Agar d'Albert Memmi

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Afifa Marzouki

Agard'A lbert Memmi

L ' H A R M A T T A N

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<Ç)L'Harm attan 2007

S-7 rue de l'École Polytechnique; Paris Sewww.librairieharmattan.comharmattan [email protected]

[email protected]

ISBN: 978-2-296-03082-4EAN : 9782296030824

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QUELQUES REPÈRES mSTORIQUES :

Notes sur la présence de la communauté juive enTunisie à l'époque de la publication du roman deMemmi

Après avoir été, depuis 1574, une province de l'Empireottoman, la Tunisie devient, dès 1881, un Protectoratfrançais sous occupation m ilitaire, ce qui signifie que,m êm e si le Bey reste le souverain en titre, c'est le résident

général français qui contrôle toute la politique du pays.Les Juifs, comme leurs concitoyens m usulm ans, sont dessujets du Bey.La présence des Juifs en Tunisie est m entionnée depuis ladestruction du prem ier Temple mais aussi avec lesexpéditions commerçantes des Phéniciens et depuisl'époque romaine. A Tunis, la «Hara », quartier juif du

nord-ouest de la m édina, date du onzièm e siècle. M ais, dèsle 17èmesiècle, à la communauté juive autochtone, uneautre communauté juive venue du Portugal en passant parLivourne, est venue s'installer à Tunis. Plus évolués, cesJuifs européens se sont mal intégrés à la communautéautochtone juive, ce qui explique qu'en 1741, ils avaientleurs propres tribunaux rabbiniques, leurs synagogues

particulières et même, en 1850, leurs cimetièresspécifiques. Ce n'est qu'en 1944, qu'un décret beylical afin i par unifier les deux structu res communau taires.

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   à   0   5  :   2   8 Entre 1948 et 1953, la tendance sioniste qui a beaucoup

d'adeptes parmi les Juifs les plus dém unis, se renforce etse m anifeste par 15 000 départs en Israël m ais, par ailleurs,

des intellectuels et des Juifs de gauche s'engagent surplace, au même titre que leurs concitoyens musulmans,dans la lutte sociale et anticoloniale. Plusieurs Juifs deTunis ont joué un rôle actif dans la lutte nationalistetunisienne, certains sollicités par le parti nationalistetunisien, le Destour, d'autres intégrant la prem ière Sectioncommun iste d e Tunisie.

Lors de la deuxième guerre mondiale, les troupesallemandes débarquent à Tunis en novembre 1942 etoccupent le pays. M algré l'opposition de Moncef Bey, lesAllemands imposèrent à la communauté juive de fortesamendes, la synagogue fut transformée en dépôt allemand,tous les jeunes juifs de 18 à 28 ans furent envoyés dans lescamps de travail. Après avoir été le dernier bastion des

Nazis en Afrique du nord, la Tunisie sera libérée en mai1943 par les troupes alliées.Le régim e colonial, très favorable aux colons européens,va durer jusqu'en 1955, date de l'autonomie interne dupays. Ce n'est qu'en mars 1956 que la Tunisie accède àl'indépendance. L a République est instaurée en 1957 aprèsdeux siècles et dem i de beylicat et de pouvoir dynastiquehusseinite. Le code du statut personnel stipulant l'égalitéjuridique de I'homme et de la femme est promulgué dès1956.Les Juifs sont appelés à prendre part aux élections del'assemblée constituante en tant que cand idats et électeu rs.En 1956, le prem ier gouvernement de l'indépendancecompte un député et un m inistre juifs tunisiens.C 'est la guerre franco-tunisienne de Bizerte, en 1961, et,en 1967, la guerre israélo-arabe qui accélérèrent le départdes Juifs de Tunisie vers Israël et surtout vers la France.

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   à   0   5  :   2   8 De nos jours, on ne compte plus que deux mille juifs

tunisiens résidant à D jerba, T unis, Sousse, N abeul, Sfax etGabès.

Les langues en Tunisie à l'époque coloniale

Depuis la fondation de Kairouan (670), première ville

musulmane du Maghreb, une révolution linguistiques'am orce: le pays habité par des idolâtres, des Juifs et deschrétiens et dom iné par la langue berbère, s'islam ise etl'arabe se répand. Progressivement, c'est l'arabe dialectalqui devient la langue de tous les citoyens tunisiens, juifs etmusulmans confondus. N 'ont accès à l'arabe classique,langue officielle, celle de l'écrit et de la grande littérature,que ceux qui l'ont apprise à l'école. C 'est ce qui expliqueque, dans Agar, le narrateur et ses parents analphabèteséchangent dans la langue tunisienne, l'arabe dialectal.Quant au français, langue dans laquelle M emmi écrit etqu'il a apprise sur les bancs de l'école, il était enseigné dèsle primaire avant et après l'indépendance. Il devient dès1881 la langue de prestige donnant accès à l'enseignementmoderne et la m arque de l'élite sociale m ais il est présentà l'École m ilitaire du Bardo dès le début de la secondemoitié du X IX è siècle.A côté de l'institution religieuse musulm ane, la Zitouna,dispensant un enseignement exclusivement en languearabe, est créé, en 1875, le collège Sadiki par le prem ier

m inistre réform iste du B ey Mohamed Sadok, Khéreddine.Cette école axe son enseignement sur les langues et lessciences exactes.En 1878, s'ouvre à Tunis la prem ière école de l'A llianceisraélite universelle où M emmi effectuera ses premiers

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   à   0   5  :   2   8 apprentissages et dont les programmes accordent une

place importante à la langue et à la culture françaises.Cette école assurait ainsi à la jeune génération la

possibilité de continuer ses études dans les écoles etuniversités françaises, comme ce sera le cas pour AlbertMernrni.

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PLACE D'ALBERT MEMMI DANS LA LITTÉRATURETUNISff iNNEFRANCOPHONE

La littérature tunisienne de langue française voit le jouraprès l'im plantation du Protectorat français en 1881 et neconcerne donc que le XXèmesiècle.D ans la prem ière moitié du siècle, des écrivains tunisiensarabes musulmans ou appartenant aux m inorités juives,italiennes ou maltaises publient des récits et des textespoétiques m ais l'ensem ble de cette littérature colonialereste m arqué par le sceau de l'exotism e et des stéréotypes.Œ uvres ethnographiques cultivant le pittoresque, ces

textes autochtones sont, dans l'ensem ble, écrits pour unregard étranger et optent pour une vision folklorique où lacouleur locale et les charmes de l'Orient relèvent plus ducliché que d'une réflexion rigoureuse et réellementoriginale.Nous pouvons en citer quelques exemples, peu connusm ais aux titres souvent révélateurs: Théodore Valensi,

Yasmina, roman arabe (1922); M arius Scalési, Poèmesd'un m audit (1924) ; M ahmoud A slane, Scènes de la viedu bled (1932); Ryvel, Lumières de la hara (1935);Tahar Essafi, Le Collier d'émeraude (1937).Il faut donc attendre 1953 et La Statue de sel d'AlbertM emmi, pour enregistrer le prem ier texte relevant d'unelittérature autonome, celle des prem iers éveils et des

prem ières revendications qui a fait ém erger de nouvellespréoccupations et de nouveaux accents. C 'est donc A lbertMemmi qui donne le vrai coup d'envoi à cette jeune

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   à   0   5  :   2   8 littérature tunisienne d'expression française qui n'a pas

cessé depuis de se développer et de se diversifier.Autour des années 70, en effet, de nouveaux écrivains

tunisiens marquent le paysage littéraire francophone,poètes, romanciers et essayistes résidant et publiant àl'étranger ( France, C anada, Italie), comme Mustapha T lili,H édi Bouraoui, Tahar B ekri, A bdelw ahab Meddeb, FaouziM allah, M ajid El Houssi, Amina Saïd, Hélé Béji, FaouziaZouari, etc., et de grands noms vivant et publiant enTunisie, comme Salah Garmadi, Moncef Ghachem ,

A bdelaziz K acem , Sam ir M arzouki, A li Bécheur, A nouarA ttia, Amna Belhaj Yahia et bien d'autres.

Albert M emmi : l'homme

Chronologie

1920 : Naissance à Tunis de parents juifs tunisiens. Sonpère Fradji, artisan bourrelier et sa m ère, M aïra Sarfati,femme au foyer, étaien t arabophones.

1939 : Obtention du baccalauréat après des études au lycéefrançais de Tun is.1942-43 : Fait, « à peu près volontairement» (Le Nomadeimmobile; Arléa, 2000, p.62) l'expérience des cam ps detravail dans l'E st tunisien .1944 : A la fin de la guerre, année universitaire à Alger,dans des conditions ma té rie lle s d iffic iles.

1945 : Prem ier séjour à Paris pour y poursuivre ses étudesuniversitaires.1946 : Études de philosophie à la Sorbonne. M ariage avecGermaine Dubach, agrégée d'allemand et plus tardprofesseur à Paris V III.

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   à   0   5  :   2   8 1948-1952: Occupe plusieurs postes d'enseignement à

Tunis.1953 : Prem ière rencontre avec J-P. Sartre à Paris. Prix de

C arthage, à Tunis, pour La Statue de Sel.1954 : Prix Fénéon, à Paris pour La Statue de Sel.1955 : Rencontre avec Albert Camus. Collaboration à lafondation de l'hebdomadaire tunisien Afrique-Action quidev iendra p lus tard Jeune Afr ique.1956: Départ définitif en France où il est attaché derecherche au CNRS.

1970 : Il est nommé Professeur (chaire de sociologie de laculture) à l'Université d e Paris X - Nan terre.1978 : Prix Simba, à Rome, pour l'apport africain de sonœuvre.1995 : G rand Prix littéraire du Maghreb à l'UNESCO.2004 : Prix de la Francophonie de l'Académ ie française,pour l'ensemble de son œ uvre.

Traduite dans une vingtaine de pays, son œuvre fait de luiune figure-phare de la littératu re maghréb ine francophone.

Biographie

Albert Memmi est né en 1920 à Tunis, dans une impassedu quartier populaire ju if.Son père, Fradji, artisan bourrelier et sa mère MaïraSarfati, femme au foyer, parlaient l'arabe, leur languematernelle. Après des études à l'école primaire de la rueMalta-Srira de Tunis, il obtient une bourse d'études aulycée Carnot où il fut l'élève adm iratif de Jean Am roucheet d'autres professeurs qui l'ont marqué: «Le lycée m 'asorti du ghetto et décrassé l'esprit de ses ténèbres. », écrit-il dans Le Nomade immobile (idem , p.42). Il connaît des

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   à   0   5  :   2   8 années difficiles durant la guerre et fait notamment

l'expérience des camps de travail auxquels les forcesd'occupation allem andes astreignaient les jeunes Juifs.

Après l'obtention du baccalauréat et un passage àl'université d'A lger, il poursuit, après la guerre, des étudesde philosophie à la Sorbonne. M ais s'il tire beaucoup defierté de son parcours scolaire exem plaire, l'écrivain nemanque pas d'en signaler les frustrations: «J'ai détestél'école prim aire, où j'étais sujet à de brusques angoissesparce que je ne comprenais pas le français; j'ai détesté le

lycée, parce que je m 'y sentais, parce que j'y étais unétranger parm i les enfants de la bourgeoisie; j'ai détestél'université, parce que j'y étais désespérém ent déçu pardes maîtres que j'adm irais de loin, par la philosophie,élitaire et abstraite, de la Sorbonne, qui ne m e concernaitpas. » (L e Nomade immobile, p.25)En 1946, Albert M emmi se marie à Paris avec Germaine

Dubach, une germaniste issue d'une fam ille catholiquelorraine et dont il aura trois enfants dont deux nés à Tunis.En effet, à partir de 1949, il revient au pays natal où, aprèsun séjour dans l'appartem ent fam ilial, il s'installe avec safemme dans une villa de la proche banlieue chic de Tunis:M utuelleville. Il occupe plusieurs postes d'enseignantjusqu'en 1956, date à laquelle il revient définitivem ent àParis. A Tunis, Memmi soutient la lutte de sescompatriotes contre la colonisation, affiche son hostilité àla confusion du religieux et du séculier dans le mondemoderne et affirme la nécessité de la laïcité pour lalibération de la femme et de la société. En 1953, sonp remier roman , La Statue de sel, eut un succès qui ne s'estjamais démenti. L a publication d'Agar suit, deux ans plustard, m ais c'est surtout Portrait du colonisé, son prem ieressai, paru en 1957 et préfacé plus tard par Jean-PaulSartre, qui assura à Memmi la renommée qu'on lui connaît.

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   à   0   5  :   2   8 De retour en France, l'écrivain est d'abord attaché de

recherche au CNRS, puis titulaire d'une chaire desociologie de la culture à l'U niversité de Paris X - N anterre.

