Adler- Connaissance de l'Homme

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  • Alfred ADLER (1927)

    Connaissance delhomme

    tude de caractrologie individuelle

    Traduction franaise de lAllemand par Jacques Marty, 1949.

    Un document produit en version numrique par Gemma Paquet,collaboratrice bnvole et professeure la retraite du Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay,Bnvole et professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    et dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Gemma Paquet,collaboratrice bnvole et professeure la retraite du Cgep deChicoutimi partir de :

    Alfred Adler (1927)CONNAISSANCE DE LHOMME. tude de caractrologieindividuelle.

    Une dition lectronique ralise partir du livre dAlfred Adler,CONNAISSANCE DE LHOMME. tude de caractrologie individuelle. Traductionfranaise de lAllemand par Jacques Marty, 1949. Paris : ditions Payot, 1966, 250pages. Collection Petite bibliothque Payot, n 90. Prcdemment publi dans laBibliothque scientifique chez Payot.

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    Table des matires

    Prface, par Leland E. Hinsie, professeur de psychiatrie lUniversit ColumbiaAvertissement pour l'dition franaise, par Paul PlottkeAvant-propos de l'auteur, par le Dr. Alfred Adler

    Partie gnraleIntroduction

    Chapitre I. - L'me humaine

    I. Notion et condition de la vie de l'meII. Fonction de l'organe psychiqueIII. Le finalisme dans la vie psychique

    Chapitre II. - Qualit sociale de la vie psychiqueI. Vrit absolueII. La contrainte de mener une vie communeIII. Tendance a la scurit et adaptationIV. Sentiment de communion humaine

    Chapitre III. - Enfant et socit

    I. Situation du nourrissonII. Influence des difficultsIII. L'homme, tre social

    Chapitre IV. - Impression du monde extrieur

    I. La conception du monde en gnralII. La conception du monde. lments de son dveloppementIII. ImaginationIV. Rves (gnralits)V. IdentificationVI. Influence d'un homme sur les autres (hypnose et suggestion)

    Chapitre V. - Sentiment d'infriorit et tendance se faire valoir

    I. La situation de la premire enfanceII. Compensation du sentiment d'infriorit, tendance se faire valoir et la

    suprioritIII. Ligne d'orientation et conception du monde

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    Chapitre VI. - La prparation la vie

    I. JeuII. Attention et distractionIII. Insouciance et oubliIV. L'inconscientV. RvesVI. Talent

    Chapitre VII. - Les rapports entre les sexes

    I. Division du travail et diffrence des deux sexes.II. Primaut de l'homme dans la civilisation actuelleIII. Un prjug : l'infriorit de la femmeIV. Dsertion du rle de la femmeV. Tension entre les deux sexesVI. Essais d'amlioration

    Chapitre VIII. - Frres et surs

    CaractrologieChapitre I. - Gnralits

    I. Nature et formation du caractreII. Importance du sentiment de communion humaine pour le

    dveloppement du caractreIII. Orientation du dveloppement du caractreIV. Diffrences par rapport d'autres coles psychologiquesV. Tempraments et scrtion interneVI. Rcapitulation

    Chapitre 2. - Traits de caractre et nature agressive

    I. Vanit (ambition)II. JalousieIII. EnvieIV. AvariceV. Haine

    Chapitre 3. - Traits de caractre de nature non agressive

    I. IsolementII. AngoisseIII. PusillanimitIV. Instincts indompts exprimant une adaptation amoindrie

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    Chapitre 4. - Autres expressions du caractre

    I. EnjouementII. Modes de pense et d'expressionIII. Attitude d'colierIV. Hommes principes et pdantsV. SubordinationVI. OrgueilVII. ImpressionnabilitVIII. Oiseaux de malheurIX. Religiosit

    Chapitre 5. - tats affectifsA. tats affectifs produisant sparation

    I. ColreII. TristesseIII. AbusIV. DgotV. Angoisse (peur)

    B. tats affectifs produisant liaisonI. JoieII. PitiIII. Honte

    Appendice. Remarques gnrales sur l'ducation

    Conclusion

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    Dr Alfred Adler

    Ancien professeur au long Island Medical College de New York, est avec Freud etJung l'un des pionniers de la psychologie contemporaine.

    Dans Connaissance de l'homme, le Dr Adler dsire montrer au grand public quelssont les fondements de la caractrologie individuelle, leur valeur pour uneauthentique connaissance de l'homme et leur porte pour une meilleure organisationdes relations entre individus au sein de la socit.

    Petite Bibliothque Payot

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  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 7

    N en 1870 dans un faubourg de Vienne, ALFRED

    ADLER est avec C. G. Jung l'un des principaux disciples et dissidents de Freud. Ilest mort en 1937 Aberdeen, en cosse, o il tait venu faire des confrences.

    Depuis la fin de la deuxime guerre mondiale, l'enseignement adlrien se rpandde plus en plus et son retentissement est considrable sur l'volution des ides enpsychopathologie, psychothrapie, pdagogie et mdecine.

    Connaissance de l'homme est un ouvrage plus accessible au grand public que cer-tains travaux spcialiss d'Alfred Adler. C'est une sorte de petit trait de caract-rologie existentielle , o le lecteur dcouvrira les principaux thmes de lapsychologie adlrienne.

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  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 8

    ConnaissanceDe L'HOMME

    tude de caractrologie Individuelle

    avec une prface de L.-E. Hinsieprofesseur l'Universit Columbia

    et un avertissement de Paul Plottkeancien professeur au Collge Sainte-Barbe

    PETITE BIBLIOTHQUE PAYOT, n 90.Paris: ditions Payot, 1966, 250 pages.Traduit de l'Allemand par Jacques Marty, 1949.Prcdemment publi dans la collection: Bibliothque scientifique.

    Cet ouvrage, traduit de l'allemand par Jacques Marty, a t prcdemment publidans la Bibliothque Scientifique des ditions Payot, Paris.

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    Prface

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    Se connatre et se comprendre soi-mme, telle est la condition primordiale dubonheur. Un homme moyen peut aujourd'hui y parvenir en une mesure et suivant unevoie qui restaient inaccessibles il y a seulement cinquante ans. Ce qui est requis enl'espce, c'est tout d'abord le dsir sincre de se regarder aussi bien qu'autrui avecautant d'objectivit que peut nous en procurer l'observation quotidienne ainsi que lestravaux crits provenant de ceux qui ont consacr leurs investigations profession-nelles l'tude de la nature humaine.

    Alfred Adler tait essentiellement un tre humain dou d'autant de bont que defranchise, loyal dans ses apprciations des gens qui recherchaient son appui, etsincre dans l'expos et la propagation des vrits telles qu'il les voyait au cours deses vastes expriences. Il se sentait irrsistiblement port inviter son prochain rflchir sur soi-mme et sur les autres, car il savait que la meilleure comprhensionmanant d'une apprciation des sources mmes de la nature humaine donne l'indi-vidu un sentiment de scurit qu'il ne saurait obtenir aussi profondment en suivanttoute autre voie.

    Conscient de la nature minemment scientifique de l'objet auquel il avait consacrsa vie, et particulirement apte fixer l'intrt de ceux pour qui les mots psychiatrieet psychologie prsentent un aspect mystrieux ou redoutable, Adler se trouvait en

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    excellente posture pour jouer un rle de premier plan dans la propagation de la con-naissance des faits essentiels concernant les sources de la conduite humaine. Il savaitpouvoir servir au mieux son prochain, en ne cessant d'insister sur la position inf-rieure o les enfants se trouvent placs en venant au monde et sur leurs efforts aucours des annes pour passer de la dpendance infantile l'indpendance de l'geadulte.

    Adler soulignait avec force l'importance des influences familiales et sociales surl'enfance et la premire adolescence de l'tre humain. Comme d'autres, notammentFreud, il montrait que, dans une grande mesure, les cadres mmes de la positionadulte sont poss ds les toutes premires annes de l'existence. L'enfant n'a passeulement combattre ses propres impulsions biologiques, mais aussi celles de sesparents, de ses frres et surs, plus tard celles de ses instituteurs. Dans la grandemajorit des cas, la manire suivant laquelle les propres tendances de l'enfant secombinent celles de ses parents en particulier dtermine pour une part importante lesuccs ou l'chec des situations o il se trouvera une fois devenu adulte. Adlerdveloppe ce point de vue avec une clart spciale pour le grand public qui s'adres-sent ses remarques. Il comprenait trs bien le genre d'information le plus accessible ceux pour qui cette faon de considrer les choses tait nouvelle. Avant cette poque,on concevait la nature humaine la lumire des forces physiques, des activits ducorps. On croyait que le remde aux altrations de la nature humaine devait sedemander aux recherches poursuivies sur le terrain de la mdecine organique. Initis la science du corps, Adler et ses contemporains ne vinrent bientt reconnatre parleurs expriences pratiques que beaucoup de maux dont souffrent les tres humains selaissent comprendre et traiter d'aprs les cadres personnels habituels bass sur lesrelations tablies de bonne heure entre individus.

    Disciple de Freud, Adler, comme il arrive frquemment, diffrait de son matredans le domaine de la pratique aussi bien que de la pense. Nanmoins, il resta tou-jours attach au concept de ce conflit motionnel qui joue un rle dcisif dans lesdviations mentales. Le prsent ouvrage illustre bien ses ides fondamentales.

    Pour ceux qui s'aheurtent aux conditions de leur vie, pour ceux qui sont en peinede dcouvrir la source gnrale de leurs dconvenues, et qui aspirent obtenir unsoulagement, Connaissance de l'homme d'Adler sera un guide plein de promesses.

    Leland E. Hinsie,

    Professeur de psychiatrie l'Universit Columbia.

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    Avertissement pourl'dition franaisePaul Plottke, Ancien professeur au Collge Sainte-Barbe.

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    A propos du terme de caractrologie qui figure dans le sous-titre du prsentouvrage, il convient de remarquer que la caractrologie adlrienne n'est pas abstraiteet typologique comme la caractrologie franaise, mais concrte et individuelle. Puis-que l'existence unique de l'homme, son drame (George Politzer) est l'objet de sesinvestigations, on pourrait aussi considrer Connaissance de l'Homme comme unpetit trait de caractrologie existentielle.

    Avec son tude du caractre nerveux : Ueber den Nervsen Charakter (Le Tem-prament Nerveux, Psychologie individuelle compare et applications la psycho-thrapie, Paris, 1947), Adler s'adressait surtout aux mdecins et psychiatres.Menschenkenntnis (Connaissance de l'Homme), tout en tant plus systmatique, estplus accessible au grand public que Le Temprament Nerveux. On peut donc consi-drer l'tude de Connaissance de l'Homme comme une prparation celle duTemprament Nerveux et qui s'impose ceux qui ont professionnellement affaire des tres dsorients et dsquilibrs.

