Acheminement Vers La Parole

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  • 0)\ ,_: ;) 14 Acheminement fJerl la parole La parole 15 qui vaut pour toute chose, cela se nomme 1'essence. Reprsenter en gnral ce qui vaut universellement, tel est, a ce qu'on pense couramment, le trait fondamental de la pense. Traiter de la parole en pensant, cela signifie done: proposer une reprsentation de 1'essence de la parole et dlimiter comme il faut ceUe reprsentation par rapport a d'autres reprsentations. C'est bien .ce qu'a l'air de faire prsentement notre confrence. Toutefois, le titre, aujourd'hui, n'est pas De 1'essence de la parole D. C'est seulement La parole D. Nous disons seulement - et pourtant, avec ce titre, nous donnons a notre projet une mesure bien plus exigeante que de nous restreindre a fixer quelques points de repere sur ce sujeto Cependant, parler de la parole est sans doute plus scabreux encore qu'crire sur le silence. Nous ne voulons pas nous jeter sur la parole pour la capturer et la rduire a 1'aide de reprsentations dja fixes. Nous ne voulons pas ramener son essence a un concept afin que ce dernier livre, sur la parole, un avis universellement utilisable, une ide qui calme les esprits.

    Situer la parole n'est pas tant la porter que nous porter nousmemes au site de son etre. Cela signifie : mise en marche pour un recueil, recueillement en l'Ereignis l.

    Noua n'aimerions penser que la parole elle-meme; noua voudrions seulement aller a sa suite. La parole ellememe est : la parole - et rien en dehors de cela. La parole meme est la parole. L'entendement mis en condition par la logique, 1'entendement qui calcule tout - ce qui le rend en gnral si sur de lui - nomme une proposition de ce genre une insignifiante tautologe. Se borner a la rptition : la parole est parole, comment cela peut-il nous mener plus loin? Mais i1 ne s'agit- pas d'aller plus 10D. Nous aimerions seulement tenter d'arriver une {ois la meme oil dja nous avons sjour.

    2. L'al1emand dit : VerBammluRB iR das EreigniB. Le 7llcueillement n'est pas autre chOle que le tres tenare et tres intense rassemblement sur lOi (voir p. 254) -l'aaaemblement qui ne fait qu'UR avec un saut, le saut de l'origine.

    L'al1emand pricise : ce l'ecueillement eat 7llmuant; ilse remue en alra,., le recueillir enl'Empil.

    Dlls le dbut du premier texte, nona voyons se de~ainel' le cheminement mlne de tout le livre, dana Ion unique deaaein : Sr'e le dploiement de la parole, Ion I bruit de IOUl'Ce . Pour ce qui eat d l'EreigniB, voir pIna loiD.

    C'est pourquoi nous nous arretons pour penser a {ond : qu'en est-il de la parole elle-meme? C'est pourquoi nous posons la question : eomment la parole vien,t-elle a etre en tant que parole? Rponse : la parole est parlante. Srieu

    sement, estoce la une rponse? C'en est probablement dja une; dja, en efIet, s vient au jour ce que veut dire parlero

    Penser en suivant la parole exige donc que nous ailions jusqu'au parler de la parole afin, aupres de la parole, c'est-a-dire en son parler (et non dans le notre), d'y trouver

    "ajour. Seulement ainsi nous pouvons parvenir dans le . omam au sein duquel une attente est comble ou dQue : l'atten que ce sot a partir de son dploiement que la p s'adresse a nous en nous adressant son etre. C'est a la parole que nous confions ce qu'est parlero Nous aimerions ne pas {onder la parole a partir d'autre chose qui ne serait pas elle-meme, pas plus que nous ne voudrions expliquer autre chose par la parole.

    Le 10 aout 1784, Hamann crivait a Herder (Ecrits de Hamann, d. Roth, VII, p. 151 sq.) :

    11 Meme aussi loquent que Dmosthene, je ne pourrais pas faire mieux que rpter trois fois un seul et meme mot : la raison est parole, Ay~. Tel est ros moelleux que je ronge et que je me creve aronger. Tout reste encore obscur pour moi dans ces profondeurs; j'attends encore l'ange d'apocalypse ayant la cl de cet abtme. D

    Pour Hamann, l'abime consiste en ceci que la raison Ie!U..garo.k. Hamann est renvoy a la parole lorsqu1i1 tente de dIre ce qu'est la raison. Le regard qui se porte vers la raison tombe dans laJ!rgfolldeut d'J abine. Cet abtme consiSte-t-il seuleiiient e~ ceci que la raison repose en la parota; 'u~~tn1te-menm'~est-1te aiie'que l'abtme? Nous parlons d'abtme la oil le fond se perd, la oil un fondement nous fait dfaut alors que nous cherchions le fondement et avions pour but de parvenir a un fonde

    ment solide. Mais nous ne nous demandons pas maintenant ce qu'est la raison; nous nous occupons d'emble de la parole et prenons pour cela comme guide 1'trange loeu

    tion : C'est la parole qui est parole. Elle ne nous porte pas vers quelque chose d'autre, oil se {onderait la parole. Elle ne dit rien non plus qui nous apprenne si la parole elle

  • 17 16 Acheminement pera la parole mme est un fondement pour autre chose. La 'phrase : 11 C'est la parole qui est parole JI nous laisse en suspens ~ audessus d'un abtme, autant que nous serons endurants ane pas nous loigner de ce qu'elle dit. La parole est : parole. La parole est parlante. Si nous

    nous laissons aller dans l'abtme que nomme cette phrase, nous ne nous perdons pas dans le vide d'une chute. C'est ven le haut que nous sommes jets, dont l'altitude seule peut ouvrir une profondeur. Cette hauteur, cette profondeur, toutes deux mesurent de part en P!rt ~n sii~. PUlsslOnsnous nous y acclimater l1l de rouver lesjour 011 se dploie l'tre de l'homme. Penser en suivant la parole, cela veut dire : parvenir

    jusqu'au parler qu'est la parole, et d'une maniere telle qu'il advienne en propre et ait lieu comme cela qui accorde sjour a l'existence des mortels. Que veut dire parler? L'opinion courante statue : Parler,

    c'est la mise en action des organes de la phonation et de l'audition. Parler est l'expression sonore et la communication des motions et fluctuations intimes de l'homme. Ces dernieres sont accompagnes de penses. Caractriser ainsi la parole prend comme allant de soi trois prsuppositions : D'abord et avant tout, parler c'est exprimer. Rien de

    plus courant que la reprsentation de la parole comme extriorisation. Elle prsuppose des l'abord l'ide d'un intrieur qui s'extriorise. Faire de la parole une extriorisation c'est justement rester a l'extrieur, d'autant plus qu'on explique l'extriorisation en renvoyant a un domaine d'intimit. Ensuite, parler passe pour une activit de l'homme. n

    faut donc logiquement dire : c'est l'homme qui parle, parlant chaque fois une langue particuliere. Nous ne pourrions des Ion plus dire : c'est la parole qui parle - car cela voudrait dire : c'est la parole qui fait l'homme, qui le rend homme. Dans une telle pense l'homme serait un produit de la parole. Enfin, l'expression dont l'homme est l'agent reprsente

    et expose le rel et l'irre1. On sait depuis longtemps que ces caractristiques ne

    suffisent pas adlimiter la parole en ce qu'elle est, Quand

    La parole on l'arrte pourtant a l'expression, on cherche a la dterminer de plus loin en intgrant 1'expression (entendue comme aciivit parmi d'autres) il 1'conomie gnrale des performances par lesquelles l'homme se produit lui-mme. Devant cette assimilation de la parole a une activit

    seulement humaine, d'autres soulignent au contraire que le verbe de la parole est d'origine divine. Le dbut du prologue de 1'~vangile selon saint Jean nous enseigne que le Verbe tait il l'origine avec Dieu. Mais on ne cherche pas a librer des entraves de 1'expli

    cation logique et rationnelle la seule question de 1'origine; on carte aussi les bornes d'une description seulement logique de la parole. Au lieu de caractriser exclusivement les significations a partir des concepts, on fait passer au premier plan le cOt imag et symbolique de la parole. Ainsi l'on fait donner la biologie et l'anthropologie phi. losophique, la sociologe et la psychopathologie, la thologie et la potologie pour dcrire et expliquer de maniere plus comprhensive les phnomenes linguistiques. Ce faisant, on rfere pourtant d'avance tout nonc

    possible il. la maniere depuis longtemps canonique dont s'est manifeste la parole. On acheve ainsi de consolider ce qu'il y,a de djil arrt dans la prise en vue de la parole en son entier. De la vient que la reprsentation de la parole _ qu'elle soit grammaticale ou logique, philologique et linguistique - est reste la meme depuis deux mille cinq cents ans, bien que les connaissances sur la langue n'aient cess de se multiplier et de se modifier. On pourrait mme avancer ce fait comme preuve de la justesse inbranlable des reprsentations cardinales du langage. Personne aussi ne se risquera a qualifier d'inexacte ou mme a rejeter comme inutile la dtermination qui caractrise la parole comme extriorisation sonore de mouvements psychiques intrieurs, comme acuvn !Itimffi, Cbiffie exposition syibotique et conceptuelle. Cette faQon de prendre en vue la parole est exacte; elle s'ajuste exactement il ce qu'un examen des phnomenes linguistiques peut achaque moment y constater. C'est dans le cerc1e de cette justesse que se meuvent donc aussi toutes les questions qui accompagnent la description et l'explication des pbnomenes linguistiques.

  • 20 21 Achemin8inenl fiel" la pa.role

    pris a part, serait inconnu ou difficile. A vrai dire, il y a bien quelques vers qui sonnent trangement ; ainsi le troisieme et le quatrieme de la seconde sU'ophe :

    D'or fleurit l'arbre de8 grtkea NI de la terre et de,a. B~ve fratche.

    De meme, le deuxieme ven de la troisieme strophe peut surprendre :

    La douleur pttrifia le .eul. Mas les vers que nous soulignons ainsi frappent par la singuliere beaut des images. Cette beaut augmente l'aurait du poeme et renforce la perfection esthtique de cette reuvre d'art. Le poeme dcrit un soir d'hiver. La premiere strophe

    montre ce qui se passe au-dehors : la neige tombe, la cloche du soir sonne. Ce qui est au-dehon va jusqu'a effieurer l'intrieur de la demeure humaioe. La neige tombe a la fenetre. La cloche se fait entendre jusque daos chaque maison. A l'iotrieur, tout est bien dispos et la table est mise. La seconde strophe fat naltre un contraste. Distiocts

    de tous ceux qui sont attabls chez eux, quelques-uns voyagent, tran en sur d'obscurs sentiers. Pourtant, de s sentlers - peut-etre sont s es c emins pnibles - menent parfois a la porte d'une maison qui les abrite. Cela n'est toutefois pas expressment dcrit. Le poeme nomme plutat ici : l'arbre des gra.ces. La troisieme strophe invite le v;~a$!ur a venir del'obscur

    dehon et a p!ntrer dans la clan . ta malson de chacun erra tame des repas quotidiens sont devenues Maison de Dieu et Sainte Table. On pourrait analyser encore plus en dtail le contenu

    du poeme, cerner plus exactement sa forme; procdant aiosi, nous restenons cependant tout a rait pnsonniers de la reprsentation qui, depuis des millnaires, est de mise pour la parole. D'apres ceUe reprsentation, la parole est l'expression, par l'homme, de mouvements psychiques internes et de la vision du monde qui les rgit. La contraiote que cette reprsentation rait peser sur la parole peut-elle

    La. pa.role

    etre brise? Pourquoi doit-elle etre brise? La parole elle-meme n'est pas plus expression qu'elle n'est une activit de 1'homme. La parole est parlante. Nous cherchoos a prsent le parler de la parole dans le poeme. Ainsi donc ce qui est cherch doit etre dans le potique de la parole parle 8.

