Actes du Colloque sous régional Causes et moyens de prévention ...

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Organisationdes Nations Unies

pour l'éducabon,la sCience et la culture

Actes du Colloguesous régional

Causes et Moyens de Prévention desCrimes Rituels et des Conflits

en Afrique Centrale

Libreville, 19-20 Juillet 2005

suivis desActes de l'Atelier sous-régional de formation

Mécanismes Traditionnels de PréventionJes Conflits en Afrique Centrale

SupervisionMohammed BACHIRIReprésentant de l'UNESCO

CoordinationVioleta AGUIARChargée du Programme Culture

Couverture et mise en pageMichel Elvis KENMOEChargé du Programme Communication

ImpressionImprimerie DFIB.P. 6830 Libreville - GabonTél: + 241 73 82 16/ Fax: + 241 73 2749

Pour plus amples informations, prière s'adresser au :Bureau Multipays de l'UNESCOB.P. 2183 Libreville - GabonTél: (241) 76 28 79Fax: (241) 76 2814E-mail: [email protected]

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Les faits et opinions exprimés dans cet ouvrage sont ceux des auteurset ne reflètent nécessairement les vues de l'UNESCO.

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LBV-CLT

© UNESCO 2009. Tous droits réservés

Table des matières

Avant propos

Introduction générale

Communications

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Sous-thème 1: Les fondements culturels des crimes rituels etdes conflits en Afrique Centrale

Délits de langue et crimes rituelsAuguste Moussirou Mouyama (Gabon) [23]

Recours aux crimes rituels pour des raisons mystiques, de prospéritéou de promotion socialeAwazi Mengo Meme (RDC) [31]

L'Afrique des Etats et le défi de la modernité. Communication surla modernité africaine et responsabilité d'apprendre à fairecommuniquer l'art de gouverner les hommes.Abbé Dominique Kahanga (RDC) [47]

Les causes profondes des crimes rituels et des conflits en AfriqueCentrale (Cas de la République Centrafricaine)Lucien Dambale (RCA) [53]

Causes et moyens de prévention des crimes rituels et des conflits enAfrique centraleRév. René Futi Luemba (RDC) [61]

L'éducation des enfants pygmées« batwa» en Républiquedémocratique du Congo: valoriser le savoir autochtone pourpromouvoir une éducation citoyenne interculturellePro A.S. Mungala (RDC) [77]

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Les outils utilisés et utilisables par les confessions religieuses et lesassociations initiatiques dans la lutte contre les crimes rituels enAfrique centraleCheik Oumarou Djibril Malam Djibril (Cameroun) [91]

L'Action de l'Eglise pour la Paix au CongoAlbert Tetsi (Congo Brazzaville) [95]

Mitos em S. Tomé e Principe [Les mythes en Sao Tome et Principe]Armindo Aguiar (Sao Tomé et Principe) [17]

Sous-thème II: Dispositions juridiques et pénales etmobilisation de la société civile pour la lutte contreles crimes rituels en Afrique centrale: moyensd'action, outils (juridiques, intellectuels, culturels,sociologiques...)

Les dispositions pénales applicables en matière de crimes rituels auGabonMathieu Ndong Essono (Gabon) [119]

Le sacrifice rituel. Un fléau social: les moyens de l'endiguerDominique Essono Atome (Gabon) [125]

Les sacrifices humains au Gabon devant l'opinion publique et laconscience de l'EgliseAndré Obame (Gabon) [133]

Sous-thème III: Les outils utilisés et utilisables par lesconfessions religieuses et les associationsinitiatiques dans la lutte contre les crimes rituelsen Afrique centrale

De la réconciliation interne à l'épanouissement (interne) del'individu négro-africain dans les pratiques de la maîtrise socialetraditionnellePro Martin Alihanga, UOB (Gabon) [141]

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L)apport de nslam dans la prévention des crimes rituels en AfriquecentraleImam Ismaël Oceni Ossa (Gabon) [189]

Eglises et crimes rituels: cas du GabonPasteur Emane Minko (Gabon) [193]

Les outils utilisés et utilisables par les confessions religieusesAfricaines et associations initiatiques zande bandia) dans la luttecontre les crimes rituels en Républiques CentrafricaineJérémie Mopili (RCA) [201]

Esquisse de solutions proposées par les confessions religieuses et lesassociations initiatiques dans la lutte contre les Crimes Rituels enAfrique CentraleRévérend Dr. Jean-Emile Ngue (Cameroun) [207]

Les déviations du sacrifice bumain dans les sociétés gabonaisesOrganisation des Chercheurs et Tradi-praticiensdu Gabon (O. C. T. G.) (Gabon) [221]

Déclaration du Collectifdes Familles d'EnfantsAssassinés, Mutilés et Disparus [223]

Propositions du Collectifdes Familles d'EnfantsAssassinés Mutilés et Disparus du Gabon [227]

Rapport Général du Colloque [229]Déclaration de Libreville sur la lutte contre lesèrimes rituels en Afrique centrale [243]

Allocutions [249]

Liste des participants [269]

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Atelier sous-régional de formation sur lesmécanismes traditionnels de prévention des conflitsen Mrique Centrale

Introduction et modules de formationPro Maniragaba Balibutsa [279]

Institutions et mécanismes traditionnels de prévention et derésolution pacifique des conflits au BurundiPro Philippe Ntahombaye [345]

Le rôle de la chefferie traditionnelle dans les mécanismes deprévention et de résolution des conflits dans les sociétés précolonialesdu sud GabonMonique Mavoungou Bouyou née Koumba Manfoumbi [387]

Mécanismes et tratégies socio-culturelles traditionnelles dans larésolution des conflits: fexemple de Aguene et DiamboneSambou Saliou

L'éthique du pouvoir de fAfrique traditionnelle à fAfriquemoderne: question sur le fondement de fEtat de droitDominique Kahanga

Allocutio~s

Rapport final de l'atelier

Annexes

Annexe 1 : Mise en place de la ligue régionale de luttecontre les crimes rituels pour la dignité humaine

Annexe II : Ligue régionale contre les crimes rituelspour la dignité humaine

Liste des participants à l'Atelier

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[407]

[441]

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[443]

[443]

[454] ,

[465]

Préface

Aux conflits armés, qui déjà ternissent suffisamment l'imagede l'Afrique, s'est ajouté depuis quelques décennies, lephénomène des crimes à des fins rituelles, actes qui trahissentles valeurs de fraternité, de convivialité, de solidarité... qui ont,longtemps caractérisé la diversité culturelle africaine danstoutes ses expressions.

La diversité culturelle, nous le savons tous, traduit larichesse des imaginaires, des savoirs et des systèmes de valeurs.Elle est le terreau d'un dialogue renouvelé qui peut débauchersur l'intégration et la participation de chacun au «vouloirvivre ensemble» des sociétés. Ce pari ne peut être gagné que s'ilse fonde sur une diversité créatrice, et non destructrice,respectueuse de chaque expression culturelle, pour autant quecelle-ci s'inscrive dans le respect des droits de l'homme et desvaleurs fondamentales.

Depuis les années 1950, l'UNESCO a élaboré et adopté pasmoins de sept conventions internationales en faveur de laprotection du patrimoine pour préserver la diversité culturelleet revaloriser les traditions culturelles dans les pays de ses étatsmembres.

Ces instruments qui constituent la synthèse de la stratégie del'UNESCO en matière de protection et promotion de ladiversité culturelle, traduisent en termes des droits de l'hommel'article 4 de la Déclaration universelle de la diversité culturellede l'UNESCO:« la défense de la diversité culturelle est unimpératiféthique, inséparable de la dignité de la personne humaine.Elle implique l'engagement de respecter les droits de l'homme et leslibertés fondamentales, en particulier des personnes appartenant à

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des minorités et ceux des peuples autochtones. Nul ne peut invoquerla diversité culturelle pour porter atteinte aux droits de l'hommegarantis par le droit international, ni pour en limiter la porté ».

Le principe directeur de cet article 4 vise la nécessitéimpérieuse de promouvoir, protéger, mettre en valeur lescultures sous toutes leurs formes et les transmettre auxgénérations futures en tant que témoignage de la créativité, desexpériences et des aspirations humaines. Toutefois, lavalorisation des cultures et leur transmission impose à tous unregard objectif sur des valeurs véhiculées par celles-ci car on nesaurait qualifier d'expression ou de tradition culturelles, desactes et des moeurs mettant en danger la vie humaine, telle lapratique des crimes rituels dans les pays de l'Afrique centrale.

Le drame des crimes rituels doit être abordé sanscomplaisance en dénonçant une pratique et des croyancesmoyenâgeuses par tous les moyens. Cependant, il faudrait allerau delà de la dénonciation pour prôner un renouvellement desmœurs et inviter à une réflexion morale et éthique, de tous, surla conception, la gestion socioculturelle et politique dont le butest de mettre fin à ce drame qui continue à endeuiller desfamilles entières, à ternir l'image et freiner le développementde tant de pays dans la région.

Le colloque sur les « Causes et moyens de prévention des crimesrituels et des conflits en Afrique centrale» a été organisé parl'UNESCO - en partenariat avec le CENAREST (Centre Nationalde la Recherche Scientifique et Technologique) l'UNHCR, lePNUD, l'UNICEF, la Banque Mondiale et la Commissionnationale gabonaise pour l'UNESCO. Il a été un cadre deréflexion visant d'une part, à identifier et comprendre les causesstructurelles qui justifiept ou contribuent à pousser l'hommevers la pratique des crimes rituels et d'autre part, à proposer des

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voies et moyens visant non seulement à stigmatiser de tellespratiques mais aussi à résoudre les conflits qui en découlent,tout en renforçant le dialogue interculturel, moteur dudéveloppement de la vie socioculturelle des communautés. Lesprestigieux invités à ce colloque étaient conscients que, pouratteindre cet objectif, il faudrait un dépassement de soi pourélaborer un contrat social de type nouveau permettant à chacund'exercer ses propres pratiques culturelles, dans les limitesqu'impose le respect des droits de l'homme et des libertésfondamentales et le respect des lois des pays concernés.

Mohammed BACHIRIDirecteur du Bureau Multipays de l'UNESCO à Libreville

et Représentant au Gabon, Guinée Equatorialeet à Sao Tome & Principe

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Introduction Générale

Pro Maniragaba BalibutsaConsultant UNESCO

Le 18 mars 2005, le Gouvernement gabonais a convié lesAgences des Nations Unies à une réunion de concertation surdes crimes atroces qui venaient de se produire dans la capitale:deux corps mutilés de jeunes écoliers ont été découverts sur laplage; il s'agit de meurtres rituels. A cette réunion avaient prispart le Ministre d'Etat chargé des Affaires étrangères, de laCoopération et de la Francophonie, le Ministre de la Sécuritépublique et de l'Immigration, le Ministre de la Défensenationale, la Ministre de la Famille, de la protection de l'enfanceet de la promotion de la femme, le Ministre délégué aux Affairesétrangères et l'ensemble des Chefs d'Agence du Système desNations Unies. li était question de demander à chaque Agence,dans le domaine de ses compétences, sa contribution à la lunecontre les crimes rituels, fréquents à l'approche des grandeséchéances sociales ou politiques.

Toute la population est concernée mais, en général, c'estdans les couches les plus vulnérables de la société (les enfants etles femmes) que les victimes se recrutent. Le colloque sous­régional sur «Les causes et les moyens de prévention des crimes rituelset des conflits en Afrique Centrale », dont la tenue avait été déjàenvisagé à l'occasion de la prochaine Journée internationale dela diversité culturelle par le Bureau de l'UNESCO à Libreville etla Division des politiques culturelles et du dialogueinterculturel, constitue une réponse adéquate aux sollicitationsdu Gouvernement gabonais.

Dans le cadre du 32/CS, Grand programme IV (Culture):Intégrer la diversité culturelle aux programmes politiques nationaux etinternationaux, notamment l'Axe d'action 2: Contribution dudialogue interculturel et du pluralisme au respect de la diversitéculturelle, l'UNESCO a mené et continue de mener, des actionsfort significatives en faveur du pluralisme culturel, du dialogue

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interculturel et du dialogue inter religieux permettant ainsi àl'Organisation de promouvoir des valeurs universelles pour lerenforcement de la paix et de la cohésion sociale dans descontextes socioculturels diversifiés. Des approches régionales etthématiques ont été adoptées afin de favoriser et élargirl'échange des connaissances et des meilleures pratiques enmatière de pluralisme culturel dans le cadre du dialogueinterculturel et du dialogue entre traditions spirituelles,religieuses et laïques.

L'UNESCO accorde une importance particulière à touteaction visant à favoriser et renforcer les mécanismes derésolution de conflits. La Conférence sur le Dialogue interculturel etla culture de la paix en Afrique Centrale et dans les Grands Lacs, qui aété organisée à Libreville, en novembre 2003, par le Bureau sous­régional de l'UNESCO, la Division des politiques culturelles etdu dialogue interculturel et d'autres partenaires, en est unexemple. Le Panel 1 de cette Conférence sur le Rôle des chefstraditionnels et spirituels dans les mécanismes de prévention et derésolution de conflits a mis en exergue le savoir-faire et lescompétences des chefs traditionnels et spirituels africains dansla gestion des conflits. Cet espace de dialogue a permisd'aboutir à des conclusions visant à garantir un environnementpropice au pluralisme, à la diversité culturelle, au dialogueinterculturel et inter religieux, tout en considérant certainsmécanismes culturels africains comme des fondementsessentiels du développement durable, de stabilité politique, decohésion sociale et de paix pour la région.

Organisateurs

Ce colloque est organisé par

UNESCO (Bureau de Libreville conjointement avec laDivision des politiques et du dialogue interculturel - ausiège de l'UNESCO) ;Commission Nationale Gabonaise pour l'UNESCO;UNICEF;

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Banque Mondiale;PNUD;HCR;Centre National de la Recherche Scientifique etTechnologique du Gabon (CENAREST).

Sous-thèmes

Les sous-thèmes du colloque sont les suivants:

1) Les fondements culturels des crimes rituels et des conflits enMrique Centrale;

2) Les dispositions juridiques et pénales et leurs limites:efforts fournis et à fournir par les Etats de l'Afrique Centraledans la lutte contre les crimes rituels;

3) Mobilisation de la société civile (les hommes de science,les écrivains, les artistes, les éducateurs, lescommunicateurs...) dans la dénonciation et la lutte contreles crimes rituels en Mrique Centrale: moyens, d'action,outils (juridiques, intellectuels, culturels, sociologiques...),etc.

4) Les outils utilisés et utilisables par les confessionsreligieuses et les associations initiatiques dans la lutte contreles crimes rituels en Afrique Centrale.

Objectifs

Les objectifs visés par ce colloque sont:

-forte sensibilisation des populations sur les crimes rituels;

- contribution à l'instauration d'une opinion publique africainecontre les crimes rituels, notamment, dans la presse écrite etparlée, dans le cadre des prédications religieuses, dans lesprogrammes scolaires, des conférences et publicationsuniversitaires, des causeries-débats de vulgarisation enlangues nationales.

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Termes de référence

Dans certaines zones de l'Mrique et particulièrement enAfrique Centrale, des enfants et même des adultes, continuent àdisparaître sans trace ou à être retrouvés sous forme de cadavresmutilés, ce qui montre qu'il s'agit, dans la plupart des cas, decrimes rituels.

La pratique de crimes rituels qui atteint son niveau defréquence le plus élevé à l'approche des échéances sociales etpolitiques dans lesquelles se forgent de nouveaux destinsindividuels et collectifs, maintient les populations en état destress surtout en ce qui concerne la sécurité de leurs enfantsobligés d'aller chaque matin à l'école.

Une acrion, dans une société donnée, peut être rituelle ou nonrituelle. Elle est rituelle, lorsqu'elle se fait conformément à desrègles et à un cérémonial. Dans cette approche, la notion de ritene se réfère pas nécessairement au surnaturel. Lorsque, dansl'accomplissement d'une action ritualisée, il y a référence ausurnaturel, le rituel peut se définir comme un acte ou unecérémonie magique (avec gestes, paroles ou attitudes desparticipants), à caractère répétitif, ayant pour objet d'orienterune force occulte vers une action déterminée!.

Dans le sens de cette définition d'une action rituelle, laviolence peut être rituelle ou non rituelle. Les affrontementsarmés entre individus ou entre groupes auxquels on peutdonner les noms de bagarre, de lutte, de combat, de bataille oude guerre lorsqu'ils se hissent à l'échelle interethniques ouinterétatiques, ne sont pas nécessairement rituels. Par contre,peuvent être considérés comme des meurtres rituels, les quatretypes de pratiques suivantes attestées en Afrique Centralesurtout dans la période pré-coloniale, mais dont certainessurvivent encore:

1 Comparer avec es déftnitions du rite dans le Grand Usuel Larousse,dictionnaire encyclopédique, 1996, tome 5.

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les sacrifices humains pratiqués dans le cadre d'un rituelinitiatique;

les sacrifices humains pratiqués dans un simple cadrefamilial en relation avec le destin personnel des individusdans le cadre de la croyance à quelque chose comme levampirisme;

les meurtres pratiqués dans le cadre des sociétés de marmitesou par des hommes- léopards car lorsque les cadavres sontretrouvés mutilés, cela exclut logiquement le casd'anthropophagie pure et simple;

l'immolation des esclaves à l'occasion de l'enterrement d'unchef dans la mesure où elle était institutionnalisée et seréférait à une conception de l'Au-delà.

Voyons un peu plus en détail ces différentes fonnes decrimes rituels:

1) Les sacrifices humains pratiqués dans le cadre d'un rituelinitiatique

Bien que toutes les sociétés initiatiques en Afrique Centralene pratiquent pas le sacrifice humain, il en existe un certainnombre tel que le bwiti, qui est l'une des sociétés initiatiques duGabon ayant la stature d'une religion, dans laquelle le sacrificehumain est considéré comme un des épisodes les plusimportants de son événement fondateur. En effet, dans le bwiti,le sacrifice humain primordial est intimement lié à ladécouverte de l'iboga, plante dont la manducation pennetd'entrer en communication directe avec les esprits de défuntsfamiliaux ou autres par la vision. Selon le mythe fondateur decette religion, en contrepartie de la découverte de l'iboga et lavision subséquente des revenants, ceux-ci ont exigé, dès ledépart, un don, un cadeau (okantho), non pas seulement sousfonne de nourriture ou de sang de poule, mais sous fonne desang humain, en commençant par celui de la première

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personne, une femme, en l'occurrence, celle qui a été la premièrebénéficiaire de cette vision. Elle fut immolée par son propremari, deuxième bénéficiaire de la vision des esprits.

Par la suite, toujours selon le mythe, la construction dupremier temple du bwiti, dont le pilier central, l'otunga, est undes éléments les plus importants, exigea l'acte appelé «tegotunga» désignant littéralement «arrache l'otunga» etsymboliquement, «donne quelque chose». Cette expressionimagée fut par la suite utilisée pour demander à quelqu'und'offrir une autre personne en sacrifice.

C'est ainsi que, toujours d'après le récit fondateur du bwitiqui existe sous plusieurs variantes, la personne qui a «donné» lapremière victime humaine en contrepartie de la consommationde l'iboga et de la vision subséquente des morts, a dû également,à l'occasion de l'érection du premier pilier central d'un templedu bwiti, sacrifier le garçon de ses enfants jumeaux. Une desvariantes du mythe nous laisse entendre que, par la suite, larépétition et la multiplication des sacrifices humains mit encolère Nzame (Dieu) qui, pour mettre fin à ces crimes, donnaaux hommes la poule comme substitut des victimes humainesréelles. Voici cette version telle que rapportée par StanislawSwiderski2 sous le titre: «Récit 4, L'origine du Bouiti et de l'iboga»:

« II Y avait dans un village trois frères: Kambi, Ndondo etBay-Bay. Ndondo était marié avec Bandjogho. Après sa mort elleest restée veuve. C'est donc Bay-Bay qui a épousé Bandjogho.

Un jour, ayant faim, Bandjogho est allée à la pêche. Ayant vuun silure rentrer dans le trou, elle a mis sa main dans ce trou.Au lieu d'attraper le silure, elle a attrapé les os d'un homme. Ensortant les os, elle a entendu des voix. Dans ce moment aussiune mouche "olerenzene", est entrée dans son oeil. Ainsi elle apu voir les hommes qui parlaient. Elle a vu aussi son mari

2 Voir son ouvrage qu'il a publié en 1990 en 6 volumes sous le titre Lareligion bouiti; dans le volume II à la page 138.

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décédé. Le mari lui a dit: "Tu as pris mes os, il faut leur donnertoujours à manger." Obéissante à cet ordre, elle apportaitchaque jour de la nourriture à ces os. Après un certain tempsson mari vivant était surpris et étonné que sa femme aillerégulièrement avec de la nourriture vers un endroit précis."Peut-être elle fait des bêtises avec un homme", pensait-il. Alorsil l'a suivie. Pour pouvoir la suivre, le mari, Bay-Bay, a mis dansson panier de la cendre. Ainsi il a pu suivre les traces de safemme.

Étant derrière elle, il a entendu tout à coup la voix disant:Muma, Muma, Muma!" La femme s'est tournée et a vu son marivivant. Surprise, elle a exigé de lui qu'il mange aussi l'iboga. li adonc mangé. La même mouche est entrée aussi dans son oeil.Ainsi Bay-Baya pu voir son frère décédé.

Mais le revenant, après avoir reçu la nourriture, a dit à sonfrère, Bay-Bay: "Parce que tu as vu notre secret, donne-moimaintenant un cadeau, okandzo, comme ta femme m'a donné!"- "Qu'est-ce que je peux te donner, si je n'ai rien ici!" - arépondu Bay-Bay. "li faut quand même me donner quelquechose! ' On a alors tué Muma. C'est son mari, Bay-Bay qui acoupé la gorge de Monjogho. Le corps a été donné en sacrificeau revenant. On a fait la même chose quelque temps après avecun garçon. C'était dans le temps où on sacrifiait les hommes eton les mangeait. Cela fâcha Dieu à la fin. Pour mettre fin à cescrimes, Dieu a donné aux hommes la poule. Voilà le début de lapoule. Cela se passait au temps où Dieu parlait aux hommes.»

Cette version du mythe fondateur du bwiti a un grandavantage sur les autres: elle nous montre très clairement que leculte aux ancêtres ne peut pas être confondu avec la croyance enl'existence d'un Etre suprême, appelé Nzame, Nyambi Nzakomba,etc., créateur de l'univers et des hommes qui n'exige aucunsacrifice humain et qui, finalement, interdit même les sacrificeshumains offerts aux esprits des hommes morts, lesquelssacrifices décimaient l'humanité, sa création. Autrement dit, lebwiti a eu recours, pour répondre à l'impératif d'humaniser sonpropre rituel, à la théologie africaine proprement dite qui n'a

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rien à faire avec l'animisme avec lequel on continue à laconfondre abusivement.

On peut donc présumer qu'à un moment donné de sonhistoire, le bwiti a opéré sa propre réforme et a renoncé auxsacrifices humains et aux autres formes de crimes rituels qui luiseraient liés et que, dans la lutte contre les crimes rituels, ildevrait être un partenaire fiable des confessions religieusesexogènes.

2) Les sacrifices humains pratiqués dans un simple cadre familialen relation avec le destin personnel des individus ou dans le cadrede la croyance au vampirisme

En ce qui concerne les cas de sacrifices humains pratiquésdans un simple cadre familial en relation avec le destinpersonnel des individus, les études spécialisées en ce domainenous disent que ces meurtres rituels, généralementaccompagnés de la mutilation des victimes, sont accomplis dansle cadre de la sorcellerie ou du vampirisme qui semble être unedes croyances les plus enracinées dans la mentalité des peuplesde l'Afrique Centrale. Un des exemples les plus parlant estl'institution de l'akaghé ou kara décrite également par S.Swiderske dans la section intitulée « Akaghé, la rançon pourl'avenir? ».

L'akaghé est fondé sur la croyance selon laquelle «lapuissance des morts se laisse capter et retenir par l'homme pourses différents buts et s'exprime par diverses pratiques. Lespopulations essayent de s'en servir pour garantir à quelqu'un lachance dans la vie, sous forme de prospérité, de célébrité, derichesse ou de santé. L'akaghé ou kara est ainsi une sorted'institution secrète devant assurer l'avenir d'un enfant. Ellefonctionne avec ou sans le consentement des parents car elle esttoujours strictement liée à l'intermédiaire d'un sorcier et àl'anthropophagie. 11 y aurait pourtant des cas, chez les parents

3 La religion Bouiti Volume II, page 126-130.

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influencés par la culture occidentale, où ceux-ci appliqueraientcette coutume, sans pour autant recourir à un crime et àl'anthropophagie mais à une simple interdiction prescrite pourl'enfant. li y aurait ainsi deux procédures possibles: le kara sansrecours au sacrifice humain mais avec recours à une simpleinterdiction personnelle à l'enfant destinée à le maintenirconstamment dans la discipline et la surveillance de soi et lekara avec recours au sacrifice humain.

a) En ce qui concerne le kara sans recours au sacrificehumain, il se passerait, toujours selon les analyses de Swiderski,comme suit: lorsqu'un enfant a déjà atteint l'âge d'à peu prèscinq ou six mois, les parents s'efforcent de fixer son kara, enmarquant son avenir par une interdiction, éki, qui doit lui êtrepersonnelle (par exemple: ne jamais manger la viande de pouletsous peine de mourir, ne jamais se laisser taper sur la tête...).«C'est une sorte d'obligation morale qui doit mettre l'enfantpendant toute sa vie en constante surveillance. D'une part, lekara peut signifier la force psychique de l'individu, résidantdans le secret et dans l'autodiscipline mais d'autre part aussison point faible4

».

4 Swiderski commente cela avec plus de détails: « Désormais l'enfant doit,en effet, éviter et s'abstenir de repas avec la viande de poulet, par exempte,ou, dans l'autre cas, surveiller que ses camarades de jeux et les autres ne letapent pas sur la tête. Il va donc vivre sous constante auto-surveillance etdans la peur. Si un jour, quelqu'un découvre sa «faiblesse», il peut, parméchanceté, provoquer sa mort en lui offrant la nourriture interdite ou enle tapant sur la tête. Lorsqu'un adulte s'aperçoit que ses parents lui ont imposéun kara très difficile à respecter, il se rend chez un guérisseur, lui «confesse» cepoids et lui demande de le libérer d'une telle obligation morale ou de lachanger pour une autre. Mais avant que ce dernier le fasse, il examine leclient. Souvent lorsque les parents ou le guérisseur imposent telle ou telleinterdiction, éki, ils se basent sur l'examen du corps et les réactions psycho­motrices de l'enfant (faible constitution physique, maladie du foie ou del'estomac, etc., difficultés de l'appareil respiratoire, etc.). Les interdictionsalimentaires ou kinesthésiques doivent protéger l'organisme marqué parces insuffisances physiques ou psychiques- »

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b) En ce qui concerne le haro avec recours au sacrificehumain, une autre raison qui pousserait les parents àdéterminer le kara de leur enfant serait de lui garantir un bonavenir, dans la conviction que le kara marque l'enfant, ledétermine dans ses relations sociales et par rapport aux forcesinvisibles.

Ainsi, certains parents, pour renforcer ces liens, «sacrifientquelqu'un de leur famille (tante, oncle, mère ou père) parl'empoisonnement et par la consommation rituelle de sa chair,sous forme de poudre, mélangée à un plat rituel. » C'est ainsique, si quelqu'un est mort subitement et que peu après unepersonne est devenue riche ou très importante socialement, ondit «On comprend maintenant, il a dû se payer son succès par la mortd'un tel et tel!»

Très souvent, précise encore Swiderski, «l'enfant ne sait pasque tel ou tel interdit pèse sur lui ou qu'il a été marqué par unakaghé. Ille découvre parfois par hasard, par un accident ou parune indiscrétion. Dans ce cas-là il décide de le garder ou de selibérer de cette interdiction. Avoir l'akaghé veut dire avoir sonevus ou une force « vampireuse » permettant à son détenteur desurmonter tous les obstacles. On dira de lui qu'il est nnem)vampireux. Mais on peut avoir un bon évus ou un mauvais évus.C'est le mauvais évus qui fait de l'homme un nnem) vampireux ».

En dehors de cette double illustration du kara, Swiderskimentionne également une autre forme de vampirisme qui est enmême temps une nouvelle source des crimes anthropophages. Ils'agit ici, dit-il, de cas isolés qui n'engagent pas la famille ni ungroupe et ne s'expriment pas par un repas anthropophagesolennel. C'est le sorcier, lui-même, qui, poussé par son mauvaisévus, «suce le sang» des hommes. On dit de lui qu'il est marquépar la faim jamais satisfaite de chair humaine. Ainsi, semblableau hibou, il sort la nuit, rôde autour des cases et jette les« médicaments» près de la victime qu'il a choisie pour sonprochain repas, consommé dans la solitude ou avec ses associésde « métier ». Il est devenu sorcier sans volonté de l'être. Il ne se

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sent pas libre, il est comme il est, «possédé par le démon »,comme on le considère au village. Tout le monde sait qu'il estsorcier mais personne n'ose le dénoncer publiquement, parcequ'on a peur de lui, d'être empoisonné par vengeance ».

En ce qui concerne la stratégie utilisée par les féticheurspour rendre les enfants vampireux, voici ce que dit Swiderski:

«Un jour le féticheur, poussé par son besoin intérieur,s'approche d'un enfant qui joue et dont les parents sont partis àla plantation. li le caresse, lui adresse des mots d'une gentillesseexceptionnelle et l'invite chez lui. Dans sa demeure il luidemande une aide dans la cuisine, de porter des marmites etd'assister à la préparation d'une «bonne» soupe. Le plussouvent il s'agit d'une soupe de graines de concombres. Defaçon inaperçue par l'enfant, le sorcier ajoute dans la soupe dela chair humaine décomposée ou desséchée et pulvérisée. Lasoupe une fois cuite, le féticheur l'offre à l'enfant, en lui disant:« Mange cette soupe et tu seras un grand chefun homme fOrt et connupar tous...!» Lorsque l'enfant a fini de manger, le féticheur luidit: « Eh bien, maintenant ilfaut que tu mepayespour cèla! » L'enfantest le plus souvent étonné, ne sachant pas de quoi il s'agit enréalité. Lorsque le sorcier insiste, l'enfant demande alors:« Qu'est-ce qu'ilfaut queje te donne, si j'ai rien à te donner? »

Swiderski nous fait remarquer que le dialogue entre lesorcier et l'enfant rappelle celui que raconte le mythe fondateurdu bwiti entre les revenants et la femme qui a bénéficié de lapremière vision des esprits des morts après avoir consommépour la toute première fois de l'iboga et il continue son récit:

«Le féticheur "aide" donc l'enfant et le pousse vers laréponse voulue. «Si tu ne sais pas quoi me donner, alors donne-moi,par exemple, ton père ou ta mère, - ta soeur ou une autre personne deta famille!» D'habitude l'enfant ne comprend pas ce que veutdire «donner quelqu'un ». Mors, étant embarrassé, il peut direau sorcier ce que celui-ci veut réellement. Lorsqu'il insisteencore, en disant « Si tu me donnes ton père, tu seras riche, tu auras

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beaucoup d'enfants...! », l'enfant répond alors: «Prends-le! ». Nesachant pas encore réellement de quoi il s'agit, il prononce lenom de son père ou d'une autre personne. Dans ce moment-là,croit-on, le féticheur prend possession de l'esprit de la personnedéterminée. Quelques jours après, la personne nominée meurt.Le féticheur se précipite ensuite sur la tombe pour déterrer lecadavre pour en préparer de nouveaux «médicaments ».L'enfant grandit sous l'oeil attentif du féticheur. Il éveille en luila curiosité du secret, dés choses obscures, cachées et nocturnes.L'enfant, quant à lui, prend de plus en plus de goût aux« excursions» nocturnes, à errer dans la brousse et aux villageset il aura plaisir à nuire aux autres. Ainsi le sorcier a pu sepréparer un adepte qui va le remplacer un jour.»

Si l'enfant, averti par ses parents du danger éventuel quereprésentent les sorciers, refuse de «donner» son père niquelqu'un de sa famille, le féticheur se met à le menacer, en luidisant: «Tant pis pour toi!». Peu de temps après, précise Swiderski,l'enfant devient malade et meurt. Si, par contre, l'enfant dévoileà ses parents la rencontre et le repas exceptionnel chez leféticheur et les a avertis, que s'il est malade un jour ce sera àcause du féticheur, ceux-ci convoquent le nganga, (leguérisseur) pour le soigner.

3) Les meurtres pratiqués dans le cadre des sociétés de marmites oupar des hommes-léopards.

D'après André Raponda-Walkers en relation avec le mythe dela transformation momentanée de l'homme en léopard, ilexistait des sociétés secrètes d'hommes léopards6 chez lesquels

5 Rites et croyances des peuples du Gabon, 1995, p. 178 ss.6 L'expression de «hommes-léopards" a été inventée, comme le dit Raponda­Walker, pour éviter de parler de « loup-garou ", de « hommes-tigres ", de«hommes-panthères" puisqu'il n'existe ni loup, ni tigre, ni panthère enAfrique. Il donne une série d'expressions, qui désignent, en langues locales,ces tueurs souvent déguisés en léopards en portant une peau de cet animal,Mais leur caractéristique commune, au Congo ex-belges au Gabon, etailleurs, c'est qu'ils étaient armés de piffes en fer avec lesquelles ils tuaient

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l'anthropophagie ne représentait que les séquelles decérémonies rituelles transformées en instrument politiquedepuis la pénétration européenne. Les adeptes de ces sectesimmolaient des victimes humaines dont ils ne consommaientque certaines parties de leur corps, au fond de la brousse,parfois à l'instigation des chefs. Par une habile mystification, ilsreproduisaient l'attaque du léopard afin de faire croire àl'oeuvre d'une bête et non celle d'un homme ».

4) L'immolation des esclaves à l'occasion de l'enterrement d'unchef dans la mesure où elle était institutionnalisée et se référait àune conception de l'Au-delà

Chez certains peuples africains, on immolait des esclaves oumême des jeunes femmes sur les tombes des chefs et notablesdans la croyance que les esprits de ces victimes allaientcontinuer à être à leur service outre tombe. Actuellement, cegenre de crimes rituels a disparu, mais on peut se demander si,dans les sociétés où elles existaient, leur souvenir ne déterminepas encore, au moins au niveau du subconscient, un certain typede relation entre les gouvernants et les gouvernés.

Pour conclure, il convient d'attirer l' attention desparticipants sur la situation psycho-sociale des populations créepar la survivance des crimes rituels. En effet, Swiderski souligneun certain nombre de phénomènes qui se passent sur le planpsycho-social et sur lesquels le colloque devrait réfléchirprofondément:

a) La conviction magico-religieuse que l'akaghé a son senset son utilité reste encore profondément enracinée dans lamentalité populaire qui est convaincue qu'on peut

leurs victimes afin d'imiter les blessures faites par le léopard. Parfois ilsportaient une cagoule en écorce battue tachetée comme la peau de léopard.Certains se badigeonnaient tout simplement le corps avec du mpemha(caolin) parsemé de mouchetures semblables à celles du léopard, comme leprécise l 'auetur cité (Ibidem p. 179).

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manipuler la force spirituelle au moyen des cadavres, desossements et de la possession de l'esprit de quelqu'un.

b) Le peuple vit encore sous la terreur des sorciers et dansla peur de leur vengeance. Il lutte sans cesse contre toutes lestentatives d'anthropophagie, qui sèment dans les villages unsentiment d'insécurité. Un des plus grands péchés antisocial,contre lequel lutte l'Afrique, est ce que l'on appelle «mangerl'âme d'autrui». Un grand nombre d'associations et de sectessurgiraient ici et là, dont le but principal serait la luttecontre la sorcellerie. Ainsi, au Gabon, personne ne peut sefaire initier à une société traditionnelle masculine ouféminine, sans se confesser et sans déclarer qu'il n'est pas un«mangeur d'âIne».

c) Cette peur du vampirisme s'accompagne d'une sorte defatalisme puisque, toujours d'après Swiderski, «tout lemonde est d'accord que n'importe qui, et cela parfois malgrélui, peut devenir un sorcier ou un vampireux. Ainsi lesvampireux, les beyem, ceux qui sont possédés par l'evus,peuvent vivre dans n'importe quel groupe, dans la famille,dans le Rouiti et l'Ombouiri et même dans l'Eglise catholique.Etre nnem n'a rien de commun avec la volonté. On estvampireux ou on ne l'est pas. Les crimes des vampireux quisont le fruit d'une déviation psycho-mentale ne doivent pasêtre identifiés avec les meurtres rituels dont le but estreligieux. »

d) La peur du vamplnsme est transférée du milieuvillageois vers le milieu urbain, celui de la politique et desaffaires puisque, «comme la maladie et la mort, la réussitedans la vie apparaît aussi aux yeux du peuple comme lerésultat de la volonté des ancêtres ou du jeu des forcessurnaturelles. Presque toutes les personnes occupant despostes supérieurs dans la fonction publique ougouvernementale passent pour des gens privilégiés auxquelsl'akhaghé a été favorable».

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Participants

Les participants à ce colloque viennent des différents pays de1'Afrique Centrale

Chefs religieux ;Eglises catholiques;Eglises protestants;Eglises éveillées;Eglises musulmans;Religions traditionnelles locales;Enseignants du primaire et du secondaire;Chercheurs;Magistrats;Medias.

Indications bibliographiques

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BEIDELMAN T.O. «The ox and Nuer sacrifice: sorne Freudianhypotheses about Nuer symbolism », Man (New 5cr.), 1 (4),1966 : 453-467. 1 mythe nuer en traduction anglaise.

BUAKASA Gérard, (TULU kia MPANSU). La « Kindoki » et les «Nkisi». Une étude de la structure idéologique d'après une enquêtefaite chez les Kongo du Zaïre. Paris, 1971, 11, 358 p. Thèse,doctorat de 3e cycle, sociologie, E.P.H.E, 6e section, n° 503,Quelques chants en langue kongo et en traduction française.

CALAME-GRIAULE G. « Une affaire de famille réflexions sur quelquesthèmes de "cannibalisme" dans les contes africains», NouvelleRevue de Psychanalyse, 6, 1972 171-202. 37 contes résumés enfrançais et groupés par thèmes. Etude, à travers les contes, dedifférentes formes de cannibalisme consommation rituelle, parles sorciers, par les ogres (prenant la forme d'époux, de gendre,etc.) et par la mère.

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CALLAWAy (H.) The religions system ofthe Amazulu. lzinyanga Zukubula ordivination as existing among die Amazulu... Cape Town, ].C. Juta;London, Trubner, 1870, 448, VIII p., index. Ouvrageentièrement bilingue (anglais-zulu) dont le plan est le suivant:les traditions relatives à la création, le culte des ancêtres, lesdevins, la magie médicale et la sorcellerie. Les textes cités aucours de l'ouvrage sont accompagnés de commentaires.

HEUSCH de (L.) Sacrifice In Africa A Structuralist Approach. Manchester:Manchester University Press, 1985 .Tabl., Bibliogr., lndex.-Coll.Themes in Social Anthropology.

EVANS-PRITCHARD E.E. « Four Zande texts ", Bulletin of the Schoolof Oriental and African Studies, 37 (1), 1974 : 41-51. Texteszande en langue originale et en traduction anglaise.

EVANS-PRITCHARD E.E. «Sorne Zande texts on vengeance for death", Africa, 43 (3), 1973 236- 243. 7 textes zande sur la mort, lasorcellerie, en langue d'origine avec traduction anglaise.

EVEN A. « Quelques coutumes des tribus badondos et bassoundis ",Bulletin de la Société des Recherches Congolaises, 13, 1931 : 17­31. 4 récits (dondo, sundi, vili) traduits en français. Thèmestraités: la création de l'homme, l'origine du feu.

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HOWELL P.P. & LEWTS HA. «Nuer ghouls : a form of witch-craft »,

Sudan Notes and Records. 28, 1947 : 157-168. Quelques contesnuer présentés en anglais dont le héros est un sorcier déterreurde cadavres.

KUENEMANN-PELLETIER C. Sorciers père et fils. Contes du Congo.Besançon, Jacques & Demontrond, 1966, 155 p. 22 contes tekeprésentés en français.

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UENHARDT P. The medicine man. Swijà ya Nguvumali. Oxford,Clarendon Press, 1968, VI, annexe (Oxford Library of AfricanLiterature). Ballade moderne récitée par le poète Bwana Hasanibin Ismael en langue swahili et traduite en anglais. Dansl'introduction sont présentés la vie et la culture de lapopulation côtière, et le rôle qu'y jouent les sorciers et les«medicine men ».

MALLART-GUIMERA L. « Ni dos. ni ventre - Religion, magie etsorcellerie chez les Evuzok (Cameroun) », L'Homme, 15 (2),1975 : 35-65. L'article, consacré principalement à l'explicationdu concept « evu », comporte 2 textes rituels et des témoignagesbeti. La plupart des textes sont dans la langue d'origine et enfrançais.

MANIRAGABA BAUBUTSA, Les sacrifices humains antiques et le mythechristologique, Kigali, 1983. 354 pages.

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N'DONG Bonaventure. La marche des enfants d'Afiri-Kara. Le mythe etses différents aspects dans la culture traditionnelle fang. Paris,1974. Thèse, doctorat de 3e cycle. Université de Paris V.

NICOD H. La vie mystérieuse de l'Afrique noire. Préf. par E. Pittard.Paris, Payot, 1943. Etude des représentations mythiques etreligieuses des diverses tribus du Cameroun du Sud. Lacréation, le pays des morts; les alliances entre humains etanimaux, la sorcellerie. Les récits mythiques, traduits enfrançais, sont cités intégralement ou résumés.

RAPONDA-WALKER André et SILLANS Roger, Rites et croyances duGabon. Essai sur les pratiques relieuses d'autrefois etd'aujourd'hui. Préface de Théodore Monod. Avant-propos deHubert Deschamps. Présence Africaine, Paris-Dakar, 1995.

SAULNIER Pierre. Le meurtre du vodun dan. Paris, 1977, IX. Thèse,doctorat de 3e cycle, E.H.E.S.S. Les mythes analysés sontprésentés en français. Problématique centrale : fertilité de laterre, fertilité humaine.

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SILLANS Roger. Motombi, mythes et énigmes initiatiques desMitsoghos du Gabon central. Paris, 1967. Thèse, doctorat de 3ecycle, E.P.H.E. Se section.

SWIDERSKI S. La religion Bouiti. Volumes I-VI, Legas 1990.

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ZAHAN D. « Essai sur les mythes africains d'origine de la mort »,L'Homme, 9 (4), 1969 : 41-50. Application d'un traitementrelevant de la théorie de l'information à un ensemble de mythessur l'origine de la mort, afin de démontrer leur communeintelligibilité.

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Communications

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Sous-thème 1

Les fondements culturels des crimes rituelset des conflits en Afrique Centrale

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Délits de langues et crimes rituels

Auguste MOUSSIROU - MOUYAMAFaculté des Lettres et sciences humaines

Université Omar Bongo, (Libreville, Gabon)

Les cérémonies ont leurs rituels. Nous nQus plierons à cesacrifice par deux petites choses, pour ouvrir, et fermer à la foiscette conférence inaugurale:

D' abord une pensée à toutes les victimes des conflits quisommeillent en chacune de nos intolérances, à celles et ceux quisont tombés sous notre folie meurtrière, au plus grand bonheurdes intrigants et des marchands d'armes; à toutes les victimesde nos silences complices, à l'enfant d' hier sans souci quiaimait la mer, la plage et la promenade et que nous avonssurpris dans sa pauvreté pour l'attirer vers un voyage sans fin,au plus grand bonheur de marchands d'organes humains et deleurs commanditaires sans âme ; à l'empêcheur de tourner enrond que nous avons résolument fait taire, au plus grandbonheur de la famille, de la patrie, de l'humanité; à la femmeinsoumise réduite désormais au silence, au plus grand bonheurde l'homme impérial...

Oui, Nous, car nos silences peuvent trouver leur ongmedans la relation trinitaire entre les deux personnes de toutéchange verbal que sont je et tu - moi qui vous parle et vous quim'écoutez et qui ne parle que parce que vous êtes, vous aussi,capables de prendre la parole, à l'instant même où je vous parle,(oui des mots grouillent déjà en vous et émergeront à la fin demon propre discours, pensez-y!) -, entre donc ces deuxprotagonistes du langage humain et le troisième terme qui n'estqu'une non-personne, celle qui n'est pas là : il/elle, l'autre,l'enfant des autres, la femme-là, ces gens-là, le bosniaque pourne rien nommer des ethnies environnantes que nous exécronsen silence, rêvant du jour où nous pourrons les exterminer...tranquillement.

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Les meurtres, comme les révolutions, commencent toujourspar le langage. Et dans les conflits, il s'agit d'un processusinverse au fiat lux originel: alors que Dieu dit, le criminel se dit, «pensa », « crut bon », mijota son coup. Dans les ténèbres. Ensilence. En secret. Alors que, par exemple, dans la révolutionamoureuse (parce qu'il s'agit d'un élan créatif, du fait de latransmutation de l'être qu'opère l'échange de flux vital), ladéclaration d'amour est un rituel important, crucial, qui faitbasculer la personne amoureuse dans une nouvelle vie. Riendonc de la régression vers la mort que l'on cache à l'enfant quel'on attire par une friandise, à la jeune fille que l'on appâte parl'argent, au cadre naïf à qui l'on fait miroiter des « rêves dejaguars qui enfantent des brasiers», comme dirait Pierre-EdgarMoudjegou-Magangue.

Des lors que le je se trouve dans l'incapacité de penserl'Autre, que l'Altérité se trouve ainsi niée, il n'y a plusd'humanité. Tout devient banal: le couteau que l'on prendpour égorger, le mot qu'on lance en vitesse, l'organe que l'onsoutire (dans un hôpital moderne comme dans le noir d'unbuisson) sont des gestes simples qui n'ont que faire du regardde l'enfant, des suppliques des victimes. Et la douleur desfamilles et des peuples? Rien qu'une vague nouvelle dans larubrique des faits divers que l'on tournera vite, avant de rire à lapage de la bande dessinée ou des mots fléchés - exactementcomme on change de trottoir, « pour pas faire d'histoire »,

comme chante Léo Ferré. Ainsi se meurt l'humanité, cette partde divinité que l'Éternel a placée en nous, pour que nous nesombrions jamais dans la barbarie.

Dans toutes les civilisations, le barbare est bien souventl'autre, celui qui ne peut être soi, l'étranger, alors que dans lelangage - qui nous enseigne la définition de l'homme(Benvéniste) -, nous voyons bien que le Verbe ne tient que parla présence de je qui devient tu mais qui ne peux pas tuer tu sansquije n'existe pas. L'objet de ce Colloque de l'UNESCO sur les«causes et moyens de prévention des crimes rituels et les conflits enAfrique centrale » est sans doute de penser cet inconscientcollectif qui conduit au mal, qui conduit à la célébration de

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notre animalité, qui conduit à la maladalité de l'Afrique, pourreprendre une expression de Pierre Claver Akendengué.

Penser l'inconscient collectif, c'est le sortir de l'indiciblepour l'amener au dit, pour que la société prenne en charge cefléau qui alourdit notre dette face aux générations futures. Caril faut bien rappeler ces mots de Saint-Exupéry: « nous n'héritonspas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants ".

Si le barbare est facilement désigné en la personne del'étranger, le bourreau n'est pas toujours celui qu'on croit. Carnous sommes sans doute proche du sage Mendel de Kozk quidisait: « Moi, Mendel, j'ai un pied au septième ciel et un pied au finfond de l'enfer ». C'est notre liberté qui nous place dans cetteposition ambivalente. La bête immonde qui sommeille enchaque Homme n'est que l'envers de la lumière divine que nousportons. Se réaliser, c'est orienter son regard vers la lumière, leBien, le Beau, le Vrai. Mais quels moyens la société met en placepour la réalisation de cet idéal, là est toute la question.

Dans une société de l'effort, du mérite, les voies sont tracéespour la réalisation de soi, avec les embûches propres à toutesociété. Lorsque la société valorise la réussite facile, soutient les« mendiants de miracle " et tourne le dos à la sanction, il n' y arien d'étonnant au spectacle des croyances parallèles, de lamagie qui transforme subitement les destins individuels. Lescrimes rituels ne sont-ils pas la consécration des modèles que lasociété a donnés à lire quant à la réussite sociale ? Ce sont cescanaux-là que nous devons corriger.

Si notre société claudique, le premier bourreau n 1est pas siloin de nous-mêmes. li est d'abord en nous qui nous taisons.Me viennent à l'esprit ces beaux vers du Pasteur Niemôller,interné par les nazis de 1938 à 1945 :

« Lorsque les nazis vinrent chercher les communistes je mesuis tu: je n'étais pas communiste. Lorsqu'ils ont enfermé lessociaux-démocrates, je me suis tu : je n'étais pas social­démocrate. Lorsqu'ils sont venus chercher les juifs, je me suis tu :je n'étais pas juif. Lorsqu'ils ont cherché les catholiques, je me

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suis tu: je n'étais pas catholique. Lorsqu'ils sont venus mechercher il nyavaitplus personne pour protester. »

La deuxième : c'est un sentiment de gratitude enversl'UNESCO et le comité d'organisation qui a bien voulu associerl'Université gabonaise dans un thème éminemment social,sensible, qui fait peur et dont on ne doit rien dire. Au-delà dema modeste personne, c'est un hommage à la pensée et à lavérité.

On constatera vite, à en juger par les titres et qualités desintervenants, qu'à côté des universitaires, se trouvent lespersonnalités de Foi, certaines ayant le privilège d'êtredoublement enracinées dans la pensée et la vérité en alliant lesqualités d'universitaires et d'hommes d'églises au sensgénérique du terme. C'est que, des mots de l'astrophysicien ethomme d'église Georges Lemaitre, « la foi est un élan vers leCréateur, la science est un élan vers la création ». De manière plusradicale, la sociologie nous apprend qu'il Y a « trois grandesinstances de régulation orthodoxe en matière d'idéologie: lepouvoir politique, les institutions scientifiques et lesconfessions religieuses dominantes ». Manquerait donc, icimême, le pouvoir politique. Mais n'est-ce pas à lui que l'onparle, de lui que l'on parle quand on parle de conflits enAfrique centrale?

Faut-il voir dans l'absence remarquable du pouvoir politiqueà la table de ce colloque, hors les ors de ses parties protocolaireset institutionnelles, l'inscription en creux, de manière clivée, de saresponsabilité, non en termes accusateurs mais au sensphilosophique et républicain? Sans doute, les crimes rituels etles conflits sont-ils présents au niveau des familles et nerenvoient pas toujours au sommet des États; mais c'est bien dela responsabilité des États de prévenir les conflits et de gérer, demanière pacifique, le Devoir vivre ensemble des citoyens - placésdonc sous la gouvernance des Autorités à qui le peuple, au nomde Dieu, délègue une partie, mais une partie seulement, de sonpouvoir.

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Notre prise de parole commune, ce jour, partlClpe de ceprocessus de délégation de pouvoir. Nous reprenons une parolequi nous appartient, pour que soit levé le voile qui obscurcit lasociété, pour que les langues se délient. C'est un acte deresponsabilité que de pousser les gouvernants à prendre la leur.En cela, si dire ce n'est pas toujours faire (Austin), se taire estune démission qui n'aide pas les Autorités à corriger lesdéviances avérées dans le comportement de certains groupessociaux. Mais comment aider ce même pouvoir si son modeopératoire inféode les instances de pensée et de vérité? C'est encela que l'initiative du bureau régional de l'UNESCO qui nousrassemble ici est courageuse. Délier les langues est uneentreprise périlleuse et l'on mesure la difficulté de dire au grandjour, ce qui se conçoit en secret dans le but de réaliser ce quel'on croit être un développement personnel: richesse matérielle,domination, jouissance, pouvoir.

A la ftxité de ce projet singulier, s'oppose la variabilité duprojet collectif qui ne doit en principe viser que le Bien, le Beauet le Vrai. Variance, covariance, variation ou variabilité maisquelque chose de dynamique, quelque chose qui bouge, quialterne, qui vit et qui n'a rien d'une tension permanente ­j'allais dire une excitation - vers l'assouvissement toujoursrenouvelé d'un désir privé. La langue - organe de luxe dans lecommerce honteux des corps humains - nous offre encore uneillustration de cette opposition entre le singulier et le collectif,l'animalité et l'humanité.

Bien qu'il soit le « support de la rationalité» de l'Homme,«le médium de l'intelligibilité », le langage relèvefondamentalement de la différence, du mouvement, en raisonmême de l'échange qu'il fonde. S'il nous aide à désigner lemonde, à parler du monde, tout en en étant distinct, nous nesommes pas en mesure d'assigner « des frontières exactes » aulangage justement parce qu'il est fluctuant et c'est en cela qu'ilfait la richesse de l'homme à qui il donne des pouvoirs illimités(y compris celui d'exterminer ses semblables). Parce qu'il estsoumis à l'histoire, au devenir, à la variation », il est impossible

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de « transformer le langage en une formulation rationnelle,dépouillée de toute ambivalence» (Sylvain Auroux).

Or, la vie n'est-elle pas ambivalence? Et que fait la languedans la cavité buccale, pour produire des sons -j'allais dire dela vie - si ce n'est monter, descendre, avancer, reculer, faire dela place à gauche, à droite et donner du sens au souffie vitalporté par le chenal respiratoire avant de devenir mot, phrase,chant, rire, livre, vie?

C'est cette vie que recherchent les criminels, les assoiffés desang et de pouvoir. Parce que la langue est un instrument depouvoir, comme l'est l'autre organe qui semble en être laréplique dans une zone subliminale, dans la partie basse ducorps. U n'est que de voir la place des langues dans laconstitution des frontières et les conflits, pour s'en convaincre.

La Croatie, pour ne rien dire de nos pays d'Afrique centrale,présente un cas d'école d'«épuration langagière». Les parlersqui formaient la Yougoslavie «présentaient d'importantessimilitudes (...). En 1850, linguistes serbes et croates seréuniront à Vienne » et les conclusions de leurs travaux vontdéboucher sur un programme de réforme linguistique, àl'origine, entre autres, de l'Académie yougoslave en 1866. Cetteunité linguistique, préservée jusqu'à la mort de Tito en 1980, vavoler en éclats, lorsque les nationalistes serbes, croates etmusulmans bosniaques vont nourrir des projets derevendications identitaires qui tournent le dos à l'histoirecommune. On notait tristement, qu'« au cours des discussionssur le découpage de la Bosnie-Herzégovine, les participantsavaient le choix entre plusieurs traductions simultanées, « serbe», « croate » et « bosniaque ». Bien qu'il fût possible desélectionner un des trois canaux, il n'y avait en fait qu'un seultraducteur pour les trois« langues· [qui ne sont, en fait, que desdialectes d'une seule et même langue]. Le négociateur américainRichard Holbrooke nota que personne ne semblait s'en soucier.La langue était une question de fierté nationale, non de moyentechnique. Tous les participants parlaient anglais et tousparlaient couramment la langue de leur interlocuteur. La

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création de différences était l'un des objectifs prioritaires desélites nationalistes croates pendant l'éclatement de laYougoslavie ». (lA République des langues).

Combien de régions, dans nos pays, n'ont pas été divisées,pour répondre aux appétits des princes ? Combien dedépartements n'ont pas été créés pour trouver une place ausoleil à un ms du coin ? Combien de dignitaires n'ont pasretrouvé la langue d'un parent ou arrière grand-parent, naguèreoubliée, pour occuper un siège vacant dans l'orbite du pouvoir?

A la vérité, s'oppose l'ultime désir de l'individu qui n'a quefaire de la rationalité. Qui n'a que faire de l'alternance, malgrél'évidence du jour et de la nuit qui alternent pour nous fairevivre. Qu'importe ce symbolisme, si c'est une fonction qui esten jeu, une identité nationale que l'on revendique; ce, d'autantplus que la société est désormais gérée par des « réussites faciles»qui n'ont jamais eu de sanction.

Rien, dans ce processus involutif ne s'apparente au sacrificerituel qui n'avait rien de criminel dans ce sens qu'il répond à untythme culturel, au besoin d'équilibre d'une société et à unevision de l'avenir qui n'a rien de commun avec la philosophiede l'instant qui prévaux dans les crimines commis au mépris dela vie de l'homme et du destin collectif. Tout ce que l'oncherche, c' est « devenir quelqu'un ».

L'école était la voie républicaine de réussite sociale. Dans lesruines de nos systèmes éducatifs, que peut-on construire depositif, dans la conscience des citoyens, si les instances deformation, symboles de la pensée et de la vérité, sontdéstabilisées au point de sécréter des croyances parallèles horsnormes : L'exemple de l'Ecole montre bien la nécessite deremettre sur leurs pieds les instances de régulation de l'idéologie: Un Etat de droit qui réhabilite le politique par la stricteobservance des règles de la Démocratie et qui promeuve lacitoyenneté démocratique, garante du Vouloir bien vivreensemble en paix.

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Des instances scientifiques performantes et dynamiquespour soutenir le devoir de vérité. C'est un Devoir, d'autant plusimpérieux qu'aucun mensonge n'a survécu à l'épreuve dutemps et que les sociétés qui regardent vers l'avenir pour le biencollectif n'ont progressé que par les instances de vérité, parmilesquelles se trouve la Recherche, l'Education, la Formation.

Des instances religieuses libres de tout pouvoir politique et àl'écoute de la société pour éviter la religiosité flottante danslaquelle la cupidité le dispute à la naïveté et aux lecruressuperficielles des Ecrits saints.

Pour terminer sans conclure (puisque je parlais en ouverrureà d'autres paroles), j'ajouterai au (?) rêve en citant ces proposextrait d'un article sur les mécanismes du mal : « Si nousdonnons à nos pensées la plus grande pureté possible, nousfavorisons ainsi les centrales de pensées du bien et nous aidonsà éliminer le « tas d'ordures de pensées » qui entraîne lapollution du monde environnant sur Terre et dans l'au-delà.Nous contribuerons ainsi peu à peu à l'élimination des «mécanismes du mal » dont font aussi partie les centrales depensées ténébreuses. Elles devront alors dépérir, se dessécher,car elles ne recevront plus de nourrirure. C'est en cela que résideen dernier ressort la prévention de tous les crimes » (HerbertImann ?).

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Recours aux crimes rituels pour des raisonsmystiques, de prospérité ou de promotion sociale

Awazi Mengo Meme(RDC)

1. Introduction

C'est au nom du Créateur Tout Puissant, Celui qui a façonnéle ciel et la terre et peuplé l'un et l'autre des créatures splendideset merveilleuses que je m'en vais prendre la parole devant vous,Ô éminentes personnalités du monde de la foi, des sciences, dela recherche et de l'éducation. .

Qu'il me soit donc permis, avant toute chose, de rendre,grâce à ce Dieu vers qui convergent toutes nos croyances, Luiqui a fait que vous et moi puissions nous retrouver ce jour dansce beau cadre pour un échange autour d'un thème à valeurinestimable, alors qu'à la minute même certains de nos frères etsœurs qui nous sont très chers sont en train de subir la loi de SaToute Puissance, les uns rendant le souffle qu'Il leur a prêté etquittant définitivement cette terre des hommes pour aller luirendre des comptes, les autres, cloués dans leurs lits de maladeet incapables de deviner le sort qui les attend et qui découleratrès certainement de Ses Décrets imprévisibles et irréversibles.

Qu'il soit donc loué et glorifié jusqu'à la fin des temps.

Il serait très ingrat de ma part d'entrer dans le vif de monsujet sans rendre la politesse aux organisateurs de ce forum enleur adressant les remerciements des dix millions descongolaises et congolais de confession musulmane qui sesentent particulièrement honorés de leur invitation et qui leurdonnent l'occasion de soumettre à la critique des éminentssavants, penseurs et chercheurs une théorie qui fait l'objet deleur étude depuis plus d'une décennie déjà.

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Ainsi, Mesdames et Messieurs, l'exposé que je vais mepermettre de présenter ici n'a rien de magistral pour prétendrevous faire la démonstration sensationnelle des conclusionsauxquelles nous serions parvenus sur le sujet qui fait l'objet dece forum, à savoir la banalisation de la chose la plus sacrée, lavie humaine, pour des raisons de culte et de dévotion.

Mon intervention du haut de cette tribune aura tout d'unehypothèse que je mettrai sur la table des experts et spécialistesque vous êtes, en y ajoutant peut-être ce que je considère commedes éléments, des pi~tes susceptibles de nous mener vers uneconclusion, laquelle, je l'espère bien, deviendra l'un desprincipes moteurs de l'action des forces sociales à l'issue de cestravaux.

La réflexion que je vous livre ce jour porte essentiellementsur la finalité de ces pratiques et repose sur interrogation toutesimple qui nous ouvrira peut-être la voie sur les raisonsfondamentales de ces actes ignobles.

Elle s'articulera donc autour de deux grands axes, à savoir:

1.' Les sacrifices rituels aujourd'hui criminalisés: nature,forme et origines;

2. les causes supposées ou réelles des rites du sang et laplace des enseignements religieux dans la lutte pourleur éradication.

Ces deux chapitres et leurs sous chapitres nous mèneront,vous et moi, à une conclusion tout autant inédite qui n'est autreque l'interrogation qui constitue l'intitulé de mon exposé, j'aicité la lutte contre la panvreté ne serait-elle pas l'arme idéalepour combattre les crimes rituels et éradiquer les conflits enAfrique?

Je voudrais avouer tout de suite que, devant les termesutilisés par les organisateurs, à savoir « les crimes rituels », quinuancent quelque peu avec ceux que j'ai utilisés dans l'intituléde mon premier chapitre quand tout - à- l'heure j'ai parlé des

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sacrifices rituels criminalisés, je me sens sincèrementembarrassé quant à la cohésion que doivent avoir les différentesparties de mon exposé. Je préfère ainsi violer toutes les règles del'art oratoire et poser peut-être moi même un acte criminel vis-à­vis de l'art en vous livrant une suite brute de paragraphes sanscohésion, l'essentiel étant d'aboutir à une conclusion.

S'il faut commencer par la définition dans le but d'avoir unmême entendement du thème avec les organisateurs, je merisque en disant que l'on entend par crimes rituels le fait deporter atteinte à la vie, à l'intégrité physique, morale ou mentaled'un individu par des actes, par des gestes ou par des paroles, etce des objectifs de dévotion, de culte.

Mais en fait, quelle est l'origine exacte de ces pratiques quenous essayons de circonscrire aujourd'hui à la sous-région del'Afrique Centrale?

2. Les sacrifices rituels: nature, formes et origines

Une étude faite en son temps par le Centre de Recherches del'Université EL AZHAR du Caire, en Egypte et publié sous letitre « le jeune et le sacrifice dans l'islam et dans les religionsantérieures à l'islam », nous offre un panorama quasi completdes origines et des différentes formes de sacrifices rituels etnous sommes tentés de déduire que ces pratiques ne sontl'apanage ni d'un peuple, ni d'une civilisation, ni d'unecroyance, ni même d'un continent.

En effet, l'étude en notre possession rapporte que l'idée de serapprocher des objets d'adoration (les dieux, les puissancesoccultes) en offrant des holocaustes et en présentant desoffrandes, de considérer ces sacrifices comme une échelle parlaquelle s'élèvent les souhaits du monde terrestre et de s'enservir comme intermédiaires pour se procurer ce que désirentles individus ou les communautés ou les éloigner des dangersqui les menacent, est aussi vieille que l'humanité.

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Elle est restée liée à la pensée religieuse, à ses différentesétapes et subsistera tant que survivront les croyances et lesdévotions.

Pas une religion n'a omis ces rites qui, en réalité, ne sontexclus de la vie d'aucun peuple. On les retrouve dans lesreligions totémistes, chez les adorateurs du feu, les idolâtres, lessabéens, les manichéens, les astrolâtres... tout aussi bien dansles législations juive, chrétienne et musulmane.

On les relève dans les manifestations religieuses les plussimples et les plus instables aussi bien que dans les formes lesplus sublimes et les plus précises. Rien ne témoigne de leurancienneté et de leur extension mieux que le fait de les voir citésdans les livres de l'Ancien Testament.

Les victimes de ces sacrifices étaient tantôt des êtreshumains, tantôt des animaux, tantôt des plantes et leursdérivés.

Quant à la nature des sacrifices, la même source rapporteque, sous leurs formes primitives, les victimes étaient des êtreshumains. Les différences étaient dues tout simplement à ladiversité des peuples, des législations, des raisons et descirconstances? Tantôt les victimes étaient des femmes, tantôtdes enfants, tantôt des jeunes et parfois même des vieillards.

Néanmoins, l'approfondissement des recherches permet dedéduire que chez les différentes nations et au cours desdifférentes étapes de l'histoire, les victimes humaines étaientprincipalement de deux sortes: les enfants des deux sexes, enparticulier les premiers nés, ou les jeunes filles vierges. Plusieursexemples tirés des comportements rituels de plusieurs peuplesillustrent cette réalité:

Les Peaux Rouges de l'Equateur qui sacrifiaient leursvictimes humaines aux dieux des plantes, les Aztèques duMexique qui allaient jusqu'à SO.OOO victimes humaines par anpour de nombreuses circonstances, particulièrement aux dieux

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du maïs, les peuplades de l'Afrique centrale et occidentale et dusous continent indien qui offraient aux dieux des jeunes viergesspécialement sélectionnées et encadrées au Palais pour êtresacrifiées aux dieux afin de favoriser la germination des planteset multiplier les récoltes, les tribus de Chane et de Mégase quiempoisonnaient leurs victimes et les enterraient dans leschamps afin d'implorer les dieux de la fertilité du sol; lesanciens Egyptiens avec le rite de «La Fiancée du Nil" et dusacrifice d'Osiris, les anciens Grecs qui, dans plusieurscérémonies, offraient leurs victimes à ZEUS et qui, en cas defamine, de guerre, d'épidémie ou de sinistres, livraient desenfants des familles de l'aristocratie aux dieux pour calmer leurcourroux et implorer leur miséricorde; les anciens Romains qui,malgré l'Edit publié par le Sénat en 97 avant notre ère,continuaient à offrir des petits enfants au dieu Saturne, etc...

Le sacrifice humain était aussi pratiqué dans des religionsdites monothéistes. Ce n'est donc pas le cas du ProphèteAbraham qui a voulu sacrifier son fils premier né qui peut medémentir, alors que la Bible, passez moi cette interprétationpeut-être peu savante, rapporte que Dieu parla à Moïse endisant: « Sanctifie-moi tout premier-né mâle qui ouvre toutematrice parmi les fils d'Israël, parmi hommes et bêtes. Il est toutà moi" (Exode 13 : 1 - 2).

Pour ce qui est de la forme, il convient de noter qu'ellevariait également selon les cas.

Très souvent, il était question de sacrifier la vie de la victimede diverses manières: par immolation (donc par écoulement dusang), par noyade, par incinération, par empoisonnement, parchute brutale, ou même par des procédés sorciers.

s'il faut faire allusion à des histoires vraies de l'AfriqueCentrale, je me souviens que dans la conerée du Maniema, dansla partie Est de la République Démocratique du Congo, onoffrait à la MULONGOY des jeunes vierges que l'on noyait dansla rivière, à la MUYOMBO on épandait le sang de la victimeimmolée, souvent des esclaves sur les pierres de la montagne.

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NGANDO, LE CROCODILE de Lomami Tshibamba nousmontre une façon singulière de sacrifier des victimes par desprocédés de la sorcellerie que l'on dénomme sous diversesappellations selon les régions, les BADIMBA dans le Maniema,ITB dans la Province Orientale, je parle là de la RépubliqueDémocratique du Congo.

Il existe cependant plusieurs autres formes de sacrifices donton parle très peu parce que l'objet de ttès peu de publicité. C'estle cas notamment de l'amputation d'un membre, du don de lafécondité, de l'étourdissement ou don de la conscience ouencore du don de l'honneur ou de la dignité.

Dans la première forme, l'amputation d'un membre,l'homme sacrifie un membre, généralement un doigt, unejambe, un orteil, une oreille, un œil, de lui-même ou t\'unmembre de famille à une divinité donnée afin de gagnercertaines faveurs, pour beaucoup de cas des biens matériels.

Ce phénomène est très courant de nos jours avec leschetcheurs de diamants, appelés les BANA LUNDA.

Certains hommes acceptent volontiers de se stériliser, desacrifier leurs fonctions génitales, ou celles de leurs épousespour acquérir certaines faveurs des dieux.

De même, par des procédés que seuls les initiés peuventrelater, les hommes commencent à sacrifier le mental de leursenfants au même titre que l'on le faisait dans le temps avec lecorps physique. Il existe un secret qui n'est pas très courant etqui se cache derrière les mutilations sexuelles des femmes. Ilparaît que le clitoris de votre fille, de votre sœur, de votre mère,mélangé à des produits que seuls les initiés connaissent,procure de la richesse: écoulement rapide des marchandises, dela chance dans le commerce, etc...

Et que dire de tous ces viols commis sur des femmes en guisede sacrifice de l'honneur de leur mari qui se sentent diminués,

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quelques fois avec le consentement du mari qui cherche derrièrecet acte un privilège, une promotion...

Comme on peut le constater après cette brève gymnastique,ces pratiques rituelles sont aussi vieilles que l'humanité etcontinuent à subsister, sous diverses formes.

Elles constituaient, jusqu'à un certain moment, la règletandis que l'abstention n'en était que l'exception. il suffit de serappeler ces bannissements des hommes et des femmes quirefusaient de donner leurs fIlles, leurs fIls pour le sacrifice duclan.

Il en fut ainsi jusqu'au moment où des législationssuccessives ont commencé à les interdire progressivement,comme le cas de l'Edit du Sénat Romain de 97 avant notre ère.

Avec l'adoption de la Déclaration universelle des droits del'homme qui insiste sur le caractère sacré de la vie de l'hommeet les différents droits écrits, ces actes sont réduits au niveau descrimes. Voilà pourquoi j'ai parlé des sacrifices rituelscriminalisés.

On parle beaucoup de nos jours de la mutilation des organessexuelles de la femme que l'on tend à criminaliser à travers lemonde, alors que l'inverse, c'est-à-dire le développement desorganes sexuels de la femme ou encore la circoncision del'homme, qui sont aussi d'autres formes de mutilation sonttolérées, voire encouragées? Il n'est pas impossible qu'avecl'évolution du monde, ces deux formes aussi soientcriminalisées par des générations à venir.

Je reviens sur la demande que j'ai formulée dès le départ,celle de vous faire indulgents face à l'incohérence de mon texte,l'essentiel étant la conclusion.

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3. Les causes supposées ou réelles de ces pratiques et la missiondes enseignements religieux dans leur éradication.

Je venais de vous référer à une étude de l'Université ElAZHAR du Caire qui précise bien que ces pratiques n'étaient nil'apanage, ni l'exclusivité d'un peuple, d'une nation, d'unereligion, d'une croyance, d'une civilisation, mais qu'elles étaientrépandues, si elles ne le sont encore aujourd'hui à traverscertains rites occultes et secrets, sur tous les peuples de laplanète en des formes diverses.

On qualifie ces pratiques de rituelles parce qu'elles sefaisaient suivant des règles de cérémonies religieuses outraditionnelles bien établies.

Selon toute évidence, toute cérémonie religieuse ou cultuellene tourne qu'autour de deux objectifs. Elles le sont, soit pourimplorer les faveurs d'un être que l'on estime supérieur à soi­même et que l'on suppose capable de résoudre à sa place oumieux que soi les problèmes auxquels on est confronté, soitencore pour remercier les bienfaits acquis de cet être là.

Pour mieux cerner les causes apparentes ou cachées de cesrites, il convient d'abord de jeter un regard sur ceux à qui sontadressés ces sacrifices.

Les chercheurs d'EL AZHAR classent en quatre catégories lesbénéficiaires des holocaustes et offrandes des humains, endehors de Dieu, le Créateur. li s'agit:

1. des divers genres des dieux. Ceux-ci ont différentesformes selon les différentes communautés primitives,voire actuelles. Pour les uns, tout ce dont ils n'arriventpas à s'expliquer le gigantisme ou la puissance: unemontagne la plus élevée que les autres cas de laKIMASA dans le Maniema, une grosse pierre au milieudu Fleuve, cas du NYANGE dans le Nord Katanga, unechute d'eau, cas des portes d'enfer sur le Fleuve Congo,un grand Fleuve dans un désert, cas du Nil chez les

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Egyptiens...était un dieu, tandis que pour les autres cesdieux avaient une forme humaine, animale, astrale... ets'occupaient chacun d'une fonction donnée: lafécondité, la richesse, la vie, la mort, l'agriculture, lecommerce, etc...

2. Les saints et les santons, ces êtres intermédiaires entreles hommes et les dieux, plus doués que les hommesmais moins puissants que les dieux et qui ont lacapacité, selon les croyances, d'intervenir, d'influerpositivement ou négativement dans la vie des humains;

3. les mânes des morts, principalement les ancêtres. Selonplusieurs croyances, et mêmes certaines législationsreligieuses actuelles il est attribué à un mort unepuissance supérieure à celle d'un vivant' jusqu'à croirequ'il peut influer, d'une manière ou d'une autre dans lavie des vivants. On les voit apparaître par-ci et par-làdans des récits, on les voit intercéder pour les vivants,on les voit assurer la protection des vivants, et j'enpasse.

4. Enfin les rois et les chefs, vivants ou morts. Ilssymbolisent la puissance des dieux et incarnent lesmânes. Chez certains peuples, les chefs avaient lesmêmes droits que les dieux, au culte et à la vénération.

Comme les destinataires des sacrifices sont connus, qu'ilnous est maintenant aisé de comprendre pourquoi on leuradressait ces sacrifices.

En effet, parce que tous ces êtres catégorisés ci-dessus sontsupposés avoir une certaine supériorité sur l'homme. Celui-cicherchait toujours à se rapprocher d'eux pour obtenir d'eux unefaveur, c'est-à-dire, se procurer l'abondance, une supériorité(victoire en cas de guerre ou positionnement dans la société),apaiser leur colère, toutes les calamités: éruption d'un volcan,tempête dévastatrice, apparition d'une épidémie meurtrière,inondation destructrice, sécheresse, etc... étant considérées

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comme la manifestation de leur courroux (cas des animauxmalades de la peste de J. de la Fontaine), donner la

tprogéniture...

De même, craignant qu'il ne soit châtié de son ingratitudeou de son mauvais comportement dans la société, l'hommedevait leur manifester reconnaissance à la suite d'une faveursollicitée et obtenue ou expier ses fautes.

Si chez les Peaux Rouges de l'Equateur les victimes étaientdédiées aux dieux des plantes, le but poursuivi était qu'enretour ceux-là bénissent la terre et multiplient les récoltes. Chezles Aztèques où' les victimes étaient dédiées au dieu du maïs, onprenait soin de varier l'âge de la victime en fonction de lacroissance de la plante: un nouveau né à la germination, unhomme en pleine maturité pour une plante formée et, entre lesdeux un adolescent. Le but n'était autre que demander à ce quechacun d'eux protège la croissance de la plante et rassure lepeuple d'une récolte abondante. En Egypte on donnait au Nilune fiancée pour que de sa satisfaction il vomisse beaucoupd'eau pour favoriser la culture et accroître les récoltes.

En Afrique Centrale, ces jeunes vierges que l'on jetait à laMULONGOY ou que l'on immolait au versant de laMUYOMBO, ne l'étaient que pour appeler les dieux à fructifierla pêche et la chasse.

On se rend donc compte que toutes ces pratiques n'avaientqu'un seul objectif, à savoir la satisfaction des besoins matérielset physiques de l'homme et, partant, la stabilité sociale de lacommunauté.

De nos jours, ces chercheurs de diamants qui sacrifient unmembre pour ramasser un peu plus de pierres, ces opérateurspolitiques ou économiques qui font don de leur fécondité ou dumental de leurs enfants pour accéder à un poste plus grand,pour les uns, ou gagner un marché, pour les autres, tout cemonde ne court que derrière un seul but, la satisfaction desbesoins matériels et la stabilité sociale.

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Ces pratiques que nous croyons primitives, persistent encorede nos jours et sont pratiqués par des gens d'une haute culture.Ce ne sont pas les récents événements du Gabon qui medémentiront.

Les enseignements religieux qui sont un premier outil,apparemment efficace, pour endiguer ce mal, n'ont pas encoretotalement réussi à l'éradiquer du fait non seulement de ladiversité des enseignements eux-mêmes et dont parfois lescontradictions commencent à semer du doute dans les espritsdu public cible, mais aussi de l'absence de collaboration entreles pouvoirs temporaires et les ministres de Dieu, les premiers seréfugiant derrière les droits et libertés individuelles desserrentles contraintes qui devaient restreindre ces libertés aux seulesautorisées par la loi divine.

En effet, les législations juives, chrétiennes et musulmanes,tout en reconnaissant la place prépondérante qu'occupent lessacrifices dans leurs rites, ont tout fait pour élever au rang decrime l'immolation des victimes humaines et, les écrits aidant,ont progressivement étalé une gamme de victimes desubstitution qui vont des animaux aux objets inanimés enpassant par les plantes et leurs dérivés.

Si les juifs et les musulmans s'en tiennent encore strictementaux écritures anciennes où le sacrifice des bêtes et des produitsdes champs prend une bonne place, les frères chrétiens vontplus loin avec le sacrifice de la Croix qui remplace tout autresacrifice que pourrait offrir l'homme. Pour certains, l'argent estdéjà un bon serviteur qui remplace toutes les autres matières desacrifice.

Tous ces enseignements avaient encore de leur efficacité etde leur audience auprès des peuples quand l'environnementsocial était encore sain et les inégalités moins flagrantes que denos jours.

A l'époque coloniale et pendant les années qui ont SUIVI

immédiatement les indépendances, le phénomène des sacrifices

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humains était très rare et deux facteurs importants en étaient lacause: la stabilité sociale relative des sociétés africaines etl'étroite collaboration qui prévalait entre les pouvoirs coloniauxet les confessions religieuses, principalement l'église catholique.

Au fur et à mesure que la stabilité sociale s'effrite, les besoinsmatériels des hommes deviennent de plus en plus insatisfaits etqu'il s'installe une misère de plus en plus générale parmi lespopulations, la nécessité de recours aux forces surnaturelles,Dieu, les divinités autres, les mânes, refait surface et toutes lesvoies de prendre contact avec elles, y compris les sacrificeshumains, réapparaissent.

Nous pouvons donc dire que loin d'humaniser l'humanité,ce que l'on nous demande d'appeler civilisation et qui n'estautre chose que la culture du monde capitaliste, déshumanisel'homme et le réduit à la culture primitive.

Il suffit tout simplement de voir cette tendance qu'al'homme civilisé de revenir à la nudité, ce goût inexplicable etinexpliqué à l'homosexualité et cette banalisation de la viehumaine par l'expérimentation sur des hommes des armes deplus en plus meurtrières à la grande satisfaction des puissancesmilitaires.

J'estime que la résurgence de ces pratiques ignobles est,comme le goût à la nudité et à l'homosexualité, l'expression dudésespoir de l'homme face à un monde de plus en plus injustecaractérisé par :

la misère totale et le dénuement des uns face àl'extravagance de l'opulence des autres;le non respect par les plus forts des droits des faibles,dont le droit à la vie: on peut abattre trois millions decongolais pour sauver une seule vie... on peut brûlertout un sous continent pour que tel pays accède à sesréserves gazières ou pétrolières;la banalisation de la vie humaine par le maintien de lapeine de mort dans des pays dits civilisés, par la

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circulation des fùms qui ne prêchent que la violence,pour autant qu'ils soient la manifestation de lapuissance d'un tel pays, etc...

Ce sont donc là, à mon avis, les facteurs qui contribuent àinciter l'homme, cet animal qui réfléchit sur tout ce qu'il voitetcapable de mimer des faits, même les plus extravagants, au peude respect de la vie humaine. Si pour avoir accès aux mines d'orde Kilo Moto, les puissances d'argent peuvent immoler troismillions de congolais sans la moindre conscience, je peux doncmoi, se dit l'individu, sacrifier la vie d'un petit pygmée pouraccéder à la force physique ou à la richesse, au pouvoir, àl'abondance, et cela ne contitutue pas du tout un péché.

4. Conclusion

C'est ici que nous arrivons à nous poser la question suivant:après tout - donc après avoir constaté que les sacrifices ne sontofferts que pour accéder à certaines faveurs, que pour denombreux cas ces faveurs sont d'ordre matériel et social et queces faveurs peuvent être consentis par la société des humains enassurant une redistribution juste et équitable des biens de cemonde - après tout, disais-je, en endiguant la pauvreté, nepourra-t-on pas, par le même coup, mettre fin aux pratiquesrituelles criminalisées, parce que l'on aura satisfait aux besoinsmatériels derrière lesquels courent les hommes et on aura crééune société de justice et d'égalité?

Cette hypothèse, comme je l'ai dit dans mon introduction, jela laisse à l'analyse des savants que vous êtes et qui pouvez, depar votre expertise et de par votre expérience, en établir lavéracité.

Pour ce qui me concerne, me définissant la pauvreté commeétant l'état d'insatisfaction des ressources dont on dispose,soutenant qu'il est totalement exclu que ces pratiques proscritesaient comme finalité l'héritage du Royaume des cieux maisqu'elles le sont entièrement pour la recherche de la satisfaction

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des besoins physiques, matériels et sociaux de ceux qui lesopèrent, d'où leur corrélation directe avec l'état social des gensdans la société et considérant enfin le contexte dans lequelévoluent nos pays dits en développement, je n'ai pas peurd'affirmer que ces pratiques peuvent facilement disparaître avecla disparition de la pauvreté.

Si chaque citoyen mange à sa faim, accède à l'eau potable, àl'électricité, loge dans une maison décente, reçoit les soinsappropriés quand il le faut, envoie ses enfants à l'école, uneécole où la morale religieuse est enseigné par des religieux, enlieu et place de toutes ces leçon de révolution auxquelles onnous a habitués, chaque citoyen se déplace, se détend et gagnesa vie comme un homme et selon ses aptitudes, l'enviedisparaîtra et les crimes rituels avec.

La pauvreté est le plus grand fléau qui mine nos sociétés, lesébranle jusque dans leurs fondements en tant que sociétéshumaines.

Si Dieu, notre Créateur, a fait de l'amour le plus grandcommandement, ce qui sous entend un partage équitable etéquilibré des ressources terrestres et du bonheur de vivre entretous les citoyens du monde, la pauvreté est la manifestation duplus grand péché que commettent les hommes contre cette loidivine var elle est la fùle de l'injustice sociale.

Le crime, terme qui est aujourd'hui à l'honneur, se définitpar la transgression d'une règle, d'où, l'injustice qui transgressela loi de l'amour est un crime et ses conséquences sont là, larévolte de l'homme qui se permet n'importe quoi sansconsidération aucune de l'ignominie qui entoure son acte.

Cette pauvreté qui engendre tous les maux: la haine, l'envie,la jalousie, le vol, le viol, le meurtre, le brigandage, le terrorisme,...les crimes rituels doit être combattue sur tous les front etnous devons tous ensemble nous liguer pour l'éradiquer. Lapauvreté, source de tristesse et de désolation, mère de laprostitution et qui entraîne derrière elle tout son cortège de

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corollaires funestes, dont le VIH/SIDA est mon seul accusé cejour et je la considère comme le facteur principal des crimes quenous décrions ici.

J'ai dit et je vous remercie de l'attention que vous avez bienvoulu m'accorder tout en appelant à votre indulgence sur laqualité moins bonne de mon exposé qui, je l'ai avisé au départ,n'a pas su respecter les règles les plus élémentaires de l'art de lacommunication.

Vous avez certainement compris, mon souci était d'arriver àvous transmettre le point de vue des musulmans de laRépublique Démocratique du Congo qui croient que lapauvreté est à la base des crimes rituels et qu'en réussissant àl'éradiquer, on aura certainement résolu ce problème.

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L'Mrique des Etats et le défi de'la modernité.Communication sur la modernité africaine et

responsabilité d'apprendre à faire communiquerl'art de gouverner les hommes

Abbé Dominique KAHANGAProfesseur aux Facultés Catholiques de Kinshasa (RDC)Secrétaire épiscopal de la Commission «Justice etPaix »

Les discours idéologiques africains de l'indépendance ontrepris à leur compte une tradition du sens de l'autorité marquéepar une vision démiurgique mythique de l'individu. L'image duhéros qui inaugure un ordre habitable du monde a largementnourri l'imaginaire du pouvoir africain. Par ces discours, lesidéologues ont cherché l'adhésion populaire] en sollicitant dupathos africain de la totalité une vision globale de l'ordre socialet politique. Par une réactualisation de la solidarité, le sens de latotalité était soumis au bénéfice de l'unité politique de l'EtatMricain. Les idéologies ont poursuivi un but en lui-mêmelégitime, en ce qu'il tend à concrétiser les exigences de la sagessecommune en au-delà de la diversité des mémoires historiques etsymboliques de l'identité africaine, au-delà de l'originalité de lasingularité de nos pratiques de vie personnelle et collective.Mais, on le sait durement aujourd'hui, en fait depuislongtemps, qu'une volonté et une pratique politique qui semettent au-dessus des valeurs d'humanité, se retournent contreles hommes et les sociétés et aujourd'hui contre la nature elle­même.

La critique interne de la modernité africaine, comme critiquede la tradition superficiellement conduite entre l'opposition dela tradition et de la rationalité prive d'abord l'art de gouvernerde son éthique propre, que l'exercice de l'autorité aurait dûtrouver dans l'instance culturelle de l'homme responsable.Nous y reconnaissons un lieu de son absence â soi-même d'oùse génèrent les représentations qui coïncident avec l'humanitédu vide contemporaine de nos calamités. Grande illusion, eneffet, comme le montre les précipitations et les catastrophes de

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ces nouveaux modes d'inscription à partir d'une figure de l'Etatet de l'institutionnalisation perverse des solidarités anciennes.

A partir de ce qui aurait pu apparaître de lui-même commesavoir de l'humanité monstrueuse par l'évaluation de l'actionéthique enracinée, qui, elle, rend reconnaissable à sessemblables la maturité de l'action de joindre et de rejoindrel'autre, à la racine de la socialité, c'est l'illusion de la joie de lapuissance qui recouvre le courage d'être quelqu'un selon uneéthique de la vie qui répond de ses effets nocifs de l'humanitédu vide.

Le but louable d'intégration et d'institutionnalisation d'uneéthique politique de la solidarité ne pouvait, sur le terrain où seplaçaient les idéologies pour la généraliser, que faire abstractionde l'enracinement de l'éthique de la solidarité, dans le travaild'être-avec, travail qui agit selon les fins éthiques des individus.

Nous pensons, qu'à l'exception notoire de Julius Nyerere, laréférence à l'éthique négroafricaine de la solidarité a négligél'essence de cette éthique «d'être-avec» qui tire sa force de ladifférence entre l'homme vrai et l'homme vide ou l'homme de lamultitude. Que signifie l'humanité de l'homme de la multitudeou l'humanité de l'homme vide. Par opposition à l'identité del'homme vrai, l'homme de la multitude se confond avec lapluralité d'objets qui renvoient à l'individu l'image de sapuissance. L'exemple le plus parlant est celui de quelqu'un quin'est mûr que par l'idée de rester au pouvoir, même au prix devies humaines et de la ruine de son pays.

Cette idée de soi-même, par l'image de soi projetée àl'extérieur par l'identification multiple de l'individu, empêchel'ouverture éthico-ontologique à la vérité de l'homme, conformeà l'exigence morale de la responsabilité à l'égard de la vied'autrui et des qualités de la nature. Nous désignons parl'hospitalité de la vérité cette ouverture éthico-ontologique dechacun. Le défi d'être quelqu'un par la multiplicité d'objets, enfaisant fi de l'humanité de l'homme vrai, dont la forme unique

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de sa donation Gegebenheit est la bonté-beauté, la beauté de labonté, n'envisage pas de soi la vérité de l'homme, il impliquenécessairement le travail d'être-avec.

Dans plusieurs langues africaines l'idée de la multitudecoïncide avec celle de l'homme vide, opposée à l'homme vrai, àl'homme juste, c'est-à-dire à l'humanité montrée pour ce qu'elleest, conformément à son intuition donnée originairement parl'hospitalité de la vérité.

L'intuition éthico-ontologique de l'homme, son être donnédans son contenu même, n'est confondu ni avec les richesses, niavec l'amour sensuel, ni avec la jouissance. Ce qui signifie, pourcette éthique, que ni les richesses, ni l'amour sensuel, ni lapuissance, ni l'intelligence sans le sens de la vérité de l'homme,ne compensent la vie éthique.

La culture sapientielle négro-africaine, discerne parfaitementles dangers de tous ces pou<veirs de l'être-homme sans laresponsabilité du sens de l'humanité.

La pensée négro-africaine discerne parfaitement aussi lafausseté de l'intelligence sans le sens de la vérité et de la justice,la vanité de la sensibilité et de la beauté sans la bonté. Cesqualités sont toutes en opposition avec la signification éthico­ontologique de l'humanité,

L'homme vide s'exprime, en Lunda, langue du Katanga, duBandundu en RDC, du nord-est de l'Angola et de la Zambie parMunthu wa mwan,Jittéralement « l'homme, celui du vide. Enlingala, langue du Nord de la RDC et du Congo-Brazza, l'idéeest rendue par Moto ya pamha. En Luba, langue du Sud-ouestet du sud-Est du Congo, elle se dit Muntu wa canana. En Pende,sud-ouest de la RDC et en Angola, muhi wahola.

En dehors de l'Afrique centrale, au Mali Mah langolo et auTogo, avec cette nuance propre à un peuple doué pour lecommerce, l'idée est rendue par l'homme gaspillé: Amena gugu,

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opposé à Amena doté, l'homme vrai. L'homme juste, pur lesKongo, les gens du Kongo, c'est Muntu Masonga:_celui quimanifeste son humanité par son comportement en prenantd'emblée en charge le sens de la vérité de l'homme dans l'agirl'un pour l'autre. Tous ces termes qui expriment la capacité dese rappeler l'essentiel font de l'identité une aptitudefondamentale à se relancer soi-même par son courage d'être-làcontrôlé par soi-même et susceptible d'être contrôlé par lesautres. C'est autrement que par la chaîne biologique ou par lecycle cosmique et ses rythmes. L'autonomie de ce milieumanifeste l'identité des rapports socio-politiques inscrite par leprincipe éthico-ontologique, c'est-à-dire le fondement de lamanière d'être et de faire essentiel pour quelqu'un, commelumière ou nuit qui s'ajoute avec l'homme à l'ordre cosmo-vital.

L'auto-protection uniquement centrée sur les besoinsbiologiques mine l'aptitude de la volonté au courage d'êtreresponsable de la vie de l'autre. Qu'on se rappelle pour un vivreque « l'agir solidairement veut dire, depuis l'Egypte, justifier parl'action la confiance que la société des hommes confère à l'agir.Le Professeur Jan Assman, rappelle que la tournure «dire lamâat» exprime exactement une telle analyse, à savoir: parler enharmonie avec la confiance conférée à la parole, ne pas détruireavec la langue la solidarité de la confiance, l'harmonie sociale7

L'homme vrai est l'homme d'une humanité définie par lavolonté du bien. Le sens de la vérité-justice et l'humanité del'homme expriment la même réalité. Ne peut le faire voir selonl'entendement du vrai et du faux, du beau et du vrai quel'éthique de la vie du bon, de la vie ordonnée à la santé cosmo­vitale de relation aux biens, aux autres, à la nature, à l'au-delà.L'ouverture au monde par la vérité-justice est l'oeuvre de lamoralité humaine de « l'homme vrai» opposé à l'homme vide.

