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LE JOURNAL DU CERCLE DU GRAND THÉÂTRE ET DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 18 N°18 | FÉVRIER 2014 CONNAISSEZ-VOUS HARRY PARTCH ? UN RITUEL DE RÊVE ET D’ILLUSION UNE FANTASY MUSICALE SIEGFRIED : LE SEIGNEUR DE L’ANNEAU ? NABUCCO JOHN FIORE ET ROLAND AESCHLIMANN AUX COMMANDES D’UN CHEF D’ŒUVRE DE VERDI VOYAGE D’HIVER JONAS KAUFMANN INTERPRÈTE WINTERREISE LA MÉMOIRE DE L’OMBRE MAHLER CALLIGRAPHIÉ KEN OSSOLA ET LE BALLET DU GRAND THÉÂTRE EXPLORENT PHILTRE, OUBLI, CRÉPUSCULE, AMOUR SALVATEUR L’OR RETOURNE DANS LE RHIN LES ABONNÉS DU TEMPS BÉNÉFICIENT DE 15% DE RÉDUCTION AU GRAND THÉÂTRE.

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Journal du Cercle et du Grand Théâtre de Genève Février 2014 N°18

Transcript of ACT-O n°18

LE JOURNAL DU CERCLE DU GRAND THÉÂTRE ET DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

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CON NA IS S EZ - VOUS H A R RY PA RTC H ?

UN RITUEL DE RÊVE ET D’ILLUSION

U N E FA N TASYM USICA L ESIEGFRIED : LE SEIGNEUR DE L’ANNEAU ?

NABUCCOJOHN FIORE ET ROLAND AESCHLIMANN AUX COMMANDES D’UN CHEF D’ŒUVRE DE VERDI

VOYAGE D ’ HI V E RJONAS KAUFMANN

INTERPRÈTEWINTERREISE

LA MÉMOIREDE L’OMBRE

MAHLER CALLIGRAPHIÉ

KEN OSSOLA ET LE BALLET DU GRAND THÉÂTRE EXPLORENT

PHILTRE, OUBLI, CRÉPUSCULE,

AMOUR SALVATEUR L’OR RETOURNE

DANS LE RHIN

LES ABONNÉS DU TEMPSBÉNÉFICIENT DE 15%

DE RÉDUCTIONAU GRAND THÉÂTRE.

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C her Public,Vous avez été nombreux à célébrer les fêtes de fin d’année au Grand Théâtre. Plus de 11 000 spectateurs se sont délectés à l’écoute de la musique de Johann Strauss

fils. En vous souhaitant une merveilleuse année 2014, nous vous invitons à partager de nouvelles aventures avec nous, place de Neuve. Les occasions ne manqueront pas.Vous ne résisterez pas à la soirée exceptionnelle des Saisons russes du XXIème siècle, présentée par la Fondation Neva et le Grand Théâtre qui vous fera revivre les riches heures des Ballets Russes, fondés par Serge Diaghilev, dans des chorégraphies de Michel Fokine. Puis place au Ballet du Grand Théâtre qui, entre ses nom-breuses tournées internationales, vous donne rendez-vous au BFM pour un nouveau programme d'exception sur des musiques de Gustav Mahler : Ken Ossola est de retour à Genève et médite sur le thème de l’ombre. Fin février, sur la scène de Neuve, retentira le célébrissime « Va pensiero » de Nabucco, l’œuvre qui a marqué le pas-sage de Verdi de l’ombre à la célébrité. Fresque biblique, historique, certes, mais qui garde toute son actualité dans le monde actuel, où, malheureusement, le canon gronde toujours et où l’expatriation n’est pas un vain mot. C’est le retour au Grand Théâtre de John Fiore à la tête de l’Or-chestre de la Suisse Romande et de Roland Aeschlimann pour la mise en scène et la scénographie. Ensemble, ils nous avaient déjà offert un somptueux Parsifal.Depuis des mois, une grande fébrilité règne dans votre théâtre, avec enthousiasme et professionnalisme toutes les équipes se préparent à vous proposer un événement rare : la présentation du Ring des Nibelungen au Grand Théâtre, au mois de mai. Sans hésiter, chacune et chacun a mis à disposition son art et son énergie afin que vous puissiez vivre cette saga des dieux et des hommes. Le moment est peut-être venu de vous faire une autre opi-nion de l’œuvre wagnérienne qui jamais ne laisse indiffé-rent et dont la quintessence semble l’émotion, la passion et l’amour qui pourraient constituer des valeurs salva-trices dans un monde qui semble avoir perdu ses repères. Bouder un tel plaisir, à deux pas de chez soi, ne serait qu’hérésie, alors que nombreux sont ceux qui rêvent de telles aventures toute leur vie. Au soir du 23 mai, il sera probablement trop tard, une nouvelle page se tournera.Le soir du 30 mars, Jonas Kaufmann qui est à la fois Verdi et Wagner nous charmera avec Le Voyage d’hiver, au cours de la soirée du Cercle du Grand Théâtre. Les amateurs de découvertes, les curieux pourront découvrir une œuvre méconnue de Harry Partch grâce à la première coréalisation du Festival Archipel et du Grand Théâtre.Assurément, le Grand Théâtre est affaire de tous ! Alors n’hésitez pas à nous rejoindre, en quête d’excellence et de nouvelles découvertes.

Tobias RichterDirecteur général

Directeur de la publication Tobias Richter

Responsable éditorial Mathieu Poncet

Responsable graphique & artistique Aimery Chaigne

Ont collaboré à ce numéroKathereen Abhervé, Bienassis, Gisèle de Neuve, Daniel Dollé, Sandra Gonzalez, Frédéric Leyat, Wladislas Marian, Benoît Payn, Christopher Park Mathieu Poncet.

Impression SRO-Kundig Parution 4 éditions par annéeAchevé d’imprimer en janvier 20146 000 exemplaires

Il a été tiré 40 000 exemplaires de ce numéro et encarté dans le quotidien LE TEMPS

11, bd du Théâtre CP 5126 CH-1211 Genève 11 T +41 22 322 50 00F +41 22 322 50 [email protected]

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BUZZ OP 2-3Quoi de neuf dans le monde de l’opéra

à Genève et ailleurs

OPÉRATION 6-15Nabucco : de l'ombre à la lumière

Götterdämmerung : Tout peut recommencerUn Siegfried de console : l'enfant sauvage

Delusion of the Fury : l’étrange univers d’Harry Partch

ON STAGE 16-17Voyage d'hiver de Jonas Kaufmann

CARNET DU CERCLE 18-19Têtes d'affiche et grands titres

EN BALLET 20-26

Ken Ossola : « Une certaine mémoire de moi-même » La fleur de la danse suisse en parade

PLEIN FEUX 28-29

Le mécénat culturel selon Elena Timtchenko Vacheron Constantin, une certaine idée de l'avenir

DIDACTIQUE 30-35Chère Gisèle

Jeune, expat... et Labo-ML'envers du décor à la portée de tous

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Photo de couvertureLa danseuse du Ballet

du Grand Théâtre de Genève Daniela Zaghini est l'une des solistes de

Mémoire de l’ombre de Ken Ossola

en février 2014.© GTG/GREGORY BATARDON

DA : AIMERY CHAIGNE

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Une belle soirée pour un recordLe vendredi 13 décembre 2013, à l’issue de la première représentation du

spectacle de fin d’année du Grand Théâtre de Genève, La Chauve-souris

de   Johann Strauss fils, une réception était organisée dans les foyers de la

célèbre institution genevoise. À cette occasion, M. Tobias Richter (Directeur

général du Grand Théâtre) et Mme Lorella Bertani (Présidente de la Fondation

du Grand Théâtre) ont accueilli M. et Mme René Falquet de Bremblens (VD),

les 8000èmes abonnés de la saison en cours, nombre record jamais atteint de-

puis la réouverture de l’institution en 1962. Tous les artistes de la production

étaient présents. Ainsi a-t-on pu croiser la mezzo-soprano fribourgeoise Marie-

Claude Chappuis (Prince Orlofsky), le clown Dimitri qui interprétait le rôle de

Frosch ou encore la soprano française Mireille Delunsch (Rosalinde). FL

Le lundi 20 janvier, au moment où le Grand Théâtre débutaient les répétitions de Nabucco, la nouvelle attristante est tombée. Claudio Abbado, le célébrissime maestro venait de décéder à l’âge de 80 ans. Il avait débuté à 32 ans au Festival de Salzbourg avec la Symphonie « Résurrection » de Gustav Mahler, à l’invitation de Herbert von Karajan, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne qui en fera son invité permanent, avant d’en faire son directeur. Au même moment, il commençait une pres-tigieuse carrière lyrique dans le temple lyrique de sa ville natale, La Scala, qui l’accueillit à bras ouverts, d’abord chef principal en 1969, puis directeur artistique à partir de 1971. Il imprimait sa marque d’amour dans tout ce qu’il entreprenait, et les 15 années qu’il passa à la tête de l’institution, res-teront longtemps gravées dans les mémoires. Avec une inclination particulière pour Verdi et Rossini, il ne négliga nullement la moder-nité en inscrivant des œuvres phares au répertoire du temple milanais. Avec des distributions de haut vol, il accorda une atten-tion particulière à la dimension théâtrale et fit appel à Giorgio Strehler, ou à Jean-Pierre Ponnelle. Qui ne se souvient pas de Simon Boccanegra ou Il Barbiere di Siviglia, au Festival de Salzbourg ? Après Milan, Vienne où on créa pour lui

le poste de directeur général de la musique de la ville de Vienne. Il devint le directeur de l’opéra de Vienne, la ville de ses études, où il imagina un festival de musique contemporaine, une gageure dans une ville aussi conservatrice. À la mort de Karajan, il lui succède à la tête d’une autre formation emblé-matique : le Philharmonique de Berlin. Il fait évoluer l’orchestre en lui donnant une sonorité plus claire, plus légère, et inscrit à son répertoire la musique de notre temps. Victime d’un cancer, il continue à diriger pendant dix ans encore, mais il n’est plus que l’ombre de lui-même. Chacun de ses concerts devient un événe-ment où la spiritualité prend une place d’importance. Aujourd’hui, les « Abbadiani », les fans du Maestro sont tristes et partagent ce sentiment avec des milliers de mélomanes à travers le monde. Un homme secret nous quitte dans la discrétion, mais nous n’ou-blierons jamais sa gestique élé-gante et son intelligence musicale exceptionnelle. 50 ans de carrière marquée par la passion et l’amour de l’opéra, de la musique. À celles et ceux qui ne l’ont pas vécu live, il lègue une généreuse discographie toujours inspirée, il cherchait la vérité dans les notes qu’il savait faire parler. Avec modestie, il di-sait : « Comme je suis d’une nature curieuse, j’apprends toujours » DD

La tristesse desAbbadiani

Marie-Claude Chappuis, Mireille Delunsch et la chorégraphe Nicola Bowie.

M. Tobias Richter et Mme Lorella Bertani entourent M. et Mme René Falquet (les 8000èmes abonnés).

M. Tobias Richter entouré du clown Dimitri et de Mme Dimitri.

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Le théâtreéphémèreest genevoisLe Théâtre éphémère qui trônait dans les jardins du

Palais Royal à Paris va devenir genevois. La Ville de Ge-

nève et le Grand Théâtre sont ravis de vous faire parta-

ger cette excellente nouvelle. Avec quelques aménage-

ments, il accueillera les

saisons 15-16 et 16-17 du

Grand Théâtre, pendant

sa programmation hors

les murs. Rendez-vous

dans Act-O n° 19 pour en

savoir plus…

Le 18 décembre dernier a été annoncé le décès, à l’âge de 89 ans, de M. Albert Chauffat, figure éminente de l’histoire récente du Grand Théâtre de Genève. Ancien conseiller municipal et l’un des piliers du PDC genevois, Albert Chauffat a siégé au Conseil municipal de la Ville de Genève pendant 36 ans, de 1959 à 1995 et en a été le président de 1972 à 1973. Il a fait partie des commissions des finances et des travaux. Outre son engagement dans diverses associations, Albert Chauffat a été membre du Conseil de fondation du Grand Théâtre de Genève pendant trente ans, de 1965 à 1995. Peu après la réouverture du Grand Théâtre en 1962, à une période où il était capital de structurer les activités artistiques d’une maison ayant considérablement gagné en volume ainsi qu’en capacité d’accueil et de production, Albert Chauffat mit une attention particulière à la rédaction des conventions collectives du Chœur et du Ballet, passant beaucoup de temps avec les artistes, tâchant de comprendre leurs besoins et les spécificités de leur travail. Au cours de ses trente années passées au sein du Conseil de fondation, Albert Chauffat en fut notamment le secrétaire, jusqu’en 1979, le vice-président de 1979 à 1995 et le président par intérim de juillet à septembre 1990. Homme de rigueur, doublé d’une grande modestie, ses qualités lui ont valu l’estime des personnes appelées à collaborer avec lui, notamment Me Jean-Flavien Lalive d’Epinay, décédé en 2012, ancien Président de la Fondation du Grand Théâtre de 1965 à 1990. Le Grand Théâtre s’associe dans la tristesse à tous les témoignages d’estime et de reconnaissance pour l’implication d’Albert Chauffat dans la vie non seulement politique, mais aussi artistique de sa ville. ChP

Émotions & réflexion

L’engagement d’Albert Chauffat

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De tout temps les créateurs et les scientifiques ont tissés de fortes relations intellec-tuelles, et plus particulière-ment les compositeurs et les mathématiciens. Pour s’en convaincre il suffit d’évo-quer Pythagore et Albert Einstein, Johann Sebastian Bach et Anton Webern, tous passionnés par la mystique des nombres. Depuis l’émer-gence des neurosciences à l’aube des années 1960, ce terrain interdisciplinaire qui se voue à l’étude scientifique du système nerveux - tant du point de vue de sa structure que de son fonctionnement – se penche tout naturelle-ment sur les problématiques liées à la création, à l’inter-prétation et à la réception des œuvres musicales par le sujet. Après avoir réalisé un premier essai lors de l’édi-tion de 2013, l’université de Genève, la Haute école de musique de Genève et le Grand Théâtre se sont à nouveau associés pour pro-poser un festival pérenne de grande qualité consacré à ces thématiques : le Festival Musiques & Sciences. Un large public constitué d’auditeurs venant d’hori-zons pluriels pourra assis-ter du mercredi 2 avril au

dimanche 6 avril 2014 à une multiplicité de conférences, d’ateliers et de concerts ani-més par des chercheurs, des pédagogues, des instrumen-tistes et des compositeurs de renom international. Pour clore dignement cette semaine, le Grand Théâtre vous convie lors de la jour-née du dimanche 6 avril à réfléchir aux enjeux contem-porains de l’art lyrique. Vous pourrez alors retrouver les compositeurs suisses Xavier Dayer (Photo ci-dessus à gauche) et Beat Furrer (Photo ci-des-

sus à droite) à l’occasion de tables rondes qui leur seront consacrées, discussions ani-mées par le musicologue Philippe Albèra et le profes-seur Emmanuel Bigand, spé-cialiste des sciences cogni-tives. Point d’orgue de cette journée, le concert de soi-rée – intitulé Ligne de faille et présenté par Philippe Albèra – évoquera en présence notamment de la soprano Caroline Melzer et du chœur du Grand Théâtre les enjeux de la vocalité chez Arnold Schœnberg. MP

Le programme générale du Festival Musiques et Sciences sera prochainement téléchar-gable sur www.femusci.org

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L ’an mille huit cent treize, le jour 12 d’oc-tobre, à neuf heures du matin, par devant nous Adjoint au Maire de Busseto, officier de l’état civil de la commune de Busseto sus-dit département du Taro ; est comparu Verdi

Charles, âgé de vingt huit ans, aubergiste domicilié à Roncole lequel nous a présenté un enfant du sexe mas-culin né le jour dix du courant à huit heures du soir de lui déclarant et de Louise Uttini, fileuse, domiciliée à Roncole, son épouse, et auquel il a déclaré vouloir don-ner les prénoms de Joseph - Fortunin – François. » Qui alors aurait pu se douter qu’un Maestro était né et qu’en 2013, le monde entier allait fêter son bicentenaire ?Les festivités du bicentenaire sont passées, mais ce musicien de génie continuera à être célébré chaque jour. Existe-t-il un jour sans Verdi de par le monde ? Nombreux sont celles et ceux qui chantent ou fredonnent, ne fut-ce que dans leur bain ou sur un échafaudage, un de ses airs. Avec ses premiers succès, il est devenu le musicien et la voix du peuple. L’opéra est son monde de prédilection, et il le lui a bien rendu. Giuseppe Verdi est partout, il est dans les rues, sur les ondes, dans les publicités, etc… Federico Fellini ou encore les frères Taviani ont fait appel à lui au cinéma, et à Florence lors d’une manifestation sur la mobilité des salaires, on pouvait entendre sur l’air bien connu de « la plume au vent » de Rigoletto : « La scala è mobile ». Dans le film La nuit de San Lorenzo, le Requiem de Verdi devient un personnage qui se confond avec la réa-lité de la population de San Miniato qui cherche refuge pour se protéger de la guerre. Dans E la nave va, le com-positeur est partout et devient le trait d’union entre la société de la Belle Époque, des cabines premières classes, et les soutiers au fond des cales. Il reste le représentant de la musique en Italie au XIXème siècle, alors que la mu-sique symphonique y était pratiquement absente.Mais si le compositeur interpelle encore aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il est un saint ou un héros, c’est un homme de tous les jours qui a su trouver les notes justes

et intemporelles qui parlent à l’âme et réveillent les émo-tions. Peu importe que certains ont voulu faire de lui un militant politique, un héros populaire. Viva V.E.R.D.I. (Vittorio Emmanuele Re d’Italia) ne fait qu’une fugitive apparition sur les murs de Milan à l’occasion des repré-sentations de Un ballo in maschera qui a effectivement une réelle portée politique, au moment où Verdi est en plein « cavourisme », un concept de révolution passive qu’on observe au moment du Risorgimento italien. C’est avec un grand éclat de rire qu’il met un terme à son acti-vité lyrique. Mais Falstaff est-il vraiment une comédie, un ouvrage bouffe, ne serait-ce pas plutôt une tragédie dans lequel la comédie a trouvé sa place ? À 75 ans, il se lance dans un genre nouveau avec Boito qui parle : « d’extraire le jus de l’énorme orange shakespearienne, sans laisser tomber dans le verre quelques pépins inutiles… » Avait-il des affinités avec ce personnage truculent ? Ce qui est cer-tain, il a écrit l’ouvrage pour son propre plaisir et eût aimé qu’il fût présenté à Sant’Agata, plutôt qu’à La Scala. Mondo ladro, mondo rubaldo, reo mondo ! (Monde voleur. Monde infâme. Monde mauvais !) s’exclame Sir John Falstaff dans la taverne au début du troisième acte. Verdi le savait bien, la vie le lui avait appris. Et il conclut l’œuvre par une fugue pleine de sens : Tutto nel mondo è burla (Tout dans le monde est farce), l’homme est né farceur.