    Un Boir d'hil1er, tel est le titre du poeme. De ce poeme, noUS attendons la descnption d'un soir d'hiver comme c'est en ralit. Mais le poeme ne reprsente pas un soir d'hiver ayant lieu quelque pan et a tel momento Il ne veut ni simplement dcrire un soir d'hiver prexistant, ni donner a un soir d'hiver qui n'a pas lieu l'apparence d'Hre la, en nouS en procurant l'impression. tvidemment que non, dira tout un chacun. Tout le monde sait bien qu'un poeme, c'est de la posie. C'est de la posie meme la ou il a 1'air de dcrire. ~crivant son poeme, le poete imagine quelque chose qui peut etre, il en figure la prsence. Devenu poeme, le poeme voque en nous 1'image de ce qui a t ainsi figur. Dansla parole du poeme, c'est l'imagination potique qui ressort. Da:ps le poeme, ce qui est parl, c'est ce qui, prenant issue de lui, est prononc par le poete. Ce qui est ainsi prononc parle dans la mesure OU il nonce son contenu. La parola du poeme, aplus d'un titre, parle dans un mouvement d'extriorisation. Dcidment, la parole s'avere bien etre expression. Mais ce qui est a prsent avr prend le contre-pied de notre point de dpart : la parole est parlante - si du moios nous admettons que parler, dans sa vrit, ne soit pas exprimer. Meme quand nous tentons de comprendre le parl du

    poeme a partir du dire potique, le parl se montre toujours et exclusivement - sous quelle contrainte? - comme parole qui prononce et nonce. La parole est expression. Pourquoi o'en prenoos-nous pas notre parti? Parce que

    3 OiJ. a t parl J traduit das GupNH:hene. Ce mot allemand est un subRtantif neutre, form a partir du participe pass gll8prochen (parl). _L'allemand a la particularit de cODRtruire les formes. passes J en faiBant prcder le radical du prfixe gil"'. Ce prfixe, nous apprennent les philologues, drive d'une prposition diRparue, dont le sena tait : enaeinbleaveo J. GHprochen veut dono dire (si nous prenona le mot au mot) : ce qui se rasseinble une fos qu'une parole a t parle. On peut noter que o(r8nemblement sur soi n'est autre que ce que dit le mot grao pour la parale : ),6yo;.

  • 22 23 Acheminement flers la parole ce qu'i1 y a de juste, ce qu'il y a d'usuel dans cette reprsentation de la parole ne suffisent pas pour qu'on puisse fonder sur eux la situation de la parole en sa maniere d'~tre a elle. Comment prendrons-nous mesure de cette insumsance? Pour tre capables d'une telle mesure, ne faut-il pas que nous soyons dja lis par un autre metre? Assurment. Cette autre mesure se donne a connatre dans notre leitmotiv: la parole est parlante. Jusqu'a prsent, ce dernier n'avait ptnn bat que de 110US accoutumer a nous dfendre d'une habitude endurcie; celle, au lieu de penser la parole apartir d'elle-m~me, de la dplacer aussitat pour la glisser parmi les phnomenes de l'expression. Le poeme qui a t lu a t choisi parce que (bien que d'une fa;on qu'il n'est pas possible d'expliquer plus avant) il se rvele propre a fournir quelques indications fcondes a notre tentative de situer la parole. La parole e8t parlante. Cela veut dile aussi et d'abord :

    la parole parle. La parole? et non I'homme? Ce qu'exige a prsent de nous notre leitmotiv, n'est-ce pas encore plus insoutenable? Voulons-nous aussi nier que I'homme soit l'tre qui parle? Nullement. Nous le nions aussi peu que nous ne nions la possibilit de rangar les phnomenes Iinguistiques sous la rubrique de 1'. expression . Et cependant nous demandons : dans quelle exacte mesure I'homme parle-t-il? Nous demandons : qu'est-ce que parler?

    Quand il neige d la (eRltre, Que longuement 80nne la cloche du 8oir,

    Ce parler nomme la neige; tard, le jour s'vanouissant, alors que sonne la cloche du soir, ses flocons tombent sans bruit contre la fentre. Quand il neige ainsi, tout ce qui remplit le temps dure plus longtemps. C'est pourquoi la cloche, qui jour apres jour fait retentir la svere limi. tation de son temps, sonne alors longuement. Le parler nommele temps du soir d'hiver. Ce nommer , quel est-il? Ne faitil qu'affubler de mots des objets et vnements connus et reprsentables - neige, cloche, fentre; tomber, sonner? Non. Nommer, ce n'est pas distribuer des quali.ficatifs, employer des mots1ommer, c'est appeler par le nomo Nornmer est appeI. L'appel rend ce qu'il appeIle plus proche. Sans doute, cet approchement ne fait-il pas

    La parole

    venir ce qui est appel pour le dposer au plus proche dans le cerc1e du djlt prsent et l'y mettre en scurit. L'appel appelle bien pourtant a venir. Ainsi mene-t-il lt une proximit la prsence de ce qUl auparavant n'tait pas appel. Mais, appelant a venir, l'appel a d'avance fait appel a ce qu'il appelle. Dans quelltt.,direction? Au loin, la oil sjourne, encore absent, l'appe~ L'appel a venir appelle a une proximit. Mais I'appel

    n'arrache pourtant pas ce qu'il appelle au lointain; par I'appel qui va vera lui, ce qui est appel demeure maintenu au loina L'appel appelle en lui-mme, et ainsi toujours s'en va et s'en vient; a.lPel a venir dans la~nce - appel a_aller dans I'absence. La nelge qUI tOl e et la cloche du SOIr qUl sonne : maintenant, ic, dans le poeme, les voila qui sont adresss a nous daos une parole. lIs viennent en prsence dans I'appel. Pourtant ils ne viennent aucunement prendre place parmi ce qui est la, ici et maintenant, dans cette salle. Quelle prsence est plus haute, celle de ce qui s'tend sous nos yeux, ou bien celle de ce q1,li est appel?

    Pou,. beaucoup la taUe eBt mise Et la maison eBt bien POU1'f1ue.

    Ces deux vers parlent comme le feraient des noncs, comme s'ils constataient un quelconque tat de choses. Tel semble le ton du est catgorique. Et pourtant iI parle en appelant. Les vers portent la table mise et la mai son bien pOUrvl,le dans cette prsence qui est maintenue face a l'absence. Qu'appelle cette premiare strophe? Elle appelle des

    choses, leur dit de venir. Gil? Non pas de venir comme prsentes parmi ce qui dja est prsent; comme si la table que nomme le poeme avait a prendre place au milieu des ranges de sieges que vous occupez. 11 ya, dans I'appel mme, un site qui est non moins appel. C'est le site pour la venue des cnoses, prsence loge au creur de I'absence. C'est a une telle venue que I'appel qui les nomme dit aux choses de venir. n le leur dit en une inyite. L'invite convie les choses ase tourner, en tant que choses, vera les hommes, pour tre ce qui les regard.,. La neige tombante porte les hommes sous le ciel qui entre dana l'dbscunfe de la uit.

    ____- ......----.,...,.........---~;,.,---..-- ... - _"'-.".. . .,~.""':..,.,._.t,,~... ~,... .....,- _.~.,-~

  • 24 AcAemiMment ver. la parole Le Son de la cloche du soir les porte comme mortels face au divino La maison et la table lient les mortels a la terreo Ainsi venues en appel, toutes ces choses rassemblant aupres d'ellesle ciel et la terre, les mortels et les dieux. Les Quatre sont, dans une originale unt, mutuellement les uns aux autres. Les choseslaissent aupres d'elles sjourner le Cadre des Quatre c. Laisser ainsi sjourner en rassemhIant, tel est l'~tre-chose des choses (das Dingen der Dinge). Ce cadre un de Ciel et Terr!'....1t.l2tl~~vins, ce cadre qui est mis en demeure dans le dploiement 'jusqu'A ellesm~mes des choses, nous l'appelons le monde D. Lors de leur nomination, les choses nommes sont appeles et convoques dans leur etre de choses. En tant qu'elles sont ces choses, elles ouvrent a Son dploiement un monde au sein duquel chacune trouve sjour et oil toutes sont ai.nsi les choses de chaque jour. Les choses, en meme temps qu'elles dploient leur etre de choses, mettent au monde 6. La vieille langue allemande nomme ce mettre au monde. : bern, Mren, d'ou viennent les mots gebaren (etre en gesta. tion, enfanter) et GebiJ,rtU (le geste, les gestes, la contenance). Dployant leur etre de choses, les choses sont les choBes. Dployant leur etre de choses, elles portent un monde asa figure. La premiere strophe appelle les choses a leur etre de

    choses, elle leur dit de venir. L'injonction qui appelle des choses les appelle pour qu'elles 'approchent, les invite au plus proche; en meme temps, l'appels'lance jusqu'aux 4. Cadre. n eeP8t hon d'entendre ce mot depuia Ion origine : quadrum,

    ou pllJ'le le mot e quatre Heidegger emploie un mot beaucoup plus parlant : dtu GelJierI, ou I'entand, hien IGr, e quatre ._mail on lel quatre, d'emhle, lont ralsembll lur ce eui les tient enlemble (Ge-). La traduc. tion, le fiant l\ J'esprit du franOlll8, suppose que le CtJI'. est l\ ce point un qu'il1'll88emble en lu lel quatre jusqu'l\ 101 fail'e ouhlier. 5. Le verhe alJemand elt lIUIlNgen, qui eignifie : poner jusqu'au hout,

    SUpponer dans toute Ion ampleur - et en particulier : poner l\ terme. C'eBt hien le seDS du mot frilnOais gtl8tation (qui vient du latn gows,porter, prendre sur loi). Maie en traduiaant 4U81mg." par I mettre au monde J, il s'agit avant

    - d'entendre cette locution en ce qu'elle die: i!..Y.}! mise au monde tWIC le d loiement m~me dlll cholel en tant qne telJiia. ~_

    emen : en ant qw VJent au mon e entre pas comme dans un contena.nt. NuJI.e reJation, ic, entre une e cause. et un e eJJet J. IJ faudrait arriver l\ entendrel mise au monde. OOmme la mise en jeu ou, minemment, o'est le monde lu-m8me qui apparatt - tout au hout, l\ l'eJl:t~me terme d'uue pone qu n'est autre que J'~tre d. choles. (

    . (O -- I-A(.1..~.

    \ " '.::;_,...",. (... ( ;'l. ~' ;: I La parole :a5

    choses, les confie au monde, depuis lequel elles f2!!J; Apptl. rtQ.n. C'est pourquoi la premiere strophe ne nomme pas que des choses. Elle nomme en meme temps le monde. Elle en appelle ceux qui sont le nombre: (l Pour beaucoup... ll, ceux-lil., en tant que mortels, appartiennent au cadre du monde. Les choses pourvoient d'elles-memes les mortels'. Cela veut dire aprsent : les choses, en leur temps, rendent visite aux mortels, et dans cette visite, proprement, il y a monde. La parole de la premiere strophe parle en invitant les choses avenir. La seconde strophe, c'est d'une autre faeon qu'elle parle.

    A la vrit, elle aussi invite avenir. Mais son appel commence en appelant et nommant les mortels :

    Plua d'un qui e8t en lJoyage...

    Ce ne sont pas tous les mortels qui son1 appels, ni ceux qui sont beaucoup; seulement (l plus d'un II - ceuxla qui voyagent sur d'obscurs sentiers. Ces mortels-Ia sont en tat d' I1ndurer llI4urir (das Sterben), et ils l'endurent comme le voyage juSQU'ala mort. Dans la mort se recueille la plus haute retraite de ,. e. La mort a dja devane tout mourt. eux qUl sont en voyage ll, illeur faut d'abor gagner une maison et une table par le cheminement a tra vers l'obscur de leurs sentiers; pas seulement, pas mem avant tout pour eux-memes, mais pour ceux qui son (l beaucoup ll; car ceux-ci croient qu'a simplement s'ins taller dans des maisons et s'asseoir a des tables, ils son dja pourvus des choses et parvenus au site de la demeure. La seconde strophe dbute en appelant plus d'un II

    parmi les mortels. Bien que les mortels appartiennent avec les divins, avec la terre et le ciel au cadre du monde, les deux premiers vers de la seconde strophe ne s'adressent

    6. La phraso originaJe dit : Die Dinge be-dingen die Sterbl~hen. HeideggClr, qui coute parler la langue, entend le verbe betli/'lB.n dire non pas : u conditionner (voir p. 218), mail be-dingen: ou le be- parle oomme dans be-slimmen (doter du ton propre a une dtermination donne), be-grnclm (donner le fondement), be-fremden (plonger dans J'tranget). Be-dinsen, ainsi entendu, veut dire : doter de ohOles. Remarquons, en francail, que le mot condilion parle de lu-mbe daD!

    UD sens parallille (sans pourtant impliquer en lu les ohoses ). Condition est en eJJet c.oe qui le donn~ ens~mble avec . Mais engager la trad~I1", dans cette dl1'eotion, oe serlUt qwtter le texte.

