et ainsi crsquoest la colonne ou lrsquoautre chose dont tu dis qursquoelle est Il est drsquoailleurs facile en tout pareil cas de deacutecouvrir la multipliciteacute issue drsquoune construction diffeacuteren-te raquo (In I ES II 3)

72 Encore pour cet exemple en en commentant la traduction latine mdash Putas est sive contingit tacentem dicere mdash Albert enracine lrsquoamphibolie dans une confusion de fonctions grammaticales due agrave une identiteacute de signes grammati-caux laquo Lrsquoeacutenonceacute est agrave double sens car il signifie agrave la fois qursquoon nomme un tel qui est en silence et que lui en silence nomme un autre Cette phrase en effet peut signifier les deux [choses] agrave savoir qursquoen silence on nomme et ainsi on construit ce participe tacens avec le verbe infinitif dicere comme eacuteleacutement anteacuterieur avec force de sujet On peut aussi signifier ceci un tel qui est en silence est nommeacute et ainsi on [le] construit avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur car cela tacentem dicere compte alors au nombre de ce que lon peut dire raquo (In I ES II 3)

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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On comprend maintenant quelle nouveauteacute comporte lrsquoamphi-bolie par rapport agrave lrsquohomonymie et comment elle est tout agrave fait reacute-serveacutee agrave la phrase des mots qui ne comportent aucune ambiguiumlteacute en eux-mecircmes mdash ils renvoient sans aucune eacutequivoque agrave une chose unique que lrsquoon ne confond avec aucune autre mdash font quand mecircme une fois relieacutes agrave drsquoautres dans une phrase que ce qui est dit renvoie agrave des choses diffeacuterentes selon des fonctions diverses que les consi-gnifications attacheacutees agrave eux leur font attribuer Malgreacute ce qursquoon a pu trouver chez Albert en incoheacuterence avec cette deacutefinition de lrsquoamphibolie 73 elle reste quand mecircme celle qursquoil privileacutegie

73 Et je nrsquoai pas tout releveacute Pour illustrer davantage il y a cet argument qursquoAl-

bert srsquoapporte en objection comme quoi une modaliteacute de lhomonymie aurait eacuteteacute oublieacutee laquo On semble avoir insuffisamment preacutesenteacute les modaliteacutes de lrsquohomonymie car de la signification diffeacuterente attacheacutee au cas [en regard du franccedilais on dirait laquo agrave la preacuteposition raquo] ou au nombre semble provenir une homonymie comme si lrsquoon dit Quicumque sunt Episcopi sunt sacerdotes isti asini sunt Episcopi ergo isti asini sunt sacerdotes [Un eacutequivalent franccedilais pourrait ecirctre ldquoCe qui est agrave leacutevecircque cest le sacerdoce cet acircne est agrave leacutevecircque cet acircne est donc le sacerdocerdquo] En effet cette modaliteacute qui pro-vient drsquoune diffeacuterence de consignification du cas [pour lrsquoeacutequivalent franccedilais ldquode la preacuteposition agraverdquo ] ne semble contenue sous aucune des modaliteacutes preacutesenteacutees raquo De fait lrsquoambiguiumlteacute reacuteside dans la deacutesinence identique du nominatif pluriel qui consignifie le rocircle drsquoattribut et du geacutenitif singulier qui consignifie le compleacutement deacuteterminatif de nom et par lagrave la possession mdash En franccedilais la preacuteposition agrave comporte une ambiguiumlteacute comparable eacutetant susceptible de consignifier une attribution essentielle comme la possession exteacuterieure Mais Albert affaire sa reacuteponse agrave faire rentrer cet argument dans le giron de ce qursquoil a preacutesenteacute comme seconde modaliteacute de lrsquohomonymie laquo On doit reacutepondre que cette modaliteacute est contenue sous la seconde modaliteacute [sub primo modo on doit lire sub secundo modo puisque Albert reacuteserve agrave la seconde modaliteacute de comporter une hieacuterarchie entre les sens] preacutesenteacutee car crsquoest une signification diffeacuterente communeacutement qui se prend en rapport agrave la signification et agrave la consignification Bien qursquoen effet une expression signifie principalement ce qursquoelle dit en position de sujet [in recto crsquoest-agrave-dire au nominatif cas consignifiant le sujet] elle signifie toutefois aussi ce qursquoelle dit en position de compleacutement [in obliquo crsquoest-agrave-dire agrave un cas autre que le nominatif et donc agrave un cas qui consignifie une autre fonction que celle de sujet] bien que non en premier mais par extension raquo (In I ES II 2) La reacuteponse de saint Albert est fautive toute ambiguiumlteacute issue drsquointerpreacutetations diverses des fonctions des mots dans la phrase appartient par deacutefinition agrave lrsquoamphibolie et ne peut constituer une modaliteacute speacuteciale de lrsquohomonymie

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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laquo Voilagrave donc les modaliteacutes de lrsquoamphibolie auxquelles on reacuteduit toutes les modaliteacutes des tromperies qui proviennent drsquoune construction diffeacuterente drsquoune expression avec une autre en la mecircme phrase raquo74

