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JUILLET 2014 VERS UN LIEU DES MOBILITÉS ÉTUDE DE DÉFINITION D'UN DISPOSITIF DE SOUTIEN À L'INNOVATION DANS LE DOMAINE DES NOUVELLES MOBILITÉS

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juillet 2014

vers un lieu des mobilitésétude de définition d'un disPositif de soutien à l'innovation dans le domaine des nouvelles mobilités

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avant-propos

La crise financière et la prise de conscience écologique ont modifié l’approche collective de la mobilité. La voiture est remise en cause dans son usage traditionnel. Les investissements publics en infrastructures sont questionnés. Le modèle économique du transport collectif montre ses limites en dehors des zones très denses. Comment se déplaceront les 7 milliards d’habitants à l’avenir ?

L’enjeu n’est plus seulement d’améliorer les moyens de déplacement mais de permettre à tous de mieux se déplacer. La ville 2.0. a un potentiel immense pour changer radicalement la manière dont se conçoit la mobilité. À la planification et aux transformations urbaines se substituent des modes d’optimisation des ressources et infrastructures existantes. Des solutions de “dé-mobilité” (travail et études à distance, livraison, organisation des temps...) se créent pour réduire, potentiellement, l’empreinte de nos déplacements. Certaines entreprises agissent désormais à la source, en modifiant l’organisation de leurs activités, pour moins se déplacer tout en améliorant leur coeur de métier.

Les nouvelles plateformes numériques conquièrent des positions dominantes dans l’“aval de la relation” entre le voyageur et les acteurs de la mobilité. Des services comme Uber ou Blablacar proposent une offre abondante et peu coûteuse à produire. D’autres applications font appel aux contributions volontaires des voyageurs pour recueillir et diffuser leurs données de déplacements. Demain les automobiles connectées entreront dans la sphère d’influence de ces géants du numérique, de la construction à l’usage quotidien. Non seulement ces plateformes tissent de nouvelles relations avec les usagers mais elles permettent également par les assistants personnels de mobilités (smartphone) qu’elles utilisent, de créer de nouvelles connaissances sur les pratiques et les usages de transport qu’aucun acteur historique n’est capable de produire.

Ces innovations n’ont pas été mises sur le marché par les acteurs de la filière automobile. Les fondateurs de Waze ne viennent pas de la cartographie. Ceux de Blablacar ne viennent pas de l’automobile. Ce sont des entreprises technologiques qui utilisent le

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avant-propos

numérique pour atteindre rapidement une taille mondiale. En 2004, 3 500 personnes s’inscrivaient sur Blablacar. Aujourd’hui elles sont 3 500 par jour dans plus de 10 pays. Waze est passée d’1 à 70 millions d’utilisateurs en 5 ans.

Le succès de ces entreprises relève de modèles d’innovation, de financement et de croissance radicalement différents de ceux rencontrés dans l’industrie et les services. Basés sur un accès rapide au marché, ils privilégient la recherche de modèles d’affaires permettant une croissance à coût marginal réduit (scalabilité). Ces modèles s’appuient sur le dynamisme de nouvelles entreprises, appelées startups, qui se créent aussi rapidement qu’elles disparaissent. Ces startups évoluent dans un univers très différent de celui des industriels traditionnelles, avec leurs propres infrastructures (matérielles et immatérielles), financements et des débouchés.

La filière des mobilités se retrouve ainsi, malgré elle, dans un nouvel écosystème numérique qu’elle connaît mal et ne peut maîtriser. Le secteur n’a pas encore pris la mesure de ces nouveaux modèles. Il devient urgent de développer de nouveaux processus opérationnels adaptés à tous les acteurs.

Interroger le “comment innover ?” - processus, méthodes - et le “où innover ?” - lieux, structures de soutien et d’accompagnement. Une nouvelle filière industrielle émerge. Elle rassemblera les acteurs historiques des transports (transports publics, infrastructures, énergies) et de l'automobile qui cherchent à concevoir de nouvelles briques technologiques pour un nouveau système de mobilité. Elle rassemblera également des acteurs issus du numérique ou encore de l'économie collaborative. Cette filière n'a pas conscience d'elle même, en conséquence tous les acteurs ne sont pas synchronisés et les projets s'engagent à la marge. Le risque à l’inaction est grand car de nouveaux acteurs concoivent aujourd’hui de nouvelles relations avec les usagers.

L’objectif de la présente démarche est de rendre cet écosystème réflexif (être capable de réfléchir sur soi-même) pour lui permettre d'accélérer l'innovation, d'être conscient et d'incarner cette nouvelle filière industrielle créatrice de valeurs et d'emplois.

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Comment - et avec qui - favoriser l’innovation dans les nouvelles mobili-tés ? Quel peut être le rôle de l’action publique ? Celui de l’Ademe ?

S’appuyant sur les dynamiques entreprenariales issues des 2 jours du séminaire Mobilites Mutations, l’Ademe a lancé une étude de définition d’un nouveau dispositif de soutien à l’innovation dans le domaine des nouvelles mobilités.

La démarche retenue est inductive. Une quinzaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés. Le choix s’est majoritairement porté sur des acteurs hors du secteur traditionnel de l’automobile, de tailles et de situations variables : startups, structures de soutien, grandes entreprises impliquées dans l’écosystème, experts de l’innovation. L’objectif n’était pas de bénéficier d’un panorama global des moyens dédiés à l’innovation, mais d’un retour d’expériences sur le système. L’innovation vue par les gens qui la côtoient et la pratiquent au quotidien pour mieux esquisser les contours de ce nouveau dispositif.

Cette étude a été réalisée pour l'Ademe par 15marches, agence de conseil en stratégie et innovation

avant-propos

Agence conseil en stratégie et marketing des services

74, rue Ange Blaise35000 Rennes06 17 18 03 [email protected]

www.15marches.fr

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avant-propos

Entretiens réalisés dans le cadre de l’étude

Consultants : Olivier EZRATTY (consultant) Philippe MEDA (Merkapt) Stéphanie BACQUERE (Node-A)

Structures d’accompagnement : Nicolas COLIN (The Family) Paul RICHARDET (Numa)

Startups : Louis CHATRIOT (Local Motion) Nicolas JAULIN (Pysae)

Transports : Éric POYETON (Volvo et P.F.A.) Mickael DESMOULINS (Renault) Guillaume USTER (IFSTTAR) Romain LALANNE (SNCF)

Grands groupes : Arnaud MICHARD (Bouygues Telecom) Romina STROYEMEYTE (Gemalto)

Acteurs publics : Benoît JEANVOINE (BPI) Romain LACOMBE (Etalab) Raphael SUIRE (Université Rennes-1)

P.44P.47 P.52

P.57P.64

P.73P.79

P.82P.89 P.93 P.98

P.103P.109

P.114P.118 P.121

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introduCtion

Le sentiment d’accélération du rythme d’innovations ces dernières années impose aux organisations en place de réagir. Le succès foudroyant de startups - souvent étrangères - interroge sur les ingrédients et les modèles mis en oeuvre par celles-ci. La manière dont elles interagissent avec leur écosystème en particulier est souvent décisive. La question posée : “quel est le meilleur dispositif pour soutenir l’innovation ?“ a souvent été reformulée par nos interlocuteurs en : “comment développer une véritable culture de l’innovation dans les entreprises et organisations ?” et “comment faciliter l’émergence d’innovations de rupture au sein et autour de ces organisations ?”.

Les personnalités interviewées pour cette étude apportent un regard sans concession sur les dispositifs de soutien existants. Elles les considèrent globalement comme peu adaptés aux nouveaux enjeux économiques, car trop orientés vers la recherche et les innovations technologiques.

Ces changements profonds nécessitent dans un premier temps de définir ce que l’on entend par “innovation” à l’ère numérique, et dans quel environnement économique et entrepreunarial elle se développe aujourd’hui.

Nous détaillerons ensuite les recommandations émises : ce qu’il ne faut pas (plus) faire dans le domaine de l’innovation et ce qu’il est recommandé d’améliorer.