    Voici ce qui s'est pass entre la publication de ces deux ouvrages : l'Universit deVienne avait refus d'accepter Le Temprament Nerveux comme une thse donnant son auteur la matrise de confrences (la psychologie adlrienne n'est enseigne

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    l'Universit de Vienne que depuis 1946). C'est pourquoi, aprs la guerre de 1914-1918, Adler donna une longue srie de confrences sur sa nouvelle science l'Univ-ersit Populaire de Vienne, et non seulement un grand public les suivit, mais destudiants toujours plus nombreux des Facults vinrent l'entendre. Telle est l'origine deConnaissance de l'Homme.

    Au mois de mai 1937, peu avant sa mort, j'eus l'occasion de m'entretenir avecAdler Paris, et de lui dire mon tonnement que son livre Connaissance de l'Homme,traduit en tant de langues trangres, n'et pas encore t publi en franais.

    Eh bien! douze ans aprs la dernire visite d'Adler Paris, les lecteurs de ce livrele trouveront, je crois, toujours aussi merveilleux que le premier jour - pour employerune expression de Goethe.

    tant donn l'incomprhension entre les grandes personnes et les jeunes, entre lesadultes et les adolescents, et de nous-mmes pour nous-mmes, cet ouvrage d'Adlerest appel rendre de grands services, en vue d'une meilleure comprhension mutu-elle des humains, condition essentielle pour l'amlioration de la vie sociale toutentire.

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 13

    Avant-propos del'auteurDr. Alfred Adler.

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    Ce livre essaye de montrer au grand public les fondements inbranlables de lacaractrologie individuelle et leur valeur Pour la connaissance de l'homme, ainsi queleur porte pour les relations entre individus humains et pour l'organisation de la viepersonnelle. L'auteur cherche principalement comprendre les dfauts de notreactivit cratrice au sein de la socit, en observant comment ces dfauts procdentde la conduite vicieuse de l'individu ; il s'agit pour celui-ci de reconnatre ses erreurset de raliser une meilleure adaptation au milieu social.

    Ces erreurs, certes, elles sont regrettables et dommageables dans le domaine del'industrie et des sciences. Mais s'il s'agit de la connaissance de l'homme, ellescomportent le plus souvent un danger mortel. Ceux qui consacrent notre science destravaux assidus voudront bien, je l'espre, comme ils l'ont fait pour mes expossantrieurs, tenir quelque compte des affirmations et des expriences ici prsentes.

    Ce livre voudrait servir clairer la route du genre humain.

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    Partiegnrale

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    Partie gnrale

    Introduction

    Le caractre de l'homme est son destin.Hrodote.

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    Les principes de la connaissance de l'homme sont tels qu'ils ne permettent pastrop d'en tirer gloire et fiert. Au contraire, l'exacte connaissance de l'homme ne peutqu'inspirer une certaine modestie, car elle nous enseigne qu'ici se prsente une tcheconsidrable, laquelle l'humanit travaille depuis les tout premiers dbuts de sacivilisation, et qu'elle n'a pas abord cette oeuvre avec la claire conscience du but,d'une manire systmatique ; aussi ne voit-on constamment percer que quelquesgrands hommes isols, lesquels disposaient de plus de connaissance de l'homme quela moyenne. Nous touchons l un point sensible : examine-t-on les gens, l'impro-viste, sur leur connaissance de l'homme, on constate que la plupart se rcusent. Toustant que nous sommes, nous n'en possdons gure. Cela tient notre existence isole.Jamais, peut-on dire, les hommes n'ont vcu aussi isols que de nos jours. Dsl'enfance, nous n'avons que peu de rapports, de cohsion entre nous. La famille nousisole. Et tout notre genre de vie nous refuse ce contact si intime avec nos semblablesqui est pourtant d'une absolue ncessit pour l'laboration d'un art tel que la carac-trologie individuelle. Les deux lments dpendent l'un de l'autre. Car nous nepouvons retrouver le contact avec les autres hommes, parce que, faute d'une meilleure

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    comprhension, ils nous donnent l'impression de ce qui nous est on ne peut plustranger.

    La consquence la plus grave de cette lacune n'est autre que notre renonciationqui se produit presque toujours, quand il s'agit de nous comporter avec nos semb-lables et de mener avec eux une vie commune. C'est un fait souvent prouv etsoulign que les hommes passent ct les uns des autres et se parlent sans pouvoirtrouver le point de contact, la cohsion, parce qu'ils se font face en trangers, nonseulement dans les vastes cadres d'une socit mais mme au sein du groupe le plusrestreint, celui de la famille. Rien ne nous parvient plus frquemment que les plaintesde parents qui ne comprennent pas leurs enfants, et celles d'enfants qui se disentincompris de leurs parents. Cependant se trouve bien dans les conditions fondamen-tales de la vie humaine collective une vive impulsion se comprendre les uns lesautres, car toute notre attitude envers le prochain en dpend. Les hommes mneraiententre eux une vie bien meilleure si la connaissance de l'homme tait plus grande ; eneffet, certaines formes perturbatrices de l'existence en commun disparatraient, quisont aujourd'hui possibles uniquement parce que nous ne nous connaissons pasmutuellement, ce qui nous expose au danger de nous laisser abuser par des dtails etgarer par les impostures d'autrui.

    Il nous faut maintenant expliquer comment c'est prcisment du ct de la mde-cine que partent les essais visant constituer dans cet immense domaine unediscipline appele connaissance de l'homme ou caractrologie individuelle ; quellessont les conditions de cette science, quels devoirs lui incombent, quels rsultats peu-vent en tre attendus.

    Avant tous, la mdecine des nerfs est d'ores et dj, pour sa part, une disciplinequi exige de la manire la plus pressante la connaissance de l'homme. Il y a pour celuiqui soigne les maladies nerveuses ncessit primordiale se faire, aussi rapidementque possible, une vue prcise de la vie psychique des gens atteints d'affections desnerfs. C'est seulement alors que, sur ce terrain mdical, on peut se former un juge-ment utilisable, se trouver en tat d'entreprendre des interventions et des cures, ou deles proposer, si l'on est au clair sur ce qui se passe dans l'me du patient. Aucunesuperficialit ne serait l de mise ; toute erreur entranerait sa sanction immdiate, etla rciproque n'est pas moins effective, car le succs rpond le plus souvent unejuste apprciation. Il y a donc lieu de se livrer un examen strict et sans dlai. Dansla vie sociale, il est permis de se tromper de bonne heure dj sur l'apprciation d'unindividu. Certes, l aussi, la punition suit chaque fois l'erreur ; nanmoins, il se peutque la raction se produise si tardivement que nous ne soyons plus, dans la plupartdes cas, en mesure de saisir les connexions et demeurions tonns de constater qu'uneinexactitude dans le jugement d'un homme ait abouti, peut-tre au bout de plus d'unedcade, de lourds checs et vicissitudes. Mais de pareilles circonstances ne cessentde revenir nous rappeler la ncessit et le devoir, pour la collectivit, d'acqurir etd'approfondir la connaissance de l'homme.

    Au cours de nos recherches, nous ne tardmes pas reconnatre que ces anoma-lies, complications et checs psychiques, si souvent inhrents aux cas pathologiques,n'ont au fond, dans leur structure, rien qui soit tranger la vie de l'me chez le sujetrput normal. Ce sont les mmes lments, les mmes donnes ; tout est seulementplus en relief, plus abrupt, plus net, plus aisment reconnaissable. Il nous est ainsipermis d'obtenir le profit de ces connaissances et, par comparaison avec la vie

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    psychique normale, de rassembler des expriences qui, finalement, nous mettent enmesure d'obtenir une vue plus aigu des rapports normaux eux-mmes. Ce n'est plus,ds lors, qu'un exercice, associ cet abandon et cette patience que requiert de noustoute vocation.

    La premire connaissance s'offrant nous, la voici : les stimulants les plus fortspour l'dification de la vie de l'me humaine manent de la toute premire enfance.En soi, cela n'tait pas une dcouverte spcialement frappante, car en tout temps desconstatations analogues se rencontrent chez les chercheurs. Mais ici l'lment nou-veau consistait nous efforcer de mettre les vnements, impressions et prises deposition de l'ge enfantin, pour autant qu'ils se laissaient encore reprer, en relationorganique imprieuse avec des phnomnes ultrieurs de la vie psychique, tablirune comparaison entre tels vnements de la premire enfance et telles situationsacquises plus tard, quand l'individu a pris l'attitude de l'ge adulte. Particulirementimportante s'avrait l'impossibilit de jamais considrer les phnomnes isols de lavie de l'me comme un tout se suffisant lui-mme ; on ne peut en acqurir l'intelli-gence que si l'on comprend tous ces phnomnes d'une vie psychique comme lesparties d'un ensemble indivisible, et si l'on cherche dcouvrir la ligne d'orientationsuivie par un individu, le calibre, le style de cette vie, en se convainquant clairementque le but secret de l'attitude enfantine est identique celui de l'attitude d'un hommeau cours de ses annes ultrieures. Bref, il se montrait avec une nettet tonnantequ'aucune modification n'tait intervenue, du point de vue du mouvement de l'me ;sans doute, la forme extrieure, la concrtisation, la traduction verbale des phnom-nes psychiques, le phnomnal en un mot, tait susceptible de changer, mais demeu-raient sans variation les bases mmes, le but et la dynamique, tout ce qui porte la viepsychique dans la direction du but. Par exemple, lorsqu'un patient faisait preuve d'uncaractre anxieux, toujours empreint de dfiance, et enclin se tenir l'cart, il taitfacile d'tablir que ces mmes tendances l'atteignaient dj lorsqu'il n'avait que troisou quatre ans, avec seulement une simplicit propre ce jeune ge et d'une manireplus facile percer jour. Nous nous sommes donc toujours vertu reporter lecentre de gravit de notre attention en premier lieu sur l'enfance du sujet. Nous enarrivmes mme pouvoir supposer beaucoup de choses de l'enfance d'un individu,sans que personne ait parl. Nous considrions ce qui se voyait en lui comme refl-tant ses premires expriences vcues dans son jeune ge, qui lui restaient attachesjusqu'en pleine maturit. - Et lorsque, d'autre part, nous apprenons de quelqu'un quelsvnements de son enfance sont demeurs prsents dans son souvenir, cela nousdonne, bien compris, une image du genre d'individu que nous avons sous les yeux.Nous utilisons aussi en l'espce une autre constatation, savoir que les hommes sedtachent trs difficilement des cadres au sein desquels ils ont grandi au cours despremires annes de leur vie. Rares sont ceux qui ont pu parvenir les effacer, quandbien mme l'ge adulte, la vie psychique se manifeste dans d'autres situations et, parsuite, produit une impression diffrente. Ceci, d'ailleurs, n'quivaut pas un change-ment des cadres de l'existence; la vie de l'me repose toujours sur le mme fonde-ment, l'homme montre la mme ligne d'orientation et nous laisse saisir le mme butau cours des deux tapes, enfance et ge adulte. Voici encore pourquoi il fallait faireporter sur l'enfance le centre de gravit de notre observation attentive : si nous proje-tons une modification, il ne convient pas de porter comme en compte toutes lesinnombrables expriences et impressions d'un homme ; ce qu'il faut, c'est trouver etdfinir d'abord ses cadres ; de l procdera pour nous la comprhension de sonoriginalit, ainsi que, du mme coup, celle de ses phnomnes pathologiques qui nousfrappent.