Cependant on en terminerait malaiseacutement avec lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie sans un eacuteclairage concernant la distinction inattendue sur laquelle Aristote achegraveve leur consideacuteration Lrsquohomonymie et lrsquoamphibolie revecirctiraient trois modaliteacutes que la tournure des propos aristoteacuteliciens porte Albert agrave interpreacuteter comme respectives agrave chacune

Dans lrsquoexpression il y a trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et en correspondance il y a dans la phrase trois modaliteacutes de lrsquoamphibolie Lrsquoune drsquoentre elles et la premiegravere crsquoest quand lrsquoexpression pour ce qui est de lrsquohomonymie ou la phrase pour ce qui est de lrsquoamphibolie signifie principalement75 plusieurs choses Un exemple en est pour lrsquohomonymie le poisson homonyme en regard du poisson veacuteritable et du poisson peint et le chien homonyme en regard de celui qui jappe et du marin Un exemple en est pour lrsquoamphibolie ce qui a eacuteteacute preacutesenteacute plus haut dans la phrase Je voudrais la capture des ennemis comme crsquoest devenu eacutevident de ce qui preacutecegravede aussi nrsquoest-il pas neacutecessaire de le reacutepeacuteter76

Crsquoest seulement quand la confusion due agrave des cas diffeacuterents du mecircme mot surgit de la communauteacute de radical sans avoir rien agrave voir avec une ressemblance de deacutesinences qursquoelle est passible drsquohomonymie

74 In I ES II 3 75 Principaliter Aristote dit κυρUcircως proprement 76 Voilagrave plutocirct un exemple de la troisiegraveme modaliteacute ougrave crsquoest seulement en

composition entre eux que les mots renvoient agrave des situations diffeacuterentes Cela nrsquoarrive en fait que dans la mesure ougrave les signes de leurs fonctions mdash deacutesinences positions mdash srsquoidentifient agrave ceux drsquoautres fonctions crsquoest le propre de lrsquoamphibolie Capture en lui-mecircme ne precircte agrave aucune confusion ni ennemis mecircme que dans lrsquoune et lrsquoautre direction de lrsquoambiguiumlteacute qui srsquoensuit chacun garde exactement le mecircme sens Seulement une fois ennemis uni agrave capture comme agrave son compleacutement deacuteterminatif la chose unique qursquoil signifie peut se voir tant comme lrsquoobjet que comme lrsquoagent de lrsquoaction signifieacutee par capture

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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Une autre [modaliteacute] crsquoest quand nous avons coutume en usant drsquoune ressemblance meacutetaphorique dans une expression ou dans une phrase de parler de maniegravere que lrsquoexpression ou la phrase signifie proprement une [chose] et [en signifie] secondairement et impropre-ment une autre par le biais de la ressemblance meacutetaphorique il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoexemplifier agrave ce sujet car il y a beaucoup de comparaisons agrave la fois en expression et en phrase et elles sont con-nues77

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand lrsquoexpression ou la phrase composeacutees agrave une autre expression ou phrase signifient plusieurs [choses] alors que seacutepareacutees lrsquoexpression et la phrase signifiaient de maniegravere simple crsquoest-agrave-dire une chose unique et non plusieurs Un exemple en est pour lrsquoamphibolie cette phrase Il y a connaissance du siegravecle78 Par elle-mecircme elle signifie une seule chose mais unie agrave une autre phrase comme agrave celle-ci Ce que lon connaicirct il y en a connaissance79 elle signifiera plusieurs choses du fait que ce terme siegravecle lieacute au nom connaissance comme compleacutement deacuteterminatif preacutecisant son agent entraicircne un sens et construit avec le mecircme nom comme compleacutement deacuteterminatif indiquant son objet il entraicircnera un autre sens80 comme il est ressorti manifestement plus haut pour cette phrase ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance on connaicirct la grammaire donc la grammaire connaicirct Ce cas est en tout pareil

77 Aristote qui nrsquoapporte malheureusement aucun exemple lui non plus ne

preacutecise pas qursquoil srsquoagirait de meacutetaphore il distingue seulement lrsquousage drsquoun mot en un sens qui serait coutumier sans ecirctre reconnu comme propre Que faut-il y voir au juste une meacutetaphore comme le dit Albert dont les deux termes ont un lien si teacutenu si lieacute agrave lrsquoimagination que leur communauteacute de nom se tient agrave la limite extrecircme de lrsquohomonymie ou plus simplement un homo-nyme en gestation

78 Scit saeculum Encore un cas de confusion entre le nominatif et lrsquoaccusatif neutres et par conseacutequent entre le sujet et lrsquoobjet drsquoun verbe lrsquoeacutequivalent en franccedilais crsquoest la confusion agrave laquelle se precircte le compleacutement deacuteterminatif du nom entre le sujet et lrsquoobjet de lrsquoaction signifieacutee par ce nom

79 Quodcumque scit aliquis hoc scit 80 Litteacuteralement laquo Ce terme siegravecle lieacute au nominatif au verbe du cocircteacute de son

sujet engendre un sens et construit agrave lrsquoaccusatif avec le mecircme verbe comme eacuteleacutement posteacuterieur engendrera un autre sens raquo

