Affaire Akinnibosun c. Italie
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QUATRIEgraveME SECTION
AFFAIRE AKINNIBOSUN c ITALIE
(Requecircte no 905614)
ARREcircT
STRASBOURG
16 juillet 2015
Cet arrecirct deviendra deacutefinitif dans les conditions deacutefinies agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la
Convention Il peut subir des retouches de forme
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 1
En lrsquoaffaire Akinnibosun c Italie
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (quatriegraveme section) sieacutegeant
en une chambre composeacutee de
Paumlivi Hirvelauml preacutesidente
Guido Raimondi
Ledi Bianku
Nona Tsotsoria
Paul Mahoney
Krzysztof Wojtyczek
Faris Vehabović juges
et de Fatoş Aracı greffiegravere adjointe de section
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 23 juin 2015
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 905614) dirigeacutee
contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant nigeacuterian M Eyitope
Akinnibosun (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 30 deacutecembre 2013 en vertu
de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des
liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)
2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me L Garrisi avocat agrave Lecce Le
gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute par son agente
Mme E Spatafora et par son coagent M Gianluca Mauro Pellegrini
3 Le 20 feacutevrier 2014 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
4 Les faits de la cause tels qursquoils ont eacuteteacute exposeacutes par les parties
peuvent se reacutesumer comme suit
5 De nationaliteacute nigeacuteriane le requeacuterant prit la mer depuis la Libye ougrave il
vivait avec sa femme et ses deux enfants agrave bord drsquoune embarcation sur
laquelle il emmena sa fille A neacutee en 2006 Il arriva en Italie en septembre
2008
6 Une fois sur le territoire italien il introduisit une demande de
protection internationale Agrave une date non preacuteciseacutee la Commission
territoriale de reconnaissance du statut de reacutefugieacute lui deacutelivra un permis de
seacutejour pour raisons humanitaires
2 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
7 Le requeacuterant et sa fille furent accueillis par la municipaliteacute de
Trepuzzi Inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes ils
beacuteneacuteficiegraverent drsquoune aide mateacuterielle psychologique et drsquoune assistance
juridique
8 Au cours de cette peacuteriode les services sociaux commencegraverent agrave
surveiller de pregraves le rapport entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les premiers
rapports deacuteposeacutes faisaient eacutetat drsquoune relation difficile entre eux deux
9 En avril 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur la
situation de A Ce rapport deacutecrivait une enfant en deacutetresse et une relation
difficile entre le requeacuterant et sa fille Selon la psychiatre qui avait rencontreacute
lrsquoenfant en 2008 celle-ci souffrait drsquoun stress post-traumatique elle se
sentait abandonneacutee et avait besoin drsquoecirctre aideacutee Quant au requeacuterant les
services sociaux remarquegraverent qursquoil avait une difficulteacute relationnelle avec
lrsquoenfant
10 Le 2 avril 2009 soupccedilonneacute de faire partie drsquoune association de
malfaiteurs en vue de pratiquer le trafic de clandestins le requeacuterant fut
arrecircteacute Il fut placeacute en deacutetention preacuteventive
11 Entre-temps le 18 avril 2009 le tribunal pour enfants de Lecce
(ci-apregraves laquo le tribunal raquo) deacutecida de placer la fille du requeacuterant dans un foyer
agrave Ostuni
12 Le 6 juin 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un autre rapport qui
indiquait que lrsquoenfant se reacuteveillait la nuit en criant et soulignait qursquoelle avait
besoin de la preacutesence drsquoun adulte afin drsquoecirctre rassureacutee
13 Par un deacutecret du 21 janvier 2010 le tribunal suspendit lrsquoautoriteacute
parentale du requeacuterant nomma un tuteur et deacutecida le placement de lrsquoenfant
dans une famille drsquoaccueil
14 Par un arrecirct du 7 juillet 2011 le requeacuterant fut acquitteacute et remis en
liberteacute
15 Une fois libeacutereacute le requeacuterant demanda agrave pouvoir rencontrer sa fille
A La proceacutedure portant sur le droit de visite
16 Le 23 feacutevrier 2012 un test ADN fut effectueacute pour veacuterifier le lien
entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les reacutesultats du test deacutemontraient
apparemment qursquoil y avait un lien geacuteneacutetique entre les deux
17 Le 17 mai 2012 A fut entendue par le tribunal pour enfants Elle
reconnut le requeacuterant sur une photo en le deacutesignant comme laquo le papa
qursquoelle avait avant et qui parlait anglais raquo elle ne srsquoopposa pas agrave une
eacuteventuelle rencontre
18 Par un deacutecret du 19 juillet 2012 le tribunal autorisa les rencontres
entre le requeacuterant et sa fille une premiegravere rencontre devait avoir lieu en
preacutesence des services sociaux
19 Le 30 juillet 2012 eut lieu la premiegravere rencontre entre A et le
requeacuterant en preacutesence des services sociaux
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3
20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le
deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les
informations suivantes
ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du
requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute
la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et
la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer
son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que
son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle
21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave
nouveau rencontrer sa fille
22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux
indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue
agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne
ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant
Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal
ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du
requeacuterant
ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que
celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant
23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la
demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation
des rencontres
Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues
par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait
tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision
le tribunal estima
ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant
ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les
rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant
ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une
possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales
24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en
demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait
ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences
irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien
entre lui et sa fille
ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais
seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait
drsquoexercer son rocircle de parent
25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout
drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal
4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de
suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux
qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle
ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de
lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la
rencontre
ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique
ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et
lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes
supposeacutes de maltraitance
27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la
cour drsquoappel releva et consideacutera en outre
ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que
sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille
drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait
pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille
ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de
ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant
ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil
28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se
prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses
preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement
ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services
sociaux
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une
reacutegression dans son comportement
29 La cour consideacutera en outre
ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie
stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers
ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir
ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions
de vie adeacutequates
30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte
avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit
ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la
rencontre
ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal
31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour
lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de
sa sœur
En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les
rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5
conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le
droit de visite du requeacuterant
32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres
agrave lrsquoenfant
Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil
lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les
langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de
chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle
avait une famille ailleurs
Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de
lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se
conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait
qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile
pour lui
B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant
33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de
Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable
Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait
bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le
tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord
ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille
soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa
grand-megravere au Nigeria
ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer
ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute
sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
34 Le tribunal consideacutera en outre
ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait
fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle
ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille
eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009
ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de
comprendre ses besoins
Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant
avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en
obtenir agrave nouveau la garde
35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat
drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable
36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance
supeacuterieure
ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute
6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille
drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui
et sa fille
ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de
soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille
Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence
illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures
publiques
En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant
37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave
titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de
193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail
38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours
du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant
Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de
faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant
notamment
ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes
entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute
ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa
fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux
ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de
laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave
plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui
teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services
sociaux
39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des
renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de
la megravere
Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la
deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille
drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux
pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs
rapports deacuteposeacutes en 2009
40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et
A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune
situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre
la cour consideacutera
ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial
puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se
reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee
ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne
pouvant assurer les soins neacutecessaires
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 1
En lrsquoaffaire Akinnibosun c Italie
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (quatriegraveme section) sieacutegeant
en une chambre composeacutee de
Paumlivi Hirvelauml preacutesidente
Guido Raimondi
Ledi Bianku
Nona Tsotsoria
Paul Mahoney
Krzysztof Wojtyczek
Faris Vehabović juges
et de Fatoş Aracı greffiegravere adjointe de section
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 23 juin 2015
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 905614) dirigeacutee
contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant nigeacuterian M Eyitope
Akinnibosun (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 30 deacutecembre 2013 en vertu
de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des
liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)
2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me L Garrisi avocat agrave Lecce Le
gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute par son agente
Mme E Spatafora et par son coagent M Gianluca Mauro Pellegrini
3 Le 20 feacutevrier 2014 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
4 Les faits de la cause tels qursquoils ont eacuteteacute exposeacutes par les parties
peuvent se reacutesumer comme suit
5 De nationaliteacute nigeacuteriane le requeacuterant prit la mer depuis la Libye ougrave il
vivait avec sa femme et ses deux enfants agrave bord drsquoune embarcation sur
laquelle il emmena sa fille A neacutee en 2006 Il arriva en Italie en septembre
2008
6 Une fois sur le territoire italien il introduisit une demande de
protection internationale Agrave une date non preacuteciseacutee la Commission
territoriale de reconnaissance du statut de reacutefugieacute lui deacutelivra un permis de
seacutejour pour raisons humanitaires
2 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
7 Le requeacuterant et sa fille furent accueillis par la municipaliteacute de
Trepuzzi Inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes ils
beacuteneacuteficiegraverent drsquoune aide mateacuterielle psychologique et drsquoune assistance
juridique
8 Au cours de cette peacuteriode les services sociaux commencegraverent agrave
surveiller de pregraves le rapport entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les premiers
rapports deacuteposeacutes faisaient eacutetat drsquoune relation difficile entre eux deux
9 En avril 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur la
situation de A Ce rapport deacutecrivait une enfant en deacutetresse et une relation
difficile entre le requeacuterant et sa fille Selon la psychiatre qui avait rencontreacute
lrsquoenfant en 2008 celle-ci souffrait drsquoun stress post-traumatique elle se
sentait abandonneacutee et avait besoin drsquoecirctre aideacutee Quant au requeacuterant les
services sociaux remarquegraverent qursquoil avait une difficulteacute relationnelle avec
lrsquoenfant
10 Le 2 avril 2009 soupccedilonneacute de faire partie drsquoune association de
malfaiteurs en vue de pratiquer le trafic de clandestins le requeacuterant fut
arrecircteacute Il fut placeacute en deacutetention preacuteventive
11 Entre-temps le 18 avril 2009 le tribunal pour enfants de Lecce
(ci-apregraves laquo le tribunal raquo) deacutecida de placer la fille du requeacuterant dans un foyer
agrave Ostuni
12 Le 6 juin 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un autre rapport qui
indiquait que lrsquoenfant se reacuteveillait la nuit en criant et soulignait qursquoelle avait
besoin de la preacutesence drsquoun adulte afin drsquoecirctre rassureacutee
13 Par un deacutecret du 21 janvier 2010 le tribunal suspendit lrsquoautoriteacute
parentale du requeacuterant nomma un tuteur et deacutecida le placement de lrsquoenfant
dans une famille drsquoaccueil
14 Par un arrecirct du 7 juillet 2011 le requeacuterant fut acquitteacute et remis en
liberteacute
15 Une fois libeacutereacute le requeacuterant demanda agrave pouvoir rencontrer sa fille
A La proceacutedure portant sur le droit de visite
16 Le 23 feacutevrier 2012 un test ADN fut effectueacute pour veacuterifier le lien
entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les reacutesultats du test deacutemontraient
apparemment qursquoil y avait un lien geacuteneacutetique entre les deux
17 Le 17 mai 2012 A fut entendue par le tribunal pour enfants Elle
reconnut le requeacuterant sur une photo en le deacutesignant comme laquo le papa
qursquoelle avait avant et qui parlait anglais raquo elle ne srsquoopposa pas agrave une
eacuteventuelle rencontre
18 Par un deacutecret du 19 juillet 2012 le tribunal autorisa les rencontres
entre le requeacuterant et sa fille une premiegravere rencontre devait avoir lieu en
preacutesence des services sociaux
19 Le 30 juillet 2012 eut lieu la premiegravere rencontre entre A et le
requeacuterant en preacutesence des services sociaux
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3
20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le
deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les
informations suivantes
ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du
requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute
la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et
la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer
son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que
son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle
21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave
nouveau rencontrer sa fille
22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux
indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue
agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne
ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant
Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal
ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du
requeacuterant
ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que
celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant
23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la
demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation
des rencontres
Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues
par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait
tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision
le tribunal estima
ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant
ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les
rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant
ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une
possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales
24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en
demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait
ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences
irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien
entre lui et sa fille
ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais
seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait
drsquoexercer son rocircle de parent
25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout
drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal
4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de
suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux
qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle
ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de
lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la
rencontre
ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique
ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et
lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes
supposeacutes de maltraitance
27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la
cour drsquoappel releva et consideacutera en outre
ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que
sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille
drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait
pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille
ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de
ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant
ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil
28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se
prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses
preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement
ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services
sociaux