LES DOULEURS DES PREMIÈRES ANNÉESQui n’a jamais entendu le célèbre chœur des Hébreux de Nabucodonosor, devenu Nabucco par la suite, doit se précipiter au Grand Théâtre pour découvrir l’ouvrage, qui du jour au lendemain, a fait de Verdi le musicien le plus célèbre de son pays. Ceux qui connaissent et qui fréquentent l’œuvre depuis longtemps ne dédaigneront pas de la réentendre une nième fois.Va pensiero sull’ali dorate ; / Va ti posa clivi, sui colli, / Ove olezzano tepide e molli / L’aure dolci del suolo natal !(Va, pensée, sur tes ailes dorées ; / Va, pose-toi sur les ver-sants, sur les collines, / Où embaument, tièdes et douces /

par Daniel Dollé

De l’ombre à la lumière

Le sacre pour un règne de 60 ans

Dessin de Filippo Peroni d'un costume d'un membre du chœur de Nabucco pour la création à La Scala en 1842.

La première épouse de Giuseppe Verdi, Margherita

Barezzi meurt d'une encéphalite à 26 ans après

lui avoir donné deux enfants qui disparaitront également

prématurément.

Giuseppina Strepponi après avoir interprété Abigaille

pour la première de Nabucco en 1842, arrêtera de chanter

et sera l'épouse de Verdi jusqu'à sa mort en 1897.

> NABUCCO de Giuseppe Verdi DIRECTION MUSICALE John Fiore MISE EN SCÈNE & DÉCORS Roland Aeschlimann NABUCODONOSOR Franco Vassallo, Roman Burdenko ISMAELE Leonardo Capalbo ZACCARIA Roberto Scandiuzzi, Marco Spotti ABIGAILLE Csilla Boross, Elizabeth Blancke-Biggs FENENA Ahlima Mhamdi

LE GRAND-PRÊTRE DE BAAL Khachik Matevosyan ABDALLO Terige Sirolli ANNA Elisa Cenni Chœur du Grand Théâtre Orchestre de la Suisse Romande Au Grand Théâtre 28 février & 1 | 2 | 4 | 6 | 7 | 8 | 10 mars 2014

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Les suaves fragrances de notre sol natal !)Depuis, il n’a cessé de faire vibrer les spectateurs, les au-diteurs par la puissance et la noblesse de ses airs de ses ensembles et de ses chœurs, au cours d’une histoire dans laquelle la jalousie amoureuse est mêlée à la politique.Au début de l’été 1838, le ciel est lumineux pour Giuseppe Verdi, Margherita, son épouse, est belle comme une ma-done et lui donne deux enfants, Virginia et Icilio qui font le bonheur du jeune ménage. Mais bientôt, le destin fatal frappe à leur porte. La chère Virginia meurt à l’âge d’un an et quatre mois, il ne reste plus à Verdi que les larmes et l’amertume. Pourtant la vie doit continuer. Oubliant sa timidité, il part frapper à la porte de la maîtresse de Merelli, le directeur de La Scala, la Strepponi qui l’écoute et parle à son amant. Merelli appelle Verdi et lui annonce qu’il va créer son opéra, Oberto, conte de San Bonifacio, qui obtient un succès honorable, le 17 novembre 1839. Mais le terrible destin poursuit son cours et continue à harceler Giuseppe Verdi, le petit Icilio meurt à son tour et quelques mois plus tard, sa chère Margherita est ter-rassée par une encéphalite à l’âge de 26 ans. C’en est trop, la douleur le déchire et le mine. C’est dans cet état qu’il doit songer à terminer son opéra bouffe, Un giorno di regno. Le cœur brisé, il assiste le 4 septembre 1840 à la création de son deuxième opéra qui sera un fiasco.Au bord du gouffre, détruit par une profonde douleur, il croise une nouvelle fois la route de Merelli qui lui pro-pose un livret d’opéra qu’Otto Nicolai vient de lui refuser. Après moult discussions, Verdi accepte de lire le livret, car il ne veut plus composer. Revenu dans sa chambre, le sommeil ne vient pas, dans la froidure de la nuit, il lit et relit le manuscrit. Un an plus tard, l’œuvre sera achevée. Merelli s’enthousiasme et confie le rôle d’Abigaille à la Strepponi qui deviendra la compagne de Verdi jusqu’à sa mort. Dès les premières répétitions, le personnel de La Scala est électrisé. Savait-il qu’il assistait à un tournant dans l’histoire de l’opéra ? Le soir de la création, le 9 mars 1842, se transforme en un long triomphe salué par un

public enthousiaste qui ovationne le compositeur. Verdi reste sombre, mais les acclamations lui réchauffent peu à peu le cœur, il songe aux êtres chers qu’il a dû porter en terre. D’inconnu, il devient célèbre. Sa carrière démarre et son règne de 60 ans ne fait que commencer. Il porte en lui l’humanité ordinaire qui touche le public qui n’a que faire des propos des critiques qui parlent d’un opéra barbare. Avec Nabucco, Verdi entre dans la postérité et donne une nouvelle preuve que l’art est affaire de tripes, de beauté, de laideur, mais surtout d’humanité.La bonne fée s’est immiscée dans sa vie. Verdi, des années galère, devient le patriarche, le Gran Vecchio. La Peppina, étoile de première catégorie, ne sera plus l’ombre que d’elle même lorsqu’elle crée Abigaille qu’elle ne chantera que 8 fois à La Scala, alors que l’ouvrage connaît 65 repré-sentations l’année de sa création. À 30 ans, on ne parle plus d’elle. De la clandestinité, elle passe à la légitimité en 1859, alors qu’elle vit depuis de nombreuses années avec le compositeur. Giuseppina Strepponi gardera toute sa vie un sentiment de culpabilité aiguë, car elle prête aux autres des charmes qu’elle ne peut offrir.Nabucco narre le conflit qui oppose les Hébreux en exil à leurs oppresseurs. Deux conceptions du monde s’op-posent à travers la religion des deux peuples antagonistes. Zaccaria, le prophète, se dresse face au grand prêtre de Baal, et au second plan on trouve les amourettes de Fenena et d’Ismaele. La tendance habituelle est de consi-dérer Nabucco comme un tyran, un roi fou, mais n’est-il pas également le père de deux filles, Fenena et Abigaille ; cette dernière n’est qu’une esclave adoptée, mais devient rapidement une usurpatrice perverse. Assoiffée de ven-geance, de pouvoir et de sang, elle abuse de son père qui a perdu la raison. Plutôt que roi, n’est-il pas un père humi-lié ? Une soprano aux sonorités sombres s’affronte à deux voix d’homme de registre différent, et voilà reformé le fameux triangle verdien que nous trouvons souvent chez le compositeur, ainsi que la figure du père qui devient vic-time en puissance et assassin parce qu’il est défaillant.

(ci-dessus)

Le chœur des Hébreux sur l'escalier monumental lors d'une première création de cette production à l'opéra de Francfort en 2001.

(ci-dessous)

Esquisses de costumes de Roland Aeschlimann pour cette production au Grand Théâtre de Genève.

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(en haut)

Manuscrit original du célèbre chœur de

Nabucco : « Va pensiero » (ci-dessus)

Dessin original de Filippo Peroni d'un costume féminin

pour la figuration de Nabucco en 1842.

(en dessous)

Illustration du début du XXème siècle des Jardins

suspendus de Babylone

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LA VÉRITABLE HISTOIRENabuchodonosor II était le roi de l’empire néo-babylo-nien entre 604 et 562 av. J.-C. Le nom vient de l’akkadien Nabou-kudurri-usur, signifiant : « Ô Nabû, protège mon fils aîné !  », Nabu étant la divinité babylonienne de la sagesse, et le fils du dieu Marduk. Dans une inscription, Nabuchodonosor s’annonce comme « bien-aimé » et « fa-vori » de Nabu. Il doit sa renommée au fait qu’il a régné sur le plus vaste empire qu’ait dominé Babylone, ville où il a fait ériger de nombreux monuments (dont les mythiques jardins suspendus), et, surtout, aux mentions qui sont faites de lui dans la Bible hébraïque, soit l’An-cien Testament, concernant notamment la destruction du premier Temple. Le roi de Babylone Nabopolassar (626-605 av. J.-C.), trop âgé, confie la direction des opéra-tions militaires à son fils aîné, Nabuchodonosor. Après la victoire contre les Assyriens, Nabuchodonosor mène les armées babyloniennes en Syrie où l’armée égyptienne a pénétré pour essayer de dominer la région à la place de l’empire déchu. Il lui faut deux ans pour renforcer ses lignes arrières, puis il passe à l’action en 605 av. J.-C., et écrase la coalition adverse à la bataille de Karkemish, puis soumet les royaumes côtiers dont celui de Juda. Il doit rentrer à Babylone à la mort de son père. Le 16 mars 597 av. J.-C, il oblige Jérusalem à capituler, 10 000 personnes sont faites prisonniers. Le livre de Daniel, dans l’Ancien Testament, parle largement de ce roi qui aura inspiré à Verdi son premier grand succès, il fut un grand bâtisseur et il donnera son nom à la bouteille de champagne qui contient l’équivalent de 15 bouteilles standards.Ainsi commence le livre de Daniel à la cour du Roi Nabuchodonosor : « La troisième année du règne de Joakim, roi de Juda, Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint mettre le siège devant Jérusalem. Le Seigneur lui livra Joakim, roi de Juda, ainsi qu’une partie des objet du temple, que Nabuchodonosor transporta au pays de Sennaar, dans le temple de son dieu : c’est dans la salle du trésor du temple de son dieu qu’il les déposa.Le roi donna ordre au chef de ses eunuques, Asphanez,

de lui amener de jeunes Israélites, issus de race royale ou de famille noble, exempts de toute tare corporelle, bien faits, doués de toutes sortes de dispositions, ins-truits, intelligents, capables d’entrer dans les services du palais royal ; on leur enseignerait l’écriture et la langue des Chaldéens… Parmi eux se trouvaient des Judéens : Daniel, Ananias, Misaël et Azarias. Le chef des eunuques leur imposa de nouveaux noms : à Daniel celui de Baltassar, à Ananias celui de Sidrac, à Misaël celui de Misac, et à Azarias celui d’Abdénago . »Le livre raconte comment le roi fit édifier une statue d’or, haute de soixante coudées et large de six, et ordonna que tous devaient se prosterner devant la statue et que quiconque refuserait de le faire, serait précipité dans la fournaise ardente. Cette épisode inspirera à Benjamin Britten l’une de ses paraboles d’église, The Fiery Furnace. Il narre également le songe du roi et sa folie qui devant l’impuissance des flammes sur les trois hommes jetés au feu retrouva sa raison et l’éclat de sa royauté. Il se met alors à glorifier le dieu d’Israël qui a le pouvoir d’humilier ceux qui se conduisent avec orgueil et cultivent l’iniquité.

NABUCCO, LE LIVRETDans le livret imaginé par Temistocle Solera, l’œuvre, qui se compose de quatre actes, commence en 586 av. J. C. Nous sommes dans le temple de Salomon et les Hébreux prient Jéhovah en présence de leur grand prêtre Zaccaria qui exalte la ferveur de son peuple et qui a pris en otage Fenena, la fille de Nabucco. Ismaele, le neveu du roi des Hébreux aime Fenena, les deux amants chantent leur amour et sont prêts à s’enfuir. Ismaele empêche de tuer Fenena. Nabucco peut à nouveau prendre sous son aile sa fille, piller le temple et emprisonner les Hébreux et leur meneur.Sans savoir que Fenena s’est convertie à la religion juive, il la désigne pour diriger le royaume des vainqueurs. Abigaille laisse éclater sa soif de pouvoir. Nabucco qui se déclare l’égal du dieu d’Israël est foudroyé par le tonnerre, il devient fou. Abigaille en profite pour prendre le pouvoir.Elle veut mettre à exécution le vœu de Nabucco et exter-

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Les Hébreux enchaînés devant le roi Nabuchodonosor.Miniature extraite du Livre de psaumes d’Elisabeth de Thuringe datant du XIIIème

siècle et conservé au Musée national à Cividale del Friuli en Italie.

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miner les Hébreux. Sur les bords de l’Euphrate le peuple pleure sa patrie lointaine. On entend alors le célèbre chœur, « Va pensiero ». Zaccaria garde confiance et prédit l’imminence du châtiment divin.Fenena va périr avec le peuple dont elle a épousé la foi. Nabucco se ressaisit et délivre sa fille. La statue de Baal, le dieu des Babyloniens est renversée. Nabucco pardonne aux Hébreux et leur permet le retour au pays. Abigaille met fin à ses jours, en implorant le pardon de Fenena.

