Affaire Akinnibosun c. Italie

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QUATRIÈME SECTION AFFAIRE AKINNIBOSUN c. ITALIE (Requête n o 9056/14) ARRÊT STRASBOURG 16 juillet 2015 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à larticle 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

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ECHR

Transcript of Affaire Akinnibosun c. Italie

QUATRIEgraveME SECTION

AFFAIRE AKINNIBOSUN c ITALIE

(Requecircte no 905614)

ARREcircT

STRASBOURG

16 juillet 2015

Cet arrecirct deviendra deacutefinitif dans les conditions deacutefinies agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la

Convention Il peut subir des retouches de forme

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 1

En lrsquoaffaire Akinnibosun c Italie

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (quatriegraveme section) sieacutegeant

en une chambre composeacutee de

Paumlivi Hirvelauml preacutesidente

Guido Raimondi

Ledi Bianku

Nona Tsotsoria

Paul Mahoney

Krzysztof Wojtyczek

Faris Vehabović juges

et de Fatoş Aracı greffiegravere adjointe de section

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 23 juin 2015

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 905614) dirigeacutee

contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant nigeacuterian M Eyitope

Akinnibosun (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 30 deacutecembre 2013 en vertu

de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des

liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)

2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me L Garrisi avocat agrave Lecce Le

gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute par son agente

Mme E Spatafora et par son coagent M Gianluca Mauro Pellegrini

3 Le 20 feacutevrier 2014 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

4 Les faits de la cause tels qursquoils ont eacuteteacute exposeacutes par les parties

peuvent se reacutesumer comme suit

5 De nationaliteacute nigeacuteriane le requeacuterant prit la mer depuis la Libye ougrave il

vivait avec sa femme et ses deux enfants agrave bord drsquoune embarcation sur

laquelle il emmena sa fille A neacutee en 2006 Il arriva en Italie en septembre

2008

6 Une fois sur le territoire italien il introduisit une demande de

protection internationale Agrave une date non preacuteciseacutee la Commission

territoriale de reconnaissance du statut de reacutefugieacute lui deacutelivra un permis de

seacutejour pour raisons humanitaires

2 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

7 Le requeacuterant et sa fille furent accueillis par la municipaliteacute de

Trepuzzi Inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes ils

beacuteneacuteficiegraverent drsquoune aide mateacuterielle psychologique et drsquoune assistance

juridique

8 Au cours de cette peacuteriode les services sociaux commencegraverent agrave

surveiller de pregraves le rapport entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les premiers

rapports deacuteposeacutes faisaient eacutetat drsquoune relation difficile entre eux deux

9 En avril 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur la

situation de A Ce rapport deacutecrivait une enfant en deacutetresse et une relation

difficile entre le requeacuterant et sa fille Selon la psychiatre qui avait rencontreacute

lrsquoenfant en 2008 celle-ci souffrait drsquoun stress post-traumatique elle se

sentait abandonneacutee et avait besoin drsquoecirctre aideacutee Quant au requeacuterant les

services sociaux remarquegraverent qursquoil avait une difficulteacute relationnelle avec

lrsquoenfant

10 Le 2 avril 2009 soupccedilonneacute de faire partie drsquoune association de

malfaiteurs en vue de pratiquer le trafic de clandestins le requeacuterant fut

arrecircteacute Il fut placeacute en deacutetention preacuteventive

11 Entre-temps le 18 avril 2009 le tribunal pour enfants de Lecce

(ci-apregraves laquo le tribunal raquo) deacutecida de placer la fille du requeacuterant dans un foyer

agrave Ostuni

12 Le 6 juin 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un autre rapport qui

indiquait que lrsquoenfant se reacuteveillait la nuit en criant et soulignait qursquoelle avait

besoin de la preacutesence drsquoun adulte afin drsquoecirctre rassureacutee

13 Par un deacutecret du 21 janvier 2010 le tribunal suspendit lrsquoautoriteacute

parentale du requeacuterant nomma un tuteur et deacutecida le placement de lrsquoenfant

dans une famille drsquoaccueil

14 Par un arrecirct du 7 juillet 2011 le requeacuterant fut acquitteacute et remis en

liberteacute

15 Une fois libeacutereacute le requeacuterant demanda agrave pouvoir rencontrer sa fille

A La proceacutedure portant sur le droit de visite

16 Le 23 feacutevrier 2012 un test ADN fut effectueacute pour veacuterifier le lien

entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les reacutesultats du test deacutemontraient

apparemment qursquoil y avait un lien geacuteneacutetique entre les deux

17 Le 17 mai 2012 A fut entendue par le tribunal pour enfants Elle

reconnut le requeacuterant sur une photo en le deacutesignant comme laquo le papa

qursquoelle avait avant et qui parlait anglais raquo elle ne srsquoopposa pas agrave une

eacuteventuelle rencontre

18 Par un deacutecret du 19 juillet 2012 le tribunal autorisa les rencontres

entre le requeacuterant et sa fille une premiegravere rencontre devait avoir lieu en

preacutesence des services sociaux

19 Le 30 juillet 2012 eut lieu la premiegravere rencontre entre A et le

requeacuterant en preacutesence des services sociaux

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3

20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le

deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les

informations suivantes

ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du

requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute

la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et

la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer

son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que

son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle

21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave

nouveau rencontrer sa fille

22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux

indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue

agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne

ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant

Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal

ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du

requeacuterant

ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que

celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant

23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la

demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation

des rencontres

Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues

par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait

tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision

le tribunal estima

ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant

ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les

rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant

ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une

possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales

24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en

demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait

ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences

irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien

entre lui et sa fille

ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais

seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait

drsquoexercer son rocircle de parent

25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout

drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal

4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de

suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux

qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle

ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de

lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la

rencontre

ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique

ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et

lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes

supposeacutes de maltraitance

27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la

cour drsquoappel releva et consideacutera en outre

ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que

sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille

drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait

pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille

ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de

ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant

ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil

28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se

prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses

preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement

ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services

sociaux

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une

reacutegression dans son comportement

29 La cour consideacutera en outre

ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie

stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers

ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir

ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions

de vie adeacutequates

30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte

avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit

ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la

rencontre

ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal

31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour

lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de

sa sœur

En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les

rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5

conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le

droit de visite du requeacuterant

32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres

agrave lrsquoenfant

Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil

lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les

langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de

chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle

avait une famille ailleurs

Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de

lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se

conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait

qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile

pour lui

B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant

33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de

Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable

Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait

bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le

tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord

ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille

soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa

grand-megravere au Nigeria

ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer

ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute

sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

34 Le tribunal consideacutera en outre

ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait

fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle

ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille

eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009

ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de

comprendre ses besoins

Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant

avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en

obtenir agrave nouveau la garde

35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat

drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable

36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance

supeacuterieure

ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute

6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille

drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui

et sa fille

ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de

soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille

Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence

illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures

publiques

En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant

37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave

titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de

193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail

38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours

du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant

Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de

faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant

notamment

ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes

entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute

ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa

fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux

ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de

laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave

plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui

teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services

sociaux

39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des

renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de

la megravere

Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la

deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille

drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux

pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs

rapports deacuteposeacutes en 2009

40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et

A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune

situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre

la cour consideacutera

ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial

puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se

reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee

ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne

pouvant assurer les soins neacutecessaires

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 1

En lrsquoaffaire Akinnibosun c Italie

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (quatriegraveme section) sieacutegeant

en une chambre composeacutee de

Paumlivi Hirvelauml preacutesidente

Guido Raimondi

Ledi Bianku

Nona Tsotsoria

Paul Mahoney

Krzysztof Wojtyczek

Faris Vehabović juges

et de Fatoş Aracı greffiegravere adjointe de section

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 23 juin 2015

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 905614) dirigeacutee

contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant nigeacuterian M Eyitope

Akinnibosun (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 30 deacutecembre 2013 en vertu

de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des

liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)

2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me L Garrisi avocat agrave Lecce Le

gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute par son agente

Mme E Spatafora et par son coagent M Gianluca Mauro Pellegrini

3 Le 20 feacutevrier 2014 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

4 Les faits de la cause tels qursquoils ont eacuteteacute exposeacutes par les parties

peuvent se reacutesumer comme suit

5 De nationaliteacute nigeacuteriane le requeacuterant prit la mer depuis la Libye ougrave il

vivait avec sa femme et ses deux enfants agrave bord drsquoune embarcation sur

laquelle il emmena sa fille A neacutee en 2006 Il arriva en Italie en septembre

2008

6 Une fois sur le territoire italien il introduisit une demande de

protection internationale Agrave une date non preacuteciseacutee la Commission

territoriale de reconnaissance du statut de reacutefugieacute lui deacutelivra un permis de

seacutejour pour raisons humanitaires

2 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

7 Le requeacuterant et sa fille furent accueillis par la municipaliteacute de

Trepuzzi Inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes ils

beacuteneacuteficiegraverent drsquoune aide mateacuterielle psychologique et drsquoune assistance

juridique

8 Au cours de cette peacuteriode les services sociaux commencegraverent agrave

surveiller de pregraves le rapport entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les premiers

rapports deacuteposeacutes faisaient eacutetat drsquoune relation difficile entre eux deux

