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ECONOMIE ET SECURITE 151 ECTER 03 F rév 1 Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN SOUS-COMMISSION SUR LES RELATIONS ÉCONOMIQUES TRANSATLANTIQUES DE DOHA A CANCUN : DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET RELATIONS COMMERCIALES TRANSATLANTIQUES RAPPORT MICHAEL GAPES (ROYAUME-UNI) ET JOHN TANNER (ETATS-UNIS) CORAPPORTEURS

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ECONOMIE ET SECURITE

151 ECTER 03 F rév 1Original : anglais

Assemblée parlementaire de l ’OTAN

SOUS-COMMISSION SUR LES RELATIONS ÉCONOMIQUES TRANSATLANTIQUES

DE DOHA A CANCUN : DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET

RELATIONS COMMERCIALES TRANSATLANTIQUES

RAPPORT

MICHAEL GAPES (ROYAUME-UNI) ETJOHN TANNER (ETATS-UNIS)

CORAPPORTEURS

Secrétariat international novembre 2003

Les documents de l’Assemblée sont disponibles sur son site web, http://www.nato-pa.int

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TABLE DES MATIERES

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I. INTRODUCTION......................................................................................................................

II. LE COMMERCE ET LE DEVELOPPEMENT: LES FONDEMENTS THEORIQUES ET LE DEBAT ACTUEL.................................................................................................................

III. LES AVANTAGES DES ÉCHANGES COMMERCIAUX..........................................................

IV. LES BARRIERES POTENTIELLES A LA COLLECTE DES BENEFICES DU LIBRE-ECHANGE.....................................................................................................................

V. LES PROBLEMES DE L’URUGUAY ROUND..........................................................................

VI. ADPIC ET AGCS......................................................................................................................

VII. LES APPROCHES AMÉRICAINE ET EUROPÉENNE DE LA RELATION COMMERCE-DÉVELOPPEMENT.........................................................................................

VIII. LES ORGANISMES GENETIQUEMENT MODIFIES (OGM) SOUS L’ANGLE DU DEVELOPPEMENT................................................................................................................

IX. LES ACCORDS COMMERCIAUX REGIONAUX (ACR)........................................................

X. TEXTILES ET HABILLEMENT...............................................................................................

XI. ECHANGES D'AUTRES BIENS INDUSTRIELS....................................................................

XII. L’ETAT D’AVANCEMENT DU DOHA ROUND.......................................................................

XIII. LE SOMMET DE CANCUN.....................................................................................................21

XIV. CONCLUSIONS......................................................................................................................

BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................

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I. INTRODUCTION

1. L'échec de la tentative de lancement d’un round de négociations commerciales multilatérales à Seattle en 1999 a provoqué un choc chez de nombreux observateurs à long terme du processus de négociations commerciales. Les manifestations violentes et de grande ampleur ont assurément marqué un degré de mobilisation surprenant et sans précédent, et souligné l’importance de l’hostilité envers la notion de libéralisation des relations commerciales. L’un des paradoxes de ces manifestations réside dans le fait que la plupart des personnes présentes dans les rues avaient la prétention de représenter les intérêts des pays en développement, alors que la plupart de ces derniers étaient venus à Seattle en reconnaissant leurs intérêts réels dans l’économie mondiale et leur désir d’accéder aux marchés des pays développés. Lorsqu’il devint évident que l’Occident ne ferait pas de concessions, ils ont purement et simplement torpillé les négociations. Seattle a donc été un retentissant échec et aucune déclaration ultérieure faite par les hommes politiques occidentaux n’a pu modifier cette impression.

2. L’effondrement de ces pourparlers a définitivement démontré que les négociations de l’OMC doivent désormais prendre en compte les intérêts des pays en développement pour avoir une chance d'aboutir à un nouvel accord commercial multilatéral. Le nouveau partenariat avec le monde en développement sur les questions commerciales ajoute donc un autre facteur de complication aux relations commerciales transatlantiques. L’ancien système du GATT constituait avant tout un moyen de réguler les relations commerciales au sein d’un club de pays développés. Il a fallu attendre l’Uruguay Round pour voir le monde en développement commencer à jouer un rôle plus important dans ces pourparlers commerciaux. Toutefois, les négociations au cours de ce round n’ont pas été très efficaces, car il a fallu faire face à de fortes pressions pour accepter une série d’accords qui, à plusieurs égards, étaient unilatéraux.

3. Certains détracteurs de la mondialisation soulignent que le fossé croissant qui existe entre les pays développés et en développement démontre que le libre-échange et l’ouverture à l’économie mondiale sont désastreux pour les pays pauvres. Cette affirmation est très contestée et la plupart des économistes ne la soutiennent pas. Lors du récent sommet de l’OMC à Cancun, qui s’est soldé par un échec, les pays en développement ont adopté des positions plus libérales que leurs contreparties américaines et européennes, du moins sur la question la plus critique, à savoir les échanges agricoles. Ils ont cependant rejeté une série de mesures de libéralisation dans d’autres domaines considérés comme favorables uniquement aux pays développés. Il n’en demeure pas moins que de nombreux gouvernements de pays en développement semblent prêts à accueillir des structures commerciales plus ouvertes. Le problème de la plupart de ces pays n’est pas un rejet philosophique de l’économie mondiale en tant que telle, mais plutôt la myriade d’entraves structurelles, politiques et commerciales aux opportunités d’exploitation que leur offrent les marchés mondiaux et notamment, des barrières tarifaires et non tarifaires élevées imposées aux exportations des pays en développement, la quasi-absence des infrastructures nécessaires aux ventes internationales, la dépendance des pays en développement envers les recettes douanières pour amortir des budgets nationaux lourds à supporter, la rareté des capitaux ou simplement le manque d’expérience.

4. Un débat connexe se développe quant à l’accent que les pays en développement devraient mettre sur le type de libéralisation commerciale encouragée par l'OMC. Les inquiétudes portent notamment sur le fait qu’il est désormais trop onéreux de respecter les réglementations commerciales internationales en vigueur. Certains pays en développement pensent qu’ils gaspillent des ressources et des talents en s'efforçant de respecter des réglementations, qui sont, dans le meilleur des cas, très éloignées de leur propre réalité économique. D’aucuns prétendent qu’ils feraient mieux d’utiliser ces ressources à d’autres fins de développement. Il faut cependant noter que l’Uruguay Round a déjà reconnu aux pays en développement un traitement spécial et différencié en leur octroyant des réductions plus minimes et des périodes de mise en oeuvre plus longues qu’aux pays développés. De nombreux économistes prétendent aujourd’hui que le libre

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échange ne devrait pas être considéré comme une fin en soi, mais plutôt comme l’un des nombreux outils disponibles pour réaliser le développement. Cet argument est adressé à l’encontre de ceux qui exercent d’intenses pressions pour accéder aux marchés des pays en développement sans s’intéresser à d’autres éléments, y compris le rôle vital que l’assistance au développement, une bonne gouvernance et la transparence peuvent jouer ainsi que l’importance d’une ouverture réciproque des marchés des pays développés à tous les produits en provenance des pays en développement – une lacune critique que les négociations de Cancun ne sont pas parvenues à combler à la satisfaction de ces derniers.

5. Des relations commerciales plus libérales entre pays en développement et pays développés contribueraient, en fin de compte, à relever un certain nombre de défis fondamentaux pour le développement. Cela permettrait aux consommateurs et aux producteurs d’accéder à un plus large éventail de biens et de facteurs de production. Cela stimulerait les activités industrielles et engendrerait de nouvelles opportunités d’apprentissage. L’ouverture aux marchés mondiaux attire immanquablement des flux de capitaux, accroît les profits des devises et du change et génère des ressources pour le développement durable et l’atténuation de la pauvreté (OCDE). Tout cela contribue au développement et peut difficilement être qualifié d’accessoire.

6. Si le rapport général de cette année se concentre sur la vaste question du développement économique et ses implications pour la sécurité, l’objectif du présent rapport consiste quant à lui à explorer le lien entre le développement et les échanges commerciaux en parcourant brièvement les ouvrages économiques sur le sujet et en faisant le point sur les principales questions qui façonnent le round de Doha dans le cadre des négociations commerciales multilatérales.

II. LE COMMERCE ET LE DEVELOPPEMENT : LES FONDEMENTS THEORIQUES ET LE DEBAT ACTUEL

7. La théorie économique classique affirme que les échanges commerciaux bénéficient à tous les pays qui exportent les biens qu'ils peuvent produire à un coût relativement faible et importent ceux dont le coût de production est relativement élevé. Chaque partie qui procède à des échanges commerciaux tire un avantage relatif (par opposition à absolu) d’un bien ou d’un service particulier produit à relativement bon compte. Les pays, quel que soit leur degré de pauvreté, parviendront à une progression globale de leur bien-être en exportant des biens et services pour lesquels ils possèdent un tel avantage relatif et en important les biens qui peuvent être produits à l’étranger à des coûts relatifs inférieurs. Dans le modèle microéconomique simplifié deux productions, deux produits, deux pays, les échanges commerciaux guidés par un avantage relatif aident les deux pays concernés à améliorer leur niveau de richesse et à consommer plus que s’il n’y avait pas eu d’échanges commerciaux entre eux. Depuis David Riccardo, les théoriciens de l’économie libérale militent donc en faveur du démantèlement des barrières commerciales, afin de récolter des profits potentiels grâce aux échanges commerciaux.

8. Cet élégant modèle a, bien sûr, fait l’objet d’innombrables critiques, notamment en raison du fait qu’il ne tient pas compte d’une série d’autres facteurs économiques et non économiques. La théorie du libre-échange connaît de très nombreuses exceptions de ce genre, sans saper les intuitions fondamentales de Riccardo. Pourtant, certaines écoles de développement économique ont formulé des attaques particulièrement virulentes à l’encontre de la théorie commerciale classique. Au lendemain de la Guerre, la théorie de l’industrialisation par "substitution aux importations" (ISI) rejetait les solutions préconisant des marchés ouverts pour résoudre les problèmes de sous-développement. D’illustres économistes du développement recommandaient la mise en place de barrières commerciales par les pays moins développés pour construire le développement de bases industrielles nationales. Cette théorie considérait les changements structurels induits par le protectionnisme comme un aiguillon pour le développement économique et le déclenchement de l’industrialisation. La substitution aux importations exigeait cependant un

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degré élevé de planification centrale, un ensemble élaboré de barrières tarifaires et non tarifaires, ainsi que de stricts contrôles des taux de change – des tâches que les pays en développement n’ont en général pas su gérer efficacement.

9. Il n’est pas surprenant que, dans les années 80, de graves problèmes aient surgi dans les pays qui avaient adopté des stratégies ISI, en particulier en Amérique latine, où l'ISI avait été introduite pour la première fois. Grâce à l'ISI, certains pays avaient pu enregistrer un certain degré d'industrialisation mais les coûts s’avérèrent énormes. Dans un pays comme l’Inde, par exemple, les ressources étaient allouées de manière très inefficace et, pourtant, parmi les industries nationales, pratiquement aucune n’était concurrentielle au niveau international. Le prix des facteurs de production était trop élevé car les firmes étaient légalement empêchées de s’adresser aux marchés internationaux pour trouver des fournisseurs plus concurrentiels. Cette situation entraîna une grave compression des investissements, des pénuries budgétaires et une rémunération insuffisante de la main-d’œuvre. L’ISI a souvent contribué à une surévaluation des taux de change ce qui a eu pour effet de dissuader davantage les exportations de produits manufacturés et agricoles. Les pays en développement appliquant de telles stratégies se virent dès lors privés des fruits que permettent de récolter normalement des échanges commerciaux. De nombreux pays en développement se sont exclus eux-mêmes du processus du GATT, par le biais duquel la plupart des pays développés diminuaient leurs barrières tarifaires et non tarifaires, jetant ainsi les bases d’une expansion massive des échanges commerciaux et de la prospérité dans la période de l’après-guerre.

