Albalat Antoine_La Formation Du Style Par l'Assimilation Des Auteurs

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    A N T O I N E A lB A lA T

    L a

    Form a tion du S ty lepar

    I'assirnilation des AuteursDEUXIEME EDITION

    Librairie Armand ColinParis, 5, rue de Mez.leres

    1902Tous droits reserves.

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    .. L a

    Formation du Stylepar

    l'assimilation des Auteurs

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    DU ME~IE AUTEURA LAM E ME LI BRA I R I E

    L'Art d'ecrire ens eigne en vingt Ieeons :Le don d'ecriro. - Les manuels de Iitteraturo. - De la lecture. - Dustyle. - L'originalite du style. - La concision du style. - L'harmoniodu style. - L'harmonie des phrases. - Ilinvention. - La disposition. -L'elooution. - Procede des refontes. - De la narration. - De la des-cription. - L'observation directe. - L'observation indircctc. - Lesimages. - La creation des images. - Du dialogue. _ Lc styleepistolaire.

    Un volume in-iS jesus, broche ... _ . . . . . 3 fr. 50Rollo toile 4 fro 50.

    Marie, Premier amour, roman. In-18 jesus, broche , 3 fro 50L'Art d'acrire. - Ouoriers et Precedes,Co que dolt litre la critique Iitterairo, - M. do Heredia at los poctosactuels. - 1L Paul Bourget ot le roman psychologique. - M. Sully-Prudhomme et l'idealisme. - Ernest Ronan ct I'infiucncc religicuse. -M. Brunetiero et Ia critiquo d'aujourd'hui. - Jules Valles artiste. ----:Gustavo Elaubert critique. - La critique contemporainc ct la litteraturogrecque. - Considerations sur Ies femmes.

    Un volume in-IS jesus, broche (Havard fils) ..Le Mal d'ecrire et le Roman contemporain.Le mal d'ecrire. - Chateaubriand ot Gustave Flaubert. - Dc l'avenir duroman contemporain. - Lo roman coutornporain ct les pronostics doSainte-Beuvo. - L'exotisme : Pierre Loti. - M. J can Aicard et laProvence. - Les amoureuses de Chatcaubriund. - L'amonr honnetodans lo roman: - 1.0 style eontcmporain at ses precedes.

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    A

    MADAME MARIE ZOUBOW

    En souvenir de mon voyage a Florence et de nos causeriesinoubliables sur les royales terrasses de l'Dmbrellino , jededie ce livre comme un hommage de. reconnaissance,dadmiration et de profond aitachement filial,

    A, A.

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    PREFACE

    Dans un precedent ouvrage : L' art dlecrire ensei-gne en vingt lecons I, j'ai tache de donner unemethode pratique de style, d'apres des regles etdes pro cedes generaux. Je me suis efforce de mon-trer quels sont les principes essentiels qui domi-nent l'art d'ecrire, et comment .l'application deces principes peut engendrer et developper Ietalent individuel ,Pres de 10000 exemplaires de cet ouvragc,

    vendus en deux ans, m'ont preuve que mes effortsreponduient it l'attente du public.Le caractere nouveau de ce livre, qui est le

    reb ours de tous les Com's de liuerature, m'a valula sympathie de In Presse et les encouragementsdes professeurs les plus competents.t. Un volume iniS jesus (librairie Armand Colin).

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    VIII PHEFACEPour continuer a meriter cette bienveillance, il

    me restait a preparer consciencieusemeiit l'ou-vrage que [e presente aujourd'hui au public.Il ne s'agit plus d'enseigner l'art d'ecrire en

    soi; il s'agit d'exposer comment on peut appren-dre a ecrire, en etudiant et en s'assirnilant lesprecedes ,.des bons ecrivains, soit dans Ie styledescriptif, soit dans Ie style abstrait. Decornpo-ser ces procedes, Ies extraire des auteurs cele-bres et en montrer l'application : tel est Ie butde ce livre. Les ouvrages d'cnseignernent Iilte-raire recommandent bien l'assimilation commemethode de formation du style; mais ils negli-gent de nous dire comment il faut s'assimiler etce qu'il {aut e'aesimiie. J'ai essaye de remplircette Iacune, en precisant Ie plus que j'ai pu ladifficile demonstration de l'art d'ecrire.

    A. A .

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    LA

    F O R M A T I O N D U S T Y L EPAR

    L'ASSIMILATION DES AUTEURS

    CHAPITRE IDe la Iecture comme precede general

    d'assiniilation.Comment dolt-on lire? - Fausses methodes de lecture.- Developpernent du gout. - La vraie lecture. - La lectureet Ie talent. - Faut-il beaucoup lire? - But de la lecture. -Quels auteurs faut-illire? - Resultats generaux de la lecture.La lecture peut etre consideree comme la sourcemerne de tous les precedes d'assimilation du style.

    Elle les engendre et les resume. Elle sera done leprincipe general de la methode exposee dans celivre.Lire, c'est etudier ligne a ligne une OJuvre litteraire.La lecture forme nos facultes, nous les fait decou-

    vrir, eveille les idees, cree et soutient l'inspiration.C'est par la lecture que nous naissons a la vie intel-

    LA FORMATION DU STYLE. f

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    2 LA FORMATION DU STYLElecluelle. C'est ala suite d'une lecture qu'on devientecrivain, Elle nous revele a nons-memes. Elle en-seigne l'art d'ecrire, comme elle enseigne ~a gram-maire et l'orthographe.La lecture' est la plus noble des passions. Elle

    nourrit l'ame, comme Ie pain nourrit Ie corps. Cegeolier, disait Napoleon I e r a Sainte-Helene, en par-lant d'Hudson Lowe, qui genait ses promenades,ce geolier devrait savoir que l'exercice est neces-saire it mes membres comme la lecture a monesprit '. Alphonse Karl' a appele la lecture: Uneabsence agreable de soi-merne . Les grands ecri-vains ont passe la moitie de leur vie a lire. Jen'ai jamais eu de chagrin, dit Montesquieu, dont unquart d'heure de lecture ne m'ait console. Un livreest un ami sur qui l'on peut toujours compter. Faites de belles lectures , ecrivait AlphonseDaudet it un confrere en proie a un grand deuil.Rappelez-vous la premiere lecture de votre jeu-

    nesse. QueUe impression! Quel eblouissement l Lesannees n'effacent pas ce souvenir. II domine la vie.Pourtant, ce premier livre n'etait peut-etre qu'unlivre ordinaire, qui vous paraitrait insignifiant, sivous le relisiez aujourd'hui.La plupart des Manuel de litterature insistent sur

    la necessite de la lecture. Malheureusement ils nedonnent que des conseils superficiels. On doit lire,LBonaparte, a Brienne, etait grand liseur. II mettait audesespoir Ie libraire du college. - Erasme a ecrit sur la lec-ture une curie use lettre, peu connue, trop longue a citer ici.Voir aussi Seneque (Lettre 84).

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    COMMENT POIT-ON LIRE? 3d'apres eux, tel ou tel auteur, selon l'inclination quel'on a pour tel ou tel genre: etudier Bossuet, si l'onaime l'ample periorle ; prendre La Fontaine, si l'onprefere le pittoresque ; _retenir Corneille, si l'oncherche la grandeur, et Racine, si l'on est amoureuxde verite. Autant de gouts personnels, autant d'au-teurs differents, Ne sont-ce pas, nous dit-on, des qualites sem-

    blables qui attachent a La Fontaine l'adolescencecomme le premier age, la maturite comme la vieil-lesse? Ses fables ne sont-elles pas toute la viehumaine mise. en scene? N'y trouve-t-on pas achaque page un sentiment acMe d'une lecon, unelarme apres un sourire? En general, Horace estmoins goute de la jeunesse : il faut avoir vecu pourapprecier la justesse de sa morale; il faut avoir prisles lecons souvent ameres de l'experience pour sefaire l'eleve de cette sagesse pratique, ou la pru-'dence et la moderation deviennent la regle de la vieet l'ideal de la vertu ... Ce genre de conseils est sans utilite pratique. Je

    ne crois pas qu'on retire toujours du profit a lire ceque l'on prefere. Le danger d'un pareil choix est dese laisser guider par la pente des defauts que l'ona, bien plus que par Ie besoin des qualites que l'oncherche. Peut-etre gagnerait-on davantage a essayerde gouter ce que l'on n'aime pas. Ces conseils, d'ail-leurs, n'apprennent pas le metier d'ecrire.Le principe qu'on doit adopter pour lire avec

    fruit, Ie voici :

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    4 LA FORMATION DU STYLEIl faut lire les auteurs dont le style peut apprendre

    i : t ecrire, et laisser de cote ceux dont le style n'ap-prend pas a ecrire.En d'autres termes, il y a des auLeurs dont on

    peut et d'autres dont on ne peut pas s'assimiler lesprecedes. II faut lire les premiers, de preference auxseconds,Les Cours de liuerature proposent plusieurs m e -

    thodes : l'analyse, le recueil d'expressions choisics, lerecueil de pensees saillantes ; la lecture a haute voix ...On peut, par l'analyse, se rendre compte de ce

    qu'on a lu; mais elle n'enseigne pas a . ecrire. Jugerla production des autres ne rend pas capable deproduire , Bien des critiques experts en nuanceslitteraires seraient incapables de faire preuve detalent. C'est un art que d'apprecier ; e'en est unautre d'avoir du style.Nous avons dit dans un precedent ouvrage Icom-

    ment l'analyse litteraire doit etre faite pour offrirqueIque utilite. Elle doit tendre a la decompositionmeme du talent et des moyens d'execution, Nousrcnvoyons Ie lecteur a ce passage 2.Le recueil d'expressions choisies est egalement1. L'Art d'ecl'i!'e enseiqne en vingl lecons (Librairie ArmandColin).2, II existe un Guide pratique d'analyse litteraire, parM. P. Monet, professeur de rhetorique iJ . l'Athenee de Bruges.C'est Ie meilleur livre que je connaisse sur cette matiere. IIcontient d'excellents conseils. D'autre part, M. Georges Renard,dans un livre de valeur, La methode scientifique de l'hisioil'e

    litteraire (Alcan) a ecrit un interessant chapitre sur I'analyseinterne et externe d'une ceuvre,

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    FAUSSES METHODES DE LECTUREune erreur. On nous imposait auLrefois, pour nousenseigner le latin, des recueils d'expressions choisies,qui n'etaient que des expressions toutes faites, depurs cliches pouvant scrvir tout au plus it pasticherun latin artificial. Un catalogue d'expressions origi-nales eut ete meilleur. Lucrece, Horace, Virgile,Tacite pouvaient fournir des exemples d'une languepittoresque digne d'etre etudiee ; nos livres ne for-maient que des forts en discours latin, des eleveshabiles a plaquer Ia banalite, mais incapables decreer les images et les mots du langage artiste.Les resultats d'un pareil systeme sont pires en

    francais, si l'on se propose de copier les expressionseleganles des grands ecrivains,Le defaut de ces sortes de reeueils, c'est d'etre

    des compilations sans discernement. On ne sait plusse borner; qu'il s'agisse d'expressions ou de mor-ceaux, on copie tout. On perd son temps it reunirdes choses mediocres, qui peuvent meubler la me-moire, mais qui n'apprendront pas a ecrire. C'estl'herbier, ou la plante morte est etiquetee, non etu-diee,II faut, au eontraire, que la lecture soit une

    impregnation generale, une veritable transfusion.Copier des expressions, merne originales, ne suffitpas. Ce qu'on doit chercher, c'est a s'assimilerle ton, la tournure d'esprit, la sensibiiite, le precedeintime et cache, qui font trouver precisement Ie genrede beautes qu'on admire.Le but de la lecture est done de murir l'intelli-

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    6 LA FORMATION DU' STYLEgence, de produire une action reflexe, de nousfeconder, de creer en nous les qualites que nousremarquons. Elle doit, en un mot, donner du talent.Nous verrons dans quelle mesure.Nous sommes donc loin de vouloir nous assimilerexclusivement le cote artificiel du style. C'est le

    fond que nous cherchons, et c'est le fond que noustrouverons, it travers la forme et par la formememe '.Un autre danger des cahiers d'expressions, c'est

    qu'ils sterilisent l'inspiration en habituant l'espritit -une manie de colleclionneur superficiel. La plu-part des professeurs les condamnent, et cerLainsAfanuels proposent de les remplacer par des extraitsde pensees choisies, c'est-a-dire par un recueil deconsiderations et de poinLs de vue. On dit aux jeunesgens: Lisez Ie crayon it la main, et notez ce quivous frappe.