7 Jan Assman, MÀAT, L'Egypte pharaonique et l'idée de la justice sociale,1989.

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L'homme vrai humanise la volonté grâce à laquelle l'hommese distingue du vivant par le seul jeu de la vie. «Celui-là» estchaque fois « quelqu'un » lorsqu'il est témoin de la « vraie-vie­en- commun ». L'essentiel renforcement en soi-même de ladignité qui se tient en elle-même - UNTFH, muntu mansonaa,moto ya solo, Muinja - amena doté: la véridicité, est lerenforcement de l'humanité, de la droiture au principe de lasocialité bonne. Celle-ci ne peut que s'épanouir par unejonction heureuse du travail d'être à l'exigence d'aimer commeet à la suite de Jésus. La justice-relation, celle de l'homme vraiest justice première vécue comme norme d'une singularité d'êtreavec des hommes dans leur agir l'un pour l'autre.

Nous avons reconnu la même idée chez le penseur sapientielMalien Hampate Bâ, qui a bien compris ce qu'est l'homme de lamultitude. Hampate Bâ écrit ceci à ce sujet: « Si l'homme qu'onappelle au pouvoir, une fois au pouvoir, ne voit plus que l'idéemême de rester au pouvoir, alors il fera tout pour s'y maintenir.Car une fois qu'on est monté très haut et qu'on regarde en bas,surtout si on est monté très haut, on a le vertige, alors ons'accroche là-haut et on perd sa personnalité ». Il continue «Ilfaudrait que celui qui a pris le pouvoir, qu'il soit président ouroi, ait surtout à coeur l'exploitation rationnelle .descompétences dans l'intérêt de son pays8. »

Combien actuelle est encore cette pensée d'Hampate Bâexprimée en 1962 relativisant le débat sur l'organisation de lapolitique par les partis, Hampate Bâ attirait l'attention sur lespassions individuelles, en particulier sur la passion du pouvoircomme poursuite de la puissance pour la puissance, source descalamités quelque efficace que soit le système politique qu'unpays peut adopter. Nous avons examiné quelques-unes desexpressions linguistiques qui comprennent le conceptd'humanité dans ses différences éthico-ontologiques, commecapacité de se rappeler l'identité de l'être-avec dans saresponsabilité singulière.

8 Harnpate Bâ, Tradition et modernisme en Afrtque noire. Rencontreinternationale de Bouaké, Seuil, Paris, 1965, p. 247.

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Que les cultures négro-africaines, pourtant cosmo-vitalistes,n'aient pas confondu l'idée de l'homme, sa réalité et saphénoménalité, avec son appartenance à l'espèce animale et àl'ordre cosmique, les distinctions éthico-ontologiques leconfirment. Par elles, «nous devons examiner ici dans quellesconditions s'exerce la critique de la réminiscence; quels motifsnous conduisent à l'instituer, quel secours nous recevons de lasociété dans sa pratique9

». Quel regard de la responsabilitédans la reconstruction de la paix entre les hommes.

C'est par le courage d'assumer concrètement la significationde l'homme vrai, que quelqu'un devient cet être de laresponsabilité de la vie de l'autre. Ce courage d'être un hommevrai, un homme juste, exprimé dans les déterminations de«Munthu wa kin », correspond à un sens de la liberté plusfondamental et plus sérieux que la liberté qui se définit parsimple opposition au déterminisme physique.

Ainsi conçue, la pensée sapientielle africaine, qui est élaboréeà partir de la dynamique unitaire des êtres, par l'idée d'être cequ'ils sont dans leurs manifestations, se reconnaît à la placequ'elle donne à l'agissif de l'existant, à travers ses actions dedestruction ou de protection des êtres. En tant que quelqu'un secomporte en gardien du lien essentiel, à travers lesdéterminations de l'axiomatique éthique, sa vie manifeste lessens comme justice d'être-avec. Cette pensée permet de saisirl'idée première de la responsabilité, à savoir répondre de la vieen soi-même de soi-même de l'autre.

Ce qui veut dire que l'homme doit agir selon la dignitéaxiomatique d'être quelqu'un; autrement, la fonction de dirigerles hommes, qui s'accomplit uniquement d'après l'humanité dela multitude, contraint l'autorité qui se manifeste, à ne pas l'êtredéterminé par l'homme vrai ou par l'homme juste.

9 Jean NOGIJE, Le problème de la mémoire historique, in Revue philosophique,janvier-juin 1923, Librairie Félix Alean, p. 417.

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Les causes profondes des crimes rituels et desconflits en Afrique Centrale: Cas de la République

Centrafricaine

Lucien DAMBALE,Patriarche Conteur de la Sagesse Populaire

République CentrAfricaine

1. Introduction

D'uue manière générale depuis la nuit des temps l'homme atoujours cherché à expliquer le surnaturel à traVers descroyances et pratiques occultes où dominent la magie, lamythologie et la superstition. L'homme Africain n'y fait pas uneexception. Il manifeste ces croyances et pratiques occultes danstoutes les circonstances de la vie sur terre: naissance, mariage,maladies, mort ou guerre etc... Dans ces diverses manifestations,l'idée que l'homme Africain s'en fait est parfois confuse etmoins ordinaire, ce qui a comme impact, la pratique des crimesrituels dont nous allons justement, au cours de ce Colloquetenter de spécifier les fondements culturels tout comme ceuxdes conflits en Afrique Centrale en nous appuyant surtout sur lecas de la RCA dont nous sommes originaire.

Ainsi, pour mieux appréhender notre sujet, nous allons dansun premier temps, présenter les différentes formes de crimesrituels en Centrafrique et les raisons ou fondements culturelspossibles qui sont à la base de ces crimes et, enfin, nous auronsl'occasion de vous entretenir sur les différents types de conflitsen Centrafrique et leurs fondements culturels.

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2. Les différentes formes de crimes rituels en RCA

2.1. Les sacrifices humains pratiqués dans le cadre d'un rituelinitiatique

Comme nous l'avons dit dans le préambule de nos travaux,la RCA à l'instar des autres pays de l'Afrique Centrale connaîtaussi les pratiques de sacrifices humains pratiqués dans le cadred'un rituel initiatique. Ces pratiques sont: le talimbi, leouroukouzou, le ngbein, les crimes rituels avec utilisation degriffes d'animaux (le ngbanga), le ngaanga, le coup de foudre.

a) Le talimbiNous ne connaissons pas l'étymologie du mot talimbi, il doit

nécessairement appartenir à l'un des dialectes que parlent lesriverains du fleuve Oubangui. Le talimbi désigne précisément lesorcier qui par des procédures mystiques, attire sa victime etl'emporte dans les profondeurs des eaux, la fait ressortir dansun endroit caché. C'est alors que commencent les sévices, lestortures, les scènes d'humiliation. Le martyr consiste à verser del'eau très chaude sur tout les corps, à couper l'organe génital, lesdoigts des mains et les orteils, les poils du pubis, les touffes decheveux et le bout de la langue de la victime. Le talimbi n'est pasanthropophage mais il agit et tue dans le cadre d'un rituelinitiatique, puisqu'il jette le corps de la victime dans l'eau aprèsles sévices. Les régions de Bangassou, Kémbé, Kouango, Bangui,Berbérati, Mbaïki et Nola sont très renommées dans le talimbi.

b) Le ouroukouzouEtymologiquement le mot «ouroukouzou» est d'origine

Banda (une ethnie Centrafricaine). Ce mot désigne latransformation d'un homme en animal domestique ou sauvage.Ici c'est le sorcier métamorphoseur qui transforme sonprochain ou son semblable en animal. Il suffit de toucherquelqu'un avec les mains ensorcelées pour que ce dernierressente une fièvre aiguë et spontanée. La victime envoûtéemeurt quelques heures après. Le ouroukouzou est très répandu àBambari, Bria, Dékoua etc...

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c) LeNGBEINComme pour les autres crimes rituels précités, l'origine du

mot ngbein nous échappe. Mais nous savons que la pratique dungbein est d'origine Pana (une ethnie centrafricaine). Dans lesannées 1950-1970 la pratique du gbein n'était pas populairecomme nous le constatons aujourd'hui. Il se pratiquait dansdes cercles restreints. Le sorcier ngbein lui non plus n'est pasanthropophage. Le «ngbein-man» cherche plutôt un hommetravailleur, bien potelé et résistant. En fait le ngbein-man est unsorcier homme d'affaire, commerçant, un esclavagiste mystique,car il fait travailler des hommes métamorphosés en zombies. Unngbein-man peut avoir un troupeau de zombies à son service. Lapratique du ngbein est prospère dans l'Ouham, l'Ouham-Pendé,la Nana-Mambéré, tout le Nord-Ouest de la RCA.

d) Crimes rituels avec utilisation de griffes d'animal, le« NGBÂNGÂ »

L'auteur du crime utilise les griffes de cet animal «lengbanga» en grattant l'emprunte de sa victime. Celle-ci meurtdans quelques jours. Après ça sera la mort successive desmembres de sa famille, puis des voisins et finalement tout levillage se verra ainsi exterminé. Pendant ce temps l'auteur ducrime quitte le village de peur de subir le même sort. Les régionsde Bangassou, Kémbé, Rafaï, Zémio, OBO sont renomméesdans ce domaine.

e) Le NGAANGAProcessus: La victime se voit envahir par des fourmis

magnans pendant son sommeil. Il meurt par la suite avec tousceux qui sont dans la maison et même les autres parents très liésoù qu'ils se trouvent. Dans ce cas, il est formellement interdit detoucher aux matériels, biens meubles et immeubles de la victimede peur de subir le même sort. Il est utile, afin d'arrêterl'extermination, de consulter un voyant féticheur spécialisédans ce domaine.

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f) Crime~rituels par coup de foudreLa victime est tout simplement foudroyée où qu'elle se

trouve et quelle que soit la saison.

En somme, les sacrifices que nous venons de décrire peuventêtre considérés dans une certaine mesure comme les types desacrifices humains pour un rituel initiatique en RépubliqueCentrafricaine.

2.2. Les sacrifices humains pratiqt:tés dans un simple cadre familial enrelation avec le destin personnel des individus ou dans le cadre de lacrtryance au vampirisme ou autres forces occultes

a) LeNDONGALe ndonga est un cas de métamorphose très pratiqué par les

pygmées de la Lobaye et de l'Ombella-M'poko. Le ndonga-manenduit les paumes des mains avec des substances trèsvénéneuses et mortelles. Evidemment il protège d'abord sespaumes avec des « anti ». Il suffit simplement au sorcier ndongade saluer sa victime. Celle-ci est paralysée quelques heures aprèsla satanique salutation et meurt. Quelque jour après, le pygméerécupère le fantôme ou zombi de sa victime qu'il transforme enchasseur ou en esclave. Le fantôme ou le zombi mourraréellement par la suite d'une mort naturelle mais dans desconditions mystérieuses, par exemple, la disparition pure etsimple.

2.3. Tentatives d'explications des raisons ou de fondements culturels deces sacrifices humains

L'éducation traditionnelle fondée sur l'initiation serait unfacteur important dans la pratique des crimes rituels. En effet, àl'instar des autres sociétés traditionnelles d'Afrique Noire, lasociété centrafricaine pratique beaucoup les écoles initiatiques.Au cours de ces initiations, les maîtres des cérémonies tiennentà ce que «leurs prochains» accèdent aux connaissancesésotériques. Pour marquer à jamais leur passage sur terre etdémontrer la raison d'être de ces initiations, les maîtres descérémonies n'hésitent pas à léguer ou à révéler beaucoup de

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mystères aux jeunes qui subissent l'initiation. TI y a aussi, enguise de fondement culturel à ces pratiques, les systèmes devaleurs qui préconisent le besoin d'un homme fort sur tous lesplans qui aide ses compagnons en temps de guerre. Commefondements culturels nous pouvons évoquer aussi le désir des'identifier aux divinités supérieures de la légende ou le mythe.Ces raisons dont nous venons de faire part sont certesdiscutables, mais elles correspondent aux réalitésanthropologiques Bantou à l'exemple de celle de la RépubliqueCentrafricaine.

Voici, en résumé les causes profondes des crimes rituelspratiqués en RCA :

• L'éducation traditionnelle basée sur les connaissancesmystiques ou ésotériques;

• Recherche effrénée de la supériorité sur tous les plans etde la richesse;

• But commercial. Parfois, les sorciers ne commettentpas les crimes rituels de leur propre gré, ils sontmandatés et financés par d'autres personnes quiveulent la mort de la victime à envoûter;

• Garantir un avenir meilleur à son enfant héritier (cas ducara) ;

• La jalousie sous toutes ses formes. Cas de la jalousie desSorciers Baguidis envers M Danjou, l'explorateur blanc.Dans Mongou fils de Bandia de Pierre SammyMackfoy;

• Le désir de s'identifier aux divinités supérieures de lacosmogonie;

• La superstition, l'égoïsme et la folle ambition.

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3. Les différents types de conflits

3.1. Les conflits inter-personnels etfamiliaux

D'une manière générale ces conflits affectent la familleélargie ainsi que les voisins. Ces conflits s'expriment le plussouvent à travers les bagarres, les violences verbales ou disputes,le combat, la lutte. Les sources de ces conflits peuvent être lemauvais partage de la dot, l'héritage d'un proche parent ouencore le partage d'un gibier après la chasse. La famille africaineen général et centrafricaine en particulier est très large. Sonmode de fonctionnement est codifié depuis des tempsimmémoriaux. La moindre infraction à ces codes peut générerdes conflits latents ou ouverts dans la famille, pouvantprovoquer même la séparation ou la création d'un petit villageun peu plus loin par la partie hostile.

3.2. Les conflits claniques

Ces types de conflits se manifestent le plus souvent au delàde la famille élargie. Il atteint le lignage. Ces conflitss'expriment à peu près comme ceux que nous venons d'évoquerci-haut. Mais ils ne débouchent pas nécessairement sur desbatailles ou des guerres. Ces conflits peuvent survenir à la suitede la consommation de l'animal ou du non respect du mode desuccession d'un chef.

3.3. les conflits inter-ethniques

Ces conflits opposent généralement des ethnies différentes.Ils peuvent être le résultat de litige foncier, de conquête de solou de viol de terrain de chasse ou d'un cour d'eau réservé à lapêche. Ces conflits peuvent aussi résulter des désirs depuissance et de domination d'une ethnie qui s'estime plus fortedans l'art de la guerre.

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3.4. Les conflits des résistances

Ces conflits opposaient les autochtones aux colonisateurs etils opposent aussi certaines ethnies aux chefs de razzia. Ici nousfaisons allusion par exemple à 1 a guerre de Kongo-Wara menéepar le chef Karina contre les Français en 1928 ou encore auxinvasions des troupes militaires de Rabah et Senoussi dans larégion de Birao et Ndélé.

3.5. Les conflits « modernes» ou post-coloniaux

A ce niveau nous pouvons citer les luttes syndicales, lesmanifestations des étudiants, les contestations électorales oudes tracés des frontières hérités de la colonisation. Ces conflitssont le plus souvent le résultat d'un déficit démocratique ouencore d'une inadaptation de model d'Etat moderne aux réalitésculturelles locales

4. Conclusion

Pour finir nous pouvons dire que les fondements culturelsdes crimes rituels des conflits en Afrique Centrale et en RCA enparticulier sont multiples et variés. Ce n'est pas au cours de cecolloque qu'on pourra cerner rigoureusement tous lesfondements culturels de ces faits sociaux. Au delà de cela, larecherche des causes et moyens de préventions de crimes rituelset des conflits en Afrique, nous interpelle tous pour faire desétudes approfondies pour mieux les maîtriser.

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Causes et moyens de prévention des crimes rituels etdes conflits en Mrique centrale

Rév. Pasteur René FUT! LUEMBADoctorand en Théologie Chercheur en théologie systématique Université

Protestante du Congo Kinshasa/ RDC.

1. Introduction

Le problème de la violence est au cœur des pays de l'Mriquenoire subsaharienne. Il semble êtr~ aujourd'hui une des raisonsmajeures de la fuite des investisseurs dans cette partie ducontinent et qui serait à, la base de la paupérisationanthropologique de nos populations. La recherche des causesqui sous- tendent cette violence et des voies et moyens capablesde la juguler en vue de l'émergence de la paix est une entreprisemultidisciplinaire dont l'issue sera déterminante pour l'avenirde ces peuples.

Je m'empresse donc d'exprimer ma profonde gratitude auxorganisateurs de ce colloque sur «les causes et moyens deprévention des crimes rituels et des conflits en Afriquecentrale» et de m'y avoir invité.

Nous allons nous pencher sur les fondements culturels descrimes rituels et des conflits en Afrique Centrale.

Notre réflexion s'articule autour de deux points:Au premier, nous allons présenter la vision du monde des

bantu, population majoritaire en Afrique centrale et nousprendrons comme paradigme le peuple Kongo. Il s'agit duprincipe que nous connaissons le mieux étant donné que noustirons de lui nos origines et ses traits caractéristiques les plusessentiels se retrouvent en grande partie chez les bantu dont ilest une des composantes.

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C'est au second point que nous essayerons d'esquisser lapratique des sacrifices dans la spiritualité traditionnelle deskongo notre souci est de cerner la possibilité de la présence dessacrifices humains qui pourrait être un sous bassementjustifiant les crimes rituels et la violence dont souffre l'Afriquecentrale, plus particulièrement la RDC.

Compte tenu de l'évolution des peuples, (surtout lesintellectuels), les Kongo se sont aussi ouverts à d'autresspiritualités étrangères orientales et occidentales du genreésotérique. Il est donc important de voir si ces crimes rituels netrouveraient pas leur origine dans le chef des adeptes etpratiquants de ces mouvements ésotériques.

En guise de conclusion, nous allons proposer des pistespastorales capables d'orienter le discours et l'agir de l'Eglise envue de réduire les crimes rituels et la violence en Afriquecentrale.

2., "llcture sociale et vision du monde du peuple Kongo :

Les Bakongo se trouvent en grande partie dans la provincedu Bas-Congo. Cette province fut la première à entrer encontact avec l'Occident. Son unité culturelle, ses énormespotentialités naturelles (eau, forêts, sols riches ...), sa proximitéde la capitale, ses bonnes relations avec ses voisins de laRépublique du Congo et d'Angola, constituent pour lesBakongo des atouts majeurs pour un développement socio­économique durable.

Selon J. Vansina1, l'ethnie kongo se divise en plusieursgroupes dont les principaux sont:

le long de la Côte et du Nord au Sud: les ViIi, les Woyo,les Solongo ;vers l'intérieur, au Nord: les Kungi, les Bembe, lesSundi;

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Au sud, les Zombo, les Mbata, les Bankanu, les 50S5010

2.1 Structure sociale

Au Bas-Congo tout comme ailleurs en RDC, la structurede parenté constitue l'ossature principale et elle comprendl'alliance, la consanguinité et la filiation. L'homme sedéfinit par rapport à elles, quiconque est incapable dejustifier son appartenance à la parenté est étranger. Iléquivaut à être un ennemi, au moins potentiel.

E. Pritchard trouve les mots justes pour le dire:« chezles Bakongo et chez les Nuer les droits, privilèges,obligations tout est déterminé par la parenté. Un individuquelconque doit être soit un parent réel ou fictif, soit unétranger vis-à-vis duquel vous n'êtes lié par aucuneobligation réciproque et que vous traitez comme ennemivirtuelll ».

Chez les Bakongo comme ailleurs en milieu traditionnelafricain, l'organisation de la vie communautaire est centréesur la séniorité et la masculinité, la famille individuelle estsubordonnée au clan ou Dikanda.

Le Dikanda est matrilinéaire, il est dirigé par l'aînéappelé Ngwa kazi. Le mukongo dépend des frères et soeursde sa mère, qui ont sur lui pouvoir et autorité, c'estégalement leur protection qu'il recherche, c'est d'eux qu'ilattend l'héritage. La famille et le clan sont régis par la loi dela solidarité.

Le clan comprend aussi bien les vivants que les trépassés, lesancêtres. Le mariage, base de l'extension du clan, est une affairecommunautaire et nécessite la participation de tous dans lamobilisation, des compensations matrimoniales, la dot et

1°j.VANSINA, Introduction à l'ethnographie du Congo, CRISP, Mouscron,Editions Universitaires du Congo, 1966, p. 11611 E.PRITCHARD, TbeNuer, Oxford, 1940, p.183.

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l'accord de tous les membres du clan. Il est exogamique (on nese marie pas dans le clan) mais il est aussi endogamique c'est-à­dire on est tenu de se marier dans l'ethnie. Chez les Bayombe,cette loi s'étend aussi à la famille paternelle, c'est-à-dire, unhomme peut épouser la nièce de son père appelée «Tatanketo ». Il ne peut se décider sans se référer aux ancêtres quiont primauté à toutes cérémonies. C'est à eux qu'on offre lespremières gouttes de vin.

2.2. Vision du monde

La vision que l'homme a du monde détermine son être etson agir. Chez les bantu et chez les mukongo en particulier, iln'y a rien d'accidentel, de naturel. Tout événement, de quelquenature qu'il soit, est saisi sur l'un des deux registres suivants:registre religieux et reflistre magico-fétichiste. Il est importantde noter avec Buakasa qu'en Afrique la personne humaine estune donnée ontologique plurielle instituée par l'unité de sesconstituantes et en harmonie avec sa société (instanceanthropologique), en harmonie avec son histoire, sa tradition,ses origines (instance phylogénétique) et la nature (instancecosmique).

Cette vision du monde n'est pas le propre des bantu ou desBakongo mais c'est le reflet de la mentalité traditionnelle. Eneffet, dans la mentalité traditionnelle, observe MirceaEliade!3 : « Les faits et les événements renvoient à quelque chosed'autre, à un ordre invisible qui existe et se dérouleparallèlement à l'ordre visible et dont celui-ci fait d'ailleurspartie; car ce qui est apparent n'est qu'une partie du cosmostotal, dont une autre partie non moins réelle se dérobe à nosyeux. Cet ordre invisible, c'est celui du sacré, qui complètel'ordre visible et lui confère sa véritable signification. Lesévénements et les choses ne s'expliquent donc pas seulement en

12 Cf. Tkm. BUAKA5A, Lire la religion Africaine, Louvain-La-Neuve, Noraf,1988, p. 25.13 Cf. M. ELIADE, Le Sacré et le Profane, Coll. Idée, Paris, Ed. Gallimard,1965, pp. 20-30.

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eux-mêmes, mais leur vérité a besoin d'être révélée par référenceà l'univers sacré, car c'est là qu'est le modèle original et leursource. D'où la grande richesse des symboles théophaniquesdans toutes les sociétés traditionnelles ».

C'est ce qui explique aussi l'engouement des bantu et desafricains en général vers les prophètes et les nganga nkisi,marabouts appartenant à la catégorie de «batu bangu diela »,

c'est-à-dire les gens qui ont l'intelligence de sonder l'invisiblepour expliquer le visible, pour obtenir la révélation sur ce quivoile son bonheur et hypothèque l'avenir; car la relationd'instance non épanouie, conflictuelle, brisée entraîne ledésordre et met en danger l'existence, aussi bien celle del'individu négligent, celle de la société où il vit, que soninsertion, dans l'environnement social et naturel.14

Le mukongo et le muntu en général naît, grandit et meurtdans cet environnement magico religieux et ilprofondément marqué. Quels que soient sond'instruction, sa position sociale, dès qu'éclate unerecourt nécessairement à ces deux grilles de lecture.

en estniveau

crise, il

Le bien-être (sécurité, prospérité matérielle, santé, succès,pouvoir), aspiration profonde de tout bantu et du mukongo enparticulier peut être obtenu en recourant soit à Dieu ou à lamagie. Ce bien-être peut aussi être compromis par le Ndoki,c'est-à-dire, un homme ou une femme doté d'un pouvoirocculte capable de jeter un mauvais sort sur les autres et parfois,aussi capable de protéger. La sorcellerie est marquée du sceau del'ambivalence dans la mesure où elle se manifeste comme unbien et comme un mal social.

Tout déséquilibre existentiel peut avoir son origine de Dieu,Nzambi dont on a violé la loi, les règles, des bakulu (ancêtres)dont on a pas respecté les principes de vie communautaire(rites, interdits, totem ..) soit encore du sorcier. Chaque effet estlié et s'explique'par une cause souvent d'origine spirituelle.

14 Cf. Tkm. BUAKASA, Op. Cit., p. 30.

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La sentence de Nzambi, des ancêtres, des sorciers peut semanifester de plusieurs façons: la stérilité, la guerre, lessécheresses, la faible production agricole, la rareté des gibiers,les morts prématurées, la maladie, l'échec, le chômage, lapauvreté.

Ceux qui ont recours au religieux pour expliquer la totalitédu réel, trouvent derrière chaque contradiction de la vie undémon, un sorcier qu'il faut soit chasser, soit exorciser, soitbannir. Tandis que ceux qui recourent à la magie, l'expliquentsouvent par une main cachée d'un sorcier dont il faut seprotéger ou qu'il faut carrément tuer par des moyens occultesou dont il faut solliciter la faveur, la réconciliation par lapalabre «kinzonzi ».

3. Pratiques des sacrifices dans la spiritualité traditionnelleKongo

En effet, comme on peut le comprendre, le sacrifice vise àrétablir le contact, la relation avec l'offensé, à se concilier à lafois la faveur de Dieu et celle des ancêtres. Chaque fois qu'il y arupture d'harmonie, observe Buakasa1S, des mécanismes etprocessus de réparation sont là. Il s'agit des rites, tels lessacrifices, la prière, les consécrations d'autels, les rites derenouvellement et de purification. En dehors de cet aspectpurement propitiatoire, le sacrifice est polysémique et donnelieu à plusieurs théories: théorie du don, théorie decommunion, théorie d'action de grâce. Mais le but ultime dusacrifice comme le fait remarquer J. Mbiti, demeure lerétablissement de l'équilibre ontologique:

15 Ibid., p. 25.

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"[...] the sacrifices and offerings are acted of restoring theontological balance between God a man, the spirits and man,and the departed and the living ,,!6

La pratique du sacrifice est le dénominateur commun desdifférentes religions africaines. Cependant, il y a lieu de signalerque selon les Banyaruanda, Dieu est si bon qu'il ne demandepas les sacrifices ou les offrandes. Ils font des sacrifices auxdeux principaux esprits qui, d'après leurs croyances, collaborentavec Dieu. Les Barundi, de leur côté, croient que leur hérosKiranga agit comme leur intermédiaire entre eux et Dieu. Ilsfont des sacrifices à Kiranga mais s'ils échouent, ils rentrentauprès de Dieu!7. Toutefois, quel que soit celui à qui le sacrificeest offert Dieu reste la finalité.

Ces particularités Banyaruanda et Barundi montrent lecaractère pluriel des symboles des sacrifices et des rituels qui lesaccompagnent. La pratique du sacrifice n'obéit pasnécessairement à un schème unique dans une société donnée.Cela varie d'un peuple à l'autre, et d'un médium à l'autre.L'offrande présentée à Dieu ou aux ancêtres ne devient sacrificeque si elle est accompagnée des prières. Il est important de noterici avec Luc de Heusch!8, l'existence d'une société bantu de laRépublique Démocratique du Congo se distinguantradicalement de toutes les autres jusqu'à une époque récentepar la quasi absence de pratique sacrificielle: les LeIe du Kasaï.

Généralement, chez les Kongo, la poule blanche ou rouge,les œufs et quelques rares fois la chèvre sont les opérateursprivilégiés du sacrifice. A la fin de l'initiation du jeune Bakhimbachez les Yombe, Van Wing affirme!9 qu'il y a une journée dédiée

16 J. MBITI, Op.cit., p.179. les sacrifices et les offrandes sont realisés pourrestaurer l'équilibre ontologique entre Dieu et l'homme, les esprits etl'homme,et les trépassés et les vivants.(notre traduction).17 J. MBITI, pp. 180-18118 L. de HEUSCH, Le Sacrifice dans les reltgions africaines, Paris, éd. Gallimard,1986, p. 4819 J. V. WING, s.j., Bakongo: Religion et Magie, Bruxelles en Inst. RoyalColonial Belge, 1935, p.

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au fétiche. Le maître du Kimphasi et ses aides apportent tous lesnkisi, le rouge sur leurs nattes d'honneur, les mettent en actionet les ensorcellent. Une chèvre sera tuée à cause du Mbuta etKhosi, le chef lion et il sera abreuvé de son sang. Les autresfétiches recevront chacun leur poule.

Le choix du sacrifice peut également être dicté par le projetqui s'attache aux rituels ou par la gravité de la faute commise.Généralement pour les cas complexes, le sacrifice sanguin est leplus usité. C'est le cas par exemple du traitement d'épilepsiechez les Mambuku-mongo. On sacrifie la poule. Ce sont souventdes sacrifices d'animaux.

D'après les grandes personnes interrogées, les sacrificeshumains étaient rares chez les Bakongo. Seul l'esclave rebellepouvait être crucifié sur un Nkondo (baobab) et l'homme ou lafemme attrapé en flagrant délit d'adultère pouvait subir lemême sort ou alors il pouvait être vendu comme esclave.

Léo Bittremieux20 dans son imposante étude sur la SociétéSecrète des Bakhimba au Mayombe nous fait remarquer quedans la lutte contre la sorcellerie, les Bayombe avaient recours àtrois fétiches: les Khonde et les Nduda mais entre les deux fut lepuissant Pfula Nkombe.

Lors de la consécration du Pfula Nkombe, il requéraitplusieurs vies humaines. On prétendait qu'il y avait neuf cœursde jeunes fùles sous le miroir fixé à son ventre. Ceux qui luiétaient voués, avaient la réputation de Ndoki émérites; pendantdes mois, ils faisaient le léopard, c'est-à-dire se travestissaient auléopard et devenaient ainsi «hommes en haut et léopards enbas» pour attaquer les hommes. On disait que dans lesfestivités nocturnes en honneur de Pfula Nkombe, des hommesétaient dévorés. Ce sacrifice humain avait pour but de renforcerle pouvoir de Nkisi Pfula Nkombi1

• Bittremieux fait également

20 Cf. BITTREMIEUX, La Société Secrète des Akhimba au Mayombe, Mém. lnst.RoyaI Belge 1935.21 Cf. BITTREMIEUX, Op. Cit., p.164.

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allusion à l'anthropophagie pratiquée jadis par les guerriersBasundi probablement pour augmenter leur puissance aucombat. Mais il ne nous dit pas si cette chair humaine étaitsacrificielle et consommée suivant un rituel donné.

La pratique des sacrifices des vies humaines était très rarechez les bantu. Matungulu Otene s.j., nous fait remarquer que«ce n'était pas chose rare en Afrique noire que d'exécutercertaines personnes pour accueillir le roi. Mais avec Dieu, il n'enétait pas ainsi, Dieu n'avait point besoin de sacrifice humain, onlui offre les présents des champs et des animaux, mais point desvies humaines car ce genre de sacrifices lui fait de la peine. Dieuest le roi- père et non le roi -chef2 ».

Il se dégage une relation directe entre le sacrifice humain etle pouvoir. La sacralisation du pouvoir dans la sociététraditionnelle africaine serait à la base des sacrifices humainspour augmenter la force vitale du chef divinisé ou presque. Pouracquérir le pouvoir sacré, écrit de Heusch23

, le redoutable Wene,«émanation des forces supra-humaines» détenues par lesesprits de la terre, chez les Yombe (Zaïre) n'hésitaient pas àmettre en œuvre une sombre procédure: une jeune fille,capturée par les soldats du prétendant, était coupée en deuxvivante avec le « couteau du pouvoir ». Son foie était arraché etmangé par le chef. Les grands fétiches nkisi tiraient en effet leurefficacité du principe vital (kuyumba) des victimes humaines.

Même les LeIe qui n'accordent pas assez d'importance à lapratique sacrificielle, leur conception de la sacralité du pouvoirconduit ce peuple à pratiquer le régicide. En effet, chez les Leie,souligne Vansina24

, on ne peut douter que le roi «sacré »,maître redoutable des forces naturelles, est condamné à mourirprématurément, à devenir une victime sacrificielle au terme

22 O. MATUNGULU. s.j., Une Spirztualité bantu de l' « être avec ». Heurts etLueurs d'une communion, Kinshasa, Ed. Saint Paul Afrique, 1991, p. 100.23 L. de HEUSCH, Op. Ch., p. 330.24 J. VANSINA, Le Royaume Kuba, Tervuren, Musée royal de l'AfriqueCentrale, 1964, p. 100, cité par L. de HEUSCH, Le Sacrifice dans les religzonsafrtcaines, Paris, éd. Gallimard, 1986, p. 158.

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d'un règne plus ou moins long. La mise à mort rituelle du roiest inscrite dans son destin, elle est l'expression la plus forte desinterdits qui circonscrivent son pouvoir exorbitant, sa naturemonstrueuse. Il en est de même chez les Kuba, une autre sociétébantu dont la tradition affirme que le roi devait être égorgéI r d' l' . 25orsque ses lorees ec Inalent .

Au-delà des frontières de la République Démocratique duCongo, Smith26 observe que l'histoire dynastique du Rwandanous apprend qu'un certain nombre de rois qualifiés de« sauveur» (umutabav) acceptent de faire le sacrifice de leur vie,à l'instar du premier roi dit «histoire », Ruganzu Bwimba. Lehéros mutabuzi devait se porter seul au devant de l'ennemi et sesacrifier volontairement; son sang répandu était censé en effetacheter ou racheter mystiquement la terre qu'allait ensuiteconquérir ou reprendre les guerriers (...) ; les femmes pubèresdont les seins ne s'étaient pas développés, les mIes mères - voirles jumeaux de sexe différents et les aliénés - étaient conduits àla frontière du pays et immolés en terre étrangère pour yapporter la malédiction.

Le sacrifice humain a un pouvoir libérateur dans le sens qu'iljette la malédiction sur le camp adverse, revêt de force l'arméedu roi et donne ascendance sur l'ennemi. Au Rwanda, lesacrifice était aussi pratiqué lors de l'intronisation du roi et encas de cataclysme naturel. En effet, Hertefe1t et Coupez27

affirment que l'intronisation se termine par une guerre rituellecontre une province lointaine, le Bukunzi, dont le but est decapturer vivant un homme voué au sacrifice. Le sort dumalheureux est particulièrement horrible. Après l'avoir couchésur le flanc gauche, la bouche bâillonnée, on lui transpercel'aisselle droite au moyen de la lance royale. Cet acte royal est

25 J. VANSINA, Op. Cit., p. 158.26 P. SMITH,« La force de l'intelligence» in L'Homme, X, 2, pp. 5-21, cité parL. de HEUSCH, Le Sacrifice dans les religions africames, Paris, éd. Gallimard,1986, p. 174.27 Cf. M. HERTEFELT et A. COUPEZ, La Royauté sacrée de l'ancien Rwanda,Tervuren, musée royal de l'Afrique Centrale, 1964, p. 205, cité par L. deHEUSCH, pp. 183-185.

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interprété comme une vengeance exercée par le nouveau roicontre les empoisonneurs ou les sorciers responsables de lamort de son père.

De ce qui précède il y a lieu de soupçonner la pratique durégicide; Pagèl8 précise que jusqu'à une époque récente, leBukunzi devait livrer un jeune homme qui était sacrifié aumoyen d'un poignard; son sang était recueilli dans une jarre debois et celle-ci était déposée sur le territoire ennemi. Enfin, pourrégulariser le régime de pluies en cas d'inondations, le codesecret des rites royaux prescrivait alors d'immoler une femmesans seins appartenant à la caste inférieure des Twa et unechèvre noire, « symbole de l'improductivité »29.

Avec matungulu30, nous devons noter que chez les Angwi le

roi était vénéré par tous ses sujets, son autorité était incontestée.Le jour de l'investiture du roi, l'assemblée nationale des Angwiimmole un esclave, celui-ci sera offert en banquet au roi ainsiqu'aux autres grands chefs. Ce rite s'est encore pratiqué audébut de ce siècle. Lorsque le roi promulguait les lois il le faisaiten répandant le sang d'un esclave (ou d'une chèvre) décapité.Mais il est aussi important de signaler ici que le sacrificehumain pouvait aussi être retenu à titre punitif. En effet, audébut de ce siècle, souligne Matungulu, les Angwi, si soumis àleur roi, ont posé un acte sans précédent dans leur histoire: ilssont allés jusqu'à tuer et manger leur roi Mabera, parce quecelui-ci avait laissé entrer le blanc dans le pays. Selon d'autres lemotif de cette mise à mort était différent: il imposait trop decorvées aux habitants ou à ses sujets.31

Mais le sacrifice est loin d'être une pratique propre auxsociétés archaïques ou traditionnelles, comme le souligneMeinrad Pierre Hebga, s.j. lorsqu'il réagit aux articles de Claude

28 Cf. PAGES, Un royaume hamite au centre de l'Afrique, Bruxelles, Mémoire del'Institut royal colonial, Section sciences morales et politiques, 1933, p. 297,cité par L. de HEVSCH, p. 184.29 Cf. PAGES, Op. Cit., p. 176.30 O. MATVNGVLV, Op. Cit., pp. 101-102.31 Ibid.

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Rivière, chroniqueur français et il dit: «Ce chroniqueurfrançais ignore peut-être que beaucoup de révolutionnairestonitruants, d'intelJ-ectuels férus de rationalisme et decartésianisme sont en même temps assujettis à toutes sortes degriots, de marabouts, de féticheurs, de devins; pratiquent dessacrifices humains, rituels pour conserver le pouvoir et se fontpar-dessus le marché les adeptes de la haute magie étrangère. Ilssont d'ailleurs en bonne compagnie, puisque hommespolitiques, ingénieurs, hommes d'affaires occidentaux etorientaux recourent également à la voyance et à la magie, sansparler de l'astrolo~ie de l'horoscope qui est une industrieflorissante là bas ». 2

De nos jours, il est difficile de démontrer la survivance de lapratique des sacrifices humains dans la société Kongo. Cettepratique pourrait peut-être se justifier dans l'élite qui recourt àla spiritualité ésotérique de type oriental ou occidental commele soutient le père Hebga. Mais compte tenu du fait que ceuxqui le pratiqueraient, seraient les détenteurs du pouvoir et euégard au secret qui entoure les pratiques occultes, il est difficilede mener des enquêtes avec succès pour établir la responsabilitéde ces morts rituelles.

Le recours aux sacrifices humains pour renforcer ou asseoirle pouvoir est beaucoup plus accentué dans les pays où lepouvoir est plus concentré dans les mains d'une personne qui ledistribue au gré de ses sentiments, à qui il veut. Unedémocratisation de l'exercice du pouvoir réduirait à notrehumble avis un recours trop prolongé au stratagème occulte.Au-delà du pouvoir politique, le pouvoir peut aussi être comprisdu point de vue économique (richesses), du point de vue social(bonheur, gloire) et même du point de vue intellectuel (succèsdans les études). L'ignorance des voies et moyens pouvant

32 M.P. Hebga, SJ., Les Mouvements Mystiques lancés par des africains, leurimpact en A.frtque et à l'étranger, in le cardinal MALUlA, Archevêque deKinshasa lance l'Apostolat des mtellectuels chrétiens, Kinshasa, Ed. Saint Paul,pp. 36-45.

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conduire les gens à ce pouvoir est à la base de l'engouement desjeunes africains vers les pratiques occultes.4. Conclusion

Pistes pastoralespour réduire les violences rituelles

Tout au long de cet exposé, nous avons pu remarquer quedans la société traditionnelle en Afrique centrale, le chemin quimène au pouvoir est pavé de sang humain, c'est comme quidirait: « sans effusion de sang humain, il n'y a pas de pouvoir».Ceci s'explique par la sacralisation du pouvoir.

Il est vrai que le contexte dans lequel se pratique le sacrificehumain aujourd'hui est différent de celui de la sociétéarchaïque, mais les motivations demeurent les mêmes: quêteinassouvie du bien-être, d'une vie pleine, bref d'une volonté depuissance.

L'élite a la conviction que le christianisme est une religiondes faibles, des personnes naïves, des femmes et des enfants, desdominés, bref des esclaves. Il n'est donc pas indiqué pour ceuxqui veulent devenir meilleurs. Beaucoup sont convaincus quel'église chrétienne - surtout celle issue des missions - n'offrepas des réponses aux aspirations profondes de l'homme:sécurité contre les sorciers, prospérité et fusion avec le divin.L'église n'a pas présenté le message chrétien dans sa profondeuret cela au mépris de la culture africaine; aussi, l'africain n'a étéatteint que d'une façon superficielle. Ce dernier baigne, de lanaissance à la mort, dans un environnement magico-religieuxdont la connaissance et la pratique des règles apportent un salutimmédiat; et comme dans sa conception du temps, il neconnaît que le passé et le présent, il ne peut être satisfait par unespiritualité chrétienne qui, devant ses besoins existentielspostule pour l'attente dans la foi. En effet, Mbiti affirme quel'africain n'a pas la notion du futur. Il n'a dans sa pensée que lefutur très proche. C'est pourquoi les notions telles que laplanification, le budget lui sont étrangères. Il a besoin d'unespiritualité qui s'accompagne d'une démonstration depuissance. Voila qui justifie son engouement vers les

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mouvements mystiques, les sociétés secrètes où se pratiquentparfois les sacrifices humains.

Face à une telle réalité nous proposons à l'églisenotamment:

1. D'évangéliser l'élite non atteinte et de re-évangéliser enprofondeur l'élite mal atteinte en vue d'une révolutionde mentalité;

2. Développer une éthique chrétienne de l'élite capabled'aider cette dernière à bien vivre sa foi dans lesdomaines du politique et de l'économie; en créant unespace dialogique entre l'église et l'élite pour mieuxcerner les besoins de cette dernière en vue d'unepastorale appropriée;

3. De tenir compte dans l'annonce de l'évangile, desbesoins fondamentaux des peuples: libérationpolitique et économique, guérison des malades,protection contre les sorciers, prospérité matérielle,problèmes matrimoniaux etc., sans négliger les règlesexégétiques;

4. De revaloriser l'usage des symboles tels que: l'eau,l'huile, sans verser dans l'idolâtrie, dans une Mrique oùtout baigne dans les rites (parole et geste) ;

5. D'inventorier les différents rites de nos sociétés pourdétecter les éléments culturels, dont ils seraient chargéset qui pourraient disposer les hommes et femmes à laviolence et trouver des réponses bibliques à ceséléments, réponses à codifier dans la catéchèse. Unerévision de la catéchèse, de nos confessions de foi et uneinculturation de nos rites s'imposent. De toute façon,rien ne nous oblige de garder le statu quo;

6. D'impliquer les musiciens et dramaturges chrétiensdans le combat contre la violence rituelle; car la paixs'impose à la communauté chrétienne à la fois comme

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identité et IllisslOn «Heureux ceux qui procurent lapaix, car ils seront appelés fils de Dieu» (Matthieu 5, 9)et l'apôtre Paul de dire: « Mais le fruit de l'Esprit, c'estl'amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, labienveillance, la foi, la douceur, la maîtrise de soi; la loin'est pas contre ces choses. » (Galates 5, 22-23) ;

7. De souligner le caractère sacré de la vie car la bible dit:«Tu ne tueras point» (Exode 20, 13) et Jésus Christavec son autorité souveraine dit: «Tu aimeras tonprochain comme toi-même et tout ce que vous voulezque les hommes fassent pour vous, faites-le de mêmepour eux, car c'est la loi et les prophètes» (Matthieu 22,39 et 7,12).

Nous pensons avoir apporté notre modeste contribution àcette réflexion commune, nous pouvons et devons l'enrichir.

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L'éducation des enfants pygmées «batwa» enrépublique démocratique du congo: valoriser le

savoir autochtone pour promouvoir une éducationcitoyenne interculturelIe

Pro A. S. MUNGALAProfesseur Emérite,

Titulaire de la Chaire UNESCO/UNIKIN (RDC)

1. Regards sur la situation générale des pygmées en RDC

L'analyse des problèmes liés à la situation des Pygmées enRépublique Démocratique du Congo, en termes de déni, d'abuset de violation des droits, permet de retenir quatre axesprincipaux qui peuvent constituer des défis majeurs dansl'émancipation des Pygmées et leur intégration au processus deconstruction et de refondation de la société.

Il s'agit de :• la discrimination;• la pauvreté;• l'éducation jformation;• la participation.

a) Le défi de la discriminationComme cela a été souligné précédemment, la discrimination

constitue un défi majeur dans la recherche de l'amélioration desconditions de vie des Pygmées et de leur insertion socialecomme citoyens à part entière.

Cette discrimination, revêt principalement trois formes: lesstéréotypes négatifs, le déni des droits et la ségrégation.

Les stéréotypes négatifs présentent les Pygmées comme dessous-hommes, des sauvages. Les attitudes de mépris à l'égarddes Pygmées sous-tendent des comportements quasi-racistes.

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La stigmatisation constitue aussi une forme dediscrimination. Elle est accentuée par les injures et le manquede considération dont les Pygmées sont constamment victimes.

Les droits des Pygmées en tant qu'êtres humains jouissantdes mêmes prérogatives ne leur sont pas reconnus.

Le déni des droits entraîne la non reconnaissance juridiquedes Pygmées: droit à la reconnaissance de leur égalité, droit à lajustice, droit aux soins de santé, à l'éducation, à l'emploi, droitde déterminer son propre avenir, droits fonciers, ...

Les Pygmées font l'objet de la ségrégation, matérialisée parplusieurs interdits sociaux à travers tout le pays, notamment:mariage mixte interdit avec les Bantu, repas mixte interdit,villages séparés, puits d'eau séparés...

b) Le défi de la pauvretéPresque tous les Pygmées disséminés en RDC vivent dans

une pauvreté extrême. Ils ne disposent pas d'un logementdécent, n'ont presque pas accès aux soins de santé, à l'eaupotable, à une alimentation équilibrée, aux bienfaits de latechnologie moderne (transport, communication,informations,...) .

Les conditions infra humaines dans lesquelles ils viventréduisent leur espérance de vie et les exposent aux maladies detous ordres. Il faut noter que cette situation est due également àl'irresponsabilité des Pygmées eux-mêmes qui semblentréfractaires au processus de changement et, de ce fait,accentuent leur vulnérabilité.

Actuellement, la pauvreté des autochtones Pygmées estaggravée par l'absence des moyens de production etparticulièrement du fait qu'ils ne disposent pas de terres pourexploiter.

Bien plus, les Pygmées connaissent des perturbations liées àla destruction des écosystèmes forestiers. Ce qui fragilise leurvie et leur existence en tant que peuples de la forêt.

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La structure des activités économiques développées par lesPygmées ne leur permet pas de faire face à certains besoinsvitaux. L'inexistence des programmes spécifiques derenforcement de leur pouvoir économique est à déplorer.

L'esprit d'entreprise est absent autant que la culturecoopérative et associative. La maîtrise des règles du marché estpresque nulle. L'économie de subsistance qu'ils pratiquaient estpar ailleurs mise à l'épreuve à cause des problèmes de gestiondes terres.

c) Le défi de l'éducation/formationL'éducation et la formation des Pygmées constituent aussi

un problème fondamental. Le taux d'analphabétisme desPygmées est très élevé, près de 95%. L'accès à un niveauacceptable de vie passe par l'éducation et la formation. LesPygmées ont accumulé un retard qu'il n'est pas possible derattraper en peu de temps. Leur implication dans la vie sociale,politique et économique, dans ce monde en pleineglobalisation, est quasi nulle.

Sans éducation ni formation adaptées aux besoinsspécifiques de développement et d'épanouissement desPygmées, il n'existe pas d'espoir de les voir émerger et participeraux grands enjeux nationaux et internationaux.

d) Le défi de la participation citoyenneAu regard des comportements, attitudes et pratiques actuels,

il est constant de noter, à travers l'ensemble du pays, que lesPygmées ne sont pas reconnus, dans la pratique, comme descitoyens à part entière. Le peu de souci et d'attention en rapportavec leur participation dans le circuit de prise de décision auniveau local et national constitue une attitude peu promotricedes droits des populations autochtones pygmées.

L'implication des Pygmées dans le processus de participationcitoyenne à la vie politique en République Démocratique duCongo rencontre plusieurs obstacles. Dans la mesure où la

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culture politique est connectée à la dynamique de la modernité,l'état d'insertion des Pygmées dans cette dynamique resteembryonnaire. Dans la plupart des campements et villagespygmées, les rapports d'enquête révèlent que le concept 'droitsde l'homme' est simplement étrange.

La prise de conscience participative au niveau du processuspolitique en vue de la promotion de la dignité humaineintégrale des populations autochtones pygmées semble, à tousles niveaux, lacunaire.

La non participation des Pygmées à la gestion de la chosepublique, tant dans les entités administratives décentraliséeslocales que dans les échelons provincial et national, démontrequ'un travail de mobilisation s'impose. A l'heure actuelle etd'après les données de l'enqUête, confirmées par la littératureexistante, ce travail d'accompagnement et de mobilisationrisque de se buter à quatre facteurs défavorables et limitants :

l'analphabétisme et l'illettrisme;

la grande mobilité des Pygmées qui, bien qu'ayantamorcé la dure expérience de leur sédentarisation,s'absentent pour de longs séjours en forêt;

l'ascendant des Bantu qui utilisent les Pygmées à desfins politiques personnelles, sans que ces derniersmaîtrisent les enjeux en présence;

l'absence d'une réelle prise en compte par l'Etat desvaleurs socioculturelles propres aux Pygmées et qui nepeuvent pas influencer l'émergence d'un nouvel ordrepolitique chez ces derniers.

2. Etat des lieux de l'éducation et de la formation des pygméesenRDC

L'examen de la situation des Pygmées en RDC démontre quel'analphabétisme est le lot de la grande majorité despopulations autochtones pygmées. Selon les estimations, plusde 95% des Pygmées ne savent ni lire, ni écrire, ni compter et

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calculer. Les jeunes Pygmées ne fréquentent pas lesétablissements scolaires et les rares qui s'y inscriventconnaissent un taux de déperdition avoisinant 95% au niveauprimaire et presque 100% au niveau secondaire et post­secondaire.

Selon les données récoltées sur terrain, les populationspygmées estiment que leur marginalisation scolaire se justifiepar plusieurs causes, dont notamment:

les structures et les politiques scolaires sontinadaptées;

les services de l'Etat n'impliquent pas les Pygmées à ladéfinition des programmes pour tenir compte de leurssituation et besoins spécifiques;

le coût élevé des frais scolaires est en inadéquation avecleur situation de dénuement (manque de moyensfinanciers) ;

le calendrier scolaire est inadéquat par rapport au cyclede vie des populations autochtones Pygmées;

la discrimination et la stigmatisation dont il~ sontl'objet de la part des élèves et des enseignants Bantu ;

la peur de se séparer de la famille, de son espace naturelde vie et d'affronter l'inconnu;

la mentalité des Pygmées eux-mêmes, réfractaire à lamodernité et à l'introduction des innovations;

etc.

Bref, la précarité des conditions existentielles des Pygméesest telle que le soutien à une entreprise d'instruction et deformation est quasi difficile. En effet, malgré la ratification, parnotre pays, de la Déclaration universelle des droits de l'Hommeet de la Convention relative aux droits de l'enfant et autresinstruments internationaux et régionaux pertinents, ainsi que lamise en application de la Loi - Cadre de l'enseignement national enRDC, les enfants Pygmées ne jouissent pas suffisamment d'uneéducation pouvant assurer leur développement et leurépanouissement.

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Malgré les pesanteurs relevées ci-dessus, quelques effortssont fournis pour la scolarisation des enfants Pygmées. A cejour, en plus des écoles officielles qui sont fréquentées par lesenfants Pygmées, des écoles spécifiques sont organisées en leurfaveur.

Le Diocèse de Wamba au Nord Est de la RDC a développé unprogramme de formation et d'éducation des enfants pygméesdans ilne approche intégrant les capacités et les savoirsautochtones. Cette expérience est menée avec l'appui des prêtrescombonniens.

Dans l'ensemble, pour la scolarisation et l'alphabétisation,la prise en charge scolaire pour inciter les enfants pygmées àl'école, l'accompagnement en vue de réduire la déperditionscolaire ont été menées ça et là par les organisations d'appui;quelques efforts d'alphabétisation ont été déployés; il ne s'agitpas d'un travail professionnel d'éducation des Pygmées adaptéeà leurs besoins, situation et psychologie. Toutefois, il est notéque parmi les Pygmées, l'on compte actuellement quelquesuniversitaires, un bon nombre qui a terminé les étudessecondaires et plusieurs enfants scolarisés au niveau primaire.

L'action menée recèle des forces et des faiblesses'FORCES FAIBLESSES

* Processus de sédentarisation; * Inadéquation des programmes et* Existence des écoles partout dans politiques scolaires;

le pays; * Coût élevé des frais scolaires;

* Capacités intellectuelles * Non application des loisreconnues des Pygmées; internationales et nationales en

* Organisation des activités matière d'éducation;d'alphabétisation; * Inadéquation des calendriers* Présence des Pygmées instruits scolaires;

dans les milieux ; * Absence de* Appui financier régulier des professionnalisation ;organisations aux jeunes Pygmées; * Forte déperdition scolaire à tous* Distribution régulière des les niveaux ;intrants scolaires aux jeunes * Nomadisme.pygmées.

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3. Stratégies de promotion de l'éducation et de la formationpour les pygmées

L'analyse des interventions menées dans le domaine de laformation ainsi que l'évaluation de l'impact de ces actions adémontré que les Pygmées souffrent d'un analphabétismechronique et de l'illettrisme. En tenant compte des forces et desfaiblesses des actions qui ont été étayées, le secteur del'éducation et/ou de la formation doit devenir un secteurprioritaire qui doit catalyser l'ensemble du processusd'intégration des populations pygmées.

Pour cela, il est indispensable que les mesures concrètes deréajustement des politiques et des interventions en cette matièresoient mises en œuvre:

a) Le pouvoir public, en synergie avec les autres intervenantssociaux et avec l'appui de l'UNESCO, doit se pencher sur la miseen œuvre des politiques et des programmes scolaires spécifiquesen faveur des autochtones Pygmées. Ils doivent prendre encompte la révision des limites d'âge d'inscription, la gratuité desfrais scolaires, une orientation spéciale pour enfant pygmée, descycles spéciaux d'observation.

b) Le pouvoir public et tous les intervenants du secteur del'éducation doivent mettre sur pied des techniques de séductionet d'incitation des Pygmées à l'école. Pour cela, en plus desfacilités retenues au point précédent, il peut être envisagé unsystème de bourses spéciales, de prise en charge totale,d'accompagnement économique des familles en faveur desenfants pygmées qui font preuve d'assiduité scolaire et de donsintellectuels incontestables. Des colonies de vacances en vued'échanges et de mise à niveau des Pygmées pourrait permettreaux enfants pygmées de sortir de leurs milieux et de s'ouvrir àd'autres.

c) Pour pallier le nomadisme et adapter l'école à leur mode de vie,il est nécessaire d'envisager la création des écoles ou leurrapprochement dans les villages et campements. Dans le même

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contexte, il serait envisageable d'élaborer des cycles d'études etdes calendriers scolaires qui tiennent compte de leur cycle devie.

d) Un soutien aux initiatives endogènes en matière de scolarisationserait aussi un stimulant pour les autochtones de la part desintervenants du secteur. Dans ce cadre, il est indispensable desoutenir quelques initiatives scolaires des associations desPygmées ou de leurs leaders.

e) Compte tenu de leurs modes de vie, il faudrait développerprioritairement la formation professionnelle. Celle-ci devrait sefocaliser sur les besoins prioritaires des Pygmées et intégrer levolet générateur de revenus et d'emplois.

f) Concrètement, une formation professionnelle dans lesdomaines de la charpenterie, de la menuiserie, de lamaçonnerie, de la conservation et de la transformation desproduits d'origine végétale et animale, serait appropriée etintéressante à développer.

g) Connaissant aussi les qualités des Pygmées dans l'utilisation desplantes et produits contenant des principes actifs pour letraitement de certaines maladies, une formation axée sur larationalisation des pratiques de la médecine traditionnellepourrait être expérimentée.

h) Les atouts culturels des Pygmées peuvent suggérer uneformation en arts plastiques et chorégraphiques.

i) Une action d'alphabétisation devrait être généralisée. Uneoption pour l'alphabétisation fonctionnelle serait préférentiellepour résorber le retard accumulé dans les milieux pygmées.

j) Dans le souci de répondre à l'urgence de l'Education pour tousd'ici l'an 2015, tel que recommandée par l'UNESCO, il est urgentque soit envisagé en définitive la création d'une EcoleInternationale pour l'Emancipation des Pygmées, comme cadre deconception et de coordination pour la mise en route des

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programmes de formation et d'éducation adaptés aux Pygmées.Par sa vocation, l'Ecole Internationale serait le cadre idéalpouvant induire une action intégrée de formation,d'information, de communication et de sensibilisation enfaveur des Pygmées non seulement en RDC mais aussi enAfrique Centrale. Appuyée par les organismes spécialisés desNations Unies, les gouvernements concernés et intéressés, lesuniversités, les centres de recherche et toutes les structùrsspréoccupées par l'émancipation des Pygmées, l'EcoleInternationale pOUtrait devenir l'espoir pour la conquête desdroits des Pygmées.

4. Conclusion

La situation des Pygmées (Batwa) en RépubliqueDémocratique du Congo présente des enjeux évidents enmatière des droits humains: déni des libertés et des droitsfondamentaux, discrimination et stigmatisation, pauvreté,déficit existentiel et éducationnel, non participation à la gestionde la chose publique, mauvaises conditions de santé, delogeme~t, expropriation de leurs terres, etc. Une telle situation,en ce 21eme siècle, est tout à fait inacceptable.

En effet, les Batwa, peuples autochtones et minoritaires, sontles premiers habitants de l'Afrique Centrale, dont la RépubliqueDémocratique du Congo. Depuis longtemps, ils font l'objet destigmatisation, de marginalisation voire d'exclusion dans la viesociale. Cette situation constitue un état de déni, d'abus etmême de violation des droits de l'homme, au regard desinstruments nationaux, régionaux et internationauxgarantissant lesdits droits. Le fait que les Pygmées ne jouissentpas de certains droits civils, politiques, économiques, sociaux etculturels les place dans une position non dominante.

Les pratiques et les politiques, visant l'amélioration de cetétat de choses, attendent d'être mises en œuvre. Le tauxd'analphabétisme élevé, la pauvreté endémique, la nonparticipation des Pygmées à la gestion de la chose publique,

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l'impossibilité de disposer des terres accroissent la vulnérabilitédes populations Pygmées.

Dans la société congolaise d'aujourd'hui, il existe des repèreset des fondements historiques, culturels et sociaux qui sous­tendent l'absence des Pygmées sur la place publique. Le combatpour la jouissance des libertés et des droits fondamentaux parles Pygmées prend de plus en plus l'allure des confrontationsavec les autres populations de la République Démocratique duCongo.

Dans l'approche de la dynamisation et de l'émancipation desPygmées, il est indispensable que ces derniers soient eux-mêmesau centre de l'action. Aujourd'hui, il est temps que lespolitiques et les pratiques d'accompagnement des Pygméessoient orientées vers une participation qualitative des Pygméeseux-mêmes. L'appropriation de leur développement reste ungage pour la réussite. Les pesanteurs culturelles, psychologiqueset mentales, qui sont encore perceptibles, sont à démonter grâceà une action de sensibilisation et de conseientisation.

C'est dans ce cadre que l'UNESCO finance depuis l'année2003, à travers la chaire UNESCO pour la culture de la paix, lerèglement des conflits, les droits de l'homme, la démocratie et labonne gouvernance en Mrique centrale et dans les pays de laSADC, des recherches et des forums pour aider à lacompréhension de la question des Pygmées en vue de stimulerdes mécanismes d'intégration et d'émancipation de cespopulations marginalisées.

A ce jour, aucune action ne semble avoir eu un impactsignificatif car les Pygmées vivent encore dans une pauvretéchronique avec un taux d'analphabétisme de 95% et de presque100% de non-participation citoyenne à la gestion publique.

C'est pourquoi, il s'avère urgent que des efforts soientdéployés dans les domaines prioritaires d'éducation, de qualitéde la vie et lutte contre la pauvreté, de promotion et protectiondes droits humains, de gestion de la forêt, de l'intégration

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politique et citoyenne, comme voies d'avenir pourl'émancipation des Pygmées.

Dans le sens des efforts à mener et pour rencontrer lespréoccupations de l'UNESCO dans son programme del'Education pour tous d'ici l'an 2015, il est nécessaire de soutenir leprojet de création d'une Ecole Internationale pour l'Emancipationdes Pygmées en vue de coordonner et concevoir des programmeset produire des supports d'éducation et de formation adaptésaux besoins d'émancipation des Pygmées.

Comment rendre aux Pygmées leur citoyenneté et leurhumanité dans ce monde en mutation? L'éducation et laformation apparaissent comme la piste par excellence pourl'intégration des populations pygmées. C'est la passerelle pourrésoudre la question de la citoyenneté pour ce peuplemarginalisé. Tenir compte de leurs capacités et de leurs savoirspour promouvoir une citoyenneté interculturelle.

Exemple d'encadrement des enfants à Wamba

Les Enfants pygmées abandonnés à eux-mêmes, n'ontjamais persévérés aux Ecoles Publiques, pendant une annéeentière! D'ailleurs leur situation (manque d'habits,mobilité à cause des danses et autre ...) les place dans unétat d'infériorité et de peu de réussite, donc facilement ilssubissent le mépris des autres élèves bantous: cela empêcheleur avancement.

En plus la mobilité du groupe poür les danses, ou enparticulier pendant la saison sèche et la pétiode de larecherche du miel en forêt, rend les campements pygméesvides!

Quelle méthodologie? Serait-il possible une «attention»particulière des Institutions gouvernementales à lasituation « spéciale» de ce Peuple des Pygmées?

Avoir des PERIODES ET PROGRAMMES scolaires« adaptés» à leur mode de vie, serait l'idéal; mais commentassurer le bon «fonctionnement » de ces « EcolesParticulières» pour les Pygmées dans un Etat qui n'assure

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même pas encore l'Ecole pour tous les autres enfants ??l Etencore: en restant « seuls », est-ce que les pygmées neresteraient-ils pas un groupe humain toujours « auxmarges» de la société, enfonçant encore plus leurmarginalisation ?

S'INTEGRER SANS PERDRE ses propres bonnes qualités,voilà le défi à mettre en actualisation en RD Congo!

Ces difficultés nous ont poussé à la recherche d'autrestentatives/solutions:

Au Cameroun il existe une METHODE appelée O.R.A.(Observer - Réfléchir - Agir) qui introduit progressivementles enfants pygmées aux Ecoles Publiques.

La Méthode est très moderne: elle veut rendre l'élèvepygmée ACTIF, prenant de sa culture et de sa vie. Par desimages tirées de son milieu, l'enfant est invité à Observer,ensuite à s'exprimer en langue maternelle pour finir au« français » (le maître suivant les indications duMANUEL !), dès le début d'aRA 1.

La deuxième année est plus riche: suivant une phrase-clef,accompagnée d'un dessin, l'élève découvre la « lettre », estappelé à la Rechercher en d'autres mots et dessins, et il estintroduit à l'employer ... Ensuite il passera à apprendre lafaçon de l'écrire correctement et la placer dans un cahier enbonne forme. Les Branches d'enseignement sont limités àLECTURE - ECRITURE - CALCUL (Manuels pour leMaître/Livrets pour les élèves).

Avec aRA 2 nous complétons le Programme de la premièreannée officielle. En aRA 3 (la troisième année, pour lespygmées) nous suivons le Programme National de ladeuxième année, avec quelque particularité pédagogique.Donc pour les enfants pygmées, pendant trois ans, nouscomplétons les Programmes de deux classes (publiques).En troisième année, les élèves pygmées suivront les courscomme dans toutes les Ecoles Primaires Publiques et selonleurs Programmes, déjà bien préparés et souvent beaucoupplus que les autres 1

Nota Bene: dès ORAl, les enfants pygmées vivent en classeENSEMBLE aux autres élèves bantous, pour créer la

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fraternité et le respect dès l'enfance, bien que, pour mieuxles faciliter, les pygmées sont majoritaires au début.

Dommage! En RD Congo il n'existe pas encore unepolitique au service de l'Education et ce sont les parents quidoivent assurer le salaire des enseignants et la viabilité desETS scolaires et leur fonctionnement.Cela nous a obligés à prendre en charge la gestion desclasses au service des enfants pygmées et bantous, de nosDirections Scolaires, éparpillées dans la forêt profonde, oùtous les habitants n'ont jamais bénéficié de l'Educationscolaire 1 Sont les Pygmées qui ont donné à tous lapossibilité de l'Ecole 1

En effet, cette année 2004/05, nous avons à notre soin, laresponsabilité de bien 285 classes primaires (ORA etsuivantes), distribuées en 21 Directions Scolaires, avec untotal de plus de 5.000 élèves pygmées (3.000 garçons et 2.000filles environ) ensemble à 2.600 élèves bantous ...

C'est un grand devis, qui nous dépasse, pourvoir auxsalaires d'environ 300 enseignants et en plus à la prime desANIMATEURS des campements pygmées, indispensablespour le bon fonctionnement des activités du PROJETPYGMEES WAMBA.

Père Franco, Pastorale diocésaine desPygmées Wamba, Province Orientale,RDC

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Les outils utilisés et utilisables par les confessionsreligieuses et les associations initiatiques dans lalutte contre les crimes rituels en Mrique centrale

Cheik Oumarou DJIBRIL MALAM DJIBRIL,Vice-Président du Conseil Supérieur Islamique du Cameroun

AU NOM D'ALLAH, CLEMENT, MISERICORDIEUX

Contribution au colloque "causes et moyens de préventiondes crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale" àLIBREVILLE au Bureau Sous Régional de l'UNESCO du 19 au20 Juillet 2005. Allocution de Cheikh Oumarou Mal4mDjibring, Vice-Président du Conseil Supérieur Islamique duCameroun.

Au nom d'ALLAH, Clément, Miséricordieux. Toutes leslouanges, tous les remerciements sont dus à ALLAH, Maître desmondes, le Miséricordieux, qui a enseigné le Coran. Il a créél'homme. Il lui a appris à s'exprimer clairement. Salut etbénédiction d'ALLAH sur son noble messager notre guideMOHAMMAD, et sur tous ses frères parmi les prophètes et lesmessagers, ainsi que sur leurs familles et sur tous leurscompagnons jusqu'au jour du jugement dernier, de laRétribution des oeuvres.

Que la paix, la miséricorde et les bénédictions d'ALLAH, letrès haut soient sur vous tous.

Nous remercions, l'Organisation des Nations-Unies pourl'Education, la Science et la Culture à travers son Représentantici au GABON, M. Makhily Gassama, pour nous avoir invités àce Colloque.

Notre intervention porte sur le Sous Thème n° 4 intitulé: «lesoutils utilisés et utilisables par les confessions religieuses et les

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associations initiatiques dans la lutte contre les crimes rituelsen Afrique Centrale».

En ce qui concerne les confessions religieuses et l'islam enparticulier, c'est la sensibilisation des masses, des fidèles, despopulations à travers les prêches, les informations, dans la luttecontre les crimes rituels dans notre Sous-Région.

L'islam, de part sa signification est la Religion de la paix.L'un des sublimes noms de Dieu, est Assalam, le Pacifique parexcellence, la prière commence par la proclamation de lagrandeur divine Allahou Akbar (ALLAH, seul est grand et setermine par la désacralisation, Assalamou Alaikoum WaRahmatoullah qui signifie que la paix et la Miséricorded'ALLAH soient sur vous. La salutation Islamique est synonymede paix et l'un des noms du paradis dans lequel tout croyantaspire à pénétrer est DAROUSSALAM, la Demeure di la paix.

Ainsi, ALLAH, le Souverain Maître de l'Univers a créé lescieux, la terre et tout ce qu'il y a entre les deux et enfin a créél'homme, qui a été ennobli par Dieu, et l'a placé sur la terrepour adorer Dieu et la mettre en valeur.

Ici, ALLAH, le très haut a dit dans son livre saint, Sourate 17,verset 70: «Certes, Nous avons honoré les fils d'ADAM. Nous lesavons transportés sur terre et mer, leur avons attribué debonnes choses comme nourriture, et nous les avons nettementpréférés à plusieurs de nos créatures; »

Dieu le Magnifique, que sa grandeur soit exaltée, a créé la vieet l'a rendue sacrée. Nul n'a le droit d'ôter cette vie en faisantpérir les êtres humains.

Le premier meurtre commis par l'être humain sur la terre aété perpétré par CAIN sur son frère ABEL. Par voie deconséquence, l'acte de tuer, d'ôter la vie d'un homme estformellement interdite Ici ALLAH, le très Glorifié, Maître detout ce qui existe, de ce que nous voyons et de ce que nous ne

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voyons pas nous interpelle dans son noble Coran Sourate 4verset: 93: « Quiconque tue intentionnellement un croyant sarétribution sera l'enfer poury demeurer éternellement. »

Dans un autre chapitre, Sourate 5, verset 32:

«C'est pourquoi nous avons prescrit pour les enfants d'Israël quequiconque tuerait une personne non coupable d'un meurtre ou d'unecorruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les hommes. Etquiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie àtous les hommes».

Ceci nous montre clairement que la vie est sacrée. Il faut lapréserver pour la pérennité de l'espèce humaine et pour la miseen valeur de la terre, ainsi que pour l'impulsion et ledéveloppement économique, Social et culturel de nos pays envoie d'émergence, en particulier ceux de l'Afrique Centrale.

L'Homme est le Capital le plus précieux pour le progrès denos pays. Il doit être protégé avant sa naissance, pendant etaprès sa vie sur terre. Un pays ne peut se développer s'il n'a pasune population nombreuse, des bras solides, des hommes sains,producteurs et soucieux du bien- être et de l'évolution de leurpatrie.

Ce genre de rencontre vient à point nommé. C'est le lieu icipour nous de remercier d'abord, ALLAH, le Clairvoyant,l'Omnipotent qui nous a réunis tous ici, aussi, nosremerciements vont à l'endroit du peuple frère du GABON quinous accueille chaleureusement, ainsi que son illustre Chef,S.E.EI Hadj Omar Bongo Ondimba. Nous exprimons notre joieet notre gratitude à l'endroit de S.E Makhily Gassama,Représentant de l'UNESCO ici présent.

Les confessions religieuses doivent oeuvrer la main dans lamain pour le respect de la personne humaine de sa vie et de bienêtre social. Ceci en favorisant le dialogue constant, l'ententemutuelle et la préservation de la paix. C'est le lieu une fois de

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plus de remercier les chefs d'Etat d'Afrique Centrale qui seconcertent et qui ont mis en place des mécanismes du maintiende la paix.

Du haut de cette tribune, nous lançons un vibrant appel àtous les hommes de bonne volonté de propager la paixquotidiennement. La vie étant ce que l'homme a de plus cher, ilfaut la préserver.

Dans notre propos liminaire, nous avons défini l'islamcomme étant synonyme de paix. Le monde d'aujourd'hui avecses multiples conflits, troublé qu'il est, a besoin d'une paixpermanente et durable. Nous devons nous aimer les uns, lesautres comme nous le commandent les Saintes Ecritures. Ennous y référant comme par exemple dans la Bible, dans ses dixcommandements adressés à Moïse et à travers lui, à l'humanitétoute entière, Dieu a dit « Tu ne tueras point ».

Ce sont ces hautes valeurs qu'il faut appliquer pour quel'humanité vive en paix et en harmonie.

Un appel est adressé aux Associations initiatiques de menerà bien la lutte contre les crimes rituels en Afrique Centrale.

L'être humain doit constamment se rappeler qu'il a été créépar Dieu et qu'il doit lui obéir. Il doit éviter les conflits;protéger la vie. L'Homme a fabriqué des armes destructricesqu'il s'en sert pour éliminer ses semblables. Il doit revenir à laraison, à la paix.

Nous allons terminer notre propos en citant un Hadith(parole du Prophète) du Messager de Dieu, en la personne deMohammad fils d'abdallah, (Paix et bénédiction d'ALLAH surlui) qui nous a appris ceci: « Ceux qui ont pitié des autres, leMiséricordieux aura pitié d'eux. Ayez pitié de ceux qui sont surla terre, et celui qui est au ciel aura pitié de vous.

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L'Action de l'Eglise pour la Paix au Congo

Albert TETSIAncien Vice·président de l'Eglise Evangélique du Congo Braz.zavill~

1. Introduction

La prévention des conflits, le retour à une paix durable et laconstruction de la paix restent pour la société congolaise dansson ensemble une question d'urgence. Face à cette impérieuseexigence, les acteurs politiques se montrent peu capables derésoudre par eux seuls, l'ensemble des problèmes sociauxsubordonnés à celui de la paix. La tendance est de s'orienterdavantage aujourd'hui vers la compétence de l'ensemble descitoyens. La notion de Société Civile prend toute sa valeur dansun tel contexte. Il ne s'agit plus à proprement parler de l'actiondes Pouvoirs publics et de leurs choix stratégiques, mais d'unpartenariat ouvert à tous. Dans ce partenariat, quel est le rôle del'Eglise dans la prévention des conflits et des crimes rituels auCongo Brazzaville?

La prévention des conflits peut se situer à deux niveaux àsavoir: la prévention des conflits proprement dite; et laconstruction d'une paix durable au Congo.

Notre exposé comprendra quatre parties essentielles quisont:

• Cause des conflits en Afrique Centrale;

• Vision apostolique de l'Eglise dans la prévention des conflits;

• Bilan de l'action de l'Eglise dans la prévention des conflits etdes crimes rituel ;

• Perspectives dans la prévention des conflits et des crimesrituels.

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2. Causes des conflits en Mrique centrale

L'actualité des pays d'Afrique centrale de ces deux dernièresdécennies reste fortement dominée par des conflits armés.L'Angola, le Centrafrique, les deux Con,go, le Tchad ont été tourà rour secoués par des conflits armés ayant occasionnés despertes en vies humaines et des destructions matérielles difficilesà évaluer aujourd 'hui.

Quelles peuvent en être les causes ? En effet, les causes dudéclenchement des conflits armés sont de plusieurs ordres dontprincipalement deux: endogènes et exogènes.

2.1. Causes endogènes

Il est important de noter que la structure sociale de laplupart des pays de l'Afrique Centrale repose sur un fondementclanique, ethnique ou tribal constituant des micros Etats. Laformation des partis politiques et des associations obéit à cettelogique. Ceux qui ont la possibilité de conduire les destinées desnations recrutent leurs collaborateurs assez souvent parmi leséléments du clan, de la tribu ou de la province pour mieuxsauvegarder leurs acquis; parfois au détriment de l'équité, del'efficacité et de l'excellence.

C'est à peine que la sphère clanique ou ethnique est franchiepour rechercher des éléments issus d'autres ethnies etprovinces mais toujours dans le but de consolider la pensée etl'action des familles politiques dirigeantes. Et tous ceux qui nefont pas partie des clans ou des ethnies au pouvoir ou qui s'yopposent sont à l'avance catalogués, cernés et traités commedes cibles à combattre. C'est là que naissent la méfiance et laconfrontation verbale puis violente.

Une autre cause est à rechercher dans la répartition inégaledes ressources naturelles opposant l'écrasante majorité despopulations soumises à la souffrance face à des infimesminorités sociales, propriétaires ou gestionnaires de cesressources. La non répartition équitable des richesses crée des

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frustrations, des mécontentements, des remous qui seterminent par des conflits ouverts ou latents.

Ensuite, le faible degré du sentiment patriotique ne permetpas à plusieurs citoyens de saisir la nécessité d'aimer leur pays,leur peuple et d'œuvrer de façon à garantir le strict minimumvital indispensable à tous : infrastructures et moyens decommunication pour la libre circulation des populations etdes biens, structures scolaires, universitaires, sanitaires viables,création d'emplois à tous sans aucune discrimination... Sontautant des motifs qui susciteraient la conscience de chaquecitoyen quel que soit le rang social occupé. Le manque depatriotisme donne l'occasion à chacun de mal se conduire aupréjudice de tous.

Ainsi, à l'exception de rares pays, les peuples de l'AfriqueCentrale croupissent dans la misère et la paupérisation qui ne sejustifient plus dans un univers orienté vers la mondialisation.Le taux de chômage n'est même pas encore maîtrisé et nossociétés sont désoeuvrées à telle enseigne que les aventuresguerrières trouvent une abondante main d' œuvre droguée,armée et abusée.

2.2. Causes exogènes

Comme les autres Continents du Sud, l'Afrique est l'une desparties du monde les plus convoitées à cause des richesses dusol et du sous sol. Hier, victime des idéologies et des économiesd'un monde bipolaire - Capitalisme et Communisme - leContinent africain est aujourd'hui dans les mailles desMultinationales qui le dépècent en pièces et qui prônent lamondialisation.

Non seulement les prix des matières premières sont fixés parles Nations industrialisées constituées par le GB, elles qui ont depuissants moyens d'exploitation, plus encore elles arment ceuxqui acceptent d'œuvrer en leur faveur et laisser les pays du Sudplus pauvres et plus endettés par tête d' habitant. C'est ainsi quedes conflits ont surgi entre citoyens protagonistes au sein d'un

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même pays les plus fidèles garantissant la croissance desMultinationales, d'autres conflits ont opposé des paysfrontaliers et frères pour avoir abrité tel gisement minier outelle richesse forestière ou halieutique. Les victimes ont toujoursété de paisibles et innocentes populations.

Les puissances métropolitaines qui ont exploité et pillé leContient africain depuis près de trois siècles au profit de leurcroissance et de leur équilibre socio-économique sont les mêmesqui sèment la terreur, la désolation et la mort parmi nospeuples, pour en faire des éternels tributaires, en tout point devue, d'une certaine générosité occidentale.

L'Eglise, en dépit de ses maigres ressources, s'intéresse ausort de l'Homme sur tous les plans. Elle a œuvré autant quefaire se peut en s'interrogeant sur les conflits et les crimesrituels qui ensanglantent l'Afrique centrale. Dans les lignes quisuivent, nous rapportons ce qu'elle a entrepris humblement auCongo Brazzaville.

3. Vision apostolique de l'Eglise dans la prévention des conflits

La prévention des conflits, des crimes rituels et laconstruction d'une paix durable constituent la missionapostolique de l'Eglise, ce qui justifie en partie sa raison d'êtresur terre.

En effet, l'Eglise qui est missionnaire par nature, a reçu lavocation de rendre effective la paix dans le monde. Dans Jean20: 21, le Christ s'adressant à ses disciples, déclare: « La paixsoit avec vous 1Comme le Père m'a envoyé; moi aussi je vousenvoie ». Et Saint Paul renchérit: « Tout cela vient de Dieu, quinous a réconciliés avec Christ, et qui uous a donné le ministèrede la réconciliation» cf. 2 Corinthiens 5 : 18.

La paix est une denrée vitale pour tous les hommes sansexception. Elle est à la base même de toute action humainedurable et de tout développement. Partout où la paix manque,

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les sociétés humaines connaissent face au défi dedéveloppement: stagnation, recul et chaos.

Ainsi, la mission de la paix par l'Eglise n'est pas subsidiaire.Elle a une dimension constitutive, consignée dans les textesfondamentaux de l'Humanité. Dieu, le Créateur s'est identifié àtravers l'Histoire comme étant le JEHOVAH SHALOM, c'est-à­dire le Dieu-Paix cf. Juges 6: 24. Etant la paix, TI en est levéritable pourvoyeur. C'est Lui qui produit en nous le vouloiret le faire; autrement dit la volonté et le pouvoir ou la capacitéde construire véritablement la paix, ce à quoi nous avons tous lemerveilleux privilège d'avoir été créés à son image et à saressemblance même.

3.1- Capacités de l'Eglise de construire la paix

L'Eglise a-t-elle des capacités pour rendre effective la missionde la paix?

En effet, même si l'Eglise ne dispose pas suffisamment demoyens matériels; elle a cependant des atouts certains pourremplir les tâches de la paix afin d'en atteindre les objectifs.

En ce qui concerne les capacités de construire la paix, l'onnotera que:

l-L'Eglise a la capacité d'avoir des ressources humaines pourprévenir les conflits, les crimes rituels et la constructiond'une paix durable;

2-Elle a la capacité de recevoir des fonds ou de s'autofinancerpour soutenir sa politique de paix ;

3- Reconnue comme apostolique et en tant qu'envoyée, elle faitl'objet de consensus;

4-Elle dispose des atouts pour jouir d'un crédit moral de tellesorte que son autorité sur ce plan est indéniable.

Du point de vue de l'évangélisation des peuples, l'Eglisedispose d'autres capacités en particulier:

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• La capacité de prêcher l'amour de Dieu et du prochainDe ce fait, elle est en endroit d'enseigner au peuple congolais

avec autorité, l'unité en Jésus-Christ et autour de sa croix;l'égalité de tous et que Juif ou Grec, homme ou femme, riche oupauvre... tous créés à l'image de Dieu, deviennent gérants etsolidaires de tout le patrimoine national légué par Dieu.

• La capacité de prêcher la Paix et la RéconciliationIl appartient à l'Eglise d'être un acteur de premlere ligne

dans la prévention des conflits et des crimes rituels et laconstruction d'une paix durable en renouvelant la vie par lapuissance de l'Evangile et en s'armant à l'intérieur de lapuissance du Saint Esprit dont aucun pouvoir ne peut mettre àbout. L'Eglise doit mettre en relief le pardon et la résolution desconflits pour constituer la base de la réconciliation.

• La capacité d'enseigner la Justice et la non violenceL'Eglise veille à la bonne gestion de la Nation et de l'Etat

autant que cela est possible. Cela est d'autant plus importantque la mauvaise gouvernance, la discrimination sociale, lapauvreté, la violation des Droits fondamentaux de l'Homme, laconfiscation des Libertés fondamentales, la famine,l'analphabétisme... sont source de conflits ou facteurs deviolence, ce qui constitue des entraves à une paix réelle etdurable et que l'Eglise en vertu de sa mission prophétique, estappelée à dénoncer, à combattre quel qu'en soit le prix à payer.

• La capacité de faire respecter la vieL'Eglise peut enseigner la notion de la vie et œuvrer pour sa

défense en se fondant sur l'unique source de vie; le Dieu Père etCréateur de toute chose. La diversité biologique, culturelle etethnique est considérée comme une richesse à sauvegarder.

• La capacité de transformer l'environnementL'Eglise doit se déterminer et influencer fortement le

comportement de toute la société alors que la vision dupolitique demeure souvent partielle, partisane voire bornée

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tandis que celle de l'Eglise et du reste de la Société Civile dignede ce nom a l'avantage d'être globale et équilibrée.

3.2- Engagement de l'Eglise dans le processus de paix

L'Eglise est appelée à s'engager dans la prévention desconflits, des crimes rituels et la construction d'une paix réelle.En tant que artisan impartial et inlassable, elle doit rechercherla paix. Ambassadeur du Christ, elle doit s'employer àréconcilier les parties en conflit, assurer convenablement samission d'instruire sur les dangers potentiels de conflits.

Dans cet engagement, le prix à payer consiste à aller jusqu'aubout en dépit des obstacles. Il n'est pas bon d'abandonner lesdémarches en faveur de la paix dès lors que ces démarches ontdémarré.

3.3- Raisons de l'engagementpour la paix

Les raisons de l'engagement pour la paix sont multiples aunombre desquelles, on citerait les conséquences néfastesengendrées par les deux Guerres Mondiales pour toutes lesNations de la planète, conséquences ayant abouti en 1945, à lacréation de l'Organisation des Nations Unies (ONU).

La raison d'être même de l'Eglise, nous rappellera toujoursson œuvre en faveur des hommes de telle sorte que la Paixdevienne une culture qui améliore les conditions de vie.

4. Bilan de l'action de l'Eglise dans la prévention des conflits etdes crimes rituels

4.1- Collaboration avec les pouvoirspublics

Pour prévenir les conflits au Congo, l'Eglise a collaboré avecles Pouvoirs publics. C'est ainsi qu'elle a participé et participeencore aux grands événements nationaux. Pour prouver sabonne foi de vivre dans un univers sain et équilibré, l'Eglise

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prend part aux opérations de salubrité organisées dans des villeset villages par la mobilisation massive des fidèles.

Les fidèles participent également, comme tous les autrescitoyens, à l'accueil des Autorités politico-administratives et auxautres activités d'intérêt capital liées à la bonne marche de laNation. Et individuellement ou collectivement, les membres del'Eglise intercèdent en faveur de leur pays.

De son côté, l'Eglise sollicit~ la participation du politiqueaux événements religieux heureux ou malheureux à tous lesniveaux. Pour démontrer qu'elle a toujours répondufavorablement aux invitations des Pouvoirs publics, voiciquelques faits marquants:

,En 1990, lors de l'avènement de la Démocratie pluraliste,

l'Eglise a participé aux travaux de la Conférence NationaleSouveraine dirigée de main de maître par un Ecclésiastique,Monseigneur Ernest NKOMBO ;

De 1990 à 1992, le Conseil Supérieur de Transition fut aussidirigé par le même Prélat et le pays a connu une période apaiséemalgré les difficultés de parcours inhérentes à toute nationlibre et souveraine;

De 1993 à 1994 et de 1997 à 1999, lors des conflits armésfratricides, l'Eglise a participé par une Action caritative encréant des sites ayant abrité des personnes en danger de mortfuyant les zones de combat. Les édifices religieux notamment àBrazzaville, étaient devenus des lieux d'habitation despopulations déplacées et sinistrées qui ont eu leur survie grâce àl'Action humanitaire de l'Eglise et des Organisations nonGouvernementales oeuvrant séparément ou en partenariat avecl'Eglise. Cette Action humanitaire a été surtout menée d'Uncôté par l'Eglise Catholique Apostolique Romaine à travers« Caritas Congo» implantée dans les Diocèses et de l'autre, parl'Eglise Evangélique du Congo, qui a mis en place deuxorganismes l'un dénommé « Laissez Vivre le Congo» de 1993 à1996 et l'autre, «l'Action de Secours d'Urgence» de 1999 à nos

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jours. L'humanitaire du côté Catholique ou Evangéliqueintéresse les domaines suivants : distribution des vivres, soinsmédicaux aux populations dans les zones de combat,assistance aux femmes violées, relance des activités agricoles etpastorales, programme de relogement des populationsdéplacées, formation et encadrement de la jeunesse dont les excombattants aux petits métiers pour l'arrêt des hostilités.

Depuis 2002, l'Eglise s'est employée à accueillir lespopulations du Pool et à assurer les conditions de retour dansleurs localités respectives de façon à reprendre la vie sur denouvelles bases. Au niveau œcuménique, un Organismedénommé ACDA a vu le jour pour aider l'Eglise du Congo àprendre à bras-le-corps collectivement la souffrance despopulations même si cet organisme, pour des raisonsfinancières, ne fonctionne plus. Par ce comportementresponsable, l'Eglise a compris que la Paix ne signifie passeulement absence de guerre mais que la prise en mains de lasituation désastreuse des démunis participe à la cessation desconflits et donc au retour progressifde la Paix.4.2.- Position de neutralité de l'Eglise

La gestion des conflits suppose une intervention dans le sensd'orienter le phénomène ou d'influencer les protagonistesimpliqués. C'est à travers cela que le comportement de l'Eglise aété révélateur d'une attitude de neutralité ou d'engagement.

En effet, de manière globale, l'Eglise s'est gardée de sepositionner dans l'un ou l'autre camp des belligérants, elle atrouvé bon de s'investir dans l'aide multiforme à apporter auxnécessiteux sans distinction de race, de tribu, de sexe, decroyance...

4.3- Engagement constructifde l'Eglise

Consciente du danger que courait le peuple congolais,l'Eglise n'a jamais cessé d'attirer l'attention des citoyens partous les moyens.

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• Messages de l'EgliseAux Autorités congolaises, ces messages consistaient à leur

faire prendre conscience des méfaits des conflits armés quimenaceraient la Paix et plongeraient les populations dans dessouffrances inutiles au lieu de privilégier la solution auxvéritables problèmes vitaux des Congolais. Ainsi, le ConseilŒcuménique au Congo a adressé beaucoup de messages pourtenter d'apaiser les situations déjà conflictuelles qui prévalaientdans le pays. Mais hélas, ces messages n'ont jamais été comprisni même acceptés par tous ceux qui au Congo, ont une parcelled'autorité; la conséquence ce sont des guerres récurrentes qui sejustifient comme étant une volonté délibérée de nuire aùpaisible peuple.

• Actions de médiationEn 1998, au plus fort des conflits armés dans le Département

du Pool, notamment dans le District de Mindouli, le COECC(Conseil Œcuménique des Eglises Chrétiennes du Congo)répondant favorablement à l'offre de médiation du HautCommandement Militaire, a mis sur pied un comité demédiation composé d'ecclésiastiques et de laïcs dont la missions'est soldée par la mort d'hommes.

Par ailleurs, toujours dans la dynamique de la recherche dela paix, l'Eglise a organisé des messes et cultes spéciaux tant àBrazzaville que dans tout le pays. A travers ces rencontres, lesmessages et les prédications, elle a dénoncé la division, laviolence et le non respect des Droits de l'Homme.

• Interventions dans la prévention des conflitsLes guerres récurrentes au Congo ont poussé l'Eglise à créer

des structures spécialisées qui sont:

La «Commission Justice et Paix» (C]P) au niveau de l'EgliseCatholique;

« Laissez Vivre le Congo », l' « Action Evangélique pour la Paix ;)(AEP) et l' « Action de Secours d'Urgence» (ASU) au niveau del'Eglise Evangélique du Congo;

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Le « Corps Luthérien des Artisans de Paix» (CLAP) au sein del'Eglise Evangélique Luthérienne du Congo;

Le Conseil Œcuménique des Eglises Chrétiennes du Congo n'estpas resté en marge de la dynamique de paix en créantl' « Observatoire Œcuménique de Paix » (OOP).

• Actions des structures spécialiséespour la construction de la PaixCes structures spécialisées organisent des séminaires et

autres rencontres pour amener les Congolais à comprendre lanécessité de se réconcilier les uns aux autres comme l'exige laParole de Dieu et la sagesse bantoue du «Mbongi» (lieu derencontre, d'échange ou de partage, de la théorie de la nonviolence, des techniques de résolution pacifique des conflits).

Elles forment des animateurs locaux capables de vulgariserla formation acquise dans le domaine de la résolution pacifiquedes conflits et de la promotion de la culture de la paix.

5. Perspectives dans la prévention des conflits et des crimesrituels

L'Eglise au Congo est interpellée dans le processus del'apprentissage de l'instauration de la paix pour affronter lesdéfis pluriels de l'heure actuelle. Par conséquent, il convient derenforcer les capacités nécessaires permettant à l'Eglise de jouerpleinement son rôle d'agent pluridisciplinaire dudéveloppement au sein de la Société Civile.

Du coup, la question capitale de l'Eglise d'aujourd'hui et dedemain se pose en termes de formation du peuple, en vue d'uneconscience civique et d'un esprit d'engagement chrétien plusvisible dans le champ politique. Il s'agit ici d'une politiqueconstructive qui honore Dieu et l'Homme; qui réconciliel'Homme avec son environnement et qui lui donne à espérerdans tous les domaines

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6. Conclusion

Pour conclure, il semble aujourd'hui que le profù del'Homme de Dieu formé uniquement pour annoncer l'Evangileaux chrétiens se trouve dépassé par rapport à la nouvelle donne,pour la simple raison que l'Eglise vit dans un environnementconfronté à plusieurs défis dont celui de la coustruction de lapaix.

L'Homme de Dieu doit être à la fois un artisan de paix paressence, mais aussi un agent rompu aux techniques et aptitudesde réconciliation, tout un art à apprendre pour reconstruire lapaix perturbée par des violations des Droits et des Libertésfondamentales.