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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agrave cette phrase Car lrsquoune et lrsquoautre de ces phrases srsquoil se trouve signifient une seule chose Je dis toutefois srsquoil se trouve car elle peut ecirctre adjointe agrave une phrase qui signifie soit une seule chose soit plusieurs et recevoir multipliciteacute du fait mecircme de cette adjonction alors les deux phrases lrsquojointes ensemble signifient plusieurs choses Et cela agrave savoir ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance cela en effet nrsquoest pas multiple mais quand on ajoute en paralogisme il y a connaissance du siegravecle aussitocirct il y a multipliciteacute du fait de lrsquoadjonction Parce que crsquoest par lrsquoadjonction reccedilue que siegravecle peut ecirctre construit avec le nom connaissance comme agent ou comme objet81 ce qui ne se pouvait sans cette conjonction en effet il signifie ou bien que le siegravecle lui-mecircme a connaissance srsquoil est construit avec le nom qursquoil deacutetermine comme son agent82 ou bien qursquoun autre a connaissance du siegravecle ou sur le siegravecle si ce terme siegravecle est compleacutement deacuteterminatif et est construit avec le nom connaissance au comme son objet8384

Cette preacutesentation est tregraves artificielle et exageacutereacutement compli-queacutee et toutes les corrections mdash reprehensio quorumdam mdashajou-teacutees ensuite par Albert ne rachegraveteront pas la deacuteficience de son inter-preacutetation des trois modaliteacutes de lrsquohomonymie et de lrsquoamphibolie Il nrsquoest pas juste de dire que les phrases Ce que lrsquoon connaicirct il y en a connaissance et Il y a connaissance du siegravecle et Il y a connais-sance de la grammaire ne revecirctent de multipliciteacute de sens qursquoune fois composeacutees entre elles Chacune deacutejagrave se precircte agrave ce que lrsquoon y confonde les fonctions de ses eacuteleacutements comme je lrsquoai deacutejagrave fait remarqueacute plus haut mettre ensemble ces phrases facilite simple-ment la claire perception de la multipliciteacute autrement latente Al-bert le Grand voit agrave tort dans la remarque drsquoAristote la multiplication en trois espegraveces chacune de lrsquohomonymie et de

81 Litteacuteralement laquo hellip qursquoil peut ecirctre construit avec le verbe scit comme [eacuteleacutement]

anteacuterieur ou posteacuterieur raquo 82 Litteacuteralement laquo hellip srsquoil est construit avec le verbe du cocircteacute de son sujet raquo 83 Litteacuteralement laquo hellip si ce terme siegravecle est de cas accusatif et est construit avec

le verbe scit du cocircteacute de lrsquoobjet raquo 84 In I ES II 5

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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lrsquoamphibolie Tout au contraire Aristote introduit lagrave une vision plus profonde de la speacutecification de lrsquoambiguiumlteacute en acte Repoussant le critegravere facile mais superficiel et inadeacutequat de tenir agrave un mot ou agrave plusieurs mdash car on lrsquoa deacutejagrave vu toute ambiguiumlteacute qursquoelle tienne agrave un mot de sens multiples ou agrave la relation de plusieurs mots entre eux nrsquoagit et ne trompe que dans une phrase mdash Aristote recourt agrave une division tripartite la multipliciteacute qui constitue lrsquoambiguiumlteacute en acte srsquoaccroche ou agrave des sens propres ou agrave des sens coutumiers ou agrave des fonctions consignifieacutees Lrsquohomonymie srsquoincarne dans les deux premiegraveres voies et lrsquoamphibolie dans la troisiegraveme Rien ne justifie une division ulteacuterieure du sophisme du fait que la multipliciteacute de sens touche un seul mot ou plusieurs ni du fait que la multipliciteacute de construction affecterait un mot ou plusieurs la premiegravere eacuteventualiteacute se trouvant drsquoailleurs impossible

E La composition et la division Voilagrave pour lambiguiumlteacute en acte propre agrave la phrase crsquoest-agrave-dire

pour la capaciteacute inheacuterente agrave la phrase de renvoyer agrave des choses diffeacuterentes tout en restant exactement la mecircme tant mateacuteriellement que formellement exactement les mecircmes mots exactement la mecircme prononciation Trouvera-t-on maintenant pour la phrase une ambiguiumlteacute potentielle qui corresponde agrave celle que preacutesente pour lrsquoexpression simple lrsquoaccent variation de tonaliteacute sur un mecircme phonegraveme de base Effectivement Le grammairien a inventeacute les signes eacutecrits des accents pour limiter lrsquoambiguiumlteacute attacheacutee agrave la capaciteacute tonale multiple des mots en correspondance il a ducirc imaginer la ponctuation pour conjurer le danger que dans la prononciation drsquoune phrase le jeu des pauses ne renvoie agrave des choses multiples par la composition ou division varieacutee qursquoil suggegravere entre les mots Il faut toutefois tempeacuterer la parenteacute trouveacutee entre la composition et la division drsquoune part et lrsquoaccent dautre part Sans doute les trois comportent ambiguiumlteacute potentielle seulement comme les expressions incrimineacutees ne sont pas par-faitement identiques preacutesentant une certaine variation dans leur prononciation donc dans leur forme Mais remarque Albert les deux premiegraveres comportant une variation plus leacutegegravere dans la pro-