    II s'agit ici, dit un de ces Cours de liuerature,non de rernettre en honneur la methode suranneedes cahiers d'expressions ... Bien different est I'exer-cice que nous proposons. Dans les poetes, dans lest. L'imitation exclusive des formules, de tout ce qui est

    truc dans Ie metier dricri re a ete poussee par Richesourcejusqu'au ridicule Ie plus revoltant, II a cyniquement enseigneI'art du plagiat, l'art de la transposition servile, Ie moyend'etre ecrivain et orateur excellent. sans genie, sans peine,sans etude '. II a publie plus de 20 volumes qui sont du purgalirnatias, J'en ai parcouru quelques-uns. C'est decourageantde platitude et foncierement sterile comme methode. II avait,en :1.666,nstalls un bureau chez lui, place Dauphine, pourdonner des Iecons de style. Plechier le loue dans sa Bhetoriquedes Prec ieuses ,

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    FAUSSES METHODES DE LECTURE 7orateurs, dans les historiens, dans les moralistes,on renconlre tres souvent, nous l'avons dit, despensees profondes, le plus souvent rapides, surl'homme, ses vertus, ses vices, ses passions, sesrelaLions avec ses semblables, avec la nature, avecDieu, enfin sur tout ce qui fait l'objet de la litters-Lure. On note d'un trait leger sur son livre tous cespassages; puis, arrive au logis, on recueille dans uncahier special le buLin du jour.

    Mais suffit-il de les ecrire a la suite, sans autreordre que la succession des jours et des lectures'!Non; pour que ce travail soit vraiment utile, il fautque les pensees scient rapprochees suivant leurnature, afin que la comparaison devienne possible,ct qu'elles s'eclairent, se completent, se commen-tent les unes par les autres. C'est ainsi qu'elles s'as-simileronlle mieux a l'esprit ; que celui-ci acquerrale plus de substance, en merne temps que l'habi-tude de ces rapprochements lui donnera une forceet une etendue singuliere. Je ne crois pas a l'efflcacite de cette methode.

    Elle me paratt aussi sterilisante que l'ancien cahierd'expressions. C'est encore une facon mecanique demeubler la memoire, de bibeloter la litterature, LeManuel en question propose un exemple de ce quedoit etre ce genre d'extraits superieurs. II consistea copier ce qu'ont dit les grands ecrivains, latins Ollfrancais, sur un sujet donne, la gloire, la vertu, locourage. Remarquons que ce travail est deja faitdans les tables analytiques qui cornpletent certaines

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    8 LA FORMATION DU STYLEeditions classiques, Pascal et Montaigne entreautres. On se demande le profit qu'un eleve peuttirer de cet herbier philosophique. Sera-t-il capabled'inventer des pensees equivalentes, quand il auraaligns celles des meilleurs auteurs? Pourquoi nepas copier it la file tout ce qu'on a ecrit sur laPaternite, 1'0rgueil, la Vie, l'Humanite, le Coeur,I'Experience, la Raison, etc. ?N'insistons pas.D'autres livres, pour developper les dispositions

    litteraires, recommandent la lecture it haute voix,par cette raison que l'art de lire suppose l'art desentir, et que, pour bien comprendre un texte, ilfaut savoir en souligner les intonations, les valeurset le ton. Celui qui ne sait pas traduire de vivevoix les pensees et les sentiments des grands mat-tres et rendre sensible it toutes les oreilles l'har-monie de leur poesie ou de leur prose, prouve qu'ilne les cornprend pas, qu'il ne les sent pas lui-meme :Ie meilleur lecteur, comme Ie meilleur acteur dra-matique, est celui qui saisit Ie mieux les beautes deson auteur. Pour en etre l'interprete, if faut com-mencer par en avoir scrute toute la profondeur etdistingue toutes les nuances. Cette theorie est insoutenable. L'art de lire est

    un talent special. On peut mal lire et sentir profon-dement les beautes d'une oeuvre. La timidite em-peche d'etre bon liseur. Beaucoup de gens seraientlecteurs, acteurs, chanteurs et orateurs, s'ils avaientde l'aplomb et s'ils ne rougissaient pas du son de

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    DEVELOPPEMENT DU GO()T 9leur voixvEst-ce it dire qu'ils ne sentent pas cequ'ils ne peuvent exprimer? Il y a d'ailleurs biendes manieres de lire! La lecture monotone peut etreaussi attrayante que la lecture nuancee,

    Pour bien lire un livre, nous dit-on encore,recueillez-vous, voyez s'il ya une id ee g en era le quiresume l'ceuvre, tachez ensuite de degager les ideessecondaires, de facon it preciser le plan; voyez si lesdeoeloppements sont naturels, logiquement deduits ;examinez chaque chapitre, chaque page, pour voirla qualite des pensees, leur valeur et leur profon-deur. )}Le conseil est bon, it condition de n'en aUendreaucun resultat, En quoi cette methode Iorrnera-t-elle

    le style? Examinez un Rubens avec ce procede ,degagez-en la pen see dominante, Ie plan, la compo-sition, les proportions, Ies developpernents, lesdetails. Aurez-vous appris it -peindre? En aucunefacon. Le dilettante, Ie philosophe, le critique Jirontavec fruit de cette maniere, Celui qui veut apprendreit ecrire lira tout autrement.De quelque facon qu'on envisage la lecture, une

    qualite est indispensable: c'est Ie gout.Le gout est la [aculte de senti,' les beautes et les

    defasus d'un ouoraqe,Cette faculte n'est pas donnee it tout le monde.

    On l'a rarement complete. Elle a ses exces, sessecheresses et ses travers.Des litterateurs, comme Theophile Gautier, n'ai-

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    i O LA FORMATION DU STYLEmerit pas Moliere. D'autres, comme Lamartine, necomprennent pas La Fontaine. D'autres, commeFlaubert, ne comprennent pas Lamartine. De bonsccrivains ont deteste .Racine, Un poete m'a dit queBernardin de Saint-Pierre ecrivait mal. Ces lacunessont frequentes chez les auteurs qui n'admettent -que leur methode et leurs precedes. A une certainecpoque, notre litterature repudiait Shakespeare etadmirait Campistron.Le gout suppose de la sensihilite, de l'imagina-

    tion , de l'esprit, au sentiment et surtout de la deli-catesse.-La Bruyere avait raison de dire: 11y a beau coup plus de vivacite que de gout

    parmi les hommes; ou, pour mieux dire, il y a peud'hommes dont l'esprit soit accompagne d'un goutsur et d'une criLique judicieuse. Diderot ajoutait : II Y a mille Iois plus de gens en etat d'enlendre

    un bon geometre qu'un poete ; parce qu'il y a millegens de bon sens contre un homme de gout, et millepersonnes de gout contre une d'un gout exquis 1. Le gout a eu ses tyrannies; il a impose des lois,

    des regles, un ideal d'art sterile a toute une gene-ration d'artistes 2. C'est ainsi que Boileau a meconnu1. Diderot, Lettre sur les sourds et muets,2. Au xvus siecle, la faveur va 11Virgile, non 11Hornere,malgre la lutte de 111m"Dacicr, Boileau et Racine. Le xvnr' sie-cle est pour Voltaire contre Shakespeare. La Harpe nie Eschyle.- Voir, au sujet du gout, les Essais sur le gout de Marrnontel et

    de Montesquieu j M m " de Stael (De 'la litterature, 2" partie, II);

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    DEVELOPPEMENT DU GOlJT ifRonsard et qu'Hornere a ete meprise par les parti-sans de Perrault, qui representaient alors la cul-ture intellectuelle francaise, Hippolyte Rigault a puccrire avec raison:

    Qui avait plus de gout que Racine et Boileau?Et pourtant Boileau 'decouvre dans Homere lanoblesse qu'Homere n'a jamais eherchee, et Racineinvenle Areas, un de ces gentilshommes, comme ditMm . Dacier, qu'Agamemnon n'a jamais eus t. Pour lire avec discernement il faut donc avoir du

    gout, Le gout seul eclaire Ia lecture, montre lesbeautes et les defauts. Mais, s'il est necessaire apriori, n'oublions pas qu'a son tour la lecture Iecrce, l'augmente, Ie transforme.

    Le gout, dit J .-J. Rousseau, se perfectionne parles memes moyens que la sagesse ... On s'exerce a voircomme a sentir, ou plutot une vie exquise n'est qu'unsentiment delicat et fin ... Combien de choses qu'onn'apercoit que par sentiment et dont il est difficilede rendre raison l,..Le gout est en quelque manierele microscope du jugement; c'est lui qui met lespetits objets a sa portee, et ses operations commen-cent ou s'arretent celles du dernier. Que faut-il donepour le cultiver? S'exercer a voir, ainsi qu'a sentir ' . Cet exercice, c'est a la lecture qu'il faut le

    Taine, Ancien regime, I (L'esprit c1assique); Voltaire, Diction-uaire philosophique, G O U T ; La Bruyere (I, 10 et suiv.); Dide-rot, Re(lexions sur Terence; Vauvenargues, Joubert, etc.1. H. Rigault, Histoire de la querelle des Anciens et des Mo-dernes, p. 360.2. Rousseau, Nouve lle He lo i's e, i"partie, lettre XII.