Il s'agit de rechercher la vérité, d'identifier et de cerner lessources de frustration, de violence, de guerre et de proposer lessolutions d'un retour à une paix véritable et durable. Car,comment pardonner à autrui ses offenses sans les avoir ciblésau préalable, ou réconcilier des protagonistes sans avoirdénoncé humblement les causes de mésentente et surtout serendre à l'évidence d'une volonté réciproque d'enterrer àjamais la hache de guerre?

Ainsi, étudier, déterminer et prévenir les causes de conflitsvalent mieux que la résolution même des conflits ouverts oulatents car, ne dit-on pas qu.'il vaut mieux prévenir que deguérir? Telle a été et demeure la mission pacifique de l'Eglise auCongo. Nous vous remercions pour l'attention soutenue dontvous venez de faire montre face à notre exposé.

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Mitos em s. tomé e principe

Armindo AGUIAR(Sao Tomé et Principe)

Se os mitos subsistem hoje nas nossas sociedades, é porqueha seguidores que agilizam as praticas da tradiçào que Ihes dàocorpo e operacionalidade apoiando a adaptaçào dasensibilidade humana a aceitaçào dos valores veiculados peloparadisiaco ambiente do ser Sobrenatural. A essa aceitaçàosubjaz os Interesses, de enriquecimento, preeminência eprotagonismo que cada um forja para a realizaçào da suaambiçào.

É proprio do contexto cultural fazer a promoçào de ideias,fundamentar as crenças e outros valores e atitudes, queconcorrem para a formaçào da personalidade do individuo quese toma agente ou guia das praticas dos crimes rituais.

Assistimos a intolerância dos governos que motivam aspopulaçôes para aprofundar divisôes no seio do povo, nointerior de um pais, conducentes à violência generalizada queameaça a existência de populaçôes inteiras. Estas ameaçasinduzem ao movimento para a autonomia e separaçào por viasde diferenças culturais, empobrecendo 0 pais com a destruiçàode muitas capacidades, competências que acabam mortas ouemigram.

Este radicalismo acontece porque os Estados africanos sào 0

resultado de Interesses em Africa de um grupo de Estados­naçào europeus durante 0 final do século XIX. Conc1ui-se,assim, que as fronteiras geograficas nào reflectem um processode desenvolvimento histôrico africano.

As fronteiras sào quase todas artificiais e 0 seu aparecimentoformal nào tem em conta as realidades africanas. Esta realidadeesta conforme os principios dominantes da Europa,contrariando tudo 0 que diz respeito à motivaçào ideologica,que se manifesta sob a forma do nacionalismo, como expressào

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politica da vontade de que cada naçào deva ter do seu proprioEstado unitario afirmado numa convergência de culturas.

o processo de luta pela independência uniu as diferentesforças em alianças circunstaneiais que corn 0 fim dos conflitos,perderam 0 conteudo que as originou.

Os novos homens do poder tiveram, como uma das suasprimeiras tarefas, a criaçào de uma naçào para 0 espaçogeografico que corn as independências vieram a dominar.Assim, pensaram os lideres africanos, poder criar umaconsciência nacional de forma administrativa, a "partir decima"

Mas 0 sucesso deste ideal de criaçào de consciência nacionalnao foi alcançado, nào foi conseguido.

A falta de circulaçào da informaçào nos nossos paisesrepercute-se na ignorância em que vive muita gente do nossocontinente. Quando as populaçôes viverem fechadas, isoladasuma das outras, ha um desenvolvimento de raeionalidades eculturas diferentes, que se disponibilizam mental epsicologicamente para actuaçôes confrangedoras.

Na Âfrica Central, alguns povos foram submetidos,manipulados por factores mîsticos e religiosos, que servem dejustificaçao a transformaçao da ordem polîtica e social,provocando perturbaçôes, atingindo muitas vezes 0 caos.

Desde logo, a questào de fundo reside em alcançar 0

protagonismo e a preeminência no seio da comunidade ou dopovo, por eliminaçào fisica dos possiveis objectores.

Diferentes paîses de fronteira comum, nào se atêm adiâlogos ideologicos, pois os valores culturais ou religiososentram em confronto e raramente atingem resultados padficos.

Os crimes rituais nao factos somente da nossa época ouexc1usivamente africanas.

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Os homens, interpretando os mitos segundo as suasvontades incentivam à pratica de sacrificios rituais porpretextos inconfessaveis.

Em nome da cultura, da politica, da religiào, e até em nomede nada, milhôes de pessoas foram mortas. Nào ha respeitopelas vidas alheias, pelas pessoas humanas.

Hoje, até em nome da ciência, crianças sào raptadas eassassinadas, delas retirados os seus orgàos para seremcomercializados em trafico.

,

Quando as populaçôes vivem longo tempo com dificuldadese a pobreza alastra, nào é raro constatar 0 surgimento detendências para habitos que predizem a salvaçào.

Embora os conflitos rituais nào combatam a pobreza,muitas pessoas pobres praticam-nos na esperança de umHIPOTÉTICA MUDANÇA DO NiVEL DE VIDA.

Homens ambiciosos, praticam-nos para conseguirem 0

poder;

Os crentes praticam-nos na expectativa de obter sucesso nosnegocios;

Violências sangrentas ocorrem no interior dos paises porconfrontaçào cultural e religiosa

Cresce um antagonismo audacioso e devasso e as partescontinuam a repressào e intolerância. Com a nào cedência,porque 0 temor da submissào é muito forte, receiam sermanipulados, ha incentivos a revolta e as populaçôes sàodizimadas. •

É, de facto, preciso estudar e entender os homens. Aosantrop6Iogos, soci6Iogos, historiadores e psic6Iogos, cabe apesada tarefa de procurar aprofundar a problematica e projectarsoIuçôes.

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É de todo recomendavel que 0 estudo e a compreensao dofen6meno cultural, passa pelo estudo do homem, sujeito eagente, capaz de conservar ou de alterar estruturalmente associedades humanas, marcando 0 ritmo para atingir um fimespedfico ou para satisfazer os seus objectivos.

É ut6pico 0 que vou propor, mas, reconhecendo que umadas fontes desse mal é a ma divisao dos territ6rios de Africa,particularmente nas fronteiras onde subjaz 0 estigma daconflitualidade, é requerido de que sejam repostas as fronteirasdo século XIX. É um projecto que deve envolver todos os paisesafectados, as organizaçôes multilaterais coma as Naçôes Unidas,a Uniao Europeia, a Uniao Africana, e as demais instituiçôespara numa primeira fase se sensibilizar os dirigentes para essanecessidade.

Um amplo programa de informaçao deve ser executado paraque as populaçôes africanas, também afectadas por ausência decomunicaçao possam estar envolvidas para esse grande projectoque é 0 da redivisao territorial de Africa. Como reagirao ospaises, os seus dirigentes e as populaçôes, naD seil

Por outro lado um amplo programa de educaçao/formaçaopara instruir as populaçôes nos maleffcios das praticasritualistas e na prevençao contra a devassidao e mortesdesnecessarias.

A maneira possive! de estancar a crise é fazer ajustamentosdas fronteiras internacionais. Contudo, estes têm sido tabus emAfrica, até ao momento. A entao OUA, hoje Uniao Africana,numa resoluçao do principio da década de sessenta do séculoXX, determinou que as linhas fronteiriças internacionais naDdeviam ser alteradas.

Mesmo que os dirigentes politicos africanos continuem amanter este principio, a evoluçao temporal pode levar a queestes ajustamentos se façam naturalmente, sem derramamentode sangue e fome.

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Les mythes au Sao Tome et'PrincipeArmindo Aguiar Historien (Sao Tome et Principe)

[Version traduite]

Si les mythes subsistent dans nos sociétés, cela est dû au faitqu'il ya des instigateurs qui incitent à l'usage des traditions quiles incorporent pour qu'elles deviennent opérationnelles, touten soumettant l'adaptation de la sensibilité humaine àl'acceptation des valeurs véhiculées par l'environnementparadisiaque du surnaturel. On prétend qu'à cette acceptationsoient liés des intérêts, l'enrichissement, la proéminence et leprotagonisme de chacun dans le cadre de cette ambition.

Le contexte culturel lui-même favorise la promotion d'idées,de croyances et d'autres valeurs et attitudes qui contribuent à laformation de la personnalité de l'individu qui devient ainsi unagent ou un instigateur de la pratique des crimes rituels.

Nous assistons à l'intolérance des gouvernements quiencouragent les populations à la sécession. Cet état de chose, ausein du peuple et à l'intérieur d'un pays quelconque, conduit àla violence généralisée menaçant l'existence de toute unepopulation. Ces menaces incitent à des mouvements versl'autonomie et la séparation au nom des différences culturelles.L'appauvrissement du pays devient donc une réalité, si noustenons en compte la destruction des capacités et descompétences de ses ressortissants, par décès ou émigration.

Ce radicalisme ressort du fait que les Etats africains ne sontque le résultat d'intérêts en Afrique d'un groupe des Etats­Nations européens à la fin du XIXème siècle. D'où la conclusionque les frontières géographiques ne reflètent pas un processusde développement historique africain.

Les frontières sont quasi artificielles et leur apparltlonformelle n'a pas pris en compte les réalités africaines. Cetteréalité est due aux principes qui prévalent en Europe,contrairement à tout ce qui a trait a l'inspiration idéologique,manifestée sous forme de nationalisme en tant qu'expression

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de la volonté politique selon laquelle chaque nation doitétablir sa propre unité de l'Etat affirmée par la convergence decultures.

Le processus de lutte pour l'indépendance a prétendu unifierles différentes forces en alliances circonstancielles, lesquelles,avec la fin des conflits, ont perdu le contenu qui en a été àl'origine.

Les nouveaux hommes du pouvoir ont eu à créer, toutd'abord, une nation pour l'aménagement géographique qu'ilsont dû commander avec les indépendances. C'est ainsi que lesleaders africains ont pensé qu'ils pouvaient créer une consciencenationale de manière administrative «du haut vers le bas »,

mais le succès escompté dans cet idéal de création n'a pas étéobtenu.

Le manque d'information au sein de nos pays maintientdans l'ignorance la plupart des gens qui vivent sur notrecontinent. Aussi longtemps que les populations s'enfermerontet s'isoleront, nous assisterons à un développement derationalités et de cultures différentes qui éclaterontmentalement et psychologiquement en actions effroyables.

En Afrique Centrale, certains peuples ont été objets demanipulation par des facteurs mystiques et religieux qui ontservi de justification à la transformation de l'ordre politique etsocial, entraînant des perturbations, voire le chaos.

Dès lors, la question de fond reste celle de savoir commentatteindre le protagonisme et la proéminence au sein de lacommunauté ou du peuple par le biais de l'éliminationphysique des potentiels opposants.

Certains pays ayant des frontières communes ne sont pasprédisposés à des dialogues idéologiques, puisque les valeursculturelles ou religieuses sont incompatibles et n'atteignent querarement des résultats pacifiques. Les crimes rituels ne sont

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seulement pas des faits de notre époque ou exclusivementafricains.

Les hommes, interprétant les mythes selon leurs volontés,incitent à la pratique de meurtres rituels par des prétextesrépréhensibles.

Au nom de la culture, de la politique, de la religion et aunom de rien même, des millions de personnes ont été tuées. Iln'y a pas de respect pour les vies humaines.

Aujourd'hui, même au nom de la science, des enfants sontséquestrés et assassinés, leurs organes sont retirés pour en êtrecommercialisés en trafic.

Autant les populations vivent longtemps avec desdifficultés et la pauvreté augmente, plus nous assistons à destendances vers des habitudes qui prédisent la rédemption.

Bien que les crimes rituels ne luttent pas contre la pauvreté,plusieurs personnes pauvres en pratiquent dans l'espoir d'unHYPOTHETIQUE CHANGEMENT DES CONDITIONS DEVIE:

Des hommes ambitieux en pratiquent pour atteindre lepouvoir;

Les croyants en pratiquent dans l'expectative du succès dansles affaires;

Des violences sanglantes ont lieu à l'intérieur des pays àcause de la confrontation culturelle et religieuse.

Nous assistons à la croissance d'un antagonisme audacieuxet crapuleux et les parties poursuivent leurs actions derépression et d'intolérance. La sécession n'étant pas possible,de peur que la répression soit encore plus forte, ces parties,craignant être manipulées, incitent à la révolte et lespopulations sont écrasées.

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En fait, il faudrait étudier et écouter les hommes. Auxanthropologues, sociologues, historiens et psychologues, ilrevient la tâche tenace de chercher l'approfondissement de ceproblème et de prévoir des solutions.

Il est hautement souhaitable que l'étude et lacompréhension du phénomène culturel passe par l'étude del'homme, du sujet et de l'agent, capable de préserver ou dechanger structurellement les sociétés humaines, tout enétablissant un programme pour aboutir à un but spécifique oupour satisfaire à ses objectifs.

Je reconnais que ce que je vous propose semble plutôtutopique, mais, compte tenu qu'une des sources de ce malheurest la mauvaise répartition des territoires de l'Afrique,notamment dans les frontières où le stigma des conflits estperceptible, il serait souhaitable de reprendre les frontières dusiècle XIX. Il s'agit d'un projet qui devrait engager tous les paysaffectés, les organisations multilatérales telles que les NationsUnies, l'Union Européenne et les différentes institutions, defaçon à ce que, dans une première phase, les dirigeants y soientsensibilisés.

Un programme élargi d'information doit être mis en placepour que les populations africaines, également affectées par lemanque de communication, puissent être impliquées dans cegrand projet, celui de la redistribution territoriale de l'Mrique.Comment réagiraient les pays, leurs dirigeants et lespopulations? Je ne le sais pas!

D'autre part, il faudrait mettre en œuvre un programmeélargi d'éducation/formation à l'intention des populations dansle domaine des maléfices des pratiques rituelles et dans laprévention de la dévastation et des décès qu'ils occasionnent.

Une des façons possibles d'arrêter la crise serait de faire desajustements de frontières internationales. Toutefois, celademeure jusqu'à présent tabou en Afrique. L'ex-OUA,

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aujourd'hui l'Union Africaine, dans sa résolution du début desannées 60 du XXème siècle, a stipulé que les lignes frontièresinternationales ne devaient pas être changées.

Nonobstant, le fait que les dirigeants politiques africainstiennent à maintenir ce principe, l'évolution de notre époquepeut conduire à ce que ces ajustements soient menés de façonpacifique, sans écoulement de sang.

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Sous-thème Il

Dispositions juridiques et pénales etmobilisation de la société civile pour la luttecontre les crimes rituels en Afrique Centrale:

moyens d'action, outils (juridiques,intellectuels, culturels, sociologiques...)

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Les dispositions pénales applicables en matière decrimes rituels au Gabon

Mathieu NDONG ESSONOConseiller du Garde des Sceaux, Ministre de laJustice (Gabon).

Ma communication va porter sur les dispositions pénalesapplicables en matière de crimes rituels dans le droit gabonais.Le choix de ce thème par les organisateurs me paraît fortjudicieux, dans la mesure où, par ce canal, ils cherchent àtrouver réponse aux lamentations récurrentes souvententendues lors de la découverte de corps mutilés.

Ces gémissements nous interpellent car, si nous n'y prenonsgarde, ils peuvent conduire les populations victimes de cesagissements au découragement, à la colère et peut-être à unebrutalité incontrôlable. Et pourtant, des textes existent pourréprimer tout acte attentatoire à l'intégrité de la vie humaine. Ilsuffit seulement de les connaître et avoir l'audace de vouloiraffronter l'inertie et la résignation Je vais donc m'efforcer devous présenter les dispositions en question, même s'il fautreconnaître que les conditions de préparation de ce documentn'ont pas été faciles à cause des délais très brefs qui m'ont étéaccordés à cet effet.

S'agissant d'un domaine relevant de la matière pénale, je mesuis donc contenté de parcourir le code pénal et concentrer monattention sur les deux mots clefs qui constituent la substance dece colloque, à savoir: crime et rituel.

L'opinion entend généralement le mot crime comme unmanquement très grave à la vertu, à la morale ou à la loi. Endroit pénal, c'est un terme générique qui désigne une infractionpunie soit de la peine de mort, soit de celle de la réclusioncriminelle (article 1er).

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Parler de crime rituel dans le droit positif gabonais nousconduit nécessairement à rechercher dans la législationl'existence formelle de cette infraction. La consultation de latable analytique du code pénal ne fait apparaître aucuneinfraction sous cette dénomination. S'agit-il d'un oubli, ousimplement qu'elle n'existe pas ?

A cette interrogation, un regard plus approfondi nousamène à découvrir dans le chapitre 19 du Livre II, l'indicationdes infractions relatives à la sorcellerie, au charlatanisme et auxactes d'anthropophagie.

1. De la sorcellerie, du charlatanisme et des actesd'anthropophagie

Ces infractions sont prévues et punies par l'article 210 ducode pénal qui dispose:

« Article 210 : sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans etd'une amende de 50 000 à 200 000 francs ou de l'une de ces peinesseulement, quiconque aura participé à une transaction portant sur lesrestes ou ossements humains ou se sera livré à des pratiques desorcellerie, de magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l'ordrepublic ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété ».

Dans le langage courant, les notions de sorcellerie et decharlatanisme se définissent comme un ensemble de pratiques,de magie de caractère populaire ou rudimentaire qui accordeune grande place au secret, aux actes illicites ou à descomportements effrayants.

Dans l'article 210 ci-dessus, il n'y a aucune définition de cesnotions. Le législateur se cantonne à indiquer les élémentscaractéristiques de la sorcellerie et du charlatanisme. Puis, il

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créée à l'occasion une autre infraction distincte: la transactionsur les restes ou ossements humains.

1.1. De la participation à une transaction sur les restes ou ossementshumains

La transaction sur les restes ou ossements humains peuts'entendre, de tout acte de commerce, de donation, recelportant sur les restes ou ossements humains. Elle impliquel'existence d'un fait matériel ainsi que la mise en oeuvre d'unacte de transaction portant sur celui-ci. A cela s'ajoutel'intention coupable commune à toute infraction pénale.

Les sanctions encourues sont: un emprisonnement de deuxà cinq ans et une amende de 50 000 à 200000 francs ou de l'unede ces peines seulement. 11 s'agit donc de peinescorrectionnelles.

1.2. De la pratique de sorcellerie ou de magie

Cette infraction punit les auteurs de sorcellerie ou de magie.Les éléments constitutifs de la pratique de sorcellerie ou demagie n'apparaissent pas clairement dans le texte de loi.

Dans ce domaine, une jurisprudence claire ne s'est pasencore affirtnée, de sorte que les juges font une applicationsouveraine de la loi; c'est-à-dire, dans chaque espèce qui leur estsoumise, ils vérifient si nous sommes en présence d'un cas desorcellerie ou de magie. Mais il convient de relever ici quel'infraction n'est punissable qu'autant qu'elle porte atteinte àl'ordre public, aux personnes ou à la propriété.

Les sanctions sont identiques qu'en cas de transaction surles restes ou ossements humains.

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2. De l'anthropophagie

Cette infraction est prévue et punie par l'article 211 du codepénal qui dispose:

<<Article 211: Sans préjudice de l'application de l'article 229 ence qui concerne le meurtre commis dans un butd'anthropophagie, tout acte d'anthropophagie, toute cession dechair humaine à titre onéreux ou gratuit faite dans le même but,sera puni de la réclusion criminelle à temps ».

L'article 211 institue aussi bien l'anthropophagie que lacession de chair humaine. Par ces deux infractions, laconsommation de la chair humaine et la cession dans le mêmebut sont punis de peines criminelles à temps, nonobstant lespeines prévues à l'article 229 (sera puni de la peine de mort,quiconque se sera rendu coupable d'un meurtre commis dansun but d'anthropophagie).

Il faudrait noter que la loi ne distingue pas ici selon qu'ils'agisse d'une consommation à titre alimentaire ou d'uneconsommation à titre rituel ou que la cession soit faite à titreonéreux ou gratuit.

3. Des homicides volontaires

Dans les homicides volontaires, on distingue: le meurtre, lemeurtre aggravé et l'assassinat.

Le meurtre est le fait de donner volontairement la mort àautrui. Il est aggravé lorsqu'il est commis dans certainescirconstances ou en raison de la qualité de la victime (article 164al 2, 228 229). Il devient assassinat en cas de préméditation oude guet-apens.

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Les peines vont de la réclusion criminelle à temps à la peinede mort. Je prends la peine de rappeler ces dispositions carl'article 211 annonçait in fine que l'application de l'article 229du code pénal pouvait être envisagée nonobstant les poursuitessur ce fondement juridique.

Sur le plan formel, cet arsenal juridique est suffisammentdissuasif. Mais que vaut une bonne loi si elle n'est pasappliquée, si elle n'est pas bien appliquée? L'une des difficultésqui rendent la loi inefficace est l'administration de la preuvedans un domaine où l'ésotérisme fait concurrence àl'irrationnel.

Quoiqu'il en soit, au regard de ce qui vient d'être dit, le jugegabonais dispose d'un arsenal juridique susceptible de luipermettre de réprimer avec efficacité les infractions relatives auxcrimes rituels.

De par la place réservée à ces infractions et surtout en raisondes peines encourues, le législateur gabonais a clairementexprimé sa volonté politique de combattre ce fléau. Cettevolonté s'est exprimée très tôt puisque le code pénal qui date dela loi n°21/63 du 31 mai 1963 comportait déjà ces crimes.

il est à souhaiter que cette approche perdure et se renforceafin d'englober toutes les formes modernes et pernicieuses quepeut prendre cette délinquance.

Mais l'un des efforts que le législateur africain doitentreprendre consiste à mieux adapter l'environnementjuridique au contexte culturel local, au lieu de se contenter deplagier ce qui lui vient d'ailleurs et qui ne correspond à aucuneréalité. Cela est d'autant plus pertinent que les dispositionspénales de toute convention relèvent des autorités nationales dechaque Etat.

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Le sacrifice rituel. Un fléau social :Les moyens de l'endiguer

Dominique Essono ATOME(Gabon)

Dénoncer un phénomène, c'est en fait, en faire en unproblème social, et emmener ainsi les sociétaires à sa prise deconscience. Ce n'est pas le résoudre en tant que tel, mais c'estune première étape vers sa résolution. Car, tout phénomène quin'arrive pas à la conscience sociale pour susciter les émotionsvives n'est pas encore un problème. Les problèmes naissent deleur prise de conscience, comme la maladie naît de la douleurdans la conscience du malade. Avant la douleur, le sujet nes'estime pas malade. De la même manière, tout semble aller desoi, si un phénomène n'est pas dénoncé.

Pourquoi faut-il considérer le sacrifice rituel comme unfléau social? Si le sacrifice rituel portait sur les boeufs et lesmoutons, il n'y aurait pas lieu de s'en faire ni d'en blâmer ceuxqui les pratiquent. Et pour cause, nous ne faisons guère le deuildu bétaiL Nous élèverions tout simplement plus de boeufs et demoutons. Et le phénomène serait, économique, donc, à notreavantage. Certains s'enrichiraient, d'ailleurs sainement, grâce aucommerce du bétaiL Mais, le sacrifice est pratiqué sur les êtreshumains, ponctionnant sur la société, faisant des deuils dansdes familles. C'est en cela qu'il pose problème; c'est en cela quesa généralisation ou sa perpétuation devient un fléau social.Hormis le fait que c'est une atteinte aux droits de l'homme, enfaisant de celui-ci la bête de l'holocauste, il suscite des émotionsvives dans la société. Et, lorsque cette exaction s'ajoute àd'autres, le résultat pourrait être une explosion sociale.

J'imagine qu'en parlant de sacrifice rituel, nous savons tous,de quoi nous padons, que c'est un lieu commun, pour ne pasavoir à insister sur sa définition. Nous utilisons le terme aupremier degré, au sens propre. A quoi pourraient bien s'ajouterdes sens figurés que nous examinerons ailleurs ! Qu'il me soit

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permis de dire ici qu'il s'agit d'un crime, qui n'a pas laconfiguration d'autres crimes. Ce n'est pas un crime passionnel,par exemple, ce n'est pas un assassinat dû à une causerevancharde. Ce n'est pas non plus un assassinat politique detype classique. Le sacrifice rituel a ceci de particulier qu'il estdestiné à soutenir la promotion sociale de ceux qui lepratiquent. A ce compte, il pourrait devenir, assezdangereusement d'ailleurs, le critère de recrutement d'unecertaine élite. Le plus curieux demeurant, toutefois, le faitqu'une telle promotion se réalise effectivement. Et, au pis aller,un tel crime jouit du monopole de l'impunité. Ce qui impliqueune tacite acceptation de son existence, là où vainement, desvoix s'élèvent pour le dénoncer. Ce qui, de surcroît, auréole depuissance ces criminels. Ce qui, également, justifie laperpétuation du phénomène. Car, du coup, l'entreprise devientgrandiose, tentante, par conséquent. Il devient un critère depromotion sociale et glorifie ses pratiquants.

Pour briguer les sommets de l'échelle sociale, le sacrificerituel est requis et devient un raccourci. Il me semble évidentque si le sacrifice pratiqué sur les êtres humains n'était pasassorti de tels effets ou s'il était même socialement désapprouvé,sa pratique serait désuète et serait abandonnée. Ses pratiquantshonnis. Et, nous ne serions pas là à le dénoncer, à vouloir fairecesser cette pratique persistante. Car, ce que nous faisons ici,c'est de nous substituer à la société, clouée au sol par sonimpuissance, son inorganisation. Il me semble que ce que nousfaisons ici, les O.N.G. pourraient très bien le faire, en tant quesociété civile, intenter des procès pour l'élucidation d'un crime,quand des individus éprouveraient des difficultés à en faireaboutir la procédure.

1. Les racines socioculturelles du phénomène

On ne peut pas éradiquer un phénomène en s'attaquant àson ombre; c'est en identifiant les causes réelles d'un conflitqu'on peut le résoudre. Nous nous indignons devant lesmeurtres et les guerres, sans trop savoir quelles en sont les

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racines profondes. L'émotion suscite les conflits, mais, c'est laraison qui résout les problèmes. Après avoir ainsi posé leproblème du sacrifice rituel, venons-en aux multiples causes duphénomène.

Pour chaque phénomène social, on peut trouver des causesde sortes: les causes endogènes, celles qui sont structurellementliées au fonctionnement et à l'organisation sociale. Et les causesexogènes, celles qui proviennent d'autres sociétés, d'autrescivilisations, avec lesquels notre propre culture est entrée encontact. Si une société est réceptive aux influences d'une autre,c'est qu'il y a dans celle-ci des schémas qui y prédisposent.

2. Les causes endogènes

Une monographie sur la question aurait certes, permis de lesinventorier et de les énumérer. Mais, nous ne pouvons nouslivrer à pareil exercice, compte tenu des impératifs du momentet du temps qui nous est imparti. Il importe cependant designifier que, dans la plupart de nos cultures africaines, pour nepas généraliser, il existe des légendes, des contes, des épopées,des faits valorisant le sacrifice rituel. Le phénomène de l'Avalegachez les Fangs, n'est pas une légende, mais un fait dontpersonne ne doute de l'authenticité. Un sorcier s'empare d'unenfant, lui donne un mets magique, et le soumet à un pacte dugenre: «Tu auras dix femmes, trente enfants, en revanche, tu medonnes ta mère », lui exige un sacrifice d'un membre de safamille son père, sa soeur ou son frère. L'enfant ne s'exécutantpas tombera malade. Pour le soigner, c'est-à-dire, le déconnecterde son agresseur, il faut faire, non plus un sacrifice humain,mais celui du bétail. De tels faits sont en effet récurrents dansnotre société. Ces considérations nous permettent d'ailleursd'étendre la notion de sacrifice du rituel de l'agression physiqueà l'agression psychique. Dans le même ordre d'idée, on connaîtles phénomènes de l'Itengo chez les Punus, celui du Zombi,dans les cultures du vaudou. La mort vaudou est administréepar les prêtres à ceux qui défient leur pouvoir ou qui leurrésistent. Du coup, le pouvoir va exercer une sorte de

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fascination sur les esprits. Et, on verra des gens partir duGabon, par exemple, vers le Bénin, pour se débarrasser de leursrivaux. Dans le Mvet Fang, par exemple, il y a des épopées où ilest conseillé au héros de ne pas tuer un animal, mais unhomme, parce que tuer un homme confere plus de gloire.

Parmi les causes endogènes on peut signaler encore le cultedes ancêtres, l'ancêtre éloigné du sacrifice rituel. L'ancêtre,avant sa mort, léguait à sa postérité ses restes immortels, auxfins de leur utilisation religieuse. A sa mort, son crâne étaitexhumé de terre et destiné à un rituel.

Il était conservé jalousement dans un reliquaire. Mais, voilàun abus d'interprétation chaque fois possible : quelqu'un peuttuer un parent et constituer son reliquaire. Ce qui constituenaturellement un sacrifice rituel.

3. Les causes exogènes

Les religions d'importation sont venues renforcer certainestendances, sous prétexte de les combattre. Le christianisme, parexemple, s'est insurgé contre l'idolâtrie et la pratique desreliques, les condamnant comme des pratiques sataniques, alorsmême qu'ils conservent les reliques des saints, de la mêmemanière que l'indigène conserve son reliquaire. Mais, c'estsurtout le sacrifice d'Abraham et l'Agnus Dei, qui fournissent lamatière au sacrifice rituel.

La Bible, le document de base commun au judaïsme et auchristianisme, rapporte que Abraham allait son fils Isaac à Dieu,quand celui-ci lui offrit un mouton à la place. L'islam aperpétué ainsi le rituel attribué à Abraham. L'analyse tendraitplutôt à montrer qu'il ne s'agit pas d'un acte isolé, et que lesacrifice humain était pratiqué dans cette région du monde. Lespouvoirs que la Bible reconnaît au patriarche ne sont-ils pasl'effet du sacrifice et de la soumission. L'anecdote n'est qu'unefeuille d'arbre qui cache la forêt. Mais, ce sacrifice humainparaît avoir été perpétué sous la forme ritualisée de lapidation.

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Les miliciens et les justiciers de Dieu exécutant là, une sentenceque Dieu n'a point prononcée, que sans nul doute, Il ne sauraitprononcer. De même, dans le christianisme, la pratique dubûcher n'était ni plus ni moins qu'un sacrifice rituel. On offraitainsi à Dieu, quelqu'un ayant été condamné pour avoir enfreintla loi divine. C'était la bête de l'holocauste.

Malheureusement, la loi attribuée à Dieu est celle deshommes soucieux de régner sur les autres. Pis que cela, on nousprésente l'hostie comme le corps du Christ et le vin comme sonsang. Il s'agit, bien entendu, de symboles. Mais, les symboles ontdans le psychisme le même pouvoir que les réactifs en chimie.Au bout du compte, on agit sur le réel par des symboles.Cependant, rien n'indique que lorsque les symboles perdent deleur efficacité, les gens ne peuvent pas recourir, du symbole àl'objet symbolisé, en l'occurrence, le sang humain ou encore,par suite de leur insensibilité aux symboles, le recours direct ausang ne présente pas plus d'avantage, étant d'une efficacitégarantie.

L'ethnologie nous fournit un certain nombre d'exemple :dans certaines sociétés royales, quand le pouvoir était menacé,le rituel de l'établissement de l'ordre consistait à placer l'esclaveau trône pendant quelques jours ou quelques semaines. Après,l'esclave était mis à mort, et le roi reprenait les rênes du pouvoir.Il s'agit là de mimer l'alternance politique, de feindre ladémocratie. C'étaient des sociétaires qui allaient prendre unesclave pour le porter au trône; c'étaient les mêmes qui allaientle prendre pour la cérémonie d'immolation. Subterfugemacabre qui relance le pouvoir royal par un sacrifice humain. Lesens de ce rituel est que le roi peut tuer tous les sujets, même unesclave devenu roi. Et la mise à mort de l'esclave signifie que lepouvoir se nourrit de sang humain, et non du sang du bétail,étant entendu que ce rituel résulte d'une prescription sociale.Et, de surcroît, il est mis en marche par le roi lui-même. C'est letype même du sacrifice rituel. A l'exception d'un ToussaintLouverture, les esclaves n'ont ni culture, ni intelligencepolitique. Sinon, devenu momentanément roi, l'esclave pouvaitordonner la mise à mort du roi titulaire.

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Même l'imagination la plus folle ne parvient pas toujours àapprécier l'impact de tels phénomènes dans le psychismeindividuel ou collectif. Car la mémoire collective s'emparant duphénomène, peut le transformer du social au génétique. Et, laquestion devient dans ce cas héréditaire. C'est en fait ce que KarlGustave Jung appelle les archétypes. Le processus résultesimplement de ce que Pavlov avait appelé le réflexe conditionné.«Nous sommes tous, disait quelqu'un, les chiens de l'InstitutPavlov.»

Je voudrais soulever ici, la question à la fois perplexe enangoissante, de savoir si le lien entre le pouvoir et le sacré, entrela puissance et le sang, ne fait pas partie de notre patrimoinegénétique. Car, le sacrifice rituel n'est pas seulement pratiqué auGabon ou dans les pays sous-développés. On le retrouve mêmedans les grandes démocraties, mais de manière si subtile que lessociétaires ne se rendent même pas compte de son existence.Lorsque les V.S.A. envahissent l'Iraq et tuent des hommes encatastrophe, c'est le pouvoir de leur Président qui en sortrenforcé. On est tenté d'y voir un sacrifice rituel. Etl'extermination des Juifs dans l'Allemagne nazie, n'est-elle pasune forme déguisée de sacrifice rituel. Plus près de nos murs, laguerre ivoiro-ivoirienne, n'est-elle pas un sacrifice rituel?

4. Les moyens d'action

Je suis convaincu d'une chose, c'est que les savants de laNASA ou ceux de la Station Spatial Européenne n'ont besoin, nide prière, ni à plus forte raison de sacrifice rituel pour envoyerdes engins dans l'espace, placer des satellite en orbite pourobserver la terre ou le soleil, pour envoyer une sonde sur Titan.Vne seule chose leur est nécessaire: l'intelligence. Et, c'est ellequi fait des miracles. En deux siècles, à peine de science,l'intelligence a ruiné les mystères sur lesquels reposait la foi: lesoleil n'est plus un lampadaire qui éclaire la terre, mais le centrede notre univers. Je suis aussi convaincu que, ni Satan, ni à plusforte raison, Dieu Créateur, n'ont besoin, ni l'un, ni l'autre,d'aucun sacrifice venant de l'Homme. j'en veux pour preuve le

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fait que Dieu ait offert le mouton à Abraham. Si Sacrifice, il y a,c'est Dieu, plutôt que l'homme, qui en fait un. Tout ce dontl'homme dispose sur terre: ses richesses, son corps autant queson âme, a été pourvu par Dieu. De sorte que, le seul sacrificequ'li puisse exiger de l'homme est la conscience, ledéveloppement de son intelligence. L'ordinateur, le téléphoneportable, le vaccin, le scanner, ne sont pas le fruit de la foi, maisde l'intelligence humaine. Je n'ai rien contre la foi, mais, il nefaudrait pas qu'elle soit aveugle pour produire des fanatiques.Car, je suis convaincu que le sacrifice rituel est le fait del'ignorance des lois divines et des lois de la matière, et que toutsacrifice rituel est un culte voué à l'ignorance plutôt qu'à ladivinité. Je ne nie pas l'efficacité des procédures. Mais, ce quel'on obtient par de telles procédures, peut être obtenuautrement, et sans causer préjudice à quiconque.

La foi résulte du conditionnement. C'est aussi le cas de lascience. En développant des programmes scientifiques desécoles, on conditionnerait les enfants à devenir desscientifiques. Car, parmi les intellectuels, les littéraires sont plusvulnérables à la foi que les scientifiques.

Je pense aussi à la sur-valorisation de la fonction politiquesur les fonctions scientifiques ou techniques. Un député, parexemple, a trois fois le salaire d'un médecin. Le revers est tel quele médecin perd foi en ce qu'il fait et est contraint de postulerun poste politique, plus rémunérateur. De sorte que, uneréduction des écarts de salaires ou une véritable mise en valeurde la fonction intellectuelle constituerait un frein auphénomène de crime rituel.

La pratique du sacrifice rituel est contigüe à la pauvreté et àl'ignorance.

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Les sacrifices humains au Gabon: Devant l'opinionpublique et la conscience de l'Eglise.

AndréOBAME(Gabon)

Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimerici sur les crimes rituels, d'autant plus que je ne suis ni juriste,ni enquêteur, encore moins spécialiste de la question.

En revanche, ma préoccupation personnelle est motivée parce que ma famille, à l'instar de nombreuses famillesGabonaises, a été endeuillée par le fait de ces pratiques. Le petitOBAGHA, mon cousin germain, serait aujourd'hui âgé de 37ans, s'il n'avait été, dans les années 75-76, victime de la barbarieque nous voulons dénoncer en ce lieu.

Par ailleurs, ma qualité d' homme des médias, et chrétien, mesitue inévitablement au cœur de l'existence et despréoccupations de mes contemporains.

Mon approche de la question prend comme élément de baseles «faits divers» tels que relatés par la presse. En effet, celle-ci sefait l'echo de phénomènes dont l'ampleur et la barbarieinquiète chaque jour les populations.

li Y apparaît le fait que le Gabon connaît, vers le début desannées 1970, une forme de criminalité inhabituelle.Des cadavressont fréquemment découverts, gisant sur les plages, dans lesbosquets, tant à Libreville qu'à l'intérieur du pays Particularitéde ces morts: l'absence quasi systématique de certains organesvitaux (cœur, parties génitales, langues,...). Ces faits seraientimputables à l'existence des sectes ou autres organisationsmystico-religieuses et lieraient la promotion sociale, la richesseet le pouvoir à la pratique de sacrifices humains.

Il fut un temps où on pouvait se demander quel créditaccorder à ces « rumeurs» d'enlèvements, d'assassinats et de

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mutilations, faute de circuits officiels de communicationcrédibles et faute de transparence sur ces faits.

Mais les quelques indices dont nous pouvons disposer nouspermettent cependant d'affirmer qu'il n'y a pas de fumée sansfeu...

A ce titre, les journaux qui révèlent sur la place publique labarbarie des crimes rituels nous apparaissent comme des caissesde résonance d'une profonde détresse au sein de la société. lisne sont, nous semble-t-il, que l'écho des cris de ces créatures ­anonymes et proches- sacrifiées parfois au printemps de leurvie, au profit d'ignobles ambitions égoïstes.

Les crimes ne sont certes pas l'apanage des Gabonais.Unecertaine lecture de l' histoire et des journaux étrangers,notamment, nous impose le constat qu'ils ont lieu sousd'autres latitudes. (Abel et Caïen, les révélations du nouveaudétective...).

Mais au Gabon, ils acquièrent un caractère particulier du faitde l'hypo-démographie de ce pays (un peu plus d' 1 milliond'habitants pour près de 270 000 km2 de superficie) qui confèreà tout événement - tragique de surcroît - une dimensionnationale. Plus encore lorsque celui-ci s'entoure decirconstances mystico-spiritualistes.

1. Hypothèse sur Hypothèse sur la nature des critnes

Les Gabonais seraient-ils subitement (re-) devenusanthropophages et particulièrement friands de certaines partiesdu corps humain?

Cette éventualité est difficilement soutenable car onassisterait alors à de véritables « chasse à l'homme» d'une part,d'autre part, l'importance et surtout l'anachronisme duphénomène feraient en sorte qu'il ne puisse ne pas être dénoncéautant par l'opinion nationale qu'internationale.

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Par ailleurs, les auteurs de crimes passionnels, règlements decomptes ainsi que les psychopathes, coupables d'autresatrocités sont généralement identifiées puis mis hors d'état denuire par les forces de sécurité. .

Il importe peut-être de souligner que des traditionsgabonaises connaissent un phénomène qui s'apparente à celuiévoqué plus haut.

Notamment:

- Le Ditengu chez les Punu.

Ici le «vampireux» tue et/ou mange mystiquement sa victimeafin de contrôler, par quelqu'alchimie ou autre procédé dontlui seul détient le secret, l'esprit de la victime et acquérir ourenforcer ainsi puissance, prestige, pouvoir, etc.

On parle également de KONG chez les Fang où le détenteurde ce procédé « tue » et/ ou mange ses victimes afin de disposerde ses facultés vitales. Notons que ces pratiques, dans l'un etl'autre exemple, appartiennent à ce que l'on appelle ici au «monde de la nuit », car relevant d'une dimension tout autre quephysique.

Pour « primItIves » que soient ces pratiques, elles nedemeurent pas moins solidement ancrées dans l'esprit du plusgrand nombre.A telle enseigne qu'on admet difficilementqu'une mort d'homme soit naturelle. Et les forces de l'ordre, laloi d'une manière générale, puisque n'ignorant rien de cesréalités là, en restent totalement impuissantes. A l'inverse de lasociété dite traditionnelle qui sanctionne, notamment par lamise à l'index et la marginalisation, les présumés coupables desorcellerie ou de vampire.

Aucune véritable commune ne mesure cependant avecl'expansion des crimes auxquels on assiste au Gabon à partirdes années 1970. Car ici, on constate effectivement l'œuvre de

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mains criminelles: personnes égorgées, mutilées et dépourvuesde certains organes (presque toujours les mêmes).

Ces organes sont quelques fois découverts dans des sacs oudes glacières en possession d'individus s'apprêtant à effectuerleurs sinistres transactions. Autant d'éléments dont la qualitépeut-être appréciée par quiconque pour attester de la réalité dudrame. C'est pourquoi nous osons affirmer qu'il existe dansnotre pays une organisation secrète de crime.

Même s'il n'est pas totalement exclu que les nouveauxsacrificateurs s'en soient pris aux membres de leurs propresfamilles, tout citoyen est devenu une victime potentielle de cesprofessionnels du crime, organisés, semble-t-il, en au moinstrois groupes d'activités complémentaires.

En amont se trouvent les commanditaires. Ce sontgénéralement des personnes (personnalités) fort ambitieusesqui entendent acquérir pouvoir, promotion ou confirmation deleur statut autrement que par leur compétence et la force deleur travail. Elles sollicitent alors les services de quelque faiseurde miracles, sorciers et charlatans qui, en plus de l'exigence desubstantielles sommes d'argent, dressent de véritablesordonnances aux produits les plus inattendus, partant desépines dorsales de requins, par exemple, aux organes humainsfrais ou desséchés. Ne pouvant manifestement se les procurerpersonnellement (statut social oblige), elles engagent ainsi lesservices de tierces personnes qui, à l'instar d'animauxprédateurs dans la forêt, guettent leurs proies, à savoir desenfants imprudents, des hommes, des femmes isolés qu'ilsneutralisent dès l'instant favorable.

Ces pratiques sont si rependues qu'à la veille des d'élections,d'événements politiques d'envergure ou de nouvel an, lespopulations, surtout les plus fragiles, vivent l'angoisse 100% auquotidien. Ceci d'autant plus que les auteurs, parfois connus deces actes criminels, jouissent d'une parfaite impunité.

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Au rythme où se développe la pratique de sacrificeshumains, au vu de l'indifférence des pouvoirs publics et del'impunité qui la caractérise, il nous semble que la société quiest la nôtre est malade et donc à terme condamnée às'autodétruire. D'autant plus que la mort est si banalisée parplusieurs facteurs, et dans la mesure où la vie elle-même, don deDieu, ne semble plus constituer de ce fait qu'une simple valeùrd'échange mercantile.

Dans un tel contexte qui semble outrepasser ses prérogativeset où l'homme en tant qu'image de Dieu est menacé, l'Eglisen'a-t-elle pas son mot à dire, un rôle à jouer, une expertise àproposer? Si oui, quels peuvent être les fondements de sonéventuelle action? Il m'apparaît qu'une intervention de l'Eglisepeut se faire suivant une triple justification.

Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser sesopinions dans le cadre des lois et règlements. A cet effet, il mesemble donc pas qu'une intervention de l'Eglise tombe sous lecoup d'une quelconque infraction à la légalité; d'autant quecelle-ci va dans le sens du respect des droits et de l'intégrité dela personne humaine que reconnaît explicitement notreConstitution.

Le deuxième argument est d'ordre religieux et moral. C'estici que se situe le devoir primordial de former à une foi solidequi puise en Dieu la force d'une charité active et ouverte à tous.Par là l'Eglise a le devoir de contribuer à l'épanouissement detoutes les vertus qui permettent de construire dès ici-bas, lasociété à laquelle les hommes aspirent: une société juste où lavie, l' honneur et tous les droits humains sont respectés.

Je voudrais enfin invoquer l'autorité morale et spirituelle del'Eglise. Nos traditions sont très sensibles, voire craintives, parfoi ou par superstition, vis-à-vis de tout ce qui se rapporte ausacré. L'Eglise, dans l'entendement collectif, appartient à cetordre-là, et pourrait, avec ses moyens propres inverser latendance que nous dénonçons aujourd'hui. Elle dispose aussid'une autorité morale certaine.

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Ne disposant pas de statistique éprouvée, nous pouvonstoutefois affirmer que la chrétienté, toutes confessionsconfondues, constitue plus de la moitié de la populationgabonaise. Les chefs de l'Eglise, sur la base de l'unité de leurscommunautés, pourraient engager leur autorité personnelledans la lutte contre la pratique des sacrifices humains ;notamment en initiant des actions coordonnées qui nemanqueraient pas totalement d'effets... Le respect,l'épanouissement, l'intégrité de la personne humaine - àl'image et à la ressemblance de Dieu sont aussi à ce prix.

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Sous-thème III

Les outils utilisés et utilisables par lesconfessions religieuses et les associationsinitiatiques dans la lutte contre les crimes

rituels en Afrique centrale

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De la réconciliation interne à l'épanouissement(interne) de l'individu négro-africain dans lespratiques de la maîtrise sociale traditionnelle

Pro Martin AUHANGA,Sociologue Anthropologue et

Théologien catholique (UOB Gabon)

Les Organisateurs du présent colloque sur les « Causes etmoyens de prévention des crimes rituels et des conflits enMrique Centrale » nous ont demandé de vous entretenir sur lethème suivant: «De la réconciliation (interne) à l'épanouissement duNégro-Africain dans les pratiques de la Maîtrise Sociale Traditionnelle»

La lecture du social et de l'agir du Négro-Africain nousmontrent que si certains acteurs sociaux s'adonnent aux crimesrituels, c'est parce que leur for interne manque un principed'unité fidéiste au sens le plus obvie de ce terme.

En effet, depuis que le Verbe coéternel au Père s'est incarné,Il est venu parachever l'enseignement que son Père a donné ànos Pères, héros civilisateurs de la société négroafricaine, et ce àtravers les structures sociales de notre Cité terrestre. D'aprèsVatican II, cette révélation continue à s'affirmer toujours àtravers ces structures sociales. Ce qui fonde leur titre dejuridiction et partant, leur source de bonté essentielle.

Depuis cette irruption du Verbe coéternel au Père dans lecours de notre Histoire datent les trois religions révélées quisont, par ordre de naissance ou de révélation, le judaïsme, lechristianisme, et l'islam. Ce Verbe incarné porte le nom deChrist, c'est-à-dire l'Oint du Seigneur ou Jésus i.e. le Sauveur.C'est ainsi que la sôterisation de l'Humanité ou l'histoire del'Economie du Salut de l'Humanité constitue un véritableévénement, c'est- à- dire l'avènement d'élément dans le cours del'histoire d'un individu, d'une communauté ou d'un peuple, etqui lui donne une orientation, une direction irréversible.

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C'est pourquoi depuis lors, notre Humanité est uneHumanité finalisée. Nous venons de quelque part et nous allonsirréversiblement quelque part. C'est une donne de la Pensée denos Pères, conviction confirmée par la Révélation apportée parJésus-Christ, envoyé du Père pour le Salut Universel del'Humanité en tant que Rédempteur et Médiateur Universel.C'est, en effet, de lui qu'il est écrit « Quod non assumpsit nonredemptum, ce qu'Il n'a pas assumé n'a pas été sauvé.»

C'est précisément dans ce paysage de l'AssomptionUniverselle par Jésus-Christ que se situe et doit se situer labataille pour une Maîtrise Sociale Traditionnelle réussie parl'entremise d'une Inculturation réussie.

Par Maîtrise Sociale, il faut entendre l'ensemble des pratiquesbiotjjères ou mortifères que manipulent avec plus ou moinsd'efficacité les spécialistes des structures de la Foi Ancestrale. Ils'agit particulièrement des éléments structurants et constructifsdu Corps Social qlIi, en général, véhiculent une connotationpéjorative tels que sorcier, sorcellerie, fétiche, féticheur, fusilnocturne, nganga, etc. Nous préférons le néologisme locutionnelde Maîtrise Sociale pour donner plus de respect et de dignité à latraduction terminologique de ces réalités de notre espaceculturel et cultuel. Il convient donc de distinguer, parmi cesmoyens de la Maîtrise Sociale, des pratiques prévalammentbénéfiques et des pratiques essentiellement maléfiques.

Les détenteurs de ces moyens de Maîtrise Sociale peuvent lesavoir acquis soit par prestation personnelle soit par la voiehéréditaîre, c'est-à-dire, depuis leur naissance. S'il s'agit d'uneacquisition par hérédité, cette transmission se faît à l'insu dubénéficiaîre. Ce n'est que par la suite qu'il découvrira ou qu'onlui fera découvrir qu'il a un pouvoir peu commun.

Si, en revanche, il s'agit d'une acquisition volontaire, latransmission du pouvoir charismatique s'accomplit alors parun rite initiatique. Dans ce cas, le postulant ne peut entrer enpossession effective dudit pouvoir charismatique qu'après avoir

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satisfait à certaines obligations exigées et prévues dans le rituel,sous peine d'entraîner non seulement l'échec de l'opérationmais encore des dommages matériels, physiques où moraux surla personne du candidat ou de l'un de ses proches parents. Pourcomprendre une certaine rationalité de la sorcellerie et biensaisir le sens de ces capacités mortifères ou biotifères quedétiennent certaines personnes à l'égard des autres vivants, ilconvient de faire grand cas de l'espace mystique qu'occupe laPuissance obédientielle dans l'oeuvre de la création. Par cetteexpression théologique un peu barbare voire insolite pour lecommun des croyants, les théologiens entendent le pouvoir queDieu a donné et donne encore à certain de ses enfants decommander d'une manière souveraine, efficace à des créaturesqui, de par leur nature, ne peuvent pas normalement obéir à unordre donné par un homme. Mais voici qu'en vertu de cepouvoir souverain, certains hommes peuvent se faire obéirmême par des êtres inanimés. Se faire obéir, par exemple, par levent, la tempête, la pluie, la mer, la montagne, la pierre, le soleil,la lune, les étoiles; les plantes, les arbres. Pouvoir se faire obéir,en un mot, par toute la création, fruit du Verbe de Dieu; hormisl'Homme parce que précisément créature douée d'intelligence,de volonté et de capacité de choisir et de se déterminer, c'est-à­dire créature douée de liberté, cela, en conformité avec lavolonté du Créateur qui lui a donné un ordre formel decommander à tout l'ensemble de l'univers: «Voici la Terre.Domine-la»

Dans un premier temps, on a pensé que Dieu n'a pu donnerun tel pouvoir qu'à son Fils Jésus-Christ qui a su commanderd'une manière souveraine à la tempête, à la mer; et la mer dedevenir immédiatement placide. Mais, dans un deuxième temps,on s'est très vite aperçu que Dieu a donné et donne encore àbeaucoup d'autres de ses enfants, frères de son Fils Jésus-Christ,ce même pouvoir de commander d'une manière souveraine àdes êtres habituellement frappés d'incapacité d'obéir. Et desexemples ne manquent pas.

Les crimes arrivent parce que le retour au Père, le retour auGrand-Village s'effectue par deux voies parallèles. La foi

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ancestrale et la foi par religion révélée cheminent parallèlement,alors que la deuxième devrait être en continuité avec la pre~ière

qu'elle complète et parachève.

Pour s'assurer une certaine béatitude, dès ici- bas, certainsacteurs sociaux ont alors recours à toutes sortes de médiationsentre autres celles p;r les sacrifices humains, les crimes rituels.

Dans l'accomplissement du crime rituel, on aura recours auxdifférentes solidarités qui règlent notre espace vital : solidaritéhorizontale) celle entre les générations actuellement vivantes,acteurs transitoires de la scène de la vie ; solidarité verticale) celleentre les générations vivantes et celle des trépassés qui sont,elles aussi vivantes mais d'une autre manière, continuent às'intéresser outre tombe du bien de la Communauté unique ;cette solidarité verticale s'entend aussi avec les générations enavant, c'est-à-dire celles des enfants à naître qui, quoique futursacteurs sociaux voire acteurs simplement potentiels dans lefuturible, peuvent avoir déjà une influence efficace dans lecomportement des acteurs actuels de la scène de la vie; enfinsolidarité cosmique. En effet, selon la Pensée de nos Pères, tous lesêtres de la création jouissent d'une solidarité sans faille : Il y aainsi une véritable solidarité agissante entre tous les règnes, lerègne minéral, le règne végétale, le règne animal. Lesinterventions biotiferes ou mortifères s'actuent à travers tousces espaces cosmiques, oeuvre qui s'accomplit par et à travers lesstructures de la Foi Ancestrale.

Pour ne pas rester dans le vague et pour fixer les idées, nousavons choisi d'analyser les structures de la Foi Ancestrale d'ungroupe ethnique altogovéen, le groupe Mbede alias Obamba.

1. Structures de la foi (croyances et rites)

Par « Structure de la foi nous entendons l'ensemble descroyances, des prédictions, des explications et desinterprétations d'ordre moral ou métaphysique dont le «corpusunique » constitue le système ou la science de la Maîtrise

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Sociale ou de l'inspiration de l'action sociale. Elles sont nonseulement impératives socialement mais aussi explicativesmatériellement et, comme telles, servent de fondement à lapensée religieuse. Le Mbede croit en effet, avec beaucoup deconviction, à l'interrelation et à l'interaction entre lesphénomènes de l'espace-temps, du monde visible et invisible.Autrement dit, il croit fermement à la solidarité cosmique. Pourlui tous les règnes sont interliés dans le Cosmos, point d'action,point de phénomène isolé. Il en résulte un ordre moral certaindans l'Univers dont nombre de coutumes observées etrespectées sont un support tangible. Le bien-être de l'hommedépend de son obéissance à cet ordre tel qu'il le perçoit.

Les structures de la foi sont ainsi structurées selon desaspects variés, une projection et une affirmation de certainesnormes gouvernant l'évolution de la société. Par leur influencesur la vie quotidienne se dégage la codification sélective d'un «double réseau de pression morale : d'une part, l'influencepositive du principe du Bien pour tout ce qui soutient ouconserve le système social spécifique; d'autre part, l'influencenégative du même principe, notamment le mal qui amène, sousune forme ou sous une autre, la punition et la peur, tout ce quiva à l'encontre de notre système social.

Notre analyse des structures de foi se développera ainsilogiquement en deux paragraphes: le monde invisible et lemonde visible. Le catalogue des croyances étant considérable,on comprend que, dans le cadre d'une étude comme celle-ci, ilne saurait être question de les examiner toutes. Nous nouslimiterons à l'analyse de quelques spécimens qui peuvent avoir,de près ou de loin, quelque impact sur le changement social, surla mutation des structures communautaires, soc/,.e de la sociététraditionnelle.

2. Le monde invisible

S'agissant de la croyance au monde invisible, nous ferons unsimple rappel de la foi en un Dieu Créateur et Unique, et

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partant croyance en un Au-delà où l'homme survit après lamort, au Grand-Village en compagnie de ses AncêtresBienheureux.

2.1. Dieu

Que la croyance en un Dieu unique et Créateur soit un destraits spécifiques de la Négro-Africanité, cela n'est plus àprouver. C'est devenu un lieu commun qui n'échappe à aucunobservateur même superficiel. C'est même, pour beaucoupd'africanistes, la principale valeur culturelle qui met lescivilisations africaines au-dessus de la gréco-latine, sans l'apportjudéo-chrétien. C'est ce que reconnaît formellement un desconnaisseurs de l'Afrique Noire: on peut féliciter les (bantous)d'appartenir à des peuplades (peuples) qui ont gardé intactel'idée d'un Dieu Unique et transcendant. Ils ont, par-là, unesupériorité éclatante sur les anciens peuples de l'empire gréco­romain d'où est sortie notre civilisation occidentale. Ceux- ci

. avaie~t, comme on le sait, un panthéon de dieux bizarres etimmoraux aux légendes absurdes et fantaisistes. La fermecroyance en un Dieu créateur, maître de la vie et de la mort, estautrement élevée et digne d'un être raisonnable!.

Si la reconnaissance de ce Dieu comme source de toutecréature et cause première universelle est formelle, il semblemoins évident que l'Altogovéen le considère comme sa finultime. Nous avons vu que celle-ci est constituée avant tout parla perpétuation de 1'<' exister» propre de l'homme, par le moyende la procréation. Il s'ensuit que les lumières de la penséephilosophique, de la théodicée obamba, si élevées par ailleurs,ne sont pas allées jusqu'à considérer Dieu (Nd:ryami), encoremoins ce qu'en religion révélée on appelle « gloire de Dieu »,

comme le but de la vie humaine. Certes le Mbede reconnaît qu'ilvit par Dieu: «Me li I]a ompa:çi e. Nd:ryami, je suis là par la force deDieu (grâce à Dieu, par Dieu) »; Na'ryami ghotuma mvuuru ndzi/a,

1 PAUWELS (père) cité par Dominique NOTHOMB, in « HumanismeAfricain», Lumen Vitae, Bruxelles 5, 1965, p. 89.

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nde ghibuna ghobisa JO ompa:çi ni, si Dieu donne un ordre àquelqu'un, il ne peut pas le refuser par force (Nul ne peutrésister à Dieu). Mais il n'est pas aussi clair que l'homme vitpour Dieu (pour le glorifier et pour le rejoindre un jour et vivrede sa propre vie divine). La théodicée négro-africaine n'acependant pas à avoir honte de cette pauvreté doctrinale. Carseule la révélation peut apporter ces lumières supérieures. Onne s'étonnera donc pas qu'une théodicée si élevée, par ailleurs,ne possède pas une morale qui se réfère à la sainteté divine ouau bonheur éternel. Certes les notions de «bien» et de «mal», de«permis» et d'«interdit» existent très clairement et imprègnentde leurs entraves la vie quotidienne, personnelle et sociale desObamba, comme nous avons eu l'occasion de le montrer enparlant de la justice. Mais, tout porte à croire que dans cettemorale, Dieu n'est présent que pour sanctionner l'automatismedes punitions déclenchées par la transgression, mêmeinconsciente, des interdits. il est vrai que l'on rencontre desfaiblesses de cet ordre dans d'autres morales vg celle chrétienne.Mais ce n'est pas une raison de ne pas souligner la carence, bienqu'elle soit inhérente à toute intelligence créée.

Sans la révélation évangélique, toute intelligence humaineignore en effet la blessure intérieure de la conscience souilléepar le péché et la sainteté de Dieu, et les trésors de son Amourmiséricordieux; toutes vérités qui, du point de vue chrétien,fondent la morale parfaite à vocation universelle.

La conséquence de cette morale négro-africaine est, chez lesMbede, l'absence de la manifestation universelle courante de lavie religieuse à savoir le Culte public envers Dieu. Les formeshabituelles du culte extérieur et social sont ici quasi­inexistantes: temple, fêtes, liturgie, sacerdoce. Toutefois, onrencontre de temps en temps un autel (bogho ou otala) au boutdu village sur lequel on offre les prémices des champsprobablement à celui qui les a fait pousser. C'est, à notreconnaissance, le seul indice de sacrifice franc au Dieu créateur.Ce qui nous porte à soutenir cette thèse, c'est le fait que cesoffrandes ne soient pas consommées comme celles offertes auxEpundiJ mânes, reliques des Ancêtres. Car nous ne sommes pas

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de la « même race que Dieu, le Dieu transcendant ». Noustouchons ici le fondement de cette absence de culte public: leDieu de nos Pères est pleinement comblé; il est présent partout;il n'a besoin d'aucun hommage pour être heureux.

En revanche, il est incontestable que Ndzyami est l'objet d'unculte intérieur spirituel, individuel. De nombreux proverbes etnoms théophores sont des signes non équivoques de l'espérancequ'on lui porte, de la foi totale en son existence, en sa puissance,et de la volonté qu'on a de se placer sous sa protection. C'est unDieu que l'on prie et que l'on invoque, certes pas en tempsnormal mais aux heures difficiles, critiques de la vie lorsquetout secours subalterne s'avère inefficace. C'est alors que l'onpousse le s.o.s. «Al Ndzyami, Tara yamaIJa me, oh! Dieu, monPère, aide-moi! ».

Il ne se confond pas avec les dieux des fables «ndzyami antana ua ndzyami a mbere, dieu d'en haut et dieu d'en bas »; «ndzyami a mpughu bla ndzyami a swagha, dieu du village et dieu dela brousse ». Ses décisions sont irrévocables. Ce que traduitadmirablement le proverbe suivant: « Ndzyami nga-baari a nde abuma, ghopundi IJe dza antaba ma andamiIJi, Dieu maître deshommes les rappelle à lui, tandis que la relique de l'Ancêtre«mange» des cabris en sacrifices offrandes inutiles) ». «Ndzyamighidza biita ni, Dieu ne consomme pas de vivres; Nde ghodza etimae baari, il mange les coeurs des hommes ». Dieu veut les hommeset non leurs offrandes (qui sont pour les Ancêtres (Epundi.Dans certains cas, la soumission à la majesté divine frôle lefatalisme: «Nyuru-obi Ndzyami », la malchance c'est Dieu (vientde Dieu): on ne peut rien faire contre le sort; on ne sauraitconjurer le mauvais sort. Cette attitude d'écrasement del'humble créature par la Toute-Puissance divine a desconséquences fâcheuses dans la conduite quotidienne des gensparticulièrement en matière économique. Tout échec seraqualifié de «Nyur 'obi, mauvais corps» (malchance); autrementdit c'est Dieu qui veut ainsi les choses, on n'y peut rien.

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Le Dieu Créateur et Unique « étant trop loin » pours'occuper des hommes, ceux-ci finissent par se rabattre presqueexclusivement, en fait de culte public, sur celui des Ancêtres quiassurent la médiation entre le Dieu transcendant et nous, gens(erre à erre). C'est par eux que coule la source de vie etd'abondance. C'est par cette voie que descend l'Esprit fertilisantla terre, et qui mène le monde et lui permet de vivre. C'est parcette voie ancestrale de la force vitale et vivifiante que le Dieutranscendant s'intéresse aux affaires des humains.

Dès lors on comprend que pour obtenir tout ce dont il abesoin, le Mbede emprunte cette même voie médiatrice, à moinsque, dans une situation donnée, il ne lui soit plus avantageux depasser par celle des magiciens et autres détenteurs de la "Sciencede la Maîtrise Sociale". En effet, comme tous les peuples de laterre qui guident l'expérience exclusive et la perceptionintuitive, le Mbede avant tout empirique croit à la soumissionde la nature aux forces supranaturelles. D'où, sa foi en lasolidarité cosmique, qui comprend la puissance obédientielle.

C'est cette étiologie qui explique certaines pratiques chez lesMbede telles que les suppliques aux Ancêtres pour avoir la pluielorsque, après repiquage et/ou ensemencement sur brûlis, le cieltarde à envoyer son eau fertilisante. Inversement, pour conjurerle mauvais temps, les détenteurs de cette puissance se servent deleur Ntsa a mvula (corne à pluie) pour faire des incantationscontre la pluie: ghokwara mvula, saisir la pluie (empêcher depleuvoir). Il s'agit d'une corne d'antilope apprêtée à cet effet parun professionnel, un Nga «omnipuissant ».

De même, on recourt à cette médiation ancestrale ou à lasolidarité cosmique via maîtrise sociale, pour que lesplantations rapportent beaucoup ou pour en éloigner les bêtessauvages prédatrices qui menacent de les ravager; pour faire unechasse ou pêche fructueuse; et surtout, pour conjurer lemauvais sort, et pour retrouver la santé quand on est malade;etc.

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Cette croyance aux forces supranaturelles prend uneconsistance particulière dans la perspective de l'Au-delà.

2.2. L'Au-delà

2.2.1. La mort

La mort corporelle semble mettre brutalement en échecnotre profonde aspiration à la vie. Certes la fécondité et laprocréation permettent de détromper le trépas, et la viecontinue sa carrière victorieuse de génération en génération.Cependant, il n'empêche que le porte- relais, lui, succombe: lavie lui échappe et passe à d'autres. Mais, qu'advient-il donc delui? Nos Pères se sont posés cette question et ont essayé d'yrépondre.

Tout d'abord l'analyse du contenu même du terme « Mort »nous révèle que nos Ancêtres étaient parfaitement conscients ducaractère composé de l'être humain fait de matière et de forme,cest-à-dire, corps et âme (esprit). En effet, pour dire qu'« un tel aexpiré », un Mbede use de l'expression « Nde omi tsugha: il s'estcoupé »; ou bien, se référant à la « partie supérieure de l'homme", il dit aussi «Nde omi dima: il s'est effacé, il s'est éteint »; « Omitshusa owumi: il a déposé la respiration ». Ainsi, une chose nousest d'emblée certaine: un jour notre Lebighi (durée de l'existencehumaine) prendra fin. Ce sera le jour de notre mort, Lekwu.

Ensuite une série de constatations: personne n'échappe àcette mort, Sabe aso baari ma Lekwu, tous nous sommes mortels(litt. gens de la mort); Me eka diba ndzila antfwo ni, je nefermerai pas le chemin du cimétière. La mort n'observe pasl'ordre chronologique des générations dans ses visites: ellefrappe indistinctement jeunes et adultes, le vieillard près de latombe aussi bien que le nouveau-né encore au berceau: Lekwuokwuru kali, face à la mort pas d'ainé. Cette visiteuse inévitablearrive à l'improviste, sans avertir ni crier garre: Lekwu ntuma kali,la mort n'a pas de messager; Lekwu ghoya m'antiini, la mort vienten hâte (encore que certaines maladies puissent en être le signe

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précurseur). C'est pour quoi, à y penser on vit dans uneperpétuelle insomnie: ghotsima lekwu, tolo mwo, si l'on pense à lamort, «le sommeil demeure éveillé» (on ne dort pas).

Par la mort, avons-nous dit, l'homme « se coupe ». Son corps(nyuru) devient cadavre (ghobimi ou mwungu). Si l'homme « secoupe» c'est qu'il comporte deux parties. A la mort, que devientdonc cette deuxième partie où va-t-elle? tout d'abord, qu'est­elle? Les vocables en usage sont les suivants: ghodimi et Odtidümaghodimi est le substantif dérivé de ghodima, éteindre dans unsens intransitifvg Mba e mi dima, le feu s'est éteint; Il signifie cequi reste lorsqu'on n'est plus présent, c'est-à-dire l'image (vgphotographie, portrait). Tandis que Odüdüma signifie aussil'ombre. C'est par lui que, dans le Kérygme chrétien, est rendu leterme âme dans son sens d'esprit.

A ces deux vocables nous ajoutons celui de ghodisi. Sonorigine reste imprécise. A première vue, il semble qu'il vienne deghodiisa, éteindre (sens actifvgghodiisa mba, éteindre le feu); maisalors il s'écrirait ghodiisi et non ghodisi On le rencontre dans lesexpressions telles que nyuru emi duma ghodisi, le corps a frissonné(litt. le corps s'est sauvé de ghodisi).

Nyuru ema ye, e ma siila ghodisi gholu, il a dépéri (litt. le corpsest parti, seul demeure ghodisi). Mais quand il faut maintenantdéterminer ce qu'est exactement ce ghodisi, la tâche s'avèredifficile. Il s'agit certainement de quelque chose de subtil, fluidequi fait que tel homme soit une entité singulière, et grâce à quoion le reconnaît, vg We yiabi ghodisi gho nde? (connais-tu sonidentité: peux-tu le reconnaître?).

Ces quelques exemples font toucher du doigt la difficultéqu'il y a à préciser avec exactitude le nouvel état de l'êtrehumain. Ce qui est certain, c'est que par la mort on cesse d'êtreMvuru (homme) pour entrer dans la catégorie des Akwi (pl. deokwi: trépassé) et l'on précède les vivants au Grand-Village(Mpughu enimi: Schéol ?). On se transforme en un être nouveau,doué certes d'intelligence mais jouissant d'une autre sorte

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d'existence que celle des hommes de la terre. Peut-on identifiercette réalité, devinée mais innommée, avec ce que d'autrescultures appellent « âme » ou « esprit »? La question resteouverte. Mais où va-t- il après la mort, puisque l'on sait qu'ilsurvit?

Parmi les Akwi certains sont dans un état de béatitude. Ilsont un sort heureux au« Grand-Village ». Ce sont ceux qui surterre se sont laissés guider selon la rectitude de leur « coeur»(conscience) et ont accompli de bonnes actions au profit deleurs prochains, de leur Communauté. Ils se constituent enprotecteurs et en médiateurs des vivants de la terre. Mais il y ena d'autres qui n'y sont pas encore admis et qui mènent une vieerrante. Compte tenu de cet état de «excommunication», ilspeuvent devenir furieux contre les vivants au point de les rendremalades, pour les obliger à offrir des sacrifices propitiatoires etaccomplir des cérémonies de réconciliation selon la tradition età leur bénéfice, afin qu'ils intègrent le plutôt possible laCommunauté Familiale ante et post-tombe. Ils se manifestentsouvent sous la forme de revenants (ghodzu) et peuvent àl'occasion prendre une forme animale: vg Okayi (antilopezébrée), Bimba (antilope noire), Obaghi (langouste) surtoutquand on tire dessus. Les uns et les autres - bien heureux eterrants -, vivent parmi nous, opérant des actions bénéfiques oumaléfiques à notre endroit, selon leur état de béatitude oud'errance.

Telle est la situation de l'homme, particulièrement del'adulte après sa mort. Il entre dans le monde des intermédiairesvivants mais invisibles. Sa puissance médiatrice est supérieure àcelle de tout homme encore sur terre (membres de la Famille);mais considérée dans son ordre, cette situation estproportionnelle à l'excellence du rang occupé au sein de laFamille sur terre. Après Tsinda-ghopundi (retrait de deuil) sarelique (ghopundi) intégrera le Nkwebe e Epundi familial (lereliquaire familial). Selon la Tradition, de chaque membre quimeurt on garde en effet un os (une phalange, une parcelle ducrâne ou une touffe de cheveux, etc.). On attache cette particuleà un arbre à fourmis durant six mois jusqu'à ce que les fourmis

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mangent toute la chair. Jusque-là, le défunt est tenu hors de laCommunauté. La durée de cette période d'excommunicationvarie entre un et deux ans. Parents et alliés se préparent à lagrande fête d'Obungu, jour de réadmission du défunt au sein dela Communauté familiale ante et post tombe.

Si l'être humain a été enlevé au berceau, cela ne peut être quel'oeuvre de la méchanceté humaine. Par cet acte, celle-cicontrecarre le plan de Dieu (longévité). Mais comme Ndzyamiest maître non seulement de la vie mais aussi de la mort, lesMbede croient que ce don suprême de Dieu (la progéniture)reviendra en se réincarnant dans le sein maternel (on ne nousdit pas comment: C'est le secret de Dieu). Cette croyance esttellement ancrée dans le credo Mbede que l'on va jusqu'à inciserle bout de l'auriculaire du bébé avant de l'inhumer afin qu'à laprochaine naissance on puisse constater qu'il s'agit bel et biendu même être humain. Malheureusement, jusqu'à présent, il nenous a pas encore été cité des cas où ce phénomène deréincarnation se soit vérifié en la personne des hommes et desfemmes en chair et en os. N'empêche que nombre de Mbede ycroient « mordicus" en toute bonne foi. Nous nous gardons d'yporter un jugement de valeur quelconque, car la Foi ancestraleconstitue un domaine très sensible qu'il faut aborder avecbeaucoup de tact.

Pour clore cette étude sur la foi ancestrale en l'Au-delà, nousrappelons qu'ici comme ailleurs, quand il s'agit de disserter surl'homme, il convient de ne pas perdre de vue que pour le Mbede,il n'y a point de dichotomie corps et âme (esprit). Dans certainscas on pourra, peut-être, se servir de ce vocable pour les besoinsd'analyse; mais l'on n'oubliera pas que cela n'est pas dans levécu quotidien. C'est probablement cette vision unitaire del'homme qui explique la difficulté que l'on a à cerner de prés ledeuxième co-principe constitutif de l'homme dont on, devinel'existence, la réalité suggérée clairement par certainesexpressions: Ma amvugha atu, mvuru a maye: «ce n'est là qu'un tasde chair, l'homme est parti ».

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2.3 Conséquences de la foi au monde invisible

Selon le credo Mbede, les vivants et les morts du mêmelignage sont en liaison permanente les uns avec les autres. Parrapport au lignage, les générations vivantes assurent leur tourde service communautaire en tant que actrices transitoires. Ellesprennent « momentanément» soin de la prospérité, du prestigeet du bien-être général du groupe lignager. Les vivants assurentcette prestation et cette corvée non seulement pour eux-mêmesmais aussi pour le compte des Ancêtres qui avaient, pendantleur vie, fait la même chose, et comme le feront, à leur tour, lesgénérations en puissance ou générations en avant. Et tous cesefforts s'inscrivent dans le cadre d'un système «universel» oucosmique où toute créature est un maillon d'une chaîne desolidarité et de relations équilibrées. C'est donc l'anciennecommunauté des Ancêtres et leurs descendants de chaquesegment lignager de générations vivantes, jusqu'à ce jour, quiont fait et font la société Mbede dans un monde créé parNdzyami) Dieu.

Examinons donc comment chaque segment lignager devivants vit de ce patrimoine ancestral, de ce dépôt de la foi, etcomment il s'acquitte de ce devoir sacré: la transmission dumodèle de société enrichi par chaque tranche de générations.

3. Le monde visible

Nous venons d'établir dans le paragraphe précédent que,selon la foi traditionnelle, il existe un lien réel de relations entreles différents ordres de l'univers. Dans la mesure où ce systèmed'interrelations fonctionne à merveille, l'homme Obambatrouve, en lui et hors de lui, de l'harmonie dont il a besoin pours'épanouir pleinement. Tout d'abord le « coeur» intime créel'harmonie de sa personnalité: c'est l'harmonie de l'homme.Ensuite, la fécondité, sa raison d'être, en oriente le dynamismevers la transmission de la vie reçue des Ancêtres: c'estl'harmonie vitale, orientée et active. Il reconnaît la présence et lapuissance transcendante du Dieu créateur de qui tout procède:

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c'est l'harmonie religieuse. Et puis, conscient de sa solidaritéavec le reste de l'univers, il se proportionne aux mouvements duMonde et aux rythmes du Temps: c'est l'harmonie cosmique.Enfin, avec les siens, il communie à l'héritage familial et vitalqui les unit en une entraide où chacun donne et reçoit pour «

être-là» et pour vivre: c'est l'harmonie sociale et collective.

Malheureusement, dans ce bel ensemble si harmonieux, il y aun trouble-fête qui sans cesse menace l'équilibre de la Maison:c'est le Mal, la souffrance, le malheur. Il se crée ainsi un état dedysharmonie, une note discordante, situation devant laquellel'homme s'épouvante à juste titre: le Mal se montre multiple,multiforme et omniprésent; à tout instant, il est prêt à surgir ouà revenir pour frapper. D'où vint-il donc?

3.1. Etiologie du mal

Nous savons à présent que l'homme, qui a été créé par Dieuet placé par lui dans un univers au fonctionnement harmonieuxparce que fait de solidarité cosmique, c'est pour la vie, qu'ilreçoit des Anciens et qu'il se doit de transmettre à sesdescendants. D'après la cosmogonie et la théodicée Mbede,l'homme qui a entamé le processus de sa socialisation, de sonintégration dans la communauté des vivants autonomes visiblesen rampant à quatre pattes, doit normalement en sortir quand,au terme dune longue vie, il est ramené à ce stade d'enfance.Telle est la volonté de Ndzyami. Tout ce qui affecte négativementce plan ne vient pas de Dieu : le Mal et sa suite (souffrance,malheur, mort).

Mais quelles donc peuvent en être les causes? Selonl'étiologie Obamba, ces dernières peuvent être intrinsèques(Otima Obi) ou extrinsèques à l'homme2

, et se rattachent à l'unedes trois catégories suivantes de l'étiologie du Mal : interdits,

2 .Otima: au sens obvie = coeur (anat); mais peut aussi signifier« conscience», « nature de l'homme», intelligence, ici Otima Obi (mauvaiscoeur) mauvaise nature, qui fait que l'on transgresse la loi ancestrale.

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envoûtement et télédynamie, trépassés malveillants. Les causesextrinsèques opèrent par et dans l'une ou l'autre des multiplesvoies par lesquelles on peut entrer en relation avec les forcessupranaturelles ou occultes que certains professionnels de lamaîtrise sociale peuvent manipuler à leur guise à des finsbénéfiques ou maléfiques pour ou contre les individus et/ou lacollectivité.

Pour une meilleure clarté de l'exposé, nous examinerons lesunes après les autres les causes précitées. Nous en indiqueronsau passage la ou les voies médiatrices correspondantes.

3.2. Causes intrinsèques

D'après l'étiologie Obamba, les causes intrinsèques àl'homme des maladies, des malheurs voire de la mort qui lefrappent, peuvent découler de deux sources immanentes, lesinterdits (i.e. leur transgression) et Akwuuna (ghotwugha mpibi)dédoublement de personnalité, vampire).

- Interdits

Il existe une gamme variée d'interdictions (Ang+i) imposéesdepuis des temps immémoriaux à telle classe sociale (femmes,jeunes gens des deux sexes, chasseurs, pêcheurs, etc.), ou à tellefonction publique (chef, Nkani, etc.), en matière politique ousociale. Elles se caractérisent par un certain nombre de traitsspécifiques: c'est ainsi qu'elles comportent, par exemple, defaçon immanente, des sanctions correspondantes qu'entraîneautomatiquement une transgression; par exemple, une jeunefemme qui transgresse l'interdit du coït diurne estautomatiquement frappée d'Okiinga (maladie qui se manifestepar une anémie générale)3. Par ailleurs, leur est caractéristiquel'absence d'un contenu juridique: à ceux qui y sont assujettiselles imposent l'obligation de s'abstenir de ceci ou de cela. Elles

3 cf. en Droit canonique, les Censures latae sententiae (par opposirion auxCensures ferrendae sententiae).

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sont toutes prohibitives. Comme nous l'avons souligné, celuiqui transgresse une interdiction s'attire automatiquement lasanction correspondante. Cet automatisme de la sanctionn'exige pas que le coupable ait été conscient de sa faute.

On peut à son insu enfreindre une interdiction. Laculpabilité ne requiert donc pas la pleine connaissance et lelibre choix de la volonté.

La liste des interdits est pratiquement infinie. Dans cecatalogue considérable, on peut cependant distinguer, entreautres, les catégories suivantes:

a) Interdits permanents: par exemple, les interdictionsmatrimoniales; l'inceste, lemvwaJsous toutes ses formes; etc.

b) Interdits temporaires: Ils ne s'appliquent que dans certainescirconstances telles que le deuil (vg tous les Eyant), la saison deculture, la chasse ou la pêche collective; la guerre vg interdictiond'avoir des relations sexuelles; interdits de grossesse; ceuxréglementant l'extraction de dziigha (argile pour poterie); etc.

c) Interdits individuels. Il est interdit à un enfant dJEtitele demanger tel ou tel aliment.

d) Interdits collectfs. Ils s'étendent à tout un clan, à toute uneFamille. Interdiction de consommer tel aliment, de chasser, demaltraiter tel 'animal parce que, autrefois, il a permis à unancêtre d'échapper à ses ennemis; il y a donc une detteperpétuelle de reconnaissance du lignage à l'égard de cetteespèce animale bienfaitrice et salvatrice. Nous connaissons uneFamille qui vénère la chèvre parce que la Tradition rapporte que

4 Eyani: pl. de ghoyani; c'est l'abtstinence temporaire de consommer unedenrée que le défunt avait l'habitude de nous offrir. Cette abstention prendfin avec la célébration d'obungu, cérémonie de réadmission du défunt dansla Communauté familiale par l'entrée de son ghopundi (relique) dans lenkwebe (reliquaire) familial.

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menacée d'extinction cette Famille doit sa perpétuation à unechèvre du dernier Ancêtre: elle aurait mis bas une fille (sic ?) quireleva le lignage.

Nous savons que certaines interdictions sont l'expression dela morale traditionnelle forgée par les héros civilisateurs, etvisent le bien de l'individu et de la communauté.

Leur transgression constitue une brèche et une atteinte àl'équilibre moral et social de la collectivité. Aussi entraine-t-elle« ipso facto» une sanction correspondante. Tandis qu'il en estd'autres qui manifestement ne doivent leur origine qu'à la rusede l'homme particulièrement en fait de manducation de tel outel aliment, afin de réduire le nombre de consommateurs. Nouspensons, par exemple, aux interdictions faites aux femmes demanger la viande de tortue, de tout animal de la famille desfélidés (Nyama a Krwu, bête à griffes rétractiles), et surtout detoute bête tuée par un lengar-a. Celui-ci désigne une caste devierges masculins reconnaissables par leur tenue distinctive.

Puisqu'il faut clore cette description des interdits, disons, enterminant, que le terme Ngr-i couvre tous les actes défendussous peine de sanctions immanentes et automatiques, menaçantle coupable dans ses biens (être appauvri et mourir dans lamisère: ghokwa m'Omvubu), dans sa personne (être frappé deparalysie instantanée ou subséquente à une longue maladie­punition; de lèpre ou de stérilité), dans sa progéniture (mourirsans descendant et voir donc son nom s'éteindre pour toujours).

Nous venons d'établir que l'on peut à son insu transgresserune interdiction et déclencher ainsi sans le savoir ni le vouloirune avalanche de calamités j Par ailleurs, ces prohibitions étantinnombrables, il est moralement impossible de ne pas entransgresser l'une ou l'autre, au moins de temps en temps; d'oùrésulte la psychose qui, souvent, s'empare des sujets les plusconcernés, à savoir les femmes et les jeunes des groupes d'âge enformation dans les centres d'éducation que sont les sociétésinitiatiques dont chacune comporte ses interdits spécifiques.

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Vivant ainsi dans une crainte constante de voir arriver à toutmoment des malheurs imprévisibles dont l'échéance estinfaillible, il n'est pas étonnant que les gens attribuent auxinterdits l'origine de bien des maux qui les affligent. GhowusaNgri, transgresser une interdiction se présente alors comme lapremière cause du mal. Ceci est d'autant vrai que l'interditoblige en conscience même dans le cas non seulementd'ignorance mais encore de nescience ; ce qui, pour un espritcartésien, constitue une véritable aberration. Il n'y a pas moyende passer à côté et de biaiser. Car les Ancêtres, auteurs de cettemorale et désormais ses meilleurs garants invisibles, sontconstamment au milieu de nous et veillent scrupuleusement aurespect, par leurs descendants, de l'ordre moral qu'ils ont, eux­mêmes, élaboré non sans peine.

Telle est la première cause du mal qui se trouve en chacund'entre nous. Mais ce n'est pas l'unique cause du malintrinsèque à l'homme; Akwuuna en constitue une seconde dontles ravages ne sont pas moindres.

-Akwuuna

C'est un état d'âme, psychologique en vertu duquel l'hommejouit de la faculté de dédoublement: ghotwugha mpibi (litt. sortirde nuit). Le sujet est visiblement dans un état d'hypnose.Matériellement il est présent emporté par un profond sommeil,en fait, il est ailleurs. Ce phénomène peut se produire la nuitcomme le jour. D'après la croyance populaire, le sujet jouit d'uncorps d'emprunt soustrait aux conditions matérielles (distances,fermeture de maison, etc.) ; c'est le corps subtil: il vit dans unétat d'apesanteur, il circule dans tout le village ou au-delà duvillage avec des intentions bénéfiques (défendre, protéger lesgens de la Maison contre des ennemis éventuels) ou maléfiques(porter malheur aux voisins), chercher une victime humainepour que sa chasse, pêche ou autre activité économique oupolitique soit fructueuse. En général, il s'agit, dans ces dernierscas, d'un membre de famille. Tant qu'il n'est pas "revenu" et nes'est pas réveillé de lui-même, il faut se garder de le toucher. Car

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si on interrompt brutalement l'hypnose, la partie endéplacement hypnotique sera forcée de rentrer en catastrophedans des conditions de matérialité peu sûres et l'issue peut êtrefatale pour lui: en allant, et grâce à l'apesanteur, il a pu passerpar une ouverture insignifiante; au retour, à cause de lapesanteur il ne peut plus emprunter le même passage sinon ilrisque de se faire des lésions dans le "coeur" nu. Ce pourrait êtrele début de graves tribulations pouvant entraîner la mort.

Comme tout dédoublement, on comprend qu'il ne s'agit pasd'un état psychologique commun à tout le monde; mais leprivilège de quelques individus ordinairement mal vus etcraints, redoutés. Car ils sont envoûteurs, et de ce fait sontcatalogués parmi les Aloghi (pl. de ologhi: être malfaisant humainou immatériel mais toujours être vivant. Aussi personne neveut-il s'avouer Ngà-Akwuuna même s'il a été nommémentdésigné par un devin (Ngâ). Comme ils sont considérés commealoghi, (et la plupart le sont effectivement, selon le credo Mbede),la société doit se défendre et défendre ses sujets innocentscontre les Ngà-Akwuuna. A cet effet la tradition s'est forgé desarmes défensives individuelles ou collectives. Les premières serencontrent parmi les Eshwa etAntshwa (amulettes) dont il existetoute une floraison. Les secondes parmi les confréries cultuellesde gouvernement à vocation particulièrement protectrice vgorima; d'autres enfin sont mixtes, à la fois individuelles etcollectives vg kàla, lendjombi. Ces deux sciences occultes demaîtrise sociale sont pratiquement identiques; il n'y a peut-êtrequ'une différence de degré et non de nature. Kala (du verbeghokala, retourner) a pour spécialité de faire passer un coupablede l'état de culpabilité à celui d'innocence devant un tribunal ouune autorité juridictionnelle publique ou privée. Tandis quelendjombi a pour caractéristique de créer un halo de noir quivous enveloppe et vous protège contre l'attention des Aloghi detout acabit. Son exercice n'envisage en soi ni la culpabilité nil'innocence mais uniquement la protection de l'individu ou dugroupe. C'est généralement le responsable lignager ou familialqui en est le dépositaire au bénéfice de tout le groupe.

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Dans la mesure où un Ngà-Akwuuna « sort » pour allerchercher à nuire ailleurs, dans le moindre des cas, il s'expose parle fait même à de graves dangers, y compris la mort. Quandcette déambulation à travers les villages est nocturne, l'approched'ologhi est, croit-on, signalée par un chant lugubre du hibou,qui en est le suppôt. Si par bonheur on parvient à l'abattre(fusil, arbalète) c'est à olologhi lui-même que l'on porte atteinte.

Telle est brièvement décrite la seconde cause intrinsèque àl'homme due à son « mauvais cœur» et qui peut expliquer biendes maux qui le frappent.

Cependant quelle que soit la « mauvaiseté» d'un coeurhumain, toutes les maladies qui affectent un homme netrouvent pas, toutes leurs explications dans une causeintrinsèque. Il y en a bien d'autres qui pocèdent sans contreditdes causes extrinsèques, extérieures au patient.

3.3. Causes extrinsèques

Parmi les causes du mal qui se situent hors du sujet affecté,nous en examinerons deux types de catégories auxquellespeuvent se ramener plus ou moins divers autres modes de nuireà autrui, soit dans sa personne soit dans ses biens ou encoredans sa descendance. Les types de malfaiteurs retenus icicomprennent d'une part les envoûteurs de tout acabit et d'autrepart, les trépassés malfaisants. A ces deux grandes classesparticipent toute une floraison de médiums, d'agents nuisiblesde toute obédience.

- Envoûteurs

La description de l'envoûtement que nous entreprenonsenglobe l'action des envoûteurs proprement dits, celle desempoisonneurs de toute tendance et celle de tous les agents demort sans preuve physique et matérielle. C'est pourquoi nousétudions ici un curieux phénomène profondément ancré dansles structures de la foi Obamba, et que nous rendons par

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l'expression "télédynamie" (ghota ngaà, lancer ou envoyer unmal, une maladie sur un adversaire lointain).

Avant d'entrer dans le vif de la description des diverses façonsdont on peut procurer le malheur à autrui, voyons d'abordquelques-unes des voies selon lesquelles on peut entrer enrelation avec les forces supranaturelles, vecteurs du mauvaissort ou garants de son efficacité.

La première voie pour entrer en rapport avec l'invisible estcelle des Ancêtres. De la plupart des morts contigus on conserveune relique. Leur présence parmi les vivants est rappelée à lamémoire des membres de la Famille à chaque sacrificepropitiatoire. Ceux qui, dans la Famille, détiennent une parcelled'autorité, peuvent se plaindre auprès des morts de la mauvaiseconduite de certains autres parents à leur égard; par exemple lesneveux par rapport aux enfants laissés par leurs oncles ; cesenfants sont aussi les leurs, car, c'est avec la dot de leursmamans qu'on a pu doter les mères de ces neveux. Si cesplaintes sont justifiées, les Ancêtres se chargent de rappeler lecoupable à l'ordre en le frappant dans sa personne ou dans sesbiens. Les Ancêtres interviennent ici non pas pour se défendre etse venger parce qu'ils seraient touchés directement etpersonnellement dans leurs intérêts ; mais plutôt en tant quegarants de l'ordre et de la morale qu'ils ont contribué à bâtir etqu'ils entendent faire respecter par tous leurs descendants. Laréconciliation se fait au cours d'un sacrifice propitiatoirefamilial à leurs mânes; dès lors s'amorce le processus de laguérison si se sont les Ancêtres qui sont la cause effective deladite maladie.

La deuxième voie est celle des sociétés initiatiques. Par unvote à la majorité absolue, des initiés peuvent décider de rendremalade ou même de faire périr un sujet qui s'est signalé par sonmépris notoire des règles de la société vg par son irrespect àl'endroit des Anciens (sortir avec leurs jeunes femmes, etc.) ouencore par ses méfaits particulièrement odieux. Pour pouvoirprendre légalement une si grave décision un certain quorum est

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requis. Dans le Ndjobi ou Gaulle, ce nombre minimum est detrois membress . Il comprend nécessairement le invandi, initiéqui assure les «fonctions sacerdotales ». Il y en a un par villageimportant, par fwoyi (paroisse). Sans le mvandi, il n'est pointpossible de célébrer un office sacrificiel de réparation, derogations ou d'action de grâces. Dans les limites de sajuridiction, il est médiateur unique entre les hommes, ses «sujets », et les forces supérieures protectrices. Dans la plupartdes cas, et chaque fois que la chose est possible (c'est-à-dire quele chef n'est pas de basse extraction), la fonction de Mvandis'identifie avec celle de l'autorité publique de l'unitéadministrative intéressée. Par-là, on évite les faiblesses dubicéphalisme et le gouvernement monocéphale s'en trouverenforcé. Prêtre, il est docteur, savant en sa matière; il connaîttous les arcanes de la science initiatique appliquée: il sait avecprécision ce qui rend un peu malade, ce qui rend gravementmalade. Il sait ce qui guérit et ce qui tue. Aussi, est-ce lui qui estchargé de l'exécution des décisions prises par l'assemblée desinitiés.