10. L’échec ultime de l'ISI en tant que catalyseur du développement a contribué à une résurgence d’approches néo-classiques des échanges commerciaux, attribuant en partie la persistance du sous-développement à la distorsion des marchés des biens et du courtage dans les pays en développement. (Williamson, World Bank Observer). De nouvelles approches de l’économie du développement ont vu le jour dans les années 80 plaçant la libéralisation des échanges au cœur des objectifs de la politique économique des pays en développement

11. Un certain nombre d’études empiriques récentes démontre en effet une corrélation positive entre l’ouverture commerciale et la croissance économique. Ces travaux universitaires suscitent l’appui du FMI, de la Banque mondiale, de l’OCDE et de l’OMC à la libéralisation des échanges commerciaux dans le monde développé comme en développement. Une étude marquante menée en 1995 par Jeffrey Sachs et Andrew Warner a montré que les économies ouvertes ont enregistré un taux de croissance moyen annuel de 4,5 % dans les années 70 et 80, tandis que celui des économies fermées atteignait à peine 0,7 %. D’après eux, non seulement les économies ouvertes croissent plus rapidement que les économies fermées, mais les économies ouvertes pauvres croissent plus rapidement que les économies ouvertes riches. (Sachs et Warner). David Dollar et Art Kraay détectent aussi un "effet positif et significatif des échanges commerciaux sur la croissance" et font valoir que cela "mène à des augmentations proportionnelles des revenus [dans les pays pauvres]" (Dollar et Kraay).

12. Dani Rodrik et Francisco Rodríguez ont lancé une contre-attaque controversée visant ces conclusions "pro-échanges". Fondant leurs critiques sur des motivations méthodologiques, ils prétendirent que les méthodes utilisées pour mesurer l’ouverture s’intéressent invariablement à d’autres facteurs que la simple politique commerciale. A leur avis, cela conduit les économistes à surestimer la valeur des régimes de libre-échange pour les pays en développement et par conséquent, "la priorité accordée à la politique commerciale génère des attentes peu susceptibles de se concrétiser, ce qui peut ne pas laisser la place à d’autres réformes institutionnelles aux bénéfices potentiellement plus importants" (Rodríguez et Rodrik). Rodrik va encore plus loin : il affirme que l’ouverture est également susceptible d’accroître la disparité des revenus et de la richesse au sein même des pays (Rodrik, The Development Council).

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13. Considéré comme l’un des plus ardents défenseurs des stratégies de libre-échange pour le développement, Jagdesh Bhagwati a démontré en 1958 qu’en cas d’échec des marchés, "la croissance sous un régime de libre-échange" peut néanmoins survenir. D’après Bhagwati et Srinivasan, l’erreur de Rodrik consiste à laisser entendre que les défenseurs du libre-échange ignorent de telles "nuances et restrictions théoriques" au modèle néo-classique (Bhagwati et Srinivasan). Même Rodrik et Rodríguez ne veulent pas accepter comme implication potentielle de leurs recherches le fait que la protection des échanges commerciaux stimule la croissance économique. Ils prétendent d’ailleurs ne connaître "aucune preuve crédible – du moins pour la période de l’après-guerre – permettant de penser que restrictions commerciales riment avec taux de croissance plus élevés". Ils considèrent plutôt que les politiques commerciales ne doivent pas prédominer sur les autres réformes, point de vue partagé par de nombreux autres économistes.

14. Bien qu’une grande partie de cette discussion soit de nature méthodologique, des implications politiques sont manifestement en jeu. Il est sûr que de nombreux économistes possédant une expérience pratique dans l’établissement de politiques du développement en sont venus à considérer que le libre-échange ne constitue pas une fin en soi, mais plutôt un moyen de parvenir au développement, notion qui laisse une considérable latitude au rôle de l’aide étrangère et à l’intervention positive de l’Etat (http://www.fortune.com). John Williamson, qui a forgé le terme "Consensus de Washington", a récemment fait part de sa stupéfaction de voir ces mots associés à un "engagement dogmatique selon lequel la liberté des marchés constitue une panacée universelle". Il considère que, lorsque le Consensus de Washington est interprété de façon erronée comme un "fondamentalisme du marché du laissez-faire", il ne peut représenter un moyen efficace de réduire la pauvreté. John Williamson fait valoir que, si la plupart des réformes incorporées dans le consensus néo-libéral de Washington "sont, potentiellement au moins, bénéfiques à la lutte contre la pauvreté", ce concept n’a jamais constitué un "manifeste politique adéquat pour remédier à la pauvreté". En d’autres termes, une stratégie de développement complète doit dépasser les simples prescriptions de libéralisation des marchés et de libre-échange (Williamson, World Bank Observer).

15. Le nouveau consensus parmi les économistes s’articule donc autour de la notion suivant laquelle, si le libre-échange est, en général, une bonne chose pour les pays en développement, il existe un certain nombre de réserves à prendre en compte lorsqu'on en vient à considérer la place de la politique commerciale dans des stratégies de développement national. Elles incluent l'aptitude d’un pays à s’engager dans des échanges commerciaux et les distorsions des marchés existants que le libre-échange ne ferait qu’exacerber. Il est également de plus en plus admis qu’il n’y a aucune formule simple articulée autour des échanges commerciaux pour provoquer une expansion du développement. En fin de compte, les effets d’une réforme commerciale sur la croissance et le développement dépendent fortement de l’environnement macroéconomique, structurel, institutionnel et socioculturel, sans oublier l’état des marchés mondiaux (Bannister et Thugge).

III. LES AVANTAGES DES ÉCHANGES COMMERCIAUX

16. Il existe au moins trois canaux identifiables par le biais desquels une libéralisation commerciale peut améliorer le bien-être dans les pays en développement :

1. En modifiant le prix et la disponibilité des biens et des services

17. D’après la théorie commerciale classique, les échanges commerciaux doivent bénéficier aussi bien aux pays en développement qu'aux pays développés. Les mécanismes de marchés associés à une réduction des barrières aux importations devraient faire diminuer le prix des biens importés et donc maintenir à un faible niveau les prix des substituts à ces biens importés. Cela bénéficie aux consommateurs, qui connaissent une augmentation de leur pouvoir d’achat, de

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même qu’aux producteurs, à la recherche de facteurs de production à faible coût tels que les biens d’équipement. Les producteurs bénéficient également de la suppression des barrières à l’exportation, ce qui étendra leurs marchés potentiels et stimulera la production et l’emploi.

18. Théoriquement du moins, les pauvres aussi sont les premiers bénéficiaires, en raison de la plus grande disponibilité potentielle et du coût moins élevé des produits médicaux et de première nécessité. Par le biais des échanges commerciaux, les entreprises des pays en développement bénéficient d’un meilleur accès aux nouvelles technologies et aux nouveaux procédés, pour la stérilisation de l’eau par exemple, ou à des semences et engrais améliorés qui favorisent des conditions plus propices à un décollage économique..

2. En modifiant le prix des facteurs, les revenus et l’emploi

19. La théorie standard des échanges commerciaux (Stopler-Samuelson) permet de penser que la libéralisation du commerce entraîne une augmentation des prix relatifs des produits de base que les pays négociants produisent à relativement bon compte. L’augmentation des ventes de ces biens sur les marchés internationaux entraîne une augmentation du bénéfice réel pour le plus important facteur de production utilisé pour fabriquer ces produits de base. Cette théorie autorise à penser que, dans un pays en développement riche en main-d’oeuvre, qui produit de manière concurrentielle des biens nécessitant assez bien de main-d’œuvre, les salaires réels des personnes travaillant dans ce secteur augmentent lorsque les échanges commerciaux s’accroissent. De nombreuses études démontrent également que les travailleurs employés dans des sociétés orientées vers l’exportation – qu’elles soient implantées dans des pays pauvres ou développés – sont généralement mieux payés que ceux qui ne travaillent pas dans ce secteur.

20. Dans la pratique toutefois, il peut s’avérer problématique pour les pays en développement de réaliser ces bénéfices à la suite de la libéralisation des échanges commerciaux. Dans certains pays les moins développés (PMD), l’offre de travailleurs non qualifiés peut être très "élastique". Cela signifie que le secteur officiel qui connaît une augmentation de ses exportations peut tirer une quantité presque infinie de main-d’œuvre du secteur occulte ou de l’agriculture de subsistance, sans accroissement significatif des salaires. Mais cela présuppose que seuls des travailleurs non qualifiés sont nécessaires pour faire tourner l’appareil de production alors qu’en réalité, des travailleurs qualifiés, dont l’offre est plus rare (moins élastique) sont tout aussi nécessaires. A tout le moins cependant, la libéralisation des échanges commerciaux entraîne une augmentation de l’emploi dans le secteur officiel. Mais, si les salaires officiels constituent de simples revenus de subsistance, le transfert de main-d’œuvre vers le secteur travaillant pour l’exportation n’a que peu d’effet sur la pauvreté (Winters).

3. En encourageant les investissements et l’innovation

21. La libéralisation des échanges commerciaux a tendance à stimuler les investissements et l’innovation, car les entrepreneurs sont incités à produire une variété et des quantités plus grandes de biens pour les marchés internationaux. Les échanges commerciaux ont également tendance à exposer les sociétés à des technologies, méthodes de gestion et connaissances générales nouvelles et engendrent ainsi une relance d'innovation (Bhagwati). Les nouvelles technologies et des stratégies commerciales innovantes visant à accroître la productivité globale nourrissent de toute évidence un développement économique, social et même politique plus large.

IV. LES BARRIERES POTENTIELLES A LA COLLECTE DES BENEFICES DU LIBRE-ECHANGE

22. Il n’empêche que nombreux sont les bénéfices potentiels du libre-échange qui ne se matérialisent pas, même lorsque des sociétés démantèlent leurs barrières commerciales. De

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nombreuses raisons peuvent expliquer cette situation. La plus importante d’entre elles est simplement que le pays manque de la capacité d’exploiter les nouvelles opportunités commerciales. Souvent les droits de douane ne constituent que la barrière la moins décourageante aux échanges commerciaux dans un pays. D’autres facteurs peuvent entrer en jeu : barrières bureaucratiques occultes au commerce dans le pays même ; protectionnisme persistant des pays étrangers, se reflétant par des barrières aussi bien tarifaires que non tarifaires ; isolement géographique, absence d’une infrastructure de transport qui permettrait l’envoi des biens vers les marchés mondiaux ; et pénurie de connaissances du fonctionnement des marchés internationaux.

23. Enfin, il y a le fait que le système commercial international proprement dit est devenu tellement complexe et que les coûts de "démarrage" pour se lancer sur les marchés mondiaux sont devenus prohibitifs pour la plupart des pays les moins développés. Les obligations de l’Uruguay Round ont imposé de considérables coûts de mise en œuvre aux pays en développement. La simple évaluation des profits et pertes potentiels découlant d’un accord particulier constitue en elle-même une énorme charge pour ces pays. Les pays en développement ont d’ailleurs entamé les pourparlers sans avoir les moyens de s’assurer du respect de leurs intérêts suite à une négociation particulière. L’on comprend, dès lors, que pendant l’Uruguay Round, l’espoir d'assister à un accroissement de la disponibilité des biens et des services suite à la conclusion d’accords commerciaux ait été déçu lorsqu’il est devenu manifeste que certains accords finissaient par limiter l’accès des pays en développement à la technologie et à la médecine.

24. Rares sont les économistes qui réfutent l’affirmation selon laquelle la libéralisation des échanges commerciaux puisse entraîner un bien-être plus important et des avantages à long terme, mais nombreux sont ceux qui soulignent que les secteurs les plus vulnérables de la société souffrent le plus des ajustements motivés par les échanges commerciaux. Pour les membres les plus pauvres de la société, qui ont tendance à évoluer sur des marchés urbains et ruraux informels, les ajustements induits peuvent s’avérer catastrophiques. C’est ainsi, par exemple, que les micro-entreprises ou les petits agriculteurs dont les marges bénéficiaires sont extrêmement réduites peuvent être contraints de sortir du marché, face à la concurrence accrue provenant de l’étranger après la libéralisation. Les pauvres ont très peu de ressources sur lesquelles s’appuyer au cours de la période de transition, lorsque le spectre du chômage se concrétise (Winters). Dans les pays privés du filet de la sécurité sociale, de telles transitions "à court terme" peuvent entraîner des conséquences permanentes liées à la perte du logement, des possibilités d’éducation et de l’accès aux soins de santé. En ce sens, les règles du jeu pour les pays pauvres peuvent être différentes que celles applicables aux pays développés.

V. LES PROBLEMES DE L’URUGUAY ROUND

25. Un certain nombre d'économistes font valoir que le résultat de l’Uruguay Round s’est avéré en grande partie favorable aux économies développées et qu’il a imposé, dans un certain nombre de cas, des charges très importantes aux pays en développement. Toutefois, si les pays en développement ont effectivement accepté d’assumer un large éventail de nouvelles obligations complexes, ils ont également accepté des engagements destinés à ouvrir leurs propres économies et cela représente un véritable progrès.