  • 26 A~1Itmine1Mnt flerll la parole pas encore en propre au monde. Presque comme la premiere strophe, mais dans une suite autre, ils nomment bien plutat du m@me coup les choses : la porte, les sel'tiers obscurs. Seuls les deux autres vers de la seconde strophe appellent expressment le monde. IIs nomment soudain quelque chose de tout autre :

    D'or /leuril l'arbre des grdce8 N de la terre el de 8a 8eve fratche.

    L'arbre s'enracine, robuste, dans la terreo Ainsi croltil jusqu'il s'panouir e s qui s'ouvrent a la faveur du ciel. La leve d arbre t appele. Elle traverse et mesure a la fois l'ivr e la 11oraison et la sobrit de la seve nourriciere. La croissance retenue de la terre et

    J la prodigalit du ciel se rpondent l'~' s'entreappartenant. Le poeme nomme arbre des ~ es. Sa belle 11oraison recele la chance du uit i .: le sacr et sa libration, qui pour les morte s est grace. Dans la \J 110.raison dor de l'arbre regnent terre et ciel, divins et mortels. Leur cadre uni est le monde. e Monde D n'est plus a prsent un mot de la Mtaphysique. Il ne nomme plus ni l'univers scularis de la nature et de l'histoire, ni fa cration reprsente thologiquement (mundus), ni m@me et seulement l'entier de ce qui est prsent (x6aLOti).

    Le troisieme et le quatrieme vers de la seconde strophe appellent l'arbre des gI'Aces. C'est le monde qu'ils prient de venir. Dans pe, e onde vient, cependant m@me que onde va aux chos

    Les vers commencent avec e mot: e D'or. D Pour mieux entendre ce mol et son appel, qu'il nous soit permis de penser a un poeme de Pindare. Au dbut de la cinquieme Jllthmique, le poete nomme l'or : ~p~a&ov 1t1Xv-rCl>V _ ce qui, toute chose, 7r!XvT/X, tout ce qui a l'entour vient en prsence, plus que tout le traverse de son clat. L'clat de l'or abrite tout ce qui est dans l'ouvert de son almarition.

    Tout comme l'appel qUI nomme les choses appelle il venir depuis le lointain et' porte son appel au loin, de m@me le Dire qui nomme le monde est en lui-m@me un tel contraste : appel du loin - appel au loin (her und hin). Il remet le monde aux choses, et en m@me temps

    +" tM.t.. ~ v "",ti.) -v-.dA ) ~.,) ht...;,o~ ,1 .

    La parole , ~ '21 '-Qtv..J1.-'-l2.V'\.

    abrite les choses dans l'clat du monde. Celuici oare aux choses leur dploiement. Les choses : porte du monde. Le monde: faveur de choses.

    La parole des deux premieres strophes parle en disant aux choses de venir au monde, et au monde de venir aux choses. Ces deux fallons d'inviter sont distinctes, mais elles ne sont pas a parto Elles ne sont pourtant pas seulement accouples l'une al'autre. Car le monde et les choses ne sont pas l'un a cat de l'autre. Chacun, ils passent l'un a travers l'autre. Passant ainsi a travers, ils mesurent, a eux deux, un milieu. C'est la qu'ils sont ii l'unisson. En tant qu'ainsi uns, ils sont intimement l'un pour ' e. Le milieu des deux est la tendresse intense de l'inti

    It Le milieu pour ce u la langue allemande omme dall Zwiachen entre-deux Le latin dit : nter.

    A quoi correspond l'allem r. L'intimit 00 monde et chose sont l'un pour l'autre n'est pas une fusion 00 tous deux se perdent. Il ne regm d'intmit que la 00 ce qui est a l'unisson, monde e chose, deVlent distinction pure et demeure distinct. Au mmeu des deux, dans l'entredeux 00 monde et chose difIere.pt, dans leur nter, regne le Dia de leur jonction.

    L'intimit, m,Qode et chose, se dploie dans le llis- de l'entredeux, daos.la Dif.'frence. Le mot de Dif-frence est ici libr de tout usage courant. Ce que nomme a prsent le mot la 11 Diffrence D n'est pas un concept gn. rique pour toutes les diffrences possibles. La Diffrence aprsent nomme est Une en tant que telle. Elle est uuique. A partir d'ellem@me, la Diffrence tient ouvert le milieu vers lequel et il travers lequel monde et choses sont rciproquement a l'unisson. L'intimit de la Diffrence est l'unssant de la ~&qop - ce qui porte a terme en ayant port d'un bout a l'autre (der durchtragende Austrag). La Dif-frence porte a terme le monde dans son dploiement en monde; elle porte a terme les choses dans leur

    !ri

    ,. Les trola moti traduiaent lMigkllit. Innigkllit pourrait ~"' appel6 le ClEur du recueillement, cette intenle liaison ou ce qui elt li elt enaemble dana la mesure ou l'un elt d'aut8nt plus lui-mme qu'il elt unquement pour et par l'autre, dana l'exigeante fidlit a BOi.

    Innigkllit elt "DI doute le mot en lequel le recueille l'exprience po6tique de Hlllderlin.

    COlW\f"'

  • 28 29 Acheminement vers la parole

    dploiement en choses. Les portant ainsi, elle les rapporte l'un a l'autre. La Diffrence n'est pas mdiation apres coup, qui rattacherait le monde et les choses a l'aide d'un moyen terme surajout. La Dif-frence, en tant que milieu, fait d'abord arriver monde et choses jusqu'a leur dploiement - c'est-a-dire dans ce rapport mutuel dontelle porte et Supporte l'unit. Diffrence ne signifie done plus une distinction entre

    des objets, tablie par notre reprsentation. La Dif-frence n'est pas plus une simple relation de fait entre monde et chose, telle que la reprsentation, la rencontrant, n'aurait plus qu'a la constater. La Dif-frence n'est pas extraite apres coup de l'unit du monde et de la chose comme tant leur rapport. La Diffrence, pour monde et chose, approprie 8 les choses a elles-memes, oil elles se

    8. Voiei le mot pOU1' lequel Heidegger a dploy l'hailation la plus soutenue (voir p. II3 et p. 248) avant de le 18.I8ser, rpondant a ee qui aimerait se dire, dire ee dont il s'agit. Il apparait ie sous sa forme de lJ61'be. C'est bien de la que nous devons tenter de l'apereevoir.

    Tenter, ear Done nous trouvons devant un de ees intraduisibles qui portent la pense a entreprendre toujours a nouveau sa tAehe la plus propre.

    Ereisnen: trois phrases plusloin, Heidegger deompose le mot, disant: u-eignen, ee dernier tant a son tour expliqu en in das Eisene.

    Ereisnen veut done dire, en une preDUere approximation pensive : le mouvement d'amener (er-) au propre (das Eisene). Ou toute traduetion fran9l8e se voit d'emble frappe d'nvalidit, e'est quand on remarque que le e propre (latn propriU8, venant de pro-prilJU8, ee qui cst rserv a titre privd, par 0PP08ltion au eommun) ne parle pas du tout au mme registre l{Ue l'allemand eisen. Eisen signifie tymologiquement non la proprUU (qui est toujours prilJk), mais ce que l'on a. y a-t-illa une difJrenee? Oui. Ce que 1'0n a est originalement e antrieur a toute proprit au pont qu'il ne peut y avoir Proprit que par rapport a ee e fonds .

    La langue, d'ailleurs, semble penser en ee sens. Dans des loeutions simples (eomme e remis en main pro~re ), e propre n'est plus du tout entendu dans le registre de la propnt ou possession, mais signifie : ce qui appartient a quellJU'un ou quelque ehose en tant que tel.

    Il est donc ncessaJre d'entendre toUjOUl'8 a travera le verbe approprier non pas e faire qu'une ehose devienne la proprit , mais bien : e amener quelque chose a Mre ee qu'elle est ,

    Cela tant bien not, remarquons avec Heidegger que l'tymologie relle de Ereignen est tout autre1Ereignen ne vient en efJet pas de BHJisnen, mais de t1NIugnen, qui signifie : mettre devant les yeux, rendre visible. Mais qu'est-ee, en fait, que rendrH'isibleP N'est-ce pas montrer en quoi quelque chose apparait comme ce qu'il est? Proposer ici d'entendre eisen (le propre) au lieu de aus (l'aill) - ailleurs, p. 248, Heidegger rappelle l'origine histonque de ee mot - ce n'est done pas violenee arbitraire, mais puissanee de la :{'ense, exemple de son Jeu (voir p. u5).

    Le mattre mot Erelsnis est traduit par le mot appropriernenl (attest en vieux fran\lais). Cette traduction aimerait pouvoir faire entendre l'ancien sens du verbe proprier qui est : oflrir ee qui est appropri.

    La parole dploient en gestes du monde; elle approprie le monde a lui-mme, oil il se dploie en faveur des choses.

    La Dif-frence n'est pas plus distinction qu'elle n'est relation. La Dif-frence est tout au plus Dimension pour monde et chose. Mais alors ti Dimension , a son tour, ne signifie plus une rgion prexistante oil pourrait s'tablir n'importe quoi. La Dif-frence est la dimension, pour autant qu'elle mesure, et ainsi amene monde et chose a ce qui leur est propre. Cette mesure seule ouvre l'cart oil monde et chose peuvent tre l'un pour l'autre. Une telle ouverture est la falton selon laquelle, ici, la Dif-frence mesure de part en part les deux. La Diffrence mesure, comme milieu pour le monde et les choses, le metre de leur dploiement. Dans l'invite qui appelle chose et monde, ce qui est a proprement parler enjoint e'est : la Dif-frence.

    La premiere strophe du poeme enjoint aux choses de venir, elles qui, en tant qu'elles se dploient comme choses, portent jusqu'a sa figure un monde. La seconde strophe enjoint au monde de venir, lui qui, en tant qu'il se dploie comme monde, est faveur de choses. La troisieme strophe enjoint au milieu, pour monde et ehose, de venir: il porte jusqu'au bout leur tendre unit. e'est pourquoi la troisieme strophe dbute par un appel bien marqu :

    Voyageur entre paisiblement;

    Mais oil? Le vers ne le dit paso Mais il appelle a la paix le voyageur entrant. C'est la paix qui gouverne la porte. Soudain retentit l'appel qui dpayse :

    La douleur ptrifia le seuil. Ce vera parle solitairement au milieu de ce que parle tout le poeme. Il nomme la douleur. Quelle douleur? Le vers dit seulement : La douleur... Il D'oil et en quelle mesure la douleur estelle appele?

    La douleur ptrifia le 88Uil.

    ... ptrifia... . Ce mot est le seul dans le poeme qui parle dans la forme verbale du pass. Et malgr cela il ne nomme

  • 31 30 Acheminement yerll la parole pas du pass, quelque chose de tel qu'il n'est plus prsent. 11 nomme quelque chose qui est en ayant dja t - il nomme quelque chose dont 1'etre recueille ce qu'il a t. Dans ce recueil qu'est la ptrification, voila OU d'abord le seuil dploie son etre. Le seuil est rassise racinale qui soutient la porte tout

    entiere. 11 maintient le milieu oules deux, dehors et dedans, s'interpnetrent. Le seuil porte 1'entredeux. En sa solidit s'ajointe ce qui, itans l'enlredeux, sort et entre. Le solide du milieu ne doit cder d'aucun cat. Pour porter jusqu'au bout l'entredeux, il faut de l'endurance et, en ce sens, de la duret. Le seuil, en tant qu'il supporte 1'entre

    \\ deux, est dur ; la douleur l'a ptrifi. Mais la douleur a peine devenue douleur comme piene, elle ne s'est pas endurcie en seuil pour se figer en lui. La douleur est dou leur dans le seuil- s'endurant comme douleur. Mais qu'est-ce que la douleur? La douleur dchire.