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    C'est ainsi que la considration de la vie psychique enfantine devint le ple denotre science ; ce fut un rel soulagement en mme temps qu'une instruction. Il existemaints et maints travaux consacrs l'tude de ces premires annes de la vie. Cesmatriaux s'entassent, non encore soumis des investigations suffisantes ; il y a doncl des rserves pour de longues annes de recherches, et chacun est en mesure d'ytrouver du nouveau, aussi intressant qu'important.

    En mme temps, cette science constitue pour nous un moyen de prvenir desfautes, car, si l'on cultivait une science n'ayant qu'en elle-mme sa raison d'tre, on nesaurait aboutir la connaissance de l'homme. Sur la base de nos connaissances, nousen vnmes tout naturellement au travail d'ducation auquel nous nous consacronsdepuis des annes. Or, l'uvre de l'ducation est une mine prcieuse pour quiconquea saisi la connaissance de l'homme comme une science importante et veut l'acqurir,la vivre, s'y adonner; en effet, ce n'est nullement un savoir livresque, mais on nel'apprend que sur le terrain de la pratique. Il faut avoir pour ainsi dire particip lavie de chaque phnomne de la vie psychique, l'avoir reu en nous-mmes, avoiraccompagn l'individu travers ses joies et ses angoisses, peu prs comme un bonpeintre ne peut insrer dans les traits de celui dont il veut faire le portrait que ce qu'ila vraiment ressenti de lui. Ainsi, il y a lieu de concevoir la connaissance de l'hommecomme un art, qui a dispos de matriaux suffisants, mais aussi comme un art qui sejuxtapose tous les autres arts sur le mme rang, et dont une catgorie humaineparticulire, j'ai nomm les potes, ont fait un usage trs prcieux. Cela doit, enpremier lieu, servir augmenter nos connaissances, ce qui tend rien de moins qu'nous procurer tous la possibilit d'un dveloppement psychique meilleur et plusmri.

    Dans ce travail une difficult se prsente frquemment. Elle consiste en ce quenous autres hommes nous sommes sur ce point extraordinairement sensibles. Il n'enest gure qui, bien que n'ayant pas fait d'tudes, ne se tiennent pour des connaisseursd'hommes; il s'en trouve moins encore qui n'prouveraient au premier abord un senti-ment de contrarit, si on voulait les inciter faire des progrs dans leur connaissancede l'homme. Parmi eux tous, ceux-l seuls manifestent vraiment de la volont, qui ontd'une manire ou d'une autre reconnu la valeur des hommes, soit par l'exprience deleur propre dtresse d'me, soit en sympathisant avec celle d'autrui. De ce fait rsultepour notre tche la ncessit d'une tactique dtermine, Car rien ne serait plusfcheux et regard avec plus d'aversion que de projeter brusquement sous les yeuxd'un individu les connaissances qu'on a prises de sa vie psychique. A quiconque nedsire pas se rendre antipathique, on conseillera cet gard de se montrer prudent. Lemeilleur moyen d'acqurir une mauvaise rputation consiste se comporter lalgre avec cette science et en msuser, par exemple si l'on s'avise de montrer,autour d'une table, ses commensaux, que l'on comprend ou devine la vie psychiquedes voisins. Il ne serait pas moins dangereux de prsenter un tranger comme acqui-sition dfinitive les vues fondamentales de cette doctrine. Mme ceux qui en saventdj quelque chose se sentiront alors, bon droit, blesss. Nous rptons, parconsquent, ce qui a t dit au dbut : cette science exige de la modestie, en excluantdes connaissances prmatures ou superflues, ce qui, d'ailleurs, correspondrait sim-plement l'ancienne fiert de l'enfance, qui tire vanit de montrer tout ce qu'on peutdj faire. Pour les adultes, le dommage est beaucoup plus grave encore. C'est pour-quoi nous conseillons d'attendre, de s'examiner soi-mme et de ne hasarder auprs depersonne des connaissances qu'on a acquises ici ou l au service de la caractrologie.Nous ne ferions qu'infliger la science en voie de devenir de nouvelles difficults etcontrarier le but qu'elle poursuit, car nous serions invitablement amens nous

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    charger de fautes provenant seulement de l'irrflexion d'un adepte, si enthousiastesoit-il. Mieux vaut rester circonspect et n'oublier jamais qu'avant tout il faut avoirdevant soi un ensemble achev pour pouvoir mettre un jugement; cela ne serapossible que lorsque l'on sera sr de procurer ainsi quelqu'un un rel avantage. Car mettre un jugement, si exact qu'il puisse tre, d'une manire fcheuse et en un lieumal choisi, on risque de causer de gros prjudices.

    Avant de poursuivre ces considrations, arrtons-nous devant une objection quin'aura certainement pas manqu de se prsenter plus d'un lecteur. Quand nousaffirmons, comme ci-dessus, que la ligne de vie d'un homme demeure inchange, celadoit paratre incomprhensible pour beaucoup d'esprits, car enfin chacun fait dans savie de multiples expriences, qui dterminent une modification de son attitude. Re-marquons, cependant, qu'une exprience comporte plusieurs significations. Setrouvera-t-il deux hommes qui, d'une seule et mme exprience, tirent la mmeapplication pratique? On ne se comporte, d'ailleurs, pas toujours prudemment en facedes expriences. Si l'on apprend bien viter certaines difficults, on leur opposetelle ou telle attitude. Mais la ligne que suit l'individu n'est pas pour autant modifie.Au cours de nos exposs, nous verrons que, de la masse de ses expriences, l'hommen'extrait jamais que des applications trs dtermines ; y regarder de plus prs, ils'avre que ces applications, d'une manire ou d'une autre, s'adaptent sa ligne de vie,l'affermissent dans les cadres de son existence. Le langage en a bien le sentiment, endclarant que l'on fait ses expriences, ce qui indique que chacun est matre del'apprciation qu'il leur applique. On peut, en effet, constater journellement commentles hommes tirent de leurs expriences les consquences les plus diverses. Suppo-sons, par exemple, un homme qui se livre habituellement telle ou telle faute. Mmesi l'on russit l'en convaincre, les rsultats varieront. Il se peut que le sujet tire cetteconclusion : il serait pour lui grand temps de se dfaire de sa mauvaise habitude. Cecise produira rarement. Un autre rpliquera qu'ayant agi de la sorte depuis si longtemps,il ne saurait s'en dsaccoutumer. Un troisime imputera la faute ses parents, oud'une manire gnrale l'ducation : personne ne s'est jamais souci de lui, ou bienil a t trait soit avec trop d'indulgence, en enfant gt, soit au contraire trop rigoure-usement ; quoi qu'il en soit, il en reste son erreur. Les derniers trahissent ainsi qu'ilsentendent bien, proprement parler, se tenir couvert. De la sorte, ils peuventtoujours chapper prudemment une critique de soi-mme, non sans justificationapparente. Eux-mmes ne sont jamais coupables ; c'est toujours d'autres qu'incombela faute pour tout ce qu'ils n'ont pas atteint. Ils ne considrent pas qu'ils ne font gured'efforts pour combattre leur faute, que bien plutt ils y persistent non sans ardeur,alors que la mauvaise ducation n'en est responsable que pour autant qu'ils le veu-lent bien. La complexit des expriences, la possibilit d'en tirer des consquencesdiverses, nous laisse comprendre pourquoi un individu ne change pas sa manired'tre, mais tourne et retourne ce qu'il a prouv jusqu' l'adapter cette manired'tre. Il semble que ce qu'il y ait de plus difficile pour un homme soit de se connatreet de se transformer soi-mme.

    Que si quelqu'un voulait l'entreprendre, en intervenant pour essayer d'lever demeilleurs individus, il se trouverait tout fait pris au dpourvu s'il n'avait sa dispo-sition les expriences et rsultats de la connaissance de l'homme. Peut-tre oprerait-il, comme jusqu'alors, la surface, et croirait-il, parce que la chose aurait pris unnouvel aspect, une autre nuance, y avoir dj introduit quelque changement. Nouspourrons nous convaincre, par ces cas pratiques, combien peu en ralit de pareilsprocds transforment un individu ; il n'y a l que pure apparence, bientt vanouie,tant que la ligne d'orientation n'a subi aucune modification. Changer un individu,

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    l'entreprise n'est donc pas des plus aises ; il y faut apporter de la circonspection et dela patience, il faut avant tout carter toute vanit personnelle, car autrui n'a nullementl'obligation de servir nous faire valoir. En outre, il est ncessaire que ce processussoit dirig de telle sorte qu'il se justifie pour l'autre. Car il va de soi que quelqu'unrefusera un mets, si apptissant qu'il puisse paratre, ds l'instant qu'on ne le lui pr-sente pas de la manire voulue.

    Mais la connaissance de l'homme comporte encore une autre face, galementimportante, qui constitue pour ainsi dire son aspect social. Il n'est pas douteux que lesgens se comporteraient bien mieux les uns envers les autres, qu'ils se rapprocheraientbeaucoup plus, s'ils se comprenaient davantage. Car alors il leur serait impossible dese tromper mutuellement. Or, la possibilit de se donner ainsi le change les uns auxautres constitue pour la socit un danger norme, danger qu'il nous faut montrer nos collaborateurs que nous introduisons dans la vie. Il leur faut avoir la capacit dereconnatre tout ce qu'il y a d'inconscient dans l'existence, tous les dguisements,dissimulations, masques, ruses, malices, afin d'y rendre attentifs ceux qui y sontexposs, et de venir leur aide. Seule la connaissance de l'homme, consciemmentcultive et oriente, nous servira cet effet.