La dernière partie visera à esquisser sur ces bases un projet d’intervention pour l’Ademe dans le champs des nouvelles mobilités.

[N.B. : les spécialistes de l’économie des startups peuvent sauter la première partie et passer directement à la partie 2]

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plan détaillé

Partie iComprendre l’innovation à l’ère numérique

1. Innover aujourd’hui

2. Entreprendre dans l’économie de l’innovation

3. Favoriser le “gâchis utile” et la capitalisation des erreurs

Partie iiComment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

1. Ce qu’il ne faut pas (plus) faire

2. Ce qu’il faudrait faire : de bonnes pratiques et des idées pour avancer

Partie iiiCréer une “vallée des mobilité”1. Favoriser l’innovation “out of the box”

2. Révéler et faire vivre l’éco-système

3. Donner des permissions plutôt que des moyens

anneXe : entretiens réalisés

P.8

p.19

p.31

p.43

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partie i

Comprendre l’innovation à l’ère numérique

Quelles sont les innovations qui peuvent changer la donne en matière de nouvelles mobilités ? Comment les entreprises et organisations font-elles pour les développer ?

• Innover aujourd’hui

• Entreprendre dans l’économie de l’innovation

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

1 / innover aujourd’hui

1.1. Définitions

Le rapport Manceau-Morand de 2009 Pour une nouvelle vision de l’innovation, (dit rapport Manceau-Morand), propose la définition suivante : “l’innovation est l’exploitation de nouvelles idées dans de (nouveaux) produits et services, de nouveaux modèles économiques et de nouvelles manières de travailler”.

Le rapport souligne le décalage entre une vision macro-économique de l’innovation, très centrée sur les brevets et la R&D, et la pratique des entreprises. Confondre innovation et R&D est un premier écueil à éviter. Par exemple 50% des entreprises n’ont pas de R&D, ce qui ne les empêche pas d’innover. Celles qui en ont la combine avec de nombreuses autres disciplines : le développement, le design, l’organisation, le marketing, le management,...

Surtout, l’innovation ne créé de la valeur qu’en cas de succès commercial : “l’innovation a vocation à être adoptée par les utilisateurs, clients, employés, et doit donc avoir un marché” (rapport Manceau).

1.2. Approches

L’innovation combine schématiquement deux approches du marché :

• l’innovation par la technologie (technology push), qui peut se résumer par la question : “j’ai une solution, où est le problème ?” Le marketing doit contribuer à trouver une application de la solution qui réponde à une attente du marché.

• l’innovation par les usages (market pull) : “vous avez un problème, quelle est sa solution ?”. Le marketing constate une insatisfaction des clients. Les services de R&D (ou autres) travaillent ensuite à l’élaboration d’un produit qui résoud le problème ou le manque perçu.

L'innovation a vocation à être adoptée par les utilisateurs, clients, employés, et doit donc avoir un marché

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

1.3. Innovation de rupture ou incrémentale

L’innovation dite “incrémentale” s’inscrit dans la continuité de l’existant et porte sur des marchés connus. L’innovation “de rupture” révolutionne un secteur ou un usage, et s’attaque souvent à des marchés nouveaux et peu connus. Exemples : un bus hybride est une innovation incrémentale, tandis qu’un service comme Uber ou Blablacar est une innovation de rupture. La plateforme ouverte de construction automobile OS Vehicule sera une innovation de rupture si elle trouve son marché.

L’innovation de rupture n’est pas nécessairement plus performante ni plus coûteuse que l’innovation incrémentale, mais elle résoud de manière différente le problème des utilisateurs. Lorsqu’elle trouve son marché, elle génère par la suite de nombreuses innovations incrémentales : tarifs, design, usages,...

1.4. Innovation et nouvelles mobilités

Pour réduire l’impact de la voiture, développer massivement tous les modes de transport et la multimodalité, améliorer l’existant ne suffira pas. L’exemple de mutations profondes de certains secteurs - medias, loisirs, commerce - démontre la puissance des innovations portant sur les nouvelles modèles d’affaires et d’intermédiation. “L’innovation, dans un monde ultra-connecté, devient continue, écosystémique, agile, protéiforme et parfois militante. Des marchés entiers se reconfigurent autour de nouvelles plates-formes qui favorisent à leur tour de nouveaux modèles économiques, de nouvelles formes de consommation” indique Daniel Kaplan, dans un article du Monde daté du 30 mai 2013. Les nouvelles mobilités, en changeant le rapport entre l’offre et la demande de déplacements, portent en elles le changement écosystémique attendu. La place des acteurs existants (constructeurs automobiles, collectivités, transporteurs,...) est remise en cause par des plateformes comme Waze ou Blablacar qui “font levier de la multitude” (N.Colin et H. Verdier dans l’Âge de la Multitude).

L'innovation de rupture résoud de manière différente les problèmes des utilisateurs

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

1.5. La nécessité de changer le soutien à l’innovation

Les pouvoirs publics ciblent (et financent) principalement les “inventions” issues de la recherche, portées par des grandes entreprises. Les PME ne bénéficient que de 12% des crédits européens. Les indicateurs utilisés pour évaluer le retour sur investissement, notamment le nombre de brevets, sont jugés obsolètes (rapport Manceau). Que vaut un brevet si le produit qu’il protège n’est pas adopté par ses utilisateurs ?

“Le nombre de brevets n’est pas l’indicateur. Mieux vaut lui préférer le nombre de produits et services qui atteignent leur marché” (Stéphane Bacquere, co-fondatrice de Node-A, un cabinet spécialisé dans les méthodes collaboratives).

L’aide publique à l’innovation n’encourage pas non plus la recherche de modèles innovants : “Par habitude, par facilité, par conviction parfois, ils (les pouvoirs publics) privilégient d’une manière presque exclusive des projets dont l’innovation technologique constitue le principe directeur (...) et tout ce qui sort des clous, les idées en rupture, les “simples” innovations de

service ou de modèle d’affaire, leur reste invisible” (Daniel Kaplan in Le Monde, précité). Conséquence pour les nouvelles mobilités : pas ou très peu de crédits pour étudier les comportements et l’usage des services, pour améliorer le marketing des transports alternatifs ou encore tester de nouveaux modèles économiques et sociaux. Il est significatif que les innovations qui émergent dans ce domaine ne viennent pas de la filière des déplacements, mais de l’extérieur.

Il ne s’agit pas pour autant de sélectionner a priori les innovations de rupture. “Dans les entreprises toute innovation est bonne (...) Il serait peu productif de se concentrer sur quelques projets dont le succès est toujours impossible à évaluer a posteriori” (rapport Manceau-Morand).

L’enjeu est de générer un flux d’innovations vers le marché, qui fera le tri. C’est le modèle de l’économie moderne de l’innovation, portée par un “véhicule”, la startup.

Que vaut un brevet si le produit qu'il protège n'est pas adopté par le marché ?

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

2 / entreprendre dans l’économie de l’innovation

2.1. Il n’a jamais été aussi facile de se lancer

“Je n’ai pas peur de mes concurrents, j’ai peur du type dans son garage en train d’inventer la prochaine révolution” (Bill Gates). Google, Apple, Amazon, Facebook, AirBnb,... ne sont pas issus de dynasties industrielles. Ces géants d’aujourd’hui ont été fondés par des particuliers avec de faibles moyens.

Les barrières à l’entrée n’ont jamais été aussi basses pour aller de l’idée au business d’autant que, précisement, de nombreuses start-up travaillent pour baisser ces barrières. Les technologies et pratiques liées au numérique permettent désormais de lancer des produits et services à très grande échelle pour des coûts modiques et essentiellement variables.

Tout est réuni pour libérer les “créateurs” des contraintes matérielles traditionnelles afin qu’ils puissent se concentrer sur leur produit et leur marché.