    Elle est le dchirement. Mais elle ne dchire pas en lamo beaux parpills. La douleur disjoint assurment, elle distingue, mais de telle sorte que du meme coup elle tire tout a soi, rassemble tout en so. En tant que distinction rassemblante, ce dchirement est ce tir qui, comme trait premier ouvrant d'un coup respace, signe et ajointe ensem ble ce qui est tenu a distance dans la Disjonction. La douleur est ce qui joint dans le dchirement qui distingue et

    I rassemble. La douleQt...~st la jointure du dchirement. ~' Elle est le seuil. Elle suppon~'~iitr&-~,le milieu des 1 deux qui sont en elle disjoints. La douleur ajointe le dchi,f rement de la Diffrence. La douleur est la Diffrence 1 meme.

    lA doule",r pAt";'fiq. le 8euil. Ce vers appelle la Dif-frence; maB il ne la pense pas en propre, pas plus qu'il ne nomme, de ce nom, sa maniere d'etre. Le vers appelle le Dis- de 1'entre-deux, le milieu

    ,i qui rassemble. En son intimit le port des choses et la ~ faveur du monde se traversent et se mesurent les uns les autres. L'intimit de la Diffrence pour monde et chose serait

    alors la douleur? Assurment. Seulement nous ne devons

    La ptVole pas noua reprsenter anthropologiquement la douleur comlDe ce qui noUS aiTecte en nous faisant mal. Nous ne devorui pas non plus nous reprsenter psychologiquement rintimit comme un endroit ou viendrait se nicher la capacit de ressentir.

    La douleur ptrifiq. le 8euil. La douleur a dja ajoint le seuil dans son support.

    La Dif.frence se dploie djil en tant que le recueil du dploiement d'ou advient il soi le port OU monde et chose s.ont ports. Mais comment?

    La resplendit en clarl pure Sur la table pain et yin.

    OU la pure c1art resplendit-elle? Sur le seuil, dans la porte de la douleur. Le dchirement de la Diffrence, c'est lu qui rait resplendir la clart pureo Son ajointement claircissant dlivre et dispense la mise au clair du monde en ce qu'il a de propre. Le~~t.ie la Dif-frence libere le monde a son dploiement (fe moMe, rl!nd le IXlj)!,:~ J!!'2Pre.~ent moliin; oevenatii tlfVeurde choses. Avec la mise- aucraif drr monde en sOY[ resplendtftftll'!ht d'or, c'est du meme coup aussi le pain et le vin qui se mettent a briller. Les deux choses, grandement nommes, rayonnent dans la simplicit OU elles se dploient comme choses. Pain et vin sont les fruits du ciel et de la terre, oiTerts par les divins aux mortels. Pain et vin recueiUent aupres d'eux ces Quatre a partir de ce qu'il y a de simple et d'un dans le partage en quatre. Les choses invites pain et vin, sont elles-memes simples parceqe leur lfeSe de porter un monde est immdiatement rempli par la faveur du monde. De telles choses ont leur content du sjour qu'elles ouvrent aupres d'elles pour le cadre du monde.L~.d{u~t.~.du..monde et le simple resplendissement des choses...t!ayersent et mesurent leur entre-deux ; la Dif frence'~ --"""'-~---"'~ - '.-', ~ ".-, ,.--------'',oc' ... 'La 'troisieme strophe appelle monde et choses au milieu

    de leur intimit. La jointu..re de leur appartenance est la douleur. ""-, ..... ,....-.. '.'--.-"-

  • 32 Acheminement ver8 la parole

    Seule la troisieme strophe rassemble l'injonction des choses et l'injonction du monde. Car la troisieme strophe appelle originalement a partir de la simplicit unie d'un enjoindre intensment intime t celui qui appelle la Diffrence cependant meme qu'illa laisse hors parole. L'appel original qui enjoint de venir a l'intimit du monde et des choses, voila l'injonction proprement dite. Cette injonction, c'est ainsi que se dploie parlero Parler se dploie la ou a t parl: dans le poeme. C'est le parler de la parole. La parole est parlante. Elle parle en invitant a venir ce

    H qui est enjoint : le monde des choses et les choses du monde W - en .rinvita~:J~~.pir. ..d!!p.l'e.ptre-d_~ux de !.!U2i~:fr.ence.

    Ce qUl esrainsl enJomt est remlS (befohlen) pour 1 adveliue venant de la Dif-frence et parvenant en elle. Nous pensons ici le vieux sens de Befehlen que nous connaissons encore par la locution : Befiehl dem Herrn deine Wege l) (Remets au Seigneur ton cheminement). L'injonction de la parole, ce qu'eUe enjoint t elle le remet de cette fac;on a la Diffrence, ou se recueille toute injonction. La Dif-frence laisse reposer le dploiement des choses en choses dans le dploiement du monde en monde. La Dif-frence abandonne 9 la chose a la quitude du cadre. Un tel abandon ne drbe t n'enleve rien a la chose. 11 enleve bien plutat la chose jusqu'a ce qu'elle a de propre : qu'elle fasse demeurer un monde. Abriter au sein de la quitude, c'est apaiser. A la chose comme choset la Diffrence donne la paix en la ramenant au monde. Mais un tel apaisement est en propre seulement ainsi:

    qu'en meme temps le cadre du monde remplisse le geste de la chose pour autant que l'apaisement accorde a la 9. On traduit ainsi le verbe enleignen (oil se reconnatt le verbe eignen:

    rendre propre). Pour mettre sur la voie, rappelons un paragraphe de Temps el Etre( in L'Endurance de la pens, pour saluer Jean Beaufrel, Plon, 1968, p. 65) : Dans la mesure, maintenant, oille rassemblement de la destination repose dans la donation du temps et que celle-ci repose avec la destination de I'''tre au sein de l'aP\lropriement lui-m"me, dans I'approprier se donne a connaitre cetle propnt singuliilre : que I'appropnement soustrait ce qu'il a de plus propre au dsabritement Baos limites. Pens a partir du mouvement d'approprier, cela veut dire : I'appropriement abandonne (au sens qui a t dit) soim"me - es enteignet Bieh in dem genannteR Sinne Beiner B6lbBt Au cceur de l'appropriement - qui amilne proprement tout ce qui est

    11. "tre soi - regne ainsi et gouverne la ressource de ne paB venir en propre au jour. Ainsi y a-t-i1 supr"me libert de I'appropriement : Enl-eiBRUIlg.

    33La paro" chose le content de faire demeurer le monde. La Dif-frence apaise doublement. Elle apaise en laissant reposer les choses dans la faveur du monde. Elle apaise en laissant le monde se contenter en la chose. En ce double apaisement de la Dif.frence est en propre : die Stille 10. Qu'est-ce donc que die Stille -l~~lUlu reine le sile~e?

    Elle n'est nullement ce qui simplement ne rend aucun son. , Ne rendre aucun son, c'est uniquement e.tI~_}~E!Q.hwL quant a retentir et rsonner. Mais l'immobile n est pas seulement limit ala rsonance du bruit (en tant que~ suppression de ceUe-ci), pas plus qu'il n'est dja ce qui est proprement dans la quitude. L'immoble n'est iamais pour ainsi dire que le revers de ce qui est dans la quitude. L'immobile repose lui-meme encore en la quitude. Or la quitude a son etre en ceci qu'elle apaise. ittant l'apaisement du silence, la quitude - pense en toute rigueur est toujours plus mouvemente que tout mouvement et toujours plus remuante que toute leve. Doublement a la fois apaise la Dif-frence : les choses

    en leur dploiement de choses, et le monde a son dploiement de monde. Ainsi apaiss t chose et monde n'chappent jamais a la Dif-frence. Ds la sauvent bien plutat dans l'apaisement qui est pour elle-meme la fac;on d'tre la

    t

    paix du silence.Apaisant chose et monde en leur propre t laJ.lif::~ence

    appelle IDonde et chose au mlieu de leur intimit. LalJ"lfrnce estce qui enjoint;f.;a-ffif-tt'en.ce;-hprtir d'ellememe, rassemble les deux en les appelant a venir daDs le dchirement qu'elle est elle-meme. .M>'pele.!..l~..()\~!t:~~.!ili'r t e'est sonner. Sonner est autre chose que provoquer la pro pagatUm d',me simple onde~~. Quand la Dif-frence rassemble monde et chose dans la simplicit une de la douleur de l'intimit t elle enjoint aux deux de venir en leur etre. La Dif-frence est le recueil de l'injonetion a partir duquel seulement est appele toute injonction : que chacune appartienne au recueil. Le recueil

    10. Die StUle, c'estl'tat de ce qui se tient BtiU, install en sa plus parlaite lmite, donc parvenu a tre pleinement ce que c'est. ~" .. Die Salle, au sens courant, signifie: le repos, la paix et le silence. C'est \

    pourquoi la traduction dploie simultanment ces trois sens, malgri la.1 ) lourdeur. .../

  • 34 Achemi1l81n8nt fiera la parole d'injonction de la Diffrence a dja d'avance rassembl en soi toute injonction. L'appel rassembl sur soi qui assemble a so dans l'appel, voila ce que c'est que 80nntlr, luimeme entendu dans le recueil de la rsonance.

    L'appel de la Dif-frence est le double apaisement. L'injonction rassemble, le recueil de l'injonction, en quoi la Dif-frence appelle monde et choses, cela est le recueil 00 sonne le silence de la paix (das Geltiut der Stille). La parole est parlante dansla mesure oille recueil d'injonction de la Diffrence appelle monde et choses a la simplict une de leur intimit.

    1 La parole parle comme recueil OU 80n1l8le ailenee. Le silence ~~. ! apaise dansla mesure 00 il supporte monde et choses en leur ~.~ dploiement. Supporter monde et chose sur le mode de .ji l'apaisement, te! est l'appropriement (das Ereignia) de la : 1Diffrenee. La parole, recueil oti Sonne le silence, est pour

    autant que la Dif-frence proprement se donne (aich ereignet). La parole se dploie en tant que Dif.frence parvenant a sa proprit - celle d'etre Diffrence pour monde et choses.

    Le recueil oil sonne le silenee n'est rien d'humain. L'etre humain, au contraire, en lui-meme est parlant. Ce mot : e parlant JI, signifie ici : amen a sa proprit a partir du parler de la parole. Ce qui est ainsi appropri, l'etre humain,

    r est port par la parole en son propre; l!Q!1-prQpre eft de ~ r~-WL~R!iP...Q,J,l.d.~ment de la...l!ftr~re.cueil , o~~~!e. s~!!.~ce. Un tel app~peiii8e fait proprit

    dans la mesure pour le dplor.ement de la parole, recueil du silenee, il (aut le parler des mortels afin de pouvoir retentir comme recueil du silence aux oreilles des mortels. C'est seulement dans la mesure oil les hommes sont a l'coute, ayant place dans le recueil oil sonne le silence, que les mortels sont capables, sur un mode qui leur soit propre, de parler en faisant retentir une parole.

    Parler, pour les mortels, c'est appeler en nornmant, enjoindre a la chose et au monde de venir a partir de la simplicit de la Dif-frenee. Ce qui est enjoint a l'tat pur dans la parole mortelle, c'est la oti a t parl dans le poeme. La posie proprement dite n'est jamais seulement un mode (Meloa) plus haut de la langue quotidienne. Au contraire, c'est bien plutat le discours de tousles jours qui

    La parole 35 est un poeme ayant chapp, et pour cette raison un poeme ,1 puis dans l'usure, duquel apeine encore se fait entendre 1I un appel. ."

    Le contraire du parl a l'tat pur, c'est-a-dire du poeme, ~', n'est pas la prose. La pure prose n'est jamais prosaique JI.' . t\ Elle est aussi potique et donc aussi rare que la posie.

    Si I'on attache son attention uniquement au parler humain si on prend ce dernier seulement comme extriorisation vocale si ron tient la parole ainsi reprsente pour la parole elle-meme - alors le dploiement de la parole ne peut jamais apparaftre autrement que comme expression et activit de l'homme. Mais le parler humain, en tant que parler des mortels, ne repose pas en lui-meme. Le parler des mortels repose dans l'appartenance au parler w~, de la parole. ~ \1)1:

    En son remps, il deviendra invitable d'engager la pen l. se a mditer apres ceci : comment c'est dans le parler de la parole, recueil oil sonne le silence de la Dif-frence, que parvient en son propre le parler mortel et son bruitemento Dans l'bruitement, qu'il soit disco.urs ou crit, le silence est bris. Aquel contact se brise la rsonance dU' silence? Comment le silence parvient-il, en tant que bris, au bruire du mot? Comment l'apaisement bris du silence marque-tille discours mortel qui retentit en vers et en phrases?

    Suppos .qu'un jour la pense russ8se a donner rponse a ces questions, il lui faut cependant se garder de tenir l'bruitement et surtout l'expression pour l'lment dcisif du parler humain.

    La figure oil s'ajointe le parler humain ne peut etre que le mode (Melos) dans lequelle parler de la parole, le recueil oil sonne la paix silencieuse de la Dif-frence, engage les mortels dans l'appropriement par le recueil d'injonction de la Dif-frence.