    Il pourrait galement y avoir intrt se demander qui, proprement parler, est lemieux plac pour acqurir la connaissance de l'homme et pour en faire l'objet de sestravaux. On a dj indiqu qu'il n'est pas possible de cultiver cette science en secantonnant sur le terrain de la pure thorie. La simple possession de toutes les rglesreste encore insuffisante; il est tout aussi ncessaire de la transposer de l'tude dans lapratique et de parvenir une tude suprieure de la connexion et de la comprhen-sion, afin que l'il apprenne regarder avec plus d'acuit et de profondeur que ne lepermettrait l'exprience propre ralise jusqu'alors. Tel est le moteur dcisif qui nouspousse cultiver la connaissance thorique de l'individu. Mais nous ne pouvonsvivifier vraiment cette science qu'en pntrant dans la vie et en y examinant et appli-quant les principes acquis. La question pose ci-dessus s'impose aussi nous parceque nous avons puis et retenu beaucoup trop peu de donnes provenant de notreducation et concernant la connaissance de l'homme, donnes parfois fort inexactes;de la sorte, notre ducation est prsentement encore impropre nous communiquerune connaissance de l'homme qui soit utilisable. Chaque enfant est laiss seul pourdterminer le degr de dveloppement auquel il s'arrtera et les utilisations pratiquesqu'il lui conviendra d'extraire de ses lectures aussi bien que de ses expriences. Iln'existe, d'ailleurs, pour la culture de la connaissance de l'homme, aucune tradition.Pas de doctrine, dans ce domaine; on en est encore au mme point o se trouvait lachimie quand elle se rduisait l'alchimie.

    Si l'on passe en revue les gens qui, dans cette interprtation de leurs ducationsrespectives, possdent l'occasion la plus favorable d'acqurir quelque connaissance del'homme, on constate que ce sont ceux qui n'ont pas encore t arrachs la con-nexion, qui, d'une manire ou d'une autre, gardent encore le contact avec leurssemblables et avec la vie, qui, ds lors, restent optimistes ou tout au moins pessimis-tes militants, ceux que le pessimisme n'a pas encore amens la rsignation. Mais,hors du contact, il faut qu'il y ait aussi l'exprience. Ds lors, nous aboutissons cetteconclusion : la vritable connaissance de l'homme, tant donnes les lacunes de notreducation, n'est impartie proprement qu' un seul type d'individus, au pcheurrepentant , celui qui, ou bien tait prsent dans tous les garements de la viepsychique et s'en est libr, ou bien en est pass proximit. videmment, il peutaussi y avoir d'autres cas, en particulier, le cas de celui qui la chose pourrait tre

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    dmontre, ou qui aurait trs spcialement le don de la sensibilit. Mais le meilleurconnaisseur de l'homme sera certainement celui qui a travers lui-mme toutes cespassions. Le pcheur repentant parat bien tre, non seulement pour notre temps maisau cours du dveloppement de toutes les religions, ce type qui est confre la plushaute valeur, et qui se trouve plac beaucoup plus haut que mille justes. Si nous nousdemandons d'o cela vient, il faut reconnatre qu'un homme qui s'est lev au-dessusdes difficults de la vie, en s'arrachant aux bourbiers, qui a trouv la force de rejetertout cela derrire soi et de s'lever en y chappant, sera ncessairement celui quiconnatra le mieux aussi bien les bons que les mauvais cts de l'existence. A cetgard, nul ne l'gale, surtout le juste.

    De la connaissance de l'me humaine rsulte d'emble un devoir, une mission qui,en deux mots, consiste briser les cadres o un homme est enferm, pour autant queces cadres s'avrent non appropris la vie; il faut lui ter la fausse perspective qui lefait errer dans l'existence, et lui en prsenter une autre, plus adquate la viecollective et aux possibilits de bonheur que peut comporter son existence; conomiementale, ou pour nous exprimer plus modestement, des cadres encore, mais descadres dans lesquels le sentiment de communion humaine jouera le rle prdominant.Nous ne prtendons nullement parvenir une configuration idale du dveloppementpsychique. Mais on reconnatra que souvent dj le point de vue, lui seul, apporteun secours norme dans la vie celui qui erre et s'gare, parce que, au milieu de seserreurs, il a le sr sentiment de la direction o il a chou. Les stricts dterministes,qui font dpendre tout ce qui arrive l'homme de la suite ininterrompue entre cause eteffet, n'admettront pas aisment cette considration. Car il est certain que la causalitdevient tout autre, que les effets d'une exprience se transforment entirement, s'il y aencore en l'homme une force, un motif vivant, savoir la connaissance de soi, lacomprhension de plus en plus prononce de ce qui se trouve en lui et des sourcesd'o cela mane. Il est, ds lors, devenu un autre homme, auquel il ne pourra plusjamais chapper.

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    Partie gnrale

    Chapitre IL'me humaine

    I. - Notion et condition de la vie de l'me.

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    Nous n'attribuons proprement l'animation qu' des organismes mobiles vivants.L'me prsente le rapport le plus intime avec la libert du mouvement. Dans les orga-nismes fixes, enracins, il n'y a pour ainsi dire pas de vie de l'me; cela serait poureux absolument superflu. Il suffit de se reprsenter ce qu'aurait de monstrueux l'ided'attribuer une plante des sentiments et des penses : alors qu'elle ne peut en aucunemanire se mettre en mouvement, elle aurait attendre quelque chose comme de lasouffrance, elle la prvoirait mais ne pourrait s'en prserver; ou encore, commentadmettrait-on qu'une plante participt la raison, la libre volont? Sa volont, saraison resteraient ternellement striles.

    On voit donc quelle diffrence rigoureuse spare cet gard, vu l'absence d'unevie de l'me, la plante de l'animal, et l'on remarque aussitt la signification consid-rable qui se trouve dans la connexion tablie entre le mouvement et la vie psychique.Il en rsulte aussi que, dans le dveloppement de la vie de l'me, il faut inclure tout cequi tient au mouvement, tout ce qui peut tre li aux difficults d'un simple dplace-

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 23

    ment, et que cette vie psychique est appele prvoir, recueillir des expriences, dvelopper une mmoire, pour rendre le tout utilisable la pratique mobile.

    Ainsi, nous pouvons admettre en premier lieu que le dveloppement de la vie del'me est solidaire du mouvement, et

    que le progrs de tout ce qui remplit l'me est conditionn par cette libre mobilitde l'organisme. Car cette mobilit est excitante, elle exige et stimule une intensifi-cation toujours plus forte de la vie psychique. Qu'on se reprsente un sujet qui nousaurions interdit tout mouvement; sa vie psychique tout entire serait condamne lastagnation. Seule la libert fait clore des colosses, alors que la contrainte tue etcorrompt.

    II. - Fonction de l'organe psychique.

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    Si l'on considre sous ce point de vue la fonction de la vie psychique, il s'avrequ'on est l en prsence du dveloppement d'une capacit inne, qui est choisie, de sereprsenter un organe d'attaque, de dfense ou d'assurance, un organe protecteur,selon que la situation d'un organisme de vie requiert l'offensive ou la protection. Nousne pouvons donc voir dans la vie de l'me qu'un complexe de mesures de prserva-tion, offensives et dfensives, qui ont ragir sur le monde pour assurer le maintiende l'organisme humain et pourvoir son dveloppement. Une fois cette conditionpose, il s'en prsente d'autres, importantes pour la conception de ce que nous vou-lons considrer comme tant l'me. Nous ne pouvons nous reprsenter une vie psy-chique qui soit isole, mais uniquement une vie psychique associe tout ce quil'entoure, recevant des incitations du dehors et y rpondant d'une manire ou d'uneautre, disposant de possibilits et de forces, qui sont ncessaires pour assurer l'orga-nisme en face du milieu ambiant ou en liaison avec lui, et pour garantir sa vie.

    Les connexions qui s'ouvrent maintenant sous nos yeux sont multiples et diverses.Elles concernent d'abord l'organisme lui-mme, la spcificit de l'tre humain, sacorporit, avantages et inconvnients. Mais ce ne sont l que des notions toutesrelatives, car grande est la diffrence, suivant que telle ou telle force, tel ou tel organeprsente un avantage ou un inconvnient. L'un et l'autre rsulteront de la situationdans laquelle l'individu se trouve. Ainsi, on sait qu'en un certain sens le pied del'homme reprsente une main atrophie. Pour un grimpeur, par exemple, cela seraitun grave inconvnient, mais pour un homme, se mouvant sur le sol, l'avantage est telque personne ne souhaiterait possder, au lieu du pied, une main normale. D'unemanire gnrale, on constate, dans la vie personnelle comme dans celle de tous lespeuples, que les moindres valeurs ne sont pas prendre comme si elles recelaienttoujours en elles-mmes tout le poids des inconvnients, mais tout dpend de la situa-tion o la chose se dcide. Nous pressentons qu'un champ on ne peut plus vastes'ouvre aux investigations eu gard aux rapports qui existent entre la vie de l'mehumaine et toutes les exigences de nature cosmique, alternance du jour et de la nuit,

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    rgne du soleil, mobilit des atomes, etc. Ces influences, elles aussi, se trouvent dansle rapport le plus intime avec l'originalit de la vie de notre me.

    III. - Le finalisme dans la vie psychique.

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    Ce que nous pouvons d'abord saisir des mouvements psychiques, c'est prcis-ment un mouvement mme, qui se dirige vers un but. Aussi nous faut-il affirmer quel'on mettrait un paralogisme si l'on se reprsentait l'me humaine comme constituantune grandeur statique, quiescente; nous ne pouvons la concevoir que sous la forme deforces qui se meuvent, procdant assurment d'une base une et tendant un butgalement unique. Dj dans la notion de l'adaptation se trouve cette impulsion versle but. Impossible de nous reprsenter une vie psychique dpourvue de but, verslequel se droule le mouvement, la dynamique, contenu dans la vie de l'me. Donc, lavie de l'me humaine est dtermine par un but. Aucun homme ne peut penser, sentir,vouloir, ou mme rver, sans que tout cela soit dtermin, conditionn, imit, dirigpar un but plac devant lui. Cela rsulte presque de soi-mme eu gard aux exigencesde l'organisme et du monde extrieur et la rponse que l'organisme est dans lancessit d'y donner. Les phnomnes corporels et psychiques de l'tre humaincorrespondent l'ensemble de ces vues fondamentales. Un dveloppement psychiquene saurait se concevoir autrement que dans ce cadre que nous venons de dcrire,comme dirig vers un but quelconque plac devant le sujet et qui rsulte d'emble deseffets des forces dsignes. Le but peut tre saisi transformable ou fix.

    On peut ainsi concevoir tous les phnomnes psychiques comme s'ils taient uneprparation pour quelque chose qui vient. Il semble que l'organe psychique ne puissepas tre considr autrement que comme ayant un but devant soi, et la psychologie(caractrologie) individuelle saisit tous les phnomnes de l'me humaine commes'ils taient dirigs vers un but.