Paris lui a donné l'opportunité de rencontrer A lbert C amus,Aragon, M auriac et Léopold Sédar-Senghor et aussi de selier d'am itié avec Vercors, Claude Roy, Edgar Morin etbien d'autres écrivains et intellectuels. Cependant, letempérament de l'écrivain, peu enclin à adhérer aux écoleset aux partis et à se rallier aux grandes idées et courants envogue (marxisme, lacanisme, existentialisme,

structuralisme etc.), son hostilité au parisianisme culturelmais aussi son franc-parler et le fait qu'il ait compté,malgré la nationalité française qu'il avait demandé etobtenu, comme un écrivain francophone et doncappartenant à la périphérie, ont certainement joué un grandrôle dans sa relative marginalisation dans le monde deslettres et des arts français.

Professeur à la retraite, Memmi vit toujours dans lequartier parisien du Marais où il continue à publier et àmettre en ordre ses nombreux manuscrits dont il vient deléguer une partie à la B ibliothèque Nationale de Paris.

L' œuvre

A l'exception du recueil de nouvelles, Térésa et autresfemmes, dernière publication de l'écrivain, l'ensemble del' œ uvre de fiction, aussi bien les récits que la poésie, a

pour cadre général la Tunisie et a de larges échosautobiograph iques. S i on peu t con sid érer La Statue de Selcomme le texte le plus révolté, Le Mirliton du Cielreprésente l' œuvre la plus nostalgique et la plus apaisée.

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   à   0   5  :   2   8 Ce qu'on peut remarquer, c'est que les écrits de M emmi,

dans leur diversité, tournent autour de grands axesthém atiques et nous renvoient sans cesse les sujets qui ont

toujours préoccupé l'écrivain. Si l'univers fictionnel deM emmi est cam pé sur un fond d'interrogations sur le paysnatal, la colonisation, les m inorités ethniques, lacommunauté juive, la pauvreté, l'autonom ie du religieuxet du séculaire ou la relation de couple, ses essais ne fontque creuser la réflexion, mais cette fois sur le modethéorique, analytique et argumentatif, sur ces mêmes

sujets brûlants. Qu'il s'agisse en effet de Portrait ducolonisé, de Le Racism e, de Portrait d'un Juif, de LaDépendance, de Bonheurs ou du Dictionnaire critique àl'usage des incrédules, le lecteur retrouve lesproblématiques memm iennes les plus spécifiques qui fontde l'écrivain un philosophe et un penseur de I 'hum ain dontla rigueur de l'acuité intellectuelle est toujours m odulée

par une généreuse sensib ilité.Dans toute son œuvre s'expriment le désir et l'urgenced'une vision claire des choses et du m onde car l'écriture yfonctionne comme une opération de nettoyage et de m iseen ordre de tout ce qui dans la mémoire et dans laconscience, demeure brouillé et trouble. Un peu à lamanière de Marcel, personnage du Scorpion, l'écrivainessaye de « se décrasser l'âme ». Le retour, parfois dansles mêmes termes, des mêmes interrogations, la reprise desm êmes scènes ou d'un m ême personnage, l'auto-citationou le commentaire décalé, dans l'ensemble de l' œuvre,relèvent de cette volonté de m ieux s'expliquer, de m ieuxdire et approfondir des questions essentielles et de faire del'œuvre une œuvre ouverte, toujours à compléter, àréactualiser.Comme de nombreux romans maghrébins, les récits deMemmi, d'inspiration autobiographique, exprimentsouvent une crise identitaire à laquelle l'œuvre ne peut

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   à   0   5  :   2   8 répondre que d 'un e manière p arcellaire et précautionneuse.

Étranger, inadapté ou vivant «dans l'éparpillement, ledoute et le détresse h istorique» (Le Scorpion, p .150 , Folio ,

Gallim ard, 1969), le héros m emmien, de La Statue de Selau Pharaon, soucieux de «recoller les morceaux» (LeScorpion, idem, p.207) de son identité, « n'a pas résolu ceproblème fondamental: comment être d'un peuple et detous?» (L e Pharaon, p. 372, Julliard, 1988). Il balancesans cesse entre l'attachem ent sentim ental et sensuel à sa« tribu» et la fascination pour la froide rigueur du

rationalisme universel, mouvement désigné, dans LeMirliton du ciel, par l'im age de la danse.Cette quête de l'identité est souvent doublée de la peur del'incompréhension d'autrui, de déchoir à ses yeux pouravoir pris un parti plutôt qu'un autre, crainte d'être m al vudes siens, pour avoir choisi l'exil et souci d'êtremarginalisé par les autres pour avoir affirm é ses distances

vis-à-vis d'eux. D ans ce contexte précis, écrire équivaut àdissiper le malentendu, réfuter les soupçons, s'expliquerdirectement ou indirectement, rejeter « la vieilleaccusation de traîtrise» (Le Désert, p. 236, Folio,Gallim ard, 1977) et l'assim ilation du départ à la fugue du« voleur» (Le Scorpion, idem, p .250).Revendiquant une triple culture, M emmi est un écrivain

humaniste dont l' œuvre tente de concilier l'ancrageculturel particulier et les valeurs universelles, commel'illustre bien la dédicace du M irliton du Ciel (<<A JeanAmrouche qui m 'a fait découvrir El Ghazali, R imbaud,M ilosz et Saâdi »). Si la laïcité et le refus de privilégier laspécificité religieuse représentent une idée-force de sesécrits, c'est bien parce qu'elle est une des voies royales del'hum anism e universel. Cette m éfiance devant le poids dela religion explique aussi, en partie, sa décision de vivre enFrance.

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B ibliog raphie de I 'œuvre

Récits-

La Statue de Sel, Corréa, 1953. R ééd.1966, G allim ard,avec une préface d'A lbert C amus.Agar, Corréa /Buchet Chastel, 1955. Rééd. 1984,

Gallimard.Le Scorp ion, Gallimard , 1969.Le Désert, Gallimard , 1977.Le Pharaon , Ju lliard , 1988.Le Nomade Immobile, Arléa, 2000.Térésa et Autres F emmes, Le Félin, 2004 .

Poésie

Le M irliton du Ciel, poèmes illu strés de neu f lithog raphiesoriginales d'A lbert Bitran, Ed.Lahabé, 1985. Rééd.Julliard, 1989.

Essais-

Portrait du colonisé, précédé de Portra it du Colonisa teur,Corréa, 1957. Réed.1966, Pauvert, avec une préface de J-P.Sartre.

Portrait d'un Juif, Gallimard , 1962.L 'Homme dom iné, Gallimard , 1968.Juifs et A rabes, Gallimard , 1974.

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   à   0   5  :   2   8 La Dépendance, Gallimard, 1979, avec une préface de F.

B raudel et une postface de Vercors.Le Racisme, Gallimard , 1982.

Ce que je crois, Grasse t, 1985.L'Écriture colorée, Je vous aim e en rouge, Périp le, 1986.Bonheurs, Arléa, 1992.A contre-courant, Le Nouvel Objet, 1993.L 'E xercice du Bonheur, Arléa, 1994.Ah, quel bonheur! Arléa, 1995.Le Buveur et l'amoureux, Arléa, 1998.

Dictionnaire critique à L'usage des Incrédules, Le Félin,2002.Portra it du Déco lonisé , Gallimard , 2004.

Divers

Les Français et le racism e, en co llaboration, Payot, 1965.Entretien avec Robert Davies, L 'É tincelle, Montréal, 1975.La Terre Intérieure, Entretien avec V . MaIka, G allim ard,1976.Le Juif et l'A utre, Entretien avec M . Chavardès et F. K asbi,Bartilla t, 1995.Anthologie des littératures maghrébines, PrésenceA fricaine, tomes 1et 2, 1964-1969.Écrivain s francophones du Maghreb , Laffont, 1985.Le Roman maghrébin de langue française, Nathan, 1987.

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AGAR, PRÉSENTATION DU ROMAN

Éditions

D eux ans aprèsLa Statue de sel,

A lbert M emmi publie sondeuxième roman, Agar, aux éditions Corréa/BuchetC hastel, en 1955, à Paris.Il sera publié chez Gallim ard en 1984 et dans la collectionde poche, Folio, en 1991. Cette dernière sera notre éditionde référence pour l'ensemble des citations dans le présentouvrage.

Titre et dédicace du roman

Le roman est précédé d'une dédicace: « A ma femme ». Ils'agit de l'épouse française de Memmi, M arie-G erm aine

Dubach, agrégée d'allemand et mère des enfants de1'écrivain.L 'exergue qui ouvre la narration est une citation de laBible: «Or Sarai, femme d'Avram , ne lui avait pointdonné d'enfants. Elle avait une servante égyptienne,nommée Agar. .. » (Genèse, 16, 1)V oici, pour m ieux éclairer cet épisode biblique, la suite de

la citation: «Sarai dit à Abram : « Voici que Iahvé m 'aem pêchée d'enfanter. V iens donc vers m a servante: peut-être que par elle j'aurai un fils. » Abram écouta la voix deSarai et Sarai, femme d'A bram , prit H agar l'Égyptienne,

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   à   0   5  :   2   8 sa servante, au bout de dix ans d'installation d'Abram au

pays de Canaan, et elle la donna à Abram , son mari, pourqu'elle soit sa femme. Il vint vers H agar et elle conçut (. . .)

Hagar enfanta un fils à Abram et Abram appela son fils,celui qu'avait enfanté Hagar, Ism aël. Abram était âgé dequatre-vingt-six ans, lorsque Hagar enfanta Ismaël àAbram. » (Genèse, 16 ; 2, 3, 4, 15, 16 ; pp.49, 50. La B ible,Ancien Testam ent, I, Gallimard, Bibliothèque de LaP lé iade , 1997).Voici comm ent finit l'histoire d'Agar dans le chapitre 21

de la Genèse:«Iahvé visita Sarah comme ill' avait dit et Iahvé agitenvers Sarah comme il l'avait dit. Sarah conçut et enfantaun fils à Abraham en sa vieillesse, à la date qu'avait diteElohim . A braham appela du nom d'Isaac son fils, celui quilui était né, celui que lui avait enfanté Sarah. » (1, 2, 3 ;p.63)

« L'enfant grandit et fut sevré. A braham fit un grand festinau jour où fut sevré Isaac. Sarah vit le fils que Hagar,l'Égyptienne, avait enfanté à Abraham en train deplaisanter avec son fils Isaac. Elle dit à Abraham :«Chasse cette servante et son fils, car le fils de cetteservante ne doit pas hériter avec m on fils, avec Isaac. » Lachose déplut beaucoup aux yeux d'Abraham , à cause deson fils. »(8,9,10, Il ;p.63)« Abraham se leva de bon matin, prit du pain et une outred'eau qu'il donna à Hagar, puis il lui m it l'enfant surl'épaule et la congédia. Elle s'en alla et erra dans le désertde B ersabée. » (14, p.64)Incroyant, l'écrivain ne cherche pas, dans sa référence autexte sacré, une authentification pour son récit, mais ilchoisit d 'inscrire son histoire personnelle dans laperspective décalée, distanciée et générale du mythe. C 'estainsi que dès le départ, A gar apparaît comme l'étrangère etl'épouse du Juif, fondatrice du couple et mère de ses

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   à   0   5  :   2   8 enfants comme le personnage biblique dont les déboires,

les malheurs et le départ liés à sa situation de femmeétrangère annoncent ceux de l'héroïne de Memm i.

Résumé

Le roman porte le nom d'Agar, l'épouse étrangèred'Abraham, que celui-ci prit, alors qu'il désespérait

d'avoir une progéniture de sa cousine et prem ière épouseSarah. Dans le rom an, Agar, c'est M arie, jeune étudiantealsacienne qui a épousé en France le narrateur du roman,un m édecin juif tunisien. Celui-ci rentre au pays pour s'yinstaller avec sa femme, partagé entre l'espoir et la crainte.Le rom an raconte la dégradation progressive des rapportsentre ces deux êtres, confrontés quotidiennem ent à ce quiles sépare et que la vie parisienne occultait. Peu à peul'em barras se transm ue en haine et en m épris. L 'am our quisurvit par bribes ne fait qu'accentuer le déchirement. Agarest donc le roman de l'échec du couple, et au-delà, celuidu dialogue problém atique entre l'Orient et l'Occident.Telle est du moins l'impression que laisse la lecture dulivre, en dépit des déclarations de l'auteur pour qui Agardéfinit les obstacles externes et internes qui se dressentdevant la communication entre les individus aussi bienqu'en tre les peuples.

Thèmes

Le couple: Le m ariage m ixteL'amourLes conflits et les h eurts

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La fam ille: Amour et solidarité.Ingérences e t accaparement

Indiv idu et communau té

L e bonheur et le malheur:Au sein du groupeEn dehors du groupe

Confo rmisme et révolte

L 'in tégra tion e t se s d ifficulté s:Tolé rance e t in to lé ranceRela tiv ité e t vérité abso lueRationalité e t affec tivité

É criture et autofiction :

- Un rom an inspiré de la vie de l'écrivain, « [...] un romanqui n'est pas le fruit de [la] seule expérience », del'écrivain (L e Nomade immobile, p.62).- Représentation, stylisation et modélisation de l'ex-périence personnelle .

