ACT-O N°24

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Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève 24 GUILLAUME TELL l'ode à la liberté de Rossini vue par David Pountney RENTRÉE LYRIQUE Redécouvrons notre esprit «jeune»  ! N°24 | Septembre - octobre 2015 With English Content LA BELLE HÉLÈNE & LES TROYENS La comédie et la tragédie antique se croisent sur la scène de Neuve

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Grand Théâtre de Genève ACT-O n°24 Magazine du Cercle du Grand Théâtre de Genève

Transcript of ACT-O N°24

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Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

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GUILLAUME TELL

l'ode à la liberté de Rossinivue par David Pountney

RENTRÉE LYRIQUE

Redécouvrons notre esprit «jeune» !

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LA BELLE HÉLÈNE & LES TROYENS

La comédie et la tragédie antique

se croisent sur la scène de Neuve

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HARMONYCHRONOGRAPHE

260 ans d’histoire ininterrompue reflétéeà travers la collection Harmony. Une nouvelle légende est née.

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Directeur de la publication Tobias Richter Responsable éditorial Mathieu PoncetResponsable graphique & artistique Aimery Chaigne Ont collaboré à ce numéro Bienassis, Marie Chabbey, Daniel Dollé,

Sandra Gonzalez, Olivier Gurtner, Yaël Hêche, Isabelle Jornod, Rafael Lopez, Gisèle de Neuve, Bruno Messina, Christopher Park, Mathieu Poncet,Jean-Claude Yon.

Impression FOT Suisse SA

Parution 4 éditions par année ; achevé d’imprimer en septembre 2015. 6 000 exemplairesIl a été tiré 45  000 exemplaires de ce numéro encartés dans le quotidien Le Temps.

11, bd du Théâtre - CP 5126 - CH-1211 Genève 11 T +41 22 322 50 00 F +41 22 322 50 [email protected] www.geneveopera.ch

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4Guillaume Tell« Au loin quel horizon immense ! »

16DidactiqueL’envers des décors

8La Belle HélèneLes TroyensEntre Hélène et Hector

ProchainementDans le n°25Le Songe d’une nuit d’été 20 > 30/11/2015

Casse-Noisette 21 > 29/11/2015

Bo Skovhus 06/12/2015

La Flûte enchantée 23/12/2015 > 08/01/2016

La Forza del destino 01 > 07/02/2016

La couverturePhoto librement réalisée

autour du personnage de Jemmy pour l’opéra

Guillaume Tell.Photo : Nicolas Schopfer

DA : Aimery ChaigneMaquillage : Anaïs Vigliano

3Côté cour, côté jardinPremière déclinaison de notre devise de saison 15-16

14 Le carnet du CercleMécènes en scène

18Chère GisèleLes mises en scène «concept»

12Opéra de PékinAux sources chinoises du théâtre moderne

II  05  

Cher Public,C’est avec enthousiasme que nous nous préparons à vous accueillir tout au long de cette saison qui sera particulière. En effet, après avoir traversé plus d’un tiers de 2015/2016 place de Neuve, le personnel du Grand Théâtre de Genève se dirigera vers la salle de l’Opéra des Nations pour réaliser nos productions à venir. Imaginez plus de trois cent collaborateurs qui, après vous avoir offert le 8 janvier la dernière repré-sentation de Zauberflöte de Mozart, relèveront le défi d’une nouvelle production d’Alcina de Händel le 15 février, et cela sans oublier les quatre soirées au Victoria Hall consacrées à une version de concert de La Forza del Destino de Verdi. Saison de « tous les dangers » durant laquelle nous ne ménagerons pas nos forces pour partager dignement avec vous cette aventure.Pour accompagner cette programmation, le magazine ACT-O sera marqué par une forte évolution. Afin de vous proposer toujours plus de points de vue variés et pertinents, nous nous sommes associés à de nombreux contributeurs prestigieux qui vous feront partager leurs passions et leurs connaissances. D’un commun accord avec nos rédacteurs invités, le fil d’Ariane sous-jacent de ce nouvel ACT-O orientera sa thématique vers la complexité de l’enfance perçue à travers nos productions artistiques.  Après avoir découvert l’univers rossinien de Guillaume Tell, Les Troyens d’Hector Berlioz seront évoqués à la lumière des émotions du jeune Hector lisant l’Énéide avec son père. En écho à cet article, nous aurons le plaisir de lire un essai ayant trait à La Belle Hélène. Enfin, le monde ravélien de l’enfance sera dépeint à l’occasion de la production de L’Enfant et les Sorti-lèges dont le Chœur du Grand Théâtre partagera l’affiche avec l’OSR.Puisque nous parlons d’ouverture à des contributeurs extérieurs et à des publics diversifiés dans le cadre de notre déménagement, profitons de vous annoncer l’évolution de notre stratégie de communication qui depuis cet été se rénove pour approcher de nouveaux publics rajeunis et d’horizons multiples. Ce déve-loppement de notre présence sur les supports numériques se veut être la marque de notre modernité sans cesse défendue.Par-delà l’enfance puis l’adolescence évoquées plus haut, nous nous tournerons vers les premières années de l’âge adulte, lieu de la formation, de la conquête des aspirations de chacun. Ainsi l’exposé que nous livre Rafael Lopez (ancien apprenti de nos ateliers de décoration) est un riche témoignage que nous vous engageons à lire, preuve que les buts que nous poursuivons sont partagés par les générations à venir.Enfin, lors du premier récital de cette saison, et alors que nous avons évoqué la communication et l’évo-lution psychologique des individus, nous serons enchantés de retrouver Anna Caterina Antonacci qui le 6 septembre nous proposera un programme raffiné dédié à la musique française durant lequel, aux côtés d’œuvres de Maurice Ravel, elle interprétera La Voix humaine de Francis Poulenc, monologue qui décrit si finement la solitude et la difficulté à dialoguer.  Voici, cher public, le premier bouquet de saison que nous sommes heureux de vous offrir, et sûrs que sa diversité et son parfum sauront vous séduire, nous nous réjouissons de vous retrouver en cette fin d’été pour vivre ces moments d’exception.

Tobias RichterDirecteur général

13L’Enfant et les SortilègesLe Chœur chante Ravel

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pourtant, qui pourrait reprocher au Grand Théâtre d’être une tour d’ivoire isolée des publics, de la société et de la Cité ? Tout d’abord, le nombre d’abonnés n’a jamais été aussi élevé (8000) depuis la ré-ouverture en 1962. Ensuite, les tarifs pour les jeunes publics, les activités pédagogiques et le club Labo-M sont autant d’actions qui permettent de rapprocher les plus jeunes de l’opéra et de dévelop-per leur esprit d’intendance pour le Grand Théâtre. Enfin, on peut saluer la détermination de la direction, qui a augmenté nombre de ses collaborations avec les institutions locales : l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR) évidemment, L’Orchestre de Chambre de Genève (L’OCG), Festival Archipel, La Bâtie ou encore l’Ensemble Contrechamps. Ces éléments traduisent de façon éloquente la politique de l’institution et de la Ville de Genève en faveur d’un art accessible à chacune et chacun.

Dépasser la vue des jumellesPlus largement, le Grand Théâtre apporte beaucoup à Genève, ses habitants, sa région et ses entreprises. Il participe indirectement à la prospérité économique de notre ville. En effet, si les classe-ments sur la qualité de vie ou l’influence globale des villes placent Genève en tête de peloton, c’est entre autres grâce à son opéra. On sait également que les organisations internationales et socié-tés multinationales prennent en compte cette dimension avant d’installer leurs quartiers généraux. Un argument que certains députés feraient bien de prendre en compte au moment de voter la Nouvelle Comédie au Grand Conseil… Plus important encore est le rôle de l’opéra comme art : un moyen fort de vivre, de ressentir et d’exister. À l’instar d’autres disci-plines artistiques, l’art lyrique est bien plus qu’un loisir ou un divertissement. Il ouvre l’âme humaine, réveille les consciences, touche droit au cœur des individus et les prend par la main pour penser leur destin. « Le sens du mot art est tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux, » avait dit André Malraux. Et il a toujours raison. Côté Cour, côté jardin, Rive droite, Rive gauche, l’opéra s’inscrit au cœur des habitants de notre Cité. ■

Les choristes, côté cour, voyons ! » s’époumone en répétition le metteur en scène, tandis que le chef d’orchestre maintient la battue. « Côté cour »… que signifie cette expression ? Simple question de point de vue : les chanteurs se déplaceront sur leur gauche ; le public les verra sur la droite de la scène. Ainsi « à jardin » indique systématiquement les coulisses à gauche, depuis la salle. Au Grand

Théâtre de Genève, la même distinction opère. Comme si l’on employait les mots bâbord et tribord pour se repérer dans ce navire amiral de la culture genevoise. L’usage remonte au théâtre d’ancien régime. Les œuvres étaient données chez l’aristocratie ou le souverain, souvent en extérieur, soit dans la cour, soit dans le jardin. À Versailles, deux gravures célèbres de Jean Le Pautre illustrent bien cette utilisation de l’espace. L’une montre une représentation d’Alceste de Lully dans la Cour de marbre du château. Une autre illustre Le Malade imaginaire dans les jardins de Versailles, plus précisément devant la grotte de Téthys. Le théâtre en intérieur a conservé ces termes, pour indiquer la répartition des coulisses de manière claire pour chacun des protagonistes de scène: comédiens, machinistes, cin-triers, metteur en scène…

De l’autre côté du lacEn baptisant sa saison 15-16 « De cour à jardin », le Grand Théâtre dépasse le simple jeu de mots, censé évoquer son démé-nagement à l’Opéra des Nations pendant deux ans (pour rénover la scène de Neuve). En réalité, avec un tel titre, l’opéra genevois se place au cœur de la Cité. D’abord, en s’installant à dans le quartier des Nations, il corrige –  au moins pour deux ans  – la carence en infrastructures culturelles dont souffre la rive droite. Un chiffre pour le montrer, cette première compte quatre théâtres contre vingt-trois sur la rive gauche. Un côté jardin qu’il faut cultiver davantage. C’est donc un glissement vers la rive droite, mais aussi une ouverture sur la Genève internationale. Par sa présence sur la campagne Rigot (offerte à l’université de Genève en 1942 par le riche américain John D. Rockefeller), le Grand Théâtre se rapproche des interna-tionaux parfois délaissés. Pour mémoire, l’UNIGE cède en 1997 la parcelle contre le site de Batelle, appartenant alors au Canton.

Un opéra au cœur de la CitéDe beaux arguments, mais limités à une période de deux ans  : la programmation reviendra en janvier 2018 à la place de Neuve. Et

Côté Cour, côté Jardin et...dans la Cité

par Olivier Gurtner*

* Olivier Gurtner est diplômé en sciences politiques (Genève) et journalisme (Sorbonne-Nouvelle). Il est actuellement co-directeur du magazine culturel GoOut! et conseiller municipal en Ville de Genève.

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Le Malade imaginaire de Molière joué devant la Grotte de Thétys dans les jardins du château de Versailles.Jean Lepautre, 1674Bibliothèques des Arts décoratifs, ParisGravure

[ci-dessus, à gauche]

Alceste de Lully joué dans la cour de marbre du Château de Versailles.Jean Lepautre, 1674Château de VersaillesGravure

On peut aimer que le sens du mot art soit : tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux.André MAlrAux, Le Temps du mépris

Premier invité de notre rubrique

« De cour à jardin », Olivier Gurtner

redonne à l’opéra sa place au cœur

des Genevois.