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    i2 LA FORMATION DU STYLEdemander. Pour cela, la lecture doit etre variee. Ilest necessaire de connattre 1'art sous to us sesaspects, pour echapper aux theories exclusives etaux prejuges d'ecole,Efforcez-vous done d'abord de n'avoir pas de

    parti pris. Persuadez-vous qu'il n'ya ni realisme,ni idealisme, ni bon ni mauvais sujet (je ne dis pas:ni morale, bien entendu) ;mais que, it part lamorale,condition primordiale de toute ceuvre, la grandequestion est celle-ci : Y a-t-il du talent dans unouvrage? Pourquoi y en a-t-il? et comment puis-jeen profiter? Si un livre, repute bon, vous coute i t lire, sur-

    montez-vous. Habituez-vous a comprendre ce quevous n'aimez pas, afin d'arriver a aimer ce que vousn'aviez pas compris. L'esprit a ses injustices, sespartialites, ses eloignements instinctifs. Je connaisdes gens qui s'y sont pris a plusieurs fois pour.gouter cet admirable Montaigne qui devrait etre lelivre de chevet de tout litterateur. On ne s'assimilerien instantanement t.Le livre que vous ne pouviez pas souffrir il y adix ans, vous l'appreciez aujourd'hui; ct ce que

    vous admiriez autrefois vous paratt main tenantfade. Il y a des gens qui tranchent, rejetlent et con-damnent sans avoir lu. Tachons de ne pas leur res-sembler.La lecture superficielle, hative, incomplete, voilaL On ne devient pas tres instruit, a dit Joubert, quand on

    ne lit que ce qui plait

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    LA VRAIE LECTURE : 1 . 3Ie fleau, Les vrais liseurs parlent gravement, memedes livres qui leur deplaisent. Les faux liseurs seulsfont les difficiles. .N'oublions jamais le mot deGcethe : II n'y a pas de mauvais ouvrage qui necontienne quelque chose de bon. ))Peu de gens ontle courage de dire qu'ils ne lisent pas. Vantez-leurRousseau, Montesquieu, Chateaubriand, l'Emile, laVie de Rance, ils repondent dedaigneusernent, fauted'avoir lu, et ils aiment mieux garder leur fausseopinion que d'avouer qu'ils n'ont pas le droit d'enavoir.

    App"endre a lire, disait Gcethe dans les dernieresannees de sa vie, en 1.830,apprendre i t . lire est Ieplus difficile des arts ... J'y ai consacre quatre-vingtsans et je ne puis pas dire que je sois arrive it mesatisfaire. Les beautes litleraires sont fixes. II faut seulement

    les reconnattre i t . travers les formes variables. Leshabitudes 'd'esprit, les prejuges d'ecole nous creentdes resistances injustes, Pour bien comprendre unauteur; pour aimer, par exemple, nos ecrivains con-temporains, il faut se penetrer de cette verite, quele style euolue comme la langue et que l'art est tou-[ours en marche. On ne peut plus ecrire aujourd'huicomme on ecrivait au xvnr' siecle ; au XVIII siecle,on n'ecrivait pas comme au XVII", et le style du XVII"n'est plus Ie memo que celui du XVI". Victor Hugoest l'egal de Ronsard. Les Lettres de mon moulin deDaudet peuvent passer pour classiques, et Lamar-tine est superieur i t . Malherbe.

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    LA FORMATION DU STYLE Le style, dit M m e de Stael, doit subir des chan-

    gements par la revolution qui s'est operee dans lesesprits et dans Ies institutions; car le style ne con-siste point seulement dans les tournures gramma-tic ales ; il tient au fond des idees, a la nature desesprits; il n'est point une simple forme. Le style desouvrages est comme Ie caractere d'un hornme ; cecaractere ne peut etre etranger ni a ses opinions niit ses sentiments; il modifie tout son etre I. Joubert precise encore la question: Si, sur toutes sortes de sujets, dit-il, nous vou-

    lions ecrire aujourd'hui comme on ccrivait du tempsde Louis XIV, nous n'aurions point de verite clansIe style; car nous n'avons plus les memes humeurs,les memes opinions, les memes rnceurs ... Le bongout Iui-meme, en ce cas, permet qu'on s'ecarte dumeiIIeur gout, car Ie gout change avec les moeurs,merne le bon gout 2. )1Certaines gens Iisenl pour passer Ie temps, et ne

    demandent qu'a etre amuses. lIs sont hors de cause.Les erudits lisent pour se documenter. lIs n'onti.Mm . de Stael, Dela litterature, 2 ' partie, ch, VII.2. Les pensees de Joubert contiennent de fines observationssur Ie style. Joubert est excellent ecrivain. Sainte-Beuve lui arendu hauternent justice. - Le style et la langue sont desfieuves qui marchent. Les Goncourt, dans leur eloge de LaBruyere, ont tres bien vu cela (Charles Demailly, I"ch.). Voiraussi Le style par Ernest Hello, Ie Victor' Hugo de Paul deSaint-Vietor et la conclusion de J.-J. Weiss (Les maiurs et Ietheatre, p. 74) sur Ie changement deftnitif opere dans la langue

    francaise par Victor .Hugo. Nisard croyait natvement queLamartine passerait (Eludes de critique et d'histoire).

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    , LA LECTURE ET LE TALENT 15qu'un but: classer des fiches, sur lesquelles ils inscri-vent reports, rernarques, extraits, textes, dates, cLc.A ceux-la la valeur litteraire est indifferente,Le vrai litterateur doit lire en artiste. II faut pour

    cela, quitter les idees que donnent les Manuels. Legrand principe est celui-ci : Il (aut lire pour decou-rir, admirer et s'assimiler le talent. Une seule chosedoit nous preoccuper dans un livre : II s'agit desavoir s'il y a du talent. Un livre O U il n'y a pas detalent est indigne d'attirer notre attention. Interet,vie, emotion, mouvement, dependent de ce qu'on ya mis de talent.Mais en quoi consiste le talent? et commen I, I~reconnattre? Evidernment le gout nous Ie dira; mais

    il faut aussi des points de comparaison, c'est-a-dircde la lecture. L'education du gout exislc.: Elle estmerne quelquefois tres lente, comme I'education del'oreille en musique.Et voici que se pose cette interrogation grave:

    Doit-on lire beau coup d'auteurs ou doit-on lire peud'auteurs? En d'autres termes, quels auteurs doit-on lire?Selon Pline, il faut lire beaucoup les auteurs,

    mais non pas beau coup d'auleurs , ce qui signifie : Ne lisez que des livres excellonls . Seneque estIormel la-dessus :

    La lecLure d'une foule d'auleurs et d'ouvragesde tout genre pourrait tenir du caprice et de l'in-conslance. Fais un choix d'ecrivains pour L 'y arreleret te nourrir de leur genic, si tu YCUX y puiser des

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    16 LA FORMATION DU STYLEsouvenirs qui te soient fldeles... Ceux dont la vie sepasse a voyager, finissent par avoir des milliersd'hotes et pas un ami. Meme chose arrive necessai-rement a qui neglige de lier commerce avec unauteur favori pour jeter en courant un coup d'ceilrapide sur tous a la fois 1. Bonald a eloquemment constate les inconvenients

    de l'exces des lectures. Lire trop de livres c'est ris-quer de tomber dans les reminiscences; on devient inhabile it produire , on n'ose plus 8tre ori-ginal , Cet inconvenient du trop grand nombrede livres se faisait deja sentir du temps de Hobbes,qui disait plaisamment en parlant de quelquessavants de son temps: Si j'avais lu autant delivres que tels et tels, je serais aussi ignorant qu'ilsle sont t. M. Petit de Julleville est moins sobre dans ses

    conseils. La quantile des livres ne l'effraye pas. Croit-on, dit-il, qu'un ecolier diligent ne puisse

    se reserver par jour une heure au moins pour lalecture? Admettons que cette heure soit difficile itlrouver it certains jours. N'en peut-on distrairetrois ou quatre au moins des jours de conge ou devacances? Or, une heure par jour en moyenne, celafait trois cent soixante-cinq heures en un an, oumille quatre cent soixante heures en quatre annees,de la troisieme it la philo sophie: En mille quatre

    1. . Lettres it Lucilius, 2 et 84.2. Bonald, (}Euvl'es, melanqes litt., t. I, p. 52i : De la multipli-cite des livres.

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    FAUT-IL BEAUCOUP LIRE? i7cent soixante heures, on peut lire lentement, etmeme la plume a la main, qua tre -v in gts v olumes in -S ode cinq cents pages chacun. L'6leve qui, entrant entroisieme, s'imposera un plan de lecture sagementconcu et restreint, aura, au bout de quatre ans,acquis un fonds de connaissances infiniment pre-cieux pour la composition 1. De pareilles previsions sont excessives; une trop

    vaste lecture offre des inconvenients, Spencer ditqu'il y a des estomacs qui absorbent beau coup etdigerent peu, et d'aulres qui, avec peu de nourri-lure, s'assirnilent lout.Voici notre conclusion:Pour former son gout, pour acquerir du jugement,

    de l'impartialite critique, un discernement sur, ilfaut lire beaucoup d'auteurs, ceux de premier, dedeuxieme et de troisieme ordre. C'est la conditiond'une education litteraire complete,. Un medecinacquiert sa surete de diagnostic en voyant beaucoupde malades.Pour I'assimilation meme du metier d'ecrire, c'est-

    a-dire pour la creation de son propre talent, il estpreferable de s'en tenir a quelques ecrivains supe-rieurs. Non pas a un seuI, - selon l'adage : Jec ra in s l'ltomme d 'u n. s eu l liore, - qui pourrait poussera l'imitation servile, mais a ceux qui different entreeux, tout en restant les meilleurs. II est enlenduqu'Homel 'e , Ia B ib le, Doa Quich otle, Sh akesp ea re sontL Petit de JulieviIle, Le discours [rancais, p 87,

    LA FORMATION DU STYLE. 2

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    i8 LA FORMATION DU STYLEplus que des livres uniques, lIs contienneut toutl'art, tout l'ideal, toute la verite humaine.Le mieux serait de lire d'abord les bons ouvrages.

    lIs serviraient ensuite de criterium pour juger lesautres, qui pourraient alors etre Ius sans peril.Voici done Ie principe: Se faire, par l'etude des

    ecrivains superieurs, un corps de doctrines qui per-mette de juger les ecrivains ordinaires.Pour apprendre l'art d'ecrire par l'etude des

    modeles, il n'est done pas necessaire de lire beau-coup d'ouvrages; l'important est d'en lire de bons.Saint Cyprien lisait sans cesse Tertullien, Saint

    Augustin, Tertullien et la Bible etaient les livres dechevet de Bossuet. Rousseau ne quittait pas Mon-laigne et Plutarque. Amyot et les auteurs latins ontcree Montaigne, et les tragiques grecs Racine.Chateaubriand relisait toujours Bernardin de Saint-Pierre.Tous nos ecrivains ont ete de grands lecteurs,

    meme Joseph de Maislre. A en croire Lamartine,dans ses Confidences, de Maistre aurait peu lu ,Or, de Maistre faisait au contraire, depuis l'age devingt ans, des recueils oil il analysait et resumaitses lectures; lisant toujours la plume en main, ilamassait dans ces arsenaux de science l'eruditionqui a etonne tous ses lecteurs II).

    1. Albert Blanc, Mel/wires et correspondance de Joseph deMaistre, p. 64. - J. de Maistre lui-merne en parle dans ses Soi-rees. Voir aussi, sur les extraits de lecture, Madame Suietchinc,t. 1, ca. 11, par Ie comte de Falloux.