    Quand on connat le but d'un homme et que, d'autre part, on a partiellement desinformations dans le monde, on sait aussi ce que peuvent signifier ses mouvementsd'expression et l'on peut en saisir le sens comme tant une prparation pour ce but.On sait aussi quels mouvements cet homme a faire pour atteindre le but, peu prscomme on connat le chemin que suit une pierre quand on la laisse tomber terre. Acette seule diffrence prs, que l'me ignore toute loi naturelle, car le but plac devantelle n'est pas immuable, mais susceptible de varier. Lorsque, cependant, un but sepose quelqu'un, le mouvement de l'me s'accomplit forcment, comme sous l'em-pire d'un loi naturelle, d'aprs laquelle on est tenu d'agir. Qu'est-ce dire, sinon qu'iln'y a pas de loi naturelle dans la vie de l'me, mais que, sur ce terrain, l'homme se fait lui-mme ses lois? Si elles lui apparaissent ensuite comme une loi de la nature, c'estune illusion de sa connaissance, car en croyant leur fixit immuable, leurdtermination et en voulant prouver qu'elles sont telles, il y a mis la main. Si, parexemple, quelqu'un veut peindre un portrait, on pourra remarquer en lui toutes lesattitudes propres un homme qui se propose un tel but. Il fera tous les pas et

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    dmarches ad hoc, avec une logique absolue, comme s'il s'agissait d'une loi naturelle.Mais est-il contraint de peindre ce portrait?

    Il y a donc une diffrence entre les mouvements de la nature et ceux qui ont lieudans la vie de l'me humaine. A cela se rattachent les discussions sur la libert de lavolont humaine, qui semblent aujourd'hui s'lucider comme si la volont humainetait dpourvue de libert. C'est exact, ds l'instant o elle se lie un but. Et commece but procde si souvent de son conditionnement cosmique, animal et social, la viepsychique ne peut naturellement nous apparatre que comme si elle tait assujettie des lois immuables. Mais quand, par exemple, on nie sa connexion avec la collec-tivit, et qu'on la combat, quand on ne veut pas s'adapter aux faits, alors toutes cesapparentes conformits une loi que prsentait la vie psychique sont supprimes, et ilsurgit une nouvelle lgalit, conditionne par le nouveau but lui-mme. De mme, laloi de la collectivit n'exerce plus d'empire sur un homme qui dsespre de la vie etcherche en finir avec l'ensemble de ses semblables. Il nous faut donc maintenir queseule la prsentation d'un but fait que, dans l'me humaine, un mouvement se produitncessaire. ment.

    Inversement, il est possible de conclure des 'mouvements d'un homme au butplac devant lui. C'est l, proprement, ce qui importerait le plus, car nombreux sontles individus qui souvent ne sont pas au clair sur leur but. En fait, telle est la voiergulire qu'il nous faut suivre en vue de cultiver notre connaissance de l'homme.Mais elle n'est pas aussi simple que la premire parce que les mouvements compor-tent une pluralit d'interprtations. Nous pouvons, d'ailleurs, considrer et comparerplusieurs mouvements d'un mme individu, tirer des lignes. Si l'on cherche com-prendre un individu, il est possible d'y aboutir en cherchant relier par une ligne lesattitudes, les formes d'expression constates en deux points diffrents de sa vie. Onprend ainsi en mains un systme dont l'application produit l'impression d'unedirection unifie. On peut dcouvrir par l combien un cadre enfantin se retrouve,parfois d'une manire tonnante, jusqu'au cours des annes trs avances de la vie.Un exemple va lucider ce point :

    Un homme d'une trentaine d'annes, extraordinairement assidu, tait parvenu,malgr des difficults dans son dveloppement, une position considre et d'heu-reux rsultats. Il se prsenta un mdecin, dans un tat de dpression extrme; il seplaignait d'prouver lassitude, ennui, aversion pour le travail et pour la vie. Il racontaqu'il tait sur le point de se fiancer, mais envisageait l'avenir avec une grande dfian-ce. Il subissait les tourments d'une violente jalousie et courait le risque de voir rompreses fianailles. Les faits allgus par lui ne sont pas prcisment convaincants; aucunreproche ne saurait tre adress la jeune fille. La dfiance surprenante qu'il mani-feste amne souponner qu'il est du nombre de ces gens, nullement rares, quis'opposent autrui, se sentent bien attirs par lui, mais en mme temps adoptent uneposition offensive et, remplis ds lors de dfiance, dtruisent cela mme qu'ils veulentdifier. Pour tirer la ligne dont nous venons de parler, il convient de distinguer unvnement de la vie du sujet, et d'essayer de la comparer son actuelle prise de posi-tion. Conformment notre exprience, c'est toujours aux impressions de la premireenfance que nous remontons, tout en sachant bien que ce que nous apprendrons ainsine doit pas toujours supporter un examen objectif. Voici, en l'espce, ce qu'tait leplus ancien souvenir d'enfance de notre homme : il se trouvait avec sa mre et sonfrre cadet sur le march. A cause de l'affluence, la mre le prit sur ses bras, lui,l'an. Puis, remarquant son erreur, elle le reposa et prit son petit frre; lui-mme,troubl, la suivait grands pas. Il avait cette poque quatre ans. Comme on peut le

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    remarquer, en reproduisant ce souvenir, il fait entendre des accents analogues ceque nous avons constat aussitt auparavant, quand il dcrivait sa souffrance : il n'estpas sr d'tre le prfr, et il ne peut supporter l'ide qu'un autre lui tait prfr. - Sion lui fait observer ce fait, il en est trs surpris, et il reconnat aussitt le rapport.

    Le but vers lequel il nous faut penser que sont dirigs tous les mouvements parlesquels un homme s'exprime, prend consistance sous l'influence des impressionscauses l'enfant par le monde extrieur. L'idal d'un individu, son but, se forme djpendant les premiers mois de sa vie. Car un rle est dj jou par ces impressionsauxquelles l'enfant rpond soit avec joie soit avec dplaisir. Dj percent les pre-mires traces d'une image du monde, quoique ce soit seulement de la manire la plusprimitive. En d'autres termes, sont dj poses, lorsque l'enfant n'est encore qu'unnourrisson, les bases des facteurs accessibles de la vie psychique. Par la suite, ellessont sans cesse paracheves, car elles sont transformables et susceptibles de subirdiverses influences. Les modifications les plus diverses se produisent, qui obligentl'enfant rpondre aux exigences de la vie, en prenant telle ou telle position.

    C'est pourquoi nous ne pouvons donner tort aux savants qui soulignent que lestraits du caractre d'un homme sont dj reconnaissables lorsqu'il est encore lamamelle; de l beaucoup dduisent que le caractre est chose inne. Mais il est per-mis d'estimer prjudiciable la collectivit l'ide qui veut que le caractre de l'indi-vidu soit hrit de ses parents, car cela empche l'ducateur de se consacrer avecconfiance sa mission. Observation renforce par le fait que la conception del'innit du caractre sert le plus souvent celui qui la professe, pour tre absous,dgager sa responsabilit, ce qui, naturellement, va l'encontre des devoirs del'ducation.

    Une condition importante, qui participe dresser le but, est donne par l'influencede la culture. Elle pose, pour ainsi dire, une barrire, contre laquelle la force de l'en-fant ne cesse de se heurter jusqu' ce qu'il trouve une voie qui lui semble praticable,lui promettant l'accomplissement de ses dsirs, aussi bien que, pour l'avenir, assuran-ce et adaptation. On peut bientt reconnatre quelle force doit avoir la scurit quel'enfant dsire, quelle scurit lui garantit l'abandon la culture. Ce n'est pas simple-ment une assurance contre le danger, mais il s'y ajoute, comme dans une machinebien amnage, un autre coefficient de scurit, qui peut garantir mieux encorel'entretien de l'organisme humain. L'enfant se le procure en exigeant, par-dessus lamesure donne d'assurances, de satisfactions des tendances, encore un supplment,plus que ce qui serait ncessaire son simple maintien, son paisible dveloppement.La ligne de mouvement que nous observons l est trs nettement celle de la prsomp-tion. Exactement comme un adulte, l'enfant veut atteindre plus que tous les autres, ilaspire une supriorit qui devra lui apporter cette scurit et cette adaptation, et leslui garantir, telles qu' l'avance elles lui sont poses comme but. C'est ainsi qu'ilondoie, et que s'tablit dans la vie psychique une agitation qui va encore se renfor-ant. Il suffit de se reprsenter que, par exemple, les actions cosmiques obtiennent deforce une rponse plus puissante. Ou bien lorsque, en un temps de dtresse, l'mes'angoisse, ne se croit pas la hauteur de ses devoirs, on observera de nouveau desflchissements signifiant que l'exigence de la supriorit s'affirme plus nettementencore.

    Il peut arriver alors que la position du but a lieu de telle sorte que l'individucherche par l chapper de plus grandes difficults, qu'il les vite. Il advient quese prsente l une espce d'homme contenant ce qui se peut imaginer de plus humain,

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    le type de l'homme qui, devant les difficults, ou bien recule en tremblant, ou biencherche se glisser dans quelque retraite o, au moins provisoirement, viter de seconformer aux exigences s'imposant lui. Cela nous donne la possibilit de com-prendre que les ractions de l'me humaine ne possdent nullement un caractredfinitif; elles ne peuvent jamais tre que des rponses provisoires, non autorises prtendre la pleine exactitude. Tout particulirement dans le dveloppement psychi-que de l'enfant, auquel on ne doit pas appliquer la mme mesure qu'aux adultes, ilimporte de bien considrer qu'on a affaire des positions de buts uniquementprovisoires. Il faut regarder au del, et nous reprsenter quoi pourrait tendre la forceque nous voyons agir, o elle pourrait mener l'enfant. En nous reportant au seinmme de l'me de l'enfant, il devient clair que ces manifestations d'une force ne sontpas comprendre autrement que comme si, en lui, il y avait plus ou moins dcisionde s'adapter dfinitivement au prsent et l'avenir. Il peut orienter de cts diffrentsla disposition inhrente cette tendance. Un ct se montre comme tant celui del'optimisme; l'enfant a confiance de pouvoir rsoudre les tches qui se prsenteront lui. Ceci se manifestera par les traits de caractre qui appartiennent prcisment unhomme tenant ses devoirs pour susceptibles d'tre remplis. Ainsi se dveloppent lecourage, l'ouverture d'esprit, l'abandon, l'application, etc. A l'inverse se placent lesmarques du pessimisme. Si l'on pense au but d'un enfant qui ne se croit pas capable dersoudre ses tches, on peut aussi se reprsenter comment les choses doivent sepasser dans l'me d'un tel sujet. On y trouve l'hsitation, la timidit, le ct taciturne,la dfiance et tous les autres traits par lesquels le faible cherche se dfendre. Sonbut est au del des limites de ce qui peut s'atteindre, loin en arrire du front de la vie.