    Le mode selon lequel les mortels, appels dans la Diffrence a partir de la Dif-frence, parlent de leur cot, c'est parler en rpondant (entsprechen . rler mortel, avant toute chose, doit avoir port ecout au recueil d'injonction sous la forme duquel e J en de la Diffrence appelle monde et choses au dchirement de sa simplicit. Chaque mot du parler mortel parle a partir

  • 37 ,~~t Achsminement ver, la parols ~uDe telle coute, et parle eD taDt qu'uDe telle coute.

    1 Les 'mortels parleDt pour autaDt qu'ils couteDt. TIs '1\"porteDt atteDtioD a l'appel eDjoignaDt du sileDce de la

    ~,a Dif-freDce, lo~ .mem~ qu'ils De l~ cODDaisseDt pas. L'coute , empruDte a I'IDJODctlOD de la DlffreDce ce qu'elle porte

    a la SODOrit du mot. Le parler qui coute eD empruntant ainsi, tel est le parler qui rpoDd (Ent-sprechen) n.

    Dans la mesure pourtant OU le parler mortel emprunte ce qu'il parle 8. l'injoDctioD de la Diffrence, il a dja obi, comme illui revieDt, ill'appel. ED taDt qu'emprunter a UDe coute, parler eD rpoDdaDt, c'est en mme temps rendre en toute reconDaissaDce. Les mortels parlent daDs la mesure OU ils rpoDdent a la parole sur UD double mode : preDaDt d'elle ce qu'ils lui reDdeDt. Le mot des mortels parle daos la mesure OU, daos un seDS multiple, il correspondo

    Toute vraie coute retieDt SOD propre dire. Car l'coute se tieDt eD retrait daDs l'apparteDance par laquelle elle reste lie eD propre a la rSODaDce du sileDce. Toute corres pondance preDd le ton sur la reteDue qui se cODtient. C'est pourquoi UDe telle reteDue tient taDt, dployant rcoute, a se teDir prite a l'iDjoDctioD de la DiffreDce. Mais la retenue doit atre attentive a De pas seulement suivre dans SOD coute la rsoDaDce du silence; elle doit bieD plutat aDticiper son coute, tre teDdue vers elle et aiDsi pour ainsi dire prcder SOD iDjODctioD eD la prvenant.

    Cette prveDaDce dans la reteDue dODDe le ton sur lequel les mortels correspoDdent a la DiffreDce. C'est sur ce mode que les mortels habitent daDs le parler de la parole. La parole est parlaDte. Son parler enjoint a la Dif

    freDce de venir, qui libere mODde et choses au simple de leur intimit.

    La parole est parlaDte. L2!9,mme~rle..R911t..a.utaDt qu'il rpond a la llarole. pondre, c est &tre a ~Ot.l'm:'~ Il Y a-

  • 42 43 Ackeminement llera la parole d'un Dict unique. La grandeur se mesure a l'ampleur de sa dvotion a I'Unique, de telle sorte qu'il sache y contenir pur son dire de poete. Le Dict d'un poete n'est pas divulgu par la parole.

    Aucun des textes potiques pris isolment, pas meme leur ensemble, ne dit tout. Et pourtant chaque texte parle a partir du Tout de ce Dict unique et dit achaque fois celui-ci. C'est au site meme du poeme que l'onde prend Source qui anime d'un sjour le dire comme potique. L'onde dserte si peu le site du poeme que, surgissant, elle laisse au contraire tout mouvement du dire refIuer vers l'origine toujours plus voile. Le site du poeme, en tant qu'il est la source de l'onde mouvante, abrite la vrit secrete de ce qui, a la reprsentation mtaphysique que s'en fait l'esthtique, n'apparait d'abord que comme rythme. Parce que le Dict de I'Unique ne sort pas de l'indivul

    gu, nous ne pouvons situer son site qu'a condition d'essayer, a partir de ce que divulguent tels textes isols, de mander jusqu'au site. Mais, pour ce faire, chaque texte pris isolment a besoin d'lucidation. Elle promeut l'lment lmpide, qui rayonne a travers tout ce qui est dit potiquement, a une premiere splendeur. On voit aisment que bonne lucidation prsuppose

    dja situation. Car ce n'est qu'a partir du site du Dit potique que resplendissent et vibrent les poemes pris isolment. Inversement, une situation du Dit potique ncessite dja un parcours prcurseur a travers une premiere lucidation des difirents textes. Dans ce jeu d'changes entre lucidation et situation,

    persiste tout dialogue de la pense avec le Dict d'un poete. Le dialogue authentique avec le Dict d'un poete n'appar

    tient qu'a la posie; il est le dialogue potique entre poetes. Possible est cependant, et meme parfois indispensable, un entretien de la penae avec la posie, et cela pour la raison qu'aux deux est propre un rapport insigne, quoique respectivement diffrent, a la parole. L'entretien de la pense avec la posie vise a voquer

    l'etre de la parole, pour que les mortels apprennent de nouveau a trouver sjour dans la parole.

    La parole llana le poeme Le dialogue de la pense avec la posie est long. A

    peine a-t-il commenc. Face au Dict de Georg TrakI, il ncessite meme une retenue toute particuliere. Le dialogue avec la posie, s'il est dialogue partant de la pense, ne peut servir le poeme que m~diatement. C'est pourquoi il est en pril constant de plutot perturber le dire du poeme que de lui laisser son charme a partir du repos qui lu est propre. La situation du Dict est un dialogue de la pense avec

    la posie. Elle ne reprsente pas la vision du monde que peut avoir un poete; elle ne passe pas en revue son ateler. Une situation du poeme ne peut surtout pas remplacer l'audition des textes potiques, ni meme lui servir de guide. La situation reuvre par la pense peut tout au plus lever l'coute a la dignit d'une question, et, dans le cas le plus favorable, la rendre plus mditante. Retenant prsentes ces limitations, nous tenterons

    tout d'abord d'indiquer le site du Dict indivulgu. Pour ce faire, nous devrons partir des textes divulgus. Maia desquels? Que tous les poemes de TrakI fassent signe avec la meme sOret, bien que de manieres tres diverses, vera le site unique du Dit potique, voila qui atteste l'unit de ton de ses reuvres potiques a partir du ton fondamental de son Dict. Notre tentative de renvoyer en direction du site devra

    cependant se contenter d'un choix ne retenant que quelques strophes, quelques vers, quelques phrases. Mais l'apparence est invitable que notre procd soit en cela arbitraire. Le choix est cependant inspire par un dessein : faire, pour ainsi dire d'un bond, accder notre attention jusqu'au site du Dit potique.

    I

    L'~t8 !'!!!!!-. tran8.e~!!!:._~r!!.L ... dit l'un des poemes. Nous voila inopinment transports par ce vers au beau milieu d'une reprsentation des choses qui nous est bien connue. Il nous rend prsents

  • 45 44 A~heminement vera la paro1e la terre et l'lment terrestre au sens du prissable. L'ame au contraire est tenue pour l'imprissable, le supraterrestre. L'ame appartient depuis Platon au suprasensible. Apparatt-elIe dans le sensible, elle y est seulement gare. Ici-bas, elle n'est pas dans son lment. Elle n'appartient pas a la terreo Elle est en ce monde e chose trange JI. Le corps est prison pour l'ame si ce n'est pis. 11 ne reste ainsi d'autre issue pour elle que de quitter au plus vite le domaine du sensible qui, dans l'optique de Platon, est le non-vritablement-tant, uniquement vouAla corruption.

    Mais chose singuliere, la parole

    L'ame ut en l'rit cha,e Itrange 8ur terre

    provient d'un poeme intitul: Printemps de I'dme (149 sq.) '. D'une patrie supraterrestre de l'ame immortelle, nous ne trouvons mot. Nous commencons a mditer, et ainsi faisons bien d'tre attentifs ala parole du poete. L'ame : chose trange JI. Dans d'autres poemes, Trakl dit 80uvent et volontiers en utilisant la mme frappe : quelque chose de mortel JI (51)... d'obscur JI (78, 170, 177, 195)... de e solitaire JI (78)... de trpass JI (101)... de malade JI (u3, 171)... d' e humain JI (u4)... de e pAle JI (138)... de mort JI (1'1)... de silencieux I (196). Cette frappe, abstraction faite de la diversit de ses contenus respeetils, n'a pas toujours le mme sens. e Quelque chose de solitaire 1... d'tranger JI... pourrait signifier un donn singulier qui, suivant les cas, serait solitaire, qui, d'une maniere contingente, a. tel point de vtie particulier et limit, serait tranger. La chose, en ce sens, se laisse fort bien classer et meUre en dp6t dans la catgorie de l'tranger en gnraI. Ainsi reprsente, l'ame ne serait qu'un cas parmi d'autres de l'espece trange ou tranger.

    Mais que veut dire (l trange JI? On comprend habituellement par ce vocable le non.familier, ce qui ne parle

    2. Les nurnlb'ol des pares I'8nvoient au tome 1 (contenant Jes po~mes) de J'dition OUo M'Q))er, SaJzbourg, des CBuvrel de Trald (61 d., 1948). Une pl'8mi~1'8 dition oompJete des po~mel, due aux loina de 'ami de TrakI, KarJ Rack, avait paru en 1917JKurt WoUf, Leipzig). Une nouve))e dition (oomportant en annexe des OOUDlentl et des louvenin), tablie p8l' k. Horwitz, a plU'U aux ditioDl de J'Arche (Zunch, 1946). (N. ti. A.)

    La parole dan. le poeTne pIls a quelqu'un, quelque chose qui pese et qui inquiete. ,Or tranger ((rem), en vieil allemand (ram, signifie .ptoprement : ven ailleurs en avant, en train de faire chemin... a l'encfifre al! ee qul m d'avan~--,otfi'v:'--Ce'qui est tranger prgrine en a~ant. Mai~,JL!!,er:r~ P~sJ d~.llu d6'"toute dl!'lltinatbm; (frseriif'r:~~e .p"ar. ,I~ :"l0nd,e. La qut~ de ~'tranger marche al approc~.e, au, ~~~~,~~, com~~ p-elenn, d-pourra trouver'demeore. Ve[r!1nger a dJa donn suiteA l'appel, a lui-mme a peine ~v()jI, qlli le_ met--en rouf'vrssa prprtUe.'v . .

    Le poete nomme rame e chose trange sur terre D. Oil sa' prgrination n'a pu jusqu'ici accder, c'est prcisment la terreo L'ame n'est en quete que de la terre, loin de la fuir. Prgriner en qute de la terre a fin d'tablissement et de-deMeure poetiqSiuFTa terre;-eTai'Si seulement pouvoir sauvegarder la terre comme tant la terre, voila qui cambIe l'~tre propre de rame. Ainsi donc l'Ame n'est nullement ame d'abord pour ensuite, du fait de teIle ou teIle raison, ne pas appartenir a la terreo

    La phrase :

    L'ame esf en l'rit choae trange Bur terre

    nomme bien plut6t la nature de ce que signifie e ame D. Le texte ne contient aucune nonciation sur rAme dja suppose conoue dans son essence, tout comme si, a titre de prcision complmentaire, iI s'agissait de simpIement constater qu'a rame soit arriv un accident contraire et en ce sens dconcertant : ne pouvoir trouver sur terre ni asile ni ,consolation. L'llme, tout au contraire, est, ei'i qn'Ame, Clans le trfonds de sa nature, (l chose trange sur terre JI. Ainsi elle demeure ce qui est en route, et suit, prgrinant, l'attirance de sa nature. Cependant la question nous presse : Vers oil est convoque la marche de ce qui, dans le sens maintenant lucid, est chose(l trange JI? Une strophe de la troisieme partie du poeme Songe de SbCl8tien (107) donne la rponse :

    $er.ei1llJme;; dacendre al' coura du fleuve asur Mditant oubli, lora qu'en le vert branchage La grive appelait al' dclin U1llJ nature 6trangere.

  • 46 Acheminement gers la parole L'ame est appele au dclin. Alors, dira-t-on, 1'&

    doit bien terminer sa carriere terrestre et quit'ter ~ terre! C'est prcisment ce dont ne parlent pas les vera cits. Mais ils parlent pourtant bien de dc1in? Assurment. Seulement le dclin ici nomm n'est pas catastrophe, non plus qU'affaissement dans la dchance. Ce qui dc1ine au long du fleuve azur

    Cela l'a sombrant dans le repos et le silence. ---~----(Auto~;;~~;fi;~r, 34.)