Ce qui a changé :

• créer un premier site web ou une application mobile représente un investissement modique,

• des millions de fichiers et “briques” de programmes informatiques sont accessibles gratuitement en ligne

• des services dans le “cloud” fournissent capacités de stockage, machines virtuelles, bases de données,...à la demande et sans investissement

• les imprimantes 3D permettent de prototyper et fabriquer des objets à partir de simples PC

• elles sont accessibles au sein d’ateliers de prototypage et de fabrication (fablabs)

• des “usines à louer” permettre de faire fabriquer et livrer des produits en petites quantités avec une simple carte bleue

• la méthode “lean” appliquée à l’entrepreunariat est enseignée et diffusée très largement : lean startup, customer development, business model canvas,...

• les techniques de marketing numérique offrent des solutions efficaces pour toucher rapidement un grand nombre d’utilisateurs.

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

2 / entreprendre dans l’économie de l’innovation

2.2. Startups et grandes entreprises ne sont pas égales face à l’innovation

Les startups ne sont pas que des industries low cost. Elles développent également des modèles d’innovation singuliers basés sur la recherche de croissance.

Une startup n’est pas une PME ni une entreprise technologique. Selon Steve Blank, investisseur de la Silicon Valley, une startup est une “organisation temporaire, conçue pour rechercher un modèle d’affaires répétable et “scalable” (= qui peut passer à l’échelle à un coût marginal faible). Les startups auraient donc vocation à...ne plus être des startups. Soit elles trouvent leurs modèles et deviennent alors des entreprises traditionnelles chargées d’exécuter le modèle. Soit elles ne le trouvent pas et disparaissent.

Une entreprise qui créé un logiciel en espérant qu’il soit adopté dans le monde entier est une startup. Une entreprise de conseil en stratégie comme 15marches, même spécialisée dans le numérique, n’en est pas une.

Pour toute ces raisons, les (vraies) startups sont les “têtes chercheuses” de l’innovation, dédiées entièrement à la recherche de nouveaux produits et nouveaux marchés. Et les autres entreprises ?

“La manière de travailler des grandes entreprises n’est plus adaptée au monde d’aujourd’hui” (Stéphanie Bacquère). “Les grandes entreprises ne savent pas faire de modèles innovants de type web ou startup” (Paul Richardet, chargé de mission au NUMA). On leur reproche principalement leur manque d’agilité et leur éloignement du marché.

Une startup est une organisation temporaire conçue pour rechercher un modèle d'affaires répétable et scalable

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

Ceci expliquerait que beaucoup d’innovations découvertes par ces grandes entreprises sont mises sur le marché par d’autres.

La réalité est moins manichéenne. Les techniques mises en oeuvre dans les startups sont désormais enseignées dans les écoles d’ingénieurs et de management. Le Numa organise de nombreux évènements et ateliers qui rassemblent startups et grandes entreprises. Des consultants spécialisés comme Node-A ou Philippe Meda aident les grandes entreprises à travailler “comme des startups”.

2.3. Une économie hautement spéculative

Pour que quelques innovations réussissent, il est indispensable d’en initier un très grand nombre. Comme dans les industries créatives - cinéma, musique, mode -, le succès est souvent lié au hasard. Son coût est lissé en finançant de nombreux échecs par quelques best-sellers. Il serait “peu productif de concentrer ses efforts sur quelques projets dont le succès est toujours impossible à évaluer a posteriori” indiquait le rapport Manceau.

L'économie des startups se caractérise par le foisonnement, la prise de risque et le lien avec le marché.

Le cycle de vie d’une startup suit celui des idées qu’elles portent : génération, conception de prototypes, améliorations et pivots, puis lancement. Le schéma suivant présente l’environnement de vie de la startup.

Durant la première phase d’ “amorçage”, les startups sont encore à l’état d’idées. Elles sont portées par des étudiants en fin de cycle, des salariés ou ex-salariés, des freelances,... Des évènements comme les Bootcamps, les Startups Weekend ou les hackathons permettent à ces personnes de se rencontrer et de travailler ensemble, le temps d’une soirée ou d’un week-end. Des lieux spécialisés comme les espaces de coworking favorisent également les contacts et les liens entre personnes désireuses de se lancer. Il n’est pas rare de “recruter” des membres de son équipe dans ces lieux.

Le financement à ce stade est essentiellement du “love money” (argent personnel ou familial), et pour beaucoup les allocations chômage perçues à titre individuel. Les coûts sont minimes, mais les revenus inexistants.

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iPo : initial Public offer introduction en bourse

love moneY : argent personnel (famille,...)

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

La phase suivante est l’admission dans un accélérateur type Numa ou Le Booster à Rennes. Certaines structures sont associatives, d’autres privées, ce qui leur permet de prendre une part du capital des sociétés admises en contrepartie des prestations fournies. Les dossiers sont sélectionnés selon les exigences propres à chaque structure.

Les prestations fournies sont variées et dépendent de la qualité/notoriété de la structure : hébergement (pas systématique ni obligatoire), accompagnement par des experts salariés ou des prestataires, formations (ateliers, conférences,...), networking (selon les lieux : local ou international) et “partage de culture” avec de nombreux évènements et animations.

Le Camping à Paris par exemple octroie une “bourse” de 4500€ à chaque startup en échange de 3% de leur capital, ainsi que 80 heures par semaine de mentoring en design, business et technologie, 10 heures de consulting avec des spécialistes juridiques et fiscaux, des locaux ouverts 24h/24 et 7 jours/7. L’équivalent de “120 K€ de prestations par session”.

Durant cette période, les startups essaient à la fois de concevoir leur produit/service et le tester auprès de leur marché. Beaucoup pratiquent la méthode du lean startup, qui consiste à itérer son “produit minimum viable” (une sorte d’ébauche du produit final détenant les principaux éléments de la proposition de valeur) avec le marché (clients réels). C’est la fameuse “recherche de modèle” qui caractérise les startups. Les itérations conduisent à l’acquisition d’une connaissance fine du marché, et amènent le plus souvent la startup à “pivoter”. Ce terme signifie : changer de cible (segment de clientèle), ou de problème à résoudre, ou les deux.

80 % le nombre de startups qui développent un produit différent de celui pour lequel elles sont lancées.

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

Beaucoup disparaissent à ce stade, ne parvenant pas à trouver dans un temps limité la bonne solution au bon problème, ni des revenus suffisants pour financer la suite.

Les besoins de fonds d’une startup sont très différents de ceux d’une entreprise “classique” : le besoin de fonds au départ - la phase de recherche - est faible, mais il est plus élevé une fois que le “produit minimum viable” a été validé auprès du marché. Cet investissement est d’autant plus crucial que la rapidité d’exécution au moment du “passage à l’échelle” est la clé sur ce type de marché.

La plupart vont chercher des financements externes en ouvrant leur capital à des investisseurs spécialisés, les business angels (phase d’amorçage / accélération) et les capital-risqueurs (phases d’incubation et ultérieures).

Ces investisseurs évaluent les dossiers à l’aide d’un mix de données (expérience de l’équipe, analyse du marché...), d’intuitions et de prise de risque. Les demandes étant très nombreuses (un grand fonds de la Silicon Valley voit plusieurs milliers de “pitchs” par an), mieux vaut se faire repérer au préalable. Les évènements comme les concours

ou présentations publiques de startups permettent d’acquérir une notoriété.

En France, environ 4 000 startups “pitchent” chaque année devant des investisseurs. 200 seront retenues soit 5% à peine (source : France Digitale). Entre 0 et 2 seront introduites en bourse chaque année. Les plus chanceuses seront rachetées par de grands groupes ou des startups mieux dotées : exemple de La Fourchette, achetée 100 millions d’euros par TripAdvisor, elle-même propriété d’Expedia. La plupart cependant disparaîtront ou changeront d’activités : “elles deviennent de mauvaises agences web qui travaillent pour de grandes comptes, avec un chiffre d’affaires balbutiant” (Nicolas Colin, co-fondateur de The Family).

Philippe Meda estime qu’ “un investisseur doit avoir environ 200 startups dans son portefeuille pour être rentable”. Un accélérateur comme The Family vise les 400 startups.