La troisième voie comprend la foule des médiums de toutacabit entre autres les professionnels de la Télédynamie (actionà distance). En effet, bien longtemps avant les amorces deprogrès modernes concernant les possibilités insoupçonnéesdes ondes vibratoires, nos Ancêtres étaient convaincus desvertus exceptionnelles dont dispose l'homme pour agirefficacement en bien ou en mal sur un sujet situé au loin (d'oùnotre terminologie de télédynamie). Tout comme il peut de lamême façon, agir sur la nature, la matière inerte.

Certains faits, que l'on attribue volontiers à la magie, sont eneffet pour le moins très troublants. Citons entre autres, celui-ciparticulièrement digne d'attention spéciale; Jusqu'à un passérécent, les gens du village Otala conservaient dans le Nkiina de

5 La question posée à l'assemblée peut se formuler de la façon suivante: «Doit-il mourir ou non?». Le vote positif «à mort» s'exprime en pointant lepouce vers le sol (ghoyisa).

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leur village6 une pierre (granit) dans laquelle était plantéesolidement une sagaie. La tradition rapporte qu'un jour le chefAliiJ)i, voulant convaincre ses sujets de l'autorité qu'il détient deses Ancêtres, des puissances supranaturelles, apprêta, au moyendes feuilles spéciales, deux lances, une pierre (du granit) et untronc de bananier. li fit venir le plus incrédule des villageois.Devant la foule compacte de ses administrés curieux de savoirce qui allait se passer, le chef se recueillit, fit envoler desincantations aux puissances occultes supérieures dont il étaitmanifestement le suppôt; s'étant adressé à la pierre et au troncde bananier sur un ton ferme "obédientialisant », il ordonna defrapper les deux d'un coup de lance. aussitôt commandé,aussitôt exécuté. Résultat: au grand étonnement de tous, lasagaie contre le tronc de bananier se plia, tandis que l'autrepénétra profondément dans le granit comme dans une pâted'argile. Le bruit se répandit comme une traînée de poudre àtravers toute la nationalité Mbede ; le chef Aliil)i fut partout etpar tout craint. Cette pierre avec sa lance en plein milieu devint,avec raison, le symbole de la domination et de la soumission dela nature par l'Homme. Elle se transmettait de génération engénération, à chaque nouvelle installation du village Otala, elleavait sa place dans le Nkiina, afin qu'à sa vue chaque générationfût convaincue de la puissance supranaturelle que Dieu donna àcertains de nos Pères pour qu'ils complètent son oeuvrecréatrice. De tels faits forcent l'attention de l'observateur: «Contra [acta non valent argumenta ». Contre un fait, il n'y a pointd'argument, point de raisonnement qui tienne; et "Facta suntnon neganda sed explicanda", les faits ne sont pas à nier mais àexpliquer. C'est un cas patent d'application de la puissanceobédientielle. Le Père ].J.ADAM7

, au cours de ses multiplestournées pastorales, a eu maintes occasions d'examiner, à loisir,cette pierre transpercée par une lance.

6 C'est le 'coeur du village', ce qui fait son fondement, sa protection.7 Le R P ADAM O,].) est arrivé dans le Haut-Ogoou en 1929. Il est devenuEvêque du Gabon en 1947, puis Archevêque de Libreville. Pour des raisonspersonnelles il s'est retiré à Okondja, puis à Franceville dans le Haut-Ogouéoù il a poursuivi ses fructueuses recherches en Altogovéanistique jusqu'àson retour à la Maison du Père, le l1juillet1981.

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Ce que nous disons de la soumission de la matière bruteinerte, vaut aussi des phénomènes beaucoup moins cernables etsaisissables. Le Mbede croit en effet que, grâce à cette force quilui vient d'en haut, l'homme peut non seulement subjuguer lesesprits et la matière inerte, mais encore contrôler le cours desréalités telles que le vent, la pluie, le beau temps, etc. C'est ainsiqu'il existe dans le Haut-Ogoué une science occulte de la Pluie(ghokwara Mvula: contenir la pluie). Pour attirer les bénédictionsdu Ciel sur la terre vg appelé la pluie (faire pleuvoir) sur lebrûlis afin que la cendre-engrais ne soit pas emportée par levent, on élève des suppliques aux Ancêtres; mais pour empêcherde pleuvoir ou arrêter la pluie qui tombe fort avec tonnerre, ona plutôt recours à un okwari-mvula ("attrapeur de pluie"). Demême les gens pensent que la tombée de la nuit peut êtreretardée. Aussi, lorsqu'on est en brousse ou en voyage et quel'on redoute que la nuit ne vous surprenne en chemin, a-tonl'habitude d'interpeller le Soleil en ces termes: «Tu ne tomberasque lorsque tomberont les seins d'une telle (nom d'une jeunemIe aux seins en pointe) ».

S'il en est ainsi de la nature infra et supra-humaine, oncomprend que sur l'homme cette intervention télédynamiquedes médiums sera particulièrement variée et multiforme. Il n'estpas dans nos intentions de vouloir dresser ici le catalogue desformes d'expressions de la télédynamie ; car, comme lesinterdits, elles sont innombrables. Il y en a de bénéfiques maissurtout de maléfiques. Sont maléfiques des interventions detous les jeteurs de mauvais sort, par exemple les nga-akwuunadont il a été question ci-dessus; les nga-ombandzi, alias ondzaghi(ghota ombandz.i, ghota ondzaghi (litt. lancer ombandzi, ondzaghi).Les détenteurs de ces forces prétendent être en mesure detélécommander un poison, la foudre et autres maléficessimilaires à l'adresse d'un adversaire ou ennemi personnel, situéà des milliers de kilomètres. Ce sont de vrais professionnels outueurs à gages, à la solde de leur clientèle. D'autres prétendentpouvoir télécommander des bêtes sauvages pour qu'ellesravagent des plantations de leurs adversaires.

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La télédynamie affecte l'homme non seulement dans sa santéet dans ses biens mais aussi dans ses sentiments. On peut ainsitélécommander l'amour, la sympathie ou déclencher à distanceles sentiments de haine, d'antipathie, et ce par la science occultedite "ananass" probablement parce qu'on y fait usage d'unonguent, d'un produit maléfique où l'eau de Cologne (ananass)sert d'excipient.

Les auteurs du mal provoquent une dysharmonie que lanature tend à contrebalancer par des systèmes de compensation.C'est ainsi qu'un sorcier, un envoûteur est dépisté par uncontre-sorcier; par un Ngâ (dépisteur, divin); en face de chaqueologhi (jeteur de mauvais sort), il y a toujours un nga-ntsaghi8

correspondant. Aussi la "médiation en général et la télédynamieen particulier comporte-t-elle toujours deux aspects : capacitéde nuire et capacité de guérir. La télédynamie bénéfique pareaux effets de la télédynamie maléfique. Nous avons déjàsouligné le rôle bienfaisant de lendjombi qui, en créant un halode noir, préserve l'innocent de l'emprise de l'envoûteur. Demême, subjectivement parlant, kala présente, sans contredit, uncontenu positif bénéfique (le fait d'être blanchi, innocenté alorsqu'on est objectivement coupable !). Contre un malfaiteur quiaurait troqué la progéniture d'une parente (ghoyisa mwo) "fairepasser te ventre; pas de grossesse portée à terme) contre unequelconque vertu supranaturelle9

, on a un nga-etitele dontl'action neutralise celle de l'ologhi d'en face en enrayant lamortalité infantile qui afflige toute la Famille etparticulièrement la maman éplorée.

Tout ce que nous venons de dire au sujet des interventionsbénéfiques de divers agents du Bien suppose l'exercice de lasolidarité cosmique, particulièrement avec les plantes en qui

8 Nga: savant, connaisseur; Ntsaghi: traitement des malades ; vient derhosalagha: soigner. Ngâ.ntsaghi: docteur en thérapeutique.

Ghoyisa mwo, "faire passer le ventre" pas de grossesse portée à terme; tousles enfants de cette femme doivent tous mourir avant la naissance; il s'agitd'un véritabte contrat or pacta sunt servanda, les contrats doivent êtrerespectés, observés.

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Ndzyami a placé des vertus thérapeutiques pour le maintient et,éventuellement, pour le rétablissement de la santé de l'homme.Pour 1 'osalighi mbede, thérapeute, les plantes sont des êtresvivants capables de sentiments. C'est pourquoi, avant deprélever une quelconque partie d'une plante, il lui expliqued'abord l'objet de sa venue et qu'il se trouve dans l'obligation defaire ce prélèvement pour la santé du patient; par-là, il obtientla collaboration active de la plante. Si l'on prélève d'une écorced'un arbre un quartier d'environ 2 cm de côté, on le laissetomber à terre. S'il tombe face, c'est bon signe: le malade seraguéri; s'il tombe pile, c'est mauvais signe: le malade risque dene pas guérir. L'arbre a donné son verdict.

On pourrait multiplier ces exemples qui montrent tous quegrâce à de tels systèmes de compensation et de collaborationcosmique sage, la nature tend à rétablir l'harmonie cosmiquedans laquelle Ndzyami a créé toutes choses. Mais il n'y a pas queles vivants à vouloir et à pouvoir nuire aux vivants; il y a aussiles trépassés malfaisants.

- Trépassés malfaisants

Traitant du nouvel état de la vie des Akwi, nous avonsmentionné l'existence des Edju (pl. de ghodju, fantôme), trépassésqui mènent une vie errante. Non contents de leur sort, ils s'enprennent aux vivants qu'ils tourmentent de différentes façons.De par son contenu, le concept de ghodju (revenant) inspiretoujours l'idée du mal et de la peur. Vouloir faire le mal, c'est lapremière caractéristique des Edju. Leur activité habituelle, celledu moins par laquelle ils se manifestent très souvent et fontsavoir qu'ils sont là et qu'ils ont quelque chose à faire ou à dire,c'est d'attaquer et de frapper les gens en brousse, à la fontaine.

D'une façon générale, ils ne s'en prennent pas à desétrangers. Ils ne déversent leur mauvaise humeur que sur lesvivants de leur Famille, en leurs causantes toutes sortesd'ennuis, de tracas, de malheurs. Ce n'est pas qu'ils soient tantmus par la méchanceté ou par la cruauté. S'ils font le mal, c'est

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pour signaler leur présence, rappeler leur souvenir auxsurvivants, afin que ceux-ci ne les oublient pas et satisfassentaux divers besoins de leur exister d'outre-tombe. Aprèsexpérience, ils ont dû se rendre compte qu'aucun avertissementn'aurait plus d'efficacité qu'un bon rappel sous forme d'unmalheur quelconque. Et il faut en fait avouer que le stratagèmeréussit pleinement, puisqu'à chaque malheureux événement onse précipite chez le ngâ afin qu'il désigne l'okwi responsable de lacalamité survenue, et qu'il indique le moyen adéquat del'apaiser. Le ngâ détermine avec précision et dans les détails lesobjets de volition de l'okwi, en ce qui concerne les ebea (pl. deghobea) 10 et des abvwoI)i (idolotites) adéquats que l'on offrira ensacrifice propitiatoire à ghopundi (relique) de l'okwi en furie.Dans la plupart des cas, la réconciliation s'ensuit, et le survivantlibéré.

Pour prolonger la réconciliation et aviver l'ofru (la paix) entre. les vivants et les trépassés, le sacrifice se termine toujours par

une bénédiction du malade et de l'assemblée (okugha). Ellecomporte différentes formules rituelles, selon les circonstances.

a) Réconciliation générale

En cas de calamité affligeant toute la communauté, c'est lechef du village qui procède à la bénédiction du village. La veille,toutes les maisons sont mises en état de propreté impeccable;les olebe, la cour aussi. Le matin, à l'aube, tous les feux sontéteints. Chacun est devant sa porte. Le chef s'adresse à sesAncêtres, anciens chefs et donc ses prédécesseurs dans ladirection des affaires publiques. En des vibrantes suppliques, ilfait appel à la solidarité qui les lie tous. Par ces incantations, ilattire leurs bénédictions et leurs faveurs sur le village dont ilsdemeurent les protecteurs. Puis, au milieu d'un silence

10 Gbobéa = objet matériel (pagne, assiette, argent, etc.) que l'on offre auxmânes de l'Ancêtre en attendant de lui offrir un sacrifice complet. AbvwoIJi:idolotite, victime (animal) que l'on immole en sacrifice propitiatoire pourse réconcilier avec tel okwi en courroux.

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révérenciel, il procède à l'aspersion de chaque maison,individuellement, au moyen d'une mixture faite d'eau, d'oyindi­bolo et d'excréments de cabri immolé en sacrifice pour lacirc\?nstance. Si le village est grand, il se fait aider par celui quiest susceptible de lui succéder un jour (stage pratique pour laconduit,e des affaires publiques!). Ensuite, au moyen du briquetancestral qui se transmet de chef en chef,.il fait le feu nouveau.Chaque chef de ménage vient y prendre sa part de feu nouveaupar lequel la vie, dans toutes les acceptions du terme, renaît:fécondité, fertilité, santé, chance, toutes formes de bonheur.

b) Autres cas

Il s'agit de la naissance, maladie, séparation pour une longueabsence. Par ailleurs nous avons précédemment vu labénédiction nuptiale à l'occasion du mariage.

La bénédiction du nouveau-né se dit elosighi du verbegholosogho: communiquer au bébé la force vitale qui vient desAncêtres et se transmet de père en fils par le sang.

Celui qui n'est pas parent par un lien de sang ne peut nibénir ni être bénit. C'est ainsi que la femme, n'ayant en principeaucune communauté de sang avec son mari, ne peut ni bénir niêtre bénite par lui. Il doit la soigner pour toute maladie qui n'apas pour origine et cause les parents, les Ancêtres de l'intéressée.Dans ce dernier cas, il faut faire venir les parents de la femme oubien la leur envoyer pour soins médicaux.

Par contre un fùs peut bénir son père, sa tante parce qu'il estidentifié à son grand-père dont il porte le nom ou seulementcensé porter le nom: sous cet angle il est le père de son père et desa tante. En effet ne l'appellent-ils pas du doux nom de papa(Tara, père) ou de maman, s'il s'agit de leur fille?

Rite: On mâche le lesisaghi (Jonc) ou biJ;i (kola) selon les cas(bi-fi pour les bébés et les enfants; lesisaghi pour les grandespersonnes). On le mâche puis on le pulvérise au front, sur la

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poitrine, au dos entre les épaules du malade ou de la personne àbénir (surtout au moment de séparation de longue durée).

Nous avons établi que les edju ne s'en prennent généralementqu'à leurs parents survivants ('<ghodju gho ndzwo e mvuru okiimaghipama1]a we ni, le revenant d'une autre Famille ne peut pa venirt'épouvanter'). li arrive cependant que certains d'entre euxparticulièrement virulents, pour des raisons qui nous restentinconnues, décident de s'attaquer à tout passant, sansdistinction de race ni d'origine. Quand la chose arrive, c'est engénéral dans les cimetières en forêt. Les Edju opérent depréférence dans la nuit. On comprend leur prédilection pour cesnécropoles sylvestres qui créent artificiellement la nuit. Leurmalfaisance va du simple ghopamaI)a (faire peur) jusqu'à iwuba(action et effet de passer à tabac). Non contents d'effrayer, ilsarrivent à égarer (ghotasa) la personne à qui ils en veulent, opérerdes enlèvements de courte ou longue durée. Ils viennent ensuitedéposer leur otage près d'un endroit fréquenté, après quesatisfaction a été obtenue. Une rétention prolongée chez les «ombres » d'outre-tombe entraîne habituellement l'aphasie oul'aphonie quelques fois doublée de surdité temporaire. Dans lepire des cas, avant de relâcher leur otage, ils le rouent de coups.Mais comme ils ne sont pas tellement mus par la méchanceté, ceiwuba est généralement une épreuve expiatoire purificatrice quiouvre le «coeur» de l'intéressé à un charisme qui lui sera, sur leplan économique, une source inépuisable de revenus: lecharisme d'omboso (ghobva omboso). li s'agit d'une initiation àune technique de divination doublée de celle de chorégraphie.Ainsi cette intervention des edju qui, au départ avait toutes lesapparences d'une malfaisance, se révèle en fin de comptebénéfique au profit de toute la communauté familiale etvillageoise.

Par ce biais, au-delà du mal immédiat (épreuve de iwuba), lesakwi-edju continuent à contribuer, à leur manière, audéveloppement économique de la Communauté lignagère quiles attendait quand ils n'étaient que génération virtuelle, et qu'àleur tour ils ont reçu de leurs pères et transmise à leurs

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descendants après l'avoir enrichie de leur expenencepersonnelle, et qu'enfin ils continuent à soutenir par delà latombe tant qu'il y aura sur terre un rejeton de leur lignage, deleur descendance.

Harmonie universelle voulue par le Créateur et que lesauteurs du Mal menacent parfois dangereusement mais que laNature tend à rétablir dans son équilibre originel, l'interinfluence cosmique s'exerce aussi entre le vécu humain etl'espace-temps.

4. Le monde astral

Le Monde astral, l'Espace et le Temps jouent un rôledéterminant dans la vie du Mbede de la société traditionnelle,voire d'aujourd'hui. Dans le présent exposé nous procéderonspar une double approche, comme le veut la logique. Dans unpremier point, nous traiterons des constatations observableslorsque l'on est amené à vivre au contact du Mbede, à savoir sonbesoin de "vivre-avec ». Dans un deuxième stade, noustâcherons de mettre en lumière les structures de foi spatio­temporelles qui fondent ce besoin de symbiose.

4.1. Civilisation et besoin de « vivre-avec»

Dès la première rencontre avec le Mbede, l'observateurconstate que la vie de cet homme s'intègre dans la vieuniverselle du cosmos. Elle s'y enracine. C'est une vie réglée nonpar des horloges usinées mais par des systèmes cycliques. LeMbede ressent en lui une orientation fondamentale que nousappelons le besoin de vivre-avec; c'est un besoin d'harmonie qui,doublé des effets écologiques, détermine en partie letempérament et la civilisation des différents peuples du groupeMbede.

C'est ainsi qu'une précédente étude consacrée au typeObamba nous a conduit à conclure que le peuple Mbede secaractérise, entre autres, par son refus de précipitation et

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d'agitation, conséquence dans une large mesure, de sonexistence sylvicole durant ses migrations des origines vers sonhabitat actuel. Devant un problème si crucial soit-il et dans unesituation si dramatique soit-elle, il tient toujours à avoir la têtefroide. Aussi, a-t-il souvent sur la langue le tranq~illisant «katwo, apaise-toi» ou encore «ka ontsi, assieds-toi». Il sait en effetque la précipitation et l'agitation. n'ont jamais accouché debeaux enfants. L'une et l'autre déshumanisent l'activitéhumaine qui doit normalement s'inscrire dans un rythmenaturel plus vaste. «A aller trop vite, dit la Sagesse Obamba, onfinit par dépasser la croisée des chemins: Djwe lebvùla, we nyûriabar:ighi »: la précipitation ou l'agitation ne permet pas deprendre du recul indispensable pour mûrir une décision. Larègle d'or de ce peuple pourrait être celle-ci: « En toutecirconstance, savoir prendre du recul ». Ce temps de réflexionpermet d'appréhender la réalité en toute objectivité et deprendre, en connaissance de cause, la décision qui s'impose. Cequi explique son deuxième principe de vie: « Oyep m'ombegheghobisa: lit, l'intelligence (sagesse) de la lutte, c'est le refus »,c'est-à-dire, face à un adversaire nettement plus fort, il est sagede refuser d'engager la lutte si l'on ne veut pas subirl'humiliation de la défaite.

C'est fidèlement à ce double principe de haute sagesse queconscient de sa faiblesse en technologie, le Mbede s'estcomporté vis-à-vis des forces naturelles.

Contrairement à certaines autres cultures et civilisations quiont placé au centre de leur système l'action dominatrice sur lanature et la volonté de l'organiser à leur guise et de ladiscipliner selon leurs décisions, le Mbede préfère uneadaptation détendue aux rythmes de la nature. Il faut certes unecertaine ambition dominatrice pour domestiquer la nature (lacréation n'est-elle pas l'oeuvre de Dieu et la société celle desAncêtres, héros civilisateurs?). Mais on ne saurait cependantblâmer une intelligente soumission aux forces naturelles et auxmouvements lents et infaillibles de leurs cycles patients. Car onne saurait impunément dénaturer exagérément la nature.

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Créé et placé dans un système d'interrelations cosmiques, leMbede a appris à avoir confiance en la nature matérielle etinfra-humaine faite par Ndz,yami pour le bonheur de l'homme. Ila la certitude paisible que celui qui se met au diapason de cetteconseillère toute sage et de cette mère toute providentiellejouira à coup sûr de ses immenses richesses et se reposera dansle calme mouvement de son rythme lent. Aussi a-t-il résolumentdonné le primat des valeurs du coeur sur celles de la mécanique.S'il avait été donné à l'homme Mbede traditionnel decontempler les productions artificielles, filles de la technologiemoderne, il les aurait certes admirées, mais il aurait en mêmetemps reconnu sur elles la supériorité des fécondités spontanéeset patientes de la nature, filles d'une mère généreuse etpourvoyeuse au service de tous. La chose est tant et si vraie quela vie en symbiose cosmique du Mbede lui a fait acquérirl'estime de la souple et humble communion avec la vie dans samanifestation originelle: il la respecte dans son mystère au­dessus de l'anxieuse et violente main-mise de l'ingéniositéhumaine - orgueilleuse et ambitieuse - sur les énergies cachéesd'un monde dont les secrets de plus en plus profondsdéconcertent et "humilient" l'intelligence humaine.

Conscient de cette vérité fondamentale, l'homme Mbede aappris à apprécier la plénitude du moment présent qui se suffità lui-même: "entsye:re ghobagha e nde, 0 dji: si le lendemain trouveles siens (biila, nourriture), qu'il (les) mange. Pour corriger l'idéed'imprévoyance que pourrait insinuer cet adage, donnonsquelques autres exemples qui mettent nettement en relief lanotion de prévoyance, le souci du lendemain:

Otsusi nkwura Otswi Otsw' oyebeghe.Qui prévoit une part pour lelendemain a la tête légère.

- Ghoye I]a mby'e ndjogho ghomono Si tu vas à la chasse à l'éléphant etngori toli trouves un escargot, ramasse-le

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C'est de la prévoyance élémentaire; car on n'est pas sûr derencontrer un éléphant, si on le rencontrerait, on ne serait pasencore certain de l'abattre.

L'estime de la « plénitude du moment présent qui se suffit àlui-même » ne traduit donc pas un manque de souci ni deprévoyance. Ce n'est ni une démission devant l'effort à fournirpour gagner le manioc et la banane à la sueur de son front niune insouciance face au lendemain à bâtir, mais une desexpressions de la foi en la bonté de la nature, puissante mèregénéreuse et pourvoyeuse.

Pour le comprendre, il convient de reconnaître qu'il peuttrès bien y avoir diverses formes de civilisation etd'innombrables valeurs humaines dont la hiérarchie peuts'établir selon des critères variables. C'est ainsi qu'à côté ouplutôt en face des civilisations hautement technicisées quitendent à dominer la nature et à la discipliner au profit, enprincipe, du bien- être matériel de l'homme mais dont lasophistication menace en définitive l'existence même de cedernier, il y en a d'autres tout orientées vers l'organisation et lacohésion de la communauté humaine sur la base de l'amouruniversel (hospitalité: « l'étranger, c'est Dieu ») et la solidaritéinter-individuelle et inter-groupes, inter-nations.

Mais quelles sont donc ces structures cosmiques de foi en labonté dans lesquelles l'homme Mbede se confie et aveclesquelles il vit en communion paisible selon un rythme lent ettempéré? Ce sera l'objet du second stade de notre analyse.

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4.2. Structures spatio-temporelles de la foi

Les rythmes cycliques naturels sur lesquels le Mbedetraditionnel règle sa vie sont eux-mêmes déterminés par lesinfluences du monde spatio-temporel.

Au sujet de l'Espace et du Temps, on peut distinguer d'unepart l'espace et le temps sacrés et, d'autre part l'espace et letemps profanes.

L'espace et le temps sacrés constituent le domaine réservéaux spécialistes. C'est le champ d'action préféré des trépassés etdes divers intervenants dont nous avons précédemment étudiéles médiations. La nuit y a une place importante, car c'est en elleque les forces occultes surtout celles maléfiques libèrent etdéploient leur malfaisance, leur nuisance.

L'espace peut être envisagé sous deux aspects, territorial etastral. L'un et l'autre comportent une dimension sacrée.L'espace territorial sacré est l'espace cultuel. Il se composed'étendues territoriales réservées aux activités, aux pratiquesayant, de près ou de loin, quelques rapports avec le culte. Telssont, par exemple, les yendze, nkwomo, fwoyi (lieux sacrés sousbois pour assemblée ou réunion de confréries cultuelles); lescimetières (antshwo)j les lieux interdits (Ehiri e ngTi).

Certains lieux vg rivières, étangs, coins de forêt ou de savane,arbres fruitiers, etc. peuvent être frappés d'un interditpermanent pour favoriser la multiplication d'une espèceanimale ou temporaire en prévision d'une fructueuse chasse,pêche ou récolte au profit de la Communauté villageoise oumultivillageoise. En général, ce sont les confréries de apayi,ndjobi, ongala, lesimbu qui jettent ces interdits et en assurentl'efficacité.

Les gens croient tellement à l'intervention des forcesoccultes et à l'automatisme de la sanction encourue que lamoindre fraude ou simplement le fait de déboucher au hasard

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sur un yendze de ngo, nkwomo e nkwula, nkwomo onyaka, lesimbu,etc. peut être à l'origine d'une véritable psychose qui, sil'antidote n'intervient pas à temps, peut dégénérer en uneaffection somatique.

Selon la cosmographie obamba, l'Espace astral (Mbr'e Yulu)comprend, entre autres individus de son innombrablepopulation, les spécimens suivants:

Tari: le soleil, distributeur de feu;

- Ngondo: la lune. Elle est considérée comme élémentparticulièrement fertilisant. Elle rend fertiles non seulement leschamps, la terre en général mais aussi les espèces vivantes. Onadmire sa beauté. Ce qui explique probablement que le vocableNgondo soit utilisé pour désigner une jeune fille, uneadolescente, mariée ou célibataire. D'autre part, dans le mondeastral elle est masculinisée et considérée comme époux polygynede Dza-EswoJ;i et de Dza-awusagha, ses deux femmes.

-Anyai: les étoiles.

- Dza-EswoJ;i (de ghoswolo, choisir »): étoile naine des régionsboréales. Son nom signifie littéralement «celle qui ne mangeque des plats délicats », après un choix rigoureux. Très difficilepour la nourriture, elle vit de très peu de choses. Menant unrégime très sélectif, elle ne parvient pas à prendre du corps, et setrouve ainsi frappée d'anémie congénitale. D'où résulte lafaiblesse de sa luminosité. Elle impose son régime maigre à sonmari-lune qui demeure chétif tant qu'il est chez elle (premierquartier lunaire).

- Dza-Awusagha: étoile polaire australe; lit, celle qui mange den'importe quoi, c'est- à-dire le premier aliment qui lui tombesous la main. Elle n'est pas du tout difficile pour l'alimentation.Ce qui lui réussit si bien qu'elle se porte à merveille. D'où sapuissante luminosité en comparaison de celle de sa rivale.Naturellement l'époux qui partage sa table s'en trouve lui aussi

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bien portant. Ce qui explique son embonpoint durant sonséjour dans les régions australes (pleine lune).

- GhonyaIja: pléiade.

Ndzanga e Ndzyami (lit, grenier de Dieu): voie lactée.

- Lebasi l'ondzaghi (lit. Flèche d'ondzaghi): étoile filante. Elle estainsi désignée parce que, selon la croyance populaire, elle estl'agent vecteur de l'ombandzi ou ondzaghi (cf plus haut:Télédynamie). On dit aussi que c'est un nyari normal mais quiva chercher du feu chez une voisine. Malgré cette explicationsécurisante, son passage provoque toujours une certaine peur;car on ne sait jamais qui sera frappé. Aussi ceux qui croientinconditionnellement à l'efficacité de l'action à distance nemanquent-ils pas de donner quelques petits coups répétéscontre un mûr afin de dévier d'eux sur cet autre objet matérielune flèche invisible qui, éventuellement, leur aurait été destinée.Pratique toujours actuelle.

Plus loin nous reviendrons sur cette socialisation ouincarnation de la foi dans les réalités astrales. En attendant,examinons les temps que déterminent les rythmes cycliques deces. réalités astrales.

Comme dans d'autres cultures et civilisations, lachronologie Mbede dispose de termes précis pour traduire lesnotions de temps: saisons, mois, semaines, etc.

L'année (gbosibi) n'est pas basée sur une période de douzemois mais sur un cycle de quatre saisons, déterminées par lesrévolutions lunaires. On a ainsi une grande saison sèche(ghosibi), une grande saison de pluis (amvula), une petite saisonsèche (kuli) et une petite saison de pluies (Qmvimvula). C'est àpartir de ces quatre saisons et des différentes étapes évolutivesde la lune (les quartiers lunaires) que l'on calculetraditionnellement certaines durées parfois à un jour près: parexemple, l'âge d'un jeune homme, la durée d'un mariage, etc. Il

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faut en effet se rappeler que chaque année une femme doit avoirune nouvelle plantation. Il lui suffit donc de compter lesamvughu m'angwuunu (anciennes plantations) pour savoir l'âgede son enfant ou de son petit-fùs. Cette manière de compter estpar ailleurs admirablement servie par une mémoire féminineprodigieuse. On sait, d'autre part, que certaines opérationséconomiques, commerciales ne peuvent se pratiquer qu'enpériode de kuli (vg. Ebugha, champs d'arachides) ou d'AmtlUla (vg.Lambu, pêche par barrage muni de nasses). Les points de repèressont ainsi vite trouvés. Si un événement important arrive aucours de telle ou telle autre activité, il se fixera solidement dansla mémoire des témoins. Cette conservation mnémonique serad'autant plus facile et fidèle que la culture obamba dispose de lanotion de semaine en sept jours; le jour de repos ne semble pasfaire l'unanimité: est-ce le dimanche ou le samedi.

Ntsono Lundi Dimanche

Okila Mardi Lundi

Mpede Mercredi Mardi

Odugha Jeudi Mercredi

Ntsigha Vendredi Jeudi

Obvwa Samedi Vendredi

Okwoyo (jour deDimanche Samedi

repos)

Le jour (durée de 24 heures) se dit Tsughu. Ce terme peutaussi signifier la « clarté, lumière du soleil }) vg Tsughu e mitsa, ilfait jour; Tsughu e miyila, il fait nuit. La chaleur du soleil se ditMwij la durée de douze heures se traduit par Oyiila vg Oyiila aMwi, la journée; Oyiila-Lempibi, durée d'une nuit. La nuit toutcourt se rend par Lempibij et Mpibi équivaut à la locutionadverbiale « de nuit» vg. Ghoya mpibi-mpibi, venir de nuit. Otima­lempihi (coeur de la nuit), minuit.

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Des segments du parcours solaire journalier permettent àl'Altogovéen de se siruer dans la journée par rapport aux tâchesà accomplir dans l'espace des douze heures diurnes:

Etsiiri

Entsyere

EtemiÏlJi e Tari

Tari e yigha kandza-ndza

aurore

matin

levée du soleil

9hoo environ

Tari e yigha ekuma mwa-mpughu (le soleil approche du milieudu village i.e. au tour de 11h00)

Tari e mi kuma ndzanga (e mi kuma mwa mpughu)environ (le soleil est dans son lit)

12h00

Taçi e yigha e nya

Bir'amba (porteur de feu)

Tari emi bva

Ekikolo

Lempibi

15h00 environ

environ 17h00

le Soleil est tombé (18h00)

le soir; soirée.

la nuit.

Ce sont quelques éléments de structure spatio-temporellequi fondent la foi de l'Altogovéen traditionnel aux forcesnarurelles, en l'occurrence, aux influences certaines de l'universsidéral, dont les rythmes cycliques règlent toute sa vie. Sonexpérience basée exclusivement sur l'observation empirique luia, en effet, appris que la population astrale joue un grand rôledans sa vie d'homme. C'est pourquoi il trouve sage de s'ysoumettre intelligemment et de s'adapter d'une façon souple et

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détendue aux rythmes de leurs cycles certes lents maisinfaillibles. Influence déterminante non seulement sur sonactivité "ad extra mais aussi sur celle "ad intra", physiologique,biologique.

C'est à la lumière de cette vision des choses que le Mbedecroit profondément à une interaction, par exemple, entre la luneet la physiologie de la femme. Selon lui, il y a un lien de relationentre les différentes phases lunaires et le cycle menstruel. Aussicertaines gynécologues traditionnelles arrivent-elles àdéterminer, à un jour près, le cycle d'une femme, la durée d'unegrossesse à partir des repères astraux, lunaires. Il y a entre lesdeux phénomènes une relation de cause à effet.

Cette foi se montre encore plus ferme en matlerethérapeutique. On ne peut pas cueillir telle feuille, prendre telleécorce pour traiter telle affection, par exemple les rhumatismes,à n'importe quel quartier de la lune parce que les influencessidérales à cette phase lunaire sont maléfiques.

De même avec la meilleure rhétorique du monde, onconvaincra difficilement, aujourd'hui encore, une paysannealtogovéenne qu'elle peut planter avec succès n'importe quoi àn'importe quelle position de la lune ou de la pléiade. Car, depère en fils, est parvenue jusqu'à elle la certitude que les Ekwam'etswi (litt. ignames à tête) ne se mettent en terre qu'en périodede pleine lune. C'est la phase optimale pour planter lesboutures, semer les EntwuI]u (primeurs). De même que la lune«prend du corps» durant son séjour chez sa seconde épouse Dzaawusagha, de même elle communiquera sa bonne santé, son auxproduits de la Terre. Pour d'autres essences agricoles à lagermination plus lente, l'ensemencement ou le plantage se feradurant le premier quartier lunaire afin que la pousse coïncideavec la pleine lune. On observe le même comportement despaysans vis-à-vis de la Pléiade, constellation qui règle certainesautres espèces agricoles ghonyaI]a ghobunalJa, lorsque la Pléiadedécline.

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Ce que nous disons de l'agriculture vaut aussi pour la chasseet pour la pêche. Il est en effet des formes ou genres de chasse etde pêche qui ne sauraient se pratiquer en toutes saisons ou enn'importe quelle phase lunaire. Nous pensons, par exemple, à lachasse de nuit aux porcs-épies (Kele : mbya e kele) qui exige nuitnoire et qui serait infructueuse par clair de lune trop brillant.

On pourrait multiplier de tels exemples qui tous traduisentla ferme et intime conviction d'homme Mbede de l'influencedéterminante de l'univers sidéral sur le comportement del'homme et de la nature terrestre non-humaine.

Cet état de choses a fait prendre conscience à l'homme de savraie place dans l'univers créé, lui a inspiré une attituded'humilité et l'a déterminé à chercher plutôt à vivre enharmonie et en communion avec ces forces naturelles. Il enrésulte une conception de la notion de Temps très différente decelle que l'on rencontre dans certaines autres cultures etcivilisations où le temps sociologique et le temps économiques'affrontent en un combat acharné. Les ressortissants dessociétés à technologie avancée savent en effet que là où entre latechnique, tout est calculé, minuté, jusque dans le détail; on yvit perpétuellement en tension et comme en état de siège; cettevie en hypertension est un moteur qui ne se reposepratiquement pas, car « time is money ». "Ce maudit argent donton a si grand besoin" semble tout dominer; alors que, pourl'Obamba traditionnel, l'argent n'est qu'un simple, ghotila oughonama (ce que l'on touche, et qui continue sa route: il ne fautpas s'y attacher/ l

• Tandis que, dans la perspective de la société

11 Un week-end, quatre ministres avaient besoin d'argent pour bien passerla fin de semaine. Un ami les dirige chez Tante, mère de l'un d'eux. Ilsvoudraient cinq cent mille (SOOOOOf) pour chacun, soit deux millions. MaisMaman peut-elle disposer d'une telle somme d'argent, se demandent-ils. Aleur grand étonnement, ils trouvent dans la valisette Dix millions. Tanteleur dit que cet argent ne lui sert pas à grand chose depuis qu'elle estmalade, il n'est jamais allé lui chercher du bois, de l'eau, encore moins allerdire au Père Curé qu'une Telle est malade. Dès lors, à quoi peut bien selvircet argent? Les ministres sont restés sidérés devant un tel détachementC'est une grande leçon pour nous tous.

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technicisée, le jour de congé n'est pas un jour de repos mais unjour où l'on fait autre chose que de coutume. L'homme estlittéralement poursuivi par une menaçante pression, celle durendement et de la rentabilité de tout ce qu'il entreprend.Paradoxalement la domination de la nature loin de le libérerl'asservit de plus belle: il est asservi par la chaîne sans frein del'activité incessante; autrement dit, il est précipité dansl'avalanche des agitations trépidantes, bruyantes, énervantes, dela vie technicisée. Ainsi en quête des .moyens de domination etde domestication de la nature à dompter, et au moment où ilcroit avoir réalisé sa propre libération, l'homme ultra-technicisése découvre, étonné, captif des dents limées de l'engrenageimpitoyable des minutes et des secondes que rien n'arrête. Alorsque le Mbede, comme ses frères négro-africains d'hierempiriques, ayant foi en la solidarité cosmique, ont opté nonpour une domination aveugle de la nature mais pour unecollaboration efficace avec elle. Dans cette optique, le Tempsprend une dimension et une signification tout autres. Ce n'estplus un tyran aux décisions inexorables mais un pacifiquerégulateur d'activités humaines, d'échanges de toutes naturesvoire de ceux biologiques. Le coucher du soleil est un appel àquitter les travaux de brousse, de champ, une invitationimpérative à rejoindre le village où doit commencer sous peu letemps de la culture intellectuelle qui succède à celui de laculture physique; celle-ci s'achève avec la tombée de la nuit ouse poursuit sous forme de jeux. Bientôt après le dîner, on pourras'adonner qui à des loisirs chorégraphiques, qui aux contes(devinettes et fables); ou bien, autour du feu familial, ons'initiera au récit de la généalogie, excellent exercice dedéveloppement de la mémoire, instrument privilégiéindispensable pour entrer en possession d'une cultureessentiellement orale. On peut sans être talonné par le temps,prolonger une veillée en compagnie des amis jusqu'à ce que le «corps réclame le lit». Puis l'on s'endort jusqu'à ce que sansviolence, le soleil du lendemain réveille bêtes et gens; et lerythme cosmique vital repart sans tension aucune.

Comme nous avons déjà dit, cette communion et cetteharmonie avec la nature impriment à l'activité humaine un

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rythme naturel, tranquille, détendu, et donc sain. Elles aurontappris à l'homme le sens et le bienfait d'une certainedépendance et d'une confiance intelligente en la nature; elles luiauront surtout appris le sens du moment présent intensémentvécu. Il en résulte une paix intérieure, une paix interpersonnelleet intercommunautaire.

Telle est une des données essentielles de sa culture que leNégro-Africain ne devrait pas perdre de vue et qu'il doitpartager avec le reste de l'humanité à savoir que la technologieet la technique ne sont bonnes que si elles ne violentent pas lesrythmes naturels qu'un homme ne saurait troublerimpunément.

C'est en cette parfaite harmonie avec la nature et encommunion avec elle que le Négro-Africain de la sociététraditionnelle entreprend individuellement ou collectivementl'oeuvre de transformation intelligente de ses conditions de vie,soit qu'il s'adapte à son milieu naturel soit qu'il se l'adapterationnellement. Et pour un peuple, chercher ainsi àtransformer ses conditions de vie à partir des donnéesécologiques, c'est amorcer le processus de son développementsur tous les plans. Malheureusement cet effort est sans cesseperturbé par les sorciers et autres agents de la mort, marchandsd'illusions qui manipulent avec une certaine dextérité etquelques fois avec une certaine efficacité les différents moyensde la Maîtrise Sociale; citons par exemple le système de sort quejettent les ensorceleurs et que lèvent les désensorceleurs pour lalibération des ensorcelés. Dans ce cas on parle souvent de jeteurde (mauvais) sort, système bien connu dans notre culture négro­africaine.

C'est ici que se pose le grave problème de la rationalité face àcertaines expressions de notre Maîtrise Sociale. En effet, il s'agitd'un principe fondamental de la philosophie qui dit qu'il n'y apas d'action à distance : «Nulla actio in distans» Il n'y a paspossibilité d'action à distance. On ne peut pas exercer unequelconque action sur un objet éloigné sans médium. Le contraire

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est irrationnel et anti-scientifique. Les adeptes de la philosophiedes Lumières, au XVIlIème Siècle, ont apporté ce principe à sonpoint extrême. C'est pourquoi, ils affirment que la sorcellerie nes'explique pas par la faiblesse intellectuelle des paysans. Au furet à mesure que le monde s'urbanise, les frontières de lasorcellerie reculent inexorablement (sic ?).

La sorcellerie se trouve ainsi reléguée aux antipodes de la foirationaliste. Puisque, par définition, la sorcellerie est la capacité,le pouvoir de nuire à autrui sans support matériel! L'empirisme n'apas droit d'être cité devant le rationalisme. Car, selon ce dernier,seule la Raison mérite notre croyance et notre confiance. Lecontraire relève de la débilité mentale.

Mais face à ce principe de « Nulla actio in distans» se dresseun autre principe philosophique non moins fondamental «Contra jacta non valent argument, contre des faits, il n'y a pointd'arguments qui tiennent. » ; et encore « Facta sunt non negandased explicanda, les faits ne sont pas à nier mais à expliquer ». Unfait est un fait. Et les faits, dit- on, sont têtus. C'est pourquoi, lafoi du NégrO-Africain ou de l'homme tout court, en certainesexpressions de la Maîtrise Sociale, par exemple sa foi au systèmedes sorts, ne saurait être balayée du revers de la main. Car lesfaits sont têtus. Il faut les expliquer, si l'on veut que s'élaboreefficacement et s'installe durablement dans les esprits la paix del'âme et du corps.

Pour y parvenir, le Négro-Africain doit chercher à concilierles données de cette foi ancestrale avec les exigences de laRationalité, par exemple par la recherche de l'existence denouveaux médias jusque-là inconnus du monde scientifiquemais supposés depuis toujours par nos Ancêtres, héroscivilisateurs et créateurs de cette Culture transmise de père enfils jusqu'à nous, leurs dignes descendants.

Cet effort de recherche de la réconciliation entre l'ensemblede la Maîtrise Sociale et la Rationalité s'impose aujourd'huiplus que jamais. C'est une nécessité impérieuse. Car il y va de

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l'équilibre même de notre personnalité. La navette permanenteentre le nganga et l'hôpital, entre le mhandja et l'église doitdéboucher sur une clarification de positions respectives par untravail d'inculturatWn réussie. C'est la seule attitude raisonnablepar tous acceptable. Car, elle seule nous permet de nousréconcilier avec nous-même. C'est-à-dire avec notre conscience,afin de voir réalisé le plein épanouissement de notre être total.

Par Inculturation, il faut entendre le faisceau de lumière quel'Evangile de Jésus Christ projette sur chaque Culture qu'ilrencontre et qui accepte de l'accueillir. n la prospecte pour ydéceler ce qu'il y a d'authentique en relation avec valeurshumaines. n les décape pour les débarrasser des préjugés et desfaux-fuyants. Dégagées de toute impureté, ces valeurs sontprésentées à Jésus-Christ, Rédempteur Universel qui les assumeet les sauve. Dès lors, elles deviennent valeurs chrétiennes parceque christianisées. Mais ce travail de décapage d'abord et dechristianisation ensuite des valeurs de la Civilisation négro­africaine requiert des Messagers de l'Evangile une compétencescientifique éprouvée. Cette exigence s'explique et se justified'une part par le fait de la multiplication des moyens decOmnlunication et d'information sociale et, d'autre part par, lefait que la Foi chrétienne n'est pas un assentiment béat, maisune adhésion intellectuelle; ce qui est loin d'une foi decharbonnier. La tâche des Apôtres est d'autant redoutable qu'ilsont l'obligation faite en conscience de faire un travail à la foisd'inculturarion et d'indigénisation de l'Eglise Catholique.

En effet, il y a beaucoup à créer en théologie pastorale afinde canaliser les croyants dans de nouvelles voiesd'épanouissement chrétien. Car désormais, nos inspirateurs enla matière ne sont plus seulement Saint Thomas d'Aquin etautres grands maîtres grécolatins, mais aussi et prévalemmentl'inépuisable thésaurus accumulé par nos Ancêtresnégroafricains. Nous inspirer de la Sagesse africaine pour entirer ce qu'il y a de bon, de sublime pour le proposer à Jésus­Christ pour assomption. Car quod nOll assumpsit non redemptum,ce que Jésus n'a pas assumé n'a pas été sauvé. n se pose donc,pour l'Eglise, un problème tout simplement de survie en

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Afrique. Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nousreconnaîtrons, peut-être avec honte, que les Eglises d'Afriquesouffrent d'un sous-développement théologique. Le poidsculturel du christianisme latin pèse trop lourdement sur lapratique et les orientations de la Pastorale africaine. D'oùrésulte, le plus souvent, un conformisme rassurant qui n'est passeulement le signe d'un fIxisme intellectuel mais le résultatd'une aliénation mentale. Voici, du reste, ce qu'en pense le pèreFabien Eboussi : «La torpeur règne dans les églises del'hémisphère Sud. Les prêtres et les évêques se sont assoupis surle catéchisme scolastique de leur adolescence, entourés desécurités canoniques. Ils ne se réveillent qu'aiguillonnés par lahantise de l'argent, d'un personnel de fortune, de prébendes.Quand ils ne se contentent pas de jouer aux notables que l'onprend pour la vanité et le goût du bien-être, ils se perdent dansla casuistique institutionnelle qui tâche à 'appliquer le Concile'.Leur application docile n'accouche que vent ou des chosesmort-nées, parce qu'en défInitive elle mine la vie qui se déroulepeut être ailleurs. Les structures, même postconciliaires, nesauraient tenir lieu de message ni de l'âme qui s'invente sonpropre corps» (Père F. Ebousi, «Métamorphoses Africaines », inChristus, n °77, 1973, p.38).

Ce mimétisme, fruit de l'état d'incurie intellectuelle suffItpour souligner la fragilité de nombres d'églises d'Afriqueauxquelles échappe, presque en totalité, l'initiative de laréflexion et de la recherche sur les problèmes de la Foi dans lecontexte africain. Or nous savons que la morale n'est ni àspatiale ni à temporelle. Elle s'accomplit toujours au sein d'unecommunauté humaine en situation concrète dont la théologiepastorale doit tenir compte. Sinon, on justifIe la thèse decertains Africains selon laquelle «le christianisme, c'est uneaffaire de Blancs».

Cette nécessité de théologie pastorale africaine de très hautniveau a fait dire au père Jean-Marc Ela ce qui suit: « Il convientde dépasser les clôtures dogmatiques qui enferment l'Eglised'Afrique dans les frontières constituée une fois pour toutes.Car, l'Eglise locale ne doit pas uniquement se défInir à partir

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d'une doctrine ou d'une institution, mais elle doit se vérifierdans une nouvelle manière d'être et de vivre l'Evangile dans dessituations concrètes» (père J.M. Ela, « Le doit ou l'enjeu actueldes églises locales en Afrique noire », in Civilisation noire et EgliseCAtholique, 1977, p. 206).

n y a donc un constat à faire, la théologie des églisesd'Afrique souffre d'une mièvrerie déconcertante parce qu'ellemanque d'audace en Pastorale.

L'Impact des Communautés chrétiennes sur et dans le Socialne peut être efficace que si ces hommes et ces femmes sontguidés par des orientations pastorales qui tiennent compte desréalités, des situations concrètes que vivent les hommes et lesfemmes de notre temps, afin que ce qu'ils vivent concrètement,ayant été assumé par le Christ Rédempteur, soit définitivementsauvé.

Si nous n'accomplissons pas cette réconciliation interne,nous courons le risque de persévérer dans ce paysage detiraillement moral permanent, qui déjà entraîne nombre d'entrenous, d'une manière inexorable, vers de nouvelles formes deprotection. n y a là matière à réflexion. Car la situation estgrave. En effet partout, en Afrique, comme nous pouvons leconstater ici chez nous, de nouveaux cultes sont consacrés à desesprits qui protègent leurs fidèles contre la Sorcellerie, contreles sorciers jeteurs de (mauvais) sorts et autres fusils nocturnes.On voit même des ex-rosicruciens embarrasser ces nouveauxcultes pour se protéger de l'action maléfique et mortifère deleurs anciens confrères.

D'autres, pour y échapper avec certitude, ont recours à dessacrifices rituels voire humains. Ce qu'aucune conscience droitene saurait accepter.

L'heure est venue de chercher à nous réconcilier avec nous­mêmes, avec notre conscience; afin que de la réconciliation nousparvenions au plein épanouissement de notre être total. C'est là

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une condition sine qua non pour que les chrétiens négro­africains deviennent des dignes disciples de Jésus-Christ, fùs deMère Eglise sans cesser d'être des dignes fils de Mère Afrique.Dès lors, ils pourront proclamer sans aucun mensonge «MaterEcclesia et Mater Africa ».

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L'apport de l'Islam dans la prévention des crimesrituels en Afrique centrale

Imam Ismaël OCENI OSSAImam de la Mosquée Hassan II (Libreville) Gabon)

Au nom d'Allah) le Tout Miséricordieux) le Très Miséricordieux.

La vie et la mort, voilà deux réalités à la fois antinomiques etindissociables marquant l'histoire de l'homme et hantant sonquotidien depuis son apparition sur terre jusqu'à nos jours.

Mais la vie est sacrée. Par conséquent, elle doit être protégéeet préservée. C'est ce que prônent et proclament toutes lesinstitutions et les organisations qu'elles soient laïques oureligieuses: « nul n'a le droit d'attenter àla vie d'autrui », tel estle credo de tous.

A une échelle moindre encore, l'homme poussé et dopé pardes croyances superstitieuses et occultes telles la sorcellerie, lamagie etc., s'en prend cyniquement à la vie des autres hommesdans l'espoir d'en tirer un profit matériel, économique, socialou politique. C'est, grosso modo, ce qu'on appelle « crimesrituels ». Le terrain de prédilection où ils se développent defaçon fulgurante se sont les espaces territoriaux marqués pardes crises structurelles.

1. La position de l'islam par rapport au crime rituel

Certes l'islam connaît dans son histoire des situationscaractéristiques de crime rituel, mais d'une part, ces situationsremontent à une période où l'islam n'existait pas et, d'autrepart, ces situations ne furent que des tentatives dont les auteursétaient des hommes pieux qui avaient pris un engagementindéfectible d'offrir à Dieu) en guise d'offrande, un de leur fils sileurs voeux venaient à être exaucés.

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1.1. L'offrande du Patriarche Ibrahim

Le Patriarche Ibrahim avait offert en offrande à Dieu, sonpremier fils Ismael, mais au moment où il voulait exécuterl'enfant, Dieu l'arrêta en lui demandant de substituer un animalà l'enfant.

1.2. L'offrande du grand père du Prophète Abdoul Moutalih

Abdoul Moutalib avait formulé le voeu: si Dieu lui donnaitdix fils atteignant l'âge de la majorité, il en sacrifierait un. Sonsouhait ayant été exaucé, il décida de vouer au sacrifice l'un deses enfants et le sort désigna Abdallah qui se trouvait être lepère du Prophète et l'enfant le plus choyé par Abdoul Moutalib.Cette situation créa un trouble profond chez Abdoul Moutalibqui décida, pour résoudre le dilemme, de consulter un moinequi réussi à faire immoler cent chameaux en lieu et placed'Abdallah, le père du Prophète.

Tous ces deux récits ne furent que des tentatives d'offrandequi ne se sont pas terminés par des sacrifices de vies humaines.Puisqu'ils étaient inspirés par une foi infaillible, le sacrifice deshumains fut remplacé, par la volonté de Dieu, par le sacrificedes bêtes, chose qui ne va pas susciter du point de vue moraltrop d'«indignation.

Du point de vue de l'Islam donc, les crimes rituels résultenttout simplement de l'associationnisme. C'est le charlatanisme etles croyances aveugles qui animent leurs auteurs. Ils pensentpouvoir par ces crimes odieux agir, voir influer sur la marche deleur destin. Ces pensées sont notoirement aux antipodes de lafoi.

2. L'apport de l'Islam dans la prévention des crimes rituels.

Pour aller à la croisade contre les crimes rituels, l'action desautorités appartenant aux confessions religieuses doit se faire

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dans deux directions: l'éducation morale des masses populairesd'une part et, la vulgarisation de la foi, d'autre part. Le tout, enétroite collaboration avec les pouvoirs publics en place.

2.1. L'éducation des masses

L'éducation doit être le premier cheval de bataille àenfourcher pour lutter contre les crimes rituels et ses effetspervers.

2.2. La vulgarisation de la foi

Le remède le plus efficace et dont l'efficacité est durable n'est.autre que l'implantation de la foi en Dieu dans les coeurs desmalfaiteurs. C'est la perte de la foi en Dieu, voire son absencetotale, qui pousse les auteurs de ces crimes à penser que de tellespratiques, aussi occultes qu'obscurantistes, .::ont capablesd'apporter des solutions satisfaisantes aux besoins qui lestourmentent.

Finalement, nous pouvons affirmer que la religionmusulmane condamne sans aucune restriction tous les crimesen général et les crimes rituels en particulier. Les crimes rituelssont doublement condamnables du fait qu'ils sont des crimesde sang d'une part, et qu'ils sont des actes d'associationnismed'autre part.

Les crimes rituels causent des dommages matériels etmoraux à la société. Les érudits venant des différentesconfessions religieuses doivent épauler l'action des autoritéspubliques afin de mener des croisades contre ces crimes.

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Eglises et crimes rituels: cas du Gabon.

Pasteur EMANE MINKO(Gabon)

1. Introduction

Toute vie humaine est sacrée, c'est un postulat divin. Etl'Homme, simple créature de Dieu ne peut remettre cela encause, et encore moins ses pratiques surnaturelles. C'est en celaque l'Eglise, en tant qu'instrument de Dieu, condamne etcombat toute pratique dont l'objet ruinerait ce postulat divin.Cela n'implique pas que l'Eglise occulte la réalité des crimesrituels ou leur récurrence en Occident ou encore en Afriquecentrale dont le Gabon. Non! Il s'agit tout simplement pour ellede rappeler à l'homme que la 'vie tout comme la mort sont aupouvoir de Dieu lui-même. C'est vrai, les pratiques surnaturellespeuvent exercer une influence sur les circonstances de la morten ce qu'elles peuvent modifier, ce qui fait que la mort au lieud'être acceptée comme une volonté de Dieu ou un fait naturel,est souvent appréhendée comme étant l'oeuvre de 1'« ennemid'à-côté». Celui-ci peut être un père, une mère, un frère, unesoeur ou un ami, pour ne citer que ceux-là.

En revanche celui qui prend délibérément la décision dedonner la mort à une personne, en ce substituant ainsi à Dieu,celui-là viole la loi divine qui sacralise la vie humaine et partant,engage sa propre responsabilité devant Dieu. Face à une tellesituation le rôle de l'Eglise va consister donc à enseigner laparole de Dieu non pas forcement à ceux qui se livrent à tellespratiques, mais à toute la création. Ce grand défi demeuretoujours et, pour le relever, l'Eglise ne peut qu'utiliser lesmoyens qui sont les siens à savoir l'évangile de Jésus-Christ.Pour l'homme ordinaire, cet instrument de combat peut s'avérerinefficace en raison de l'ampleur ou des proportions trèsinquiétantes que le mal est en train de prendre, au grand damd'innocentes personnes. Certes, cela peut paraître vrai, mais il

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n'en demeure pas moins vrai que l'évangile est la puissance deDieu pour le salut de quiconque qui croit. D'ailleurs le Seigneurlui-même a dû faire l'objet de tels griefs de la part du peupled'Israël qui trouvait ses méthodes de délivrance beaucoup tropfaibles à l'égard du persécuteur romain. Aussi, la manifestationde cette puissance s'exerce t-elle de manière invisible.

En revanche, s'il y a lieu de repenser quelque chose, c'estpeut être le système de travail à partir duquel sont mises enmouvement les actions de l'Eglise contre les crimes rituels. Ledéroulement de ces actions peut présenter quelquesinsuffisances ou limites, il convient donc d'en trouver lespalliatifs afin qu'en définitive, un plus grand nombre d'enfantsde Dieu puissent accéder au message que l'évangile de Jésus­Christ nous donne, au sujet de la sacralité de la vie humaine.Sous ce rapport la question à soulever ici est donc de savoirquelles sont les différentes actions qui peuvent être inscrites àl'actif de notre Eglise, dans la lutte contre les crimes rituels etleurs effets subséquents? Il s'agit donc de caractériser l'action del'Eglise contre la mort mystique, même si quelquesréaménagements peuvent se révéler nécessaires. De cetteprécision il ressort que les développements qui vont suivreferont l'objet d'une thèse et d'une anti-thèse, le tout organisé endeux grandes parties.

2. Les actions de l'Eglise contre les crimes rituels se résumententre autres à la prédication et l'exhortation.

C'est par le moyen de la prédication que souvent l'Eglise estamenée à lutter contre tout ce qui n'honore pas Dieu ou sepratique en violation de sa loi et, les crimes rituels en fontparties. Il est à faire rappeler que Dieu lui-même condamne avecfermeté toute mort de l'homme par l'homme. Cet interdit peutêtre vérifié dans le cinquième commandement de Dieu lequeldit: « tu ne tueras point ». Ce message est sans cesse donné auxpeuples de Dieu, il constitue même l'un des points saillants dela prédication. Par conséquent, celui qui supprimeintentionnellement une vie humaine transgresse de ce fait la loi

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divine qui prohibe un tel acte. Le rôle de l'Eglise face à cetteviolation consiste donc à rappeler aux enfants de Dieu le dangerqu'ils courent en se livrant à de telles pratiques. On comprenddés lors que le principal moyen de lutte dont dispose l'Eglisecontre les crimes rituels soit la sainte parole de Dieu et, celfe-ciest souvent annoncée à l'intérieur du corps même de Jésus­Christ que Constitue l'Eglise.

En l'espèce, le message qui est ainsi donné vise à présenteraux peuples de Dieu, toutes les conséquences qui pourraients'abattre sur celui ou celle qui tue, quelque soit le mobileinvoqué. Aussi, le prédicateur ne manque pas de présenter untel individu comme quelqu'un qui est possédé par un espritdiabolique ou satanique, c'est-à-dire quelqu'un qui fait desoeuvre ténébreuses. Tout sacrifice qui consiste à mettre unterme à la vie d'autrui se révèle négatif d'autant qu'un tel acteocculte le véritable sens du sacrifice donné par Dieu lui-même àtravers l'Anèêtre Abraham avec son fùs Isaac.

Pour la petite histoire, Dieu avait demandé à Abraham de luidonner son fils Isaac en sacrifice ce que l'Ancêtre voulut fairespontanément. Mais au moment où il s'apprêtait à exécuter sonfùs unique, Dieu l'arrêta et lui donna un bélier en lieu et placed'Isaac (Genèse 22 1-14). Donc celui qui craint Dieu doit savoirque le sacrifice humain est prohibé par Dieu lui-même. C'esttout le sens de l'acte symbolique que constitue l'échange d'Isaacpar un animal. En effet, à travers cet acte, Dieu a voulu montrerque la notion de sacrifice doit s'entendre en un égorgementd'un animal et non une personne. C'est ce message que l'Eglises'évertue à donner à chaque enfant de Dieu, en s'appuyant bienentendu sur l'exemple d'Abraham et le bélier. Ainsi, tous ceux ettoutes celles qui font des sacrifices humains commettent unpéché et ils répondront certainement de leurs actes auprès del'Eternel. Le rôle de l'Eglise face à ce péché, on ne le dira jamaisassez, peut se résumer en deux choses: montrer aux hommes lesvoies de Dieu, notamment, le respect de la vie d'autrui: lesmontrer toutes les conséquences susceptibles d'assortir leurégarement ou leur transgression. En outre, suivre les voies deDieu consiste à marcher dans sa lumière c'est-à-dire la vérité.

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Car celui qui vit dans la vérité de Dieu ne peut avoir le couragede supprimer une vie humaine, propriété privée de Dieu.Enseigner aux hommes la crainte de Dieu constitue pourl'Eglise un puissant moyen à même de lutter contre toute sortede péché en l'occurrence les crimes rituels. Cette approche opèreun travail de fond dans la conscience des gens et, c'est l'une desmissions de l'Eglise. Celui qui ne craint pas Dieu ne peut pas luiêtre agréable.

En outre la prédication, l'exhortation est l'acte par lequel leprédicateur appelle les enfants de Dieu à ne poser que des actessanctifiants. Or, celui qui commet un crime ne peut pasbénéficier de la sanctification que nous procurent la vérité,l'amour, le pardon, la crainte de l'Eternel, le respect du caractèresacré de la vie humaine, etc. Notons que le rappel de ces valeursou fruits de l'esprit à chaque culte, constitue aussi un puissantmoyen de lutter contre tout esprit de meurtre, source de crimefut-il rituel ou non. li y a également la prière en tant que moyende communication avec Dieu. La prière de l'Eglise vers Dieuconsiste à lui demander de toucher les coeurs de ceux qui selivrent encore à de pratiques surnaturelles tels que les crimesrituels afin que cela puisse être abandonné. C'est un Dieud'amour et de pardon, l'espérance de l'Eglise est qu'il finira pardélivrer ses enfants quoique meurtriers, du pouvoir des ténèbreset les transporter dans le royaume de son fils Jésus-Christ notreSauveur et Seigneur en qui nous avons la rédemption dans lesang et la rémission des péchés

Par ailleurs, notre Eglise voit comme un autre moyen delutte contre les crimes rituels, les efforts que consent l'EtatGabonais en vue d'éradiquer le phénomène des crimes rituelssont à saluer ici. Et qui était devenu urgent que leGouvernement prenne en main, ce problème de mort mystiqueafin de contribuer à ce que de telles pratiques soient totalementextirpées des moeurs gabonaises. La preuve de la volontégouvernementale est ainsi apportée par la convocation d'uneréunion de concertation sur des crimes atroces qui venaient dese produire dans la capitale, à savoir, la découverte macabre surl'une de nos plages des corps sans vie de deux jeunes écoliers.

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Cette réunion tenue le 18 mars 2005, avait vu la participation deplusieurs agences des Nations Unies accréditées dans notrepays. En convoquant cette réunion, l'Etat gabonais a voulumanifester sa solidarité envers les familles des victimes, tout enaffirmant son attachement indéfectible aux valeurs cardinalesque nous enseigne notre Père céleste à travers les deux religionsrévélées c'est-à-dire l'Islam et le Christianisme. Il fautreconnaître que l'initiative prise par le Chef de l'Etat enconvoquant la réunion sus rappelée, constitue à mon humbleavis, un puissant moyen pour lutter efficacement contre lespectre des crimes rituels qui semble prendre racine avec aisedans nos sociétés notamment à l'approche de grandes échéancespolitiques comme l'ont si bien relevé les participants à laréunion du 18 mars 2005. Il est de toute évidence que lesauteurs de ces atrocités ne peuvent pas compter sur laprotection de l'Etat du moins tant que nous aurons à sa tête lePrésident Bongo ONDIMBA, c'est ma conviction.

En revanche, l'Eglise ne doit pas se limiter à jouer un rôlequi soit simplement passif. Elle doit aller au-delà de sesfrontières ou ses installations, envisager de nouvelles approches,pour enseigner à tout être humain l'importance que Dieuaccorde à la vie de chaque homme.

3. L'Eglise se doit d'adopter de nouvelles approches beaucoupplus actives en vue de lutter efficacement contre les crimesrituels

Il faut avouer ici que, la circonscription dans l'Eglise del'essentiel de la parole de Dieu n'est pas de nature à rendreefficace l'action des chefs religieux contre les crimes rituels. Ildevient donc urgent pour l'Eglise d'entrevoir d'autres moyensd'action pouvant lui permettre d'atteindre facilement lescouches sociales les plus exposées à la grande tentation que sontles rites.

S'il demeure constant que la parole de Dieu constitue le seulmoyen dont disposent les chefs religieux pour lutter contre les

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crimes rituels et leurs suites, il est aussi constant que, pour êtreefficace, cette même parole doit pouvoir être prêchée à ceux-làqui ont fait du crime humain, un facteur ou un moyen deréussite sociale, etc. En effet, tout être humain réfléchi sait quel'Eglise est la maison du Dieu vivant, par conséquent il devientdonc difficile pour celui qui à tué de pouvoir s'y rendre parceque habité par un sentiment de culpabilité, celui d'avoirintentionnellement supprimé la vie d'autrui. C'est un forfait quiva davantage éloigner celui qui a tué de la maison de Dieu,d'autant qu'il est établi sur lui la qualité d'auteur et de crimineldevant les hommes et devant Dieu. Certains diront que souvent,il y a des serviteurs de Dieu qui vont jusque dans les maisonsd'arrêt pour annoncer la parole de Dieu aux détenus. Mais nousdevons aussi à la vérité de reconnaître qu'avec les temps quicourent, il y a plus de criminels potentiels c'est-à-dire despersonnes dont la probabilité de tuer est plus qu'évidente et,ceux-là, sont libres de tout crime. C'est la raison pour laquelle laprédication ne doit plus être faite seulement dans les maisonsd'arrêt, il faut qu'elle atteigne toutes les couches sociales.

Dès lors, pour annoncer l'évangile, l'Eglise doit davantagesortir de ses installations traditionnelles pour aller à larencontre des personnes qui, de manière consciente ouinconsciente, demeurent encore sous le joug du péché. Cefaisant, les médias peuvent constituer un moyen utilisable delutte contre la criminalité sous toutes ses formes En tout état decause, le salaire du péché c'est la mort et puisque supprimer lavie d'autrui est un péché, l'auteur de cette suppression finira parmourir, lui aussi car c'est la conséquence logique de son acte.Pour que ce message soit reçu par tout le monde, il devient alorsimpératif que l'Eglise puisse davantage faire usage des moyensde communication modernes et beaucoup plus à même depermettre le rapprochement entre l'Eglise et les populationscibles c'est-à-dire des personnes susceptibles de succomber à latentation des crimes rituels. C'est le cas des charlatans et deceux qui adorent la promotion facile. En fait, ces sacrificesrituels trouvent leurs origines dans les ambitions politiques ouprofessionnelles nourries par certains individus. II s'agit d'unpacte que signent une ou plusieurs personnes avec une ou

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plusieurs autres, afin de faire ou de ne pas faire telle ou tellechose, par exemple éliminer physiquement une personne. Ilpeut s'agir d'un être chère ou non. Que doit faire l'Eglise devantune telle situation ? En effet, elle doit briser toute frontière laséparant des milieux où ces crimes rituels se réalisent tell'Apôtre Paul à Rome ou à Athènes pour proclamer l'évangile deJésus-Christ au sein de ces peuples idolâtres et féticheurs.Toutefois, cet effort est observable certes, mais c'est safréquence qui en fait défaut. Peut-on parler de l'éradication descrimes rituels? Oui! Cela peut être possible à la seule conditionque tout le monde soit né de nouveau et respecte toutes lesordonnances ( de Dieu. Aussi, l'Eglise et la société doivent -elles,à chaque fois qu'il y ait de besoin, manifester leur solidarité ouleur compassion active à l'endroit des familles victimes de cescrimes. Ceci donnerait de très grands remords à ceux qui ensont les auteurs, de telle sorte qu'ils puissent voir eux-mêmes ladésolation ou l'émoi que créent leurs actes barbares. Nouspensons qu'il s'agit là aussi de puissants moyens utilisablespour lutter contre les crimes rituels.

Cependant, il est à faire observer en définitive que, ce n'est nipar la force ni par la puissance des hommes que la solution à ceproblème pourrait être trouvée. Il faudrait que le Saint Espritlui-même agisse afin de toucher les coeurs encore habités par unesprit d'incrédulité en vue de leur transformation, pour quetoute la gloire et tout l'honneur reviennent à notre SeigneurJésus-Christ.

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Les outils utilisés et utilisables par les confessionsreligieuses Mricaines et associations initiatiques

zande bandia, dans la lutte contre les crimes rituelsen Républiques Centrafricaine

Jérémie MOPILI(RCA)

1. Introduction

Les crimes rituels atroces ne cessent de se produire de nosjours en Afrique Centrale. Cette situation triste et douloureuseconstitue un blocage dans le processus d'instauration de laconcorde et d'une paix durable dans le contexte socio - politico ­culturel par les Agences des Nations Unis, la Société civile, lesjuristes et les confessions religieuses.

Au cours de ce Colloque, nous allons retracer globalementles outils utilisés et utilisables par les confessions religieusesCentrafricaines et les associations initiatiques ZANDEBANDIA (Est de la RCA), dans la lutte contre les crimes rituelsen République Centrafricaine...

Il convient de noter au premier abord qu'il y a troisprincipales religions en République Centrafricaine: leCatholicisme, le Protestantisme et la religion musulmane(l'Islam). On note également la présence des cultestraditionnels et Associations initiatiques pratiqués en majoritépar les tribus des ZANDE BANDIA vers l'Est de la RCA. Cesreligions et Associations traditionnels ont des points communset certaines divergences liées à des dogmes spécifiques. Lespoints communs positifs de ces religions sont les suivants:

Croyance en un Dieu ou Allah (pour les musulmans) considérécomme le créateur de l'univers, omniscient, omnipotent etomniprésent;L'amour du procain ;

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Considérer la Bible ou le Coran comme la parole de Dieu ouAllah;La lecture quotidienne de la Bible ou le Coran permet deconnaître la sagesse et l'instruction.

Les associations initiatiques ou les cultes traditionnels de latribu des ZANDE BANDIA prônent également l'amour duprochain et la croyance à un dieu tout puissant qu'ils appellent«YANDA» ou« NGAKOLA ».

Ainsi nous allons passer en revue les principaux outilsutilisés et utilisables par ces confessions religieuses etassociations initiatiques dans la lutte contre les crimes rituelsen RCA, en nous appuyant sur des exemples concrets quipermettront aux participants à ce colloque de saisir laquintessence de cette communication.

2. La Bible, les prédications et les évangélisations

La BIBLE est considérée par le Christianisme comme étant laparole écrite de Dieu et destinée aux hommes. La BIBLE ou leCoran font connaître les manières d'agir de Dieu envers leshommes. Elles révèlent ceux-ci, ce qui arrive lorsque lesindividus ou des nations écoutent la parole de Dieu(sesconseils) et agissent en harmonie avec son dessein ou bienlorsqu'ils transgressent les commandements de Dieu et viventen disharmonie entre eux et avec Dieu.

De ce point de vue, la Bible constitue un outil importantdans la lutte contre les crimes rituels. En effet, celle-cicondamne le pagaIÙsme (idolâtrie), la magie (occultisme) etles crimes sous toutes ses formes et prêche plutôt l'amourinconditionnel de Dieu et du prochain. (Exode 20 :13: «tu netueras point» des 10 commandements de Moïse) et (Jean13 :34 : « Aimez-vous les uns les autres»).

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C'est ainsi qu'en RCA, la Bible, les. prédications etl'évangélisation furent les premiers outils utilisés par lespremiers missionnaires et prêtres et permettaient à un grandsnombre de sorciers, idolâtres et adeptes attitrés des crimesrituels de se confesser devant un Ecclésiastique, en dénonçanttout ce qu'ils ont commis comme péchés voir même endénombrant avec précision les hommes ou femmes qu'ils onttués en utilisant des méthodes occultes. Après la confession, cesgrands sorciers mettent à la disposition des Prêtres tous lesobjets et matériels utilisés pour accomplir leurs forfaits. Cesobjets sont par la suite détruits et brûlés. Notons que lesprédications et l'évangélisation permettent aux confessionsreligieuses, non seulement de faire convertir les auteurs descrimes rituels, mais elles permettent également à ceux quicroient en Dieu d'avoir confiance en lui. Celui-ci deviendra lesoutient de leur vie, et par ce fait, un rempart avéré contre lessorciers et auteurs de crimes rituels. (Psaumes 27 :1-3: L'Eternelest le soutien de ma vie. De qui aurais-je peurs ?).

2. Les conférences religieuses

Les Conférences religieuses contribuent aussi à la luttecontre les crimes rituels dans les temps modernes. En effet, dèsque l'occasion le permet, des conférences sont organisées pardes chercheurs-théologiens en vue de sensibiliser les chrétiens etles responsables religieux sur les voies et moyens d'enrayer lescrimes qui sévissent dans le monde en utilisant comme outils laprière et le jeûne. Notons que les prières sont des proposemprunts de vénération que l'on adresse à voix haute oumentalement au vrai Dieu ou à de faux dieu. Une prière pourêtre exaucée doit répondre à deux critères:

Observer les commandements de Dieu;Pratiquer ce qui estagréable à sesyeux ( lJean 3 :22).

Le Jeûne constitue, cette méthode de prière utilisée parcettaines confessions religieuse qui consiste, pour un sujetdonné de prière, à se priver de nourriture et parfois de l'eau

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pendant un ou plusieurs jours afin de vaquer à la prière. Onreçoit souvent la réponse à sa prière après un jeûne individuelou collectif.

3-Les recherches par des étudiants en théologie sur la luttecontre les crimes rituels.

Vue la gravité et l'impact négatif des crimes rituels dans lavie socio-culturelle en RCA, certains étudiants de la Faculté deThéologie Evangélique de Bangui en abrégé FATEB, choisissentcomme thème de mémoire tout ce qui peut enfreindre à lavulgarisation de la parole de Dieu (les crimes, les conflitspolitiques et ethniques, les conflits religieux etc...).

4-Lesmedia

Les médias (la radio, télévision..) Participent efficacement aucombat contre les crimes rituels. Par exemple, il y a quelquesannées le Pasteur Américain BILLY GRAHAM a fait une grandecroisade d'évangélisation, sur le plan mondial à la télévision, surplusieurs thèmes dont «Les crimes et la sorcellerie).

5- Les chants religieux

Certains chants religieux enregistrés ou non sur CD-ROMsensibilisent mieux sur les pratiques de la sorcelleriedébouchant sur des crimes rituels.

6- Apport des associations initiatiques dans la lutte contre lescrimes rituels

Il existe en RCA, des associations initiatiques à caractèrereligieux, crées par les ZANDE BANDIA, une ethnie majoritairede l'Est de la RCA. Une association de ce genre est dirigée par unMaître religieux qu'on appelle parfois «Prophète ». Cesprophètes dit-on, reçoivent initialement une vision et un donparticulier (prière, guérison, voyance, etc..) à la suite d'une période

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de jeûne de plus d'un mois sur une montagne très élevé. Ils sontdonc capables lors d'une veillée de prière, de dénoncer lessorciers et ceux qui commettent des crimes rituels dans levillage. Les jours suivants une campagne spirituelle deconfession est organisée au cours de laquelle les pêcheurs,sorciers et auteurs de crimes se confessent. Le Prophète et sesdisciples les font convertir par des incantations et conjurations,après avoir détruit ou brûlé leurs produits mystiques. Chez lesZANDE BANDIA, les associations initiatiques suivantes sontrès réputées:

LeYANDA,LeSIOLOLe NZAPA ZANDELeDALIKA

7. Conclusion

En RCA les confessions religieuses et les aSSOCIatIOnsinitiatiques ne ménagent pas leur effort pour participerefficacement et spirituellement à la lutte contre les crimesrituels en utilisant des outils très variés selon les types dereligion ou cultes traditionnels. Nous souhaiterions que cettecommunication leur ouvre une porte à la recherche constantedes voies et moyens qui pourront leur permettre de lutterefficacement contre ce fléau.

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Esquisse de solutions proposées par les confessionsreligieuses et les associations initiatiques dans la

lutte contre les Crimes Rituels en Afrique Centrale

Révérend Dr. Jean-Emile NGUESecrétaire Général du Conseil des Eglises Protestantes du Cameroun

(CEPCA) (Cameroun)

1. Introduction

Je pense que les confessions religieuses sont confrontées audilemme de la violence dans la Bible. Après une clarification dela volonté réelle de Dieu pour pour Ses Créatures et SaCréation, nous dégagerons des pistes, des solutions utilisés etutilisables par les Eglises dans la lutte contre les crimes rituelsen Afrique Centrale. Par ailleurs, après une étude basée surl'impact socio-culturel du NGE et les MBOMBOG chez lesBassa (tribu Cameroun), une réflexion sera menée pour dégagerl'aspect du respect de la vie comme facteur d'Harmonie et dePaix en Afrique Centrale.

2. Outils utilisés et utilisables par les confessions religieusesdans la lutte contre les crimes rituels en Afrique centrale.

La religion est l'essence même de l'Etre africain. Elle a jouéun rôle stabilisateur et d'harmonie dans les communautésafricaines. On note, cependant, que depuis des millénaires, ontrouve en Afrique certaines religions qui pratiquent les crimesrituels soit pour satisfaire la volonté d'une divinité ou pouracquérir un pouvoir mystérieux après une dure initiation. Sidans le passé ces crimes rituels étaient fondés, organisés etplanifiés dans la tribu Basaa (Cameroun), aujourd'hui dans uncontexte de globalisation caractérisé par le matérialisme, lesAfricains et les Africaines cherchent tous les voies et moyenspour s'enrichir, accéder aux postes de responsabilité et exercerun pouvoir incontesté sur leurs frères, leurs sœurs et leursenfants. A cet égard, au nom des religions des crimes rituels

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sont commis en Mrique et les victimes se comptent de plus enplus nombreuses en Afrique centrale.

2.1. La notion de violence et de sacrifice dans la bible

Le problème du crime rituel met en exergue le problème dela violence. Dans l'Ancien Testament, il y a plusieurs textes quinous donnent des sueurs froides quant au nombre despersonnes qui sont tuées par des guerres, la déportation, ladésobéissance à la volonté de Dieu, des conflits familiaux etc...Dans Genèse 4, Abel est tué par son frère Caïn. Dans Genèse 22,Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils unique.Heureusement qu'il finit Lui-même par pourvoir un bélier pourépargner Isaac. Ce texte nous montre clairement que Dieu estcontre la pratique des sacrifices humains dans les rites qui sontdestinés à son adoration.

Dans ce sens, le sacrifice de Jésus sur la croix pose desproblèmes d'ordre herméneutique. Le sacrifice de Jésus-Christsur la croix est l'exemple suprême d'un sacrifice humainaccompli pour le salut de l'humanité. Nous ne pouvons pasétaler toutes les hypothèses avancées par les théologiensorthodoxes et les théologiens hérétiques face à ce sacrifice. Nousnotons tout de même qu'il y a eu certaines interprétations sur lesacrifice de Jésus:

a) Certains théologiens pensent que Dieu ne peut pasmourir; ce n'est donc pas Jésus qui est mort sur la croixmais c'est son sosie.

b) Pour d'autres, Jésus avait été enlevé de la croix par sesdisciples avant sa mort.

c) Un autre courant parle de l'évanouissement de Jésus surla croix.

d) La position orthodoxe affirme bel et bien que le fils deDieu est mort sur la croix.

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Dans son article intitulé Jésus est-il mort? Jean Ruff fait lesobservations suivantes: «le sacrifice de Christ comme rançonn'est pas possible. Etant donné que la rançon est le prix payépour délivrer un prisonnier, Dieu ne pouvait pas payer larançon au Diable comme on le croyait au Moyen-Age ».

Pour lui, le sacrifice de Christ comme expiation pour apaiserla colère de Dieu ne le satisfait non plus. Il apprécie plutôtl'idée du sacrifice de Christ comme propitiation, parce qu'icic'est faire sacrifice pour rendre un culte à Dieu.

La question demeure: Fallait-il un sacrifice sanglant pour lesalut de l'humanité? Ruff déclare que Jésus ne s'est pas sacrifiépour nos péchés mais à cause du mal qui est dans le monde. Anotre avis, le sacrifice de Jésus englobe les deux aspects. Ceci estclair dans le texte de Matthieu 26: 2 « ...Car ceci est mon sang,le sang de l'alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour lepardon des péchés».

Un jour, lors d'un entretien avec un prisonnier, il m'a posé laquestion suivante: Monsieur le Pastel1r, pensez-vous que lessoldats romains pouvaient arrêter Jésus et le tuer si sesdisciples étaient tous armés? Le problème de la violence dans laBible nous fait comprendre d'une manière générale l'humanitédes héros de Dieu, la faiblesse d'une communauté et lesexigences d'un Dieu d'Amour et Jaloux envers sa créature. LeNouveau Testament est une réponse valable à la violence del'Ancien Testament par le sacrifice suprême de Jésus-Christ. Cesacrifice nous montre clairement que Dieu a changé depolitique et que désormais à travers Jésus-Christ, tout estaccompli. Aucun autre sacrifice n'est nécessaire pour rendre lavie de la personne humaine vivable sur le plan psychologique,moral, économique et spirituel. Par le sacrifice de Jésus-Christ lefragmenté devient entier, le déprimé est consolé, le malade estguéri et même le criminel est pardonné. Dans le sacrifice deJésus, il est à la fois celui qui s'offre et le sacrifié. Par ailleurs,l'épître aux Hébreux compare l'Ancienne Alliance, ou lesouverain sacrificateur devait régulièrement offrir des sacrifices

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pour ses péchés et ceux du peuple, à la Nouvelle Alliance, ou lesacrifice de Jésus réalise ce don du ciel une fois pour toutes.

Jésus s'est donc volontairement offert comme sacrifice poursauver l'Humanité entière.

En conclusion, aucune religion ne peut prétendre offrir aunom de Dieu un sacrifice humain pour apporter un bonheur,une prospérité individuelle ou communautaire. Les crimesrituels sont donc condamnés par les Eglises Protestantes issuesde la Réforme du XVIe siècle.

2.2. Solutions proposées par les églises contre les crimes rituels.

D'une manière générale, la stratégie de prévention descrimes rituels et des conflits employée par l'Eglise se fonde surEphésiens 6; 10-19."; l'utilisation des armes spirituelles duChrétien.

Organisation des enseignements et études bibliques envue d'encourager les fidèles à connaître la Parole deDieu qui est la vérité et qui seule peut les mettre à l'abride faux prédicateurs;

Les Confessions religieuses peuvent organiser descampagnes d'évangélisation, des croisades et desconventions pour véhiculer la volonté de Dieu sur lescrimes rituels;

Des séances de délivrance doivent être organisées pouraider ceux qui ont été des adeptes de ces cercles d'ensortir. Pour ces cas, on doit procéder à la cure d'âmesérieuse;

Diffusion des Bandes dessinées et supports audiovisuels pour montrer aux enfants d'éviter la violence etles mettre en garde contre les tactiques des perpetreursdes crimes rituels;

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Utiliser les nouvelles technologies de l'information etde la communication pour sensibiliser les populationscontre les crimes rituels: vidéo, Internet,documentaire... ;

Organisation des causeries-débats avec les associations desjeunes, des femmes et des hommes des Eglises sur lasensibilisation dans la lutte contre les crimes rituels avec destextes bibliques de référence; exemple: le meurtre d'Abel parCaïn. Exploitation des textes qui condamnent le versement desang dans la Bible. Il faut remarquer que l'Ancien Testament asa base culturelle en Afrique si nous nous référons au cas del'Egypte où le roi avait le droit de vie ou de mort sur sapopulation. Aujourd'hui nous sommes au temps de la grâce etnous devons être sensibles au cri de l'autre.

Toutes les Eglises doivent avoir des cellules decommunication, des radios FM où sont diffusés les messagespoignants pour atteindre les cibles.

Le suivi spirituel des âmes pour instruire et encourager leschrétiens dans la foi et la vérité qui est la Parole de Dieu:des exercices d'affermissement spirituel leur permettantd'éviter le piège et les attraits des discours humanistes etséducteurs des fausses religions.

Diffusion des affichages et publicité contre les crimesrituels dans les lieux et les médias publics et privés.

Réintroduire dans le programme scolaire de l'école primairela morale.

Former les petits groupes avec objectifs preCIS pouratteindre l'Afrique profonde (villages) dans la lutte contreles crimes rituels.

Les responsables religieux doivent ecnre des lettrespastorales pour montrer clairement la position de l'Egliseface au fléau des crimes rituels.

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Toutes les communautés de foi (musulman, catholique,protestant) doivent renforcer le dialogue inter-religieuxdans la lutte contre les crimes rituels.

Le mot religion vient du verbe relier. Chaque religion aquatre aspects: la révélation, l'écriture, la tradition, le rituel. Lebut de la religion est d'apporter la paix, la guérison, le salutpersonnel et collectif. La religion est là pour mettre de l'ordredans le monde et si nous embrassons cette vision, nous pouvonsapporter la paix dans le monde. L'amour et la justice sont lesvaleurs universelles qu'on trouve dans toutes les religions.

Toutes les religions peuvent organiser ensemble des rituelspour la paix pour lutter contre les crimes rituels. Ces rituelsseront basés sur la prière, le partage et la méditation deslivres sacrés, les sacrements, les rituels africains sur lepardon et la réconciliation.

3. L'impact socioculturel du nge et de mbombog chez les basaa(Cameroun)

3.1. Le peuple basaa

* OrigineSelon Eugène Wonyu «le Noir Basaa du Cameroun vient de

l'Egypte, c'est le descendant rebelle d'un fils d'Israël, Melek quirefusa d'être conduit par Moïse au moment de la sortied'Egypte, parce qu'il était très lié à la culture égyptienne, etlequel craignait les représailles, après le cataclysme de la merRouge, s'enfuit avec son petit monde, et remontant le cours duNil, traversa l'Afrique par les grands lacs et se trouve finalementdans ce qu'on appela au Moyen âge l'empire du BomuKanem })44. Après l'Egypte, les Basaa se sont installés dans laGrotte de Ngog Lituba. Ngog Lituba est considéré pour le

44 E. Wonyu «l'Histoire des Basaa du Cameroun de l'Egypte des Pharaons ànos jours p. 11.

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peuple Basaa comme un lieu mystérieux doté d'un pouvoirmystique. Selon le Révérend Mesack Pock, pendant la guerre, ilsuffisait d'y pénétrer après avoir invoqué les ancêtres, l'onressortait blindé, aucune balle, aucune machette ne pouvaitavoir raison de vous, c'est pourquoi les guerres étaient toujoursremportées.

Ce rocher percé était notre indicateur du temps, à cet effet, ilémettait des bruits à savoir: des sons des tam-tams, destambours, des chants des femmes, des coqs. Ces bruits avaientlieu quand un événement malheureux devait se produire, lamort d'un dignitaire par exemple.

Parfois au sommet de ce rocher, on trouvait des arachidesséchées, des poissons cuits attachés dans les paquets, ces signesannonçaient la bonne récolte.

Le caractère sacré de Ngog Lituba exigeait qu'on passe parun rite avant d'être autorisé d'y entrer. Tous ceux qui ont osébraver les interdits se sont vus foudroyés, c'est ainsi que certainsétrangers (missionnaires blancs) voulant pénétrer à tout prix lemystère, y ont trouvé la mort.

Le Père Pernot en 1936 tua un python qui était sorti durocher avec son fusil, le python se coupa en deux, ce quientraîna la mort de ce dernier, le jour de son enterrement, il semétamorphosa en abeille.

. Ngog Lituba demeure aujourd'hui un lieu de pèlerinagepour le peuple Basaa et les chrétiens de l'Eglise Catholique.

* Explication du nom B:i.saaSelon Eugène Wonyu, c'est le mauvais partage d'un serpent

entre les frères qni aurait donné au mot Basaa dont le singulierest «nsa ». Ecrit de cette façon, le mot désigne le ravisseur,l'accapareur.

D'Une manière générale, au Cameroun on considèrel'homme Basaa comme une personne courageuse, nationaliste,rebelle. C'est ce peuple qui a lutté pour l'indépendance duCamenmn.

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3.2. Le contexte religieux

3.2.1. Le Ngé: la divinité suprême

Le Basaa croit à un Dieu Suprême qu'on appelle Hilôlômbi.Hilôlômbi est assisté par les divinités, les ancêtres qui sont desesprits des parents morts. Notons cependant que ce sontseulement ceux qui sont morts après avoir mené une viehonnête qui deviennent ancêtres. Des esprits des méchantserrent et nuisent à la communauté. Au niveau des divinités, ladivinité suprême est le Ngé. Le ngé divinité, est une force quirend certains oracles, fait respecter l'ordre et le respect mutueldans le village. « Le Ngé est une divinité dont la vraie nature n'aété révélée qu'aux vieux Basaa »45.

Nous nous inspirons de l'étude de Mesack Pock pour vousdonner les différents attributs de Ngé:

Ngé comme fétiche - Ngé comme génie - Ngé comme force ­Ngé comme divinité - Ngé comme société - Ngé comme ancêtre ­Ngé comme initiation. Tous ceux qui sont initiés au Ngéforment une confrérie et l'initié s'appelle Ngéngé.3.2.2. Les étapes de l'initiation de Ngé

1) L'acceptation de suivre l'initiation: Ici, on consulte lengambi «l'araignée»' qui révèle si les intentions dupostulant sont pures pour suivre l'initiation. Après cetteétape, le postulant doit se préparer pour le sacre après unelongue période d'observation.

2) Le sacre: Dans une première phase, le postulant doit subirdes épreuves dans la forêt. s'il ne réussit pas à ces épreuves,il est ligoté et tué sur-le-champ. Si le postulant brave cesépreuves, il doit offrir les sacrifices.

4S F. Amato, cit. par Mesack Pock dans Impact socio-culturel du Ngé chezles Basaa face à l'éthique chrétienne. Thèse de doctorat en théologienovembre 2001.

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3) Sacrifice: li s'agit de sacrifices d'animaux domestiques etd'un sacrifice humain, celui d'un membre cher de la famille.Dans la plupart des cas, c'est la mère qui était sacrifiée. Sicette dernière est morte, on devrait sacrifier l'épouse la plusaimée. Le neuvième jour des festivités, son sang, son cerveauet certaines parties de son corps, mélangés à ceux desdifférents animaux immolés entraient dans la préparationdu Nsô et Sôya (poison et antidote) ainsi des diversespoudres médicinales dont se servaient le ngéngé pour traiterles malades. Ce breuvage sera le premier remède que leNgéngé donne à tout malade qui viendra vers lui pour sefaire soigner du poison. Mesack Pock fait remarquer que lesacrifice de la mère, une innocente était la preuve que lescondamnations que Ngéngé aurait à prononcer relèvent del'intérêt commun et supérieur de la société tout entière.Pour l'Abbé Nyom, pour faire partie du groupe Ngé, ondevait naguère tuer une ou deux personnes de sa proprefamille, déterrer les cadavres46

• Après l'initiation, le Ngéngédevenait un savant par sa formation qui durait plusieursannées (formation médecine traditionnelle, sorcellerie,pharmacopée, sociologie de son milieu etc).

En résumé, nous sommes d'accord avec Mesack Pock que leBasaa ne pose pas l'acte sacrificiel gratuitement, il ne le fait quepour rétablir la santé, la paix, obtenir le pouvoir et améliorer lesliens entre les vivants et les morts. Et nous dirons comme J.Mbiti : « li convient de maintenir un équilibre entre les hommeset Dieu entre les esprits et l'homme, entre les défunts et lesvivants. Lorsque cet équilibre est rompu, les gens sont victimesdes malheurs et des souffrances ou craignent d'y succomber. Lacélébration du sacrifice et d'offrande est un moyenpsychologique destiné à redresser cet équilibre, il faut voir encela une occasion d'établir et de renouer le contrat entre Dieu etl'homme, entre les esprits et l'homme, c'est-à-dire, entre lemonde spirituel et le monde physique ".47

46 B. Nyom : La Tribu des Bakoko, Librairie coloniale et orientale, 1929, p.12.47 J. Mbitti, African Religions and Philsophy op. cit. p. 70.