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    BUT DE LA LECTURE 19On sait que La Fontaine se reconnut poete a la

    lecture d'uneode de Malherbe, et qu'il prit d'abordcet auteur pour modele. Illut ensuite Marot, Rabe-lais et l'Asll'ee de d'Urfe, O U tout n'est pas mau-vais I,Alors seulement il comprit que la naivete etle pittoresque etaient sa vraie vocation. II ne dut aMalherbe que sa naissance poetique I), com me I'atres bien dit Chamfort.Grotius conseillait aux hommes d'Etat la lecture

    des poetes tragiques. D'Aguesseau, bon ecrivainlui-merne, les lisait aussi. Arnaud connaissait bienle fruit qu'on peut reLirer de la lecture approfondied'un auteur. Comme on lui demandait ce qu'il fallaitfaire pour acquerir un bon style, il repondit : LisezCiceron. - Mais, reprit la personne qui le consultait,je voudrais apprendre a bien ecrire en francais. -En ce cas, repliqua Arnaud, lisez Ciceron, Pour l'art d'ecrire, comme pour les beaux-arts,

    il y a, en effet, des principes generaux communsaux Anciens et aux Modernes, dont on peut tirerparti, non seulement dans les langues originales,mais merne dans les traductions. On trouve chezCiceron l'amplification, le talent, la verve, l'esprit,I'entratnement, les ressources de l'ecrivain, a l'etatde precedes visibles, Nous y reviendrons au cha-pitre de l'Amplification.Un homme qui ne lit pas reste un ignorant, Un

    L Voir les interessants exlraits qu'en a donnes Saint-MarcGirardin, dans son Cours de litterature dramatique, r

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    20 LA FORMATION DU STYLElitterateur qui ne lit pas perd la moitie du talentqu'il pourrait avoir.La lecture entretient la verve et la redonne quand

    on la perd. C'est une contagion a laquelle personnen'echappe. Ceux qui ne sont pas ecrivains endemeurent vibrants. Ceux qui cherchent Ie styleentrent par elle en ebullition productive. lis jugent,comparent, rivalisent, decouvrent des ressources etdes precedes. L'echo de Ia parole ecrite ne Ies quitteplus.Les femmes lisent pour sentir.Les savants lisent pour s'instruire.Les litterateurs lisent pour gouter Ie talent.La fiction suffit aux premieres.Les seconds cherchent l'erudition.Les derniers seuls s'assimilent l'art.Cette troisieme maniere de lire est la seule bonne

    pour former le style. Le style est un effort d'expres-sion qui se developpe sans cesse. J'apprends tousIes jours a ecrire )), a dit un grand prosateur. Flau-bert ajoutait : La prose n'esl jamais finie . II n'ya pas de plus profonde jouissance que la lectured'un beau style. L'idee que nous avons du style semodifiant avec la maturite de notre esprit, le plaisireprouve est toujours renouvelable. Le contact denotre intelligence avec une eeuvre superieure creeune source de rapports, de remarques, de lecons etd'exemples, un champ de beaute et d'analyse ine-puisable.Avez-vous des loisirs, employez-les a lire avant de

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    BUT DE LA LECTURE 2fproduire. On lit peu A Paris. N'attendez pas d'yvivre pour commencer vos lectures.Disons main tenant comment il faut lireII en est qui feuillettent A la legere, pour se pro-

    noncer ensuite gravement. Ceux-la ne comptentpas.D'autres parcourent un livre pour avoir une idee

    de l'ensemble, puis y reviennent, le relisent, l'etu-dient. La methode est bonne.Neanmoins, pour n'etre pas rehute par l'obliga-

    tion de cette relecture, j'aimerais mieux la lecturelente, reflechie et totale, qui ne dispense pas non plusdu devoir de relire.Avancer peu it peu dans la connaissance d'un

    auteur est un plaisir eminernment profitable. Pourmon compte, j'ai pris l'habitude de lire lenLement etm'en suis bien trouve, Je n'ai jamais lu la plume itla main. Je me contente de souligner d'un coup decrayon les passages it retenir comme annotation, ouit admirer esthetiquement, La lecLure finie, fut-ceau bout de plusieurs jours, je resume I'oeuvre surune fiche portant le nom de l'auteur ; j'ecris monimpression critique; j'indique les endroits A citer ouit etudier, Le precede me paratt bon et bien des gensn'en ont pas d'autres. L'essentiel estde ne pas s'inter-rompre. La sensalion qu'on peut avoir d'une oeuvredepend de la continuite de la lecture. Je crois qu'il Ifaut s'abstenir d'apprendre par coeur. On retornbe- ~rait dans les inconvenients des extraits de morceau~

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    22 LA FORMATION DU STYLEou d'expressions choisies. La lecture doit donner'une impression totale, qui se transfuse en vous pre-cisement parce qu'elle est totale. Ceci n'empeche'pas, bien entendu, de prendre des notes. Nous, dirons bientot dans quelIemesure 1.La facon de lire depend du temperament per-

    sonnel. En tout cas, il est toujours necessaire derelire. La relecture est la pierre de touche dutalent. On n'a pas envie de relire les choses medic-cres. Voulez-vous savoirsi une oeuvre est bonne?Reprenez-la au bout de quelques mois. Mauvaise,elle ne supporte pas la relecture. Excellente, elleoffre une saveur nouvelle. Ce qui seduit d'abord,c'est I'interet, le mouvement, la vie, le but de lacomposition. Ce n'est qu'apres qu'on peut examinerla force de l'ensemble, le relief des details, lesmoyens employes, Ie talent et les qualites d'exe-cution.Parmi les auteurs it lire, lesquels faut-il choisir?

    Incontestablement les classiques francais, puis lesgrands ecrivains du XIX siecle, de Chateaubriand itVictor Hugo.L J..J. Rousseau a ecrit d'excellentes reflexions sur la faQonde lire (voir Nouvelle Heloise, 1re partie, lettre XII, et 6' partie,lettre V). Rollin, dans son Traite des etudes (I. De la lecture deslivres francais) donne des canseils sur la manie re dont iI fautlire. Mais les remarques tirees de I'exemple qu'il propose sontexclusivement grammaticales, intellectuelles ou morales. Ellesne visent que de tres loin I'art d'ecrire, qui est notre preoc-cupation. Plutarque a aussi de jolies pages sur la Lecture desPoetes. (OEuvres morales.) Locke conseillait, it tort selon nous,

    de copier des extraits des bans auteurs.

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    QUELS AUTEURS FAUT-IL LIRE? 23Notre jeunesse contemporaine a Ie tort de dedai-

    gner nos classiques. Ceux qu'on appelle JesJeunes , apres des eludes sommaires, s'empressentde tourner Ie dos a leurs auteurs de college et recher-chent de preference les ecrivains etrangers a l'egarddesquels l'engouement n'est qu'une mode. Ne leurparlez pas de Rousseau; Montesquiel! les fait sou-rire; ~ufIo_!1leur semble demode. Quelques-uns nepeuvent souffrir Chateaubriand et louent M. EmileZola de I'avoir declare rococo; ~u~t)ui-memeleur parait petit. l I s n'accordent du talent qu'auxlitterateurs exotiques. Taine_ les indigne. lls sontNorvegiens, Finlandais, Russes, Danois, tout cequ'on voudra, excepte Francais,Ne les imitons pas. Faisons des grands ecrivains

    de notre pays la base de notre education litteraire,Lisons les classiques, parce qu'ils sont nos maltres,parce qu'ils ont ecrit dans notre langue, parce quenotre litterature est venue d'eux, et parce qu'enfinc'est le seul moyen pratique d'apprendre a ecrire.L'education classique qu'on donne au college

    est insuffisante. II faut la recommencer des qu'onpense par soi-meme, On nous faisait admirer lesbons auteurs, mais ce n'etait pas pour les raisonsque nous decouvrons plus lard. II faut done toutrelire, si l'on veut avoir une idee du style. Avantd'etudier les auteurs etrangers, sachons ce quevalent les notres.Les elassiques francais doivent done etre notre

    lecture prineipale, eoncurremment avec les classi-

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    24 LA FORMATION DU STYLEIqucs grecs ou latins, Hornere en t8Le, surtoutHomere, qui est un monde et qui peut, a la rigueur,tout remplacer. La lecture des traductions d'auteursgrecs est une necessite pour celui qui veut appro-fondir notre litterature classique, parce qu'elle estdirectement sortie des Latins et des Grecs.D'une bonne lecture, c'est-a-dire de l'etude atten-

    tive des auteurs, se degagent certaines constata-lions dont nous formerons les divisions de cetouvrage. Ces constatations se sont imposees it nousau bout de vingt ans de lecture. Plus nous avonsreflechi, plus elles nous ont paru resumer les prin-cipes memes de l'art d'ecrire,La premiere chose qui nous frappera dans une

    bonne lecture, c'est d'abord l'importance capitalequ'il faut accorder au plan, it la composition d'unouvrage, it son unite d'execution et a l'enchaine-ment des parties. Ces qualites priment les autres.Le fond passe avant la forme.Puis des principes feconds se degageront.Nous constalerons que Ie lon parliculier it tel ou

    tel auteur provient des tours de phrases, des pro-cedes de style, du travail d'execution ; mais que cesLours de phrase, loin d'etre le resultat d'une me-thode artificielle, sont le resultat de la sensibiliteinterieure, et que c'est cette sensibilite qu'il fauls'approprier, et non la partie materielle du metierd'ecrire,A mesure que nous lirons, nous remarquerons

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    RESULTATS GENERAUX DE LA LECTURE 25que le gout, la tournure d'esprit, les expressionsd'un auteur se transfusent en nous, et que nousimitons sans Ie vouloir le style qui nous passionne.Il y a done une assimilation possible par l'irnita-tion I.Nous verrons qu'il nous vient une grande facilite,une grande envie de pasticher ces styles preferes ;mais nous constaterons aussi qu'on peut, en s'ob-servant, eviter le pastiche servile, et rester dans labonne imitation, qui consiste a mettre en valeur leschoses que d'autres ont deja dites.Nous remarquerons aussi qu'eveillee par la lee-

    lure, notre f'aculte d'inspiration prend une forcenouvelle, et nous nous sentirons capables de deve-lopper Iargement ce que nous trouvons indiqueailleurs. Nous serons frappes de ce fait que l'art dedevelopper est a lui seulia moitie de l'art d'ecrire,D'ou la methode d'amplification.Voici donc les premiers chapitres d'une theorie

    de la formation du style : assimilation par l'imita-tion, avee precedes d'efforts secondaires : pastiche, .amplification, etc.Puis nous nous demanderons comment on peut

    s'assimiler les styles; queis sont ces styles; ce qu'ony doit prendre, et dans quelle mesure on se lesassimilera.La lecture comparee desauteurs nous apprendraL Ce qui Ie prouve, c'est que nous voyons des auteurs se

    creer uniquement par imitation. La comparaison entre Homereet Virgile le demon tre ,

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    26 LA FORMATION DU STYLEque chaque style a sa saveur. On ne chcrche pas'dans Bossuet ce qui platt dans Voltaire. Montes-quieu seduit par des qualites qui ne caracterisentni Voltaire, ni Bossuet. Ce qui nous charme dansSaint-Simon, nous ne Ie decouvrons pas dans Tele-maque. Le style de Pascal est d'une essence dont onne trouverait pas une goutte dans Bernardin deSaint-Pierre, etc.Nous finirons par admetlre une premiere et

    grande classification des styles : le style descripti]ou colore et le style d'idees ou abstraii, Une page deL'Esprit des lois comparee a une page d'Atala suffita . le demontrer,Nous aurons done a . etudier d'abord l'assimilation

    du style descriptif, ensuite l'assimilation du styleabstrait.Nous examinerons Ie style descriptif dans sa

    source et son origine ; puis dans ses diverses mani-festations : pittoresque, images, realite, vie intense.Pour le style abstrait ou d'idees, nous serons

    arnenes a . conclure que son procede Ie plus generalet le plus fecond consiste dans l'antithese , Lesauteurs qui ont ecrit ce style sont nombreux etforment la moitie de notre litterature francaise.Enfin nous resumerons ce travail dans un dernier

    chapitre sur l'atticisme du style, c'est-a-dire Ie styleen apparence inassimilable, sans precede et sansrhetorique,De ce premier chapitre sur la lecture sortiront

    done les divisions de ce livre:

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    RESULTATS GENERAUX DE LA LECTURE 27Assimilation par imitation : imitation, pastiche,

    amplification;Assimilation du style descriptif. La vraie descrip-

    tion et l'unite d'imitation descriptive a travers lesauteurs. Le faux style descriplif, la descriptiongcnerale et l'amplification descriptive;Assimilation du style abstrait ou d'idees : l'anti-

    these, consideree comme precede general du styled'idees. L'unite d'imitation de ce precede a traversles auteurs classiques;Enfin le style sans rhetorique,

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    CHAPITRE IlAssimilation par imitation.