WAGNER ET VERDI : DEUX GÉNIESLes représentations de Nabucco viennent se placer entre Siegfried et Götterdämmerung, n’est-il pas normal alors de parler des deux compositeurs omniprésents sur la place de Neuve depuis tant d’années ? Sans conteste, ils ont marqué le XIXème siècle, leurs carrières sont pa-rallèles, mais ils ne se sont jamais rencontrés. Ce sont deux génies du lyrique, mais leurs productions, leurs conceptions du théâtre musical sont très différentes. Pour Wagner le verbe est essentiel, il a voulu être écri-vain et philosophe en plus de musicien. Il est le héros de ses œuvres et installe une distance entre le monde terre à terre et le monde poétique rêvé grâce au mythe. En cachant l’orchestre dans la fosse si typique de Bayreuth, il le condamne à l’anonymat afin de laisser toute la place au drame, il se libère, en quelque sorte des contraintes de la matière. Verdi nous raconte les histoires les plus sordides de meurtre et de vengeance que la musique transcende, que tous peuvent comprendre et y trouver du bonheur. Il a su transcrire les fureurs, les haines, la soif de vengeance d’une petite ville dont il a été la vic-time. Sartre n’a-t-il pas dit : « L’enfer, c’est les autres. » ? Grâce à son intelligence, il a souvent échappé à la cen-sure malgré les sujets sulfureux de l’époque qu’il a abor-dés. Alors que Victor Hugo ne parvient pas à faire re-présenter Le Roi s’amuse, dans Venise, sous domination autrichienne, on chante Rigoletto. Au lieu de les mettre sur les barricades, Verdi a fait de ses personnages des héros de foyer d’opéra. Derrière un visage immuable et sa barbe se cache un homme d’émotions qu’il a su si bien transmettre à travers sa musique.Mais connaissait-il l’œuvre de Richard Wagner ? En jan-vier 1892, il se rend à Turin pour écouter La Walkyrie, il retourne un an plus tard à La Scala afin de revoir le même ouvrage qui ne parvient pas à le charmer. Il n’accepte pas le théâtre philosophique du compositeur allemand, mais il estime son génie. À 86 ans, il confie qu’il cherche, sans se lasser, à entrer dans le monde wagnérien. Il admire la géniale orchestration du deuxième acte de Tristan. Le 15 février 1883, il écrit à Giulio Ricordi : « C’est triste ! Triste ! Triste ! Wagner est mort ! … C’est une grande personna-lité qui disparaît ! Un homme qui laisse une empreinte très forte dans l’histoire de l’Art ! Adieu. » Il a assuré-ment de l’estime pour Wagner, mais il veut demeurer l’homme du mélodrame populaire, de la communica-tion directe avec le peuple. Ses opéras sont écrits pour la voix qui raconte, émeut et fait rêver. L’orchestre joue un rôle d’accompagnement, il ne tient pas de discours personnel, ce qui n’empêchera pas Verdi de supprimer la sinfonia di apertura (ouverture) dans ses dernières œuvres et de faire un usage nouveau de l’orchestre dans Falstaff. Paul Dukas, dans son hommage funèbre, dira : « Verdi n’abandonna jamais le terrain de l’opéra. » Nabucco demeure une œuvre intemporelle car elle reste l’expression de l’aspiration de tous les peuples à la paix,

à la liberté et à la terre natale. Depuis que Verdi a compo-sé « Va pensiero », le monde a énormément évolué, mais les aspirations, les conflits ethniques et religieux de-meurent. Chacun est à la quête de ses racines profondes. Face à la puissance, à la vengeance et à l’humiliation, le peuple déraciné, privé d’espoir, se tourne vers d’autres dieux, vers d’autres valeurs. Nous continuerons encore longtemps à réclamer Verdi et à l’acclamer. 19 ans que l’ouvrage n’était pas à l’affiche du Grand Théâtre, alors la décision est prise nous avons rendez-vous nombreux à la place de Neuve, à partir du 28 février. Mais aurons-nous tous une place pour cette œuvre toujours actuelle et séduisante ? DD

« Il n’y a qu’un seul moyen de terminer votre carrière mieux

encore qu’avec Otello, c’est de finir victorieusement avec Falstaff.

Après avoir fait résonner tous les cris et toutes les lamentations du

cœur humain, de finir par une immense explosion d’hilarité !

C’est de les ébahir. »ARRIGO BOITO À GIUSEPPE VERDI, LE 9 JUILLET 1889

« Amen, qu’il en soit ainsi ! Nous ferons donc Falstaff ! »

GIUSEPPE VERDI À ARRIGO BOITO, LE 10 JUILLET 1889

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par Daniel Dollé

La dernière page va se tourner...

Tout pe ut recommencer !L ’histoire de Siegfried aurait pu se terminer

avec un happy end, comme de nombreux contes qu’on raconte aux enfants : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. » Ces contes ne disent jamais ce qui se passe

lorsque la dernière page du livre est tournée. Que de-viennent Cendrillon et le Prince Charmant, ou encore la Belle au bois dormant et son amoureux ? Mais pour cela, il eut fallu que le thème de la malédiction énoncé par Alberich ne rodât pas dans de nombreuses pages de la partition. Ce n’est pas sans appréhension que Brünnhilde abandonne sa divinité et sa virginité, dans la précédente Journée, à l’enfant sauvage, resté intact par rapport aux afférences extérieures, au pouvoir et à la puissance de l’argent. Il a emporté avec lui le heaume magique et l’anneau, mais il ne connaît ni leur sens, ni la convoitise qu’ils suscitent. Grâce à la femme il apprend à connaître la peur. Malgré ses craintes, Brünnhilde s’est abandonnée au destin que la musique lui rappelle. Elle se détourne de l’angoisse et de sa faute à l’égard du père, grâce au thème de la paix qui deviendra le motif de Siegfried-Idyll. Elle se laisse entraîner par la passion de Siegfried après lui avoir demandé de la quitter, de la laisser. Dans un duo d’amour, en Ut majeur, ils marchent l’un vers l’autre dans la joie de vivre qui se confond avec la joie de la mort. La dernière phrase du duo sera la riante mort, le mot « mort » viendra conclure le duo sur le contre-Ut de la vierge guerrière.Brünnhilde

L’amour rayonnant, la riante mort ! (Siegfried, III, 3)

Ce dernier duo n’est pas sans rappeler Tristan und Isolde que Wagner a composé en laissant Siegfried sous le til-leul de la forêt. Le héros est désormais sous le charme des murmures de la forêt et comprend le langage de l’oi-seau. Le langage musical, orchestral de Wagner a changé.

> GÖTTERDÄMMERUNG de Richard Wagner DIRECTION MUSICALE Ingo Metzmacher MISE EN SCÈNE Dieter Dorn

DÉCORS & COSTUMES Jürgen Rose SIEGFRIED John Daszak GUNTHER Johannes Martin Kränzle HAGEN Jeremy Milner ALBERICH John Lundgren BRÜNNHILDE Petra Lang GUTRUNE Edith Haller

WALTRAUTE Michelle Breedt WOGLINDE Polina Pasztircsák

WELLGUNDE Stephanie Lauricella FLOSSHILDE Laura Nykänen

Chœur du Grand Théâtre Orchestre de la Suisse Romande Au Grand Théâtre 23 | 26 | 29 avril & 2 mai 2014 18 | 25 mai 2014 (pendant les cycles complets du Ring)

Troisième journée du Ring

Alors que l’histoire du jeune jouven-ceau vient juste de se terminer, déjà se prépare le dernier volet d’une saga unique dans l’histoire de l’opéra, Götterdämmerung (Le Crépuscule des dieux), l’opéra le plus long de cette épo-pée en un Prologue et trois Journées. Au départ, dans l’esquisse du poème originel, il s’appelait La Mort de Siegfried ; ce thème devient alors l'un des passages-clé de la partition.

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La dernière page va se tourner...

Tout pe ut recommencer !On s’en aperçoit dès le troisième acte de Siegfried. Douze années se sont écoulées.Siegfried et Brünnhilde se rencontrent et s’unissent comme si de toute éternité ils étaient faits l’un pour l’autre : « Ce n’est que pour toi que je devais être réveil-lée. » Ils se comportent comme deux êtres qui ont perdu, chacun, une moitié qu’ils retrouvent en s’unissant. Ce qui n’est pas sans rappeler le célèbre mythe du Banquet de Platon qui nous apprend que les dieux, effrayés par la puissance des androgynes, les ont séparés en deux. À partir de ce moment, chacun soupire après sa moitié perdue et aspire à l’unité. À l’époque de Wagner la no-tion d’androgyne était fortement présente, notamment chez les écrivains romantiques. Pour Novalis, l’andro-gyne représente l’homme parfait. « L’amour doit aider l’homme aussi bien que la femme, à sortir de leur état de division, et à s’achever en devenant une forme hu-maine complète, » écrit Franz von Baader. Les amants ont atteint leur complétude et dans leur extase, ils se dis-solvent dans l’éternité.Depuis Das Rheingold, le sort des dieux est jeté, Loge l’a bien compris : « Ils courent à leur perte ». Richard Wagner va nous raconter la suite de l’aventure. Que se serait-il passé si Siegfried était resté sur la montagne ? Pour Wagner, Siegfried incarne un être prometteur, à l’enfance exceptionnelle, capable de vaincre le dragon, conquérir l’or... mais aussi rater sa vie à cause de sa naï-veté. Manipulé, le héros trahit celle qui l’aime au-delà de tout, (Brünnhilde), lui préfère Gutrune ; il meurt pour-tant conscient de son échec, ce qui ajoute au tragique bouleversant de sa mort. Les dieux sont morts, ils ont signé leur arrêt de mort dans le Prologue. Ils n’apparaîtront plus au cours de la troisième Journée. Déjà dans Siegfried, Wotan n’agit plus, il est devenu un simple observateur sous les traits du

Voyageur. Dans un dernier sursaut d’orgueil et de jalou-sie, il a tenté de barrer la route à Siegfried, mais l’épée, qu’il avait jadis brisée avec sa lance, fracasse le symbole de son pouvoir. Il ne lui reste plus qu’à remonter au Walhall où il attendra sa fin avec les autres dieux. Mais que va-t-il advenir de l’anneau ? Ce qui est sûr c’est qu’il a perdu son sens premier. Siegfried ne sait rien de l’or, mais il deviendra une nouvelle victime de sa malédiction et de sa tyrannie. Il a donné l’anneau à Brünnhilde, en gage de son amour. Seule, l’amoureuse devenue veuve, Brünnhilde laisse envisager une issue salvatrice dans ce monde désenchanté : elle s’offre en sacrifice ; mais de sa conscience et de son expérience, jaillissent désormais une autre vision de l’humanité. C’est en résumé ce que nous raconte la dernière journée du Ring des Nibelungen.Les Nornes observent la clarté que Loge entretient au-tour du rocher de la Walkyrie. Elles chantent et filent sous les branches du frêne du monde, au pied duquel bruissait une source de sagesse. Wotan vint, abandonna un œil et but à la source. Il cassa une branche vigoureuse de l’arbre pour en faire une lance et y graver les runes, ces caractères de l’ancien alphabet du gotique et du nor-rois, et à qui on prête un pouvoir magique pour qui sait les déchiffrer. Le frêne périclita, le tronc périt et la source se tarit. Les Nornes évoquent les runes gravées sur la lance et la fin des dieux et du monde. Le fil des Nornes s’embrouille et se rompt. Il ne leur restera plus qu’à des-cendre dans les entrailles de la terre, rejoindre Erda.La 2ème Norne

Une malédiction vengeresse / ronge le réseau des fils. (Götterdämmerung, prologue)

Avec un interlude orchestral sur une septième de domi-nante en Si mineur, le jour se lève, la clarté de l’aurore va grandissante et débouche sur le motif de l'amour, bientôt relayé par un majestueux lever du soleil, traduit

(ci-dessus)

Les premiers essais scéniques de la production se sont déroulés en juillet 2013.

(page de gauche)

Brünnhilde chevauchant Grane se jette dans le brasier pour rejoindre Siegfried à la fin de Götterdämmerung. Lithographie d'Arthur Rackam de 1924.

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grâce à un tutti lumineux. L’heure des adieux est arrivée. Brünnhilde et Siegfried sont-ils conscients qu’ils ont passé leur dernière nuit d’amour ? Ils ne se retrouve-ront plus que dans la mort. Siegfried offre à Brünnhilde l’anneau dérobé dans l’antre de Fafner, avant de partir pour de nouvelles aventures, en compagnie de Grane, le cheval de Brünnhilde, au son du cor qui résonne déjà au fond de la vallée. N’aurait-il pas dû, ou pu rester sur la montagne afin d’échapper à la malédiction de l’or et ne pas devenir sa prochaine victime ?Avant que le rideau ne se lève sur le premier acte, on entend un second interlude musical, une symphonie pastorale en trois parties qui s’achève sur un double pia-nissimo sur un accord de Fa dièse majeur. Tout est prêt pour rentrer dans le monde des humains.Au palais des Gibichungs, Gunther et sa sœur conversent avec leur demi-frère, Hagen, le fils d’Alberich et de leur mère Grimhilde. Malgré le renoncement à l’amour dans Das Rheingold, Alberich a un fils, et l’albe noir devient un alter ego de Wotan qui a conçu Siegmund pour le sauver de la faute originelle. Ce qui nous amène à la question : Alberich a-t-il été touché un jour par l’amour ? Comment a-t-il séduit, conquis Grimhilde ? Par l’or ou par la force ? Il est à remarquer que Richard Wagner a jeté sur lui un regard compatissant. Cet être vil, en apparence, devait être capable de passion et en quête de rédemption. Depuis que Wotan lui a arraché l’anneau, n’a-t-il pas gagné en humanité ? Dans la scène avec son fils, Hagen, il se montre presque comme un père attentionné, mal-gré l’omniprésence du thème de la haine et de la malé-diction de l’anneau au trombone. Hagen conseille à la fratrie de consolider leur dynastie par de fières unions. À Gunther, il souhaite unir Brünnhilde, et à Gutrune, il destine Siegfried. C’est à l’aide d’un mystérieux breuvage de l’oubli qu’ils prévoient d’asservir l’innocent Siegfried qui arrive sur le Rhin, au son du cor. Gunther l’interroge sur le trésor des Nibelungs que Siegfried a dédaigné dans l’antre de Fafner. Sur les conseils de l’oiseau, il a emporté le heaume magique et l’anneau. Gutrune lui tend une coupe, il boit et s’en-flamme, déjà il a oublié Brünnhilde et demande sur le champ la main de la sœur de Gunther. Ce dernier lui confie son amour pour Brünnhilde, inaccessible sur le rocher entouré de flammes. Siegfried, lui propose de conquérir la fille déchue de Wotan. On s’aperçoit que nous sommes très près de l’intrigue que nous avons sui-vie au cours des versions concertantes de Sigurd, au mois d’octobre au Victoria Hall. À l’aide du heaume magique, Siegfried prendra l’aspect de Gunther et lui promet de ramener la fiancée promise, en échange de la main de sa sœur, Gutrune. Hagen, celui qui a manigancé la trahison, se tient à l’écart, prétextant ses origines bâtardes. Il ne songe qu’à la vengeance.

Pendant que se trame, au palais des Gibichungs, la sor-dide tragédie, Brünnhilde reçoit la visite de sa sœur dans sa retraite. D’abord, elle ne comprend pas le sens de sa visite. Waltraute, ne craint-elle pas la colère des Dieux ? Mais cette dernière vient pour lui parler de Wotan qui a fait abattre le frêne du monde pour ériger un vaste bû-cher autour de la demeure des Dieux.Waltraute

Il commanda d’empiler / les bûches du tronc / en un tas immense / autour du séjour des Dieux. (Götterdämmerung, I, 3)

Wotan a confié à Waltraute que si Brünnhilde rendait l’anneau maudit aux filles du Rhin, les Dieux et le monde seraient sauvés. Brünnhilde ne veut nullement sacrifier le gage sacré de l’amour. Elle ne cède pas aux suppliques de sa sœur qui part, désolée par cette immuable décision.En renonçant à rendre l’anneau maudit au Rhin, Brünnhilde condamne les Dieux, pour elle l’anneau a pris une nou-velle signification. Il est devenu le symbole de l’union, de l’amour charnel que les dieux ne peuvent pas connaître. Même Wotan, à travers ses multiples amours fugitives, n’a pas pris le temps de découvrir des sentiments, que sa fille, qu’il chérissait, connaît à présent. Des sentiments qui n’ont rien à voir avec un amour platonique.Brünnhilde

Comment peux-tu comprendre, / vierge insensible ! / l’anneau est pour moi / plus que les délices du Walhall / et plus que la gloire des Éternels : / un regard sur son or clair, / un éclair de son noble éclat / a plus de prix pour moi / que le bonheur / sans fin de tous les dieux. / Car de lui émane, / radieux, l’amour de Siegfried, / l’amour de Siegfried. Après ces propos sans compromis, elle renvoie Waltraute auprès des Dieux avec ce message :Jamais je n’abandonnerai l’amour / et ils ne me le pren-dront jamais, / l’éclatante splendeur du Walhall / dût-elle s’écrouler ! (Götterdämmerung, I, 3)

Brünnhilde est saisie par le vertige de l’amour. Waltraute, cette autre vierge guerrière, ne peut comprendre ces sentiments chargés d’érotisme et de sexe. À travers, le credo de la Walkyrie, privée de sa divinité, Wagner ré-pond à cette question : comment les hommes peuvent-ils donc trouver le salut. Dès Der liegende Holländer et dans Tannhäuser, il a donné la réponse. Dans des situa-tions très différentes, les deux héros sont à la recherche de la femme salvatrice. L’homme ne veut surtout pas être un dieu, il désire se sentir un être de chair, chaleu-reux et sensible. Il est en quête de l’amour idéal. Lorsque Cosima demandait à Richard : « M’aimes-tu ? », il lui pre-nait les mains, en disant : « Si je ne t’avais pas trouvée, je n’eusse plus écrit une seule note de musique. »Mais revenons à l’histoire. Lorsque Waltraute est partie, on entend le son du cor de Siegfried. Brünnhilde croit au retour de son époux, mais recule en voyant un guer-rier inconnu. Grâce au heaume magique, Siegfried a pris l’aspect de Gunther et vient la conquérir et la trahir. Le philtre de l’oubli agit toujours. Brünnhilde se débat, mais c’est en vain. Celui, qui lui avait juré fidélité et amour, vient de la trahir, mais elle ne le sait pas encore. Il lui ar-rache l’anneau et prend son épée, Notung à témoin de sa conquête loyale… Trahison de son épouse, mais loyauté et fidélité à Gunther devenu son frère par le sang.Pour avoir fréquenté le monde cupide, Siegfried trahit Brünnhilde, la femme de l’avenir qui prend conscience de sa faiblesse et qui condamne tous les hommes qui se

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Essais scéniques avec des figurantes pour représenter

les trois Nornes.