De La Statue de Sel à Agar

Le lecteur constate avec évidence que le prem ier rom an deM emmi et le second, par bien des côtés, se situent dans leprolongement l'un de l'autre: récits autobiographiques, ils

constituent tous les deux la m ise en roman d'une périodede la vie de leur auteur, enfance et adolescence dans l'un,vie d'un jeune adulte entré dans la vie active de l'autre etrelatent semblablem ent une crise dans une narration à laprem ière personne, centrée sur le regard que jette un

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   à   0   5  :   2   8 individu sur autrui et le monde. Cette sim ilitude du fond

aussi bien que de la forme, n'empêche pas les deuxrom ans de diverger par d'autres aspects et de répercuter

des options et des accents opposés. Un long chem insemble avoir été en effet parcouru depuis les prem ièresrévoltes d 'A lexand re Benillouche, ses refu s catégoriques,ses positions tranchées et ses rigueurs idéologiques sansconcessions. La honte de l'ignorance et des superstitionsde sa tribu, la résistance aux compromis religieux et lacolère devant la médiocrité du quotidien cèdent la place

dans Agar aux multiples indulgences, à la compréhensionbienveillante et à la joie de vivre dans un bonheurimmédiat et simple. Très peu de temps séparant les deuxromans, on ne peut expliquer ce changement par unrevirement idéologique progressif ou une lente matu ration ,cependant, il semble tout à fait possible d'éclairer cetteévolution en la m ettant en rapport avec le séjour en France

de l'écrivain et sa rencontre avec la Française qui sera lafemme de sa vie qui, en ayant joué le rôle de rempartcontre les abdications, aurait paradoxalem ent perm is auTunisien révolté contre les siens de lâcher du lest, pourm ieux assurer son propre équilibre. Nous citerons, pourillustrer et confirmer notre propos ce précieux et trèsrévéla teur extrait d'Agar:

« A vais-je donc tant vieilli? Au souvenir de m es révoltes,de mes résolutions passées, je sentais, quelquefois,m 'envahir le doute, le soupçon d'une défaite. A lors, jeregardais ma femme [...] Eh quoi? n'était-elle pas là,preuve vivante de mon audace? Sans elle, peut-être, ceretour aurait-il été un abandon; épousant Marie jerevenais les mains pleines de l'étrange fruit de ceslointaines contrées. N 'avais-je pas le droit, m aintenant,sans déchoir, de retourner dans mon pays quitté avecfureur, de m e prêter avec indulgence à quelques gestes etrites naguère refusés? » (p.44)

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   à   0   5  :   2   8 Ces réflexions sonnent comme une autojustification:

épouser M arie est un acte de révolte tel contre son m ilieuqu'il permettrait l'abandon à des concessions quotid iennes

jugées sans importance, par rapport à cet acte. Ladifficulté, pour le narrateur, est que sa femme lui renvoiepar son intransigeance à l'égard de son milieu à lui,l'im age de sa propre attitude durant l'adolescence, celle duhéros de La Statue de Sel.

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ANALYSE CRITIQUE

La structure du roman

Construit d 'une manière classique, le roman offre aulecteur le récit linéaire de l'histoire d'un couple relayéechronologiquement dans seize chapitres successifs et sanstitres, de telle sorte que l'évolution du roman et celle ducouple se font d'une manière parallèle, sans artificeparticulier, sans brouillage de l'espace ni du temps.M emmi a recours une seule fois au flash-back, ou analepse ,

au deuxième chapitre de son roman, effectuant un retouren arrière de l'action, qui donne à ce chapitre l'allured'une enclave bienheureuse, presque hors du temps,relevant d'un avant idyllique dans l'histoire du coupleinstallé à Paris, encore loin des pressions sociales etculturelles qui surviendront au fil du temps et de laprogression du roman.

Une composition au rythme des événements:

C hapitre prem ierL 'arrivée de Marie et du narrateur à Tunis après

leur ren contre à P aris.

Chapitre deuxRetour sur le séjour parisien du narrateur étudiant

et sa liaison avec Marie.

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   à   0   5  :   2   8 Chapitre trois

Éphémères euphories et prem ières déceptions de lavie du couple cohabitant avec la fam ille du narrateur à

Tunis: au regard de M arie, ce monde nouveau « devenaitlen temen t in supportab le » .Chapitre quatre

A près les prem ières répulsions de Marie, « la lenteet implacable usure ».Chapitre cinq

Les dégoûts et les hostilités de M arie: « Et bientôt

elle n'eut m ême plus le courage de dissim uler. »Chapitre six

Une tentative de solution, le déménagement ducouple dans une villa loin de la fam ille du narrateur etl'emmurement dans la solitude à deux. «Personne nes'aventura plus jusqu'à la villa. »Chapitre sept

La grossesse de M arie: les nouveaux obstacles à lacommunication au sein du couple et au sein de la fam ille.Chapitre huit

Les tensions de l'a ccouchement.Chapitre neuf

Nouvelles ingérences de la m ère du narrateur dansla vie du couple.Chapitre dix

Paternité, héritage et loi rabbinique: la révoltedevant la confusion du religieux et du laïque.Chapitre onze

Consultation de maître Taïeb, avocat libéral etprésident de la Communauté juive, en vue de régulariser lasituation admin istrative du coup le: nouvelle impasse.Chapitre douze

Consultation du grand rabbin: nouvel échec,nouveaux sujets de discorde au sein du couple.

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   à   0   5  :   2   8 Chapitre treize

La circoncision à venir de l'enfant, à la source deshostilités.

C hapitre quatorzeLa circonc ision d 'Emmanuel.

C hapitre quinzeNoël, révéla teur des d ivergences.

C hapitre seizeNouvelle grossesse et nouveaux brouillards:

déchaînement verbal et violence, la séparation, dernier

rem ède à « la continuité de l'usure ».

Les personnages du roman

Le père du narrateur

Il apparaît dans Agar comme le chef de fam ille respectableet respecté dans une société patriarcale où il est chargé dedéfendre les valeurs ancestrales et d 'assurer la continuitéde « la grande chaîne» de la cellule fam iliale par latransm ission de son héritage: « Pour mon père je n'étaispas seulement son fils mais un anneau de la grandechaîne» (p.98), précise le narrateur. Q uand, par exemple,le père donne son prénom au petit fils, il ne fait que sondevoir de m aintenir allum ées les survivances du passé, derépercuter « l'écho de ce verbe [...] jusqu'à la fin destemps» (p.98).C 'est aussi parce que son rôle est celui de protéger latradition religieuse qu'on le voit, dans le rom an, veiller,par exem ple, à la circoncision du nouveau-né de son fils etprésider les offices, lors de la cérémonie du soir de Pâques(voir pp. 49 et suiv.).

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   à   0   5  :   2   8 Pas aussi directement présent que la mère, le père

n'apparaît pas souvent dans le récit. Personnage à laprésence discrète, il prend très peu de fois la parole et

n'occupe que sporad iquement l'avant-scène de l'action .P arce qu'il représente l'autorité fam iliale, dans une fam illepauvre et conservatrice, et malgré l'exubérance destransports qui caractérise ce m ilieu judéo-tunisien, le pèreest un personnage sobre et réservé et se doit de retenir sesémotions, comme le souligne ce passage du roman où lepère sem ble déroger à ses habitudes et à la règle générale:

« Il m 'entoura les épaules de son bras et laissa aller sa têtecontre m a poitrine, comme épuisé [...], nous n'avions pasl'habitude de ces abandons» (p.32).

Les personnages fémin in s secondaires

Les femmes représentent d 'abord la collectivité fam ilialequi entoure le couple d'Agar et suit ses faits et gestes, cesont les sœurs et les tantes qui sont souvent les témoinsgênants de son intim ité et dont la présence envahissanteagace M arie: « Les femmes, chacune à son tour, se m irentavec précaution à embrasser M arie [...] après le baiser,elles l'exam inaient de la tête aux pieds. »(pp.25. 26)La sœur aînée du narrateur semble, par sa spontanéité unpeu délurée, bénéficier seule de la sympathie de l'épousefrançaise fraîchement débarquée:« Elle s'arrêta devantM arie, la regarda avec un étonnem ent ém erveillé: - Oh !qu'elle est blonde! qu'elle est distinguée! » (p.28).M is à part 1'héroïne du roman, le personnage fém inin leplus im portant est, sans conteste, celui de la m ère qui, parses remarques, ses interventions et ses pratiques,déclenche souvent les hostilités, noue l'action et faitrebondir le récit.

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   à   0   5  :   2   8 Prototype de la mère maghrébine traditionnelle de

l'époque, elle a tendance à se substituer à son fils et àétablir avec lui des rapports fusionnels qui entravent

l'intim ité de son couple.Dès son arrivée à Tunis, dans le pays de son époux, M arieapparaît comme un objet de grande curiosité devant lesmembres de sa fam ille et elle est, comme de coutume,jaugée par le regard scrutateur de sa belle-mère: « A sontour, ma mère évalua méthodiquement la femme de sonfils, la figure, les cheveux, les dents, la taille.. .je cherchai

le regard de M arie pour m 'excuser de cette inspection»(p.26).A l'interrogation juste courtoise de son fils sur la santé deson père, à son arrivée au port de Tunis, bavarde etmaladroite, la mère répond, ne sachant épargner àl'assistance un « récit pénible et sans surprise »: «- Ah ! lepauvre! cet hiver...personne n'a voulu te l'écrire...il a été

si m alade... » (p.25).« Chef harcelant du protocole familial» (p.65) commel'étaient souvent les maîtresses de maison maghrébines, lamère du narrateur apparaît aussi comme celle qui organisela gestion des rapports fam iliaux et veille à leurrenforcem ent, celle qui est là pour rappeler aux uns et auxautres leurs m enues obligations, comme par exemple leurdevoir de visite aux parents, m ême les plus éloignés.Ce droit de regard de la mère sur le comportement de sonfils donne à ses propos un caractère péremptoire et luiconfère, dans le roman, une place envahissante par rapportau couple. Pour illustrer le comble de cette ingérence dansles affaires du couple, nous pouvons citer cetteintervention de la mère, parlant au nom de la famille del'alimentation du futur nouveau-né du couple: « Nousavons décidé de l'allaiter» (p.99).En fait, plus que le comportement de la mère, ce quisem ble interpeller M emmi dans Agar, c'est celui de la

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   à   0   5  :   2   8 belle-mère, c'est-à-dire sa façon de s'interposer entre

l'époux et l'épouse, de considérer le couple comme unetriade où l'avis de la mère est aussi décisif que celui des

époux dans la gestion du quotidien. Citons encore cepassage intéressant du roman où la mère du narrateur envisite chez lui, s'étonne, accusatrice, de le voir laisser sonbébé tout seul, au prem ier étage de la m aison:«-Tu n'étais pas comme ça,. soupirait-elle. Tu avaisbeaucoup de tendresse pour tes petits frères.Cela signifiait: « Tu as subi de mauvaises influences. »

Heureusement, ma femme ne comprenait pas lepatois... » (p.114).La conversation qui suit éclaire encore plus ce personnagede la mère et les rapports de rivalité chicaneuse qu'elleétab lit avec Marie:« - As-tu des o lives? me demandait-e lle .Je n'en avais pas.

- Non? As-tu un poivron salé?Je n'avais rien de tout cela.- Mon pauvre enfant! Ça ne m 'étonne pas que tum aigrisses! Tu ne m anges plus ce que tu aim es!Marie changeait de position sur son siège» (p.115).

Outre l'intérêt psycho-sociologique que représente cepersonnage et son implication stratégique dans l'économiedu récit, signalons l'originalité linguistique qui lecaractérise puisqu'à chaque fois qu'il prend la parole, c'està une étonnante immersion dans le cadre langagier localque M emmi nous invite. En effet, les discours de la mèren'étant dans Agar que la traduction m im étique du patoisde la « Hara » tunisienne où a vécu la fam ille de l'auteur,ils restituent pour le lecteur, en m ême temps qu'un parler,la m entalité d'un milieu et la culture d'une communauté.Q uand, par exemple, la m ère a spontaném ent recours dans

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   à   0   5  :   2   8 son dialogue avec son fils sur ses choix conjugaux, aux

proverbes comme à une sagesse in contournable:«- Heureusement que la vie est longue et qu'il y a

plusieurs tours dans une partie de cartes... » (p.73) ; quandelle lui rappelle, plus tard dans le m êm e style, mais cettefois-ci pour opposer à la fertilité excessive de sacommunauté, une grossesse qui tarde à arriver pourl'Occiden tale qu'est sa belle-fille :« - Il y en a qui ne peuvent pas s'arrêter et il y en a qui nesavent pas commencer» (p.89),

ce sont la banalité du prêt-à-penser populaire et lesstéréotypes des idées conservatrices et archaïques quel'auteur montre du doigt en conviant au cœur de son textele parler naturel et la phraséologie simpliste de sonpersonnage.Plus loin, mais toujours dans une conversation avec sonfils où elle lui fait des recommandations alim entaires, la

m ère s'épanche dans le pur style sépharade :« - Ecoute, m on fils: achète plutôt des olives noires, alorslà : rien! Tu sales et tu manges! Tu sales et tu manges!Un don de Dieu, mon fils, un don de Dieu! » (p.116) :apostrophes, redondances, raccourcis syntaxiques,références à Dieu, rythme saccadé restituent toute lafrénésie verbale et toute la saveur propres au patois desJuifs du Maghreb et créent, par là, une diversion plaisantecon trastant avec l'atmosphère d 'ho stilité qui règne souvententre Marie et le m ilieu du narrateur.