à peine 5% des startups qui en font la demande sont financées par le capital-risque

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partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique

3 / favoriser le “gâchis utile” et la capitalisa-tion des erreurs

Favoriser l’innovation nécessite par conséquent d’encourager la création et le développement de startups, en sachant que la quasi-totalité échoueront économiquement parlant.

L’intérêt des structures d’accompagnement est ailleurs :

• tout d’abord, aider à l’émergence des idées et à la constitution d’équipes à même de les mettre en oeuvre

• ensuite, faciliter le prototypage et le test des produits créés,

• aider la startup à faire évoluer ses produits et son approche des marchés visés (on parle de “pivots”)

• capitaliser les erreurs dans des modules de formation

Enfin, et ceci a été longuement souligné par nos interlocuteurs, les projets qui échouent génèrent de nombreuses externalités positives - capacité à l’entreprenariat, données collectées, retours d’expérience, innovations incrémentales,... - qu’il appartient de valoriser et diffuser. Un échec n’est jamais inutile et peut aboutir à des idées ou des projets d’innovations ultérieurs.

L’enjeu est par conséquent d’organiser la diffusion des enseignements au cours de la vie des startups et lorsqu’elles se transforment ou disparaissent. À la fois pour renforcer les chances des autres startups et pour enrichir l’ensemble de l’écosystème au-delà des startups.

Ces besoins dessinent les contours de la structure attendue.

Valoriser et diffuser les externalités positives

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partie 2

Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

• Ce qu’il ne faut pas (plus) faire

• Ce qu’il faudrait faire : des bonnes pratiques et des idées pour avancer

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Avant de faire il faut parfois défaire. Pour les personnalités interrogées, il est important dans un premier temps de “ne pas refaire ce qui ne marche pas”. La structure de soutien à l’innovation se définit ainsi pour partie en creux, en évitant les pièges rencontrés par d’autres.

Les entretiens ont également mis en évidence les bonnes pratiques qui favorisent une innovation ouverte, distribuée et qui profite à l’écosystème.

Cet ensemble - ce qu’il faut faire et ne pas faire - jette les bases du futur Lieu des Mobilités, creuset d’une nouvelle culture de l’innovation dans les nouvelles mobilités.

partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

ne pas faire faire

1 / Sélectionner un projet selon :

• Ses chances préalables de succès• Uniquement son apport

technologique• Son absence de danger pour

les "sortants"

1/ Développer une culture de l'innovation

2/ Sélectionner les projets qui n'ont pas leur place ailleurs

2 / Considérer les startups comme :

• Des entreprises comme les autres• Des sous-traitants des grands groupes

3/ Concentrer les services pour libérer les créateurs

3 / Faire survivre trop longtemps des projets qui n'ont pas prouvé leur viabilité

4/ Créer des connexions

4 / Créer des lieux vides5/ Donner des terrains de jeux

matériels et immatériels5 / Abandonner la startup dans la Vallée de la Mort

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

1 / Ce qu’il ne faut pas (plus) faire

1.1 Sélectionner un projet selon ses chances préalables de réussite

De nombreuses structures de soutien se félicitent d’avoir un “taux élevé de survie des startups après 5 ans”. Ce critère signifie sans doute que la structure a bien fait son travail. Mais il peut aussi signifier que la sélection en amont a privilégié des solutions sans risque : anticipant des tendances déjà identifiées, pouvant être lancées rapidement, déjà bien documentées et/ou qui portent sur des marchés connus. Il n’appartient pas à cette étude de questionner l’opportunité des pouvoirs publics à soutenir ce type d’innovation. En revanche, ce ne sont pas ce type d’innovations que la structure étudiée souhaite soutenir.

1.2. Sélectionner un projet uniquement pour son apport technologique

C’est le principal reproche entendu au sujet des pôles de compétitivité et des programmes comme les Investissements d’Avenir.

La R&D et la conception de produits technologiques bénéficient déjà de nombreuses structures et financement en France. En trustant la quasi-totalité des aides, elles défavorisent à l’opposé les solutions plus risquées et moins connues des organes de tutelle. C’est le sens de la tribune écrite par Daniel Kaplan et citée plus haut. Le reproche fait au système n’est pas de financer la R&D technologique, il est de ne financer que la R&D technologique (voir plus haut 1.1.).

B. Jeanvoine (BPI) : “Une société comme Blablacar a été aidée à son démarrage, mais uniquement sur le volet technologie, pas sur le service”. La société s’est ensuite tournée vers des investisseurs privés étrangers pour financer son développement : étude des comportements, marketing, commercialisation, relation-client et développement international.

1.3. Sélectionner les startups selon les mêmes critères que les autres entreprises

Une startup est une “organisation temporaire à la recherche de son modèle économique”. Elle ne peut pas

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

être évaluée et jugée selon les mêmes critères qu’une entreprise qui se lance dans un secteur connu pour lequel les données sont claires. “La difficulté est que l’on nous demande de savoir où on va à une période où on cherche d’abord. Un business plan ne veut rien dire lorsque l’on cherche son marché et son modèle” (Stéphanie Bacquere).

Cela pose aussi la question de l’expérience et la compétence des personnes en contact avec les startups : “si tu es salarié tu ne peux pas t'occuper efficacement d'une entreprise. Seul un entrepreneur peut aider un entrepreneur” (Nicolas Colin). “La nécessaire sélection darwinienne des projets ne se fait pas dans des réunions mais sur le terrain” rappelle-t-il.

1.4. Refuser un projet qui contrevient à la stratégie des entreprises “en place”

Bouygues Telecom Initiative soutient les startups qui ont un lien avec ses propres activités, même si ce lien n’est pas nécessairement direct. Gemalto, avec son Business Innovation Garage, soutient les initiatives internes qui sont en lien avec le plan stratégique de

l’entreprise. Ces démarches ne posent aucun problème du moment où elles concernent des structures clairement rattachées à l’entreprise en question.

En revanche, “il ne faut pas qu’une innovation de rupture soit bloquée parce que n’entrant pas dans le plan produit d’une entreprise” souligne Éric Poyeton du Pôle de Compétitivité LUTB. “Si l’on veut que la France soit leader des solutions de mobilité, il faut faire travailler ensemble des acteurs y compris ceux qui peuvent craindre de voir leur business ou leurs emplois disparaître avec les changements à venir” (ibid).

Ce reproche est apparu notamment vis-à-vis de certains clusters où sont présentes de grandes entreprises. “Notre projet de startup innovante dans les paiements n’a pas eu le soutien de (la grande entreprise locale) qui travaillait sur un projet similaire” indique Raphael Suire, Maître de Conférence à l’Université de Rennes-1. Cette présence ne doit pas conduire à limiter la capacité d’innovation des startups.

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

1.5. Considérer que les startups sont de simples sous-traitants des grands groupes

“Une startup (BtoB) a besoin de contrats” rappellent Arnaud Michard de Bouygues Telecom et Louis Chatriot de Local Motion. "Notre PDG souhaite que l’entreprise travaille plus avec des startups” détaille A. Michard. “Le parrainage interne dont bénéficient les startups de l’accélérateur de Bouygues Telecom augmente leurs chances d’avoir des contrats avec nous”.

Mais Benoît Jeanvoine de BPI rappelle qu’il existe des blocages culturels dans les grandes entreprises : “les mentalités sont restées du type donneurs d’ordre - sous-traitants”. Mickael Desmoulins de Renault : “sur la partie amont, en phase de recherche et développement, il y a un intérêt pour les startups à co-construire avec nous”. Aujourd'hui l’entreprise n’est pas organisée pour coopérer étroitement sur les phases aval avec des startups. Pour travailler avec le coeur de métier, il faut être “au panel”, c’est à dire référencé dans les circuits d’achat et de coopération”.

Nicolas Colin considère que les startups n'ont pas intérêt à devenir sous-traitantes des grands groupes : “La

politique d’achat des grands groupes exploite une filière ultra-optimisée : ce n’est pas favorable à l’innovation”. Par ailleurs, “lorsque les startups échouent, au lieu de recommencer avec l’expérience : elles deviennent de mauvais prestataires des grandes groupes et n’innovent plus”.