9 En avril 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur la

situation de A Ce rapport deacutecrivait une enfant en deacutetresse et une relation

difficile entre le requeacuterant et sa fille Selon la psychiatre qui avait rencontreacute

lrsquoenfant en 2008 celle-ci souffrait drsquoun stress post-traumatique elle se

sentait abandonneacutee et avait besoin drsquoecirctre aideacutee Quant au requeacuterant les

services sociaux remarquegraverent qursquoil avait une difficulteacute relationnelle avec

lrsquoenfant

10 Le 2 avril 2009 soupccedilonneacute de faire partie drsquoune association de

malfaiteurs en vue de pratiquer le trafic de clandestins le requeacuterant fut

arrecircteacute Il fut placeacute en deacutetention preacuteventive

11 Entre-temps le 18 avril 2009 le tribunal pour enfants de Lecce

(ci-apregraves laquo le tribunal raquo) deacutecida de placer la fille du requeacuterant dans un foyer

agrave Ostuni

12 Le 6 juin 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un autre rapport qui

indiquait que lrsquoenfant se reacuteveillait la nuit en criant et soulignait qursquoelle avait

besoin de la preacutesence drsquoun adulte afin drsquoecirctre rassureacutee

13 Par un deacutecret du 21 janvier 2010 le tribunal suspendit lrsquoautoriteacute

parentale du requeacuterant nomma un tuteur et deacutecida le placement de lrsquoenfant

dans une famille drsquoaccueil

14 Par un arrecirct du 7 juillet 2011 le requeacuterant fut acquitteacute et remis en

liberteacute

15 Une fois libeacutereacute le requeacuterant demanda agrave pouvoir rencontrer sa fille

A La proceacutedure portant sur le droit de visite

16 Le 23 feacutevrier 2012 un test ADN fut effectueacute pour veacuterifier le lien

entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les reacutesultats du test deacutemontraient

apparemment qursquoil y avait un lien geacuteneacutetique entre les deux

17 Le 17 mai 2012 A fut entendue par le tribunal pour enfants Elle

reconnut le requeacuterant sur une photo en le deacutesignant comme laquo le papa

qursquoelle avait avant et qui parlait anglais raquo elle ne srsquoopposa pas agrave une

eacuteventuelle rencontre

18 Par un deacutecret du 19 juillet 2012 le tribunal autorisa les rencontres

entre le requeacuterant et sa fille une premiegravere rencontre devait avoir lieu en

preacutesence des services sociaux

19 Le 30 juillet 2012 eut lieu la premiegravere rencontre entre A et le

requeacuterant en preacutesence des services sociaux

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3

20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le

deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les

informations suivantes

ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du

requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute

la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et

la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer

son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que

son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle

21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave

nouveau rencontrer sa fille

22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux

indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue

agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne

ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant

Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal

ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du

requeacuterant

ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que

celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant

23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la

demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation

des rencontres

Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues

par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait

tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision

le tribunal estima

ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant

ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les

rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant

ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une

possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales

24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en

demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait

ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences

irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien

entre lui et sa fille

ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais

seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait

drsquoexercer son rocircle de parent

25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout

drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal

4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de

suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux

qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle

ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de

lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la

rencontre

ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique

ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et

lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes

supposeacutes de maltraitance

27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la

cour drsquoappel releva et consideacutera en outre

ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que

sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille

drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait

pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille

ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de

ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant

ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil

28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se

prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses

preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement

ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services

sociaux

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une

reacutegression dans son comportement

29 La cour consideacutera en outre

ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie

stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers

ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir

ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions

de vie adeacutequates

30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte

avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit

ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la

rencontre

ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal

31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour

lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de

sa sœur

En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les

rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5

conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le

droit de visite du requeacuterant

32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres

agrave lrsquoenfant

Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil

lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les

langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de

chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle

avait une famille ailleurs

Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de

lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se

conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait

qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile

pour lui

B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant

33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de

Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable

Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait

bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le

tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord

ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille

soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa

grand-megravere au Nigeria

ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer

ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute

sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

34 Le tribunal consideacutera en outre

ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait

fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle

ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille

eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009

ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de

comprendre ses besoins

Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant

avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en

obtenir agrave nouveau la garde

35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat

drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable

36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance

supeacuterieure

ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute

6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille

drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui

et sa fille

ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de

soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille

Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence

illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures

publiques

En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant

37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave

titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de

193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail

38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours

du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant

Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de

faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant

notamment

ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes

entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute

ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa

fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux

ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de

laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave

plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui

teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services

sociaux

39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des

renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de

la megravere

Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la

deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille

drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux

pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs

rapports deacuteposeacutes en 2009

40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et

A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune

situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre

la cour consideacutera

ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial

puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se

reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee

ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne

pouvant assurer les soins neacutecessaires

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

2 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

7 Le requeacuterant et sa fille furent accueillis par la municipaliteacute de

Trepuzzi Inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes ils

beacuteneacuteficiegraverent drsquoune aide mateacuterielle psychologique et drsquoune assistance

juridique

8 Au cours de cette peacuteriode les services sociaux commencegraverent agrave

surveiller de pregraves le rapport entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les premiers

rapports deacuteposeacutes faisaient eacutetat drsquoune relation difficile entre eux deux

9 En avril 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur la

situation de A Ce rapport deacutecrivait une enfant en deacutetresse et une relation

difficile entre le requeacuterant et sa fille Selon la psychiatre qui avait rencontreacute

lrsquoenfant en 2008 celle-ci souffrait drsquoun stress post-traumatique elle se

sentait abandonneacutee et avait besoin drsquoecirctre aideacutee Quant au requeacuterant les

services sociaux remarquegraverent qursquoil avait une difficulteacute relationnelle avec

lrsquoenfant

10 Le 2 avril 2009 soupccedilonneacute de faire partie drsquoune association de

malfaiteurs en vue de pratiquer le trafic de clandestins le requeacuterant fut

arrecircteacute Il fut placeacute en deacutetention preacuteventive

11 Entre-temps le 18 avril 2009 le tribunal pour enfants de Lecce

(ci-apregraves laquo le tribunal raquo) deacutecida de placer la fille du requeacuterant dans un foyer

agrave Ostuni

12 Le 6 juin 2009 les services sociaux deacuteposegraverent un autre rapport qui

indiquait que lrsquoenfant se reacuteveillait la nuit en criant et soulignait qursquoelle avait

besoin de la preacutesence drsquoun adulte afin drsquoecirctre rassureacutee

13 Par un deacutecret du 21 janvier 2010 le tribunal suspendit lrsquoautoriteacute

parentale du requeacuterant nomma un tuteur et deacutecida le placement de lrsquoenfant

dans une famille drsquoaccueil

14 Par un arrecirct du 7 juillet 2011 le requeacuterant fut acquitteacute et remis en

liberteacute

15 Une fois libeacutereacute le requeacuterant demanda agrave pouvoir rencontrer sa fille

A La proceacutedure portant sur le droit de visite

16 Le 23 feacutevrier 2012 un test ADN fut effectueacute pour veacuterifier le lien

entre le requeacuterant et lrsquoenfant Les reacutesultats du test deacutemontraient

apparemment qursquoil y avait un lien geacuteneacutetique entre les deux

17 Le 17 mai 2012 A fut entendue par le tribunal pour enfants Elle

reconnut le requeacuterant sur une photo en le deacutesignant comme laquo le papa

qursquoelle avait avant et qui parlait anglais raquo elle ne srsquoopposa pas agrave une

eacuteventuelle rencontre

18 Par un deacutecret du 19 juillet 2012 le tribunal autorisa les rencontres

entre le requeacuterant et sa fille une premiegravere rencontre devait avoir lieu en

preacutesence des services sociaux

19 Le 30 juillet 2012 eut lieu la premiegravere rencontre entre A et le

requeacuterant en preacutesence des services sociaux

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3

20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le

deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les

informations suivantes

ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du

requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute

la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et

la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer

son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que

son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle

21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave

nouveau rencontrer sa fille

22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux

indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue

agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne

ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant

Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal

ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du

requeacuterant

ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que

celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant

23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la

demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation

des rencontres

Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues

par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait

tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision

le tribunal estima

ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant

ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les

rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant

ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une

possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales

24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en

demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait

ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences

irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien

entre lui et sa fille

ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais

seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait

drsquoexercer son rocircle de parent

25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout

drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal

4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de

suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux

qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle

ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de

lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la

rencontre

ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique

ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et

lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes

supposeacutes de maltraitance

27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la

cour drsquoappel releva et consideacutera en outre

ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que

sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille

drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait

pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille

ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de

ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant

ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil

28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se

prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses

preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement

ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services

sociaux

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une

reacutegression dans son comportement

29 La cour consideacutera en outre

ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie

stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers

ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir

ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions

de vie adeacutequates

30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte

avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit

ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la

rencontre

ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal

31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour

lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de

sa sœur

En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les

rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5

conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le

droit de visite du requeacuterant

32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres

agrave lrsquoenfant

Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil

lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les

langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de

chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle

avait une famille ailleurs

Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de

lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se

conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait

qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile

pour lui

B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant

33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de

Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable

Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait

bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le

tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord

ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille

soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa

grand-megravere au Nigeria

ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer

ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute

sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

34 Le tribunal consideacutera en outre

ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait

fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle

ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille

eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009

ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de

comprendre ses besoins

Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant

avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en

obtenir agrave nouveau la garde

35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat

drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable

36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance

supeacuterieure

ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute

6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille

drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui

et sa fille

ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de

soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille

Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence

illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures

publiques

En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant

37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave

titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de

193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail

38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours

du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant

Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de

faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant

notamment

ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes

entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute

ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa

fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux

ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de

laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave

plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui

teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services

sociaux

39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des

renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de

la megravere

Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la

deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille

drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux

pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs

rapports deacuteposeacutes en 2009

40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et

A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune

situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre

la cour consideacutera

ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial

puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se

reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee

ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne

pouvant assurer les soins neacutecessaires

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 3

20 Le 17 aoucirct 2012 les services sociaux deacuteposegraverent un rapport sur le

deacuteroulement de la rencontre Ce rapport donnait entre autres les

informations suivantes

ndash Le psychologue avait trouveacute lrsquoenfant tregraves tendue Agrave la vue du

requeacuterant lrsquoenfant eacutetait drsquoabord sortie de la salle ensuite elle avait accepteacute

la preacutesence du requeacuterant Le psychologue avait ensuite rencontreacute lrsquoenfant et