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 28

    Partie gnrale

    Chapitre IIQualit sociale de la vie psychique

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    Pour comprendre ce qui se passe en un homme, il est ncessaire de soumettre unexamen son attitude envers ses compagnons. Les rapports des hommes entre eux sonten partie donns par la nature, et comme tels soumis des modifications; en partie ilsproviennent de relations formes d'aprs un plan, ainsi qu'on peut les observer enparticulier dans la vie politique des peuples, dans la formation des tats, dans lacollectivit. La vie psychique humaine ne peut tre comprise sans que l'on observe enmme temps ces connexions.

    I. - Vrit absolue.

    La vie psychique humaine n'est pas en tat de se gouverner sa guise; elle setrouve constamment devant des tches qui se sont tablies de quelque part l'ext-rieur. Toutes ces tches sont insparablement associes la logique de la vie humaineen commun, l'une de ces conditions essentielles qui agissent d'une manire ininter-rompue sur l'individu et ne se laissent soumettre son influence que jusqu' un cer-tain point. Or, si nous considrons que les conditions de la vie humaine en communne peuvent pas tre dfinitivement saisies par nous, parce qu'elles sont trop nombreu-ses, et que pourtant ces conditions, ces exigences sont imparties une certaineconduite, il devient clair que nous ne sommes gure en mesure d'lucider pleinement

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 29

    les obscurits d'une vie psychique place devant nous; cette difficult s'affirme d'au-tant plus prononce que nous nous loignons davantage de nos propres conditions.

    Mais il en rsulte aussi, comme l'un des faits fondamentaux pour les progrs denotre connaissance de l'homme, qu'il nous faut compter, comme sur une vritabsolue, avec les rgles immanentes du jeu d'un groupe, telles qu'elles se produisentd'elles-mmes sur cette plante dans l'organisation limite du corps humain et de sesprestations, vrit absolue que nous ne pouvons approcher que lentement, le plussouvent aprs avoir surmont des fautes et des erreurs.

    Une part importante de ces faits fondamentaux est contenue dans la notion mat-rialiste de l'histoire qu'ont cre Marx Engels. D'aprs cette doctrine, c'est le principeconomique, la forme technique suivant laquelle un peuple gagne sa vie, qui condi-tionne la superstructure idologique , la pense et la conduite des hommes.Jusque-l, il y a accord avec notre conception de la logique agissante de la viehumaine collective , de la vrit absolue . Mais l'histoire, et avant tout notreexamen de la vie individuelle, notre psychologie (caractrologie) individuelle, nousenseigne que la vie psychique humaine rpond aisment par des erreurs aux impul-sions des principes conomiques, auxquelles elle ne se soustrait que lentement. Or,notre voie dans la direction de la vrit absolue passe par de nombreuses erreurs.

    II. - la contrainte de mener une vie commune.

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    Les exigences de la vie en commun sont proprement parler tout aussi lmen-taires, allant de soi, que celles que, par exemple, les influences de la tempratureimposent aux hommes, protection contre le froid, construction d'habitations, etc. Onaperoit aussi la contrainte la communaut - quoique ce soit sous une forme encorenon comprise - dans la religion, o la sanctification des formes sociales sert de liende la collectivit, la place de la pense comprhensive. Si les conditions de la viesont dans le premier cas dtermines cosmiquement, elles le sont dans le dernier cassocialement, par l'existence collective des hommes et par les rgles et dispositionslgales qui en rsultent d'elles-mmes. Les exigences de la collectivit ont rgl lesrapports des hommes tablis ds l'origine comme allant de soi, comme vritabsolue. Car la collectivit prexistait la vie individuelle des hommes. Il n'y a dansl'histoire de la culture humaine aucune forme de vie qui ne serait mene socialement.Nulle part des hommes n'ont paru autrement qu'en socit. Ce phnomne s'expliqueaisment. A travers l'ensemble du rgne animal prvaut la loi, le principe qui veut quetoutes les espces ne se montrant pas, envers la nature, parvenues un degr parti-culirement lev, ne rassemblent de nouvelles forces que par l'association, et dslors agissent sur l'extrieur d'une manire nouvelle, originale. Le genre humain, luiaussi, sert ce but de l'association; de l vient que l'organe psychique de l'homme soittout pntr des conditions d'une vie de la collectivit. Darwin dj fait remarquerqu'on ne trouve jamais de faibles animaux qui vivraient isolment. Il faut toutspcialement compter parmi eux l'tre humain, car il n'est pas assez fort pour pouvoirvivre seul. Il ne saurait offrir la nature qu'une rsistance minime; il a besoin d'une

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 30

    plus grande masse de secours pour assurer sa subsistance, pour s'entretenir. Il appa-ratrait incomparablement plus menac que toute autre espce vivante. Il n'a pas lapromptitude la course, il ne dispose pas de la puissance musculaire des animauxforts, il n'a ni la dentition des fauves, ni la finesse de l'oue et l'acuit de la vue poursortir indemne de telles luttes. Il lui faut dpenser normment rien que pour assurerson droit l'existence et viter d'aller sa perte. Sa nourriture est spcifique, et songenre de vie requiert une protection tout intensive.

    Il est donc comprhensible que l'homme n'ait pu se maintenir qu'en se plaantsous des conditions particulirement favorables. Cela ne lui fut procur que par la vieen groupes, qui se rvla comme une ncessit, parce que seule la vie collective per-mettrait l'homme, par une sorte de division du travail, d'affronter des tches ol'individu isol aurait fatalement succomb. Seule la division du travail tait en tatde procurer l'homme des armes offensives et dfensives et d'une manire gnraletous les biens dont il avait besoin pour se maintenir et que nous comprenonsaujourd'hui dans la notion de la culture. Si l'on considre au milieu de quelles diffi-cults les enfants viennent au monde, combien de mesures toutes particulires sontalors invitables, que l'individu isol n'aurait peut-tre pas su satisfaire mme au prixdes plus grandes peines, quelle surabondance de maladies et d'infirmits menacent untre humain surtout lorsqu'il n'est encore qu'un nourrisson, - plus que partout ailleursdans le rgne animal, - on se rend peu prs compte de l'norme quantit de solli-citude qui devait entrer en jeu pour assurer le maintien de la socit humaine, et l'onressent clairement la ncessit de cette connexion.

    III. - Tendance la scurit et adaptation.

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    En consquence de ce que nous avons expos jusqu'ici, il nous faut affirmer que,du point de vue de la nature, l'homme est un tre infrieur. Mais cette infriorit quilui est inhrente, dont il -prend conscience en un sentiment de limitation et d'ins-curit, agit comme un charme stimulant, pour dcouvrir une voie o raliser l'adapta-tion cette vie, o prendre soin de se crer des situations dans lesquelles apparatrontgaliss les dsavantages de la position humaine dans la nature. C'tait, l encore, sonorgane psychique qui avait la capacit d'introduire adaptation et scurit. Il et tbeaucoup plus difficile de faire produire l'animal humain originel, l'aide deproduits rsultant d'une croissance, tels que des cornes, des crocs ou des dents, unexemplaire susceptible d'affronter la nature ennemie. Seul l'organe psychique pouvaitapporter un secours vraiment rapide, remplaant ce qui manquait l'homme commevaleur organique. Et c'est prcisment le charme manant du sentiment ininterrompude l'inscurit qui fit que l'homme dveloppa une prvision et amena son me undveloppement que nous constatons aujourd'hui comme organe de la pense, de lasensibilit et de l'action. Comme, dans ces secours, dans ces tendances l'adaptation,la socit jouait aussi un rle essentiel, il fallait que, ds le dbut, l'organe psychiquecomptt avec les conditions de la collectivit. Toutes ses capacits se sont dvelop-pes sur une base portant en soi le trait d'une vie sociale. Chaque pense de l'hommedevait tre conforme de telle sorte qu'il pt tre adapt une socit.

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 31

    Si l'on se reprsente maintenant comment le progrs alla plus loin, on arrive auxorigines de la logique, qui porte en soi l'exigence de la validit gnrale. Est seullogique ce qui est d'une valeur gnrale. Nous trouvons un autre rsultat de la viesociale dans le langage, cet admirable chef-d'uvre, qui distingue l'homme de toutesles autres espces vivantes. Impossible de refuser un phnomne tel que le langagel'application de la notion de valeur gnrale, ce qui donne penser qu'il doit sonorigine la vie sociale des tres humains. Pour un individu vivant seul, le langageserait une parfaite superfluit. Il compte avec la vie commune des hommes; il en est la fois le produit et le lien. Cette connexion trouve une forte preuve dans le fait quedes hommes ayant grandi dans des conditions qui contrarient ou obstruent la runionavec d'autres hommes, ou se refusant eux-mmes ce contact, souffrent presque sansexception d'une carence affectant le langage et la capacit de parler. C'est comme sice lien ne pouvait se former et se maintenir que lorsque le contact avec l'humanit estassur. Le langage prsente une signification des plus profondes pour le dveloppe-ment de la vie psychique humaine. La pense logique n'est possible que si elle dispo-se du langage, qui seul, en permettant la formation de notions, nous met en mesured'admettre des distinctions et d'tablir des conceptions qui ne soient pas propritprive mais bien commun. De mme, notre pense et notre sensibilit ne s'expliquentque si l'on prsuppose la valeur gnrale, et la joie que nous fait prouver ce qui estbeau n'obtient sa raison d'tre que si l'on comprend que le sentiment et la connais-sance du beau et du bien sont ncessairement un bien commun. Nous arrivons ainsi reconnatre que les notions de raison, de logique, d'thique et d'esthtique n'ont puprendre naissance que dans une vie collective des hommes, mais qu'en mme tempselles sont les moyens de liaison destins protger la culture contre toute dcadence.

    La situation de l'individu permet aussi de comprendre son vouloir. La volont nereprsente pas autre chose qu'une tendance passer d'un sentiment de l'insuffisance un sentiment de la suffisance. Sentir cette ligne place devant nos yeux et la suivre,voil ce qui s'appelle vouloir . Toute volition compte avec le sentiment de l'insuf-fisance, de l'infriorit, et donne libre cours l'impulsion qui tend atteindre un tatde rassasiement, de contentement, de pleine valeur.

