Alain de Benoist - Demain Le Decroissance

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Demain Le Decroissance

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C'est avec beaucoup de rpugnance que j'ai dcid de mettre en partage un ouvrage sous copyright dont les mdiats aux ordres et les circuits de distribution sous contrle vitent de faire la promotion. Mais le sujet est d'une telle importance pour le bien commun et la qualit de l'analyse ici propose si exceptionnelle que j'ai considr comme un devoir civique de m'y rsoudre, en prsentant mes excuses l'auteur et l'diteur.Pour ceux qui frquentent ses travaux (et ceux des autres en comparaison !) Alain de Benoist apparat sans conteste comme le plus extraordinaire intellectuel franais (et sans doute mme occidental ! ) de notre temps. Ses publications, que ce soit sous forme d'articles ou de livres recouvrent des dizaines de milliers de pages dont la qualit est encore plus impressionnante que la quantit. Il possde une culture plus qu'encyclopdique et, quel que soit le sujet abord, ses rflexions sont toujours d'une grande pertinence, avec une profondeur de vue rarement rencontre chez les auteurs politiquement corrects. Ses prises de position en faveur de la dcroissance ne pourraient ainsi qu'apporter une autre dimension intellectuelle au dbat ce sujet. Et attirer d'autant l'attention et les intrts de ceux qui sont devenus allergiques la prose souvent simpliste et sectaire des milieux gauchisants tendant ordinairement considrer les questions cologiques comme un domaine qui leur est rserv. D'ailleurs, on cherche frquemment l'occulter, depuis les origines (remontant au vieux romantisme germanique et se prolongeant jusqu'au mouvement volkisch et au rgime hitlrien, le premier avoir men une vritable politique cologique au XXe sicle), le mouvement cologique moderne s'enracine dans la sensibilit dite de droite . La prservation de la nature est indissociable de la perptuation des hritages populaires et identitaires. Qui dit local dit terroir , tradition... Le capitalisme, tout comme son alter go communiste, tous les deux l'origine de la destruction acclre de la plante depuis 1945 se rclament furieusement du mondialisme, de prtendues valeurs universalistes .DEMAIN, LADECROISSANCE !PENSER L'COLOGIE JUSQU'AU BOUT Alain de BenoistOn ne peut ainsi qu'encourager le lecteur intress se procurer l'ouvrage original sur papier que l'on peut facilement commander en ligne. http://www.alaindebenoist.com/pages/librairie.php http://www.revue-elements.com/livres-Demain-la-decroissance.html

Demain, la dcroissance !Penser l'cologie jusqu'au bout

DU MEME AUTEURAvec ou sans Dieu (en col lac/), Beauchesne, Paris 1970.Vu de droite. Anthologie critique des ides contemporaines, Copernic, Paris 1977 (2ed.: Labyrinthe, Paris2001 ; Grand Prix de l'Essai de ['Acadmie franaise 1978),Les Ides l'endroit, Libres-Haliier, Paris 1979.Comment peut-on tre paen ?, Albin Michel, Paris 1981.Orientations pour des annes dcisives, Labyrinthe, Paris 1982.Les Traditions d'Europe, Labyrinthe, Paris 1982 (2,: d. augm. : Paris 1996).Fter Nol. Lgendes et traditions, Atlas, Paris 1982 (2e d. : Pards, Puiseaux 1994).Dmocratie: le problme, Labyrinthe, Paris 1985.L'clips du sacr. Discours et rponses (en collab.), Table ronde, Paris 1986.Europe, Tiers-monde, mme combat, Robert Laffont, Paris 1986.Le Grain de sable. Jalons pour une fin de sicle, Labyrinthe, Paris 1994.La ligne de mire. Discours aux citoyens europens, 2 vol., Labyrinthe, Paris 1995-96.L'Empire intrieur, Fa ta Morgana, Saint-Clment 1995.Famille et Socit. Origines - Histoire - Actualit, Labyrinthe, Paris 1996.Ernst jiinger. Une bio-bibliographie, Guy Trdaniel, Paris 1997.Communisme et Nazisme. 25 rflexions sur le totalitarisme au XX'sicle, 1917-1989,Labyrinthe, Paris 1998.L'cume et les Galets. 1991-1999: dix ans d'actualit vue d'ailleurs, Labyrinthe, Paris 2000,Dernire aime. Notes pour conclure le sicle, L'Age d'Homme, Lausanne 2001. Critiques Thoriques, L'ge d'Homme, Lausanne 2003. Bibliographie gnrale des droites franaises, 4 vol., Dualpha, Paris 2004-05. Nous et les Autres. Problmatique de l'identit, Krisis, Paris 2006. C'est--dire. Entretiens - Tmoignages - Explications, 2 vol., AAAB, Paris 2006. Cari Schmitt actuel. Guerre juste , terrorisme, tat d'urgence, "Nomos" de la Terre , Krisis, Paris 2005. dite, 2007 ISBN 978-2-84608223-5Alain de BenoistDemainla dcroissance !Penser l'cologie jusqu'au boutditions dite

Fratiois Bousquet

SOMMAIREDemain, la dcroissance9Sur l'cologie I89Sur l'cologie II131La nature et sa valeur intrinsque 173

DEMAIN, LA DCROISSANCE!Les socits anciennes avaient spontanment compris qu'aucune vie sociale n'est possible sans prise en considration du milieu naturel dans lequel elle se droule. Dans le De senectute, voquant ce vers cit par Caton : Il va planter un arbre au profit d'un autre ge , Cicron crit: De fait, l'agriculteur, si vieux soit-il, qui l'on demande pour qui il plante, n'hsite pas rpondre : "Pour les dieux immortels, qui veulent que, sans me contenter de recevoir ces biens de mes anctres, je les transmette aussi mes descendants" (7, 24). La reproduction durable a, en fait, t la rgle dans toutes les cultures humaines jusqu'au XVIIIe sicle. Tout paysan d'autrefois tait, sans le savoir, un expert en soutena- bilit. Mais les pouvoirs publics l'taient aussi, bien souvent. Un exemple typique est donn par Colbert qui, rglementant les coupes de bois pour assurer la reconstitution des forts, faisait planter des chnes pour fournir des mts de navires 300 ans plus tard.

Les modernes ont agi l'inverse. Ils n'ont cess de se comporter comme si les rserves naturelles taient multipliables l'infini - comme si la plante, dans toutes ses dimensions, n'tait pas un espace fini. chaque instant prsent, ils ont appauvri l'avenir en consommant outrance le pass.On a caractris le XXe sicle de bien des faons : sicle de l'entre dans l're atomique, de la dcolonisation, de la libration sexuelle, des extrmes (Eric Hobsbawm), de la passion du rel (Alain Badiou), du triomphe de la mtaphysique de la subjectivit (Heidegger), de la technoscience, sicle de la globalisation, etc. Le XXe sicle a assurment t tout cela. Mais il est aussi le sicle qui a vu l'apoge de l're de la consommation, de la dvastation de la plante et, par contrecoup, l'apparition d'une proccupation cologique. Pour Peter Sloterdijk, qui caractrise la modernit par le principe surabondance , le XXe sicle a d'abord t le sicle du gaspillage. Tandis que, pour la tradition, crit-il, le gaspillage reprsentait le pch contre l'esprit de subsistance par excellence parce qu'il mettait en jeu la rserve toujours insuffisante de moyens de survie, un profond changement de sens s'est accompli autour du gaspillage l're des nergies fossiles : on peut dire aujourd'hui que le gaspillage est devenu le premier devoir civique [...] L'interdiction de la frugalit a remplac l'interdiction du gaspillage - cela s'exprime dans les appels constants entretenir la demande intrieure1 .Ce gaspillage n'est pas confondre avec la dpense ostentatoire que pratiquaient parfois les anciennes aristocraties, car celle-ci ne se sparait jamais d'un lment de gratuit et de gnrosit qui fait entirement dfaut la socit marchande actuelle. Adam Smith lui-mme dfinissait encore le gaspillage comme une faon de cder l'envie de la jouissance de l'instant. Et dans l'ancienne bourgeoisie, la frugalit tait encore au nombre des valeurs cardinales, car elle tait cense permettre l'accumulation du capital. Aujourd'hui que le capital s'entretient de lui- mme, en crant sans cesse de nouveaux profits, le verrou a saut depuis longtemps. L'obsolescence programme des produits est l'un des ressorts du gaspillage.Au dbut du XXI1' sicle, qui s'annonce comme un sicle o la fluidit (Zygmunt Baurnan) tend remplacer partout le solide comme l'phmre remplace le durable, comme les rseaux se substituent aux organisations, les communauts aux nations, les sentiments transitoires aux passions d'une vie entire, les engagements ponctuels aux vocations immuables, les changes nomades aux rapports sociaux enracins, la logique de la Mer (ou de l'Air) celle de la Terre -, on constate que l'homme aura consomm en un sicle des stocks que la nature avait mis 300 millions d'annes constituer.1Les deux problmes principaux qui caractrisent la situation actuelle sont, d'une part, la dgradation du milieu naturel de vie sous l'effet des pollutions de toutes sortes, qui ont aussi des consquences directes sur la vie humaine et sur celle de tous les tres vivants, et, d'autre part, l'puisement des matires premires et des ressources naturelles indispensables aujourd'hui l'activit conomique.Les pollutions ont t trop souvent dcrites pour qu'il y ait lieu d'y revenir ici. Rappelons seulement que la production annuelle de dchets dans les vingt-cinq pays de l'OCDE s'lve aujourd'hui 4 milliards de tonnes. En Europe, les dchets industriels dpassent les 100 millions de tonnes par an, dont un tiers seulement fait l'objet d'un retraitement. Les Franais produisent eux seuls 26 millions de tonnes de dchets par an, soit un kilo par personne et par jour. Entre 1975 et 1996, la quantit de dchets et de rejets divers (missions de gaz carbonique, dchets miniers, rosion des sols, boues contamines, etc.) a augment de 28 % aux Etats-Unis. D'ici 2020, la production d'ordures mnagres est appele doubler.Depuis les tudes pionnires de Charles King, entames ds 1957, on sait que la quantit de gaz carbonique dans l'atmosphre, produite par la pollution, ne cesse d'augmenter depuis les dbuts de l're industrielle. Alors qu'au cours des 150000 dernires annes, la concentration de CO2 dans l'atmosphre tait reste peu prs constante, soit de l'ordre de 270 parties par million (ppm), elle a commenc augmenter vers 1860, puis a connu une nette acclration dans la deuxime moiti du XXe sicle, priode durant laquelle son taux a pratiquement doubl tous les vingt ans. Ce taux s'tablit aujourd'hui environ 375 ppm, prs de 70 % des missions totales de CO2 provenant des pays de l'hmisphre Nord qui se sont le plus tt engags dans une industrialisation marche force. l'heure actuelle, l'humanit met plus de 6,3 milliards de tonnes de carbone par an, soit presque le double de la capacit d'absorption de la plante (celle-ci dpendant de faon vitale de la surface des forts et des ocans). Et tout laisse prvoir que ce phnomne va se poursuivre et s'aggraver.Or, on sait aussi qu'il existe une corrlation rigoureuse entre le taux de CO2 dans l'atmosphre et la temprature la surface de la Terre. La concentration dans l'atmosphre des gaz effets de serre emprisonne en effet la chaleur issue du soleil autour de la Terre et engendre un rchauffement gnral de la plante. En seulement trente ans, la temprature moyenne de la Terre est passe de 13,9 degrs 14,4 degrs. Avec un doublement prvu du taux de CO2 dans l'atmosphre, on s'attend ce qu'elle augmente encore de 1,4 5,8 degrs au cours de ce sicle2.Le rchauffement de la plante tant maximal vers les ples, l'une de ses consquences est la fonte des glaciers et des banquises, qui dilate la masse des ocans, entranant une lvation gnrale du niveau de la mer. Le niveau moyen des ocans a dj mont de 2,4 cm au cours