    Qu'esL-ce que l'originalitej - L'originalite par l'imitaLion.- L'imitation. Precedes de Virgile. - Formation par I'imita-tion : Virgile. - Formation par I'imitation : Chenier. - L'imi-tation. Opinion de Boileau. - L'imitation. Opinion de Racine.- Exemples d'imitation. - L'imitation chez les grands ecrl-vains, - L'exemple de Lamartine. - En quoi consiste labonne imitation ..L'imitation consiste a transporter et a exploiter

    dans son pl'opre style les 'images, les idees ou lesexpressions d'un autre style.L'imitation est Ie precede Ie plus general, le plus

    efficace, le plus courant dans l'art d'ecrire. Il cstconsacre par Ia tradition.C'est par l'imitation ques'est creee notre litterature francaise, issue des lit-teratures grecque et latine, ot c'est aussi par l'imi-tation que se forment les talents individuels.Corneille, Boileau, Racine, Moliere, La Fontaine,

    La Bruyere, tous nos classiques ont puise leurssujets, et souvent leurs developpements, chez lesauteurs de l'Antiquite. Imiter n'est ni copier ni pas-ticher. Le pastiche c'est l'imitation etroite et servile.

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    QU EST-CE QUE L'ORIGINALlTE? 29C'ost, comme nous le verrons, un exercice de style,un moyen mecanique de se faire la main. Quant auplagiat, c'est le vol deloyal et condamnable.La bonne imitation consiste a s'approprier une

    partie des conceptions ou des developpements d'au-trui, et ales mettre en oeuvre suivant ses qualitespersonnelles et sa tournure d'esprit. Loin de sup-primer le merite individuel, ce precede sert a lecreer. L'originalite reside dans la Iacon nouvelled'exprimer des choses deja dites, L'expression mo-difie completement les idees. Horace a dit : Lenoir chagrin s'installe derriere Ie cavalier , Qui pre-tendra que Boileau n'a pas ete original, en disanL ason tour:

    Le chagrin monte en croupe et galope avec lui.L'imitation de Phedre, d'Esope et des vieux fabliauxn'a pas empeche La Fontaine d'etre le plus per-sonnel de tous nos ecrivains.S'il est vrai, comme le dit Theophile Gautier, que

    la poesie est un art qui s'apprend , il faut bienapprendre cet art quelque part. On ne doit done passe moquer du vers paradoxal du poete :

    Qui pourrai-je imiter pour avoir du genie?Quand Horace denoncait Ie servile troupeau des

    irni Lateurs , il signalait la fausse imita tion , lacopie inerLe, la paraphrase froide. Il savait mieuxque personne, lui qui devait tant aux Grecs, que.

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    30 LA FORMATION DU STYLEl'assimilation du talent d'autrui est une excellentemethode pour acquerir soi-meme du talent.II faut partir de ce principe, incontestable pour

    tous ceux qui ont etudie les origines et la filiationdes auteurs, que Ie talent (et rneme quelquefois Iegenie) ne se cree pas tout seul. Le talent, dit Flau-bert, se transfuse toujours par infusion. En traduisant une etude d'Edgar Poe, Baude-

    laire, poete maladif mais sincerernent epris deforme parfaite, declarait ceci : ({Edgar Poe repe-tait volontiers, lui, un original acheve, que l'origi-nalite etait chose d'apprentissage I. Dans sa Philosophie de La Composition, Edgar

    Poe ajoute textuellement ces paroles : . Le faitest que l'originalite ... n'est nullement, comme quel-ques-uns Ie supposent, une affaire d'instinct ou d'in-tuition. Generalement, pour la trouver, il faut lachercher laborieusement; et, bien qu'elle soit unrnerite positif du rang Ie plus eleve, c'est moinsl'esprit d'invention que l'esprit de negation qui nousfournit les moyens de l'atteindre ... Quintilien n'etait pas eloigne d'avoir cette opinionlorsqu'il ecrivait : On n'en peut douter, en effet : l'art consiste en

    grande partie dans l'imitation, car, si la premierechose, si la plus essentielle a ete d'inventer, rienaussi ne saurait etre plus utile que de prendreexemple sur ce qui a ete bien invente, Toute notrei. Baudelaire, trad. des H isto ire s gl'o te sq ues et se rieu se s,

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    L'ORIGINALIT':: PAR L'IMITATION 3tvie ne se passe-t-elle pas a vouloir faire ce que nousapprouvons dans Ies autres ? .. Nous voyons tous lesads se proposer, dans leurs commencements, un'modele quelconque a imiter; et veritablement, ilfaut de deux choses l'une : ou que nous ressem-blions a ceux qui ont bien 'fait, ou que nous soyonsdifferents. Or, il est rare que la nature nous fassesemblables a eux nous Ie devenons sou vent parl'imitation I.))La Bruyere, qui a immortellement irnite Theo-

    phraste, constatait avec melancolie que tout a etedit avant nous et que nous venons trop tard.L'Ecclesiaste Ie pensait bien avant lui : Rien denouveau sous Ie Soleil , Et c'est ce que repondaitMusset, qui a largement imite Byron:On m'a dit l'an dernier que j'imitais Byron .Vous ne savez done pas qu'il imitait Pulci ? .Hien n'appartient it rien, tout appartient it tous.11faut etre ignorant comme un maitre d'ecolePour se flatter de dire une seule paroleQue personne ici-bas n'ait pu dire avant vous.C'est imiter quelqu'un que de planter des choux I,

    1. Quintilien, Institutions oratoires, liv. X, ch, II.2. Les imitations de Musset rempliraient un volume. Voir ace sujet Taine, Ancien Regime, p. 351; Caro, Fin du XIX siecle,II, p. 1.13; Brunetiere, Evolution de La poesie lYl'i'lue, et un cu-rieux article de la Revue encqclopedique, 1893, p, 321. Malgre ladifference de couleur historique, l'auteur de Namouna a ete itson tour spirituellement imite par l'auteur de lIfwLenis, LouisBouilhet, dont Salnte-Beuve disait qu'il 'ramassait les bouts

    de cigare de Mussel . Voir aussi Mm . Ackerman.

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    32 . LA FORMATION DU STYLELa Fontaine avouait son precede habituel dans

    ces vers charrnants :... faute d'admirer les Grecs et les Romains,On s'egare en voulant tenir d'autres chemins.Quelques imitateurs, sot betail, je l'avoue,Suivent en vrais moutons le pasteur de l\Iantoue.J'en use d'autre sorte; et, me laissant guider,Souvent it marcher seul j'ose me hasarder.On me verra toujours pratiquer cet usage.L'important, quand on imite, est de ne pas copier

    son modele, mais de Ie mettre en valeur.11faut trouver autre chose, ou dire autrement ce

    qu'on a dit. Si quelqu'un a ecrit : Les zigzags dela foudre se precipitent et tombent dans l'eau ,'dites originalement avec ChateauLriand, en parlantde la foudre: Son losange de feu siffle en s'etei-gnant dans les eaux , Si l'on a dit : Les eclairsbriIIent et frappent les rochers , ecrivez encoreavec Chateaubriand : Les eclairs s'entortillent auxrochers , On a employe le scintillement desetoiles ; creusez I'idee et mettez : la palpitationdes etoiles . A. Daudet a ecrit : Le vent aviveIes etoiles ; et Maupassant, dans Une nuit deNoel : Les etoiles petillent de froid . Celui quitrouve des pro cedes d'imitation, et qui sait lesappliquer et les denaturer, celui-la est un hommede genie.Virgile a assidument imite Homere, nonseule-

    ment pour Ie plan, mais meme pour l'expression. IIn'y a peut-etre pas une comparaison de l'Eneide qui

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    L'IMITATION, PRO CEDES DE VIRGILE 33ne soit dans l'Iliade ou l'Odyssee. Theocrite est imitede plus pres encore. Ce sont, dans Virgiie, ses pro-pres sujets, les memes images. Le genie de Virgile,c'etait sa langue, son style exquis, d'une melancolieet d'une creation nuancee si profondes. L'expressionet le style sont d'un grand poete, Ceux qui lui ontsuccede, Claudius, Lucain, Silius Italicus, l'ontimite comme il avait imite ses predecesseurs I.

    Virgile, dit M. Benoist, a imite Theocrite dansses Bucoliques, non seulement dans le choix dessujets, mais encore dans le detail de son style etdans le detail de sa versification. II lui emprunte desvers et des developpernents tout entiers, se con ten-tant quelquefois de le traduire I. Fox disait : J'admire Virgile plus que jamais, pour celte

    Iaculte qu'il a de donner l'originalite a ses pluscxactesimitations J). C'etait l'opinion de Sainte-Beuve : La premiere Eglogue, je veux dire la premiere

    en date, est toute parsemee des plus gracieusesimages de Theocrite, de meme que son premierlivre de l'Eneide se decore des plus celebres et desplus manifestes comparaisons d'Homere ; c'est toutL Voir, pour les imitations de Virgile, l'edition de Virgile deHeyne; lc chapitre de Quicherat iProsodie latin!!); Schoell, Lit-teralure ,'omaine; et surtout les deux volumes des Etudesgrecques SUI' Virqilc de Eichoff, oil sont cites tous les passagesempruntes. - Virgite a fait de nombreux emprunts a Ennius,Altius, Catulle; it a pris des morceaux entiers a . Nevius (Ma-crobe, Sat. V), etc.2. E. Benoist, Etude SUI' Vil'gile.

    LA FORMATlON DU STYLE. 3

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    34 LA FOnlllATION DU STYLEd'abord et aux endroits les plus en vue qu'il les pre-sente et qu'il les place. Loin d'en etre embarrasse,il y met son honneur, il se pare. de ses imitationsavec orgueiI, avec reconnaissance t. En constatant l'universelle imitation que les poetesont faite d'Homere, Voltaire concluait : Si ce pere de la poesie voulait reprendre sur ses

    descendants tout ce qu'ils lui ont emprunte, queDOUSresterait-il de l'Eneide, de la Jerusalem, duRoland, de la Lusiade, de la Henriade et de tout cequ'on ose Dommer en ce genre? Les deux plus illustres exemples de la formation

    du talent par l'imitation bien comprise, sont Virgilechez les Anciens et Chenier chez les Modernes.Un exemple pris dans Virgile montrera l'excel-

    lence de ce precede.Voici la description d'une tempete, que DOUS

    copions dans Homere :Ayant ainsi parle, ilassembla les nuages et bouleversala mer ayant saisi dans ses mains son trident, et il exci-tait tous les souffles impetueux des mille sortes de vents,et il couvrit de nuees la terre tout ensemble et la mer.La nuit se precipita du ciel. A Ia fois l'Eurus et Ie Notuss'elancerent, et le violent Zcphyre, et le Borce qui ba-laye l'ether roulant d'enorrnes vagues. Et alors lesgenoux d'Ulysse et son cher cuiur se delierent d'eITroi, etgemissant, il dit en son esprit ruuguanime : Helas Imalheureux que je suis! que va-t-il m'arriver a ce der-nier coup? Je crains certes que la deesse ne m'ait parlet. Sainte-Beuve, Etude sur Virgile.