26. Les pays en développement ont également beaucoup à gagner de la réduction par le nord de ses barrières aux importations. Pourtant, les engagements souscrits par l’Occident au cours de l’Uruguay Round se sont avérés insuffisants dans plusieurs domaines critiques. La phraséologie soigneusement étudiée de l’Accord sur les textiles et l'habillement garantit par exemple aux pays industriels suffisamment de "jeu" pour retarder la libéralisation de ce marché sensible jusqu’à l’extrême fin de la période de transition (2005). Les pays qui possèdent d’importants secteurs de

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confection textile ou agricole n’ont cependant pas profité comme ils s’y attendaient du résultat des accords de l’Uruguay Round (Finger et Nogués). Cela a provoqué un ressentiment dans les pays en développement et constitue aujourd’hui la cause profonde de l’actuel refus de ces pays de partager les positions des Etats-Unis et de l’UE en matière d’échanges agricoles lors du récent Sommet de Cancun.

27. Si les pays en développement n’ont pas obtenu un accès intégral aux marchés sur lesquels ils sont les plus concurrentiels, la plupart des réglementations qu’ils ont adoptées suite au droit commercial international s’avèrent coûteuses (même s’il est difficile de mesurer avec précision les gains et les pertes au niveau du bien-être). Si la réduction des droits de douane ou la suppression des restrictions quantitatives ne sont guère onéreuses à mettre en œuvre, les nouveaux accords commerciaux tels que l'ADPIC (Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) et l'AGCS (Accord général sur le commerce des services) imposent quant à eux des coûts de mise en œuvre considérables aux pays développés et aux pays en développement, les premiers étant bien sûrs mieux préparés à supporter ces coûts que les seconds. Les pays pauvres sont souvent contraints d’adopter les normes en vigueur dans les pays de l’OCDE et doivent consacrer leurs maigres ressources et leur personnel réduit au respect de standards qui n’ont en réalité que peu de signification pour leur vie économique. Un modèle asymétrique apparaît ainsi : les pays en développement sont confrontés à des coûts de mise en œuvre considérables, tandis que les pays développés n’en ont pratiquement aucun.

28. Pourquoi les résultats de l’Uruguay Round sont-ils défavorables aux pays en développement ? Le passage du système du GATT à celui de l’OMC a imposé une énorme pression aux pays en développement désireux d’accepter les conditions d’adhésion à la nouvelle organisation. Rejeter les normes aurait conduit à l’exclusion du club. Les négociateurs des pays en développement étaient soucieux d’éviter tout conflit avec les Etats-Unis et l’Union européenne. Ils ont donc accepté des conditions dont beaucoup pensent qu’elles leur ont été imposées simplement pour satisfaire les exigences de l’ordre du jour des exportations de l’Occident (Finger et Nogués).

VI. ADPIC ET AGCS

29. L’Uruguay Round a aussi considérablement élargi l’ordre du jour des négociations commerciales multilatérales, au-delà des barrières douanières et des quotas pour s’intéresser aussi aux barrières non tarifaires y compris les réglementations nationales. L'ADPIC et l'AGCS constituent deux des plus importants accords conclus à l’issue des négociations de l’Uruguay Round. Ils ont eu des implications très différentes pour le développement économique.

30. Lors des négociations de l’Uruguay Round, les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon ont appelé tous les membres du GATT à renforcer la protection des droits de la propriété intellectuelle (DPI). Les pays développés considéraient en effet que l’absence d’un tel renforcement conduirait à une utilisation non autorisée ou non rémunérée de la propriété intellectuelle, ce qui réduirait les facteurs économiques incitant à investir dans cette même propriété intellectuelle. L’accord ADPIC a donc créé des normes de protection universelles minimales, qui ont eu pour effet de mondialiser les législations américaines et européennes régissant la protection de la propriété intellectuelle (Capling). Cet accord stipulait que les pays ne pouvaient normalement exclure de la protection assurée par les brevets aucun domaine de technologie, y compris les produits pharmaceutiques. Il obligeait également tous les membres de l’OMC à établir des mécanismes pour l’application au niveau national du DPI, y compris en adoptant des dispositions pour allouer des dommages et intérêts aux détenteurs des droits et obligations, pour intenter des actions en justice contre les personnes qui enfreignent délibérément ces dispositions légales (Makus).

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31. Il est particulièrement difficile de mesurer le coût économique pour les pays en développement de l’application de ces nouvelles normes régulatrices, même de celles conçues pour renforcer le libre marché. Les coûts de l’introduction de la nouvelle propriété intellectuelle ne sont donc pas clairs. Les défenseurs de cette dernière font valoir que des normes plus strictes encourageront avec le temps la croissance dans les pays en développement en rassurant les investisseurs étrangers ainsi qu'en stimulant l’innovation. Les sceptiques font valoir que les bénéfices vont avant tout aux détenteurs de droits de propriété intellectuelle existants (souvent des sociétés multinationales ayant leur siège en Occident), qui peuvent utiliser les profits des brevets existants pour en développer de nouveaux (Capling). Les entreprises qui violent la législation sur les brevets dans les pays en développement sont contraintes de renoncer à leurs activités protégées ou de payer le détenteur des brevets pour acquérir des licences pour les technologies et les marques déposées. La protection des brevets peut également offrir aux entreprises détentrices d’un brevet un monopole provisoire qui, en l’absence de brevets concurrents, est susceptible de générer comme récompense une rente monopolistique pour avoir mis au point la technologie concernée. D’après certaines critiques, l’accord ADPIC exacerbe le gouffre technologique déjà formidable entre les nantis et ceux qui ne le sont pas : le renforcement des DPI accroît les coûts pour les consommateurs et les fabricants de technologies stratégiques et de ressources intermédiaires dans les pays en développement. Il est naturellement difficile de généraliser quant à ces tendances, étant donné que des pays en développement relativement avancés comme l’Inde ou le Brésil doivent manifestement bénéficier d’une défense plus sévère de la propriété intellectuelle que les pays moins industrialisés plus pauvres.

32. Au nombre des principales préoccupations récentes des pays en développement figure l’impact potentiel des brevets pharmaceutiques pour l’accès à des médicaments essentiels, notamment pour combattre le VIH/SIDA. L’accord ADPIC en est venu à être considéré dans la majeure partie du monde en développement comme un système qui fait monter les prix des médicaments tout en diminuant les soins de santé, sans produire aucun des effets bénéfiques prédits pour l’innovation pharmaceutique locale et sans offrir de perspectives d’amélioration (Makus).

33. La plupart des observateurs reconnaissent que l’accord ADPIC a représenté l’un des aspects les moins équilibrés de l’Uruguay Round ; les critiques pointent ce fait du doigt pour démontrer comment les intérêts de puissantes sociétés du monde développé ont fini par modeler la politique de l’OMC. L’Uruguay Round a tiré un trait sur la notion voulant que chaque pays ait le droit souverain d’établir lui-même un équilibre entre les intérêts des producteurs et ceux des utilisateurs de la propriété intellectuelle. Le terme de "piratage" est désormais appliqué aux situations dans lesquelles des pays n’accordent pas une protection totale des droits de la propriété intellectuelle (Finger et Nogués ).

34. Les pays en développement ont souscrit à l’accord ADPIC en partie en échange de la promesse des Etats-Unis et de l’Union européenne de réduire les barrières aux échanges commerciaux concernant les produits textiles et agricoles. Mais comme cela a été suggéré plus haut, ils ont été déçus par le résultat. L’économiste libéral Jagdesh Bhagwati a constaté que"la majorité des pays en développement [sort] perdante et la majorité des pays développés [sort] gagnante" de la structure commerciale héritée de l’Uruguay Round (Capling).

35. Selon certains critiques, l’accord ADPIC contribue probablement davantage à entraver qu’à encourager le développement économique. Il impose d’onéreuses obligations contraignantes aux pays en développement, tandis que la protection des brevets qu’il assure est largement illusoire pour un grand nombre de pays qui ne possèdent pas les bases scientifiques ni les capitaux pour exploiter cette protection. La création d’un climat légal incluant la protection de la propriété intellectuelle peut naturellement contribuer à modifier cette situation, mais pour que cela survienne, un pays a besoin de suffisamment de techniciens qualifiés, de l’afflux d’investissements étrangers et de tout un éventail d’autres changements et réformes. Le renforcement des DPI présente

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manifestement une utilité limitée pour promouvoir le FDI, l’innovation et le changement technologique. Les pays en développement ne pourront bénéficier de leurs engagements dans le cadre de l’accord ADPIC que dans le contexte d’une libéralisation plus poussée des marchés, de lois efficaces sur la concurrence, d’investissements en capital humain et de la mise en place d’infrastructures technologiques adéquates (Makus). Aux yeux de nombreux économistes du développement, la lutte contre le sida représente toutefois une priorité beaucoup plus importante pour le développement que la protection des brevets.

36. Les efforts ultérieurs pour établir de nouvelles règles régissant l’accès des pays en développement à des médicaments essentiels ont été émaillés de multiples difficultés. La déclaration de Doha admet qu’un pays (pauvre) ait le droit, en cas d’urgence, d’utiliser des versions génériques de médicaments protégés par brevet. Elle stipule toutefois également qu’un pays doit produire lui-même le médicament générique et ne peut importer des versions génériques moins chères de l’étranger. Le Brésil a réduit de moitié le nombre de décès du sida en fournissant gratuitement des médicaments anti-rétroviraux brevetés à 150 000 personnes. Ce pays a pu le faire parce qu’il a été en mesure de produire des versions génériques bon marché des médicaments nécessaires ou d’acquérir ces médicaments à des prix très réduits auprès des détenteurs des brevets en les menaçant de fabriquer lui-même ces remèdes (The Economist, 1er septembre 2003). Cette stratégie ne constitue toutefois pas une option pour les pays les moins développés.

37. Les membres de l’OMC ont accepté le principe que les pays en développement puissent accorder des licences à des producteurs locaux pour copier des médicaments vitaux, mais – pendant un certain temps – les négociateurs ne sont pas parvenus à tomber d’accord sur des règles pour les pays qui ne possèdent pas les capacités industrielles pour fabriquer eux-mêmes ces médicaments. Pendant longtemps, les négociateurs américains ont défendu la position des sociétés pharmaceutiques et des détenteurs de brevets occidentaux. Ils redoutaient que les producteurs de médicaments génériques dans des pays comme l’Inde ou le Brésil ne s’adjugent une part du marché des firmes américaines détentrices de brevets en vendant des médicaments génériques bon marché pour un large éventail d’affections à des pays en développement possédant des capacités de fabrication. Les négociateurs américains avaient exigé la limitation de tout accord à une liste de 20 maladies infectieuses majeures, dont le VIH/SIDA, la malaria et la tuberculose. Les négociateurs des pays en développement ont rejeté cette position et insisté sur le fait que leurs pays ont le droit de décider eux-mêmes quels médicaments importer (The Guardian, 19 février 2003).

38. Lorsque les Etats-Unis et un petit groupe de pays clefs sont tombés d’accord sur un système qui fournira des médicaments à faible coût aux pays pauvres pour autant que des mesures rigoureuses soient prises pour protéger les brevets dans les pays plus riches, la nouvelle a été bien accueillie. Cet accord prévoit d’assouplir les réglementations en matière de brevets pour certains médicaments et de permettre aux producteurs de leurs versions génériques d’exporter vers les pays pauvres. Les sociétés pharmaceutiques ont l’assurance que l’accord ne permettra pas la réexportation de ces médicaments vers les pays occidentaux riches. Cet accord représente une importante concession de la part du gouvernement américain, rendue possible par l’autorisation donnée par l’industrie pharmaceutique aux pays pauvres d’importer des médicaments – obligatoirement sous licence – pour toutes les maladies et pas uniquement pour le VIH, la tuberculose et la malaria ( Miller, Newman & Hensley).

39. L’on s’attend à ce que les autres membres de l’OMC se rallient sous peu à cette décision. L’on espérait également que cela atténuerait les tensions prévues au sommet de Cancun, mais cela n’a pas été le cas. Il est impossible de répondre pour l’instant à la question de savoir si cette décision modifiera profondément la condition des millions de pauvres gens souffrant du sida dans le monde en développement. En lui-même, l’accord n’entraînera pas une amélioration de

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l’infrastructure, de la distribution et de l’information médicales, essentielles pour gagner la bataille contre le sida.