Marie

Présentée par le narrateur lui-même comme une« F rançaise, d'A lsace, d'u ne fam ille catho lique et atten tiveà ses pratiques» (p.40), M arie M üller apparaît d 'abordcomme cette belle blonde discrète, aim able et délicate qui

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   à   0   5  :   2   8 assure à son am i de Paris un bonheur tranquille. Elle subit

cependant, au contact avec la fam ille de celui qui sera sonfutur époux et tout au long du roman, une lente et radicale

transformation.En effet, la femme «docile et souriante» (p.25) et qui« riait avec tendresse» (p.46) au début du rom an apparaîtprogressivem ent comme une solitaire en proie à l'ennui et« au calme sournois» (p.158). Le narrateur constate avecdésolation que, vivant à Tunis, M arie peine à s'y intégreret, « loin de s'adapter à ce m onde nouveau, il lui devenait

lentem ent insupportable» (p.48). M ême les qualités et lesattraits que les Occidentaux reconnaissent habituellementà la Méditerranée sont systématiquement rejetés et niés parelle, au grand dam de son époux qui découvre « seulem entavec regret que Marie était peu ouverte, plus m éfiante quela plupart des gens de passage» (p.67) et qu'elle n'aim aitni le couscous, ni la cuisine à l'huile d'olive, ni l'odeur du

jasm in qui « lui donn[ait] mal à la tête» (p.47), ni mêmela qualité de la lum ière du pays.Pire encore, son m alaise est provoqué par l'inadéquationavec l'ensemble d'une société dont elle ne cessed'observer « les fautes de goût, de langage, de maintien,de costume» (p.85), dont elle fustige la «voracité»(p.180) des consommateurs aux terrasses des cafés ainsi

que « le débraillé et la vulgarité de la foule» (p.18l)Si, à l'issue de la fête pascale, elle s'écrie: « Je ne peuxplus.. .je ne peux plus supporter ces soirées... » (p.53),c'est parce qu'elle considère les m embres de la fam ille deson mari comme des gens incultes, voire grossiers etvulgaires. Dans une des dernières scènes du rom an, on lavoit crier avec violence sa haine, certes accentuée par lacolère, du m ilieu de son conjoint: « Ce sont des sauvages!Je déteste leurs coutumes moyenâgeuses et leur religion deprim itifs! » (p.183)

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   à   0   5  :   2   8 Nous voyons comment l'intellectuelle du Nord,

rationaliste, réservée et non habituée à la viecommunautaire, appelée à partager sa relation de couple

avec une belle-famille pauvre, conservatrice et dont lespratiques superstitieuses et religieuses ponctuent lequotidien, réagit par l'exaspération, la colère et parfoism ême la surenchère verbale, créant entre son m ari et elleun fossé qui rend la communication de plus en plusdifficile: «[ . . .] essayant de m 'ouvrir à tous, note lenarrateur, je cessais de faire avec elle cette cellule unique

que nous form ions à Paris. » (p.55). Parce qu'elle refusede partager son époux avec la fam ille de celui-ci et se sentprivée « d'exister par elle-m ême» (p.97), m ais aussi parcequ'elle a quitté parents et am is sans réussir à se faireréellement adopter à Tunis par le m ilieu conservateurreligieux juif, elle se voit injustement et indignementrejetée par des personnes qui ne lui inspirent pourtant

qu'indifférence et m épris. Echouant à s'intégrer dans unmacrocosme dont tout l'éloigne: le tempérament, laculture, les préoccupations et l'idéologie, M arie tenterajusqu'au bout d'imposer l'autonomie de son couple et dele dégager de la chape, souvent archaïque et liberticide dela fam ille et de la société, sans parvenir toutefois à lesauver de la tourmen te.

Le narra teur

a) L 'époux de Marie

« Africain et m écréant» (p.40), « le jeune homme étourdiet impulsif» (p.40) partage à Paris où il poursuit sesétudes, un calme bonheur avec une étudiante «trèsblonde» (p.37), française d'A lsace aux allures graves etréfléchies et issue d'une famille catholique. Il forme un

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   à   0   5  :   2   8 couple heureux avec M arie dont il aimait « qu'elle fût si

différente des femmes de chez [lui], femmes-enfants aucharm e sans m ystère» (p.36). Le pressentim ent de leurs

différences, qu'il éprouve déjà en France, est balayé bienvite: «Ce dépaysement, ces inquiétudes fugitives nerésistaient pas à la tendre admiration que je lui portais, àl'ardeur généreuse aussi et à la vanité de m on âge» (p.3?),précise le narrateur qui, dans ce moment de sa vie, esttellement épris de la beauté de la jeune femme - et sansdoute un peu complexé par elle - qu'il ajoute: «je lui

étais reconnaissant de m on succès auprès d'elle» (p.38),allant jusqu'à avouer aux prem iers jours de son arrivéeavec elle, à Tunis, sa ville natale: « J'étais plein d'une joiesi légère qu'elle me donnait envie de danser» (p.45).M ême dans les moments les plus difficiles que le coupleaura à traverser, le narrateur ne désavouera jam ais que son« mariage n'a pas été un moment de [sa] vie, il lui a donné

son sens. » (p.l?l).En réalité, passée l'euphorie de la vie estudiantine à Paris,« période qui fut, confie le narrateur, la plus belle de notreunion» (p.44), c'est à de nouveaux problèmes etaffrontem ents qu'allait être confronté le couple dont lesdifférences mutuelles n'ont jusque là jamais constituéd'obstacle à leur entente et à la paix de leur m énage.

b) L 'enfant de la communauté

Contrairement à Marie qui a un nom dans le roman, lenarrateur n'en a pas, il est tout sim plem ent l' « enfant », le« fils », le «frère» de quelqu'un, désigné par rapport àson appartenance à une fam ille. A l'opposé de sa femmesolitaire et froide, c'est un m éditerranéen qui a besoin desautres et de la chaleur humaine et il ne lui déplaîtnullement d'être entouré des siens et de partager leurconvivialité à chaque retour dans sa ville natale. A u début

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   à   0   5  :   2   8 du roman, il évoque cet «enthousiasme collectif» (p.24)

où il plonge et ce plaisir qu'il éprouve à observerl'euphorie et l'émotion de sa fam ille l'accueillant à son

arrivée à Tun is.On le voit, dans plusieurs scènes du roman, communierspontaném ent avec sa ville et ses quartiers, ses parents etsa grande fam ille, ses voisins et ses anciennesconnaissances pour le plaisir simple de retrouver sesrepères et les petits bonheurs de l'enfance. Qu'importealors, pour le jeune homme moderne, libre et incroyant,

revenu de Paris, que les autres, que sa « tribu », soient sidifférents de lui, qu'ils n'aient pas les mêm es credo et lesm êmes idées! Q u'im porte, pour lui, qu'ils soient pauvres,analphabètes, superstitieux ou envahissants, du momentqu'ils l'entourent de leur amour et lui prodiguent leurchaleur et leur solidarité? Le narrateur n'avoue-t-il pas,réconcilié avec son passé, lors de la soirée fam iliale de

Pâques, qu'il se sent « envahi d'une émotion heureuse,celle du naufragé, fraîchement sauvé, qui découvre ungoût inconnu à la vie de tous les jours» (p.5!) ?M ais ce bonheur de se retrouver en retrouvant les siens estaussitôt modulé, interrogé par de multiples rem ises encause qui permettent au personnage de se jauger et dem ieux se situer par rapport à sa communauté, cars'abandonner à leurs festivités religieuses, n'implique t-ilpas l'abandon de ses exigences de rationalisme laïque etsupposé sans concession? La conscience d'une certainetrahison des principes fondateurs de sa personnalité et desa philosophie affleure ici et là dans le texte, révélant sanscesse un moi torturé, en proie au doute: «[ . . .] jamaiscependant, précise t-il, je ne m e suis senti aussi indulgentenvers les autres, jamais aussi dangereusement enversmoi-même» (p.5!).Refusant, cependant, de considérer son retour vers sesorigines comme un abandon et sa com plaisance envers les

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   à   0   5  :   2   8 siens comme une lâcheté, le narrateur s'explique en

justifiant le fait qu'il « [se] prête [H .] avec indulgence àquelques gestes et rites naguère refusés» (p.44) comme un

droit chèrem ent acquis grâce à la rupture radicale avec lesusages et les croyances de son milieu que constitue sonmariage avec une étrangère non juive, une faiblesseintellectu ellemen t tolérable, comparativ ement à cet acte d ecourage. Mais, même si, d 'avoir épousé Marie lui asemblé la meilleure preuve de son autonomie et le plusgrand rempart contre l'abdication devant les idéaux, le

narrateur découvre, désemparé, que la résistance àl'irrationnel et aux archaïsmes est en fait un combat detous les jours si on veut vraim ent être fidèle à ses principes.Cessant d'être, à l'image d'A lexandre Benillouche, unassoiffé de la révolte, le Juif tunisien d'Agar mûri parl'âge et l'expérience du séjour parisien, se heurte à sespropres rIgueurs.

Après avoir, par amour et nostalgie des siens, tenté de seconvaincre que les simples comprom is et concessions, quilui assurent le modus vivendi nécessaire à la paix desrapports familiaux, ne constituent en aucune façon unecapitulation, voilà que le narrateur vient à se persuader que,par ailleurs, «se différencier des opprimés» ne signifiepas «s'affranchir des siens» mais « aller contre les

préjugés» (p.I03), que prier avec le rabbin après lanaissance de son fils, n 'est peut-être qu'une lâcheté et«qu'il n'y a pas de lim ites aux abandons» (p.l 07).Faire plaisir aux parents apparaît, dans ce contexte,comme le «pavillon de tous les reculs, de tous lesabandons» (p.124) qui poussent à la soumission et à ladéfaite. Comme dans La Statue de Sel, la révolte se profilealors comme la condition dont dépend « l'évolution despeuples dépendants» (p.125); aussi, après avoir résistéaux intransigeances de sa femme, le narrateur décide-t-ilde faire front aux archaïsmes, au « carcan m illénaire»

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   à   0   5  :   2   8 (p.98) de sa communauté. Acculé « à dire non aux deux

parties, [se] mettant ainsi dans la nécessité d'unecapitulation vis-à-vis de l'une ou de l'autre» (p.99), il

constate, dans le déchirement: « [ ...] j'étais comme unéquilibriste avec son balancier que le moindre souffle d'airfaisait pencher dangereusem ent d'un côté ou de l'autre»(p.I02). «Condam né à hésiter au bord de l'abîm e» (p.56),le narrateur présentera jusqu'à la fin du roman ce doubleprofil qui le fera pencher tantôt, par indulgence etamabilité, pour les siens, tantôt par raison et par amour,

pour les positions de M arie. Cette obsession de l'équité etcette continuelle résistance à tout ce qui peut trahir larigueur des principes, le lecteu r l'ob servera chez l'écriv ainlui-m êm e encore en 2002, dans son Dictionna ire à l'usagedes incrédules où il avoue que la publication de son textelui permet aussi de « [s]' épargner[ ses] propres errements,complaisances et complicités», de «se contraindre à

raisonner, au lieu de céder à ses ém otions, à ses préjugés,et à la partialité de ses appartenances ethniques ounationales» (p.l 0).

Représentation des lieux de l'action: de Paris à

Tunis

Paris

Seul le chapitre 2 qui fonctionne comme un prélude décaléau roman, a pour scène de l'action Paris. La capitalefrançaise est en effet uniquement associée à la vieestudiantine et apparaît dans un cadre bien circonscrit:chambres d'hôtels, cité et restaurant universitaires. Dan s lamémoire du narrateur, elle est synonyme « d'esseulementet d'ennui» (p.34*), de froid, de faim et de maladie.

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   à   0   5  :   2   8 « Logement précaire, nourriture insuffisante, ciel

oppressant de brumes constantes» (p.34), «chambre oùdes glaçons germaient sur les vitres» (p.35) et

«l'incessante ronde des voitures» (p.37) sont autantd 'images qui résument les difficultés de la vie parisienne.La ville ne trouve grâce, aux yeux de l'étudiant exiléqu'après la rencontre de Marie qui vient « organiser» savie et lui offrir la simplicité d'un bonheur qui ne laissaitnullement présager des tourments dont l'avenir à Tunisétait g ros.