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une
reacutegression dans son comportement
29 La cour consideacutera en outre
ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie
stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers
ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir
ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions
de vie adeacutequates
30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte
avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit
ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la
rencontre
ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal
31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour
lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de
sa sœur
En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les
rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5
conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le
droit de visite du requeacuterant
32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres
agrave lrsquoenfant
Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil
lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les
langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de
chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle
avait une famille ailleurs
Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de
lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se
conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait
qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile
pour lui
B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant
33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de
Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable
Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait
bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le
tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord
ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille
soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa
grand-megravere au Nigeria
ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer
ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute
sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
34 Le tribunal consideacutera en outre
ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait
fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle
ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille
eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009
ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de
comprendre ses besoins
Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant
avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en
obtenir agrave nouveau la garde
35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat
drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable
36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance
supeacuterieure
ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute
6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille
drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui
et sa fille
ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de
soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille
Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence
illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures
publiques
En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant
37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave
titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de
193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail
38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours
du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant
Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de
faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant
notamment
ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes
entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute
ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa
fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux
ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de
laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave
plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui
teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services
sociaux
39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des
renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de
la megravere
Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la
deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille
drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux
pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs
rapports deacuteposeacutes en 2009
40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et
A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune
situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre
la cour consideacutera
ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial
puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se
reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee
ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne
pouvant assurer les soins neacutecessaires
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
2 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
7 Le requeacuterant et sa fille furent accueillis par la municipaliteacute de
Trepuzzi Inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes ils
beacuteneacuteficiegraverent drsquoune aide mateacuterielle psychologique et drsquoune assistance
juridique
8 Au cours de cette peacuteriode les services sociaux commencegraverent agrave
surveiller de pregraves le rapport entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les premiers
rapports deacuteposeacutes faisaient eacutetat drsquoune relation difficile entre eux deux
9 En avril 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur la
situation de A Ce rapport deacutecrivait une enfant en deacutetresse et une relation
difficile entre le requeacuterant et sa fille Selon la psychiatre qui avait rencontreacute
lrsquoenfant en 2008 celle-ci souffrait drsquoun stress post-traumatique elle se
sentait abandonneacutee et avait besoin drsquoecirctre aideacutee Quant au requeacuterant les
services sociaux remarquegraverent qursquoil avait une difficulteacute relationnelle avec
lrsquoenfant
10 Le 2 avril 2009 soupccedilonneacute de faire partie drsquoune association de
malfaiteurs en vue de pratiquer le trafic de clandestins le requeacuterant fut
arrecircteacute Il fut placeacute en deacutetention preacuteventive
11 Entre-temps le 18 avril 2009 le tribunal pour enfants de Lecce
(ci-apregraves laquo le tribunal raquo) deacutecida de placer la fille du requeacuterant dans un foyer
agrave Ostuni
12 Le 6 juin 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un autre rapport qui
indiquait que lrsquoenfant se reacuteveillait la nuit en criant et soulignait qursquoelle avait
besoin de la preacutesence drsquoun adulte afin drsquoecirctre rassureacutee
13 Par un deacutecret du 21 janvier 2010 le tribunal suspendit lrsquoautoriteacute
parentale du requeacuterant nomma un tuteur et deacutecida le placement de lrsquoenfant
dans une famille drsquoaccueil
14 Par un arrecirct du 7 juillet 2011 le requeacuterant fut acquitteacute et remis en
liberteacute
15 Une fois libeacutereacute le requeacuterant demanda agrave pouvoir rencontrer sa fille
A La proceacutedure portant sur le droit de visite
16 Le 23 feacutevrier 2012 un test ADN fut effectueacute pour veacuterifier le lien
entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les reacutesultats du test deacutemontraient
apparemment qursquoil y avait un lien geacuteneacutetique entre les deux
17 Le 17 mai 2012 A fut entendue par le tribunal pour enfants Elle
reconnut le requeacuterant sur une photo en le deacutesignant comme laquo le papa
qursquoelle avait avant et qui parlait anglais raquo elle ne srsquoopposa pas agrave une
eacuteventuelle rencontre
18 Par un deacutecret du 19 juillet 2012 le tribunal autorisa les rencontres
entre le requeacuterant et sa fille une premiegravere rencontre devait avoir lieu en
preacutesence des services sociaux
19 Le 30 juillet 2012 eut lieu la premiegravere rencontre entre A et le
requeacuterant en preacutesence des services sociaux
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3
20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le
deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les
informations suivantes
ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du
requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute
la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et
la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer
son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que
son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle
21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave
nouveau rencontrer sa fille
22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux
indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue
agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne
ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant
Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal
ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du
requeacuterant
ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que
celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant
23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la
demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation
des rencontres
Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues
par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait
tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision
le tribunal estima
ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant
ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les
rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant
ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une
possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales
24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en
demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait
ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences
irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien
entre lui et sa fille
ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais
seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait
drsquoexercer son rocircle de parent
25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout
drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal
4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de
suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux
qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle
ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de
lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la
rencontre
ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique
ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et
lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes
supposeacutes de maltraitance
27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la
cour drsquoappel releva et consideacutera en outre
ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que
sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille
drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait
pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille
ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de
ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant
ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil
28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se
prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses
preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement
ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services
sociaux
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une
reacutegression dans son comportement
29 La cour consideacutera en outre
ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie
stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers
ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir
ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions
de vie adeacutequates
30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte
avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit
ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la
rencontre
ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal
31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour
lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de
sa sœur
En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les
rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5
conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le
droit de visite du requeacuterant
32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres
agrave lrsquoenfant
Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil
lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les
langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de
chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle
avait une famille ailleurs
Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de
lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se
conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait
qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile
pour lui
B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant
33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de
Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable
Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait
bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le
tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord
ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille
soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa
grand-megravere au Nigeria
ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer
ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute
sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
34 Le tribunal consideacutera en outre
ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait
fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle
ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille
eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009
ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de
comprendre ses besoins
Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant
avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en
obtenir agrave nouveau la garde
35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat
drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable
36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance
supeacuterieure
ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute
6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille
drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui
et sa fille
ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de
soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille
Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence
illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures
publiques
En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant
37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave
titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de
193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail
38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours
du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant
Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de
faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant
notamment
ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes
entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute
ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa
fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux
ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de
laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave
plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui
teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services
sociaux
39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des
renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de
la megravere
Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la
deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille
drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux
pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs
rapports deacuteposeacutes en 2009
40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et
A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune
situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre
la cour consideacutera
ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial
puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se
reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee
ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne
pouvant assurer les soins neacutecessaires
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3
20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le
deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les
informations suivantes
ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du
requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute
la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et
la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer
son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que
son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle
21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave
nouveau rencontrer sa fille
22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux
indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue
agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne
ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant
Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal
ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du
requeacuterant
ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que
celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant
23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la
demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation
des rencontres
Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues
par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait
tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision
le tribunal estima
ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant
ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les
rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant
ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une
possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales
24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en
demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait
ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences
irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien
entre lui et sa fille
ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais
seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait
drsquoexercer son rocircle de parent
25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout
drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal
4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de
suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux
qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle
ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de
lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la
rencontre
ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique
ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et
lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes
supposeacutes de maltraitance
27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la
cour drsquoappel releva et consideacutera en outre
ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que
sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille
drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait
pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille
ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de
ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant
ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil
28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se
prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses
preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement
ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services
sociaux
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une
reacutegression dans son comportement
29 La cour consideacutera en outre
ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie
stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers
ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir
ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions
de vie adeacutequates
30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte
avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit
ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la
rencontre
ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal
31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour
lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de
sa sœur
En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les
rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5
conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le
droit de visite du requeacuterant
32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres
agrave lrsquoenfant
Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil
lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les
langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de
chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle
avait une famille ailleurs
Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de
lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se
conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait
qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile
pour lui
B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant
33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de
Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable
Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait
bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le
tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord
ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille
soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa
grand-megravere au Nigeria
ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer
ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute
sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
34 Le tribunal consideacutera en outre
ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait
fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle
ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille
eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009
ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de
comprendre ses besoins
Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant
avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en
obtenir agrave nouveau la garde
35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat
drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable
36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance
supeacuterieure
ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute
6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille
drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui
et sa fille
ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de
soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille
Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence
illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures
publiques
En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant
37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave
titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de
193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail
38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours
du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant
Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de
faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant
notamment
ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes
entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute
ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa
fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux
ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de
laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave
plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui
teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services
sociaux
39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des
renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de
la megravere
Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la
deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille
drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux
pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs
rapports deacuteposeacutes en 2009
40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et
A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune
situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre
la cour consideacutera
ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial
puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se
reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee
ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne
pouvant assurer les soins neacutecessaires
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de
suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux
qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle
ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de
lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la
rencontre
ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique
ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et
lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes
supposeacutes de maltraitance
27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la
cour drsquoappel releva et consideacutera en outre
ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que
sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille
drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait
pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille
ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de
ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant
ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil
28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se
prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses
preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement
ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services
sociaux
ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une
reacutegression dans son comportement
29 La cour consideacutera en outre
ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie
stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers
ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir
ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions
de vie adeacutequates
30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte
avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit
ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la
rencontre
ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal
31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour
lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de
sa sœur
En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les
rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5
conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le
droit de visite du requeacuterant
32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres
agrave lrsquoenfant
Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil
lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les
langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de
chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle
avait une famille ailleurs
Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de
lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se
conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait
qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile
pour lui
B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant
33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de
Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable
Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait
bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le
tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord
ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille
soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa
grand-megravere au Nigeria
ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer
ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute
sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
34 Le tribunal consideacutera en outre
ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait
fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle
ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille
eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009
ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de
comprendre ses besoins
Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant
avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en
obtenir agrave nouveau la garde
35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat
drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable
36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance
supeacuterieure
ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute
6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille
drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui
et sa fille
ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de
soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille
Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence
illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures
publiques
En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant
37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave
titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de
193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail
38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours
du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant
Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de
faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant
notamment
ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes
entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute
ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa
fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux
ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de
laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave
plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui
teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services
sociaux
39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des
renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de
la megravere
Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la
deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille
drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux
pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs
rapports deacuteposeacutes en 2009
40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et
A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune
situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre
la cour consideacutera
ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial
puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se
reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee
ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne
pouvant assurer les soins neacutecessaires
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5
conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le
droit de visite du requeacuterant
32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres
agrave lrsquoenfant
Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil
lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les
langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de
chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle
avait une famille ailleurs
Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de
lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se
conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait
qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile
pour lui
B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant
33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de
Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable
Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait
bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le
tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord
ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille
soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa
grand-megravere au Nigeria
ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer
ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute
sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
34 Le tribunal consideacutera en outre
ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait
fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle
ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille
eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009
ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de
comprendre ses besoins
Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant
avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en
obtenir agrave nouveau la garde
35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat
drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable
36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance
supeacuterieure
ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute
6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille
drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui
et sa fille
ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de
soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille
Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence
illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures
publiques
En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant
37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave
titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de
193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail
38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours
du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant
Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de
faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant
notamment
ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes
entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute
ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa
fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux
ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de
laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave
plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui
teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services
sociaux
39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des
renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de
la megravere
Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la
deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille
drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux
pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs
rapports deacuteposeacutes en 2009
40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et
A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune
situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre
la cour consideacutera
ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial
puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se
reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee
ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne
pouvant assurer les soins neacutecessaires
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille
drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui
et sa fille
ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de
soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille
Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence
illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures
publiques
En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant
37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave
titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de
193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail
38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours
du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant
Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de
faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant
notamment
ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes
entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute
ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa
fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux
ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de
laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave
plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui
teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services
sociaux
39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des
renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de
la megravere
Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la
deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille
drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux
pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs
rapports deacuteposeacutes en 2009
40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et
A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune
situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre
la cour consideacutera
ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial
puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se
reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee
ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne
pouvant assurer les soins neacutecessaires
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7
41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la
cour estima
ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre
un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son
indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant
ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien
familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de
lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique
ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux
42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne
srsquoeacutetant pas pourvu en cassation
43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee
C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste
44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant
193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le
7 juillet 2011
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples
changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications
suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se
preacutesentent comme suit
Article 1
laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo
Article 2
laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut
ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une
personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance
eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas
possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute
de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo
Article 5
laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer
subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et
en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille
drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec
lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue
dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
Article 7
laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo
Article 8
laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme
drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute
assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune
obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force
majeure de caractegravere transitoire raquo
La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les
mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes
aupregraves drsquoune famille
Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les
parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper
refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est
consideacutereacute par le juge comme injustifieacute
La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout
particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires
publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation
de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les
instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de
la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)
Article 10
laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la
famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas
eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou
la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo
Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la
situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon
En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il
ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille
jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil
existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44
Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat
drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants
deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les
autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la
proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque
drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y
remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont
par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9
Article 15
laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires
drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du
ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou
de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de
plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo
Article 17
laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un
deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification
pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code
de proceacutedure civile raquo
Article 19
laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute
parentale est suspendu raquo
Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le
mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration
drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du
ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps
disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre
preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee
Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon
deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des
tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal
convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence
le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire
il peut ordonner des mesures de soutien psychologique
Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur
lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre
du conseil
Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun
pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa
notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de
lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile
Article 44
De lrsquoadoption dans certains cas particuliers
laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies
(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent
neacuteanmoins ecirctre adopteacutes
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un
rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de
megravere
b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre
conjoint
c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du