40. L’accord constitue toutefois une solution pour les pays incapables de fabriquer leurs propres médicaments génériques. Il cherche à équilibrer les intérêts des potentiels pauvres exportateurs de médicaments génériques (comme l’Inde et le Brésil) et ceux des détenteurs de brevets (principalement des sociétés pharmaceutiques américaines). Il établit la liste des pays riches qui s’abstiendront d’importer des médicaments génériques, ainsi que celle des pays moins riches ("les pays en développement à revenus moyens") qui les importeront uniquement dans le cas d’une urgence nationale ou de "circonstances d’extrême urgence"'. Qui plus est, les membres de l’OCDE ont accepté de ne pas participer au système, comme d’ailleurs les pays qui adhéreront l’an prochain à l’Union européenne.

41. Des doutes subsistent quant à la capacité de l’accord à équilibrer les intérêts des pays en développement et ceux des multinationales pharmaceutiques. Certains se demandent si l’industrie des médicaments génériques ne finira pas par produire pour les marchés développés, où les consommateurs, les contribuables et les gouvernements nationaux et locaux s’insurgent de plus en plus contre l’augmentation vertigineuse du prix des médicaments. D’autre part, des sociétés indiennes laissent entendre que les garde-fous sont trop sévères et rendront l’accord impraticable (Oxfam, 30 août 2003).

42. L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) était l’un des accomplissements majeurs de l’Uruguay Round. Il a obligé les signataires à conférer des droits légalement exécutoires à un grand nombre de services. L'AGCS a marqué le début de la libéralisation progressive du commerce de ce type par le biais de négociations, de la transparence et de la participation accrue des pays en développement. En lui-même, l’accord n'a pas directement entraîné la libéralisation du secteur des services, mais il a jeté les bases de futures négociations.

43. Certains économistes laissent entendre que, si l’accord ADPIC exigeait la conversion radicale aux normes des pays les plus avancés, l'AGCS est considérablement plus souple. Il permet aux membres de contrôler le rythme de la libéralisation de leur secteur des services et donc de programmer les engagements d’accès aux marchés en accord avec le développement de leur niveau économique. En d’autres termes, les membres peuvent choisir d’ouvrir ou non des secteurs particuliers à la concurrence étrangère. En permettant des négociations graduelles pour l’accès aux marchés, l'AGCS représente une structure potentiellement plus conviviale pour le développement que l’accord ADPIC (Finger et Nogués).

44. Prenant le cas de l’Argentine, Finger et Nogués démontrent que la libéralisation des services génère des opportunités commerciales accrues pour les outsiders tout en assurant aux consommateurs argentins un plus large éventail de services à des coûts plus faibles. En ce sens, il constitue un cas classique de libre-échange débouchant sur une situation où tout le monde est gagnant. Cette étude particulière démontre toutefois également que cet aboutissement globalement positif résulte moins des termes de l'AGCS que du fait que l’Argentine se soit lancée dans la libéralisation de son secteur des services avant la signature de l’accord. Les négociations internationales ont permis de garantir la poursuite de certaines des réformes en dépit des changements d’avis ou des pressions politiques antagonistes. Le même cas se présente avec l’Inde, qui est également devenue un important exportateur de logiciels et autres services (Chadha).

45. L’on comprend, dès lors, que certains économistes considèrent que le modèle de l'AGCS constitue davantage un catalyseur pour le développement que celui de l'ADPIC. Il est sûr que les pays en développement ont vraiment intérêt à ce que la libéralisation du commerce et des services se poursuive. Non seulement cette libéralisation leur fournit un moyen d’élargir leur propre base de services, mais elle peut également, en assouplissant les quotas des membres de l’OCDE, générer de nouvelles opportunités d’exportation (Hoekman, http://www.wtowatch.org). Cet élément est à

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son tour susceptible de renforcer la volonté de certains pays en développement de se lancer dans une dérégulation intérieure plus poussée, afin de remédier aux déficiences de leurs marchés et de promouvoir toute une gamme d’objectifs sociaux. Reconnaître le droit des pays à abaisser leurs barrières à un rythme correspondant à leur stratégie de développement au sens large constitue la clef du succès de l'AGCS. Malheureusement, les efforts visant à approfondir le commerce du libre-service sont actuellement bloqués au Round de Doha et les pays en développement ne paraissent pas désireux d'accepter des conventions sur ce point sans contrepartie en termes de concessions sur l'agriculture de la part de l'UE, des Etats-Unis et du Japon.

46. Des critiques des récentes négociations commerciales prétendent que l’Occident doit veiller à ce que le processus de négociations commerciales ne devienne pas "l’équivalent d’un ordre du jour pour l’harmonisation des normes de l’OCDE" s’avérant trop pesant pour les pays en développement et en particulier pour les PMD (Sally). Les résultats contrastés des accords ADPIC et AGCS démontrent d’ailleurs l’importance de tailler sur mesure des accords de ce type en fonction des besoins des pays en développement. Lorsque cela n’est pas possible, les négociateurs doivent envisager des "périodes de transition" afin de donner aux pays en développement suffisamment de temps pour s’adapter aux nouvelles normes. Dans le cadre de l’accord ADPIC, certains pays ont été contraints de courir avant même de savoir marcher. L’accord les a contraints à détourner de précieuses ressources pour se mettre en conformité, des ressources qui auraient pu être mieux utilisées pour satisfaire d’autres besoins de développement. L'AGCS par contre a le potentiel de promouvoir des réformes susceptibles de stimuler un développement économique à long terme en donnant aux pays en développement une plus grande latitude pour définir leurs propres priorités au sein d'un cadre de libéralisation élargi.

VII. LES APPROCHES AMÉRICAINE ET EUROPÉENNE DE LA RELATION COMMERCE - DÉVELOPPEMENT

47. Par le biais de différentes combinaisons de production subventionnée, aides aux prix et de subventions manifestes ou occultes à l’exportation, les Etats-Unis et l’Union européenne ont réussi à faire diminuer le prix des produits agricoles dans les pays pauvres. Les barrières tarifaires et non tarifaires des Etats-Unis et de l’Union n'ont fait qu'exacerber le problème. On estime que le monde développé dans son ensemble octroie plus de 300 milliards de dollars par an en subventions à l’agriculture, soit sept fois plus que ce qu’il accorde à l’aide au développement. Nicholas Stern, l’économiste en chef de la Banque mondiale, écrit : "La vache européenne bénéficie en moyenne de quelque 2,50 dollars par jour de subvention. La vache japonaise bénéficie en moyenne de 7 dollars par jour de subvention. En Afrique sub-saharienne, 75 % des gens ont moins de 2 dollars par jour pour vivre. Quelle que soit la référence choisie, ces subventions sont énormes et favorisent des conditions de marché qui pourraient balayer l'agriculture des pays en développement" (International Herald Tribune, 3 décembre 2002). C’est ainsi, par exemple, que l’Europe alloue des subventions à la betterave sucrière, alors que ses coûts moyens de production sont plus du double de ceux de producteurs plus rentables tels que le Brésil ou la Zambie. Seuls des tarifs douaniers et des subventions pouvant atteindre 140 % rendent possible la production de sucre européen, ce qui réduit très considérablement le marché pour le sucre produit de manière rentable. Des exemples similaires de soutien aux produits de base existent aux Etats-Unis, ce qui permet sans aucun doute à ce pays de s’adjuger de plus grandes parts du marché mondial. (The Guardian, 18 août 2003)

48. D’après un rapport de la Banque Mondiale de 2002, l’une des façons d’évaluer les propositions de réforme consiste à comparer leurs résultats probables aux gains potentiels qui pourraient résulter de la suppression totale de toutes les barrières, ce qui engendrerait des gains en bien-être social de $400 à $900 milliards, dont plus de la moitié en faveur des pays en développement. Si toutes les barrières commerciales étaient démantelées, l’agriculture et l’alimentation représenteraient 10% de ces gains. Une part importante (60%) proviendrait des réformes dans les pays en développement, mais les gains les plus importants doivent être

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recherchés dans la réforme des droits de douane applicables aux produits agricoles, dans le cadre d’un programme de réforme global. Pour les pays pauvres membres de l’OMC, une tendance à la libéralisation de l’agriculture n’entraînerait pas seulement des avantages économiques de nature sectorielle; cela démontrerait aussi l’engagement à faire des pourparlers de Doha un "round du développement". En ce sens, la question est devenue un test révélateur tant pour les pays développés que pour les pays en développement. Si aucun progrès n’intervient dans ce domaine, il est très improbable que l’on parvienne à un accord à Genève ou à la prochaine conférence ministérielle de Hong Kong .

49. Les négociateurs américains et européens ont bien compris qu’il ne peut y avoir de progrès au Doha Round sans concessions sur l’agriculture. Les deux camps ont travaillé pour trouver un accord sur ce défi sensible politiquement et sont tombés d’accord l’été dernier sur un cadre commun préconisant une série de réformes, réductions des droits à l’importation, réductions des subventions nationales et à l’exportation, et dépenses d’investissements, qui serait présenté conjointement au Sommet de Cancun. Cependant, cet accord est trop vague.

50. La position des Etats-Unis sur le commerce des produits agricoles est très complexe et fortement conditionnée par le paysage politique interne. Les puissants groupes de pression agricoles ont réussi à convaincre les dirigeants nationaux de la nécessité d’assurer la pérennité, voire d’accroître, des subventions à l’agriculture qui faussent directement ou indirectement les échanges commerciaux. Les dirigeants américains justifient en partie cette attitude comme étant une réponse aux subventions encore plus élevées accordées aux agriculteurs européens. Au cours des mois qui ont précédé Cancun, ces mêmes dirigeants américains ont exprimé leur volonté d’exercer "un leadership actif et résolu" lors d’un round pour la libéralisation du commerce agricole, impliquant que les subventions agricoles américaines pourraient être débattues (Sally).

51. Concilier les principes du libre-échange et les intérêts de groupes nationaux puissants n’est jamais une tâche aisée. Le président Bush a bénéficié de davantage de compétences commerciales – qui ont permis la mise en chantier des négociations du Doha Round – en concluant une série d'accords annexes, dont plusieurs incluent des clauses protectionnistes. Un rapport de l’année dernière souligne que le Farm Security and Rural Investment Act de 2002 a considérablement accru les subventions agricoles nationales et ce qui permettrait aux Etats-Unis de dépenser jusqu’à 19 milliards de dollars par an au cours des dix prochaines années pour des programmes liés aux produits de base. En élargissant la portée et la durée des subventions agricoles américaines, cette loi risque de fausser les échanges commerciaux et elle est largement considérée, dans les pays en développement, comme une contradiction flagrante du soi-disant soutien que les Etats-Unis apportent à la libéralisation des échanges parmi les négociateurs représentant les pays en développement.

52. L’administration américaine avait proposé un accord international visant à réduire les programmes de subventions agricoles dans le monde développé. Pendant la phase préparatoire à Cancun, Robert Zoellick, le représentant américain au commerce, réclame à présent une réduction coordonnée des subventions à l’exportation et des programmes nationaux de soutien américains et européens dans le cadre du processus de Doha. Or le Farm Security and Rural Investment Act a quelque peu affaibli la crédibilité des Etats-Unis sur la question lors des négociations de l’OMC à Doha, ce qui permet à certains partisans virulents du protectionnisme agricole en Europe et au Japon d’accuser les Etats-Unis d’hypocrisie, tout en ignorant la substance des propositions américaines et du Groupe de Cairns en faveur d’un système de commerce agricole plus libéral. En raison de la politique électoraliste américaine et de la nécessité d’obtenir le soutien du puissant lobby agro-industriel américain, un grand pessimisme prévaut désormais car l’on estime que l’administration Bush est prête à adopter un programme de soutien à l’agriculture davantage conçu pour récolter des votes que pour faire preuve de bon sens politique.