    Dans quel repos? Dans celui de ce qui est mort. Mais de quelle mort? Et dans quel silence?

    L'dme est en "rit cMse trange sur terreo

    La strophe a laquelle appartient ce vers continue ainsi :

    ... Spirituel bleuit, Le crpU8cule Bur la for2t entaille.

    Antrieurement est nomm le soleiI. Les pas de l'tranger s'en vont dans le crpuscule. L~..slair:.1?!!.~l;!r du crpuscule peut signifier d'abord que la nuit tombe. Le crpuscule bleuit. 11 Serait-ce que s'obscurcit l'azur du jour ensoleill?Disparaltrait-il le soir pour faire place a la nuit? Crpuscule cependant ne signifie pas ici la pure et simple tombe du jour comme dclin de sa clart dans les tnebres. Crpuscule ne signifie pas universellement et ncessairement couchant. Le matin aussi a son crpus~ cule.. Ayec lui, le jour se leve. Le crp~cule est donc 'aUSSl bIen un levanto Un crpuscule bleUlt sur la foret ,entaille, sur la foret barre de troncs abattus, effondre I.sur elle-meme. L'azur de la nuit se leve vers le soir.

    C'est spirituel que bleuit le crpuscule. Le spirituel-(rHr~crep'uscule. Cequ''"estentendu dans ce spici'fiel'-'maiiiies-IOis nomm, nous aurons 8. le mditer. Le crpuscule est le dcours du soleil. n y a la aussi bien le dclin du jour que le dc1in de l'an. La derniere strophe d'un poeme intitul Dclin de l't (l69), chante:

    La parole Mm le poerM '7 '. LB l'ert t est del'enu si diacret a

    Et le p1J8 de l'tranger rsonne A trlJl'8rsla nuit d'argent.

    puiB8e un bieu gibier garder mmoire de son 8entier,

    ',., I1~'i;e:~;;;~ ses annes en esprit! lr.- -.-...,.............'...

    .; Toujours dans la posie de Trakl revient ce 80 leise. Nous croyons que discret signifie seulement : peu bruyant, A peine perceptible pour l'oreille. Dans cette acception, ce qui est nomm est relatit a notre apprsentation. Mais leise signifie lentement, gelisian veut

  • 49 48 Acheminement ver, la parole sein de l'azur resplendit, mais en m~me temps se voile de l'lment obscur qui lui est prl!pre1 J~.J~ilr. Station demeure son retrait. Il proCligUe son arrive en se rservant dans la retenue du retrait. Clart en l'obscur cele est l'azur. Clair, c'est-il-dire claironn~esi;'"Q'ongihe; le son qu. appelle du fond du silenee qui l'abrite, et ainsi clate. L~m...Yihr,ILdana sa, don ~n rsonnant. Dans sa clart vibrnte, resplendit rombre de }'azur. .. ~.....tes'pas de l'tranger rsonnent a travers l'argent

    radieux et sonore de la nuit. Un autre poeme chaote (104) :

    Et dana l'asur sacrl rlsonnent encore des pos de lumi~re.

    Ailleurs (uo), il est dit de l'azur :

    La Saintetl des coroUes bleU88... atteint le Regardant.

    Un autre poeme dit (85) :

    .oo Un visa8e animal SaiBi d'a::ur, devant fa::ur sacrl8e li8e.

    Azur n'est pas une image pour donner le sens du sacr. L'jl1ll:, lui-meme est, de par sa profondeur recueillante et qUi ne r~J?lendit que3.!!.D!ky.!>..ibllJlent.~e, le SacxL..Race a l'azur et, du meme coup, port a force d'azur au point de la retenue en soi-meme, le visage ani mal se fige et prend la figure du gibier. La fixit du masque animal n'est pas celle d'un l

    ment mort. Quand il se fige ainsi, le visage de l'animal est saisi. Son masque se ramasse pour, retenu en luimeme, regarder face au Sacr dans le miroir de vrit l) (85). Regarder signifie : entrer dans le tacite.

    Puia8ant eat dana la pierre le tacite

    dit le ven qui suit immdiatement. La pierre est le massif de la douleur. La roche recueille, dans son sein de pierre, l'apaisement en lequella douleur donne la paix de l'essentiel. D'azur, la douleur se tait. Le masque du

    La parole daral le poeme gibier, face it. l'azur, se repre~d dans la douceu~. Car la douceur est, a la lettre, ce qUl tendrement recueIlle. Elle uansfigure la dissension en ce qu'elle assume la lsion et la brMure de l' Inculte en la douleur devenue ,paix. Qui est le bleu gibier a qui le poete enio~nt de ne pas

    oublier l'tranger? Un animal? Assurment. Et rien qu'un animal? Aucunement. Car il doit remmorer. Son visage doit ~tre aux aguets de l'tranger et avoir regard sur lui. Le bleu gibier est une bete dont l'animalit ne consiste sans doute pas dans le bestial, mais rside dans celte commmoration du regard qu'enjoint le poHe. Une telle animalit est encore lointaine et a. peine perceptible. Ainsi l'animalit de la bete ici en question vacille dans l'incertain. Elle n'est pas encore recueillie en son etre propre. Un tel animal, a savoir l'animal pensant, l'animal rationale, l'homme, n'est, selon le mot de Nietzsche, pas encore arr~t (festgestellt). Cette nonciation ne veut absolument pas dire que

    l'homme n'est pas encore festgestellt au sens de constat. Cela, il ne l'est que trop rsolument. Le mot de Nietzsche veut dire : l'animalit de cet animal n'est pas encore parvenue a son tablissement, a sa demeure propre, au foyer de son essence encore voile. Pour un tel tablissement, la mtaphysique occidentale n'a cess depuis Platon de dployer son eflort. Peut-~tre lutte-t-elle en vain. Peut-etre la voie pour une mise en route JI est-elle encore barre. L'animal non encore arret en son hre propre, c'est I'homme de maintenant.~,

    Dans la nomination potique du bleu ~JI, Trakl en appelleacetetre de I'homme dont le visage, regard qui rayonne al'encontre, quand la pense s'adresse aux pas de l'tranger, advient a.lui-m~me sous le regard d'azur de la nuit, touch qu'il est par la lumiere du sacr. La nomination du Bleu gibier l) est celle des mortels qui se souviennent de l'tranger et voudraient avec lui gagner le foyer de l'essence humaine.Qui sont-ils, ceux qui entreprennent pareille prgri

    nation? Sans doute ne sont-ils qu'en petit nombre et inconnus, s'il est vrai que l'essentiel advient (sich ereignet) furtivement, a l'improviste, et comme l'exception. De tels voyageurs, le poete les nomme dans Soire d'hilJer (126), dont la seconde strophe commence ainsi :

  • --

    50 51 Acheminement ver. la parole Plus d'un qui faie le I'oyage Arril'e au.z portu par d'ob8eurs ,entier,.

    Le bleu gibier, quand illui arrive de dployer son atre, a quitt la nature de la forme humaine jusqu'ici de mise. Le vieil homme s'croule dans la mesure OU il dpose son atre, autrement dit se dcompose.

    Siebengesang des Tode, est le titre d'un poeme de Trakl. 5ept est le nombre sacr. Le cantique chante le sacr de la mort. La mort n'est pas ici reprsente du dehors et en gnral comme la terminaison de la vie terrestre. 11 La Mort signifie potiquement ce dclin JI danslequel est appel ce qui a nature d'tranger J. C'est pourquoi l'tranger ainsi voqu s'appelle-til aussi 11 quelque chose de mort JI (146). 5a mort n'est pas dcomposition, mais dposition de la forme dcompose de l'homme. Aussi lit-on dans l'avant-derniere strophe du poeme Siebenge8ang des Tode8 (142) : o d8 fhomms la forms dcomposle: ,on agencement de froida

    mtau.z, Al'ec la nuie et l'eflroi de for&8 englouties Et, feu grillant, la saul'agerie de la bete; Calms plat dans l'(fms. La forme dfaite de l'homme est livre au martyre

    de la morsure et a. l'pine darde. 5a barbarie n'est pas pntre par la lumiere de I'azur. L'ame de cette forme humaine n'est pas sous le vent du sacr. Elle est ainsi sane course. Le vent lui-mme, le souIDe de Dieu, reste de ce fait solitaire. Un poeme nommant le bleu gibier qui arrive a. peine ase dlivrer de l'pineuse broussaille JI se termine par les vers suivants (99) :

    Toujours se fait entendre LB long d8 naires murailles le souffle solitaire de Dieu.

    Toujours veut dire : aussi longtemps que l'an et la marche de son soleil persistent encore dans le mome de l'hiver et que personne ne fait mmoire du sentier sur lequell'tranger, 11 de son pas sonnant J, parcourt la nuit.

    La parole tlam le ptHnN

    Cette nuit n'est elle-mame que le recel qui abrite la marche du solei1. Marcher f.gehen), EhiOt~, c'est, en indo-europen iIr - rann (das Jalar). --

    PuiBse un bleu gibier garder mmoire de 80n sentier,

    V, feuphonie de Bes annleB en esprit/ Ce qui, dans les annes, est esprit, se dtermine a

    partir du crpusc1!!~.iri1.u~Ly._Jldvie!lt-J'~1}l'" ,Se tait la plainte du msrle, Et z" douces (ltes lis l'automne Font Bilence dDna les r088aUZ.

    Sur nuie....wu~ e d8~ Sillon.~_-~u~ ~f.!. _ LB lac nocturne,

    LBcie~-De ti~r toujour, rkonne la POiz t lune A traPe" lanuit'8Jrif8ll8."----- .'''.--_.._...,....---~......

  • 53 52 AcMminsment "". la parole Le ciel d'toiles est figur dans I'image potique

    lac nocturne. C'est ce que voit la reprsentation cou4 rante. Mais le ciel nocturne eat, dans la vrit de soa etre, ce lac. En revanche ce que d'habitude nous nomo mons la nuit, c'est cela qui n'est que la pale et vaine rplique de ce qu'elle est en vrit. Souvent revient dans le Dict du poete le lac et son miroir. Les eaux tantat bIeues, tantat noires montrent it l'homme Son propre visage, ce sien regard it I'encontre. Mais, dans le lac nO~!l~,jlll".ci~l d'toiles, apparatt le bleu crp.uscule e ~,!l,n.Jlit spiri~uelle. Son clat est fratcheur sereme.

    C'ttSereine f.heur'd~" lumiere vient du rayon. nement de la ~~W"fnn,~,~\ftMw). A l'entour de sa splendeur, palissent' et-tratchissent, comme dit la posie

    e, ',/) de I'an.c"ien~~,g!ece'"l~s, "t,o,il",es. T~ut~,:. ~tran.1 ,'" ger ~verse~ nwt ~~tAPpel,;", ,&(34). " ~@iltq'l'le ,"d la samr qui toujours rsonne dans la

    . ~.8piriteDe, le frere enfin I'entend, s'il essaie, dans sa barque qui est encore barqtie noire D, a peine illustre par celle d'or de l'tranger, de la suivre en une course nocturne. Si des mortels suivent la nature trangere D appele

    au dclin, si donc maintenant ils partent sur !la, route , it la suite de I'tranger, ils accedent eux-mem~,lX!.,a,n.~ get, ils deviennent eux-memes des trangers et des solita,ires (:: 'l' "'8';::""1!t~:,\,:'~"''t"'''.''''''""'""""-., "" " __,,,0_'

    ...!4 , ..." ,-\.f4",_'I> , '__ ,".",

    Par la course nocturne sur le lac d'toiles qui est le ciel au-dessus de la terre, I'Ame gagne la terre enfin devenue la terre dans la fratcheur de sa seve !l (126). L'ame glis~l e:p I'al;,J,ll' j;;dm,~~y1a,ire.,-du,~4e-1!1!I!IIDe epil'itttlle. Elle devient AIQ~,A'~u~.RJPne,.,fi"ainsi,ame dJazmo:' Les quelques vers que nous allons maintenant citer

    indiquent, la voie du crpuscule spirituel, mettent sur le sentier, ~e I'J~trat!g.ef;:jnofrent la race et la course de ceuxFqUi~ non oublieux de lui, le suivent dans le dclin. Au ponant de I't, ce qui est tranger devient, dans sa migration, automnal et sombre. Voici l'avant-derniere strophe du poeme Ame d'au

    tom1l6 (124).