des dix dernires annes. On s'attend ce qu'il augmente de plusieurs mtres d'ici la fin du XXIe sicle. Or, il suffirait d'une augmentation d'un mtre pour que la ligne de ctes recule en moyenne de 1,5 km, ce qui entranerait l'vacuation force de plusieurs dizaines de millions de personnes. l'heure actuelle, le Groenland perd dj 51 milliards de m3 d'eau par an. La fonte complte de l'inlandsis du Groenland (dont la superficie quivaut quatre fois celle de la France) pourrait elle seule faire monter de 7 m les surfaces ctires du globe3. Ajoute la fonte des glaciers de l'Arctique et de l'Antarctique, elle pourrait entraner la submersion d'un grand nombre de terres aujourd'hui merges, de Manhattan la Camargue, en passant par les Pays-Bas, les Maldives, les rizires inondables d'Asie, le delta du Nil en gypte, celui du Niger au Nigeria, celui du Gange au Bangladesh.La fonte des glaciers arctiques a galement pour rsultat que la partie nord de l'Atlantique connat un afflux brutal d'eau douce. Or, l'quilibre entre l'eau douce et l'eau sale constitue dans cette partie du monde l'un des moteurs des grands courants marins dits thermo- halins, qui rgulent l'ensemble des tempratures mondiales et permettent l'Europe occidentale de bnficier d'un climat tempr du fait de la remonte vers le nord d'un courant chaud provenant du sud, le Gulf Stream. Cet afflux d'eau douce issue de la fonte des glaciers pourrait terme provoquer un refroidissement gnral de l'hmisphre Nord, qui se retrouverait au bout d'un certain temps plong dans un climat sibrien. Rappelons que lorsque la temprature plantaire moyenne tait de seulement 5 6 % plus basse qu'aujourd'hui, une partie de l'Europe (jusqu' l'Allemagne) et de l'Amrique du Nord tait couverte d'un glacier de 3 km d'paisseur. Or, selon une tude mene par trois cents experts, la calotte glaciaire arctique pourrait disparatre entirement d'ici 20704.On a dj enregistr depuis 1969 des modifications climatiques qui se droulaient autrefois sur plusieurs sicles. Les annes 1998 et 2002 ont t les deux annes les plus chaudes jamais connues. L'anne 2007 a t, dans le monde entier, celle de tous les drglements climatiques. Le rchauffement provoque l'augmentation de la frquence et de l'intensit des temptes, des cyclones tropicaux, des raz-de-mare, des canicules, des feux de forts, etc. Aux tats-Unis, on a enregistr 562 tornades durant le seul mois de mai 2003, chiffre jamais atteint jusque-l^. En l'an 2000, 256 millions de personnes ont t affectes par des accidents naturels ou industriels, contre 175 millions de personnes en moyenne pour les annes 1990, durant lesquelles on avait dj enregistr trois fois plus de catastrophes naturelles que dans les annes i9606.Le rchauffement de la plante a aussi des effets dvastateurs sur l'agriculture, car il intensifie l'rosion des sols et aggrave l'effet des scheresses, ce qui rduit d'autant la capacit de production agroalimentaire dans le monde, en mme temps qu'il tend l'aire de certaines maladies infectieuses et tropicales, comme le paludisme et la malaria. Des tudes menes aux Philippines ont montr que chaque degr de temprature supplmentaire se traduit par une baisse de 10 "/ des rendements agricoles.Paralllement, la dforestation mondiale prend chaque jour des proportions plus inquitantes. Au cours du XXe sicle, la surface boise de la Terre est passe de 5 milliards 2,9 milliards d'hectares. On compte l'heure actuelle 140000 km2 (la superficie de la Grce) de surface de forts dtruite chaque anne, soit 28 hectares dtruits par minute. En milieu tropical, la dforestation a doubl entre 1979 et 1989. Aprs avoir dj perdu sa fort tropicale atlantique, le Brsil a commenc dtruire sa fort amazonienne, qui tait encore intacte en 1970. La dforestation progresse en Amazonie de 6 % par an. Or, les forts jouent un rle essentiel dans la rgulation du climat de la plante, la conservation des sols, la prvention des inondations, le stockage des substances nutritives, la protection des voies d'eau contre l'envasement. Elles constituent 46 % des rserves de carbone terrestre et absorbent le dioxyde de carbone qui nourrit l'effet de serre. On estime 1,5 milliard le nombre d'hommes qui dpendent encore aujourd'hui en partie de la fort pour survivre. De plus, les forts tropicales constituent le biotope naturel d'environ 50 % des espces animales connues, soit la moiti de la diversit gntique mondiale7.L'aspect le plus proccupant de la situation tient au caractre cumulatif des phnomnes observs. Plus la glace et la neige fondent, et moins il y a d'nergie solaire renvoye dans l'espace, ce qui augmente l'effet de serre. Mais celui-ci provoque une nouvelle lvation de la temprature, ce qui fait fondre encore plus de neige et de glace. Il en va de mme des feux de forts: plus il fait chaud, plus il y a d'incendies de forts et plus celles-ci deviennent vulnrables. Mais moins il y a de forts et moins la terre a la capacit d'absorber l'oxyde de carbone prsent dans l'atmosphre, ce qui entrane une nouvelle augmentation de la temprature, qui favorise son tour les incendies de forts. C'est ce qu'on appelle en cyberntique une rtroaction positive8.En octobre 2003, un rapport command par le Pentagone (An Abrupt Climate Change and lts Implications for United States Security) considrait comme plausible le scnario d'une catastrophe climatique intervenant l'chelle plantaire dans le cours des vingt prochaines annes.Le problme des ressources naturelles, en particulier des nergies fossiles, n'est pas moins dramatique, puisque celles-ci n'existent par dfinition qu'en quantits limites (et que leur combustion entrane, elle aussi, des pollutions). Or, toute la civilisation actuelle s'est fonde sur leur exploitation. Plus des trois quarts des ressources nergtiques que nous utilisons aujourd'hui sont des ressources fossiles : ptrole, gaz, charbon, uranium. Celles- ci assurent la couverture de 90 % des besoins mondiaux en nergie commerciale primaire : transports, lectricit, industrie. Depuis les deux chocs ptroliers des annes 1970, la dpendance des pays industrialiss vis--vis des nergies fossiles n'a mme cess d'augmenter. La dpendance en hydrocarbures de l'Union europenne, aujourd'hui de 50%, devrait atteindre 70% en 2030.Comment se pose le problme de l'puisement progressif des ressources naturelles? Le cas du ptrole est ici exemplaire.Le ptrole est une nergie fort rendement nergtique, facile produire et transporter. Il n'est pas seulement utilis dans les transports, mais est prsent dans l'agriculture, les matires premires, l'industrie du chauffage, l'industrie pharmaceutique, etc. Il constitue aujourd'hui 40% de la consommation mondiale d'nergie (95 % dans les transports, qui reprsentent eux seuls la moiti de la consommation ptrolire mondiale). Le premier puits de ptrole fut ouvert en 1859 aux tats-Unis, dans l'tat de Pennsylvanie. Depuis cette date, l'conomie mondiale a consomm prs de 1000 milliards de barils de ptrole. Elle en consomme aujourd'hui 85 millions de barils par jour, contre 77 millions en 2002. Les tats-Unis en utilisent eux seuls plus de 9 millions par jour pour leurs automobiles, alors que le principal pays exportateur, l'Arabie Saoudite, n'en produit chaque jour que 8 millions !Un vaste dbat est aujourd'hui engag pour savoir de quelles rserves on dispose et quel rythme elles seront consommes. D'aprs les estimations les plus optimistes, il reste tout au plus, au rythme de consommation actuel, 41 annes de rserves prouves de ptrole, 70 annes de gaz et 55 annes d'uranium. Mais les besoins de ptrole devraient augmenter de 60 % d'ici 2020, doubler d'ici 2040 et quadrupler d'ici la fin du sicle. Mme avec une croissance mondiale ramene une moyenne de 1,6 % par an, la consommation de ptrole devrait atteindre 120 millions de barils par jour en 2030. La Chine a reprsent elle seule un tiers de l'augmentation de la demande en 2004. Si dans ce pays, qui compte aujourd'hui 1,2 milliard d'habitants (et en comptera 1,4 milliard dans vingt ans), tout le monde possdait une voiture, il faudrait plus de 80 millions de baril de ptrole par jour pour les faire rouler. La croissance de la consommation de ptrole dpasse dj celle du PIB mondial depuis 2002. On est donc en passe d'assister une dissociation radicale de l'offre et de la demande.Les derniers champs de ptrole gants ont t dcouverts dans les annes soixante. Ceux d'Arabie Saoudite, premier producteur mondial, dont l'exploitation a commenc il y a soixante ans, devraient commencer dcliner dans les annes qui viennent - d'autant que leurs rserves ont t artificiellement gonfles dans les annes quatre-vingt, suite la guerre des quotas qui favorisait les pays de l'OPEC possdant les rserves les plus importantes. Depuis 1980, on consomme dans le monde quatre barils de ptrole pour chaque baril dcouvert, ce qui signifie que depuis un quart de sicle le niveau de consommation dpasse celui des rserves dcouvertes. La marge de scurit, qui mesure la diffrence entre la consommation et la capacit de production de ptrole, est aujourd'hui peine de 1 %. On peut certes imaginer que de nouveaux gisements gants aujourd'hui inconnus seront dcouverts, notamment au Canada, voire en Russie, mais beaucoup de spcialistes en doutent. Le monde entier a dj t explor. De telles perspectives ne font de toute faon que reculer l'chance. Il est clair que, quelles que soient les rserves de ptrole disponibles, elles reprsentent une quantit finie et qu'elles seront donc un jour totalement consommes.Il faut savoir, par ailleurs, qu'on n'extrait pas le ptrole d'une manire continue, prix constant, de la premire la dernire goutte. La production d'un champ ptro- lifre suit une courbe au sommet de laquelle se trouve un pic (peak oil), qu'on appelle le pic de Hubbert - du nom du gologue King Hubbert, qui l'a calcul le premier -, lequel correspond approximativement au moment o, la moiti environ du ptrole disponible ayant t extraite, la production ptrolire commence s'oprer rendement dcroissant. Au-del de ce pic, les quantits disponibles devenant plus rares et l'efficacit nergtique diminuant, on assiste une monte rgulire des prix.En 1956, Hubbert avait prdit que le peak oil serait atteint aux tats-Unis vers 1970. 