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« Au loin quel horizon immense ! »

Le 3 août 1829 à Paris, le public de l’Académie Royale de Musique voyait et entendait une page se tourner dans l’histoire de l’opéra. Ce soir-là,

Gioacchino Rossini présentait sa dernière création, Guillaume Tell. Qui pouvait alors se douter que le compositeur, âgé de seulement 37 ans, signait là son ultime ouvrage lyrique ? Pendant les presque qua-rante années qui lui restaient à vivre, Rossini ne devait plus composer une seule mesure pour la scène, se limitant à des partitions à usage privé auxquelles s’ajoutent son Stabat Mater et sa Petite Messe solennelle. Avec Guillaume Tell, il avait pourtant livré un succès retentissant qui allait influencer la scène parisienne et bien au-delà pendant plusieurs décennies, participant à l’émer-gence d’un nouveau genre lyrique: le grand opéra historique.

par Yaël HêcHe*

Rossini’s Farewell to OperaWho would have thought in 1829 that Guillaume Tell, the 37 year-old Gioacchino Rossini’s latest offering to the Paris

Opera, would prove to be his last foray on the opera stage? Rossini never wrote another musical drama, despite the resounding success of his version of William Tell generating a whole new genre: the historical grand opera. Five years

earlier, Rossini had set up shop in Paris, preceded by his huge notoriety as the foremost Italian opera composer, but also charged by the Royal Academy of Music to supply them with operas in French. Rossini wrote one last Italian piece

and reworked a couple of old Italian successes into French versions, but Guillaume Tell was in fact his first (and only) original French composition for the Paris Opera. All of Rossini’s Paris compositions (except two comic pieces) deal

with a struggle for freedom; Guillaume Tell sets the Swiss mountain folk against their Austrian oppressors in the 13th century, displaying both the early 19th century’s fascination with historical themes and its memories of the not-so-distant French Revolution. Rossini’s compositions for Paris also add a romantic element to the political and ethnic

conflicts of their subject matter: in Guillaume Tell, Arnold the Swiss partisan, is constantly wavering between his love for Mathilde, the Austrian tyrant Gesler’s niece, and his duty to free the Fatherland. Another figure that emerges from the clash between two political rivals is the chorus. No opera had ever used the chorus as a true dramatic protagonist,

to the point of occasionally taking the place of the soloists and setting a trend for future grand operas. The best ex-ample of this is the Act II scene of the Confederates’ oath taken on the Rütli meadow, where Tell sings only two bars and the chorus takes over, in an imposing swell of sound that fittingly mirrors the splendid setting of the Swiss Alps. In Rossini’s day, Switzerland’s nascent tourism industry was developing in leaps and bounds and a good measure of

picturesque was expected, with set designers sparing no effort to create grandiose Alpine settings and composers like Rossini filling their scores with authentic Swiss folk tunes (such as the famous Ranz des vaches). So why did Rossini

stop composing operas after such an undoubted success? A generous royal pension covered all his material needs, but there may also be a true artistic reason for Rossini’s decision: Guillaume Tell, however ground-breaking, is also the

culmination of the composer’s musical talent, where he uses his favourite devices one last time (such as including a long instrumental tempest scene) before bowing out. Rossini’s choice of librettist is also significant: Étienne Jouy, al-

most thirty years his senior, had been extremely active in this field and Guillaume Tell was his last contribution before assuming a prestigious position as the Louvre librarian. After Jouy, another generation of stage poets would emerge,

with the amazingly prolific Eugène Scribe as their leader, supplying Rossini’s contemporaries with an unending supply of hits, notably Fromental Halévy’s La Juive (1835), and German-born Giacomo Meyerbeer with Robert le diable (1833)

and Les Huguenots (1836, who would soon become the uncontested master of French grand historic opera, of which Rossini had laid the foundations with Guillaume Tell.

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« Au loin quel horizon immense ! »

L’histoire de Guillaume Tell commence bien avant sa création. En 1824, Rossini arrivait à Paris pour y devenir « Directeur de la musique et de la scène du théâtre Royal Italien ». Sa mission était d’écrire des opéras autant dans sa langue natale pour cette

institution, qu’en français pour l’Académie Royale de Musique. Il n’était bien

sûr pas le premier musicien italien à venir faire carrière en

France, mais il était le premier à y arriver déjà auréolé d’une gloire inter-

nationale, ce qui lui offrait une plus grande liberté d’action. Dans les années qui suivirent, Rossini composa tout d’abord son dernier opéra italien, Il Viaggio a Reims. Il entreprit ensuite de renouveler le répertoire alors moribond de l’Académie Royale de Musique en transformant plusieurs de ses ouvrages antérieurs. C’est ainsi que Le siège de Corinthe et Moïse et Pharaon

connurent leur création en français en 1826 et 1827, tandis que la musique du Viaggio a Reims sera largement réutilisée dans Le Comte Ory en 1828. Guillaume Tell sera donc le seul opéra nouvel-lement composé pour la première scène de la capitale.

À l’exception de la comédie du Comte Ory, tous les ouvrages cités mettent en scène un combat pour la liberté. Alors que dans Moïse et Pharaon les Hébreux sont captifs des Égyptiens, ce sont dans Le Siège de Corinthe les Grecs qui cherchent à se délivrer du joug turc au milieu du 15ème siècle. Dans Guillaume Tell, les Helvètes se battent pour se défaire de l’envahisseur que sont les Habsbourg. Le thème est porteur pour une époque qui se souvient de la Révolution et se prend de passion pour l’histoire. C’est ainsi qu’au même moment, en 1828, le compositeur Daniel-François-Esprit Auber triomphe lui aussi à Paris avec La Muette de Portici où de simples pêcheurs se soulèvent contre le gouvernement espagnol de Naples au 17ème siècle. Dans tous ces opéras, les évènements politiques et historiques, aussi romancés soient-ils, viennent à chaque fois s’interposer dans une relation amoureuse promise à un avenir difficile: Anaï, nièce de Moïse, refusera de renier son Dieu pour s’unir à Aménophis, fils de Pharaon; l’histoire entre le sultan Mahomet et la grecque Pamyra se terminera par le suicide de cette dernière à la fin du Siège de Corinthe; chez Auber l’amour de Fenella, sœur du

› Guillaume Tell Opéra en 5 actes Gioacchino Rossini Direction musicale

Jesús López-Cobos Mise en scène

David Pountney Assistant à la mise en scène

Robin Tebbutt Scénographie

Raimund Bauer Costumes

Marie-Jeanne Lecca Chorégraphie

Amir Hosseinpour Lumières

Fabrice Kebour Guillaume Tell

Jean-François Lapointe Hedwige

Doris Lamprecht Jemmy

Amelia Scicolone Mathilde

Nadine Koutcher (11 | 15 | 19 | 21.09.15) Saoia Hernández (13 | 17.09.15)

Arnold John Osborn (11 | 15 | 19 | 21.09.15) Enea Scala (13 | 17.09.15)

Walter Furst / Melcthal Alexander Milev

Gesler Franco Pomponi

Rodolphe Erlend Tvinnereim (11 | 15 | 19 | 21.09.15) Jérémie Schütz (13 | 17.09.15)

Ruodi Enea Scala (11 | 15 | 19 | 21.09.15) Erlend Tvinnereim (13 | 17.09.15)

Leuthold Michel de Souza

Un chasseur Peter Baekeun Cho

Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Orchestre de la Suisse Romande Au Grand Théâtre de Genève du 11 au 21 septembre 2015

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Guillaume Tell, l’emblème national de notre Helvétie est devenu sous la plume de Schiller le symbole d’un idéal

révolutionnaire pour toute l’Europe du début du XIXème siècle. Gioacchino Rossini, va s’en saisir pour fixer cet

idéal dans une partition grandiose, et ensuite abandonner, de manière assez surprenante, le genre lyrique qu’il a

développé tout au long de trente-huit opéras. C’est le cheminement artistique vers cette œuvre somptueusement

mise en scène pour le Grand Théâtre par le Britannique David Pountney que Yaël Hêche vous invite à découvrir.

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* Musicologue, Yaël Hêche est l’auteur du livre Richard Wagner et ses modèles français, opéra-comique et tragédie lyrique sur le chemin du drame musical. Professeur d’histoire de la musique à l’Institut de Ribaupierre à Lausanne de 2008 à 2013, il intervient dans différents colloques internationaux ainsi que comme conférencier et rédacteur auprès de plusieurs événements musicaux.

[ci-contre]

La scène du tir dans l’acte IIIde cette production créée au Welsh National Opera à Cardiff en 2014.

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fin de l’acte, les trois solistes finissent par ne plus se distinguer de la masse chorale. Cette scène s’impose, comme beaucoup d’autres de l’ouvrage, par ses qualités musicales mais également visuelles, ce que traduit sans peine la description du décor dans le livret: « Le théâtre représente les hauteurs du Rütli d’où l’on plane sur le lac de Waldstettes ou des Quatre-Cantons. On aperçoit aux bornes de l’horizon la cime des montagnes de Schwitz; au bas est le village de Brunnen. Des sapins touffus qui s’élèvent des deux côtés du théâtre complètent la solitude. » Une image de carte postale de l’Helvétie nous est offerte: l’univers montagnard est à la mode depuis la fin du XVIIIème siècle et le tourisme alpin se trouve en plein essor à l’époque où Rossini écrit son opéra (c’est en 1816 qu’ouvrit la pre-mière auberge sur le Rigi). Ce sens de la couleur locale devient de plus en plus présent sur la scène lyrique et pas seulement au niveau de la scénographie. Si le décorateur Pierre-Luc-Charles Cicéri avait fait le voyage en Suisse pour y puiser une inspiration la plus fidèle possible à la réalité, Rossini étudia plusieurs ranz des vaches pour en insérer dans sa partition, ce dès le solo de cor anglais de l’ouverture.

Dans les dix-huit mois qui suivirent sa création, Guillaume Tell connut plus de cinquante représentations. On ne peut donc que s’étonner qu’après un aussi incontestable succès son auteur déci-dât de se retirer de la scène. Le silence de Rossini a été interprété et expliqué de multiples manières. S’il est certain que la rente annuelle de 6’000 francs que lui avait accordé le roi Charles X lui permettait de mener une existence loin de tout souci matériel, les raisons sont aussi d’ordre artistique. Œuvre innovante à plusieurs égards, le dernier opéra de Rossini est en même temps l’aboutisse-ment de toute la carrière de l’Italien, une carrière accomplie dans le premier quart du XIXème siècle. Les cors de chasse qui résonnent dans l’introduction du premier acte ou encore au début du second pour poser le décor champêtre se font déjà entendre avec un but similaire de couleur locale dans La Donna del lago créée à Naples en 1819 sur un livret inspiré de Walter Scott. Les longues pages instrumentales qui décrivent l’orage et la tempête sur le Lac des Quatre-Cantons dans le dernier acte se placent quant à elles dans la lignée des musiques symphoniques descriptives présentes dans les opéras de Luigi Cherubini, en particulier sa Lodoïska de 1791. Cette même année, André-Ernest-Modeste Grétry faisait déjà entendre un ranz des vaches dans son «drame mis en musique» Guillaume Tell, redonné à l’Opéra-Comique en mai 1828. Le principal librettiste que choisit Rossini pour son dernier ou-vrage lyrique se révèle particulièrement significatif: né en 1764, de presque trente ans l’aîné du compositeur, Victor-Joseph-Étienne Jouy fut l’un des principaux auteurs de livrets pour la période allant de l’Empire à la Restauration. Sa contribution la plus mar-quante demeure les textes de La Vestale et de Fernand Cortez de Gaspare Spontini en 1807 et 1809. Ce second titre met d’ailleurs en scène un conflit entre deux peuples, Mexicains et Espagnols, sous une forme qui annonce les derniers opéras de Rossini sur lesquels il exerça une influence majeure. C’est donc sans surprise que l’Italien décida de déjà travailler avec Jouy pour Moïse et Pharaon. Celui qui avec Guillaume Tell mettait un terme à sa carrière de librettiste pour devenir conservateur de la bibliothèque du Louvre pouvait être qualifié de conservateur progressiste. Homme d’une époque de transition, il laissait la place à une nouvelle génération d’auteurs dramatiques au premier rang desquels figurait Eugène Scribe. Dans les années qui suivirent la création de Guillaume Tell, d’autres compositeurs obtinrent un succès souvent sans précé-dent avec des opéras à chaque fois écrits sur un livret de Scribe: Auber avec Gustave III (1833), Fromental Halévy avec La Juive (1835), mais surtout Giacomo Meyerbeer avec Robert le diable (1833) et Les Huguenots (1836). Allemand contemporain de Rossini, Meyerbeer avait connu ses premiers succès en Italie avant de venir à Paris. C’est lui qui allait devenir la nouvelle figure centrale de la scène lyrique internationale et s’imposer comme le maître incontesté du grand opéra historique dont Rossini avait posé les plus importantes fondations.

Guillaume Tell se termine par un tableau idyllique de la Suisse alpestre: « L’orage, entièrement dissipé, laisse voir, dans toute sa beauté, une partie de la Suisse. Une multitude de barques pavoisées voguent sur le lac des Quatre-Cantons. Les montagnes qui dominent Flüelen, et surmontées encore par les grands glaciers frappés des rayons du soleil, couronnent le tableau. » Devant ce décor enchan-teur, symbole de la liberté reconquise, Tell entame un arioso dans un flamboyant do majeur qu’accompagne la harpe pendant que son fils s’exclame: « Au loin quel horizon immense! ». Cet horizon est aussi celui d’une nouvelle ère de l’opéra français, une nouvelle ère que Rossini avait plus que tout autre participé à préparer mais qu’il ne considérait plus comme totalement sienne et dans laquelle il décida de laisser d’autres s’aventurer. ■

pêcheur Masaniello, pour le fils du vice-roi de Naples trouvera son dénouement dans les flammes du Vésuve, tandis que le confédéré Arnold sera durant tout Guillaume Tell tiraillé entre son amour pour Mathilde, nièce du tyran Gesler, et son devoir pour sa patrie asservie. Avec cette dramaturgie nouvelle, l’histoire ne sert plus seulement de décor, de toile de fond: le conflit entre deux peuples, deux nations ou encore deux groupes de personnes devient l’élé-ment constitutif et central d’une action collective d’où émerge une intrigue amoureuse, expression du destin individuel.