    '", " ,1>"

    La parole Mm le poeme BientOt fuient po8son et gibier. Ame bleue, obscur lJoyage Dpart de l'Autre, de l'Aim. Le soir change sena et image.

    Les v~y.!l~urs qui suivent I'~tranger se trouvent aussitf spars aes Ai1es-j)'-qui"'sonT"])OUl"eux des Autres D. LeS Atl'es '1) '- entendons la souche de la forme dfaite de I'homme. Notre langue nomme l'humanit ayant rec;u I'empreinte

    d'une frappe (Schlag) et dans celte frappe, frappe de spcification (verschlagen): das Geschlecht - l'espece. Le mot signifie aussi bien I'espece humaine, au sens de I'humanit, que les especes au sens des troncs, souches et familles, tout cela de nouveau frapp de la dualit gnrique des sexes. L'espece de la forme dfaite D de I'homme, le poete la nomme I'espece voue it se dfaire D (r86). Celte espece est arrache a I'ordre de sa nature et est ainsi I'espece dconcerte D (r62). De quoi celte espece est-elle frappe, c'est-it-dire de

    quelle plaie? Plaie, c'est le grec 1tA"lrfl - en allemand Schlag. La plaie de I'espece voue a se dfaire consiste en ceci que cette antique espece est surprise de dchi rement dans la dissension gnrique. A partir d'elle, chacun des deux genres se rue it I'effrnement de la sauvagerie, dsole et rduite a elle-meme, du gibir. Ce n'est pas la dualit comme telle, mais la dissension qui est plaie. A partir du soulevement de la sauvagerie aveugle, elle entraine I'espece dans la division et I'gare ainsi dans I'individuation dchaine. Ainsi divise

    Det meurtrie, l' espece dchue n'est plus it meme de retrouver la bonne frappe."Mais bonne frappe il n'y a que pour l'espece dont la dualit, dlivre de la dissension, se devance dans la douceur d'une simplicit ddouble, qui de ce fait est chose trange et en cela suit l'~tranger.D Dans le rapport it un tel ~tranger, toute la postrit

    de l'espece voue a se dfaire reste - les Autres. C'est a eux, nanmoins, que X!l.Jnour et la vnration demeurent attachs. Or I'obscure prgrination a 1~~Jllt I'~tran' ger conduit dans1'azuJ' de-R'1mtl'::"'L'"ti v2I!j,~!.e~ ame d'azur !l._o,--'

  • 54 55 Acheminement pera la parols La parole dana le poeme Mais en m~me temps, elle va se sparant. Vera oi1?

    La ou va I'l!tranger qui, de temps a autre, n'est dsign par le P.e0t"~~.!.a..fav~~_,du dmons~ratif : Celui-la (lener: Jner, dans ranclene" liingiie-ener, signifie der ander8 - l'autre. Enert dem Baeh, c'est I'autre cot du ruisseau. Celui-la (lener), l'l!tranger, est l'Autre par rapport aux autres, c'est-il-dire ill'espece qui va se dfaisanto Celui-lil est l'Appel hors du groupe des autres, appel ti s'en sparer. L'l!tranger est le Dis-cd. A quoi est mand ce qui est tel qu'il puisse prendre

    sur ~~i!'~tr~,..e!~r,~,~.~e."X~tdr'= le 1e?a~I.t?A qUulce qUl esfltranger peu - tre appe , u, c ID.E.V D'liler;'":c4e'$t"rlf(f'~l!tltre'ltMml8l!f~l5u5mne"8;iriuel de l'artn':'Le dclin provientd"iiicliiier versrannElenesprit. ltt Bipareilponlilt> doit 'trstverser les'app1't:lch~s-'i'1HJ1etiss de I'hiver, traverser novembre, alora cett~de soi ne ;signifie nanmoins pas la chute dans t'inmmsfnance et dans l'anantisseme,~t. Se perdre (aieh perUeren) signifie plulat a la lettre : se dtacher (aich loa-lasen) et doucement chapper. Ce qui va se,perdan~,.!1!~Q.yjl,d.wJa,destruction de novembre, m4is ne s'y engloutit nullement. A travers elle, il glisse a~~~scule spirituel de l'azur, il la vespre JI, vers le Str. ~._." ... ,.

    A l'Mure du Vlpres, l'gtranger S8 perd dana la noire de81ruction de novembrl1 _ _ __ '_"_'_~' __"'_".'"'' ~

    Soua ls brancl&ag8 mort ls long de mura lpreu:J:, 04 d'abord cMmina le ,ere consacri, NOf/1 dan. la tendres l&arpu de aa dlmence.

    (Hilian, 87.) Le soir est le ponant du jour de I)nne spirituel1e. Le

    soir accomplit un change;-f;e--srii'qtl! !l'~cline du cOt de l'esprit donne autre chose -a regard, autre

  • 56 Acheminement vers la parole final d'un texte qui concerne expressment le Dis-cd nomme les cheminements slniques des Dis-cds jI (178). Les Dis-eds, nous les nommons aussi les Morts. Mais en quelle mort l'ntranger est-il entr? Dans le poeme Psaume (6:;), Trakl crit :

    Le farsen est mon. La strophe suivante dit :

    On~~J)ger. Dans Siebengesang des TorJes, il s'appelle le blanc

    ntranger D. Nous lisons dans la derniere strophe de Psaume,

    Dana sa tombe joue le blanc magicien apec ses serpents. (64) Le..Mw.-l.sdt.Jla,ns..~-tombe. IJ vit en sa cellule, si sereinemen!'pe~ll.!:l A~:m son. .re.ve .q.u.~i1.i~~_e~.W!.aetpents. Ils n'ont aucun pouvoir contre lui. Ils ne sont pas touffs, mais leur malfaisance est transforme. En revanche, dans un autre poeme, Lea Damns (120), il est dit:

    Un nid de serpents carlates se cabre En ralenti du fond de son sein gar. (ef. 161, 164)

    Le Mort est le Farsen. Le mot dsigne-t-il un alin? Non. La dmence n'est pas le songe de l'insens. Wahn appartient au vieil haut-allemand wana et signifie ohne : sanso Le farsen songe et ilsonge comme nul autre ne saurait le faire. Mais il s'est ddit en cela de ce qui est sens pour les autres. Il est autrement sens. Sinnan signifie d'origine : faire voyage, tendre vers... , prendre direction. La racine indo-europenne sent et set signifie chemin. Le Dis-cd est le Far-sen parce qu'il est en chemin vers ailleurs. C'est it partir de lA que sa dmence peut ~tre nomme u douee D; car il songe paix plus sereine. Un poeme qui parle de I'lttranger en le nommant simplement Celuila D, I'Autre, chante

    La parole Mna le poeme r 5, Mais celui-ltl descendit les degrs de pierre du mant des Moines, Un bleu sourire sur son visage, trangement repris par la chrysalide De son enfame, paiA1 plus sereine, et puis mourut.

    Ce poeme a pour titre : A un eune mort (135). Le Dis-cd est mort entrant dans son matin. C'est pourquoi il est la tendre dpouille (105, 146, etc.), abrite dans la conque de cette enfance qui sauvegarde en sa paix plus sereine tout ce qui, dans la sauvagerie de l'inculte, ne fait que flamber et ravager. Ainsi appara2t celui qui est mort repris par son matin comme la sombre figure de la fratcheur JI. C'est elle que chante le poeme : Au mont des Moines (II3). Toujours au poyageur s'attache la sombre figure de la fratcMur Trapersant passerelle osseuse, la 90i3: tfhyacinthe de l'adolescent Doucement rcite la lgenr1e perdue de la for8t,

    Non que la (( sombre figure de la fratcheur s'attacheD aux pas du voyageur. Elle le prcede en ce que la voix d'azur de l'adolescent reprend a l'oubli ce qui tait perdu et prlude. Qui done est le jeune Mort repris par son matin? Qui

    est l'adolescent, dont

    ...Le front apeine saigne De tres 9ieilles lgenr1es Et de l'augure incertainP (97)

    Qui est celui qui traversa passerelle osseuse? Le poete l'invoque en ces mots :

    Depuis un si long temps, Elis, es-tu parmi les morta.

    Elis est l'lttranger appel au dclin. Elis n'est aucunement une gureplj:t"laqlln~ Trakl se dsigne lui-m~me. Elis est aussi essentiellement distinct du poete que, de Nietzsche philosophe, la figure de Zarathoustra. Mais les deux figures conviennent en ceci que leur ~tre et leur voie commencent par le dclin. Le dclin d'Elis entre dans l)aiJlflritfffiln5rifil";plus ancienne que, dans son

  • 59 58 Achemintment p,,.. 14 pa,.ole vieillissement, l'espece voue a se dfaire, plus ancienne parce que plus songeuse, plus songeuse parce que plus sereine, plus sereine parce qu'elle-mme plus apaisante. Dans la figure du jeune Elis, la prsence du garQon

    n'est pas en contraste avec une nature de filIe. Le gar~on Elis est l'apparition de l'eofance profonde. Celle-ci recele et rserve en soi le tendre ddoublement des genres, l'adolescent aussi bien que la figure d'or de l'adolescente 11 (179)Elis n'est pas un mort qui se dfait dans le rvolu

    du pur et simple trpas. Elis est le mort dont l'tre s'en est aU ven le matin. L'e:tranger dploie ainsi 1'essence humaine en avant vers le dpart de ce qui n'est pas encore advenu a porte (vieil haut-allemand giberan). Cet In-export, plus tabli en son repos et ainsi scrtant plus de paix, le poete le nomme l'Ingnr (das Ungeborene). L'e:tranger mort repris par son matin est l'Ingnr.

    Les noms de l' Ingnr et de l' Etranger JI disent le Meme. Dans le poeme Clair printemps se trouve le vers (26) :

    Et r lng~nr l1eiUe Ion propre reposo

    Il veille et garde l'enfance plus sereine pour l'veil a venir du genre bumain. Ainsi en son repos l1it le jeune mort. Le Dis-cd n'est pas le dcd au sens du trpass. Bien au contraire. Le Dis-cd prvoit dans l'azur de la nuit spirituelle. Les blanches paupieres qui protegent son regard brillent dans la parure nuptiale (150) qui promet, plus tendre, le ddoublement du genre.

    Sereins fleur88ent les myrtes 8ur les blanchu paupieres du mort. Ce vers appartient au poeme qui dit aussi :

    L'ame est en l1rit sur terre chose itrangs.

    Les deux vera son! immdiatement voisins. Le el mort est le Dis-cd, 1'e:tranger, l'Ingnr. Mais encore chemine

    lA. parole dana le poeme

    ...de l' /ngnr Le senter, le long de l1illages lugubres, d'its solitares.

    (Chant des Mures, 101.) Son chemin passe sans s'arreter a e~t de ce qui ne l'admet pas comme hOte, mais ne le traverse dja plus. Au vrai, la course du Dis-cd aussi est solitaire, mais cela cependant il partir de la solitude du lae nocturne, du ciel d'toiles . Le Far,en sillonne ce lac non pas sur nue noire ll, mais sur barque d'or. Qu'en est-il de l'or? Le poeme Con de toret (33) rpond par le vera :

    AU8Si lB montre d douce ~mence ,oul1ent l'or, le Prai.

    La piste de l'e:tranger chemine a travers les annes spiri~~. ll;--dont les jours, partout dirigs-au-cceur du vrai dpart, sont depuis la rgis, c'est-a-dire droits. L'an de son ame est recueilli en la rectitude irrprochable.

    o rectitude, Elu, de tow tes jours chante le poeme Elis (98). Cet appel n'est que 1'cho d'un autre appel dja entendu :

    Depuis un si long tsmp8, Elis, es-tu parmi les morta.

    Le matin en lequell'e:tranger par sa mort est entr abrite la justice qui revient essentieUement a l'Ingnr. Ce matin est un temps incomparable, le tempa des annes spirituelles JI. Un de ses poemes, Trakll'a tout uniment intitul: L'Ar (170). 11 commence ainsi : Q.h~c\U'l'l.. paix de 1'enfance ... II Face a elle, enlance plus lmpide parce que plus sereine et pour cela autre, est le matin en lequel le Discd est entr dclinant. Celte enfance, paix plus sereine, le dernier vera du meme poeme la nomme dbut (AnbBginn) :

    RBgard flor du d~but, sombre patience de la fin. La fin n'est pas ici ce qui suit, ce en quoi vient s'teindre le dbut. La fin prcede, comme fin de l'espece corrom

  • 61 60 Acheminement vers la parole pue, le dbut de 1'espece ingnre. Toutefois le dbut, en tant qu'aube plus matinale, a dja surpass la fin.