11 s'tait heurt une incrdulit gnrale. Le pic fut atteint en 1971 : depuis cette date, la production de ptrole brut en Amrique du Nord n'a pas cess de baisser, ce qui augmente la vulnrabilit des Amricains en matire d'approvisionnement nergtique. Or, les carburants brls aux tats-Unis, en hausse moyenne de 2,3 % par an depuis 1986, reprsentent eux seuls 14 % de la consommation ptrolire mondiale. C'est videmment la raison pour laquelle les tats-Unis s'emploient contrler le plus possible les rgions du monde (Proche-Orient, Asie centrale) productrices de ptrole et celles qui constituent ses principales voies d'acheminement. D'o les guerres en Irak et en Afghanistan. l'chelle de la plante, le peak oil marque le seuil partir duquel on ne peut plus compenser le dclin de la production des champs existants par de nouvelles exploitations. Ds lors, une hausse de l'investissement ne se traduit plus par une hausse corrlative de la production.C'est le phnomne de la dpltion. quel moment le pic de Hubbert sera-t-il atteint pour l'ensemble de la production ptrolire mondiale? Certains experts pensent que cela pourrait se produire d'ici une vingtaine, voire une trentaine d'annes. D'autres, tels les gologues Jean Laherrre, Alain Perrodon et Colin Campbell, fondateurs de l'Association pour l'tude du pic de ptrole et du gaz (ASPO), estiment que le pic sera atteint ds 2010, c'est- -dire quasiment demain. Les faits semblent leur donner raison. Mais de toute faon, si l'cart entre les prvisions des optimistes et celles des pessimistes n'est que d'environ 30 ans, il est vident que la perspective est dj inquitante.Le baril de ptrole, qui a dpass en octobre 2007 le cap des 90 dollars, devrait atteindre le prix de 100 dollars d'ici peu de temps. Si les hypothses pessimistes se confirment, ce ne sera que le dbut d'une envole. L'conomiste Patrick Artus pense qu'en 2015, le cours du brut pourrait atteindre prs de 400 dollars par baril! partir du moment o le pic de Hubert aura t atteint, les cots d'extraction et d'exploitation du ptrole ne cesseront d'augmenter. La demande continuant crotre alors que l'offre continuera dcrotre, les consquences seront explosives. Le ptrole, on l'a dj dit, n'est en effet pas seulement utilis pour les transports. Il entre dans la composition d'une foule de produits dont on se sert quotidiennement: matires plastiques, engrais et insecticides, ordinateurs, jeux de construction, revtements routiers, siges de voiture, bas nylon, etc. Le renchrissement des prix conduira concentrer l'utilisation du ptrole sur les usages plus forte valeur ajoute, comme les secteurs des transports et de la chimie. L'industrie aronautique s'en trouvera atteinte de plein fouet, de mme que l'agriculture (l'utilisation d'engrais dans le monde est passe de 14 millions de tonnes en 1850 141 millions de tonnes en l'an 2000). Le commerce international sera lui aussi affect: on cessera d'exporter ou de faire retraiter l'autre bout du monde des prodLiits qui peuvent tre consomms sur place. Il ne sera plus question que des poissons pchs en Scandinavie partent au Maroc pour y tre vids, qu'on consomme en Europe des fruits achemins par avion partir du Chili ou de l'Afrique du Sud, etc. Certains produits, qui bnficiaient jusqu'ici du bas niveau des tarifs de transport, redeviendront donc des produits de luxe. Les dlocalisations perdront une partie de leur intrt. Les grandes villes, qui ont t conues partir du transport automobile, s'en trouveront elles-mmes transformes9.Les consquences pour le systme financier mondial seront videmment normes. l'heure actuelle, les tats- Unis tirent un profit considrable du systme des ptrodollars. Tous les pays qui souhaitent importer du ptrole doivent emprunter des dollars pour le payer, soutenant ainsi de faon artificielle cette devise, qui est la fois une monnaie nationale et une unit de compte internationale. Dans la pratique, cela signifie que les tats-Unis peuvent ainsi se permettre un dficit commercial considrable sans consquences immdiates. Si ce systme s'arrte, ils seront les premiers en souffrir10.Avant mme que les rserves ne soient totalement puises, la hausse du prix du ptrole peut donc peser de faon drastique sur son exploitation. Pour extraire du ptrole, du charbon ou des sables bitumeux, on a en effet besoin d'nergie, et donc encore de ptrole. En d'autres termes, il peut arriver un moment o l'extraction elle- mme ne sera plus rentable, et ce quel que soit le prix du march. S'il faut brler un baril pour en extraire un, on ne le fera pas, mme si le prix dLi baril est de 10000 dollars! C'est ce que les conomistes classiques ne parviennent pas comprendre.L'espoir de beaucoup est videmment de pouvoir faire appel des nergies de substitution. Il en existe thoriquement un assez granLi nombre, mais les possibilits qu'elles offrent sont encore limites. Les ptroles non conventionnels, comme les huiles lourdes du Venezuela et les sables bitumeux du Canada, exigent pour tre extraits presque autant d'nergie tju'ils permettent d'en rcuprer. Le gaz naturel peut servir amliorer l'extraction du ptrole ou fabriquer de l'essence de synthse, mais l encore, en dpensant beaucoup d'nergie. Outre que ses rserves ne sont pas non plus inpuisables, sa faible densit le rend difficile transporter (son acheminement revient 4 5 fois plus cher que celui du ptrole), et les installations pour le refroidir et le regazifier sont coteuses. Les rserves de charbon sont plus importantes, mais c'est une nergie trs polluante et qui contribue doublement l'effet de serre, puisque son extraction provoque des missions de mthane (qui possde un effet de serre 23 fois plus puissant que le CO2), tandis que sa combustion dgage du gaz carbonique en grande quantit (1,09 tonne de carbone par tonne quivalent ptrole de charbon). Le problme essentiel de l'nergie nuclaire rside, comme on le sait, dans le stockage des dchets radio-actifs dure de vie longue (et dans une catastrophe toujours possible). Cette nergie n'est en outre pas substituable au complexe ptrochimique et aux produits de consommation courante qui en sont drivs. L'hydrogne est un vecteur d'nergie, mais non une source d'nergie, et sa production commerciale cote 2 5 fois plus cher que les hydrocarbures utiliss pour le fabriquer. De plus, le prix de son stockage est 100 fois plus lev que celui des produits ptroliers, et chaque fois que l'on produit une tonne d'hydrogne, on produit aussi 10 tonnes de CO2!Les nergies renouvelables sont, elles, fournies par le vent, l'eau, les vgtaux et le soleil. Pour l'instant, elles ne reprsentent que 5,2 % de toute l'nergie consomme dans le monde. Bien qu'elles soient a priori plus prometteuses, il serait illusoire de trop en esprer.Les vgtaux ont une trs faible capacit nergtique. La bois-nergie (valorisation des sous-produits de la filire bois) implique une dforestation intense. Les biocarburants labors partir de la betterave, du colza ou de la canne sucre, comme l'thanol, ont un rendement assez faible. L'nergie solaire, capte par les cellules photovoltaques, a elle aussi un rendement limit. Le solaire thermique ne fait encore l'objet que d'une exploitation confidentielle. L'nergie hydraulique est plus comptitive, mais elle exige des investissements trs lourds. L'nergie olienne est trs bon march, mais ne fonctionne que 20 40 % du temps, compte tenu de la variation des vents. D'autres procds, tels que les biogaz, la thalasso-nergie, l'nergie des courants sous-marins, etc. ont leurs propres limites.Restent des techniques dont on parle parfois, comme la fusion nuclaire, la fusion froide , la squestration du carbone ou les centrales solaires spatiales, mais la plupart d'entre elles ne sont aujourd'hui qu' l'tat de projet et presque toutes ncessitent une surconsommation d'nergie qui rend leur bilan net prvisible incertain. La plupart des nergies alternatives ne prsentent d'ailleurs d'intrt que du fait de l'existence d'un ptrole bon march. 11 faut par exemple beaucoup d'nergie pour extraire le charbon et acheminer le minerai. Pour fabriquer de l'lectricit, il faut encore de l'nergie, aujourd'hui fournie par le ptrole, le gaz ou le charbon. De mme, les biocarburants ont besoin d'engrais et de pesticides, qui furent l'origine de la rvolution verte et exigent donc du ptrole pour avoir un rendement suffisant.L encore, on peut bien entendu imaginer que de nouvelles formes d'nergie seront dcouvertes dans l'avenir. Dans l'abstrait, c'est toujours possible - mais pour l'instant, faire un tel pari n'est qu'un acte de foi. La vrit est que, dans l'tat actuel des choses, ni les nergies renouvelables, ni le nuclaire classique, ni les autres nergies de substitution connues des chercheurs ne peuvent remplacer le ptrole avec la mme efficacit nergtique et des cots aussi faibles.L'puisement programm des nergies fossiles a dj donn lieu des guerres pour le ptrole. On peut aussi s'attendre, dans les dcennies qui viennent, des guerres de l'eau11. Entre 1950 et 2000, la consommation d'eau dans le monde a en effet plus que tripl. Elle a mme t multiplie par six au cours des huit dernires annes. L'homme consomme aujourd'hui prs de 55 % des dbits disponibles hors crues, et 65 % de ces prlvements sont lis aux besoins d'irrigation de l'agriculture. Or, l aussi, la demande ne cesse de crotre, ne serait-ce que du fait de la croissance dmographique et de la pollution des nappes phratiques. L'eau est donc appele devenir elle-mme une denre rare. Des conflits larvs ce sujet existent dj entre la Turquie et les pays voisins, entre Isral et la Palestine, entre l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh, entre l'Egypte, l'thiopie et le Soudan, etc.Selon Peter Barrett, directeur du Centre de recherche pour l'Antarctique de l'Universit de Victoria (Nouvelle- Zlande), la poursuite de la dynamique de croissance actuelle nous met face la perspective d'une disparition de la civilisation telle que nous la connaissons, non pas dans des millions d'annes, ni mme dans des millnaires, mais d'ici la fin de ce sicle12.2Sur la gravit de la situation, beaucoup sont d'accord. Mais les avis divergent sur la conduite tenir. La thorie la mode aujourd'hui est celle du dveloppement durable ou soutenable (sustainable development), expression qui tend remplacer depuis le dbut des annes quatre-vingt celle d'codveloppement, lance en 1973 par Maurice Strong, puis reprise par Ignacy Sachs, Gunnar Myrdal, Amartya Senn, Colin Clark, etc. avant d'tre progressivement abandonne13.Lance vritablement en 1992, l'occasion du sommet de la Terre de Rio de Janeiro14, l'ide de dveloppement durable a d'abord t popularise en 1987 par le clbre rapport Brundtland (Our Common Future), dont la confrence de Rio avait d'ailleurs fait l'un de ses documents de base15. Ce rapport dfinit le dveloppement durable comme un processus de changement par lequel l'exploitation des ressources, l'orientation des investissements, les changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie , c'est--dire comme un mode de dveloppement qui permet la satisfaction des besoins prsents sans compromettre la capacit des gnrations futures satisfaire les leurs . C'est le mme principe que l'on retrouve dans la brochure publie par l'ONU en 1992, l'occasion du sommet de Rio, o il est dit qu'il faut dsormais grer l'environnement par des techniques cologiquement rationnelles, afin que l'activit conomique humaine ne cre pas un niveau de pollution suprieur la capacit de rgnration de l'environnement.En fait, on constate vite que l'expression de dveloppement durable s'est trouve ds le dpart enveloppe d'un certain flou. Le rapport Brundtland parle de la ncessit de ne pas compromettre les besoins des gnrations futures, mais il se garde bien de dfinir ces besoins, qui sont implicitement conus comme reproduisant l'identique ceux des gnrations prsentes, lesquels sont avant tout orients vers toujours plus de consommation. Les moyens pratiques, conomiques et politiques permettant de mettre en uvre des techniques cologiquement rationnelles ne sont pas non plus prciss. Le rapport exprime une proccupation plus qu'il ne fixe une ligne suivre, ce qui explique sans doute qu'il ait t assez facilement accept dans les milieux les plus divers.Deux acceptions bien diffrentes du dveloppement durable se sont