Dans cette constellation dramatique opposant deux factions rivales, il ne paraît guère étonnant que le chœur occupe une place prépondérante et sans précédent. Ses interventions à l’opéra s’étaient jusqu’alors limitées à des morceaux fermés ou à l’accompagnement de solistes dans des airs ou des ensembles, sans vraiment participer à l’action. Dans Guillaume Tell, il devient au contraire un véritable et essentiel protagoniste, au point de laisser parfois dans l’ombre les solistes dans cette partition qui ne compte que trois airs. Le finale de l’acte II en offre le meilleur exemple avec le serment des confédérés sur la prairie du Rütli. La scène se déroule en présence de Guillaume Tell, d’Arnold Melcthal et de Walter Furst, mais surtout du chœur formé par les hommes des cantons d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald. Sur le ton d’un réci-tatif, un long dialogue se forme entre ces derniers et les trois per-sonnages. Le chœur occupe ici un rôle qui avait depuis toujours été réservé aux solistes. Il devient un personnage, une pratique inédite mais riche d’avenir que Rossini avait commencé d’expé-rimenter dans Le Siège de Corinthe. Dans le serment conclusif (« Jurons, jurons par nos dangers »), Tell entonne les premiers mots et le chœur lui répond après seulement deux mesures. Jusqu’à la

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AVEC LES TRANSPORTS PUBLICS,

VOUS ÊTES SÛRS D’ATTEINDRE LE GRAND THÉÂTRE…

Les abonnés du Grand Théâtre bénéficient de la libre circulation en transports publics sur unireso Tout Genève, 2h avant et 2h après le spectacle.

Pour le Grand ThéâtreArrêt Place de Neuve : 12, 18 / 3 / 5, 36 – Arrêt Théâtre : 2, 19

Pour l’Opéra des Nations (ODN)Arrêt Nations ou Sismondi : 15 – Arrêt Nations : 5, 8, 11, 22, 28, F, V, Z

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Le metteur en scène David Pountney et l’assistant metteur en scène Robin Tebbutt lors des répétitions au studio Stravinski en août 2015.

[ci-dessus]

Le baryton québécois Jean-François Lapointe incarne Guillaume Tell pour cette nouvelle production au Grand Théâtre de Genève.

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VOUS ÊTES SÛRS D’ATTEINDRE LE GRAND THÉÂTRE…

Les abonnés du Grand Théâtre bénéficient de la libre circulation en transports publics sur unireso Tout Genève, 2h avant et 2h après le spectacle.

Pour le Grand ThéâtreArrêt Place de Neuve : 12, 18 / 3 / 5, 36 – Arrêt Théâtre : 2, 19

Pour l’Opéra des Nations (ODN)Arrêt Nations ou Sismondi : 15 – Arrêt Nations : 5, 8, 11, 22, 28, F, V, Z

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Musicologue et critique, André Tubeuf est l’une des plumes les plus respectées du paysage musical francophone. ACT-O lui a donc proposé de se pencher sur l’œuvre à

propos de laquelle Beethoven aurait dit : « De tous mes enfants, c’est bien celui-là qui m’a donné le plus de tracas. »

* Jean-Claude Yon est professeur d’histoire contemporaine à

l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines où il dirige

le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC).

Il est également directeur d’études cumulant à l’École Pratique

des Hautes Études. Spécialiste d’histoire des spectacles du XIXème

siècle, il a notamment publié des biographies d’Offenbach (Gallimard,

2000, réédition 2010) et de Scribe (Librairie Nizet, 2000), ainsi qu’Une

histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la Grande Guerre

(Aubier, 2012).

* Bruno Messina mène conjointement des activités de chercheur, d’enseignant et de

directeur artistique. Lauréat du Prix Villa Médicis hors-les-

murs, il a dirigé la Maison de la musique (scène conventionnée)

à Nanterre et été professeur associé d’ethnomusicologie au CNSMD de Paris et professeur

d’Art et civilisation et d’Histoire de la musique au CNSMD de Lyon.

Directeur de l’Agence Iséroise de Diffusion Artistique, il porte de

nombreuses manifestations dont le Festival Berlioz. I  01   I  07  

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Offenbach et Berlioz ne s’étaient sûrement pas consultés, mais chacun de leur côté, en 1863, ils

se sont intéressés, l’un à l’origine du siège et de la prise de Troie évoqués dans l’Iliade, et l’autre à sa

suite épique, l’Énéide de Virgile. Ce sont donc deux œuvres presque exactement contemporaines que

le Grand Théâtre de Genève réunit à la manière du théâtre antique dans un doublé comico-

tragique : la satire délicieuse qu’est La Belle Hélène de Jacques Offenbach mise en scène par le

Neuchâtelois Robert Sandoz, et l’immense diptyque d’Hector Berlioz, Les Troyens (La Prise de Troie et Les Troyens à Carthage) porté par le maestro

Charles Dutoit et le Royal Philharmonic Orchestra. ACT-O vous emmène à la rencontre de ces deux œuvres, jumelles involontaires, qui illustrent la

richesse du théâtre antique.

[ci-dessus]

Images en 3D des projets de décors du scénographe Bruno de Lavenère pour cette nouvelle production de La Belle Hélène.

L’Enlèvement d’Hélène (détail)Francesco Primaticcio, 1533The Bowes Museum, Barnard Castle, Royaume-UniHuile sur toile

Galerie de dessins des personnages de cette

production de La Belle Hélène par la créatrice des costumes

Anne-Laure Futin.

O P É R A T I O N

* Jean-Claude Yon est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles

Saint-Quentin-en-Yvelines où il dirige le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines

(CHCSC). Il est également directeur d’études cumulant à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.

Spécialiste d’histoire des spectacles du XIXème siècle, il a notamment publié des biographies d’Offenbach (Gallimard, 2000, réédition 2010)

et de Scribe (Librairie Nizet, 2000), ainsi qu’Une histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la

Grande Guerre (Aubier, 2012).

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› La Belle Hélène Opéra-bouffe en 3 actes Jacques Offenbach Direction musicale

Gérard Daguerre Mise en scène

Robert Sandoz Scénographie

Bruno de Lavenère Costumes

Anne-Laure Futin Lumières

Stéphane Gattoni Avec Véronique Gens (Hélène) et Marc Barrard, Florian Cafiero, Magali Duceau, Fabrice Farina, Maria Fiselier, Raúl Giménez, Thomas Matalou, Seraina Perrenoud, Bruce Rankin, Patrick Rocca, Fabienne Skarpetowski, Erlend Tvinnereim

Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

L’Orchestre de Chambre de Genève Au Grand Théâtre de Genève du 14 au 25 octobre 2015

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pour éviter à Calchas d’être ainsi ridiculisé.Malgré ces difficultés diverses, la première représentation, le 17 décembre 1864, est un triomphe. Le critique de L’Univers illustré résume l’avis général quand il écrit : « Offenbach est à l’heure qu’il est le roi de la musique bouffe. » Au prix de quelques suppressions décidées par le musicien après la première, La Belle Hélène com-mence alors une carrière exceptionnelle. La centième est célébrée le 13 avril 1865 et les représentations ne s’arrêtent qu’à la fin du mois de mai pour reprendre en novembre. L’ouvrage est créé en allemand dès le 17 mars 1865, au Théâtre an der Wien. Offenbach a su trouver une interprète hors pair pour le rôle d’Hélène, Marie Geistinger. Vienne fête Die schöne Helena comme Paris avait fêté La Belle Hélène. Aux Variétés, la dernière représentation de l’ouvrage sous le Second Empire – la 351e – est donnée en octobre 1869. Il faut ensuite attendre septembre 1876 pour que La Belle Hélène soit reprise à Paris, sans Hortense Schneider qui a déjà pratiquement renoncé à la scène. Après Vienne, l’œuvre a très vite été créée dans le monde entier : Prague, Stockholm, Berlin, Graz, Genève, Bruxelles, Helsinki et Copenhague en 1865, Christiana, Lausanne et Londres en 1866, Constantinople, Milan, Saint-Pétersbourg et New York en 1867, Bâle et Naples en 1868, Le Caire, Varsovie, Madrid et Lisbonne en 1869, etc.

Parodie & féminisme Orphée aux Enfers avait choqué une partie de la critique, scandali-sée de voir l’Antiquité bafouée. Cette réaction était cependant res-tée largement minoritaire. Elle réapparaît face à La Belle Hélène. Dans Le Moniteur Universel, Théophile Gautier proteste : « La Belle Hélène froisse nos admirations et nos croyances d’artiste. […] Les dieux sont encore les dieux de l’art et chercher à ridiculiser les hé-

La création à Paris, le 17 décembre 1864 au Théâtre des Variétés, de La Belle Hélène, opéra-bouffe en trois actes, marque un tournant dans la carrière de Jacques Offenbach (1819-1880). C’est pour lui le début d’une période féconde et glorieuse où les chefs-d’œuvre se succèdent : Barbe-Bleue (1866), La Vie parisienne (1866), La Grande-Duchesse de Gérolstein (1867), La Périchole (1868), Les Brigands

(1869). Durant ces quelques années qui vont jusqu’à la guerre de 1870, Offenbach domine la vie théâtrale française et acquiert une célébrité mondiale. La Belle Hélène ouvre cette période excep-tionnelle, tout comme elle devient rapidement, sur les cinq conti-nents, le modèle de l’opérette parisienne.

Genèse et création Dès 1860, Offenbach pensait à un « pendant d’Orphée », comme il l’écrit à Ludovic Halévy. Profitant de la « liberté des théâtres » décré-tée par Napoléon III le 6 janvier 1864, il choisit de travailler avec une nouvelle salle, le Théâtre des Variétés. Pour préparer ce nouvel ouvrage (intitulé La Prise de Troie puis L’Enlèvement d’Hélène avant de prendre son titre définitif), Offenbach fait appel à son librettiste et ami le plus proche, Ludovic Halévy, qui avait écrit le livret d’Or-phée aux Enfers (1858) avec Hector Crémieux. Depuis 1860, Halévy collabore avec Henri Meilhac et leurs comédies sont très appréciées du public. La Belle Hélène doit être la première véritable colla-boration du trio. Durant l’été et l’automne 1864, le musicien, qui multiplie les voyages, ne cesse d’écrire à Halévy pour lui soumettre des idées. Il imagine par exemple une parodie de Tannhäuser ou pense transformer Homère en correspondant du Times – deux idées finalement abandonnées. Dans ses lettres, Offenbach est très

ros d’Homère, c’est presque blasphémer. » C’est précisément cette raillerie d’une Antiquité donnée comme « modèle » indépassable qui fait la modernité de l’opéra-bouffe d’Offenbach. Tandis que la peinture impressionniste prend la réalité comme sujet et montre « le côté épique de la vie moderne » (Baudelaire), l’opérette antique ramène l’Antiquité aux trivialités du quotidien et du contempo-rain. Les deux démarches sont complémentaires. Avec une grande perspicacité, Jules Vallès écrit à propos de La Belle Hélène : « Nous descendons des hauteurs de l’art solennel et vide dans le domaine de la bouffonnerie joyeuse. Bravo ! On fait bien de traîner devant la rampe et de livrer à la risée du peuple tous ces héros, ces dieux, qui depuis trois mille ans, six mille ans peut-être – on n’a jamais bien su ! – rôdent en caleçon abricot et en tricot de laine bleue, sans chaussettes, sur les planches d’un théâtre triste, où se tient la tradition comme un pompier. On nous dit que nous insultons le « vieil Homère ». Ah ! Ils me fatiguent avec leur vieil Homère ! […]On nous rassasie de gravité et de morale ! Merci à vous qui jetez pour contrepoids dans la balance la gaieté à pleines

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Entre Hélène et Hector...Partir pour Cythère...par Jean-claude YOn*

Operetta Ancient and ModernFirst performed in 1864, La Belle Hélène was a turning point in Jacques Offenbach’s career, sparking a series of hits that only abated with the 1870 Franco-Prussian War and creating the model par excellence of Parisian light opera. Offenbach wanted to follow his success with Orpheus in the Underworld by another work inspired by Ancient Greece, this time retelling the story of the fair Helena, the face that launched a thousand ships. Turning once again to his close friend and librettist of Orpheus, Ludovic Halévy, and Halévy’s comic collaborator Henri Meilhac, Offenbach’s fertile imagination bombarded his two partners with all sorts of satiric and zany ideas for their take on the Trojan War (imagining Homer as the war correspondent for the London Times, for instance). The Théâtre des Variétés had already drafted the comic diva Hortense Schneider to sing the title role, but La Snédèr’s strong personality was quick to sour the air in the rehearsals. The imperi-al censors also objected to the thinly veiled satire of the Catholic hierar-chy in the figure of the soothsayer Calchas, forcing Meilhac and Halévy to completely rewrite the finale of Act III. Despite all these obstacles, the premiere was a huge success, with critics praising the composer as “the king of comic music”. Within five months, La Belle Helène was on its 100th performance and versions were springing up all over the world, starting in Vienna in 1865 and going as far as Constantinople, Cairo and New York. A few critics, however, were shocked by Offenbach and friends’ cavalier attitude to Homer’s heroes (the great Théophile Gautier thought it “nothing short of blasphemy”), but that is precisely what makes Offenbach’s opéra-bouffe so modern. By colouring the Greek legends with trivial and mundane details of contemporary life, Offenbach and his team, in the words of the Communard journal-ist Jules Vallès, “did a fine job in making a popular laughing-stock of these gods and heroes who have been loitering on stage for thou-sands of years in their pathetic drag, under the dismal gaze of Tradition, keeping watch like a fire-fighter in the wings.” Offenbach, a revolution-ary? Unconsciously, perhaps, but definitely much more than just a composer of light musical entertain-ment. Perhaps the greatest scandal of La Belle Hélène is the way it rep-resents a “free” woman who dares to follow her heart and speak her mind even though she is surround-ed by blundering caricatures of masculinity. Pure and sensual, never vulgar, Helena (one of the greatest mezzo roles in operetta) is in many ways a prototype for Carmen and Offenbach’s masterpiece, a feminist classic before its time.