    IV. - Sentiment de communion humaine.

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    Nous comprenons maintenant que ces rgles : ducation, superstition, totem ettabou, lgislation, qui taient ncessaires pour assurer le maintien du genre humain,devraient figurer aussi en premire ligne dans l'ide de communaut. Nous l'avons vudans les institutions religieuses; nous trouvons les exigences de la communaut dansles fonctions les plus importantes de l'organe psychique, et nous les retrouvons dansles exigences de la vie de l'individu comme dans celles de la collectivit. Ce que nousappelons justice, ce que nous considrons comme le ct lumineux du caractrehumain, n'est pour l'essentiel rien d'autre que l'accomplissement d'exigences qui ontdcoul de la vie collective des hommes. Ce sont elles qui ont form l'organe

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    psychique. De l vient que l'abandon, la fidlit, l'ouverture d'esprit, l'amour de lavrit, etc., sont proprement des exigences prsentes et maintenues par un principede communaut d'une valeur gnrale. Ce que nous appelons un bon ou un mauvaiscaractre ne peut tre jug que du point de vue de la communaut. Les caractres,comme toute production de nature scientifique, d'origine politique ou d'ordre artis-tique, ne s'avreront jamais grands et prcieux qu'en prsentant de la valeur pour lagnralit. Un type idal, d'aprs lequel nous mesurons l'individuel, ne prend consis-tance qu'eu gard sa valeur, son utilit pour l'ensemble. Ce quoi nous comparonsl'individuel, c'est au type idal d'un homme de la communaut, d'un homme quimatrise les tches s'offrant lui, d'une manire valable pour tous, d'un homme qui atellement dvelopp en lui le sentiment de communion humaine que, selon uneexpression de Furtmuller, il suit les rgles du jeu de la socit humaine . Dans lecours de nos exposs, il apparatra qu'aucun homme au sens intgral du mot ne peutse dvelopper sans cultiver et mettre suffisamment en oeuvre le sentiment de com-munion humaine.

  • Alfred Adler (1927), Connaissance de lhomme. (trad. fr., 1949) 33

    Partie gnrale

    Chapitre IIIEnfant et socit

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    La communaut pose un certain nombre d'exigences, et par l elle influe surtoutes les normes et les formes de notre existence, ainsi que sur le dveloppement denotre organe pensant. Elle est aussi fonde organiquement. Us points d'attache de lacommunaut se trouvent dj dans la bisexualit de l'tre humain, et seule unecommunaut, non l'isolement, est en tat de satisfaire l'impulsion vitale de l'individu,de lui garantir scurit et joie de vivre. Si l'on considre le lent dveloppement del'enfant, on constate qu'il ne peut tre question d'un dploiement de la vie humaineque s'il existe une communaut protectrice. En outre, les connexions de la vie amen-aient avec elles la cration d'une division du travail, laquelle n'opre pas unesparation des hommes, mais au contraire produit leur cohsion. Chacun a le devoirde travailler la main dans la main d'autrui; il lui faut se sentir associ autrui; ainsiprennent corps les grands liens qui prexistent dans l'me humaine, d'une manire oud'une autre, comme exigences. Nous allons suivre ci-aprs quelques-unes de cesconnexions que l'enfant dj trouve, le prcdant.

    I. - Situation du nourrisson.

    L'enfant, qui a tant besoin du secours de la communaut, se trouve en face d'unmilieu qui prend et donne, exige et accomplit. Il se voit, avec ses penchants, devantcertaines difficults qu'il prouve de la peine surmonter. Il a bientt fait connais-sance avec la souffrance provenant de son tat d'enfance et produisant maintenant cetorgane psychique qui a pour fonction de prvoir et de trouver des lignes suivant

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    lesquelles la satisfaction de ses penchants pourra aboutir sans frottement, o il serapossible de mener une vie supportable. Il remarque sans cesse des gens qui sont enmesure de satisfaire leurs penchants beaucoup plus aisment, qui ont donc quelqueavantage sur lui. Il apprend ainsi apprcier la grandeur qui rend capable d'ouvrir uneporte, la force que d'autres possdent de soulever un objet, la position qui en autorised'autres donner des ordres et en exiger l'excution. Dans son organe psychiques'lve en un flot l'aspiration grandir pour devenir gal ou suprieur autrui, pourdpasser ceux qui se sont groups autour de l'enfant et se comportent avec lui commes'il y avait l une subordination, mais en se penchant aussi devant la faiblesse del'enfant, en sorte que celui-ci dispose de deux possibilits d'opration : d'une part,matriser les moyens qu'il constate servir la puissance des adultes, d'autre part,exposer sa faiblesse que les autres prouvent comme une inexorable exigence. Nousretrouverons toujours chez les enfants cette ramification des tendances de l'mehumaine. Ici dj commence la formation de types. Tandis que les uns se dveloppentdans la direction o rgne l'exigence de se faire reconnatre, o les forces se rassem-blent et veulent se mettre en oeuvre, on trouve chez d'autres quelque chose quiressemble une spculation avec sa propre faiblesse, une prsentation de leur faibles-se sous les formes les plus diverses. Si l'on se rappelle l'attitude, l'expression et leregard de tels ou tels enfants dtermins, on en trouvera toujours qui se laissentclasser dans l'un ou l'autre groupe. Tous ces types n'acquirent un sens que lorsquenous comprenons leur rapport avec le milieu ambiant. La plupart de leurs mouve-ments sont aussi acquis par emprunt ce milieu.

    Dans ces simples conditions, dans cette tendance de l'enfant surmonter son tatde faiblesse, ce qui son tour dclenche l'incitation dvelopper une foule de capaci-ts, se trouve fonde la possibilit de l'ducation.

    Les situations des enfants sont varies l'extrme. Le cas se prsente o certainentourage donne l'enfant des impressions hostiles, lesquelles lui font apparatre lemonde comme hostilement: dispos. Cette impression s'explique par l'insuffisance del'organe enfantin de la pense. Si l'ducation n'y obvie pas, l'me de cet enfant peut sedvelopper de telle sorte que plus tard il considre le monde extrieur absolumentcomme un domaine ennemi. L'impression d'hostilit se renforce, ds que l'enfant ren-contre de plus grandes difficult, ainsi qu'il arrive spcialement des enfants pourvusd'organes dficients. Ils auront de leur entourage une impression diffrente de cellequ'prouvent des sujets venus au monde avec des organes relativement vigoureux.L'infriorit organique peut s'extrioriser par des difficults se mouvoir, par lesdfauts de tels ou tels organes, par la moindre force de rsistance de l'organisme, ensorte que l'enfant est expos de nombreuses maladies.

    Mais la cause des difficults ne provient pas toujours ncessairement de l'imper-fection de l'organisme enfantin. Elle peut aussi rsulter du poids des tches qu'unentourage dpourvu de comprhension impose l'enfant, ou de l'imprvoyance aveclaquelle on les a exiges de lui, bref, d'une dfectuosit de cet entourage, qui rendplus pnible le monde extrieur. Car l'enfant qui veut s'adapter son milieu rencontretout coup des obstacles contrariant cette adaptation. C'est le cas, par exemple,lorsque l'enfant grandit dans un entourage qui lui-mme est dj dcourag et remplid'un pessimisme susceptible de se transmettre aisment l'enfant.

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    II. - Influence des difficults.

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    En ce qui concerne les difficults qui viennent la rencontre de l'enfant dediffrents cts et pour des causes galement trs diverses, en particulier si l'onobserve que la vie de l'me enfantine n'avait pas encore, et pour longtemps, l'occasionde se dvelopper, il est clair qu'on a compter avec des rponses dfectueuses lors-que s'instaure chez l'enfant la ncessit de s'accommoder des conditions inluctablesdu monde extrieur. A passer en revue un certain nombre de manquements, l'ides'impose qu'on a affaire en l'espce un dveloppement de la vie psychique, qui necesse pas durant la vie entire, et qui consiste en essais continuels visant aller del'avant et donner une rponse plus exacte. En particulier, ce qu'il y a lieu d'aperce-voir dans les mouvements enfantins des expressions, c'est la forme d'une rponse quedonne une situation dtermine un individu en voie de devenir, s'approchant de lamaturit. Cette rponse, l'attitude d'un homme, nous offrira des points d'attache pourla caractristique de son me. Il faut bien garder prsent l'esprit, en pareil cas, queles formes d'expression d'un homme -ainsi que celles d'une masse - ne sauraientaucunement tre juges d'aprs un quelconque schma ou cadre.

    Les difficults qu'un enfant a combattre au cours du dveloppement de sa viepsychique, et qui, presque rgulirement, entranent comme consquence l'impossi-bilit pour lui de dvelopper son sentiment de communion humaine si ce n'est d'unemanire extrmement imparfaite, nous pouvons les rpartir entre celles qui, prove-nant de la dfectuosit de la culture, se manifesteront dans la situation conomique dela famille et de l'enfant, et celles qui rsultent des dficiences des organes corporels.En face d'un monde cr proprement pour les seuls organes achevs, et o toute laculture qui entoure l'enfant compte avec la force et la sant d'organes pleinementdvelopps, nous voyons un enfant pourvu d'importants organes chargs de dfauts,et qui par consquent ne peut observer convenablement les exigences de la vie. Telssont, par exemple, les enfants qui recevront une instruction tardive ou qui prouventdes difficults apprendre certains mouvements, ou ceux qui ne parlent que tardi-vement, qui y sont longtemps malhabiles, parce que leur activit crbrale se dve-loppe plus lentement que chez ceux sur lesquels compte notre culture. On sait biencomment de tels enfants subissent longtemps des heurts, sont lourds et forcment enproie des maux corporels et spirituels. Visiblement, ils ne sont pas agrablementimpressionns par un monde qui n'est pas exactement fait pour eux. Des difficultsconditionnes par l'insuffisance de leur dveloppement se produisent pour eux on nepeut plus frquemment. Reste, sans doute, la possibilit qu'au cours du temps s'ta-blisse de soi-mme un accommodement, sans que persiste un dommage durable, siauparavant dj l'amertume rsultant de l'tat de dtresse psychique o s'opre lacroissance de ces enfants, et quoi s'ajoute le plus souvent une condition conomiqueprcaire, n'a pas introduit dans leur mentalit une dpression qui souvent se fait sentirdans leur vie ultrieure. Il est facile de comprendre que les rgles du jeu de la socithumaine, donnes absolues, soient mal suivies par ces enfants-l. Ils verront avecdfiance l'agitation qui se dploie autour d'eux, et ils inclineront se tenir l'cart, se drober leur tches. Ils souponnent et ils prouvent avec une rigueur touteparticulire une hostilit de la vie qu'ils ne font qu'exagrer. Leur intrt se porte

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    beaucoup plus sur les ombres de l'existence que sur ses faces lumineuses. En gnral,ils grossissent les unes et les autres, en sorte qu'ils restent en permanence dans uneposition de combat, revendiquant pour eux-mmes une mesure spciale d'attention etinclinant penser plus soi qu' autrui. Comme ils prennent les exigences de la viepour des difficults et non pour un attrait, comme ils font face tous les vnementsavec une prvoyance pousse trop loin, il se creuse entre eux et leur entourage unfoss profond. Ils s'loignent toujours davantage de la vrit, de la ralit et necessent de s'garer dans les difficults.