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53. Il va de soi que rares sont les économistes qui oseraient prétendre que la PAC européenne fait, quant à elle, preuve de bon sens politique, car elle témoigne – elle aussi – de la puissance du lobby agricole. Un noyau de pays membres essentiels semble désireux de préserver les dépenses de la PAC à leurs niveaux actuels, même si elles sont de plus en plus responsables de l’aggravation des éléments qui faussent gravement les échanges commerciaux. En octobre 2002, la France et l’Allemagne sont tombées d’accord pour ralentir le rythme de la réforme de la PAC, en bloquant les dépenses jusqu’en 2013. Cela sonne le glas de tout espoir d’une réforme substantielle des dépenses. Cet accord n’a pas été particulièrement bien accueilli dans des capitales européennes comme Londres, où la PAC est à la fois considérée comme une source de problèmes au niveau budgétaire et un système qui mine les objectifs de développement et d’environnement de l’Union. Alors que certains groupes en faveur de la réforme de la PAC avaient espéré que l’élargissement de l’Union européenne affaiblirait la position des pays soutenant le statu quo, les dirigeants politiques de Pologne et de Hongrie semblent désormais enclins à appuyer le système actuel.

54. Ceci étant, un certain nombre de pays membres de l’Union continuent à considérer la réforme de la PAC comme inévitable. L’on ne s’étonnera pas que ces pays soient principalement des contributeurs nets au budget de l’Union et qu’ils aient donc tout intérêt à modifier le statu quo. Ce groupe inclut le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suède. Les arguments de ces pays sont renforcés par le fait que le système actuel s’avérera presque inévitablement insoutenable financièrement une fois achevée la phase de transition du prochain élargissement. A leur avis, le temps passe inexorablement et au plus tôt le changement interviendra, au mieux cela sera. Ils reconnaissent aussi volontiers le lien qui existe entre la réduction du soutien à l’agriculture dans l’Union européenne et la promotion du développement dans les pays en développement essentiellement agricoles. Franchement toutefois, cette considération ne représente qu’une motivation secondaire de leur position. Plus important du point de vue politique est le fait que le système actuel est coûteux pour leur trésorerie et leurs consommateurs et qu’ils veulent éviter la perspective d’un élargissement entraînant une augmentation de la note. L’on estime ainsi qu’un ménage suédois avec deux enfants disposerait d’un supplément de revenus de 1 200 dollars par an si toutes les barrières commerciales agricoles étaient abolies. De telles statistiques ont cependant rarement une influence quelconque sur le débat en Europe ou en Amérique du Nord (Nordberg). Et l’on ne sait généralement pas que la moitié de toutes les subventions agricoles européennes échoient à 5 % seulement des exploitations agricoles, en général les plus grandes et les plus riches (The Observer, 3 novembre 2002). La situation est similaire aux Etats-Unis, où – d’après la Heritage Foundation – les exploitations agricoles les plus grandes et les plus rentables, ainsi que les grands conglomérats agro-industriels s’adjugent la part du lion en matière de subventions fédérales (Riedl).

55. Pour tenter de parvenir à une position commune sur le commerce agricole de l’Union européenne lors des négociations de l’OMC, la Commission européenne a proposé un compromis pour la réforme de la PAC à la fin 2002. Si elle ne promettait aucune diminution substantielle des dépenses agricoles globales, la proposition de réforme envisageait un "découplage" des subventions de la production et la réaffectation des fonds à un soutien des revenus et à des plans de développement rural. D’après Franz Fischler, le commissaire européen à l’Agriculture, cette proposition aurait entraîné l’affectation d’à peu près 80 % des dépenses agricoles de l’Union européenne à des mesures n’entraînant pas de distorsions commerciales. Le Conseil des ministres de l’Union a cependant rejeté le plan de la Commission tout en avalisant la proposition franco-allemande prévoyant la préservation des niveaux globaux des dépenses de la PAC jusqu’en 2013.

56. Lors du Sommet des 52 pays africains qui s’est tenu à Paris en février 2003, le président Jacques Chirac a cependant semblé avoir adouci sa position quant à la réforme de la PAC, puisqu’il a appelé à une suspension temporaire des subventions pour les exportations de produits agricoles à destination de l’Afrique – y compris les crédits à l’exportation et les fournitures d’aide

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alimentaire qui sont assimilées à des subventions à l’exportation. Dans ses remarques, il a également reconnu un certain mérite à la notion voulant que les subventions à l’exportation des pays développés (y compris l’UE et les Etats-Unis) exercent en réalité un effet déstabilisateur sur les marchés des pays en développement.

57. Des critiques laissent entendre que la proposition de Jacques Chirac constitue, dans le meilleur des cas, une étape : l’élimination proposée des subventions aux exportations vers l’Afrique n’est viable politiquement que parce que les exportations de produits alimentaires vers ce continent ne représentent qu’un très petit pourcentage du marché à l’exportation de l’Union européenne, à concurrence de 3 % environ. Comme cette étape n’aurait aucun effet sur les prix mondiaux, elle ne ferait rien pour encourager la production de produits agricoles orientés vers l’exportation en Afrique. Au nombre des véritables défis figurent le manque d’accès aux marchés dont pâtissent tous les pays en développement (et pas uniquement les pays africains), et, en particulier, les effets négatifs, sur les prix mondiaux, des subventions européennes et américaines à la production.

58. Les problèmes sont évidents à la porte même de l’Europe. D’après Oxfam, au cours des 13 dernières années, des centaines de cultivateurs d’oranges albanais ont été acculés à la faillite en raison de l’afflux d’oranges italiennes et grecques bon marché sur le marché albanais. (Les cultivateurs d’oranges grecs et italiens reçoivent 20 % de subventions de l’Union européenne.) En conséquence, de nombreux paysans albanais ont abandonné leurs orangeraies et émigré vers les pays de l’Union pour trouver du travail. Dans ce cas, la politique agricole de l’Union européenne semble directement s’opposer à d’autres de ses objectifs essentiels en matière de développement et d’immigration (Oxfam).

59. En juin 2003, suite aux pressions en faveur de concessions lors du sommet de Cancun, les négociateurs de l’Union sont parvenus à un accord sur la réforme de la PAC. Il s’agit-là de la première véritable réforme de la PAC depuis les réformes McSharry du début des années 90. Cet accord prévoit le renoncement à l’ancien système de subventions et rompt le lien depuis longtemps en vigueur entre production et subventions, qui encourage les agriculteurs européens à surproduire pour s’assurer l’accès au marché et un prix fixe. En remplacement, les agriculteurs recevront des aides financières annuelles fixes basées sur les subventions qu’ils obtenaient précédemment. Le financement de la PAC sera de plus en plus canalisé vers des programmes qui ne faussent pas les échanges commerciaux, tels que le développement rural (la protection des paysages) et l’agriculture qui respecte l'environnement (découplage de la production et des subventions, limitation des distorsions commerciales, promotion du développement rural et méthodes de culture respectant l'environnement).

60. Les propositions initiales du commissaire Fischler allaient beaucoup plus loin que l’accord finalement conclu, mais elles ont été édulcorées suite à l’opposition de certains Etats membres. L’ensemble des réformes ne réduira pas le gonflement des prix agricoles européens, pas plus qu’il n’abaissera jusqu’à 2013 les dépenses annuelles de 50 milliards de dollars (43 milliards d’euros) consacrées à l’agriculture (une conséquence de l’accord conclu entre la France et l’Allemagne en octobre 2002). Qui plus est, la réforme annoncée n’affectera pas les considérables barrières imposées par l’Union européenne à de nombreuses importations de produits alimentaires, pas plus que son régime hautement protectionniste et coûteux pour le sucre qui a perturbé le commerce international au détriment de nombreux fournisseurs potentiels dans les pays en développement. Jamais il n’est entré dans les intentions d’inscrire la réforme du régime du sucre dans celle du système de soutien national aux exploitants agricoles. La réforme du régime du sucre au sein de l’UE est attendue de longue date. Les prix de l’UE sont aujourd’hui 3 à 4 fois supérieurs aux prix mondiaux. La Commission a préparé un dossier sur la réforme du régime du sucre dans le cadre de ce que l’on appelle la seconde phase de la réforme de la PAC. Mais aucune proposition législative n’est attendue avant mi-2004 au plus tôt. Enfin, l’accord n’assure pas totalement le découplage des subventions et de la production, et certains Etats membres ont

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obtenu des dispositions qui permettent une libre décision. Pour ces raisons, l’Australie et le Brésil, parlant respectivement au nom du Groupe de Cairns et du bloc des pays en développement, ont annoncé que ces réformes étaient insuffisantes pour faire progresser le Doha Round.

61. Les positions de l’Union européenne sur le commerce et le développement sont donc très contradictoires. Alors que l’Union et ses Etats membres se veulent les champions du développement et des contributeurs d’assistance au développement bien plus généreux que les Etats-Unis, le système de la PAC continue à limiter l’accès de nombreux pays pauvres à des marchés essentiels tout en comprimant les prix mondiaux. La réforme de ce système est de plus en plus considérée comme un impératif diplomatique, économique et moral (Financial Times, 21 janvier 2003).

62. La politique agricole américaine a toujours été davantage orientée vers le commerce, mais depuis quelque temps, des changements de politique semblent aller dans la mauvaise direction. Il serait néanmoins déraisonnable de supposer que la réforme des systèmes agricoles, sources de distorsions, des Etats-Unis et de l'UE puisse constituer la panacée pour les perspectives agricoles des pays en développement. De toute évidence, il serait également indispensable de mettre en place une série de réformes au niveau national, ainsi qu'une ouverture réciproque de la part des pays en développement.

VIII. LES ORGANISMES GENETIQUEMENT MODIFIES (OGM) SOUS L’ANGLE DU DEVELOPPEMENT

63. Les tensions permanentes entre les Etats-Unis et l’Union européenne à propos du commerce d'aliments génétiquement modifiés (OGM) ont une considérable influence sur le développement. De profondes divergences de vue quant aux effets potentiels des OGM sur la santé et l’environnement sous-tendent ce débat. En Europe, les doutes de l’opinion publique quant aux effets à long terme des OGM pour la santé et l’environnement sous-tendent une approche extrêmement prudente qui a abouti à un moratoire de fait concernant toute nouvelle approbation de produit transgénique. Au début de 2003, Robert Zoellick a dévoilé le point de vue de l’administration américaine suivant lequel les prétendus dangers des aliments OGM ont été purement et simplement fabriqués et que l’interdiction des produits transgéniques par l’Union européenne est "immorale" (SAPA-AFP, 13 janvier 2003). Bien que la Commission européenne ait reconnu que cette interdiction doit être levée, plusieurs Etats membres ont refusé de le faire, du moins tant que de rigoureuses régulations en matière d’étiquetage ne seront pas mises en place (Financial Times, 6 février 2003).

64. Le 2 juillet 2003, le Parlement européen a approuvé de nouvelles réglementations plus sévères sur les produits alimentaires génétiquement modifiés, une initiative qui renforce les réglementations régissant l’étiquetage et la traçabilité des OGM tout au long de la chaîne alimentaire (The Economist, 3 juillet 2003). Paradoxalement, des produits impliquant des adjuvants de traitement génétiquement modifiés, tels que des enzymes et des levures, ne doivent pas être étiquetés de manière similaire, ce qui pratiquement permet à des exportations européennes stratégiques telles que les vins, les fromages et les bières d’échapper à la législation. Le 18 août 2003, les Etats-Unis ont demandé à une commission de l’OMC de se prononcer sur la légalité du moratoire imposé depuis cinq ans par l’Union européenne aux nouveaux produits alimentaires génétiquement modifiés.

65. L’actuelle impasse sur les OGM entre les Etats-Unis et l’Union européenne affecte directement les partenaires commerciaux du monde en développement. Plusieurs pays en développement hésitent à accepter des importations d’OGM car ils craignent notamment que cela les empêche d’exporter vers l’Union européenne. La Zambie et le Zimbabwe vont jusqu’à refuser l’aide alimentaire d’urgence des Etats-Unis contenant du maïs transgénique. Les deux

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gouvernements s’inquiètent apparemment de voir planter le maïs transgénique reçu à titre d’aide, ce qui pourrait affecter leur environnement et leur aptitude à exporter des produits agricoles vers l’Union européenne. Pourtant, l’interdiction a également été appliquée au maïs de culture qui ne peut, pour sa part, pas être planté - une position étonnante lorsqu’on connaît la menace de famine généralisée dans ces deux pays (www.cid.harvard.edu). Norman E. Borlaug, prix Nobel de la paix en 1970, a récemment écrit : "Les sociétés privilégiées peuvent se permettre le luxe d’adopter une position à très faible risque face à la question des OGM, même si cette décision s’avère ultérieurement inutile. Mais l’écrasante majorité de l’humanité ne peut se permettre un tel luxe, et certainement pas les victimes affamées des guerres, des catastrophes naturelles et des crises économiques" (Wall Street Journal Europe, 22 janvier 2003).