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3.3. Les Babombog

Le terme mbombog est composé de deux mots: mbom quisignifie le front, et mbog qui signifie l'univers. Le Mbombog estconsidéré comme le prêtre traditionnel au peuple Basaa. Dans lacommunauté, il joue le rôle de juge et celui qui maintientl'harmonie dans la communauté. Il est le lien entre le mondevisible et le monde invisible. Le Mbombog est un meneurd'hommes et un rassembleur. Le Mbombog qui subit uneinitiation est choisi par son clan pour devenir mbombog. D'unemanière générale, la succession se fait dans la lignée familiale.De ce fait, il est en harmonie avec sa communauté. Le Mbombogdoit respecter scrupuleusement les lois et règlements du mbog. Ilest le garant de l'harmonie et de la paix sociale dans sacommunauté et auprès des autorités administratives. LeMbombog a le pouvoir de bénir ou de maudire, il est l'éducateurattitré de sa population. Le Mbombog dirige les cérémoniesfunèbres de sa localité.

Un Mbombog est donc un homme de qualité. Lors de leurdernier Congrès de Juin 2005 à Mandjack, localité Basaa lesMbombog se sont définis eux-mêmes ainsi:

Le Mbombog ne tue pas. Il ne déterre pas les personnes; il nedoit pas avoir peur de dire la vérité; il ne doit pas voler; il nedoit pas mentir; il ne doit pas être soûlard '" C'est un sage. Sonautorité n'est pas une tyrannie. Surtout, on doit retenir que c'estun homme de parole. Pour résumer le Mbombog est le prêtretraditionnel dans la religion des Basaa. Il joue aussi le rôle dejuge. Les Babombog sont constitués en Conseil. Le Ngengé siègeau conseil des Bambobog.

4. Analyse de la situation traditionnelle des sociétésinitiatiques du Ngé et des Babombog par rapport aux crimesrituels

Il faut noter que dans la société initiatique des Ngé, lesacrifice humain est demandé à ceux qui veulent atteindre le

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stade final de la sagesse et de la maîtrise du cosmos. Par ailleurs,on comptait les ngengé au bout des doigts. lis n'étaient pasnombreux. Néanmoins, s'il est vrai que la vénération de Ngéconfère à la société Basaa, une vision du monde qui produitl'harmonie, la protection contre les sorciers, la guérison desmaladies surnaturelles, il reste inconcevable d'accepter lesacrifice humain et la manipulation des ossements humainspour maintenir la paix dans la société Basaa. Par ailleurs, lapeur de Ngé crée une psychose qui empêche la personne Basaade se développer et de s'exprimer librement.

La société initiatique des Babombog est un idéal pour lepeuple Basaa. Il est interdit au Mbombog de tuer un personne. Ilprête serment de ne pas assister à un complot conduisant à lamort d'une personne.

Les solutions que nous proposons pour les sociétésinitiatiques dans la lutte contre les crimes rituels en Afriquecentrale sont les suivantes:

la justice doit être faite; elle consiste à rétablir l'harmoniequi a été détruite au sein de la famille, de la communautésur le plan local et sur le plan national.

Cette justice doit être à la fois rétributive et restauratrice. Lapremière consiste à la revanche et à la sanction. La secondeest axée par la validation du crime perpétré et à encouragerle criminel à prendre sa responsabilité par rapport à l'actecommis. Ce dernier doit s'expliquer sur les causes qui ontmotivé son crime.

Les crimes rituels créent l'insécurité, il faut restaurer lasécurité en Afrique centrale. Pour cela nous devons retenirque le paradoxe de la sécurité repose sur le fait que masécurité est assurée quand je cherche à promouvoir lasécurité de mon voisin et celle de mon ennemie.

li faut reconnaître que la confusion d'identité culturelleque vit l'Afrique nous a fait perdre les valeurs africaines du

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respect de la vie. Il nous faut mettre en place un systèmeéducatif qui nous permettra d'assumer notre identitéafricaine, notre culture, et les valeurs de nos religions quisont menacées par des dérapages inquiétants.

Une relecture de nos traditions et rites est nécessaireaujourd'hui dans le sens de la valorisation de la vie, del'inclusion des enfants et des femmes comme personnehumaine à ne pas discriminer.Tout rite initiatique doit substituer le sacrifice humain àune autre forme de sacrifice.Etant donné que la recherche effrénée du gain a corrompules prêtres traditionnels (les Mbambobog), il faut insister surla succession de lignage familial et abolir l'achat des titrestraditionnels moyennant des sommes d'argent. Cet à ce titreque les garants de la tradition Africaine pourront retrouverleur dignité et jouer pleinement leur rôle de promoteur del'harmonie et de la paix en Afrique Centrale.

Nous devons établir les stratégies (court terme et longterme) pour changer le comportement, les attitudes et lavision des dépositaires de la tradition africaine quipratiquent les crimes rituels dans la vie de la sociétéafricaine.

Nous devons éduquer les adeptes du Ngé de la sociététraditionnelle Basaa à comprendre l'impact du traumatismecausé dans la vie des familles et communautés victimes descrimes rituels.

S'il est vrai qu'il faut exalter la permanence de la solidaritéafricaine par la religion traditionnelle, il faut épurer cettereligion de tout ce qui dévalorise l'Etre crée par Hilômlôbi(Dieu Suprême).

Nous devons briser le mythe du secret coupable du tabou etde la peur en ce qui concerne la gestion de noscommunautés traditionnelles par les adeptes de Ngé et lesBabombog.

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Nous devons éviter l'instrumentalisation de la religiontraditionnelle africaine par les politiciens.

5. Conclusion

Il faut reconnaître que la dégradation des conditions de vie afavorisé la recrudescence des crimes rituels er des conflits enAfrique. Qu'à cela ne tienne, dans le contexte de laglobalisation, il nous faut notre religion africaine pour survivre.Ses vertus de solidarité, d'hospitalité, de vie communautairesont des atouts indéniables pour nous permettre de resterdebout. Il serait aberrant que nous utilisions cette religionafricaine au service de la globalisation ou de la culture deconsommation qui nous pousse à éliminer nos enfants, nossœurs et nos frères pour devenir riche ou accéder à un poste, àun rang social élevé.

Les Eglises pourraient identifier et répertorier, avec l'aide desautorités administratives les sociétés initiatiques qui pratiquentles crimes rituels. Ceci nécessite que le silence soit brisé à tousles niveaux. Malheureusement, dans cette approche, les leadersreligieux peuvent être inquiétés. L'Eglise n'a pas de moyen deprotection, c'est vrai, mais il est vital que là où règnent lescrimes rituels et les conflits, les Etats de ces pays doiventadmettre que les Confessions Religieuses œuvrent pour la paix.A cet égard, elles doivent s'exprimer sans être inquiétées.

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Les deviations du sacrifice humain dans les societesgabonaises

Organisation des Chercheurs et Tradi-praticiens du Gabon(O.c. T. G.)

Depuis la nuit des temps, la médecine traditionnelle, dans lemonde en général, et singulièrement au Gabon, utilise unéventail de moyens pour lutter contre les crimes rituels. Certes,nos aïeux, précurseurs de cette médecine par les plantes, avaientrecours à des sacrifices avec pour connotation la prospéritédans une famille, la fécondité dans une maison etc...

En guise de témoignage, chez les fang du nord du pays, lebien possédait et possède encore cette signification profonde deprospérité, de fécondité, et de bien-être. Un notable du village, àsa mort, délègue sa relique (son crâne) qui servira plus tard à lapostérité. En cas de mauvaises récoltes par exemple, ou en cas desécheresse, ou de stérilité chez les femmes du village, les' sages seréunissaient autour de cette relique pour exposer leursdifficultés à faire face à ces calamités.

Durant son sommeil, un des leurs recevait la réponse et ladivulguait le lendemain aux autres membres de la secte. Ils'avérait alors qu'il fallut recourir à un sacrifice rituel: tuer unbouc ou une grasse antilope, et lorsque la calamité est graveselon le bieri, sacrifier plusieurs bêtes pour le bien de lacommunauté.

Jamais, au grand jamais, personne n'était autorisé à recourirau sacrifice humain. Au jour d'aujourd'hui, non seulement auGabon, mais dans le monde entier, depuis l'avènement decertaines sectes auxquelles adhèrent aveuglement certainescatégories de personnes à la recherche de biens matériels etd'honneurs, les crimes rituels deviennent pléthoriques.

D'où les nombreuses déviations actuelles. On a recours auKong ou à des envoûtements très profonds. C'est ainsi que lapersonne envoûtée devient l'esclave de celui qui l'a envoûtée. Ce

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dernier devient ainsi son maître, jusqu'à sa mort imminente ouprogrammée. Chaque année, cet individu, maître du Kongsacrifie selon son contrat, deux ou trois personnes. Il fait partied'un cercle, qui pratique une espèce de tomine. Ce qui renforceses pouvoirs financiers et son rang social.

D'autres ont recours aux charlatans qui leur demandent detuer des personnes, même si celles-ci ne font pas partie de leurfamille afin de prélever des parties choisies qui serviront à desfins fétichistes.

Ce genre de pratiques est toujours dénoncé parl'Organisation des Chercheurs et Tradipraticiens du Gabon quicombat le charlatanisme et les vendeurs d'illusions dans notrepays.

Un éventail de pratiques existe encore qui sous-tendent lecrime. Les actes sexuels avec des jeunes filles sUIviesd'incantations maléfiques et la remise d'importantes sommesd'argent à celles-ci pour s'acheter leurs cercueils finalement.

Tout ceci démontre à suffisance les déviations du sacrificehumain dans les sociétés gabonaises. Nous constatons, dansnotre pays une espèce d'instauration de l'impunité. Il sembleque tous ces crimes organisés soient l'apanage de personnalitésbien distinctes. Nous n'avons pas eu beaucoup de temps pourparfaire notre démonstration, mais nous tenons à remercierl'UNESCO d'avoir initié ce genre de rencontre.

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Déclaration du Collectifdes Familles d'EnfantsAssassinés, Mutilés et Disparus

Invité au présent colloque, organisé par l'UNESCO, encoopération avec le CENAREST, et les Agences du système desNations Unies au Gabon, je me permets, au nom du collectif, delivrer un témoignage vivant sur les crimes rituels qui ontendeuillé nos familles respectives.

Mesdames et Messieurs,

Loin des beaux discours des palais, et des amphithéâtres desuniversités, et très loin encore des conversations des salons etdes bistrots, l'infanticide existe bel et bien dans notre société, lefétichisme gagne le terrain chez nous.

Je voudrai donc vous inviter à m'accorder votre attentiondans les minutes qui suivent afin que notre témoignage quidécoule d'une expérience très douloureuse ne puisse fairel'objet; d'une interprétation inconséquente.

Je suis Inspecteur de l'Education Nationale, Formateur àl'Ecole Normale d'instituteurs d'Owendo. Mon épouse estenseignante à l'Université des Sciences de la Santé à Owendo.Nous sommes des chrétiens. Le couple de Monsieur Garba, unfoyer stable, des croyants musulmans, modestes et Hommesd'affaires (commerçants). Nos deux familles à l'origine, étaientdes havres de paix. Nous avions eu des enfants saints de corps etd'esprit. L'harmonie dans laquelle vivaient nos familles serarompue un matin du jeudi 3 mars 2005 à 8h30, jour où nosenfants Edou EBANG Eue et IBRAHIM Aboubakar tous âgés de12 ans inscrits au CM2 D à l'Ecole pilote du centre de Librevilleseront retrouvés morts, mutilés, leurs corps vidés de leur sangnon loin de l'hôtel où nous nous trouvons en ce moment

En effet, résident au quartier Alibandeng, je déposais mesenfants tous les matins dans leurs établissements respectifs. Ce

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Constatant le mutisme de la Justice, nous avons organiséune marche pacifique très suivie et soutenue par cescommunautés bien que boycottée par les médias d'Etat. Nousavons officiellement saisi: le Vice Premier Ministre chargé desdroits de l'Homme; les Ministres de l'Education Nationale, delaJustice, de la Famille, de la Défense, de la Sécurité Publique etde l'Intérieur; les hautes autorités de ce pays le Procureur de laRépublique, le Maire de Libreville, la Présidente de la Courconstitutionnelle et les Organismes Internationaux à savoir :l'UNICEF, l'UNESCO, le PNUD, la Banque mondiale, lesAmbassades de France, des Etats Unies d'Amérique et duCanada.

Malgré cette pression, et les indices fournis aux enquêteurs,les commanditaires et leurs complices sont en liberté. La listedes crimes s'allonge et l'âgé des enfants varie, entre 5 à 25 ansselon les médias de la place. Notre constat: les jeunes innocentset impuissants sont sacrifiés.

Les résultats de toutes ces actions sont des audiences qu'onnous a accordées aux Ministères de l'Education Nationale, de laDéfense, à l'UNICEF, et à l'Ambassade des Etats Unis et,aujourd'hui, l'organisation du présent colloque; si je puis mepermettre.

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Propositions du Collectifdes Familles d'EnfantsAssassinés Mutilés et Disparus du Gabon.

Après avoir suivi avec beaucoup d'intérêt les brillantesinterventions des participants au colloque sous régional sur les«Causes et moyens de prévention des crimes rituels et desconflits en Afrique Centrale» nous, membres du Collectif desfamilles d'enfants assassinés, proposons concrètement ce quisuit:

1- Renforcer dans la législation gabonaise actuelle, lareconnaissance de tous ceux qui ont le pouvoir de vision parun listing officiel et significatif. Exemple: le travail deMonsieur NGUEMA ESSONO, ancien Procureur de laRépublique en poste à Oyem de 1998 à 2003.

2- Mener les campagnes de mobilisation et de sensibilisationsur «la lutte contre les crimes rituels » comme d'autresgrands fléaux tels que le VIH/SIDA, le paludisme, etc..., surtoute l'étendue du territoire national.

3- Lutter contre l'impunité de tous les citoyens coupables detels actes quel que soit le rang social de l'individu (nul n'estau-dessus de la loi).

4- Mener une lutte accrue contre la promotion des cerclesésotériques implantés dans nos grandes villes, commependant la période d'inquisition en Occident.S- Soutenir l'action des ONG engagées dans la lutte contrel'infanticide.

6- Retenir une journée nationale consacrée à la mémoire desenfants assassinés, mutilés et disparus du Gabon. Exemples: le 1er mercredi du mois de mars de chaque année ou le 3mars de chaque année.

7- Faire publier les statistiques du Ministère chargé desDroits de l'Homme sur les crimes rituels et les rendre

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accessibles à tout usager qui en exprimerait le besoin à partirde cette année.

8- Donner la liberté totale à notre Justice et aux Hommes desmedia de travailler avec tous les moyens sans pressionextérieure, sans censure ni intimidation.

9- Prendre un décret présidentiel interdisant de façonformelle après ce Colloque, les crimes rituels sous toutes sesformes au Gabon, tout en tenant compte de la vision et desdécouvertes des tradi-praticiens, et des Hommes d'églises.

10- Protéger nos plages, lieux des crimes rituels et domiciledu malin.

11 - Publier intégralement l'identité des coupables dans lesmédias.

12- Luter contre la pauvreté et la vie facile.

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Rapport général du colloque

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RAPPORT

Le Colloque sur les «Causes et moyens de prévention descrimes rituels et les conflits en Afrique centrale», organisé par leBureau sous-régional de l'UNESCO, s'est tenu à Libreville, du19 au 20 juillet 2005.

Placé sous le Haut patronage de Son Excellence El HadjOmar Bongo Ondimba, Président de la République, Chef del'Etat, le Colloque a été ouvert à 10h30 par le Vice-PremierMinistre, Ministre des Transports, de l'Aviation Civile, Chargédes Missions et des Droits de l'Homme, Monsieur Paul MbaAbessole.

Ont pris part à ce Colloque les délégations des payssuivants: Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, GuinéeEquatoriale, République Démocratique du Congo, RépubliqueCentrafricaine, Sao Tomé et Principe et Sénégal.

Le Représentant sous-régional de l'UNESCO, Son ExcellenceMakhily Gassama, accueillant les participants, a rappelél'origine de ces assises régionales: la rencontre sous-régionaletenue à Libreville, du 18 au 20 novembre 2003, autour du thème«Dialogue interculturel et culture de la paix en AfriqueCentrale et dans la Région des Grands Lacs", d'une part;certaines découvertes macabres inexpliquées dans les pays de lasous-région d'Afrique centrale, d'autre part.

Le présent colloque s'inscrit donc en droite ligne de ces deuxconcertations capitales qui ont vu l'engagement de toutes lesAgences du Système des Nations Unies, du Gouvernementgabonais, des intellectuels du continent, de distinguésreprésentants de la société civile, des chefs traditionnels etspirituels, des femmes et des hommes de média, « censeurs denos mœurs politiques », d'éminents écrivains, « censeurs de nossociétés et gardiens de nos valeurs fondamentales", et denombreux anonymes meurtris au plus profond de leurs corpspar la perte d'êtres chers sacrifiés sur l'autel des intérêtspersonnels.

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Ce Colloque se présente comme un début de réponsepublique aux préoccupations de la population, des citoyens, duGouvernement et des Agences du Système des Nations Unies,face aux assassinats et mutilations d'enfants rapportéspériodiquement par la presse nationale et la rumeur publique et«qui endeuillent les familles et répandent l'angoisse etl'insécurité au sein des villes comme des villages », ainsi que ledisait Son Excellence Kristian Laubjerg, Représentant de zonede l'UNICEF, dans son allocution à l'ouverture du colloque. Ils'agit là d'une « rencontre inédite et d'envergure », des mots deSon Excellence Bintou Djibo, Représentant du PNUD etCoordonnateur du Système des Nations Unies au Gabon, en cequ'elle devrait permettre de «poser des questions lourdes et pastoujours faciles à résoudre pour les Africain», d'une part, et,d'autre part, pour chacun, «d'évaluer ses actions et sesresponsabilités: d'abord en tant que citoyen, ensuite commeorganisation de la société civile, chef religieux ou traditionnel,media, collectivité locale ou organisme de coopération bilatéraleet multilatérale ». Mais que peut faire le politique, quand onsait qu'il fait partie des «trois grandes instances de régulationorthodoxe en matière d'idéologie: le pouvoir politique, lesinstitutions sdentifiques et les confessions religieusesdominantes»? N'est-ce pas au pouvoir politique que l'ons'adresse, « de lui que l'on parle» quand on traite des « causeset moyens de prévention des crimes rituels et des conflits enAfrique centrale» ?

Comme l'a affirmé avec force la Coordinatrice du Systèmedes Nations Unies au Gabon, «les rites et coutumes, quiconstituent l'essence même de l'identité [des Africains],tiennent (...) une grande place dans nos structurestraditionnelles. Le bon sens nous commande toutefois dediscerner ceux qui favorisent l'épanouissement de l'Homme etde nos sodétés de ceux qui sont susceptibles de la détruire ». Iln'y a donc pas à rechercher de justifications aux crimes rituelspar nos traditions: « La raison profonde des crimes rituels, dirale Vice-Premier Ministre Paul Mba Abessole dans son allocutionde circonstance, est la recherche des solutions de facilité. Parce

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qu'on ne veut pas fournir les efforts nécessaires à une réussite,on cherche des raccourcis, on fait des sacrifices humains ».

Sans doute, les crimes rituels et les conflits sont-ils présentsau niveau des familles et ne renvoient pas toujours au sommetdes États; mais c'est bien de la responsabilité des États deprévenir les conflits et de gérer, de manière pacifique, le Devoirvivre ensemble des citoyens.

L'initiative du bureau régional de l'UNESCO qui nousrassemble ici est courageuse. Délier les langues est uneentreprise périlleuse et l'on mesure la difficulté de dire au grandjour. Braver « le tabou qui entoure le sujet et parler des crimesrituels « est déjà une forme de lutte contre ce mal, a dit le Vice­Premier Ministre. Mais le dénoncer ne suffit pas, a-t-il ajouté. Ilfaut encore arriver à des sanctions contre les coupables avérés.Certains d'entre eux sont, en effet, connus mais en liberté ».

Sur ces fortes paroles, le colloque a été déclaré ouvert etlecture a été donnée du Bureau du colloque composé comme ilsuit:

Présidents d'HonneurM. Ali BONGO ONDIMBAPrésident du Conseil Islamique du Gabon

Mgr Basile NVE ENGONE

Archevêque de Libreville

Président du Colloque]aqueline OBAME MBA (Gabon)

Vice PrésidentProf. NTAHOMBAYE (Burundi)

Rapporteur GénéralA MOUSSIROU MOUYAMA (Gabon)

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Co-rapporteursJoséphine NTAHOBARI (Burundi)Révérend FUT! LUEMBA (RDC)

Cellule d'appui scientifique:Monique MAVOUNGOU BOUYOUPro BALIBUTSAA. MOUSSIROU MOUYAMARichard EKAZAMAGeorge Bertin MADEBEBernardin MINKO MVE

La conférence inaugurale prononcée par AugusteMoussirou-Mouyarna, écrivain, sur "Délits de langues et crimesrituels"a suivi la mise en place du Bureau du colloque. Cetteconférence est un appel au devoir de parole pour ne point êtrecomplice des crimes, au devoir de mémoire, pour ne paspervertir la pensée et la vérité et au devoir vivre ensemble, enpaix, que doit garantir le pouvoir politique.

Le thème du colloque a été abordé à travers trois sous­thèmes:

1. Les fondements culturels des crimes rituels et des conflitsen Afrique centrale;

2. Les dispositions juridiques et pénales et la mobilisation dela société civile pour la lutte contre les crimes rituels enAfrique centrale: moyens d'action, outils (juridiques,intellectuels, culturels, sociologiques, etc.) ;

3. Les outils utilisés et utilisables par les confessionsreligieuses et les associations initiatiques dans la luttecontre les crimes rituels en Afrique.

Les exposés, suivis de débats, ont été dirigés par troisbureaux distincts:

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Sous-thème 1

Modérateur: PrJohn Nambo (Gabon)

Rapporteurs:Lucien Dambele (RCA)Sherifa Bignoumba (Gabon)

Sous-thème 2

Modérateur: Jean Emile Ngue (Cameroun)

Rapporteurs:Albert Tetsi (Congo)Richard Ekazama (Gabon)

Sous-thème 3

Modérateur: Salio Sambou (Sénégal)

Rapporteurs:Christine Ngo Bilong, ép. Moukondji(Gabon)Bernardin Minko Mve (Gabon)

La liste des intervenants et les titres de leurscommunications sont annexés au présent rapport.

Sous-thème 1 Les fondements culturels des crimes rituels et desconflits en Afrique centrale

Le thème du colloque appelle une définition des termes afinque les connotations subjectives et les représentations de tousordres ne l'emportent sur une lecture critique et sereine d'unfléau social.

L'expression «crimes rituels» procède d'un raccourci del'histoire par lequel des pratiques cultuels deviennentmortifères. L'incrimination de certains rites ancestraux,

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d'origine locale ou étrangère, est un phénomène sociologique.Ce n'est ni l'apanage d'un peuple, ni d'une civilisation, ni d'unecroyance, ni d'une race, ni d'un continent. Il convient, enconséquence, de distinguer les sacrifices humains qui sont desfaits de civilisation observables sous toutes les latitudes, desactes criminels commis sous forme exotérique (meurtres,assassinats, mutilations, viols, etc.) ou ésotérique (faits desorcellerie, actes occultes, etc.) ou, de manière générale,associant ces deux modes opératoires.

Les sacrifices et les crimes ne con~ernentpas seulement lesenfants. Les adultes en sont aussi victimes. Par ailleurs, lesassassinats ne constituent pas les seuls crimes, l'inceste en faitpartie.

Le deuxième pôle du thème du colloque (les conflits) peutsembler éloigné du premier (les crimes rituels). A l'analyse, ilapparaît que dès lors que l'on porte atteinte à l'intégrité d'unindividu, il y a, dans le même temps, atteinte à l'ordre social.Dans l'un et l'autre cas, c'est la dignité humaine qui est mise àrude épreuve.

La tonalité générale des travaux peut se résumer en unecélébration de la vie dont le caractère sacré est reconnu danstoutes les sociétés.

Les communications, riches d'exemples culturels et sociaux,rapportés de différents pays d'Afrique centrale, ont relevé descauses endogènes et des causes exogènes aux pratiques socio­culturelles de type criminel. Par causes endogènes, lesparticipants ont voulu souligner la permanence de la traditiondans la vie moderne, en même temps que la modernité destraditions qui sont des sources d'inspiration quotidienne pourl'accomplissemeït du Bien.

La vision que l'homme a du monde détermine son être et sonagir. Chez les Bantu, il n'y a rien d'accidentel, de ce quel'occidental considère comme naturel. Tout événement dequelque nature que ce soit, est saisi par le registre religieux et

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mystico-fétichiste; c'est le spirituel, l'invisible qui explique levisible.

L'ontologie africaine est plurielle et est à SaISir à troisniveaux: l'instance phylogénétique (en rapport avec Dieu, lesancêtres), l'instance cosmique (le cosmos) et l'instanceanthropologique. Une rupture dans le rapport de l'homme avecune des instances entraîne un déséquilibre essentiel - maisexistentiel aussi - au niveau individuel ou communautaire quise traduit par la maladie, l'échec, les calamités, etc. La pratiquedes sacrifices, des rites, participe du projet de rétablissement del'équilibre ontologique rompu par la faute et ceci en vue dubonheur, de la richesse, de la sécurité, etc.

Le sacrifice humain était très rare dans la société bantu, saufà l'occasion de l'intronisation d'un roi et parfois à titre punitifpour les esclaves, les violeurs d'interdits ou pour éviter à desenfants considérés « malformés » ou objectivement handicapésde vivre une socialisation traumatisante (maladies génétiques,albinos dans certaines sociétés, etc.).

D'un point de vue anthropologique, la médecinetraditionnelle avait recours à des sacrifices ayant des viséespositives (fécondité, prospérité d'une famille, etc.). Les exemplessont légion et les sacrifices opérés n'étaient que symboliques.Les déviations observées actuellement tiennent àl'environnement sociologique marqué par une culture de laparesse à l'inverse de la culture de l'effort des sociétéstraditionnelles, par l'appât du gain, aux inégalités dans larépartition des richesses nationales, par la promotion de lamédiocrité et des esprits fétichistes dans les plus hautes sphèresde la Fonction Publique, par l'absence de tout 'sentimentpatriotique.

Des causes externes ont été mentionnées, parmi lesquelleson peut citer: la monétarisation des sociétés africaines quiaccentue les besoins privés, les trafics internationaux de drogueet d'armes de guerre, la marchandisation du monde et laconception mercantile bonheur qui favorise l'individualisme à

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l'origine des sentiments coupables de vengeance ou de jalousieet de croyances superstitieuses dans la recherche du bien-êtrematérielle et/ou l'appétit de pouvoir.

Les débats relatifs au sous-thème 1 se sont articulés autourdes causes énoncées par les exposants et les déviations dusacrifice humain en Afrique Centrale.

Autre déviation: le pouvoir sacrificiel qui participe de lasacralité du pouvoir depuis la nuit des temps; ce qui estdifférent de la déviation sacrificielle du pouvoir aujourd'huidans notre société.

Des réserves ont été émises quant à la nécessité d'entrer dansle vif d'un sujet qui reste, jusque là, tabou. N'y a-t-il pas lieud'adopter une démarche plus dynamique consistant à effacerd'abord toutes les aspérités, par des campagnes dese~sibilisation,de conscientisation ?

Cette réserve n'est pas partagée par l'ensemble desparticipants qui considèrent qu'il y a urgence. Il faut, bien sûr,penser l'imaginaire collectif, l'inconscient collectif de l'hommeafricain pour le sortir du fétichisme qui favorise le recours auxcrimes rituels.

Par ailleurs, le droit positif peut aider à lutter contre cefléau. Mais s'agit-il d'un problème de droit? Le droit lui-mêmen'organise-t-il pas la société en considérant les règles de baserégissant la société? Par exemple que peut faire le droit positifquant il est difficile de fournir des preuves matérielles pourjuger d'un crime rituel ? Ne faut-il pas préconiser undépassement de soi, grâce notamment à une action de l'Ecole etdes Eglises, des Mosquées et autres Temples?

L'urgence, semble-t-il, est de réinstaller l'homme africaindans la problématique de l'homme vrai, en déployant pour luila sagesse qui se dit dans les antiques rituels. En effet, ce dont ilest question, c'est de redonner aux africains les repères éthiques

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d'une éthique de la vie qui devrait sous-tendre toute éthique dupouvoir.

L'Afrique traditionnelle distingue bien les mameres d'êtrehomme en trois déterminations éthiques: «l'homme vide »,« l'homme monstrueux », l'homme vrai ou homme juste ». C'estla multiplication des hommes « vides» qui est à l'origine de noscalamités.

Pour lutter contre le crime rituel, il faut, par la pédagogie, àl'école comme dans les media ou en famille, «sculpter»l'homme juste, responsable jusqu'à la maturité sapientielle.L'homme mûr, vrai, est celui qui est conscient d'être le gardiende l'autre. Dans « l'agir l'un pour l'autre », au bon moment, cethomme juste manifeste le sens de la responsabilitéfondamentale, à savoir répondre de la vie de l'autre.

li s'agit aussi de purifier les relations au sacré et autranscendant;

li s'agit, enfin, de modifier la société par le sens de la justice.

Sous-thème 2 Les dispositions juridiques et pénales et lamobilisation de la société civile pour la lutte contre les crimesrituels en Afrique centrale: moyens d'action, outils (juridiques,intellectuels, culturels, sociologiques, etc.)

Les crimes rituels sont inscrits dans le code pénal desdifférents pays et tombent, généralement, sous le coup d'articlesrelatifs aux pratiques de sorcellerie et à l'anthropophagie. La Loiincrimine la consommation ainsi que tout commerce sur lecorps humain (la chair et les ossements humains).

On constate par exemple, l'absence du mot crime rituel dansles textes de loi de nombreux pays d'Afrique Centrale mais celane signifie pas que l'acte qui occasionne la mort d'un homme,des suites d'un acte rituélique, n'est pas puni. Le Code pénalparle bien d'homicides. Et les crimes rituels sont des meurtresaggravés qui constituent des troubles à l'ordre public. Face à la

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difficulté, ici, de la preuve, les juristes gabonais doivent œuvrerpour faire entrer dans les textes des faits que la populationcondamne tous les jours. Ce qui doit nous inciter à éviter decopier et de calquer nos législations pénales sur des textesétrangers à nos mœurs et en déphasage par rapport à l'évolutionde la société.

L'impression de vacuité qui entoure la définition du crimerituel laisse au juge la latitude de trancher surtout si cela porteatteinte ou entraîne un trouble à l'ordre public. En l'occurrence,l'ordre social est perturbé et la Loi apparaît balbutiante et fortlimitée pour passer de la dénonciation à la condamnation.

Dénoncer un phénomène, c'est amener à sa prise deconscience collective. Et c'est une étape importante vers sasolution.

Les sacrifices rituels interviennent dans le cadre del'ignorance des lois divines. Dieu n'a pas besoin d'intervenirpour régler les affaires humaines, des lois existent, il suffit de lesconnaître et de les appliquer. Lorsque par exemple la promotionse fait en dehors des critères de compétence et de mérite, on faitla place ici à des tentations de sacrifices et de crimes. Le sacrifices'avère donc superfétatoire dans la réussite des entrepriseshumaines qui n'exigent rien d'autre que l'effort et le travail.

Le sacrifice est inutile voire même dangereux car il installeses adeptes dans un engrenage ou une surenchère qui peutaboutir au sacrifice suprême: celui l'homme.

Les crimes rituels sont de la responsabilité de groupesdangereux qui agissent comme dans une organisation mafieuse.On peut distinguer parmi les acteurs:

1) les commanditaires;2) les faiseurs de miracle, qui dressent de véritables

ordonnances;3) les personnes qui opèrent en recherchant des

victimes.

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L'impunité dont bénéficient généralement ces criminels,dont les noms sont répandus dans la cité par la rumeurpublique, conduit à la banalisation de la mort et au méprisavancé de la personne humaine.

Sous-thème 3 Les outils utilisés et utilisables par les confessionsreligieuses et les associations initiatiques dans la lutte contre lescrimes rituels en Afrique.

Contre les crimes rituels, la première et la principale armedes confessions religieuses, voire des associations initiatiquesest l'éducation de la conscience morale de tous au respect et à ladéfense de la vie humaine elle-même, à chaque stade de sonévolution naturelle. La vie est le bien primordial de l'êtrehumain et de la société. Avec elle et par elle, tout le reste estpossible. Sans elle et contre elle, en revanche, tout s'effondre.Pour les confessions religieuses, la vie appartient avant tout auCréateur des êtres et de toutes choses.

Lutter contre les crimes rituels sera donc d'abord un combatpour le respect strict de l'intégrité physique, psychologique etspirituelle de toute personne, par la prière, l'enseignement, laprédication et l'information, les confessions comme laresponsabilité, le sens de l'effort et du bien commun, lasolidarité, la justice et la paix.

Face à l'essor des crimes rituels, le sentiment qui domine estun sentiment de peur. Pourtant, des témoignages émouvantsont été donnés et des collectifs se forment pour lutter contrel'impunité, à l'instar, au Gabon, du Collectifdes familles des enfantsassassinés, mutilés et disparus.

Il ne semble pas superflu de reprendre ici le témoignage dece Collectif sur la genèse de l'Affaire des enfants Eric EDOUEBANG et Aboubakar IBRAHIM, puisque ce meurtre, objet dela rumeur publique rapportée par les media, a fait se rencontrerautant d'instances officielles et de personnalités de tous bords.Cet intérêt semble être en contraste, au quotidien, avec lemutisme total des autorités compétentes sur un dossier qui

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comporte pourtant un certain nombre d'indices à même d'aiderles enquêtes officielles.

La participation des Eglises et autres confessions religieuseset des chercheurs et praticiens en sciences traditionnelles oud'universitaires a été remarquable, tant par l'exploitation faitedes textes sacrés que par les exemples précis rapportés pourlutter contre les crimes riruels.

Les pratiques criminelles qui revêtent une apparencereligieuse, correspondent à un fait de société inaliénable, endépit d'une évaluation statistique lacunaire. Elles s'imposentcomme telles du fait de la récurrence dans le temps, del'incidence qualitative inhérente à toute atteinte à la Viehumaine et de la sensibilité grandissante aux Droits del'homme.

Les manifestations multivoques de pratiques criminellescouvrent un large spectre de faits qui gagneraient à être mieuxconnus.

Aux alternatives classiques à ce type de phénomène(sensibilisation, prévention, mutilation de masse, etc..) ilconvient d'associer un élargissement de perspective. On voit eneffet, à la lumière des mutations en cours, ce qui peut relier lescrimes riruels et le trafic des organes humains à l'échelleinternationale. A cette échelle s'esquisse aussi, dans le cadre duDroit International et du concert des Etats une réflexion et dessolutions aussi bien institutionnelles prometteuses.

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Déclaration de Librevillesur la lutte contre les cimes rituels en Afrique centrale et

sur la nécessité de l'éducation aux valeurs de respect absolude la vie et de la dignité humaine

Nous,

Chefs Religieux, Traditionnels et Tradipraticiens,Hommes et femmes politiques,Intellectuels, écrivains, poètes, experts universitairesCommunicateurs, etSociété Civile de l'Afrique Centrale,

réunis à Libreville au Gabon, du 19 au 20 juillet 2005, àl'occasion du Colloque sur les Causes et moyens de préventiondes crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale, organisépar l'UNESCO, l'UNICEF, le PNUD et le HCR;

Rappelant la Déclaration Universelle des Droits del'Homme, qui stipule en son article 3, que «Tout individu a droit àla vie, à la liberté et à la sûreté de sa personn»j

Considérant la Convention des Nations Unies relative auxDroits de l'Enfant, et la Charte Africaine des Droits et du Bien­être des Enfants, qui disposent que «l'enfant a le droit de grandirsous la sauvegarde et sous la responsabilité de ses parents et, en tout étatde cause, dans une atmosphère d'affection et de sécurité morale etmatérielle »j

Considérant la Déclaration de l'Assemblée Générale del'Organisation des Nations Unies du 7 décembre 1996,spécialement en ce qui concerne «la promotion parmi les jeunes desIdéaux de Paix> de Respect Mutuel et de Compréhension entre lesPeuples» j

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Nous fondant sur la Charte Africaine des Droits del'Homme et des Peuples, spécialement en son article 4,disposant que « la personne humaine est inviolabl » et que « tout êtrehumain a droit au respect de sa vie, à l'intégrité physique et morale de sapersonne» et que «nul ne doit être privé arbitrairement de ce droit» j

Nous appuyant sur les recommandations de la ConférenceInternationale tenue en Novembre 2003 à Libreville sur leDialogue Interculturel et la Culture de la Paix en Afrique Centrale etdans les Grands Lacs, instituant le Dialogue comme moyen deprévention et de résolution des Conflits en Afrique Centrale;

Préoccupés par la persistance des crimes rituels quiendeuillent régulièrement de nombreuses familles en AfriqueCentrale, et qui maintiennent les populations dans une terreurpermanente due à la crainte de voir leurs enfants ou desmembres de leur famille en être un jour victimes;

Considérant que ce genre de pratiques, les croyances quileur sont associées constituent une atteinte à la vie et à ladignité humaine, ainsi qu'aux droits des enfants, des hommes etdes femmes et sont en contradiction avec les valeurs de laculture africaine, de même qu'elles sont un frein audéveloppement de la sous région;

DECLARONS:

LE CARACTERE SACRE, INVIOLABLE ET INALIENABLE DE LAVIE ET DE LA PERSONNE HUMAINE, AINSI QUE NOTREPROFOND ENGAGEMENT A COMBATTRE TOUTES LESFORMES D'ATTEINTE A L'INTEGRITE ET A LA DIGNITEHUMAINES.

FAISONS LES RECOMMANDATIONS CI-APRES:

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GENERALES:

1) Encourager les communautés des pays d'Mrique Centrale àdénoncer les pratiques néfastes et crimes rituels tels lesmeurtres, les viols, les incestes;

2) Conscientiser et persuader les adeptes de ces pratiques desubstituer aux sacrifices humains d'autres sacrifices plussymboliques;

3) Initier, avec l'appui des partenaires au développement, dansune dynamique participative des programmes d'information,d'éducation et de communication (IEe) par les Média et lesNouvelles Technologies de l'Information, en direction desjeunes et des adultes en vue d'un changement de mentalité et decomportement qui intègrent les valeurs éthiques africainescontre les dérives irrationnelles;

4) Favoriser dans les Etats d'Afrique Centrale, le mérite et lacompétence dans la promotion sociale et politique, en vued'endiguer les pratiques artificielles mystiques;

5) Renforcer les capacités de travail de la justice et des mediadans la lutte contre les crimes rituels;

6) Mettre en évidence le caractère sacré de la vie, et partant, laprotection et la pérennité de la race humaine à travers lacréation littéraire et artistique, et l'action des media;

7) Introduire dans les rapports annuels des pays au Comité desuivi des droits de l'enfant de Genève, la situation des crimesrituels à l'encontre des enfants.

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AUX GOUVERNEMENTS DES ETATS

8) Renforcer dan les programmes scolaires les notions deCulture de la Paix et de Droits Humains;

9) Adopter des lois qualifiant explicitement et sanctionnant lescrimes rituels afin de mettre fin à l'impunité;

10) Censurer la production et la diffusion par les média, deprogrammes qui valorisent le viol, la violence, les pratiquesmystiques et religieuses néfastes aux valeurs de paix et derespect de la personne humaine;

11) Instituer, dans les Etats d'Afrique Centrale, une Journée à lamémoire des victimes des violences rituelles et des guerresfratricides;

12) Mettre en place des groupes d'alerte communautaires, etune police spécialisée disposant de moyens approptiés pourdémasquer les auteurs et les commanditaires des crimes rituels;

13) Mettre en place un observatoire des droits de l'homme danschaque pays de l'Afrique Centrale.

AUX INSTITUTS DE RECHERCHE ET D'ENSEIGNEMENT

14) Initier des programmes de recherche visant l'inventaire et ladéfinition de tout ce qui, dans les différentes cultures d'AfriqueCentrale, prédispose à la violence et à la pratique des crimesrituels;

15) Mener des recherches approfondies sur les crimes rituels enAfrique Centrale afin d'en apprécier l'ampleur;

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A L'UNESCO, AUX AUTRES AGENCES DU SYSTEME DESNATIONS UNIES ET A LA COMMUNAUTEINTERNATIONALE

16) Encourager et soutenir la mise en place d'une structuresous-régionale chargée du suivi des actions de lutte contre lescrimes rituels et la doter de moyens adéquats;

17) Appuyer fortement l'action des ONG en faveur du suivi, del'évaluation et de la documentation (système d'information,banque de données) sur les cas de crimes rituels dans les pays dela sous région;

18) Favoriser le dialogue inter religieux et inter-culturel enAfrique Centrale;

19) Appuyer les initiatives des gouvernements et des ONGengagées dans la lutte contre les crimes rituels;

20) Appuyer la publication d'un bulletin sur les violations desdroits de l'homme en général et sur les crimes rituels enparticulier dans les pays de l'Afrique Centrale;

21) Organiser des colloques du même gente dans d'autres paysde la sous-région.

Fait à Libreville, le 20juillet 2005

Les participants

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Allocutions

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Allocution deMakhily GASSAMA

Représentant de l'UNESCO à Libreville

A l'ouverture du Colloque sur« Les causes et moyens deprévention des crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale»

Distingués invités,Mesdames et Messieurs,

Deux événements sont à l'origine des assises sous-régionales,qui nous rassemblent ce 19 juillet 2005.

Du 18 au 20 novembre 2003, sous le haut patronage du Chefde l'Etat gabonais et sous la présidence effective de Monsieur leVice-Président de la République, une grande rencontre desintellectuels du Continent, de distingués représentants de lasociété civile, des chefs traditionnels et spirituels, des hommeset femmes des médias - censeurs de nos mœurs politiques - etd'éminents écrivains africains - censeurs de nos sociétés etgardiens de nos valeurs fondamentales - se sont partagé lemême espace de dialogue, autour d'un seul thème générique: Ledialogue interculturel et la culture de la paix en Afrique Centrale etdans les Grands Lacs. Le colloque que voilà sur Les causes et lesmoyens de prévention des crimes rituels et des conflits en AfriqueCentrale est né, en partie, des recommandations issues de laConférence internationale de Libreville.

Le second événement, à l'origine de ce colloque, est récent.Le 18 mars 2005, le Gouvernement gabonais a convié lesAgences des Nations Unies à une réunion de concertation surdes crimes qui venaient de se produire dans la capitale: deuxcorps mutilés de jeunes écoliers ont été découverts sur la plage.Tout indiquait qu'il s'agissait de meurtres rituels. A cetterencontre avaient pris part le Ministre d'Etat chargé des AffairesEtrangères, de la Coopération et de la Francophonie, le Ministrede la Sécurité publique et de l'Immigration, le Ministre de laDéfense nationale, le Ministre de la Famille, de la Protection de

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l'Enfance et de la Promotion de la Femme, le Ministre déléguéaux Affaires Etrangères et l'ensemble des Chefs d'Agence duSystème des Nations Unies. Parmi d'autres questions, il avait étédemandé, à chaque Agence, dans le domaine de sescompétences, sa contribution à la lutte contre les crimes rituels,fréquents, dans des pays de la sous-région, à l'approche desgrandes échéances sociales ou politiques.

Toutes les Agences du Système des Nations Unies ontrépondu favorablement à l'appel de l'UNESCO: tenir àLibreville, dans les meilleurs délais, un colloque sous-régionalsur «Les causes et les moyens de prévention des crimes rituels et desconflits en Afrique Centrale ». C'est le lieu et le moment de rendreun hommage mérité aux Chefs d'Agence et, à leur tête, laCoordonnatrice, Mme Fatoumata Bintou Djibo, qui prendra laparole, ici même, en leur nom. Notre collègue, M. KristianLaubjerg, Représentant sous-régional de l'UNICEF, parce quechargé d'assister la population la plus vulnérable, noussoumettra quelques réflexions à cette séance solennelle.

Pour manifester notre engagement et celui de nospartenaires dans le suivi de ce colloque, un atelier de formation,qui dégagera des pistes de recherche et mettra l'accent sur desmécanismes traditionnels de résolution et de prévention desconflits, se tiendra immédiatement après les travaux de cesassises, le 21 juillet, au Centre National de la RechercheScientifique et Technologique (CENAREST).

Nous remercions, au nom du Directeur général del'UNESCO, les hommes et femmes politiques, les éminentsreprésentants des confessions religieuses, les magistrats, lesuniversitaires, les hommes et femmes des médias, lesreprésentants de la société civile, qui ont généreusementrépondu à notre appel. Et nous souhaitons pleins succès à leurstravaux.

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Allocution deM.Jean Marie Vianney BOUYOU

Secretaire GénéraL de la Commission NationaLe pour L'UNESCO.

Chers participants, Honorables invités;Excellence Mesdames et Messieurs.

Deux ans après la tenue à Libreville de la ConférenceInternationale de l'UNESCO sur la Culture et de la Paix et ledialogue interculturel en Afrique Centrale, organisée parl'UNESCO et le Gouvernement gabonais, nous revoici ànouveau réunis, autour d'une question cruciale: les crimesrituels dont le Gouvernement gabonais en fait désormais uncheval de bataille.

Excellence Mesdames et Messieurs.

Nous voici arrivés au terme des travaux du Colloque sur les«causes et moyens de prévention des crimes rituels et desconflits en Afrique Centrale ». Deux jours durant, l'ensembledes allocutions officielles et des communications a lancé ungrand cri de cœur pour délier les langues, dévoiler le délit,lancer le défi pour dire NON. NON aux crimes rituels, NON auxmutilations des corps, NON aux assassinats crapuleux, NON audéni des droits de l'homme.

Nos travaux ont ainsi, sensibilisé, interpellé sur les crimesrituels et leurs effets pervers dans le quotidien de nos sociétés.Nous en avons beaucoup appris sur les crimes rituels, leurscauses, leurs mécanismes. Nous pouvons dire que nousdisposons désormais d'une somme de certain des connaissancessusceptibles d'enrichir les moyens de lutte contre ce fléau.

Mais, bien plus qu'une interpellation, il devrait s'agir enréalité d'une prise de position, d'un engagement ferme de tous,gouvernements, sociétés civiles, organisations internationales.Engagement dont l'objectif premier serait de sauver les vieshumaines.

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Aussi, voudrais-je particulièrement insister sur l'impérieusenécessité d'une action concertée et forte de tous les acteurs enfaveur du suivi des recommandations des présentes assises. Aunom du Bureau sous-régional de l'UNESCO et de laCommission Nationale Gabonaise pour l'UNESCO, je voudraisexprimer nos attentes sur les dispositions que chacun de nous àtitre individuel et collectifpourrait prendre à travers des actionsmultiformes pour exprimer nos refus de complaisance et decompromis face aux crimes rituels, face aux crimes tout court.

Notre regard se tourne vers les Institutions nationales, lesAgences des Nations Unies, l'Union européenne, la CoopérationFrançaise et les autres partenaires au développement pour lesinviter à appuyer toutes les initiatives qui iront dans le sens dela dénonciation des crimes rituels, les sanctions à l'endroit deleurs auteurs, l'éveil de la conscience collective pour lapréservation de la vie, la formation des esprits au goût del'effort et du travail pour la réussite.

Excellence Mesdames et Messieurs.

La participation active des pays de la sous-région à ce rendez­vous de l'espoir, me laisse affirmer sans risque de me tromperque l'action amorcée par l'UNESCO sera pérennisée.

Nous avons eu le courage de braver le tabou pour organiserun colloque au sujet de crimes rituels. Ce n'est qu'un début car,la lutte doit s'intensifier pour la dignité de l'être humain et lerespect de la vie.

Je vous remercie.

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Allocution deM. Kristian LAUBJERG

Représentant de zone de l'UNICEF,

Mesdames et Messieurs, Distingués Invités,

C'est avec plaisir et satisfaction que j'assiste à l'ouverture dece Colloque sous-régional, le premier du genre, sur les causes etmoyens de prévention des crimes rituels et des conflits enAfrique Centrale.

La satisfaction de l'UNICEF est d'autant plus grande, que cesassises interviennent comme une réponse aux préoccupationsexprimées par mon Organisation face aux assassinats etmutilations d'enfants rapportés périodiquement par la pressenationale, et qui endeuillent les familles et répandent l'angoisseet l'insécurité au sein des villes comme dans les villages.

C'est pourquoi je remercie et félicite sincèrement monconfrère de l'UNESCO d'avoir associé l'UNICEF à ce forum etd'avoir réussi à regrouper les Intellectuels, les Leaders religieux,Traditionalistes et les Associations de Chercheurs etTradipraticiens, qui réfléchiront sur les voies et moyens deprévenir et d'enrayer les actes criminels perpétrés au nom de lareligion des traditions ou de la culture.

Les traditions africaines, et celles d'Mrique Centrale enparticulier, ont pour fondement essentiel, le dialogue et laculture de la paix. De tout temps, elles ont été source decohésion sociale, de résolution des conflits sociaux,interethniques et interculturels.

Mais ces traditions sont rendues vulnérables par lamodernité et les crises conséquentes à la pauvreté. Les cellulesfamiliales et sociales ont éclaté, et se sont recomposées dans unesociété plus axée sur la a recherche de l'intérêt individuel, qui aperdu toutes les valeurs positives de la culture et de la traditionafricaines.

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En tant qu'Intellectuels et Leaders de la société, vous avez ledevoir de restaurer les valeurs positives de la tradition etl'identité des populations africaines. fi vous incombe laresponsabilité d'attirer l'attention sur la situation psychosocialedes populations, exacerbée par la survivance de crimes rituels.

Nous espérons que ce colloque lèvera le voile sur cesquestions épineuses, avec clairvoyance et honnêteté et que leséminentes personnalités ici présentes, conduiront la réflexionsur les causes de la persistance des mentalités mystico­religieuses qui favorisent l'incrédulité des populations, victimesde praticiens qui leur font croire que l'on peut manipuler lesforces spirituelles au moyen de cadavres, et d'organes mutilésd'Etres innocents.

C'est dire, que nous attendons beaucoup des conclusions deces assises, qui nous permettront de poursuivre lasensibilisation des populations sur les conséquences néfastesdes crimes rituels sur le développement auquel tendent les paysafricains.

Nous attendons aussi beaucoup que les gouvernements et lesEtats, premiers responsables de la sécurité des biens et despersonnes, prennent les mesures légales qui s'imposent, pourpunir sévèrement les auteurs ou commanditaires de ces actescriminels, qui freinent le développement de l'Afrique centrale.

En effet, le changement de comportements ne sera effectifque s'il est soutenu par le renforcement de la législation et parl'adoption de mesures adéquates visant la promotion de laresponsabilité collective et individuelle, et la protection de lafrange la plus vulnérable de la société, notamment les enfants etles femmes.

C'est sur cet espoir que je vais clore mon propos ensouhaitant plein succès aux travaux des experts de ce Colloque,sur les causes et moyens de prévention des crimes rituels et lesconflits en Afrique Centrale.

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Allocution deMadame Bintou Djiho,

Coordonnateur des Agences du Système des Nations Unies au Gabon

Distingués invités,Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi, en ma qualité de Coordonnateur du Systèmedes Nations Unies au Gabon, de souhaiter la bienvenue à tousceux qui ont fait le déplacement de Libreville, pour prendre partau Colloque sous-régional sur les «causes et moyens de préventiondes crimes rituels et des conflits en Afrique centrale».

Cette rencontre inédite et d'envergure s'annonce comme unevéritable démarche commune entre des intervenants de divershorizons, solidaires d'une même cause, celle de la dignitéhumaine.

Comme vous le savez, il y a plus d'un demi-siècle que laconscience universelle s'est éveillée pour considérer la questionde la dignité humaine et de son développement intégral. Lacommunauté internationale s'est, en effet, engagée à défendrecette dignité et à intégrer les préoccupations relatives aux droitsfondamentaux de l'homme dans toute entreprise humaine.

Les crimes rituels figurent parmi les innombrables violationsdes droits de l'homme. Ces meurtres à l'encontre des couchesles plus vulnérables de la société sont commis dans un contexted'impunité généralisée, laissant les familles dans le désespoir etla population dans la consternation.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Ce colloque sous-régional est fondamental parce qu'il posedes questions lourdes et pas toujours faciles à résoudre pour lesMricains que nous sommes. Les rites et les coutumes, quiconstituent l'essence même de notre identité, tiennent, en effet,une grande place dans nos structures traditionnelles. Le bonsens nous commande toutefois de discerner ceux qui favorisent

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l'épanouissement de l'Homme et de nos sociétés de ceux quisont susceptibles de la détruire.

La conservation de notre patrimoine culturel est, en effet,indispensable à notre survie. Parce que permettre aux individusune expression culturelle pleine et entière est en soi un objectifde développement important. Le développement humainconsistant d'abord et avant tout à permettre aux populations demener le type de vie qu'ils veulent, et à leur donner les outils etles opportunités pour faire ces choix.

Le Rapport mondial sur le développement humain publiépar le PNUD en 2004 qui avait pour thème « la liberté culturelledans un monde diversifié» énonçait ce qui suit: « si l'on veutatteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement et,finalement, éradiquer la pauvreté, le monde doit commencerpar relever le défi de savoir construire des sociétés intégratricesqui respectent les diversités culturelles. » Mais pas à n'importequel prix, car le strict respect de la liberté et de la dignité del'autre est fondamental,

Le Secrétaire général de l'ONU, Monsieur Kofi Annan, ysouscrit d'ailleurs, sans réserve, dans son rapport intitulé « Dansune liberté plus grande ». il fait de la sécurité collective son chevalde bataille.

Au XXIè siècle, les menaces pesant sur la paix et la sécuriténe sont pas seulement la guerre et les conflits internationaux,mais aussi le terrorisme, les armes de destruction massive, lacriminalité organisée et la violence civile. Il faut compter aussiavec la pauvreté, les épidémies mortelles et la dégradation del'environnement, dont les conséquences peuvent être tout aussicatastrophiques. Tous ces phénomènes sont meurtriers etpeuvent compromettre la survie de l'humanité.

En outre, les Etats membres ont proclamé, dans laDéclaration du Millénaire, qu'ils n'épargneraient aucun effortpour promouvoir la démocratie et renforcer l'état de droit, ainsi

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que le respect de tous les droits de l'Homme et libertésfondamentales reconnus sur le plan international.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

L'importance de cette rencontre tient à la qualité de sesparticipants et plus particulièrement de ses exposants et desthèmes qui vont être abordés.

Le moment est en effet propice pour partager, enseigner ettémoigner sur ce sujet d'actualité.

Il s'agit également pour chacun d'évaluer ses actions et sesresponsabilités, d'abord en tant que citoyen, ensuite commeorganisation de la société civile, chefs religieux ou traditionnels,média, collectivités locales ou organismes de coopérationbilatérale et multilatérale...

Dans cette confrontation d'idées, d'expériences et de valeursqui vont avoir lieu deux jours durant, j'invite les uns et lesautres à faire preuve d'ouverture d'esprit et de tenir compte descontextes.

La richesse des échanges et des débats francs ouverts etcourtois qui vont s'engager devrait permettre, à l'issue de cecolloque sous-régional, de proposer des dénouements réalistespour prévenir les crimes rituels et les conflits.

J'encourage également les Gouvernements des pays d'Afriquecentrale à mener une lutte sans merci contre l'impunité pour ladignité et la sécurité des populations.

Je vous remercie.

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Allocution deS.E. M. Paul MBA ABESSOLE

Vice Premier Ministre) Ministre des Transports et de l'Aviation Civile,Chargé des Droits de l'Homme

Distingués Invités,Mesdames, Messieurs,

L'honneur m'échoit en qualité de Ministre Chargé des Droitsde l'Homme de prendre la parole devant votre augusteAssemblée pour exprimer les préoccupations du Chef de l'EtatGabonais S.E. El Hadj Omar BONGO ONDIMBA, de sonGouvernement et de tout le peuple gabonais devant lapersistance des crimes rituels pratiqués par des irresponsables.

En effet, il n'est pas rare de trouver dans nos forêts ou sur laplage des corps mutilés d'enfants ou d'adultes victimes de cesignobles pratiques dont l'objectif serai soit disant de procurer àleurs auteurs de la puissance du bonheur la chance ou laprospérité dans le cadre de la croyance à la sorcellerie et auvampirisme.

Ces horribles pratiques non seulement tuent outraumatisent nos populations mais ils ne font pas non plushonneur à l'Afrique qui doit trouver et renforcer sa place dansla mondialisation positive.

Le Gouvernement gabonais ne reste pas les bras crOIsesdevant les crimes rituels qui constituent une atteinte directe audroit à la vie qui est un droit sacré reconnu non seulement parla Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, la CharteAfricaine des Droits de l'Homme et des Peuples, mais aussi parnos Constitutions Nationales et nos législations en matièrepénale. A titre d'exemple le Code Pénal gabonais condamne lapratique de la sorcellerie dans la mesure où elle est matérialiséepar des comportements et des objets concrets.

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Si ces mesures ne suffisent pas, nous sommes prêts à lesrenforcer. D'autres parts, nous sommes prêts à revoir nosprogrammes scolaires, et nos programmes d'éducationpopulaire. Pour y insérer les éléments qui mettent en lumièrel'arrière fond culturel et social des ces pratiques. Cesprogrammes permettront de renforcer chez les jeunes et lesadultes les moyens intellectuels de lutte contre ces pratiques,car c'est finalement dans la tête des hommes que se trouve leurorigine.

Le Gouvernement et le peuple gabonais par ma voixremercient l'UNESCO et les autres organisations du Systèmedes Nations Unis qui l'ont soutenu dans l'organisation de cecolloque qui est lui-même un des actes concrets du suivi de laConférence Internationale sur le Dialogue Interculturel et laCulture de la Paix en Afrique Centrale et dans la Région desGrands Lacs organisée par l'UNESCO ici à Libreville il y abientôt deux ans.

Sur ce Mesdames et Messieurs les conférenciers, distinguésinvités, en souhaitant un grand succès à vos travaux, je déclareouvert le Colloque sur les «Causes et Moyens de prévention descrimes rituels et des conflits en Afrique Centrale».

Je vous remercie.

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2) Allocutions de clôture

Allocution deMadame Bintou Djibo

Coordinateur des Agences du Système des Nations Unies au Gabon

Distingués invités,Mesdames et Messieurs,

L'honneur me revient de prendre la parole, au nom duSystème des Nations Unies, à cette cérémonie de clôture ducolloque sous-régional sur les «causes et moyens de préventiondes crimes rituels et des conflits en Afrique centrale» qui se tientdepuis hier sous l'égide de l'UNESCO.

Permettez-moi, Monsieur le Vice Premier Ministre, de vousadresser les compliments et les remerciements de l'ensemble desAgences du Système des Nations Unies, pour avoir permis latenue d'une telle rencontre, qui lève bon nombre de tabous, etqui témoigne également de la volonté du Gouvernement demener une politique forte en faveur de la défense des droits del'homme.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Vous venez, au cours de ces deux jours :

• d'analyser les causes des crimes rituels et des conflits enAfrique centrale,

• de mener des réflexions profondes sur les modalités àtrouver pour les dénoncer et les prévenir;

• de proposer et de retenir des recommandations et descadres futurs de concertation pour assurer la dignitéet la sécurité des populations.

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C'est ici le lieu de vous féliciter tous : les éminentsreprésentants des confessions religieuses, les chefstraditionnels, les magistrats, les universitaires, les médias et lesreprésentants de la société civile pour vos riches contributions àces assises.

Je souhaite que ce colloque soit le détonateur d'unmouvement plus large, visant à assurer la continuité et àgarantir la sécurité collective des populations. Ceci nécessiteune implication ferme de toutes les autorités concernées.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

De vos différentes communications et recommandations ontémergé des solutions attendues pour prévenir les crimes rituelsqui constituent, malheureusement, un frein au développementde nos pays et à tous les droits de l'Homme et libertésfondamentales reconnus sur le plan international.

Parmi elles, j'ai retenu:

• L'initiation et l'adoption de lois reconnaissantexplicitement les crimes rituels et les sanctionnantafin de mettre fin à l'impunité;

• «l'initiation, dans une dynamique participative, desprogrammes d'information, d'éducation et decommunication en direction des chefs religieux ettraditionnels, des jeunes et des adultes en vue d'unchangement de mentalité et de comportement quiévite les dérives irrationnelles» ;

• La mise en place d'une police spécialisée contre lesauteurs et les commanditaires des crimes rituels;

• L'institutionnalisation du dialogue inter religieux enAfrique centrale;

• Et la création d'une Ligue de lutte contre les crimesrituels en Afrique centrale.

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Nous avons tous un grand rôle à jouer, avec l'appui habitueldes médias pour une sensibilisation accrue et uneconscientisation des populations d'Afrique centrale.

C'est à ce prix que nous pourrons prévenir les crimes rituelset les conflits en Afrique centrale.

Je voudrais, pour terminer, souhaiter aux délégués qui ontfait le déplacement de Libreville, un bon retour dans leurs paysrespectifs.

Je vous remercie.

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Allocution de cloture deS.E.M. Paul MBA ABESSOLE,

Vice Premier Ministre, Ministre des Transports et de l'Aviation Civile,Chargé des Droits de l'Homme

Distingués invités;Mesdames et Messieurs;

Après deux jours, vous êtes arrivés au terme de vos travauxsur les causes et moyens de prévention des crimes rituels et desconflits en Afrique Centrale.

Vous avez travaillé sur un sujet particulièrement sensibleque l'on a toujours évité d'aborder publiquement parce qu'ilimplique souvent certaines catégories de citoyens.

Vous avez eu le courage d'en parler. Ainsi, au nom duPrésident de la République, Chef de l'Etat, Son Excellence ElHadj Omar BONGO ONDIMBA et au mien propre, je vousadresse toutes nos félicitations et vous exprime nosencouragements.

Vos conclusions vont, sans nul doute, permettre une avancéesignificative dans la prise de conscience des individus pour lerespect des droits de l'homme. Et contribuer également à lapromotion de ces mêmes droits dans nos pays.

Dans chacun d'eux, il est impératif de lutter contre lespratiques qui avilissent notre image, bafouent la dignitéhumaine et empêchent nos sociétés de progresser.

Les crimes rituels, les conflits sont des obstacles audéveloppement. A cet égard, je souhaite vivement que vosrecommandations, que j'apprécie à leur juste valeur, soientintégrées dans les législations nationales pour combattre cesfléaux.

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Pour finir, je dis merci à tous les Séminaristes qui ontparticipé à cette rencontre, ainsi qu'à ceux qui l'ont organisée.

Que la réflexion sur ces sujets, longtemps demeurés tabous,continue ici et ailleurs afin d'enrichir, toujours plus, lesrésultats de votre réflexion.

Je déclare clos le colloque sur les causes et moyens depréventions des crimes rituels et des conflits en AfriqueCentrale.

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LISTE DES PARTICIPANTS AU COLLOQUE

BurundiPro Philippe NTAYOMBAYE,Université du Burundi, Bujumbura

Mme Joséphine NTAHOBARI,UNESCO/Bujumbura

CamerounRév Ngué Jean Emile,CEPCA, FEMEC/Cameroun

Cheikh Oumarou Malam DJIBRIL,VP Conseil Islamique du Cameroun

GabonPaul MALEKOU,Cour Constitutionnelle

Abbé Casimir ONDO MBA,Paroisse Sainte Marie

M. Jean-Marie AGANGA AKELAGUELO,Sénateur Retraité

Abbé Jean Jacques KOMBILA,Eglise Catholique

Mme Michèle Françoise MBA ONDO,Association des femmes catholiques du Gabon

M. Chérifat BIGNOUMBA,DN Enseignement Privé Islamique

M. Mathieu NDONG ESSONE,Conseiller du Garde des Sceaux, Ministre de laJustice,

M. Jean-Marie EMANE MINKO,Eglise évangélique du Gabon

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M. Richard ABESSOLO,Conseil Supérieur des Affaires Islamiques du Gabon

M. Rostand ESSONO ELLA,Eglise évangélique du Gabon

Imam Ismaël OCENI OSSA,Conseil Supérieur des Affaires Islamiques du Gabon

M. Ali ONANGA Y OBEGUE,Conseil Supérieur des Affaires Islamiques

Mme Françoise MBALA,Associarion des femmes catholiques

M. Parfait MAYOMBO,RENAPS/AJ

M. Jean-Pierre BOUGOUNLOU,AssociationJeunesses sans Frontière

M. Gervais NZUE ABAGAConseil National de la Jeunesse

M. Guy René MOMBO,Afrique Horizons

M. Louis Simplice NGOUA,SOJECS

Mme Clémentine AVOMO NDONG,Association des Femmes Catholiques du Gabon

Mme Hortense Gladys MENGUE,Association des femmes catholiques

M. Janvier OBIANGA,Organisation des Chercheurs et Tradipraticiens du Gabon

M. Jean Blaise NGUEMA,Organisation des Chercheurs et Tradipraticiens du Gabon

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M. Franck René EVONG ABESSOLO,Président de l'Organisation des Chercheurs et Tradipraticiens duGabon

Mme Yvette ANGOMOOrganisation des Chercheurs et Tradipraticiens du Gabon

M. OUSDINE MAMA,Organisation des Chercheurs et Tradipraticiens du Gabon

M. André OBAME,Médias Catholiques

Mme Marie Louise EYIADDDFE

Mme Christine MOUTOU,ADDDFE

Mme Patricia AWORET,ADDDFE

Mme Marthe TCHALOU,ADDDFE

M. Michel BIYA MBOU FILS

Mme Jacqueline MBA OBONE,MESRSM. Jean Elvis EBANG ONDO,Collectifs des familles des victimes des crimes rituels

Mme Victorine EBANG ONDOCollectifs des familles des victimes des crimes rituels

Mme Esther MBA NFOUME,Collectifs des familles des victimes des crimes rituels

M. Aboubakar GAMBA,Collectifs des familles des victimes des crimes rituels

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Mme Assïata BOUKA,Collectifs des familles des victimes des crimes rituels

Pro Martin ALIHANGA,Université Omar Bongo, Sociologie

M. Auguste Moussirou Mouyama,Université Omar Bongo

M. Georice Berthin MADEBE,Centre National de la Recherche scientifique et technologique(CENAREST)

Mme Monique MAVOUNGOU,Maître Assistant en Histoire précoloniale, Université OmarBongo

M. Samuel MBADINGACommissaire Général du Centre National de la Recherchescientifique et technologique (CENAREST)

M. Richard EKAZAMA,IRSH/CENAREST

Gisèle Solomba,Partenaire (M.P.D)

Théodore KOUMBA,Université Omar Bongo

M. Anaclé BlSSIELO,Docteur en sociologie, Université Omar Bongo

Mme Christine NGO-BILONG épouse MOUKONDJI,Enseignante

Mme MONDO MENGUE,Etudiante

M. Abdoul TAMA JOB,Tradipraticien

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Mme MAGAYA Maryse,Particulier

Jean-Claude ENGO MEKUI,Commission Nationale Gabonaise pour l'UNESCO

Prof. MANlRAGABA BALIBUTSA,Consultant UNESCO

CongoPasteur Albert TETSI,Eglise Evangélique du Congo, Brazzaville

Etats-UnisM. Glenn FEDZER,Ambassade des Etats Unis

Guinée EquatorialePasteur ENDJE NGOWE IYANGA,Eglise de Béthanie

République Démoratique du CongoM. Mémé AWAZI NENGO,SG Communauté Islamique ROC

Abbé Dominique KAHANGA ,Facultés Catholiques de Kinshasa

Rév. René Fouti LUEMBA,Eglise Christ Pain de vie

Sao Tome et PrincipeM. Armindo AGUIARHistorien

SénégalSaliou SAMBOU,Gouverneur de Dakar

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UNESCOMakahily GASSAMA,Représentant sous-régional de l'UNESCO

Mme Violeta AGUIAR,Spécialiste adjoint de la culture

M. Tessaw TESFAYESpécialiste adjoint de la Communication

Mme Isabelle SANDJOSecrétaire

Mme Irène BOUANGASecrétaire

UNICEFKritian LAUBJERG,Représentant de l'UNICEF

Hélène AÏKA,UNICEF

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Atelier sous-regional de formation

Thème:

« LesMécanismes Traditionnels de Prévention desConflits en Afrique Centrale»

Organisé par:UNESCO, Bureau de Libreville

En partenariat avec:CENAREST (Centre National de la Recherche Scientifique et

Technologique)

LibreviUe,21Juillet200S

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Introduction générale

Pro Maniragaba BALIBUTSAConsultant UNESCO

L'Atelier de formation sur les mécanismes traditionnels derésolution et de prévention des conflits en Afrique Centrales'inscrit dans le cadre du suivi de la Conférence Internationalesur le dialogue interculturel et la culture de la paix en Afriquecentrale et dans la région des Grands Lacs tenue à Libreville les18, 19 et 20 novembre 2003.

Référence au programme de l'UNESCO

L'Atelier de formation sur les mécanismes traditionnels de résolutionet de prévention de conflits en Afrique Centrale est l'un des volets duProgramme Culture de l'UNESCO qui prévoit l'intégration de ladiversité culturelle aux politiques nationales, sous-régionales etinternationales, et plus précisément, dans le cadre de l'actiond'identification des obstacles au Dialogue interculturel, aupluralisme et au respect de la diversité culturelle.

Antécédent

Dans le cadre du suivi de la Conférence internationale sur ledialogue interculturel et la culture de la paix en Afrique Centrale etdans la Région des Grands Lacs, l'un des objectifs poursuivi est lamise en œuvre d'un programme pilote de formation destinéaux médiateurs interculturels et aux acteurs locaux pertinents,en vue de les sensibiliser au pluralisme, à la diversité culturelle et àla promotion du dialogue interculturel en tant qu'outils de préventionet de résolution des conflits.

Stratégie

La stratégie consiste à mettre en valeur le savoir-faire, lesconnaissances et l'autorité des médiateurs traditionnelsnotamment en les formant à la création de contenusculturellement adaptés et ciblés et à l'utilisation qu'ils peuvent

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faire des Nouvelles Technologies de l'Information et de laCommunication (NTIe) en vue de contribuer à la résolutiondes conflits. En d'autres termes, il s'agit de créer des outilspédagogiques sous forme de publications et de produitsmultimedia.

Résultats attendus

- les outils pédagogiques devant servir à renforcer le vouloirvivre ensemble, la tolérance et la paix durable sont disponibles;

- le réseau de communicateurs traditionnels et modernes surla prévention et la résolution des conflits est consolidé par ladiffusion d'outils pédagogiques culturellement adaptés;

. la notoriété des médiateurs traditionnels dans laprévention et la résolution de conflits sont valorisées par lespouvoirs publics.

A. Modules de formation

1. Introduction

1.1. La civilisation négro-africaine est définissable, en termes dedialogue) de compromis) de coexistence et de paix

Lorsque deux animaux se rencontrent sur un mêmeterritoire dans une situation de rareté de biens (herbes, eau,gibier, femelles, etc.) ou non, s'ils ne se battent entre eux, ils ontleur façon de faire la paix et se séparer sans bagarre ou departager le territoire et les biens en question. Les animauxn'ayant pas l'usage de la parole adoptent des comportementsspécifiques pour la prévention des conflits. Quant aux animauxqui ont l'usage de la parole, ils utilisent, en plus descomportements et attitudes spécifiques, des symboles, desinstruments sonores, des supports graphiques et surtout laparole pour faire la paix ou prévenir les conflits. Ce sont tous

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ces outils que nous appelons « mécanismes» de prévention desconflits. Mais avant d'aborder les mécanismes de prévention desconflits en Afrique Centrale, il convient de faire une brèvetypologie des conflits possibles dans cette région.

Thierno Bah, dans son article publié sur Internet sur « Lesmécanismes traditionnels de prévention et de résolution desconflits en Afrique noire» affirme, d'entrée de jeu, ceci:

« Au seuil du IIIème millénaire, on assiste en Afrique à unesorte d'implosion, marquée par l'instabilité politique, des coupsd'État, des guerres civiles, des conflits ethniques et frontaliersqui rendent ce continent si vulnérable à la misère. Des drames,comme celui de la Région des Grands Lacs revêtent unedimension de pathologie historique et sociale qui interpelle laconscience universelle. La violence n'est cependant ni cultivéedélibérément par les peuples africains, ni inéluctable. Elle leur aété souvent imposée par les contingences historiques, à traversla traite négrière, la conquête coloniale et certaines perversitésde l'Etat post-colonial. Il importe donc de se départir de clichéset mythes erronés qui ont longtemps envisagé nos sociétés enmettant en emphase l'activité guerrière de «tribus sauvages»que seule l'arrivée des colonisateurs aurait stabilisées etpacifiées.

Sans nier que le processus historique en Afrique, hiercomme aujourd'hui, révèle bien des chocs sanglants, bien desconflits intra et intercommunautaires, l'étude objective dessources et des données ethnographiques montre à l'évidenceque la civilisation négro-africaine se définit essentiellement, entermes de dialogue, de compromis, de coexistence et de paix. »

1.2. Typologie des conflits

Il Ya lieu d'esquisser une typologie des conflits suivante:

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a) En Afrique comme ailleurs chez les hommes, il existe desconflits d'inégale violence entre les individus, entre de petitsgroupes d'individus qui vivent ensemble dans la même maison,dans le même village, dans la même ville ou dans le même pays.

b) Les conflits peuvent exister entre des grands groupesd'individus unis par une étiquette clanique, ethnique, ethno­nationalitaire, idéologico-politique, idéologico-religieuse etc.

c) Les conflits peuvent exister entre des communautésethniques, des castes ou classes sociales, des communautésreligieuses etc. Lorsque ces conflits sont entre les communautéselles-mêmes on parle de guerres civiles et lorsqu'ils sont dirigéscontre l'Etat, on parle de rebellions.

d) Les conflits peuvent également exister entre Etats ou entrecoalition d'Etats.

Les causes de ces différents types de conflits sont diversesallant de la simple provocation par un geste ou une paroleoffensante ou jugée comme telle, jusqu'à la défense des droitsdes peuples ou du territoire national.

1.3. L'objectifdes programmes de fOrmation

L'objectif de ces programmes est de faciliter aux chercheursla rédaction d'outils pédagogiques sur les mécanismes de résolutionet de prévention des conflits et sur la culture de la paix en AfriqueCentrale en dressant un inventaire aussi exhaustif que possiblede ces mécanismes. Cet inventaire s'appuiera sur desmonographies déjà existantes, portant sur certains mécanismesde résolution et de prévention des conflits et surl'interculturalité africaine tels que celles de Bah (Thierno) «Lesmécanismes traditionnels de prévention et de résolution desconflits en Afrique noire », Ndiaye (Raphaël), «Pluralitéethnique, convergences culturelles et citoyenneté en Afrique del'Ouest» et Ntahombaye (Philippe) et Allii, «L'institution desBashingantahe au Burundi. Etude pluridisciplinaire ».

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Certains auteurs, dans leurs ouvrages, abordent la questiondes mécanismes de résolution et de prévention des conflits:

- Obenga (Théophile), Les Bantu, langues, peuples, civilisations.Présence africaine, Dakar 1985.

- Alihanga (Martin), Structures communautaires traditionnelles etperspectives coopératives dans la Société Altogovéenne (Gabon)Dissertation ad doctoratum in Facultate scientiarumsocialium apud Pontificiam Universitatem S. Thomae deUrbe, Rome, 1976.

- Kagame (Alexis), Les organisations sociofamiliales de l'ancienRwanda.- Bruxelles Académie Royale des SciencesColoniales, classe des Sciences morales et politiques,mémoires, colL in N. 8, Tome XXXVIII, fasc. 3,1954.

- Bourgeois (R.), Banyarwanda et Barundi tome III, 1954.

1.4. Stratégies de l'instauration d'une culture de la paix en Afrique

La conscience de la communauté d'origine des peuples ainsique certains mécanismes d'extension du réseau des relations deparenté et d'amitié qui créent un devoir de solidarité entre lesindividus et les groupes humains, peut être considérée commele fondement de la construction d'une paix durable dans lesrelations entre ces peuples. Dans certaines cultures africainesqui croient, à travers leurs mythes fondateurs, en l'originecommune de toute l'humanité, cette conscience d'origine despeuples, à fortiori, ne pose pas de problème. Cette consciencen'est cependant pas exploitée dans l'éducation en faveur de lasolidarité humanitaire, étant donné que la culture africaine esten pleine déconstruction suite aux dynamismes dissolvants quifonctionnent en son sein depuis plusieurs décennies.

L'une des caractéristiques de cette culture est qu'elleprivilégie les valeurs de solidarité communautaire et humainecontre l'individualisme. La présence, au sein de certainescultures africaines, des dérives telles que le bellicisme,l'esclavagisme, la sorcellerie et les crimes rituelles etc., ne doitpas être mise en avant pour occulter cette réalité fondamentale.Ainsi, la promotion d'une paix durable en Afrique doit-elle

283

inévitablement passer par une réflexion profonde sur les valeursd'humanisme, d'hospitalité et de solidarité sans lesquelles ilserait vain de parler d'une culture de la paix. On peut ainsiesquisser ici un inventaire des phénomènes culturels et desmécanismes traditionnels d'intégration sociale qui faisaientdes sociétés africaines qui les pratiquaient, des sociétés ouvertes,solidaires et humaines:

1) La conscience de la communauté d'origine des peuplesenracinée dans les mythes fondateurs.

2) La parenté originelle de la plupart des langues africaines.La linguistique historique africaine affirme la parentéoriginelle de la plupart des langues africaines et en tous lescas, en ce qui concerne les langues de l'Afrique Centrale,cette parenté est évidente mais elle est exploitée plus dans lesens de l'ethnisme que dans le sens du renforcement de lasolidarité universelle et de la construction de la paix.

3) En plus de cela, la culture, en Afrique Centrale commeailleurs sur le continent, contient des mécanismesd'intégration sociale qui pourraient également être exploitésdans la construction de la paix. Ces mécanismes dontcertains relèvent du Droit coutumier sont:

a)- Le mariage qui était considéré comme unealliance entre familles, entre clans et ethnies et donccomme une extension du réseau des relations deparenté;

b)- Les relations de parenté à plaisanterie;

c)- Les relations d'amitié profonde et sacrée fondéesur le pacte du sang;

d)- Les relations de fraternité fondées sur l'initiationreligieuse.

4) La responsabilité collective dans l'éducation des enfantset le maintien de la paix ainsi que le rôle des chefs dans larésolution et la prévention des conflits.

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5) Le dialogue et la concertation entre individus et entremembres de la communauté ou représentants descommunautés comme mécanismes permanents derésolution et de prévention des conflits.

6) Les mécanismes spécifiques de résolution et deprévention des conflits.

Dans les programmes suivants, une description de cesphénomènes et des mécanismes sera esquissée.

2. Programmes

2.1. Programme 1: L'importance des mythes fondateurs sur lacommunaute d'origine des peuples dans la formation des nations

La plupart des guerres africaines sont liées à la crise duprocessus de "nationbuilding" (la construction d'une nation).Des peuples qui ne formaient pas une nation avant lacolonisation se retrouvent, avec les indépendances, dans unensemble jouissant du statut international de nation alors qu'ilsne remplissent pas les critères internes d'une nation. En effet,selon Raymond Polin48

, à un moment donné de l'histoire, unenation devient une réalité lorsque, « tant dans l'espace que dansl'histoire, se trouvent réalisées, par une communauté politiqueou plutôt par une pluralité de communautés politiquesconcomitantes, des dimensions favorables à la communicationet à la communion de valeurs, de normes, de sentiments, decroyances, de coutumes, de manières de vivre ». Autrement dit,lorsqu'un groupe humain est arrivé à un moment où ceconsensus diffus a donné lieu au sentiment d'une concordespontanée, d'un bien commun, un vouloir politique commun sedéveloppe et prend conscience de lui-même en tant queconscience nationale.

48 Raymond Polin, « L'existence des nations» in Annales de philosophiepolitique, 8. L'idée de nation, PUF, Paris, 1969, p. 37-48.

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Une nation est donc «un conglomérat d'opinions, de valeurs,de normes, de sentiments, de convietions, de symboles qui, parleur coalescence et leur transposition en une réalité objective,tendent à faire de la nation une réalité vivante, autonome, uneâme, une personne». Cette opinion collective est «fonctiond'une communauté d'origine ethnique aussi bien que d'unecommunauté de traditions historiques, de coutumes, de culture,de moeurs en même temps que d'un consensus, d'un vouloirpolitique commun qui s'exprime, à l'intérieur, par le sentimentd'un sort commun, d'un bien commun, à l'extérieur, par unevolonté d'autonomie, d'indépendance ». De façon générale,continue Polin, «là où les institutions étatiques sont tropextérieures à la vie des peuples, là où on les représentevolontiers, de façon symbolique, comme apportées et imposéespar un législateur transcendant, la conjonction de l'Etat et de laNation n'est pas mûre, ni la situation propice à l'actionéducatrice de chefs capables de se poser en chefs nationaux ».

Lorsque, avec le temps, la conscience nationale s'affermit,elle assume les caractéristiques d'une ethnie, la notion d'ethnies'appliquant, d'après, Roland Breton, Kombanda Sevo etGabriel Mountali, à un groupe humain caractérisé par deuxensembles de phénomènes: 1) le partage de la même languematernelle et généralement aussi des traits culturels communs;l'origine anthropologique commune, la communauté deterritoire etc., qui constituent le soubassement matériel desnations mono ethniques et 2) le vouloir-vivre ensemble. Ce dernierpoint est en réalité l'élément essentiel dans la constitution d'unenation.

Ainsi l'élément biologique ou la parenté physiquehistoriquement prouvable, même là où elle existe, n'est qu'unélément secondaire dans la constitution des ethnies, des nationset des peuples et ce qui différencie profondément la sociétéhumaine en tant que telle d'une horde d'animaux sauvages oud'un troupeau de bétail, c'est que cet élément spirituel dans laformation de la conscience ethnique ou nationale se doublecherche à transcender le physique en prolongeant ses racinesdans la sphère métaphysique, en se cherchant une légitimation

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dans le divin et le sacré. Autrement dit, toute définition del'ethnie ou de la nation doit être «spiritualiste, subjective etvolontariste» sous peine de livrer la société humaine auxtourments des sociétés à la recherche de la pureté zoologique deleur race avec les effets pervers et dont les exemples ne

XXIème " 1manquent pas en ce Siec e.

Il Y a donc une sorte de consensus qui se dégage au niveaudes sociologues et des anthropologues sur le fait qu'un groupeethnique ou national est composé de trois éléments au moins:

1) Une communauté de mémoire et de nom qui peut prendrela forme de la tradition historique ou la forme d'un mythe(le mythe fondateur de l'identité nationale). Cettecommunauté de mémoire donne toujours une certaineexistence diachronique au groupe et fonde son unité dans laréférence commune aux ancêtres, aux personnagesmythiques ou divins « dont la puissance pérenne l'entoure,le surveille et normalement le protège» ;

2) Une communauté de valeurs qui constitue la cultureminimale du groupe ou un ensemble de concepts, de codeset de symboles qui constituent « un canevas sur lequel lesdifférents sous-groupes pourront broder des motifs variés,différents par la forme, les matériaux et la couleur» ;

3) Une communauté d'aspirations ou conscience du groupequi constitue l'élément essentiel de son existence.

Ainsi sans le consensus des populations sur un certainnombre de valeurs et d'objectifs communs, il ne peut y avoir devéritable communauté nationale même s'il existe desinstitutions qui veulent s'imposer comme telles. Lorsque cetélément spirituel n'existe pas encore ou lorsqu'il existe mais estmis en cause suite à des conflits d'intérêts particuliers, ou à desmanipulations idéologiques quelconques, les tendancescentrifuges prennent de plus en plus le dessus et ce sont lesguerres civiles, les rebellions etc, qui commencent...

287

Ainsi, les mythes africains concernant l'origine comme del'humanité et des divers groupes sociaux devraient êtreinventoriés, établis dans leurs corpus originaux (en languesvernaculaires) analysés avec l'intension d'en subsumer lesvaleurs positives dans une synthèse qui devrait jouer un rôlemajeur dans l'éducation de la jeunesse et la formation d'unclimat favorable, non seulement à formation des nations, maisaussi à l'intégration régionale et même à la constitution del'unité africaine effective.

* L'origine commune de l'humanité dans la mythologieafricaine

Il semble ainsi qu'un mythe existait, il y a bien longtemps,quelque part en Afrique, sur l'origine commune de l'humanitéet que, avec la dispersion des peuples, il ait subsisté sous desformes différentes selon les thèses et les intérêts à défendre,mais qu'il ait gardé des éléments qui le rendent facilementreconnaissable. Un de ces éléments communs est l'idée que tousles hommes ont une origine céleste, qu'ils sont donc tous fils duDieu-Créateur selon les différents noms que lui donnent leslangues africaines.

1) Ainsi, dans les traditions du Bwiti mitsogo au Gabon49, l'on

retrouve le récit selon lequel les premiers hommes vivaientau ciel dans le village de Kombe (le Soleil) ou Muanga (leCréateur), leur père. Mais à cause de la chaleur excessive duSoleil (pendant le jour) et du froid également excessif(pendant la nuit), la vie leur devenait de plus en plusinsupportable. Aussi, sous l'initiative du pygmée Motsoi,soupçonnant l'existence d'un plus propice à la vie humaine,les enfants de Kombe lui demandèrent avec instance de leurmontrer un autre lieu où ils pourraient mieux vivre. Kombefit longtemps la sourde oreille certainement parce qu'il nevoulait pas se séparer de ses enfants, mais il finit par céder etappela le pygmée Motsoï en lui disant: je vous montrerai oùvous allez habiter. Il déracina un arbre ce qui fit un trou

49 Le récir donné ici suir les données fournies par Roger Sillans, Bokudup.153-155.

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dans le ciel et dit à Motsoï : regarde là-bas où tu vois clair:c'est là que vous allez habiter. Il lui montrait la terre (d'enbas). A peine entrevue au travers de l'orifice la partie d'enhaut, la partie d'en bas (la Terre) séduisit Motsoï qui décidaaussitôt d'aller la reconnaître. Il vit une grosse chaîne et lajeta, à travers l'orifice, jusqu'à la Terre. Il descendit dessusjusque sur la Terre. Arrivé sur Terre, il y trouva beaucoup defruits: masigho, masagho, aghunghu et kuda. Il constata aussique la Terre était bien froide (d'un climat plus tempéré quecelui du Soleil). Une autre version dit que c'est son pèreKombe qui fit descendre la chaîne pour lui permettred'accéder à la Terre. Après la reconnaissance de la Terre, ilretourna au ciel en remontant la chaîne. Arrivé au Ciel,Kombe lui demanda:

-- Le pays là-bas, c'est bien?-- Oui, c'est très bien, il y a beaucoup de fruits.-- Bien (répliqua Kombe), mais n'y va pas sans monordre.

Motsoï rentra chez lui et raconta ce qu'il avait vu ainsi que larichesse du pays où tout était à profusion. Finalement, Motsoïet un de ses frères décidèrent d'aller s'établir sur la Terre mêmesans l'ordre de leur père. Motsoï dit: Cette nuit, partons! J'ai vuoù notre père a caché la chaîne, qu'il ne sache pas commentnous sommes partis!» Tout le monde dormait et les deuxfrères descendirent. Les autres frères, ne les voyant plus, finirentpar les suivre. Kombe se réveilla et dit: « où sont mes hommes?Comment ont-ils pu abandonner mon village? J'avais pourtantdit de ne pas descendre sans mon ordre et ils sont partis!Puisqu'ils sont tous partis, il faudra qu'un jour il y en ait quireviennent ! »

Depuis ce jour, Kombe s'est fâché et c'est pourquoi il fautretourner dans son village. Aussi tous les jours, il y a desnouveaux-nés et des morts.

2) Chez les Baluba du Kassai (République Démocratique duCongo), le grand texte publié par Tiarko Fourche et Henri

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Morliguem50, nous montre clairement l'origine céleste et

divine de l'homme (au sens universel) dans la pensée desBaluba à en croire le passage suivant:

«7.13. Mais lorsqu'il voulut créer l'Homme, il souhaita unecréature faite à sa propre image, et qui fût le seigneur de toutes lescréatures.

7.14. Ille voulut donc doué d'un Esprit semblable aux Esprits duCiel, et de la faculté de la parole et du pouvoir du Verbe quin'appartiennent qu'aux êtres qui possèdent un Esprit, lesdistinguant des animaux et leur conférant la seigneurie sur eux.

7.15. Il s'emplit donc d'un souffle d'un très grand pouvoir, etl'exhala très puissamment sur la Terre, en disant ensuite: "SeigneurMâle, maître de toutes les créatures, apparais ».

7.16. Et aussitôt, 1'Homme Mâle apparut.

7.17. Puis, il s'emplit à nouveau d'un grand Souffle, l'exhalasur l'homme mâle. et dit ensuite: " Seigneur Femme, apparais. "

7.18. Et aussitôt la Femme apparut

7.19. Ce furent les premiers d'entre les hommes. Et MawejaNangila les nomma" Bende ", qui signifie" Ses Gens ", mot que lesprofanes emploient de nos jours pour dire " autrui ".

7.20. Ce Souffle de Maweja Nangila, par lequel il a créé(homme, est chose de longue durée.

7.21. Chaque homme qui naquitpar la suite en possède une part,et, bien qu'il l'ait altérée, cette part du Souffle de Maweja Nangilaest son Esprit.

7.22. L'Esprit de l'homme est une grande part de sa Vie.Lorsqu'il lui ordonne de mourir, l'homme meurt, mais son Esprit nemeurt pas tant qu'il ne le tue pas en persévérant dans le Mal etlorsque son Esprit lui ordonne de se réincarner, l'homme seréincarne. Aussi le nomme-t-on "Grande Vie ".

SO Une bible noire. Edition Max Arnold, Bruxelles, 1973

290

7.23. C'est son Esprit qui donne à l'homme la faculté de laparole et le pouvoir du Verbe. »

3) Il est curieux de voir qu'à plus d'un millier de kilomètresdu pays des Mitsogo, et à plusieurs centaines de kilomètresdu Kassaï, au Rwanda, l'on retrouve un mythe des originesqui affirme également l'origine céleste et divine de l'homme,le mythe de Kigwi (le Tombé du ciel) ou (Kigwa: le Tombantdu ciel) raconté par le mutwa (pygmées) Bidogo (Kadogo) auPère Peter Schumacher qui l'a publié en 1949-1950. Etantdonnée l'importance de ce texte dans ce débat, nous allonsreproduire le texte en kinyarwanda tel que raconté parKadogo au Père Schumacher (sans les accents) ainsi que latraduction française faite par Maniragaba Balibutsa dansson ouvrage intitulé Une Archéologie de la violence en Afrique desGrands Lacs.

Il existe plusieurs versions du mythe de Kigwa et de Gihanga,dont le contenu varie selon les tendances idéologiques de celuiqui le raconte. Ainsi la version la plus courte, celle de Kadogo,qui nous a été transmise non seulement en kinyarwanda, maismême avec l'intonation du narrateur5

!, a, selon les règles del'herméneutique, toutes les chances d'être la plus ancienne et laplus authentique. L'existence de cette version qui sembletotalement ignorer l'idéologie hamitique, permet donc depenser que le mythe de Kigwa ou Kigwi n'était, au départ, qu'unmythe sur l'origine de toute la population de la région sansdiscrimination selon le modèle des mythes semblables tels quecelui de Kintu chez les Baganda et celui de Ruhanga auKaragwe, etc. Cela veut donc dire qu'il est antérieur àl'ethnisation de la société rwandaise.