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confiant : « J’ai hâte de travailler à ce sujet ; ou je me trompe fort, ou nous pouvons espérer un succès pareil à celui d’Orphée. Ne ris pas, je suis sérieux » (25 août 1864). Pour interpréter le rôle-titre, les Variétés ont engagé Hortense Schneider. Le théâtre du boulevard Montmartre dispose en outre d’une excellente troupe comique.Les répétitions, il est vrai, sont un peu tendues. Hortense Schneider et Léa Silly (qui joue Oreste en travesti) se détestent et leurs disputes sont fréquentes. L’air d’entrée de Pâris (« le Jugement de Pâris ») doit être réécrit car il ne produit aucun effet à la répétition générale. En outre, la censure impériale (le décret sur la liberté des théâtres n’a en effet pas aboli la censure dramatique) intervient pour modifier de nombreux passages. Le troisième acte doit être entièrement réécrit. Les censeurs n’apprécient pas du tout le personnage de Calchas en qui ils voient une caricature déplacée du haut clergé. Dans le livret primitif, Meilhac et Halévy avaient fait embarquer le grand augure avec Hélène sur la galère de Cythère. Jeté à l’eau par les Troyens, Calchas revenait sur scène dénoncer la supercherie de Pâris. Tout ce final doit être réécrit

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UNE NOUVELLE SIMPLICITÉL’HORIZON ENNEIGÉE. LA VUE SUR LE LAC. LE PLAISIRDES SENS. UN AMBASSADEUR DU TERROIR GENEVOIS.UNE CUISINE SIMPLE ET MODERNE. LE JARDIN AU RICHEMOND.

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faire un choix, en espérant que le lecteur prolonge ce voyage avec Romain Rolland, Peter Bloom, David Cairns, Rémy Stricker et tant d’autres, dont Berlioz, écrivain de talent.

Alors nous choisissons de revenir à l’enfance, quand Berlioz s’occupait de latin et de géographie et qu’il rêvait des héros de l’antiquité et des mythes qui fondent la Méditerranée. Car on nous parle si souvent de Wagner et de sa gigantesque entreprise nordique qu’on en oublie parfois qu’avant lui, un Français si peu et mal reconnu dans son pays, qui inspira son art de l’instrumen-tation et son goût pour la démesure festivalière, avait réécrit le grand poème lyrique du Sud qui l’agitait depuis l’enfance. Et ce poème, cet opéra, qu’une carte situerait aujourd’hui en Grèce, en Tunisie, en Italie, rappelle aussi un espace commun riche de ses « méditerranées musicales » (pour reprendre une idée de Berlioz). Aussi, si on accepte comme on le fait à l’opéra, de transposer l’intrigue dans un décor d’aujourd’hui, on découvre que Berlioz et ses Troyens, rêvant de n’être plus migrants, accostant où les vents, bons ou mauvais, les ont menés et rêvant d’une cité (et l’idée est trop noble pour être désormais réduite à de tristes quartiers), portent un mythe éternel et un espoir de paix, d’amour, de liberté, ujours d’actualité. ■

L E R O Y A L P H I L H A R M O N I C O R C H E S T R A D E L O N D R E S & C H A R L E S D U T O I TPour vous faire réentendre un des chefs-d’œuvre de Hector Berlioz, nous aurons le privilège d’accueillir l’un des cinq orchestres symphoniques londoniens, l’Orchestre royal philharmonique qui appartient à une élite enviée, excusez du peu ! Fondé en 1946 par Thomas Beecham qui en devient le chef principal jusqu’à sa mort, le RPO sera en résidence au Grand Théâtre pour interpréter les deux volets des Troyens, inspirés par l’Énéide, une épopée lyrique qui répond à la satire de La Belle Hélène. Des chefs prestigieux ont présidé à la destinée de cet orchestre de rang planétaire, Rudolf Kempe, Antal Doráti, André Prévin, Vladimir Ashkenazy, ou encore Daniele Gatti. En 2009, le légendaire chef helvétique, Charles Dutoit devient le directeur artistique et le chef principal de cette sublime phalange musicale, tout en collaborant avec les plus grands orchestres du monde entier. Avec plus de 40 prix, dont 2 Grammy, le maestro peut s’enorgueillir de plus de 200 enregistrements. Une grande partie a été enregistrée avec l’Orchestre symphonique de Montréal dont il a été le directeur artistique pendant 25 ans. Voyageur infatigable, Charles Dutoit a visité plus de 195 pays, mais il revient toujours aux sources, en Romandie, pour diriger des concerts et assurer la direction musicale du Verbier Festival, depuis le départ de James Levine. De multiples raisons pour être des nôtres lors de ces concerts et pour être fier d’accueillir une formation orchestrale qui tourne dans le monde entier sous la baguette d’un enfant du pays, directeur de festivals et familier des grandes scènes lyriques (Vienne, Metropolitan, Berlin, Covent Garden…).

Bien sûr Les Troyens de Berlioz ne se préoc-cupent plus de la belle Hélène. Le mal est déjà fait ! L’action se déroule juste après : Cassandre annonce le désastre avant de s’immoler et le vaillant Énée n’a plus qu’à fuir, avec sa flotte, vers l’Italie. Évidemment, car Virgile aimait les films d’action (on peut se reporter à la joyeuse préface de Paul Veyne précédant sa nouvelle traduction

de l’Énéide), une tempête détourne l’équipage, le poussant sur l’autre rive, à Carthage, où règne la douce Didon. Inutile de dire que Virgile, qui aimait aussi les romans d’amour, ne tarde pas à jeter la veuve Didon dans les bras du vaillant Énée. Comme beau-coup d’hommes, en tout cas comme Hector (le musicien et non pas le roi tué par Achille), la « nuit d’ivresse et d’extase infinie » finie, Énée fut appelé par une passion plus grande encore, par un destin, une œuvre à accomplir. Et ce n’était pas rien : fonder une nouvelle cité. Pendant ce temps, malheureuse et on la comprend, Didon ne verra pas Rome mais décide de mourir à son tour sur un bûcher tout en se poignardant. Fin des Troyens.

La genèse des Troyens ne se situe pas en 1856, quand Berlioz, encouragé par la princesse Sayn-Wittgenstein, entreprend l’écri-ture du livret de cet opéra qu’il terminera en 1858 et devait le consoler (ce ne fut pas le cas) de l’échec de son autre chef-d’œuvre lyrique incompris, Benvenuto Cellini, près de 20 ans plus tôt. Comme toute l’œuvre de Berlioz, la genèse se situe dans l’enfance, à La Côte-Saint-André, dans les paysages du Dauphiné. C’est là, sur les genoux de son père, que Berlioz a entendu et appris les vers de Virgile. C’est là qu’il a eu ses premières émotions musicales et amoureuses. C’est là encore qu’il a rêvé de héros antiques, goûté aux plaisirs bucoliques (que Virgile avait chantés avant lui) et contemplé à l’horizon la barrière des Alpes qui lui cachait l’Ita-lie. Dès les premiers mots des Mémoires, le paysage est décrit et Virgile est convoqué avec une tendre ironie : « Pendant les mois qui précédèrent ma naissance, ma mère ne rêva point, comme celle de Virgile, qu’elle allait mettre au monde un rameau de laurier. Quelque douloureux que soit cet aveu pour mon amour-propre […] » Ou encore : « le poète latin, en me parlant de passions épiques que je pressentais, sut le premier trouver le chemin de mon cœur et enflammer mon imagination naissante. Combien de fois, expli-quant devant mon père le quatrième livre de l’Énéide, n’ai-je pas senti ma poitrine se gonfler, ma voix s’altérer et se briser ! » Déjà ce quatrième livre qui formera l’essentiel des Troyens à Carthage (acte III, IV et V), seule partie partiellement produite en public du vivant de Berlioz…

On devrait détailler l’époque et le contexte dans lesquels se crée cette épopée virgilienne aux accents shakespeariens, revenir aux amours de Berlioz, à ses rivalités professionnelles, à ses positions esthétiques, sa passion pour Gluck notamment. On devrait s’arrêter sur les formidables inventions musicales qui traversent cet opéra et le poème symphonique qui se joue, par moment, dans ou à côté du texte chanté, convoquant alors des références pastorales, des effets imitatifs et des couleurs orchestrales aussi singulières et saisissantes que celles de la Symphonie fantastique par exemple. Parler encore des lignes mélodiques, du chant d’Énée et du duo avec Didon, l’un des plus beaux et doux du répertoire lyrique français. On devrait aussi montrer combien cette œuvre est inclassable, paradoxale, géniale, à la fois traditionnelle et moderne, inouïe, si berliozienne donc. Mais la longueur de cette présentation oblige à

par BrunO Messina*

... et perdre le Nord.

mains, et qui attachez des grelots d’argent au plat de fer ! »Ce texte extraordinaire transforme presque Offenbach en un musicien révolutionnaire, ce que celui-ci n’a été, à vrai dire, que de façon inconsciente… Il a le mérite en tout cas de nous rappeler que le répertoire offenbachien, sans jamais oublier d’être plaisant et séduisant, dépasse de beaucoup le simple divertissement.La Belle Hélène, en outre – et surtout –, a pu apparaître scanda-leuse à sa création par l’extraordinaire portrait de femme qu’elle propose. En cela, l’œuvre est supérieure à Orphée aux Enfers où les sentiments sont peu présents. La Belle Hélène, au contraire, montre une femme « libérée » qui laisse parler son cœur, sans hypocrisie. La fatalité qu’elle invoque sans cesse n’est autre que le courage d’oser être soi-même. Sensuelle et pure à la fois, Hélène est une des plus belles créations d’Offenbach et elle n’est pas sans annoncer Carmen. Hortense Schneider, par son magnétisme, a su

d’emblée donner toute sa stature à un rôle pour lequel Offenbach a composé des pages d’une grande beauté. En 1886, Jules Lemaître évoquera justement « cette musique si fine, si légère, si élégante dans ses caprices les plus hardis, j’allais dire si attique ». Hélène, dont la sensualité n’est jamais vulgaire, est dotée d’une noblesse naturelle d’autant plus manifeste que la reine de Sparte est entou-rée de personnages masculins (Pâris y compris) qui ne sont que de risibles caricatures. Aussi La Belle Hélène peut-elle passer pour une pièce féministe avant l’heure. À côté d’une amusante parodie de l’Antiquité (et sans les allusions à l’actualité du Second Empire qu’on prétend souvent, à tort, y trouver), cette première collabo-ration entre Offenbach, Meilhac et Halévy offre un des rôles de mezzo-soprano les plus riches de tout le répertoire d’opéra-bouffe et constitue, à coup sûr, le chef-d’œuvre de l’opérette antique et un des sommets du répertoire offenbachien. ■

Southward boundBy the time Berlioz’s Les Troyens begins, the “Belle Hélène” busi-

ness is over: Cassandra throws herself into the burning ruins of

Troy (“I told you so!”) and Aeneas escapes with his family and fleet

to Italy, with an action-packed romantic detour via Carthage

where the hero spends an “intox-icating night of infinite ecstasy”

with Queen Dido, only to ditch her the very next day, called by

nobler pursuits (“I have to found Rome, you know!”), leading the

poor woman to stab herself on a funeral pyre, as one does in such

circumstances.Although Berlioz started writ-ing the text for Les Troyens in

1856, the real leg-work began 20 years earlier in his childhood

home of La Côte-Saint-André, near Grenoble, as his father read

Vergil’s Aeneid to him and the boy Hector dreamt of the bucolic

joys of Italy, hidden behind the looming peaks of the Alps on the horizon. “The Latin poet,

writes Berlioz, (…) was the first to open a path into my heart

and set my young imagination on fire.” Les Troyens is so many

things at once: an opera, a tone poem, an epic homage to Vergil

with Shakespearian tones, an amazing palette of orchestral

colours, one of the most gently ravishing love duets in French

opera between Aeneas and Dido, musically inventive, full of para-dox and genius, modern and yet traditional, in short, very much in the image of Berlioz himself.