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souffle, la race des Dieux ; … le trésor de ma science sa-crée, je les livre au monde : ce ne sont plus les biens, l’or ou les pompes divines, les maisons, les cours, le faste sei-gneurial, ni les biens trompeurs des sombres traités, ni la dure loi des mœurs hypocrites, mais une seule chose qui dans les bons et mauvais jours nous rend heureux : l’Amour ! »Richard Wagner a 59 ans, lorsque le rêve qu’il porte en lui, depuis 40 ans, se réalise. Le 22 mai 1872, la première pierre est posée sur la verte colline. C’est à Bayreuth qu’il aura un théâtre, un temple, une maison qu’il a bap-tisée Wahnfried, et vis-à-vis de la fenêtre du salon, dissi-mulées sous les bosquets, il a fait creuser deux tombes jumelles où il repose en compagnie de Cosima. C’est à Bayreuth qui met la dernière main à Götterdämmerung. Le 21 novembre 1874, il écrit sur la dernière page de la partition : « Terminé à Wahnfried. Je n’ajoute aucun com-mentaire. » Dans le journal de Cosima, on lira : « J’ai voué ma vie dans les souffrances à cette œuvre et je m’étais acquis le droit de fêter dans la joie son achèvement. Je la fête donc dans la souffrance, je bénis de mes larmes cette œuvre merveilleuse et je remercie le méchant Dieu qui m’a imposé d’acheter cet achèvement d’abord par ma souffrance. À qui dire cette douleur, à qui m’en plaindre ; avec R., je ne peux que me taire, je la confie à ces feuilles, à mon Siegfried, puissent-elles l’instruire, lui apprendre qu’il ne faut éprouver nulle rancœur, nulle haine, mais seulement une pitié sans borne pour la plus misérable des créatures, l’homme. Je me réjouis donc de ma dou-leur et je joins les mains avec gratitude… Comment pour-rai-je manifester ma gratitude autrement qu’en détrui-sant toute tendance à l’être personnel : je te salue, jour de l’événement, je te salue, jour de l’accomplissement, le génie devait terminer son grand vol et que pouvait faire une pauvre femme. Souffrir dans l’amour et l’en-thousiasme. » Elle écrit ces quelques lignes, le samedi 21 novembre 1874, suite aux reproches de Richard Wagner de ne pas s’intéresser à son œuvre.L’été 1875 voit l’achèvement du Festspielhaus et le dé-but des premières répétitions. L’année suivante, entre le 13 et le 16 août a lieu la première représentation du Ring des Nibelungen qui sera suivi par deux autres cycles. Le succès public est grand, mais il n’en va pas de même sur le plan financier, et le festival accuse un grand déficit. Faute d’argent, le théâtre restera fermé pendant six ans. De son vivant, Richard Wagner ne verra son théâtre que deux fois ouvert, en 1876 pour Der Ring des Nibelungen, et en 1882, pour Parsifal. Il lui reste alors quelques mois à vivre, avant de mourir à Venise et d’être inhumé en grande pompe à Bayreuth. DD

comportent comme Gunther ou Siegfried.Brünnhilde (avec violence)

Il t’a trahi / et vous m’avez tous trahie ! / Pour me faire justice / tout le sang du monde / ne réparerait pas votre faute ! / Mais la mort d’un seul / vaudra pour moi celle de tous : / que Siegfried meure / pour son rachat et le vôtre ! (Götterdämmerung, II, 5)

La Walkyrie devenue la femme amoureuse devient à pré-sent la femme politique qui tient dans sa main l’arme ven-geresse, l’arme fatale. Elle révèle à Hagen le point fragile de Siegfried entre les épaules. Siegfried va mourir au cours d’une chasse. Les filles du Rhin l’ont mis en garde, mais il ne veut pas rendre l’anneau maudit qu’il a arraché aux doigts de Brünnhilde. Les flots auraient pourtant la capa-cité d’anéantir la malédiction. Il se passerait volontiers de l’anneau au profit de l’amour. Il propose de le leur offrir, en échange du plaisir. La vie et son corps, il les considère comme une motte de terre qu’il jette par-dessus l’épaule, loin de lui. Comme Fasolt, Fafner, Mime et bientôt Hagen, l’anneau maudit va le conduire à la mort.Lorsque Siegfried tourne le dos à Hagen, ce dernier le tue avec sa lance. Cet assassinat est merveilleusement commenté par l’orchestre qui retrace les péripéties de la vie du héros.Gunther

Hagen qu’as-tu fait ? (Götterdämmerung, III, 2)

Dans un dernier élan, Siegfried appelle son épouse sacrée et meurt. C’est alors que nous entendrons la Trauermarsch (marche funèbre), une autre page symphonique célèbre de la Tétralogie. Elle commence en Ut mineur, le ton fu-nèbre par excellence, comme la marche funèbre de la 3ème Symphonie « Eroica » de Beethoven. Elle se termine en Ut majeur, avec notamment une modulation en Mi bémol majeur, l’accord par lequel tout a commencé. Au terme de marche, Albert Lavignac, l’auteur du Voyage à Bayreuth, préférait le terme d’« oraison funèbre » poignante, au cours de laquelle la musique exprime l’indicible, pour parvenir à une émotion presque surnaturelle.Sur les bords du Rhin, Brünnhilde fait édifier un bûcher. Dans une extase furieuse, elle se tourne vers son héros, elle se rappelle du feu de l’amour et de la mort riante qui avait conclu l’acte III de Siegfried, grâce à qui elle a appris la malédiction qui pesait sur Wotan et qui a conduit un homme à la trahir.Brünnhilde

Ai-je donc appris ce qu’il faut ? / Tout, tout, / je sais tout, / tout devient clair pour moi ! (Götterdämmerung, III, 3)

Elle renvoie les deux corbeaux afin qu’ils rapportent ses propos à Wotan. Elle rejoint Siegfried et met le feu au bûcher. Brünnhilde et Siegfried sont réunis dans la mort. C’est le « Liebestod » de Brünnhilde qui conclut le Ring des Nibelungen dans un dénouement gigantesque, le climax or-chestral sera à nul autre pareil. Le Ring s’achève sur cette exhortation visionnaire, sur la prière d’une femme éclai-rée : aux hommes avertis, c’est à dire aux spectateurs de changer la société en créant un monde nouveau où jalou-sie, cupidité, ambition et manipulation seraient absents!L’anneau est retourné aux filles du Rhin, Hagen est englou-ti par les flots. Mais qu’est-il advenu d’Alberich ? Nul ne le sait. Début et fin du Ring se rejoignent, l’or est retourné au Rhin. Mais l’histoire ne pourrait-elle pas recommencer ?Pour devenir un autre monde, ce monde a besoin du savoir de la femme et nous rejoignons l’un des thèmes récurrents de l’œuvre wagnérienne : la rédemption par l’amour. Et Wagner de conclure. « Elle a passé comme un

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Le metteur en scène Dieter Dorne donnant ses instructions lors des premiers essais scéniques en juillet 2013.

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E n feuilletant des bandes dessinées, en regar-dant certains jeux sur Playstation, en relisant des conte pour enfants de 4 à 99 ans, force est de constater que nombreux sont celles et ceux qui ont certains points communs

avec la gigantesque œuvre de Richard Wagner, un opéra en un Prologue et 3 Journées, Les personnages sont des dieux, des déesses, des guerrières, des géants, des nains, des humains et parmi eux d’autres personnages, hors du commun, d’ascendance divine. Et que racontent-ils ? Ils parlent de leurs exploits, de leurs manières pour arriver à franchir les obstacles placés sur leur route et de leurs choix. Ils parlent de la soif du pouvoir, de questionne-ment, de recherche d’identité, de douleur, de violence, de haine, de recherche de l’insolite, une manière de fuir la banalité, et de la quête d’idéal : d’un monde paradisiaque conforme à leurs aspirations.Tous les âges ont connu leur Siegfried, il avait pour nom, Romulus ou Rémus, l’enfant loup, Victor l’enfant sauvage, Jean de Liège, Robinson Crusoé ou encore Mowgli, l’en-fant de la jungle. Ils ont donné naissance à tant de mythes et de légendes qui peuplent les contes et interrogent la communauté scientifique et le rationnel. Nombreux sommes-nous en quête d’identité et de nos parents bio-logiques, surtout lorsque les familles sont éclatées ou recomposées suite à des choix, mais aussi, suite à des évé-nements malheureux, tel que la mort accidentelle des pa-rents, ce qui fut le cas pour Siegfried : son père Siegmund est mort en combattant Hunding et sa mère est morte lorsqu’il vit le jour. Quel enfant n’a jamais joué à la guerre et rêvé de combattre des monstres une épée de fortune ou en plastique à la main ? Ne seraient-ce pas, par hasard, des ébauches de Siegfried en puissance ?Tout cela a conduit la direction du Grand Théâtre à cette belle aventure que nous vous invitons à partager. L’occasion était trop belle pour présenter la deuxième journée du Ring des Nibelungen à un jeune public, voire à un public qui ne connaît pas encore l’univers de Richard Wagner, souvent effrayé par la longueur des ouvrages. Est-il possible de raconter la fabuleuse histoire de Siegfried en 1h30 sans la défigurer ? C’est le défi qu’ont accepté de relever Philippe Béran, le chef d’orchestre bien connu et familier du public genevois, Julien Ostini, un jeune metteur en scène et collaborateur régulier du Grand Théâtre, Bruno de Lavenère, scénographe confir-mé, auteur du dispositif scénique de Cendrillon choré-

graphié par Michel Kelemenis, des artistes lyriques, les jeunes talents de l’Orchestre du Collège de Candolle ainsi que les équipes du Grand Théâtre.Ils ont choisi de nous raconter Siegfried, un conte en 3 actes, semblable à la Belle au bois dormant. Et qui semble se terminer, comme la plupart des contes, par une belle histoire d’amour. Pendant que la fille du Dieu des Dieux, Wotan, dort, sur un rocher, entourée d’une ceinture de flammes et non dans un château encerclée par les ronces, un jeune orphelin, recueilli et élevé par Mime le forgeron, recherche son identité, ses parents et veut connaître la peur. Il est semblable à tous les enfants sauvages et joue avec les animaux, avec un ours par exemple. Ce qui devrait nous rappeler quelque chose, certes, ils étaient en peluche. Pour lui enseigner la peur, son père adoptif l’entraîne vers l’antre d’un vers géant qui veille sur un trésor extrêmement convoité. Parmi ce trésor, un anneau qui semble posséder un pouvoir immense et nombreux sont ceux qui voudraient le pos-séder. Celui qui le prendra, deviendra Le Seigneur de l’an-neau. N’est-ce pas là un titre fort approchant d’une saga bien connue et fort populaire ?Le Voyageur, qui n’est autre que le chef des Dieux, rôde parmi les terriens et nous raconte l’histoire qui devient rapidement une fantasy, une littérature de l’imaginaire qui intègre l’irrationnel et le surnaturel et où la magie in-tervient régulièrement. C’est l’équivalent du grec fanta-sia, « genre situé à la croisée du merveilleux et du fantas-tique, qui prend ses sources dans l’histoire, les mythes, les contes et la science-fiction ». Cette fantasy est accom-pagnée et illustrée par une musique riche et colorée qui ne saurait laisser indifférent. Les pouvoirs du Voyageur sont grands, il possède des formules magiques. Peut-être acceptera-t-il de nous en faire partager une ? Mais une chose est certaine, ici tout est musique, et les formules magiques sont chantées et peut-être, le Voyageur, nous demandera-t-il de chanter une formule avec lui…Les temps changent, mais il reste des valeurs immuables toujours véhiculées par les arts qui ouvrent d’autres ho-rizons et de nouvelles perspectives.Après La Petite Zauberflöte et le Chat botté au Grand Théâtre, nous vous donnons rendez-vous pour découvrir un nouveau conte qui sera une création mondiale, ins-pirée par le souffle wagnérien, par sa musique et par le mythe, toujours source d’inspiration et véhicule d’émo-tions et de contemporanéité. DD

> SIEGFRIED OU QUI DEVIENDRA LE SEIGNEUR DE L'ANNEAU... une Fantasy musicale de Peter Larsen d'après Richard Wagner DIRECTION MUSICALE Philippe Béran MISE EN SCÈNE & COSTUMES Julien Ostini

SCÉNOGRAPHIE & COSTUMES Bruno de Lavenère LUMIÈRES Simon Trottet SIEGFRIED Marc Laho MIME Fabrice Farina LE VOYAGEUR, MAÎTRE DES CORBEAUX Philippe Huttenlocher FAFNER, LE MONSTRUEUX DRAGON Khachik Matevosyan LA FILLE-OISEAU DE LA FORÊT Elisa Cenni BRÜNNHILDE Julienne Walker Orchestre du Collège de Genève Au Grand Théâtre 21 mars (19 h 30) | 22 mars 2014 (15 h et 19 h 30)

L’enfant sauvageSiegfried, un héros de console de jeux

(page de droite)

Infographies 3D des décors de cette production par le scénographe

Bruno de Lavenère.

(ci-dessus)

L'arbre/forge de Mime (Planche 20)

extrait de SiegfriedAlex Alice, 2007

Éditions DargaudBande dessinée

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Différents moments de la création européenne de cette

œuvre le 23 août 2013, à la Jahrhunderthalle Bochum,

en ouverture du festival RuhrTriennale 2013.

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« La direction vers laquelle je me suis dirigé durant ces quarante dernières

années a beaucoup de choses en commun avec les activités et les actions

de l’homme primitif tel que je l’imagine. L’homme primitif a découvert des sonorités

magiques dans les matériaux qui l’entourent […]. Il a ensuite fait en sorte de rendre cet objet, ce

médium, cet instrument aussi beau visuellement qu’il le pouvait. Sa dernière étape était presque

automatique : faire des sonorités magiques et de la beauté visuelle quelque chose de spirituel. […] Les

trois actes de l’homme primitif deviennent la trinité de son œuvre : sonorités magiques, forme et beauté

visuelle et expérience rituelle. »HARRY PARTCH

Un thème du théâtre nô japonais, un conte éthiopien : un drame suivi d’une comédie. L’histoire d’un meurtrier à la recherche d’un lieu de pénitence, hanté par le fan-tôme de sa victime et bouleversé par une

rencontre inattendue. Et celle d’un jugement absurde rendu par le sage d’un village après qu’une altercation, tout aussi absurde, ait éclaté entre un vagabond aveugle et une chevrière. Difficile de trouver deux récits plus éloignés. Et pourtant, ces événements seront rapprochés grâce aux outils traditionnels du théâtre, de la lumière, du mouvement et du chant, pour être représentés dans un espace temps indéfini. Liés par un mouvement musi-cal ininterrompu, ils fusionneront au cours d’un rituel musical magnétisant.Si le nom de Harry Partch (1901-1974) ne parle pas for-cément aux mélomanes férus de musique moderne, l’œuvre et la démarche artistique de ce compositeur américain font de lui l’une des figures les plus singu-lières du riche panorama de la musique au XXème siècle. Particulièrement bien documentée par des éditions soi-