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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nonciation incarnent davantage lrsquouniteacute ougrave reacuteside le danger sophis-tique

On doit traiter drsquoabord de la composition parce que dans lrsquoaccent mdash lrsquoaccent [tient] agrave des prononciations diffeacuterentes de lrsquoaigu du grave et du circonflexe mdash la forme de lrsquoexpression ne reste pas la mecircme pour autant que la forme de lrsquoexpression crsquoest sa prononcia-tion Aussi renvoie-t-il davantage agrave la diversiteacute Par contre dans la phrase tant composeacutee que diviseacutee les expressions demeurent les mecircmes quant agrave leur forme et agrave leur matiegravere aussi regardent-elles da-vantage agrave luniteacute85

Agrave son habitude Albert cherche ensuite comment chaque illus-tration reccedilue drsquoAristote correspondrait agrave une modaliteacute distincte du sophisme examineacute Le jeu de pauses deacuteclare-t-il donnera occasion de tromper sous trois modaliteacutes La premiegravere est tregraves simple il y aura ambiguiumlteacute selon que la prononciation attachera une expression agrave une autre ou lrsquoen deacutetachera sans que cela neacutecessite de rompre ou drsquoeacutetablir un lien de cette expression avec une troisiegraveme On mettra agrave contribution lrsquoambiguiumlteacute de composition si crsquoest la prononciation composeacutee qui est fausse

La premiegravere en provient de ce qursquoune expression est composeacutee avec une autre dans une phrase sans pourtant que lrsquoon divise ce qui est dans la phrase Sont de ce type les deux phrases suivantes pouvoir marcher assis et pouvoir eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas86 Si en effet on dit ces phrases en composant lrsquoapposition87 avec lrsquoinfinitif88 et si on les dit en divisant la mecircme apposition du mecircme infinitif89 on ne signifiera pas la mecircme chose mais quelque

85 In I ES II 6 Il faut rapporter agrave une diffeacuterence de degreacute plutocirct qursquoagrave une

contradiction le fait qursquoAlbert nie ici pour la composition et pour la division la diversiteacute formelle qursquoil leur attribuait plus haut

86 Posse sedentem ambulare et posse non scribentem scribere 87 Accusativum 88 En suggeacuterant en somme qursquoassis et au moment ougrave lon neacutecrit pas sont des

adverbes qui qualifient marcher et eacutecrire 89 De sorte qursquoelle agisse comme un adjectif qualifiant le sujet de la capaciteacute

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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chose de multiple par composition et division Si en effet on com-pose lrsquoapposition avec lrsquoinfinitif alors on signifie la mecircme chose que la phrase suivante que lrsquoon a la capaciteacute drsquoeacutecrire sans eacutecrire et [cette phrase] est fausse Tandis que si on ne compose pas lrsquoapposi-tion avec le verbe on signifie alors que mecircme si on nrsquoeacutecrit pas main-tenant on a la capaciteacute drsquoeacutecrire et cette [phrase]-ci est vraie La [phrase] composeacutee donc est fausse et la diviseacutee vraie On doit pro-noncer la diviseacutee de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon neacutecrit pas de faccedilon agrave mettre un moment drsquoarrecirct apregraves eacutecrire et agrave poursuivre ensuite au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas Tandis que la phrase composeacutee se prononce de la faccedilon suivante il est vrai qursquoon peut eacutecrire au moment ougrave lrsquoon nrsquoeacutecrit pas de faccedilon agrave ne mettre drsquoarrecirct qursquoagrave pas Et ainsi elle est fausse90

Et lrsquoambiguiumlteacute de division si crsquoest la prononciation diviseacutee qui est fausse

La premiegravere modaliteacute donc sera quand une chose est diviseacutee drsquoune autre preacutesente dans la phrase mais nrsquoest composeacutee agrave aucune autre preacutesente dans la mecircme phrase Pour cela on a deux exemples comme suit Cinq font deux et trois On met en forme comme suit Deux et trois font toujours cinq [or] deux et trois font deux et trois donc deux font cinq et trois font cinq ce qui est faux Voici encore une formulation91 Tout ce qui fait deux et trois est pair et impair cinq font deux et trois92 donc cinq sont pairs et impairs 93

La seconde modaliteacute preacutesente un plus haut degreacute de comple-xiteacute ce qui agit comme source de confusion crsquoest encore la pro-nonciation composeacutee mdash ou diviseacutee mdash drsquoune expression en regard drsquoune autre de laquelle on devrait au contraire la seacuteparer mdash ou avec laquelle on devrait la composer mdash mais lrsquoopeacuteration implique cette fois que simultaneacutement on seacutepare cette expression drsquoune autre