    Car en un tel matin est sauvegard le sens originel du temps qui, encore et toujours, demeure sous le voile. Pour la pense qui nous rgit il persistera, meme a l'avenir, dans sa clOture, aussi longtemps que se maintiendra en vigueur la reprsentation du temps qui, depuis Aristote, Iait autorit. En vertu de quoi le temps, qu'on le reprsente meaniquement, dynamiquement, et llit-ce meme a partir de la dsintgration de l'atome, reste la dimension du comput quantitatif ou qualitatif de la dure qui s'coule dans la succession.

    Mais le temps vritable est la venue de l'atre en tant que dja lui (Anhunft des Gewesenen). DjIJ n'indique pas un pass pur et simple mais le recueil de l'closion qui, ramenant tout a elle, devanee toute venue en revenant saos cesse puiser au secret de la souree que lui est, ds 1'aube, sa perce. Au terme, a ce qu'il pousse a bout, appartient l' obscure patience . Elle transporte l'inclos au devant de ce qui le sauve. Son endurance dfere toute chose au dclin en azur de la nuit spirituelle. Au d~~!1t toutefois rp-ondentunregard et unsonge .q~L!,,,yoM,eJ!t~'or, ilIy: minsqu'ils sontpar la nature de 1'0~J !lu,:wai:Tel est ce qui se 'mire dansle IBe d'toill q.i"est la nuit lorsque a EHs, au c~.~~~e son voyage, s'ouvre le coour de la nuit (98) :

    .. ... __ --_ _--

    Barque d'or, EUs Ton Cll!ur berc contre le ciel Bolitaire.

    La barque de l'~tranger vaeille, mais en un jeu et non anxieusement (200), comme la barque de ces fils du matin dont la course ne fait que suivre l'Etranger. Leur barque ne parvient pas al'altitude de la nuit et de son lac d'toiles. Elle sombre. Mais ou? Dans la destruction? Nullement. Et allant ou? Dans le vide du rien? Aucunement. L'un des derniers poemes, Plainte (200), se termine par ces vers :

    SaJur d'ombrageuse mlancolie VO8, une barque an:teusement sombre Sousles toileB, Face au fJisage taciturne de la nuit.

    La parole dans le poeme Qu'abrite cette taciturnit de la nuit qui, a partir de

    l'cIat des toiles, fait lace? - Oil est le lieu d'une telle nuit? Dans le Dis-ces. nne s'puise pas en un pur et simple tat, celui du dces, car en lui vit le jeune Elis.

    Au Dis-ces appartient la priorit de 1'enlance plus sereine, appartient le bleu de la nuit, avec les eheminements de l'~tranger, avec le nocturne battement d'aile de l'ame, avec dja le crpuscule comme porche du dclin.

    Le Dis-ces rassemble ainsi une telle co-appartenance _ non pas sans doute apres coup, mais lui-meme s'ployant dans le regue dja de son closion.

    Le cr~p\.lll~ll!t}L \~!..~1!~h.~.~_ ..a~!i..g~ ..tE.t~er...se&.~mi

    nements, le. poete les .nomme. J!p~rit..J1els (geistlich). Le Dis-cerf-eit'-it"spirftieT"-;"'"(getlich). Que dit ce terme? Sa signification et son usage sont anciens. u Spirituel signifie ce qui~.lld~!lJe.l\e"nll de l'esprit, entire.provcnance et 6eia"sa nat;u~e. L'usage aujourd'hui courant a res

    treint le le spirituel (das Geistliche) ason contraste avec le temporel, a la qualit u spirituelle dont est investi l'tat ecclsiastique, celui des pretres et de leur glise.

    M~me Trakl para!t, du moins pour 1'oreille inattentive, donner ce sens a fl spirituel lorsqu'il dit par exemple dans le poeme A Hellbrunn (191) :

    Si !J1jl:i~l4tlk"f~rdpient. Les cMnes sur les CMmins oublis des mortB.

    ~, .." _,'k

    Peu avant sont nomms u les ombres des princes de l'~glise, de nobles dames , les ombres de morts anciens D qui paraissent flotter audessus du lac au printemps . Mais le poete, qui chante ici anouveau la plainte bleue du soir D, ne pense pas a la clricature lorsque les chenes, pour lui, si spirituels verdoient . II songe a la primit de ce qu, depuis un si long temps, est mort, laquelle promet le Printemps de l'ame D. Ce n'est pas autre chose non plus que chante le poeme chronologiquement antrieur Chant spirituel, bien que d'une manire encore plus voile et cherchante. L'esprit de ce Chant spirituel D (20) qui joue en la pnombre d'une ambiguit singuliere se dvoile plus distirictement dans les mots de la derniere strophe :

    .,\I'.'.HA ~ ,! .,,

  • 62 63 Acheminement vers la parole

    Un mendiant la-bas, contre la vieille borne Semble abtm da1l8 8a priere, . Doucement un patre descend de la coUine Et un ange chante da1l8 le bois, Proche da1l8 le boiB Pour lea en{ants qu'il endort.

    Mais si le poete n'n pas en vue le ti Spiritueh (das Geiat. liche) comme caractere propre a l'tat ecclsiastique, il aurait bien pu nommer tout simplement geistig ce qui a rapport a l;.esprit, et parler en ce sens du crpuscule spirituel (geistig) etde lanuit.spirituelle (geistige Nacht). Pourquoi donc vite-t-il le mot geistigP Paree que le spirituel au sens dEl~~sti8.:'JlaJ:qM~J'oppo~itio~ matriel. Celle-ci reprsente fa ditTerence de dex rgions, dsignant ainsi, dans le langage platonicien de la mtaphysique occidentale, l'abtJ:r.,!?__qw._Jl~~.la, ..pl'a&eUiWe (vo1j'rv) d~ sensi~l~ (~to&tT6v). -~ ...

    L'-- Sptntuel ainsi entendu qui, ntre-temps. st devenu le domaine du Rationnel, de I'lnte11e , dologique, appartient, avec tout son arsenal d'oppositions, a la fa~on de voir propre al'espece qui va se dfaisant. Or c'est d'e11e prcisment que discede l' ob~voxa~e D de l' a Ame b~. Le crpuscule ou nait la nutaansaqueIlevasom., brant Cqui est tranger ne peut etre nomm geistig, pas plusq.tteJe .c.~!!!Dinement de l'Etranger. Le Disces est geistUch, au sensdeCletermine-paf"l"Esprit, mais non pas toutefois geistig au sens de la mtaphysique. Qu'est donc alors I'Esprit? Dans son dernier poeme,

    Grodek, Trakl nomme la flamme. ardeBta..de--ltE-sprit D (201). L'Esprit est ce qui flambe, et c'est peut-etre seulement ace titre qu'il est souille. L'Esprit, Trakl ne l'entend pas d'abord comme Pneuma ou 8piritlU, mais comme flamme qui embrase~orte, dessaisit. Le flamboiement est ardeur luminante. Le fiampQJl.Ant est l'exta~!UIui.jllumine et fait resplendir, misdont la puis sance n'en 6.nit pas non plus de tout ronger et consumer jusqu'au blanchissement de la cendre.

    a La fiamme est frere du plus bleme D, lit-on dans le poeme Mtamorphose dUo Mal (129). Trakl voit l'Esprit

    La paro16 Mns le P06rM apartir de ce qui est nomm dans la signification originelle du mot Geist; car gheis signifie : etre soulev, transport, hors de soi. L'Esprit ainsi entendu dploie son etre selon la double

    puissance de la doueeur et de la destruction. Loin de rabattre l'ek-stase de l'embrasement, la douceur la tient rassemble dans l'aceueil apais de la bienveillance. La destruction proVIent de l'effrenement qui se consume en sa propre subversion, se faisant ainsi entreprise de malfaisance. Le Mal est toujours provenant d'un Esprit. Le mal avec sa mchancet n'est pas le sensible, le matriel. 11 n'est pas non plus de nature simplement immatrielle (geistig). Le Mal est Esprit (geistlich) comme l'insurrection de l'effrayant, dont la flambe se dissipe a l'aveugle, et qui transplante dans la dispersion du non-salut, mena~ant de dvorer l'closion ou se recueille la douceur. Mais ou rside ce qui, dans la douceur, rassemble?

    Quelles sont, de la douceur, les renes? Par quel Esprit sont-elles maintenues? Comment l'etre humain est-il, comment devient-il spirituel (geistlich) ji C'est dans la mesure OU l'essenee de l'Esprit rside dans

    .l'embrasement qu'il fraye la voie, lui donne ouverture et mer!! fOtIte.-eonmre 'fTaiie;i'ESP"t'e5t'Tfiernrete qui rri6iiteal'assaut du cel et a a la conqu~te de Dleu D (187). L'Esprit jette l'Ame sur la route ou la marche est devaneemeBt. I:.'Eeprit tIamplafit@ en aTre~'~iraii-' gere. 1\ f:l~me est en vrit ehose trange sur terreo C'est l'Esprit qui fait don de l'ame. II es!. l'~!1i.!,!ateur. Mats" l'Am:_~.~~~~JA'fm:,~~~."g~ l'E~~lt, et cela de fa~a1sl essentlelle que sans rAme, l"1!Sprlt peut-etre ne sera jamais l'Esprit. Elle a nourrit D l'Esprit. Mais de quelle maniere? De quelle autre maniere qu'en concdant a l'Esprit ce qui en elle-meme est flamme? Cette fi~mJDe est l'ardeur de la mlancolie, a douceur de l'a'ieslt.ire (55). .......~.....t-W.-'.l'J',,,._~.,",""':':''''~~A".,t't;t4,,,,,,~,,,,,,,,,;,~:o:;:->:H,,,,-IIr-'..-''''o .-... , La solitude n'esseule pas dans la dispersion, a quoi est

    livr ce qui n'est que drliction (Verlassenheit) pureo La solit,!de porte l'ame a.':!.~d~vap.t de l'Unique, la rassemble en l'Un, eT1-cofieesse~~ie11~Il:l~ntasapr~gr,!~aH()}h Comme Ame sotitaire;oelJe'est ame voyageuse. L'ardeur de son courage"1!"st nse en demew,e tIe pro me"dans la prgrination

  • 65 64 Acheminement llera la parole tout le poids de ce qui lui est chu en partage, et ainsi de se porter, ame, ill'encontre de I'Esprit.

    A l'Esprit, COlllelll la flamme, ardente mlancol~. Ainsi commence le poeme A Lucifer, c'est-a-dire ddi au porte-lumiere qui projette l'ombre du Mal (tome des textes posthumes de l'dition de Salzbourg, 14). La mlancoHe de l'ame n'advient a son ardeur que la

    ou l'ame, au cours de sa migration, entre dans la plus vaste ampleur de ce qu'elle est en propre _ essentiellement prgrinante. C'est ce qui a Heu quand eHe porte son regard a la face de I'azur et regarde ce qui, de l'azur, resplendit. Regardant ainsi, l'ame est grandeur d'ame 11 :

    O douleur, regard {lamboyant De la grandeur d'dmel

    (L'Orage, 183.)

    L'ame est grande selon qu'elle est capable du regard , flamboyant par lequel elle cessc d'etre trangere il la

    / "';~C)uleur. A la douleur est propre une nature en elle-meme /f) 1 1~verse. _!r"Or.t l,lD'U? tr~i t deJjilD:l.QLe.,..l~~ \ >'ment mscrIt 1 me voyageus ce de la tempete '-. . ..- et du tourbiHo , assaut du cicl, voudrait s'emparer

    de Dieu. n semble ainsi qu'un tel emportement veuille se rendre maitre de ce vers quoi il emporte, au lieu de le laisser rgner dans le voilement de sa propre lumiere. Autre est pourtant la puissance du regard. n n'teint

    pas la flamme de l'emportement, mais le compose dans la paix du consentement qui est visiono Le regard est le retrait de la douleur par laquelle elle accede a sa lnit et, a partir de la, au regne de ce qui, en elle, dvoile et conduit. L'Esprit est flamme. Ardente elle resplendit. Le res

    plendissement advient a lui-meme dans l'clair du regard. C'est pour UD tel regard que s'accomplit l'avenement de la splendeur en laquelle rside tout ce qui est prsence. Un tel regard de flamme est la douleur. A toute pense qui se reprsente la douleur a partir de l'impression des

    bOL (