Par contre, parmi les autres versions, il en existe une, trèslongue, publiée par le Père Loupias en 1913 uniquement enfrançais sans le nom de l'informateur et qui se caractérise par satournure particulièrement ethnisante, car elle fait de Kigwal'ancêtre exclusif des Batutsi, contrairement à celle publiée par

51 Les Batwa parlent kinyarwanda avec une intonation particuliète pour sedémarquer des autres groupes de la population.

291

Schumacher et selon laquelle Kigwa est l'ancêtre commun deGahutu, Gatwa, Gatutsi, censés être les ancêtres respectifs destrois groupes sociaux rwandais (Bahutu, Batwa et Batutsi), cequi permettait de dire:

« Abanyarwanda tun bene Gihanga :

Nous, Rwandais, nous sommes les ms de Gihanga »

(Selon un dictonpopulaire au Rwanda).

Cette version semble constituer le véritable mythe fondateur,ou, pour ainsi dire, le véritable « évangile» Rwandais car ildisait, comme c'est le cas dans la plupart des mythes fondateursafricains, que tous les hommes sont des frères. Nous avons déjàsouligné l'importance de ces mythes pour la formation de laconscience nationale d'une ethnie ou d'une nation. Encomparant cette version du mythe de Kigwi et de Gihanga, etcelle publiée par Loupias, le lecteur averti peut se faire une idéede la distance qu'il peut y avoir entre deux versions porteuses dedeux ou plusieurs idéologies différentes à partir d'un mêmemythe fondateur.

Mythe de Kigwi (Kigwa) selon version de Kadogo publiée parSchumacher

Texte kinyarwanda (Version deTraduction du texte en françaisKadogo)

Abantu bambere ni babiri: Kigwi Les premiers hommes éraient unna Nyaranda, n'intash ibiri; couple: Kigwi et Nyaranda et deuxbaturutse hejuru. hirondelles et ils sont tous venus du

ciel.

Ngo bagere hashi, babyar umwami Arrivés sur la terre, ils donnèrentw Irwanda: babyara Gihanga naissance au Roi du Rwanda: ilswahanz Urwanda kandi babyara engendrèrent Gihanga,boshe.

Kigw abyara Gihanga, Gihanga, Kigwi engendra Gihanga, GihangaGihang akabyara Rurema, Rurema engendra à son rour Rurema,akabyara Gahutu, na Gatutsi, na Rurema lui-même eut trois fUs:Gatwa, abo kandi bakabyar abantu Gahutu, Gatusti et Gatwa qui, à leurboshe. tour, engendrèrent tous les hommes

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Kigwi na Gihanga na Rurema Kigwi, Gihanga et Rurema sont desn'Imana alikw atar Imana- Imana mais pas de vrais Imana maisNyamana, n Imana zo ha hashi, seulement des Imana terrestres.abantu boshe babyawe n Imana. Tous les hommes sont enfants

d'Imana.

Abachuzi bo hejuru na bo n abana Les forgerons célestes sont eux-aussib Imana, n Imana zo hejuru enfants d'Imana et sont eux-mêmesalikwo atar Imana-Nyamana na des Imana célestes mais ne sont pasbo. le vrai lmmana non plus.

Kigwi yali umuchuzi, ari mw ijuru Kigwi était un forgeron, vivant auhamwe n'abandi bachuzi na she ciel avec d'autres forgerons et leurlero, Ruchuzi Bachurira mw ijuru. père Ruchuzi y faisant leur métier de

forgerons.

Kigwi achura neja, ashimwa na Kigwi excellait dans ce métier derubanda, benewabo baramwanga forgeron de telle façon que le peuplengo bamwite. le louait, tandis que ses proches

parents lui en voulaient à mort etcherchaient à le ruer.

Sharamumenesha, niko kugwa ha Son père le fit partir en secret et ilhashi, hamwe na mushiki we tomba ici sur terre avec sa soeur,Nyaranda, hamwe n intasha na Nyiranda et un couple d'hirondelles.mushiki wayo.

Asanga hashi ntakiriho, nta nka, Il ne trouva rien sur la terre ninta ntama, na byo biva ha hashi, vaches ni moutons qui sont des êtresabanru bava hejuru. subchtonienns (?), ni hommes

puisque ceux-ci ne viennent que duciel.

Njkw intasha gufata mushiki L'hirondelle prit sa soeur et ilswayo, irabyara. eurent des petits.

Kigwa abonye intasha zibyaye Lorsque Kigwi vit que les hirondellesaratangara, ati nanje ndyamanye avaient des petits, il s'en étotma etna mushiki wanjye. dit: moi aussi je vais connaître ma

soeur.

Kigwa niko gufata Nyaranda, ari Kigwi prit alors Nyaranda, sa soeurmushiki we, niko kubyara et ils donnèrent naissance àGihanga ari we yahanz Urwanda Gihanga, le Fondateur du Rwanda.

Rurema wa Gihanga abyara Rurema, fils de Gihanga engendraGahutu, na Garutsi, na Gatwa abo Gahutu, Gatutsi et Gatwa qui

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kandi bakabyar abantu boshe engendrèrent tous les hommes.

L'importance de ce grand mythe fondateur dans le maintienet le renforcement de la cohésion nationale a été méconnue parles idéologies coloniales internalisées par les intellectuels etpoliticiens rwandais eux-mêmes et cela a eu des conséquencesnéfastes depuis la crise de 1959 qui a conduit à l'implosion de lasociété rwandaise en 1994. Cette implosion de la sociétérwandaise a été initiée par la négation et le rejet de l'unitéfraternelle des trois castes composant le Rwanda, abusivementtransformées en races ou ethnies d'origines totalementdifférentes par des théories anthropologiques importées tellesque le mythe hamitique comme le décrit Maniragaba Balibutsadans l'Archéologie de la violence en Afrique des Grands Lacs.

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Tradition et Légende des Batutsi sur la CréationDu Monde et leur Etablissement au Ruanda.

2.1. Création du Ciel et de la terre. Bonheur du Ciel

Imana (Dieu) a d'abord créé deux pays, celui d'en haut, pardessus les nuages, le soleil et les étoiles, et le pays d'en bas, qu'ilfit sur le modèle de celui d'en haut, mais sans beauté nibonheur. C'est la terre que nous habitons, pays de misère, desouffrance, de travail et de révolte.

Avant cette double création, il n'y avait rien. Imana existaitseul.

Au Ciel Imana créa toute espèce de plantes et d'arbres utileset agréables et de chaque animal le frère et la sœur. Ils vivaientau Ciel dans la familiarité d'Imana et jouissaient sans travail detoutes les plantes et de tous les animaux créés. La souffrance etla maladie leur étaient inconnues.

2.2. La Chute

La femme stérile. - Après de nombreuses années écoulées, leshommes s'étaient multipliés, il y avait dans le Paradis unhomme et une femme dont le bonheur n'était pas complet. Ilsn'avaient pas d'enfants pour jouir de leurs biens et fonder unefamille, car la femme était stérile. Cette femme prépara uncadeau de miel, de pombé (bière indigène), de lait, de beurre etde peaux d'animaux sauvages, et s'en alla chez le Créateur.Arrivée en sa présence, elle frappa trois fois les mains et lui dit:«Imana, tu nous a créés, et tu nous a donné toutes choses, letaureau et sa sœur, le bélier et sa sœur, le coq et sa sœur et detout animal le frère et la sœur, pour qu'ils se reproduisent, semultiplient et nous servent. Je t'offre ce cadeau composé deschoses que tu nous as données. Tu as tout fait, tu es tout­puissant, tout est à toi; tu es bon, généreux et tu nous aimes.Ecoute la prière de ta fùle: Elle n'a point d'enfants, tandis quetout ce que tu as créé en produit. Accorde-moi ce bonheur ».

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Naissance, de Kigwa. - Imana fut touché: <<.Je veux bien, dit-il,te donner ce que tu demandes, mais sauras-tu garder le secret »?La femme promit de ne jamais le violer. Imana prend de l'argile,la mouille de salive, la pétrit et façonne une petite figurehumaine. Il la remit à la femme: «Emporte, lui dit-il, c'estl'enfant que Dieu a formé de ses mains et de sa bouche; place-ledans un vase que pendant neuf mois tu rempliras de lait matinet soir. Quand ses membres seront développés tu le retireras. Cesera ton enfant. Mais ne viole pas mon secret, si tu veux leconserver ».

La femme emporte cette ébauche, la place dans un vase, et,deux fois par jour, pendant neuf mois, remplit le vase de lait.L'enfant se formait. Tous les jours, sa mère soulevant lecouvercle, contemplait et admirait l'oeuvre d'Imana. Enfin leterme fixé arrive, elle entend des gémissements et des pleurs.Aussitôt elle retire l'enfant, le lave, se met au lit et au retour deson mari qui était absent elle lui présente l'enfant qui vient denaître. Le mari se réjouit, félicita sa femme et lui fit denombreux cadeaux. L'enfant reçut un nom, mais ce nom nousne le connaissons plus. Nous l'appelons Kigwa, parce qu'il esttombé du ciel.

Naissance de Lututsi. - L'enfant d'Imana grandit. Quand il futarrivé à l'âge d'être sevré, sa mère prépara de l'hydromel, dulait, du beurre et d'autres objets pour faire un cadeau etretourna chez Imana, roi du ciel, afin de lui demander un autreenfant. Imana l'accorda aux mêmes conditions et avec del'argile mouillée de salive façonne le corps d'un enfant.Nyinakigwa l'emporte et le met dans du lait frais, qu'ellerenouvelle tous les jours. Neuf mois après, l'enfant gémit etpleure, la mère le retire du vase, se met au lit et dit à son mariqu'elle a eu un autre enfant. Le mari se réjouit et fit à sa femmede nombreux cadeaux. L'enfant fut appelé Lututsi. C'est le pèredes Bega. Kigwa est le père des Banyiginya, qui donnent le roi auRuanda.

Naissance de Nyinabatutsi. - Quand Lututsi fut sevré,Nyinakigwa revint chez Imana avec de nouvelles offrandes.

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Imana, lui dit-elle, tu m'as donné deux garçons, mais je n'ai pasencore de fille. Toi qui es bon et généreux, donne-moi unefille ». lmana ne rejette pas sa demande. Il façonne le corpsd'une fille, la donne à Nyinakigwa, qui l'emporte, la met dansdu lait qu'elle renouvelle deux fois par jour. Quand l'enfant futformé, la mère avertit son mari qu'elle va enfanter, et tandis quecelui-ci se rend aux champs chercher du bois et des légumespour le ménage, elle retire l'enfant, le lave, l'allaite, et quand lemari rentre, elle le lui montre. C'était une fille. Elle fut appeléeNyinabatutsi.

Des années s'écoulèrent, les enfants grandirent. Ils n'avaientpas leurs pareils dans les environs, en intelligence et beauté.C'étaient des enfants d'Imana.. Kigwa et Lututsiaccompagnaient leur père à la chasse et ni leurs flèches ni leurslances ne frappaient en vain. Ils tuaient beaucoup de gibier.Leur sœur Nyinabatutsi restait au foyer auprès de sa mère. Ellefaisait de plus belles nattes, tressait de plus belles corbeilles queses compagnes, et il ne se trouvait pas de beurre comparable àcelui qu'elle préparait. Tout le monde était dans l'admiration etfélicitait les heureux parents.

La faute. - Nyinakigwa avait une sœur qui, elle aussi, étaitstérile. Voyant Nyinakigwa devenue trois fois mère, elle en futjalouse. Mais ce qui l'intriguait surtout, c'est qu'avant lanaissance des enfants elle n'avait rien remarqué dans l'état desa sœur. Elle soupçonna quelque mystère et voulant le connaîtreà tout prix, elle n'épargna ni caresses ni cadeaux; tout futinutile: Nyinakigwa restait fidèle à sa promesse et disait qu'elleavait eu les enfants de son mari comme toutes les mères.

Un jour, cependant, les deux soeurs ayant bu ensemble dupombé, Nyinakigwa s'enivra, et dans son ivresse perdit toutediscrétion : «0 fille de ma mère, dit-elle à sa sœur, il y a silongtemps que tu me questionnes sur mes enfants; aujourd'huije vais te dire la vérité. Je ne te cacherai plus mon secret. Dutemps que j'étais sans enfants, j'étais triste. J'allai un jour chezImana lui en demander et mes prières en obtinrent. Trois foisj'ai été le trouver dans ce but et trois fois il m'a exaucée. Il

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prenait de la terre, la mouillait de salive et l'ayant pétrie, il enformait le corps d'un enfant et me le donnait. Je plaçais cettefigure dans un vase, que je remplissais de lait matin et soir.Quand l'enfant était formé je le retirais de son bain et je disais àmon mari et aux voisins que j'avais enfanté, car Imana m'avaitdéfendu de violer le secret ».

L'entretien se prolongea longtemps dans la nuit; enfin elless'endormirent côte à côte.

Le lendemain avant le jour, Kigwa et Lututsi prirent leursarmes et s'en allèrent avec leur père à la forêt. laissant leur mèreet leur tante endormies. Cette dernière ne tarda pas à s'éveiller.Tout entière à son projet, elle part sans même avertir à sa sœur,prenant seulement congé de sa nièce, qui avait assisté à laconversation de la veille. Elle était pressée de préparer uncadeau et d'aller chez Imana demander des enfants.

Nyinakigwa se leva enfin. Elle fut étonnée du départ rapidede sa sœur et demanda à Nyinabatutsi pourquoi elle n'avait pasvoulu attendre. Celle-ci répondit: «Maman, elle a été préparerun cadeau pour porter aujourd'hui à Imana ». La mère serappelle son indiscrétion de la veille. «J'ai tué mes enfants, dit­elle, en pleurant et se déchirant la figure avec des ongles. J'aioffensé Imana, j'ai tué mes enfants» et folle de douleur ellecourt chez sa sœur:

- «Enfant de ma mère lui dit-elle, j'ai commis un grandpéché. J'ai violé le secret d'Imana.J'ai tué mes enfants ».

- «La faute et la douleur sont pour toi seule ; pour moi jesuis heureuse de savoir ton secret. J'irai, moi aussi, demandé desenfants à Imana et il m'en donnera ».

- « Ma petite sœur, enfant de ma mère, ne fais point cela, nevas dire à Imana que je l'ai trahi ».

- «Pourquoi n'irais-je pas» ?

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-« Penses-tu qu'Imana irrité veuille t'exaucer? Ma fauten'est-elle pas la tienne ? Moi j'irai cl' abord et, s'il n'a pasentendu nos paroles de la nuit, tu iras ensuite ».Cet accommodement fut accepté.

La Sentence de condamnation. - Nyinakigwa prépare soncadeau et va chez Imana, le roi du ciel qu'elle trouve courroucé.Elle n'ose approcher. Imana l'appelle; elle se présente et salueen frappant des mains: «Avec qui as-tu parlé? lui dit-il aussitôt.Tu as violé mon secret. Tes enfants te seront enlevés, ils irontdans le pays d'en bas souffrir et travailler. Ton cadeau, je lerefuse. L'obéissance m'honore mieux que l'offrande des chosesque j'ai créées ».

Nyinakigwa repartit en pleurant.

La punition. 1. La. fatigue et le chagrin. - Entre temps, Kigwa etLututsi étaient revenus de la chasse et avaient trouvé leur sœurassise sur une natte dans la cour. lis la saluèrent et s'assirent àcôté d'elle. Les voyant tristes, Nyinabatutsi éprouva une grandepeine. Elle essaie de les consoler, les caresse, essuie la sueur deleur visage et frise les tresses de leurs cheveux. Elle leurdemande des nouvelles de leur chasse, pourquoi ils sont rentréssi tôt, sans gibier, sans leur père. Kigwa et Lututsi lui racontentbrièvement que la chasse les a fatigués, que les bêtes fuyaient àleur approche, que ne pouvant les suivre, ils sont revenus sansaucune proie.

A leur tour ils demandèrent où était leur mère. Nyinabatutsileur raconta tout ce qui était arrivé depuis la conversationsacrilège de la veille. lis pleuraient en l'écoutant. «Imana vanous punir. Que deviendrons-nous» ?

Expulsion du Ciel. - Ils causaient encore quand la mère revint.En la voyant, ils cachèrent leur émotion et leurs larmes.Nyinakigwa fut tout étonnée de rencontrer ses enfants:

- «Comment, dit-elle, vous voilà de retour? Vous avez dumoins fait une bonne chasse» ?

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- «Les bêtes, lui dirent-ils, sont devenues sauvages. Ellesfuyaient à notre approche et nous étions sans forces et sansjambes pour les suivre. Notre père cependant n'éprouvaitaucune difficulté, nous l'avons laissé seul poursuivre lesantilopes et bientôt nous ne l'avons plus aperçu. Les autresjours, il n'en était pas ainsi, nos jambes ne refusaient pas d'alleret notre corps était alerte. Aujourd 1hui nous nous traînionssans forces, nous étions essoufflés, et une eau mauvaise coulaitde tous nos membres, tandis que intérieurement nousmourions de soif. Un sort pesait sur nous ».

- «Reposez-vous, mes enfants, et qu'Imana vous fassegrâce» !

Et elle leur offrit du lait. Ils burent avec avidité et sesentirent réconfortés. Nyinakigwa reprend le vase et va le placerdans la maison. Pendant ce temps, un grand bruit se faitentendre, le sol tremble. C'est l'heure du châtiment. La mèresort de la hutte et voit la natte sur laquelle sont assis les troisenfants se balancer et s'enliser; mais elle n'a pas fait trois pasque la natte et les enfants ont déjà disparu et au-dessus de leurtête le sol est devenu ferme. La mère pleure et pleure beaucoupet longtemps. Elle se couche sur l'endroit où avaient disparu sesenfants et y reste toute la soirée et toute la nuit pleurant et selamentant. Qu'ai-je fait de mes enfants, malheureuse mère queje suis? Je les ai perdus. lis sont partis pour le pays du travail etde la souffrance. Imana m'a bien punie de mon péché. Quedeviendrai-je sans mes enfants? Que n'ai-je pu les accompagner? Pourquoi ont-ils été punis à ma place? Mes enfants, c'est moiqui suis coupable et vous, pauvres innocents, vous expiez mafaute! Que faites-vous au pays d'en bas? Y-avez-vous trouvé desvaches, des oiseaux ? Y-a-t-il des bananes et des légumes ?Toutes les choses belles c'est au ciel qu'Imana les a placées. Là­bas, il me l'a dit, c'est la misère, la faim, la soif, et le travail. Oh! Mes enfants, c'est moi, votre mère, qui vous ai rué ». Et ellepleurait.

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La promesse de pardon. - Elle pleurait encore quand lelendemain survint sa sœur, impatiente de connaître la réponsed'Imana. Elle vit Nyinakigwa couchée et se lamentant. Ellecomprit qu'un grand malheur l'avait frappée et fut touchée decompassion.

Nyinakigwa l'invectiva durement:

- «Maudite qui m'as tentée. Que ton sein reste stérile, et quetes bras ne portent jamais un enfant» !

- «Fille de ma mère, pourquoi m'insultes-tu? C'est vrai, j'aiété la cause de ton péché, mais ne suis-je pas atteinte par lechâtiment ? Tu as eu des enfants, tu as été heureuse etaujourd'hui qu'ils ne sont plus, tu es malheureuse, tu lespleures; mais moi, est-ce que j'ai été heureuse un seul jour? Etle serai-je jamais? Je n'ai pas eu d'enfants et suis sans espoird'en avoir. Fille de ma mère, Imana est bon, il punit etpardonne. Va le trouver, je t'accompagnerai, et nos prièresl'adouciront ».

Elles partirent emportant chacune son cadeau. Imana ne lesrepoussa pas, les laissa exposer leur cause et parut touché. Ilpromit d'avoir pitié des enfants et d'améliorer leur sort : ilpermit même à leur mère de les voir de temps en temps à traversune fente du ciel. Tout ce qu'elle demanderait pour eux, il leleur accorderait. li ajouta qu'un jour leur grâce serait complèteet qu'ils retourneraient au ciel à la condition toutefois de ne pasl'oublier.

C'est sur cette promesse qu'est fondée la coutume de ne pasenterrer les rois du Ruanda. Après leur mort, le cadavre estexposé dans la hutte sur une natte soutenue par des traversesattachées aux piliers de la maison. En dessous de la natte on faitdu feu avec des bois odoriférants. Le cadavre sèche (se momifie).L'apparition du premier ver est le signe que le muzimu (l'esprit)du roi a fini son exil. On brûle alors la hutte et on entretient lefeu jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.

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Le roi est retourné au ciel.

Nous Batutsi, nous sommes les enfants d'Imana. Notre pèreest venu du ciel. Il nous a punis pour un temps, mais il nous apromis le pardon. Les Bahutu et les Batwa ont été chassés duciel avant nous et Imana a refusé de leur pardonner. S'ilsjouissent aujourd'hui de quelque bien-être, c'est nous qui leleur avons procuré. Le roi et les Batutsi sont le coeur du pays. Siles Bahutu nous chassaient, ils perdraient tous leurs biens, etImana les punirait.

C'est parce que nous sommes les enfants d'Imana que nousne nous initions pas à Lyangombe. Nous laissons ce travail auxBahutu. Les Batutsi qui le font violent leurs traditions. Ni le roi,ni les grands Batutsi ne peuvent être imandwa.

2.3. L'Etablissement au Ruanda.

Arrivée sur terre. - Kigwa, son frère et sa sœur traversèrent lavoûte du ciel, passèrent à travers les étoiles, à côté du ciel, etdescendant, descendant toujours, ils tombèrent dans le Buganza(Province de Ruanda) à côté de la Kagera, sur une colline en facedu Karagwe. Chassés du Paradis, ils eurent beaucoup de peine às'habituer sur la terre. Ils n'y trouvèrent aucune des plantes, niaucun des animaux dont ils. se nourrissaient au ciel. Ilsn'avaient donc ni vaches, ni chèvres, ni oiseaux, ni semence, ilsn'avaient apporté ni serpe, ni couteau, ni pioche, ni lance niflèche. De tout ce qu'ils possédaient au ciel, ils n'avaient rienemporté, tant leur chute avait été subite. Ainsi abandonnés, ilspleuraient. Ils avaient froid et ils n'avaient pas de feu pour sechauffer, ils avaient faim et ils ne trouvaient rien de bon àmanger. Ils durent se nourrir d'herbes amères qui poussaientdans le pays. Néanmoins ils ne perdirent pas le courage. Avecdes branches qu'ils cassaient de leurs mains, et des herbes qu'ilsarrachaient dans les champs, ils se construisirent une petitehutte pour s'y défendre du froid et des bêtes, car des animauxféroces rôdaient dans le pays et voulaient les dévorer.

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Le feu tombe du ciel. -Après dix jours de souffrance, malades,exténués par la faim et le froid, ils pensaient mourir. liss'adressèrent à Imana leur père: « Imana du Ruanda, ayez pitiéde nous, pardonnez-nous ». Tandis qu'ils prièrent, un grandbruit se fit entendre. Ils crurent que c'était le vent qui soufflaitdans les arbres, ils levèrent la tête et leurs yeux furent éblouis:Un éclair, tombait du ciel devant eux. C'était le feu. «Notre pèrea eu pitié de nous », dirent-ils, et ils s'emparèrent du feu et lecachèrent dans les arbres de la forêt. Depuis, le bois brûle et lesBatwa, à qui Kigwa fit connaître le feu, savent le faire sortir etbrûler.

La semence céleste. - Trois jours après, Kigwa, Lututsi et leursœur étaient devant leur hutte se chauffant et causant des belleschoses dont ils avaient joui autrefois, quand tout à coup le cielse fendit et, les tines après les autres, les graines des plantes duparadis tombèrent devant eux par petits tas. C'étaient desharicots, des bananes, du sorgho et tous les légumes qui sontcultivés au Ruanda.. A cette vue ils se réjouirent et remercièrentImana.

Les instruments de travail. - Quelques jours après, le ciels'ouvrit de nouveau et devant eux tomba un marteau de forgesuivi d'un soufflet. «C'est Imana qui nous les envoie », dirent­ils et ils s'emparèrent de ces objets. Un instant après, le ciels'entrouvrit encore et un fer tranchant et recourbé, terminé parune longue tige garnie d'un manche en bois, tomba: c'était uneserpe. Un autre fer large comme les deux mains réunies maisplus mince et terminé par un fer de trois doigts de largeur etlong d'un demi-empan le suivait. C'était une pioche. Enfintomba un bois travaillé en forme de casse-tête et percé d'unefente transversale où s'adaptait exactement l'extrémité de lapioche. C'était le manche. Ils ramassèrent ces outils,remercièrent Imana leur père et se mirent au travail. Kigwacoupait l'herbe, Lututsi piochait, et Nyinabatutsi semait lesgraines tombées du ciel. Le lendemain les graines avaient déjàlevé, et quelques jours après, ils firent leur première récolte. Iln'yen a pas eu depuis ni de si rapides, ni de si abondantes. Les

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grains récoltés furent de nouveau confiés à la terre, et leschamps, autour de leur hutte, défrichés.

Les premiers habitants du Ruanda. - Il Y avait déjà au Ruandatrois familles: les Basinga, les Bagesera et les Bazigaba. Dans laforêt, il y avait aussi les Batwa. Tous ces hommes venaient duciel, d'où leurs ancêtres avaient été chassés autrefois pour unegrande faute. Ils n'avaient pas demandé leur pardon et Imanales avait laissés jusqu'alors dans le plus misérable état. Ilsvivaient de feuilles d'arbre et de l'herbe des champs. Kigwa,Lututsi et Nyinabatutsi s'en nourrirent les quinze premiersjours, mais cette nourriture était amère. Il fallait beaucouptravailler pour la trouver et elle ne rassasiait pas. Elleprolongeait la souffrance et conservait pendant quelque tempsune vie malheureuse.

Kigwa devient chefdu pays. - Or un jour un Muzigaba cherchaitsa nourriture. Il aperçut une colonne de fumée sortant de lahutte de Kigwa. Il s'approcha pour examiner et voir de plus prèsle phénomène, car il croyait que c'était un nuage. Il neconnaissait pas encore le feu. Il remarqua aux environs de lahutte des champs bien cultivés, des herbes et des plantes qu'iln' avait pas vues ailleurs. Il fut étonné. Puis il vit travaillant dansun coin du champ trois personnes qu'il ne connaissait pas.C'étaient Kigwa, Lututsi et leur sœur. li les interpella :«Hommes étrangers, que faites-vous ici» ? Les enfants d'Imanase retournèrent pour voir qui les appelait et aperçurent leMuzigaba. Comment ? Se dirent-ils, il y a ici des hommes etnous ne le savions pas ? Puis s'adressant au nouveau venu,Kigwa lui demanda où il habitait et ce qu'il faisait dans le pays.La conversation s'engagea avec lui. Kigwa lui raconta qu'ilarrivait du ciel, que les plantes qu'il cultivait, le Créateur lesleur avait données en nourriture. Le Muzigaba demanda à ygoûter.

Kigwa et Lututsi le retinrent. pour manger avec eux. Enattendant que le repas fut prêt, Kigwa et Lututsi lui montrèrentleurs instruments et la manière de s'en servir. Tout

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l'émerveillait. le feu, la pioche, la serpe, et surtout ce que seshôtes lui racontaient du pays d'en haut, du ciel.

Nyinabatutsi, pendant ce temps, préparait le dîner: il trouvala nourriture excellente et pria Kigwa de lui en donner un peupour la porter à ceux de sa famille. Kigwa en donna à son hôtequi repartit enchanter. U raconta aux gens de sa tribu qu'il avaitvu des hommes nouveaux et des choses merveilleuses, et leur fitgoûter les vivres que lui avait donnés Kigwa. Il fut décidé d'uncommun accord qu'ils iraient le lendemain chez Kigwa pourvoir les hommes d' Imana et pour demander des bonnes chosesqu'ils possédaient. Le lendemain, ils se rendirent tous chezKigwa, qui les accueillit avec bonté et leur distribua quelquenourriture. Us s'en allèrent contents. Quelques jours après, ilsfirent à Kigwa une nouvelle visite et le prièrent de leur donnerencore de sa bonne nourriture. Kigwa voulait bien les satisfaire,mais ses provisions ne suffisaient pas pour tout le monde. Illeur dit que s'ils voulaient l'aider à cultiver, il leur donnerait dela semence. Ils acceptèrent; Kigwa leur prêta sa pioche et saserpe à condition qu'ils cultivent ses champs. La récolte desBazigaba fut superbe. Ils étaient dans l'abondance. Les Basingaet les Bagesera apprenant que leurs voisins avaient eu de bellesrécoltes, ils n'étaient plus tourmentés par la faim, allèrent, euxaussi, chez Kigwa lui demander la semence et la pioche. Kigwaagit avec eux comme il avait agi avec les Bazigaba. C'est ainsiqu'il devint le chef des uns et des autres et fut reconnu roi duRuanda.

Mais la pioche s'usait. Kigwa et Lututsi cherchèrent duminerai, le fondirent et forgèrent d'autres pioches sur le modèlede celle qui était tombée du ciel; puis coupant des branchesd'arbre, ils emmanchèrent ces pioches et donnèrent à leurssujets. On vint en demander de toutes parts. Chacun voulaitavoir la sienne et cultiver. Kigwa et Lututsi voyant qu'ils nesuffiraient pas, eux seuls, à fabriquer toutes les piochesnécessaires firent connaître le fer aux Bahutu et leur apprirent àforger. Depuis, les Bahutu forgent eux-mêmes. les pioches duRuanda.

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Les Batwa, qui vivent dans la forêt, vinrent également voirKigwa et lui demandèrent de les protéger contre les bêtesféroces. Kigwa et Lututsi leur donnèrent des lances, leurapprirent à fabriquer arcs et flèches et les rendirent ainsi leurstributaires.

2.4. Le Mutabav

Un envoyé du ciel. - Kigwa, son frère et sa sœur n'étaient pasencore mariés. Ils n'avaient trouvé personne de leur race avecqui s'unir. Ils ne savaient que faire. Devaient-ils rester ensembleou bien prendre des fiancées chez les Bahutu du pays et leurdonner Nyinabatutsi. Ils consultèrent Imana et leur confiancene fut pas trompée. A la fin de leur prière, la foudre gronda etun homme du ciel tomba devant eux. Les trois enfants furenteffrayé, mais l'envoyé d'Imana les rassura. «Ne craignez pas,leur dit-il. C'est Imana qui m'envoie vers vous. Je suis sonenvoyé. Je serai votre médiateur. Vos désirs et vos prières, je lesprésenterai à Imana, et si ce que vous demandez est bon, Imanavous l'accordera». Kigwa, Lututsi et leur sœur voyant qu'il neleur faisait aucun mal se rassurèrent. Ils racontèrent leurssouffrances au Mutabazi, ils lui dirent qu'ils manquaient detout. «Envoyé d'Imana, lui dit Kigwa, que pouvons-nousdésirer? Le ciel nous est fermé, tu es le premier qui viens nousdonner des nouvelles de notre pays d'en haut. Puisque Imana aeu pitié de nous, qu'il t'a envoyé pour nous sauver, dis-lui quenous souffrons, que nous n'avons ni bœufs, ni chèvres, nimoutons, que le coq ne nous avertit plus quand la nuit va finir,qu'aucun oiseau ne chante dans les arbres avant le lever dusoleil, que de notre race il n'y a aucune famille où nouspuissions demander des fiancées et placer notre sœur. Dis-luique nous sommes tristes d'être exilés, mais reconnaissants desdons qu'il nous a faits. Dis à notre mère que la misère nous tue;qu'elle demande à Imana notre pardon ».

Arrivée des animaux. Multiplicamini. - Le Mutabazi repartitpour le ciel et la foudre qui l'avait amené sur la terre leremporta chez Imana. Il lui raconta ce que Kigwa lui avait dit. IlY eut alors conseil au ciel. La mère de Kigwa fut appelée et

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plaida pour ses enfants. Le Mutabazi parla lui aussi en leurfaveur. Imana rappela à Nyinakigwa la promesse qu'il lui avaitfaite après le châtiment. «Tes trois enfants ne seront pasoubliés. l'ai eu pitié d'eux, j'ai déjà adouci .leur sort. Je les aisauvés de la famine en leur envoyant les plantes d'ici, je vais dèsà présent leur envoyer les animaux dont ils ont besoin ». Ilcommanda au Mutabazi de lui amener un couple de chaqueanimal et oiseau du paradis. Quand ils furent rassemblés,Imana chargea le Mutabazi de les conduire dans le pays d'en baset d'annoncer à Kigwa. ces paroles : «Taureau et sa sœurmultipliez-vous », et le Mutabazi plaçait le taureau et sa sœursur la foudre, qui devait l'amener en bas. Imana continuait:«Bélier et sa sœur, multipliez-vous, chevreau et sa sœurmultipliez-vous, coq et sa sœur multipliez-vous, grue et sa sœurmultipliez-vous, bergeronnette et sa sœur multipliez-vous» etsur chaque couple passant devant lui il disait ces paroles: Frèreet sœur multipliez-vous» et au fur et à mesure qu'il lesnommait, il les plaçait sur la foudre qui les emportait aussitôt.Quand tous les animaux et tous les oiseaux eurent défilé, Imanaajouta: «Kigwa et sa sœur multipliez-vous.» Le Mutabazi montade nouveau sur la foudre et suivit le défilé. Kigwa et Lututsi envoyant revenir le Mutabazi avec toute espèce d'animaux etd'oiseaux se réjouirent et le félicitèrent. L'envoyé d'Imana leurrapporta les paroles d'Imana et leur montrant chaque animal, ildisait : Taureau et sa sœur multipliez-vous, frère et sœurmultipliez-vous, mâle et femelle multipliez-vous» ; puiss'adressant à Kigwa et à Nyinabatutsi, il ajouta: «Kigwa et sasœur, multipliez-vous ». Kigwa se récria et dit qu'il n'épouseraitpas sa soeur, que si Lututsi voulait la prendre, elle serait safemme. Mais le Mutabazi reprit : «Mes enfants, nous devonsaccepter les paroles d'Imana sans les contredire. Il a dit: Kigwaet sa soeur multipliez-vous, obéissez à son commandement etque Nyinabatutsi soit la femme de Kigwa ». Kigwa dit alors :«Mais Lututsi mon frère, où trouvera-t-il une femme» ?

- «Imana n'a rien dit. Qu'il attende l'ordre d' Imana ».

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Mariage de Kigwa. - Kigwa épousa donc sa soeur et Lututsiresta sans femme. Il habitait chez Kigwa et possédait avec lui lesbiens qu' Imana leur avait donnés.

Mariage de Lututsi, - Kigwa eut six enfants, trois garçons ettrois filles. Lututsi, qui voulait fonder une famille demanda àKigwa de lui donner l'aînée de ses filles en mariage, mais Kigwarefusa. Il voulait marier ensemble ses garçons et ses filles.Lututsi s'adressa au Mutabazi, qui l'amena de l'autre côté de laKagera, dans le Karagwe. Quand il y eut bâti il lui dit d'aller lanuit chez Kigwa et de lui demander une de ses filles en mariage:

- «Gens de Kigwa, criait Lututsi, gens de Kigwa qui habitezle Ruanda, donnez-nous une fille en mariage ».

- «Gens du Karagwe, qui demandez une de nos filles enmariage, qui êtes-vous» ?

- «Nous sommes les Bega du Karagwe et nous venons du ciel.Nous étions trois, deux garçons et une mIe. Mon frère a épouséma soeur, il n'y a plus de mIe dans le Karagwe. Imana m'envoiechez Kigwa, roi du Ruanda, qui en a trois, lui en demanderune»

- «Et que donnerez-vous à notre fille» ?

- «Du lait et du pombé, des pois, des haricots, du pain desorgho et de la viande de bœuf».

- « C'est bien, puisque vous avez toutes ces choses, nous vousdonnerons une de nos filles ».

- « Quand nous l'amènerez-vous» ?

- «Demain nous passerons le fleuve et le soir nousarriverons ».

Le lendemain en effet Kigwa traversait la Kagéra etconduisait l'aînée de ses filles chez les Bega du Karagwe. Iltrouva sur l'autre rive le Mutabazi qui l'attendait et qui lui

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proposa de la conduire chez les Bega. Kigwa fut surpris de lerencontrer, mais n'osa pas lui demander ce qu'il faisait auKaragwe. Le Mutabazi conduisit donc Kigwa chez les Bega.Lututsi avait préparé un festin où il y avait du lait, du pombé etde la viande, sans compter les autres légumes. Kigwa se disait:«Ma fille sera bien chez les Bega ». On fit donc les. cérémoniesdu mariage et Kigwa ne reconnut pas Lututsi que le Mutabaziavait déguisé. Le lendemain Kigwa et Lututsi causaientensemble. Le Mutabazi vint se joindre à eux et leur dit: «Enfantsd'Imana, votre père a eu pitié de vous, il a comblé tous vosdésirs. Vous possédez toute espèce de plantes et d'animauxpour votre service. A toi Kigwa il a donné Nyinabatutsi pourfemme et toi Lututsi, tu as épousé la fille de ton frère. Tout cequi s'est fait aujourd'hui, c'est Imana qui l'a ordonné.Maintenant revenez au Ruanda et jouissez-yen paix des biensqu'Imana vous a donnés ».

Kigwa reconnut Lututsi et l'accepta pour gendre. Le jourmême tous les deux repassèrent la Kagéra et rentrèrent auRuanda.

Depuis cette époque, les Banyiginya (descendants de Kigwa)donnent leurs filles aux Bega (descendants de Lututsi) et ceux-cidonnent leurs filles aux Banyiginya. Toutes les familles Batutsiviennent d'eux et de leurs enfants.

Les hommes et les animaux se multiplièrent. Kigwa etLututsi donnèrent des vaches, des chèvres et d'autres animaux àleurs tributaires et les sauvèrent de la famine et de la misère.C'est donc Kigwa et Lututsi qui ont apporté sur la terre labénédiction du ciel. Ils étaient les enfants du roi du ciel, l'Imanadu Ruanda.

Mort, résurrection et ascension du Mutabazi. - Le Mutabaziaimait Kigwa et Lututsi et voulait rester avec eux. Il fit avecKigwa le pacte du sang et devint son frère. Il resta chez lui et sonpouvoir délivrait et protégeait le Ruanda de tous les maux; maisdes hommes méchants, jaloux de la protection qu'il accordait àKigwa et à Lututsi se saisirent de lui, l'attachèrent à un arbre et

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l 'y fixèrent avec des fers. Il mourut, mais Imana le délivra et lerendit à la vie; toutefois il ne le laissa plus dans le pays d'en bas.La foudre vint le prendre et le ramena au cieL Kigwa et Lututsile regrettèrent beaucoup et le vengèrent en punissant lesmeurtriers.

Il n'est plus revenu au Ruanda, mais au ciel il plaide pour lepays qu'il aima et quand les malheurs fondent sur ce pays, sonesprit vient habiter dans le corps d'un des ms du roi, quidevient Mutabazi, et le pays est délivré.

Loupias dit que cette l'histoire qui lui fut racontée par unmututsi pauvre qui ne voulait pas qu'il la publie. Il dit qu'il l'areproduite en l'abrégeant un peu et en y insérant quelquestitres. Le narrateur lui aurait dit qu'il la tenait de son père,qu'elle n'était connue que des Batutsi, mais que beaucoup ne laconnaissaient pas bien.

3. Programme 2 : La parente originelle des langues africaines etle dialogue interculturel comme facteur de maintien de la paix

L'une des thèses qu'il faudrait prendre le plus au sérieux, sil'on veut promouvoir l'unité africaine, est celle de l'unitéoriginelle de toutes les langues dites négro-africaines. Il seraitsouhaitable qu'une institution scientifique africaine mette enplace les dispositifs de recherche nécessaires pour infirmer ouconfirmer la thèse selon laquelle la plus grande partie deslangues africaines (sinon toutes) auraient une originecommune. L'une des formulations les plus récentes de cettethèse se trouve chez Théophile Obenga pour qui cette languecommune d'origine porterait le nom de négroégyptien.

D'après Obenga52, en effet, l'extension géographique du

négroégyptien, en toutes ses variétés historiques, couvre

S2 Dans son livre sur l'Origine commune de l'égyptien ancien, du copte et deslangues négro-africaines modernes. Introduction à la linguistique hIStoriqueafricaine, L'Harmattan, 1993, p. 350-354.

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aujourd'hui toute l'Afrique, à l'exception des domaines duberbère, des langues sémitiques africaines (le sabéen et les parlersanciens sur lesquels reposent les différents dialectes éthiopiens,tels que le guèze, le tigré, le tigrigna, l'amharique) qui fontpartie du sudarabique (sabéen, minéen, qatabanique,hadramotique, awsanique, mehri, soqotri, etc.), et du domainedes langues khoisan.

Dès lors, en tenant compte des acquis antérieurs quirésistent jusqu'ici à la critique scientifique (notamment lestravaux de Greenberg, de Cheikh Anta Diop, de Dalby, de Heine,de Ehret et de Phillipson), en tenant compte également descorrespondances morphologiques, phonétiques, lexicologiquesqui viennent cl 1être établies avec soin et précision entrel'égyptien (pharaonique et copte) et les langues négroafricainesmodernes, il est légitime, scientifiquement, de proposermaintenant une nouvelle classification des langues africaines.Nous avons par conséquent les grandes familles suivantes:

Le négro égyptienLe berbèreLe khoisan.

Le négro égyptien comprend:

l'égyptien: le pharaonique et le copte;le couchitique : le couchitique septentrional, le couchitiquecentral, le couchitique oriental, le couchitique occidental etle couchitique méridional;le tchadique : le tchadique occidental, le kotoko, lebatamargi, le tchaclique oriental ;le nilosaharien : le songhai, le saharien, le mabien, le fur, lecharinil, le comien;le nigérokordofanien : Niger-Congo et kordofanien.

L'égyptien:Le pharaonique comprend: vieil égyptien (ancien égyptien:30002200 environ avant notre ère), moyen égyptien ou

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égyptien classique, néoégyptien de la BasseEpoque,démotique.

Le copte comprend: le sahïdique ou thébain, le bohaïriqueou memphite, le bachmourique, le fayoumique,l'achmouninique, le moyenégyptien, l'akhmîmique, lesubakhmîmique ou lycopolitain, le paléothébain.

Le couchitique:Le couchitique septentrional comprend: le beja (bedawiye,bedauye, bedawie).Le couchitique central comprend : le bogo ou bilin, lekamir, le khamta, l'awiya, le damot, le kemant, le kayla, lequara.

Le couchitique oriental comprend : le sahoafar, le somali, legalla ou oromo, le konso, le geleba, le marille, le gardula, legidole, le gowaze, le burji, le sidamo, le kambata(kambatta), l'alaba, le hadya, le tambaro, le caffino, le gedeo(derasa, darasa, darassa).

Le couchitique occidental comprend : le gangero (janjero,giangero), le wolamo, le zala, le gofa, le basketo (basketto),le baditu (badittu), le haruro, le zaysse (zaissé), le chara(ciara, cara), le gimira (ghimira), le benesho (beneco), lenao, le kaba, le shako (cako), le she (ce), le maji, le kafa, legaro, le mocha, l'anfiUo, le shinasha (cinaca), le bako,l'amar, le bana, le dime, le gayi, le kerre, le tsamai, le doke,le doUo.

Le couchitique méridional comprend : iraqw, gorowa (goroa,fiome). alawa (uwassi), burunge (burungi. mbulungu), ma'a(mbugu), sanye.

Le tchadique :

- Le tchadique occidental comprend : le hausa (haoussa), legwandara; le ngizim, le mober, l'auyokawa, le shirawa, le bede ;le warjawa, l'afawa, le diryawa, le miyawa, le sirawa, le gezawa, le

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seiyawa, le barawa ; le bolewa, le karekare, le ngamo, le gerawa,le gerumawa, le kirifawa, le dera (kanakuru), le rangale, le pia, lepero, le chongee, l'angas, l'ankwe, le bwol, le chip (cip), ledimuk, le goram, le jorro, le kwolla, le miriam, le monrol, lesura, le ral, le gerka, le ron.

- Le groupe Kotoko comprend: le logone, le ngala, le buduma,le kuri, le gulfei, l'affade, le shoe, le kuseri.

- Le groupe batamargi comprend : le bachama, le demsa, legudo, le malabu, le njei (kobochi, nzangi, zany), le zumu (jimo),le holma, le kapsiki (kamsiki), le baza, le hiji, le gude (cheke), lefali, le margi, le chibak, le kilba, le sukur, le vizik, le vemgo, lewoga, le rur, le bura, le pabir, le podokwo (podoko) ; le gabin, lehona, le rera, le jera, le hinna (hina).

- Le tchadique oriental comprend:

le hina, le daba, le musgoi (musgoy), le gauar (gawar) ; legisiga, le balda, le muturua (muturwa), le mofu, le matakam, lemboku, le hurza, l'uzam, le mada ; le zelgwa (zelgwa) ;

-le gidder (gider)

-le mandara, le gamergu

-le musgu

- le bana, le banana (masa), le lame, le kulung

- le somrai, le rumak, le ndam, le milru, le sarwa, le gulei ; legabere, le chiri dormo, le nangire ; le sokoro (bedanga), le barein; le modgel ; le ruburi (rupuri) ; le mubi, le karbo.

Le nilosaharien

- Le songhai : langue nilosaharienne parlée avec de légèresdifférences depuis Diene (Djéné, Dienné), sur le Bani, au sud deMopti, en suivant les rives du Niger, jusqu1au centre du Bénin(Dahomey), à Djougou, ainsi que dans le Hombori et dans leDjerma et jusqu 1à Agadès dans l'Aïr.

- Le saharien comprend : le kanuri, le kanembu, le teda, ledaza, le zaghawa, le berti. Le kanuri (kanouri) est parlé par

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toutes les populations entourant le Tchad. Le Kanem, leBornou, le Manga, le Mounio, sont des États de langue kanuri.li faut y joindre les importantes oasis du Kawar (Bilma) etd'Agram (Fachi). Les Buduma, habitant les îlots du Tchad,parlent un dialecte Kotoko, fortement imprégné de kanuri. LeDamagarim est composé par moitié de populations de languekanuri (<< béribéri ») et de populations de langue hausa. Lekanuri est enfin la langue d'une partie de la population desprovinces de Kano, de Bauchi et de Vola (Nigeria) et del'Adamawa (Nord-Cameroun: le kolé est une variante dukanuri). Des noms kanuri de localités se reconnaissent depuisBilma au nord jusqu'à Garoua au sud, de Zinder à l'ouestjusqu'à ifest du Bahr elGhazal.

- Le mabien comprend: le maba, le runga, le mimi (mime).

-Lefur

- Le comien : le koma, le ganza, l'uduk, le gule, le gumuz, lemao.

- Le Chari-Nil est un vaste groupe qui comprend plusieursbranches:

famille du Soudan oriental avec au moins dix branches;famille du Soudan central avec au moins sept branches:

a) La famille du Soudan oriental de ifensemble ChariNil :

- le nubien : le nubien du Nil (MahasFadidja et Kenuzi­Dongola) ; nubien du Kordofan: le dair, le dilling, le gulfien, legarko, le kadero, le kundugr ; le midob ; le birked ;

- le mûrie (beir), le longarim, le didinga, le suri, le mekan, lemurzu, le surma (comprenant le tirma et le zulmanu), lemasongo;

-le barea;

-l'ingassana (tabi) ;

- le nyima, l'afitti ;

- le temein, le teisumdanab ;

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- le merarit, le tarna, le sungor ;

- le dagu du Darfur (Darfour), le baygo, le sila, le dagu duDar Dagu (Wadai, Ouaddai), le Dagu du Kordofan occidental,le njalgulgule, le shatt, le liguri ;

- le nilotique: le nilotique occidental: le burun, le shilluk,l'annua, l'acholi (acooli), le lango, l'alur, le Iwo (luo), lepadhola, le jur (giur : Province du Bahr elGhazal, au Soudanméridional), le bor, le dinka, le nuer; le nilotique oriental :

Le bari, le fajulu, le kakwa (kaukau), le mondari, le jie, ledodoth, le karamojong (kanmojong), le kumam, le teso (teuso)ou ik, le turkana, le masai (maasai) ; le nilotique méridional: lenandi, le suk, le tacoga, le kalenjin, le kipsigis, le kamasya, lemarakwet, l'elgeyu, le tugen ;

-le nyangiya (cette branche ne paraît pas sûre).

b) La famille du Soudan central de l'ensemble Chari-Nil :

- le bongo, le baka, le morokodo, le beli, le gberi, le sara (lemadjinngay, le gulai, le mbai, le gamba, le ngambai, le kaba, ledendje, le laka), le vale, le nduka, le tana, le horo, le bagirmi(baguirmien), le kuka (dans le bassin du cours inférieur duBatha Wadayen), le bulala (bulalia: les Bulala ont en fait adoptéla langue des Kuka), ke :?; (les Kenga seraient venus de loin dansl'Est, d'une montagne nommée Mogum), le disa, l'aretu (roru),le ngama, le mbaga, le bina;

-le kreish;

-le binga, le yulu, le kara (fer) ;

- le motu, l'avukaya, le logo, le keliko, le lugbara, le madi(niakwu) ;

- le mangbetu (mabiti, mando, mabisanga), le lombi, lepopoi, le makere, le medje (meje), l'asua;

-le mangburu, le mamvu, le lèse, le mvuba, l'efe ;

-le lendu.

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Le nigérokordofanien :

a) Le Niger-Congo de l'ensemble nigérokordofanien (Niger-Kordofan)comprend:

- Ouest-Atlantique:

Septentrional : le wolof (valaf), le serer (sérère) le fula(fulani, peul), le konyagi (koniagui), le le basari (bassari), lebiafada.le Badyara (pajade), le diola (dyola, dioula), le mandyak(mandjaque), le balante, le mancagne, le felup, le bayot, lecassanga, le banyum, le mu, le cobiana, le bidyogo ;

Méridional : le temne, le limba, le sherbro, le baga, lelandoma, le kissi, le bulom, le gola, le mende.

-Mande:occidental ; le soninke, l'azer (soninke médiéval), le

sarakollé, le malinke, le bambara (bamana), le dayula (dioula),le numu, le ligbi, le huela (huéla), le vai, le kono, le koranko, lekhasonke (khassonké), le susu (soso), le dyalonke; le sya (sia), lemande (mandingue), l'oko, le gbandi, le gbunde, le loma (toma),le kpelle (guerzé) ;

Oriental ; le mano, le dan (gio), le kweni (guro, gouro), lemwa, le nwa, le samo, le bisa, le busa. Il faut encore inclure: lelebir ou dialecte ouest du bisa, le sa, le san du Nord ou kouy(kwi), le bë, le gban, le yauré (yaure) ; le boboring.

- Voltaïque (Gur): le sénoufo (senufo) : le minianka, le tagba,le foro, le tagwana (takponin), le dyimini, le nafana ; lelobidogon : le lobi, le dyan, le puguli, le gan, le gouin, le turuka,le doghosie (dorhosié), le doghosiefmg (dorhosiéfinng), le kyan,le tara, le bwamu, le wara, le narioro, le dogon, le kulango ; legrusi : l'awuna, le kasena, le numuma, le lyele, le tamprusi, lekanjaga (bulea), le degha, le siti, le kurumba (fulse), le sisala ; lemossi (môré), le dagomba, le kusasi, le nankanse, le talensi, lemamprusi, le wala, le dagari, le dagbani, le birifo, le namnam ; letem, le kabre, le delo, le chala ; le bargu (bariba, batonu) ; le

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gurma (gourmantché, gurmanrie), le tobote (bassari), le kasele(chamba), le moba.

- Kwa : le bête, le bakwe, le grebo (crebo), le bassa, le de, lekru (krawi) ; l'avatime (Sïya), le nyangbo, le taft, le logba, lelikpe (Sekpele), l'ahlo, l'akposo, le lefana, le bowili, l'akpafu, lesantrokofi, l'adele, le kebu, l'anyimere, l'ewe, l'aladian, l'avikam,le gwa, le kyama, l'akye, Pari, l'abe, l'adyukru, l'akan, le twi,l'asante, le fanti (fante), l'anyi, le baule (baoulé), le guang, lemetyibo, l'abure (abouré), le gà, l'adangme, le lete, le late, lekyerepong, l'anum, le nawuri, l'anana, le nkemi, le salaga, lesimpan, le cama (ebrie, ébrié), le rizima, l'effutu, le nkonya, lesiwu (lolobi), le krachi, le ge ; le na:;o, le fon (fongbe), le yoruba,le bini, itsekiri, l'urhobo, l'isoko, l'ora, l'igbira, nupe, l'igbo,l'idoma, l'ijaw, le kalabari, le gbari, le gade, l'ishan, le kukuruku,le sobo, l'igala, l'agaru, l'iyala, l'ibo, l'ijo.

- Benue-Congo (Bénoué-Congo) : le kambari, le dukawa, ledakakari, le basa, le kamuku, le reshe ; le piti, le janji, le kurama,le le chawai, l'anaguta, le buji, l'amap, le gure, le kahugu, leribina, le butawa, le kudawa ; l'afusare, l'irigwe, le katab, lekagoro, le kaje, le kachicheri, le morwa, le jaba, le kamantan, lekadara, le koro, l'afo ; le birom, le ganawuri (aten) ; le rukuba, leninzam, l'ayu, le mada, le kaninkwom ; l'eggon, le nungu, leyeskwa ; le kaleri, le pyem, le pai ; le yergam, le basherawa ; lejukun, le kentu, le nyidu, le tigong, l'eregba, le mbembe, lezumper (kutep, kutev, mbarike), le boritsu; le boki, le gayi (uge),le yakoro ; l'ibibio, l'efik, l'ogoni (kana), l'andoni, l'akoiyang,l'ododop, le korop ; l'akunakuna, l'abine, yako, l'asiga, l'ekuri,l'ukelle, l'okpotomteze, l'olulomo, le ngwe, le ngwo, le bafut, lekom ; le tiv, le bitare, le batu, le ndoro, le mambila, le bute,

- bantu: plusieurs centaines de langues parlées dans toutel'Afrique centrale, orientale et australe : le bubi, le mbati,l'ewondo, le bulu, le fang, le tunen, le mpongwe, le tsogho, lepunu, le teke, le kongo, le mbochi, le douala, le bobangi, lelomongo, le topoke, le ntomba, le kuba, le luba, le lunda, lembunda, le cokwe, le pende, le herero, le kimbundu, letumbuka, le swahili, le luganda, l'ombo, le toro, l'ankole, le

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nyom, le soga, le luhya, le haya, le zinza, le rwanda, le rundi, lekikuyu, le kamba, le meru, le chagga, le pokomo, le shambaa, leparc, le sukuma, le bende, le nyamwt$i, le nyakyusa, le fipa, lehehe, le yao ; le makonde, le makua, le shona, le ngoni, le zulu,le ronga/tonga, le soubya, le sena, le louyi, le sigwamba, etc.).

- Adamawa et langues orientales: l'adamawa : le tula, le dadiya,le waja, le cham, le kamu ; le sawa, le chamba, le donga, le lekon,le wom, le mumbake ; le daka, le taram ; le vere, le namshi, lekolbila, le pape, le sari, le sewe, le woko, le kotopo, le durru(dourou), le kutin (koutine) ou peere, le mome ; le galke, lepormi ; le pam, le mono, le mundang (moundang) ; le dama; lembum (mboum), le mbere ; le kali, le pana, le ngumi ; le ko, lepandjama; le fali j le mumuye, le kumba, le gengle, le teme, lewaka, le yendang, le zinna ; le yasing, le mangbei, le kpere, lelakka, le dek ; le yungur, le mboi, libo, le roba j le kam ; le jen, lemunga ; le longuda ; le nimbari ; le bua, le niellim, le koke ; lemasa.

Langues orientales: le gbaya (baya, baï), le manja (mandja),le mbaka (Gmbwaga, ngbaka) ; le banda (linda, gbwende, lebelingo, le moruba, le togbo, le ngura, le ka, le ndi, le ngao, levada ; le langwasi ; le dakpwa ; le vora ; le banza j le ngobu ; lesabanga) j le ngbandi, le sango, le yakoma ; le zande, le nzakara,le barambo (duga), le pambia ;. le bwaka, le monjombo(mondzombo, mundzombo), le gbanziri, le mundu, le mayogo,le bangba, le mangbele ; le ndogo, le bai, le bviri, le golo, le sere,le tagbo, le feroge, l'indri, le mangaya, le togoyo ; l'amadi(madyo, ma) ; le mondunga, le mba (bamanga, kimanga, mbae),le bari, le ngbote.

b) Le kordofanien de l'ensemble nigérokordofanien (NigerKordofan)comprend:

- Groupe koalib : le koalib, le kanderma, l'heiban, le laro,l'otoro, le kawama, le shwai, le tira, le moro, le fungor.

- Groupe tegali : le tegali, le rashad, le tagoi, le tumale.

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- Groupe talodi : le talodi, le lafoda, l'eliri, le masakin, letacho, le lumun, l'el amira.

- Groupe tumtum : le tumtum, le tuleshi, le keiga, le karondi,le krongo, le min, le kadugli, le katcha.

- Groupe katla : le katla, le tima.

Toutes ces famille~, toutes ces classes, tous ces groupes etsous-groupes linguistiques, toujours d'après Obenga,composeraient, évidemment, plusieurs degrés de parenté. Leurorigine commune se situerait au delà de 8000 ans avant notreère et le territoire national commun se localiserait dans la Valléedu Nil. Par ailleurs, sans l'égyptien ancien, il serait impossibled'entrevoir la profonde parenté originelle de toutes les languesnégroafricaines, du Sénégal à la Somalie, du Mali au Cap deBonne Espérance.

4. Programme 3 : Les facteurs d'integration sociale et leur roledans la prevention de conflits

4.1. Le mariageLe mariage est le premier facteur d'intégration sociale car il

crée une alliance entre des individus et des familles d'originesdifférentes. Quand il est exogamique, comme c'est le cas dans laplupart des sociétés africaines, il crée une alliance nonseulement entre des familles, mais aussi entre des clans et desethnies. Au niveau des générations issues de ce mariage, ils'établit automatiquement des relations de parenté entre despersonnes appartenant à des familles, à des clans et des ethniesdifférentes. De même, les alliances matrimoniales contribuentautomatiquement à l'extension des relations de parenté àplaisanterie entre beaux-frères, entre belles-sœurs, cousins,cousines, etc. Dans les sociétés classificatoires telles que lessociétés africaines, ce réseau de relations s'amplifie encoredavantage et cela est extrêmement important pour laconstruction de la paix et la prévention des conflits.

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4.2. Les relations de parenté à plaisanterie

La notion de parenté à plaisanterie:

Les études faites sur les alliances ou la parenté à plaisanteriecomme moyens de résolution et de prévention de conflits etmême comme moyens de renforcement de construction del'unité nationale effective dans certains Etats de l'Afrique del'Ouest tel que le Sénégal. En effet, l'étude de Raphaël Ndiaye,chercheur à Enda Tiers Monde, intitulée «Pluralité ethnique,convergences culturelles et citoyenneté en Afrique de l'Ouest»présentée sous forme de conférence inaugurale au Colloque surLes éco-systèmes régionaux dans une synérgie pour undéveloppement concerté tenue à Joal-Fadiouth les 19-20novembre 1999, est l'une des actions scientifiques et culturellesqui s'inscrivent dans le cadre du programme de l'ACD(Association culturelle Aguène Diambogne)53. D'après Ndiaye,les Festivals des origines organisés par l'ACD veulentnotamment:

- recentrer le regard des Africains, des limbes d'horizonsdivers, vers eux-mêmes grâce à l'intégration dans la quête desfils du continent, de certaines des traditions séculaires de celui·ci ; les incitant de la sorte à aller chercher en eux-mêmes lesressources et les ressorts au moyen desquels il est possible defaire face à la situation;

. corriger cette VISIOn de juxtaposition d'une pluralitéd'entités ethniques, exc1usive!lles unes des autres, en mettant enavant les mécanismes forts et subtiles qui les traversent pour lesintégrer les unes aux autres, avec la chaleur de la convivialité etla succulence de l'humour;

• offrir un soubassement de type socioculturel et socio·historique aux structures réfionales d'intégration que sontl'UEMOA, le CILSS, CEDEAO ;

53 Fondée par Saliou Sambou, gouverneur de la région du Cap Vert auSénégal.

320

promouvoir une culture de la paix et de la nonviolence, conformément à la décision de l'Assemblée Généraledes Nations Unies.

Pour atteindre ces objectifs, l'ACD entend exploiter lesconvergences culturelles ouest-africaines qui sont entre autres:

-les correspondances ethno-patronymiques ;- les équivalences patronymiques et leurs chaînes;-la parenté plaisante.

Les relations de parenté à plaisanterie existent probablementdans toutes les sociétés africaines, y compris en AfriqueCentrale, mais en Afrique de l'Ouest, elles ont acquis ladimension d'une véritable politique depuis que la Charte deKurukan-Kuga fut promulguée en 1236 par les représentants duMandé primitif et leurs alliés réunis à Kurukan-Fuga (au Mali)pour régir la vie de l'empire mandingue. En effet, cette charte,en son article 7, dit;

«Il est institué entre les Mandekas le Sanakunya (cousinageà plaisanterie) et le Tanamanoya (forme de totémisme). Enconséquence, aucun différend né entre ces groupes ne doitdégénérer, le respect de l'autre étant la règle.

Ainsi, la parenté à plaisanterie joue un rôle majeur dans lacoexistence pacifique des peuples d'origines ethniquesdifférentes et dans leur intégration sur le plan supra-ethniquedans des Etats modernes en Afrique de l'Ouest.

Il est également remaquable que, Saliou Sambou, à traversl'ACD le mythe d'Aguène et Diambone comme figuresemblématiques de l'unité originelle des différentescommunautés qui font le Sénégal actuel et qui se sententeffectivement unies par une parenté à plaisanterie, soit parvenuà apporter une contribution décive à la résolution du conflitentre les Diola et les Serere.

321

En effet, dans la mythologie sénégalaise, Aguène etDiambone sont deux sœurs qui, ayant été séparéesaccidentellement, se sont retrouvées, l'une dans la régiôn d~Sud et l'autre dans celle du Nord, mères de plusieurs lignées quiont été à la base d'ethnies différentes. L'originalité de SaliouSambou consiste dans le fait d'avoir compris non seulement laportée culturelle et symbolique de ce mythe, mais aussi saportée utilitaire dans la résolution et la prévention des conflitsdans la région et dans sa contribution au renforcement del'unité nationale effective du Sénégal et même dans laconstruction de l'Union africainé4

4.3. Le pacte de sang

Théophile Obenga55, a de belles pages sur le pacte de sang.

L'échange de sang, dit-il, le pacte de sang est un rite qui a poureffet de créer, chez les contractants, une solidarité magique dansla mort et une invulnérabilité à la magie maléfique. « Le sangn'éloigne pas de la santé. Il implique justement énergie,fécondité, reproduction de la vie. Le pacte de sang « décisioncourageuse, en cela qu'il fait coïncider le drame et le pathos aucœur d'un désintéressement charitable. Le pacte de sang est unmystère d'amour et de renaissance. Un geste proprementhyperbolique dans le vaste monde où rien ne se perd ».

Toujours d'après Obenga, en donnant son propre sang enéchange d'un autre sang humain, « l' homme transcende ainsi lamortalité et se soustrait pour ainsi dire, aux lois physiques de lapesanteur. Le sang d'autrui bu en retour de son propre sangn'obéit à aucune épargne, à aucune économie du temps et del'espace. Il s'agit d'un geste rituel, d'un acte cérémoniel dont lenom est Amour, car l'homme a peur de l'échec, en définitive ».

Le pacte de sang est l'un de ces efforts laborieux de l'hommeavec lui-même pour conjurer le mal. Il indique « qu'il y a placepour le devenir humain, en ranimant toujours les eaux vives de

54 Voir le livre de Saliou Sambou, La légende d'Aguène et Diambone. Uner,réface de Amadou Tidiane Wone. Niamagne Edit.Dakar, 2005.s Les Bantu, langues, peuples, cit'ilisations. Présence africaine, Dakar 1985, p.

214-217. •

322

la vie, de l'amour de la solidarité interindividuelle ouclanique ».

Obenga nous rappelle, à cette occasion, qu'il existe plusieursformes de pactes de sang:

- les pactes de fidélité jusqu'à la mort,-les pactes d'union dans la mort,- des pactes de fidélité conjugale,- des pactes d'amitié.

Il existe également différentes façons de les conclure:

- en suçant le sang l'un de l'autre;- en mêlangeant les deux sangs dans le creux d'une feuille qui

sera ensuite enterrée au pied d'un arbre.

Il précise: « Le sang qui sort de l'incision (souvent au bras)n'est pas immédiatement léché ou absorbé par les parties, maisil est mêlé au préalable avec le sang de l'autre partie et desmédecines spéciales dans feuille ou une corne d'antilope ou decabri: la vie des parties est liée quand l'échange a eu lieu, c'est­à-dire quand le pacte est conclu, quand chaque partie mange(ku-dia, ku-lia, ku-la,)« manger l'incision, soit le sang mêlé ».

Obenga nous donne ensuite une idée de la richesse duvocabulaire du pacte de sang dans les langues bantu par la listesuivante:

a. Mots désignant le pacte, l'alliance, la conclusion d'un pacte:

Mots ou expressionSens en français

Langueen langues africaines d'origine

bukon; alliance, pacte hunganadiabukon; faire alliance» (litt. :

«manger alliance»lakuun, amour mbuun

usendo amitié, solidarité, pacte luena,tchokwe;

323

kasendi, pacte de sang lundakasendo tchokwe;kimhayi amitié, alliance hungana

diakimbayi faire alliance,conclure unpacte

Ndondo Pacte luba (Kasai)tua ndondo conclure un pactemusunJlU wa menJla pacte de sang kweseMasuka Pacte pendedia masuka conclure un pacte de

sang-saaluu mettre le sang yansnduwealuu frère de sang yanson~ey pacte de sang yans

mungrya pacte de sang, alliance hungana, kwese,mbala, ngongo,pende, pindi

-dia mungeya conclure un pacte de hungana-nwa mungrya sang kwese

faire alliance, boire le-zenga mungrya mbala, ngongo

mungrya conclure un pacte,couper le mungeya

mungonge, rite d'initiation lunda, tchokwechez les

-ota nkon conclure une alliance sakata

b. Mots et expression désignant l'incision, le fait de sucer le sang

Mots ou expression enlangues africaines

-zenga lumanya, -taluman'Vi-tapa mashi-shusan meng

-n'Vu'ana,

Sens en français

faire une incision,conclure un pactetirer le sangse sucer le sang l'unl'autrese boire l'un l'autre

324

Langued'origine

suku

lundahungana

ewanda,

nyamwezi-inywa la alongo se boire le sang l'un mbochi

l'autremvwangana s'entendre l'un luba

l'autre, conclure unpacte

-lakangana mashi se sucer le sang l'un lubal'autre

-lenza mahatshi lécher (son propre) pendesang

·lésa manyiny;a lécher le sang tchokwe-ftyana menga se sucer le sang l'un kongo

l'autre-wiba makila, -lyéré sucer, lécher le sang Mbochimakila l'un de l'autre

lécher le sang tekeitéré la alon!l,o-diaakiya se manger le sang l'un ndoko

l'autre

c. Mots et expression désignant le pacte defidélité et d'amitié

Mots ou expression en Sens en français Languelangues africaines d'originekalaa pacte de fidélité dans mbuun

le mariagekimvwanga pacte de fidélité dans pindi

le mariagetshata usendo conclure un pacte luena (Angola)

d'amitié»ukom pacte de fidélité dans mbuun

le mariage sanctionnépar la mort

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d. Mots et expressions désignant le pacte et la magie d'union dans lamort

Mots ou expression enSens en français

Languelangues africaines d'origine

ekotom magie d'union dans la mbuunmort

ipalanga pacte de sang et pended'union dans la mort

kongolo pacte d'union dans la sukumort

lumanya, lumanyi pacte d'union dans la pende, pindi,mort, tatouage, sukuincision ; minerai defer

musunga magie d'union dans la mbala,mort ngongo;

mubtl magie d'union dans la pindimort

muhanaw magie d'union dans la tchokwemort

mungudi magie d'union dans la mbuunmort

nkalu ni nzashi pacte d'union dans la tchokwemort

obU magie d'union dans la mbuunmort

otswayi magie d'union dans la mbuunmort

«Les termes sont concrets. Il s'agit d'inciser une partie ducorps pour faire couler le sang - un sang vif énergique,symbole de la vie au degré suprême. Ensuite, ce sang humainfrais est bu (nywa, «boire»), mangé (dia, «manger»), sucé,léché, aux fins de conclure un pacte, une union indestructible,réelle et vivante par-delà la mort ».

Une étude plus détaillée du pacte de sang chez différentspeuples donnerait des renseignements plus nombreux et plus

326

preCIS. Ainsi, le pacte de sang chez les Obamba de l'Est duGabon s'appelle ondiyi°toyi ? (l'amitié de sang).

D'après Martin Alihanga, en effet, le pacte de sang unit, parun contrat non-résiliable, deux sujets qui échangent leur sang:«Il se conclut au cours d'une cérémonie publique où a lieu cetéchange de sang. Les deux partenaires mettent en contact leursincisions pratiquées sur la face interne de l'avant-bras. Dansd'autres régions, chaque contractant boit le sang de l'autre. Il secrée ainsi entre les deux une fraternité de sang au sens fort duterme, à un point tel qu'elle crée les mêmes relations évitatives,prohibitives et permissives que la parenté du sang. » Lorsque cepacte de sang est pratiqué entre des personnes d'originesethniques différentes, il contribue grandement aurapprochement des peuples, à en croire Alihanga.

On connaît des cas où l'intégration parfaite réciproquedes alliés dans les deux Familles par l'institution de laFraternité de sang a été consacrée par la transmission du nom.C'est elle qui explique et éclaire ce phénomène qui de primeabord heurte nécessairement la logique d'un habitué destraditions négro.africaines, à savoir qu'un Gisira s'appelleMBENG, qu'un Fang réponde au nom de AKENDENGE etqu'un Punu porte le nom de BINGANGOYE. Ce que nousdisons des groupes ethniques d'un même pays vaut pour ceuxdes Etats différents. Alors qu'il n'y a pas eu d'alliancematrimoniale entre sujets des deux races. C'est uniquementparce que l'amitié est devenue si profonde et l'identification desdeux alliés si concrètement vécue que l'on en est arrivé à setransmettre le nom pour perpétuer à jamais ce contratinaliénable56

De même, en ce qui concerne la région des Grands Lacs, cepacte du sang s'appelle igihango, ubunywanyi {le fait de boire du

56 Martin Alihanga, Structures communautaires traditionnelles et perspectilJescoopératives dans la Société Altogovéenne (Gabon) Dissertatio ad doctoracum inFacultate scientiarum socialium apud Pontificiam Universitatem S.Thomae de Urbe, Rome, 1976 p. 230.

327

sang l'un de l'autre) et la ceremonie elle-même s'appellekunywana (boire du sang l'un de l'autre). La quantité du sangingurgité était infime et n'avait de valeur que symbolique ce quifait qu'il serait abusif de penser, à ce propos, d'une quelconqueforme de cannibalisme, d'autant plus que, dans cette région, oncroyait fermement que la chair humaine était un descomposants du poison préparé par les balozi (les empoisonneurset les sorciers).

R Bourgeois57, décrit la façon dont il se concluait au

Rwanda et au Burundi:

Le pacte de sang kunywana s'opère en prenant une feuilled'érythrine dont on enlève la queue et à laquelle on donne uneforme de cornet où l'on introduit de la bouillie de sorgho. Puis,d'un coup de couteau, un peu de sang est recueilli près dunombril, considéré comme l'origine de la vie, de chacun despatients. Ce sang est mêlé à la bouillie de sorgho ; le mélanges'intitule igihango (de guhanga : produire, susciter une chose pourla première fois). Le sang est parfois versé dans du lait inshyushyuqui vient d'être trait. Chaque partenaire absorbe la moitié de lamixture en observant l'interdiction stricte de cracher, car ceserait rejeter l'igihango* Des recommandations personnelles sontéchangées : si tu me trompes, l'igihango te tuera, etc. Lespartenaires avalent ensuite quelques rasades de lait ou de labière afin de mieux digérer le mélange; après cette communion,ils se couchent hiérogamiquement dans une natte, se tenant parla main, signe qu'ils ne forment plus qu'un et qu'ils s'aiderontmutuellement dans toutes les circonstances de la vie.

Parfois, le pacte de sang était présidé par un témoin affùié àla secte religieuse des imandwa qui, après avoir opéré lascarification, faisait prendre le mélange, en prononçant lesparoles suivantes:

57 Banyarwandaet Barundi tome m, 1954? p. 143-144.

328

«Je vous unis, que soit tué par ce pacte celui d'entre vousqui aura suscité une mésentente entre vous, votre famille ou vosamis» ; puis prenant le rasoir, il dit:

« Ceci est le tranchant, qu'il tue celui qui de vous deux auraprovoqué la haine, qu'il se retourne contre sa progéniture etson cheptel, qu'en outre ses champs soient frappés de stérilité,que ses entreprises soient vaines, que tout manquement aupacte devienne une cause de malédiction ».

A la fin de la cérémonie, les partenaires étaient tenusd'échanger des cadeaux.

4.4. Les relations de parentéfondées sur l'initiation religieuse

L'initiation, dans les sociétés secrètes africaines, créait unlien de parenté spirituel et de solidarité sociale entre lesmembres. En ce qui concerne le rôle de ces sociétés dans lemaintien de la paix sociale et politique dans les territoires quicomposent le Gabon aujourd'hui, écoutons ce que ditMavoungou-Bouyou (Koumba-Manfoumbi) dans sacommunication lors de la Conférence de Libreville sur le Dialogueinterculturel et la culture de la paix en Afrique Centrale et dans leRégion des Grands Lacs:

«Les sociétés secrètes lUltlatiques à caractère social et dediffusion large telles que le Mwiri pratiqué dans tout le sudGabon, d'autres comme le Mungala des Adouma, des Awandji,ainsi que le Njohi des Teke et des Ambama dont l'assise étaitterritoriale, d'autres encore mises en place pour gouverner,comme le Ngodji des Punu, le Bwiti des Tsogo et des Apindji, leNdokwe des Akele, l'Onkani, le Nkala des Ambama et des Teke,étaient à même de dissuader, de prévenir, de régler les conflits etd'imposer la paix au regard de leurs manifestations lors desinitiations et des réglements des conflits, lors des débats autourdes questions engageant la communauté.

Ainsi, dans le sud Gabon, les sociétés secrètes 1Ultlatlquesdemeuraient les derniers réceptacles, les gardiennes de

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traditions transmises de génération en génération. Lespopulations, dans des zones géographiques déterminées,perpétuaient ces traditions au sein des sociétés secrètes quiétaient et sont encore l'expression d'un fond traditionnelcommun même s'il s'exprime dans la diversité. Ellesenseignaient une sagesse dont les préceptes utilisés par les chefstraditionnels nourrissaient le dialogue nécessaire à la résolutionde tout conflit. Ces préceptes que sont la tolérance,l'acceptation de l'autre, le souci du compromis étaient à la basedu succès de toute négociatiation58

• »

En ce qui concerne le Cameroun, Thierno Bah donne unexemple très parlant du rôle des associations secrètes dans lemaintien de la paix. Il s'agit du ngondo des Douala du Littoralchez lesquels « différents lignages jetèrent au début du XIXèmesiècle, les bases d'une union pour la gestion harmonieuse deleurs affaires communes ». Progressivement, dit-il, « le Ngondoprit de l'envergure, s'appropria certaines activités rituelles, avecpour objectif de faire jouer les formes mystiques à des finsjudiciaires, disciplinaires et d'arbitrage» et «était à même dedissuader, de prévenir des conflits, d'imposer la paix ». Lesémissaires envoyés par le Ngondo à cet effet, «effrayants dansleur accoutrement, étaient craints et respectés. Au seul cri demoussango ils rétablissaient la paix. Le sacrifice d'un cabri(mbadi) symbole de paix clôturait la cérémonie ». De même, dit­il, chez les Bassa du sud du Cameroun, la société secrète njèkconstituait le principal facteur de prévention des conflits. C'estune institution qui avait son corps de prêtres et le cactuscomme emblème. Par le discours hermétique et les actessymboliques de ses officiants, inspirait « une terreurredoutable », et sa vengeance contre les délinquants sociauxétait « imparable ».

58 Voir au tome 2, p. 158-159 des actes de la Conférence en question.

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5. Programme 4: Le role des chefs traditionnels dans laresolution et la prevention des conflits

a) Dans le cadre de ce programme, l'Atelier devrait réfléchirsur les stratégies de mise en action des recommandations duPanel 1 de la Conférence de Libreville sur le Dialogueinterculturel et la culture de la paix en Afrique Centrale et dansla Région des Grands Lacs, particulierement les points quiconcernent la prévention et la résolution des conflits, à savoir:

- L'organisation d'un colloque sur le rôle des chefstraditionnels dans les mécanismes de prévention et derésolution des conflits dans les pays sortis de guerres (ROC,Angola, Butundi, Rwanda, République du Congo, RCA);(Atelier actuel)

- La mise en place des mécanismes permettant la formationd'une synergie efficace entre les initiatives des diverses autoritéstraditionnelles, experts universitaires et décideurs politiques;

- Le soutien et la promotion des outils de médiation et dumode opératoire des mécanismes traditionnels de prévention etde résolution des conflits de basse intensité, qui se sont avérésefficaces, étant entendu que les conflits de haute intensité,correspondent à la lutte pour le pouvoir d'Etat, c'est-à-dire lesrébellions et les guerres civiles, qui échappent totalement aucontrôle du pouvoir traditionnel;

- L'attribution à l'autorité traditionnelle d'un statutconstitutionnel et des compétences spécifiques à l'exemple duTchad, du Niger et du Rwanda, afin de lui garantir unemeilleure expression;

- L'initiation par l'UNESCO d'un programme de recherchesur le pouvoir traditionnel et son ancrage dans les institutionsde l'Etat de droit;

- L'enseignement de l'histoire des sociétés traditionnelles, dudroit traditionnel, des mécanismes de prévention et de

331

résolution des conflits en vue de créer les conditions de laculture de la paix ;

- La ré-appropriation par les universités et les universitairesdes mécanismes de médiation et de résolution des conflits dansle cadre du NEPAD;

- L'utilisation de la dynamique des alliances entre leschefferies traditionnellles, en deçà et au-delà des frontières,pour améliorer la capacité du dialogue interculturel.

b) L'atelier devrait également, en suivant l'exemple destravaux de recherche menés sur l'institution desBanshin~antahe au Burundi ainsi que celle de Gacaca auRwanda, contribuer à l'identification des institutionssimilaires dans les communautés ethniques des pays del'Afrique Centrale.

L'institution du Bushingantahe a été largement décrite dansle livre collectif de Philippe Ntahombaye, Adrien Ntabona,Joseph Gahama et Liboire Kagabo, L'institution des Bashingantaheau Burundi. Etude pluridisciplinaire. Bujumbura, 1999 (285 pages).

L'autre source d'information sur le Bushingantahe est lacommunication de Zénon Manirakiza sur «L'institution desBashingantahe» lors de la Conférence de Libreville sur leDialogue interculture1 et la culture de la paix en AfriqueCentrale et dans la Région des Grands Lacs6o

• Manirakizadéfinit le concept d'Ubushingantahe de la façon suivante:

«Le concept d'ubushingantahe vient du verbe gushinga(planter, fixer, établir) et du substantif Intahe (bagette de lasagesse). Ce substantif Intahe est utilisé dans un sensmétonymique et symbolique pour l'équité et la justice (ingingo).Dans ce cas, « Umushingantahe » signifie l'homme de la justiceet d'équité (Umuntu w'ingingo). En termes clairs, le concept

59 Voir la communication d'Augustin Nkusi sur « L'institution de Gacaca»à la Conférence de Libreville sur le Dialogue interculturel et la culture de lapaix en Afrique Centrale et dans le Région des Grands Lacs. Dans les actesde cette conférence, elle figure aux pages 103-110.60 Voir, dans les actes de cette Conférence, le tome 2 aux pages 75-97.

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d'ubushingantahe signifie une action de témoignage, demédiation et d'arbitrage en vue de rétablir la véracité des faits etla justice conciliatrice ».

Concernant la médiation des bashingantahe, Manirakiza ditnotamment que le mushingantahe est un véritable médiateurcar il aide les parties en conflits qui sont enfermés dans leursmonologues à se rencontrer et à renouer la communication et àtrouver elles-mêmes des solutions créatives conformes à leursintérêts.

«Choisir la médiation plutôt que le tribunal c'est êtreconvaincu qu'il faudra bien finir par s'entendre, que ses intérêtsseront mieux préservés par cette voie que par une décision dejustice. Le médiateur offre simmplement un lieu, uneprocédure, un savoir-faire et une attitude qui peuvent favoriserle dialogue, rétablir la communication. »

Les bashingatahe, continue-t-il, au niveau des communautés,ont été les portes-flambeaux du règlement à l'amiable desdifférends liés à la crise: « les vols de bétail, le pillage des biensdomestiques, la spoliation des propriétés foncières, lestentatives d'empoison-nement... » ont été réglés, dans la plupartdes régions, dans le cadre de la médiation.

6. Prograntme 5 : Le dialogue et la concertation entre individuset entre les membres de la communaute ou les representantsdes communautes comme mecanismes permanents deresolution et de prevention des conflits

Il est question ici des assemblées communautaires danslesquelles on examinait tous les litiges entre les membres de lacommunauté avec un droit à la parole quasi illimité.

En effet, un processus similaire à celui qui s'est formé dansla Grèce antique s'est également établi dans les culturesafricaines depuis des temps immémoriaux. Ceci a abouti à·l'institution que la colonisation a dénigrée et dévalorisée en

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l'appelant « palabte» alors qu'il s'agissait justement de ce queles Grecs appelaient agora, à savoir ce forum dans lequel lepeuple donnait libre cours au verbe entre autre pour régler lesproblèmes de la communauté. Dans la société africainetraditionnelle, en effet, les mots «tels que bwalu (malu),tshilumbu (bilumbu), mwandà (myanda), mambu (mambo)) quidésignent habituellement « la parole, le litige, le contentieux, lacause, l'affaire, le problème, le procès, le devoir, l'obligation, laresponsabilité) que presque tous les dictionnaires et lexiquesqui portent sur les langues africaines bantu traduisent par« palabre », désignent précisément ce forum de communicationdu même type que l'arène grecque61

• Ainsi l'expression « agoraafricaine» pourrait mieux convenir pour désigner cetteinstitution.

Thierno Bah, tout en critiquant le mot «palabre» dans sasémantique coloniale, il l'utilise cependant, mais en lui donnantune autre signification: « En vérité le concept de palabre a unetoute autre signification dans les sociétés africainestraditionnelles, où différents termes, plus adéquats sont utiliséspour la désigner ». Ainsi, dit-il, les Bamiléké parleront de Tsang,dont le but est d' « apaiser les esprits» (pouhotrim).

« En tant que cadre d'organisation de débats contradictoires,d'expression d'avis, de conseils, de déploiement de mécanismesdivers de dissuasion et d'arbitrage, la palabre, tout au long dessiècles, est apparue comme le cadre idoine de résolution desconflits en Afrique noire. La palabre, incontestablement,constitue une donnée fondamentale des sociétés africaines etl'expression la plus évidente de la vitalité d'une culture de paix.Partout en Afrique noire, on retrouve à quelques nuances près,la même conception de la palabre, considérée commephénomène total, dans lequel s'imbriquent la sacralité,l'autorité et le savoir, ce dernier étant incarné par les vieillardsqui ont accumulé, au fil des ans, sagesse et expérience. Véritable

61 Voir Maniragaba Balibutsa, Eléments de noographie africaine l, Libreville,2003, p. 136-137.

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institution, la palabre est régie par des normes établies, et lesprincipaux acteurs doivent justifier d'une grande expertise ».

Thierno Bah décrit ensuite les conditions et modalités de latenue de l'ekt/lane ayôn (l'agora) chez les Beti du sud duCameroun:

a) Le nkul (tambour fait d'un tronc d'arbre évidé) annonce àtous les villages environnants, la tenue de cette assemblée.

b) Des émissaires sont envoyés dans les contrées pluséloignées.

c) L'assemblée se tient toujours en un lieu chargé de symbole: sous un arbre, près d'une grotte, sur un promontoire oudans une case édifiée spécialement à cet effet; tous cesendroits sont marqués du sceau de la sacralité.

d) Sa date n'est pas laissée au hasard car elle doitcorrespondre à un moment propice déterminé par lesgéomanciens.

e) En principe, elle est ouverte à tous, « ce qui fait d'elle uncadre d'expression sociale et politique de grande liberté »62.

f) On observe une hiérarchie et un protocole dansl'intervention des principaux acteurs. « Le chef cède souventle pas à des personnalités reconnues pour leur expertise dansle domaine des traditions historiques, du droit, del'ésotérisme ».

g) Dans cette assemblée, « les vieillards, symboles de sagesse,jouent un rôle privilégié. Leur éthique et divers tabous liés àleur âge leur interdisent de prendre des positions partisanes,et les invitent plutôt à la pondération et au compromis ».

62 Il ajoute que: « Parfois cependant, pour des raisons de confidentialité,les jeunes enfants et les femmes réputées bavardes (Ekobô kobô) en sontexclus ».

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h) Pour trancher les litiges, «le chef a des notablesspécialisés dans la gestion et la résolution des conflits, etconstituent le Eboé Bot (commandement des hommes) ».

i) Les «faiseurs de paix» présentent les parties en conflit etles amènent à s'expliquer. Auparavant, des «hommesintelligents», des sorciers, des magiciens avaient procédé àdes investigations et délivrent leur témoignage.

j) Dans l'assemblée se trouve assis un patriarche influentreconnu pour son intégrité (il porte, chez les Bulu, le nom dekasso). «D'une grande discrétion, il ne prend pas part auxdébats et son regard absent, est plutôt fIxé dans les nuages.Son avis sera cependant prépondérant au moment de ladélibération ».

k) Le silence est ordonné et la parole commence à êtredistribuée selon un protocole établi. « La parole dépensée aucours de la palabre n'est pas ordinaire; elle est riche etpuissante, fondée sur la somme d'expériences vécues etconceptualisées par la société : proverbes, paraboles, contes,généalogies, mythes, d'où se dégagent des leçons, des misesen garde et des recommandations prônant la pondération, lecompromis et la concorde ».

1) C'est pourquoi le chef meneur des débats (mot dzal) doitêtre éloquent (ndzoe) et d'une grande érudition dans ledomaine de l'histoire et du droit coutumier. « Sa parole estsouvent ésotérique et sous forme de paraboles (minkala ounkenda); elle revêt des allures à la fois symbolique etrythmique ».

«La palabre est une affaire de longue durée et le circuittoujours compliqué des débats invite à la patience. Outre laparole, il y a toute une symbolique de gestes ritualisés, dessilences lourds de signifIcation, tout cela étant l'expressiond'une éducation et d'une culture fort élaborées. La palabre n'apas pour finalité d'établir les tores respectifs des parties enconflit et de prononcer des sentences qui conduisent à

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l'exclusion et au rejet. La palabre apparaît plutôt comme unelogothérapie qui a pour but de briser le cercle infernal de laviolence et de la contre-violence afin de rétablir l'harmonie et lapaix. ».

7. Programme 6 : Les mecanismes particuliers de resolution etde prevention des conflits

Parmi les mécanismes de résolution et de prévention desconflits, l'on peut citer:

7.1. L'alliance sacrificielle

L'alliance sacrificielle était pratiquée autrefois dans le centredu Cameroun et était connue sous le nom de mandjaraimpliquant toute l'aire culturelle djukun comprenant diversgroupes ethniques (les Vouté, les Mbum, les Tikar, les Bamum,etc .). On «égorgea un Vouté et un Tikar et on mélangea leursang ». En se prêtant à ce sacrifice rituel extrême, dit l'auteur,«ces deux communautés auront enterré à jamais la hache deguerre ». Tierno Bah ajoute que le pacte du mandjara «étaitscrupuleusement respecté car toute transgression se soldaitpour la communauté déviante, par les pires calamités ». C'encela qu'il aura permis de prévenir ou d'atténuer la violencearmée dans une vaste région du Cameroun à l'époqueprécoloniale. L'auteur affirme que l'effet du mandjara« perdure aujourd'hui encore, dans les rapports inter­communautaires et constitue un facteur de paix entre individuset autres collectivités ».

Thierno Bah donne un exemple de cette alliance sacrificielleen pays Bamiléké qui est l'une des régions d'Afrique danslaquelle la délimitation des frontières constitue un problèmequi conditionnait l'état de guerre ou de paix. Aussi fallait-ilmatérialiser ces frontières par des tranchées appelées n'seep ouswen, afin de prévenir d'éventuels conflits par le procédésuivant:

337

« A l'occasion, étaient scellées des alliances sacrificielles. Unefois la frontière tracée, on se procurait un chien noir. On luiattachait des cauris au cou, on l'enivrait de vin de raphia et onl'enterrait vivant dans la tranchée, en prononçant des formulessacrées. Par dessus, on plantait un arbre symbole de paix.Quiconque se hasardait à traverser, armé, les lignes dedémarcation ainsi établies, s'exposait à l'implacable colère desancêtres et des divinités. Un exemple mémorable est l'allianceconclue entre les chefferies Baham et Bandjoun. Une paixsolennelle fut proclamée et symbolisée par deux arbres sacrésplantés de part et d'autre de la frontière. Au fil des ans, leursbranches s'entremêlèrent, frappant l'imaginaire des populationsqui virent dans ce phénomène un signe d'union perpétuelle. »

7.2. Les corps de métiers

Il va de soi que les personnes qui travaillent ensemble ou quifont le même travail, ont naturellement tendance à développerentre eux soit des relations de solidarité soit des relations decompétition. Qu'en est-il dans les sociétés africainestraditionnelles et actuelles?

7.3. Les jeux

Les activités ludiques ont également joué un rôle deprévention des conflits armés. «On établit par exemple que leconflit sera tranché par de jeunes athlètes des deux groupesantagonistes ». Thierno Bah donne du jeu d'adresse (guien)pratiqué chez les Mabea du sud du Cameroun : «une roue debois est lancée entre deux rangées de jeunes gens armés desagaies. Le premier à transpercer la roue apporte le triomphe àl'ensemble de son clan pour éviter toute contestation et unembrasement possible du conflit, un serment prononcé sur lesang d'un animal immolé consacre la victoire ».

Rappelons que, dans la Grèce antique également, lors desjeux olympes, une trève olympique d'un mois obligeait les Grecsà arrêter tout conflit. Pourquoi l'Afrique moderne nerecourretiat-elle pas ses propres traditions dans les mécanismesde construction de la paix ?

338

7.4. Les manoeuvres d'allégement ou de dilation de la violence lors de labelligérence:

a) Sur le plan des institutions politiques chez les Beti et chezles Bamileke il existe, à la tête de la communauté, deux chefs:un chef de guerre et un chef de paix, « ce dernier ayant desprérogatives permanentes, alors que le chef de guerrllt estdésigné de façon circonstancielle» (Thierno Bah).

b) Les techniques de normalisation destinées à éviter ou toutau moins de freiner la violence et les conflits armés. En effet, lesformes de déclaration de guerre ont un aspect despréoccupations dissuasives laissant toujours la place aucompromis et à la solution non violente des contradictions. « Ladéclaration de guerre est souvent différée de « plusieurs lunes »,le temps et une prise de conscience pouvant favoriser unedéflation des tensions ». Ainsi, chez les Bamum de l'ouest duCameroun, «il était d'usage, avant tout conflit, de libérer uncaptif de guerre du groupe adverse. Rentré chez lui, il peut jouerle rôle de temporisateur, ayant une claire idée du rapport deforce ». Ce prisonnier libéré pouvait également jouer le rôle demédiateur (Thierno Bah).