To understand it, one needs to go back to the dreams of Berlioz’s youth: ancient heroes and the

great Mediterranean myths. Before Wagner embarked on his

gigantic Nordic saga, Berlioz was southward bound, writing the epic

of a migrant people, tossed by waves and winds, both fair and

ill, dreaming of a noble city and a culture of peace, love and liberty,

that is more relevant than ever with us today.

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suite de la page précédente

O P É R A T I O N E N T R E H É L È N E E T H E C T O R

› Les Troyens Grand opéra en 5 actes et 2 parties Hector Berlioz en version de concert

Direction musicale Charles Dutoit

Avec Sergey Semishkur, Tassis Christoyannis, Brandon Cedel, Günes Gürle, Dominick Chenes, Amelia Scicolone, Michaela Martens, Clémentine Margaine, Dana Beth Miller, Jonathan Stoughton, Michail Milanov, Jérémie Schütz

Chœur du Grand Théâtre de Genève

Direction Alan Woodbridge

Royal Philharmonic Orchestra de Londres

Au Grand Théâtre de Genève du 15 au 22 octobre 2015

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* Bruno Messina mène conjointement des activités de chercheur, d’enseignant et de

directeur artistique. Lauréat du Prix Villa Médicis hors-les-

murs, il a dirigé la Maison de la musique (scène conventionnée)

à Nanterre et été professeur associé d’ethnomusicologie au CNSMD de Paris et professeur

d’Art et civilisation et d’Histoire de la musique au CNSMD de Lyon.

Directeur de l’Agence Iséroise de Diffusion Artistique, il porte de

nombreuses manifestations dont le Festival Berlioz.

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UNE NOUVELLE SIMPLICITÉL’HORIZON ENNEIGÉE. LA VUE SUR LE LAC. LE PLAISIRDES SENS. UN AMBASSADEUR DU TERROIR GENEVOIS.UNE CUISINE SIMPLE ET MODERNE. LE JARDIN AU RICHEMOND.

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Aux sourceschinoises du théâtre moderne

par cHristOpHer park

Il n’y a pas de caractère chinois pour « opéra ». Le mot chinois gējù qui désigne une œuvre comme Turandot ou Carmen, est un néologisme qui combine le caractère 歌 (gē, le chant) et 剧 (jù, l’œuvre dramatique). Alors, qu’est ce qu’un « opéra de Pékin » en chinois ? Composé des caractères 京 (jīng, la capi-tale, par extension : Pékin) et 剧 (jù, l’œuvre dramatique), le mot jīngjù désigne une forme de théâtre musical traditionnel qui apparaît au XVIIIème siècle dans la capitale impériale et

qui est l’évolution du Kūnqŭ (昆曲), un genre plus ancien, venu des provinces de l’Anhui et du Jiangsu. Le jīngjù, qui combine chant, musique, danse acrobatique, jeu scénique et costumes flam-boyants, met en scène des récits tirés de l’histoire, de la littéra-ture ou du folklore chinois. Apprécié par les derniers empereurs Qing, l’opéra de Pékin a néanmoins survécu aux vicissitudes de la modernité chinoise. Même la Révolution culturelle n’a pas su s’en débarrasser : l’épouse de Mao faisait jouer des « opéras de Pékin modernes et révolutionnaires » qui employaient ses techniques de voix et de jeu si particulières. L’opéra de Pékin est – pour le meilleur et pour le pire – l’art scénique traditionnel chinois le plus connu à travers le monde.

Car pour le spectateur européen moyen, l’opéra de Pékin n’a pas l’abord facile. Tout en lui est aliénant : sa vocalité souvent stridente, la sobriété de ses accompagnements musicaux et de sa scénogra-phie qui contraste avec la démesure décorative de ses costumes, ses mélodies répétitives et étourdissantes, l’intense tapage métallique de ses percussions, ses sujets historiques ou fantastiques dont la plupart nous sont inconnus… Comme les œufs de cent ans ou la salade de méduse, ne s’agirait-il pas d’une chinoiserie un peu trop exotique pour notre goût occidental ? On peut répondre à cela en disant que les habitudes culturelles et esthétiques sont faites pour être bousculées et que si on les laissait dicter notre vie, personne n’aurait jamais mangé d’huîtres ou de roquefort. Ensuite, l’opéra de Pékin est fascinant pour des raisons à la fois historiques et artistiques et que l’occasion d’en voir en dehors de Chine est si rare qu’elle ne doit pas être manquée quand il vient chez nous.

Ce sens de l’occasion rare devait certainement animer Bertolt Brecht quand il fut invité, lors d’un voyage à Moscou en 1935, à assister à une représentation d’extraits d’opéras de Pékin donnés par le plus grand de tous les artistes de ce genre, Mei Lanfang. Mei était un spécialiste des rôles féminins (旦, dàn) interprétés traditionnellement à Pékin par des hommes travestis, depuis que l’empereur Qianlong avait interdit en 1772 aux femmes de jouer dans les théâtres de la capitale impériale. Le jeu de Mei Lanfang frappa Brecht à plus d’un titre : travestissement du costume et de la voix, économie quasi rituelle de l’expression des émotions, précision formelle absolue du geste éloignant à la fois l’interprète et le spectateur d’une implication trop personnelle dans la fiction d’une narration et le drame de ses personnages. Pour Brecht, la découverte est radicale. Ce voyage à Moscou va lui révéler un art scénique inconnu au moment où il découvre la théorie de l’ostranienij effekt (остранение эффект) – l’effet d’« étrangéisation » – du formaliste russe Victor Chklovski. À la suite de cette double rencontre, le terme de Verfremdungseffekt, « l’effet d’aliénation », va apparaître dans les textes théoriques de Brecht, pour signifier une forme de théâtre qui encourage la distanciation émotionnelle, pour réfléchir de manière critique et objective au sens du drame, au lieu de chercher une distraction de la réalité individuelle, qui est le but du théâtre conventionnel.

Sur les traces de Brecht, notre aliénation de l’opéra de Pékin pour-rait donc aussi être conçue comme un point de départ positif pour apprécier les deux œuvres que la troupe du Jingju Theater Company of Beijing présente au Grand Théâtre. Cette troupe d’interprètes chevronnés, affiliée à la municipalité de Pékin, sera en scène au

› Opéra de Pékin Accueil du Jingju Theater Company

of Beijing Ensemble

Les Femmes générales de la famille Yang

Mu Guiying Li Hongyan

She Taijun Kang Jing

Zhu Qiang Kou Zhun

Yang Hong Huang Boxue

L’Empereur Ni Shengchun

Au Grand Théâtre de Genève Samedi 31 octobre 2015 à 19 h 30

La Légende du Serpent blanc

Bai Suzhen Wang Yi

Xu Xian Bao Fei

Xiao Qing Zhang Shujing

Au Grand Théâtre de Genève Dimanche 1er novembre 2015 à 15 h

Grand Théâtre pour deux soirées, représentant deux œuvres diffé-rentes, également célèbres et appréciées du public chinois du jīngjù, chacune représentant un genre de drame distinct.

Le 31 octobre, Les Femmes générales de la famille Yang (杨门女将, Yáng Mén Nü Jiàng) reflète la fascination des Chinois pour les récits historiques de bravoure militaire, qu’on retrouve dans tant de films de sabre chinois, comme Hero (2004) de Zhang Yimou, mettant en scène Jet Li et Zhang Ziyi. L’histoire se déroule autour de l’an mil, alors que la dynastie Song règne sur la Chine, tout en se faisant harceler sur sa frontière nord-ouest par le peuple nomade des Xia occidentaux. Dernier rejeton d’une famille militaire couverte de gloire, le général Yang Zongbao est tué par une flèche dans une escarmouche, laissant l’armée impériale sans commandement. She Saihua, la grand-mère déjà centenaire du général, Mu Guiying, sa veuve, ainsi que d’autres veuves de la famille Yang, se dévouent alors pour prendre la tête de l’armée et résister à l’envahisseur, défendant ainsi l’honneur de la famille dans laquelle elles s’étaient mariées. Déjà le sujet de nombreux opéras traditionnels locaux, l’histoire atypiquement féministe des générales de la famille Yang était l’une des préférées de l’impéra-trice douairière Cixi qui en avait commissionné une version en opéra de Pékin dont la révolte des Boxers interrompit la composi-tion. Elle ne fut achevée qu’en 1960, par le compositeur moderne Du Mingxin, dans la version que nous entendrons au Grand Théâtre. Lorsque l’Orchestre philharmonique de Chine fut fondé en 2000, la première œuvre qu’il commissionna fut une version symphonique de son opéra de Pékin au même Du Mingxin, en une ouverture, trois mouvements et un épilogue.

Le 1er novembre, c’est l’une des histoires les plus aimées de la Chine qu’on représente : La Légende du Serpent Blanc (白蛇传,Bai She Zhuan) qui se déroule dans l’un des plus célèbres paysages chinois, le Lac de l’Ouest à Hangzhou. L’esprit du Serpent Blanc, caché dans le corps d’une belle demoiselle, Bai Suzhen, et Xiao Qing, sa jeune camériste et esprit du Serpent Vert, y font la rencontre du beau jeune lettré Xu Xian, après avoir accidentellement avalé des pilules de longévité taoïstes qui font que leurs destinées s’entre-lacent. Bai Suzhen et Xu Xian se marient et vivent heureux mais la jalousie de Fahai, moine du Temple de la Montagne d’Or, fera tout pour les séparer. Il convainc Xu de faire boire à sa femme du vin de réalgar ; celle-ci redevient alors serpent. Choqué, le jeune homme meurt. Suzhen et Xiao Qing partent alors sur la montagne sacrée du Mont Emei pour trouver un champignon magique avec lequel elles vont ressusciter Xu Xian.Cette sorte de Tristan et Yseult chinois est le sujet de l’un des grands opéras de Pékin, écrit en 1952 par l’illustre dramaturge (et auteur des paroles de l’hymne national chinois) Tian Han. En dix tableaux, à travers un jeu fait de pantomimes, d’acrobaties d’une grande dextérité, de scènes tantôt lyriques et séduisantes, tantôt martiales et emportées, La Légende du Serpent blanc offre le meil-leur de cet art fait de force et de raffinement, plaisant autant au petit peuple pékinois qu’à ses souverains mandchous – en passant par Bertolt Brecht  – qu’est l’opéra de Pékin. ■

Wang Yi interprète le rôle de Bai Suzhen, l’Esprit du Serpent blanc, dans l’opéra de Pékin La Légende du Serpent blanc.

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Aux sourceschinoises du théâtre moderne

Le Chœur illumine l’enfant Ravel

* Marie Chabbey a obtenu un « master de concert de guitare » à la Haute École de Musique de Lausanne ainsi qu’un « master de musicologie » à l’université de Genève. Depuis 2012 elle est adjointe scientifique au département de recherche et développement de la Haute École de Musique de Lausanne. À la rentrée académique 2015-16, elle rejoindra le programme en Sciences humaines et sociales de l’EPFL en tant que maître d’enseignement et de recherche.

› L’Enfant et les Sortilèges

Fantaisie lyrique en 2 parties Maurice Ravel en version de concert

Direction musicale Charles Dutoit

Avec François Piolino, Julien Behr,

David Wilson-Johnson, Kathleen Kim, Khatouna Gadelia, Julie Pasturaud, Daniela Mack, Hanna Hipp, Elliot Madore.

Maîtrise du Conservatoire de Genève Direction Magali Dami & Serge Ilg

Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Orchestre de la Suisse Romande Au Victoria Hall Mercredi 28 octobre 2015 à 20 h Au Théâtre Beaulieu de Lausanne Jeudi 29 octobre 2015 à 20 h 15

En première partie L’Heure espagnole Comédie musicale en un acte

En coproduction avec l’OSR

[ci-dessous]

Projet de costume de chat par Paul Colin pour une production à l’Opéra de Paris en 1939 de L’Enfant et les Sortilèges.

[ci-dessus]

Le Chœur du Grand Théâtre de Genève sur la scène de Neuve en juin 2015.

C’est sous la baguette du Maestro Charles Dutoit, lors de sa deuxième apparition automnale genevoise,

et préparé par son chef Alan Woodbridge, que le Chœur du Grand Théâtre se fera l’écho de la thématique

développée dans ce numéro d’ACT-O  : l’enfance. Colette et Ravel nous conduisent ici sur le fil du rasoir qui

sépare le « bon » du « mauvais », les émerveillements des trépignements enfantins de L’Enfant et les Sortilèges.

Complexité sur laquelle se penche la musicologue Marie Chabbey.

I L S S ’ A I M E N T . . . I L S M ’ O U B L I E N T . . . J E S U I S S E U L . . . M A M A N !