66. Le protocole de Carthagène sur la bio-sécurité est entré en vigueur en septembre 2003. C’est le seul instrument international permettant de contrôler les mouvements transnationaux d’organismes génétiquement modifiés. Il fournira un mécanisme permettant aux pays en développement de prendre des décisions fondées et de dire s’ils acceptent ou non l’importation de produits transgéniques sur la base de justificatifs écologiques, en référence à une chambre de compensation de la bio-sécurité. L’UE a fermement marqué son soutien à ce protocole. Bien que les Etats-Unis ne pensent pas qu’un accord multilatéral soit nécessaire, ils défendent l’échange d’information par le biais de la chambre de compensation.

67. Les scientifiques et les écologistes sont divisés quant aux effets potentiels des OGM sur la croissance économique et la santé dans les pays en développement. Le gouvernement américain et un certain nombre de scientifiques affirment que les plantes transgéniques qui aident à contrôler les insectes et les mauvaises herbes diminuent les coûts de production et les dommages pour l’environnement, tout en accroissant les récoltes. Certains scientifiques considèrent que les récoltes dont le caractère nutritif est enrichi par manipulation génétique peuvent jouer un rôle essentiel pour réduire la faim et la malnutrition dans le monde. L’un des produits de base cités en exemple est le "Golden Rice" qui, grâce à une manipulation génétique, produit davantage de vitamines A et contribuerait ainsi à empêcher la cécité. Pour les sceptiques, la situation est plus complexe. Ils attirent l’attention sur la "pollution génétique" susceptible d’être transmise par les récoltes transgéniques à des plantes sauvages, ce qui risque d’endommager des écosystèmes et de menacer la biodiversité et de favoriser la dépendance des pays en développement à l'égard de semences brevetées, dont la distribution est contrôlée exclusivement par de grandes sociétés occidentales. En résumé, cependant, même s’il n’existe pour l’instant que quelques exemples commercialement disponibles des bienfaits de technologies transgéniques appliquées aux cultures, l’on peut toutefois considérer que le débat sur les OGM détourne l’attention des causes réelles de la faim et de la malnutrition, qui incluent la question fondamentale de la répartition équitable des richesses (www.cid.harvard.edu).

IX. LES ACCORDS COMMERCIAUX REGIONAUX (ACR)

68. Plus de la moitié des 168 Accords commerciaux régionaux (ACR) actuellement en vigueur ont été signés après 1995. L'approbation d’accords de ce type s'est au moins accélérée suite à l’échec de la conférence ministérielle de l’OMC à Seattle et cela a suscité un nouveau débat sur les effets des accords commerciaux régionaux et bilatéraux sur les négociations commerciales multilatérales et les implications de ces tendances pour les pays en développement.

69. Les défenseurs des ACR les considèrent comme des étapes en vue d’un marché mondial de libre-échange. Les initiatives régionales permettent selon eux aux pays de parvenir à une libéralisation graduelle en accroissant lentement leur niveau d’ouverture et en donnant donc aux industries nationales le temps de s’adapter. Ces défenseurs font valoir que les accords inculquent des habitudes commerciales qui fourniront les bases d’une future libéralisation aux pays en développement et antérieurement protégés (www.cid.harvard.edu).

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70. Théoriquement, les ACR peuvent stimuler les réformes de politique économique et la stabilité politique, en générant tant des emplois que des investissements. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a eu cet effet sur le Mexique, tandis que les pays d’Europe centrale et orientale bénéficient certainement de leurs relations commerciales particulières avec l’Association européenne de libre-échange (AELE) et l’Union européenne. D’après Robert Zoellick, l’ALENA a permis la reprise économique rapide du Mexique après sa crise financière de 1994, lancé le pays sur la voie de la concurrence économique mondiale et soutenu sa transformation en vue de devenir une société démocratique ouverte. En plus d’assurer l’accès des pays en développement aux marchés développés, Zoellick considère que les ACR constituent les "robustes maillons d’une chaîne d’approvisionnement mondiale" (http://www.economist.com, 5 décembre 2002). Le négociateur américain en chef a clairement laissé entendre que son gouvernement a l’intention de signer un large éventail de mesures de libéralisation commerciale bilatérales et régionales avec les pays en développement, en partie pour se prémunir de l’échec des pourparlers multilatéraux.

71. Les détracteurs des accords commerciaux régionaux - et ils sont nombreux dans les pays en développement - font valoir qu’une fois ces accords conclus, les pays en développement peuvent n'éprouver que peu d’intérêt à ouvrir davantage leurs marchés. Il existe également un danger de voir apparaître des blocs commerciaux susceptibles de "détourner" plutôt que de créer des échanges commerciaux, en particulier si les pays doivent mettre en place des barrières tarifaires ou non tarifaires pour certaines matières premières comme prix de leur adhésion (Bhagwati et Panagariya). Les ACR regorgent souvent de clauses réglementant l’origine des produits. C’est ainsi, par exemple, que dans le cadre de l’ALENA, les importations de produits textiles sur le marché américain sont soumises à la "règle de la triple transformation", qui exige, entre autres, que le lieu de l’assemblage d’un vêtement soit indiqué et que sa fibre provienne du territoire de l’ALENA. La "règle de la triple transformation" aurait causé une grave distorsion commerciale, entraînant de lourdes pertes pour les fabricants de produits textiles d’Asie orientale (James et Umemoto). Du point de vue économique, les ACR sont donc inférieurs à la libéralisation généralisée des échanges commerciaux. Enfin, le volume d’activités engendré par les ACR a soumis les capacités de négociation des pays en développement à de sévères exigences. En raison de leurs ressources limitées, les pays en développement seraient mieux avisés de consacrer celles-ci à des négociations au sein d’enceintes multilatérales, où les gains potentiels sont sans aucun doute plus importants.

72. Qui plus est, il n’est pas évident que la prolifération d’accords commerciaux régionaux et non pas mondiaux soit, à long terme, dans l’intérêt des Etats-Unis. B.K. Gordon montre par exemple que la distribution mondiale des exportations américaines est extraordinairement équilibrée entre les trois principales régions économiques du monde que sont l’Amérique du Nord (le Canada et le Mexique), l’Est asiatique et l’Union européenne. Aucun autre acteur économique majeur ne bénéficie d’un tel équilibre. Les Etats-Unis ont donc bien plus à gagner d’un ordre commercial planétaire ouvert que d’une segmentation, aux termes de laquelle les effets de la diversion commerciale peuvent être importants. Intrinsèquement, cela signifie qu’en raison de son adhésion à un système de préférence régionale, un pays ne peut procéder à des importations en provenance de fournisseurs moins chers. Le problème réside actuellement dans le fait que le gouvernement des Etats-Unis considère qu’il a besoin d’options régionales à la fois comme "fixateur" de ses négociations et comme sauvegarde contre l’échec des pourparlers mondiaux. En adoptant cette approche, il ne fait aucun doute qu’il encouragera d’autres pays développés à faire de même, ce qui ne fera que faire peser sur l’économie internationale une série de règles sans cesse plus perturbatrices (B.K. Gordon).

73. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de place pour des accords spéciaux, en particulier pour les pays les moins développés. En octobre 2000, le Congrès des Etats-Unis a adopté l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), visant à constituer une mesure radicale permettant aux exportations en provenance de l'Afrique sub-saharienne d'accéder sans réserve aux marchés

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américains. Cette loi offre à 34 pays d’Afrique sub-saharienne un accès exempt de taxes et non limité par des quotas aux marchés américains et supprime tous les quotas existants sur les produits textiles et d’habillement. Depuis l'an 2000, cinq pays s’adjugent 95 % des exportations AGOA, reposant pour la plupart sur le pétrole. L’on constate néanmoins une augmentation considérable des importations de produits non pétroliers. Au cours des sept premiers mois de 2002, les consommateurs américains ont fait l’acquisition de produits AGOA autres que des carburants pour une valeur de 900 millions de dollars, soit 50 % de plus que deux ans auparavant (The Economist, 16 janvier 2003). D’après Oxfam, l’AGOA a stimulé les exportations de vêtements et d’habillement provenant d’un certain nombre de pays, ce qui, d’après les estimations, a généré une augmentation de 8 à 11 % des exportations non pétrolières globales en provenance d’Afrique. Ceci représente un développement vraiment positif.

74. L’AGOA a cependant ses détracteurs, dont plusieurs affirment que cette loi est avant tout conçue pour promouvoir les intérêts américains. C’est ainsi, par exemple, que les exigences relatives à l’origine stipulent que l’accès exempt de taxes pour les vêtements est lié à l’utilisation par les exportateurs de fibres américaines. Il s'agit-là d'une diversion commerciale sub-optimale qui entraîne des pertes concomitantes pour les producteurs de tissu africains. Aux termes de l’AGOA, les gouvernements désireux d’obtenir un accès exempt de taxes aux marchés américains doivent assurer la protection des droits de propriété intellectuelle des firmes américaines et adopter une politique non discriminatoire de libre accès aux investissements étrangers. Qui plus est, l’accès exempt de taxes dans le cadre de l’AGOA ne contribuera en rien à la vente des produits agricoles gravement pénalisés par les subventions à l’agriculture octroyées par les Etats-Unis et l’Union européenne.

75. En octobre 2000, la Commission européenne a avancé une proposition destinée à permettre aux 49 pays les moins développés (PMD) du monde d’accéder plus facilement à ses marchés. Cette proposition se prononçait en faveur d’un accès exempt de taxes et de quotas pour tous les produits exportés par les PMD, à l’exception de l'armement.

76. Oxfam a applaudi l’initiative TSA (Tout sauf les armes) et déclaré qu’en cas d’adoption, cette initiative enverrait un signal fort aux autres pays industrialisés. Les avantages étaient cependant modestes, la plupart des PMD bénéficiant déjà d’un accès exempt de taxes à l’Union européenne par le biais de la Convention de Cotonou. D’après Oxfam, les avantages issus de l’accroissement des revenus d’exportation "auraient été concentrés dans une poignée de produits, le sucre représentant plus de 60 % du total et le riz, les bananes et la viande de bœuf s’adjugeant quasiment tout le reste".

77. Malheureusement, la proposition TSA a fait l’objet d’un lobbying intensif de la part des puissants représentants du secteur agroalimentaire européen et plusieurs pays de l'Union européenne sont parvenus à bloquer certains aspects de l’initiative. D’après Oxfam, les assertions des groupes de pression étaient tout à fait exagérées. C’est ainsi, par exemple, que le groupe de pression de la betterave sucrière a averti que les exportations de sucre vers l’Union européenne augmenteraient de près de trois millions de tonnes en cinq ans, un chiffre qui – d’après Oxfam – dépasse de loin la capacité de fourniture des PMD. Quoiqu’il en soit, le Conseil des ministres a repoussé l’inclusion du sucre et du riz dans la proposition TSA jusqu’en 2009, incitant les détracteurs à renommer l’initiative "Tout sauf les farms" (Oxfam, mai 2001).

X. TEXTILES ET HABILLEMENT

78. Le secteur des textiles, gros consommateur de main-d'œuvre, revêt une importance critique pour le faible secteur industriel de nombreux pays plus pauvres. Des pays comme la Chine et l'Inde, pour ne citer qu'eux, possèdent un avantage relatif incontestable par rapport à des producteurs implantés en Occident, surtout au plus bas niveau du marché. Les barrières actuelles

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à l'exportation de ces produits vers des pays développés constituent dès lors une source de dissension marquée entre pays pauvres et pays riches.

79. Les pays développés ont souscrit à l'Accord de l'Uruguay Round sur les Textiles et l'Habillement (ATH), aux termes duquel ils se sont engagés à éliminer progressivement les quotas bilatéraux sur les textiles et les vêtements d'ici le début de 2005. A ce jour, peu de progrès ont été réalisés pour honorer ces engagements et les pays en développement, notamment ceux qui sont membres du Bureau international de l'habillement et du textile, accusent les Etats-Unis et l'Union européenne de reporter la libéralisation jusqu'à l'extrême fin de la période de mise en oeuvre. Les pays en développement s'inquiètent aussi du fait que seules les exigences minimums de l'ATH seront respectées et que le protectionnisme resurgira sous d'autres formes, telles que des actions anti-dumping (www.cid.harvard.edu).