la famille drsquoaccueil et avait constateacute que lrsquoenfant ne voulait plus rencontrer

son pegravere biologique Elle se souvenait de la traverseacutee en mer et de ce que

son pegravere nrsquoavait pas pris soin drsquoelle

21 Le 16 janvier 2013 le requeacuterant demanda au tribunal agrave pouvoir agrave

nouveau rencontrer sa fille

22 Dans un rapport deacuteposeacute le 18 feacutevrier 2013 les services sociaux

indiquegraverent avoir eacuteteacute informeacutes par la famille drsquoaccueil

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec le requeacuterant lrsquoenfant eacutetait devenue

agiteacutee et avait eu des eacutepisodes drsquoeacutenureacutesie nocturne

ndash que lrsquoenfant affirmait ne pas vouloir rencontrer le requeacuterant

Les services sociaux informegraverent eacutegalement le tribunal

ndash que depuis juillet 2012 ils nrsquoavaient plus eu de nouvelles du

requeacuterant

ndash que crsquoeacutetait seulement en janvier 2013 par le biais de son avocat que

celui-ci avait demandeacute une autre rencontre avec lrsquoenfant

23 Par un deacutecret deacuteposeacute au greffe le 26 avril 2013 le tribunal rejeta la

demande du requeacuterant et reacutevoqua le deacutecret preacuteceacutedent quant agrave lrsquoorganisation

des rencontres

Dans ses motifs le tribunal releva que drsquoapregraves les informations reccedilues

par les services sociaux apregraves le deacuteroulement de la rencontre lrsquoenfant eacutetait

tregraves agiteacutee et stresseacutee agrave lrsquoideacutee de revoir son pegravere Pour justifier sa deacutecision

le tribunal estima

ndash que le requeacuterant eacutetait dans lrsquoimpossibiliteacute de srsquooccuper de son enfant

ndash que le fait qursquoil nrsquoavait pas de projet pour lrsquoavenir rendait les

rencontres preacutejudiciables pour lrsquoenfant

ndash qursquoil nrsquoeacutetait par ailleurs pas possible drsquoenvisager pour le requeacuterant une

possibiliteacute de reacutecupeacuterer ses compeacutetences parentales

24 Le 22 mai 2013 le requeacuterant interjeta appel de cette deacutecision en

demandant parallegravelement que son exeacutecution soit suspendue Il soutenait

ndash que la suspension de son droit de visite aurait des conseacutequences

irreacuteparables car lrsquointerruption de tout contact entraicircnerait la coupure du lien

entre lui et sa fille

ndash qursquoil nrsquoy avait aucune situation drsquoabandon de lrsquoenfant de sa part mais

seulement une situation de deacutetresse causeacutee par la pauvreteacute qui lrsquoempecircchait

drsquoexercer son rocircle de parent

25 Par une deacutecision du 2 aoucirct 2013 la cour drsquoappel de Lecce rejeta tout

drsquoabord la demande de suspension de lrsquoexeacutecution du deacutecret du tribunal

4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de

suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux

qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle

ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de

lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la

rencontre

ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique

ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et

lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes

supposeacutes de maltraitance

27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la

cour drsquoappel releva et consideacutera en outre

ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que

sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille

drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait

pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille

ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de

ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant

ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil

28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se

prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses

preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement

ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services

sociaux

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une

reacutegression dans son comportement

29 La cour consideacutera en outre

ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie

stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers

ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir

ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions

de vie adeacutequates

30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte

avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit

ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la

rencontre

ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal

31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour

lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de

sa sœur

En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les

rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5

conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le

droit de visite du requeacuterant

32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres

agrave lrsquoenfant

Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil

lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les

langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de

chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle

avait une famille ailleurs

Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de

lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se

conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait

qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile

pour lui

B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant

33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de

Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable

Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait

bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le

tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord

ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille

soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa

grand-megravere au Nigeria

ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer

ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute

sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

34 Le tribunal consideacutera en outre

ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait

fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle

ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille

eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009

ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de

comprendre ses besoins

Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant

avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en

obtenir agrave nouveau la garde

35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat

drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable

36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance

supeacuterieure

ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute

6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille

drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui

et sa fille

ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de

soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille

Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence

illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures

publiques

En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant

37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave

titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de

193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail

38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours

du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant

Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de

faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant

notamment

ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes

entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute

ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa

fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux

ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de

laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave

plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui

teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services

sociaux

39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des

renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de

la megravere

Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la

deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille

drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux

pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs

rapports deacuteposeacutes en 2009

40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et

A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune

situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre

la cour consideacutera

ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial

puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se

reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee

ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne

pouvant assurer les soins neacutecessaires

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

4 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

26 Dans ses motifs la cour drsquoappel observa que la deacutecision de

suspendre les rencontres eacutetait motiveacutee par le rapport des services sociaux

qui avaient assisteacute agrave la rencontre rapport dont il ressortait selon elle

ndash que les services sociaux avaient constateacute une situation de tension de

lrsquoenfant envers son pegravere et un stress montreacute par lrsquoenfant agrave la suite de la

rencontre

ndash que lrsquoenfant avait refuseacute de parler de son pegravere biologique

ndash que les responsables de lrsquoassociation aupregraves de laquelle le requeacuterant et

lrsquoenfant avaient eacuteteacute placeacutes avant son arrestation avaient fait eacutetat drsquoeacutepisodes

supposeacutes de maltraitance

27 Toujours agrave lrsquoappui du rejet de la demande de suspension du deacutecret la

cour drsquoappel releva et consideacutera en outre

ndash que lors de son audition le 21 novembre 2011 ougrave il avait affirmeacute que

sa fille devait vivre avec lui au motif qursquoil eacutetait son pegravere et que la famille

drsquoaccueil nrsquoeacutetait pas sa vraie famille le requeacuterant avait souligneacute qursquoil nrsquoeacutetait

pas disposeacute agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille

ndash que cette attitude montrait qursquoil srsquointeacuteressait plutocirct agrave la satisfaction de

ses besoins qursquoagrave ceux de son enfant

ndash que A eacutetait bien inseacutereacutee dans la famille drsquoaccueil

28 Par une autre deacutecision du 11 octobre 2013 la cour drsquoappel se

prononccedila sur le fond de lrsquoaffaire Dans ses motifs elle reacuteiteacutera en partie ses

preacuteceacutedentes consideacuterations en soulignant eacutegalement

ndash que le requeacuterant srsquoeacutetait montreacute non coopeacuteratif avec les services

sociaux

ndash qursquoagrave la suite de la rencontre avec son pegravere A avait manifesteacute une

reacutegression dans son comportement

29 La cour consideacutera en outre

ndash que le requeacuterant nrsquoavait pas la possibiliteacute drsquoassurer agrave sa fille une vie

stable tant du point de vue affectif que par manque de moyens financiers

ndash qursquoil nrsquoavait aucun projet pour lrsquoavenir

ndash que son comportement ne visait pas agrave garantir agrave sa fille des conditions

de vie adeacutequates

30 Agrave lrsquoargument du requeacuterant selon lequel il nrsquoy avait pas eu drsquoenquecircte

avant la deacutecision de suspendre les rencontres la cour reacutepondit

ndash qursquoun rapport avait eacuteteacute deacuteposeacute par les services sociaux agrave la suite de la

rencontre

ndash que le requeacuterant avait eacuteteacute entendu par le tribunal

31 Quant agrave la possibiliteacute de faire rentrer lrsquoenfant au Nigeacuteria la cour

lrsquoeacutecarta consideacuterant que A nrsquoavait presque aucun souvenir de sa megravere et de

sa sœur

En conclusion pour la cour drsquoappel la deacutecision de suspendre les

rencontres eacutetait la seule agrave prendre dans lrsquointeacuterecirct de la mineure Par

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5

conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le

droit de visite du requeacuterant

32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres

agrave lrsquoenfant

Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil

lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les

langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de

chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle

avait une famille ailleurs

Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de

lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se

conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait

qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile

pour lui

B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant

33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de

Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable

Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait

bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le

tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord

ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille

soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa

grand-megravere au Nigeria

ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer

ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute

sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

34 Le tribunal consideacutera en outre

ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait

fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle

ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille

eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009

ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de

comprendre ses besoins

Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant

avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en

obtenir agrave nouveau la garde

35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat

drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable

36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance

supeacuterieure

ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute

6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille

drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui

et sa fille

ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de

soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille

Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence

illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures

publiques

En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant

37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave

titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de

193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail

38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours

du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant

Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de

faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant

notamment

ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes

entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute

ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa

fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux

ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de

laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave

plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui

teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services

sociaux

39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des

renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de

la megravere

Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la

deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille

drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux

pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs

rapports deacuteposeacutes en 2009

40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et

A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune

situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre

la cour consideacutera

ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial

puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se

reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee

ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne

pouvant assurer les soins neacutecessaires

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 5

conseacutequent elle confirma la deacutecision du tribunal pour enfants et suspendit le

droit de visite du requeacuterant

32 En septembre 2013 et janvier 2014 le requeacuterant envoya deux lettres

agrave lrsquoenfant

Dans la premiegravere lettre le requeacuterant apregraves avoir dit agrave sa fille qursquoil

lrsquoaimait lui demandait de bien travailler agrave lrsquoeacutecole de bien eacutetudier les

langues et les coutumes des autres pays il lui disait qursquoil eacutetait en train de

chercher du travail qursquoil pensait toujours agrave elle et de ne pas oublier qursquoelle

avait une famille ailleurs

Dans la deuxiegraveme lettre il lui disait qursquoil avait envie de la revoir et de

lrsquoembrasser mais qursquoil craignait de lui faire peur Il lui demandait de bien se

conduire avec la famille drsquoaccueil et de bien travailler agrave lrsquoeacutecole et lui disait

qursquoil cherchait un travail mais qursquoeacutetant eacutetranger la situation eacutetait difficile

pour lui

B La proceacutedure portant sur lrsquoadoption de lrsquoenfant

33 Par une deacutecision du 23 janvier 2014 le tribunal pour enfants de

Lecce deacuteclara lrsquoenfant adoptable

Dans ses motifs apregraves avoir veacuterifieacute qursquoil eacutetait eacutetabli que le requeacuterant eacutetait

bien le pegravere biologique de lrsquoenfant et que la megravere nrsquoeacutetait pas connue le

tribunal rappela et consideacutera tout drsquoabord

ndash que pendant la deacutetention le requeacuterant srsquoeacutetait opposeacute agrave ce que sa fille

soit deacuteclareacutee adoptable et avait demandeacute qursquoelle soit renvoyeacutee aupregraves de sa

grand-megravere au Nigeria

ndash qursquoensuite une fois libeacutereacute il avait demandeacute agrave pouvoir la rencontrer

ndash qursquoil avait ainsi deacutemontreacute qursquoil la consideacuterait comme une proprieacuteteacute

sans prendre en consideacuteration lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