Tunis

Dans sa préface à la dernière et récente édition tunisiennede son roman Le Pharaon, Albert Memmi écrit:« J'airédigé une trentaine de livres: la Tunisie est présente dans

plus de la moitié, et dans presque toutes mes œuvres defiction et de poésie. Pourquoi? Je me suis souvent posé laquestion; c'est probablem ent que l'art, la littérature sontsurtout l'expression, allègre ou douloureuse, ou les deux,nostalgique en tout cas d'un paradis perdu, celui del'enfance, où le lien avec la m ère semblait indestructible.A insi l'enfance, largem ent rêvée au cours des ans, devientle terrain de la création artistique. » (C érès éditions, Tunis,2006).Quand Memmi rédige son roman, il vit à Tunis avec safemme après avoir quitté cette ville pour ses études àParis; aussi son récit et sa réflexion sur le couple m ixte etla relation au pays natal et au pays étranger ont-t-ils, d 'unemanière assez évidente, une assise autobiographique.Rappelons qu'en 2004, les nouvelles de Térésa et autresfemmes auront presque toutes pour cadre de l'action Pariset non plus, comme ici, Tunis.

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   à   0   5  :   2   8 L'originalité de la représentation du pays natal dans Agar

réside dans cette image que l'écrivain en donne et qui estconstamment enregistrée et décodée par un regard double

qui la jauge, dans une attitude tantôt d'adm iration, tantôtde rejet, selon deux perspectives sans cesse opposées etjamais conciliées: celle de Marie et celle du narrateur.En effet, en effectuant son retour en Tunisie, après avoirfini ses études, le narrateur tente de retrouver les lieux del'enfance dont il a été sevré, aussi son regard apparaît-ilsouvent comme attendri et comblé car empreint de

nostalgie, tandis que celui de M arie, l'universitaire duNord qui se voit parachutée dans un pays inconnu etastreinte à cohabiter avec sa belle-fam ille, dans un m ilieupauvre et analphabète, est plutôt hostile car émanant d'unepersonne solitaire et farouche, trop vite incommodée parles quartiers pauvres et la prom iscu ité des env ironnementsdéshérités et qui se voit soum ise brutalem ent à un m ode de

vie qui n'a rien d'intellectuellement valorisant ougratifiant. C 'est bien le sens de ces réflexions du narrateurs'accusant d'avoir m anqué de stratégie pour faire adopteret aimer son pays à sa femme: « Pourquoi ne me suis-jepas contenté, au moins pour un temps, du plus policé, dece qui nous était relativem ent commun? [...] Je fis subir àM arie le verre commun d'araki, la cuillère de confiture quicircule de bouche en bouche, les baisers qui sentaient lasueur et dont elle avait peine à cacher son dégoût, leslongs bavardages en patois, incompréhensibles pour elle,sans qu'elle osât se plaindre. Sous prétexte d'achats àeffectuer ou de curiosités à lui découvrir, je l'entraînaisdans d'interm inab les expéd ition s dans les ruelles sordides,le long des caniveaux où coulait l'eau bourbeuse. Je ne luiépargnais ni l'odeur des étals de viande ni celle des tasd'ordures; je la fis manger dans des tavernes où jen'aurais pas eu l'idée d'aller tout seul. » (pp.62-63).

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   à   0   5  :   2   8 Même si les retrouvailles du narrateur avec son pays ne

sont pas toujours objectivement sans m alaise, il sem bletoujours mettre son point d'honneur à prouver à son

épouse son « charm e difficilem ent récusable » (p.64). Duport de la Goulette et de la vieille cité maritim e, lieux où,enfant, il passait ses étés, il précise que M arie « aima lesbarques de pêche, le fort de Charles Quint, et le retour dela marée» mais il ajoute, refroidi et déçu: « Si la naturetrouva encore grâce, le bâtiment la fit s'exclamer:

- Oh, dommage! Pourquoi cette promenade en

ciment? Que c'est laid! Ne pouvait-on laisser le sable nu ?Devant le casino, elle s'in digna:

-Quelle vilaine verrue! » (p.65).S 'obstinant à faire avec sa femme les itinéraires et lesprom enades qu'adolescent, il faisait dans son quartier etvoulant lui faire découvrir les « lieux qu' [il] croyait fairepartie de [sa] vie» (p.46), il lui demande: « - E lle est bienjolie cette place, n 'est-ce pas? - Jolie? pittoresque plutôt,un peu. . .p rovincia le . » (p .48), rectifie -t-e lle .Parce que l'im age de la Tunisie est, chez le narrateur liée àson enfance et au cocon fam ilial, parce qu'elle est toujoursconvoquée par l'émotion, elle ne lui inspire jamais dedégoût ou de répulsion m êm e quand il s'agit de ses aspectsles moins attrayants qui ne sont d'ailleurs jamaisspontaném ent rem arqués par lui. Cette im age dont il tenteà chaque fois de faire découvrir les aspects positifs àM arie est difficilem ent dissociable de la sienne propre etc'est souvent ce qui explique son désarroi, sa déception etparfois sa colère devant les interventions dépréciatives ethostiles de sa femme concernant l'univers de ses racines:«Eh bien cette ville que tu déteste, c'est la m ienne,j'aurais voulu y vivre, ces gens que tu n'aim es pas, ce sontles m iens, j'en suis, lorsque tu les m éprises tu m e méprisesaussi. » (p.I82), lance t-il, un jour à Marie.

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   à   0   5  :   2   8 Outre ses paysages, la Tunisie apparaît aussi dans les

multiples évocations sensuelles im pliquant les parfum s,les couleurs, les sons et le goût. Moins que dans Le

M irliton du ciel mais assez souvent, les plaisirs de la table,même dans les milieux défavorisés, revêtent uneimportance majeure dans ces contrées méditerranéennes,ils sont le signe d'une vitalité et d'une convivialitéchaleureuse et festive suspectée et récusée aussi par Mariedans le roman.Le jour de son arrivée à Tunis, par exemple, le narrateur

est tout heureux de faire partager à sa femme la jouissancedes gâteaux tunisiens, « les pâtes d'amande, rouges, verteset blanches, les croquettes de pois chiches, les rubans depâte au m iel» (p.30) que l'auteur sem ble prendre plaisir àénumérer, tout en signalant le regard méfiant del'étrangère attendant plutôt le café au lait, traditionnelchez elle. Si le narrateur tient constamment à rallier sa

femme à ses goûts, lui vantant saveurs, parfums et tout cequi est communém ent adm is comme assurant une qualitéde vie enviable dans son pays, comme la fraîcheur desfruits, la cuisine à l'huile d'olive, le parfum des fleurs oula beauté de la lumière, c'est, de son propre aveu, que son« inquiétude avait besoin d'un don immédiat et sansréserve, d 'un e impossible identité» (p.67 ).Concernant l'une des attractions du pays, les fleurs dejasm in, le narrateur, toujours comme dans un effortd'auto-valorisation, s'attarde à évoquer l'originalité durituel délicat et artistique auquel s'adonne l'usager averti,pour m ieux les conserver: « Enfouies, comme dans unem ain, au creux d'une feuille de figuier, hum ectées d'eau,les petites fleurs blanches offraient avec constance leurexquise fraîcheur. » La suite du texte oppose à l'euphoriedu souvenir et de l'im age, la ferm eture et l'hostilité d'unrega rd au tre :

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   à   0   5  :   2   8 «Décidément, me dit-elle, je ne peux supporter cette

odeur, elle m e donne m al à la tête. Je m 'étonnai; j'avais sisouvent dorm i, les soirs de fête, du jasm in sur l'oreiller. »

(p.47).Dans Agar, l'image adulée de la Tunisie est ainsiconstamment m ise à la rude épreuve du regard im placableet présenté comme injuste, de l'autre, de la partenairetoujours engagée dans une dynam ique du conflit érigée enstratégie de préservation de soi et d'autodéfense dans ununivers é tranger.

La Tunisie de Memmi, loin d'être celle des cartes postaleset de l'exotism e de pacotille, est aussi la Tunisie profonde,celle du quotidien des autochtones. Le texte qui suit est laparfaite illustration d'une scène typique de la vie de tousles jours, saisie ici dans la divergence de deux regards etde deux états d 'esprit apposés dont l'exquise sobriété del'expression rend admirab lemen t compte:

«Les chaises et les tables des gargotes occupaient lestrottoirs sur plus d'un kilomètre. Sans répondre aux invitesbruyantes des restaurateurs je choisis avec soin une petitetable pas trop près des grils et des poêles, l'odeur deI'huile frite et de la viande pouvant indisposer m a femme.Un garçon se précipita aussitôt et donna un rapide coup detorchon envoyant par terre des m iettes de pain et des arêtes

de poisson. J'aimais beaucoup cet endroit et cette heure oùla nuit est si claire qu'elle éclipse les m illiers d'ampoulesdes gargotes, et le bagout joyeux des restaurateursm 'amusait. Je m e préparai à la fête.Sans rien dire, dissimulant à peine son dégoût, Marie roulala toile cirée qui recouvrait la table, puis soulevant sonverre avec deux doigts, le scruta avec méfiance. Jeregardai la table et retirai mes coudes; c'était vrai, je lesavais posés sur des traînées d'eau huileuse. Je n'avaisjamais, jusqu'ici, pris garde aux verres brumeux, auxtoiles curées qui perdaient leur colle, et aux reliefs des

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   à   0   5  :   2   8 repas des autres. Elle avait raison; m ais voici de nouveau

ce sentiment de distance envers les choses et les gens demon enfance. Me voici de nouveau au spectacle,

l'innocence de la fête était dissipée. » (p.66). Il est clairque la présence de Marie et le regard distancié qu'elle jettesur l'univers du pays natal de son mari, met celui-ci endem eure, m algré lui, de voir les défauts, les fissures et lestares de cet univers, ce qu'il répugne manifestement à faireet que cette contrainte, que sa raison accepte comme unfait incontestable, crée en lui un sentim ent de frustration et

de révolte qui se m ue en violence sourde à l'égard de cellequi est responsable de la brisure du rêve et de l'éclatem entdu cocon. D ans l'extrait précédent, Marie apparaît, quant àelle, encore une fois comme le trouble-fête prompt àtoujours jouer du revers de la médaille pour prévenir, enbonne cartésienne et avec rigidité contre les transports ducœur et les prédilections des émotions. Au-delà du

problèm e du couple mixte, ce que le lecteur dégage de cesconstats, c'est que l'image de la Tunisie, quel que soit lepassage où elle est évoquée, est toujours imprégnée d'unaffect qui la module et que ce qu'on présente comme unbeau pays est un pays que l'on adopte ou que l'on aimedéjà, que l'on voit avec les yeux d'un avant parce qu'onpartage avec lui une histoire et un passé communs: «[...]

j'étais heureux de retrouver le calme des soirs d'été, cesbruits humains alanguis et fam iliers. », avoue le narrateurpour qui les « hurlem ents» des m archands de brioche sousles fenêtres «dès six heures du matin, suivis par lesmarchands de beignets au m iel, puis par les marchandsd'artichauts, de vieux habits, de pétrole» (p.70) quiincommodent M arie à Tunis, ont l'effet d'une berceuse enregard des « trépidations des m oteurs parisiens, [et des]rythmes harassants des machines jusque dans le sommeil»(p.33).

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   à   0   5  :   2   8

Le couple confronté à la communauté

Depuis La Statue de Sel, la question des antagonism esopposant les diverses communautés et des rapportsconflictuels de l'individu avec son m ilieu d'origine ou lesautres m ilieux qu'il côtoie et affronte, ne cesse destructurer l' œuvre de Memmi. Dans Agar, cetteproblém atique apparaît à la source des conflits au sein du

couple, d 'une manière bien spécifique. Une analysesociologique de ce roman pourrait éclairer les raisons d'unconflit qui bouleverse la vie d'un couple qu'au départ toutprédestinait à l'entente, à la cohésion et au bonheur maisqui, finalement, n'arrive pas à trouver l'équilibre et la paixmalgré l'amour et l'adhésion aux mêmes valeurs.Ne considérant pas la mixité même du couple comme unfacteur essentiel de son échec, notre analyse tentera demontrer que ce n'est pas parce que Marie, c'est le Nord etle narrateur, c'est le Sud que les hostilités s'installent entreeux: les deux protagonistes du roman sont, malgré leursorigines si différentes et si éloignées, en osmose parfaite;une complicité éthique, idéologique et amoureuse lessoude et aurait pu constituer un défi à la prétendue fatalitéde la m ésentente et de l'étiolem ent du couple m ixte. DansAgar, en effet, une réelle communion et une transparenceparticulière rapprochent le couple malgré les problèmes etles heurts qui les opposent.Ce qui vient gâcher cette sérénité, ce sont en fait deuxtempéramen ts et deux attitudes oppo sés devan t l'adversité

qui se dresse, m ême si c'est à des degrés différents, aussibien devant Marie que devant le narrateur. Face à ce quidérange et embarrasse, ce qui déplaît et irrite, deuxréactions se manifestent: l'une rigide, cassante, quiconsiste à refuser nettement et catégoriquement ce qui

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   à   0   5  :   2   8 s'oppose aux choix réfléchis et tranchés, aux préférences

et à la liberté personnelles, et l'autre, plus tim orée, plussoucieuse du relationnel, moins franche, qui consiste à

contourner les choses, à arrondir les angles, à ferm er lesyeux et même à accepter les compromis, voire lescom prom issions et cela sans conviction profonde, pouréviter la crise et la rupture avec ceux qu'on aime et quinous aiment et dont pourtant un monde de convictionsnous sépare.Ces deux attitudes correspondraient-elles d'une part à

celle de l'homme du Nord, prétendu rigoriste, rationnel,sans états d'âme et d'autre part à celle du méditerranéenou du Juif sépharade, plus émotif, qui compose et sedérobe, qui ne choque ni ne heurte et qui essaie toujoursde ménager une place à la paix familiale? Il nous sembleque non. Le fossé qui sépare M arie et le narrateur du modede vie de la fam ille de ce dernier est le même, sauf que

Marie n'a aucune raison de se plier d'une manière oud'une autre à des rituels auxquels elle n'adhère pas et queson époux, pour des raisons d'aménité, d'équité et dereconnaissance à une famille qui l'adule et le couve, sevoit moralement obligé de faire un geste qui réconfortecette fam ille et d 'accepter de jouer une espèce de com édiechaque fois qu'il lui semble que cela ne bouscule pasl'essentiel et qu'il ne s'agit que de petites concessions desurface. Il semble en fait que ce n'est pas tant le culturelqui sépare Marie du narrateur que le caractère et lescirconstances. Les faiblesses du personnage tunisiendevant les siens ne sont pas sans lien avec l'affection qu'ila pour eux mais aussi avec la pitié ressentie à leur égardpar leurs souffrances de gens pauvres. L 'hésitation devantle rejet de leurs coutumes prend, dans ces conditions,l'allure d'un refus de ce qu'ils pourraient considérercomme une attitude de mépris et d'h um iliatio n.