    Des difficults analogues peuvent survenir lorsque la tendresse des proches del'enfant reste au-dessous d'un certain niveau. Circonstance susceptible, elle aussi,d'entraner pour le dveloppement de l'enfant des consquences fort importantes. Sonattitude subit l'influence du fait qu'il n'apprend pas connatre l'amour et ne sait pasen faire usage, parce que sa tendance la tendresse ne se dploie pas. Et quand il enest ainsi dans la famille, on risque que par la suite il ne soit trs malais de faireprouver un individu qui a grandi dans ces conditions un vif change de tendresses.Exclure les motions et les rapports affectueux et tendres fait dsormais partieconstitutive de son tre. Le mme effet peut aussi se produire si les parents, lesducateurs ou les autres personnes de l'entourage de l'enfant agissent sur lui selontelles ou telles maximes pdagogiques qui lui font ressentir les marques de tendressecomme impraticables ou risibles. Il n'est pas trs rare de voir l'enfant incliner associer la tendresse l'impression du ridicule. C'est surtout le cas des enfants quifurent souvent l'objet de railleries. Ils se montreront domins par une crainte du senti-ment, les portant considrer comme ridicule, inhumaine, toute motion tendre, touteimpulsion affectueuse envers autrui; cela, croient-ils, les donne en spectacle auxautres et les rabaisse leurs yeux. Ce sont ces hommes qui, dans leur enfance dj,ont impos une barrire toutes les relations aimantes pouvant survenir par la suite.Des traits d'insensibilit, qui dans l'ensemble aboutissent une ducation dure, quis'insurgent contre toutes les marques de tendresse, ont fait que dans leur enfance ils sesont ferms ce genre de dispositions et que, gardant le silence, aigris, effrays, ilsn'ont pas tard se retirer peu peu du petit cercle de leur entourage, qu'il et t dela plus haute importance de gagner et d'insrer dans leur propre vie psychique. Sicependant il se trouve encore une personne dans cet entourage qui rende possible laliaison avec l'enfant, cela s'accomplira avec une intimit toute particulire. C'est ainsique grandissent souvent des sujets qui n'ont trouv des rapports qu'avec une personneunique, qui n'ont pu tendre leur inclination l'union au del d'un seul partenaire.L'exemple du garon qui fut si affect lorsqu'il constata que la tendresse de sa mres'adressait son frre, et qui depuis lors alla errant dans la vie la recherche de lachaleur qui lui avait manqu ds sa premire enfance, voil un cas montrant bien lesdifficults que de pareils individus peuvent rencontrer dans la vie.

    C'est le groupe de ces gens dont l'ducation a eu lieu sous une certaine pression.

    Or, dans la direction oppose il peut galement se produire des checs, lorsque,sous l'action d'une chaleur particulire, qui accompagne l'ducation, l'enfant gtdveloppe au del de toute limite son inclination la tendresse, en sorte qu'il s'attachetrop troitement une ou plusieurs personnes et ne veut plus rien abandonner d'elles.En raison de diverses erreurs, la tendre sensibilit de l'enfant prend souvent desproportions si grandes qu'il en vient s'imposer certaines obligations envers autrui ;cela peut facilement se produire lorsque des adultes disent, par exemple : Fais ceciou cela parce que je t'aime bien. C'est souvent qu'au sein d'une famille poussent detelles excroissances. Ces enfants-l saisissent aisment l'inclinaison des autres, et ils

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    s'en servent pour augmenter dsormais, par des moyens semblables, la dpendancedes autres correspondant leur propre tendresse. Il faut toujours garder prsent l'esprit ces flammes de tendresse pour l'une des personnes de la famille. Nul douteque le sort de l'individu ne subisse d'une ducation si partiale une influence nocive. Ilpeut alors se produire des phnomnes comme ce qui arrive par exemple lorsqu'unenfant, pour conserver la tendresse d'une autre personne, a recours aux moyens lesplus risqus, cherchant ainsi rabaisser un rival, le plus souvent son frre ou sa sur,en dvoilant sa mchancet, ou en faisant semblant de le protger, ou autrementencore uniquement pour briller lui-mme au regard des parents pleins d'amour. Oubien il usera de pression pour tout au moins fixer sur lui l'attention des parents; il nereculera devant aucun moyen susceptible de le mettre au premier plan, de lui faireobtenir plus d'importance que n'en ont les autres. On se fera paresseux ou mchantpour amener les autres s'occuper davantage de vous, on sera sage pour quel'attention d'autrui vous donne l'impression d'une rcompense. Il se droule alors dansla vie de l'enfant un tel processus, laissant saisir que tout peut tre employ par luiune fois la direction enracine dans sa vie psychique. Il se peut qu'il se dveloppedans le sens le plus fcheux, pour atteindre son but, et il peut aussi devenir un excel-lent sujet poursuivant le mme but. On peut souvent observer comment l'un desenfants essaye d'attirer l'attention sur lui par une nature indomptable, tandis qu'unautre, qu'il soit plus ou moins avis que le prcdent, cherche obtenir le mmersultat par une irrprochable droiture.

    Au groupe des enfants gts appartiennent aussi ceux qui l'on te toutes lesdifficults de leur chemin, ceux dont les manifestations d'originalit provoquent unsourire amical, et qui peuvent tout se permettre sans se heurter une rsistance dignede ce nom. Ces enfants-l sont privs de toute occasion qui leur permettrait de seprparer par des exercices prliminaires s'attacher plus tard des gens bien disposspour les accueillir d'une juste manire, encore moins des gens qui, gars eux-mmes, par les difficults de leur propre enfance, soulveraient des obstacles cerapprochement. Comme on ne leur fournit pas l'occasion de s'exercer surmonter lesdifficults, ils sont aussi mal prpars que possible pour la suite de leur existence. Ilssont presque rgulirement endurer des contre-coups et des checs, aussitt qu'ilssortent du petit domaine o rgne cette atmosphre de serre chaude, et qu'ils setrouvent vis--vis d'une existence o personne n'exagre plus ses obligations enverseux, comme le faisaient leurs ducateurs aveugls par une excessive tendresse.

    Tous les phnomnes de ce genre ont ceci de commun, que l'enfant se trouve plusou moins isol. Par exemple, de jeunes sujets dont l'appareil digestif prsente telle outelle dficience s'alimenteront d'une manire particulire, si bien qu'ils seront suscep-tibles de se dvelopper autrement que des enfants normaux sous ce rapport. Lesenfants ayant certains organes en tat mdiocre manifesteront un comportementparticulier, qui avec le temps les porte s'isoler. Nous sommes alors en prsenced'enfants qui n'prouvent pas trs nettement leur solidarit avec leur milieu, et quipeut-tre vont jusqu' la repousser entirement. Ils ne peuvent trouver des camarades,ils restent l'cart des jeux usuels parmi ceux de leur ge, soit qu'ils les regardentd'un oeil d'envie, soit qu'avec mpris ils se cantonnent dans leurs propres amuse-ments, qu'ils cultivent l'cart dans un muet isolement. En sont galement menacsceux qui grandissent sous la lourde contrainte de l'ducation, par exemple lorsqu'onles traite avec une rigoureuse svrit. A ceux-l aussi la vie apparat sous un jourdfavorable, car ils s'attendent sans cesse prouver de toutes parts des impressionspnibles. Ou bien ils se sentent victimes, recevant humblement toutes les difficultssurgies, ou bien ils les accueillent en lutteurs, toujours prts combattre un milieu

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    ressenti comme hostile. Ces enfants considrent la vie et ses tches comme autant dedifficults particulires, et il est ais de comprendre qu'un tel sujet s'appliquera le plussouvent assurer ses limites, prenant garde qu'aucun dsastre ne le frappe et restanttoujours dfiant envers son entourage. Sous le poids de cette prvoyance dmesure,il donne l'lan une tendance prfrant subir difficults et dangers plutt que s'expo-ser la lgre une dfaite. Une autre caractristique constante chez ces enfants-l,indiquant avec une pleine vidence combien leur sentiment de communion humaineest faiblement dvelopp, c'est le fait qu'ils pensent plus eux-mmes qu' autrui. Onvoit l clairement l'ensemble du dveloppement. Tous ces individus inclinent engnral une conception pessimiste du monde, et ils ne peuvent tre satisfaits de leurexistence s'ils ne trouvent se dlivrer des faux cadres o ils la placent.

    III. - l'homme, tre social.

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    Nous nous sommes appliqu indiquer que, pour pouvoir mettre une conclusionsur la personnalit d'un individu, il faut le juger et le comprendre dans sa situation.Par situation nous entendons la position de l'homme dans l'ensemble du monde etenvers son proche entourage, sa position en face des questions qu'il rencontre sansinterruption, comme celles de l'activit, de l'association, du rapport avec ses sem-blables. Sur cette voie, nous avons tabli que ce sont les impressions pntrant enl'homme du fait de son entourage qui influent sur l'attitude du nourrisson, et plus tardde l'enfant et de l'adulte, de la manire la plus persistante travers la vie. On peutdj dterminer au bout de quelques mois de l'ge le plus tendre, comment un enfantse comporte envers la vie. Il n'est plus possible, ds lors, de confondre entre eux deuxnourrissons ou de les assimiler l'un l'autre quant leur position envers l'existence,car chacun prsente dj un type prononc, qui devient de plus en plus net sansperdre la direction qu'il suivait ds l'abord. Ce qui se dveloppe dans l'me de l'enfantsera toujours plus pntr par les rapports de la socit avec lui; on voit se produireles premiers indices du sentiment inn de communion humaine, on voit fleurir desmouvements de tendresse organiquement conditionns, qui vont si loin que l'enfantcherche l'approche des adultes. On peut toujours observer que l'enfant dirige ses incli-nations tendres sur autrui, non pas sur lui-mme comme le veut Freud. Ces mouve-ments sont diffremment gradus et varient suivant les personnes qui ils s'adressent.Chez des enfants parvenus au del de leur deuxime anne, on peut aussi constatercette diffrence dans les expressions de leur langage. Le sentiment de solidarit, decommunion est implant de nature dans l'me enfantine, et il ne quitte l'individu quesous l'action des plus graves dviations maladives de la vie de son me. il reste travers toute la vie, nuanc; il se restreint ou s'amplifie; dans les cas favorables ildpasse le cercle des membres de la famille pour s'tendre la tribu, au peuple, l'humanit entire. Il peut mme franchir ces limites et se rpandre sur des animaux,des plantes et d'autres objets inanims, finalement jusque sur le cosmos universel.

    Dans notre effort suivi pour parvenir comprendre l'tre humain, nous avons ainsiacquis un important appui : nous avons compris la ncessit qu'il y a considrerl'homme comme un tre social.

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    Partie gnrale

    Chapitre IVImpressions du monde extrieur