80. La confiance des pays en développement dans un nouveau round consacré à la libéralisation dépend donc aussi des progrès réalisés par les Occidentaux dans l'application des engagements pris lors de l'Uruguay Round sur le démantèlement des barrières faisant obstacle à la production du textile et de l'habillement. Ces engagements sont cependant fort impopulaires parmi les milieux syndicaux occidentaux. Un dirigeant d'un syndicat textile a déclaré aux membres de cette Sous-commission à New York l'année dernière que les pays en développement finiront par regretter l'ancien système de quotas dès l'instant où ils auront pris conscience de l'ampleur des dégâts qu'infligera la production textile chinoise à leurs propres sociétés dans un environnement commercial plus ouvert (Compte-rendu du Secrétariat de l'AP-OTAN - New York et San Francisco [AV 73 EC/TER (02) 3]). Un accord final pourrait donc s'avérer très difficile à atteindre à Genève si les pays développés ne respectent pas leurs engagements ATH d'ici 2005. (Sally)

XI. ECHANGES D'AUTRES BIENS INDUSTRIELS

81. La déclaration ministérielle de Doha préconisait la réduction ou l'élimination, selon les cas, des barrières tarifaires et non tarifaires, "en particulier sur les produits présentant un intérêt pour les pays en développement".

82. Actuellement, les listes tarifaires des pays développés entravent les exportations des pays en développement dans les domaines de l'acier, des produits énergétiques, des articles en cuir et des chaussures, des textiles et de l'habillement. Ce sont surtout les crêtes tarifaires (droits de plus de 15 %) qui s'appliquent le plus souvent à la production des pays en développement. En fait, une analyse minutieuse des structures tarifaires des pays développés révèle une importante progression des droits (selon laquelle plus le niveau de transformation est important dans la production, plus les droits sont élevés – une structure qui décourage fondamentalement le développement économique réel). Dans l'UE et au Japon, les produits manufacturiers entièrement transformés sont sujets à des droits deux fois plus élevés que les produits se situant au stade initial du processus de transformation (Hoekman, World Bank Policy Research Working Paper). En rendant les produits transformés exagérément onéreux, la progressivité des droits entrave brutalement le développement d'une infrastructure industrielle dans les pays moins développés. Dans ce domaine en particulier, la politique commerciale occidentale semble être en contradiction directe avec les objectifs de développement énoncés par la plupart des pays développés. L'on atteint ainsi le summum de l'hypocrisie.

83. La moyenne pondérée globale des droits de douane américains (soit 2 % environ sur les importations mondiales) est relativement faible par rapport aux standards internationaux. Pourtant, plutôt que d'appliquer ce taux de manière égale entre les nations, les Etats-Unis appliquent leurs droits selon le type de produit importé. Les articles les plus durement frappés à cet égard sont ceux produits par les pays les plus pauvres : produits agricoles, textiles et vêtements. Combinés à

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l'impact des quotas, les droits de douane américains posent un obstacle de taille à tout pays qui désire pénétrer dans l'économie mondiale. La moyenne pondérée des droits de douane américains finit par varier largement en fonction de la richesse économique des pays exportateurs. Ceux qui ont un revenu de 25 000 dollars/an subissent un droit de douane moyen de 2 %, tandis que 25 pays dont le PIB par habitant est inférieur à 1 000 dollars sont confrontés à des droits nettement supérieurs à la moyenne américaine (Froning).

84. Plus déprimant encore est le fait que les échanges entre pays en développement sont entravés par leurs propres droits de douane – élevés et différenciés – ainsi que par une série de barrières non tarifaires. Les crêtes tarifaires sont particulièrement courantes dans les régimes tarifaires des pays en développement, ce qui a des répercussions néfastes sur le commerce sud-sud.

85. Il y a actuellement quelques signes de consensus parmi les membres de l'OMC à propos des modalités de négociations sur la réduction des droits de douane. La proposition la plus radicale à ce jour, formulée d'abord par la Nouvelle Zélande, puis par les Etats-Unis, prévoirait une abolition mondiale de tous les droits de douane d'ici 2015. Selon Robert Zoellick : "L'annulation totale des droits de douane permettrait aux secteurs manufacturiers des pays en développement d'être compétitifs. La proposition éliminerait les barrières entre les pays en développement, barrières qui comprennent 70 % de droits de douane. En éliminant les entraves au commerce de produits agricoles et de biens manufacturés, les revenus du monde en développement pourraient augmenter de plus de 500 milliards de dollars" (Zoellick).

86. Un analyste a qualifié cette proposition de "signe le plus visible de la résurgence de l'activisme américain dans la politique du commerce mondial". (Sally) Mais l'Europe et le Japon y ont à peine prêté attention si bien qu'elle n'a finalement pas pu rassembler un large soutien. Selon Zoellick, si les Etats-Unis "sont pressés d''approfondir' l'OMC en libérant le commerce sur tous les points à l'ordre du jour de l'accès au marché", l'Union Européenne espère "'élargir' le mandat de l'OMC en développant de nouvelles règles englobant plus de sujets" (Zoellick). Certains analystes considèrent la proposition américaine comme une position de pure façade, impossible à mettre en oeuvre d'un point de vue politique. Mais le débat a mis en évidence les divergences transatlantiques permanentes en matière d'échanges de produits agricoles.

87. Notons également que de nombreux pays en développement s'opposent fermement à la proposition américaine. Comme ils maintiennent des droits de douane en moyenne plus élevés et vu l'incidence accrue des crêtes tarifaires et de la progressivité des droits, ce sont eux qui auraient le plus à souffrir d'un tel ajustement. Les économistes libéraux prétendent par contre que supprimer ces barrières serait tout à leur avantage surtout si les pays développés agissaient de même. Leur position met également au grand jour les obstacles réels et psychologiques qui entravent le développement du commerce sud-sud, un catalyseur de développement potentiel confronté à d'innombrables barrières au libre-échange.

XII. ETAT D'AVANCEMENT DU DOHA ROUND

88. Le cycle des négociations commerciales multilatérales de Doha a été lancé lors de la Quatrième conférence ministérielle au Qatar en novembre 2001. Conscients des charges imprévues imposées aux pays en développement par l’Uruguay Round, les ministres ont accepté de prolonger les périodes de transition et amélioré l’assistance technique pour aider à la mise en œuvre des accords précédents. Les négociateurs ont également reconnu la nécessité d’accorder un traitement spécial et différent aux pays en développement pour presque tous les aspects du nouveau round.

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89. Les gouvernements occidentaux reconnaissent la nécessité d’une plus grande souplesse dans la mise en œuvre de l’accord ADPIC dans le domaine crucial de la santé publique. Tant les Etats-Unis que l’Union européenne se sont engagés à réduire les droits de douane et les subventions, en particulier pour l’agriculture.

90. S'il est vrai que la Déclaration ministérielle de Doha établit les grandes lignes de l’ordre du jour des négociations, les véritables tractations n'ont pas encore commencé. Ceci est tout à fait normal d’un certain point de vue. L’approche de dates butoirs a tendance à faire converger les vues des diplomates et de leurs dirigeants, de sorte que, lors des précédents pourparlers commerciaux, les contours de l'accord final ne se sont dessinés qu'à la fin des négociations. Les négociations de Doha ont débuté en janvier 2002 et doivent s’achever au plus tard le 1er janvier 2005.

91. Aujourd'hui pourtant, il existe un fossé manifeste entre pays en développement et pays développés a propos de questions très fondamentales liées à l'accès au marché et aux subventions – un gouffre qui paraît difficile à combler au vu du climat politique et économique actuel. D’aucuns prétendent que si l’Accord de Doha "a considérablement revitalisé à court terme une OMC démoralisée et affaiblie après Seattle très peu de progrès ont été enregistrés à Genève depuis le début du round" (Sally). D’autres par contre évoquent l’accord TRIPS de l’OMC survenu en août 2003 et l’accès aux médicaments qu’ils considèrent plutôt comme un développement positif, ainsi que l’accord de juin 2003 sur la réforme de la PAC, un résultat atteint en partie suite aux pressions résultant des négociations de l’OMC. Les attaques du 11 septembre ont certainement contribué à rassembler les esprits, au moment où les dirigeants mondiaux cherchaient à délivrer un message de solidarité et d’optimisme économique. Toutefois, depuis lors, les Etats membres se sont retrouvés accrochés aux problèmes qui doivent impérativement être résolus pour qu’un accord puisse être conclu. Deux dates butoirs essentielles pour parvenir à de "claires recommandations" sur un traitement spécial et différent (juillet 2002 et décembre 2002) ont été dépassées sans le moindre accord. Il ne fait aucun doute que, faute d’un engagement vigoureux et actif des différentes capitales, la progression des pourparlers s’avérera très difficile. La majeure partie de l’élan enregistré lors de la quatrième conférence ministérielle a déjà été gaspillée lors des préparatifs de la conférence ministérielle de Cancun.

XIII. LE SOMMET DE CANCUN

92. Au cours des mois qui ont précédé le sommet de Cancun, il est devenu évident que des concessions sur l’agriculture de l’Union européenne et des Etats-Unis allaient s’avérer nécessaires pour permettre la survie du Doha Round. D’autres membres de l’OMC exhortaient les deux parties à collaborer afin de trouver un terrain d’entente et d’être prêtes à d’importants compromis en matière de commerce agricole. Après une dernière session au finish le 13 août, les Etats-Unis et l’Union européenne ont affirmé avoir enterré certaines de leurs principales divergences concernant la politique agricole. Des acteurs clefs dont le Groupe de Cairns et l’Inde, ainsi que des ONG influentes (telles Oxfam), ont néanmoins considéré la proposition, qualifiée par The Economist d’émaillée de termes flous et d’engagements très vagues, comme viciée à la base (The Economist, 14 août 2003).

93. L’accord qui appelle à tout un éventail de réformes, de réduction des subventions et de limitation des dépenses manque effectivement de détails. C’est ainsi, par exemple, que le texte final propose de limiter certaines aides financières faussant les échanges commerciaux à 5 % de la production agricole totale. Cette mesure est moins importante qu’en apparence, car elle ignore de nombreuses autres aides qui faussent le marché. La plupart des programmes européens et américains de subventions agricoles – qui coûtent respectivement 88 milliards et 52 milliards de dollars par an – ne sont pas considérés comme faussant la concurrence, alors que la grande majorité des économistes et des pays en développement font valoir le contraire. C’est pourquoi

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plusieurs pays en développement – avec, à leur tête, le Brésil, l’Inde et la Chine – ont répondu à l’accord entre les Etats-Unis et l’Union européenne en faisant une série de propositions beaucoup plus radicales pour éradiquer toutes les subventions aux exportations agricoles et un éventail de réductions spécifiques à des produits dans des domaines qui ne sont traditionnellement pas considérés comme faussant les échanges commerciaux. Ils ont également recherché un accord plus équilibré concernant l’accès aux marchés et les tarifs douaniers «minimaux» records utilisés par les pays développés pour protéger des secteurs sensibles. Des petits pays d’Afrique centrale et occidentale, qui comptent parmi les producteurs de coton les plus efficaces au monde, se sont joints à la mêlée en demandant l’élimination dans les trois ans des subventions cotonnières. Le gouffre séparant ces deux textes a finalement eu raison des meilleures intentions des négociateurs à Cancun.

94. Le Brésil, l’Inde et la Chine ont également joué un rôle moteur dans la création du bloc de négociation appelé le Groupe des 21. Celui-ci a engagé les importants pays en développement à revenus moyens dans un effort concerté pour défendre leurs intérêts collectifs. L’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Egypte, la Bolivie, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, Cuba, l’Equateur, le Salvador, le Guatemala, le Mexique, le Pakistan, le Paraguay, le Pérou, les Philippines, la Thaïlande et le Venezuela se sont joints à ce groupe, qui représente près de la moitie de la population mondiale et deux tiers de ses agriculteurs.

95. A Cancun, le G-21 a insisté sur des réductions du soutien apporté à des produits spécifiques, sur la totale élimination des subventions aux exportations agricoles et sur la réduction des tarifs douaniers imposés aux produits agricoles. Il a également bloqué les efforts européens pour négocier sur les "Singapore Issues": de nouvelles règles pour promouvoir les investissements mondiaux, une plus grande transparence dans les acquisitions gouvernementales, des politiques antitrust et des efforts pour faciliter le commerce mondial en révisant d’autres politiques intérieures qui conduisent implicitement au protectionnisme.