nanmoins fait jour, parmi les innombrables interprtations qu'on en a proposes16. La premire met avant tout l'accent sur la prservation des biotypes et des cosystmes, et prfre parler de dveloppement soutenable plutt que simplement durable . La lgitimit du dveloppement conomique est alors nettement conditionne par sa capacit respecter l'environnement. La seconde interprtation met au contraire d'emble l'accent sur la croissance: c'est essentiellement pour prserver ses possibilits de dure que le dveloppement doit prendre en compte les problmes de l'environnement. Le respect des exigences du milieu naturel n'est alors plus peru que comme la condition ncessaire pour que la croissance se poursuive. Dans cette optique, plus que sur la notion de limites, on insiste sur celle de cohrence (entre les besoins conomiques et les ressources naturelles globales). Cette dernire position, assez conforme, semble- t-il, l'esprit du rapport Brundtland (qui affirme que ce dont nous avons besoin, c'est une nouvelle re de croissance, une croissance vigoureuse ), est bien entendu celle de la majorit des conomistes, des hommes politiques et des industriels. Le point commun de ces deux attitudes, la premire a priori plus sympathique que la seconde, n'en est pas moins la croyance qu'il est possible, moyennant un certain nombre de mesures, de rendre compatibles (ou de rconcilier) la protection de l'environnement et les intrts de l'conomie.C'est en se rfrant cette seconde acception que Michel de Fabiani, prsident de BP France, pouvait dclarer froidement, le 11 octobre 2001, en rendant compte des travaux des 4e Rencontres parlementaires sur l'nergie: Le dveloppement durable, c'est tout d'abord produire plus d'nergie, plus de ptrole, plus de gaz, peut-tre plus de charbon et de nuclaire, et certainement plus d'nergies renouvelables. Dans le mme temps, il faut s'assurer que cela ne se fait pas au dtriment de l'environnement (sic).Les partisans du dveloppement durable ont en ralit vite fait la distinction entre soutenabilit forte, qui impliquerait qu'on laisse intact le capital naturel, et soutenabilit faible, celle-ci amenant seulement calculer la rente d'exploitation de la plante, c'est-- dire la diffrence entre le prix de vente des ressources naturelles et leur cot d'exploitation, l'ide gnrale tant que cette diffrence doit tre rinvestie dans du capital de substitution.Parmi les tenants de l'co-conomie , on trouve un certain nombre d'conomistes rformistes comme Lester Brown, Pearce, Bishop ou Turner, selon qui l'conomie marchande, fonde sur l'essor des services et le recyclage des nergies propres, pourrait la limite devenir productrice d'un meilleur environnement17, ou encore les auteurs du rapport Facteur 4 (selon lequel on pourrait ds aujourd'hui produire autant avec quatre fois moins d'nergie et de matires premires), Ernst Ulrich vonWeizscker, Amory et Hunter Lovins. La plupart d'entre eux mettent en avant les moyens dont on dispose aujourd'hui pour consommer moins de matires premires et d'nergie tout en produisant les mmes biens ou services. Ils misent sur des politiques publiques actives, permettant d'adopter des mesures co-efficientes , et une refonte des systmes fiscaux en fonction des exigences de l'cologie. Ils sont en gnral favorables des taxations diverses, un remodelage de l'urbanisme, une reconfiguration des moyens de production industrielle, etc. L'co-efficience consisterait rduire les pollutions et l'importance du prlvement des ressources naturelles pour atteindre un niveau compatible avec la capacit de charge de la plante.Les mesures proposes dans le cadre du dveloppement durable sont donc d'abord des interdictions ou des rglementations, puis des taxations, enfin des incitations adopter des comportements plus cologiques. Le problme est que jusqu' prsent, toutes ces mesures additionnes ont t incapables d'empcher une dtrioration globale de la situation. Les interdictions sont rarement contraignantes, et encore plus rarement respectes, le montant des taxations ou des amendes est souvent drisoire par rapport aux dgts, et les comportements cologiques, si excellents soient-ils, ne suffisent pas renverser la tendance.

Inspir du thorme de Ronald Coase (1960) et des thories de l'conomiste A.C. Pigou, le principe pollueur- payeur, avec ses corollaires d'internalisation des cots externes et de vrit cologique des prix, implique que l'on taxe les pollutions d'un montant suffisant pour galiser le dommage qu'elles ont caus (ou vont causer), ou encore que l'on autorise les pollueurs s'entendre librement avec les futurs pollus pour ngocier entre eux le montant d'une compensation acceptable. Les premires applications qui ont t faites de cette doctrine, notamment aux Etats-Unis, ne se sont gure rvles concluantes. Le principe revient en fait instaurer un vritable march du droit de polluer, dont les socits capables d'acquitter le prix de leurs pollutions seront les premires bnficier, alors que ce sont aussi celles qui polluent le plus. 11 n'y aura donc pas moins de pollutions; celles-ci reprsenteront seulement un cot que les socits devront intgrer dans leur budget et leurs prix de revient. Quant la libre ngociation cense permettre aux pollueurs et aux pollus de s'entendre sur le montant d'un juste ddommagement pour les nuisances causes par les uns et subies par les autres, il est vident qu'elle est fausse par l'emprise montaire dont les premiers peuvent user vis--vis des seconds, en sorte qu'il se trouvera toujours des victimes potentielles rendues consentantes par le montant des indemnits promises. Qui peut reprocher des paysans pauvres d'esprer faire fortLine en acceptant qu'une multinationale vienne saccager leur cadre naturel de vie18?L'mission de droits polluer ne peut en outre tre tarife qu'au moyen de prix fictifs, eux-mmes fonds sur des suppositions, car il est impossible de dterminer le prix total d'une pollution, puisqu'on en ignore les consquences long terme, qui font pourtant partie de son cot. Un tel march ne peut concerner que les effets immdiats, ponctuels, de certaines pollutions, sans prendre en compte les effets qui ne se rvlent que peu peu et dont les pollus ne sont gnralement mme pas conscients eux-mmes (l'eau pollue par les nitrates, par exemple, est aussi claire que l'eau pure), pas plus que le cot, par dfinition non calculable financirement, des fonctions naturelles qui cesseront de s'accomplir en milieu pollu. Les permis de polluer, enfin, sont totalement inadapts pour ce qui concerne les risques technologiques majeurs ou les atteintes irrversibles l'environnement.Ce principe d'conomie de l'environnement a pris son essor sur la base d'une analyse en termes de cots et de bnfices, la plupart des tudes disponibles montrant que le cot des mesures de protection de la nature est toujours infrieur celui des dommages subis lorsqu'elles ne sont pas adoptes. La mthode retenue est la rgle de compensation nonce en 1977 par Harwick: il s'agit d'assurer l'quit entre les gnrations actuelles et les gnrations futures en faisant en sorte que les rentes prleves au fur et mesure de l'puisement des ressources - lesquelles sont gales la diffrence entre le cot marginal de ces ressources et le prix du march - soient rinvesties pour produire un capital de substitution au capital naturel ainsi dtruit. Ce principe est conforme la thorie classique de la croissance, qui prtend que la production peut continuer crotre quand les ressources naturelles se rduisent, condition qu'augmente le stock de capital. C'est ce qu'on appelle la dmatrialisation du capital . La thorie du dveloppement durable reprend cette doctrine en laissant entendre qu'on peut toujours substituer du capital aux ressources naturelles19. Le dveloppement serait d'autant plus durable que la substituabilit du capital reproductible aux ressources naturelles consommes serait plus forte. Le problme est que le patrimoine naturel et le capital financier ne sont jamais entirement substituables. Considrer le premier comme un capital n'est d'ailleurs qu'un artifice de langage, car la valeur des ressources naturelles est inestimable en termes conomiques : si elles sont une condition de la survie humaine, leur prix ne peut tre qu'infini, ce qui revient dire que leur destruction n'a pas de prix. 11 n'existe pas de capital substituable pour des ressources non renouvelables.En fin de compte, le march de la pollution a donc pour consquence d'amener les industries polluantes, non rduire le montant de leurs missions nocives, ici considres comme de simples externalits ngatives, mais intgrer dans leurs comptes les sommes alloues aux pollus potentiels, en rpercutant cette augmentation sur leurs prix. C'est la raison pour laquelle le principe pollueur-payeur, adopt dans la dclaration finale du sommet de Rio en 1992, tend aujourd'hui cder le pas l'organisation de systmes de recyclage ou de consignation, et surtout des cotaxes, c'est--dire des impts directement prlevs la source des activits polluantes.Les tenants du dveloppement durable voquent la ncessit d'adopter des mesures conservatoires ou des mesures de prcaution proportionnes aux risques cologiques. Mais comment valuer ces risques, sachant qu'en la matire l'incertitude est la rgle? Et qui va dterminer quelles mesures doivent tre prises ? Les dcideurs politiques? Ils sont dans une logique lectoraliste court terme. Les experts? Ils sont bien souvent nomms dans des commissions infodes au pouvoir. Les scientifiques concerns? Ils seraient suspects de lobbying. Les industriels ? Mais ils sont aveugles aux retombes moyen terme de la recherche fondamentale. Et l'opinion publique est loin d'tre plus claire, surtout lorsqu'elle est influence, pour ne pas dire manipule, par des groupes de pression20.La multiplication des mesures inspires par la thorie du dveloppement durable renforce en fait l'autorit des bureaucraties nationales ou internationales et le contrle technocratique. Elle se traduit, dans le cadre de l'industrialisme et de la logique du march, par une extension du pouvoir technobureaucratique [...] Elle abolit l'autonomie du politique en faveur de l'experto- cratie, en rigeant l'Etat et les experts d'tat en juges des contenus de l'intrt gnral et des moyens d'y soumettre les individus21 , De plus, les propositions concrtes faites dans le cadre des grandes confrences internationales sont rarement suivies d'effets, tant en raison des rticences obstines de la grande industrie que de certains gosmes nationaux. C'est ainsi que les tats-Unis, dont la consommation d'nergie par tte est elle seule deux fois plus leve que celle de l'Europe, restent hostiles tout accord international contraignant sur les missions d'oxyde de carbone (CO2). La France, de son ct, a jusqu' prsent repouss l'ide d'une cotaxe impose aux industries polluantes par les institutions communautaires. Un autre exemple typique est celui de la biodiversit, qui fut l'un des mots-cls du sommet de Rio. l'issue de cette confrence, une convention sur la biodiversit fut signe par 160 des 172 pays reprsents. Une autre runion eut ensuite lieu Trondheim (Norvge) en mai 1993, afin de dterminer les modalits de sa mise en uvre. Or, les tats-Unis ont purement et simplement refus de signer le texte adopt Rio