90 In I ES II 6 91 De fait crsquoest plutocirct dans cette autre formulation (oratio) qursquoon peut recon-

naicirctre le premier exemple drsquoAristote la preacuteceacutedente eacutetant plutocirct lourde et maladroite

92 Tria et duo 93 In I ES II 7

Yvan Pelletier

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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avec laquelle elle doit ecirctre composeacutee mdash ou la compose avec une autre de laquelle elle doit ecirctre seacutepareacutee On se repreacutesentera plus facilement lrsquoopeacuteration en observant les exemples suivants donneacutes respectivement comme de composition et de division selon cette seconde modaliteacute

La seconde modaliteacute provient de ce que lrsquoon compose quelque chose avec autre chose preacutesent dans la mecircme phrase et qursquoaussi on le seacutepare drsquoautre chose preacutesent dans la mecircme phrase En voici un exemple Apprendre maintenant ses lettres si on a appris celles que lrsquoon connaicirct94 Et voici comment on forme le paralogisme on pro-pose ceci Quiconque connaicirct ses lettres les a apprises Agrave partir de lagrave on amegravene ceci qui comporte multipliciteacute Quiconque connaicirct ses let-tres maintenant les a apprises95 Si en effet on compose lrsquoadverbe maintenant avec le verbe a apprises et qursquoon le seacutepare du verbe connaicirct alors la phrase est fausse Si par contre on le compose avec le verbe connaicirct et qursquoon le divise du verbe a apprises la phrase est vraie Et ainsi composeacutee elle fait deacutefaut et diviseacutee elle reacutesout96

Voici maintenant un exemple de ce qui se passe quand une chose est seacutepareacutee97 drsquoune autre dans la mecircme phrase et que une fois seacutepareacutee drsquoelle elle est composeacutee avec une troisiegraveme preacutesente dans la

94 Discere nunc litteras siquidem didicit quas scit Le texte aristoteacutelicien porte

γρIgraveμματα et ἅ les deux au neutre crsquoest par cette influence probablement que la traduction latine gardera le mecircme genre agrave litteras et agrave quas mais le sens se reacutetreacutecit Ἅ en grec peut renvoyer agrave nrsquoimporte quoi que lrsquoon connaicirct tandis que quas en latin ne renvoie qursquoaux lettres que lrsquoon connaicirct

95 Quicumque scit litteras nunc didicit illas 96 In I ES II 6 Dans son explication Albert oublie qursquoil srsquoagit de prononcia-

tion et va tout de suite au sens il vaudrait mieux parler de composer maintenant avec et de le seacuteparer de lettres et les ses deux voisins mateacuteriels mecircme si cela entraicircne pour le sens de la phrase que maintenant qualifiera comme adverbe selon le cas connaicirct ou a apprises

97 Componitur Le sens est plus clair et convient mieux au contexte drsquoun chapitre consacreacute aux modaliteacutes de la division en lisant dividitur Si on tient agrave lire componitur le sens plus tortueux est qursquoune chose qui est ou du moins qui serait normalement composeacutee avec une autre une fois diviseacutee drsquoelle est composeacutee agrave une troisiegraveme preacutesente elle aussi dans la phrase

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

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mecircme phrase Moi je trsquoai fait libre comme tu eacutetais esclave98 Il y a multipliciteacute de sens dans cette phrase du fait que ce bout de phrase comme tu eacutetais99 peut se composer avec le nom esclave et ainsi la phrase est composeacutee et vraie ou se seacuteparer drsquoelle et se composer avec le nom libre et ainsi elle est diviseacutee et fausse Et voilagrave en regard de la seconde modaliteacute de la division100101

Agrave ce point il devient fort difficile drsquoattribuer deacutetermineacutement agrave la composition ou agrave la division lrsquooccasion de lrsquoambiguiumlteacute puisqursquoen fait lrsquoune et lrsquoautre interviennent agrave la fois On nrsquoy arrivera que dans la mesure ougrave il apparaicirct que crsquoest la composition faite ou la division qui srsquoexerce sur le lien le plus important des deux concerneacutes102 Ce deviendra plus laborieux encore srsquoil se peut lagrave ougrave Albert veut une troisiegraveme modaliteacute Ce qursquoil verra de speacutecial en cette nouvelle modaliteacute crsquoest que lrsquoune des trois expressions en rapport de composition et de division serahellip sous-entendue Agrave parler ainsi Albert oublie encore quelque peu qursquoil parle de pro-nonciation on imagine difficilement qursquoon puisse en prononccedilant plutocirct lier ou plutocirct seacuteparer une expression dite et une expression sous-entendue Mais laissons-le parler

La troisiegraveme modaliteacute crsquoest quand on compose avec autre chose preacutesent dans la phrase mais mentalement103 dans la mecircme phrase Crsquoen est un exemple ce que lrsquoon dit que ce qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs104 Le sens de la composition en effet srsquoattache agrave la prononciation continue et composeacutee entre les deux