7.5. L'interdiction faite aux femmes de prendre les armes et leurimmunité pendant la guerre.

A titre d'exemple, au Rwanda, la femme, porteuse de la vie,était exclue des actes de destruction de la vie et jouissait eIle­même d'une immunité pendant les guerres et les actes devendetta. Selon R Bourgeois63

, en effet, il lui était interdit « departiciper à des actes de mort ou de destruction: pas dedébroussaillement, pas d'abattage d'arbre, pas de guerre; lorsde l'exercice du droit de vengeance, sa personne est inviolable;défense pour elle d'élaguer les bananiers, d'abattre les animaux,de toucher à des instruments qui, par destination, collaborent àsupprimer la vie: lances, haches, arcs, flèches, sabres, serpes,hormis l'utilisation magico-religieuse ». Le meurtre d'une

63 Op. dt. p. 150.

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femme était une grande honte et était vengé d'une façonterrible64.

S.Annexe

La symbolique et la terminologie de la paix et les moyenstraditionnels de communication

1. Les symboles de la paix

D'après Thierno Bah, chez les Vouté du centre duCameroun, avant d'ouvrir les hostilités on emploie dessymboles qui laissent toujours à l'ennemi la possibilité d'unchoix: « un carquois de flèches (symbole de guerre) et de deuxgerbes de mil (symbole de paix) qui sont offerts par unémissaire mandaté ».

Thierno Bah énumère également quelques symboles de lapaix en pays Bamiléké et Bassa:

a) En pays Bamiléké «c'est le nkeng ou yap nfeguem(dracoena deilstelialiane), "arbre de paix", dont les feuilles sontagitées par l'assistance. lei, la magni (mère de jumeaux) senséeincarner des pouvoirs spéciaux joue un rôle privilégié; elleparcourt le lieu de la palabre, tenant une branche de nkeng à lamain. Le nkeng, dont les feuilles sont minces, de couleur foncéeet d'une longueur de 20 cm environ, est censé réparer les fautescommises et est un gage sûr de bonne moralité, de vérité et depaix ».

b) En pays Bassa, «l'écosystème est plutôt favorable aupalmier et ce sont ses rameaux (masêê) qui symbolisent la paixet la joie. Pour célébrer la paix retrouvée, des groupes de danseet de musique se produisent, magnifiant les vertus de la paix.C'est ainsi qu'un refrain célèbre dans le royaume bamum,pourtant réputé pour son activité guerrière, formule que «lafemme préfère un lâche vivant à un héros mort». Chants etdanses apparaissent ainsi, dans diverses sociétés traditionnelles

64 Voir Alexis Kagame, op. cir. p. 80-81.

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africaines, comme des supports importants d'un vouloir vivreen paix, dans la joie ».

2. La terminologie relative au règlement pacifique des conflitset à leur prévention dans les langues d'Afrique Centrale

Exemple en kikongo (d'après Laman):

Mp6fi (mpovi): avocat, délégué, ambassadeur, messager,représentant, celui qui parle au nom d'autrui; (qui est honnête,probe, intègre).

Ndavila: messager.

Nttimi : message, messager, envoyé, consul.

Nttimwa: quelqu'un qui a été envoyé; délégué, messager,légat, apôtre, missionnaire; message, ambassade.

Kituma: qui est envoyé.

Lumbi : messager, envoyé; délégué.

Luttimu: indication, direction; ordre, gouvernement; règne;percepteur; autorité.

Kuzingula 'nsamu : résoudre un conflit, mentionner,détailler les circonstances, les conditions (d'un événement, d'uncrime, etc.).

Muangi, ayenge : le faiseur de la paix, ce qui procure la paix,le médiateur, le (ré)concillateur.

Mu6lo : paix, douceur, bonté du cœur; maître de soi-même;empire sur soi-même; retenue, modération, mesure; qui esttranquille, paisible, calme, doux, tendre.

Kusia ngémba, kubanda ngémba, kuuanga Ngémba:fonder une amitié, la paix, réconcilier.

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Nkàlu: cadeau de paix, d'amitié après un procès, undifférend. Celui qui a perdu et payé l'amende demande le nkalu,soit une petite partie de l'amende ou de l'animal qu'il a donnéou une valeur correspondante en étoffe;

Kuuaana nkalu: donner un cadeau de paix, d'amitié aprèsun procès, un différend.

Nkambakani: qui est en travers; qui passe entre, quiempêche; choses qui sont en travers les unes des autres; pers.qui interrompt, qui coupe la parole à qqn pour parler elle­même; qqn qui intervient pour arranger, concilier, prévenir unconflit (vita, mvita, nsingu,' nzingu).

, Nkambami : intermédiaire.

Nunwa nsanga: conclure une alliance; kunwika nstinga:fonder la paix, pacifier, réconcilier; inviter des ennemis à boireensemble pour ratifier la paix.

Kuvutula venge: ramener la paix, réconcilier, mettred'accord, raccommoder.

Kuwawana: être d'accord, tomber d'accord, approuver,s' harmoniser; être entendu avec, s'entendre, s'accorder,convenir avec; se réconcilier; prendre une décision d'uncommun accord; entreprendre (une affaire).

Kuwawasa: réconcilier, nouer une amitié; procurer la paix,l' harmonie.

Kubambakana: s'associer, se mettre ensemble (dans letravail) ; faire la paix, amitié, etc.

Kubambakasa: prévenir une bataille (en tenant l'un del'autre) ; procurer la paix.

Kubambisa: unir, réunir; demeurer ensemble; accomplirune oeuvre de paix, provoquer l'union, la paix.

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Kub6mba: consoler; faire taire; exhorter, persuader,empêcher (quelque chose de méchant); apaiser; adoucir,réconcilier;

Kub6mba yenge : établir la paix, fonder une amitié.

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Institutions et mécanismes traditionnels deprévention et de résolution pacifique des conflits au

burundi65

Pro Philippe NTAHOMBAYEBurundi

Approche comparative2

Introduction

Le Burundi disposait de solides institutions, de valeurssocio-culturelles, de pratiques et rites qui garantissaient lacohésion sociale et le règlement pacifique des conflits.

Parmi ces institutions, il y a lieu de mentionner:

La famille: cadre idéal de base pour l'éducation à lapaix à travers l'école du soir (contes, proverbes et autres genreslittéraires).

Les structures de relations issues:• des liens de sang et des alliances matrimoniales;• des systèmes d'échanges de dons et contre-dons;• des célébrations de la vie comme la levée de deuil

définitive (ukuganduka) qui est une occasion de règlementdéfinitif de litiges entre les membres de la famille du défunt oules parentés ou les voisins et partant, de prévention des conflits;

• des paroles sociales et les interdits.

65 Synthèse de l'étude menée par Ntahombaye Philippe et ManirakizaZénon: La contribution des institutions traditionnelles de résolutionpacifique des conflits à la résolution pacifique de la crise burundaise,Maison de l'UNESCO, 1997.2 Avec le texte de Raphaël NDIAYE: »Pluralité ethnique, convergencesculturelles et citoyenneté en Afrique de l'Ouest

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Nous allons analyser comment l'éducation à la paix se faisaità travers ces mécanismes.

1. Education à la paix par l'institution familiale et les pratiquessociales (cf. p.1S)

1.1. L'école familiale du soir: l'éducation se faisait à travers lescontes, les proverbes qui donnent à l'enfant lesconnaissances fondamentales d'intégration dans la société.C'est le rôle de la famille restreinte, élargie, des voisins, brefde toute la communauté. On dit « umwana si uw'umwe ».

C'est la famille qui fournit les piliers solides de la paix et del'intégration sociale, partant de la réussite. Ces pratiques etrites ainsi que les paroles sociales, préceptes et normes sontpuisés dans le patrimoine culturel.

Isaac Nguema (Sacralité, pouvoir et droit en Afrique, quinzeans après, Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris,Bulletin de liaison, n° 20, juin 1995) écrit ceci :

« La prévention des actes de violence peut pourtant se fairenotamment par l'éducation, celle-ci doit commencer au sein dela famille, se poursuivre à tous les niveaux de l'enseignement:préscolaire, primaire, secondaire, supérieur dans toutes lesfilières de formation technique ou professionnelle (écolesnationales d'administration, écoles de police, écoles degendarmerie, écoles de la magistrature, écoles des ingénieurs,etc. », p. 20.

Toute question d'éducation commence toujours à se poserau sein de la famille; entendue dans le sens d'une cellulefondamentale de toute vie en société.

C'est dans la famille que se transmettaient les valeursuniverselles d'honnêteté, de culte de la vérité, d'honneur, demaîtrise de soi, de respect de la vie, d'hospitalité.

« Par école familiale du soir », il faut entendre le processusd'éducation informelle de base qui était, dans la tradition

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burundaise, animé par les parents et surtout les grands-parentsd'un enfant, avec l'intention de lui offrir la richesse de la sagessecontenue dans la littérature orale (contes, proverbes, énigmes,etc.).

Dans l'enseignement traditionnel, la littérature orale joue unrôle de premier plan dans la transmission de la connaissancepour la simple raison qu'elle est profondément imprégnée desréalités culturelles et des valeurs sociales. Elle est un éminentvéhicule de la connaissance historique, de la morale sociale etdes modèles inconscients. Elle exptime l'âme du peuple.Crépeau le dit bien:

«C'est dans ces récits mythiques et historiques, dans cesgrandes poésies, dans ces prescriptions, ces tabous et sesinterdits, dans ces contes et ces fables, dans ces proverbes, cesdevinettes, ces chansons, que se reflète comme réfléchi dans unmiroir, l'âme d'un peuple », p. 22. (Parole et sagesse, Valeurssociales dans la société du Rwanda, Tervuren, 1981, 261p - p. 2­3).

1.1.1. Education à la paix à travers les contes et les fables(Imigani n'ibitito).

- Facteur pédagogique:Les contes et les fables « sont le creuset des leçons morales

que l'enfant apprenait petit à petit, fasciné par la défaite ou lesvictoires répétées des personnages humains, animaliers oumythiques », p. 23.

«Les héros des contes mettent en évidence un système devaleurs et incarnent les défauts ou les vertus auxquelss'associent, selon les cas, l'échec ou la réussite dans la viesociale », p. 23. Les noms des personnages traduisent certainscomportements sociaux, les relations sociales significatives etvécues. Donc bien qu'imaginaires et ludiques, ils revêtent unesignification sociale immédiate.

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Théâtralisation, imagination permettent de démontrer lesmécanismes fondamentaux de la société pour résoudre lesconflits.

Le conte a une VIsee pédagogique. De nombreux contesmettent en exergue le sens de l'hospitalité, la patience, lareconnaissance, la discrétion, la solidarité, l'acceptation desépreuves de la vie, le sens de la discipline, de la prudence, dudéveloppement, etc. Nombreux sont également les contes quicondamnent la malhonnêteté, la jalousie, l'injustice, bref tousles vices.

- Facteur sociologique de cohésion:

A travers le rire, le conte a le rôle de resserrer davantage lesliens qui unissent les membres d'un même groupe social.« Ceux-ci participent à la même émotion que fait le conte, aumême rire, et éprouvent du plaisir d'être ensemble, réunisautour d'un même jeu qui est le conte. Celui-ci agit donccomme facteur sociologique de cohésion ", p. 25.

Les contes mythiques de l'ogre (igisizimwe) commepersonnage central sont un exemple intéressant: « L'ogre est lesymbole de la méchanceté, de la violence gratuite, du sadisme etde la naïveté,... ", p. 26.

- Contes violents et la lutte contre le mal :

Les contes violents prisent la vengeance, l'arrogance, lavictoire des plus forts sur les plus petits.

L'exemple de la vengeance: Le thème de la vengeance dans lescontes rundi est lié à celui de l'honneur. li s'agit de rendre lemal pour le mal (loi du talion) pour sauvegarder l'honneur de lafamille, de lui assurer une haute considération sociale, unrespect de la part des autres, voir du chef ou sous-chef. Lesproverbes suivants sont éloquents à ce sujet:

* Uguheneye ntumehenere akwita ikibura nyo.* Ikibi cituzwa ikindi

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Le rôle de la vengeance revient soit à la violence, soit à safamille parentale. Les autres membres de la sociétéinterviennent dans le cadre de la justice. Ce sera dans ce cas unchâtiment, une punition infligée par les notables (jusqu'àl'exclusion par le sous-chef, le chef ou le roi. C'est la promotiond'un Etat de Droit qui permettra de dépasser les sentiments etles actes de vengeance.

A travers les actes ayant pour thème la vengeance, le butrecherché est la lutte contre la violence et la haine.

- Le thème de la justice:

L'exemple le plus frappant et le plus illustre est celui deSamandari considéré comme étant à l'origine de l'Institutiondes Bashingantahe.

1.1.2. L'éducation à la paix à travers les proverbes (Imyibutsa).

Le Dictionnaire encyclopédique de la langue française ditque les proverbes sont «l'expression anonyme de la sagessepopulaire et tous les peuples possèdent un ensemble deproverbes caractéristiques », p. 862.

Formules ramassées, elliptiques et imagées, le proverbe « esttoujours reconnu comme un témoignage authentique de laconscience que le groupe social a de lui-même ». Malka, V.,« Proverbes de la sagesse juive », Paris, Seuil, 1994, p. 10.

Formules tirés des contes, des fables ou des paraboles, lesproverbes expriment des constats faits à partir d'une réalitévécue et sont également « des avertissements destinés à mettree~ garde les membres de la société contre des comportements denature à perturber son harmonie, sa quiétude; descomportements contraires aux normes; d'où le caractèreessentiellement pédagogique des proverbes », p. 33.

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Sagesse et mémoire, les proverbes sont utilisés dans lesdiscours de circonstance pour donner aux arguments unecertaine force de persuasion ou de dissuasion.

Les proverbes sont un trésor immense pour une culture depaix. Ce sont des conseils populaires pour sauvegarder lesvaleurs de référence comme la dignité, l'hospitalité, la maîtrisede soi, le respect du serment (indahiro) et de l'engagementtotalisant (ibanga), le respect de la personne humaine, le cultede la vérité, le respect de la vie de toute créature, la cohabitationpacifique avec les voisins... », (p. 35) donc la prévention etrésolution pacifique des conflits.

- Respect absolu de la vie humaine:

Amaraso arahuma (le sang humain, une fois versé, crie toujoursvengeance).

- Cohabitation pacifique et hospitalité:- Umubanyi ni we muryango: un bon voisin est plusimportant qu'un membre de famille.- Umubanyi mubi aruta umuro;;:,i: le mauvais voisin estplus nuisible qu'un sorcier.- Ubugirigiri bugira babiri: les travaux gênants peuventêtre accomplis par deux personnes qui s'entendent bien.

- Valeurs du cœur avant tout:- Kami ka muntu ni umutima wiwe : le petit roi intérieur del'homme, c'est son cœur.- Akamenyero kica inkware: C'est à cause de sesmauvaises habitudes que la perdrix finit par tomberdans le piège.

1.1.3. L'éducation à la paix à travers la poésie orale

La poésie orale, dans un style d'animation de la viequotidienne, sert dans « la conservation ou la préservation desvaleurs qu'elle codifie» (Gourevitch, J.P.: Les enfants et lapoésie », p. 11) mais aussi dans la transmission des valeurs

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mobiles tels que le respect de l'environnement, l'amour de lafaune et de la flore, le souci d'une aisance économique, le cultedu travail bien fait, ...p.38. Le poète loue ses hauts faits (poésieguerrière), clame la beauté de ses vaches (poésie pastorale et lanoblesse de ses activités (pp.38-39).

* La poésie lyriqueNous avons les berceuses (ivyugumbiro) et des salutations

modulées (akazeheJ akayego), les récitals et les complaintesaccompagnées par la harpe (inanga).

* La poésie pastoraleEloges pastoraux (ukubonekesha inka) et incantations à la

vache (ukuvumereza) ou encore (ibicuba) genre propre à latranshumance. TI y a aussi l'ode du voleur. L'ode à la houe(amazina y'isuka), le chant de l'apiculteur (amazina y'inzuki), lechant de l'égugeoir (kuvugira isekuro), la poésie cynégétique(amahigi) s'inscrivent dans la poésie orale. Ainsi, toutes lesactivités s'accompagnent de chants.

* La poésie guerrière:Elle célèbre les exploits militaires. Elles content divers récits

retraçant des péripéties de bataille. Elle a pour thème un chantde victoire et de gloire. C'est une parole d'auto exaltation dansun style poétique extraordinaire. Louange de héros lui-mêmequi loue ses hauts faits mais aussi louange du chef qui saitrécompenser les services rendus et louange de la vacherécompense.

En synthèse sur la poésie orale:

Elle est le moteur des activités quotidiennes, anime les veilléset les travaux, en divertissant les membres de la communauté.

La poésie guerrière respectait un minimum de règles.L'intervention des Bashingantahe faisait calmer le jeu etfavoriser la réconciliation, imposant ainsi une certaine limite àla violence. li n'y a jamais eu de guerre à caractère « ethnique»

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dans la tradition burundaise. L'opérationnalité de l'ethnicité estune réalité nouvelle.

La guerre traditionnelle était une affaire des hommes (jeuneset adultes). Elle n'appelait jamais la participation des enfants etdes femmes comme aujourd'hui. Beaucoup d'enfants (8-10 ans)ou de jeunes filles participent à la guerre, surtout du côté desmilicès et des bandes armées.

La poésie orale est le creuset des valeurs comme l'amour dutravail, l'amour de la flore et de la faune, l'amour de la vie.

«En proférant la poésie liée à la chasse, à l'élevage desvaches, des abeilles, à la récolte des plantes, etc., le poèteinculque à l'auditeur toutes ces valeurs qui contribuentfinalement à garder l'homme en bonne relation avecl'environnement », p. 46.

La réhabilitation de ce patrimoine peut contribuer à uneéducation à une « véritable réconciliation écologique »,contraire à l'actualité des destructions éhontées del'environnement. Avec cette éducation, la nature peut êtrerespectée comme réservoir de vie et patrimoine des générationsfutures », p. 47.

2. Pratiques et rites

Les pratiques et rites contribuent au renforcement desrelations humaines à l'intérieur des parentés proches ou paralliance. Il y a dans ces pratiques des techniques d'alliances et deréconciliation qui développent chez l'enfant le souci desauvegarder cette harmonie sans cesse recherchée. Ce sont despiliers solides qui garantissent la pérennité d'une traditiondonnée.

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2.1. Alliances matrimoniales

« Elles sont fondées sur l'application des qualités dévolues àune famille donnée, indifférentes des préférences liées àl'appartenance « ethnique» des individus ».

Ainsi, au fil des années, l'expérience des mariages entreBahutu et Batutsi fait son chemin. Elle traverse, parfois avecbonheur, les cycles répétés de violences à caractère ethnico­politique qui caractérisent les décennies post-coloniales jusqu'ànos jours, p. 49.

«Aujourd'hui même, en pleine crise, cette réalité desmariages ethniquement mixtes est observée. Elle permettra, àcoup sûr, de donner des leçons aux intégristes qui la combattentet aux jeunes en croissance », p. 50.

2.2. Le pacte de réconciliation

«Le pacte de réconciliation était un traité de paix. ncontrecarrait la violence et toute possibilité de vengeance. nfreinait ainsi la violence intermittente et perpétuelle. n avait lieuquand les belligérants voulaient faire régner la concorde entreeux après un meurtre », p. 50.

Dans la cérémonie, il y a deux symboles importants: lesorgho (amasaka) et le mouton (intama). Le sorgho est laculture qui symbolise la royauté et garantit la paix, la vie et lafécondité; le mouton est le symbole de Dieu (Imana) avecl'oreille qui représente Dieu devenant le témoin du serment.

« Pour sentir cette présence divine, il fallait s'imprégner dusang qui coulait de l'oreille coupée. Le sang était même bu avecla bière...n fallait tenir à la parole sinon Dieu allait agir contreles contrevenants. C'était cela la force du pacte ", p. 57.

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2.3. Le pacte de sang (kunywana)

Il n'est plus en usage aujourd'hui. C'était un facteur de paix.Il concrétisait l'intimité entre deux personnes. C'était un accord,une alliance. Il existe ailleurs notamment chez les Nandi duKenya.

« L'amitié se scelle par le pacte de sang: incision sur le brasdes deux jambes, tamponnée avec le sang d'une chèvre blanche,les deux amis en mangent quelques bouchées crues », p. 53.

Au Burundi, «on prenait un rasoir spécial en forme decouteau et on pratiquait des incisions sur le poignet ou sur lapoitrine (près du cœur). On laissait tomber la petite quantité desang dans une calebasse et on en buvait avec la bière desorgho », p. 53.

2.4. Le don

«Système de relations donnant-donnant fondé sur leséchanges, à titre gratuit, de biens matériels, avec l'intention detisser et de cimenter les bons rapports entre familles », p. 54. Il Yavait les rapports de clientèle (ubugabire) fondés sur la vache,sur la cession d'une portion de terre pour une exploitationtemporaire (ubugererwa). Ces systèmes allaient jusqu'à fonderde véritables relations d'amitié. «L'institution du don s'inscritdans un système d'échanges, de réciprocité sous forme decontre-dons de services et contribue à consolider les liensd'amitié et de solidarité », p. 55.

2.5. La levée de deuil définitive (ukuganduka)

C'est l'occasion de trancher les litiges en famille et en public.«En présence des membres de tout lt; lignage (umuryango),invités à la circonstance, toute personne qui se croit avoir étélésée dans ses droits par le disparu demande publiquement laréparation des dommages à la famille du défunt. C'estl'occasion de désigner qui va répondre à toutes les demandes

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formulées et ce sont les représentants du lignage qui répondentà toute réclamation », p. 55-56.

C'est l'occasion de « rassembler toutes les connaissances ettoutes les relations familiales de manière à liquiderofficiellement tous les litiges touchant à la succession d'unadulte. Un conflit qui n'aura pas été soulevé publiquement cejour ne pourra plus être évoqué devant aucune juridictioncoutumière ni même devant le tribunal », p. 56.

3. L'éducation à la paix à travers les paroles sociales

L'imporrance de la parole sociale est capitale. Le nom, lestabous, les souhaits et les injures sont des paroles sociales quipeuvent être des techniques de prévention et de résolutionpacifique des conflits.

La mauvaise utilisation de la parole a produit des effetsdestructeurs, spécialement à travers les médias, de la haine dansla Région des Grands Lacs.

3.1. Les noms66

3.1.1. Les noms individuels

Outil d'identification de l'individu et de communicationsociale où on lit en filigrane les rapports sociaux des parentsavec la collectivité: amitié, hostilité, conseils, avertissementsous forme de prévention ou de résolution pacifique desconflits.

* Niveau de la famille - ménage:Pour traduire la tolérance du mari, on donnera le nom

Mashakarugo (aragora umugore ntiyotutse umugabo) «le désir defonder un foyer est difficile, l'homme n'accepterait pas d'êtreinjurié ».

66 Lire l'ouvrage de Ph. Ntahombaye. Des noms et des hommes.

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* Au niveau du voisinage:Le nom est un instrument réel de dialogue social (amaz:.ina

y'imibano). Il va traduire les aspects positifs des efforts sociaux.

* La prudence: Bukebuke ;* Le respect de la parole donnée :Ntagirabiri ;* Le refus de la vengeance: Singirankabo.

Il traduira aussi les aspects négatifs sous forme d'ironie.* La méfiance: Ndabacekure;* L'hypocrisie: Berahino ;* Le mépris: Ngayimvugo/Ngayabose ;* L'injustice: Banzirakubusa ;* Les différentes formes de curiosité, de mensonge, demédisance à des fins de nuire: Bagwizurusaku/Hicuburundi ;* La jalousie: Bankumuhari ;* La colère et la rancune: Bendahafi, Nzigirabarya,Barindambi (ils sont rancuniers).

Ces exemples montrent que le nom est un élément dedialogue, où l'on échange des opinions critiques sous forme deconseils, de rappel à l'ordre, au bon voisinage. Le nom socialdevient un facteur d'équilibre et d'harmonie naissant dans uncontexte de communication et de dialogue où un nom-messageappelle un autre nom-message stigmatisant tout ce qui entravela solidarité, la cohabitation et la complémentarité.

Le nom est un outil de lutte sociale et de garant de l'ordre:avertir le voisin que l'on est conscient de ses machinations,qu'on est méfiant et prudent; démasquer l'hypocrisie etcondamner la jalousie dont on connaît les ressorts; affirmer lavolonté de se défendre et de défendre les siens contre une hainegratuite, p. 59.

356

3.1.2. Les clans: facteurs d'intégration et de transcitoyenneté dans larégion des Grands Lacs

Dans les royaumes interlacustres (Lac Kivu, Lac Albert, LacEdouard, Lac Tanganyika, Lac Victoria).

Le Burundi, le Buha-Sud du Burundi, le Rwanda au Nord, leBushi au Sud-Est du Rwanda et Sud du Lac Kivu, le Nkore, leToro, le Bunyoro, le Bushubi, le Buganda au Nord du Rwanda,le Karagwe à l'Est du Rwanda et au Nord du Bushubi, il y a unecompénétration entre les clans et les diverses composantes de lapopulation. Cette imbrication est une donnée essentielle desroyaumes interlacustres à tel point que les Bahutu et les Batwaqui forment des catégories de la population au Burundidésignent au Buhaya des noms de clans bien déterminés (cf.Césard, le Muhaya, Anthropos).

Ndaywell eCrlt ceci au sujet de cette distributioninterclanique et interethnique:

« L'élément le plus pertinent pour notre analyse présente estle fait que l'ethnie abrite en son sein des clans qui, à leur tour,ne s'embarrassent pas d'être prolongés, comme on l'a déjà dit,au-delà de la frontière ethnique. La question est donc de savoircomment l'ethnie, par définition pluriclanique, connaissaitl'existence de clans qui soient également pluriethniques (Lacivilisaiton anciennedes pays des Grands Lacs, Karthala, CCB, 1981,p.276).

Mworoha Emile donne l'exemple aussi du Rwanda et del'Ankole en Ouganda où il existe «une intégration claniquetotale» en ce sens que les mêmes clans se retrouvent chez lesBahutu comme chez les Batutsi, chez les Bahima tout commechez les Bairu », p. 32.

C'est un phénomène original en Afrique des Grands Lacsavec cet éparpillement à l'intérieur d'un royaume et débordaientsur d'autres royaumes. On peut dire qu'il y a eu unedistribution interne et interterritoriale des clans qui peut être

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avantageusement exploitée pour une transnationalité et uneconvivialité au sein de la région.

Jean Labrique (Faits et légendes chez les Bashi, Archives deTervuren, 1939, p. 7) donne les exemples de «Abacyaba,Abazigaba et Abashambo du Buhaya ou Rwanda; Abajiji,Abacyaba et Abahanza du Buha se retrouvent au Burundi;Abega se retrouvent au Rwanda, au Burundi, au Buha et auBushi ».

1. Abahutu b'abatsindagire bagunda amosato mu bigabiroc'umwami, n'abatsindagire b'abatutsi bakama i bwamin'ibuganwa «Philippe Nzobonariba umushingamateka avuka iMuramvya, Komine Mbuye.

2. Ababanda bimuka bava i Mbo bagashika bitwa iryo zina,baba abatara muzi b'ibuganwa «ku Muzenga wa Mutahobataramura ku kirimba kwa Ntarugera.

3. Abanyagisaka atako ndanga numvire ko ari abahutubonisangiye n'abatutsi bashingira umwami. Abahutubarisangiye baharondera umuhango w'amabanga i bwami.

4. Abanyakarama b'abahutu biyitirira izina ry'abatutsi ariabitwarrire

Même au niveau d'une colline, il existe plusieurs clans quipeuvent être interclaniques. Il est vrai que cette dispersion etcette émigration posent des problèmes historiques qu'il fautrésoudre; Mais c'est une autre approche historique pourlaquelle les noms des groupes sociaux et les toponymes peuventaider à faire une synthèse des migrations en Afrique.

Il faut signaler qu'au Burundi, contrairement à ce que l'onobserve au Nkore et au Rwanda, il n'existe pas de fusioncomplète entre les clans et les différentes catégories. Ces clanssont tantôt communs, tantôt particuliers. Il y a enchevêtrementet non intégration.

358

L'imbrication des deux réalités (catégories et clans) est unedonnée caractéristique de la région des Grands Lacs.

Renforcement des mariages interclaniques etinterethniques: alliances matrimoniales plus étendues:

« Ces alliances interclaniques par le biais du mariage créentdes liens de sang qui réduisent considérablement les risques deconflits ouverts ». Au Burundi, il faudrait encourager etsoutenir les mariages inter-ethniques qui existent depuislongtemps.3.1.3. Souhaits etinjures67

Ce sont des paroles sociales qui, comme le comique ou lefantastique, sont des textes structurés et qui manifestent unconsensus sur le message à transmettre: la lutte contrel'exclusion, la marginalisation dans la mesure où le contenuvéhicule des valeurs sociales auxquelles la société burundaise estattachée et aspire; la référence à des pratiques sociales, à descoutumes, à des interdits qu'il faut respecter. Elles disent cequ'il faut faire ou ne pas faire. C'est donc une formed'éducation en rapport avec les normes de la société et les codesculturels. Leur profération devient une sorte d'actualisation desnormes de la société, un rappel de l'idéal commun auquel ondoit s'attacher ou vers quoi on doit tendre, un comportementqu'il faut adopter ou éviter pour l'harmonie de la vieindividuelles et du groupe, p. 60.

Sur le plan psychologique, l'injure agit en instrument deviolence morale. Il y a un choc, c'est une sorte de sanctionmorale qui invite à la sauvegarde de l'harmonie sociale. C'estfait sous forme de plaisanterie (ex: Wa mbwa we).

3.1.4. Relations de plaisanterie

S'agissant des relations et des attitudes de plaisanterieséventuelles, François Laplantine donne le type d'attitudes qui

67 Cf. Ph. Nrahombaye, Au Cœur de l'Afrique n°2, 1996.

359

recommandent la familiarité, croire l'incorrection et lagrossièreté. C'est ce qu'on appelle la parenté à plaisanterie. AuBurundi par exemple, le neveu ne doit plus obéissance à sononcle utérin (gusengezanya). Entre le grand-père et le petit-fils ily a des relations de taquineries diverses, en licences verbalesenvers un parent plus âgé que soi, entre cousins (par exemple auBurundi: entre abavyara : kuvyaruranya ou kuvyaruza).

Le troisième modèle commande l'échange d'insultes entreparents (par exemple chez les Dogon de Côte d'Ivoire). D'aprèsMarcel Mauss, « ce sont des comportements de relâchement quiconstituent une détente et une compensation nécessaires à la viedu groupe ».

La plaisanterie, la réserve et l'insulte s'imposent comme desobligations rituelles qui rappellent qu'entre deux groupes, unpacte d'association a été pour ainsi dire signé. Elles obligent lesparties contractantes à une série de prestations mutuelles. Demême que l'on doit échanger des coquillages et des servicesfunéraires, dans le but de tisser les liens, on doit échanger desplaisanteries de familiarités, des insultes pour autant en tirer unmotif de querelles comme des amis. Cela s'inscrit dans un cadrede solidarité.

D'autre part, en contraignant les parents ou les alliés àl'impolitesse, tout antagonisme véritable est prévenu par unehostilité qui est jouée sur le mode comique de la plaisanterie.L'usage de la moquerie et de l'insulte concerne ainsi larésolution des tensions à l'intérieur d'un groupe particulier.Ainsi, au moyen de conflits simulés, on évite d'entrerouvertement et réellement en lutte. Marcel Mauss a donné à ceséchanges le nom d'alliance cathartique (cathartis signifie« purification de l'âme délivrée de ses passions).

La prévention et la résolution des conflits se fait aUSSi atravers les noms sociaux adressés aux voisins dans un processuslangages de dialogue (déjà développé).

360

3.1.5. Les sanctions

Elles sont sous forme d'expropriation (ukunyaga) quand unsujet se rendait coupable d'insoumission, de trahison ou desimple désobéissance devant l'autorité supérieure. Elle portaitessentiellement sur la propriété foncière (amatongo) et lesvaches (inka), les richesses principales d'un pays agropastoralcomme l'eau et l'herbe en Afrique de l'Ouest tel que décrit dansle document.

Elles se traduisent aussi par l'exil forcé (kwangazwa) pourpunir la transgression d'un tabou ou d'un interdit.

Ces pratiques se faisaient pour la protection des mœurs,lutter contre leur disparition à laquelle on assiste par exempleactuellement sans rien faire (débauche sexuelle). Par exemple,une fille prise en fragrant délit de copulation, était châtiéepubliquement pour avoir souillé la réputation de la famille. Onla jetait par exemple dans un précipice (igisumanyenzi). Sonpartenaire devait fuir la région au risque d'exposer sa proprefamille au châtiment de l'expropriation totale (kunyagaurukombamazi) suivi de l'exil forcé, p. 6.

C'est vrai, ces pratiques sociales peuvent être qualifiéesaujourd'hui de barbares, mais elles contribuaient beaucoup à lasauvegarde de l'identité culturelle. Le coupable était radié de lasociété (igicibwa). Il faut voir quelles sanctions et quelleéducation pour prévenir ces comportements. C'étaient despratiques extrêmes de faire respecter les normes de la société.Face à l'impunité qui gangrène la société et entretient le cycle deviolences ou de malversations, il faut trouver une autre formede sanction actualisée à travers l'éducation, notamment eninculquant ces normes.

3.1.6. Les interdits et les tabous

Les interdits ont pour rôle de conduire la conscience dans labonne direction en montrant la conséquence de chaque

361

agissement. Des interdits montrent par exemple l'éducation aurespect de la vie.

Exemple: Nta mwana yica umuserebanyi, nyina yoca acikaamabere: «Il est interdit à l'enfant de tuer un lézard, sa mèreverrait tomber ses seins ».

Le tabou a pour fonction essentielle de protéger les bonnesmœurs contre tout égarement et de maintenir la société dans lapaix. Le tabou permet, de façon intrinsèque, de prévenir lesconflits sociaux de tous ordres. Il façonne l'imaginaire et saviolation peut entraîner la mort, p.65.

4. Axes des institutions traditionnelles de prévention et derésolution pacifique des conflits: le cas de l'institution desBashingantahe

Trois mécanismes essentiels fondent le fonctionnement del'institution principalement dans la résolution pacifique desconflits:

- La médiation: en cas de litige, on envoie effectivementun mushingantahe auprès de la personne pour rechercherune solution à ce conflit. En cas d'échec, on va recourir auxnotables en vue de la conciliation et de l'arbitrage.

- La conciliation (kumvikanisha, kunywanisha): LesBashingantahe essaient, par des conseils, d'amener lesparties en conflit à un règlement amiable. C'est une phasepréalable à toute action en justice.

- L'arbitrage: c'est en cas d'échec de la conciliation, lesBashingantahe sont amenés à délibérer et à trancher. Lesdécisions deviennent obligatoires. Mais, même cet arbitragefait dans un esprit de conciliation et non répressif.

362

Ces mécanismes pour réussir sont appuyés par des principesqui doivent être respectés et qui découlent des engagements prislors de l'investiture. Ces principes sont:

- La fidélité aux engagements: kugumya ibanga. C'est lerespect du pacte d'engagement, du serment lors del'investiture. C'est la fidélité à la parole donnée.

- Le dialogue et la réconciliation (kuja inama), vertusqui, du reste, sont nécessaires pour la sauvegarde de lacohésion sociale.

- Le consensus et la collégialité des décisions: c'est leprincipe du consensus du conseil des notables. La décisionest celle d'un corps et non d'une personne. Cette collégialitégarantit le caractère juste et équitable de la division et enfacilite l'exécution.

- Le sens de l'intérêt général et de responsabilité: ils'agit du souci de préserver la cohésion en faisant respecterles valeurs qui sous-tendent l'éthique et l'intérêt général.

- L'exigence de la vérité surtout de la part des témoinsqui doivent prêter serment de dire la vérité dans leurstémoignages.

- La discrétion et l'impartialité (kugumya ibanga): cequi renforcer la solidarité et la collégialité du conseil desnotables dans la recherche des solutions et des décisionsmais aussi la cohésion du groupe.

- Les caractères de la procédure (accusation,contradiction, oral, public).

- Le caractère obligatoire du conseil des notables.

- La gratuité des fonctions, c'est-à-dire l'absence derémunération, sauf ce que l'on appelle agatutu k'abagabo :bière que l'on partage à la fin du séjour de réconciliation.

363

- Le sens du compromis et la tolérance_ qui permettent leconsensus. C'est le refus des positions radicales et larecherche d'un terrain d'entente et qui se prolongentinévitablement dans la résolution pacifique des conflits.

5. Pistes à exploiter

- La coopération économique:Comme pour le Soudan, « dans le contexte soudano-sahélien

caractérisé par l'ouverture des espaces et la facilité decirculation des hommes et des biens, les marchés, les foiresjouent un rôle essentiel dans le rapprochement descommunautés. Le marché n'est pas seulement un espaced'échanges économiques, mais il est aussi un espace deconvivialité où se nouent des relations interpersonnelles etintercommunautaires ».

Doulaye Konate, «les fondements endogènes d'une culturede paix au Mali: les mécanismes traditionnels de prévention etde résolution des conflits », p.36 in Les fondements endogènesd'une culture de paix au Mali: les mécanismes traditionnels deprévention et de résolution des conflits.

L'utilisation des mécanismes traditionnels dans laprévention et le règlement des conflits actuels :

«Les conflits actuels ne révèlent pas les mêmes formes etn'ont pas les mêmes causes que ceux que connaissaient lessociétés dites précoloniales », p. 38. Toutefois, il faut éviterd'opposer tradition à modernité, « référant précolonial ».

Circonscrire le contexte nouveau des conflits et le champ. d'utilisation:

Le contexte moderne est celui de l'Etat-Nation avec desoppositions ethniques et «sous le couvert de l'ethnicité, denombreux conflits en Mrique traduisent cette crise de l' « Etat­Nation» qui ne parvient pas à la définition claire d'unecitoyenneté pour tous et dont l'absence notoire de démocratieconstitue un frein au développement », p. 39.

364

- Nécessité de circonscrire le champ d'utilisation desmécanismes:

Par exemple un conflit politique nécessite une négociationentre les acteurs politiques.

- Adapter les mécanismes traditionnels au nouveau contextepolitique.

- Promouvoir des formes de dialogue et de concertationinspirées des traditions africaines. .

On peut citer ici les débats à la base qui favorisent une prisede conscience collective au drame qui constitue un conflit.

«Les cultures africaines recèlent dans leur profondeur desressources pouvant contribuer à la promotion d'une culture depaix et d'un nouvel humanisme fondés sur la reconnaissance etle respect de l'autre ».

- Les compétions sportives et artistiques:Concours musicaux ou danses sont des occasions de

manifestations qui contribuent au rapprochement descommunautés. Elles peuvent aussi sceller des réconciliations, p.33.

- Mener des études approfondies sur les facteurs socio­culturels de construction de la transcitoyenneté dans la Régiondes Grands Lacs.

En conclusion:

En matière de prévention de violence et des conflits, il fautabsolument associer et impliquer la famille dans cetteéducation traditionnelle à travers les contes et les proverbes.L'exploitation des relations matrimoniales, le système desolidarité à travers les dons et contre-dons et les alliancesformelles (kunywana), les pratiques et les rites peuvent, s'ilssont adaptés, servir de cadre de consolidation des lies desolidarité et de respect de la vie et partant de promotion d'une

365

culture de paix et de convivialité, de résolution pacifique desconflits et de respect des droits de l'homme.

366

Integration des valeurs et des mecanismestraditionnels de resolution pacifique des conflitsdans le systeme educatif: contexte et genèse de la

reflexion

L'importance de l'éducation à la culture de la paix et larésolution pacifique des conflits:

Dans la genèse d'un conflit et sa solution, l'éducation joueun grand rôle que ce soit celle acquise des parents, que ce soitcelle acquise de l'école. L'éducation a contribué à entretenir leconflit au lieu de le juguler de telle sorte que le conflitburundais est un conflit entre intellectuels pour accéder aupouvoir avec des manipulations, instrumentalisation etethnisation de la population, avec tous les coups bas y comprisles massacres des innocents.

Il Y a eu, depuis la colonisation, la falsification de l'histoirepour rendre crédibles les arguments politiques avecglobalisation dans la culpabilisation des groupes entiers.

Les médias aussi ont joué un rôle très néfaste dansl'inoculation du venin de la haine en transmettant les rancœurs,les frustrations et les complexes au lieu de l'enseignement de latolérance.

Ils doivent cesser d'être un canal de diffusion d'idéologiesdestructrices, de spéculations ethniques et politiques.

a. Création des ghettos ethniques avec entretien de laméfiance et la suspicion au lieu d'une société conviviale.

b.Commencer par le sommet pour que l'on enseigne ceque l'on sait.

c. Promouvoir les valeurs positives d'éq,uité, de justice, derespect des droits, la conscience des devoirs.

367

L'école ne doit pas être un lieu de diffusion d'idéologiesdestructrices mais plutôt un lieu d'ouverture, de rencontre,d'enrichissement, de convivialité, un lieu où l'excellence et leculte du meilleur constituent un objectif.

Il faut consolider la paix et la tolérance dans le milieuscolaire. Pour cela, il faut, parmi les objectifs, cultiver lecomportement et les attitudes de tolérance mutuelle. Parmi lesstratégies, il faut intégrer l'éducation à la paix dans les curriculaà tous les nive'aux depuis la famille (école du soir). Il fautindiquer les actions concrètes à réaliser et les indicateurs deperformance.

Dans la Déclaration de Bamako (OrganisationInternationale de la Francophonie, 3 novembre 2000), parmi lesengagements pris par les Etats pour la consolidation de l'Etatde droit, pour une vie politique apaisée figure notamment:« Reconnaître la place et faciliter l'implication constante de lasociété civile, y compris les ONG, les médias, les autoritésmorales traditionnelles, pour leur permettre d'exercer, dansl'intérêt collectif, leur rôle d'acteurs d'une vie politiqueéquilibrée (17, p.1S).

Pour cela, il faut:- Développer l'esprit de tolérance et promouvoir la culturedémocratique (intériorisée) dans toutes ses dimensions, afin desensibiliser, par l'éducation et la formation, les responsablespublics, l'ensemble des acteurs de la vie politique et tous lescitoyens aux exigences éthiques de la démocratie et des droits del'homme.

- Prêcher la réconciliarion et la cohabitation pacifique despeuples.

- Envisager une institution permanente de dialogue, deconcertation et de tolérance mutuels.

- Diffuser et vulgariser la culture de la paix, préalable audéveloppement économique et au bien-être social.

368

L'expérience de notre pays se fait selon la démarche suivante:

1- La conférence sur le rôle de l'éducation dans lapromotion d'une culture de convivialité et d'édificationdes communautés (23-26 février 1999), p. 10.

2- Colloque sur les Programmes de l'enseignementprimaire et secondaire/ Colloque de l'EnseignementCatholique.

3- Ateliers de Réflexion sur le cours de Civisme/Etude avecvalidation:

- Niveau primaire et secondaire;- Niveau enseignement supérieur.

1. Conférence internationale sur le rôle de l'éducation dans lapromotion d'nne cultnre de convivialité et d'éducation descommunautés (23-26 février 1999)

La Conférence internationale sur le rôle de l'éducation dansla promotion d'une culture de convivialité et d'édification descommunautés organisée par le Ministère de l'EducationNationale avec l'appui financier de la CONFEMEN et le State ofthe World Forum s'est tenu du 23 au 26 février 1999. Ouvert parle Président de la République dans le cadre du processus depaix, il a souligné que le conflit burundais est un conflit entreintellectuels pour accéder au pouvoir. C'est pourquoi l'actionéducative doit jouer un rôle important dans la réconciliationnationale.

« L'école doit cesser d'être un lieu de diffusion d'idéologiesdestructrices pour devenir un lieu de convivialité où l'excellenceet le culte du meilleur auront pour cadre la rigueur, la disciplineet l'objectivité », Rapport, p.2

Expériences du Burundi à travers le Projet Bâtissons la Paixinitié dans le programme de coopération entre l'Unicef et le

369

Gouvernement avec la collaboration de plusieurs partenaires(Unesco, Action Aid, Oxfam Québec), RCR. Le Projet Bâtissonsla paix poursuit les objectifs suivants:

- Eduquer pour un comportement à long terme etl'engagement en faveur de la paix ;

- Apprendre aux bénéficiaires non seulement la paix négative(c'est-à-dire l'évitement de la violence) mais aussi et surtout lapaix positive (c'est-à-dire l'engagement pour la paix par desactions et par la recherche des intérêts communs) ;

- Eliminer les effets du traumatisme.

Le Projet se fait sur la base de supports pédagogiques variés:manuels, travaux de dessin de jeux, de bricolage, des émissionsradiophoniques.

Education à la paix et à la réconciliation exprimée à traversles manifestations.

Expériences évoquées:

Ouganda: Résolution des conflits

Adoption de la philosophie de refus de la vengeance;

Formation politique et civique à la population civile;

Rééduquer toutes les autorités jusqu'au chef de colline.

Comores: Pouvoir des notables

Conditions pour être notable: maturité (marié) etintégrité.

Compétences: résoudre les conflits du village.

Formation à la convivialité transversale, c'est-à-dire àtravers les disciplines existantes.

Création d'un observatoire de la citoyenneté.

370

Rwanda:

Le génocide est dû à l'échec de l'éducation et c'est parl'éducation qu'il faut redresser la formation.

Objectifs de l'éducation à la pai~:

La justice pour tous et la lutte contre l'impunité.

Le respect des droits de l'homme.

La bonne gouvernance et l'apprentissage d'unedémocratie convenable pour le Rwanda.

La lutte contre la pauvreté.

La lutte contre l'idéologie de violence.Le respect des valeurs historiquement et culturellementpartagées.

Deux conditions;

adhésion de tous aux idéaux de la paixadhésion de la communauté internationale,notamment les responsables de la presse et desautorités de l'information, à une révision de la lecturede l'histoire du Rwanda.

Conférence et échange

1. Inde: Education pour une coexistence dans les écoles.

Existence d'antagonismes basés sur la religion, sur le systèmedes castes et sur la langue.

L'éducation: arme très importante dans la construction etdestruction d'une société. On a tenté une expérience regroupantdes jeunes élèves dans une localité appelée City Montesso inSchool.

371

Quatre piliers pour soutenir les murs de l'édifice qui sont:les valeurs universelles, la compréhension globale, l'excellencedans toute chose, le service à l'humanité.

Coopération étroite entre école et parents:

Stratégies: activités sportives, culturelles, musicales, métiersde ville.

2. Centre desJeunes de Kamenge

«Un des résultats les plus positifs de ce Centre est que cesjeunes deviennent des animateurs de paix et de dialogue dansles quartiers, les établissements scolaires, les lieux de travail etles familles », p. 9.

3. Institution des Bashingantahe

Maintien de la cohésion sociale;

Établir un guide des valeurs d'ubushingantahe ;

Intégration de ce modèle dans le cursus scolaire(valeurs qu'elle comporte) ;

Formation de la classe politique (ministres,parlementaires, militaires, administrateurs, chefs decolline,...) dans la convivialité et la bonne gouvernance.

4. Comment enseigner la paix, la tolérance et laréconciliation?

Illustration d'Un conflit

Problèmes de compréhension de terminologie utilisée

Types de curricula

Méthodologie de l'éducation à la paix.

372

La cause du conflit est souvent l'appât du pouvoir qui est laforce, la puissance économique et militaire.

Curricula: manuels scolaires, comportements, médias.

Méthodologie: dialogue excluant toute différenciation entrele centre et la périphérie.

L'éducation doit établir la confiance, adopter une attitude decompréhension et d'harmonisme.

L'enseignant doit rester à l'écoute des enfants.

Expériences africaines d'éducation à la paix. L'éducation vise à:

apporter un appui psychologique.

réunir et faire coexister des gens que la violenceintercommunautaire a séparé.

développer les techniques de résolution pacifique desconflits.

Stratégies:

revivification des cultures africaines;

développement de l'esprit critique et ses corollaires quesont les quêtes d'une histoire plus véridique desrelations intercommunautaires, la recherche des causeset d'explication rationnelle des violences ainsi que ledéveloppement d'une nouvelle éthique, celle de laresponsabilité;

le renouvellement des méthodes y compris lebannissement des punitions corporelles;

la révision des curricula ;

le développement de l'expression physique, artistique,théâtrale et sportive à l'école;

373

par ladont

l'établissement de nouveaux rapports entre l'école et lacommunauté.

Education à la convivialité dans la plus jeune enfance: exemplede l'époque des indépendances

La révision de l'histoire (démocratisation) ;

Le matériel didactique utilisé vise à concrétiserl'enseignement par des jeux visuels multiformesdestinés à mieux appréhender la nature des conflits;

La méthodologie utilisée repose sur le dialogue:« L'éducation doit écouter l'enfant qui doit apprendre àconsidérer les diversités culturelles comme descomplémentarités et des éléments d'enrichissementmutuel (identification des zones de conflits: race,religion, sexes, convictions philosophes ou politiques) ;

Recommander la résurgence de la convivialitérevitalisation des valeurs ancestralesl'Ubushingantahe et le Gacaca.

Dialogue sincère;

Traitement des conflits de manière non violente: lesconflits sont inévitables, la violence est à combattre carelle détruit les biens et les vies humaines;

Eduquer la jeunesse à la paix pour libérer lesgénérations futures de cette gangrène d'Apartheid.

Pédagogie interculturelle et promotion de la culture enconvivialité:

Définition de la convivialité: « Capacité d'un groupe àfavoriser un rapport de bienveillance entre les membresde ce groupe et les membres des autres groupes ».

La famille et l'école sont les premières structures detransmission des comportements à l'enfant sur base duprincipe de séniorité. Relation asymétrique marquéepar l'obéissance, le respect et la soumission.

374

La société africaine a promu un mécanisme deconvivialité à travers la médiation traditionnelle.

Le courant académique et le dialogue intereligieuse dans lerenforcement de la convivialité entre les églises, les religions etles croyants.

Ce courant puise les convictions sur les valeurs morales etspirituelles de fraternité universelle véhiculée et enseignée parles religions.

Les religions fondent la fraternité et la paix sur certainsprincipes notamment:

La recherche de l'unité entre les chrétiens sur base de lareconnaissance des fautes et la demande du pardon.C'est un exercice de vérité et de sincérité:

Les règles pratiques de l'œcuménisme à savoir:• la reconnaissance des erreurs;• la conversion des cœurs;• la connaissance mutuelle pour éviter la

diabolisation ;• l'étude de l'histoire des religions;• la formation des formateurs à une attitude

d'ouverture, d'accueil et de vérité (prêtres,évêques, pasteurs, catéchistes).

L'expérience de l'Irlande du Nord qui fonctionne sur leprincipe de l'équilibre religieuse (50% catholiques et 50%protestants): on appelle cela l'éducation intégrée. Les élèvessont éduqués à la médiation et pratiquement dans la gestion desconflits qui surgissent à l'école.

La dynamique de l'humiliation:L'humiliation peut conduire si elle n'est pas évitée. Les

relations du monde colonisateur-colonisé, maître-esclave, blanc­noir, a créé des frustrations. Il faut créer des relations d'égalité.

375

La modération est l'attitude à mettre en avant pour éviterdes relations de confrontations. Pour se désengager de larelation d'humiliation, voyage psychologique, il fauttranscender la situation conflictuelle. Il faut faire face auxextrémistes:

éviter l'humiliation, l'exclusion:réduire leur influence.

De façon générale, il faut:

l'apprentissage de la modération;le rôle de la communauté internationale est important;le rôle des églises sur les consciences est important;la participation de l'Afrique aux valeurs universelles j

l'implication et le rôle des intellectuels sontincontournables dans la recherche des solutions auxconflits;l'importance de la concertation entre l'école et sonenvironnement;l'éducation à la citoyenneté comme pilier fondamentalcaractérisée par des rapports de respect mutuel,acceptation réciproque, tolérance et culture de la paix;une méthodologie pragmatique se basant sur desexpériences de la vie;les devoirs;Développement d'un code de conduite;La résolution non-violente des conflits;La méthodologie participative.

Au niveau universitaire, cette éducation à la citoyenneté seracentré sur:

les droits de l'homme;la résolution pacifique des conflits et la promotiond'une culture de convivialité;une vision commune de l'histoire nationale et des défisà lever.

376

Finalement, quelle éducation pour quelle citoyenneté? Elleest axée sur les droits de l'homme, la démocratie, ledéveloppement et la paix.

Cinq critères d'approche d'après Alpha Gumar Diallo: lepluralisme, la multiplicité des niveaux, l'unicité institutionnelle,les approches intégratives et la pertinence culturelle.

L'éducation à la citoyenneté doit faire acquérir les valeurssuivantes: le respect de l'autre, la tolérance, le dialogue et lanon-violence.

Il faut éviter le cycle de violence - vengeance - répression.

Rupesinghe Kumar, Directeur du State of World Forum aproposé la création d'un Institut Régional pour la Résolution etla Prévention des Conflits.

2. Colloque sur les programmes de l'enseignement primaire etsecondaire (rapport, Fevrier 2003)68

En 2003, le Ministère de l'Education a organisé un«Colloque sur les programmes de l'enseignement primaire etsecondaire sur le thème « Une pédagogie centrée surl'apprenant pour l'acquisition des compétences ». Lesmotivations de ce colloque étaient notamment :

L'absence dans les programmes des concepts nouveauxcaractéristiques de notre temps et qui constituent desvoies de solution à la crise que connaît le pays;

L'éducation à la paix, aux droits de l'homme et à larésolution pacifique des conflits et à l'égalité desgenres;

L'éducation à l'environnement et à la mondialisation.

Toutes les études menées avaient recommandé uneréadaptation voire une révision profonde des

68 L'Eglise a aussi organisé un Colloque sur les valeurs.

377

programmes. L'objectif global ériÛt celui d'adapter lesprogrammes aux exigences présentes et futures del'éducation de la société burundaise. Les étapessuivantes ont été retenues dans l'élaboration du projet:

.. Analyse critique des programmes scolaires;

• Réalisation des enquêtes sur les programmesauprès des partenaires principaux des acteursde terrains à savoir les enseignants, lesinspecteurs, les directeurs et les parents;

• Confection d'un projet à soumettre, formationdes conseillers pédagogiques sur les techniquesd'élaboration et d'intégration des curricula ;

• Organisation des pré-colloques.

Le Rapport souligne en outre les principaux aspects quijouent sur la qualité de l'éducation dont les matérielsd'enseignement, l'attitude des parents et de la communauté vis­à-vis des apprentissages, ce qui implique des méthodespédagogiques actives, participatives et novatrices: notammentl'association des parents, engagement et dévouement desenseignants.

La politique sectorielle insiste sur une formation del'individu ouvert au monde, fier de sa culture et tolérante. Pourréaliser les finalités, le Rapport propose 4 phases à savoir:

apprendre à connaître;apprendre à faire;apprendre à vivre ensemble;apprendre à être.

La méthodologie d'analyse des thèmes, des savoirs, dessavoir-faire, des savoir-vivre, modes d'évaluation et référencespour les matériels didactiques.

Former les conseillers pédagogiques en matièred'élaboration des programmes, de rédaction des

378

manuels et de conception des méthodes d'évaluationsuivant l'approche par les compétences;

Assurer la formation continue des enseignants.

Le Rapport donne les mots d'ordre suivants qui ont guidé lestravaux: «Quelle éducation? Pour quels individus et pourquelle société? Pour quelles valeurs? Pour quels savoirsfondamentaux? Pour quels savoir-faire? Pour quels savoir­être? Pour quelles méthodes? Pour quelles évaluations? Etenfin pour quelles compétences? », p.14.

Ces interrogations soulèvent ces questions;

le type de société à former;

les valeurs et les savoirs fondamentaux (savoir-faire,savoir-être), quelles connaissances à transmettre;la méthodologie;l'évaluation.

A la fin de l'école primaire l'écolier doit:

être capable de défendre ses droits et respecter les droitsfondamentaux de la personne humaine;prévenir et résoudre pacifiquement les conflits;afficher un comportement patriotique favorable à lapaix, l'unité et la réconciliation nationale.

À la fin du Collège, il doit:

intérioriser correctement les éléments pertinents dupatrimoine culturel burundais et y adopter lecomportement quotidien;promouvoir les valeurs de la tolérance et de la

convivialité.

À la fin des humanités, l'élève doit avoir acquis lescompétences suivantes;

379

afficher des comportements d'un citoyen responsable:apôtre de la paix et de l'unité, défenseur des droits, deslibertés et des intérêts au niveau national ;incarner et promouvoir les valeurs de la démocratie, dela tolérance et de la convivialité.

380

Ateliers de reflexion sur l'education a la citoyennete, 6-9decembre 200469

1er Atelier:

Les participants etaient des professeurs de ClVlsri1e dequelques écoles secondaires, professeurs d'Universités,conseillers pédagogiques, représentants d'associations, ONG,enseignants de Se et 6e années primaires.

Le but de l'atelier était de requérir les avis et considérationsdes praticiens: pertinence des thèmes, cohérence verticale ethorizontale des programmes et leur applicabilité.

La réflexion sur l'éducation à la paix doit définir le contexte,les objectifs assignés, les stratégies d'éducation, lei: réalisations,les forces et faiblesses ainsi que les perspectives.

Apprendre à voir ensemble:Le contexte est de redonner espoir et force morale àla société burundaise déchirée par la guerre.Au niveau primaire, le programme « Bâtissons lapaix.Au secondaire: Education à la paixAu supérieur: le cours de Civisme.

L'objectif est d'amener les enseignants et les apprenants à ladécouverte et à la compréhension de la confiance, de lasolidarité, de l'égalité et de la justice afin qu'ils développent lesattitudes et comportements du respect de l'autre.

Pour les 3 niveaux et autour des programmes Bâtissons lapaix (primaire) et Education à la paix (secondaire) et Civisme(supérieur), l'objectif est le même: il s'agit d'amener lesenseignants et les apprenants à découvrir la confiance, lacompréhension mutuelle, la solidarité afin de développer une

69 L'Eglise a initié une étude sur le programme d'éducation aux valeurshumaines par le bureau national de l'enseignement catholique.

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attitude pOSItiVe à autrui, en définitive apprendre à voirensemble.

Parmi les stratégies, il y a :

La formation des partenaires;L'élaboration du matériel didactique;L'éducation des écoliers et des élèves dans les écoles.

Réalisations: Le programme prévoit les thèmes et pour chaquethème, il se dégage: le savoir, le savoir-faite, le savoir-être, lesméthodes et l'évaluation.

Propositions du programme d'éducation à la culture de la paixet à la résolution pacifique des conflits

Programme de compétences personnelles à la vie courante àl'école primaire et au Collège et d'éducation à la citoyenneté auLycée.

1. Niveau primaire :

Au terme de l'école primaire, l'écolier devra pouvoir résoudreune situation-problème significative mettant en œuvre à la foisles savoirs sur la connaissance de soi et des autres, la sexualité etla santé de la reproduction, les droits de l'homme, l'éducation àla paix et à l'environnement.

Le programme commence au niveau de la classe de Se année.Parmi les compétences de base, l'enfant doit être capable de :

résoudre une situation-problème faisant appel auxdet'oirs et droits fondamentaux de l'enfant, aux notions detraumatisme et au droit international humanitaire.résoudre une situation-problème faisant appel auxformes de paix.

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-- .._._------- ------

Le programme inclut les thèmes suivants:

la connaissance de soi et des autres;les valeurs humaines (la notion d'ubushingantahe) ;les droits de l'homme;le droit international humanitaire;l'éducation à la paix (résolution pacifique des conflits,arbitrage, négociation).

2. Niveau secondaire:

L'objectif terminal d'intégration: les connaissances acquisessur les valeurs d'ubushingantahe, les droits de l'homme,l'éducation à la paix et à l'environnement, les fondements dupouvoir et de la démocratie.

Les thèmes principaux :

connaissance de soi et des autres;les valeurs humaines (les valeurs d'ubushingantahe) ;les droits de l'homme;le droit humanitaire international;les fondements du pouvoir et de la démocratie;l'éducation à la citoyenneté.

Objectif terminal :

Les connaissances acquises sur les valeurs d'ubushingantahe,les droits de l'homme, l'éducation à la paix, les fondements dupouvoir et de la démocratie, le droit international humanitaire.

Les thèmes principaux :

les valeurs humaines (les valeurs d'ubushingantahe) ;les droits de l'homme;le droit international humanitaire;les fondements du pouvoir et de la démocratie;l'éducation à la paix.

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2e Atelier:

Seminaire de reflexion sur le cours de civismeDans l'enseignement superieur (chaire unesco), 23-25 mars2005

* Participants: Professeurs de Civisme dans l'enseignementsupérieur (Universités, Ecoles et InstitutsSupérieurs): 11.

* Partenaires :

ONG locales et internationales dont l'UNESCO,l'UNICEF et l'APEFE, le CICR, l'OHCDHB ;

Les Ministères:

Ministère des Droits de l'Homme et Mobilisation pourla paixMinistère de l'Education Nationale

Bureaux PédagogiquesLigues des Droits de l'HommeOrganisations des JeunesMédias

Contexte:

Le Burundi connaît une crise profonde depuis octobre 1993.Cette crise a vu la violation des droits les plus fondamentaux dela personne humaine à commencer par le droit à la vie, à lasanté, à l'éducation, avec des conséquences comme lamalnutrition, l'analphabétisme, les maladies, la destruction desinfrastructures sociales, éducatives (centres de santé, écoles,habitations) et économiques.

Les jeunes ont été les principales victimes de cette crise sousplusieurs formes (tués, blessés, orphelins, délinquance).

L'éducation à la paix et à la citoyenneté s'impose donc pouraider les jeunes à reprendre confiance dans l'avenir endéveloppant chez eux le respect des droits de la personne

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humaine et le sens de la résolution pacifique des conflits.L'école doit être un lieu de cette éducation et encadrement pourles aider à surmonter les traumatismes.

L'Université est un cadre privilégié pour aider les étudiants àdévelopper des habilités de médiation, d'arbitrage, de dialoguequi leur permettront d'approcher positivement les conflits.

«Les élèves, étudiants doivent avant tout apprendre àles appliquer aux conflits qui font partie de leur viequotidienne (famille, amis, etc.) avant de les appliquerplus tard aux conflits liés aux différences politiques,ethniques, idéologiques, partisanes », (Rapport, pA).

Objectif: recueillir les avis et considérations des praticiens desprogrammes sur terrain (à poursuivre pendant une périodeexpérimentale) sur le cours d'éducation à la citoyenneté.

Analyse et réflexion sur le contenu du cours de civisme dansl'enseignement supérieur en se concentrant sur la pertinencedes thèmes, la cohésion verticale et horizontale des programmeset leur applicabilité

. Une commission Civisme a été mise en place

. Méthodologie adoptée: . Conférences introductivesExpériences de terrainAnalyse des cursus existantsDébats en plénièreTravaux en groupes sur différents thèmes

Implications des associations locales de la société civile(ligues) et organismes internationaux (Unicef, Search forCommon Ground).

L'importance du cours de Civisme: il vise à former descitoyens responsables, intègres, honnêtes, tolérants, cultivés,remplis d'esprit humanitaire. Il permet une ouverture au monde(compréhension, acceptation des différences), les respect des

385

valeurs morales de la société burundaise et des autres sociétésen général (Rapport, p.8).

C'est un cours de réarmement moral (savoir, savoir-vivre etsavoir-devenir). Il a une mission d'éveil des consciences sur lepatrimoine et la citoyenneté. Il s'agit d'une" nouvelle dynamique.

L'intitulé Education à la citoyenneté revêt un caractèreuniversel.

" Thèmes et contenus à intégrer dans le guide existant:

La culture de la paix ;La prévention et la résolution pacifique des conflits;Les droits de l'homme.

La méthodologie:

privilégier la méthodologie participative en partant dela méthode expositive.visites à l'intérieur du pays.diversifier le matériel didactique: cartes, cassettes,diapositives, rétroprojecteur, vidéo, etc.

386

Le rôle de la Chefferie traditionnelle dans lesmécanismes de prévention et de résolution des conflits

dans les sociétés précoloniales du sud du Gabon

Monique MAVOUNGOU-BOUYOU, née KOUMBA­MANFOUMBI

Maître-assistant (CAMES) en HIstoire Précoloniale AfricaineUniversité Omar BONGO (Libreville)

1. Introduction

Nous posons le problème de la terre comme paradigme. Ils'agit d'un espace géographique sur laquelle s'établit unecommunauté dirigée par une chefferie qui a pour missiond'organiser la régulation de la vie quotidienne de ses membres. Laterre, nous le verrons, était au cœur des conflits entre clans etethnies dans la période précoloniale. C'est dans cet espacegéographique qu'il faudra prévenir les conflits par une gestionharmonieuse de la violence.

Dans la plupart des sociétés du sud du Gabon, les aspirations àla paix conduisaient à développer des techniques et desmécanismes de prévention d'une part et de résolution des conflitsd'autre part dont l'objectif était de parvenir au dialogue, à lacoexistence et à la paix. Cela a donné naissance à une gammevariée de pratiques dissuasives et de modes de prévention desconflits. La violence étant canalisée, dans le cas de la chefferietraditionnelle, par des structures politiques et socio-économiquesà caractère juridique spécifique et par des sociétés secrètess'appuyant sur un cadre religieux.

C'est pourquoi la chefferie s'impose dans l'organisation descorrespondances au niveau de la parenté entre individus decommunautés différentes ainsi qu'au niveau du partenariatcommercial. Les sociétés secrètes initiatiques organisent pour leurpart le pouvoir religieux invisible qui assure l'obéissance à la règleprofane.

387

Nous retenons donc que parmi les institutions qUlcontribuent à prévenir les conflits, figure la chefferietraditionnelle. La chefferie traditionnelle dans le sud du Gabonconstituait une réalité sociologique. L'unité de base était le villageau sein duquel s'exerçait l'autorité. Cette autorité était détenuepar les chefs propriétaires des terres claniques er lignagères. Chezles Punu par exemple, ceux-ci ne se réunissaient que pour lerèglement d'un conflit opposant les clans entre eux, à l'intérieurde leurs terres, ou pour décider de la guerre ou de la paix avec lesclans et les peuples voisins.

2. Les Mécanismes de résolution des conflits et de larestauration de la paix

En effet, au cours des phases d'implantation et d'extension desdomaines claniques Punu, les chefs d'une vague migratoire de clanDidJabe déCIdèrent d'occuper une partie des terres Budjale qu'ilsconvoitaient.

Mais, c'était sans compter sur « la loi universelle de la défenseet du maintient de l'intégrité du domaine clanique ».

Un conflit éclata à l'issu duquel les Didjabe tirèrent leur devise,véritable rappel de l'histoire «Didjabe di mlkualu ntsientsi bakamirumbe isiàmbuali ima lembu na kame» « Sept guerriers qui ontcombattu cent adversaires» dit la devise qui illustre le caractèrecombatif et résistant du clan malgré l'importance numérique deleur adversaire.

D'une manière générale, dans les données orales, les conflitsclairement liés au problème de l'acquisition et du contrôle duterritoire ne se résolvaient pas par la soumission des plus faiblesmême numériquement et, par l'édification d'un village, en tantqu'outils de domination d'un clan sur un autre1

• Mais soit parl'abandon ou par l'expulsion du groupe faible.

Les exemples d'implication de la chefferie dans les décisionsengageant la communauté sont nombreux.

388

Au début du XXème siècle, dans le cadre de la conquêtecoloniale Française, des affrontements, dans le pays Mocabe eurentlieu. A la suite de ceux-ci, tous les chefs des villages MwabiJ

Mukabe, MusamuJ KuhuJ Murindi et Buhulu après un «accordtacite» décidèrent d'affronter l'adminstration perçue alorscomme leur ennemi commun2

• De même, les chefs decommunauté Tsogo et Punu durent s'unir pour combattrel'administration coloniale dans cette région.

Un peu plus à l'est, en pays Awandj; les chefs des villagesAwandji et ceux des villages Kota et Shake se joignirent à WONGO,chefde terre, pour lutter contre l'administration coloniale3

Il se tenait des assises solennelles auxquelles assistaient leschefs de clans, de lignages et de villages concernés. Ces rencontresne duraient que le temps des pourparlers, pour aplanir lesdifférends entre clans et communautés ethniques différents oupour décider des combats à mener contre l'ennemi extérieur4

Ainsi, lorsqu'un conflit intervenait entre membres de lacommunauté ou entre deux groupes ethniques différents,l'initiative de la réconciliation entre belligérants se faisait au coursd'une cérémonie solennelle qui réunissait des chefs de la mêmejuridiction ou ceux représentatifs des deux groupes belligérantss.

Chez les Ambama, selon le Pro ALIHANGA, la réconciliations'effectuait de la manière suivante: un ancien du groupe vaincuallait trouver son homologue vainqueur. Il était paré d'une canne,insigne de dignitaire, ainsi que d'une peau de renard. Ensemble, ilsconvoquaient une assemblée générale des chefs6

• Les notablesapportaient chacun une tige d'amome qu'ils déposaient par terre,témoignage de la volonté de chacun d'eux d'aboutir aurétablissement de la paix.

Chez les Punu, les Gisir et les Sangu lorsqu'un conflit survenaitentre peuples voisins, des procédures multiples étaient employées.Il y avait tout au début l'envoi d'émissaires « Bikambi ». Leur rôleconsistait à déterminer avec la partie adverse le lieu, les procédures

389

et les personnes habilitées à conduire les débats7• Les négociateurs

dans ces sociétés précoloniales jouaient un rôle capital car ilspermettaient de sortir les parties en conflit de l'impasse, deparvenir au compromis et de mettre un terme au conflits. Pourcela, ils devraient être détenteurs du verbe et avoir uneconnaissance parfaite des proverbes, devises et adages, facteursvalorisant de leurs discours. Au cours de la rencontre, ces élémentsleur permettent d'étayer, de mieux rendre le sens des propos,d'affirmer ou d'expliquer des situations.

Le proverbe, en particulier était l'arme principale du « Givovi »

dans ces sociétés, le meilleur étant celui qui savait l'utiliser à bonescient. Les médiateurs « Ntsontsi» étaient choisis en fonction deleur âge, souvent des vieillards, des anciens, des notables. Le critèrede sagesse prévalait ainsi que celUi de la connaissance de l'histoirede leurs clans, de leurs lignages mais aussi des clans et lignages desgroupes en conflit. Ces médiateurs entérinaient les décisionsémanant des négociations par le collège des chefs traditionnelscomposé des chefs de clans, de lignages et de villages choisis parles belligérants en vue de restaurer la paix. Leur rôle était de ce faitimportant dans la prévention et la résolution des conflits. Car,selon l'engagement que chacun d'eux prenait, il œuvrait àl'application dans son village, son lignage et son clan des accordset des décisions retenues par la médiation.

La restauration de la paix collective découlait de l'applicationde ces décisions et résolutions dans chacune des airesgéographiques composant l'espace où se déroulait le conflit.

3. La parenté

La chefferie traditionnelle dans le sud du Gabon s'appuyait surla parenté comme facteur de paix à l'intérieur des communautéset entre elles. Au sein de celle-ci, les correspondances claniques etlignagères constituaient un facteur déterminant entre lespopulations d'ethnies différentes. L'adage largement répanduselon lequel: «ifumbe aga pange» rappelle encore aujourd'hui que« le clan ne connaît pas de frontière ».

390

4. Les échanges commerciaux

De la même manière, à travers des réseaux d'échangescommerciaux, auxquels elle prenait activement part, la chefferietraditionnelle s'efforçait d'assurer l'harmonie des relations entreles communautés. La fonction de ces échanges étantprincipalement de garantir la paix propice à la circulation desbiens et des personnes.

5. Les sociétés secrètes

Forme culturelle par excellence des peuples du sud du Gabon,dans la période précoloniale, les sociétés secrètes initiatiques,productrices d'éléments du pouvoir religieux et invisibleproposaient des mécanismes pour prévenir les conflits, maintenirla paix et éviter la violence et les conflits. Elles répondaient auxexigences de l'obéissance des lois dans la direction de lacommunauté. Elles veillaient au contrôle, à la gestion de lacommunauté, de la chose publique ainsi qu'aux contingences deviolence auxquelles elles étaient confrontées. Leur nature et leurfiabilité étaient reconnues de tous. Jouant le rôle de pouvoirinvisible, le champ ésotérique de leurs activités faisait d'eux desorganes dominants et craints au sein de ces sociétés9

A vocation par conséquent politique et sociale, ellesparticipaient au respect des institutions sur lesquelles le chef duvillage s'appuyait pour faire respecter la loi en vue de la gestionharmonieuse de la société.

Les chefs traditionnels du sud du Gabon faisaient partie dessociétés secrètes initiatiques, véritables fondements du pouvoir. Ilsdétenaient des pouvoirs visibles et invisibles, parce que le pouvoirpolitique était indissociable du pouvoir spirituel. Le premier selégitimait par le second et avait à travers ce dernier, un caractèresacré10. Les deux œuvraient dans le sens de la discipline et del'ordre, ce qui permettait de réprimer toutes sortes d'arbres, dedésordre, de violence et d'éviter la rupture des équilibres internes

391

et externesll pouvant entraîner les conflits et la décadence de lacommunauté.

Un exemple de société secrète initiatique type est celle de Mwiripratiquée dans tout le sud du Gabon et qui constituait leprincipal facteur de prévention des conflits. Cette société avait misen place des bases d'une union pour la gestion harmonieuse desterres.

Pour éviter tout abus, source de conflIts, le Mwiri qui a sonemblème, le caïman, édictait des lois afin d'interdire les vols dansles espaces cultivés, de défendre l'exploitation de certaines zonesde forêt, de pêche et de chasse, permettant ainsi leurreconstitution pendant un temps déterminé.

Ces lieux, pendant cette période, étaient sous la garde duMwiri. Ainsi, s'il arrivait qu'un membre de la communauté ou toutautre, notamment une femme, violait l'interdit, (en allant parexemple cueillir des ananas dans une zone frappée par l'interdit) lesoir au village, la voix grave et caverneuse du Mwiri se faisaitentendre, dénonçant ainsi l'auteur du vol avec preuve à l'appui(une qualité d'ananas identique à celle cueillie par l'indélicate).

Ainsi, le Mwiri œuvrait au maintient destraditionnelles en s'appuyant sur l'action discrètedénoncer et à punir les coupables. Les sanctionsallaient d'une simple punition à la peine de mort.

structuresdestinée àencourues

Par la crainte qu'il inspirait et sa vengeance contre toutcontrevenant, le Mwiri permettait de prévenir et d'atténuer laviolence et les conflits.

D'autres sociétés secrètes InItiatiques de diffusion largecomme le Mungala des Adouma) des Awandji) ainsi que le NdJobi desTeke et des Ambama dont l'assise était territoriale; d'autres encore,essentiellement du gouvernement comme le Ndjobi des Teke, leBwiti des Tsogo et des Apindji) le Ndokwe des Akele, l'Onkani, le Nkalades Ambama et des Teke étaient à même de dissuader, de prévenir,de régler les conflits et d'imposer la paix au regard de leur

392

manifestation lors des initiations, lors des questions engageant lacommunauté enfin, lors des règlement des conflits12

.

6. Conclusion

Les mécanismes de prévention et de résolution des conflitstrouvent leurs fondements dans les connaissances culturelles dessociétés à un moment donné. Les sociétés traditionnelles sontproductrices de ces éléments de connaissance. C'est pourquoi l'onretrouve dans la chefferie traditionnelle d'éminents membres dessor.iétés religieuses et initiatiques. En retenant le paradigme de laterre, la chefferie traditionnelle confrontée à la prévention et à larésolution des conflits tirait finalement du sacré les principes quiétaient à la base des pratiques et des mécanismes de prévention etde résolution des conflits.

Notes bibliographiques

ALIHANGA (M.), Structures communautaires traditionnelles etperspectives coopératives dans la société Altoghit1éenne (Gabon).Rome, 19766

;

LOUMBAMONO BESSACQUE (G.C), une lecture des rivalitéslignagères chez les Ambama du Gabon, dans le lignage etterritoire en Afri~ue aux XVlllème et XIXème siècles, ParisKarthala, 2000 ;

BAH THIERNO, les mécanismes tradttionnels de prét1ention et derésolution des conflits en Afrique Noire: hrrp:UNESCO.org/cpp/publication/mécanismeedbah.html

-9­

12

KOUMBA-MANFOUMBI (M.), Les Punu du Gabon, des o,rigines à1899. essai d'étude, thèse pour le doctotat de 3eme cycled'Histoire, Université de Paris 1 Sorbone, 198710

-11

;

393

MAVOUNGOU-BOUYOU (M.) née KOUMBA-MANFOUMBI, lesmécanismes culturels de prévention et de résolution desconflits dans les sociétés précoloniales au sud du Gabon:les pratiques traditionnelles dans dialof!ue interculturel etculture de la Paix. UNESCO 200S2

.3•4•7

.!f.10.11 ;

MAVOUNGOU-BOUYOU (M.) née KOUMBA-MANFOUMBI,« La terre au cœur des conflits: cas du GABON (XVllème ­Xxème) ». Dans les cahiers d'histoire et Archéologie n °6Libreville7

•s ;

394

Mecanismes et strategies sodo-culturellestraditionnelles dans la resolution des conflits:

l'exemple de Aguene et Diambone

Saliou Sambou

Le sujet dont je suis chargé de vous entretenir aujourd'huiest vaste et complexe et d'une brûlante actualité, compte tenudes différents conflits qui ensanglantent notre continent. Del'Afrique Australe à l'Mrique Centrale en passant par l'Afriquede l'Ouest et même en Afrique de l'Est, l'Afrique est meurtriepar des Conflits dont l'origine est souvent diffuse et trèsdifficile à cerner avec exactitude. A partir des situations aussiconfuses où les antagonistes eux-mêmes ne peuvent situer avecprécision les enjeux, la raison commande qu'on revisite nostraditions et les valeurs profondes qu'elles renferment.L'Afrique a été déstabilisée par des siècles d'esclavages suivis delongues périodes de colonisation. Tout cela laisse des séquellesprofondes dans nos comportements de tous les jours.

Nous en sommes arrivés à dévaloriser nos propres cultures,essayant de singer des comportements d'autres civilisations.

II s'y ajoute que nos langues sont qualifiées de vernaculaires,d'indigènes à côté d'une langue civilisée, celle du colonisateur.Les premiers collégiens étaient de grandes personnalités en facede leurs camarades d'âges analphabètes avec qui ils avaientpartagé pourtant les secrets du bois sacré.

A côté, les Etudiants revenus de la métropole avec lacasquette blanche sont des démiurges. La classe intellectuelleafricaine commença à s'embourgeoiser cl se mit à imiter lescomportements du colon, qu'elle remplacera d'ailleurs dans lesannées 60, années des indépendances. La masse analphabète, lesdéchets scolaires et les paysans voyaient déjà s'effriter les us etcoutumes du village au profit de comportements citadinsassimilés à des attitudes d'hommes civilisés. Et la balkanisationde l'Mrique se produisit et rendit tout effort de fédération vain.

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La France qui avait pourtant géré ses colonies en les groupanten fédération (AOF-AEF) accorda à ses anciennes colonies desIndépendances « individualisées ». Certaines tentatives deregroupement n'ont pas tenu la route (La Fédération du Mali).

Des siècles d'esclavages et des périodes très longues decolonisation ont détourné l'Afrique et les Africains de lamarche normale de toute société vers un développement vouluet organisé. Le temps mis par des Européens et les autres paysdits développés pour arriver au niveau actuel ne peut êtreaccepté pour combler le retard de l'Afrique. On nous demandede sauter des étapes. Nous n'avons pas le droit de poser nosmarques. On nous les impose pour satisfaire la mondialisation.

Des programmes clefs en mains nous sont proposés sansaucune possibilité de négociation. Nous n'avons plus voix auchapitre. Dans des rencontres internationales, comme avec lesorganisations mondiales, on a l'habitude de ne pas tenir grandcompte des positions de l'Afrique. Nous sommes entreplusieurs civilisations et Ton ne nous demande pas de choisir.Nous devons sauter les étapes el nos efforts sont appréciés parrapport au bon vouloir de nos censeurs. Puisque nous sommesentrain de perdre pied, tellement la marche forcée nous épuise,essayons de retourner d'où nous venons.

Car, comme le dit un proverbe de chez nous, quand on nesait pas où l'on va, on retourne d'où Ton vient.

Notre subconscient est surcharge d'un fardeau trop lourdque nous avons de la peine à décharger. Nos ancêtres sont mortsdepuis longtemps, cependant il subsiste dans l'esprit deshommes de couleur, principalement des noirs, des attitudesvisant à faire penser que tout ce qui est de culture noire doit êtredévalorisée. De nos jours, dans certains pays africains, onaccepte difficilement qu'une mission de l'ONU soit dirigée parun noir devant un parterre de Blancs.

Certains de nos comportements ataviques, malgré debrillantes études dans des Universités occidentales font penser

396

que l'Africain est incapable de s'organiser avec logique pour ledéveloppement de son pays. Comment comprendre autrementqu'étant le continent le plus vaste, le plus compact détenantplus de la moitié des richesses naturelles du monde, noussoyons le Continent où Ton compte plus de pauvres et où Tonmeurt aujourd'hui de faim et de malnutrition. Nous avonsencore des attitudes d'esclaves ou de colonisés. De telle sorteque certains ont été jusqu'à penser que l'Afrique refuse ledéveloppement.

Parce qu'encore une fois, nous attendons des appréciationsde l'Occident pour bomber le thorax et affirmer que noussommes démocrates ou non.

Pendant que l'Europe s'unit, la balkanisation de l'Afrique sepérennise. Des tentatives de sécessions se multiplient encore denos jours. Tout cela fait désespérer de l'avenir de notrecontinent.

Cependant, avec un retour aux sources, non pas pour desslogans creux et sans lendemain, mais par des actes concrets etréfléchis, l'Afrique peut retrouver sa stabilité et accélérer sondéveloppement.

Il nous faut une rupture totalement avec ce comportementservile que nous adoptons vis-à-vis de l'autre, et qui a tendanceà faire de nous des sous-hommes pour pouvoir apporter latouche noire à la mondialisation et à son équilibre.

L'autre cependant, n'est pas le diable. Prenons garde dechercher des boucs émissaires. La plupart des nos erreurs etdéviations sont endogènes mais aggravées par le regard del'autre.

Pour servir l'humanité, comme toutes les autrescomposantes de notre planète, nous ne devons pas faire decomplexe. Nous avons des valeurs sûres héritées de nos ancêtresqui peuvent nous aider à régler nos conflits s'uls avoir toujoursbesoin de l'assistance des autres. Nos sociétés renferment en

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elles-mêmes les ferments de solution des problèmes que nous­mêmes avons créés. Comment voulez-vous que quelqu'un quine connaît pas votre culture puisse régler un problème dont lesoubassement est d'ordre culturel ou cultuel? C'est donc nous,qui nous offrons en ridicules devant des autres!

Prenons notre destin en charge. Soyons fiers de ce que noussommes. Réorganisons-nous et nous jouerons le rôle qu'onattend de nous dans le concert des nations au rendez-vous dudonner et du recevoir. Déjà, au Sénégal, m'appuyant sur lecousinage à plaisanterie entre Sérères et Diolas, j'ai eu àentreprendre des initiatives hardies que je n'aurais jamais puimaginer, n'eût été mon attachement et mon respect des valeursde ma communauté. M'appuyant sur cet héritage ancestral, j'aipu unir les Sérères après un conflit datant de plus de 20 ans quiperdurait de génération en génération. C'était entre deux îles duSine-Saloum Niodior et Dionewar : l'antagonisme entre cesdeux îles étaient tel qu'ils ne pouvaient pas voyager dans lamême pirogue. Il est arrive que le Président Abdou DIOUF lorsd'une campagne électorale avait décide de ·visiter ces deux îlespour ne pas faire de jaloux, or, pour les habitants des deuxvillages voisins, il fallait que le Président choisisse. Suit l'un,soit l'autre.

En voulant couper la poire en deux, mal lui en a pris et sonbateau s'est trouve immobilisé au milieu des eaux malgrél'allumage des moteurs. Le plus grave, c'est que la marée bassene tardant pas à se produire, le protocole était dans tous sesétats.

Il a fallu beaucoup de conciliabules de pratiques mystiquespour que le bateau daigne démarrer.

Une autre anecdote étant que lors d'une visite, d'un ancienMinistre de la Région Valdiodio NDIAYE la tension était telleque c'est un hélicoptère qui a été dépêché de Dakar pour lesauver.

398

- Comment avais-je procédé? :J'avais posé alors ce problème en ces termes: j'ai appris que

vous avez une cohabitation très heurtée entre ces deux villages.En ma qualité de Diola et de cousin de sérére, la sagesseancestrale ne met dans l'obligation de régler ce conflit, si conflitil y a. Qu'est-ce qui vous oppose?

Personne des deux camps n'était en mesure de me dire àquoi ce conflit était dû. Et certains sages de me dissuaderd'aborder ce problème vu l'élan de sympathie dont je faisl'objet dans les deux camps. J'entrepris malgré toutes lespressions de m'engager au nom des Diolas, à régler ceproblème. Après de concertations difficiles de part et d'autre, jeréussis à réunir les sages des deux côtés.

Une paix fut signée et les deux camps se présentèrent devantla caméra et jurèrent que c'est la fin du conflit. Jusqu'à présentla paix règne entre ces deux îles et les gens voyagent ensemble.

L'autre problème était celui qui opposait les douaniers et lesinsulaires. Il se trouve que les insulaires avaient l'habitude, s'ilsétaient nombreux, d'attaquer des agents des Douanes quifaisaient leur travail, et de les jeter à l'eau après les avoirassommés. Je me suis proposé devant les antennes de la radionationale, lors d'une émission publique de poser le problème etde laisser intervenir tout le monde afin de crever l'abcès. Maproposition n'avait pas l'air de plaire à tout le monde. LesDouaniers craignaient d'être attaqués devant l'autorité que jereprésentais. Ils me faisaient savoir le risque que je prenais enles invitant dans ces îles. Le chef du village de Dionewar medemandait d'éviter de prendre sous ma responsabilité un sigrand danger. J'ai insisté et les débats furent ouverts. LesSéreres de la Diaspora interviennent en direct et au bout ducompte les Douaniers ont été invités à passer la nuit dans l'île etils avaient les bras remplis de noix de coco en guise de cadeaux.Depuis, les douaniers font normalement leur travail sansencombre.

Il Y avait aussi le problème entre le village de Toucar etNgayohène dans la région de Fatick. II s'agissait d'un Président

399

de Conseil Rural qu'un village contestait. Les deux villagesétaient face à face avec des fusils, des haches, des coupes-coupes,des gourdins et d'autres armes de fortune. Je fus informé entant que Gouverneur de la région. Je me fis accompagner parune escouade de gendarmes. A la vue des antagonistes lesgendarmes prennent position pour intervenir par la force. Jedemande aux gendarmes de me laisser faire. Ce qu'ils jugentdangereux. J'insiste et je me mets entre les deux camps en leurtenant ce langage: si vous osez verser du sang sérére devant moile Diola, faites-le. Et vous savez que la tradition merecommande de ne laisser tomber aucune goutte. Allez vous medonner ce supplice de boire tout le sang que vous allez verser. Sitelle est votre volonté allez-y. Je me ferai le devoir de tout boire.

Les armes se baissèrent et j'eus le temps de convoquer lesantagonistes dans une salle. Après quelques minutes depalabres, le problème fut réglé. Cela provient de la convictionque Séreres et Diolas sont des cousins issus de deux sœursjumelles Aguènc et Diambone.

Ces deux sœurs vivaient il y a très longtemps dans leurvillage d'origine appelé Kinara et situé quelque part en Afrique.Un jour que leur mère les envoya cherché du bois, elles furentsurprises par une grosse tempête et leur pirogue se fendit endeux parties.

Aguène s'agrippa à l'une d'elle et fut traînée jusqu'àKalobane en Casamance où elle donna naissance au Diola.Diambone s'accrocha à l'autre partie et dériva jusqu'àDiakhanor dans le Sine et donna naissance aux Séréres. C'estpour cela que Diola et Sérère sont des « Kal » en Ouolof, «

Sanawya » en Diola et Mandingue. Il leur est interdit de se fairemutuellement du mal. Et quelle que soit la tension qui règneentre Sérère et Diola, il est interdit que l'on se fâche contrel'autre. Celui qui n'obéit pas à cette loi non écrite transgresseles interdits et se fera châtier et punir par une justiceimmanente. Notre conviction est donc faite que l'Afriquerenferme des valeurs sûres qui n' ont jamais été exploitées à bonescient.

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L'exemple des fils d'Aguène et Diambone, bien médité etbien exploité pourrait faire école. A supposer que cela nes'arrête pas aux individus ou aux groupes ethniques, maiss'étendent à des Etats, cela aurait grandement contribué àapaiser les conflits en Afrique et à laisser ie temps aux Mricainsde s'occuper du Développement.

Le retour aux sources suppose la reconnaissance de soi etl'acceptation de sa propre personnalité. Il est à craindre de nosjours que certains africains soient, sans le savoir les bourreauxde leur propre civilisation.

En effet, dans nos pays actuels, rares sont les africains quis'assument. Nous sommes pour la plupart musulmanschrétiens ou de religion traditionnelle. Cependant dans les paysà forte concentration musulmane, l'on se comporte comme lescatholiques car fêtant toutes les cérémonies religieuses del'ancienne puissance coloniale. Nos lois sont directement issuesdes lois françaises calquées sur nos institutions alors que noscomportements relèvent d'une autre sociologie. Le dire c'ests'exposer aux critiques acerbes des tenant de la civilisation, carpour nombre d'entre nous, valoriser nos us et coutumess'apparenterait à un comportement de sauvage tout au moins àune attitude d'arriérés et de non moderne. Les écarts quiexistent entre nos lois, héritées du passé colonial et noscomportements de tous les jours tiennent tout simplement aufait que ces lois et règlements que nous avons adoptés n'ont pastenu compte de la sociologie de nos milieux. Il n'y a qu'uneélite qui peut interpréter ces lois et cette élite les utilise souventcontre la masse de la population qui n'y comprend rien.Cependant cette élite bourgeoise dit parler au nom despopulations. Bans beaucoup de cas nos élections ne sont quedes faire valoir, car les résultats sont connus d'avance. Nousfaisons appel à des observateurs internationaux pour validernos scrutins. C'est que nous même, nous n'y croyons pas.Avons-nous jamais envoyé des observateurs dans des électionsen France, en Belgique, au Portugal, en Espagne ou enAngleterre?

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Nous pensons que nous devons réfléchir à nos propres lois,en nous basant sur notre héritage commun et en mettant enharmonie ces lois et notre culture en même temps que notreculte. Ce faisant, nous pourrons supporter le regard de l'autreen tant qu'égal et humain, mais non pas en tant que maître etdonneur de leçons. L'Afrique a en elle même toutes lesressources de son développement. Qu'il s'agisse de ressourcesnaturelles comme de ressources humaines. Ce qui nousmanque, c'est l'organisation et la méthode à adopter. Le Japoncomme la Corée étaient des pays en développement pendant làpériode de la colonisation. Ces pays aujourd'hui peuvent parlerd'égale avec les anciennes puissances coloniales.

Ce qui ne se comprend pas, c'est que Ton peut toutreprocher au pouvoir colonial, mais on doit bien reconnaître unfait, indéniable dont nous devons lui témoigner notre gratitude.Pendant les années les plus sombres du pouvoir colonial, lemaître a quand même ouvert la porte du savoir à son sujet.Nous avons été dans les mêmes écoles que leurs fIls, dans lesmêmes universités et dans les mêmes amphithéâtres que leursrejetons.