Le Festival Archipel et le Grand Théâtre vous invitent à explorer

l’étrange univers d’Harry Partch

gnées, son œuvre n’est paradoxalement que très peu jouée en public. Créée à Los Angeles en 1969, Delusion of the Fury est d’ailleurs l’une de ses compositions les plus importantes. Elle explore l’émotion de la colère chez l’être humain à travers deux situations bien distinctes. Les deux représentations de Delusion of the Fury seront donc l’occasion de découvrir une œuvre qui sort des sentiers battus et de se familiariser avec un imaginaire musical tout simplement captivant.Tout au long de sa carrière, Partch a cherché à mettre au point un langage musical inédit. Adepte d’un style de vie marginal et se déplaçant sans cesse à travers les dif-férents états de l'Union, ce créateur rebelle a gardé une certaine distance vis-à-vis de la grande tradition musi-cale européenne. Cette attitude de pionnier, que l’on retrouve d’ailleurs chez son compatriote John Cage et d’autres compositeurs étasuniens de l’époque, est tout à fait caractéristique de la multiplication des horizons musicaux qui s’est manifestée suite à la fin du dernier grand conflit mondial. Parmi ses nombreuses innova-tions, Partch a notamment mis au point une gamme de 43 tons et a créé un grand nombre d’instruments, tous conçus à partir de matériaux récupérés au gré de ses pérégrinations. On retrouve entre autres le Mazda marimba, constitué de rangées d’ampoules de diffé-rentes tailles (Mazda est le dieu perse de la lumière), ou le Gourd tree & cone gong (l’arbre à calebasse et le gong cône), une combinaison de douze cloches fixées dans des calebasses, elles-mêmes réparties le long d’un tronc d’eucalyptus, et de deux pièces en aluminium qui pro-viennent de la carcasse d’un avion-bombardier. Pilotée par Heiner Goebbels, compositeur metteur en scène et directeur artistique de la RuhrTriennale 2012-2014, cette production de Delusion of the Fury sera jouée par l’Ensemble musikFabrik dont les membres en seront à la fois les exécutants scéniques et musicaux. Ce pres-tigieux ensemble actif dans le domaine de la musique contemporaine, a d’ailleurs fait reconstruire, pour la première fois, la totalité de l’instrumentarium du com-positeur. En présentant cette œuvre, encore inédite en Europe il y a peu, Heiner Goebbels et l’Ensemble musik-Fabrik redonnent vie à un pan de la création musicale du siècle précédent qui contrecarre les clichés que l’on peut entendre au sujet de ce répertoire et offre aux spectateurs une expérience visuelle, sonore et théâtrale unique. BP

> DELUSION OF THE FURY Théâtre musical en 2 actes de Harry Partch MISE EN SCÈNE Heiner Goebbels

SCÉNOGRAPHIE & LUMIÈRES Klaus Grünberg COSTUMES Florence Von Gerkan SOUND DESIGN Paul Jeukendrup

Ensemble musikFabrik Au BFM 28 | 29 mars 2014

Après sa création européenne lors de la dernière édition de la RuhrTriennale, Delusion of the Fury fait escale au Bâtiment des Forces Motrices pour deux représentations. Présenté en collaboration avec le Festival Archipel, ce spectacle musical hors du commun lève le rideau sur l’univers sonore de Harry Partch.par Benoît Payn

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A u printemps 2013, Jonas Kaufmann a sus-pendu à l’improviste ses engagements ly-riques pour une durée d’environ trois mois, ce qui n’a pas manqué de faire jaser les cyber-gazettes lyriques. Le ténor bavarois

est au sommet de la très courte liste des grandes étoiles de l’opéra aujourd’hui, et sans doute également au sommet de la liste encore plus courte des très grands chanteurs do-tés de créativité et d’intelligence artistique. Il semble donc naturel de s’être soucié de cette absence.Le fait est qu’au début avril, Jonas Kaufmann avait du pain sur la planche : ses débuts viennois en Parsifal sur la scène du Staatsoper et le commencement d’une tournée inter-nationale avec, en récital, Winterreise (Le Voyage d’hiver) de Franz Schubert, accompagné par Helmut Deutsch. Deux prestations qui allaient certainement lui valoir un intérêt plus qu’habituel et pour lesquelles on ne saurait lui reprocher de prendre un peu d’élan.Winterreise, ce sont 24 lieds sur un cycle poétique du même nom par Wilhelm Müller (1794-1827) que Franz Schubert composa en 1827, l’année de la mort du poète, alors qu’il était lui même déjà gravement frappé par le mal qui allait l’emporter l’année suivante : la syphilis. Inca-pable d’atteindre l’origine de sa maladie corporelle, Schu-bert a-t-il vu dans les poèmes de Müller une manière d’at-teindre l’origine de son mal à l’âme ? Avec chaque poème, on avance peu à peu dans le monde psychique du narra-teur, un voyageur, peut-être un peu fugitif, laissant derrière lui les bruits du chemin – les chiens qui aboient, la glace qui craque et la neige qui crisse, le cor de la poste – pour finalement révéler la désillusion glacée de l’être intérieur, à l’image du paysage qui entoure le narrateur. Ce voyage introspectif de Schubert dans la neige vers la bonne nuit finale semble avoir été écrit sur mesure pour Jonas Kaufmann. Ce cycle de lieds avait été composé à l’origine pour une voix de ténor, mais la postérité a voulu que ce soient ses interprétations par les barytons, surtout germaniques (le regretté Dietrich Fischer-Dieskau, naturellement, mais aussi Werner Güra, Thomas Quas-thoff ou, plus récemment au Grand Théâtre, Matthias Goerne), qui nous marquent par la coloration et la pro-fondeur émotive typiques de ce registre de voix. Or s’il est un aspect de la voix de Jonas Kaufmann que critiques et publics se plaisent à souligner ce sont bien ses quali-tés barytonales ; le ténor un peu sombre du Bavarois est donc un atout majeur dans l’interprétation de cette œuvre. Ajoutez à cela la passion avec laquelle Jonas Kaufmann étudie et s’immerge dans son répertoire, on peut non seu-

lement s’attendre à un son d’une grande beauté, mais éga-lement à des choix artistiques judicieux, permettant une intonation et une diction superlatives. Par exemple, de nombreux interprètes choisissent de donner au lied « Der Lindenbaum » (Le Tilleul), au début du cycle, une teneur et un legato sombres, ralentissant le tempo et forçant le trait de l’allusion aux désirs de se suicider du narrateur (une approche que qu’on peut comprendre quand on sait que les manuels de musique scolaire autrichiens ont publié « Der Lindenbaum » comme mélodie folklorique sentimen-tale jusqu’en 2005). Lorsque Jonas Kaufmann l’entonne, il grave ses phrases mélodiques avec tendresse, comme l’amant le nom de la bien-aimée dans le bois du tilleul. La voix émerge des couleurs sombres barytonales, claire et tranchante comme un rayon de lumière.Cette manière unique qu’a Jonas Kaufmann d’appliquer à son timbre barytonal la musicalité souple et lisse de son registre supérieur lui permet, à l’occasion, de déchaîner le Heldentenor qui est en lui, et pas seulement dans les forte où l’on pourrait s’y attendre, mais aussi dans des moments de grande teneur dramatique, comme le milieu du sixième numéro du cycle, « Wasserflut » (Le Déluge). Confier Win-terreise à un interprète aussi profondément lié à la scène lyrique pourrait poser des risques de dérapages dans les excès pathétiques et la sentimentalité facile s’il ne s’agis-sait pas de Jonas Kaufmann. Préparons-nous plutôt à voir cet interprète au charisme exceptionnel utiliser sa riche expérience scénique pour faire ressortir un véritable per-sonnage des poèmes. Une mention est due au pianiste accompagnateur Helmut Deutsch, ancien professeur de chant de Jonas Kaufmann. Le rapport maître-élève de leur passé doit certainement leur servir pour Winterreise, où le pianiste doit presque tenir tête au chanteur et briller de son propre chef, tout en respectant l’intégrité du délicat travail d’équipe des deux artistes. L’étape genevoise du voyage d’hiver de Jonas Kaufmann, pour laquelle l’intégralité des places de la salle du Grand Théâtre s’est vendue en un temps record, ne sera pas seu-lement l’occasion de se rincer l’œil (difficile de ne pas en pincer un peu, même chastement, pour un si bel homme) mais certainement aussi de laisser cet œil glisser une larme ou deux en compagnie d’un artiste qui ne craint pas de montrer sa vive émotion lorsque les dernières vibra-tions de la voix et du clavier se perdent dans l’espace et le temps. Et cette émotion devra nous suffire, car comme la tradition l’exige, il n’y aura pas de bis ; en effet que peut-on chanter après Winterreise ? ChP

Voyage d’hiver de Jonas Kaufmann

par Christopher Park

> JONAS KAUFMANN Ténor PIANO Helmut Deutsch Au Grand Théâtre Dimanche 30 mars 2014

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Derniers dvdPARSIFALWagnerOrchestre, Ballet et Chœur du Met de New YorkDM : Daniele GattiMS : François GirardSony Music Classique, 2014B00CU55HMY

WAGNERStaatskapelle DresdenDM : Christian ThielemannC Major, 2013B00GNNESB0

Derniers cd

WINTERREISESchubertPiano : Helmut DeutschSony Music Classique, 2014B00GOI2ZTG

THE VERDI ALBUMOrchestre de l'opéra de ParmeDM : Pier Giorgio MorandiSony, 2013B00BT70IWS

KAUFMANN WAGNEROrchester der Deutschen Oper BerlinDM : Donald RunniclesDecca, 2013 (BlueRay)B00BW7FCLM

À l’occasion de la soirée du Cercle du Grand Théâtre

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Le voyage d’hiver de Jonas Kaufmann

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“ Willst zu meinen Liedern Deine Leier dreh’n? ”

WILHELM MÜLLER WINTERREISE « DER LEIERMANN » (LE JOUEUR DE VIELLE)

*Veux-tu tourner ta vielle au son de mes chansons ?

Son agenda18 février-15 mars 2014Werther Massenet(Werther)New York, Metropolitan Opera

20 février 2014RécitalNew York, Carnegie Hall

19 mars 2014Concert avec Renée Fleming Lyric Opera, Chicago

du 28 mars au 14 avril 2014Récital Winterreise28/03 Barcelone, Gran Teatre del Liceu 01/04 Berlin, Philharmonie 04/04 Graz, Musikverein 06/04 Londres, Royal Opera House 08/04 Paris, Théâtre des Champs-Élysées 12/04 Moscou, Conservatoire Tchaikovski 14/04 Milan, Teatro alla Scala

du 4 au 11 mai 2014Récital Lieder eines fahrenden Gesellen04/05 Vienne, Musikverein 05/05 Linz, Brucknerhaus 06/05 Munich, Gasteig 07/05 Toulouse, Halle aux Grains 08/05 Château de Versailles 10/05 Baden-Baden, Festspielhaus 11/05 Luxembourg, Philharmonie

17 juin-7 juillet 2014Manon Lescaut Puccini(Des Grieux)Londres, Royal Opera House

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Bureau

M. Luc Argand, présidentM. Pierre-Alain Wavre, vice-président M. Gabriel Safdié, trésorier Mme Véronique Walter, secrétaireMme Françoise de Mestral

autres memBres du comité

S. A. S. la Princesse Andrienne d’ArenbergMme Vanessa Mathysen-GerstMme Brigitte VielleM. Gerson Waechter

memBres Bienfaiteurs

M. et Mme Luc ArgandMme René AugereauM. et Mme Claude DemoleM. et Mme Guy DemoleFondation de bienfaisance de la banque PictetFondation Hans WilsdorfM. et Mme Pierre KellerBanque Lombard Odier & Cie SAM. et Mme Yves OltramareMrs Laurel Polleys-CamusUnion Bancaire Privée – UBP SAM. Pierre-Alain WavreM. et Mme Gérard WertheimerMme Christiane Steck

memBres individuels

S. A. Prince Amyn Aga Khan Mme Diane d’ArcisS. A. S. La Princesse Étienne d’ArenbergMme Dominique ArpelsM. Ronald AsmarMme Véronique BarbeyMme Christine Batruch-HawrylyshynM. et Mme Gérard BauerMme Maria Pilar de la BéraudièreM. et Mme Philippe BertheratMme Antoine BestMme Saskia van BeuningenMme Françoise BodmerM. Jean BonnaProf. et Mme Julien BogousslavskyMme Christiane BoulangerComtesse Brandolini d’AddaMme Robert BrinerMme Caroline CaffinM. et Mme Alexandre CatsiapisMme Maria Livanos CattauiMme Muriel Chaponnière-RochatMme Anne ChevalleyM. et Mme Neville CookM. Jean-Pierre CubizolleM. et Mme Olivier DunantMme Denise Elfen-LaniadoMme Maria EmbiricosMme Diane Etter-SoutterMme Clarina FirmenichMme Pierre-Claude FournetM. et Mme Eric FreymondMme Manja GidéonMme Elka Gouzer-WaechterMme Claudia GroothaertM. et Mme Philippe Gudin de La SablonnièreMme Bernard HacciusM. Alex HoffmannM. et Mme Philippe JabreM. et Mme Eric JacquetM. Romain JordanMme Madeleine KogevinasM. et Mme Jean KohlerM. David LachatM. Marko LacinMme Michèle LarakiM. et Mme Pierre LardyMme Guy LefortMme Eric LescureMme Eva Lundin

M. Ian LundinM. Bernard MachMme France Majoie Le LousM. et Mme Colin MaltbyM. Thierry de MarignacMme Mark Mathysen-GerstM. Bertrand MausMme Anne MausM. Olivier MausM. et Mme Charles de MestralMme Vera MichalskiM. et Mme Francis MinkoffM. et Mme Bernard MomméjaM. et Mme Christopher Mouravieff-ApostolMme Pierre-Yves Mourgue d’AlgueM. et Mme Trifon NatsisMme Laurence NavilleM. et Mme Philippe NordmannM. et Mme Alan ParkerM. et Mme Shelby du PasquierMme Sibylle PastréM. Jacques PerrotM. et Mme Gilles PetitpierreM. et Mme Charles PictetM. et Mme Guillaume PictetM. et Mme Ivan PictetM. et Mme Jean-François PissettazMme Françoise PropperComte de ProyartMme Ruth RappaportM. et Mme Andreas RötheliM. Jean-Louis du Roy de BlicquyM. et Mme Gabriel SafdiéComte et Comtesse de Saint-PierreM. Vincenzo Salina AmoriniM. et Mme Paul SaurelM. Julien SchoenlaubMme Claudio SegréBaron et Baronne SeillièreM. Thierry ServantMarquis et Marquise Enrico SpinolaMme Christiane SteckM. André-Pierre TardyM. et Mme Riccardo TattoniM. et Mme Kamen TrollerM. Richard de TscharnerM. et Mme Gérard TurpinM. et Mme Jean-Luc VermeulenM. Pierre VernesM. et Mme Julien VielleM. et Mme Olivier VodozMme Bérénice WaechterM. Gerson WaechterMme Véronique WalterM. et Mme Lionel de WeckMme Paul-Annik WeillerMme Julie Wynne

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REJOIGNEZ-NOUS !Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes.Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier des avantages suivants :• Priorité de placement• Service de billetterie

personnalisé• Echange de billets• Dîner de gala à l’issue de

l’Assemblée Générale• Cocktails d’entractes réservés

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« Les Métiers de l’Opéra »• Visites des coulisses et des

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Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique, chorégraphique et dramatique. Son but est d’apporter son soutien financier aux activités du Grand Théâtre et ainsi, de participer à son rayonnement.