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    FORMATION PAR L'rMITATION : VIRGILE 35en toute verite, quand elle m'a dit que, sur mer, avantd'arriver It la terre natale, je remplirais la mesure desmaux : voila maintenant que tout cela s'accomplit. Dequels nuages Jupiter couronne-t-il de toutes parts Ieiarge ciel! et ila houleverse la mer; et les souffles detous les vents s'y poussent : c'est maintenant que m'estassures la perte inevitable. Trois et quatre fois heureuxles Grecs qui sont morts dans la vaste plaine de Troieen faisant bon office aux Atrides! Que n'ai-je pu moi-merne mourir et encourir mon destin, ce jour ou lesTroyens en foule me lancaient leurs javelots d'airainautour d'Achille expire! C'est alors que j'eusse obtenudes funerailles, et les Grecs eussent mene grand bruit etrenom de moi. Mais main tenant il est decide que jeperirai de mort miserable ... - Lorsque nous eumesquitte l'ile (c'est Ulysse qui raconte), et quand il nenous apparaissait plus aucune terre, mais seulement leciel et la mer, alors Ie fils de Saturne, Jupiter, anetaun noir nuage au-dessus du vaisseau creux et la mers'en obscurcit alentour. La nef ne courut plus long-temps; car aussitot vint en sifflant le Zephyre avec untourbillonnement rapide, La force du vent brisa lesdeux cordages qui retenaient le milt : le milt tomba enarriere, et tous les agres roulerent dans la cale, et ilallafrapper it la proue Ia tete du pilote, il en hrisa tous lesos It la fois; et celui-ci, pareil it un piongeur, tomba dubord, et I e souffle de vie l'abandonna. Jupiter tonna aumerne moment, et lanca sur Ie vaisseau la foudre. Lanef pirouetta tout entiere, frappee du tonnerre de Jupiter,et elle se remplit de soufre : mes compagnons tomberentdu vaisseau. Pareils It des corneilles, autour du vaisseaunoir, ils etaient portes sur les vagues, et un dieu leurenlevait le retour.Voici maintenant l'imitation de Virgile :Il dit, et d'un revers de sa lance il frappe la mon-

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    36 LA FORMATIO:'< DU STYLEtagne par le flauc : et les vents, formant comme un esca-dron par l'issue qui leur est faite, se precipitent et cou,vrent la terre de leur tourbillon. lIs s'abattent sur la mer,et tout entiere la bouleversent du fond des abimes, - ala fois l'Eurus et le Notus, et Ie vent d'Afrique frequenten ouragans; et ils roulent contre le rivage les vaguesmonstrueuses. Il s'y mele aussitot le cri des hommes etle grincement des cordages. En un instant Ies nuagesont enleve Ie ciel et le jour aux yeux des Troyens : unenuit noiratre pese sur l'onde; la voute celeste a tonne,et l'air se fend en frequents eclairs: tout presente auxhornmes la mort menacante,A cette vue, Enee se sent comme paralyse de froiddans tous ses membres, il gemit, et, tendant ses deuxmains vel'S les astres, il profere ces paroles: 0 trois etquatre fois heureux ceux a qui, sous les yeux de leursparents, au pied des hautes murailles de Troie, il a etedonne de succomber! 0 le 'plus vaillant des Grecs, fils deTydee, que n'ai-je pu tomber aussi dans les plainesd'llion et verser mon sang de ta main, la ou git Ie ter-rible Hector, frappe par Achille, lit ou est gisant Ie grandSarpedon, ou le Simois entraine et roule dans son ondetant de boucliers et de casques et de corps de heros! Cependant la ternpete fait de plus en plus fureur. Desvingt navires qui composent la flotte d'Enee, Ie plusgrand nombre est disperse; les uns sont jetes contre desbrisants, les autres vont echouer sur les cotes d'Afrique,dans, les syrtes et les banes de sable; un des vaisseauxperit it sa vue.Un des vaisseaux, celui qui portait les Lyciens et lefldele Oronte, sous les yeux memes d'Enee, recoit unviolent coup de mer qui Ie prend de la proue a la poupe ;Ie pilote est enleve du bord et roule la tete la premiere:et, quant au vaisseau, trois Iois le flot qui l'enveloppe leIui t tournoyer sur lui-meme, et le gouffre tourbillonnantI'engloutit. On n'apercoit plus que quelques hommes a

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    FORMATION PAR L'IIIUTATION : CHENIER 37peine It la nage sur l'abime immense, des armcs, desrames, des planches flottantes, et les debris des richessesde Troie.On voit, par cette comparaison, cornbien la tem-

    pete d'Hornere est superieure a celle de Virgile. Lesdetails les plus saisissants sont dans Homere, Vir-gile les imite et n'a de vraiment original que le trait: le flot le fait tournoyer sur lui-memo . Neanmoinsla ternpetede Virgile fait bonne figure, ne s'oubliepas et demeure personnelle. Pourquoi ? Parce quecette imitation, dont le fond ne suffirait pas a legi-timer la valeur de Virgile, est rehaussee, mise enoeuvre, presentee en relief par le style du poetelatin. C'est le style de Virgile qui donne l'originaliteit cette imitation, par l'expression admirable, parIe genie des mots, par la qualite des epithetes et lacreation de la langue.

    Le cas d'Andre Chenier est aussi interessant.On sait que le grand mouvement lilteraire de la

    Renaissance fut une renovation de la litteraturegreco-latine. Ronsard a ete le roi de cette imitationit outrance.Chenier renouvela cette tentative, en se servant

    de la langue de Racine. L'ceuvre et le talent deChenier s'expliquent par l'imitation, arrivee it l'etatd'assimilation parfaits. On trouvera dans l'editioncritique de Becq de Fouquieres l'expose completdes imitations de Chenier, tous les passages cites,

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    38 LA FORMATION DU STYLEmerne les simples notes, projets d'imitation, etc. I.C'est I'exemple le plus concluanL et Ie plus inslructifque l'on puisse donner de notre lheorie. Nous ren-voyons le lecteur it ce livre indispensable. Cheniern'a peut-etre pas une piece, pas un tableau, pas unescene qu'il n'ait pris aux anciens.Un autre livre de Becq de Fouquieres nous apprend

    que Chenier collectionnait les images des ancienspour les transposer chez lui. C'est en etudiant Che-nier a la lumiere de ces deux livres qu'on constateral'excellence, l'utilite et Ie mode pratique du preceded'irnitation 2. Chenier, dit Fouquieres, ne se fait l'imitateurdes anciens que pour devenir leur rival. Tableaux,

    pensees, sentiments, il s'empare de tout, cherchant,poete francais, it les vaincre, du moins it les egaler,sur leur propre terrain. Si Homere, Theocrite, Vir-gile, Horace, n'avaient eu it lui apprendre Ia langue,la diction poetique, it l'initier it ce qu'il y a de plusdifficiIe, de plus exquis, de plus delicat dans tousles arts, a la forme, peut-etre ne leur eut-il donnequ'une attention d'erudit, sachant bien, lui, philo-sophe et moraliste, que sciences, mceurs, coutumes,tout a change depuis l'antiquite, et que desormaisi.Voir, en outre, au 1" appendiee de cet ouvrage, la forma-tion de MilIevoye par I'imitation de Chenier, p. r.xxvnr,2. Chenier imite en maitre " dit Victor Hugo (Liller. etPhil. melees. - Sur Chenier). - cr. Lellres critiques sur la vie,les ceuures et les manuscrits de' Chenier, 1 vol. in-l.2 (Chara-

    yay, {S8l.), et Documents nouveaux SUI' Chenier (Charpentier,1875). .

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    FORMATION PAR L'IlIUTATION : CHENIER 39la lyre ne doit preter ses accords qu'a des pensersnouveaux.

    Patient et laborieux, il se levait avant Ie jour,reprenant chaque matin ses projets de la veille,achevant une ebauche, esquissant une idylle ou uneelegie, Ses papiers temoignent de Ia multiplicite eten meme temps de la diversite de ses travaux. Sanscesse il revenait a ses chers auteurs grecs, a sonHomere, a son Pindare, a son Aristophane, pourlequel il avait une predilection. II les etudiait, lesannotait, se promettant d'imiter ce passage, de deve-lopper cette pensee, de s'approprier telle ou telleexpression; souvent ilen faisait des extraits.

    Mais, dans ces innombrables lectures, il n'estpas emporte par un desir confus d'erudition ; un butlogique, fixe, l'attire, le maintient toujours dans lameme ligne, et ce but, il nous l'a devoile lui-memo :Saooir lire et savoir penser, preliminaires indispen-sables de l'art d'ecrire. Du reste, une des qualitesd'Andre Chenier, qualite qu'il possedait a l'egal desplus grands esprits, etait une rectitude de jugementremarquable.

    En marchant vers Ie but qu'il s'etait indique,Andre devait passer d'abord par l'imitation; s'effor-cer ainsi de plier la langue fraucaise a la peinturedes sujets les plus habituels a la langue grecque;puis, ayant alors a sa disposition une langue rom-pue a ce poetique exercice, s'en servir a la peinturede sujets nouveaux et francais, et passer ainsi del'imitation a la creation, en se piongeant tout entier

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    40 LA FORMATION DU STYLEdans la vie moderne. C'est ce que devoloppe avecune lucidite remarquable Ie poems de l'Invention.

    Lesecond precede, plus complexe, consistedans la creation par assimilation anterieure. Ce pro-cede echappe souvent a la critique, et les poeleseux-rnemes ne s'en rendent pas toujours compte. IIfaudrait parfois remonter bien haul pour decouvrirles sources premieres de 1'inspiration. Mais, dansAndre, l'art se laisse saisir a tous les degres de for-mation. Ainsi, Ie lecteur pourra lire la v elegie dulivre III de Tibulle, ensuite l'elegie aux freres DePange; voir comment Andre irnite Tibulle, ce qu'ilomet, ce qu'il ajoute, ce qu'ilmodifle ; puis de l'ele-gie aux freres de Pange, passer a La Jeune captive,et se rendre compte du travail d'assimilation etd'appropriation qui a precede cette creation; com-ment l'ame d'Andre a ete, pour les pensees du poetelatin, comme un second moule d'ou elles sont sor-ties renouvelees, rajeunies, fecondees par une medi-tation interne et insaisissable. La bonne imitation est done une question vitale

    pour la formation du style. Servile, eIle tue Ie talent.Bien comprise, elle Ie cree et 1'augmente.II y a un fond d'idees qui appartient a tout le

    monde. C'est la facon de les exprimer, de Ies deve-lopper qui constitue la valeur litteraire, On peuttoujours voir et comprendre autrement ce qui a Mevu et compris par d'autres, M. de Maurepas disait : Les eorivains sont des gens qui pillent dans les

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    FORMATION PAR L'Il\UTATION : RACINE 41auteurs tout ce qui leur passe par la U~te. Latheorie du cJimat et des milieux est dans La Bruyereet dans l'abbe Du Bos. Voyez le parti qu'en a tireTaine.Boileau sentait bien ces verites, lorsqu'il repro-chait it Perrault ses attaques contre les Anciens. Quel est donc, disait-il, le motif qui vous a Iant

    fail crier contre les Anciens? Est-ce la peur qu'onne se gatiH en les imitant? Mais pouvez-vous nierque ce ne soit it cette imitation memo que nos plusgrands poetes sont redevables du succes de leursecrits? Pouvez-vous nier que ce ne soit dans Tite-Live, dans Dion Cassius, dans Plutarque , dansLucain et dans Seneque, que M. de Corneille a prisses plus beaux traits? Pouvez-vous ne pas convenirque ce sont Sophocle et Euripide qui ont formeM. Racine? Pouvez-vous ne pas avouer que c'estdans Plante et dans Terence que Moliere a pris lesgrandes finesses de son art I?Racine lui-memo, qui a tant emprunte aux Grecs,

    jusqu'a traduire presque litteralernent des scenesd'Euripide , Racine etait convaincu qu'il faisailceuvre d'originalite, en cherchant du nouveau dansce qui existait deja.