D'où vient que de retour chez nous, nous soyons incapablesd'appliquer comme eux les leçons reçues dans les universités. Làréside la question fondamentale des contradictions qui ont vule jour dans nos pays.

Conclusion

Nous voyons bien que l'Afrique peut saisir sa chance pourson propre développement. Des tentatives de bâtir desentreprises communes ont vécu. On se souvient d'Aire Afriquemais qu'on a sabordé par des méthodes pas très catholiques.L'OERS aussi avait existé mais n'a pas fait long feu. L'OMVScontinue son bonhomme de chemin alors que l'OMVG seprofIle déjà à l' horizon.

Il Ya d'autres organisations sous-régionales de même acabit.Quel est leur espoir de vie ? 11 est grand temps d'opérer une

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rupture totale vis à vis du nombrilisme dont nous faisonspreuve. II y a pas possibilité de développement total sansl'intégration de nos pays pour un ensemble assez vaste pourpouvoir attirer les bailleurs de fonds et les convaincre de notrevolonté de marcher comme tout le monde sur le droit chemindu développement. On ne nous demande pas d'inventer la roue.Nous sommes des humains, comme tous les autres, dotés de lamême Intelligence, instruits dans les mêmes conditions. n n'y adonc pas de raison de désespérer de l'Mrique. Mais, il nous fautd'abord des séances d'exorcisme pour abandonner à jamais lestares qui gangrènent nos sociétés. Cela ne se fera pas sans mal.n y a en des tentatives qui n'ont pas eu, loin s /en faut, lesrésultats escomptés. Les conférences nationales ont vécu avecleurs lots d'espoirs déçus. n nous faut du courage et de lalucidité. Des barrières psychologiques doivent être arrachés s'ille faut par la force. L'Afrique ne refuse pas le développement.Elle ne sait plus comment s'y prendre, tellement elle a étédétournée de son cheminement normal et naturel parl'esclavage d'abord et la colonisation ensuite.

C'est pour cette raison que nous demandons à noscompatriotes de revoir le chemin parcouru, d'analyser lesdifficultés rencontrées, les écueils afin de diagnostiquer le malde nos sociétés. Ayons le courage de reconnaître que nosdevanciers vivaient mieux malgré le manque d'outils techniquesperformants comme ceux dont nous disposons actuellement.

La sagesse voudrait qu'une rupture se fasse pour nouspermettre de revisiter notre patrimoine culturel pour lerevaloriser et le mettre au diapason des avancées technologiqueset médiatiques. Le Gouvernement sénégalais sur ce point est entrain d /expérimenter une autre procédure de dialogue socialpour régler le problème de la Casamance en mettant en valeurles relations existant depuis l'aube des temps entre les Diolas etles Séréres. n s'agît de cousinage à plaisanterie qui est uneréminiscence de parenté très proche mais que le temps et1/espace ont écartelée.

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La rencontre du MFDC et du Gouvernement à Foundiougneen zone sérére n'est pas le fait du hasard. Le résultat escompté,s'il se réalise, permettrait au Sénégal de faire des avancéesdécisives dans le règlement d'un conflit qui a duré plus de vingtdeux ans. Les prémices de cette procédure ont permis de trouverle calme dans la région Sud du Sénégal. En effet la présenceseule de Séréres est une garantie pour la partie adverse, leMFDC composé en majorité de Diolas.

Les Diolas savent que le lien de sang qui les unit aux Séréresne peut les autoriser à se soustraire aux décisions prises. Del'autre côté aussi, ils sont convaincus que les Séréres ne ferontjamais rien qui puisse trahir leurs intérêts. Ce lien ataviqueentre Séréres et Diolas ne peut souffrir de trahison de part etd'autre, ni de reniement. C'est pourquoi l'espoir est permis.

De la même manière, nous pensons que si entre certainesethnies de la Côte-d'Ivoire, il existait cette parenté à plaisanterie,l'approche pourrait être facilitée ainsi que les contacts entre lesgroupes antagonistes. En Afrique, l'interdit ne peut êtreoutrepassé, sans conséquence. Nos lois ne sont pas, pour laplupart du temps, des lois écrites. Mais tout contrevenant à ceslois, non seulement s'expose mais aussi expose sa famille, salignée et son clan.

Le retour aux sources voudrait que nous revoyons lescomposItIOns des parties politiques. Sous prétexte demodernisme et de démocratie, les partis politiques ont tendancedans certains pays à se substituer aux clans, aux ethnies ou auxtribus. Le refus de notre introspection et la cécité devant nospropres défauts et insuffisance, ne faciliteront pas la rupturesouhaitée. Avant de changer, il faut que Ton reconnaissed'abord qu'on n'est pas sur la bonne voie. Autrement, ce seratoujours la politique de l'autruche. L'Afrique connaît samaladie. Elle l'a bien diagnostiquée. Elle possède entre sesmains les remèdes à sa maladie. Mais elle ne les prend pas. Nousavons tendance à vouloir dire tant pis, s'ils veulent mourirqu'ils le fassent, mais qu'ils n'accusent personne d'êtreresponsable de cette faillite généralisée. Je me révolte peut-être.

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Mais peut-on faire autrement en voyant chaque jour le gâchisperpétré devant nos regards impuissants ? Est-ce une fatalité?Ne pouvons-nous pas sauter le fossé pour être de l'autre côte?Du bon côté? Si, on peut, il suffit de le vouloir tous et en mêmetemps.

Mesdames et Messieurs, si j'ai pris l'option de vous parlerdirectement et sans plan, c'est que je ne veux pas tomber dansdes clauses de style qui n'apportent rien de nouveau et qui nousconfinent à des exercices d'esprit n'ayant aucune prise sur noscoutumes.

A la limite j'aurai préféré improviser car, ce sera des chosesqui vous arriveront telles que je les conçois, sans avoir besoin defaire des tournures comme Victor HUGO ou MODERE.

Je vous dis oralement, c'est-à-dire du fond de mon cœur,tout ce que je ressens comme amertume devant autant de gâchisen tous genres. Des rencontres comme celle-ci doivent êtredémultipliées et doivent être suivies d'effet. Il ne faut pas quecela soit un forum qui vient s'ajouter aux autres et sanslendemain.

L'Afrique a besoin de tourner la page et l'Afrique a besoinde l'apport de tous ses fils où qu'ils se trouvent.

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L'éthique du pouvoir de l'Afrique traditionnelle àl'Afrique moderne: question sur le fondement de

l'Etat de droit

Abbé Dominique Kahanga

Introduction

1. Questions mltIatlques de l'éveil: apprendre àcommuniquer de la place vide et relation thématique àet de l'être-avec.

2. Pensée rituelle des mythèmes de l'homme du manque,de l' homme du lien comme reconstructeur de la placepublique.

3. La socialité de l'éveil du corps de la parution commeessence de la Communauté.

4. L'ouverture de la scène initiatique. Pathos de l'unité etcrises nouées et dénouées à l'entrée de la placepublique.

La tâche de réinstaller l'homme africain dans laproblématique de l' homme vrai en déployant pour lui la sagessequi se dit dans les antiques rituelles, est corrélative de la luciditésur la critique de l' ethos du politique.

Ce dont il est question, lorsqu'il s'agit de réfléchir sur laconstitution de la place publique, c'est de penser et de fonderl'autorité pour assurer le mouvement de rassembler leshommes.

Cette autorité doit être reconnue à l'individu, dans uneconfiguration sociale donnée et acceptée de leur être-ensemblecomme des hommes et des hommes essentiellement héritiers.Ceux qui sont concernés d'abord ce sont ceux qui savent que laplace publique est subordonnée à la conscience que lesmembres ont d'être àla place de...

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L'homme vrai est l'homme d'une humanité définie par lavolonté du bien. Le sens de la« vérité-justice» est l'humanité de1'homme expriment la même réalité.

Ne peut le faire voir selon l'entendement du vrai et du faux,du beau et du vrai que l'éthique de la vie du bon, de la vieordonnée à la santé cosmo-vitale des relations aux biens, auxautres, à la nature, à l'au-delà. C'est ce que nous donnons à liredans les textes initiatiques eux-mêmes.

Pensée rituelle des mythèmes de l'homme du manque, del 'homme du lien comme reconstructeur de la place publique:Pensee rituelle et scènes initiatiques

Rappelons que la Tradition sapientielle, dont nous pensonsla pensée des termes du faire-naître, aide à comprendre la portéedans la vie de deux sens de l'oubli que nous avons évoqués, àsavoir "kujimbal ": oublier par le volume d'une étendue et"kuvulmen" , oublier par l'abondance des perceptions, commedeux expressions de la perte de soi, kutot, et qui mettent enpéril le sens de l'origine pour quelqu'un. Cette forme ~e pertequi concerne le soi et la suite des idées est désigné par latechnique de -"kuyamhkesh"- du brouillage. La socialité desindividus comme membres responsables par l'humanité de lajustice, est la part de la manifestation de l'individu la plusmenacée en particulier dans le contexte politique qui utilisecette technique de brouillage dans la poursuite des butsinavoués qui doivent échapper à la discussion libre et,responsable pour sauvegarder le pouvoir d'un groupe donné età un moment de l'histoire. Faire oublier par un intermédiaire dela parole-faire le statut de propriétaire acquis de ce qu'on a prispar la technique de brouillage de la parole et de la mémoire desdroits et des devoirs est désigné par le terme :"kuyambkesh"­ku-yamb-kesh", c'est-à-dire l'action de brouiller la parole parun moyen et au sujet de l'appropriation d'un territoire: "ngand"(ce qu'on a pris et érigé en territoire) peut s'accompagner d'uneorganisation efficace et d'une domination des effets dudésordre grâce aux moyens techniques de gouvernement, sans

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pour autant qu'il s'agisse d'un ordre éthique de l'habitabilitédu monde.

Les mythèmes de l' homme du manque, en mettant au centrede l'action de sa recherche, de sa quête de la nourriture, laresponsabilité des enfants et la violence sur la mère mais dont lamort est cachée aux enfants, met au point de départ non pas leparricide mais le matricide des pères pour qu'ils deviennentmaîtres de la scène du devenir de l'enfant lui-même. Cettecondition est requise pour la mise en relation thématique de laplace vide orientée vers la manifestation de l'identité. D'où lethème initiatique rejoint le grand thème de la manifestation parl'ouvert, traduction exacte de mupol, mais le préfIxe « mu »ajoute toujours à la dimension du lieu la relation à l'humanitéqui dédouble le lieu de l'ouvert, c'est-à-dire par l'humanité lelieu ouvert l'est par l'hospitalité de la vérité et par le moyen declarifIer la place du village, à savoir la droiture.

Il est question de fonder la place publique) sur la relation àl'essence de la spatialité politique, conforme à la manifestationde la loi des lois que présuppose la territorialisation dumouvement de rassembler les hommes. Il s'agit de fonder lafaçon sociale de s'élever. La scène de la sculpture del'individualité montre la droite socialité de nselel, du mariage,de l'alliance, comme loi donnée dans la possibilité de l'éveilintérieur et du dedans"munang" a nse!e! de l'homme de ladroiture et de l'innocence paisible « muntfwa pemb ni mpenz

Celle-ci est par dévers la scène du feu, la scène de la lumière,évoquée dans la fonction reconnue à la droiture pour remplir latâche de re-construire la place publique instituée à partir de sonfondement éthico-ontologique traditionnelle. CettequalifIcation de traditionnelle renvoie immédiatement à lamémoire sociale de la parenté perpétuelle qui s'élève pardifférence à établir entre le mouvement imperceptible et lemouvement in-visible du visage qui manifeste par l'entrevueune qualité par laquelle quelqu'un envisage le dehors de sonêtre-avec.

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Pour libérer cette possibilité, la place vide est la position del'absence de la mère. Elle est la relation de présence -absence dela mère et la médiation du récit du père à la place de. Cetteforme d'être-là, constitue à son tour la relation tendue dunéophyte pour parvenir à la signification de l'identité del'enfant qu'il est, par l'arrivée de sa singularité à la maturité deson identité propre même.

Le père, à la place de la mère, est aussi sur la scène à la placede l'autre. La scène du parcours temporel de l'épreuve inscrirale néophyte dans le mouvement de re-naître de soi-même à laparenté perpétuelle thématique.

Ce qui implique que s'éclaircisse pour le néophyte le sens del'alliance "en hauteur", par la condition éthique de laresponsabilité première: celle-ci consiste à répondre de la vie del'autre, par l'éveil acquis de la médiation de sa propre humanitéde l'interdit à la première initiation des garçons « Mukand» etde sa propre humanité par l'honneur à la seconde initiation surle vécu en éveil.

Le courage d'être soi-même se remarquera au moment del'élévation de son nom propre, pour se relancer soi-même selonsa fierté adulte d'être ce quelqu'un qui l'est consciemmentdevenu par l'éveil.

Mûrir pour le néophyte, c'est accèder à cette conscience desrelations bonnes, socialement coordonnées par la responsabilitéhumaine entre les domaines de présence qui ne relèvent plus del'autorité naturelle de la mère. La territorialité du Nom, du Nousen commun, par le statut de l'identité d'être un membre est unmode de l'exercice de l'identité.

Que ce soit de nouveau au sujet de l'humanité de tissage desliens que les choses se remettent en mouvement comme pour lamère, c'est que l'enjeu est un savoir de la vie, un savoir du corpsde l'identité qui affronte la lumière de l'éthique d'être-avec, parlaquelle s'institue la dialectique de la communication. La force

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d'être-là de soi-même doit devenir le thème conscient d'être-làen mouvement d' effort, de résistance compris entre lesdomaines de présence pour ce qu'il est pour l'homme.L'intelligence des entrecroisements, des nœuds place lenéophyte en situation de jonction à saisir dans leurs différentessignifications. Il apprend les mouvements d'arrivée qui peuventêtre mortels pour les conditions de la socialité bonne d'unmilieu et pour lui-même il apprend quels sont les types despassions dans la dialectique de la communication sociale, et parla médiation des biens. Et nous retrouvons en pratique ce quiétait mis en relief à travers les deux formes d'oubli.

Celle-ci est par dévers la scène du feu, la scène de la lumière,évoquée dans la fonction reconnue à la droiture pour remplir latâche de re-construire la place publique instituée à partir de sonfondement éthico-ontologique traditionnelle. Cettequalification de traditionnelle renvoie immédiatement à lamémoire sociale de la parenté perpétuelle qui s'élève pardifférence à établir entre le mouvement imperceptible et lemouvement in-visible du visage qui manifeste par l'entrevueune qualité par laquelle quelqu'un envisage le dehors de sonêtre-avec.

La scène de fondation de la naissance de l'enfant à soi-mêmepour le compte de la socialité est convertie en moyen d'accéderau sens de l'honneur de la parole donnée par son défi sur lascène relative à la place publique. Cette répétition rituellemaintient la fraîcheur du sens de la justice qui peut passer parla violence, par la colère de la vérité sociale qui part de la vieelle-même en quête de reconnaissance par l'auto-affirmation.

L'image de la mère qui initie à la naissance de la relationcosmo-vitale, à laquelle l'éveil substitue la relation à la mémoirepar la voix qui resitue l'écoute au coeur de la remontéepersonnelle, donne une scène au défi de l'humanité de la faim,de l'invention et du lien. Le néophyte s'éveille à l'écoutesapientielle par la mise en relation pathétique du défi avec lethème de devenir par le renforcement en soi-même, en

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sollicitant la potentialité de quelqu'un en relation parmid'autres sources de relation.

S'éclaire d'emblée la signification de l'omniprésence du feucomme symbole majeur de l'initiation et du mouvement del'abîme vers le "là"(com) intraperceptible saisi par sonindifférence comme le vis à vis de la détresse de l'homme et deson travail. A travers la relation au milieu d'authenticité de soi­même à la lumière de l'Ancien et du Grand, la Mémoiresapientielle réveillée par l'accès du défi à sa vérité humaine, estla matrice des schèmes de la solidarité intraperceptible dans laforme de possibilité de la sagesse et de l'éthique ordonnées decette clairière pour soi-même."Munang ansele1".

Le procès de dédoublement de la naissance et du faire-naître,qui commence par le faire-naître de la mère jusqu'à la naissanceà la vie des règles et des valeurs de la société, est ainsi lui-mêmesubordonné à un autre dédoublement des personnagesmédiateuts dans leur fonction d'être à la place de, de la placevide de l'expérience, si centrale pour l'élévation de l'identité parla parole-faire qui constitue l'individualité de l'être-avec.

Et la scène de l'érection de l'image de soi, en partant de cequi nous vient de la vie par la mère comme humanité du rire etdu souffle confrontée à l'identité de la force d'être celui quiinaugure un domaine de présence, par la clarification, orientel'éveil dans l'individu en tant que tel. L'expérience sensible ducorps de l'éveil, sensible parce qu'interne dans son expériencede la réceptivité et de l'activité en tant qu'affirmation de soiparmi et avec les autres, en tant que quelqu'un situe bienl'épreuve initiatique comme un travail sur soi-même, médiatiséepar l'expérience commune.

Il est possible de comprendre la raison pour laquelle larelation double à la mère Nansomb -Na-mu-somb-, mère del'humanité qui se nourrit et mère du don d'amour par laréaction aux pères de la scène, rencontre ce qui empêche que lenéophyte, accède à la nouvelle individualité d'un homme endevenir soi-même, si l'on a saisi la parution du milieu que la

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visée de maturité fait remonter à la conscience de soi commemilieu phénoménologique, qui ne commence pas par le défiarrogant mais l'hospitalité de la vérité de l'homme. Sans saredécouverte de la mort de la mère, c'est la fonction de la placevide de l'identité qui ne reçoit pas non plus sa significationquant à la naissance à l'être de l'ouvert.

Telle est la fonction de la scène et de l'instauration de larelation symbolique à la Mère-être, pour la Fécondité bonne­belle en tant que telle, en tant que thème d'être puissant révéléedans la joie de la jeunesse de la vie. Etrange situationexistentielle de l'accès à la connaissance de soi et du prix de lasolidarité par la responsabilité qui commence par écarter laresponsabilité sur la mort de la mère pour ne s'arrêter qu'à lasituation d'orphelinat, de détresse de l'enfant d' homme commepartenaire de la visée de sa maturité humaine. Nous pensonsque c'est bien là une indication du lieu de la relation àl'immensité imperceptible et à l'invisible qui confère une autreenvergure au pathos de l'abîme et à la naissance de l'identité.

En effet, le vrai commencement que les pères de la scène luidisent être le sien en tant que Mukanz, en tant qu'homme demanque, de la faim, c'est la réponse donnée, à la journéecosmologique et vitale du récit du commencement, à laquestion six et vingt du parcours initiatique, à savoir: le manqueet la tristesse, c'est comme l'humanité du lien et le fait d'êtrereconnu par l'invention de la parole, Kalumb. L'idéologie del'animalité et de la choséité qui domine l'interprétationethnologique trouve là sa manifestation d'être un motif d'uneculture de la chose qui peut brouiller le sens par le volume del'étendue et par l'abondance des objets, si ce ne l'est par lacoordination et la domination effectuées du brouillagepolitique de l'ethnologie comme science politique auxiliaire dela géographie en tant que discipline militaire des conquêtes.

L'être-avec est le travail de devenir celui qui dit et fait, certesselon le courage d'être-là comme quelqu'un, mais à partir del'identité renforcée par un procès du mouvement d' être­ensemble selon une éthique de la vie: « untf » l'humanité

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bonne-belle. Le sens dégagée du mouvement pur de laressemblance et de l'identité, l'est, par la garde du sens de lavérité de la Parole-Faire, ou sens de ce qui est en communcomme contenu de la reprise responsable d'un savoir de l'unitécosmo-vitale par l' homme.

Elle est donnée d'abord dans la figure de "la mère desrichesses", dont se nourrit l'humanité du rire et du souffle,comme humanité au Féminin. Mais c'est par l'humanité de lajustice que l'identité devient quelqu'un par la ré-appropriationde la terre, dominée par une éthique du domaine de présence àsavoir la droite socialité.

Ce qui est déjà concernée par la possibilité éthique del' humanité de la multitude et de l'indifférence, ce sont desindividus capables de relations autres que naturelles, ce sont desrelations volontaires à travers lesquelles, ils rendent manifesteleur existence. Elles sont par la force d'être-là une menacepossible de l'humanité par sa propre méprise de la force quiméprise la faiblesse de l'intérieur de soi-même. Ce que sontessentiellement ces types d' hommes dévoyés par l'oubli de lanature de leur relation, à savoir l'humanité bonne-belle de lajustice. C'est l'absence de la connaissance donnée par la vieaccomplie de quelqu'un par laquelle l'habitabilité du monde,de la région, d'un Territoire relève de l'humanité du style duDire-faire qui fait problème entre la modernité de la dynamiquede transformation et la vie sociale africaine. Le courage d'êtrequelqu'un affronte d'abord son propre défi de se donner à soi­même ses images de s'accomplir en cet homme poussé par la vieà la manifestation.

Ceux qui font faire que la naissance de soi-même se réfère à lamémoire sociale de l'essentiel et à la possibilité comme telle d'êtrecelui qui éprouve ce devenir sont des maîtres de vie en tantqu'hommes d'expérience: Athudiang.

C'est soi-même affronté au sens d'être-avec, par le prix de lasolidarité qui est, par la médiation de la mémoire socialereprésentée par le masque, sujet du subir par le courage la

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naissance à la maturité par l'éveil. C'est par lui' commemédiateur, intermédiaire que les significations relatives à latransposition aux morts et à l'immensité du lien à la mère, quela portée de l'épreuve ne passera pas inaperçue, quant à larelation cosmo-vitale et sociale de la solidarité remise enquestion par le défi de la jeunesse de la vie exprimée parl'enfant, ou le jeune d'avant l'initiation; d'être mis à l'épreuvede soi-même, kukit et kukitish, subir l'épreuve de l'effort, de lafermeté éthique d'être-là par la médiation de ceux d'auparavant-Athudiang, représentant sur la scène des épreuves les mortsvénérés. Anvumb, ant a vumb, les hommes vénérés, commecommencement d'être auteur des liens et en même temps quede se savoir' être celui qui est à la place de,

La signification d'être à la place de... qui institue et organisel'apparition des personnages et des rôles peut ainsi donner lieuà l'inculturation du défi d'être soi-même parmi les autres dansle monde. Pour inculturer le défi des jeunes par cet accès auxréférences et au fondement du mouvement d'être -avec, l'idéede l'origine est mise en scène comme appartenant d'emblée à la"vastitude vivante" de l'étendue nommée par le termeindécomposable de Kalung : étendue originelle de tout ce quivient dans l'enroulement des mouvements non-visibles etvisibles et qui est abîme. L'être-là impersonnel, c'est Kalung,qui peut être dit Mère de l'être, mais dans ce sens de l'apéritéimpersonnelle et impercepetible de Ciom, de l'immense etétonnant Agent du "là", am; mais remarquable par l'J- ,,,"'ecomme signe de "ici" et de "là", par les positions.

Textes iniatiques (Technique de la santé dans la pensée rituellede la maturité humaine)

Version 1II Y avait un homme qui s'appelait Mukanz. Le nom de sa

femme: Nansomb. Ils habitaient à l'embouchure, là où serencontrent les rivières. lis avaient deux enfants et c'étaient desfilles: Mujing et Kalumbu.

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Mukanz était chasseur; il possédait aussi deux chiens, l'uns'appelait Kawangal Kangwej~ l'autre Kangweji Makal.Mukanz partait de chez lui et allait tendre des pièges à l'endroitnommé Mwinful a nfu!; il traversait deux rivières: Kalwinsik etLwemb. Il attrapait beaucoup, beaucoup d'oiseaux à ses pièges.Avec ces oiseaux, il nourrissait ses enfants et sa femme. Lesoiseaux qu'il attrapait sont: nkolonv, nzuwu et ankang.

Il arriva une grande famine. Un jour, sa femme s'en allaquémander, mendier dans les villages de Cal et Muyeji. C'étaitle village de son mari et de sa mère. Elle allait, elle traversaittoutes les rivières, mais elle s'arrêtait à la rivière appelée: cowalambual. C'était pour se laver.

Ainsi allait-elle retirer les oiseaux des pIeges de son mari,mais elle prenait les plumes d'oiseaux et se les piquait à la tête,comme une couronne. Elle portait ces plumes et ses loqueslorsqu'elle allait mendier aux villages de Cal et de Muyeji.Pendant qu'elle mendiait Nansomb ôtait ses pagnes pourmontrer aux gens son vagin. Ceux qui étaient témoins duspectacle s'en réjouissaient. Ainsi la femme chaque fois revenaitavec beaucoup de biens. Chaque fois qu'elle allait quémanderdans des villages sur le chemin du retour à son village, ellecachait sa couronne de plumes et sa tenue cousue de loquesdans la brousse, à un endroit assez proche de Karnpatang. Sonmari s'étonnait beaucoup du fait que toutes les fois qu'elleallait quémander, sa femme rapportait avec elle beaucoup debiens.

Et un jour, Mukanz lui aussi se dit "moi aussi, j'iraiquémander comme le fait ma femme".

Parti pour cela, il revint les mains vides. Et le mari sedemanda: "pourquoi, si c'est ma femme qui s'en va pourmendier, elle ramène beaucoup de choses, et si c'est moi quivais mendier, je reviens les mains vides" ?

Et le mari voyait cela d'un très mauvais oeil. Il décida de secacher en chemin d'où venait sa femme pour mendier. Lorsqu'il

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était encore caché, il aperçut sa femme passer. Il sortit de sacachette et lui demanda "toutes ces choses, qui te les a données"? Le mari piqua une grande colère et la femme lui dit : lacouronne de plumes que je porte à la tête, je l'ai arrangéekulujik - ku-lu-jik- avec les plumes d'oiseaux que j'aie retiréesde tes pièges. Toi, tu n'es pas assez intelligent pour faire kutektoutes ces choses.

Et le mari eut honte. Il arracha tous les biens qu'avait safemme. Quant à la femme, il la rua. Il la prit et la déposa dansun nid de fourmis rouges. A son retour au village, il prit lesbiens qu'il avait arrachés à sa femme et les donna à ses enfants.

Et les enfants demandèrent à leur père : "où est donc lamère" ? Le père leur répondit qu'elle allait venir après.

Les enfants mangèrent ce que le père leur avait donné. Aprèsun bout de temps, les enfants redemandèrent à leur père :"quand la. mère viendra-t-elle" ? Les enfants ne virent pas leurmère. Quelques temps après, ils interrogèrent encore leur père:"quand la mère viendra-t-elle" ? Les enfants ne voyaient toujour~pas leur mère.

Ainsi ils allèrent à sa recherche. Arrivés en chçmin, lesenfants aperçurent leur mère déjà morte. On l'avait mise dansun nid de fourmis rouges. C'est en ce lieu que les hommesarrachèrent aux femmes l'initiation à l'éveil. Elle n'est plusl'initiation des femmes.

Version 1 - Eléments

1. Personnages:

a) humains: Mukanz - Mu-kanz humanité de manque,Nansomb - Na-somb mère des poissons, Kalumb - ka­lumb connu par l'invention, l'imagination, la parole,Mujing -Mu-jing humanité du lien.

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b) animaux: chiens - Kawangal-kangwej et Kawangal­kangweji-a Makal: c'est-à-dire Ka-wang-al- ka-ngwej ­ka-mu-(m + we = nge)-wej-i : qui est connu par la clartéajoutée du mois ou lumière de l'étoile; Ka-wang-al - ka­ngweji - a - makal : qui est connu par la clarté étalée dumois et qui ajoute sa lumière au foyer ou lumière du feul'éveilleur lumineux ; oiseaux - nkolonv, nzuwu etankàng.

2. Mouvement: chasse guidée par la lumière double, celle quiéclaire le foyer et celle qui éclaire la nuit, la clarté du jour,

3. Lieux:

a) désert: sable, Kalwinsik et Lwemb, Ka-lu-nsik rivièrequi a toujours du sable, Lu-hemb rivière comme lieu désert.

b) habités : Kampatang - Ka-mpat-ang milieu connu dudedans par son aspect du non-accompli, Villages de Cal etMuyeji - Ci-aï la vie étalée en richesse j Mu-yej-i celui qui estmalade de lui-même, le village quant à la santé et à lamort.

c) milieu de travail: Mwinful a nful - Mu-yi-nful-a-nfulmilieu de la forge à répétition, action caractérisée par sarépétition d'une espèce donnée, par exemple la plantequi soûle les poissons est caractérisée par la répétitionde ka-fula-fula; donc lieu habituel des produits forgés.

4. Partage du champ du savoir - actions et résultats : la chasseguidée, le construire et l' habiter kutzung -ku-tzung, actiond'ordonner et d'arranger, kukung rassembler kulujik , ku-lu­jik, action qui implique la connaissance, ku-i-jik connaître de soi­même, kupangan ku-pang-an danser en mouvementréciproque, suffIxe réciprocatif ang, marque indiquant l'aspectdu non-accompli.

5. Occasion temps et cause: kubang quémander et temps defamine pour nourrir les enfants.

6. Conflit et mort de la femme;

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7. Conflit et relations pédagogiques aux enfants;

8. Mémoire du conflit et commencement de l'éducationpublique de l'enfant par l'arbitrage sacrificiel.

Version 2Jadis Ciwi1 était l'initiation des hommes et Mwingony était

l'initiation des femmes. Survint une grande famine dans lepaysage de Karnpatang. Depuis ce temps de l'arrachement parles hommes de Mwingony, elle était celle des femmes.

Les femmes, à leur tour, ont pris l'initiation Ciwil deshommes. Et à l'époque de la famine survenue dans Karnpatang,Mukanz, Nansomb et leurs enfants, habitaient Karnpatang.Tous les jours, la femme allait chercher à manger pour donner àses enfants. Il n'y avait pas autre chose de plus sinon lacontrainte de chercher à manger pour ses enfants.

Ils n'allaient pas pour voler le maïs dans les champs deshabitants de Cal et de Mujeyi. Eux, ils cultivaient le maïs en celieu. Mais la femme, lorsqu'elle volait le maïs dans le champ,elle portait la couronne; elle montait sur les échasses Muyind.Lorsqu'elle voulait aller voler, elle avait l'habitude de montersur les échasses, ayant porté une couronne de plumes sur la tête.Elle allait voler pour nourrir et élever, avec ses biens, ses enfants.

Tous les jours, la femme revenait avec les paniers pleins demaïs. Les hommes cherchaient à savoir comment cette femmeréussissait à voler dans les champs. Un jour que Nansomb allaitde nouveau pour voler, son mari la suivit. Et l' homme, le mari,prenait le chemin par où sa femme passait, lorsqu'elle allaitvoler dans les champs.

Après un moment, il vit la femme dans les champs déjàmontée sur le muyind (les échasses) avec une couronne sur latête. C'est ce jour là que le mari se dit: "j'arracherai la couronneavec la Muyind, elles deviendront miennes, elles seront à moi,

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plus question de la femme. L'homme ne retourna pas au villagele premier. Il voulait voir l'endroit où la femme cacherait lacouronne de plumes NsaI et muyind les échasses qu'elle avaitvolées (des pièges de son mari). La femme prit le panier plein demaïs et elle retourna au village. Avant d'aller au village, elle pritla couronne de plumes et la muyind, les cacha au bas d'unarbre, nommé cinkuk, là où elle retirait les oiseaux des pièges.

Lorsque la femme revint au village, le mari prit la couronneet la muyind que sa femme avait cachées dans le cinkunku. Ils'en alla les cacher à un autre endroit. Lorsqu'il fit jour,Cîkwaca wu, la femme s'en retourna aux champs pour prendreles maïs comme elle avait l' habitude de prendre les autres jours.Arrivée auprès de cinkunku, là où elle avait caché la couronnensaI et les échasses muyind, elle trouva que les choses étaientabsentes, qu'elles avaient disparu. Toutes les choses étaientvolées. Pendant que la femme cherchait ses choses, surgitl'homme. Il saisit (kukwat) sa femme et la tua.

Au village on ne voyait pas la femme. Ses enfants allèrent àplusieurs reprises la chercher. Us la trouvèrent morte dans lenid de fourmis rouges. C'est ainsi que se constitua l'initiationMwingony.

A partir de ce jour-là, Mwingonyest devenu l'initiation pourles hommes et Ciwi1, l'initiation des femmes.

Les femmes commencèrent à porter les maningan et leshommes commencèrent à porter anshimb, avec un Luzenz à lamain. Ainsi vêtus, ils allaient tous, les hommes et les femmes, auvillage de CaI et Muyezi pour quémander le maïs et le manioc,pour donner à leurs enfants à manger.

Tous étaient dans la joie, ils se réjouisssient tous. Et ilsdisaient que c'est ainsi qu'il convenait que les choses fussent,mwingony pour les hommes et Ciwi1 pour les femmes. Toutceci n'arriva pas pour rien; c'est à cause de la faim qui survintdans le pays de kampatang.

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Traduction: c'est à cause de l'homme du manque et de lafaim, de celui qui est reconnu par l'étendue interne.

Version 3Dans un village vivait un homme Cal avec son fils Muyeji et

ses deux chiens. Un jour, Cal avec son fils Muyeji et ses deuxchiens, allèrent à la chasse. lis traversèrent une rivière appeléeLwik, là ils longèrent en amont et traversèrent une deuxièmeappelée Lwemb et une troisième appelée Kawit Kalwimbunz,un affiuent de Lwemb.

Ils arrivièrent sur une petite île formée de trois rivières, dansle kampatang. Les chiens qui devançaient les hommescommencèrent à aboyer fort. L'homme s'approcha et vit uneforme monstrueuse Nakwinkol, à la tête bien tressée mais sansles membres.

Ce monstre ne bougeait pas et ne parlait pas. Pris de peurl'homme et retourna au village raconta aux autres ce qu'il avaitvu d'insolite. Après les avoir persuadé, les autres, se décidèrentd'aller sur l'île kampatang et ils virent Nakwinkol sous lesarbustes aquatiques mui zak-zak ya izenz ya kawudi.

Ils se décidèrent de 1remporter au village. Les hommes laprotégèrent dans le poulailler mukatalang. Le lendemain matinNakwinkol avait disparu.

Les hommes accompagnés de Cal et de Muyeji se décidèrentde retourner où ils l'avaient trouvée. Arrivés là, ils trouvèrentune orpheline, le visage peint en noir.

Elle pleurait sa mère Nankwinkol. La fille orpheline avaitentre ses mains un instrument contenant des graines et percé depetits trous luzenz ou luzwiz, elle chantait et pleurait. Leshommes décidèrent de l'amener au village. Tout au long duchemin, elle ne faisait que danser et pleurer, en jouant de soninstrument luzenz.Mais avant d'arriver au village, Cal et Muyejiet ses compagnons demandèrent à l'orpheline de leur

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apprendre à jouer à son instrument et à les initier à son savoir.L'orpheline, habillée seulement d'un cache sexe commença àchanter et à jouer, et elle leur montra tout. Les hommesémerveillés par son instrument et les chants, prirent à leur tourl'instrument pour s'exercer en imitant l'orpheline. Elle disparutde la scène, sans que les hommes intéressés à son initiation neremarquent cette disparition de la scène, mui zemb. C'estpourquoi, l'introduction au mwingoyn commence parl'étonnement Mwadi cip kwimen : candidat néophyte ou celui quiest double, mu adi, il faut vivre soi-même l'expérience pour savoir, aulieu du récit.

Version 4 - Eléments

1. Personnages:

a) hommes: Cal et Muyeji, et l'efficience esthétique de lamère par la fille. Point de départ ou commencement durécit.

b) femmes : Nakwinkol, et les hommes qui font lemouvement de recherche vers elle et qui ne trouventque la fille et son savoir.

2. Mouvements: chasse et traversée, avec comme guide leschiens et la rencontre insolite.

3. Lieu et caractéristiques: île de kampatang, sable, lieu désertet place vide et début de l'initiation.

Remarques sur les thèmes des quatre versions

Les récits décrivent:

a) l'objet de la scène inItlatique, l'origine del'institution de la r~'lce publique à la place de...

b) la maladie et la mort dans la trame de la rechercheguidée et par la nature vivan" et par la mèreabsente comme origine pour laiss"'L la place vide au

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savoir par lequel se reconstruit le village. Cettereconstruction se fait par l'action de ceux qui se re­découvrent muntfungul, mu-tfung-ul c'est-à-direles hommes de l'habitabilité par la Munang anselel, ce qui veut dire par 1~ lieu intérieur de laclairière pour soi-même. La relation humaine aufondement des institutions et de la mémoire de latradition, est celle de la mémoire de la parentéperpétuelle, thématique, qui donne lacompréhension à la parenté positionnelle, à savoirau fait d'être-né dans une famille et non pas le sensd'être-né dans une famille.humaine, interhumaine,selon la mémoire et la sensibilité de l'enracinementrelationnel de l'enfant et du déracinement rituel dela mémoire de la parenté positionnelle par laparenté perpétuelle thématique.

La scène et les acteurs sont à la place de la mère certes maisla place de son absence est transformée en lieu de devenir pouret par l'humanité du manque et par la voix de celui qui ditl'origine et fait faire l'initiation d'éveil de la relation àNankwinkol et à sa fille. L'éveil de l'enracinement relationnelde l'enfant porte sur la situation d'ignorance des néophytes.L'invitation à apprendre par expérience, à apprendre à voir:chip kwimen par soi-même coïncide avec la posibilité del'instauration du social public par les hommes. Cette condition

.de la société passe par la voix et le récit du don de la mère, maispar celui qui fait faire le mouvement d'enracinement cinkunk,et de communication, sur lesquels la mère n'a plus l'autoritédirecte comme la mère de ce fondement d' être-là-avec.

L'efficience esthétique de la mère, sa relation au luteng, aulieu du faire, par l'art, en vue d'acquérir les biens pour sesenfants, exige, d' après la seconde sagesse des alliances undéplacement du lieu des lieux, un changement de matrice de lanaissance et de la visibilité du lieu institutionnel des modesd'acquisition des richesses que l'on peut étaler officiellementpar un discours de la gloire, par la fonction de celui qui estreconnu par les discours sur les richesses: Cal, qui signifie celui

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qui étale les richesses, celui qui étale la vie par le récitd'honneur de celui qui est mort en situation de "l'homme de lablancheur", de l' humanité de la droiture.

La fondation de la place publique relaie le savoir desrichesses comme savoir de la mère, mais par la règle pour lesacquérir, et par l'éthique pour les rendre visibles.

A la place de la mère des poissons, Nansomb, qui donnen'importe comment: Nakwinkol, l'institution prend en chargele mouvement de rassembler, en refondant autrement l'originedes richesses et de leur accessibilité.

En devenant thème du travail d'être-avec non naturel par lamémoire culturelle des lieux du devenir, l'identité affronte lamaladie d'être enfant de l' homme en lien avec l'institué del'institution, à savoir la volonté de perpétuer la parenté qui n'aplus la mère comme première référence. C'est pourquoi, lemillieu de la découverte est le découvreur lui-même,Mutfungul, -mu-tfung-ul ce qui signifie l 'humanité del'habiter.

Kutzung-lutzung, construire pour habiter, le moyen c'est lecoeur et la volonté. Les mouvements qui sont évoqués par lachasse sont ceux de la recherche de l'identité par laresponsabilité qui s'affronte à la distinction du mal et du bienpar la possibilité donnée en humanité.

La conscience a deux sexes : actifet passif. L'actifest la sagessequi distingue ce qui doit être. Et le passifest la pensé/o Le critèrede validité de notre méthode, ensuite de la pensée de l'élémentse manifestera, nous semble-t-il, à la critique, par la cohérenceinterne et thématique de notre grille d'interprétation. Enfaisant confiance d'abord aux textes et questions de la scène dusavoir initiatique, école de la volonté et de la perception de ceux

70 Claude SUMNER, Aux sources éthiopiennes de la philosophie africaine, laphilosophie de l'homme, F. T. C. K., Coll. Recherches philosophiquesafricaines, 1988, p. 27.

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qui se trouvent être les héritiers, comme fondés de pouvoir desfondateurs d'Etat, qui porta le nom de l'Empire Lunda, et dontles Instirutions traditionnelles et historiques subsistent tantbien que mal, et résistent au travail du temps des conquêtes desnouveaux fondateurs de la modernité problématique de l'être­ensemble de l'Afrique centrale d'abord, nous avons cherché àmettre en dialogue critique deux mémoires de notre viemoderne, non pas en termes habituels de l'opposition facticeentre une entité qui serait "Tradition" et l'autre qui serait"Rationalité", comme s'il pouvait exister l'une sans l'autrecomfue possibilités de durer, nous avons essayé d'assumer lesdeux possibilités, par leur potentialité. Il nous semble biencaractéristique du déclin de cette -::ulture négro·africaine, par lesens de l'absence de l'éthos évident de la manière absolued'être-homme, pour construire avec la solidité que requiert unéthos, un monde de la vie. Ce qui nous donne à lire ses moyenset son système de durer selon une éthique de la vie contre lamultiplication de l' humanité du vide bien entrevue par lamémoire sociale de la construction d'une société comme étantle repère d'une jonction faussée entre les moyens et le caractèred'une culture de la force d'être quelqu'un.

Plus il a été possible de dégager des concepts clés, en amontde l'organisation comme la pensée éthico-ontologique dupolitique Lunda de la création de la place publique, et de soninculturation hors de son cercle d'origine, par exemple la basede la politique de la liberté des chefs des terres des régionsterritorialisées par les conquêtes, plus il a été possible dedégager des concepts clés du dialogue, au-delà d'une forme dela culture négro-africaine dans la communauté du motif detissage de l'être ensemble.

L'enquête et la description attentive aux significations quiorganisent thématiquement les rythmes des scènes des ritesd'initiation, me donnait à percevoir la limite de la forme deconfiguration de l'être-avec cosmo-vitaliste, lorsque son éthiquene fournit plus le principe des interliaisons, mais, plutôt, lajustification des débris géographiques de l'autotrité locale, de lamême vaste géographie de la culture des Lunda.

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Il nous a semblé important de rappeler à cette occasion lafigure socio-médico-politique de Kabum, ce médecin decivilisation, en tant que dénoueur des relations faussées, commehéritier d'une mémoire de la langue des fondateurs de l'empirede l'intérieur de la Communauté Lunda, dans ses remous de lacommunication interne, et à l'intérieur de ce que furent lesfrontières de l'empire en Angola, et à l'extérieur de ce qu'ilsfirent de la raison concrète pour la coordination et de ladomination du Territoire des Mwantyav par les provinceslunda en Angola, en Zambie, au Zimbabwe et à l'ouest du l'Etatactuel du Zaire correspondant aux Régions politiques du Zaire,le Kwahgo et le Bandundu.

Victor TURNER a pratiqué son champ ethnologique dansl'actuel Etat de la Zambie: "the Ndembu live to the west ofthe LungaRiver, which divides the district roughryfrom north ta south, the Kosa liveto the east of it, both groups calling themselves Lunda and claiming tohâve corne from the land ofgreat Congo Chief Mwantiyanvwa Later,Ovimbundu slave traders and Lwena and Chokwe slave raiders fromAngola, encouragea by the Portuguese, completed the disintegration ofthèse virtualry isolated outposts ofMwantiyanvwa's empire71

Nous avons tiré l'essentiel qui se dégage du sens des termestechniques du rituel et des symboles des s, que les textes utiliséspendant la cérémonie d'éveil et qui gouvernent les rythmesd'apparitions des personnages et des rôles répètent sur la scèneinitiatique. Par delà ou plutôt à travers les couleurs, les tons dela voix, non plus du phénomène, mais du sens de la vie et qui segarde beaucoup plus efficacement pour la pratique del'humanité, c'est l'anamnésis des corps de la cérémonie quioffrent le savoir du corps de la parole-faire ou de l'unité dusoufle de vie.

De ce lieu de penser le lien à l'Existant absolu, dans latradition orale des discours sur la parution, seul uncommencement réel de la vie quant à la naissance éthico­ontologique, en humanité, fait saisir le mouvement de la chose

71 Victor TURNER, ibidem, op. cit., p. 3.

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dans sa différence comprise dans la naissance de l'essence dulien à l' humanité la plus excellente, à savoir que le sens del'Existant est existentiellement de l'anamnésis de la justice parla nature de la beauté de la bonté qui protège l'homme et sasocialité.

Tel est en réalité ce que nous voulons plutôt taire pourlaisser la place à l'accès de l'unité du faire-dire par l'écoute quesollicite la pédagogie initiatique.

Car l'initiation est école de et par l'écoute de la relationoriginelle de l'écoute à la vue. Par cette relation, l'inscription del'éthico-ontologique est naissance de l'obligation par le faire­naître, par la différence de l'identité d'être-avec.

Par l'unité du sens du lien de tous les individus des mondesmultiples comme unité de la vie,.1a pensée rituelle dédouble lesens de l'entacinement par le symbole de la plante du milieuaquatique, opposée à l'arbre du milieu sec, comme elledédouble le premier milieu de l'être vivant-homme en milieu del'identité du Soi, par la relation mère-enfant et la jeunesse de lavie et la vie de la maturité. Elle établit la relation de significationet avec le milieu et avec la qualité de ce qui est aqueux, en tantque milieu vivant d'origine opposé au milieu sec comme qualitéde la chose. Une manière· de signifier déjà la tonalitéd'indifférence comme l'être de la nature en tant que chose.

Et comme plante de la mort rituelle, de la mort en rites del'anamnésis de l' humanité, celle qui est caractérisée par le termede mukwen, "l'humanité de chez quelqu'un", "qui est chezvous", c'est la reconnaissance dans la rencontre de quelqu'un,qui est reconnue telle par le dire-faire de l'humanité qui semontre. Le savoir du corps de l'auteur du signe concerne donc:

a) le déracinement pour un autre enracinement.b) l'humanité de la construction par les modes qui

coopèrent à l' habitabilité.c) la relation du faire-naitre et le faire naître technique du

milieu.

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L'humanité de la construction du village est cette humanitéde la relation interne du faire-naitre et du faire techniquekutzung, ku-tzung con-struire. "Construire un village,conquérir un territoire, c'est déployer les significations del'être-ensemble, en portant sa lucidité sur les.

Le malheur concerne l'action de disperser ce qui de sa natureest d'être-ensemble par le lien, d'une humanité déconstruite,muthungul, mu-tung-ul, déracinée par une éthique de la vie.

On reconnaît le geste de la mère qui utilisa les plumes denkolonv du piège du mari pour se faire une couronne. Et ilsexhibent les testicules du bouc en signe de leur force virile. IciRené Girard est éclairant en proposant qu'on remonte l'originedu sacrifice à "un événement d'une tout autre envergure que lui­même" et il donne d'après lui:" le dénominateur, c'est laviolence intestine, ce sont les dissentions, les rivalités, lesjalousies, les querelles entre proches que le sacrifice prétendd'abord éliminer, c'est l'harmonie de la communauté qu'ilrestaure, c'est l'unité sociale qu'il renforce72

• A ce prix de lasolidarité, opposons la nuance qu'apportent G. Guss etCasaneuve, qui situent plutôt l'intelligence du sacrifice dans "lesentiment de dépendance qui se manifeste par le don et d'autrepart, la conscience de l'insuffisance de sa condition en face detout autre, ce qui l'amène à tenter d'obtenir une communionavec le monde numineux73

Notre problématique à partir des mythèmes a montré lacohérence des mythèmes dans la pensée de l'habitabilité quicomprend et la pensée du prix de la solidarité et la pensée dulien au sacré par la critique du divin irréductible au sacré dansl'hospitalité de la vérité du don. Ce qui n'est plus une instancede l'anthropologie culturelle comme domaine du savoir mais de

72 René GIRARD, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1972, p. 22.

73 GUSS et CASANEUVE.Rites et condition humame, 1958, in Dictionnaire

de spiritualité à l'article Sacrifice, p.369-371.

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la pensée éthico-ontologique permanente au fondement del'espace de créativité négro-africaine. L' intraperceptibilité de laclairière pour soi-même et les déterminations des manièresd'être-homme n'appartiennent pas à la descriptionethnologique, les thèmes et l'expérience en appellent à la penséefondamentale du milieu qu'est la vie dans son travail d' être­avec qui engage l'expérience de la totalité comme réalité de laréalité humaine.

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Allocutions

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Allocution deMonsieur Vincent Boulengui Boukossou

Ministre de l'Enseignement Supérieur

Mesdames et Messieurs,

Les situations qui mettent en cause la stabilité desinstitutions et la pais sociale sont des préoccupationsconstantes du Président de la République et du Gouvernement.C'est pourquoi le Chef de l'Etat a fait du dialogue uninstrument fiable de résolution de conflit et de toutes les autresformes d'intolérance.

Ce dialogue prend ses sources dans nos traditions qui ontsouvent recherché la conciliation, la réconciliation et l'ententeentre les différents membres de la société.

Il est toujours utile que réfléchir sur les moyens depréservation de la paix n'est pas une perte de temps. Lacondition première de tout développement est bien la paix.

Et la paix est garante de toute action politique responsable.Cet atelier organisé par le bureau sous-régional de l'UNESCOau Gabon, et les autres organismes du Système des NationsUnies en partenariat avec le Centre National de la RechercheScientifique et Technologique (CENAREST), doit amener àconnaître toutes les stratégies nécessaires à la promotion d'unevie collective heureuse et stable.

Le premier bien de l'homme est de vivre libre, dans unespaces qui le respecte sans discrimination. Ce qui est valablepour l'individu l'est aussi pour les cultures et les sociétés.

Aussi, voudrais-je vous encourager et vous remercierd'avance de l'échange d'expérience que vous aurez entre vous,échange venant de différents horizons de l'Mrique, pour tenterd'apponer votre pierre à ce qui est, sans nul doute, la conditiondu développement de nos pays et de notre sous région.

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Sur ce, je déclare ouverts, les travaux de l'atelier deformation sur les Mécanismes Traditionnels de Résolution et dePrévention des Conflits en Afrique Centrale.

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Allocution du Ministre de la culture, des arts, chargé del'éducation populaire à l'occasion de la clôture de l'Atelier.

Distingués Invités;Mesdames et Messieurs les Participants

Au moment où s'achèvent les travaux de l'Atelier deFormation sur les Mécanismes Traditionnels de Prévention desConflits en Afrique Centrale, il m'est particulièrement agréablede prendre la parole pour rendre un hommage mérité auPrésident de la République, Chef de l'Etat, son Excellence ElHADJ OMAR BONGO ONDIMBA pour avoir soutenu l'idéemajeure de voir l'UNESCO organiser en terre gabonaise, uneréflexion aussi profonde qui nous rapproche de la recherchepermanente de la Paix entre les peuples.

Qu'il me soit permis de réitérer mes remerciement les plussincères à l'endroit de l'UNESCO qui, après avoir pris une partactive et mémorable à la relance des activités du CentreInternational des Civilisations Bantu (CICIBA), s'estparticulièrement distinguée par un apport décisif dansl'organisation des travaux de cet Atelier en collaboration aveccertains Partenaires dont le CENAREST.

A tous les partiCIpants, je voudrais, au nom duGouvernement gabonais et au mien propre, saluer la qualité destravaux et des interventions qui nous permettent d'avancerlentement, mais sûrement, vers la confection et la maîtrise decertains mécanismes traditionnels pouvant aider à prévenir desconflits dans notre sous-région.

Il faut à l'heure actuelle une bonne dose de courage etd'audace pour le thème à traiter, car le risque de l'enfermementdans une conception étroite de l'identité culturelle qui rejette ladiversité culturelle est grand et cette réaction négative estsouvent exploitée ou exacerbée politiquement.

Deux ans après la tenue à Libreville, du 18 au 20 novembre2003 de la Conférence Internationale sur le Dialogue

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Interculturel et la Culture de la Paix en Afrique Centrale et dansla Région des Grands Lacs, organisée par le Bureau Sous­régional de l'UNESCO et le GouveQ:1ement gabonais, je meréjouis à l'idée de savoir que les conclusions de vos travaux, bienque s'appuyant sur des exemples typiques, permettront uneavancée significative, afin de promouvoir une coexistenceharmonieuse entre différentes communautés culturelles.

Vous ne serez sans doute étonnés pourtant qu'en ma qualitéde Ministre chargé de la Culture, je reste profondément attachéà l'idée que c'est dans la Culture elle-même et dans sa forceintégratrice que doit être recherchée la solution des conflitsattribués aux différentes cultures.

C'est pourquoi, je voudrais profiter de cette tribune pourlancer un appel solennel à tous les Etats de la sous-région, afinque la question de la valorisation des mécanismes traditionnelsdes résolutions des conflits soit prise en compte dans nospolitiques culturelles par le renforcement de notre coopérationet de nos échanges.

Dans le contexte de la mondialisation et alors que s'active ledébat sur la Diversité culturelle, nous avons le devoir depermettre la compréhension et la revitalisation des traditionsafricaines, afin d'éviter la montée des tensionsintercommunautaires.

Sur ce, je déclare clos les travaux de l'Atelier de Formationsur les mécanismes Traditionnels de Prévention et deRésolution des Conflits en Afrique Centrale.

Je vous remercie de votre aimable attention.

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Rapport final de l'atelier

Sur le thème:

Les mecanismes traditionnels de prevention et deresolution des conflits en afrique centrale

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Rapport final de l'atelier

Bureau de l'Atelier

Président:Pro Philippe NTAHOMBAYE(Burundi)

Vice-Président:M. Saliou SAMBOU(Sénégal)

Rapporteur:M. Bernardin MINKO MVE(Gabon)

Co-Rapporteur :Mme Christime NGO BILONG ép.MOUKONDJ!(Gabon)

Appui aux Rapporteurs:M. Richard EKAZAMA(Gabon)

Déroulement atelier

Issu du Colloque sous-régional sur les causes et moyens deprévention des crimes rituels et des conflits en Afrique Centraleorganisé par le bureau sous-régional de l'UNESCO enpartenariat avec le PNUD, L'UNICEF et le CENAREST, tenu àLibreville du 19 au 20 juillet 2005, l'Atelier de formation sur lesmécanismes traditionnels de prévention et de résolution desconflits en Afrique Centrale a mis en évidence quelquesobjectifs majeurs dont l'essentiel se résume par l'adoption d'unecertaine méthodologie dite participative qui partirait de la baseet qui marquerait une véritable synergie entre les différents

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partenaires. Cela éviterait la dispersion des énergies. Une telleméthodologie dite participative s'appuie sur une approchecomparative.

A partir de l'institution des Bashingantahe, on s'aperçoitcomment, dans l'exemple du Burundi, on peut renforcer etorienter la culture de paix et de convivialité. Cette institution,légalement reconnue renforce les mécanismes de résolution desconflits les plus courants. Elle joue un rôle fondamental dans lajustice de proximité, de réconciliation et de médiation.

Aujourd'hui la jeunesse doit donc apprendre d'autresvaleurs dont les plus essentielles sont le culte de la vérité, le sensde responsabilité familiale et sociale, l'esprit de justice etd'équité, l'amour du travail. A ces valeurs majeures, s'ajoutentdes techniques et des mécanismes de résolution pacifique desconflits. On peut en relever trois mécanismes essentiels: lamédiation qui est en cas de litige renvoie aux notables en vue dela conciliation et de l'arbitrage, puis la conciliation quiprivilégie le règlement à l'amiable, une phase dira-t-on préalableà toute action en justice; et enfin l'arbitrage qui en cas d'échecde la conciliation oblige la pise de décision dans un espritconciliateur et non répressif.

Ces quelques mécanismes pour réussir sont appuyés par desprincipes de fidélité aux engagements, le dialogue et laréconciliation, le consensus et la collégialité des décisions, lesens de l'intérêt général et de responsabilité et les caractères dela procédure.

Ils sont également appuyés par les paroles sociales - noms depersonnes, noms de clans, souhaits et injures (non pas dédainmais sujet à plaisanterie), interdits et par les pratiques et rites(alliances matrimoniales, pacte de réconciliation, pacte de sang,le don et surtout la levée de deuil définitive.

La question décisive est de savoir comment introduire cesvaleurs, mécanismes et techniques dans le système éducatif,puisqu'il en va de la conservation de l'identité culturelle, de sacomplémentarité avec ceux de l'Occident. La réponse à ce

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questionnement résiderait dans l'élaboration des matérielsdidactiques et la formation des formateurs.

La légende d'Aguène et Diambone - le cousinage àplaisanterie - rappelle que Diola et Sérère se doivent amour etrespect comme de vrais frères; si par exemple dans unesituation quelconque, le Diola commet des actionsrépréhensibles, le Sérère peut le rappeler à l'ordre au besoin, enle sermonnant et même en l'insultant et il n'y aura pas deconséquence. Les deux cousins doivent toujours se porterassistance et ce, en toutes circonstances. On peut s'appuyer surladite légende pour réhabiliter et enseigner à la postérité pourune Afrique nouvelle et progressive afin d'attaquer lesproblèmes de développement. Autrement dit il nous fautd'abord nous assumer en nous enracinant dans nos valeursprofondes d'abord pour nous ouvrir ensuite au soufflefécondant des autres civilisations. L'Afrique a son apport dansle concert des nations. Elle ne doit pas être une simpleconsommatrice éternelle d'autres civilisations, sa survie devantla mondialisation est à ce prix.

La troisième communication de l'Atelier a insisté sur lestrois sens de l'oubli que la langue «lunda »a gardé / ou non.C'est ainsi que oublier, signifie « Ku-jumbal », oublier par levolume étendue de quelque chose. Oublier: Ki-Vulmen, oublierpar la quantité des choses vues. Oublier: Ku-yamb-Kesh, oublierpar brouillage de la parole et de la mémoire; oublier: Kutot, seperdre soi-même par manque de mémoire généalogique.Soumettre quelqu'un en esclavage suppose qu'on brouille samémoire généalogique. Ou il ignore d'où il vient. L'origine de lamémoire de la fermeté humaine perpétuelle c'est « Dieu» lui­même qualifié que les noms divins, de la solidarité, de «laparole-faire », puissante, de la lumière personnelle.

Ainsi donc la solidarité est fondée comme valeur éthiquefondamentale, manifestée elle-même par le sens de « la justice »,le sens de l'homme juste, homme de bien par excellence. Ce qu'ilfaut éviter à tout prix, c'est la gestion de rancœur comme

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méthode de gouvernement ainsi que l'institutionnalisationperverse de nos différences éthiques.

Il a été également question du rôle de la chefferietraditionnelle dans l'examen des mécanismes traditionnels deprévention et de résolution des conflits. On a appris à ce niveauque dans les sociétés précoloniales du Sud Gabon, la terre étaitla propriété clanique et lignagère. C'est la chefferie qui ladirigeait qui avait pour mission d'organiser la régulation de lavie quotidienne. C'est donc dans cet espace géographique que laprévention des conflits était assurée pour une gestionharmonieuse de la violence.

Il est difficile de dissocier présentation et résolution dans lamesure où pour la résolution des conflits on s'affirme sur lesmécanismes nécessaires à la prévention. C'est pourquoi on doits'appesantir sur les mécanismes de prévention qui sont fondéessur la communauté linguistique, de la filiation, des espaces, desrites initiatiques et valeurs recherchées par une éducation et leséchanges économiques.

Enfin, l'utilisation des Nouvelles Technologies del'Information et de la Communication (NTIC) dans la luttecontre les crimes rituels est aussi une nécessité qui se fonde surle besoin de lever les voiles qui entourent les pratiquesobscurantistes d'un autre âge.

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Annexes

Projet de création d'un observatoire sur les crimes rituels

A l'issue du Colloque sous-régional sur "Causes et moyens deprévention des crimes rituels et des conflits en Afrique Centraleet de l'Atelier sous-régional de formation sur les mécanismestraditonnels de prévention des conflits et suite à uneintervention de Monsieur Tesfaye Tassew de l'Unesco, lors del'Atelier, les propositions suivantes sont parvenues au Bureausous-régional de l'Unesco à Libreville sur la création d'unObservatoire sur les crimes rituels. En voici les textes sousforme d'annexes:

Annexe 1 : Mise en place de la ligue regionale de lutte contreles crimes rituels pour la dignite humaine

Reflexions preliminaires(AWAZINENGO Mémé et Rév. René Futiluemba)Kinshasa/RDC

1. De la dénomination

D'aucun peut croire que la dénomination d'uneorganisation a peu d'importance car, soutient-on, seul lecontenu doit retenir l'attention.

C'est ainsi qu'à Libreville déjà des voix discordantes se sontfait entendre quant à l'appellation à donner à la nouvellestructure à créer en vue d'assurer le suivi des résolutions etrecommandations faites par le Colloque et prendre en chargeles questions de crimes rituels en Afrique Centrale; divergencesqui, très malheureusement, ont influé de façon négative sur larédaction de la déclaration finale où l'on ne voit nulle part

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apparaître cette volonté de mettre en place ladite structure,malgré l'insistance plusieurs fois exprimée par les participants.

Simple omission ou fait délibéré, seuls les rapporteurspeuvent nous le dire.

En effet, les uns ont proposé le terme OBSERVATOIRE pourdésigner la structure à créer et ce terme est même apparu dans leprojet du document qui nous a été projeté dans la salle parMonsieur TESFAYE.

Les autres cependant ont tenu à la dénomination UGUE telque proposé dans la salle, adopté par la plénière, repris dans letexte de la Déclaration de Libreville (avant d'en être élagué,nous ne savons trop pourquoi) et même évoqué dans le discoursfinal de Madame BINTOU, Représentante des organisations duSystème des Nations Unie à Libreville.

De l'avis de tous les participants, la structure que tout lemonde attend est un organe de combat, autant actif quedissuasif, avec en amont la mission d'éduquer les populations àtitre préventif, en entrain la tâche de dénoncer toutcomportement tendant à porter atteinte à l'intégrité physiqueet/ou morale de l'être humain pour des finalités rituelles et defaire pression sur les gouvernants afin que soient adoptées deslois aussi sévères que dissuasives visant à l'éradication définitivede ces pratiques barbares et, enfin, en aval, le pouvoir deprendre en charge devant les instances compétentes tout acte dugenre dont tous les éléments seraient réunis pour constituer uncrime, une infraction au regard des droits et législations despays de l'Afrique Centrale.

Ainsi, la dénomination de la structure à créer doit déjà enelle-même exprimer une force dissuasive, une idée d'ensemble,de communion de tous les opérateurs religieux, sociaux,culturels et même politiques, de l'Afrique centrale, unedétermination à agir contre ces crimes.

Le terme OBSERVATOIRE nous paraît très mou, et faible. limanque de vivacité et exprime une certaine passivité. En

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l'adoptant on donnerait l'impression d'une simple surveillancepassive qui aboutirait tout au plus à la dénonciation non suivied'une action d'envergure.

Voilà pourquoi nous lui préférons l'appellation LIGUE qui àla fois exprime un front commun, une action, un mouvement etune force.

Ainsi, notre structure portera la dénomination de LigueRegionale de lutte contre les crimes rituels pour la dignitehumaine.

2. Des fondements juridiquesPour être efficace et avoir la possibilité d'intervenir là où il

faut, comme il faut et quand il faut, la LIGUE doit reposer surdes fondements juridiques solides pour que le moment venu lesactions qu'elle aura à mener ne soient pas considérées commedes actes engageant la responsabilité des individus qui animentses organes.

Compte tenu de la diversité des législations des pays del'Afrique Centrale, la LIGUE se réfugiera derrière lesinstruments internationaux pour se doter des pouvoirsnécessaires à son action.

Les pays de l'Afrique Centrale auxquels appartiennent lesforces sociales, religieuses et culturelles qui ont pris part auColloque de Libreville et signé la Déclaration dite de Libreville2, sont tous membres de l'Organisation des Nations Unies.

A ce titre, ils se reconnaissent tous dans la Charte desNations Unies dans laquelle ils ont solennellement « proclaméleur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans ladignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité desdroits des hommes et des femmes» et se sont engagés « à créerdes conditions nécessaires au maintien de la justice et durespect des traités et autres sources de droit international »(Charte des Nations Unies: Préambule, paragraphes 2 et 3).

445

De même, tous ces pays ont souscrit à tous les instrumentssubsidiaires relatifs aux droits de l'homme, tels que:

1. La déclaration Universelle des Droits de l'Homme;

2. Les diffétents pactes internationaux (Pacte relatif aux

droits civils et politiques, pacte relatif aux droits

économiques, sociaux et culturels...) ;

3. La Convention sur les Droits de l'Enfant;

4. La Convention Internationale sur l'élimination de toutes

les formes de discrimination à l'égard de la Femme;

5. La Convention contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants;

6. Etc.

Dans ce dernier instrument notamment, tous nos pays sesont engagés à « prendre des mesures législatives,administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pourempêcher que des actes de tortures, des traitements cruels,inhumains ou dégradants soient commis dans tous lesterritoires sous leurs juridictions respectives» (art. 2 Conv.Contre la torture).

De ces engagements communs, coulés sous une forme ousous une autre dans les textes constitutionnels et légaux de nospays respectifs, deux possibilités s'offrent à nous pour donnerun fondement juridique à notre LIGUE qui peut être considéréecomme « une autre mesure efficace pour empêcher les actes detorture» comme évoqué par l'article 2 dont allusion ci haut.

Première possibilité

Passer directement à la création de la LIGUE au niveaurégional sous l'égide de l'UNESCO qui en est le parrain attitré,la faire enregistrer par le Gouvernement du pays qui en abriterale siège et par la suite implanter des sous structures nationalessous forme des représentations nationales.

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Dans ce cas, on donnerait plus de poids et plus de charges àl'ensemble régional qui dicterait une ligne de conduite auxreprésentations nationales.

Le risque c'est de voir certains pays refuser l'accréditation àcette structure, donc à sa représentation, qui serait considéréecomme un outil de dénonciation des actes quelques fois tolérésà l'intérieur des frontières nationales.

Un autre risque plus important c'est de rendre la Ligue nonefficace au cas où la direction régionale brillerait par un certainlaxisme, une certaine faiblesse.

Deuxième possibilité

Permettre à chaque pays d' organiser d'abord une structurenationale selon la législation en vigueur chez lui, laquellestructure suivrait le modèle standard élaboré par la commissiondes experts.

Ensuite, les organisations nationales ainsi instituées,enregistrées auprès de leurs gouvernements respectifs et dotéesde la personnalité juridiques conformément aux législationsnationales, se retrouveraient quelque part, au niveau de leursreprésentants attitrés, pour signer une Charte consacrant leurregroupement en LIGUE REGIONALE et mettre en place unBureau chargé de l'application des politiques et stratégiescommunes en matière de lutte contre les crimes rituels et ladéfense de la dignité humaine, un peu comme la RADHO(Rencontre Africaine des Droits de l'Homme basée à Dakar).

A notre avis, cette dernière possibilité nous semble plussouple et plus pratique. La LIGUE ainsi constituée desorganisations nationales enregistrées officiellement et jouissantde la personnalité civile au regard des législations nationales,pourra bénéficier du couvert de l'article 52 de la Charte desNations Unies en ce qui concerne la possibilité d'existenced'accords et organismes régionaux et sous régionaux.

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3. De l'organisation

3.1. Des structures

Les partIcIpants au Colloque de Libreville ontparticulièrement insisté sur le caractère régional de la LIGUE,une structure supra nationale qui devra briser le silence ets'attaquer à la passivité des structures nationales devant cesagissements criminels, quelle que soit la classe de leurs auteurs.

Nous continuons à soutenir cette tendance, tout en plaidantpour une grande responsabilisation des structures nationaleslesquelles, tout en ayant de la vivacité à l"ntérieur des frontièresnationales, sont les seules à donner de la force à la structurerégionale.

La structure régionale aura certes une grande influencedissuasive quant à la prévention des crimes et exercera une fortepression sur les appareils législatifs et judiciaires nationaux despays de l'Afrique Centrale, pour que les premiers prennent deslois qui incriminent de manière très claire et non équivoquecette catégorie des crimes et les seconds répriment avec ladernière rigueur leurs auteurs dénoncés. Tout ceci ne serapossible qu'avec l'apport, l'appui, la complicité des structuresnationales.

De ce qui précède, la LIGUE pourra avoir une structure aussisimple que pratique qui se présentera de la manière suivante:

a. Un Ensemble Régional regroupant toutes les structuresnationales, dont le siège sera installé dans la capitale de

l'un des pays engagés, au choix des délégués, doté desorganes qu'il faut pour faciliter son fonctionnement;

b. Des structures nationales dans chacun des pays engagés,dotées de la personnalité juridique selon les législations

nationales, servant de base à la structure régionale et

448

dotées des organes pennettant leur implantation sur

l'ensemble des territoires sous juridiction des pays

engagés.

c. L'avant projet de la Charte Régionale devant régir la

structure régionale est déjà en élaboration et vous sera

communiqué ultérieurement, tandis qu'un projet de

Statuts types pour les structures nationales, également en

chantier, vous parviendra le moment venu.

3.2. Des organes

3.2.1. Pour la Structure Régionale

De manière pratique, les activités de la LIGUE REGIONALÉ

s'articuleront autour de trois organes ci-après

a. La Conference Regionale ou la rencontre au sommet des

délégués des structures nationales, organe suprême ayant

des pouvoirs très étendus sur toutes les questions se

rapportant à la LIGUE.

b. Le Conseil d'Administration, organe intermédiaire ayant

pour tâche l'élaboration des mesures d' exécution des

décisions et recommandations de la Conférence

Régionale, de suivre leur exécution tant par les structures

nationales que par l'exécutif régional, de veiller à

l'application des stratégies et politique communas dans

le cadre de la lutte contre les crimes rituels.

c. Le Secretariat Executif, un organe permanent mis en

place par la Conférence Régionale en vue de gérer au

quotidien les affaires de la Ligue au niveau régional.

Il convient de noter qu'en tant qu 1organe, la Conférencerégionale peut organiser en son sein des commissions

449

permanentes selon qu'il Y a des aspects spécifiques dans lestaches qui attendent la LIGUE, notamment

Une Commission de l'Education et pour le Dialoguedes Cultures;

Une CommissionJustice, Pais et Démocratie:

Une Commission de la Communication;

Et tant d'autres qui pourront être proposées par les

délégués.

La définition, la composltlon, les compétences, lefonctionnement de chaque organe seront clairement déterminésdaJ:s l'avant projet de la Charte.

3.2.2. Au niveau de chaque pays engagé

Tenant compte de la diversité des législations nationales,d'Une part, de l'étendue et de la subdivision administrative etpolitique de chaque pays, d'autre part, il sera autorisé à lastructure nationale de chaque pays engagé d'adopter lesorganes etla nomenclature des animateurs de son choix.

Cependant, il sera recommandé à ce que l'équivalence soitétablie autour d'une organisation type qui découlera du projetdes Statuts types en élaboration.

Cette organisation s'articulera autour des organes typescomme:

a. Un organe central qui couvre l'ensemble du territoire

national et qui réunira au moins une fois l'an tous les

activistes afin de statuer sur la situation des crimes rituels

à l'intérieur des frontières nationales, d'élaborer des

plans nationaux au regard des politiques et stratégies

régionales, de dresser des bilans des activités pour des

450

échéances convenues. On pourra l'appeler assemblee,

convention, conseil national, c'est selon la terminologie

en vigueur dans le pays en question.

b. Un deuxième organe intermédiaire chargé d'assurer le

suivi des résolutions de l'organe central et leur

application concrète au niveau de la base. Il pourra être

dénommé comite directeur, directoire, conseil de gestion,

bureau national, c'est selon.

c. Une permanence chargée de l'exécution des tâches

quotidiennes à qui on pourra donner l'appellation de

secretariat permanent ou bureau permanent...

d. Des représentations provinciales ou communales, selon

les réalités de chaque pays et suivant le quadrillage décidé

par l'organe central en vue d'assurer la présencepermanente de la LIGUE sur l'ensemble des territoires

sous juridiction des pays engagés.

Comme pour la Conférence Régionale, l'organe centralnational pourra organiser en son sein autant des commissionspermanentes qu'il y a des aspects sensibles dans la lutte contreles crimes rituels et la dignité humaine.

De même, la définition, la composition, les compétencesainsi que le mode de fonctionnement de chaque organe serontprécisés dans le projet des statuts types qui vous parviendraincessamment.

4. Du fonctionnement

En tant que structure régionale, la LIGUE fonctionnera avecl'appui technique, matériel et même financier des organismesdu système des Nations Unies, principalement l'UNESCO, ainsique d'autres partenaires internationaux militant dans le mêmecadre.

451

En effet, l'UNESCO qui en est le principal initiateur dans lecadre combiné de l'éducation et de la culture, fera de son mieuxpour brancher la LIGUE sur d'autres partenaires susceptibles delui apporter une aide substantielle pour mener à bien sonaction. On peut citer, entre autres partenaires potentiels, outrel'UNESCO qui en est le parrain attitré:

L'UNICEF dans son programme de protection de l'enfant;L'UNDH dans le cadre de la sensibilisation sur les Droits de

l'Homme;AMNESTY INTERNATIONAL;USAID;CHRISTIAN AIDISESCO;BANQUE ISLAMIQUE DE DEVELOPPEMENT;Etc.

Cet appui peut se traduire sous la forme des subsidesdirectes émargeant des budgets de ces organismes en AfriqueCentrale, en apport matériel ou sous la forme du financementdes projets initiés par la LIGUE tant au niveau régional quenational.

Le budget global de la LIGUE qui devra prendre en compte lefonctionnement de la structure régionale et des structuresnationales se basera sur les apports des partenaires qui se serontmanifestés et des apports éventuels des structures nationalespouvant provenir des activités sectorielles à concevoir : ventedes imprimés par exemple...

La lutte contre ce type de criminalité qui réduit l'AfriqueCentrale à l'époque médiévale devrait être une préoccupationprioritaire pour une période donnée, une décennie par exemple,au cours de laquelle des actions efficaces seraient organiséespour l'éradication de ce fléau.

Aussi, pour qu'elle soit efficace et porte des fruitsescomptés, l'UNESCO devrait, après l'adoption de la CharteRégionale par les délégués des pays engagés, organiser dans l'un

452

des pays engagés une Conférence des Partenaires potentiels auniveau des décideurs afin d'appeler à leur implication et à leurcontribution.

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Annexe II: Ligue régionale contre les crimes rituels pour ladignité humaine

Projet de charte

Texte proposé par les points focaux de laRépublique Démocratique du Congo

Kinshasa

DE LA CONSTITUTIONARTICLE PREMIER

Les Observatoires Nationaux de lutte contre les crimes rituelsDe la République du BurundiDe la République du CamerounDe la République CentrafricaineDe la République du CongoDe la République Démocratique du CongoDe la République du GabonDe la République de Guinée EquatorialeDe la République de Sao Tome

Ici les parties contractantes, conviennent ce jour de laconstitution d'une organisation commune régionaledénommée LIGUE CONTRE LES CRIMES RITUELS POURLA DIGNITE HUMAINE.

DES OBJECTIFSARTICLE DEUX

1. La Ligue ainsi constituée poursuit les objectifs ci-après:

Renforcer Faction commune des structures nationales envue de lutter de manière efficace et sans relâche contre toutesformes de crimes rituels, à savoir toutes atteintes ou tentativesd'atteinte à l'intégrité physique et/ou morale de la personnehumaine pour des fins rituelles i

454

Coordonner et intensifier les programmes nationaux deprotection de la société humaine, principalement les couchesvulnérables, notamment les enfants, les femmes et lespersonnes sans défense (handicapés moteurs etlou mentaux,les personnes de troisième âge...) ;

Favoriser la coopération dans la promotion et la défensedes droits fondamentaux de l'homme, tels qu'ils sont définisdans les instruments internationaux, notamment les droits àla vie et à la dignité, les libertés de mouvement et d'expression

Assurer en commun la protection de l'environnementculturel contre les traditions et pratiques de nature à porteratteinte à l'intégrité physique etlou mentale de l'être humain.

2. A ces fins, les organisations nationales membrescoordonneront et harmoniseront toutes leurs actions, plusparticulièrement celles tendant à :

Encourager les communautés nationales à dénoncer toutepratiques, tout crime rituel, tels que les meurtres, les viols, lesincestes... en tant qu'actes attentatoires à l'intégrité physique etmorale de la personne humaine;

Conscientiser et' persuader les adeptes de ces pratiques àsubstituer aux sacrifices humains d'autres sacrifices plussymboliques;

Initier, avec l'appui des partenaires de développement, dansune dynamique participative, des programmes d'information,d'éducation et de communication (IEe) par les médias et lesnouvelles technologies de l'information en direction des jeuneset des adultes en vue d'un changement de mentalités et descomportements qui intègrent les valeurs éthiques africainescontre les dérives irrationnelles;

455

Faciliter et favoriser le dialogue entre les religions et lescultures en vue d'une action commune et synergique contre lescrimes rituels et les comportements similaires;

Organiser, initier, participer à l'organisation et/ou àl'initiation des programmes et activités ayant pour finalitél'éradication des crimes rituels, en particulier, et des crimes engénéral, et la protection de la dignité humaine.

3. La Ligue peut entreprendre, seule ou en connexion auxautres personnes physiques ou morales, organisationmembre ou non, en demanderesse ou en partie civile, desactions énergiques en justice contre tous les crimes avéréset établis commis à l'endroit des individus pour des finsrituelles et portant atteinte à leur intégrité physique et/oumorale.

4. La Ligue peut entreprendre toutes autres activitéslucratives autorisée dans le but de se trouver les moyensnécessaires à la réalisation de son objectif.

DES PRINCIPESARTICLE TROIS

En vue d'atteindre les objectifs qu'ils s'assignent, tels quedéfinis à l'article deux ci-dessus, les membres affirmentsolennellement adopter les principes suivants:

1. Le dévouement sans réserve à la cause de la luttecontre les crimes rituels pour la dignité humaine;

2. La condamnation sans réserve de tous actesattentatoires à l'intégrité physique et/ou morale del'être humain, quel qu'en soitle motif;

3. La solidarité parfaite et la communion totale dans lesactions à mener, en prévention comme en répressiondes crimes en général ;

4. La mise en commun de tous les moyens disponibles

456

et potentiels : moyens humains, moyens matériels,moyens financiers, pour la cause de la lutte à menercontre les crimes rituels.

5. Le respect strict des législations nationales pourautant qu'elles n'enfreignent pas les dispositionscontraignantes des instruments internationauxratifiés par les états dont sont originaires lesmembres.

DES MEMBRESARTICLE QUATRE

Sont membres effectifs de la Ligue toutes les organisationsnationales signataires de la présente charte.

La Ligue peut s'étendre à d'autres organisations nationales,sous-régionales et régionales qui y adhéreront par la suite ens'engageant solennellement dans la lutte contre les crimesrituels pour la dignité humaine.

Toute autre organisation nationale et/ou régionale peut êtteadmise au sein de la Ligue avec le statut de sympathisant.

La Ligue octroie aux organisations du système des NationsUnies qui la soutiennent et aux autres organismes quiparrainent ses activités, le statut de PARRAIN.

Les parrains et auttes partenaires privilégiés assistent auxrencontres de la Ligue en tant que consultants et apportent leurtechnicité et leur savoir-faire.

DES DROITS ET DEVOIRS DES MEMBRESARTICLE CINQ

Toutes les organisations membres effectifs de la ligue jouissentdes mêmes droits et ont les mêmes devoirs vis-à-vis de la Ligue.

Elles s'engagent toutes à respecter scrupuleusement lesprincipes énoncés à l'article trois de la présente charte.

457

DES ORGANESARTICLE SIX

Pour atteindre les objectifs qu'elle s'assigne, la Ligue agit parl'intermédiaire des organes ci-après:

1. La Conférence Régionale de la Ligue2. Le Conseil d'Administration3. Le Secrétariat Exécutif4. Les Commissions spécialisées

DE LA CONFERENCE REGIONALEDEFINITION ET MISSIONS

ARTICLE SEPT

La Conférence Régionale est l'organe suprême de la Ligue qui ades compétences très étendues sur toutes les questions serapportant à la Ligue.

Elle doit, conformément aux dispositions de la présente charte,étudier les questions communes à l'Afrique centrale afin decoordonner et d'harmoniser les stratégies de la ligue dans lecadre des objectifs qui lui sont assignés.

Elle a pouvoir de revoir la structure, les fonctions et les activitésde tous les organes et des commissions spécialisées.

COMPOSITION ET FONCTIONNEMENTARTICLE HUIT

a. La Conférence Régionale est composée des délégués desorganisations membres effectifs, à raison de trois déléguéspar organisation, dûment accrédités auprès de la Ligue.

b. La Conférence Régionale se réunit une fois l'an aux lieu etdate déterminés par ses membres dans une résolution.

458

c. A la demande d'une organisation membre effectif et pourune question qui requiert urgence la Conférence Régionalepeut tenir une session extraordinaire, sous réserve del'accord des deux tiers des autres membres effectifs.

d. Les réunions des sessions extraordinaires se tiennent soit ausiège de la Ligue, soit dans le pays de l'organisationinitiatrice.

e. Chaque délégué à la Conférence dispose d'une voix tandisque les décisions sont prises à la majorité des deux tiers desdélégués présents à la session. Toutefois, les décisions deprocédure sont prises à la majorité simple des voix desdélégués présents.

f. Le quorum des rencontres est constitué des deux tiers desorganisations membres effectifs.

g. La Conférence Régionale établit un Règlement Intérieur.

DU CONSEIL D'ADMINISTRATIONARTICLE NEUF

1. Le Conseil d'Administration est composé d'autantd'Administrateurs qu'il y a d'organisations membres effectifs.Les administrateurs sont désignés par une décision des organescompétents des organisations nationales membres effectifs etaccrédités auprès de la Ligue.

2. Le Conseil d'administration se réunit une fois l'an, la veillede la rencontre de la Conférence Régionale. Il est responsableenvers la Conférence Régionale dont il prépare les rencontres.

3. Le Conseil d'administration connaît de toute question quela Conférence Régionale lui renvoie; il exécute ses décisions.

4. Il ment en oeuvre les stratégies régionales selon lesdirectives de la Conférence Régionale et en application desdispositions des articles 2 et 3 de la présente charte.

459

5. Chaque administrateur dispose d'une voix et toutes lesrésolutions sont adoptées à la majorité simple des voix desadministrateurs présents. Le quorum des conseilsd'administration est constitué des deux tiers desadministrateurs.

6. Le Conseil d'Administration établit un RèglementIntérieur.

DU SECRETARIAT EXECUTIFARTICLE DIX

DESIGNATION ET COMPOSITION

La Conférence Régionale met en place un Secrétariat Exécutifchargé de la gestion quotidienne des affaires de la Ligue.

Le Secrétariat Exécutif est composé de trois SecrétairesExécutifs,dont

Un Secrétaire Exécutif titulaire, chefdu SecrétariatExécutif;Un Secrétaire ExécutifAdjoint chargé des questionsjuridiques et Techniques;Un Secrétaire ExécutifAdjoint Chargé des questions

administratives et financières

Et d'un Secrétariat administratif dont la composition estproposée par les Secrétaires Exécutifs et adoptée parle Conseil

d'Administration.Les Secrétaires Exécutifs sont désignés par la ConférenceRégionale parmi les Administrateurs dans le respect des poulesgéographiques (Est - Centre - Ouest).

STATUT ET MISSIONARTICLE ONZE

Les fonctions et conditions d'emploi des Secrétaires Exécutifset des autres membres du Secrétariat Exécutif sont régis par lesdispositions de la présente charte et par le Règlement Intérieurdu Secrétariat Exécutif approuvé par la Conférence Régionale.

460

Dans l'accomplissement de leurs devoirs, les SecrétairesExécutifs et les autres membres du Secrétariat Exécutif nesollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucune organisationmembre ni d'aucune autorité extérieure à l'organisation.Les Secrétaires Exécutifs ont statut de fonctionnairesinternationaux et le pays qui abrite le siège accepte de leuraccorder tous les avantages dévolus à leur statut.

La personne du Secrétariat Exécutif est recruté localement dansle pays qui abrite le siège de la Ligue et est régi par lesdispositions de la législation sociale en vigueur dans ledit pays.

DES COMMISSIONS SPECIALISEESARTICLE DOUZE

1. Les organisations membres effectifs acceptent de peaufinerensemble leurs stratégies de lutte contre les crimes rituels.

2. Ces stmtégies sont étudiées, montées, élaborées par descommissions spécialisées composées des membres desorganisations membres effectifs ayant les matières enquestion dans leurs attributions, puis soumises au Conseild'Administration pour adoption par la ConférenceRégionale.

3. Les commissions les plus importantes sonta. La Commission de l'Education et du Dialogue descultures;b. La Commission Justice, Paix et Démocratie;c. La commission de la communication.

4. Chaque commISSIOn fonctionne conformément auxdispositions de la présente Charte et d'un RèglementIntérieur approuvé par le Conseil d'Administration.

461

DU BUDGETARTICLE TREIZE

Le budget pour le fonctionnement de la Ligue est préparéchaque année par le Secrétariat Exécutif et soumis au Conseild'Administration pour son approbation par la ConférenceRégionale. Le Budget est alimenté par:

a. Les subventions des parrains et autres partenairesciblésb. Les contributions des organisations membres, à

raison de 5 % du budget annuel de fonctionnementde chaque organisation membre;

c. Les recettes des services et autres tâches proposées parle Secrétariat Exécutif au regard des dispositions dupoint quatre de l'article deux de la présente charte.

DE LA SIGNATURE DE LA CHARTEARTICLE QUATORZE

1. La présente charte est ouverte à la signature desorganisations nationales membres effectifs et couvertede leurs sceaux officiels pour authentification.

2. Un exemplaire est déposé auprès du Gouvernement dechaque pays dont sont originaires les organisationsmembres par le Ministère ayant la tutelle desassociations dans ses attributions, lequel en accuseréception pour confirmer son applicabilité parl'organisation membre.

3. Tous les accusés de réception sont versés en copiescertifiées conformes aux originaux auprès du Ministèredes Affaires Etrangères du pays choisi pour abriter lesiège de la Ligue.

4. La présente charte ne pourra entrer en vigueur qu 1aprèsréception par le Ministère cité au point 3 ci-dessus des

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accusés de réception des deux tiers des organisationsnationales des pays cités à son article premier.

DE L'ENREGISTREMENT DE LA CHARTEARTICLE QUINZE

La présente Charte résultant de la volonté commune des forcessociales des pays membres de l'Union Africaine dans le respectdes libertés garanties par les instruments internationaux, estenregistrée à la Commission de l'Union Africaine par les soinsdu parrain de la Ligue, à savoir UNESCO/LIBREVILLE.

DE L'ADHESION ET DE LA RENONCIATIONARTICLE SEIZE

1. Toute organisation nationale, toute association ayant ladéfense des droits de l'homme dans ses objectifs, peut,à tout moment, notifier au Secrétariat Exécutif savolonté d'adhérer à la présente Charte.

2. Le Secrétariat Exécutif en fait communication à toutesles organisations membres effectifs.

3. L'adhésion est adoptée à la majorité des deux tiers desvoix des délégués présents à la session ayant inscrit lepoint à son ordre du jour. Le Secrétariat Exécutif faitpart à l'organisation intéressée de la décision de laConférenée Régionale.

4. La même procédure s'applique pour la renonciation dela qualité de membre par une organisation.

DES DISPOSITIONS DIVERSESARTICLE DIX SEPT

1. La langue de travail de la Ligue est le français.Toutefois, ses documents de travail peuvent êtretraduits en langues africaines, en portugais et enanglais, à la demande des organisations membres.

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2. Le Secrétariat Exécutif peut, au nom de la Ligue,accepter tous dons, donations et legs faits à la Ligue,sous réserve de 1f approbation du Conseild'Administration.

ARTICLE DIX-HUIT

Le Conseil d'Administration décide des immumtes et desprivilèges et avantages sociaux à accorder aux SecrétairesExécutifs dans les territoires des pays de l'Afrique Centrale.

n le négocie avec les gouvernements des pays dont sontoriginaires les organisations membres effectifs de la Ligue.

ARTICLE DIX-NEUF

L'initiative de modification de la présente charte est reconnue àtoutes les organisations nationales membres effectifs.

Les projets d'amendement sont soumis au Conseild'Administration et les amendements ne sont définitifs ques'ils obtiennent l'adhésion des deux tiers des délégués desorganisations membres effectifs.

DISPOSITIONS FINALESARTICLE VINGT

Les membres signataires de la présente charte conviennent del'implantation du siège de la Ligue à Yaoundé, Capitale de laRépublique du Cameroun.

Toutes les dispositions doivent être prises par la ConférenceConstitutive, avec l'appui du parrain de la Ligue,UNESCO/LIBREVILLE, pour l'implantation effective du siègedans les trois mois qui suivent l'adoption de la présente Charte.

A ,le

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LISTE DES PARTICIPANTS

BurundiProf. Philippe NtahombayeUniversité du Burundi, Bujumbura

Joséphine Ntahobari,UNESCO Bujumbura

CamerounCheikh Oumarou Malam Djibril,VP. Conseil Islamique du CamerounRév.Jean Emile Ngue,CEPCA/Cameroun

Rév. Albert Tetsi,EEC/Brazzaville

GabonM.Janvier ObiangOrganisation des Chercheurs et Tradi-praticiens duGabon

Jean Blaise Nguema Mba,Organisation des Chercheurs et Tradi-praticiens duGabon

M. Berthin Géorice Madebe,Université Omar Bongo

Mme Monique Mavoungou-Bouyou,Université Omar Bongo

M. AbdoulJob Tama,Organisation des Chercheurs et Tradi-praticiens duGabon

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M. Paul Dzime Bengone,Agent CENAREST (Centre National de RechercheScientifique et de Technologie)

M. Abbé Casimir Ondo-Mba,Eglise catholique

M. Théodore Koumba,Faculté des Lettres et des Sciences, Université OmarBongo

M. Chérubin Delicat,CENAREST (Centre National de Recherche Scientifiqueet de Technologie)

M.J.P. Boungoulou,Association des Jeunes sans Frontière

M.Jean Divassa Nyama,Ecrivain

M. SalifCépin Doudou,Magazine Interculruralite

M. Ernest Ndong Ekouaghe,Centre National de Recherche Scientifique et deTechnologie (CENAREST)

M.Jean Elvis Ebang Ondo,Collectif des familles d'enfants assassinés et mutilés

M. Esther Ebang,Collectif des familles d'enfants assassins et mutilés

M. Clémentine Avomo Ndong,Association des Femmes Catholiques du Gabon

Pasteur Endje Ngowe IyangaEglise de Béthanie

466

M. Michel Biyambou-Fils,Commission Nationale UNESCO

M. Bernard Metogo Awono,Ministère de la Culture, des Arts Chargé de l'EducationPopulaire

Mme Chantal Aïssata BoukaCollectif des familles d'enfants assassins et mutilés

M. Zeng ObameMinistère de la Culture, des Arts Chargé de l'EducationPopulaire

M. AboubakarCollectif des familles d'enfants assassins et mutilés

Rev. Rostand Essono EllaEglise Evangélique du Gabon

Mme Christine Ngo Bilong ép. MoukondjiEnseignante

République Démocratique du CongoM. Awazi Nengo MéméCommunauté Islamique de la RDC

M. Abbé Dominique KahangaFacultés Catholiques de Kinshasa

Rév. René Fouti LuembaEglise Christ Pain de Vie

SénégalM. Saliou Sambou,Gouverneur de Dakar, Sénégal

République Centrafricaine

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M. Lucien DambeleRadio Centrafrique, RCA

M.]érémie MopiliHéritier de trône en pays Zandé,

UNESCO-Bureau de Libreville

Makahily Gassama,Représentant résident de l'UNESCO

Mme Violeta Aguiar,Spécialiste Adjoint du Programme Culture

M. TassewTesfayeSpécialiste Adjoint du Programme Communication

Isabelle Sandjo NonoSecrétaire

Irène BouangaSecrétaire

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