5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere
d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute
constateacutee
2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence
drsquoenfants leacutegitimes
3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement
aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si
lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre
deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux
4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau
moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant
aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite
engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures
approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que
les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et
sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale
cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention
47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour
estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement
sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel
deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il
se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti
c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique
tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne
no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque
no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28
21 janvier 2014)
Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11
laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile
et de sa correspondance
2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit
que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une
mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la
sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo
48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant
A Sur la recevabiliteacute
49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par
ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute
bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest
ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa
conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille
Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y
voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu
51 Il explique
ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait
certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre
eacutetait devenue positive
ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans
ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun
rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune
meacutediation familiale
ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord
reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations
concernant sa personnaliteacute
Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont
empecirccheacute de construire un lien avec sa fille
52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son
rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses
compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert
Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la
base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du
requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires
pour proteacuteger lrsquoenfant
Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y
ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest
seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute
placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille
drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012
54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation
entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet
selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant
Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux
eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui
inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide
mateacuterielle
55 Le Gouvernement explique eacutegalement
ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer
des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements
neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper
ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait
pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere
autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite
reconnu par les juridictions internes
56 De plus le Gouvernement fait valoir
ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant
plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter
les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant
ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui
indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de
pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts
entre le requeacuterant et sa fille
ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans
laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee
Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation
de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son
propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun
rapprochement entre lui et sa fille
57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs
deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant
Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu
drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du
requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les
conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le
requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13
conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable
58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui
a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de
la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a
failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis
que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un
avenir raquo
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Principes geacuteneacuteraux
59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la
deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du
droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle
ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions
cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre
neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique
que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit
notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute
c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c
France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal
no 1955409 sect74 10 avril 2012)
60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences
arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives
inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence
drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave
permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)
27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations
positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition
preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En
particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave
meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que
lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante
qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns
c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne
saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la
santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct
1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute
sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de
lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec
ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations
neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune
certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60
seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute
des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant
agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans
des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave
les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c
Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees
par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir
Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118
CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la
nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck
c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)
62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal
juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations
positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la
Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions
leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues
par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507
sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)
63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des
mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit
pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et
lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple
Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede
25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55
16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune
mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau
et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou
c Italie preacuteciteacute sect 48)
b) Application de ces principes
64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave
savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont
pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait
raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie
familiale normale avec son pegravere
65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit
international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des
enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute
sect 135)
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15
66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le
requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau
Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du
Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin
drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements
objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant
eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en
Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son
choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans
67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent
inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans
un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui
semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le
passeacute
68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans
un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest
pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un
environnement stable
69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son
inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a
reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait
neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail
70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet
2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le
requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune
enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant
deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois
mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant
La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la
capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est
vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute
deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-
enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services
sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en
2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant
71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux
apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour
lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se
fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les
experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille
drsquoaccueil de lrsquoenfant
72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant
adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de
srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas
exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement
reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas
estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait
capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait
marqueacutee par un deacuteficit affectif
73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris
en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non
plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du
requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure
drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports
que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu
que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant
que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait
pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le
placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux
parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-
mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux
questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere
biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc
dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires
74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas
suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant
Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge
drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la
nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes
jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en
charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit
neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il
existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat
deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence
qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute
drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille
mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH
2001-VII Kutzner preacuteciteacute)
75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct
de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle
eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle
des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre
prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour
proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact
direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit
cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que
lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17
76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a
eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee
Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute
acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des
mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter
lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure
pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant
77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et
sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer
lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes
eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee
entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011
date de sa libeacuteration
78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre
accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi
justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques
pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la
Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se
reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande
[GC] preacuteciteacute sect 173)
79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour
a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant
avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a
contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005
Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus
sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104
9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de
deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat
de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a
contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002
Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)
80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a
eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin
drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant
Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute
provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a
eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir
lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans
avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en
place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et
lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle
parental
La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute
tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle
estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de
sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas
de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas
de domicile fixe
81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les
autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en
mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La
Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes
auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de
renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait
passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees
passeacutees en deacutetention
82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est
preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs
deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types
drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement
social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny
c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne
no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les
autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur
assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et
114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier
2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)
83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale
de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas
eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par
ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger
et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a
eacuteteacute acquitteacute
La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee
drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer
son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et
qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le
requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes
judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de
certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute
vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee
Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa
fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences
ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee
avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale
nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19
justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa
fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement
84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation
de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes
italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial
nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le
droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect
de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette
disposition
85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour
preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant
lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute
II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice
qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8
88 Le Gouvernement estime cette somme excessive
89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat
selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et
suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant
meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que
lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul
constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est
excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant
en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil
convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral
agrave 32 000 EUR
B Frais et deacutepens
90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement
29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour
91 Le Gouvernement conteste ce montant
92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente
20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa
jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais
confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant
C Inteacuterecircts moratoires
93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur
le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute
1 Deacuteclare la requecircte recevable
2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention
3 Dit
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave
compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de
lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes
i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant
ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77
sectsect 2 et 3 du regraveglement
Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml
Greffiegravere adjointe Preacutesidente