sous le prtexte que les intrts de leur industrie pharmaceutique pourraient en ptir.Le dveloppement durable apparat donc surtout comme une posture mdiatique, destine rassurer bon compte. Dans le meilleur des cas, il ne fait que retarder les chances. Michel Serres compare cette cologie de type rformiste la figure du vaisseau courant vingt-cinq nuds vers une barre rocheuse o immanquablement il se fracassera et sur la passerelle duquel l'officier de quart recommande la machine de rduire la vitesse d'un dixime sans changer de direction22.Dans l'optique du dveloppement durable, le milieu naturel de vie n'est qu'une variable contraignante, qui augmente le cot social de fonctionnement d'un systme vou la croissance infinie des produits marchands. Ce mode de dveloppement ne remet donc nullement en question le principe d'une croissance sans fin, mais prtend seulement qu'il faut tenir compte des donnes de l'cologie. Il cherche sauver la possibilit d'une croissance continue tout en affirmant rechercher les moyens qui ne la rendraient pas cologiquement catastrophique. Cette dmarche s'apparente la quadrature du cercle. Si l'on admet en effet que le dveloppement est la cause principale de la dgradation du milieu naturel de vie, il est tout fait illusoire de vouloir satisfaire cologiquement les besoins de la gnration prsente sans remettre en cause la nature de ces besoins tout en permettant aux gnrations futures de satisfaire les leurs l'identique. Comme le constate Edgar Morin, la thorie du dveloppement durable ne fait que temprer le dveloppement par considration du contexte cologique, mais sans mettre en cause ses principes. Elle se contente, pour faire face aux problmes, de dvelopper des technologies de contrle qui soignent les effets de ces maux tout en en dveloppant les causes23. Elle s'avre ainsi particulirement trompeuse, puisqu'elle laisse croire qu'il est possible de remdier cette crise sans remettre en question la logique marchande, l'imaginaire conomique, le systme de l'argent et l'expansion illimite de la Forme- Capital. En fait, elle se condamne terme dans la mesure o elle continue de s'inscrire l'intrieur d'un systme de production et de consommation qui est la cause essentielle des dommages auxquels elle tente de remdier.L'idal d'une croissance infinie possde enfin un vident soubassement ethnocentriste. Faisant implicitement du modle de production et de consommation occidental un modle universel, qu'il serait possible tous les peuples de rejoindre par tapes, au moyen d'un certain nombre d'ajustements structurels, elle ne fait qu'universaliser un mode de dveloppement particulier, parfaitement situable dans l'espace (l'Occident) et le temps (la modernit). Comme l'a bien montr Serge Latouche, le dveloppement, de ce point de vue, n'est que la poursuite de la colonisation par d'autres moyens, en mme temps que le dernier en date des moyens utiliss pour convertir l'Autre au Mme24.Culturellement, crit Stphane Bonnevault, le dveloppement n'est pas neutre. 11 repose en effet sur un ensemble de croyances et de vrits sociales profondment ancres dans l'imaginaire occidental auquel il confre une signification naturelle et universelle [...] Le processus de dveloppement constitue un projet typiquement occidental dont les origines correspondent l'mergence de l'conomie comme catgorie centrale de la vie sociale, et dont le mcanisme fondamental est en dfinitive le prlvement sur l'homme et la nature pour assurer une croissance conomique infinie, considre come intrinsquement "bonne" et "ncessaire" [...] travers le dveloppement, l'hgmonie culturelle de l'Occident prend toute son ampleur au moment mme o son hgmonie politique est la plus conteste w25.Les proccupations cologiques se sont certes rpandues dans les populations occidentales, encourages parfois par des textes officiels mentionnant explicitement des devoirs envers l'environnement (les Umweltschutzgebot de la Constitution bavaroise). Nous sommes aujourd'hui familiariss avec les lampes conomes, les oliennes et les capteurs solaires, le tri des ordures et des dchets mnagers, le recyclage du papier, la suppression progressive des bouteilles et des sacs en plastique, les voitures un peu moins polluantes (introduction des pots catalytiques et de l'essence sans plomb), le co-voiturage, etc. La vogue de la nourriture bio , elle, a moins voir avec l'cologie qu'avec le souci de soi (on ne veut pas tant protger la nature que grer sa sant).Mais ces habitudes nouvelles n'ont qu'un effet de marge, car les problmes s'accroissent beaucoup plus vite qu'elles ne se rpandent. Tout le monde parle aujourd'hui d'cologie, mais depuis qu'on en parle la situation ne s'est pas globalement amliore, bien au contraire. Ce qui montre qu'en dpit des beaux discours et des proclamations de principe, la logique du profit reste la plus forte.3Nous consommons dsormais plus de ressources que nous n'en renouvelons ou en dcouvrons de noLivelles. Or, la demande ne cesse d'augmenter. On prvoit d'ici vingt ans un doublement de la consommation nergtique mondiale. Comment cela sera-t-il possible? Les partisans de la croissance se contentent de dire que l'intelligence humaine est inpuisable. Ils affirment que le progrs technique permettra de rsoudre les problmes apparus des stades antrieurs (et sous l'effet) de ce mme progrs. Le progrs, en d'autres termes, serait de nature se corriger lui-mme. C'est la thse des thoriciens de la backstop technology: il est inutile de se proccuper des contraintes environnementales, car avec le progrs technique, on finira bien par trouver les moyens de dvelopper de nouvelles ressources qui remplaceront celles qui sont en train de s'puiser. Ce sont l autant de ptitions de principe - en mme temps que la ngation du clbre thorme de Gddel, selon lequel tout systme atteint un point culminant partir duquel les problmes qu'il engendre ne peuvent tre rsolus qu'en sortant du systme (Gilbert Rist).La notion de dcroissance soutenable (ou de dcroissance conviviale) part de ce constat trs simple qu'il ne peut pas y avoir de croissance infinie dans un espace fini. C'est videmment la notion de limite qui est ici privilgie. Les ressources naturelles, la capacit de transformation des biotopes sont limites. La biosphre a ses limites. De mme qu'un individu qui tire la majeure partie de ses moyens de son capital, et non de ses revenus, est vou la faillite, les socits qui puisent dans les ressources naturelles de la plante en considrant implicitement qu'elles sont illimites, vont la catastrophe: on ne peut pas indfiniment consommer un capital non reproductible.L'ide de dveloppement rejoint le principe mme de l'conomie capitaliste en ce sens qu'elle se fonde sur la ngation de toute limite : une croissance illimite vise rpondre des besoins poss eux-mmes comme illimits26. Or, jusqu' prsent, la croissance conomique a toujours impliqu que l'on extraie une quantit croissante de ressources naturelles. L'activit conomique des modernes s'est ainsi fonde sur l'ide que la nature est un bien gratuit, mais qui, au mme titre que l'homme lui-mme, pouvait tre converti en marchandise. On n'a cess de raisonner partir de cette hypothse de gratuit de la Terre, et cette gratuit tait perue comme n'ayant aucune limite. Les richesses naturelles, crivait navement Jean-Baptiste Say, sont inpuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement [sic). Ne pouvant tre multiplies ni puises, elles ne font pas l'objet de la science conomique27. Qu'ils soient libraux, marxistes, keynsiens ou malthusiens, les conomistes classiques ne sont toujours pas sortis de cette pense du XIXe sicle qui considre que la nature est une source exploitable merci. Kenneth Boulding disait: Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indfiniment dans un monde fini est un fou - ou un conomiste !Pour la doctrine librale, il n'est en dernire instance de richesse que montaire et marchande, et la seule mesure de cette richesse rside dans le systme des prix forms sur le march. La loi du march, dans cette optique, est aussi valable que les lois de la physique. Elle est elle seule capable de rsoudre tous les problmes que peut rencontrer la socit. Comme toute science, l'conomie scientifique n'a par ailleurs rien dire sur ses finalits, sur le caractre bon ou mauvais de l'activit conomique, pas plus qu'elle n'est capable de s'assigner elle-mme des limites. On pourrait dire aussi qu'elle tient pour implicitement bon tout moyen propre susciter l'activit conomique, l'encourager, la maximiser, quelles qu'en soient les consquences. Tout possible tant tenu pour bon, il s'ensuit qu'un plus est toujours un mieux. De ce point de vue, l'nergie a la mme valeur que n'importe quelle matire premire, alors qu'elle est en ralit la condition ncessaire l'obtention des autres ressources.Dans une telle perspective, les ressources naturelles et la nature elle-mme n'ont aucune valeur intrinsque. Elles n'ont qu'une valeur relative l'usage que l'on en fait, ce qui signifie qu'on peut parfaitement s'en passer ds lors qu'il est possible de suppler artificiellement leur disparition. Les libraux pensent que, lorsqu'une ressource s'puise, son prix s'lve, ce qui tend faire diminuer la demande. L'puisement d'une quelconque ressource n'a donc rien d'inquitant, puisque la main invisible rsout le problme: le prix reprsentant la mesure objective de la raret et donc de la valeur relle de la ressource, si ce prix devient trop lev pour les consommateurs ou les industriels, ceux-ci rorienteront leurs choix ou investiront dans de nouveaux outils de production. Mais cette thorie est inapplicable dans le cas des ressources naturelles, parce que la demande est incompressible (au regard du mode vie actuel) et que les ressources ne sont pas substituables. On se retrouve dans la situation du drogu, qui cherchera toujours payer sa drogue quel qu'en soit le prix, car il ne peut la remplacer par rien. En outre, lorsqu'un secteur conomique produit au-del du rendement durable, investir en raction la hausse des prix ne fait qu'acclrer l'effondrement de l'activit28.C'est prcisment pour sortir de ce cercle vicieux qu'un certain nombre d'conomistes, de thoriciens ou de groupes cologistes proposent d'adopter une dmarche alternative. Au lieu de se borner valuer le cot financier des risques, dterminer des taux de pollution supportables, multiplier les pnalits, taxations et autres rglementations, ils proposent de repenser entirement le mode actuel d'organisation de la socit, d'en finir avec l'hgmonie du productivisme et de la raison instrumentale, bref, en rompant avec la religion de la croissance et le monothisme du march, d'agir sur les causes plutt que sur les effets. Ce sont les partisans de la dcroissance.La thse de la dcroissance ncessaire date au moins du dbut des annes 1970. Les premires critiques radicales de la croissance se sont fait jour l'occasion de la confrence des Nations-Unies sur l'environnement qui s'est tenue Stockholm en 1972. La mme anne a t publi le clbre rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance (rapport Meadows), qui a suscit l'poque de vives polmiques29. Durant les dcennies qui ont suivi, les choses sont ensuite restes plus ou moins en l'tat. Cependant, partir des annes 