    C'est le conlraire, dit-il de nos poetes, qui _nedisent que des choses vagues, que d'autres ontdeja dites avant eux et dont les expressions sonttrouvees, Quand ils sortent de la, ils ne sauraientt. Boileau, Lettre a . Perrault, l.700.

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    42 LA FORMATION DU STYLEplus s'exprimer, et ils tombent dans une secheressequi est pire encore que leurs larcins. Pour moi, je nesais pas si j'ai reussi, mais quand je fais des vers, jesonge tOUjOUl'S dire ce qui ne s'est point encoredit dans notre langue I. Toutes les litteratures ont vecu d'imitation. On setransmet les inspirations, les recils, les images, lesidees. Les sujets de Ia plupart des fables de La Fon-taine remontent jusqu'a Phedre et a Esope. LesGrecs eux-memes ont exploite leurs traditions etleurs legendes nationales. Les Latins ont imite lesGrecs. lIs ont alimente les XVI", XVII" et XVIII" siecles:et notre epoque a son tour y retrernpe son genie.Les Trophees de M. de Heredia, les traduetions deLeconte de Lisle, la mythologie de Banville etmemeIa poesie de Moreas ou de Henri de Regnier se rat-tachent directement a Andre Chenier, qui sort deTheocrite 2.Imiter un auteur, c'est done etudier ses precedes

    de style, l'originalite de ses expressions, ses images,L Racine, Lettre a Maucroix, 29 avril t695.2. Patin, dans ses Melanges, a une tres bonne etude surl'Influence de l'imitation dans le deneloppement des litleratures,Signalons egalernent les interessante articles de M. FredericLoliee, tres competent dans ces matieres, Ie beau livre deM. Rerny de Gourmont sur l'Esthetique de la langue fran{:aise,et, comme morceaux pouvant servir de modeles, les traduc-tions et adaptations d'un bon poete epris d'antiquite, M. MarcLegrand. Se reporter aussi aux imitations presque Iitteralesde nos Epopees francaises que Victor Hugo nous a donneesdans Aspneriilot, Ie Mm-iage de Roland, etc. (Voir les Petitesepopees de Leon Gautier, etc.) Villemain, en i8i2, a la distri-

    bu lion des prix du concours general des colleges royaux deParis; a prononce un excellent discours sur ~'imitation.

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    EXEMPLES n'IMITATION 43son mouvement, la nalure meme de son genie et desa sensibilite. C'est s'approprier, pour le traduireautremenl, ce qu'il a de beau, en laissant de cote cequ'il a de mediocre.Voici comment Horace presente cetle penseesimple et commune: la mort n'epargne personne : La pale mort heurte d'un pied egal Ies logis des

    pauvres et les tours des rois. Malherbe traite la meme pensee :La mort a des rigueurs it nulle autre pareilles.00 a beau la prier,La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles

    Et nous laisse crier ..Puis il ajoute, en imitant Horace:Le pauvre, en sa cabane O U le chaume le couvre,Est sujet it ses lois;Et Ia garde qui veille aux barrieres du LouvreN'en defend point nos rois.Virgile.en parlantd'une espece de chene.avait dit :

    . QUIE quantum vertice ad aurastherias, tantitm radice in tartara tendit.(Georgiques,liv. II, v. 291.)[Litteralement : Son sommet s'eleve aussi haut

    dans les airs, que sa racine tend profondement dansles enfers.)Et La Fontaine ne reste pas au-dessous de son

    modele dans ces vers sublimes:Le vent redouble ses effortsEt fait si bien qu'il deracine

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    LA FORMATION DU STYLECelui [Ie chene] de qui Latete au ciel etait voisine,Et dont les pieds touchaient Ii Lempire des morts.

    (Liv. I, fable 22.)L'imitation peut con sister it prendre Ie tour et

    quelques expressions d'un auteur, sans prendre lapensee ; ou it prendre sa pen see sans copier ni Ietour ni I'expression t.Lamothe Le Vayer pensait qu'il etait plus louable

    d'emprunter des beautes litteraires aux Anciensqu'aux Modernes. II absolvait Ie plagiat commiscontre les Grecs, mais il voulait que ses conternpo-rains fussent respectes 2.On imiLeavec plus de liberte, quand on puise dans

    une langue etrangere ; mais il faut du gout pour nepas tomber dans l'ecueil de la traduction, qui estla secheresse, Lorsqu'on trouve dans les auteursetrangers des pensees exagerees, on doit, autantque possible, les ramener it leur verite naturcIle.Ainsi, dans Plaute, I'Avare se croit vole par son

    esclave; il Ie fouille et, apres lui avoir fait ouvrir lesdeux mains, il demande : la troisieme. Le trait estexcessif. La passion Ia plus forte ne peut aveuglerau point de faire oublier que I'homme n'a pas troismains. Moliere tire bien meilleur parti de cette idee.La revue des mains faite,I'Avare dit : Et l'autre?lei I'Avare ne demande pas trois mains; il est telle-

    1 .. On peut lire, dans I'Histoire de Francois t=, de Gaillardune bonne imitation du Passage des Alpes de Tite-Live. Com-parer aussi la description de la peste dans Thucydide, Boccace,l'abbe Barthelemy et Manzoni.2. Bayle, Dictionnaire, art. EPBORI.

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    EXEMPLES D'IMITATION 45ment absorbe pal' sa passion, qu'il croit seulementn'en avoir vu qu'une. C'est une exageration admis-sible.Crevier conseille de bien choisir les auteurs qu'on

    veut imiter, et de se mettre en garde contre leursdefauts. 11tranche avec aplomb cette question deli-cate:

    Bossuet est grand, mais inegal ; Flechier estplus egal, mais moins eleve et souvent trop fleuri.Bourdaloue est judicieux et solide, mais il negligeles graces. Massillon est plus riche en images, maismoins fort en raisonnemenls. Je souhaile done quel'orateur ne se contente pas de l'imitation d'un seulde ces modeles ; mais qu'il tache de reunir en luiloutes leurs differentes vertus I. Conseil facile a donner, mais difficile a suivre.11 y a chez certains auteurs des images et des

    expressions qui ont ete souvent imitees, On lesnegligera, pour rechercher les moins connues, lesplus rares, les plus curieuses.Ainsi on s'abstiendra de comparer quelqu'un a

    une fleur qui n'a vecu qu'un jour et qui s'est faneeIe soir.L'imitation de cetle pensee peut etre, en effet,

    consideree comme epuisee.Bossuet a dit :.Madame a passe du matin au soir ainsi que l'herbe deschamps; le matin elle fleurissait, avec quelle grace vous1e savez. Le soir nous la virnes sechee ...L Crevier, Bhetorique francoise, t, 11,dernier chapitre.

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    4 - 6 LA FORMATION DU STYLEParlant de la brievete de la vie des hommes,

    Massillon dit a son tour:II en est qui ne font que se montrer 1 1 . la terre, qui

    finissent du matin au soir et qui, semblables 1 1 . la /leur deschamps, ne mettent point d'intervalle entre l'instant quiles voit eclore et celui qui les voit secher et disparaitre.Fenelon a ecrit dans Telemaque :Les hommes passent comme les fleurs qui s'epanouis-

    sent le matin, et qui Ie soir sont /letries et foulees auxpieds.Quatre lignes plus loin ilajoute :Souviens-toi que ce bel age n'est qu'une fleur qui sera

    presque aussitot sechee qu'eclose.La marne pen see etait deja dans Malherbe:Et rose elle a vecu ce que vivent les roses,L'espace d'un matin.

    VOWIun nouvel exemple de la fortune que peutavoir l'imitation d'une image qu'on trouve dansVirgile et que Delille a traduit par ces mots:

    Du haut de ces rochersJe vois la chevre pendre ...J .-J. Rousseau a ecrit :Tantot d'irnmenses rochers pendaient en ruines au-dessus de ma tete.

    (Nouvelle Heloise, I, lettre XXIII.)Dupaty:Ces flots, cette hauteur, cet abime, ce fracas, ces roespendants en precipice ...

    (Lettres sur l'Italie. - La grande cascade.)

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    EXEMPLES D'jl\UTATION '7Lamartine :Et dans ces noirs sap ins et dans ces roes sauvagesQui pendent sur tes eaux.

    (Le Lac.)Musset:

    Le chevreau noir qui broute,Pendu sur son rocher,L'ecoute,L'ecoute s'approcher.(Ballade IiLa Lune .)

    Victor Hugo:La chute Ia plus profondePend au sommet Ie plus haut.

    Horace avail dit :Solvitu r acrtS h iem s.

    Virgile it son tour :SoLvuntu r frigore m em bra.

    Montaigne : L'homme va beaut apres les chosesfutures. (Essais, III, Fe ligne.)Chateaubriand < : Beer aux lomlains bleuatres.

    (Memoires. Enfance d Combourg.)Malherbe:

    Rien, afln que tout dure,Ne dure eternellement.(Sur Lap rise de M arseille.)Hacan :

    Ricn au monde ne dureQu'un eternel changement.(O des. - La venue du printemps.)

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    48 LA FORMATION DU STYLELe crime fait la honte, et non pas l'echafaud.(Thomas Corneille, Comte d'Essex, IV, III.)La honte est dans Ie crime et 'non dans le supplice.(Voltaire, ArUmise, fragment IV, III.)