34 Le tribunal consideacutera en outre

ndash qursquoen deacutecidant drsquoemmener lrsquoenfant avec lui en Italie le requeacuterant avait

fait un choix qui nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences pour elle

ndash que selon les services sociaux la relation entre le requeacuterant et sa fille

eacutetait deacutejagrave difficile lors de lrsquoarriveacutee en Italie en 2009

ndash que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de srsquooccuper de sa fille et de

comprendre ses besoins

Le tribunal nota eacutegalement que dans les deux lettres que le requeacuterant

avait envoyeacutees agrave sa fille il ne faisait pas mention de ce qursquoil souhaitait en

obtenir agrave nouveau la garde

35 En conclusion le tribunal retint que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure de srsquooccuper de A et que cette derniegravere se trouvait en eacutetat

drsquoabandon Il deacuteclara donc celle-ci adoptable

36 Le requeacuterant interjeta appel de ce jugement Il demanda agrave lrsquoinstance

supeacuterieure

ndash de reacutevoquer la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute

6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille

drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui

et sa fille

ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de

soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille

Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence

illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures

publiques

En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant

37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave

titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de

193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail

38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours

du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant

Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de

faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant

notamment

ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes

entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute

ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa

fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux

ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de

laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave

plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui

teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services

sociaux

39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des

renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de

la megravere

Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la

deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille

drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux

pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs

rapports deacuteposeacutes en 2009

40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et

A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune

situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre

la cour consideacutera

ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial

puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se

reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee

ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne

pouvant assurer les soins neacutecessaires

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

6 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

ndash de confirmer le placement temporaire de lrsquoenfant dans la famille

drsquoaccueil pour le temps neacutecessaire au reacutetablissement drsquoun eacutequilibre entre lui

et sa fille

ndash drsquoordonner aux services sociaux de mettre en place un projet de

soutien pour qursquoil puisse renouer des liens avec sa fille

Le requeacuterant invoquait la Convention affirmant avoir subi une ingeacuterence

illeacutegitime dans sa vie familiale et ne pas avoir eacuteteacute aideacute par les structures

publiques

En outre il contestait la situation drsquoabandon de lrsquoenfant

37 Enfin il faisait valoir qursquoil avait reccedilu de la cour drsquoappel de Catane agrave

titre drsquoindemnisation pour laquo deacutetention injuste raquo une somme de

193 608322 EUR et qursquoil avait trouveacute un travail

38 Par un arrecirct du 14 novembre 2014 la cour drsquoappel rejeta le recours

du requeacuterant et confirma lrsquoadoptabiliteacute de lrsquoenfant

Dans ses motifs la cour jugea que le tribunal avait motiveacute sa deacutecision de

faccedilon logique et correcte sur tous les points controverseacutes en eacutenonccedilant

notamment

ndash que bien avant lrsquoarrestation du requeacuterant il y avait eu des problegravemes

entre lui et sa fille comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute

ndash que le requeacuterant ne montrait pas un attachement particulier envers sa

fille et qursquoils avaient des difficulteacutes relationnelles entre eux

ndash que le requeacuterant avait montreacute un profil autoritaire (litteacuteralement de

laquo pegravere-patron raquo (padre padrone)) en ce qursquoil avait deacuteclareacute avec insistance agrave

plusieurs reprises que les enfants appartiennent aux parents ce qui

teacutemoignait drsquoune attitude non coopeacuterative de sa part envers les services

sociaux

39 La cour reprocha eacutegalement au requeacuterant de ne pas avoir donneacute des

renseignements preacutecis sur la date de naissance de lrsquoenfant et sur lrsquoidentiteacute de

la megravere

Pour la cour il convenait par ailleurs drsquoeacutecarter lrsquoargument selon lequel la

deacutecision attaqueacutee creacuteait une coupure du lien entre lrsquoenfant et la famille

drsquoorigine selon elle le lien qui les unissait eacutetait fragile nocif et douloureux

pour lrsquoenfant comme les services sociaux lrsquoavaient souligneacute dans leurs

rapports deacuteposeacutes en 2009

40 Se reacutefeacuterant agrave la seule rencontre qui avait eu lieu entre le requeacuterant et

A et aux rapports deacuteposeacutes par les services sociaux qui faisaient eacutetat drsquoune

situation psychologique difficile pour lrsquoenfant agrave la suite de ladite rencontre

la cour consideacutera

ndash que la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait rompu aucun lien familial

puisque lrsquoenfant interrogeacutee par les services sociaux avait refuseacute de se

reacutefeacuterer agrave son pegravere biologique et agrave son expeacuterience passeacutee

ndash que lrsquoenfant se trouvait donc dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne

pouvant assurer les soins neacutecessaires

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 7

41 Au sujet de lrsquoarticle 14 de la Convention souleveacute par le requeacuterant la

cour estima

ndash qursquoil nrsquoeacutetait pas possible pour les services sociaux de mettre en œuvre

un projet de rapprochement tel que solliciteacute par lui tant en raison de son

indisponibiliteacute que du veacutecu de lrsquoenfant

ndash que bien que le requeacuterant eucirct un travail stable et un logement le lien

familial faisait toujours deacutefaut compte tenu de ce que lrsquoeacutetat psychique de

lrsquoenfant avait empireacute agrave chaque fois qursquoon lui parlait de son pegravere biologique

ainsi qursquoagrave lrsquooccasion de la seule rencontre ayant eu lieu entre eux

42 Cet arrecirct de la cour drsquoappel est devenu deacutefinitif le requeacuterant ne

srsquoeacutetant pas pourvu en cassation

43 Agrave une date non preacuteciseacutee lrsquoenfant a eacuteteacute adopteacutee

C Le recours en reacuteparation pour deacutetention injuste

44 Le 7 avril 2014 la cour drsquoappel de Catane a octroyeacute au requeacuterant

193 608 EUR pour la deacutetention injustement subie entre le 2 avril 2009 et le

7 juillet 2011

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

45 La loi no 184 du 4 mai 1983 avait deacutejagrave apporteacute drsquoamples

changements dans le domaine de lrsquoadoption Avec les modifications

suppleacutementaires introduites par la loi no 149 de 2001 ses dispositions se

preacutesentent comme suit

Article 1

laquo Le mineur a le droit drsquoecirctre eacuteleveacute dans sa propre famille raquo

Article 2

laquo Le mineur qui est resteacute temporairement sans environnement familial adeacutequat peut

ecirctre confieacute agrave une autre famille si possible comprenant des enfants mineurs ou agrave une

personne seule ou agrave une communauteacute de type familial afin de lui assurer subsistance

eacuteducation et instruction Dans le cas ougrave un placement familial adeacutequat nrsquoest pas

possible il est permis de placer le mineur dans un institut drsquoassistance public ou priveacute

de preacutefeacuterence dans la reacutegion de reacutesidence du mineur raquo

Article 5

laquo La famille ou la personne agrave laquelle le mineur est confieacute doivent lui assurer

subsistance eacuteducation et instruction () en tenant compte des indications du tuteur et

en observant les prescriptions de lrsquoautoriteacute judiciaire Dans tous les cas la famille

drsquoaccueil exerce la responsabiliteacute parentale en ce qui concerne les rapports avec

lrsquoeacutecole et les institutions sanitaires nationales La famille drsquoaccueil doit ecirctre entendue

dans les proceacutedures de placement ou de deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute raquo

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

8 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

Article 7

laquo Lrsquoadoption est possible au beacuteneacutefice des mineurs deacuteclareacutes adoptables raquo

Article 8

laquo Le tribunal des affaires drsquoenfants peut deacuteclarer en eacutetat drsquoadoptabiliteacute mecircme

drsquooffice () les mineurs en situation drsquoabandon du fait de lrsquoabsence de toute

assistance morale ou mateacuterielle de la part des parents ou de la famille tenus [drsquoune

obligation en ce sens] sauf si le manque drsquoassistance est ducirc agrave une cause de force

majeure de caractegravere transitoire raquo

La laquo situation drsquoabandon raquo subsiste preacutecise lrsquoarticle 8 mecircme si les

mineurs se trouvent dans un institut drsquoassistance ou srsquoils ont eacuteteacute placeacutes

aupregraves drsquoune famille

Enfin toujours selon lrsquoarticle 8 il nrsquoy a pas de force majeure si les

parents ou autres membres de la famille du mineur tenus de srsquoen occuper

refusent les mesures drsquoassistance publique proposeacutees et si ce refus est

consideacutereacute par le juge comme injustifieacute

La situation drsquoabandon peut ecirctre signaleacutee agrave lrsquoautoriteacute publique par tout

particulier ou ecirctre releveacutee drsquooffice par le juge Pour les fonctionnaires

publics ou les membres de sa famille en ayant connaissance la deacutenonciation

de lrsquoeacutetat drsquoabandon drsquoun mineur est mecircme une obligation Par ailleurs les

instituts drsquoassistance doivent informer reacuteguliegraverement lrsquoautoriteacute judiciaire de

la situation des mineurs qursquoils accueillent (article 9)