1990, le dbat a repris avec une pret renouvele, du fait de l'augmentation des ingalits provoque par la globalisation, c'est--dire l'extension plantaire du march, et de l'aggravation de la situation de l'environnement.L'ide de dcroissance est aujourd'hui soutenue principalement par l'conomiste et sociologue franais Serge Latouche30, par l'cologiste anglais Edward Goldsmith31, mais aussi par le Suisse, Jacques Grinevald, des Italiens comme Mauro Bonaiuti, de l'universit de Modne, etc. Elle est galement dfendue par des groupements et des associations comme le Rseau des objecteurs de croissance pour l'aprs-dveloppement, l'Institut pour la dcroissance, l'association des amis de Franois Partant La ligne d'horizon32, des revues comme L'Ecologiste, Silence, La Dcroissance33, etc.Le premier colloque international sur la dcroissance, organis par l'association La ligne d'horizon, s'est droul du 28 fvrier au 3 mars 2002 l'Unesco, sur le thme: Dfaire le dveloppement, refaire le monde. Il a runi plus de sept cents personnes34. Un autre colloque s'est tenu les 26 et 27 septembre 2003 au couvent Le Corbusier, prs de Lyon, l'initiative de l'association antipublicitaire Casseurs de pub et de la revue Silence. Un sminaire d't sur le thme de la dcroissance a aussi t organis en Italie, sur le lac Trasimne, du 8 au 14 septembre 2005, l'initiative de diverses associations, dont l'Associazione antiutilitarista di critica sociale, l'Associazione del tempo scelto, les Rete di economia solidale, etc. Parmi les intervenants figuraient Serge Latouche, Pietro Barcellona, Pasquale Serra, Claudio Bazzocchi, Mauro Bonaiuti, Davide Biolghini, Wolfgang Sachs, etc.L'conomiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), ancien professeur l'universit de Vanderbilt (Tennessee), a t le premier prsenter la dcroissance comme une consquence invitable des limites imposes par la nature. Sa thse fondamentale est que l'activit conomique est un processus destructeur de matire35, Georgescu-Roegen s'appuyait principalement sur le deuxime principe de la thermodynamique, la loi de l'entropie, dcouverte en 1824 par Sadi Carnot. L'entropie dfinit un processus irrversible: l'nergie mcanique utilise par l'industrie se transforme principalement en chaleur; cette nergie calorique, une fois dissipe, ne peut jamais redevemr une nergie mcanique. Georgescu- Roegen souligne qu'il en va de mme des ressources nergtiques de la Terre, qui constituent par dfinition un capital limit et non renouvelable. Selon lui, toute l'conomie librale classique s'inspire du modle de la mcanique newtonienne, qui ignore la thermodynamique et la loi de l'entropie, c'est--dire l'irrversibilit des transformations de matire et d'nergie. Cette conomie ne fait pas la diffrence entre les stocks et les flux, le capital et les revenus de l'environnement. Le processus conomique tant de nature entropique, la dcroissance de l'activit productrice est invitable en ternies physiques36.La notion de croissance conomique permanente, notion qui parat aujourd'hui toute naturelle, est en fait une ide moderne. Elle a t ignore pendant la plus grande partie de l'histoire par des socits humaines qui se souciaient seulement de survivre en reproduisant leurs structures sociales, tout en amliorant marginalement leurs conditions d'existence. Aujourd'hui, elle est devenue une sorte de dogme. Les hommes politiques, de droite comme de gauche, n'ont que le mot de croissance la bouche. Les entreprises doivent contribuer ce que la croissance soit au rendez-vous . La reprise de la croissance doit permettre de rsoudre le problme du chmage. L' indice de croissance est cens mesurer la bonne sant de l'conomie, etc. Dans ces discours, la croissance n'est jamais mise en question. Elle s'impose comme une ncessit vidente, seuls pouvant diverger les avis sur les moyens de la mettre en oeuvre ou d'en rpartir les fruits. Tous, en d'autres termes, raisonnent la faon de George W. Bush, qui dclarait Silver Spring, le 14 fvrier 2002: Parce qu'elle est ta clef du progrs environnemental [...] la croissance est la solution, non le problme. C'est en s'appuyant sur la mme ide qu'un conomiste comme Julian Simon a pu se risquer prophtiser que, d'ici un sicle ou deux, toutes les nations et la majorit de l'humanit auront dpass le niveau de vie actuel de l'Occident37 !Dans la conception librale classique, la croissance ne se caractrise pas seulement par la hausse du revenu global ou l'augmentation rgulire de la production et de la consommation. Elle est aussi synonyme de bnfices croissants, puisque le but de toute entreprise est d'augmenter sans cesse son profit. Mesures par l'volution du PIB (produit intrieur brut), les performances conomiques sont recherches et valorises pour elles- mmes. La croissance ainsi dfinie est donc purement quantitative et unidimensionnelle.La thorie de la dcroissance s'est prcisment dveloppe partir d'une critique de l'instrument de mesure trs imparfait qu'est le PIB. Cette critique porte principalement sur deux points. Le premier tient dans le constat que le PIB ne mesure la croissance conomique que toutes choses gales par ailleurs. II ne mesure nullement le bien- tre ou la qualit de la vie, mais seulement la valeur ajoute des produits et services changs, quelle que soit la source, positive ou ngative, de cet change. Les accidents, les maladies, les catastrophes naturelles, sont comptabiliss positivement par le PIB dans la mesure o ils se traduisent par une activit conomique. En France, par exemple, la tempte de dcembre 1999 a contribu une hausse de 1,2 % de la croissance. Certaines pollutions y contribuent galement. Le PIB, pourrait-on dire, mesure les vivants aussi bien que les morts.Le PIB, d'autre part, ne tient aucun compte de l'appauvrissement qui rsulte de l'puisement des ressources naturelles. Or, cet appauvrissement devrait tre dfalqu de son montant pour obtenir la richesse relle. Dans bien des cas, on s'apercevrait que la croissance est alors nulle ou mme ngative, puisque toutes les matires premires et toutes les nergies naturelles consommes aujourd'hui sont ncessairement perdues pour les gnrations futures. Or pour les conomistes classiques, la croissance se rsume dans la seule augmentation du nombre de biens et de services produits, comme si cette croissance n'impliquait pas aussi plus de matires premires et d'nergie consommes. La richesse telle que la prsente le PIB n'est donc pas une richesse nette, puisqu'il faut en soustraire le prix de la dilapidation des ressources naturelles, ainsi que les dsconomies externes ou externalits ngatives, c'est--dire les cots de toutes sortes engendrs par l'activit des agents, mais qui ne sont pas supports par eux (pollution des rivires et des sols, missions de gaz carboniques, etc.). Cette diffrence entre le PIB et la richesse relle apparat nettement dans le cas des transports : si l'on faisait payer les transports leur prix de revient rel, en inter- nalisant leurs cots externes, autrement dit tous les frais directs et indirects qu'ils peuvent engendrer, il apparatrait trs vite qu'un grand nombre d'entre eux ne sont tout simplement pas rentables. Le problme du dveloppement durable, crit Alain Caill, nat du fait que tout un ensemble de productions marchandes ne sont rentables que dans la mesure o le producteur priv prlve et dilapide gratuitement des ressources naturelles non reproductibles ou fait subir aux autres des dommages ou des pollutions pour lesquelles il ne paie rien38 .La croissance est bien entendu ingale: dans la priode 1990-2001, 54 % des pays ont connu une croissance ngative. Elle s'accompagne aussi d'ingalits persistantes et qui tendent s'aggraver. Les pays dvelopps consomment environ 80 % des ressources naturelles et 55 % de l'nergie finale, alors qu'ils ne reprsentent que 20 % de la population mondiale. Un Amricain moyen consomme chaque anne l'quivalent de 9 tonnes de ptrole, tandis qu'un Malien n'en utilise que 21 kg. Et ce contraste est appel s'accentuer, puisque la part des pays dvelopps dans la population de la plante est appele se rduire tandis que leur demande nergtique est au contraire appele s'accrotre. D'aprs les chiffres publis en 2003 par l'ONU, 5 % des habitants de la plante ont un revenu 114 fois suprieur celui des 5 % les plus pauvres. Mieux encore, les 225 plus grosses fortunes du monde reprsentent l'quivalent des revenus des 47 % d'habitants les plus pauvres de la plante, soit 2,5 milliards d'individus-^.La croissance n'engendre donc que trs partiellement la richesse, puisque les ingalits s'accroissent, au lieu de se combler. Mais il serait tout aussi imprudent de l'associer automatiquement au bien-tre et l'emploi. L'ancienne thorie du dversement, qui avait servi de fondement au compromis fordiste (abandon de la lutte des classes en change d'une hausse rgulire du niveau de vie), a clairement atteint ses limites. Les socits actuelles ne sont plus des socits o les richesses acquises au sommet finissent par redescendre tout le long de la pyramide sociale, mais des socits en sablier, o les pauvres sont toujours plus pauvres et les riches toujours plus riches. Au fur et mesure que s'affirme la baisse tendancielle du taux de profit, l'cart se creuse entre les pays riches et les pays pauvres, prisonniers du systme usuraire de la dette, comme entre les couches sociales l'intrieur de chaque pays. Dans les pays dvelopps, le chmage a cess d'tre conjoncturel pour devenir structurel. Il atteint aujourd'hui 37 millions de personnes dans les pays industrialiss. Deux salaires sont dsormais ncessaires dans la plupart des foyers, l o le salaire du chef de famille suffisait autrefois (ce qui signifie que le travail des femmes a permis au capital de faire baisser les salaires). Les classes moyennes sont elles-mmes menaces de prcarit et de pauprisation, tandis que les plus pauvres, considrs dsormais comme inutiles, sont radicalement exclus, et non plus seulement exploits comme c'tait le cas autrefois.Les objecteurs de dcroissance se rfrent aux avertissements de Jacques Ellul et d'Ivan lllich et leur critique radicale de la socit de consommation. Ce qu'ils mettent en question, ce ne sont pas tant les modalits du dveloppement que le dveloppement lui-mme. Ce n'est pas d'abord pour viter les effets secondaires d'une chose qui serait bonne en soi qu'il nous faut renoncer notre mode de vie, comme si nous avions arbitrer entre le plaisir d'un mets dlicieux et les risques affrents, disaitIllich. Non, c'est le mets qui est intrinsquement mauvais, et nous serions bien plus heureux si nous nous dtournions de lui. Il faut vivre autrement pour vivre mieux.Certes, on a parfois essay d'introduire une nuance entre croissance et dveloppement. C'est ainsi que, selon le Programme des Nations-Unies pour le dveloppement (PNUD), par opposition la croissance, notion purement quantitative, le dveloppement pourrait aussi s'apprcier en fonction de divers critres relevant de la culture ou de la qualit de la vie (dveloppement social, culturel, local, etc.). Cependant, dans les faits, cette distinction demeure purement smantique. Pour la plupart des conomistes, les mots croissance et dveloppement sont synonymes. En anglais, pour voquer le dveloppement durable, on parle d'ailleurs