98 Te posui servum entem liberum 99 Litteacuteralement laquo hellip le participe entemhellip raquo 100 Compositionis On doit lire divisionis 101 In I ES II 7 102 Albert disserte longuement sur les critegraveres agrave faire valoir en cela selon que

lrsquoexpression composeacutee et diviseacutee avec deux autres est un sujet en regard de deux deacuteterminations ou une deacutetermination en regard de deux sujets Voir In I ES II 8

103 Sub intellectu 104 Quod unum solum potest ferre plura potest ferre

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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expressions un seul avec le verbe infinitif porter avec ce sens ce qui peut en porter un seul et rien de plus peut en porter plusieurs Ainsi en effet [la phrase] est composeacutee et fausse En ce sens lrsquoexpression exclusive vise lrsquoinfinitif porter105 car ce qui ainsi peut en porter un seul et rien de plus ne peut pas en porter plusieurs Car ainsi lrsquoexpression exclusive informe le terme un et exclut ce qui est opposeacute agrave lrsquoun de lrsquoinfinitif sur lequel porte pouvoir ou capable de Crsquoest pourquoi ce qui ainsi peut en porter un seul ne peut pas en porter plusieurs Mais si la prononciation est discontinue et diviseacutee entre ces deux [expressions] un seul alors lrsquoexpression exclusive est exclue du terme un et est jointe avec la relative sous-entendue ce qui fait il peut en porter un qui soit ou se trouve seul Et cela est vrai crsquoest pourquoi diviseacutee elle est vraie composeacutee fausse106

Cet exemple se precircte agrave une multipliciteacute de preacutesentations surtout qursquoen sa forme grecque il precircte quelque peu agrave amphibolie107 On saisira plus vite sous quel angle Albert le regarde si on le visualise dans la forme que pourrait lui imposer la chicane eacuteventuelle suivante laquo Ces sacs de 50 kilos peux-tu en porter plu-sieurs raquo mdash laquo Non un seul raquo mdash laquo Mais si tu peux en porter un seul tu peux en porter plusieurs raquo mdash laquo Voyons donc raquo mdash laquo De ces sacs peux-tu porter celui-ci srsquoil est seul raquo mdash laquo Srsquoil est seul oui raquo mdash laquo Et tu peux porter celui-lagrave seul raquo mdash laquo Eacutegalement raquo mdash laquo Et cet autre seul raquo mdash laquo Tout autant raquo mdash laquo Tu vois tu peux en porter un seul et tu peux en porter plusieurshellipraquo Le reacutepondeur concegravede qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul seacutepareacutement un srsquoil est seul tandis que le demandeur conclut comme srsquoil avait conceacutedeacute qursquoil peut en porter un seul prononccedilant un et seul en composition un seul et pas plus Albert soutient qursquoil

105 Crsquoest-agrave-dire seul modifie porter comme un adverbe le sens apparaicirct plus

facilement en usant de la forme proprement adverbiale seulement 106 In I ES II 6 107 ldquoΤUgrave ἓν μıνον δυνIgraveμενον φOcircρειν πολλIuml δ˜νασθαι φOcircρεινrdquo On peut

entendre ἓν μıνον en apposition au sujet δυνIgraveμενον plutocirct qursquoen objet de φOcircρειν et de mecircme πολλIuml en sujet de δ˜νασθαι plutocirct qursquoen objet de φOcirc-ρειν Mais cette interpreacutetation est ensuite passible de la mecircme alternative de composition et de division

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

41

y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

Yvan Pelletier

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

43

prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

Yvan Pelletier

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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y a lagrave une modaliteacute originale de la composition fausse puisque la division qui en est la contrepartie vraie non seulement seacutepare les deux termes normalement unis un et seul mais de plus compose seul avec un terme ou groupe de termes sous-entendus eacutetant ou srsquoil est Crsquoest je crois un artifice excessif et il ne creacutee pas une diffeacuterence avec les autres cas de fausse composition puisque quasi toujours en expliquant lrsquoattrape on facilite la compreacutehension si on ajoute des mots que lrsquoon pouvait sous-entendre Je rattacherais donc tout bonnement cet exemple agrave la premiegravere modaliteacute

Une autre interpreacutetation proposeacutee par Albert mais qursquoil ne privileacutegie pas comme moins rationnelle paraicirctrait peut-ecirctre davan-tage neacutecessiter composition avec quelque terme sous-entendu

Drsquoautres disent encore que cette phrase Qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs nrsquoest pas agrave multiple sens mais fausse absolument et on ne la preacutesente pas [ici] du fait qursquoelle soit agrave multiple sens mais qursquoelle srsquoensuit drsquoune phrase agrave multiple sens comme suit Qui peut en porter un et un autre peut en porter un seul donc qui peut en porter un seul peut en porter plusieurs108