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   à   0   5  :   2   8 En fait, dans une société du Nord, rien ne justifierait des

concessions à une fam ille qui, par sa manière de vivre,prend très tôt ses distances vis-à-vis de sa progéniture,

revendique son autonomie et la sienne et appelle de sesvœux un sevrage affectif et économ ique. Dans celle que lenarrateur met en scène dans Agar, la situation de« dépendance» dans laquelle se trouve l'individu exige,comme natu rellemen t, «un donné et un rendu », pouremprunter une terminologie memmienne.Si le couple n'a donc pas été épargné par des

éclaboussures qui, somme toute, lui sont tout à faitextérieurs, ce n'est pas tant à cause de sa m ixité qu'à causede sa trop grande proximité avec le groupe que,prov isoiremen t, sa situation économique et les événementslui ont im posé. La pauvreté et l'ignorance de la fam ille dunarrateur ont, bien entendu, creusé encore le fossé quisépare celle-ci du jeune coup le d 'in tellectuels incroyan ts.

Rappelons que la conception même du couple, dans lacommunauté juive, est à l'origine d'un malentenduinextricable qui constitue, pour l'époux de Marie pourainsi dire pris en otage, un véritable étau. Dans cettesociété orientale de l'époque, en effet, le couple étaitrarement considéré comme un duo autonome mais neconstituait qu'une branche de la famille la plus proche etla plus large. Dans ces m ilieux patriarcaux, bien avantd'être un mari, l'homme est avant tout un fils, un père, unfrère. Il appartient à un clan auquel l'épouse (venued'ailleurs, comme dans Agar) peut rester étrangère. En fait,une fois mariée, la femme s'allie à une nouvellecommunauté qui peut l'adopter mais qui lui refuse leprem ier rôle auprès de son époux. Si on attend d'ellequ'elle fusionne avec l'ensemble des membres de lagrande famille, c'est que l'intim ité du couple estnaturellem ent, dans ces m ilieux-là, une intim ité élargie,ouverte, qu'elle se partage avec le groupe des proches

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   à   0   5  :   2   8 pour qui même la demeure de chacun par exemple, n 'est

qu'un espace commun à la famille, un lieu d'accueil oùses membres viennent non comme des hôtes mais comme

les maîtres des lieux. C 'est ce qui, dans Agar, agacel'héroïne qui lance à son époux en désignant sa mère: « Etpour cela, a-t-elle besoin de dire: «Notre maison, notrejardin» ?ce qu'elle est envahissante!» (p.114). Cettenotion d'envahissement est souvent ignorée dans lessociétés traditionnelles où le bonheur se partage àp lu sieu rs et l'en thousiasme est p resque toujours co llectif.

L a complicité interfam iliale est, dans ces conditions, telleque toute affaire concernant le couple et les enfantsconcerne au prem ier chef sa fam ille et le mariage deI'homme ne l'empêche pas de continuer à être assisté etprotégé par des parents qui continuent à intervenir dansses décisions, sans nulle im pression de s'immiscer dansses affaires privées. C 'est du moins ce qui explique cette

précision du narrateur dans Agar: « Alors, enfin, m a m èrepassait à l'essentiel, qui ne regardait que nous, àl'exclusion de Marie. Baissant la voix, créant unecomplicité qui me mettait aussitôt mal à l'aise, elle medemandait des nouvelles de notre affaire: qu'avais-jedécidé pour la circoncision? » (p.ll?).A insi de la solidarité au droit de regard sur la vie privée etde l'am our m aternel au pouvoir m atriarcal, le pas est vitefranchi et les barrières de l'intim ité du couple sans cessereculées. C 'est en tout cas ce qui explique cette discussionentre Marie et le narrateur à qui elle déclare:« [...] ici tu es absent, tu es repris par ta famille. . .tu ne m eparles même plus [...]

Voyons! rétorque le m ari, nous somm es toujoursensemble!

Ensemble avec les autres! [. . .] essayant dem 'ouvrir à tous, commente le narrateur, je cessai de faire

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   à   0   5  :   2   8 avec elle cette cellule unique que nous form ions à Paris»

(pp.54, 55).La précision à Paris est de taille car, il est clair que ce qui

installe le couple dans la crise, ce n'est pas sa m ixité, c'estle théâtre où il évolue. La fêlure qui le menace n'est passtructurelle, elle est circonstancielle, liée à une immersiondans un environnement socioculturel dont il ne partage pasles valeurs .A lors que pour M arie, aimer c'est aimer seule un hommeseul, aim er, pour la communauté où elle vit, c'est partager

avec tous, c'est ouvrir le cercle fam ilial au maximum.A lors que l'épouse cherche le bonheur dans une intim itéétroite, retranchée, dégagée des relations extérieures etfondée sur la discrétion et l'isolem ent pour une m eilleurecommunication à deux, la communauté juive du romanassocie le bonheur aux grandes retrouvailles, à lareconstitution du groupe, aux manifestations tapageuses et

collectives: des youyous aux portes laissées grandesouvertes lors des fêtes, aux embrassades et jusqu'à la radioallum ée pour la circonstance au volum e maxim al du son,comme pour mieux accentuer l'ambiance de liesse, rienn'est épargné pour que le plaisir soit celui de lacommunion avec la multitude. On retrouve ce sens ducontact personnalisé même dans les échangescommerciaux qui dans ces temps jadis étaient basés sur lesinterpellations bruyantes et directes du client. Leshurlements à six heures du matin des marchandsambulants de brioches, de beignets ou de vieux habits,évoqués par M arie dans le roman, ne pouvaient donc être,aux yeux des autochtones de l'époque, la m anifestationd'un égoïsme ou d'une impolitesse quelconques mais lesignalement fam ilier du rituel cyclique des activitéscommerc ia les j oumaliè res.Dans Agar, c'est enfin parce que le couple, arrivé trop tôtdans un monde trop vieux, est au départ très soudé, qu'on

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   à   0   5  :   2   8 voit l'un obliger l'autre «à vivre au sommet de [lui]-

m êm e» (p.77), le contraindre à se battre sans cesse contrece que M emmi appelle « les retards », à assum er tout haut,

non sans affronter les désenchantem ents de son m ilieu, saliberté. En somme, c'est le couple qui est plutôt ensituation d'inadéquation avec le m ilieu qui l'accueille etnon l'un de ses deux constituants, le personnage fém ininjouant souvent, dans le rom an, le rôle d'une espèce d'alterego jugeant sans cesse le moi, le soumettant à la rudeépreuve de devoir abattre ses cartes, assumer des choix

clairs afin de cesser d e jouer à l'équ ilibriste.

L'écriture

La narra tion

Memmi écrit son roman comme un conteur qui raconteune histoire, son histoire propre. Son récit à la premièrepersonne est sim ple, sa narration linéaire et presque tousles événements obéissent à un ordre chronologique. O n estencore loin du récit enchevêtré et com plexe du Scorpion,loin de ses effets de m ise en abyme, ou de son écriturepalimpseste et comme en surimpression. Ici, le récit estfluide, clair et ém aillé de commentaires analytiques et dediscours directs faisant une place non négligeable auxdiverses conversations des protagonistes. Ces m ises enscène réalistes des personnages par le biais de leursdialogues rompent en permanence le récit pour m ieuxl'actualiser, elles l'anim ent et le pim entent à chaque foisque les échanges entre les interlocuteurs sont houleux.Notons que les conversations, même si elles sontfréquentes, ne prennent pas des proportions trèsimportantes et que les répliques des uns et des autres,

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   à   0   5  :   2   8 souven t rap ides, sont toujours relayées par les monologues

intérieurs, les réflexions et les m ises au point du narrateur.L oin d'être un récit dépouillé, m inimaliste et qui s'astreint

à tracer le déroulement objectif des événements, l'histoired'Agar est riche de détails, de méditations introspectivesdu narrateur, de parenthèses inform atives, de retours sursoi et de réflexions sur le comportement des autres. D epuisLa Statue de Sel jusqu'au Pharaon, Memmi ne s'est, eneffet, jamais engagé dans la voie de ce qu'on a appellé lenouveau roman et, m is à part les innovations techniques

du récit dans Le Scorpion, il a toujours opté pour desnarrations linéaires, chronologiques dans le pur styleréaliste et dégagées de toute inspiration moderniste, àl'opposé de récits pourtant contemporains comme LesGommes (1953) et Le Voyeur (1955) d'A lain Robbe-Grillet ou La Modification (1957) de M ichel Butor.S 'il devait être situé dans le cadre d'une génération

d'écrivains, c'est dans celle de Mouloud Feraoun, deM oham ed Dib, M ouloud M amm eri ou Driss Chraïbi qu'ilfaudrait le situer et ce, en raison de ses choix narratifs etde ses options thématiques. En effet, si on considère LeFils du pauvre (1950) ou La Terre et le Sang (1953), LaGrande Maison (1952) ou L'Incendie (1954), La Collineoubliée (1952), Le Passé simple (1954) ou Les Boucs

(1955), on constate bien des parentés avec l'universromanesque memmien. Les contextes géographiques ethistoriques sont assez semblables et l'expression desmalaises culturels mais aussi économiques et sociauxrépercute les m êmes échos. Sur le plan form el, ces textesfondateurs qui ouvrent la voie du roman maghrébinfrancophone s'inscrivent dans la tradition d'une écritureclassique et qui n'a pas opté encore pour le récit brouillé,lacunaire et am bivalent ou l'onirism e et l'herm étism e deNedjma (1956) de Kateb Yacine, par exemple.

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   à   0   5  :   2   8

Le style

Si l'écriture de Memmi peut sembler parfois plutôtsoutenue, comme dans son recours systém atique au passésim ple dans le récit, elle n'opte jam ais pour les tournuressavantes et le style livresque comme chez certainsécrivains francophones pour qui le français est plus unelangue d'école que le signe de l'immersion totale dans une

culture. M emmi ne se propose pas non plus, comme l'ontfait les poètes de la négritude, de subvertir la langue duco lonisateu r, en la soume ttan t o sten tato iremen t à l'ép reuvedes écarts syntax iques, morpho logiques ou lex icaux.Dans Agar, au contraire, la syntaxe des phrases, le plussouvent courtes et simples donne lieu à un texte aéré et àla lisibilité facile, sans mots rares ni néologismes. Peu

imagée, l'écriture a quelquefois recours à descom paraisons inspirées des réalités locales comme danscette évocation des filles chassées par I 'heure tardive«l'une après l'autre comme des hirondelles» (p.47) oucelle des «grappes d'enfants» (p.28) souvent pendus àleur mère et plus encore celle de la sœur «jolie commeune dragée de baptêm e» (p.48), comme nous le rappelle ladouceur p arfumée et colorée du pato is tunisien.Le souci du détail réaliste, la fréquence du discours directet les commentaires explicatifs constants du narrateurcampent des scènes vivantes, voire fébriles dans un décorautochtone spécifique. Les xénism es comme halqoum,guisada, rouh-el-bey, désignant des confiseries locales, leverre d'araki et la gargoulette font entrer le lecteur deplain-pied dans la sensualité du vécu sépharade et lesexpressions de politesse traduites de l'arabe et quiponctuent les conversations, imprègnent le texte memmiende cette hybridité culturelle et linguistique qui le génère. A

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   à   0   5  :   2   8 travers le sceau de son oralité, la langue affiche sa m arque

de fabrique, laisse affleurer l'ancrage d'une société dansun fatalisme quasi endogène perceptible jusque dans ses

réflexes quotidiens, jusque dans ses tics langagiers: « QueDieu t'éclaire!» (p.29), «Que Dieu vous la laisse! »(p.60), « Que Dieu lui fasse une longue vie! » (p.117). Lestyle m im étique, en reflétant l'esprit d'une communauté,fait de l'écriture le m iroir que l'écrivain prom ène commepour m ieux la voir et la révéler.