L’Enfant et les Sortilèges (1925), fantaisie lyrique de Ravel sur un livret de Colette, est souvent qualifié d’éducation sentimentale miniature. De la genèse tourmentée de l’œuvre, il est bon de retenir que Ravel, aussi bien que Colette, ont conçu L’Enfant avec l’intense douleur de la récente perte de leurs mamans. L’œuvre met en scène un enfant « méchant », dont on ignore le prénom, qu’un apprentissage prenant la forme d’un parcours initiatique, contribue à rendre « bon ». C’est grâce à la subtilité avec laquelle les auteurs traitent de cette thématique que l’œuvre incite l’auditeur à une réflexion sur l’amour et la compassion.Puni, enfermé dans sa chambre par sa maman alors qu’il refuse de « faire » sa page, l’enfant est pris d’une « frénésie de perversité » qui le pousse à s’attaquer aux animaux et à démolir les objets à sa portée. Il détruit ceux qu’il déteste, comme son cahier d’arithmétique, mais aussi ceux qu’il affec-tionne, sa tasse chinoise, son livre de contes. Il tire la queue du chat et tente de piquer l’écureuil avec sa plume. Colette, alors jeune maman, décrit de façon réaliste et très moderne, la capacité d’un enfant à être aussi méchant que peut l’être un adulte: volontairement violent, cruel, il éprouve de la satisfaction à se mettre dans un état de rage, « Je suis très méchant ! […] Hourrah ! […] méchant et libre !». Un tel parti pris contraste radicalement avec une vision idéalisée de l’enfance, synonyme de paradis perdu, de totale innocence, qui caractérise une grande partie du répertoire musical.Pour le garnement de Colette et Ravel, les effets d’une telle attitude ne se font pas attendre ; les sortilèges s’enchaînent ! Fauteuil en tête, les objets, puis les animaux du jardin s’animent tour à tour pour incriminer, menacer et mettre l’enfant face aux conséquences désastreuses de ses actes : l’horloge brisée sonne à tout va, la blessure de l’arbre « saigne encore de sève »… Dès le début de ces phénomènes fantastiques, nous basculons dans un monde féérique, classiquement associé à l’univers des contes enfantins, qui contraste fortement avec le réalisme de la première scène.Jalonné de cris, d’onomatopées, d’erreurs de prononciation ou de calcul, le texte de Colette semble sortir de la bouche d’un bambin, installant le spectateur dans une situation de complicité amusée. Ainsi, le langage des objets est typé, celui des animaux imitatif. Musicalement, le discours du garçon, puis de tous les protagonistes, est imprégné par l’intervalle de quarte juste. Cet élément mélodique, si souvent considéré comme l’intervalle de l’enfance, est récurrent dans les comptines, les berceuses, et se retrouve dans nombres d’œuvres lyriques qui mettent en scène un enfant, ou thématisent son univers ; c’est notamment le cas chez Berg, Debussy, Britten. Dans cette création, Ravel l’utilise avec subtilité, tant pour les paroles les plus tendres (« maman ») que pour les plus violentes, (« méchant ») et en fait un principe unificateur.Intimement liée au répertoire des comptines et des jeux chorégraphiés, la danse fait, selon certains spécialistes, immanquablement référence

au comportement naturel des bambins : ne dansent-ils pas davantage qu’ils ne marchent ? Cet élément clé de l’architecture de l’opéra est également essentiel à la caractérisation du monde de l’enfance. Rappelons-nous que la librettiste avait provisoirement titré son ouvrage « Ballet pour ma fille ». Ravel associe les différentes formes de danses (valse, rondo, menuet…) à l’esthétique du pastiche pour souligner la construction de l’œuvre en une suite de tableaux et augmenter les contrastes entre les épisodes, comme le titre de « fantaisie » le sous-entend.

C’est dans cet univers subtil, jouant sur les clichés, que notre « enfant au talon méchant » va apprendre l’importance de l’amour et de la compassion. Lorsque la princesse sort du livre de contes déchiré, le ton change, le lyrisme de la voix soutient un texte poétique, le babil est abandonné. Il n’est d’ailleurs plus question de danser : l’enfant découvre un sentiment amoureux qui le rapproche du monde des adultes (« dans mes bras, viens ! »). Mais la princesse le repousse ! Il a détruit le livre, son avenir est compromis. Le sentiment de rejet que ressent le garçon s’intensifie alors qu’un couple de chats se lance d’amoureux miaulements et atteint son apogée dans le jardin, lieu où les animaux s’aiment et vivent en harmonie. Coupable, accablé de remords, seul, oublié, l’enfant appelle sa maman, en vain. Solidaire dans la douleur, le monde animal se lance à l’assaut du garçon. Il n’en sort pas indemne, mais arrive à panser la patte d’un écureuil blessé dans la cohue. Cet acte de compassion calme les animaux : « il est bon l’enfant, il est sage ». Ne sachant comment le réconforter, tous unissent leur voix pour chanter ce mot d’enfant, « maman », et appeler celle qui saura le réconforter, l’apaiser et le rassurer.Si cette œuvre est aujourd’hui souvent présentée à un jeune public, il est important de souligner qu’elle s’adresse aux adultes et que le rôle principal est interprété par une adulte (mezzo-soprano). Considéré comme un éternel enfant par ses amis, traumatisé par la Grande Guerre, privé de l’affection de sa mère, Ravel nous plonge dans un univers teinté de naïveté si sophistiquée qu’il nous tend naturellement un miroir. L’œuvre peut être lue comme un acte militant d’un rescapé, un hymne au pacifisme : il n’est jamais trop tard, grâce à l’amour et à la compassion, l’homme, comme l’enfant, peut s’améliorer. Marie Chabbey

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Entretien avec GuY deMOle & luc arGand par MatHieu pOncet

Mathieu Poncet Monsieur Guy Demole, vous avez joué un rôle déterminant lors du délocalisation du Grand Théâtre en 1997/1998. Pourriez-vous nous évoquer cette aventure ?

Guy Demole La situation relative aux travaux du Grand Théâtre en 1997/1998 et à son déménagement était en effet très diffé-rente de ce que nous vivons aujourd’hui. À cette époque la délo-calisation de notre institution et les travaux de la place de Neuve durèrent dix mois seulement et engendrèrent une situation bud-gétaire moins complexe. Déjà avant son arrivée en 1995, Renée Auphan était informée des circonstances et elle put immédiate-ment se mettre à la recherche d’un lieu d’accueil. Alors que la Comédie, l’Aréna et l’Alhambra se révélaient inadaptés, l’idée de transformer le Bâtiment des Forces Motrices a germé dans nos esprits. Ce lieu avait l’avantage de ne pas avoir d’affectation – il était libre – et de se trouver à proximité de la place de Neuve et des ateliers de la rue Sainte-Clotilde. Il faut également rappeler que du-rant cette période 1997/1998, l’administration du Grand Théâtre a pu conserver une partie de ses bureaux de la Place de Neuve. Le BFM a quant à lui accueilli les artistes, le personnel nécessaire à leurs prestations ainsi que les équipes techniques dévolues au pla-teau. À ce propos c’est avec plaisir que je me souviens de l’ambiance sympathique qui régnait entre les artistes et les équipes du Grand Théâtre qui appréciaient ce lieu aquatique baigné de soleil.J’avoue que j’avais toujours aimé le bâtiment érigé par mon arrière-grand-père Théodore Turrettini, ingénieur et Conseiller administratif. Ce bâtiment avait été conçu en 1886 pour réguler le niveau du lac et surtout pour alimenter la ville en eau potable ou en eau motrice. J’ai ainsi souhaité pérenniser ce lieu et donner à Genève la salle qui manquait au centre de la ville tout en dévelop-pant culturellement ce quartier. Ce bâtiment était disponible, je me suis donc assuré de l’accord du Conseil d’État, et avec l’appui remarquablement efficace de Philippe Joye (Conseiller d’État de 1993 à 1997) et de Renée Auphan, tous les trois nous nous sommes totalement impliqués dans l’aventure. Nous avons man-daté l’architecte Bernard Picenni et conçu un projet qui conserve depuis la salle les magnifiques vues sur le Rhône, et qui offre une jauge de près de 1000 places et des espaces publics pouvant accueillir 600 personnes. Cet aménagement du BFM dura de l’automne 1996 à fin août 1997, et dès septembre les productions purent se dérouler au BFM sur toute la saison.Enfin, grâce à l’appui bienveillant de Jacqueline Burnand (Conseillère administrative de 1987 à 1999), alors que les restau-rations des cintres n’étaient pas totalement terminées, le Grand Théâtre put néanmoins réintégrer la place de Neuve en septembre 1998 et débuter la saison 1998/1999 avec Der Rosenkavalier de Richard Strauss.

MP À ce propos, la programmation 1997/1998 a-t-elle été per-turbée par ce déménagement ?

GD Le Grand Théâtre assura la programmation sans difficulté puisque, comme je l’ai déjà mentionné, Renée Auphan fut avertie de la situation avant son entrée en fonction. La proximité géo-graphique des différents lieux simplifia fortement le travail de l’Institution. Cette aventure fut perçue par toutes et tous comme un défi stimulant. Renée Auphan proposant des œuvres adaptées au plateau, à la fosse et à la jauge de cette nouvelle salle. La saison débuta avec Orphée aux enfers d’Offenbach, puis Mithridate de Mozart, La Fille du régiment de Donizetti, Les Fiançailles au couvent de Prokofiev, Madama Butterfly de Puccini et Xerxès de Haendel. Seuls La Damnation de Faust de Berlioz et Le Trouvère de Verdi furent donnés en version de concert au Victoria Hall. À cela s’ajoutèrent les récitals et les ballets et on a pu consta-ter que les choix de la Directrice générale s’adaptaient particuliè-rement bien à la particularité du lieu.La programmation joua avec les spécificités du BFM et le public réagit très positivement. Le lieu et la taille de la salle créèrent une proximité qui rendit plus chaleureux les rapports entre les artistes et les mélomanes.

MP Maître Luc Argand, quelles sont les différences majeures qui existent entre les travaux réalisés en 1997/1998 et ceux prévus en 2016 ?

Luc Argand Je n’étais pas impliqué dans l’aventure de 1997, mais je crois pouvoir dire que la différence majeure provient du fait que les travaux de cette période furent particulièrement dévo-lus à la modernisation de la machinerie du haut (des cintres), ce à quoi il faut ajouter la réfection de la salle et du hall d’entrée.Toutes ces modernisations et ces rénovations furent immédia-tement perceptibles par nos publics, tant au niveau de la perfor-mance artistique que du confort.En 2016, les travaux concerneront essentiellement la rénovation des espaces et lieux de travail des équipes, la mise aux normes techniques et de sécurité. Les mélomanes ne percevront que peu l’incidence de ces travaux, hormis bien évidemment la régulation d’une température agréable dans la salle. Il est alors important que nos publics comprennent l’importance de ces transforma-tions puisqu’une institution complexe comme la nôtre doit être performante dans tous ses secteurs d’activité.

MP Quelles sont les spécificités du déménagement de 2016 et ses conséquences sur la programmation ?

LA La particularité du déménagement de 2016 tient dans la définition même du lieu qui nous accueillera : un théâtre éphé-mère, forain. Une structure « légère » a priori plus facile à réaliser que lors du déménagement de 1997. Mais en fait le chantier du BFM était plus proche d’un aménagement, d’une restructuration, alors que la mise en place de l’Opéra des Nations s’apparente à une

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Mécènes en scène« Lorsque l’enfant paraît… » Les vers de Victor Hugo semblent décrire les destinées croisées de l’enfant qu’est le Grand Théâtre, ses parents – la Ville de Genève – et le « Cercle de famille », toujours prêt, non seulement à applaudir, mais aussi à intervenir, comme autant de parrains et marraines, soucieux que leur filleul s’épanouisse dans les meilleurs conditions possibles. Comme à l’heure où le projet magnifique d’un opéra fluvial émergeait des chantiers techniques de 1997, le Cercle est à nouveau présent pour défendre et soutenir l’ambitieuse migration vers le futur Opéra des Nations. Pour évoquer ces défis passés et présents, ACT-O a rencontré Guy Demole et Luc Argand, figures incontournables du Cercle du Grand Théâtre.

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Vue de l’extérieur de la salle en construction au BFM en 1997

et une vue panoramique de la construction de l’OdN cet été.