1.6. Faire survivre trop longtemps des projets qui n’ont pas prouvé leur viabilité

“Le doublement des crédits ne fait pas le doublement de l’innovation” (Philippe Méda). “Au lieu de fermer leurs boîtes et d’en recommencer une autre avec l’expérience acquise, les fondateurs restent enfermés à ce stade intermédiaire” (Nicolas Colin). La startup qui ne trouve pas son modèle économique, pas de ressources propres et/ou de financement doit disparaître le plus tôt possible pour conserver des moyens notamment financiers de rebondir.

C’est pour cette raison notamment que les programmes les plus recherchés (Y Combinator aux USA, Numa à Paris) ont une durée courte. Quelques semaines à 6 mois maximum suffisent pour trouver un partenaire qui s’engagera à plus long

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

terme (ex. : capital-risqueur). Ensuite ce sont les actionnaires de la startup qui l’accompagnent dans les phases ultérieures. Dans le cas contraire, les fondateurs peuvent se joindre à un autre projet, recommencer un autre avec les enseignements du premier, ou être embauché par des entreprises.

1.7. Créer un lieu “vide”

Thibault de Jaegher, de l’Usine Digitale, estime à 350 le nombres de structures identifiées d’aides à l’innovation. En faut-il de nouvelles ? “Ne faites pas des locaux + des gens + du Wifi, il y en a déjà des dizaines qui ne donnent rien” (Philippe Meda).

Les personnalités interviewées ne contestent pas l’utilité d’un lieu, mais considèrent que bien d’autres questions doivent être examinées avant : “Créer un lieu, pour quoi faire ? Avec qui ? Les gens vont-ils jouer le jeu ou pas ? Il y a un vrai risque de monter un lieu vide” (Paul Richardet, NUMA). “Le lieu est une boîte, l’important ce sont les gens : ce sont eux qui inventent, qui développent, qui adaptent. Le lieu n’est que l’emballage des relations entre acteurs et des interactions qui y ont été négociées. Il faut d’abord travailler sur

le réseau avant de l’enfermer quelque part” (P. Richardet).

Un autre risque est de réduire et enfermer l’éco-système. Cette réduction peut être liée à des critères de sélection territoriaux : “Actuellement les lieux sont financés par des acteurs locaux qui défendent leur territoire. Ces lieux ont l’obligation de travailler avec des gens qui développent des emplois sur place. Cela pose le problème des compétences et des financements dédiés et affectés.”(Guillaume Uster, IFFSTAR).

1.8. Ne pas soutenir au bon moment

Actuellement se créent un nombre très important de lieux et de structures pour le early stage, le début de la vie d’une start-up. “En France on ne manque pas d’aides pour le démarrage, avec les fonds d’amorçage comme BPI et le réseau des Business Angels” (Benoît Jeanvoine, BPI). En revanche pour la phase suivante (les 3 ans qui suivent), on manque de fonds. On a toujours “la vallée de la mort” après l’amorçage car nous n’avons pas de fonds dédié pour cette phase”. Les startups qui ont démontré que leur produit rencontrait le marché doivent se développer

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

rapidement. Or, c’est à ce moment que l’argent manque dans l’écosystème français. “L’indicateur Chausson, qui recense les sommes investies dans le capital-risque en France, montre un certaine stabilité alors que le nombre de projets à financer augmentent (...) Au moment où elles doivent se développer on leur demande de faire “preuve de raison” alors qu’en Israël ou à aux USA elles bénéficieront de soutien. C’est un problème européen” note Arnaud Michard (Bouygues Telecom). “Les startups françaises ont un problème de sous-capitalisation”.

nb : la question spécifique du financement des startups

en phase de développement n’a pas été étudiée en détail

dans cette étude.

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

2 / Ce qu’il faut faire

2.1. Développer avant tout une culture de l’innovation

Philippe Méda : “la notion de lieu est un enjeu qui peut être traité à la fin car ce n’est pas ce qui va faire la différence”. ”Ce n’est pas le lieu qui est important, c’est la culture que tu mets dedans : l’ambiance, la doctrine, la déco, la configuration…” confirme Nicolas Colin. “L’innovation c’est un état d’esprit, une culture. Pas un lieu ou une structure” (Olivier Ezratty). Éric Poyeton : “pour innover sur la mobilité, il faut jouer sur les compétences, les processus, mais il faut aussi faire germer un état d’esprit innovant et agile”.

2.2. Comment favoriser cette culture ?

Paul Richardet, du Numa : “Il faut créer de l'envie, du besoin, une dynamique interne et positive. C’est la matérialité réelle et symbolique de l’écosystème qui importe. Il faut d’abord travailler sur le réseau avant de l’enfermer quelque part”. Ne pas vouloir tout faire et tout décider seul : “Qu’est-ce que veut l’écosystème ? Il faut en avoir une vision claire, identifier les acteurs notamment les petits, ceux qui n’étaient pas identifiés jusqu’alors et qui sont peut être les pépites de demain. Créer un espace pour les nouveaux entrants.” La notion de culture est indissociable de celle de l’écosystème qui la pratique. “Un écosystème permet de faire naître de nouvelles idées, les tester, les accompagner et les protéger” (P. Richardet, Numa). Sinon c’est “5 ans de travaux et je décide tout tout seul”.

Pour cela, les structures développent des animations, évènements, différents formats de rencontres et de partenariats. Par exemple le Camping à Paris propose aux grandes entreprises des formats d’accompagnement sur la durée comme le Data Shaker ou le parrainage de promotions de l’accelérateur. Le Numa accueille aussi plus de cent évènements par ans dans

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

ses murs, dont la moitié est laissée à l’initiative de ses membres.

Grâce à cette culture partagée, la génération de projets sera facilitée : “Il faut créer un espace pour les nouveaux entrants. Un écosystème permettant de faire naître de nouvelles idées, les tester, les accompagner et les protéger” (Paul Richardet, Numa).

2.3. Sélectionner les projets qui n’ont pas déjà leur place ailleurs

“Il faut permettre l’émergence d’innovations hors du pipeline, celles qui ne correspondent pas à un lancement de produit proche et pour lequelles nous ne bénéficions pas ou peu de données” dit Philippe Meda. Pour cela, il faut “faire une anti-sélection de projets (...) refuser les business as usual, les projets purement technologiques (...) recommande-t-il.

La sélection des startups doit encourager celles qui recherchent de nouvelles manières d’accéder au marché, de faire évoluer les usages, les tendances, les réglementations. “Il faut mettre en place des dispositifs pour explorer des marchés qu’on ne connaît pas et sur lesquels on a pas ou peu de données (...) des dispositifs qui

mettent en évidence la partie délicate et risquée : quand on ne sait pas où, par qui et comment vont se construire de nouveaux modèles économiques” (Philippe Méda).

Pour cela il faut favoriser le foisonnement et la prise de risque : “Très souvent les startups ne sont pas repérables et les bonnes idées innovantes ressemblent à de mauvaises idées au départ” indique Nicolas Colin.

2.4. S’appuyer sur des “connecteurs”

Olivier Ezratty, consultant et auteur du Guide des Startups, souligne le rôle des mentors dans les processus d’innovation des startups. Ces mentors peuvent être des consultants, des experts indépendants ou des salariés de grandes entreprises ou de startups (c’est le cas par exemple de Louis Chatriot de Local Motion).

Le mentor apporte son expertise sur des domaines ou des phases précises de développement. Les mentors connectent les startups au marché, notamment en BtoB. Pour les grandes entreprises, c’est à fois donner et apprendre : “Devenir mentor dans un lieu externe aurait beaucoup de sens pour nous” précise Mickael Desmoulins

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

de Renault. Dans la Silicon Valley les mentors sont souvent des alumnis (anciens des incubateurs) qui “rendent ce qu’on leur a donné” en aidant les startups (Louis Chatriot).