Le carnet du Cercle

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L e Cercle du Grand Théâtre contribue depuis 28 ans à soutenir le projet artistique de l’ins-titution d’art lyrique et de ballet genevoise. Son appui a toujours été d’une grande di-versité, œuvrant tantôt sur des projets de

moindre visibilité mais néanmoins de grande efficience – le soutien récent aux activités de Labo-M pour le pu-blic jeunes adultes en est un bon exemple –, tantôt sur des éléments dont la visibilité crève littéralement les yeux puisque c’est grâce au Cercle que le Grand Théâtre put se doter de son premier système de surtitrage, une pratique désormais reconnue comme essentielle à la du-rabilité des maisons d’opéra, n’en déplaise aux puristes!Lorsque les plus fervents amis de la grande dame de la place de Neuve fédèrent leurs énergies et canalisent vers elle leur générosité, c'est d'abord l'institution elle-même qui en bénéficie. Les directeurs se sont succédés à la tête du Grand Théâtre mais tous ont pu compter sur la contribution du Cercle pour maintenir le difficile équi-libre financier d'une maison d'arts vivants qui a reçu a deux reprises la distinction de « Meilleur spectacle euro-péen de l'année » (Syndicat de la critique, France), contri-buant incontestablement au rayonnement de Genève.S’il a parfois été important que le Cercle propose son aide dans des projets essentiels de nature logistique, le soutien du Cercle ne peut que briller de feux spéciale-ment attrayants lorsqu’il se manifeste dans son désor-mais traditionnel soutien à la programmation du Grand Théâtre. Notre maison d'opéra – grâce au bon goût et au flair de ses directeurs – a souvent servi durant le dernier quart de siècle de plate-forme de lancement pour des chanteurs appelés par la suite à de grandes carrières. Qui s’imaginait que la Marguerite choisie en 2009 pour une inoubliable Damnation de Faust dans la mise en scène d’Olivier Py allait devenir dans la décennie suivant sa prestation à Genève l’une des mezzo-sopranos les plus appréciées de notre temps? C’est à Paris, Vienne, Milan, Londres et New York qu’on doit désormais se rendre pour entendre la voix sensuelle et témoigner du charisme fou-gueux d’Elīna Garanča. Le hasard a voulu qu’une destinée

lyrique incroyable attende un autre jeune chanteur de cette Damnation de Faust : le ténor Jonas Kaufmann, vir-tuellement inconnu en 2003, est devenu le Heldentenor de référence du moment. On peut penser ce que l’on veut de l’exploitation futée de ses qualités... plastiques, par des labels de disques un tantinet mercenaires, ce talent exceptionnel qui brilla alors pour le Berlioz genevois, lui a valu la consécration ultime d’un Lohengrin à Bayreuth pour la centième édition du festival en 2011.Grâce au Cercle, ces brillantes étoiles du firmament lyrique contemporain peuvent revisiter la scène qui a connu leurs exploits juvéniles. Nous ne pouvons guère, hélas, espérer les revoir dans nos productions d’opéra, mais le Cercle, lorsqu’il endosse son habit de partenaire de récitals, permet au public genevois d’applaudir à nouveau ceux dont il peut être fier d’avoir découvert le talent. Elīna Garanča, d’abord, revenue en 2013 avec un programme des plus grands tubes de mezzo de l’opéra romantique; noblesse oblige, avec orchestre. Et, en mars prochain le beau Jonas, porteur d’une œuvre un peu plus understated mais non moins sublime, Winterreise de Schubert.Sans prétendre rivaliser avec la Garanča et Kaufmann, le magazine que vous lisez est aussi un heureux bénéfi-ciaire de l’appui du Cercle. Depuis la direction générale de Hugues Gall, le Cercle a doté le Grand Théâtre, dans les mots de M. Gall lui-même d’« une publication qui passe encore aujourd’hui pour une référence ». Dans ses différentes incarnations, le « Journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève », propose gratuite-ment à son public et, depuis 2013, aux lecteurs du journal Le Temps dans lequel nos quatre éditions par saison sont encartées, un regard privilégié sur nos productions, aux ar-tistes qui les animent et à la vie de notre théâtre. De talen-tueux chroniqueurs y ont brillé, comme Jean Starobinski et Charles Sigel. Devenu ACT-O depuis que Tobias Richter est aux commandes du Grand Théâtre, nous espérons que le Cercle saura toujours reconnaître dans ce magazine une expression de sa fierté de soutenir les grands arts vivants de l’opéra et du ballet à Genève par l’image et par les mots, quand d’autres le font si bien par la musique. ChP

Le carnet du Cercle

Têtes d'affiche et grands titresLe Cercle, partenaire de récital et d’ACT-O

par Christopher Park

(ci-dessus)

Elīna Garanča est Marguerite en 2009 pour la reprise de La Damnation de Faust mise en scène par Olivier Py et Jonas Kaufmann était Faust lors de la création de cette même production en 2003.

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« Une certaine mémoire de moi-même »

Ken Ossola, pendant les répétitions au Studio Balanchine en décembre dernier.

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Ken Ossolaune entrevue avec Christopher Park

de nulle part. À l’image de ces bruits qui viennent de nulle part, quand on se promène dans le silence

de la forêt et qu’on entend un bruit d’oiseau, par exemple. J’ai été très vite attiré par le rapport que

Mahler décrit avec la nature. J’ai aussi très vite perçu les difficultés du travail d’approche d’une telle musique. Mais ce qui m’a aussi aidé pour cela était ma perception d’une sensibilité asiatique dans la musique de Mahler, notamment dans la manière qui parfois paraît distante dont sont représentées les émotions. Une sensibilité vers laquelle je me sens fortement attiré, étant moi-même en partie d’origine coréenne.

ChP Dans le bouddhisme zen de l’Asie de l’Est, le moment de l’éveil subit de la conscience est souvent celui du chant inattendu d’un oiseau, voire d’un cri de corbeau, qui fait irruption dans le silence et la pénombre. Et puis, dans la liste des

musiques de Mahler que vous avez choisies pour votre soirée, se trouve un

extrait de Das Lied von der Erde…

KO Oui, j’ai choisi un extrait de Der Abschied, « L’Adieu » qui comme les autres textes du Chant

de la terre, est un poème chinois. Parallèlement, Mémoire de l’ombre m’invite à retourner à mes sources, à revenir dans une certaine mémoire d’une ombre de moi-même. Mon appartenance ethnique, dans mon enfance, a certainement joué le rôle d’une ombre. J’ai

ChristOPher ParK Ken Ossola, la dernière fois que vous avez travaillé avec le Ballet du Grand Théâtre, c’était en 2009, où vous avez présenté la deuxième partie de programme Sed Lux Permanet sur la musique du Requiem de Fauré, pièce qui est entrée depuis au répertoire de la compagnie sous le nom de Lux. Avant cela vous aviez présenté Ombre fragile en 2008, une courte pièce pour huit danseurs, sur le Quintette en Ut majeur de Schubert. Sommes-nous devant le troisième volet d’un triptyque d’ombre et de lumière ?

Ken OssOla Si cette trilogie s’est formée, c’est certainement dû à l’intelligence de Philippe Cohen qui connaissant ma personnalité très prudente, peu encline à prendre des risques, a pris une approche différente avec moi, en fixant des paliers où je serais confronté chaque fois à un nouveau défi. Mémoire de l’ombre est le dernier challenge en date ; je travaille avec toute la compagnie et pour une soirée entière. Il m’a également proposé deux choix musicaux pour cette soirée : musique baroque vénitienne ou Gustav Mahler. J’ai préféré Mahler, mais en même temps j’en avais peur car je ne connaissais pas bien le compositeur. Sa musique est très forte en émotions humaines, avec une grande transparence. Mais elle est aussi très riche en surprises : tout à coup, par exemple, un son de fanfare va surgir, comme

« Une certaine mémoire de moi-même »

> MÉMOIRE DE L'OMBRE Ballet sur des musiques de Gustav Mahler CHORÉGRAPHIE Ken Ossola

COMPOSITION & ARRANGEMENT Julien Tarride SCÉNOGRAPHIE & COSTUMES Nicolas Musin LUMIÈRES Harrys Picot

Ballet du Grand Théâtre de Genève Au BFM 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 18 | 19 | 20 février 2014

(ci-contre)

La danseuse du Ballet du Grand Théâtre Daniela Zaghini est soliste dans cette nouvelle création de Ken Ossola.

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chP Ombre fragile se dansait au son de l’Adagio du Quintette de Schubert, une musique intime et profondément mélancolique ; le Requiem est, sans jeu de mot, une musique d’enterrement. Maintenant, vous êtes face à Mahler, qui a des moments dynamiques et inattendus, mais qui se distingue aussi par ses immenses mouvements d’émotion sombres et douloureux. Le langage de votre danse se plaît-il dans tant de décorum ?

Ko Ma danse se plaît dans l’utilisation du silence. J’adore la lenteur, bien plus que les mouvements dynamiques ou la rapidité. J’ai toujours été comme ça, à préférer le calme. Mon approche du mouvement privilégie la lenteur. Mais je ne peux pas faire une pièce d’une heure et vingt minutes dans la lenteur. Il me faut donc trouver une certaine dynamique pour ne pas fatiguer l’œil, sans tomber dans l’autre extrême qui est d’aller à mille à l’heure, ce qui est tout aussi fatigant pour l’œil ! Ce qu’il faut essayer de trouver, c’est une dynamique qui sait tantôt rafraîchir, tantôt surprendre. C’était mon intention en réalisant en tout premier lieu –  presque deux ans avant la chorégraphie, la scénographie ou les costumes – le concept musical de la pièce avec un de mes amis Bruno Talouarn, un grand connaisseur de musiques de film. Passer presque une année à trouver cette dynamique m’a donné plus de liberté dans le travail de chorégraphe. Parmi mes choix, la décision d’inclure de la musique vocale contribue de manière intéressante à la dynamique. Pour moi la présence des voix symbolise le monde de l’intimité et de la féminité, mais j’ai aussi inclus une voix masculine, pour un extrait des Lieder eines fahrenden Gesellen. Cette pièce, je l’ai souvent entendue chantée par

vécu en Corée jusqu’à l’âge de trois ans, après quoi j’ai été adopté à Genève par des parents suisses. Mais j’ai énormément de souvenirs de ma petite enfance dans ma mémoire : la nourriture, ma mère et ma sœur biologiques, des sensations de l’endroit où nous vivions. Avec le temps, il m’est devenu difficile de savoir si c’était des choses que j’avais vécues ou que j’avais imaginées. Mon identité ethnique m’a donc hanté pendant très longtemps, et cette interrogation entre la mémoire réelle et la mémoire imaginaire s’est complexifiée jusqu’à l’obsession à l’adolescence, jusqu’à ce que je rencontre ma mère biologique à l’âge de 23 ans et qu’elle me confirme que tous me souvenirs étaient réels, ce qui m’a aidé à lâcher prise sur mon passé. Reconnaître mes racines biologiques m’a également aidé à comprendre des comportements en moi, sur lesquels je n’arrivais pas à mettre un nom.

chP Entre Ombre fragile et Lux, qu’avez-vous appris au sujet de votre danse ?

Ko Lorsque j’ai créé Sed Lux Permanet, c’était la première fois que je travaillais avec toute la compagnie. Ce fut une expérience magnifique, bien que la musique représentait un défi majeur pour moi. Le Requiem est une musique très éthérée, qui a une vibration très élevée, tout au long de la pièce. Il fallait donc trouver quelque chose qui avait du poids, qui pondère le corps des danseurs. Bien que j’aie aussi tendance à être très volatil, j’étais appelé à toujours ramener les émotions élevées de la musique dans le corps. Travailler avec l’ensemble de la compagnie, avec de la musique en live – orchestre, chœur, solistes – ont été également des expériences formatrices.

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des gens, une face occulte, cachée. Certaines personnes ont plus de facilité à vivre leurs émotions dans la transparence, d’autres se cachent plutôt derrière un mur, d’autres ne dévoilent que des aspects du jardin secret de leurs émotions. Avec une musique qui est une masse organique des émotions humaines, cette pièce cherche à dévoiler, à rendre les murs opaques, ou transparents, à identifier même l’absence. La pièce dévoile également une émotion dans la nature à laquelle la scénographie, entre autres, fait allusion. Avec Nicolas Musin, nous avons choisi une photographie en noir et blanc, que je trouve absolument magnifique, comme toile de fond pour la pièce. L’image – une forêt de conifères – évoque une peinture à l’encre japonaise et rappelle les changements incessants de la nature qui se détruit et se reconstruit, qui est organique. Et l’être humain existe de cette manière dans la nature. Ce que nous voyons dans la nature, le cycle de mort et de vie, ce n’est qu’une image de nous-mêmes.

chP En vous voyant répéter avec la compagnie ces derniers jours, j’ai vu les danseurs évoluer d’une manière particulière, utilisant leurs membres pour définir un espace autour d’eux, touchant la terre, s’étirant au ciel, prises ou repoussés symétriques, poussant contre une sorte de membrane invisible autour d’eux qui définit une géométrie organique, comme le fait l’écriture cursive manuelle. Je me suis alors demandé si, pour le tempo de votre pièce, cette écriture avait préséance sur le récit de la musique…

Ko La musicalité corporelle est à l’œuvre lorsque le corps crée le mouvement et c’est à ce moment qu’a lieu

une voix de femme mais le choix d’une voix d’homme me permet d’intégrer une sorte de conversation dans le fil de la pièce, entre l’homme et la femme.

chP Mémoire de l’ombre met en place une conversation. Y aura-t-il d’autres propos dans votre pièce pour dessiner une présence, ou une absence, de narration ?

Ko La narration a toujours été un danger pour moi. Si je me laisse aller, j’ai tendance à trop suivre la musique comme un récit. Pour ce projet en particulier, j’observe parfois une synchronie musicale entre danse et musique, et ailleurs c’est plutôt une séparation qui se dessine. Je conçois la narration dans ma pièce comme une abstraction signifiante, une calligraphie, des symboles, des gestes qui guident le public mais le laissent libre de faire sa propre interprétation. Et puis, la musique a suffisamment de poids pour raconter sa propre histoire. Elle est pleine de rebondissements  et de richesses émotionnelles ; le défi étant de trouver une danse qui est équilibrée face à cette masse qui surgit et qui tressaute. Mais parfois la musique en dit tellement qu’il lui faut laisser l’espace pour s’exprimer.

chP Votre esthétique de la danse, à l’instar de la peinture et de la calligraphie de l’Asie de l’Est, présente une grande sensibilité envers la nature. Dans Mémoire de l’ombre, est-ce que l’élément d’ombre est une allusion à la nature ?

Ko D’abord à la nature de l’être humain, qui est faite de ses émotions, que la vie en société nous force souvent à cacher ou à corrompre. Cela compose alors, pour bien

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Un des duos de Mémoire de l'ombre avec Armando Gonzalez et Sarawanee Tanatanit.(ci-dessus)

Une des figures de Mémoire de l'ombre avec Paul Girard, Sara Shigenari et Geoffrey Van Dyck.

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la séparation avec la musique. Mais la musique donne des repères au mouvement. Je propose aux danseurs de suivre le flux de la musique sans suivre toutes les notes. La dynamique corporelle doit aller avec la musique sans toutefois devenir la musique. D’ailleurs, dans la création du concept musical j’ai aussi pris quelques distances avec le « pur » Mahler, de manière à ajouter au dynamisme général de la pièce, en aménageant des temps de repos pour l’oreille. Ces autres éléments sonores viendront du travail de Julien Tarride, compositeur et arrangeur électronique, à qui j’ai demandé deux compositions originales pour la bande-son de Mémoire de l’ombre, l’une à partir du célèbre Adagietto de la Cinquième symphonie, et une autre absolument sans référence mahlérienne, pour casser un peu cette présence dominante. Un autre élément signifiant pour le spectacle, pour revenir à la scénographie de Nicolas Musin, est une feuille-miroir, sorte de membrane de plastique argenté, réfléchissante ou transparente selon l’angle de la lumière qui va se poser entre le plateau et la toile de fond. Parfois elle sera invisible, parfois elle pourra bloquer la vue, voir éblouir. Cette feuille, avec laquelle les danseurs interagissent, représente la relation avec les émotions humaines. Qui crée quoi ? Est-ce le danseur qui crée la transformation de cette feuille ou le contraire ? La feuille participe aussi à la musicalité de la pièce ; en bougeant, elle génère des sons, sur le principe de la tôle mais en bien plus léger. La feuille est une allusion à la nature, mais c’est aussi une création artificielle, comme la mer en plastique dans E la nave va de Fellini. Les costumes sont réalisés avec des matériaux, certains plus rigides que d’autres. Pour moi, c’est très important de voir le corps, donc ils auront une certaine transparence. Les danseurs porteront divers types de chemises avec un col très haut, allusion à la mode masculine du tout début du XXème siècle et au monde mahlérien. Mais ce côté « collet monté » est contrebalancé par des bodys transparents qui accentuent l’animalité des corps. Trois mondes s’esquissent : une palette de noirs, une série de costumes plissés – symboles peut-être d’une peau qui se ride, qui vieillit, de la maturité et de la mort – et un monde plein de différents tons de gris.

chP L’ombre, c’est avant tout le compagnon de l’être humain dans sa solitude. Dans les répétitions, j’ai été touché par un moment où une danseuse exécute un solo, auquel viennent se greffer une deuxième, puis une troisième danseuse. Sommes nous vraiment seuls avec notre ombre ou les autres êtres humains sont-ils aussi notre ombre ?

Ko Les deux sont vrai. On est seul avec notre ombre et les autres aussi peuvent devenir notre ombre. Le monde qu’on voit est en rapport avec notre propre perception et notre propre ressenti. La personne en face de nous reflètera donc certains traits de notre vision du monde. Tout comme les traditions transmises au fil des générations se reflètent dans la mémoire. La danse est l’une de ces traditions et il y a probablement dans cette pièce des éléments d’une mémoire néo-classique, de la danse certainement avec la mémoire de mon expérience auprès de Jiří Kylián, mais aussi du cinéma, auquel la musique de Mahler est intimement associée, Mort à Venise de Visconti, et de la tradition musicale post-mahlérienne, dont sont issus tant de compositeurs modernes, Webern, Chostakovitch, Britten… C’est l’ombre que Mahler jette sur notre perception contemporaine de la culture et de l’art et c’est aussi une mémoire !

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(ci-contre)

Le chorégraphe Ken Ossola explique une figure à

Xavier Juyon du Ballet du Grand Théâtre.

(ci-dessus)

Répétitions du Ballet du Grand Théâtre au Studio

Balanchine.