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BureAu

M. Luc Argand, présidentM. Pierre-Alain Wavre, vice-présidentM. Jean Kohler, trésorierMme Véronique Walter, secrétaireMme Françoise de Mestral

Autres MeMBres du coMité

Mme Claudia GroothaertMme Vanessa Mathysen-GerstMme Coraline Mouravieff-ApostolMme Brigitte VielleM. Gerson Waechter

MeMBres BienfAiteurs

M. et Mme Luc ArgandM. et Mme Guy DemoleFondatation de bienfaisance du groupe PictetFondation Hans WilsdorfM. et Mme Pierre KellerBanque Lombard Odier & Cie SAM. et Mme Yves OltramareMrs Laurel Polleys-CamusM. et Mme Adam SaïdUnion Bancaire Privée – UBP SAM. Pierre-Alain WavreM. et Mme Gérard Wertheimer

MeMBres individuels

S. A. Prince Amyn Aga Khan Mme Diane d’ArcisS. A. S. La Princesse Etienne d’ArenbergMme Dominique ArpelsM. Ronald AsmarMme René AugereauMme Véronique BarbeyMme Christine Batruch-HawrylyshynMme Maria Pilar de la BéraudièreM. et Mme Philippe BertheratMme Antoine BestM. et Mme Rémy BestMme Saskia van BeuningenMme Françoise BodmerM. Jean BonnaProf. et Mme Julien BogousslavskyMme Christiane BoulangerMme Clotilde de Bourqueney HarariComtesse Brandolini d’AddaMme Robert BrinerM. et Mme Yves BurrusMme Caroline CaffinM. et Mme Alexandre Catsiapis

Mme Maria Livanos CattauiMme Muriel Chaponnière-RochatM. et Mme Julien ChatardM. et Mme Neville CookM. Jean-Pierre CubizolleM. et Mme Claude DemoleM. et Mme Olivier DunantMme Denise Elfen-LaniadoMme Maria EmbiricosMme Diane Etter-SoutterMme Catherine Fauchier-MagnanMme Clarina FirmenichM. et Mme Eric FreymondMme Elka Gouzer-WaechterMme Claudia GroothaertM. et Mme Philippe Gudin de La SablonnièreMme Bernard HacciusMme Théréza HoffmannM. Patrick Houitte de la ChesnaisM. et Mme Philippe JabreM. et Mme Eric JacquetM. Romain JordanMme Madeleine KogevinasM. et Mme Jean KohlerM. David LachatM. Marko LacinMme Michèle LarakiM. et Mme Pierre LardyMme Eric LescureMme Eva LundinM. Bernard MachMme France Majoie Le LousM. et Mme Colin MaltbyMme Catherine de MarignacM. Thierry de MarignacMme Mark Mathysen-GerstM. Bertrand MausM. Olivier MausMlle Lizy MaymardMme Béatrice MermodM. et Mme Charles de MestralM. et Mme Francis MinkoffMme Jacqueline MissoffeM. et Mme Christopher Mouravieff-ApostolMme Pierre-Yves Mourgue d’AlgueM. et Mme Philippe NordmannM. et Mme Alan ParkerM. et Mme Shelby du PasquierMme Sibylle PastréM. Jacques PerrotM. et Mme Wolfgang Peter Valaizon M. et Mme Gilles Petitpierre

M. et Mme Charles PictetM. et Mme Guillaume PictetM. et Mme Ivan PictetM. et Mme Jean-François PissettazMme Françoise PropperComte de ProyartMme Ruth RappaportM. et Mme François ReylM. et Mme Andreas RötheliM. et Mme Gabriel SafdiéComte et Comtesse de Saint-PierreM. Vincenzo Salina AmoriniM. et Mme Paul SaurelM. Julien SchoenlaubMme Claudio SegréBaron et Baronne SeillièreM. Thierry ServantMarquis et Marquise Enrico SpinolaMme Christiane SteckM. et Mme Riccardo TattoniM. et Mme Kamen TrollerM. et Mme Gérard TurpinM. et Mme Jean-Luc VermeulenM. et Mme Julien VielleM. et Mme Olivier VodozMme Bérénice WaechterM. Gerson WaechterMme Stanley WalterM. et Mme Lionel de WeckMme Paul-Annik Weiller

MeMBres institutionnels

1875 Finance SABanque Pâris Bertrand Sturdza SAChristie’s (International) SACredit Suisse SAFBT Avocats SAFondation BruGivaudan SAH de P (Holding de Picciotto) SAJT International SA Lenz & StaehelinMKB Conseil & CoachingSGS SAVacheron Constantin

Organe de révision : Plafida SACompte bancaire N° 530 290 MM. Pictet & Cie

Rejoignez-nous !Nous serions heureux de vous compter parmi les pas-sionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assu-rance de bénéficier d'une priorité de placement, d'un vestiaire privé, d'un service de billetterie personna-lisé et de pouvoir changer de billets sans frais. Vous participerez chaque année au dîner de gala à l’issue de l’Assemblée Générale et profiterez des cocktails d’entracte réservés aux membres. De nombreux voyages lyriques, des conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra », des visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre et des rencontres avec les artistes vous seront proposées tout au long de la sai-son. Vous pourrez assister aux répétitions générales et bénéficierez d'un abonnement gratuit à ce maga-zine. Vous recevrez également tous les programmes de salle chez vous.

Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné

pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises

qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique,

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Cercle du Grand Théâtre de Genève

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construction. Le déplacement depuis Paris des éléments de ce futur théâtre, leur stockage, les discussions juridiques et poli-tiques relatives au lieu d’accueil de cette structure, puis l’adapta-tion de cette salle aux normes helvétiques ont considérablement compliqué les étapes de notre déménagement. Ces paramètres « éphémères » ont par conséquent eu une forte incidence sur la conceptualisation de la programmation. Notre Directeur général a dû à de nombreuses reprises revoir ses programmes, un grand nombre de variables changeant réguliè-rement. Bien heureusement, depuis que le choix du lieu d’accueil s’est porté sur le Parc Rigot, la situation s’est détendue et la pro-grammation est maintenant parfaitement claire et adaptée.

MP À la lumière de vos deux expériences, y a-t-il selon vous une différence dans l’implication des pouvoirs publics en 1997 puis en 2016 ?

GD En 1997, la présence des pouvoirs publics était très positive. Les relations étroites nouées avec le Conseil administratif et le Conseil d’État, et notamment avec Philippe Joye, ont permis de créer et de maintenir un dialogue fécond. Ce projet particulier et novateur du BFM reçut de la part des politiciens un accueil positif, d’autant plus qu’une grande partie du budget des travaux était couverte par des fonds privés.Par contre, à cette période la situation budgétaire générale n’était pas aisée. Dès mon arrivée à la Présidence du Conseil de Fondation, en 1991, nous avons dû réduire le budget du Grand Théâtre de 5%, puis lors de mon mandat qui dura douze ans aucune indexation de ce budget ne fut votée. Sur cette période ce manque à gagner peut être évalué à plus de 20 millions de francs ! Mais il faut également dire qu’en 1997, à notre demande, le Grand Théâtre obtint pour cinq années une priorité sur le planning du BFM ainsi que sa gratuité d’utilisation. Pendant cette période, et par la suite, la société en charge de la gestion du lieu, Arfluvial, pu se constituer une clientèle propre.

LA Il est vrai que d’une certaine façon on pourrait penser que la situation actuelle est plus aisée qu’en 1997, étant donné la forte implication budgétaire de la Ville développée depuis lors.Mais néanmoins, la situation économique générale nous fait craindre que ni la Ville ni l’État ne pourront apporter une aide supplémentaire au Grand Théâtre, alors que ce type de déména-gement engendre nécessairement des manques à gagner subs-tantiels. Par contre, à l’image des rapports qui existaient en 1997 entre le Conseil de Fondation et le pouvoir politique, le fort enga-gement de nos magistrats, et particulièrement de Messieurs Sami Kanaan et Rémy Pagani est extrêmement positif et porte notre projet. Cela, par delà les débats parfois difficiles qui se sont dérou-lés au sein du Conseil Municipal pour l’obtention des subventions dévolues à nos travaux.

MP En conclusion, la situation financière actuelle de l’État et de la Cité oblige-t-elle les mécènes à s’impliquer plus particulière-ment dans ce type d’aventure ? Pensez-vous que le partenariat public/privé est la voie d’une saine politique ? Et comment créer des zones de dialogues qui unifient ces partenariats ?

LA & GD À l’heure actuelle les mécènes privés sont submergés par les demandes de financement. D’une part la situation éco-nomique démultiplie ces requêtes, et d’autre part l’explosion des réseaux sociaux, la rapidité et la fluidité des moyens de commu-nication créent une situation paradoxale. Les fondations ou les personnes privées sont donc obligées, dans cette période difficile, de faire des arbitrages et d’axer leurs soutiens envers un secteur ou un autre. Par ailleurs il est probable que l’État va vivre, d’un point de vue budgétaire, quelques années tendues. Les bénéfices des entreprises et des banques sont en effet souvent réduits et les revenus fiscaux par conséquent diminués. Compte tenu de ces données, il devient délicat de solliciter des fi-nancements sans trouver une formule qui équilibre équitablement des apports mixtes. Le partenariat public/privé semble alors être une bonne solution pour continuer à soutenir les projets culturels.En ce qui concerne la méthode de communication entre secteur public et secteur privé, il semble évident que le véritable forum de discussion est la Direction générale. C’est elle qui est au courant des contrats, des sponsors, et c’est elle qui entretient les relations avec la Ville et la Fondation.Le statut de Fondation de droit public est alors déterminant.En effet lors des Conseils et des Bureaux de la Fondation, notre autorité de tutelle est représentée par ses magistrats et ainsi l’information et le dialogue entre la sphère publique et la sphère privée circulent sereinement afin que ces deux sphères mettent leurs forces au service du Grand Théâtre. ■

Mécènes en scène

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L’envers des décors

par rafael lOpez

Trente-et-un décembre 2014, il est 22h30, les derniers saluts de La Grande Duchesse de Gérolstein ont lieu, le vent souffle sur les bannières du Grand Théâtre, le froid est mor-dant. Je suis autorisé à quitter le plateau mal-gré les dernières manœuvres de scène afin de prendre un train qui me fera arriver à Vevey avant minuit. C’est avec un sentiment de

soulagement mêlé de nostalgie que je regarde l’imposant bâtiment encore illuminé. L’aventure prend fin.

Six mois plus tôt, lors de ma quatrième et dernière année de for-mation de Polydesigner 3D à l’École supérieure d’arts appliqués de Vevey s’est dessinée la possibilité d’un stage aux ateliers du Grand Théâtre de Genève. Étant donné la structure professionnelle com-plexe du Grand Théâtre il a été primordial de définir quels dépar-tements seraient les plus susceptibles de compléter ma formation. Si l’équipe des tapissiers-accessoiristes a accompagné la majeure partie de mon séjour au sein des ateliers, le département des peintres-décorateurs m’a permis de prendre part à la réalisation de décors d’envergure, puis de me confronter à l’aboutissement de ce travail d’atelier : le plateau.

J’ai tout d’abord eu la chance d’être accueilli au mois d’août par l’équipe des tapissiers-accessoiristes de Dominique Baumgartner et Philippe Lavorel. Comme cette date coïncidait avec les prépara-tifs de production de Casse-Noisette – j’ai alors pu suivre la produc-tion dans sa quasi totalité. Dès le premier lundi après-midi, arrivé aux ateliers que depuis quelques heures, on me confia la réalisation d’une quinzaine de poignées aux formes de dauphins qui devaient s’inscrire dans un style sculptural propre à l’ambiance du ballet. L’un des éléments phares de cette production est une armoire imposante, mélange sculptural aux inspirations baroques sur lequel vient se greffer une multitude d’éléments tridimensionnels tels que des tenta-cules, des têtes de poulpes, des crânes humains, des gargouilles ou encore des dauphins. Comme nous n’étions pas en mesure de trouver dans le commerce des poignées ou des substituts aux dimensions et aux formes souhaitées, Philippe demanda lors de la pause de midi que nous trouvions une solution à ce problème. Je saisissais cette opportunité de m’intégrer à l’équipe en proposant de sculpter les pièces pour ensuite en réaliser un moule souple qui nous permettraient d’en faire de nombreux tirages en résine. Comme j’ai développé en autodidacte une passion pour la sculp-ture et pour les effets spéciaux qui en découlent, j’ai pu, grâce au soutien de Dominique Humair qui est l’un des sculpteurs-tapissiers du Grand Théâtre, – appréhender des matériaux, des techniques et des conditions de travail professionnels. Et puisque j’avais auparavant pratiqué le moulage et la chimie de ces maté-riaux (latex, résines, silicones, etc.) de manière intuitive, j’ai expérimenté de nouveaux matériaux tout au long de mon séjour aux ateliers, en étant particulièrement sensibilisé aux normes de sécurité à adopter pour ces produits.

C’est donc au début de ce premier après-midi que je me suis trouvé assis derrière un établi avec à mes côtés un bidon de plastiline et des plans à l’échelle. Le lendemain matin, ayant fait la veille quelques recherches et dessins afin de guider et d’affiner l’ébauche des formes à réaliser, je proposais deux versions de dauphins à Dominique Humair : l’une étant plus classique, plus réaliste, proche de la véritable physionomie d’un dauphin ; l’autre cor-respondant plutôt à un style sculptural du XVIème siècle : les yeux globuleux, les lèvres pulpeuses avec une queue à l’allure végétale.