Au-delà des aspects matériels, la connexion avec l’écosystème est essentielle pour une startup. Arnaud Michard de Bouygues Telecom Initiative : “quand on est une startup on ne connaît personne (...) au début c’est hyper dur de rencontrer des gens”. Nicolas Jaulin, fondateur de Pysae, jeune startup de géocalisation : “dans le transport il y a des grandes entreprises et organisations : pas facile d’entrer en contact avec la bonne personne; il faut avoir des relations, ou gagner des concours”. Un mentor peut mettre en relation la startup avec des contacts précieux pour elle.

“Rencontrer des mentors de l’industrie a une double utilité : ils t’aident mais ils peuvent aussi être clients de ton produit en BtoB” (Louis Chatriot).

2.5. Concentrer les services pour libérer les créateurs

Les créateurs de startups sont dédiés à 100% au développement de leur produit et à l’exploration de son marché : ils n’ont ni le temps ni les moyens de démarcher, se renseigner, rechercher de l’information ou accomplir des formalités. Ces tâches doivent leur être facilitées. Nicolas Jaulin : “nous aurions besoin d’un guide clé-en-main, d’un guichet unique à toutes les étapes”. Le Guide réalisé par Olivier Ezratty est une aide précieuse. Des “connecteurs” pourraient également compléter le dispositif en l’adaptant aux besoins spécifiques de chaque startup.

C’est le principe développé par des structures comme Y Combinator en Californie, ou The Family à Paris. Plutôt que de concentrer les entrepreneurs, ce sont les ressources qui le sont : juristes, experts, connecteurs, communiquants. Ils sont accessibles à tous les “incubés” en un même lieu. Des évènements

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

sont également organisés, dans les murs - un dîner par semaine avec des personnalités extérieures - ou hors les murs, avec des tournées d’investisseurs en Europe (Numa) ou dans la Silicon Valley (The Family).

2.6. Donner des “terrains de jeux” matériels et immatériels

Romain Lacombe (Etalab) : “l’innovation a autant besoin de ressources que de permissions et de possibilités”.

Les startups doivent pouvoir innover dans tous les domaines, y compris juridiques et modèles d’affaires.

Pour cela, des capacités de tests et d'expérimentation sont essentielles. Il peut s’agir de pistes d’essais techniques, comme celles développées par le Pôle LUTB, mais aussi de plateformes technologiques, de données ou de webservices. Le programme Paris Région Lab met à disposition de 40 projets de mobiliers “intelligents” des espaces publics et du mobilier urbain, sur lequels les expérimentateurs peuvent interfacer leurs prototypes. Romain Lacombe (Etalab) propose que les “quartiers numériques” soient aussi ceux dans lesquels il serait possible d’innover sur le mobilier urbain.

L’innovation a aussi besoin de “terrains de jeux” juridiques. La récente actualité sur le conflit taxis/VTC l’a souligné : beaucoup de startups innovent sur les aspects juridiques et modèles d’affaires. Le soutien à l’innovation doit intégrer des “permissions” de modifier ou adapter ces règles afin notamment de prendre en compte les capacités offertes par la technologie : mise en relation individualisées, personnalisation, temps réel, désintermédiation.

Le statut particulier de la startup - précarité, caractère éphémère - pose également la question du statut juridique de ses fondateurs. Raphaël Suire (Université de Rennes-1) souligne le manque de passerelles entre l’université et l’entreprise. Les étudiants qui portent un projet de startup pendant leurs études n’ont plus de statut une fois celles-ci achevées. Il faut “bricoler” des conventions de stages.

Les terrains de jeux peuvent être managériaux également. Chez Renault, Mickael Desmoulins souligne le besoin pour les salariés du groupe de disposer de “terrains de jeux” neutres, “hors des silos de l’entreprise”. D’où la création de fablabs internes, ouverts aux membres de l’entreprise.

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partie 2 / Comment soutenir l’innovation aujourd’hui ?

2.7. Favoriser une nouvelle coopération entre startups et grands groupes

Les entreprises ne doivent pas avoir peur de travailler avec des startups. Romain Lalanne (opendata SNCF) indique que “beaucoup de grands groupes ont peur de travailler avec startups, car ils y voient un risque de perte de compétitivité”. “Organiser des rencontres entre agents SNCF et startups a pu représenter un choc culturel pour certains” au début, mais la SNCF tire un bilan très positif de sa collaboration avec Le Camping (incubateur de Paris) : “travailler avec des startups est une nouvelle façon d’innover; on est sur un enjeu de transformation en interne”.

2.8. Quel est le bon type de relations entre grands groupes et startups ?

Pour Nicolas Colin, il existe deux façons principales pour les grands groupes de travailler avec les startups :

• les racheter, notamment celles qui ont échoué : “cela permet de faire entrer dans ton entreprise des entrepreneurs exceptionnels, qui ont une culture d’exécution très forte; plutôt que d’investir dans les startups au début, ce qui peut bloquer d’autres

actionnaires, N. Colin recommande de les racheter “à l’arrivée pour y faire entrer des managers que les recruteurs n’auraient pas vu”

• mettre à disposition une plateforme de ressources : créer des plateformes de données et des webservices permettant aux startups de créer des applications; il s’agirait de plateformes ouvertes à tous avec des conditions générales, sans négociation de gré à gré, à l’image des AppStores.

La culture de l’innovation appelée de tous les voeux ne se fera pas sans des changements profonds à tous les niveaux de l’économie : changer les mentalités, apprendre à coopérer, faire confiance, libérer les initiatives et ouvrir les ressources. Le “lieu” proprement dit n’est qu’accessoire, même si il porte en lui les symboles de ces changements.

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partie 3

Créer une “vallée des mobilités”

• Favoriser l’innovation “out of the box”

• Révéler et faire vivre l’éco-système

• Donner des permissions plutôt que des moyens

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

1 / favoriser l’innovation “out of the box”

1.1. Faire une “anti-sélection” de projets

Le rapport Manceau-Morand (précité) l’a rappelé : il serait illusoire de ne prétendre sélectionner que les “innovations disruptives”. Pour autant, il serait vain de soutenir des “pseudo-innovations”, qui ne font par exemple que reproduire le passé en y ajoutant de la technologie.

La sélection doit par conséquent s’opérer d’abord par défaut, en éliminant les projets qui apparaissent comme de simples anticipations de tendances, sur des marchés connus, avec des capacités d’exploration limitées.

Trois éléments principaux sont pris en compte dans la sélection d’un projet :

• l’équipe,• le produit (ou l’idée de produit)• le(s) marché(s) visé(s)

Ce n’est pas tant l’expérience de l’équipe qui est recherchée que sa capacité à “exécuter”: délivrer le produit au marché. Nombreux sont les succès venant d’entrepreneurs qui “n’avaient jamais fait cela avant”. La qualité du produit se définit elle par la manière dont il est adopté par le marché, et par ses qualités intrinsèques : simplicité, rapidité, fonctionnalité,…La taille du marché est à la fois le nombre de clients potentiels et la capacité de croissance.

Il n’y a pas de recette miracle pour “trouver le prochain Blablacar”. En revanche, de bonnes pratiques permettraient de progresser dans la sélection, l’accompagnement et le suivi des startups, augmentant leurs chances de succès. Au-delà, ces pratiques permettraient de révéler une “autre vallée” qui s’ignore : l’écosystème des nouvelles mobilités.

Nous proposons ici une esquisse de ce que pourrait faire une structure de soutien à l'innovation dans les nouvelles mobilités.

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

La sélection prend en compte également le “portefeuille” de projets au sein de la même structure : éviter la concurrence entre solutions, favoriser les complémentarités et répartir les risques.

Les modes de sélection des startups est majoritairement le “pitch” : de courtes présentations orales concrètes, allant à l’essentiel. Elles visent à mettre en avant les problèmes que le produit envisage de résoudre, les avantages compétitifs attendus et les premiers retours du marché (personnes intéressées, premiers clients, croissance). Avantage : ces méthodes sont peu coûteuses et ne nécessitent pas de passer par des intermédiaires spécialisés.