aussi bien de sustai- nable growth . C'est que le dveloppement implique toujours, d'une manire ou d'une autre, une croissance conomique. Le dveloppement conomique, disait encore Ivan Illich, a toujours signifi que les gens, au lieu de faire une chose, seraient dsormais en mesure de l'acheter. Gilbert Rist, lui, le dfinit comme un ensemble de pratiques parfois contradictoires en apparence qui, pour assurer la reproduction sociale, obligent transformer et dtruire, de faon gnralise, le milieu naturel et les rapports sociaux en vue d'une production croissante de marchandises (biens et services) destines, travers l'change, la demande solvable. Sous-produit de l'idologie du progrs et discours d'accompagnement de l'expansion conomique mondiale, il est en fait une entreprise visant transformer les rapports des hommes entre eux et avec la nature en marchandises*' qui, comme telle, implique une vritable modification anthropologique. De cette entreprise, on l'a vu, le dveloppement durable ne remet srieusement en question aucun des principes de base. 11 s'agit toujours de retirer un profit des ressources naturelles et humaines, et de rduire la dette de l'homme envers la nature des dispositifs techniques permettant de transformer l'environnement en quasi-marchandise. Or, on ne peut faire coexister durablement la protection de l'environnement avec la recherche obsessionnelle d'un rendement toujours accru et d'un profit toujours plus lev. Ces deux logiques sont contradictoires.Le dveloppement durable cherche en fait mettre au service de la logique du capital une discipline, l'cologie, qui par nature en conteste les fondements41. C'est la raison pour laquelle Serge Latouche n'hsite pas le qualifier d'oxymore42. La notion de dveloppement durable ou de croissance soutenable apparat ainsi comme parfaitement contradictoire aux yeux des partisans de la dcroissance, selon qui c'est l'idal mme d'une croissance infinie qu'il faut rcuser. Pour sauver la plante et assurer un futur acceptable nos enfants, conclut Latouche, il ne faut pas seulement modrer les tendances actuelles, il faut carrment sortir du dveloppement et de l'conomicisme43 , affirme Serge Latouche.Deux notions sont particulirement importantes pour comprendre la ncessit de la dcroissance. 11 s'agit d'une part de la notion d'empreinte cologique et, d'autre part, de celle d'effet-rebond.L'empreinte cologique (ecological footprint), exprime en hectares par anne, dsigne la superficie productive de sol et d'eau ncessaire pour assurer la subsistance d'un individu ou d'une collectivit et pour absorber les missions de gaz carbonique qu'il produit. Cette notion a t introduite par William E. Rees et Mathis Wackenagel dans les annes 199044. Normalement, l'empreinte cologique individuelle ne devrait pas excder six units de surface dites bio-productives. Globalement, pourtant, l'empreinte cologique de l'humanit a augment de 50 % entre 1970 et 1997, soit une hausse moyenne de 1,9 % par an. Au total, depuis 1996, nous excdons de 30 % la capacit de notre plante. En 1996, l'empreinte cologique des pays de l'OCDE tait de 7,22 units de surface par personne, tandis qu'elle atteignait 12,22 units de surface aux tats-Unis. Cela signifie que les tats- Unis ont une empreinte 5,6 fois suprieure la surface biologique productive disponible. Franois Schneider a montr que, si tous les habitants du globe atteignaient le mme niveau de vie et consommaient autant que les Amricains, non seulement les limites physiques de la plante seraient largement dpasses, mais il faudrait entre trois et sept plantes supplmentaires pour couvrir nos besoins en matires premires45.Encore mal connue en France, la notion d'effet-rebond, qui a t vulgarise par des revues comme Energy Poli tics ou Ecological Economies, est apparue lors de la premire crise ptrolire des annes 1970. Des chercheurs ont alors commenc relativiser les gains obtenus par les techniques d'conomie d'nergie en calculant les augmentations de consommation que ces techniques engendraient, ce qui leur a permis de dfinir l'effet-rebond comme une augmentation de la consommation d'un produit ou service d une rduction de son prix de revient. Le concept s'est ensuite gnralis4''.C'est l'effet-rebond qui permet de comprendre que, chaque fois que l'on russit conomiser de l'nergie ou des matires premires pour fabriquer un produit, l'effet positif de ce gain est anmil par l'incitation consommer qui en rsulte et par l'augmentation des quantits produites. Une voiture qui consomme moins, par exemple, incite parcourir plus de kilomtres qu'une voiture qui consomme plus, puisqu'elle permet d'aller plus loin pour le mme prix. De mme, la miniaturisation des objets lectroniques stimule leur consommation, les transports rapides permettent d'entreprendre des voyages de plus en plus lointains, etc. La diminution de la consommation nergtique par unit a donc pour effet d'augmenter le volume global de consommation, d'autant que le nombre de produits fabriqus augmente lui aussi. D'un ct, on rduit la matire premire ncessaire chaque produit, mais comme de l'autre on augmente le nombre de produits fabriqus, le cot environnemental total est toujours plus lev. C'est ainsi qu'entre 1970 et 1988, dans les pays de l'OCDE, la consommation d'nergie par unit a diminu de 25 % tandis que l'utilisation totale d'nergie augmentait de 30 % ! Un autre exemple classique est celui de l'avnement de l'informatique qui, selon certains, devait entraner une chute brutale de la consommation de papier. C'est exactement l'inverse qui s'est produit, les internautes ayant tous acquis une imprimante personnelle pour transcrire sur papier les documents dcouverts en ligne. Les effets positifs rsultant de l'adoption d'un certain nombre de mesures d'inspiration cologique (recours aux oliennes, rductions d'nergie, nouvelles normes de construction des automobiles, etc.) sont eux-mmes annuls par la croissance globale. On peut donc bien inventer des carburants verts pour les voitures, ou les faire marcher l'lectricit, le bnfice qui en rsultera pour l'environnement sera annul par le fait qu'il y aura toujours de plus en plus de voitures en circulation. On retrouve ici la notion de contre-productivit dj tudie par Ivan Illich. Mais il est important de voir que cet effet pervers est aussi, du point de vue du systme conomique dominant, un effet voulu, car il favorise la demande, ce qui permet d'augmenter les ventes et donc les profits.De nombreuses objections ont t adresses la thorie de la dcroissance. Ceux qui pensent qu'on peut parvenir une croissance infinie dans un monde fini font souvent observer que toute activit conomique n'implique pas de consommation nergtique et qu'une partie non ngligeable de l'conomie est d'ores et dj devenue immatrielle dans la mesure o elle repose sur les services, le traitement de l'information, la communication, l'lectronique, etc.47 Il n'est pas niable en effet que l'conomie immatrielle ralise une certaine dmatrialisation du capital et qu'elle favorise le dveloppement de processus productifs propres, caractriss par une faible consommation de ressources naturelles et donc par une pollution rduite. Cependant, on peut se demander si les technologies nouvelles ne sont pas des complments des technologies traditionnelles, plus qu'elles n'en reprsentent des substituts. Un plus grand nombre de socits de logiciels ou de consultants financiers impliquera-t-il forcment une diminution de la production de voitures ou d'nergie lectrique?48, demande Mauro Bonaiuti. La "nouvelleconomie" est certes relativement immatrielle ou moins matrielle, crit Serge Latouche, mais elle remplace moins l'ancienne qu'elle ne la complte. Au final, tous les indices montrent que les prlvements continuent de crotre49.Mais les reproches adresss aux tenants de la dcroissance ne proviennent pas seulement des milieux libraux. L'un des traits distinctifs de l'cole de la dcroissance - et l'un des plus intressants - est en effet de ne pas se borner dnoncer la logique du systme capitaliste, aujourd'hui plus que jamais dominante, mais d'tendre sa critique toute doctrine qui trouve son fondement dans le dveloppement des forces productives, quelles qu'en soient les modalits. Stphane Bonnevault rappelle ainsi que socialisme productiviste et capitalisme libral sont historiquement les deux variantes idologiques d'un mme projet, celui du dveloppement des forces productrices cens favoriser la marche de l'humanit vers le progrs [...] Marxistes et libraux adhrent ensemble la vision selon laquelle le dveloppement des forces productives est le processus par lequel l'humanit ralise son destin50. L'cole rompt de ce fait avec une gauche archaque et productiviste qui n'a pas su prendre la pleine mesure de l'poque o nous vivons. D'o les critiques qui lui sont adresses dans ce milieu51.Dans son numro du 1er dcembre 2003, le journal d'extrme gauche La Riposte s'en prend ainsi, sous la plume de Jrme Mtellus, l'ide de dcroissance, en lui opposant le vieux rve d'une planification dmocratique et rationnelle des ressources productives et naturelles. La thorie de la dcroissance, qualifie d'utopie ractionnaire aspirant un retour la bonne vieille conomie prcapitaliste, est assimile aux thses de Proudhon, accus lui-mme d'avoir voulu exprimer les intrts et la situation matrielle des petits artisans, commerants et paysans52. Les partisans de la dcroissance se voient galement reprocher, de faon trs rvlatrice, d'tre favorables l'conomie locale et au renracinement des communauts : La mondialisation de l'conomie, loin d'tre un problme [sic], constitue une prmisse fondamentale du socialisme, lequel est compltement inconcevable sur la base de petites conomies locales !On retrouve des arguments semblables chez tous les tenants du productivisme ou du modle keynsien classique (augmenter la production pour augmenter les salaires et donc la consommation, ce qui favorisera le bien-tre de tous), mais aussi l'intrieur mme du mouvement altermondialiste, mouvement sympathique bien des gards, auquel il manque seulement de possder une conception raliste de la nature humaine et d'avoir compris que la politique ne se ramne pas des protestations morales ou humanitaires53. Les milieux cologistes devraient videmment tre plus rceptifs l'ide de dcroissance, mais ce n'est pas toujours le cas. Les Verts se sont allis historiquement des partis socialistes ou sociaux-dmocrates acquis au culte de la croissance et du productivisme, et de surcrot aujourd'hui de plus en plus convaincus des bienfaits de l'conomie de march (ce qui explique que, lorsque la gauche revient aLi pouvoir, la rgression sociale n'est dans le meilleur des cas que ralentie).Les adversaires de la dcroissance arguent aussi de la situation du tiers-monde qui, selon eux, aurait de toute vidence besoin de croissance pour sortir du sous-dveloppement. Dans les pays pauvres, o la population ne mange pas toujours sa faim, la baisse du niveau de vie apparat comme un objectif douteux et moralement inacceptable. Comment peut-on prner la dcroissance un moment o tant d'hommes vivent encore dans un total dnuement? Le refus de la croissance apparat comme un idal de riches, un moment o les pauvres n'aspirent qu' cesser de l'tre. Les