Article 10

laquo Le tribunal peut ordonner jusqursquoau placement preacuteadoptif du mineur dans la

famille drsquoaccueil toute mesure temporaire dans lrsquointeacuterecirct du mineur y compris le cas

eacutecheacuteant la suspension de lrsquoautoriteacute parentale la suspension des fonctions de tuteur ou

la nomination drsquoun tuteur temporaire raquo

Les articles 11 agrave 14 preacutevoient une instruction visant agrave eacuteclaircir la

situation du mineur afin drsquoeacutetablir si ce dernier se trouve en eacutetat drsquoabandon

En particulier lrsquoarticle 11 dispose que lorsque au cours de lrsquoenquecircte il

ressort que lrsquoenfant nrsquoa de rapports avec aucun membre de sa famille

jusqursquoau quatriegraveme degreacute le tribunal peut le deacuteclarer adoptable sauf srsquoil

existe une demande drsquoadoption au sens de lrsquoarticle 44

Agrave lrsquoissue de la proceacutedure preacutevue par ces derniers articles si lrsquoeacutetat

drsquoabandon au sens de lrsquoarticle 8 persiste le tribunal des affaires drsquoenfants

deacuteclare le mineur adoptable dans les cas suivants a) les parents ou les

autres membres de la famille ne se sont pas preacutesenteacutes au cours de la

proceacutedure b) leur audition a deacutemontreacute la persistance du manque

drsquoassistance morale et mateacuterielle ainsi que lrsquoincapaciteacute des inteacuteresseacutes agrave y

remeacutedier c) les prescriptions imposeacutees en application de lrsquoarticle 12 nrsquoont

par la faute des parents pas eacuteteacute exeacutecuteacutees

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 9

Article 15

laquo La deacuteclaration drsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute est prononceacutee par le tribunal des affaires

drsquoenfants sieacutegeant en chambre du conseil par une deacutecision motiveacutee apregraves audition du

ministegravere public du repreacutesentant de lrsquoinstitut aupregraves duquel le mineur a eacuteteacute placeacute ou

de son eacuteventuelle famille drsquoaccueil du tuteur et du mineur lui-mecircme srsquoil est acircgeacute de

plus de douze ans ou en dessous de cet acircge si son audition est neacutecessaire raquo

Article 17

laquo Lrsquoopposition agrave la deacutecision deacuteclarant un mineur adoptable doit ecirctre deacuteposeacutee dans un

deacutelai de trente jours agrave partir de la date de la communication agrave la partie requeacuterante

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui deacuteclare lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de la notification

pour les motifs preacutevus aux numeacuteros 3 4 5 du premier alineacutea de lrsquoarticle 360 du code

de proceacutedure civile raquo

Article 19

laquo Pendant la proceacutedure visant agrave la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute lrsquoexercice de lrsquoautoriteacute

parentale est suspendu raquo

Lrsquoarticle 20 preacutevoit enfin que lrsquoeacutetat drsquoadoptabiliteacute cesse au moment ougrave le

mineur est adopteacute ou si ce dernier devient majeur Par ailleurs la deacuteclaration

drsquoadoptabiliteacute peut ecirctre reacutevoqueacutee drsquooffice ou sur demande des parents ou du

ministegravere public si les conditions preacutevues par lrsquoarticle 8 ont entre-temps

disparu Cependant si le mineur a eacuteteacute placeacute dans une famille agrave titre

preacuteadoptif (laquo affidamento preadottivo raquo) au sens des articles 22 agrave 24 la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute ne peut pas ecirctre reacutevoqueacutee

Lrsquoarticle 22 sect 8 preacutevoit que le tribunal pour enfants controcircle le bon

deacuteroulement du placement preacuteadoptif avec la collaboration du juge des

tutelles des services sociaux et des experts En cas de difficulteacutes le tribunal

convoque mecircme seacutepareacutement la famille drsquoaccueil et le mineur en preacutesence

le cas eacutecheacuteant drsquoun psychologue pour en veacuterifier les raisons Si neacutecessaire

il peut ordonner des mesures de soutien psychologique

Lrsquoarticle 25 preacutevoit que le tribunal pour enfants ne peut se prononcer sur

lrsquoadoption qursquoapregraves lrsquoexpiration drsquoun deacutelai minimum drsquoun an apregraves la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute la deacutecision sur lrsquoadoption est prise en chambre

du conseil

Lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel qui ordonne lrsquoadoption peut faire lrsquoobjet drsquoun

pourvoi en cassation dans un deacutelai de 30 jours agrave partir de la date de sa

notification pour les motifs preacutevus au numeacutero 3 du premier alineacutea de

lrsquoarticle 360 d) du code de proceacutedure civile

Article 44

De lrsquoadoption dans certains cas particuliers

laquo 1 Lorsque les conditions eacutenonceacutees agrave lrsquoalineacutea 1 de lrsquoarticle 7 ne sont pas reacuteunies

(mineurs qui nrsquoont pas encore eacuteteacute deacuteclareacutes adoptables) les mineurs peuvent

neacuteanmoins ecirctre adopteacutes

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

10 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqursquoau sixiegraveme degreacute ou un

rapport stable et durable preacuteexistant lorsque le mineur est orphelin de pegravere ou de

megravere

b) par le conjoint dans le cas ougrave le mineur est lrsquoenfant mecircme adoptif de lrsquoautre

conjoint

c) quand le mineur est dans lrsquoeacutetat indiqueacute agrave lrsquoarticle 3 alineacutea 1 de la loi no 104 du

5 feacutevrier 1992 et qursquoil est orphelin de pegravere et de megravere

d) quand lrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave un placement en vue de lrsquoadoption a eacuteteacute

constateacutee

2 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 lrsquoadoption est possible mecircme en preacutesence

drsquoenfants leacutegitimes

3 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) c) et d) lrsquoadoption est ouverte non seulement

aux [couples marieacutes] mais aussi [aux personnes] qui ne sont pas marieacutees Si

lrsquoadoptante est marieacuteeacutee et nrsquoest pas seacutepareacuteeacutee [de corps] lrsquoadoption ne peut ecirctre

deacutecideacutee qursquoagrave la suite drsquoune demande des deux eacutepoux

4 Dans les cas viseacutes agrave lrsquoalineacutea 1 a) et d) lrsquoacircge de lrsquoadoptant doit deacutepasser drsquoau

moins dix-huit ans lrsquoacircge de ceux qursquoil entend adopter raquo

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

46 Le requeacuterant allegravegue le non-respect de sa vie familiale reprochant

aux autoriteacutes qui ont drsquoabord interdit tout contact avec sa fille et ensuite

engageacute la proceacutedure visant agrave son adoption de ne pas avoir pris les mesures

approprieacutees afin de maintenir un quelconque lien avec elle Il fait valoir que

les autoriteacutes se sont borneacutees agrave prendre acte de ses difficulteacutes eacuteconomiques et

sociales sans lrsquoaider agrave les surmonter au moyen drsquoune assistance sociale

cibleacutee Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention

47 Maicirctresse de la qualification juridique des faits de la cause la Cour

estime approprieacute drsquoexaminer les griefs souleveacutes par le requeacuterant uniquement

sous lrsquoangle de lrsquoarticle 8 lequel exige que le processus deacutecisionnel

deacutebouchant sur des mesures drsquoingeacuterence soit eacutequitable et respecte comme il

se doit les inteacuterecircts proteacutegeacutes par cette disposition (Moretti et Benedetti

c Italie no 1631807 sect 27 27 avril 2010 Havelka et autres c Reacutepublique

tchegraveque no 2349906 sectsect 34-35 21 juin 2007 Kutzner c Allemagne

no 4654499 sect 56 CEDH 2002-I Wallovaacute et Walla c Reacutepublique tchegraveque

no 2384804 sect 47 26 octobre 2006 Zhou c Italie no 3377311 sect 28

21 janvier 2014)

Lrsquoarticle 8 de la Convention preacutevoit

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 11

laquo 1 Toute personne a droit au respect de sa vie priveacutee et familiale de son domicile

et de sa correspondance

2 Il ne peut y avoir ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique dans lrsquoexercice de ce droit

que pour autant que cette ingeacuterence est preacutevue par la loi et qursquoelle constitue une

mesure qui dans une socieacuteteacute deacutemocratique est neacutecessaire agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la

sucircreteacute publique au bien-ecirctre eacuteconomique du pays agrave la deacutefense de lrsquoordre et agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui raquo

48 Le Gouvernement conteste la thegravese du requeacuterant

A Sur la recevabiliteacute

49 La Cour constate que la requecircte nrsquoest pas manifestement mal fondeacutee

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoelle ne se heurte par

ailleurs agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Partant la Cour la deacuteclare

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

50 Le requeacuterant expose que degraves son arriveacutee en Italie il srsquoest trouveacute

bien malgreacute lui arrecircteacute et impliqueacute dans un procegraves peacutenal qui srsquoest

ulteacuterieurement soldeacute par son acquittement et que crsquoest ce procegraves qui lrsquoa

conduit agrave passer une longue peacuteriode seacutepareacute de sa fille

Faisant toutefois remarquer qursquoil a envoyeacute agrave lrsquoenfant plusieurs lettres il y

voit la preuve que le lien affectif nrsquoeacutetait pas rompu

51 Il explique

ndash que si le deacuteroulement de la seule rencontre autoriseacutee avec A avait

certes eacuteteacute difficile lrsquoattitude de lrsquoenfant envers lui agrave la fin de cette rencontre

eacutetait devenue positive

ndash qursquoil nrsquoavait alors pas vu sa fille depuis environ quatre ans

ndash que les juridictions internes nrsquoont jamais œuvreacute en faveur drsquoun

rapprochement pegravere-fille par le biais drsquoun soutien psychologique ou drsquoune

meacutediation familiale

ndash qursquoau contraire elles ont preacutefeacutereacute couper leur lien en faisant drsquoabord

reacutefeacuterence agrave sa situation eacuteconomique et ensuite agrave des consideacuterations

concernant sa personnaliteacute

Ainsi conclut-il les autoriteacutes lrsquoont drsquoabord emprisonneacute agrave tort puis lrsquoont

empecirccheacute de construire un lien avec sa fille

52 Le requeacuterant deacuteplore qursquoaucune action visant agrave lrsquoaider agrave exercer son

rocircle de parent nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Au demeurant souligne-t-il ses

compeacutetences parentales nrsquoont jamais eacuteteacute eacutevalueacutees par un expert