1.2. Mettre en tension les projets

Une fois sélectionnée, la startup se met au travail au sein de la structure. La recherche du “product/market fit” (adéquation entre un produit et un marché) ne prend pas des années lorsque l’entreprise est bien encadrée et qu’elle pratique des méthodes agiles. Quelques semaines suffisent à créer un produit minimum viable et le tester auprès du marché. Une fois le modèle

validé, le processus est plus long mais les éléments sont réunis pour progresser.

C’est pourquoi la méthode préconisée privilégie des cycles courts (3 à 6 mois) en phase de démarrage. Ces cycles courts permettent de :

• limiter la consommation de ressources

• itérer rapidement avec le marché, en faisant évoluer son produit et/ou ses cibles

• sélectionner les équipes à même de “délivrer” leurs produits et cibler leurs marchés

• privilégier la mort rapide des projets ("fail fast, fail often") pour “renaître” avec de nouveaux projets, plutôt que de perdre du temps et de l’argent à développer des projets dont le marché ne veut pas.

À la fin de cette période, les startups doivent trouver des financements auprès d’investisseurs spécialisés pour continuer leur développement.

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

1.3. Former et accompagner

La formation et l’accompagnement des entrepreneurs portent sur divers sujets :

• la veille sectorielle sur les marchés, les solutions et les modèles

• l’apprentissage du travail en équipe• la pratique des méthodes agiles de

conception, de test et d’itération• l’aide au prototypage• la recherche de marchés• le customer development, le

marketing et la communication• ...

L’accompagnement peut prendre plusieurs formes : aide individualisée, ateliers, conférences, visites et rendez-vous externes avec des clients, des investisseurs. Les formations peuvent être structurées en sessions internes, ouvertes au public ou partagées en ligne (e-learning, MOOC). La proximité des startups entre elles, permanente ou temporaire (à l’occasion d’évènements ou de formations) permet d’échanger et de partager les savoir-faire.

L’accompagnement implique en contrepartie pour la startup de rendre compte sur les avancées des différentes phases de développement et sur ses orientations.

Cet accompagnement est dispensé par des professionnels, salariés de la structure, mais aussi par des mentors et experts prestataires ou bénévoles. D’anciens entrepreneurs apportent expérience et relations à la structure.

1.4. Créer un guichet unique pour les entrepreneurs

Les entrepreneurs ont besoin de se concentrer sur ce qu’ils savent faire : concevoir, développer et vendre leurs produits. Les spécificités des startups s’accomodent peu des structures traditionnelles de soutien à la création d’entreprise : formes juridiques et pactes d’actionnaires particuliers, problématique des levées de fonds, importance de la propriété intellectuelle,...

Or les ressources spécialisées (juridique, comptables,...) sont rares et souvent dispersées. Concentrer ce type de ressources semble un moyen efficace d’aider les entrepreneurs aux différents stades de leur projet. Certaines strucures proposent déjà des packages de services : juridiques, comptables, y ajoutant des aides pour la communication ou le marketing numérique.

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

2 / révéler et faire vivre l’écosystème

La particularité de l’écosystème des nouvelles mobilités est qu’il n’entre pas dans les limites prédéfinies d’une filière ou d’un secteur industriel. La première tâche d’une structure dédiée à l’innovation sera de le révéler, en connectant ses membres pour exprimer le potentiel de leur coopération.

2.1. Connecter

Une startup s’inscrit dans un triangle de relations avec les grandes entreprises et les investisseurs.

La startup a besoin de connexions avec les entreprises présentes sur le marché qu’elle vise (distributeurs, fournisseurs d’accès, opérateurs téléphoniques, transporteurs,...) ainsi qu’avec les investisseurs pour être soutenue financièrement.

En particulier, les “premiers pas” doivent être favorisés pour les nouveaux

entrants dans l’écosystème : de l’université à la startup (quel statut pour les anciens étudiants ? quelles connexions ?), de la startup vers les grands groupes (quelles relations ?), des grands groupes vers les startups (quels contrats ?).

L’ouverture des grandes entreprises et des PME vers les startups est une des clés de voûte de cet écosystème. Ni relation de sous-traitance, ni concurrence, cette ouverture doit profiter également aux deux parties pour réussir l’innovation en matière de nouvelles mobilités. La Silicon Valley, souvent citée en exemple, se caractérise par la proximité et la qualité des relations entre grands groupes et startups.

Il est essentiel enfin que ces trois “points du triangle” soient reliés à un écosystème qui inclut également les mentors, les acteurs publics, l’enseignement, la recherche,...Une structure publique a un rôle de facilitateur essentiel à y jouer.

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

2.2. Révéler

Les animations et évènements sont indispensables pour connecter les différentes parties prenantes de l’écosystème : formations (voir plus haut), conférences, ateliers, rencontres avec des professionnels, des mentors, anciens entrepreneurs et investisseurs. Ils doivent être ouverts largement pour attirer des publics non identifiés au préalable comme faisant partie de l’écosystème.

Ces animations doivent être co-produites par les membres et partenaires de la structure (grands groupes), les mentors, et les startups elles-mêmes. Cette co-production garantit implication des parties prenantes, pertinence et renouvellement des sujets présentés.

Ces pratiques sont déjà mises en oeuvre par certaines structures comme le Numa à Paris. Elles posent cependant la question de la capacité à dupliquer ce type de schéma : les orateurs, accompagnateurs, experts et mentors sont des ressources rares; les grandes entreprises qui y participent ne sont pas représentées sur tout le territoire. L’écosystème aujourd’hui est très centralisé et ne semble pas pouvoir être “transposé” facilement.

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

3 / donner des permissions plutôt que des moyens

Les acteurs rencontrés ont insisté sur la nécessité de ne pas enfermer l’innovation, mais au contraire de la libérer. L’innovation est dans le hasard et la sérendipidité. Elle ne se provoque pas, elle se constate. Pour favoriser le foisonnement des idées et leur créativité, il faut proposer des accès, des ouvertures, des autorisations de faire. Les startups ont besoin aussi de capacités de test de leurs solutions pour faciliter leur prototypage. De plus en plus de projets nécessitent également l’accès à des données et des services (cas du transport).

3.1. Proposer des “terrains de jeux”

Disposer d’un “terrain de jeux” consiste à bénéficier de l’accès à des fonctionnalités, des données, des capacités de test,..appartenant à des tiers ou la collectivité. C’est également disposer de “permissions” temporaires ou définitives permettant de s’affranchir de certaines règles ou principes afin de libérer l’innovation.

Cette notion de “terrain de jeu” diffère de celle d’expérimentation. L’expérimentation implique le plus souvent un cadre strict en amont et une destination fléchée des résultats en aval.

La formidable réussite des Appstores d’Apple et Android démontre la puissance de modèles où une organisation ouvre à d’autres ses fonctionnalités et facilite leur réutilisation. L’entreprise qui ouvre sa plateforme considère que la puissance et la créativité de l’ “extérieur” sont supérieures à celles dont elle dispose.

La plateforme devient un “terrain de jeu” pour les développeurs. Ils y disposent d’une grande liberté, sur la base de règles préétablies et non de négociations de gré à gré. L’attractivité des applications créées renforce l’attractivité de la plateforme en créant un écosystème autour de ses solutions. Ce modèle est très différent du modèle traditionnel de relations clients/fournisseurs qui prévaut encore dans beaucoup de secteur, dont celui des mobilités.

"L'innovation ne se provoque pas, elle se constate"

"Considérer que la puissance et la créativité sont plus fortes à l'extérieur qu'à l'intérieur de son organisation"

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

Les pouvoirs publics disposent par essence d’une grande capacité à créer des plateformes : la décision du gouvernement américain de rendre accessible aux usages civils le système GPS de géolocalisation par satellite a ouvert une ère de développement et d’innovations sans précédent dans de nombreux domaines. Les réseaux routiers, ferroviaires, de communications,... sont des plateformes. Les futures “régies de données” seront des plateformes pour créer des applications ayant pour ingrédients les données des villes et grands services publics.