96. A tout le moins, le G-21 est parvenu à mettre en lumière certaines des véritables inégalités qui prévalent dans le système commercial international actuel. Il ne constitue cependant pas un groupement particulièrement homogène. Plusieurs de ses membres sont d’importants exportateurs agricoles, tandis que d’autres constituent des importateurs nets de produits alimentaires. Le Brésil, pour prendre un exemple, constitue un très important exportateur de produits alimentaires et devrait bénéficier de règles commerciales plus libérales sur l’agriculture, tandis que l’Inde désire le maintien des tarifs douaniers sur les produits agricoles pour ce qui la concerne, tout en éliminant les subventions agricoles à l’étranger. Qui plus est, ce groupe n’engage pas les PMD qui, à de nombreux égards, peuvent avoir une série de priorités différentes. Certains ont fait valoir que le manque de souplesse affiché par le G-21 trouve son origine dans ces contradictions internes, qui constituent donc une source de faiblesse. En fin de compte, les deux camps ont peut-être abouti à un échec en raison du fait que les pays en développement sont allés trop loin dans leurs exigences en n’ayant que de faibles cartes en main, tandis que les pays riches ont, maladroitement, tenté d’imposer leur point de vue.

97. Il ne fait aucun doute que l’insistance mise par les Américains et les Européens sur la protection de certains produits de base critiques a joué un rôle dans l’effondrement des négociations. Les responsables américains ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils sont désormais parfaitement préparés à obtenir un accord commercial en dehors de l’OMC, sur une base bilatérale ou régionale. Lorsque la rupture est devenue apparente, Robert Zoellick a laissé entendre que le Groupe des 21 avait tout simplement "manqué l’occasion de réduire nos subventions" et il se pourrait bien que cela soit effectivement le cas. Il a ajouté : "Nous sommes toujours prêts à nous engager [dans le cadre de l’OMC], mais nous n’attendrons cependant pas indéfiniment" (King & Scott Miller). Ceux qui ont sablé le champagne pour célébrer l’échec des pourparlers ne réalisent probablement pas les difficultés que les pays en développement rencontreront pour défendre leurs intérêts collectifs dans des pourparlers bilatéraux de ce type. Ils n’ont sans doute pas davantage lu une récente étude de la Banque mondiale, qui indique que les

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pertes résultant des échanges commerciaux manqués en raison de l’échec du Round pourraient totaliser pas moins de 500 milliards de dollars par an pour l’économie mondiale.

98. L’échec de Cancun ne signifie pas que le Doha Round appartienne au passé. Il constitue toutefois un revers débilitant pour ce processus et l’on peut s’interroger sur son avenir. Le sentiment protectionniste se renforce manifestement aux Etats-Unis, où la diminution des rentrées fiscales et le coût de la guerre en Irak jettent une ombre menaçante sur les modestes perspectives de reprise. Un nouveau ralentissement économique aux Etats-Unis renforcerait probablement la position des protectionnistes. Qui plus est, l’approche de l’élection présidentielle ne constitue jamais le moment de se lancer dans de nouvelles initiatives commerciales audacieuses et les partenaires commerciaux de l’Amérique en sont pleinement conscients.

99. L'Union européenne pour sa part se retranche dans une position très inflexible en matière agricole, en dépit des récents efforts pour découpler la production et les subventions. Les Etats membres de l’Union européenne sont également confrontés à de graves difficultés fiscales et structurelles, susceptibles de persister au cours des prochaines années. La réforme de l’agriculture s’inscrit dans toute une panoplie de réformes indispensables pour la plupart des observateurs. Parallèlement, l’Union se prépare à l’élargissement le plus ambitieux et difficile à ce jour. Tous ces facteurs auront tendance à pousser les gouvernements européens au repli et ne pourront que rendre plus difficile une décision de l’Union d’entamer des négociations commerciales substantielles.

100. Le problème est que, si les Etats-Unis et l’Union européenne décident de tout simplement contourner l’OMC, les pays les moins développés ne disposeront d’aucun autre moyen puissant de s’attaquer aux iniquités structurelles dans leurs relations commerciales. L’Asie, la Chine et le Japon semblent préparés à suivre le chemin indiqué par les Etats-Unis et à opter pour la "bilatéralisation" des accords commerciaux. Cela constitue une menace pour le Doha Round : tandis que les pays développés se concentreraient sur leurs tribulations économico-politiques, les pays en développement se retrouveraient marginalisés. A cet égard, l’on peut vraiment considérer Cancun comme une occasion manquée.

XIV. CONCLUSIONS

101. Pour que les gains du commerce puissent se concrétiser, il faut disposer de cadres appropriés au niveau national et au niveau international, afin de s'assurer que les opportunités commerciales puissent être à la fois créées et exploitées. Il s'agit là d'un principe fondamental pour les partenariats entre pays développés et pays en développement. Les gouvernements occidentaux doivent apporter une plus grande assistance aux pays en développement, qui n'ont toujours pas les fondements institutionnels, le personnel et le savoir-faire nécessaires pour établir les corrélations voulues entre leurs relations commerciales et des ambitions de développement plus large. L'aide au développement liée au commerce devrait impliquer un engagement non seulement pour les Etats bénéficiaires, mais aussi pour le secteur privé et la société civile. Les trois composantes sont nécessaires pour s'assurer que la politique commerciale et l'accès réciproque aux marchés soutiennent des stratégies de développement plus large. La dissémination et l'analyse de l'information liée aux échanges devraient reposer sur la base la plus étendue possible afin de parvenir au consensus tellement nécessaire en matière de politique commerciale. Les pays donateurs peuvent jouer un rôle clé dans la promotion de ce dialogue conçu pour renforcer les institutions et construire le savoir-faire requis pour que l'ouverture commerciale fonctionne. Mais si les intérêts des pays en développement ne sont pas respectés, ils seront bien placés pour bloquer tout progrès – un fait bien mis en évidence à Seattle et Cancun.

102. En effet, tout effort déployé en ce sens restera illusoire si l'Occident refuse d'engager les intérêts des pays en développement de manière significative dans l'actuel Doha Round. Un échec en la matière reviendrait à tourner en dérision l'engagement ostensible de l'Occident envers

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l'adhésion du monde en développement au système de commerce mondial, mais il mettrait aussi en péril le système proprement dit. Alors que les tensions sont aujourd'hui à leur paroxysme, un échec sur la voie du développement du commerce mondial pourrait s'avérer désastreux pour l'Amérique du Nord, l'Europe et le monde en développement. Il existe aujourd'hui des préoccupations légitimes quant au risque d'ébranlement des bases de la stabilité de l'après-guerre. Le spectre d'une Europe et d'une Amérique se retranchant derrière les hauts murs de leur forteresse sécuritaire et économique augure un tournant catastrophique dans l'évolution de la situation. En effet, ces murs n'apportent que l'illusion de la sécurité. L'engagement est essentiel et en termes commerciaux, cela signifie que parvenir à un accord à Genève est la seule alternative possible si l'on veut éviter tout recul et lutter contre la montée du protectionnisme alimenté par l'animosité, le provincialisme économique, le ressentiment et la peur. Une telle évolution ne serait pas tolérable, mais elle risque de se produire si le monde développé ne va pas à la rencontre des besoins et préoccupations des pays en développement. Pour leur part, les dirigeants des pays en développement doivent apprendre à faire la distinction entre ce qu'il est possible de réaliser dans un univers économique parfait et ce qui est faisable lorsqu'on s'aventure dans les arcanes politiques du commerce. Répondre à ces préoccupations ne peut et ne doit évidemment se faire que sur une base où les deux parties sont gagnantes, notamment si cela implique des réductions parallèles de barrières commerciales coûteuses.

103. Il ne fait aucun doute qu'il n'y aura pas d'amélioration tant que l'Occident ne fera pas preuve de courage et ne prendra pas l'initiative d'octroyer aux producteurs de produits sensibles dans les pays en développement un accès plus large au marché. Les régimes tarifaires actuels en Occident sont terriblement faussés par rapport à la production des pays en développement et n'offrent aux pays les plus pauvres que peu de perspectives réalistes de galvaniser le développement via les marchés internationaux. Cela est inacceptable, et des mesures doivent être prises pour ouvrir les marchés agricole et industriel occidentaux, tous deux protégés par des droits de douane discriminatoires on ne peut plus élevés. Mais les pays en développement ont eux aussi érigé des barrières douanières envers les produits et services des pays développés et des pays en développement. Ces barrières aussi doivent être démantelées pour que le commerce devienne le moteur de la croissance et du développement

104. Les ONG supposées fonctionner dans l'intérêt des pays en développement devraient focaliser leurs efforts pour encourager une plus grande libéralisation du commerce et promouvoir mieux et davantage les projets de renforcement des capacités. Plutôt que de s'élever contre l'économie internationale en tant que telle, leur combat devrait être mieux canalisé vers des appels à la réduction des structures tarifaires des pays développés qui pratiquent une discrimination excessive à l'encontre des produits des pays en développement tout en incitant ces derniers à privilégier plutôt qu’à redouter le marché mondial. L’hystérie antimondialisation qui entoure la plupart des discussions commerciales masque en réalité un ordre du jour conçu pour aider des groupes d’intérêt spécifique dans les pays développés. Les dirigeants doivent aider leurs électeurs à faire la différence entre les préoccupations légitimes et les politiques commerciales proposées au nom des pays en développement qui, si elles étaient mises en œuvre, ne feraient qu’entraver la croissance et le développement

105. Parallèlement cependant, l'extension d'un traitement préférentiel sera essentielle dans des domaines tels que les médicaments, vis-à-vis desquels des préoccupations inhérentes au développement au sens large peuvent clairement l'emporter sur des obligations commerciales immédiates. Ce traitement sera toujours délicat, et il est important qu'il soit appliqué dans des scénarios clairement définis. A défaut, l'ordre commercial serait encore plus entravé par une série d'exceptions et d'échappatoires qui permettrait de profiter du système plutôt que de stimuler un développement et une croissance réels.

106. Ce ne sont pas les initiatives qui ont manqué ces dernières années pour souligner la nécessité de soutenir le renforcement des capacités dans les pays en développement. Il y a une

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raison à cela : de nombreux pays en développement et notamment les PMD, n'ont pas la capacité ni de négocier dans le cadre de pourparlers commerciaux multilatéraux de plus en plus complexes, ni d'exploiter les opportunités qui se présentent sur les marchés mondiaux. Ces pays ont besoin de plus d'assistance de la part de l'Occident dans ce domaine. Un autre problème réside dans le fait que les trésoreries des pays en développement continuent à dériver une part relativement importante des revenus fiscaux de la perception de droits douaniers et qu’elles sont souvent mal préparées pour percevoir des revenus par d’autres moyens. Aider ces pays à résoudre ce dilemme fiscal devrait également constituer un l’objectif d’aide au renforcement des capacités

107. Les négociations commerciales multilatérales ne sont pas le seul mécanisme. Il existe en fait une multiplication d'accords bilatéraux qui pourraient constituer le moteur primaire de la libéralisation dans les années à venir en cas d'échec du processus de l'OMC – même si une telle alternative n'est certainement pas la plus souhaitable et est même susceptible de nuire à l’économie mondiale, car les accords commerciaux régionaux détournent souvent une quantité importante des échanges commerciaux.

108. Les pays en développement devraient bénéficier de la liberté adéquate pour adapter leur politique commerciale à une stratégie de développement plus large. L’ouverture prématurée du marché des capitaux peut avoir des implications désastreuses pour l’économie et le développement si des structures institutionnelles pleinement articulées ne sont pas en place. La fuite soudaine des capitaux à court terme liée à une structure financière relativement sous-développée a été l’une des causes majeures de la crise financière asiatique. L’Occident doit mieux tenir compte de ces vulnérabilités et ne pas faire de l’ouverture commerciale l’otage d’exigences politiques qui peuvent être totalement inappropriées pour certains pays en développement. Il revient, en fin de compte, à ces pays de se prononcer eux-mêmes sur la meilleure voie à suivre vers le développement (Bhagwati et Tarullo).

109. Enfin, si l’échec de Cancun implique un retard dans les pourparlers commerciaux multilatéraux, les dirigeants de l’Amérique du Nord et de l’Europe ne doivent pas perdre de vue la nécessité de conclure le Doha Round sur une amélioration de l’accès aux marchés et sur des règles commerciales plus équitables. Ils devront cependant être préparés à consentir des sacrifices politiques à court terme afin d’obtenir des bénéfices à long terme. En fin de compte, tout autre résultat représenterait un véritable échec aux très graves implications à long terme.

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