Il estime par ailleurs que les faits srsquoanalysent en une discrimination sur la

base de sa situation eacuteconomique et de son statut drsquoeacutetranger

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

12 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

53 Le Gouvernement de son cocircteacute explique que depuis lrsquoarriveacutee du

requeacuterant et de sa fille en Italie les autoriteacutes ont pris les mesures neacutecessaires

pour proteacuteger lrsquoenfant

Ainsi tous deux ont eacuteteacute accueillis par la municipaliteacute de Trepuzzi et y

ont eacuteteacute inseacutereacutes dans un projet pour la protection des reacutefugieacutes Crsquoest

seulement en avril 2009 quand le requeacuterant a eacuteteacute arrecircteacute que lrsquoenfant a eacuteteacute

placeacutee dans un institut avant drsquoecirctre en janvier 2010 placeacutee dans une famille

drsquoaccueil Lrsquoenfant a pu voir le requeacuterant une seule fois en juillet 2012

54 Durant la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoarrestation du requeacuterant la relation

entre ce dernier et lrsquoenfant a eacuteteacute surveilleacutee par les responsables du projet

selon ces derniers il nrsquoy avait pas un lien fort entre lrsquoenfant et le requeacuterant

Pour le Gouvernement tous les efforts faits par les services sociaux

eacutetaient vains car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas coopeacuteratif Selon lui ce qui

inteacuteressait le requeacuterant eacutetait surtout drsquoobtenir un permis de seacutejour et une aide

mateacuterielle

55 Le Gouvernement explique eacutegalement

ndash qursquoune fois acquitteacute et libeacutereacute le requeacuterant a certes demandeacute agrave renouer

des liens avec lrsquoenfant mais nrsquoa jamais donneacute les renseignements

neacutecessaires sur la maniegravere dont il aurait pu srsquoen occuper

ndash que le requeacuterant refusait de prendre en compte que lrsquoenfant ne voulait

pas le voir et ne se souvenait pas de lui et a donneacute lrsquoimage drsquoun pegravere

autoritaire (padre padrone laquo pegravere-patron raquo) comme cela a eacuteteacute ensuite

reconnu par les juridictions internes

56 De plus le Gouvernement fait valoir

ndash que le requeacuterant a deacutemeacutenageacute dans un lieu inconnu et que pendant

plusieurs mois il nrsquoa donneacute aucune nouvelle et nrsquoa pas essayeacute de contacter

les services sociaux pour avoir des nouvelles de lrsquoenfant

ndash que crsquoest au vu des rapports des services sociaux depuis 2008 qui

indiquaient que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure drsquoexercer son rocircle de

pegravere que la cour drsquoappel de Lecce a refuseacute drsquoautoriser de nouveaux contacts

entre le requeacuterant et sa fille

ndash que lrsquoenfant vivait depuis 2010 dans une famille drsquoaccueil dans

laquelle elle eacutetait bien inteacutegreacutee

Pour le Gouvernement le requeacuterant nrsquoest pas une victime drsquoune violation

de lrsquoarticle 8 mais se trouve simplement devant les conseacutequences de son

propre manque de coopeacuteration avec les juridictions aux fins drsquoun

rapprochement entre lui et sa fille

57 Le Gouvernement conclut que les juridictions internes ont pris leurs

deacutecisions dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant

Selon lui crsquoest agrave tort que le requeacuterant affirme qursquoil nrsquoy a pas eu

drsquoexpertise technique au sujet de lrsquoenfant ou des capaciteacutes parentales du

requeacuterant Drsquoune part la cour drsquoappel a fondeacute sa deacutecision sur les

conclusions du controcircle effectueacute pendant plusieurs anneacutees sur lrsquoenfant et le

requeacuterant Drsquoautre part les juridictions internes ont ducirc eacutevaluer si toutes les

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 13

conditions preacutevues par la loi eacutetaient remplies afin de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable

58 Enfin le Gouvernement objecte que crsquoest le requeacuterant lui-mecircme qui

a deacutecideacute sans scrupules drsquoemmener sa fille avec lui dans une traverseacutee de

la Meacutediterraneacutee en bateau la seacuteparant ainsi du reste de sa famille afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour en Italie Lrsquoenfant eacutecrit-il laquo a

failli mourir en mer agrave cause de la deacutecision prise par le requeacuterant raquo tandis

que laquo les autoriteacutes italiennes ont pris soin drsquoelle et [lui ont donneacute] un

avenir raquo

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Principes geacuteneacuteraux

59 La Cour constate agrave titre liminaire qursquoil nrsquoest pas contesteacute que la

deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute de A constitue une ingeacuterence dans lrsquoexercice du

droit du requeacuterant au respect de sa vie familiale Elle rappelle qursquoune telle

ingeacuterence nrsquoest compatible avec lrsquoarticle 8 que si elle remplit les conditions

cumulatives drsquoecirctre preacutevue par la loi de poursuivre un but leacutegitime et drsquoecirctre

neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique La notion de neacutecessiteacute implique

que lrsquoingeacuterence se fonde sur un besoin social impeacuterieux et qursquoelle soit

notamment proportionneacutee au but leacutegitime rechercheacute (voir Gnahoreacute

c France no 4003198 sect 50 CEDH 2000-IX Couillard Maugery c

France no 6479601 sect 237 1er juillet 2004 et Pontes c Portugal

no 1955409 sect74 10 avril 2012)

60 La Cour rappelle qursquoau-delagrave de la protection contre les ingeacuterences

arbitraires lrsquoarticle 8 met agrave la charge de lrsquoEacutetat des obligations positives

inheacuterentes au respect effectif de la vie familiale Ainsi lagrave ougrave lrsquoexistence

drsquoun lien familial se trouve eacutetablie lrsquoEacutetat doit en principe agir de maniegravere agrave

permettre agrave ce lien de se deacutevelopper (voir Olsson c Suegravede (no 2)

27 novembre 1992 sect 90 seacuterie A no 250) La frontiegravere entre les obligations

positives et neacutegatives deacutecoulant de lrsquoarticle 8 ne se precircte pas agrave une deacutefinition

preacutecise mais les principes applicables sont neacuteanmoins comparables En

particulier dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave

meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents en tenant compte toutefois de ce que

lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant doit constituer la consideacuteration deacuteterminante

qui selon sa nature et sa graviteacute peut lrsquoemporter sur celui du parent (Kearns

c France no 3599104 sect 79 10 janvier 2008) Notamment lrsquoarticle 8 ne

saurait autoriser un parent agrave voir prendre des mesures preacutejudiciables agrave la

santeacute et au deacuteveloppement de lrsquoenfant (voir Johansen c Norvegravege 7 aoucirct

1996 sect 78 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III et Gnahoreacute preacuteciteacute

sect 59) Ainsi en matiegravere drsquoadoption la Cour a deacutejagrave admis qursquoil puisse ecirctre de

lrsquointeacuterecirct du mineur de favoriser lrsquoinstauration de liens affectifs stables avec

ses parents nourriciers (Johansen preacuteciteacute sect 80 et Kearns preacuteciteacute sect 80)

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

14 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

61 La Cour constate eacutegalement que dans lrsquohypothegravese des obligations

neacutegatives comme dans celle des obligations positives lrsquoEacutetat jouit drsquoune

certaine marge drsquoappreacuteciation (voir W c Royaume-Uni 8 juillet 1987 sect 60

seacuterie A no 121) qui varie selon la nature des questions en litige et la graviteacute

des inteacuterecircts en jeu En particulier la Cour exige que des mesures aboutissant

agrave briser les liens entre un enfant et sa famille ne soient appliqueacutees que dans

des circonstances exceptionnelles crsquoest-agrave-dire uniquement dans les cas ougrave

les parents se sont montreacutes particuliegraverement indignes (Clemeno et autres c

Italie no 1953703 sect 60 21 octobre 2008) ou lorsqursquoelles sont justifieacutees

par une exigence primordiale touchant lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant (voir

Johansen preacuteciteacute sect 84 P C et S c Royaume-Uni no 5654700 sect 118

CEDH 2002-VI) Cette approche peut toutefois ecirctre eacutecarteacutee en raison de la

nature de la relation parent-enfant lorsque le lien est tregraves limiteacute (Soumlderbaumlck

c Suegravede 28 octobre 1998 sectsect 30-34 Recueil 1998-VII)

62 Il appartient agrave chaque Eacutetat contractant de se doter drsquoun arsenal

juridique adeacutequat et suffisant pour assurer le respect des obligations

positives qui lui incombent en vertu de lrsquoarticle 8 de la Convention et agrave la

Cour de rechercher si dans lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des dispositions

leacutegales applicables les autoriteacutes internes ont respecteacute les garanties voulues

par lrsquoarticle 8 en tenant notamment compte de lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

(voir mutatis mutandis Neulinger et Shuruk c Suisse [GC] no 4161507

sect 141 CEDH 2010 KAB c Espagne no 5981908 sect 115 10 avril 2012)

63 Agrave cet eacutegard et srsquoagissant de lrsquoobligation pour lrsquoEacutetat drsquoarrecircter des

mesures positives la Cour nrsquoa cesseacute de dire que lrsquoarticle 8 implique le droit

pour un parent agrave des mesures propres agrave le reacuteunir avec son enfant et

lrsquoobligation pour les autoriteacutes nationales de les prendre (voir par exemple