    En termes de litterature, dit excellemmentLaveaux 1, on entend par imitation, l'emprunt desimages, des pensees, des sentiments qu'on puisedans les ecrits de quelque auteur, et dont on fait unusage soit different, soit approchant, soit en enche-rissant sur l'original... Virgile imite tantot Homere,tantot Theoorite, tantot Hesiode, et tantot les poetesde son temps; et c'est pour avoir eu tant de modeles, ,qu'il est devenu un modele admirable it son tour ... L'imitation doit etre Faile d'une maniere noble,

    genereuse et pleine de liberte. La bonne imitation estune continuelle invention. II faut, pour ainsi dire, setransformer en son modele, embellir ses pen sees, et,par le tour qu'on leur donne, se les approprier,enrichir ce qu'on lui prend, et lui laisser ce qu'onne peut enrichir. On ne saurait mieux (lire; mais encore faut-il du

    tact et de la prudence. Rappelons-nous le conseil deSeneque : Cachons avec industrie ce que nous avons

    emprunte et ne faisons paraitre que ce qui est itnous. Si l'on reconnait dans un ouvrage quelquestraits d'un auteur que vous estimiez particuliere-ment, que ce soit une ressemblance de fils et non1. Laveaux, Diclionnail'e des difficultes de La langue fran-caise_

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    EXEMPLES D'IMITATION 49pas Ie portrait, car Ie portrait est une chose morte.Quoi donc l ne connattra-t-on pas de qui j'imite Iestyle, de qui je prends les pen sees etJa facon d'ar-gumenLer? Je crois rneme que l'on ne s'en apercevrapas, si c'est d'un habile homme 1. Nos classiques francais ont excelle it mettre ces

    conseils en pratique et it donner de l'originalite itleurs emprunts.Boileau ne rougissait pas d'imiter les Anciens. Il

    avoue n'etre qu'un gueux revetu des depouillesd'Horace . II a traite tous les sujels d'Horace et n'ade vraiment original que son Lutrin.Bossuet etudiait et s'assimilait la Bible, les Peres

    de l'Eglise, Saint Gregoire de Nazianze, Tertullien,Saint Augustin, Homere. On a dit qu'il se couchaiten lisant Hornere et qu'il se levait en suite avec despensees de genie '. On assure qu'illisait Hornere engl'ec chaque fois qu'il avait une oraison funebre itecrire. Il appelait cela : allumer son flambeau auxrayons du soleil . Lebeau dit qu'il s'etait d'abordforme par la lecture de l'Eneide.Massillon savait Racine lJar cceur.Les plus belles scenes de I'Avare et de l'Amphi-

    iryon de Moliere sont dans Plaute.Le dialogue-anti these de Corneille est dans ses

    predecesseurs, Rotrou, Mairet, Jodelle, Garnier, etc.(Voir Le Cornelianisme avant Corneilie, de M. Brune-tiere.)1. Seneque, Lettres a . Lucilius, 84.2. Besplas, Eloquence de la chaire.

    LA. ror,MATIQN DU STYLE.

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    50 LA FORMATION DU STYLELes principales pieces de Shakespeare avaienL

    deja ete traitees avant lui.Racine a pris aux Grecs le sujet de ses tragedies

    et leurs principales scenes.Voici ce qu'il declare dans sa deuxieme preface

    de Britannicus : J'ai travaille sur des modeles qui m'avaient

    extremement soutenu dans la peinture que je vou-lais faire de la cour d'Agrippine et de Neron. J'avaiscopie mes personnages d'apres Ie plus grand peintrede l'antiquite, je veux dire d'apres Tacite; et j'etaisalors si rernpli de Ia lecture de cet excellent histo-rien, qu'il n'y a presque pas un trait eclatant dansrna tragedie dont il ne m'ait donne l'idee. J'avaisvoulu mettre dans ce recueil (son volume) un extraitdes plus beaux endroits que.j'ai tache d'imiter ; maisj'ai trouve que cet extrait tiendrait presque autant deplace que Ia tragedie I. Et dans Ia preface de Phedre : Quoique j'aie suivi une route un peu differente

    d'Euripide, pour Ia conduite de l'action, je n'ai pasIaisse d'enrichir ma piece de tout ce qui m'a paru leplus eclatant dans Ia sienne. L'assimilalion par imitation est Ia base de tous

    Ies precedes litteraires,C'est ce qui faisait dire a un poete qui s'y con-

    naissait : Quelle etrange recherche que celle des genea-

    i.Deuxieme preface de Brilannicu8.

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    L'EXEMPLE DE LAMARTINE 5flogies! Le bon Homere ... engendra Virgile, qui fitle pieux Enee; Virgile engendra le Tasse, qui fitArmide et Clorinde, que Boileau n'aimait pas. LeTasso engendra Dieu sait quoi, la Ilenriade. LaHenriade enfanta M. Baour-Lormian. C'est ainsique la tragedie grecque, cet ocean majestueux etsublime, apres avoir donne naissance it Racine et aAlfieri... engendra ces ramifications indecrottablosde petites mares d'eau qui se dessechent encore \ f aet 1:1au soleil et qu'on nomme l'ecole de Campis-tron t. Sainte-Beuve a fait ressortir les nombreuses et

    inconscientes imitations qui ont suivi l'exemple deChaLeaubriand. On ne trouverait pas, dit-il, uneseule page, chez tous nos ecrivains, qui n'ait songerme dans Chateaubriand. Lamartine, dans sonCOUTS familier de litterature, cite un passage deSainte- Beuve, O U l'illustre critique monlre la ressem-blance de certaines Meditations, L'Isolement, Le C1'U-cifix, L'Homme, Le Passe, avec des passages celebresde Chateaubriand ' ...Nous ne pouvons qu'indiquer sommairementI'excellence du precede d'imitation et sa tradition

    constante en litterature. Nous y reviendrons, dansnotre chapitre sur la description, it propos de Cha-teaubriand, Homere et Flaubert,Voici un exemple qui prouve que l'imitation, au

    L A. de Musset, Melanges (Revue [antastique, XII).2. Cours familier de litteraiure, entrelien CLXV .

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    52 LA FORMATION DU STYLEmoins comme exercice initial, determine la forma-tion des talents les plus personnels. II s'agit encorede Lamartine.L'auteurdes Aieditations lui-meme chercha d'abord

    sa voie Iet commenea par imiter.II avoue d'abord que Chateaubriand fut une desmains puissantes qui lui ouvrirent l'horizon de lapoesie moderne. II ajoute :

    Les poetes anti-poetiques du xvms sieclc, Vol-taire, Dorat, Parny, Delille, Fontanes, La Harpe,Boufflers, versificateurs spirituels de l'ecole dege-neree de Boileau, furent en suite mes modelesdepraves, non de poesie , mais de versification.J'ecrivais des volumes de detestables elegies amou-reuses avant l'age de l'amour, a l'imitation de cesfaux poetes 2.

    Andre Chenier n'avait pas encore ete recueillien volume; je n'en connaissais que la sublime etdivine elegie de la Jeu ne C ap tive, citee en partie parM. de Chateaubriand.

    Bien qu'Andre Chenier dans son volume de versne soit qu'un Grec du pag:anisme et par consequentun delicieux pastiche, un pseudo-Anacreon d'unefausse antiquite, l'elegie de la Jeun e C ap tive avaitL M. Jules Lemaitre a public de curieuses etudes sur lespremiers pastiches de Lamartine.2 . On a remarque que les hommes les plus originaux, lesmieux disposes, comme leur carriere doit en donner bientot. la preuve eclatante, pour l'invention, debutent toujours par

    I imiter un poete qui a excite leur enthousiasme . (H. Joly,Revue philosophique, t. XIV, p. 206.) M. Brunetiere a dit : L'imitation est Ie noviciat de I'orlgtnalltc '.

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    L'EXEMPLE DE LAMARTINE 53l'accent vrai, grandiose et pathetique de la poesiede l'ame ... Ces vers avaient coule, non plus de sonimagination, mais de son cceur, avec ses larmes.Voila le secret de cetle elegie tragique de la JeuneCaptive, qui ne ressemble en rien it cette familled'elegios grecques que DOUS avons lues plus tarddans ses ceuvres.

    Je m'ecriai tout de suite en la lisant : Voila Iepoete l Cette revelation donna malgre moi le tonit plusieurs des essais de poesie vague et informeque j'ecrivais au hasard dans mes heures d'adoles-cence.

    On en retrouvera quelque trace dans l'elegie inti-tulee la Fille du Peeheur, qui n'ajamais ete ni achevee

    .. ni publiee par moi. Je l'acheve et je la publie icipour la premiere fois. .. On y retrouvera, it traversles reminiscences grecques de Theocrite et d'Ana-creon, quelque pressentiment d'Andre Chenier ILa piece dont parle Lamartine et qu'il serait trop

    long de transcrire ici rappelle, en effet, de tres presAndre Chenier:Quand ton front brun flechit sur Ia cruche it deux anses ..Ou bien sous Ie figuier, de son sucre prodigue ...Assise sous Ie toit, entre l'ombre et Ie fruit ...Eplucher en automne et retourner la figueQue Ie vent de mer sale et que Ie soleil cuit ... , etc.

    Un des dangers de la mauvaise imitation, c'est,dit Quintilien, d'outrer les def'auts d'un auteur ett. Lamartine, Cours de littlfrature. En tretien XXIII.

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    LA FORMATION DU STYLEdc ne prendre que les vices qui touchent a ses qua-lites; on remplace l'elevation par I'enflure, la conci-sion par la maigreur, la force par la ternerite ,l'agrement par Ie mauvais gout, l'harmonie par Iedesordre et la simplicite par la negligence. J'ai vu souvent, dit Ciceron , des imitateurscopier ce qu'il y avait de plus facile, et meme ce qu'ily avait de defectueux, de vicieux dans leur modele.Ils commencent par choisir mal; et, si leur modele,quoique mauvais, a quelque bonne qualite, ils lalaissent et ne prennent de lui que ses defauts, Tout, en eITet,s'affadit et se decolore sousla plume

    de ceux qui n'ont pas assez de talent pour savoirimiter; car l'imitation suppose du talent. Sans dispo-sitions pour I'arl d'ecrire, taus les efforts d'imitationdemeurent steriles, Ou ron copie servilement, ouron reste au-dessous de son modele.L'imitation n'est donc pas aussi facile qu'on peut

    Ie croire.Hesumons-nous.Il y a deux sortes d'imitations :

    ( L'une est un exercice Iitteraire individuel, d'ordre(priVe, excellent moyen de former son style, et quiconduit au pastiche, dont nous parlerons dans lechapitre suivant.L'autre.Ta vraie, est une impregnation generale,

    C'est l'ensemble des idees et des images, en quelquesorte la tournure d'esprit d'un auteur, qui finissentpar etre as similes ; et c'est la combinaison de ces

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    EN QUOI CONSISTE LA BONNE IMITATION 55elements digel 'cs qui developpe l'originalite person-(nelle, La bonne imitation conduit a I'assimilation clse confond avec clle. Elle consiste, comme Ie disaitDacier, a mettre son esprit a la teinture d'un. auteur.,Nous sommes done tout a fait de l'avis d'ErnestHello, lorsqu'il dit : Si le conseil de la Rhetorique, le conseil d'imiter

    les grands ecrivains ou ceux qu'on appelle ainsi, estun conseil ridicule, le conseil de se les assimilerserait un conseil serieux, 11 peut se faire, en eITel,qu'en vous plongeant dans Ie genie' d'un grandhomme, vous en soyez penetre , impregne ; quequelque chose de lui passe en vous ... Cela ne peutse faire par la copie, par la decouverte d'un pro-cede, mais par une communication intime de cha-leur et de vie ... L'ecrivain donne son style, c'est-a-dire la parole. II est perrnis de s'en nourrir 1. On doit toujours avoir devant les yeux les grands

    modeles classiques; se preoccuper incessammentde leur pensee, de leur forme, de leur style; songeraux descriptions des maltres, si l'on decrit ; auxmouvements d'eloquence des grands orateurs, sil'on parle; aux belles phrases des meilleurs histo-riens, si 1'0n fait de l'histoire; aux beaux vel's denotre langue, si 1'0n est poete. C'est la methodemerne de l'imitation, et c'est ce qu'exprime Longindans cet admirable conseil :

    Il faut toujours se demander: Comment est-coi.Ernest Hello, Le style, p. 20.

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