Axes de lecture

Chapitre premier

Ce chapitre d'ouverture relate l'arrivée du couple m ixte en

Tunisie, son débarquement au port de La Goulette et sonin stallation dans la demeure parentale du mari.N otons que récit et discours sont entièrement focalisés surle regard de l'autre, d'où la présence, au début du texte, decette interrogation prim ordiale autour de laquelle tout lechapitre semble organisé: « Comment allait-elle juger lesm iens ?si différents d'elle par les mœurs, la religion, lalangue...» (p.23). Le jeu sur les regards, sur leursinterférences et leurs oppositions dote le passage d'unintérêt dramatique qui annonce d'ores et déjà bien despéripéties à ven ir.La succession régulièrement croisée des pronomspersonnels (je/elle) ou du pronom de la prem ière personneet du nom propre Ge/Marie) engage le roman sur unebipolarité significative.

- Le narrateur: le retour au pays natal:- Anxiété , inquié tude.

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   à   0   5  :   2   8 - Excita tion , enthousiasme, entra in .

- Émotion, bonheur.- C omplicité avec les siens: le recours spontané au patois

- Embarras devant M arie, peur de déchoir à ses yeux.- Marie confrontée à un nouveaumonde:- « Sourire un peu immobile ».- Méfiance, elle ne partage pas lesl'assistance.- S en timent d'être envahie, embarras.

-Froideur.- Sursaut de surp rise.- Silence et pleurs.

gâteaux avec

L 'accueil fam ilial du coup le:- Exubérance.- Tapage et précipitation (voir lexique employé:

« criant », « hurla », « brouhaha », « rem ue-m énage »).Fête et générosité: «explosion de youyous »,

«frénétiques youyous », ripailles (gâteaux, lim onades,bière, « bouches en mouvement»), habits de cérémonie.- Spontané ité , expansiv ité .- Curiosité et fierté: la blonde venue du Nord et l'enfantdu pays, diplômé de médecine, sont l'objet de l'adm irationde tous.- Des visiteurs en m asse: parents, am is, voisins, enfantsaccourent, s 'entassent.- Le sens de l'hospitalité et du dévouement fam ilial:aménager une salle d'eau pour le couple et lui céder lachambre à coucher p arentale.- La manifestation inconsciente d'une forme de complexed'infériorité.

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   à   0   5  :   2   8 D'autre s centre s d 'in té rê t:

- Le personnage de la mère: dévouement et présence, leprototype de la mère sépharade.

- Le personnage du père: autorité, émotivité maisdiscrétion.- L es femmes: fébrilité, indiscrétion, goût vestim entairetapageur.- Le malaise de Marie: divergence de cultures,discordance de classe ou d ifférence de tempéramen t?

Chapitre dern ier

Les facettes d'une dissension sans merci:

Marie: la radicalisation d'un personnage:a) La révolte contre sa condition, « contre la grossesse et

les servitudes naturelles de la femme» (p.176). H um iliéepar l'enfant à naître dont le père ne veut pas, elle qualifieson état d' « abj ect ».

b) Le rejet radical et sans fard du pays de son conjoint:elle trouve les spectateurs du cinéma « m al éduqués », lesconsomm ateurs aux terrasses des cafés «voraces », «lesen fan ts in supportab les, cap ricieux » , la foule « déb raillée»et «vulgaire », les gens de la famille de son époux« incultes» et «grossiers»; ils sont, à ses yeux, «dessauvages» aux «coutumes moyenâgeuses ». «Je n'aimepas ces gens et je déteste cette ville! Je ne m 'y feraijamais! jamais! », (p.182) conclut-elle.

Le naufrage d'un couple:a) S ilen ces et emmurement:« Mais elle évita la discussion» (p.178). «Alors je [...]restais, également prisonnier de sa solitude », «Je ne

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   à   0   5  :   2   8 répondais pas et allais dans ma chambre », «(...) dans

cette zone de silence à l'air rare », «je ne la vois plus»(p.179). «L'affrontement de nos deux silences », «mon

propre isolem ent qui l'emmure », « Silence; où se préparel'allure de notre bataille» (p.180). « E lle écoute, débordée,elle ne sait que répondre» (p.181). «(...) nous n'avionsrien à nous dire», «( . . .) elle se m it à pleurerabondamment, en silence» (p.187 ).

b) V io lence verb ale et physique:

L 'abandon de son tem pérament discret révèle que M arieest à bout de nerfs:« A mon effarement elle se m it à se confesser en public»(p.175). « Cette hargne était chez elle si insolite que tout lemonde nous regardait avec attention» (p.176). E xplosionset escalades verbales répétées, insultes, m enaces, gifle:« [...] pour la prem ière fois de notre vie commune nous

avon s u tilisé la v iolence» (p.184).

L 'écritu re de la souffrance:

a) Les im ages d'une impossible vie commune:Dans ce chapitre, en particulier, le style de Memmidevient très imagé. Les métaphores utilisées rendentcompte plus concrètement d'une crise douloureuse etcom plexe et d'un désespoir si vivace que l'écriture tentede l'évacuer à la fois dans la distance, la force et lafamilia rité de la représenta tion .Nous dégagerons d'abord la prédom inance des im ages seréférant à une nature au relief hostile et vertigineux, «lapente trop raide» (p.176), le « tunnel obscur» (p.177) etla « constante érosion» (p.181) ; m ais aussi au clim at rude,« ouragan nerveux» et tumulte qui «gronde» (p. 179),relief et clim at qui rendent com pte de la puissance d'une

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   à   0   5  :   2   8 agressivité inévitable et comme inscrite dans l'ordre des

choses.Dans sa tentative de décrypter la dérive du couple,

l'écrivain sollicite souvent l'univers m arin comm e dansson choix du paysage lacustre comme décor de laséparation évoquant le calme plat et la destruction mentalesuccédant à un épisode houleux de la vie. : «Mais il mesem blait [...] que j'étais de passage au bord d'un lac avecune inconnue; je ne savais plus d'où je venais, où j'iraisaprès et qui était cette femme» (p.189), ou dans l'annonce

d'une séparation incarnée dans une métaphore marine filée,pressentant le naufrage imminent: «Nous gagnions lem ême lit m ais pour un em barquem ent sur deux vaisseauxdifférents» (p. 179). «Nous avions, je crois, touché lefond.» (p .187).L 'agressivité de l'anim al m arin est aussi convoquée pourdire la frayeur qui s'em pare de celui qui com bat une im age

qui l'étouffe: la sienne propre, à lui renvoyée par sacompagne: « [...] cette image de moi-même, qu'elle meprésentait et où je me reconnaissais, ce masque quim 'enserrait la figure comme une pieuvre. »(p.189).D ans la description de la souffrance du couple, les im agesaquatiques sem blent accentuer l'aspect physique, quasibiologique du drame: « Elle baigne dans l'angoisse et ma

pitié reflue» (p.180), observe le narrateur, cam pé devantMarie.L 'image du quotidien de la souffrance qu'on «pétrit»comme un pain jusqu'à ce qu'elle « lève» (p.181), qu'elledéborde, annonce le « cauchemar» (p.184) traduit par lamétaphore filée d'une« bataille »(p.180), d'une guerre desnerfs, stricto sensu , avec ses «cartouches» (p.174), ses« tirs» et ses «démolitions» (p.181), d'où le narrateursort définitivement mutilé (<<Ma is, aurait-elle disparu , jesaurais toujours, m oi, ce que j'étais devenu: un infirm e»(p.189) et dont les rebondissem ents ne sont plus que « des

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   à   0   5  :   2   8 détails, mais ceux d'une agonie» (p.179). La mort n'est

d 'ailleurs pas que métaphorique puisque l'effort decontrôle de soi que fait le narrateur contrebalance à

proprement parler une envie de meurtre.

b) Expression de l'émotion et gestion de l'espace:- L'évocation de «l'ouragan nerveux» (p.179), dans lesdernières pages du rom an est constamment associée auxmouvements du couple dont les déplacements dansl'espace deviennent autant d 'indices de la crise qui le

secoue: sorties en ville, longues m arches à l'extérieur dela villa, passage d'une pièce à l'autre, isolement dans lasalle de bains, retranchement au bureau tracent le parcourstourmenté des personnages en conflit.- L 'aspect désordonné, voire chaotique de l'itinéraire de ladernière sortie du couple en voiture souligne lessoubresauts des colères et des apaisem ents, l'alternance

d'une nervosité débridée et d'un calm e forcé: le cap sur lecentre ville, la ronde nerveuse qui parcourt les mêmes ruesau moment de la crise de nerfs de M arie, l'évitement desartères passan tes, la recherche des quartiers peu fréquentéspour éviter la confusion et le scandale, le passage au borddu lac, l'arrêt, le redémarrage, le freinage brusque et enfinla séparation et les départs solitaires dans deux directiondifférentes.L 'exiguïté de l'intérieur de la voiture rapprocheconcrètement ce couple déjà séparé, accentuant parcontraste son clivage. La nécessité de garder son calm e enconduisant pour éviter l'accident met au supplice leconducteur emporté par la colère et la haine m ais résolu endéfinitive à m aîtriser ses nerfs; l'explosion de la crise aucentre-ville et son délitement dans l'espace ouvert au borddu lac dessine symboliquement le divorce à venir et ledépart de Marie en France. Cet espace ouvert souligne

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   à   0   5  :   2   8 aussi la solitude du couple et met l'accent sur une

proxim ité précaire vouée à la disparition .

c) Explosions verbales et paro le au compte-gou tte.Les déchaînements verbaux:

Ampleu r des accu sations directes et appuyées.Hystérie.Violence.

Ces excès alternent et contrastent avec les apaisementssournois des précaire s accalmies:

Échanges m inimaux avec «les quelques motsnécessaires» (p .186 ) à la conversation.

Éclats et bribes de m ots: « Lâche» (p.189).Figement de la parole: « [...] nous n'avions rien à

nous dire.» (p.187); «[. . .] elle évita la discussion»(p.178); «L'affrontement de nos deux silences [...]»(p.180).

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JUGEMENTS PORTÉS SUR L'ŒUVREÀ SA PARUTION

«Un livre de premier plan [...] R igoureux comme unedémonstration mathématique, impitoyable comme uneautopsie. .. »

André Wurmser (Les Lettres françaises)

« Voici un roman remarquable, à mon sentiment, écritdans un style sobre et classique.. .Le choix des détails, lapeinture des personnages, la découverte et la progressiondes sentiments, tout est exprimé avec un tact et une

mesure qui donne au récit une profonde résonancehumaine. »

Gérard B auer, Président du prix Goncourt

« Comme je vous com plimente sur Agar que je n'ai lu -le

rouge de la honte me couvre le visage! - qu'à Paris. Il y abien sûr les valeurs humaines de votre roman, mais nousqui sommes de ce côté de l'eau, comme chacun de vosmots trouve de résonance en nous (en m oi en tout cas). »

Lettre manuscrite de Mouloud Mammeri à A lbert Memm i,A lger, 20 janvier 1956, A rchives d'A lbert Memm i

«Pourquoi Agar est-il un beau livre? Si la critiquelittéraire m 'intéressait encore, je ferais l'éloge, m on cheram i, de votre langue si dépouillée et précise, de cet œilaigu qui vous fait élire le petit détail suggestif, longuement

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   à   0   5  :   2   8 résonnant, de ce ton contenu et faussem ent froid dont vous

ne vous départez point tout le long de votre récit [...] Etc'est parce que votre livre se place au centre du problème

prem ier que nous avons à résoudre, qui est de rétablir, ouplutôt d'établir les conditions de la communication réelledes hommes entre eux, qu'on ne peut assister au conflit devotre héros et de sa femme comme si cela se passait del'autre côté d'une glace épaisse [...] C 'est notre affaire enpetit, comme c'est notre affaire en grand, que cesse et serésolve le drame qui déchire et divise les peuples de

France et du M aghreb [...] Votre livre est beau comme uncri étouffé. Il nous touche comme nous touche toutesouffrance vraie. »

Lettre de Claude Roy à A lbert M emmi, Paris, 1955.

M emmi parle de son rom an:

« [...] c'est dans mon deuxième roman, Agar, que setrouve peut-être la clef de m on existence actuelle. Deuxmois après avoir quitté Tunis et mon quartier, qui meparaît aujourd'hui un simple rêve d'une vie antérieure,j'épousais une fille blonde aux yeux bleus, catholique del'Est de la France, de cette France qui ressemble si fort à

l'A llemagne. U n autre rêve étrange, que je n'aurais jamaispu m êm e concevoir... J'ai conté tout cela dans Agar: le sdifficultés du mariage mixte, le choc de deux cultures àl'intérieur du couple, les déchirements qui en résultentpour les époux, jusqu'au délire et à la catastrophe. M ais,en vérité, cette aventure fut-elle à l'origine de ce qui suivitou son sym bole prém onitoire? »

Souffles, numéro 6, deuxième trimestre 1967.