Eriksson sect 71 seacuterie A no 156 et Margareta et Roger Andersson c Suegravede

25 feacutevrier 1992 sect 91 seacuterie A no 226-A PF c Pologne no 221012 sect 55

16 septembre 2014) Dans ce genre drsquoaffaire le caractegravere adeacutequat drsquoune

mesure se juge agrave la rapiditeacute de sa mise en œuvre (Maumousseau

et Washington c France no 3938805 sect 83 6 deacutecembre 2007 Zhou

c Italie preacuteciteacute sect 48)

b) Application de ces principes

64 La Cour considegravere que le point deacutecisif en lrsquoespegravece consiste donc agrave

savoir si avant de supprimer le lien de filiation les autoriteacutes nationales ont

pris toutes les mesures neacutecessaires et adeacutequates que lrsquoon pouvait

raisonnablement exiger drsquoelles pour que lrsquoenfant puisse mener une vie

familiale normale avec son pegravere

65 La Cour rappelle qursquoil existe un large consensus ndash y compris en droit

international ndash autour de lrsquoideacutee que dans toutes les deacutecisions concernant des

enfants leur inteacuterecirct supeacuterieur doit primer (Neulinger et Shuruk preacuteciteacute

sect 135)

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 15

66 La Cour note que les autoriteacutes italiennes ont pris en charge le

requeacuterant et sa fille depuis leur arriveacutee en Italie par bateau

Agrave cet eacutegard la Cour ne peut pas prendre en compte lrsquoargument du

Gouvernement selon lequel le requeacuterant aurait emmeneacute sa fille en Italie afin

drsquoobtenir plus facilement un permis de seacutejour En lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements

objectifs dans le dossier qui accreacutediteraient lrsquoideacutee que le but du requeacuterant

eacutetait drsquoutiliser lrsquoenfant pour obtenir plus facilement un permis de seacutejour en

Italie elle ne saurait speacuteculer sur les motivations du requeacuterant et sur son

choix de quitter la Libye avec sa fille alors acircgeacutee de deux ans

67 Agrave leur arriveacutee en Italie en feacutevrier 2009 le requeacuterant et sa fille furent

inseacutereacutes dans un projet pour lrsquoaccueil des reacutefugieacutes Ils furent accueillis dans

un centre et les services sociaux surveillegraverent la situation de lrsquoenfant qui

semblait ecirctre deacutesorienteacutee agrave la suite de certaines expeacuteriences veacutecues dans le

passeacute

68 Le 2 avril 2009 le requeacuterant fut arrecircteacute et lrsquoenfant fut transfeacutereacutee dans

un foyer Elle eacutetait traumatiseacutee et se reacuteveillait en pleurant la nuit Crsquoest

pourquoi il fut deacutecideacute de la placer en famille drsquoaccueil afin de lui offrir un

environnement stable

69 La Cour note que pendant sa deacutetention le requeacuterant a exprimeacute son

inteacuterecirct pour lrsquoenfant et une fois acquitteacute a demandeacute agrave la rencontrer Il a

reconnu que lrsquoenfant vivait dans un environnement serein et qursquoil eacutetait

neacutecessaire de son cocircteacute qursquoil trouve un travail

70 La seule rencontre autoriseacutee avec lrsquoenfant qui a eu lieu le 30 juillet

2012 connut un deacuteroulement difficile en raison probablement du fait que le

requeacuterant nrsquoavait plus vu sa fille depuis trois ans alors qursquoil srsquoagissait drsquoune

enfant en bas acircge (paragraphes 19-20 ci- dessus) Ensuite le requeacuterant

deacutemeacutenagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois

mois avant de redemander une rencontre avec lrsquoenfant

La Cour note qursquoaucune expertise psychologique visant agrave veacuterifier la

capaciteacute du requeacuterant agrave exercer son rocircle de parent nrsquoa eu lieu et que srsquoil est

vrai que plusieurs rapports sur lrsquoeacutetat psychologique de lrsquoenfant ont eacuteteacute

deacuteposeacutes devant les juridictions internes la deacutecision de rompre le lien parent-

enfant srsquoest fondeacutee de maniegravere exclusive sur les rapports des services

sociaux qui avaient observeacute le requeacuterant lors de son arriveacutee en Italie en

2009 et lors de la seule et unique rencontre avec lrsquoenfant

71 De plus srsquoil est vrai que les rapports deacuteposeacutes par les services sociaux

apregraves la rencontre (sectsect 20-23) faisaient eacutetat drsquoune situation difficile pour

lrsquoenfant la Cour relegraveve toutefois eacutegalement que lesdits rapports ne se

fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les

experts mais se reacutefeacuteraient en grande partie aux affirmations de la famille

drsquoaccueil de lrsquoenfant

72 Le 23 janvier 2014 le tribunal a deacutecideacute de deacuteclarer lrsquoenfant

adoptable Le tribunal a jugeacute que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de

srsquooccuper de lrsquoenfant et de comprendre ses besoins Il a en outre noteacute que

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

16 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

dans les deux lettres qursquoil avait envoyeacutees agrave sa fille le requeacuterant nrsquoavait pas

exprimeacute lrsquointention drsquoen obtenir agrave nouveau la garde Le tribunal a eacutegalement

reprocheacute au requeacuterant drsquoavoir emmeneacute sa fille en Italie avec lui Il nrsquoa pas

estimeacute neacutecessaire drsquoordonner une expertise pour veacuterifier si le requeacuterant eacutetait

capable drsquoexercer son rocircle parental ou si sa relation avec lrsquoenfant eacutetait

marqueacutee par un deacuteficit affectif

73 La cour drsquoappel a confirmeacute le jugement du tribunal Elle nrsquoa pas pris

en consideacuteration lrsquoeacutevolution de la situation du requeacuterant ni estimeacute elle non

plus neacutecessaire drsquoordonner une expertise sur les capaciteacutes parentales du

requeacuterant mais a neacuteanmoins jugeacute que ce dernier nrsquoeacutetait pas en mesure

drsquoexercer son rocircle de pegravere en se fondant essentiellement sur les rapports

que les services sociaux avaient preacutepareacutes en 2009 La cour drsquoappel a retenu

que le requeacuterant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant

que une fois sorti de prison il avait affirmeacute agrave plusieurs reprises qursquoil nrsquoeacutetait

pas precirct agrave prendre en consideacuteration drsquoautres solutions concernant le

placement de sa fille en deacuteclarant que laquo les enfants appartiennent aux

parents raquo Selon la cour drsquoappel la deacuteclaration drsquoadoptabiliteacute nrsquoavait elle-

mecircme rompu aucun lien familial eacutetant donneacute que lrsquoenfant en reacuteponse aux

questions des services sociaux avait refuseacute de se reacutefeacuterer agrave son pegravere

biologique et agrave son expeacuterience passeacutee Agrave ses yeux lrsquoenfant se trouvait donc

dans un eacutetat drsquoabandon le pegravere ne pouvant pas assurer les soins neacutecessaires

74 La Cour estime tout drsquoabord que les autoriteacutes nationales nrsquoont pas

suffisamment œuvreacute afin de faciliter les contacts entre A et le requeacuterant

Elle rappelle que dans des cas si deacutelicats et complexes la marge

drsquoappreacuteciation laisseacutee aux autoriteacutes nationales compeacutetentes varie selon la

nature des questions en litige et la graviteacute des inteacuterecircts en jeu Si les autoriteacutes

jouissent drsquoune grande latitude pour appreacutecier la neacutecessiteacute de prendre en

charge un enfant en particulier lorsqursquoil y a urgence la Cour doit

neacuteanmoins avoir acquis la conviction que dans lrsquoaffaire en question il

existait des circonstances justifiant le retrait de lrsquoenfant Il incombe agrave lrsquoEacutetat

deacutefendeur drsquoeacutetablir que les autoriteacutes ont eacutevalueacute avec soin lrsquoincidence

qursquoaurait sur les parents et lrsquoenfant la mesure drsquoadoption et envisageacute

drsquoautres solutions que la prise en charge de lrsquoenfant avant de mettre pareille

mesure agrave exeacutecution (K et T c Finlande [GC] no 2570294 sect 166 CEDH

2001-VII Kutzner preacuteciteacute)

75 La Cour le reacutepegravete avec force dans les affaires de ce type lrsquointeacuterecirct

de lrsquoenfant doit passer avant toute autre consideacuteration Elle rappelle

eacutegalement qursquoil ne lui appartient pas de substituer son appreacuteciation agrave celle

des autoriteacutes nationales compeacutetentes quant aux mesures qui auraient ducirc ecirctre

prises car ces autoriteacutes sont en effet en principe mieux placeacutees pour

proceacuteder agrave une telle eacutevaluation du fait notamment qursquoelles sont en contact

direct avec le contexte de lrsquoaffaire et les parties impliqueacutees Elle doit

cependant controcircler sous lrsquoangle de la Convention les deacutecisions que

lesdites autoriteacutes ont rendues dans lrsquoexercice de leur pouvoir drsquoappreacuteciation

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 17

76 La Cour note qursquoapregraves la seacuteparation drsquoavec le requeacuterant lrsquoenfant a

eacuteteacute placeacutee dans une famille drsquoaccueil dans laquelle elle srsquoest bien inseacutereacutee

Toutefois la Cour relegraveve qursquoune fois le requeacuterant libeacutereacute apregraves avoir eacuteteacute

acquitteacute agrave aucun moment les juridictions internes nrsquoont envisageacute des

mesures moins radicales que lrsquoorientation de A vers lrsquoadoption afin drsquoeacuteviter

lrsquoeacuteloignement deacutefinitif et irreacuteversible de lrsquoenfant de son pegravere mesure

pouvant aller contre lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de lrsquoenfant