Voici une chicane qui incarnerait eacuteventuellement cette interpreacute-tation laquo Combien peux-tu porter de ces sacs agrave la fois raquo mdash laquo Un seul raquo mdash laquo Plusieurs donc raquo mdash laquo Mais non voyons raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-ci raquo mdash laquo Oui puisque je puis en porter un raquo mdash laquo Peux-tu porter celui-lagrave raquo mdash laquo Pour la mecircme raison raquo mdash laquo Et celui-lagrave raquo mdash laquo Pareillement raquo mdash laquo Donc toi qui ne peux porter quun seul sac tu peux en porter plusieurshellip raquo Le reacutepondeur concegravede pouvoir porter ce sac ce sac ou ce sac seacutepareacutement mais le demandeur procegravede comme srsquoil avait conceacutedeacute pouvoir porter ce sac ce sac et ce sac ensemble du fait que la reacuteponse donneacutee agrave haute voix par parties sous la forme Oui je peux porter ce sac peut se rassembler mentalement dans cet eacutenonceacute Oui je peux porter ce sac ce sac et ce sac La reacuteponse agrave haute voix Je peux porter ce sac sous-entendait et ce sac et ce sac que lrsquoon peut imaginer prononceacute ou en composition ou en division De fait on ne recouvre pas exac-tement lrsquoexplication drsquoAlbert qui imaginait un terme sous-entendu

108 In I ES II 6

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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seulement dans le cas de la composition De plus lrsquoambiguiumlteacute de la phrase ne change pas de nature qursquoelle soit sous-entendue ou non en partie ou en tout de la releacuteguer ainsi plus ou moins au mental est simplement question de strateacutegie de la part du chicanier Enfin cette interpreacutetation plus habituelle que lrsquoon trouve avec des variantes chez Maurus109 et Pacius110 entre autres risque beaucoup de glisser agrave une ambiguiumlteacute qui se rattacherait plutocirct au sophisme absolument ou avec une preacutecision du fait de faire jouer une composition induehellip dans les choses penseacutees non dans la prononciation des mots on a conceacutedeacute qursquoon peut en porter seulement un avec la preacutecision sous-entendue agrave la fois et on raisonne comme si on avait conceacutedeacute seulement un absolument111 Il faudra faire de pareilles reacuteserves quand Albert voudra faire recevoir la preacutetendue troisiegraveme modaliteacute de la division

Enfin pourquoi distinguer pour la phrase deux espegraveces drsquoam-biguiumlteacute lieacutees agrave la prononciation alors qursquoon nrsquoen avait reconnue qursquoune pour le mot Pourtant lrsquoaccent nrsquoest-il pas triple aigu grave ou circonflexe Ne devrait-on pas en deacuteriver un sophisme de lrsquoaigu un du grave et un du circonflexe Ou rassembler la composition et la division dans un seul Surtout qursquoau bout du compte aigu et grave entretiennent une opposition comparable agrave celle que se font la composition et la division celle drsquohabitus et de privation le circonflexe preacutesentant simplement la modaliteacute plus complexe qursquoune mecircme voyelle parce que double en dureacutee puisse

109 laquo Le sophiste argumente qui peut porter ce poids de cent livres peut aussi

porter cet autre poids de cent livres donc il peut porter lrsquoun et lautre ce qui est faux La tromperie est que le reacutepondeur a conceacutedeacute seulement qursquoil pourrait porter les poids seacutepareacutement tandis que le sophiste assume qursquoil pourrait les porter conjointement raquo (Maurus 574b)

110 laquo Le sophiste prouve que celui qui peut porter par exemple un sac peut porter plusieurs sacs mais il y a tromperie de composition car il peut en porter plusieurs seacutepareacutement pas agrave la fois raquo (Pacius 484a)

111 On peut aussi glisser dans lrsquoaspect de lrsquoexpression si en disant la phrase Qui peut porter ce sac-ci ce sac-lagrave et cet autre peut en porter plusieurs on entend plusieurs avec des valeurs de remplacement multiples plusieurs seacutepareacutement vs plusieurs agrave la fois plusieurs potentiellement vs plusieurs en acte

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

Division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

copy Note Les polices de caractegraveres OdysseaU utiliseacutees pour lrsquoimpression de ce

document sont disponibles aupregraves de Linguistrsquos Software Inc PO Box 580 Edmonds WA 98020 0580 USA teacutel (425) 775 1130 ou agrave lrsquoadresse suivante wwwlinguistsoftwarecom

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prendre lrsquoaccent sur sa premiegravere partie et ne pas le prendre sur sa deuxiegraveme Albert se pose cette question que sa preacutesentation des motifs geacuteneacuteraux de division rend incontournable mais aucune de plusieurs raisons qursquoil donne en reacuteponse ne fait poids Pour ne mrsquoadresser qursquoaux deux qui srsquoapprochent le plus de paraicirctre seacuterieuses mdash laquo Il nrsquoy a pas quelque chose de commun en elles drsquoapregraves quoi ces deux tromperies pourraient ecirctre nommeacutees raquo et laquo dans lrsquoexpression il nrsquoy a avec lrsquoaccent qursquoune seule cause dapparence tandis que dans la phrase [agrave sens] multiple il y a deux causes drsquoapparences et donc deux tromperies raquo 112 mdash drsquoabord habitus et privation ne reacutesistent pas plus agrave rentrer sous un seul nom qursquoil srsquoagisse de composition et de division ou drsquoaigu et de grave ensuite lrsquoaccent offre encore moins que la composition et la division une seule cause drsquoapparence lrsquoaccent le plus proprement dit est deacutejagrave triple et il faut au moins lui ajouter comme occasions apparenteacutees drsquoambiguiumlteacute lrsquoaspiration la dureacutee et le timbre Je crois finalement qursquoil faut suivre une direction opposeacutee agrave celle drsquoAlbert lrsquoaccent est si multiple comme occasion de confusion et en mecircme temps si facile agrave comprendre que ce serait srsquoengager dans des consideacuterations et une nomenclature inutilement longues et fastidieuses que drsquooffrir agrave chaque varieacuteteacute le statut de sophisme speacutecifiquement distinct Crsquoest plutocirct cette raison pratique qui porte Aristote agrave forcer toutes les nuances de prononciation agrave entrer dans le giron drsquoun sophisme unique Car au bout du compte comme il lrsquoannonccedilait deacutejagrave au deacutebut des Topiques