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BmLIOGRAPHIE CRITIQUE

Études portant sur l'œuvre d'A lbert Memmi

Albert M emmi, prophète de la décolonisation, SEPEGInte rnational, 1993.Cahiers d'études maghrébines, Les Séfarades, de lafemme biblique aux figures m aternelles d'Albert Cohen etd 'A lbert Memmi, Cologne, vol.1 0, 1997, cf. aussi le vol.19de 2004, dossier A lbert Memm i.C . Deschamp-Leroux , Figures de la dépendance, autour

d 'A lbert Memmi, PUF, 1991.Guy Dugas, Albert Memmi, Écrivain de la déchirure,Naaman, 1984.Guy Dugas, Bibliographie de la littérature judéo-maghrébine d'expression française (1896-1990), P aris,1992, L 'H armattan, coIl. É tudes littéraires maghrébines,n02.

Guy Dugas, Du malheur d'être Juif au bonheur sépharade,Editions du Nadir, 2001.Majid El Roussi, Albert M emmi, l'aveu, le plaidoyer,Bulzoni Editore, 2004.J. H ayat, "L es romans autobiographiques d'A lbert Memmi:le réel et son double", Revue des études juives, vol.1S7,nol-2 ,1998, pp.213-223 .

Lire Albert Memmi: déracinement, exil, identité, p.p.C .S itbon , D .Mendelson, D .Ohana, Factuelles, 2002.L ittérature maghrébine d'expression française, sous ladirection de Charles Bonn, Najet Khadda et Abdallah

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   à   0   5  :   2   8 Alaoui ( cf. la 3èmepartie sur la littérature tunisienne et le

chapitre 24 sur A lbert M emmi), ED ICEF-AUPELF, 1996.Afifa Marzouki, «Orient et Occident dans l' œuvre

d'A lbert Memmi », Rome, Bulzoni,1997.Afifa M arzouki, «La Tunisie dans Le Mirliton du ciel »,(in) La Tunisie dans la littérature tunisienne, actes ducolloque de la Faculté des lettres de M anouba, avril 1998,l'O r du Temps, Tunis, 2001.Regards sur la littérature tunisienne, textes réunis parMajid El Houssi, Mansour Mhenni et Sergio Zoppi ( cf.

l'étude deJ.Strike, A lbert Memmi, Autobiographie et Autographie.,L'Harmattan,2003.J. Strike, "Albert M emmi : du roman à l'essai, d'Agar auPortrait du colonisé", French studies in Southern A frica,no 24, 1995,pp.42-55.M . Robequain, Albert Memmi, Arts et Lettres de France,

1991Tra-jectoires, revue littéraire de l'Association desConservateurs littéraires, n03, Paris, 2006, voir dossierspécial A lbert Memmi, textes et documents réunis parA fifa Marzouki et Amaury Nauroy.Isaac Y étiv, Le thème de l'aliénation dans le romanmaghrébin d'expression française de 1952 à 1956,

Sherbrooke, CELEF, 1972.

É tudes portant sur Agar

Albert M emmi, Écrivain et sociologue, actes du colloquede Paris X Nanterre, mai 1988, textes réunis par Jean-Yves Guérin, L 'Harmattan, 1990. ( Cf. «Agar, un essaisa rtrien de dévoilement»).

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   à   0   5  :   2   8 Journée scientifique Albert M emmi, textes réunis par

Samir Marzouki, Publication de l'ENS de Tunis, 1999.(Voir étude de Afifa Marzouki, «Agar ou l'intim ité à

l'épreuve de l'O rient ».

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APPENDICE

Rites, us et coutumes judaïques dans Agar

D'après la loi hébraïque, est juive toute personne née demère juive ou bien convertie au judaïsme.A la tête de chaque communauté locale se trouve unrabbin, spécialiste de la loi juive. Le mot vient del'araméen« rabbi », signifiant mon maître.Le rabbin est chargé de faire appliquer les lois religieusesjuives. Il préside les offices des mariages et des funérailles,

contrôle la légalité des mariages, des divorces et desconversions et règle les questions juridiques relatives à laloi juive. Le grand rabbin représente l'autorité religieusesuprême. Si, dans Agar, le mariage du narrateur et deM arie ne peut être béni par le rabbin, c'est parce qu'il est«hors de la communauté» (voir p.72) donc considérécomme sacrilège .

La prière: le Juif pratiquant prie trois fois par jour, seulou en assemblée.La naissance d'un garçon: la tradition veut que leprem ier garçon né dans une fam ille porte le prénom de songrand-père paternel.La circoncision: rite de purification et d'initiation quiconsiste à circoncire le garçon au huitième jour de sa

naissance, opération qui consiste à sectionner et à ôter lachair du prépuce: « Elohim dit à Abraham: « Tu garderasmon alliance, toi et ta race après toi, suivant lesgénérations. Voici m on alliance que vous garderez entre

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   à   0   5  :   2   8 moi et vous, et ta race après toi: tout mâle d'entre vous

sera circoncis. V ous serez circoncis quant à la chair devotre prépuce et cela deviendra le signe de l'alliance entre

moi et vous. A l'âge de huit jours sera circoncis tout mâled'entre vous, suivant vos générations: celui qui est nédans la maison et celui qui est acquis, à prix d'argent, detout étranger qui n'est pas de ta race» (Genèse, 17 ; 9, 10,Il, 12); « L'incirconcis, le mâle qui n'aura pas étécirconcis quant à la chair de son prépuce, cette personne-làsera retranchée d'entre ses parents, elle a rompu mon

alliance. » (Genèse, 14).Obligations vestimentaires: dans le lieu du culte, lakippah, petite calotte, pour I'homme et le foulard, pour lafemme, sont de règle. Même en dehors de ces lieux, latradition recommande aux femmes de voiler leurs cheveux.Le chabbat: il s'agit du sabbat, le septième jour de lasemaine dans le judaïsme, jour sacré où certaines besognes

sont interdites (comme faire du feu ou cuire des alim ents)et où prière et repos sont de rigueur.Roch ha-chanah: ou Ras-essana, en arabe, jour de l'an,est, chez les Juifs, le prem ier jour d'un cycle de dix joursde pénitence qui s'achève avec yom kippour, jour dejeûne de 25 heures. Cette dernière expression hébraïquedésigne un jour de pardon et de réconciliation accordé àceux qui se repentent de leurs fautes; il se situe, dans lecalendrier juif, au mois de septembre ou d'octobre.Pâque juive: célébrée le 14 Nisan, premier mois del'année biblique, cette fête commémore la sortie d'Égyptedes Hébreux.. Autrefois, on y sacrifiait, lors d'unpèlerinage à Jérusalem , l'agneau pascal au Temple. Lacéléb ration devint fam iliale ap rès la destru ction du Templeet l'abolition des sacrifices; elle se fait, de nos jours, aucours d'un repas dont le déroulement et les mets sontréglementés: viande d'agneau, pain sans levain, fruits,coupes de vin accompagnées de lectures bib liques.

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Autres manifestations culturelles tunisiennes

et séfarades (appartenant aux Juifs des paysm éditerranéens) évoquées dans Agar:

Les youyous: cris de joie qui accompagnent les fêtes etles événements heureux dans la région du Maghreb. Lenarrateur précise qu'à son arrivée à T unis avec son épouse,ils furent «reçus par de frénétiques youyous qui firentsursauter [sa] femme» (p.27)Le canoun : xénism e désignant le brasero, en arabe, c' est-à-dire un pot en terre cuite destiné à faire cuire lesaliments au charbon. La mère du narrateur évoque cetobjet comme le symbole de la ménagère prisonnière deson foyer et comme l'antithèse de la libération de lafemme: « (. . .) elles ont raison les jeunes femmesd'aujourd'hui: sortir, s'am user, vivre! Nous, nous avonspassé notre vie devant le canoun. » (p.116)Oukala: autre xénisme désignant un lieu d'habitationcollectif dans un quartier populaire (voir p.63). A insi, lahara, quartier juif de Tunis, regroupait plu sieurs oukalas.Les spécificités du goût et du mode de vie populaires:

. Au niveau vestimentaire: notons la préférenceaffirmée pour les couleurs vives surtout lors descérémonies et des moments de fête: «Ah! lesvoilà! A l'ombre d'une montagne de sacs, desfoulards rouges sur la tête, mes tantes et mamère... » (p.24) se dit le narrateur, à la vue de safam ille sur le quai du bateau le ram enant de France.

Plus loin, le narrateur évoquera précisément sasœur aînée, tantôt «en peignoir et pantoufles develours noir fleuri de roses» (p.28), tantôt dans «son nouveau peignoir de lam é mauve, jolie comme

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   à   0   5  :   2   8 une dragée de baptêm e» (p.48). M arie, la discrète

nordique au teint pâle, considère ce penchant pourles tonalités criardes et le bariolé, non sans dédain,

comme « spécifique d'ici» (p.160), c'est-à-dire duSud.

. Au niveau architectural: c'est le style colonial desconstructions de l'époque qu'évoque Marie etauquel elle affirme ouvertement son hostilité envoulant éviter, au moment de bâtir sa villa dans labanlieue de Tunis, les communs créneaux aux

terrasses et le crépi sur les murs blancs.

. La radio, comme musique d'am biance: notons unusage spécifique de la radio, comme plus tard de latélévision, dans la Tunisie de l'époque, qui est dese servir de cet instrum ent, engouem ent nouveaupour la chose moderne, comme d'un fond sonorepour anim er les soirées et les visites, m êm e quand

le programme diffusé n'est pas m usical. C itons cepassage significatif du rom an où M emmi décrit lacérém onie de l'arrivée du couple de France dans lamaison fam iliale du narrateur: «Ma mère nousinstalla sur le canapé, au m ilieu de tous (...) ilsfaisaient tapisserie et débordaient jusque dans lecouloir. On alluma la radio et tout le mondebavardait en nous regardant. » (p.27).

. L 'hospitalité: L 'un des signes particuliers del'hospitalité orientale qui apparaît dans le rom an,consiste à céder aux hôtes la chambre à coucherprincipale (et quelquefois unique) de la maison(voir p .31).

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   à   0   5  :   2   8 Pratiques superstitieuses locales évoquées dans

Agar:

- Lorsque les fondations d'une maison qu'on bâtit sontcommencées, il est de bon augure «d'y semer quelquespièces de monnaie et d'y égorger un poulet» (p.80).-lorsqu'un bébé dort, un couteau et un livre sacré, glisséssous son oreiller, sont supposés éloigner de lui le mal(Voir p .118).

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Table des matières

QUELQUESREPÈRESHISTORIQUES: 5Notes sur la présence de la communauté juive en

Tunisie à l'époque de la publication du roman deM emmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Les langues en Tunisie à l'époque coloniale 7

PLACE D'ALBERT MEMMI DANS LA LITTÉRATURE

TUNIS IENNE FRANCOPHONE 9Albert Memmi : l'homme 10Chr0nologie 10Bi 0 gr ap hie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il

L ' œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 13

Bibliographie de l'œuvre 16Récits. .. .. 16Poésie. . . . .. . . . .. . . . ... . .. . . ... .. . . . .. . . . . . . . . .. .. . . . . . . . . . . . . .. . . . .. 16

Essais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 16

D ive r s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1 7

AGAR, PRÉSENTATIONDU ROMAN 18Éd i t i 0 ns 18

Titre et dédicace du roman 18Résumé 20Thèmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 0

De La Statue de Sel à Agar 21

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   à   0   5  :   2   8

ANALYSE CRITIQUE 24La structure du roman 24Les personnages du roman 26Le père du narrateur 26Les personnages fémin in s seconda ires 27

Mar i e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 30

Le narra teur 32Représentation des lieux de l'action: de Paris à Tunis36

par is . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 3 6

Tunis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Le couple confronté à la communauté 43L ' écriture. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

La narra ti 0 n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 48

Le style 50Axes de lecture 51

Chapitre premier 51Chapitre dernier 53

JUGEMENTS PORTÉS SUR L'ŒUVRE À SA PARUTION 58

BIBLIOGRAPHIECRITIQUE 60Études portant sur l' œuvre d'A lbert Memmi 60É tudes po rtant su r Agar 61

ApPENDICE ... 63

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5/16/2018 Agar d'Albert Memmi - slidepdf.com

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   C  e   d  o  c  u  m  e  n   t  e  s   t   l  a

  p  r  o  p  r   i   é   t   é  e  x  c   l  u  s   i  v  e   d  e

   W  e  n  y  a  n   Y  a  n  g   (  p   h  o  e

  n   i  x  y  o  u  n  g   0   3   3   0   @  g  m  a   i   l .  c  o  m   )  -   0   9  m  a  r  s   2   0   1   2

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