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N’en déplaise à T.S. Eliot pour qui « April is the cruellest month » et à la cohorte des dic-tons qui lui font une réputation d’empê-cheur-de-se-découvrir-d’un-fil, la semaine après Pâques sera particulièrement bien

fleurie à Genève grâce au festival Helveticdanse ! « Encore un festival (dont je n’ai jamais entendu parler) », vous entends-je maugréer. Mais Helveticdanse n’est pas un festival comme les autres. À l’ère du pop-up et de l’événe-ment éphémère, la métaphore florale est sans doute fort à propos : les fleurs durent ce qu’elles durent, certaines repoussent chaque année, d’autres pas et c’est très bien comme ça. Peut-être que cette première édition d’un synode très spécial de la danse suisse, rassemblant les quatre plus grandes compagnies de danse de notre pays, passera de l’état d’annuel à vivace, c’est encore un peu tôt pour faire de la botanique prévisionnelle. Ce n’est pas tous les ans qu’on fête le bicentenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération helvétique, l’occasion de célébrer l’une des rares choses qui fait florès des deux cotés du Röstigraben : la passion et le goût de la danse. Genève, donc, se fait hôte pendant quatre jours, au BFM, des quatre principaux ensembles de danse suisse. Sur ce parterre, il n’y a que des spécimens d’exception mais le clou de l’arrangement sera certainement la pré-sence, pour la première fois sur sol suisse en dehors du canton de Vaud, du Béjart Ballet Lausanne. Primus inter pares, il convient de mentionner en premier la com-pagnie mythique venue se percher sur les côteaux du Léman en 1987, même si, en ordre chronologique, elle sera le troisième intervenant de Helveticdanse. Sous la direction de Gil Roman, le Béjart Ballet Lausanne

proposera, à deux reprises, un programme réunissant des fleurons historiques du maître – Boléro (1961), Cantate 51 (1966) et Bhakti III (1968) – ainsi qu’une floraison plus récente : de Gil Roman, Syncope (2010). Pour reprendre l’ordre d’éclosion, c’est le Ballet du Grand Théâtre de Genève qui commence la guirlande, en reprenant pour la première fois à Genève depuis sa création en 2012, le Glory d’Andonis Foniadakis, hit des tournées internationales de la compagnie genevoise. Le Ballett Zürich prépare trois premières internatio-nales sous le titre de Notations qui deux jours après leur création le 24 avril à Zurich viendront épanouir leur corolles au BFM : du prodige anglais de la danse Wayne McGregor, Vivaldi Recomposed, puis une nouvelle choré-graphie de l’Allemand Marco Goecke pour le Verklärte Nacht d’Arnold Schönberg et enfin, une pièce du direc-teur actuel du Ballet de Zurich, Christian Spuck, inspirée par les sonnets de Shakespeare et la 8ème symphonie de Philip Glass. Cette fête des fleurs se refermera avec le programme „ Absolut Dansa “, proposé par le Ballett Basel, où une nouvelle création de Johan Inger, Tempus Fugit sur des musiques de J. S. Bach partagera la soirée avec une œuvre d’Alexander Ekman, Flockwork (2006) où des nouvelles musiques (Evan Ziporyn & Arden Trio, Matmos) se mêlent à quelques spécimens exotiques de musique traditionnelle hawaïenne, cueillis par le choré-graphe pour agrémenter une pièce qu’il annonce « plu-tôt amusante et très visuelle ». Helveticdanse : un bou-quet généreux et ravissant pour ce mois mal aimé ! Ne faudrait-il d’ailleurs pas forger un nouveau dicton pour l'année 2014 : « Avril entre en bourgeonnant, mais fleurit en dansant » ? ChP

par Christopher Park

La fleur de la danse suisseÀ l’occasion des célébrations du bicentenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération

> HELVETICDANSE 4 compagnies de danse suisse BALLET DU GRAND THÉÂTRE

Glory (A. Foniadakis) 25 avril 2014

BALLETT ZÜRICH Notations (W. McGregor, M. Goecke, C. Spuck) 26 avril 2014

BÉJART BALLET LAUSANNE Boléro, Bhakti III, Cantate 51 (M. Béjart), Syncope (G. Roman) 28 | 29 avril 2014

BALLETT BASEL

„Absolut DAnsA“ (J. Inger, A. Ekman) 30 avril 2014

Au BFM

en parade (ci-dessus, de gauche à droite)

Le Béjart Ballet Lausanne dansera Boléro, Ballett Basel, Flockwork dans le programme „Absolut Dansa“

et Ballett Zürich son programme Notations.

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Le Béjart Ballet Lausanne dansera également Bhakti III et le Ballet du Grand Théâtre reprendra son succès de 2012, Glory.

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La fleur de la danse suisse

LUNDI MARDI MERCREDI JEUDI VENDREDI WEEK-END

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ACT-O Pourquoi s’engager dans le mécénat culturel ?

Elena Timtchenko Notre famille est installée à Genève depuis plus de dix ans et nous avons eu envie de concré-tiser notre attachement à cette région en créant des ponts entre nos deux cultures. La Russie regorge de talents et la richesse de notre culture classique n’éclipse en rien la foisonnante création contemporaine. Notre but est d’une part de soutenir la scène culturelle russe en lui donnant une visibilité internationale et d’autre part de proposer au public suisse, très ouvert et réceptif, des événements exceptionnels qui enrichissent l’offre culturelle très dense de la région. La culture est un puissant vecteur d’espoir et de tradi-tion. En Russie, nos fondations œuvrent également dans le domaine social afin d’apporter une aide ciblée aux plus démunis.

ACT-O Quel est le dénominateur commun de tous les projets que soutient la Fondation Neva ?

ET Nous ne perdons jamais de vue la mission que nous nous sommes donnée lors de la création de la fonda-tion : favoriser les liens entre nos deux pays, encourager l’excellence et permettre au public suisse de découvrir la richesse de notre culture. Nous recevons de nombreuses demandes de soutien et étudions chacune d’entre elles à travers ce prisme. Nos trois domaines de prédilection – la culture, le sport et les sciences – nous permettent de diversifier les partena-riats et les projets. Chacun d’eux illustre à sa manière une des facettes de notre culture ou de nos traditions. Notre soutien répond chaque fois à cette même exigence, qu’il

Le Mécénat culturel

s’agisse de danse, de musique, de cinéma ou d’échecs. La fondation s’attache également au développement des jeunes talents à travers ces différentes disciplines. Et c’est toujours une grande satisfaction de constater l’inté-rêt du public romand pour les découvertes que nous lui proposons.

ACT-O Quels seront les projets phares de la Fondation Neva en 2014 ?

ET Nos partenariats reconduits avec diverses institutions prestigieuses de Suisse romande donneront lieu à de nom-breux évènements de qualité, en particulier avec le Grand Théâtre de Genève. Nous sommes aussi très fiers d’annon-cer la deuxième édition du festival de cinéma « KINO.Films de Russie et d’ailleurs » dont la première édition s’est tenue en septembre dernier à Genève et Lausanne. Elle a rassemblé un public nombreux et enthousiaste autour de la production cinématographique de ces deux dernières années en provenance des pays de l’ex-URSS. Nous espérons en faire un rendez-vous incontournable à la fois des cinéphiles romands, mais aussi de tous ceux qui s’intéressent à cette région du monde. Rendez-vous est pris pour octobre 2014.Pour terminer, à cheval entre la culture et le sport, les échecs constitueront un axe de développement important cette année. Convaincus des multiples bénéfices de cette discipline, nous soutiendrons notamment son enseigne-ment dans les écoles genevoises. De très belles perspec-tives pour cette année !

www.neva-fondation.org

selon Elena Timtchenko, présidente de la Fondation Neva

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M I S E E N S C È N E E T R E P R I S E D E S C H O R É G R A P H I E S

A N D R I S L I E P AR E C O N S T I T U T I O N D E S D É C O R S & C O S T U M E S

A N N A N E Z H N YA N A T O L Y N E Z H N Y

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Les affiches des projets de la Fondation Neva

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de précision. Le danseur, comme l’horloger, pratique l’art de l’éternel recommencement. Pour eux, l’excellence n’est pas une alternative. Elle est une quête. Mais ce qui unit ces deux univers plus encore, c’est le devoir de transmission. Un danseur enseigne toujours à un autre danseur. Comme un maître horloger forme celui appelé à lui succéder. Le geste juste et vrai est offert en don de soi.Œuvrer pour demainC’est au nom de la création et de son corollaire, le devoir de transmission, que Vacheron Constantin s’est engagée avec tant de détermination aux côtés d’institutions pres-tigieuses comme le New York City Ballet, la Royal Ballet School de Londres ou encore le Ballet de l’Opéra natio-nal de Paris. Son soutien, sous la forme de partenariats et de mécénats, lui vaut une présence forte sur la scène mondiale. Il a pour vocation de soutenir les identités artistiques. Ainsi Mémoire de l’ombre, nouvelle création au Grand Théâtre de Genève, « calligraphiée », selon ses propres mots, par Ken Ossola sur une musique de Gustav Mahler, qui a bénéficié du soutien de la Manufacture. Ce ballet a été programmé par Philippe Cohen. Depuis dix ans, celui-ci officie au Grand Théatre de Genève, prodi-gieuse pépinière de talents et de jeunes chorégraphes, où les dons et l’inspiration se conjuguent pour émerveiller le public. Encore et toujours.

L’ère du tempsS’il est un élan vital qui porte la Manufacture Vacheron Constantin depuis sa fondation en 1755, c’est bien celui de la création. Jean-Marc Vacheron, contemporain de Jean-Jacques Rousseau, appartient à cette élite d’artisans gene-vois férus d’astronomie et de sciences. Tout baignés qu’ils sont du Siècle des Lumières, ils nourrissent leur passion de l’innovation à l’aune de la connaissance et de la culture. Car l’époque est à la liberté, de parole et de ton. Elle croit aussi en la capacité de l’homme à inventer un langage qui transcende et réconcilie. Cette impulsion originelle, la Manufacture la chérit et s’en inspire. Depuis près de 260 ans, les maîtres horlogers de Vacheron Constantin imaginent, conçoivent et réalisent des garde-temps comme autant de reflets mécaniques du monde. Exécutés avec un mélange savant de rigueur et d’expertise transmise de geste à geste, d’âme à âme, leur charge émotionnelle est intense. Ils incarnent le génie hu-main, l’excellence et la beauté dans une célébration géné-reuse. Car la passion horlogère n’a de sens que si elle est partagée, comme elle ne saurait s’épanouir sans entrer en résonance avec d’autres univers, tel celui de la danse.La passion du geste purRituel aux accents théosophes dans sa forme première, la danse ne s’est harmonisée avec la musique qu’à partir du Moyen-Âge. Dès lors, elle bat au rythme du temps objectif et de sa mesure. Il existe tant de correspondances stylis-tiques, poétiques, imaginaires entre l’univers de la danse et celui de l’horlogerie. La chorégraphie mécanique d’un mouvement à grande complication. Le ballet des aiguilles sur la scène d’un cadran au décor précieux. Mais l’humain est sans doute ce qui les lie de la façon la plus intime. Le bal-let et l’horlogerie sont des écoles d’humilité, de patience et

Vacheron Constantin, une certaine idéede l'avenir Par la force des liens tissés avec

les institutions qu’elle soutient,la manufacture horlogère du quai de l’Île contribue au rayonnement d’institutions culturelles et artistiques de premier plan.Elle perpétue ainsi l’esprit de la Maisonet augure d’un futur placé sous le signede la transmission, de la grâceet de l’universalité.

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Chère GisèleSavoir-vivre au Grand Théâtre

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Gisèle de Neuve se rappelle d’avoir versé sa première

larme lyrique au Grand Théâtre en 1962, quand après dix longues saisons

extra-muros, elle entendit un baryton déclarer à un ténor : « Dieu permet encore qu’on s’aime / Près de lui, quand

on est au ciel ». Elle fut naturellement surprise par la vive émotion de son cousin Antoine-Bénédict qui

l’accompagnait ce soir-là, les joues ruisselantes de larmes (qui, étrangement, se tarirent pour les adieux d’Élisabeth à

Carlos de l’acte V), mais le mouchoir secourable que Gisèle avait tendu à son grand sensible de cousin était déjà hors

service lorsqu’elle aussi fut enfin saisie par le délicieux plaisir de pleurer à l’opéra. Depuis ce jour, Gisèle vient

toujours au Grand Théâtre avec deux mouchoirs, signes de son apostolat en faveur de l’émotion pour tous, mais

sans laisser-aller malpropre en salle. Nul détail, petit ou grand, qui incommode

notre Cher Public ne lui est indifférent. Chère Gisèle, que

nous dit votre courrier ?

La sete mi divora...

Une chronique de Gisèle de Neuve illustrée par bienassis

Chère Gisèle,Je vous écris parce que l’autre jour j’étais au Grand Théâtre pour la première fois et il semble que j’ai, bien involontairement, offusqué mon voisin. En reprenant ma place après l’entracte, j’ai tiré une petite bouteille d’eau de mon sac, histoire de me rafraîchir la bouche avant la reprise du spectacle. Le monsieur assis à mes côtés s’est tourné vers moi en haussant le sourcil. J’ai pris une gorgée timide et replacé la bouteille dans mon sac ouvert, à portée de la main, mais dès que j’allongeais le bras, mon voisin pivotait dans ma direction en me fustigeant du regard. J’ai donc passé la deuxième partie de mon introduction à l’art lyrique la bouche sèche et le gosier en toile émeri. Est-ce si dérangeant de s’hydrater discrètement au Grand Théâtre ?Je ne suis quand même pas venue avec un seau de pop-corn et un litre de coca !

Manon Lescaut

Chère Manon,Il fut un temps où nous arrivions à subvenir à tous nos besoins en liquides sans recours immodéré au polyté-réphtalate d’éthylène et où les poubelles et décharges d’ordures de ce monde ne débordaient pas de petites et grandes bouteilles en PET. Le service de restauration du Grand Théâtre est d’ailleurs très old school, et sert ses mi-nérales dans des bouteilles de verre consignées. Je vais donc supposer que vous n’avez pas pu atteindre le bar pendant l’entracte, et que l’excellente eau potable dis-pensée dans tous les robinets du théâtre ne suffit pas à vos besoins pressants. Non, il vous la fallait en salle, pour vous « hydrater ». C’est là que je dois suspendre mon jugement. Car bien que la moderne omniprésence des gourdes me hérisse (à Dieu ne plaise que nous endurions même un instant les tourments de la soif sur les arides landes de nos occupations quotidiennes !), je reconnais tout de même qu’entre l’étouffante chaleur de certaines soirées au Grand Théâtre et l’effet lénitif d’une gorgée d’eau sur une quinte de toux, le recours discret à une réserve hydrique peut être salutaire. Vous avez donc mon indulgence, chère Manon, et le regard de votre voi-sin fut excessivement sévère. Amusez-vous à ses dépens et prenez plutôt vos gorgées d’eau d’une jolie flasque à whisky. L’argent est tellement moins bruyant que le PET. Votre dévouée,

Gisèle de Neuve

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Chère Gisèle

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La sete mi divora...

Ai vostri posti !O belle ai vostri posti !Chère Gisèle,Le parterre du Grand Théâtre doit avoir la plus longue rangée de sièges du monde ! Que recommandez-vous aux spectateurs qui ont la chance d’y être assis ? Je voudrais savoir quelle est l’étiquette à observer pour prendre sa place avec un minimum d’inconvénient, pour les autres spectateurs et soi-même. Je remarque notamment, qu’à l’entrée de la rangée, il y a parfois de petits attroupe-ments de personnes attendant que le centre de la rangée se remplisse. Et si le centre de la rangée était retarda-taire, ou tout simplement absent ? Cet immobilisme de bon ton n’est franchement pas très pratique si on a be-soin d’un petit moment pour s’installer commodément dans son fauteuil jouxtant le milieu de rangée !

Rang 3, place 13

Cher Rang,Étant moi-même une scrutatrice inlassable du fascinant biotope des rangs d’orchestre, depuis ma vigie quelques mètres au-dessus de vos têtes, je suis ravie que votre lettre me donne enfin l’occasion de mettre un ordre sa-lutaire dans les pratiques hétéroclites que j’y observe. Trois points à relever.1. La courtoisie. Les personnes qui attendent que le centre

de la rangée soit occupé avant d’y entrer sont soit d’une prévenance exquise, soit, comme vous, des casaniers qui, une fois calés dans le velours rouge, n’aiment pas devoir s’en lever pour laisser passer des gens. Parfois, l’allée laté-rale bouchonne tant et si bien que je me demande si la courtoisie ne s’exerce pas aux dépens du bon sens.2. La bienséance. « Présentez toujours le devant au monde ! » Si vous devez passer par-dessus vos cama-rades de rangée pour accéder à votre place, rappelez-vous du bon mot de L’Avare. Les personnes qui avancent latéralement en tournant le dos aux personnes déjà as-sises, ont deux fois plus de chances d’écraser un orteil que celles qui entrent en leur faisant face. C’est aussi l’occasion de leur adresser un sourire confus et recon-naissant, tout en jaugeant mieux l’espace de passage.3. La ponctualité. La pire entrée en rangée imaginable, pour tous concernés, est celle du couple retardataire où Monsieur dépose Madame à 19 h 31 sur le parvis et cinq minutes plus tard, leur voiture stationnée, Monsieur doit être introduit, pendant l’ouverture, au rang 3 place 9, dans l’obscurité et la confusion. La ponctualité, c’est non seulement être à l’heure, mais être ensemble !Votre dévouée,

Gisèle de Neuve

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Jeune, Expat... et Labo-M

L A C U L T U R E R U S S E D U M É C É N A T

C R É É E E N 2 0 0 8 À G E N È V E

P A R L A F A M I L L E T I M T C H E N K O ,

L A F O N D A T I O N N E VA A P O U R V O C A T I O N D E R E N F O R C E R

L E S L I E N S Q U I U N I S S E N T L A R U S S I E E T L A S U I S S E .