Sur rien de cela nous ne voulons fournir la deacutefinition exacte nous voulons agrave lrsquoopposeacute discourir de cela aussi sommairement que possible estimant tout agrave fait suffisant pour la meacutethode que nous nous proposons de pouvoir reconnaicirctre chaque chose de quelque maniegrave-re113

Quant agrave lrsquoaspect de lrsquoexpression doit-on de quelque maniegravere y faire correspondre un aspect de la phrase Albert croit que mani-festement nonhellip

112 In I ES II 8 113 Topiques I 1 101a21-24

Yvan Pelletier

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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Si la ressemblance se trouve dans un phonegraveme complexe elle sera hellip ou bien seulement en regard de la forme et ainsi on aura encore lrsquoaspect de lrsquoexpression car crsquoest la mecircme terminaison pour la phrase et pour lrsquoexpression puisque toute phrase se termine par une expression114

hellip et Aristote nrsquoa rien mis dans son eacutenumeacuteration qui puisse en tenir le rocircle De fait je ne vois aucune raison non plus de trouver que la phrase serait ambigueuml autrement que le mot quant agrave lrsquoimpression donneacutee par sa configuration superficielle de renvoyer aux choses plutocirct sous tel aspect que sous tel autre Crsquoest de fait surtout la fin des phrases comme des mots qui se precircte agrave ce jeu de ressemblance et alors comme le remarque Albert la fin drsquoune phrase reste tou-jours un mot unique Quant aux circonstances ougrave la ressemblance de tournure de phrase porte sur deux phrases ougrave mecircme la matiegravere est la mecircme la tromperie srsquoexercera encore de la mecircme faccedilon que dans le cas correspondant pour lexpression simple Tellement qursquoAlbert donne lrsquoexemple suivant qui porte sur la phrase un seul sans aucune mention de ce qursquoil srsquoagisse drsquoautre chose que drsquoune expression simple

Par exemple Celui-lagrave donne un seul denier et il nrsquoen a pas un seul il donne donc ce qursquoil nrsquoa pas Car seul signifie drsquoabord une relation puis seul signifie la substance115

Bien qursquoun seul soit tout agrave fait identique exteacuterieurement dans la majeure et dans la mineure ce nrsquoest pas proprement un problegraveme de signification multiple et donc drsquohomonymie qui creacutee ici lambi-guiumlteacute Un seul signifie exactement la mecircme chose dans les deux cas Mais la tournure identique drsquoun seul dans les deux preacutemisses renvoie agrave deux faccedilons de concevoir la mecircme chose concregravetement drsquoabord car crsquoest la substance dont un seul est lrsquoaccident dont aumocircne a eacuteteacute faite abstraitement ensuite car crsquoest lrsquouniciteacute qui est nieacutee comme possession Un seul agissant comme pronom paraicirct deacutesigner immeacutediatement la substance donnant lrsquoimpression que crsquoest drsquoelle que la possession est nieacutee

114 In I ES I 6 115 In I ES II 11

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Gracircce au commentaire drsquoAlbert le Grand lrsquointelligence logique peut se sentir plus agrave lrsquoaise avec la division aristoteacutelicienne des sophismes verbaux En eacuteclairant les critegraveres de cette division agrave la lumiegravere de ce qui dans la nature mecircme du mot et de la phrase precircte agrave ambiguiumlteacute Albert le Grand rend possible drsquoen appreacutecier le carac-tegravere agrave la fois exhaustif et pourtant utilitaire proportionneacute agrave une meacutethode Jrsquoai manifesteacute assez clairement je crois que ce nrsquoest pas dire qursquoil faille recevoir sans examen les consideacuterations albertiennes Mais quel que soit le nombre de corrections agrave leur deacutetailler il ne faut pas leacutesiner sur la reconnaissance due agrave Albert pour avoir signaleacute le plus preacutecieux principe de manifestation cette distinction de la matiegravere et de la double forme des mots comme sources de toute ambiguiumlteacute verbale et pour avoir stimuleacute la quecircte de ce que comporte drsquooriginal chaque illustration aristoteacutelicienne drsquoun renvoi agrave des choses diffeacuterentes avec des mots ou des phrases similairescopy

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