3.2. Accéder à des données et des services

Le fait de conserver des données hors de portée des tiers est un frein nettement plus important que le manque de moyens.

Dans le cas des nouvelles mobilités, les acteurs publics et privés génèrent une masse importante de données - infrastructure, offre, usage - qui pourraient servir de socle à la création de milliers de services. En particulier elles pourraient aider à la génération d’applications situées en aval des

solutions existantes : information voyageurs, aide au déplacement, pricing, distribution des titres, relation-client,...L’hypothèse est que l’ouverture et l’accès organisés à ces données (documentation, web services,...) génère des applications dont personne n’avait pu avoir l’idée auparavant.

L’accès à des “briques” de données et service permet également de gagner du temps et créer des solutions “over-the-top” : par exemple, s’interfacer avec une solution de cartographie plutôt que de la créer de toutes pièces. Chaque “brique” gère ses propres développements et mises à jour, profitant à l’ensemble des solutions interfacées.

Pour cela, il est essentiel que ces interfaces soient disponibles sans conditions en amont (sélection des réutilisateurs) ou en aval (restrictions d’usage).

"Ouvrir ses données pour générer des applications dont personne n'avait pu avoir l'idée auparavant"

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partie 3 / Créer une “vallée des mobilités”

De même, il est vain de penser que cette ouverture peut donner lieu à un retour sur investissement direct et immédiat. Les données brutes n’ont pas de valeur intrinsèque. C’est leur transformation en services qui va (peut-être) en créer. Le succès de ces services contribue alors au succès des plateformes qui les accueillent ou qui sont interfacées avec elles. Ainsi, le réseau de transport qui ouvre ses données pour permettre la création d’applications innovantes verra sa fréquentation augmenter grâce à ces applications.

De compétition ou sous-traitance, les acteurs passent à la co-opétition et la sur-traitance, inventant de nouvelles formes de collaboration. On assiste ainsi à des “échanges de données” entre autorités publiques et entreprises privées : des solutions comme Moovit ou encore MotionLoft transmettent une partie des données qu’elles collectent aux collectivités en échange d’accès à d’autres données ou services (San Francisco, ou Rio pendant la Coupe du Monde). Une entreprise comme Tesla (voitures, bornes et batteries électriques) ouvre l’accès à ses brevets afin de favoriser le développement d’un écosystème autour de ses solutions.

3.3. Accéder à des plateformes techniques

L’accès à des plateformes de tests et d’ingénierie techniques est stratégique pour des startups technologiques. Comme pour les données, des modèles de coopération sont à imaginer pour favoriser l’innovation “avec et par l’extérieur”.

L’accès à des laboratoires, ateliers et “fablabs” (ateliers de fabrication) ouverts permettrait de disposer d’outils, de machines, mais aussi de conseils et d’échanges.

De même, les entreprises travaillant sur des objets, des interfaces ou des solu-tions en rapport avec le mobilier urbain devraient pouvoir bénéficier d’ “accès” à ce mobilier pour tester leurs solutions.

Créer de toutes pièces des “villes virtuelles” ne répond que partiellement aux besoins : en effet, c’est la réponse du marché - des utilisateurs - qui détermine les progrès et le succès du projet. Celle-ci ne peut être recréée “in vitro”. Les futurs quartiers numériques pourraient être le cadre de ces “laboratoires vivants” : des territoires pionniers pourraient accepter d’être le terrain de jeux d’entreprises, organisations et laboratoires à la recherche d’innovations dans le domaine des mobilités.

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3.4. Accéder à des “oasis juridiques”

De nombreux succès récents portent autant sur les fonctionnalités proposées que sur le modèle d’affaires : louer plutôt qu’acheter, partager, échanger, mettre en relation,... Ces situations peuvent se confronter aux réglementations en vigueur, comme le montrent l’exemple de Booking, Airbnb ou Uber.

De même, la Google Car a montré que des innovations radicales - une voiture sans conducteur pilotée par des logiciels - nécessitent des changements législatifs pour permettre leur utilisation.

Des territoires pionniers pourraient autoriser localement et/ou temporairement la déréglementation de certains secteurs, afin de servir de terrain de jeux à des startups. On pourrait imaginer des villes accueillant des drones, des robots, des voitures sans conducteurs, ou encore autorisant des modifications du code de la route, du stationnement, des tarifs de services publics,...Bien évidemment cette déréglementation devrait respecter les droits des tiers, en particulier la sécurité.

Ceci créerait un appel d’air pour les startups qui travaillent aux franges de la réglementation. Des systèmes d’évaluation permettraient de tirer les conclusions de ces expériences, afin de faire évoluer ou non la réglementation nationale par la suite.

3.5. Accéder de manière privilégiée à des marchés publics

Les collectivités pourraient développer une politique d’achat plus favorable aux startups et à l’innovation de rupture. Ceci signifie par exemple :

• donner un accès privilégié aux très petites entreprises dans leurs appel d’offres (exemple du Small Business Act américain)

• accepter d’acheter ou participer à l’achat de produits ou services “en l’état futur” et qui ne seront peut-être jamais mis en service (exemple du crowdfunding).

Cette mesure pourrait être couplée avec celle créant des “oasis juridiques”.

"Les quartiers numériques pourraient être les terrains de jeux des entreprises innovantes"

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Juillet 2014 - Ademe 41

ConClusion

L’innovation aujourd’hui ne s’impose plus. Elle ne se déclare plus. Elle se constate, dans l’adoption massive par le marché d’une technologie, d’un service ou d’un usage. Ce changement de paradigme nécessite d’adopter une approche plus modeste, résiliente et plus “apprenante” de l’innovation.

Pour les acteurs traditionnels du transport la question aujourd’hui n’est plus : “comment lutter contre les changements et défendre nos positions ?”, mais “comment apprendre nous aussi à inventer des services de mobilités qui soient adoptés par nos clients ?”.

Les personnalités interrogées dans cette étude considèrent que les démarches d’innovation actuelles sont peu efficaces pour relever ces défis : trop prévisibles, trop lourdes, trop ciblées sur les seules technologies. Ces méthodes passent à côté de ce qui fait le succès des “nouveaux entrants” : la capacité à trouver l’adéquation produit/marché en s’appuyant sur des technologies existantes et passer à l’échelle rapidement. Et surtout, ces

démarches privilégient les grandes entreprises au détriment des startups, têtes chercheuses de l’innovation moderne.

Le défi de l’innovation à l’ère d’internet est de faire confiance à la capacité créative de chaque partie pour faire progresser l’ensemble de l’écosystème. Ceci suppose pour la filière d’accepter de ne plus tout maîtriser et de se mettre au service des autres acteurs, déjà identifiés ou non. De créer les conditions de réussite et ouvrir ses ressources, sans savoir à l’avance ce qu’il en adviendra.

Les pouvoirs publics ont un rôle essentiel à jouer : ils maîtrisent l’infrastructure physique et légale; ils peuvent favoriser la diffusion des externalités positives générées et jouer le rôle d’intermédiation entre tous les acteurs pour identifier et lever les barrières. La tâche est immense, tant la filière des nouvelles mobilités s’ignore encore aujourd’hui. Elle est passionnante, car l’essentiel des changements est devant nous.

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Juillet 2014 - Ademe 42

ConClusion

Le dispositif proposé dans cette étude n’a pas vocation à être exhaustif; il s’agit ici d’une esquisse. Ce ne sont que des pistes dont l’application doit être testée, améliorée et surtout négociée avec les parties prenantes. En revanche, ce dispositif ne peut être mis en oeuvre partiellement : l’accès aux ressources, l’accompagnement, la capitalisation par la formation et l’animation sont indissociables.

La création d’une nouvelle culture de l’innovation en France est appelée de tous les voeux. Le secteur des nouvelles mobilités, au croisement des modes de vie et de la technologie, peut en être le fer de lance tant il touche à la fois nos vies quotidiennes, nos territoires et nos industries. C’est une chance qui se présente pour les citoyens, pour les entrepreneurs et pour l’environnement.

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