T A N T S U R L E P L A N C U LT U R E L , S C I E N T I F I Q U E

Q U E S P O R T I F, L A F O N D A T I O N S O U T I E N T D E S P R O J E T S

VA L O R I S A N T L’ E X C E L L E N C E .

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235x320_hivers_neva_13.indd 1 15.12.13 12:34ACT-0_N°18.indd 32 24.01.14 15:43

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D u haut de son imposante réputation, le Grand Théâtre de Genève a une double responsabilité. Non seulement est-il le point de référence incontesté du monde de l’opéra en Suisse romande, mais il

a également le potentiel pour devenir une plateforme d’intégration culturelle pour la ville de Genève et le can-ton lui-même. On sait que Genève, avec un taux de rési-dents n’ayant pas la nationalité suisse supérieur à 55% (selon les données Urbistat 2011), est la ville de Suisse où les étrangers sont les plus nombreux. Le rôle de la population étrangère dans le succès économique de Genève est indiscutable, mais du point de vue de l’inté-gration sociale le résultat paraît moins exemplaire.Cela fait déjà deux ans que je suis arrivé à Genève pour travailler dans une multinationale étasunienne de biens de grande consommation dont le siège social est ici. L’accueil fut, hélas, météorologiquement très froid, on se souvient tous de ces semaines de février 2012 où la colonne de mercure dépassait rarement le zéro. Malgré ces conditions climatiques hostiles, la ville donnait au contraire de beaux signes de vivacité. Les rues désertes du dimanche matin donnaient la réplique à la promesse de nuits festives de clubbing. Bien des soirs, en rentrant du bureau, je me suis laissé fasciner par l’ambiance d’une autre époque qu’on respire en passant devant le Grand Théâtre. Les dames en robe du soir, le personnel d’accueil en uniforme, le champagne… c’était comme un plongeon dans le passé. Et bien des fois je me suis pro-posé d’en faire rapidement partie, moi aussi.Mon enthousiasme initial m’a cependant laissé quelque peu déconcerté, car l’insertion dans ce lieu de l’élite ge-nevoise ne me semblait pas facile. Les obstacles, réels ou imaginaires, étaient nombreux. Au premier coup d’œil, la société genevoise semblait divisée en au moins deux grands silos qui ne mélangeaient que rarement leur contenu : Genevois vs Expats. Bien entendu, à mon arrivée je n’ai fait connaissance qu’avec des expatriés et personne de mon réseau n’avait jamais mis les pieds au Grand Théâtre ; il n’y avait personne, par conséquent, pour m’y introduire. L’autre obstacle fut évidemment la langue… qui d’entre nous parlait français ? Et puis, où trouver des informations sur les spectacles ? Certes, la

par Daniel Piana

ville était tapissée d’affiches, de feuilles volantes, mais qui y faisait attention ? Après tout, dans toutes les villes où j’avais vécu précédemment, le téléphone arabe m’avait tenu à jour sur les principaux événements cultu-rels. Mais dans ce nouveau contexte, j’étais aux abonnés absents.Heureusement, un beau jour j’ai fait le grand saut et j’ai franchi la porte du Grand Théâtre pour souscrire à un abonnement. J’ai eu la bonne surprise de me faire proposer une formule avantageuse malgré avoir dé-passé la limite d’âge conventionnelle des tarifs jeunes : l’abonnement Abo-M. Ma curiosité fut piquée et m’interrogeant sur le pourquoi de ce nom, j’ai découvert mon point d’accroche au Grand Théâtre : son club pour les abonnés jeunes adultes, Labo-M. Un monde nouveau s’est ouvert et les barrières sont tombées. En participant aux activités Labo-M, je me suis trouvé dans un milieu amical et inclusif, ouvert à la diversité où la dichoto-mie Genevois et Expats n’avait plus sens. Le mélange des cultures s’y fait gracieusement, dans la pluralité de l’offre du Grand Théâtre et sous le seul dénominateur commun de la beauté. Les traditions française, italienne, allemande, autrichienne et russe s’y rencontrent dans un programme de danse et d’œuvres lyriques qui est à la hauteur des goûts les plus sophistiqués. Les équipes artistiques qui proposent les spectacles sont elles aussi expertes dans l’art du melting pot. La salle n’en est pas de reste ; son soutien technologique au public propose le surtitrage bilingue des œuvres pour assurer la com-préhension et une expérience inoubliable au public le plus vaste. On pourrait toujours en faire plus, mais entre un site Internet bilingue, un contenu anglophone régulier dans les programmes et une billetterie où je n’ai jamais dû recourir à mon mauvais français pour me faire comprendre, je crois que le Grand Théâtre fait déjà bien plus que d’autres maisons d’opéra que j’ai fréquentées pour que les Expats de Genève se sentent à l’aise dans ses murs. Autant de détails prévenants qui sont une manière discrète mais efficace de reconnaître la nature multiethnique de Genève. Et c’est ce qui m’a persuadé d’endosser l’habit de délégué culturel Labo-M, pour ser-vir d’exemple vivant de l’attitude cosmopolite du Grand Théâtre de Genève. DP

Jeune, Expat... et Labo-M

Daniel Piana fait partie depuis septembre 2013 de la délégation culturelle Labo-M, le groupe de bénévoles qui pilote les activités du club Labo-M. Ingénieur de formation, originaire de Bergame en Italie, il a 28 ans et vit en couple avec Silvia, une compatriote qu’il a rencontrée à Genève, dans l’entreprise où ils sont tous deux venus travailler. Concerné par la question de l’intégration des expatriés dans le tissu culturel et social genevois, il propose pour ACT-O quelques réflexions surle sujet.

Daniel Piana est originaire de Bergame et vit en couple

avec Silvia, une compatriote rencontrée à Genève.

L A C U L T U R E R U S S E D U M É C É N A T

C R É É E E N 2 0 0 8 À G E N È V E

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L E S L I E N S Q U I U N I S S E N T L A R U S S I E E T L A S U I S S E .

T A N T S U R L E P L A N C U LT U R E L , S C I E N T I F I Q U E

Q U E S P O R T I F, L A F O N D A T I O N S O U T I E N T D E S P R O J E T S

VA L O R I S A N T L’ E X C E L L E N C E .

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À l’origine, il s’agissait tout d’abord d’ouvrir la noble institution de la place de Neuve aux jeunes dès 10 ans, dans le secret espoir de former le public de demain. C’est pourquoi depuis 2001, chaque spectacle

de danse et d’opéra quelle qu’en soit la difficulté, fait l’objet d’une préparation élaborée que l’on appelle «  parcours pédagogique  ». Une soixantaine de classes, soit environ un millier d’élèves de l’école primaire aux établissements du postobligatoire profitent chaque année de cette formation aux arts lyrique et chorégra-phique. Combien reviendront de leur propre volonté assister à un spectacle ! De nombreux élèves interrogés à ce sujet affirment la plupart du temps souhaiter reve-nir à condition que le spectacle soit moins long... Mais telle n’est plus la question puisqu’en ouvrant ses portes aux jeunes, le Grand Théâtre les amène à découvrir, par le biais de visites, la complexité du fonctionnement d’un théâtre. Une visite des coulisses ou des ateliers de construction de décors, de couture ou de celui du bottier n’est jamais anodine car elle suscite toujours de nom-breuses questions sur les qualifications requises pour exercer tel ou tel métier. Toutes ces professions que les élèves découvrent avec la complicité des techniciens qui se trouvent sur le plateau ou des artisans rencontrés au sein des ateliers suscitent toujours un vif intérêt, qu’il s’agisse des électriciens, des électromécaniciens, des serruriers ou des menuisiers, des couturières ou des accessoiristes. Par contre les métiers artistiques comme ceux liés à la danse ou au chant, bien qu’attirant la curio-

par Kathereen Abhervé

sité des jeunes sur les salaires, semblent toutefois assez éloignés de leurs préoccupations et de leurs centres d’intérêt. En effet s’il arrive que certains adolescents quittent le Grand Théâtre avec la ferme intention de revenir pour faire un stage dans l’un de ses ateliers, ou que des collégiens rêvent de devenir figurant lorsqu’ils seront étudiants, étonnement très peu d’entre eux s’ima-ginent briller un jour sur la scène du Grand Théâtre.

LES SECRETS DES ATELIERSC’est pourquoi de plus en plus d’enseignants des cycles d’orientation et d’écoles professionnelles, de conseillers d’éducation et d’éducateurs de maisons de quartier solli-citent en priorité la visite des ateliers dans la perspective de plonger les jeunes au cœur d’un monde professionnel étonnant afin de susciter des vocations (on peut toujours rêver !). C’est ainsi que durant la saison dernière plus de 70 classes ont bénéficié de ces visites au cours desquelles les élèves ont pu également se familiariser avec les différents matériaux utilisés selon les besoins de construction, obser-ver les outils appropriés à chaque opération et, « clou » de la visite, revêtir l’un des trente costumes de scène mis à leur disposition (robes, tuniques, vestes, armures, chapeaux à plume, casques, etc.). Ce moment privilégié constitue tou-jours, quel que soit l’âge des élèves, le point culminant de leur découverte du monde du théâtre et s’achève imman-quablement par une extraordinaire séance de photo. Ces visites « à la carte » adaptées à l’âge et à l’intérêt des élèves sont gratuites pour toutes les écoles publiques et pri-vées du canton de Genève. Les établissements scolaires,

L’envers du décor à la portée de tous !

Mis sur pied il y a une douzaine d’années pour accueillirles élèves petits et grands des établissements scolaires genevois,

le service pédagogique du Grand Théâtre de Genève a depuis plusieurs années considérablement développé ses activités et élargit

son audience qui dépasse aujourd’hui largement le cadre scolaire.En effet très nombreux sont les adultes qui souhaitent découvrir

tout ce qui se cache et se passe derrière les décors.

(ci-dessus)

En tant que responsable du programme pédagogique,

Kathereen Abhervé fait découvrir de multiples facettes

des ateliers du Grand théâtre lors de ces « parcours ».

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L’envers du décor à la portée de tous !

conservatoires et écoles de musique situés en dehors du canton ont également accès à ces visites moyennant un coût modique. C’est ainsi que des élèves de Fribourg, Winthertour, Saint-Julien-en-Genevois, Thonon et Annecy ont pu découvrir la vie cachée du Grand Théâtre. Certains d’entre eux avaient d’ailleurs choisi de prolonger leur plai-sir en assistant le soir-même à une représentation.Un tel succès ne pouvait rester confidentiel, c’est pour-quoi depuis plusieurs années de nombreuses associations, comités, banques, fondations, sociétés commerciales, groupes d’adultes en tout genre –  avocats, assureurs, retraités, handicapés  – sollicitent à leur tour le service pédagogique pour pouvoir bénéficier de telles visites. Dans ce cas, une participation financière est demandée.

LES ADULTES EN REDEMANDENTBien que priorité soit donnée aux élèves, les visiteurs adultes sont toutefois très régulièrement accueillis au Grand Théâtre par le service pédagogique qui parvient, par d’habiles tours de passe-passe à s’adapter aux horaires très serrés de certains groupes professionnels tout en res-pectant les exigences techniques liées aux spectacles. Si les employés de banque préfèrent se priver de déjeuner pour effectuer une visite marathon des coulisses entre « midi et deux », d’autres groupes choisissent de prendre leur temps entre deux répétitions scéniques pour che-miner des coulisses aux dessous-de-scène, en compagnie d’un électromécanicien aux vastes connaissances tech-niques. La longue descente dans les entrailles de la maison jusqu’aux imposants ponts de scène actionnés par de puis-

sants vérins chromés constitue un instant de grâce durant lequel les visiteurs éprouvent souvent l’étrange sensation de s’approcher d’un monde quasi infernal... Certains, tel-lement subjugués par ce spectacle digne des décors les plus fantastiques, veulent alors tout connaître du Grand Théâtre et, à l’issue d’une visite de près de deux heures, de-mandent à poursuivre leur découverte aux ateliers. Tout récemment un petit groupe d’adultes handicapés mentaux accompagnés de plusieurs éducateurs de la Fondation Cap Loisirs a été accueilli au Grand Théâtre en fin d’après-midi pour découvrir la magie des coulisses et s’initier aux mul-tiples rebondissements de La Chauve-souris. La grandeur de la salle, la richesse des foyers, l’élégance du décor, la profondeur de la fosse, l’histoire rocambolesque à laquelle ils se réjouissaient d’assister le dimanche suivant, tout fut prétexte à leur émerveillement. Il paraît qu’ils ont beau-coup apprécié ce spectacle et ont même demandé à reve-nir très vite au Grand Théâtre.Par ailleurs plusieurs groupes de visiteurs impatients de découvrir les lieux secrets et insolites du Grand Théâtre de Genève et d’approcher des métiers étonnants et très sou-vent ignorés, sont déjà attendus au printemps et d’autres... à l’automne prochain. Mais que ceux qui n’auraient pas encore leurs petites entrées dans la maison se rassurent car dans le cadre des Journées Européennes des Métiers d’Art, les portes des ateliers du Grand Théâtre vont s’ou-vrir au grand public, les 4 et 5 avril prochains. Une occa-sion unique pour les visiteurs de rencontrer des profes-sionnels qui leur révèleront leur univers, leur savoir-faire et leur passion. KA

(ci-dessus)

Plusieurs classes du cycle d'orientation arrivent pour assister au Chat Botté en mai 2013.

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LA WALLYDramma musicale en quatre actes d'Alfredo Catalani

Au Grand Théâtre18 | 20 | 24 | 26 | 28 juin 2014 à 19 h3022 juin 2014 à 15 hDirection musicale Evelino Pidò Mise en scène Cesare LieviDécors et costumes Ezio ToffoluttiLumières Gigi SaccomandiAvec Martina Serafin, Morenike Fadayomi, Balint Szabo, Andrzej Dobber, Yonghoon Lee, Ivanna Lesyk-Sadivska, Ahlima MhamdiChœur du Grand ThéâtreOrchestre de la Suisse RomandeNouvelle production en coproduction avecl'opéra de Monte-Carlo

Conférence de présentationpar Sandro ComettaMardi 17 juin 2014 à 18 h 15

RINGNouvelle production du Ring des Nibelungen Festival scénique en un prologue et trois journées de Richard Wagner

Au Grand Théâtre

DAS RHEINGOLDMardi 13 | 20 mai 2014 à 19 h30

DIE WALKÜREMercredi 14 | 21 mai 2014 à 18 h

SIEGFRIEDVendredi 16 | 23 mai 2014 à 18 h

GÖTTERDÄMMERUNGDimanche 18 | 25 mai 2014 à 15 h

Direction musicale Ingo Metzmacher Mise en scène Dieter DornDécors et costumes Jürgen Rose

SPECTACLE

LE CAS WAGNERAu Grand ThéâtreMercredi 30 avril 2014 à 19 h 30Troisième épisode L'ArtisteMarc Bonnant, Bernard-Henri Lévy et Alain Carré mettent en scène le « Procès » de Richard Wagner.

ÉVÈNEMENTS

JOURNÉES EUROPÉENNES DES MÉTIERS D'ARTAteliers du Grand Théâtre4/5 avril 2014

FÊTE DELA DANSEAu Grand ThéâtreSamedi 3 mai 2014

FÊTE DELA MUSIQUEAu Grand ThéâtreSamedi 21 juin 2014

RÉCITAL

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Au Grand ThéâtrePiano Donald Sulzen Dimanche 11 mai 2014 à 19 h 30

CONCERT-RÉCITAL

DIEGO INNOCENZI& LE CHŒUR DU GRAND THÉÂTREDans le cadre des Concerts du Dimanchede la Ville de GenèveAu Victoria HallDimanche 27 avril 2014 à 17 h

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