77 En outre en ce qui concerne lrsquoabsence de liens entre le requeacuterant et

sa fille raison sur laquelle la cour drsquoappel srsquoest appuyeacutee pour deacuteclarer

lrsquoenfant en eacutetat drsquoabandon la Cour note que les autoriteacutes compeacutetentes

eacutetaient responsables de la situation de rupture familiale qui srsquoest installeacutee

entre le 2 avril 2009 date de lrsquoarrestation du requeacuterant et le 7 juillet 2011

date de sa libeacuteration

78 La Cour rappelle eacutegalement que le fait qursquoun enfant puisse ecirctre

accueilli dans un cadre plus propice agrave son eacuteducation ne saurait en soi

justifier qursquoon le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques

pareille ingeacuterence dans le droit des parents au titre de lrsquoarticle 8 de la

Convention agrave jouir drsquoune vie familiale avec leur enfant doit encore se

reacuteveacuteler laquo neacutecessaire raquo en raison drsquoautres circonstances (K et T c Finlande

[GC] preacuteciteacute sect 173)

79 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de la plupart des affaires que la Cour

a eu lrsquooccasion drsquoexaminer en lrsquoespegravece il nrsquoa pas eacuteteacute deacutemontreacute que lrsquoenfant

avait eacuteteacute exposeacutee agrave des situations de violence ou de maltraitance (voir a

contrario Dewinne c Belgique (deacutec) no 5602400 10 mars 2005

Zakharova c France (deacutec) no 5730600 13 deacutecembre 2005) ni agrave des abus

sexuels (voir a contrario Covezzi et Morselli c Italie no 5276399 sect 104

9 mai 2003) Les tribunaux nrsquoont pas non plus constateacute en lrsquooccurrence de

deacuteficits affectifs (voir a contrario Kutzner preacuteciteacute sect 68) ou encore un eacutetat

de santeacute inquieacutetant ou un deacuteseacutequilibre psychique des parents (voir a

contrario Bertrand c France (deacutec) no 5737600 19 feacutevrier 2002

Couillard Maugery c France preacuteciteacute sect 261)

80 Dans la preacutesente affaire la prise en charge de lrsquoenfant du requeacuterant a

eacuteteacute ordonneacutee au motif que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en mesure de prendre soin

drsquoelle et qursquoun retour aupregraves de lui aurait eacuteteacute nuisible pour lrsquoenfant

Toutefois la Cour note que la seacuteparation entre le requeacuterant et lrsquoenfant a eacuteteacute

provoqueacutee par lrsquoarrestation du requeacuterant que trois ans apregraves le requeacuterant a

eacuteteacute acquitteacute et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir

lrsquoenfant qursquoune seule fois Crsquoest agrave la suite de cette unique rencontre sans

avoir ordonneacute aucune expertise au sujet du requeacuterant ni tenteacute de mettre en

place un quelconque parcours de rapprochement entre le requeacuterant et

lrsquoenfant qursquoelles ont jugeacute qursquoil nrsquoeacutetait pas capable drsquoexercer son rocircle

parental

La Cour relegraveve encore qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant a demandeacute

tout de suite agrave rencontrer sa fille lui a adresseacute des lettres et a fait les

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

18 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

deacutemarches juridiques neacutecessaires pour exercer son droit de visite Elle

estime donc qursquoon ne saurait consideacuterer que le requeacuterant se deacutesinteacuteressait de

sa fille comme les juridictions internes lrsquoont affirmeacute La Cour ne perd pas

de vue qursquoagrave sa sortie de prison le requeacuterant eacutetait sans travail et nrsquoavait pas

de domicile fixe

81 La Cour doute du caractegravere adeacutequat des eacuteleacutements sur lesquels les

autoriteacutes se sont appuyeacutees pour conclure que le requeacuterant nrsquoeacutetait pas en

mesure drsquoexercer son rocircle parental et qursquoil eacutetait dangereux pour lrsquoenfant La

Cour est drsquoavis qursquoavant drsquoouvrir une proceacutedure drsquoadoptabiliteacute les autoriteacutes

auraient ducirc prendre des mesures concregravetes pour permettre agrave lrsquoenfant de

renouer des liens avec son pegravere et cela drsquoautant plus que le requeacuterant avait

passeacute trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille dont les deux anneacutees

passeacutees en deacutetention

82 La Cour reacuteaffirme que le rocircle des autoriteacutes de protection sociale est

preacuteciseacutement drsquoaider les personnes en difficulteacute de les guider dans leurs

deacutemarches et de les conseiller entre autres quant aux diffeacuterents types

drsquoallocations sociales disponibles aux possibiliteacutes drsquoobtenir un logement

social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficulteacutes (Saviny

c Ukraine no 3994806 sect 57 18 deacutecembre 2008 RMS c Espagne

no 2877512 sect 86 18 juin 2013) Dans le cas des personnes vulneacuterables les

autoriteacutes doivent faire preuve drsquoune attention particuliegravere et doivent leur

assurer une protection accrue (B c Roumanie (no 2) no 128503 sectsect 86 et

114 19 feacutevrier 2013 Todorova c Italie no 3393206 sect 75 13 janvier

2009 Zhou preacuteciteacute sectsect 58-59)

83 En lrsquoespegravece la Cour est drsquoavis que la neacutecessiteacute qui eacutetait primordiale

de preacuteserver autant que possible le lien entre le requeacuterant et sa fille nrsquoa pas

eacuteteacute ducircment prise en consideacuteration ndash sachant que lrsquointeacuteresseacute se trouvait par

ailleurs en situation de vulneacuterabiliteacute compte tenu de ce qursquoil eacutetait eacutetranger

et venait de sortir de prison apregraves deux ans de deacutetention injuste puisqursquoil a

eacuteteacute acquitteacute

La Cour note que la deacutecision de rompre le lien familial nrsquoait eacuteteacute preacuteceacutedeacutee

drsquoune eacutevaluation seacuterieuse et attentive de la capaciteacute du requeacuterant agrave exercer

son rocircle de parent et notamment drsquoaucune expertise psychologique et

qursquoaucune tentative de sauvegarder le lien nrsquoait eacuteteacute envisageacutee Les autoriteacutes

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats pour preacuteserver le lien familial entre le

requeacuterant et sa fille et en favoriser le deacuteveloppement Les autoriteacutes

judiciaires se sont borneacutees agrave prendre en consideacuteration lrsquoexistence de

certaines difficulteacutes alors que celles-ci auraient pu selon toute

vraisemblance ecirctre surmonteacutees au moyen drsquoune assistance sociale cibleacutee

Le requeacuterant ne srsquoest vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa

fille en effet aucun expert nrsquoa eacuteteacute mandateacute pour eacutevaluer ses compeacutetences

ou son profil psychologique De plus une seule rencontre a eacuteteacute autoriseacutee

avec lrsquoenfant Aucun parcours de rapprochement ou de theacuterapie familiale

nrsquoa eacuteteacute envisageacute Au demeurant aucune explication convaincante pouvant

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE 19

justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requeacuterant et sa

fille nrsquoa eacuteteacute fournie par le Gouvernement

84 Eu eacutegard agrave ces consideacuterations et nonobstant la marge drsquoappreacuteciation

de lrsquoEacutetat deacutefendeur en la matiegravere la Cour conclut que les autoriteacutes

italiennes en envisageant que la solution drsquoune rupture du lien familial

nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et suffisants pour faire respecter le

droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant eacuteleacutement de son droit au respect

de sa vie familiale garanti par lrsquoarticle 8 Il y a donc eu violation de cette

disposition

85 Compte tenu de ce que lrsquoenfant a deacutesormais eacuteteacute adopteacutee la Cour

preacutecise que ce constat de violation ne saurait ecirctre compris comme obligeant

lrsquoEacutetat agrave remettre la mineure agrave lrsquointeacuteresseacute

II SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

87 Le requeacuterant reacuteclame 500 000 euros (EUR) au titre du preacutejudice

qursquoil aurait subi du fait de la violation de lrsquoarticle 8

88 Le Gouvernement estime cette somme excessive

89 En tenant compte des circonstances de lrsquoespegravece et de son constat

selon lequel les autoriteacutes italiennes nrsquoont pas deacuteployeacute des efforts adeacutequats et

suffisants pour faire respecter le droit du requeacuterant agrave vivre avec son enfant

meacuteconnaissant ainsi lrsquoarticle 8 de la Convention la Cour considegravere que

lrsquointeacuteresseacute a subi un preacutejudice moral qui ne saurait ecirctre reacutepareacute par le seul

constat de violation Elle estime toutefois que la somme reacuteclameacutee est

excessive Eu eacutegard agrave lrsquoensemble des eacuteleacutements dont elle dispose et statuant

en eacutequiteacute comme le veut lrsquoarticle 41 de la Convention elle estime qursquoil

convient de fixer la somme agrave allouer agrave lrsquointeacuteresseacute pour ledit preacutejudice moral

agrave 32 000 EUR

B Frais et deacutepens

90 Justificatifs agrave lrsquoappui le requeacuterant demande eacutegalement

29 33561 EUR pour les frais et deacutepens engageacutes devant la Cour

91 Le Gouvernement conteste ce montant

92 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente

20 ARREcircT AKINNIBOSUN c ITALIE

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece et compte tenu des documents en sa possession et de sa

jurisprudence la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais

confondus et lrsquoaccorde au requeacuterant

C Inteacuterecircts moratoires

93 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires sur

le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR Agrave LrsquoUNANIMITEacute

1 Deacuteclare la requecircte recevable

2 Dit qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 8 de la Convention

3 Dit

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois agrave

compter du jour ougrave lrsquoarrecirct sera devenu deacutefinitif en vertu de

lrsquoarticle 44 sect 2 de la Convention les sommes suivantes

i 32 000 EUR (trente-deux mille euros) plus tout montant pouvant

ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ii 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

4 Rejette la demande de satisfaction eacutequitable pour le surplus

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit en application de lrsquoarticle 77

sectsect 2 et 3 du regraveglement

Fatoş Aracı Paumlivi Hirvelauml

Greffiegravere adjointe Preacutesidente