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L’envers des décors

Dominique valida la seconde version et s’en suivit alors une longue phase de moulage en silicone et de nombreux tirages en résine.Alors que les derniers tirages de dauphins sortaient du moule, et pour faire suite à ma proposition, on me confia la taille de deux bas-reliefs, dans un même style d’inspiration baroque. Peu visibles par le public, puisqu’en arrière-plan, ces pièces furent néanmoins un très bon exercice de style durant lequel je pris la liberté de modifier l’expression faciale d’un satyre tout d’abord calme et serein puis se transformant en une allégorie vaniteuse de la mort et de la colère.

À la fin du mois de septembre j’intégrais le département des peintres/décorateurs alors que l’équipe de Fabrice Carmona et Christophe Ryser finalisait les décors de La Grande-Duchesse de Gérolstein. Dès que la production suivante fut réellement lancée les choses se concrétisèrent en un projet impliquant tout le dépar-tement : la sculpture d’un amphithéâtre antique approchant les quinze mètres, Iphigénie en Tauride pouvait commencer. Pour un projet de cette envergure il ne peut s’agir que d’un travail d’équipe et la réalisation des sculptures en est tributaire. Il n’est pas envisageable dans ce cas-là de répartir le travail de façon com-partimentée, ce qui aurait pour effet de créer un « patchwork » monumental une fois la sculpture achevée... C’est pourquoi Erick Birckel, sculpteur originaire de Nancy et habitué des ateliers du Grand Théâtre, a supervisé la taille du polystyrène afin de donner à l’ensemble un aspect uniforme et réaliste. Une fois le dessin de tous les blocs achevé, la texture grossière de la pierre de taille a été réalisée à l’aide d’outils de fortune confectionnés spécialement : une simple lame de scie à ruban courbée et fixée sur un manche en bois qui permet de reproduire fidèlement la marque des ciseaux de sculpture.

Les jours, les semaines, les mois passent. Les connaissances et les rencontres s’accumulent mais malheureusement, il ne s’agit pas d’un séjour à durée indéterminée et La Grande-Duchesse de Gérolstein n’attend pas. C’est dans les entrailles du Grand Théâtre que se trouvent les locaux des services œuvrant à la technique de scène, et c’est là que je vais avoir mon premier contact en direct avec le plateau.

Le montage du décor de scène débute à presque deux semaines de la répétition générale et s’effectue en quelques jours. Durant ce laps de temps, l’équipe de Damien Bernard et Patrick Sengstag est chargée de rassembler et/ou de créer les derniers accessoires manquants. Une fois le décor entièrement monté, il s’ensuit une longue période de répétition, jusqu’au soir de la Générale. C’est durant cette phase que Patrick m’a initié à la manipulation des diverses machines à fumée. Pyrotechnicien sur cette produc-tion, il manipule les diverses charges explosives, et décide de me

confier l’ensemble des effets de fumée.Les diverses machines tels que «Scotty» et «Tour Hazer» sont munies d’un dispositif DMX. Ce dernier permet d’avoir une com-mande sans fil gérable depuis la console de la régie située en cou-lisse. Cette console est équipée d’un retour vidéo, ce qui facilite la manipulation de la fumée (bien qu’aléatoire puisque dépendant de la chaleur, du nombre de personnes présentes et du mouvement sur scène). Afin de pallier à tout problème, un ventilateur est lui aussi connecté à cette même régie et relié au dispositif placé sous le praticable situé côté jardin. L’ensemble des dispositifs à fumée devant être installé pendant les entractes ou les changements de décors, je me retrouve couché lors de l’une de représentations, à plat-ventre sous le praticable, m’efforçant de placer correctement l’appareillage. Rien ne se passe, aucune réponse entre la console et le retour fumée ! Mon oreillette grésille : la régie annonce la reprise dans cinq minutes, la tension monte ! Patrick quitte la console et vient me rejoindre, cherchant à résoudre ce problème de branchements. Nos oreil-lettes crépitent à nouveau : « Reprise dans deux minutes. Les accessoiristes, qu’est-ce qui se passe avec la fumée ? – On gère, on gère, répond Patrick, alors qu’il court en direction de la console. Toujours sous le praticable, je scrute les voyants du DMX et la sortie fumée. –  C’est bon, Patrick, c’est parti !  je lui murmure tout en m’extir-pant tant bien que mal du praticable. – Arrivée du Chef dans la fosse... , annonce la régie.– On est bon. Tout fonctionne, lâche Patrick avec le sourire. –  Ouverture... »

31 décembre 2014, il est 22h30. Les derniers saluts de La Grande-Duchesse de Gérolstein» ont lieu. Plus qu’un stage, ces six mois passés en terres genevoises relèvent avant tout de l’expérience humaine. Les conditions relationnelles d’apprentissage dans les-quelles s’est déroulé ce semestre ont joué un rôle crucial dans mon assimilation des connaissances et des techniques.C’est pourquoi je tiens à remercier tout particulièrement l’en-semble des équipes des ateliers et du plateau, ainsi que Michel Chapatte et Stéphane Nightingale qui m’ont laissé faire partie intégrante de la maison durant cette période. Mais je tiens aussi à y associer toutes les personnes du Grand Théâtre de Genève, qui œuvrent dans l’ombre, et qui m’ont permis de pouvoir relater aujourd’hui cette expérience. ■

La valeur n’attend point le nombre des années pour s’exprimer et la nouvelle génération est en effet bien présente au sein de notre institution. La description que relate notre stagiaire Rafael Lopez de son passage dans nos ateliers vous plongera dans cette transmission des savoirs.

[ci-dessus et à gauche]

Toutes ces images photographiées par l’auteur sont extraites d’un livre-album conçu par Rafael Lopez pour clore son stage de fin d’études à l’École supérieure d’arts appliqués de Vevey.

Ma tenue de travail pendant le stage.

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Chère GisèleSavoir-vivre au Grand ThéâtreUne chronique de Gisèle de neuve illustrée par Bienassis

Nun nehmt euch in Acht : Der Merker wacht!Chère Gisèle,Je sais d’avance qu’en écrivant ces lignes je vais passer pour rétro-grade et provincial aux yeux de vos lecteurs plus cosmopolites, mais avec l’assurance de représenter une partie non négligeable du public du Grand Théâtre, dont les murmures et récriminations sonnent presque comme une sourde mutinerie dans les coursives de notre grand vaisseau de la Place de Neuve, j’ose enfin élever ma voix. Quand verrons-nous enfin cesser la plaie des metteurs en scène qui violent sous nos yeux la pureté dramatique des grands opéras du répertoire avec leurs délires narcissiques, leurs pro-blèmes avec la gent féminine, leurs obsessions de la transposition à tout prix de l’œuvre dans le contexte le plus saugrenu, voire ou-trageant, comme celui que les festivaliers d’Aix ont dû subir cet été avec un Enlèvement au sérail situé dans un camp d’entraînement pour djihadistes ? Pourquoi cette manie de tout déconstruire alors que la scène lyrique est précisément le lieu où les règles et tradi-tions d’un art quatre fois séculaire devraient se perpétuer! Sixte B.

Le déménagement prochain de son cher Grand Théâtre vers un pré d’Outre-Rhône a réveillé en Gisèle de Neuve l’envie de se mettre aussi au vert, ravaler sa façade et, qui sait, peut-être se revigorer un peu les idées. Gisèle a accepté l’invitation de sa vieille copine Babette Komikosky, la célèbre ethnographe et performeuse burlesque, et se prépare à passer une année studieuse et créative en résidence chez Babette, dans sa splendide villa Gründerzeit de Dahlem, banlieue feuillue de la capitale allemande. Le jardin sera parfait pour Ernest et Gisèle aura l’embarras du choix de quatre maisons d’opéra (dont une se morfond extra muros depuis bientôt cinq ans, mais passons) et avec les comtesses Gundula Geschwitz et Victoria Day, les colocatrices de Babette, elles formeront la plus follement amusante des WG* féminines de Berlin. Mais avant de fermer sa chronique de savoir-vivre dans les salles d’opéra, Gisèle se dévoue une dernière fois pour son Cher Public. Chère Gisèle, que nous dit votre courrier ?

*pour les récalcitrants de la langue de Goethe et nos lecteurs peu familiers avec les mœurs germaniques, une Wohngemeinschaft (WG, «vé-gué») est une communauté d’habitation.

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Une chronique de Gisèle de neuve illustrée par Bienassis

Cher Sixte,Depuis que je tiens cette rubrique pour ACT-0, le courrier m’amène avec une déprimante régularité des missives comme la vôtre. Ça oui, vous n’êtes pas le seul à trouver que le Regietheater est rasoir, qu’on ne met pas Mozart en scène chez Daesh ou Rossini dans une salle paroissiale. J’ai jusqu’ici évité de me pro-noncer sur ce sujet, car mon souci est le comportement du public en salle et non celui des artistes. Mais puisque vous m’annoncez une mutinerie imminente, je vais vous dire ce que je pense. Ma chère amie Babette, qui baigne dans le théâtre musical populaire depuis toujours, trouve plutôt que c’est l’obsession avec la littéralité et la peur de l’abstraction qui rendent l’opéra ennuyeux. Elle ne prône pas pourtant le « concept » à tout prix. Le génie d’une œuvre comme La Flûte enchantée est d’être à la fois une revue des faubourgs, un conte de fées surréaliste et une vitrine pour la musique de Mozart: tout effort d’en tirer un « concept » est voué à la catastrophe. Cependant, cher Sixte, je me permets de vous rappeler qu’il n’existe pas de manière exclusive de lire une œuvre d’art et de vous demander si vous allez au théâtre pour votre confort, ou votre stimulation, intellectuels? La plupart des opéras ont été situés dans la zone sans risques d’un passé fictif, souvent d’ailleurs pour échapper à la censure. Dans leurs lectures de ces fictions, cer-tains metteurs en scène peuvent se tromper de cible (comme l’a rappelé le directeur du Festival d’Aix au sujet de l’Enlèvement que vous mentionnez) mais je préfère encore les voir se tromper plutôt que d’assister à des productions fades, politiquement et émotionnellement castrées, avec de beaux décors et des costumes somptueux dont le coût visiblement élevé nous rassure que nous sommes bel et bien en présence du Grand Art. L’opéra, même dans ces mises en scène qui vous agacent, est la manifestation moderne du rituel archaïque du conte et fait désormais partie de notre post-modernité. Son aspect im-médiat et expérimental, associé au pouvoir (ou à la faiblesse) de la voix humaine, me rappelle à l’amour, comme à la mortalité, et c’est la raison pour laquelle je vais à l’opéra. Et en cela, je ne crois pas être si dif-férente de tant d’autres personnes. Votre dévouée,Gisèle de Neuve

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C omme chaque début d’été, dans le cadre de l’incontournable Fête de la musique genevoise, le Grand

Théâtre a ouvert ses portes aux amateurs de toutes les musiques le samedi 20 juin 2015, de 10 h jusqu’à tard dans la soirée !Après une visite des décors de Fidelio, dernière production de

cette saison 14-15, une projection du film Notre Ring - Genèse a été proposée au public nombreux.Les jeunes musiciens de l’Orchestre du Collège de Genève se sont ensuite retrouvés sur scène afin d’interpréter des « tubes » du répertoire classique. À leur suite, des élèves des HEM se sont produits dans un programme de bel canto, puis les artistes du Chœur du Grand

Théâtre ont rythmé cette journée avec leur interprétation d’airs d’opéra, de mélodies françaises, d’airs d’opérettes, de lieds alle-mands et de romances russes. La soirée s’est enfin dignement termi-née avec un public invité à chanter avec le Chœur du Grand Théâtre puis à se trémousser en écoutant des reprises rock allant des Moody Blues à Muse ! ■

L a présidente du Conseil de fondation du Grand Théâtre de Genève, le directeur général, ainsi que le

secrétaire général ont eu le plaisir, afin de fêter la finition du plancher de l’Opéra des Nations, d’inviter le vendredi 19 juin 2015 les équipes du Grand Théâtre ainsi que tous les partenaires de notre institution et les habitants du quartier.Afin de partager un moment convi-vial sur ce chantier spectaculaire, un programme musical surprise et de brèves allocutions se sont succédés avant que le verre de l’amitié n’offre à chacune et à chacun un moment de détente et de complicité. ■

... on trinque sur le plancher

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C ’est avec plaisir que le Grand Théâtre de Genève s’apprête à recevoir le mardi 16 février 2016 à 19 h 30

la diva Diana Damrau accompagnée du harpiste Xavier de Maistre.Souffrante, elle avait dû renoncer à se produire sur la scène du Grand Théâtre la saison passée, mais malgré un agenda bien chargé et des engagements dans les plus grandes maisons d’opéra, Diana Damrau trouve le temps de revenir à Genève. De retour cette saison, les deux artistes nous promettent une nouvelle soirée d’exception avec un programme inédit qui cette fois-ci fera la part belle aux lieds de Richard Strauss. ■La location des places pour ce concert est ouverte à notre billette-rie dès le lundi 31 août 2015.

... et on va revoir Diana sur la scène de Neuve

On se trémousse dans la grande salle...

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