partisans de la dcroissance peuvent alors tre diaboliss comme des contempteurs des aspirations lgitimes du tiers-monde.Cette critique a ceci d'intressant qu'on la trouve aussi bien dans certains milieux altermondialistes ou d'extrme gauche - qui stigmatisent aussi la sympathie des partisans de la dcroissance pour les socits traditionnelles, leur dfense de la cause des peuples, leur volont de permettre aux pays du Sud de renouer avec leurs traditions - que dans les milieux les plus libraux. Les grandes institutions mondiales, appuyes par les socits multinationales, sont les premires raisonner comme si le modle occidental tait un modle exportable dans le monde entier. Toutes ces critiques reposent en fait sur l'ide que le dveloppement est le seul moyen pour les pays du tiers-monde de s'en sortir.Outre que la dcroissance devra bien entendu tre d'abord mise en uvre dans les pays occidentaux, car l'aprs-dveloppement est ncessairement pluriel (Latouche), il est ais de rpondre cet argument que le dveloppement ne permettra jamais au tiers-monde de s'en sortir, et que c'est au contraire depuis qu'il cherchent se dvelopper que les pays pauvres accumulent les retards et voient leur situation globale se dgrader. La pauvret du tiers-monde, en d'autres termes, ne rsulte pas d'un dveloppement insuffisant, mais bel et bien de son insertion dans le systme du dveloppement. Elle est dans une large mesure le rsultat de l'organisation actuelle du monde, des capacits prdatrices du systme capitaliste et de la division internationale du travail.On croit que les populations du tiers-monde vivaient, avant l'poque de l'industrialisation et du dveloppement, dans des conditions encore plus misrables qu'aujourd'hui. Mais c'est le contraire qui est vrai. Les rcits des premiers voyageurs en terres lointaines (Mungo Park, Poncet et Brevedent, etc.) concordent sur l'absence de misre, l'abondance matrielle relative et la bonne sant physique qui taient la rgle dans la plupart des socits traditionnelles. Tout comme la paysannerie europenne, celles-ci produisaient l'essentiel de ce qu'elles consommaient et se suffisaient elles-mmes. De plus, la notion mme de pauvret n'avait absolument pas le sens conomique que lui donne la modernit marchande. Le mot pauvre n'existe tout simplement pas dans la plupart des langues africaines - son quivalent le plus proche est orphelin. Les hommes des socits traditionnelles possdaient peu de choses, mais ne se considraient pas comme pauvres, d'autant qu'ils taient tous insrs dans un rseau de relations sociales, de communauts organiques et de familles largies structures en clans. L'conomie tant encastre (Karl Polanyi) dans les relations sociales, toutes les fonctions que l'on considre de nos jours comme des fonctions conomiques taient regardes comme des fonctions sociales non montisables. Le PNUD dfinit aujourd'hui la pauvret humaine comme un ensemble de manques. Mais en ralit, la pauvret n'est pas fondamentalement de l'ordre du manque, pas plus qu'elle n'exprime un rapport entre une certaine somme de besoins et les moyens de les satisfaire, elle est un rapport entre les hommes. La pauvret est un tat social, et comme tel une invention de la civilisation54, crit Marshall Sahlins. La pauvret au sens moderne du terme est au contraire une situation conomique (la pauvret montaire, caractrise par la faiblesse du revenu) qui entrane une dvalorisation sociale. Elle ne peut donc se comprendre qu'en termes d'anomie (Durkheim) et d'exclusion. Ce sont les socits riches, dites d'abondance, qui donnent le plus d'importance la notion de raret.Le dveloppement, comme l'a bien montr Edward Goldsmith, ne cre pas la richesse, mais la pauvret. Dans le tiers-monde, il implique l'entre dans le systme de la division internationale du travail (en vertu de la thorie de l'avantage comparatif de Ricardo), dont les consquences sont l'appauvrissement des marchs intrieurs du fait de la priorit donne aux exportations, la fragilit conomique et la dpendance par rapport aux cours mondiaux, la disparition des cultures paysannes et l'puisement des cultures vivrires (principale cause des famines), l'endettement permanent, l'urbanisation sauvage, etc. Le revenu global des 20 % d'habitants les plus pauvres de la plante a diminu de plus de la moiti entre 1960 et 1977. En Indonsie, la pauvret a augment de 50 % depuis 1997. En Russie, elle est passe de 2,9 32,7 % entre 1966 et 1998. Encourager les pays du tiers-monde rattraper leur retard, c'est--dire s'endetter pour se dvelopper et se dvelopper pour pouvoir consommer plus, a pour seul rsultat de rendre ces pays plus dpendants, plus vulnrables et plus pauvres.

4Tout le problme, crivent Bruno Clmentin et Vincent Cheynet dans la revue Silence, consiste passer d'un modle conomique et social fond sur l'expansion permanente une civilisation "sobre" dont le modle conomique a intgr la finitude de la plante. Certes, mais comment? Car c'est une chose de souhaiter la disparition de la publicit, la fin des grandes surfaces au profit des commerces de proximit, la promotion des produits locaux la place des produits imports, la suppression de l'agriculture intensive et des emballages jetables, l'extension des transports en commun, la redfinition et le partage du travail, etc., mais c'en est videmment une autre de savoir comment tout cela peut tre ralis.Beaucoup d'objecteurs de croissance plaident en faveur de micro-socits autonomes se suffisant le plus possible elles-mmes55. La relocalisation de la production est aussi l'un des thmes centraux de la bioconomie. Pour Pierre Rahbi, l'une des figures de l'cologie en France, il faut se remettre produire au plus prs des lieux de consommation . Relocaliser, cela signifie produire localement l'essentiel des produits servant satisfaire les principaux besoins d'une population, partir d'entreprises locales finances par une pargne collecte elle aussi localement. Paralllement, un autre objectif essentiel serait de rendre aux usagers la matrise de leurs usages. Les usagers, aujourd'hui, pensent exclusivement leurs usages en termes de besoins, qu'il leur faut rsoudre en dpensant les salaires qu'ils ont gagns. Leur rendre la matrise de leurs usages consisterait leur permettre de tirer directement leur revenu (et non plus leur salaire) de la masse des produits et services disponibles. C'est le fondement du distribu- tisme.De telles propositions peuvent donner rflchir. 11 faut bien reconnatre, cependant, qu'elles sont souvent prsentes d'une manire assez floue. Serge Latouche crit par exemple qu'une politique de dcroissance pourrait consister d'abord rduire, voire supprimer, le poids sur l'environnement des charges qui n'apportent aucune satisfaction56 . Le problme est que la satisfaction est une notion trs subjective. Beaucoup de gens trouvent apparemment trs satisfaisant ce que d'autres considrent comme de nature n'apporter aucune vritable satisfaction! Latouche cite aussi la remise en question du volume considrable des dplacements d'hommes et de marchandises sur la plante, et l'abandon de la politique d'obsolescence programme des produits qui n'a d' autre satisfaction que de faire tourner toujours plus vite la mgamachine infernale57. On en est bien d'accord. Mais comme le systme capitaliste n'acceptera videmment jamais de telles mesures, qui quivalent pour lui voir diminuer ses profits, on peut se demander quelle type d'autorit pourra les mettre en uvre ou les imposer. La mise en place d'un systme conomique qui n'exigerait pas une croissance perptuelle de la consommation semble aujourd'hui inimaginable. Qui pourrait s'en charger? Et comment pareil systme s'imposerait-il l'chelle plantaire, ou tout au moins continentale, ce qui est l'une des conditions de son fonctionnement ?Serge Latouche affirme par ailleurs que dcroissance ne signifie pas ncessairement rcession, ni mme croissance ngative58. N'est-ce pas jouer avec les mots? l'heure actuelle, il est vident qu'une baisse de la consommation, double d'une diminution des dplacements d'hommes et de marchandises, se traduirait par un affaiblissement correspondant du commerce mondial, en mme temps que par une hausse du chmage et par l'impossibilit de maintenir les programmes sociaux aujourd'hui en vigueur. La rcession est gnratrice de chmage et de pauprisation. Il y a donc de bonnes chances qu'un recul annuel permanent de la croissance entranerait, dans les conditions prsentes, un vritable chaos social. La dsindustrialisation rcente de la Russie (qui a rduit de 35 % ses missions de gaz effet de serre depuis la chute du Mur de Berlin) s'est surtout traduite par une dsagrgation du tissu social et un appauvrissement des masses.

La dcroissance, disent ses partisans, sera atteinte par une modration de notre mode de vie. Oui, mais comment y parvenir? La question se pose la fois du point de vue anthropologique et du point de vue politique. S'il est vrai que l'homme n'aspire pas forcment au toujours plus - et qu'il est parfaitement capable de faire la diffrence entre plus et mieux -, il n'en suit pas qu'il accepte un moins qui lui apparatra invitablement comme la perte d'un acquis. Autant on se passe aisment de ce qu'on ne connat pas, autant il est plus difficile de se passer de ce qu'on connat ou de ce qu'on a connu. Nos anctres ne se plaignaient pas de leur mode de vie, qui serait pourtant mal support par beaucoup de nos contemporains. Le capitalisme n'a pas invent le dsir de possder ni la propension des hommes rechercher ce qui leur cote le moins d'efforts, leur rapporte le plus de plaisir (autre notion subjective) et les incite dpenser du temps et de l'argent pour des consommations inutiles ou irrationnelles. Il a seulement utilis, renforc et, surtout, lgitim de tels comportements en les prsentant comme la fois normaux et toujours positifs. Alors que la morale sociale des socits traditionnelles tendait condamner la recherche du superflu , cette mme recherche est aujourd'hui encourage partout: tendanciellement, le superflu devient le ncessaire, voire l'essentiel. Latouche remarque juste titre que les drogus sont les plus chauds dfenseurs de leur drogue. Le problme est qu'en matire de consommation, les drogus sont trs majoritaires. Ceux qui y ont accs n'ont pas l'intention d'y renoncer, et ceux qui n'y ont pas accs rvent le plus souvent d'y accder. Mme les riches des pays riches aspirent consommer toujours plus, reconnaissent Bruno Clmentin et Vincent Cheynet. Et cette aspiration n'est pas seulement induite par l'idologie dominante et le conditionnement publicitaire.Bruno Clmentin et Vincent Cheynet rallieraient difficilement l'opinion autour d'un programme qu'ils noncent en ces termes: Le rfrigrateur serait remplac par une pice froide, le voyage aux Antilles par une randonne vlo dans les Cvennes, l'aspirateur par le balai et la serpillire, l'alimentation carne par une nourriture quasiment vgtarienne, etc. De mme, un slogan tel que: Demain, vous aurez moins et vous partagerez plus suscitera difficilement l'enthousiasme des masses. L'appel l'conomie conome, la frugalit ou la simplicit volontaire est trs sympathique, mais il ne peut aujourd'hui inspirer que des comportements individuels. l'chelle de la socit globale, il a toutes chances de reste