Accéleration d’ions par choc électrostatique induit par...

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Accéleration d’ions par choc électrostatique induit par laser ultra-intense A. Debayle 1,2 , L. Gremillet 1 , F. Mollica 3 , B. Vauzour 3 , A. Flacco 3 and V. Malka 3 1 CEA, DAM, DIF, F-91297 Arpajon, France 2 LRC MESO, École Normale Supérieure de Cachan - CMLA, 61 av. du Président Wilson, 94235 Cachan cedex, France 3 Laboratoire d’Optique Appliquée, ENSTA-CNRS-Ecole Polytechnique, UMR 7639, 91761 Palaiseau, France mél : [email protected] Les chocs dits “non-collisionnels” constituent une vaste classe de chocs où la discontinuité hy- drodynamique des espèces chargées est régie par des champs électromagnétiques plutôt que par des collisions Coulombiennes. Ces phénomènes, qui résultent de l’interaction entre plasmas énergétiques, jouent un rôle important dans de nombreux scénarios spatiaux (supernovae, vent solaire/plasma magnétisé planétaire, vent solaire/plasma interstellaire, etc.). Du fait du caractère hors-équilibre ou des propriétés distinctes (densité, vitesse, température, anisotropie, etc.) des plasmas concernés, ces chocs peuvent admettre des nombres de Mach extrêmement élevés. Les chocs non-collisionnels se répartissent en deux catégories. En régime “laminaire” (générale- ment pour des nombres de Mach M 3), le saut de pression cinétique électronique, cause initiale du choc, est soutenu par un champ électrostatique [1, 2]. Le saut de potentiel réfléchit une partie des ions situés en amont du choc, à une vitesse égale à deux fois la vitesse du choc (par rapport au plasma amont et dans le cas non-relativiste). Pour une vitesse de choc constante, le spectre des particules accélérées est donc mono-énergétique. En régime “turbulent” (pour des nombres de Mach M 1) , la séparation hydrodynamique est assurée par une turbulence élec- tromagnétique auto-générée, dominée par des fluctuations magnétiques [3]. Celles-ci, présentes en amont comme en aval du choc, entraînent parallèlement l’isotropisation des différentes es- pèces. Certaines particules, piégées entre ces champs, sont accélérées lors de multiples réflex- ions de part et d’autre du front du choc : c’est l’accélération de Fermi, qui conduit à un spectre énergétique en loi de puissance γ p [4]. Les lasers de puissance permettent aujourd’hui de générer des chocs électrostatiques [5], et de- vraient être capables d’ici peu de créer des chocs auto-magnétisés [6]. Le domaine d’existence et la nature de tels chocs reste encore largement méconnu en raison de la complexité des mécan- ismes de chauffage durant l’interaction laser/matière et de la non-stationnarité des processus en jeu. Malgré ces obstacles, les chocs laser électrostatiques semblent prometteurs pour engendrer des faisceaux d’ions de faible dispersion en énergie [7]. Ce scénario constitue ainsi une des voies retenues dans le cadre du projet SAPHIR. Ce projet, soutenu par l’agence d’innovation OSEO et piloté par Amplitude Technologies, vise à démontrer la capacité de faisceaux laser à produire des faisceaux d’ions adaptés à la protonthérapie. À cette fin, une chaîne laser fem- toseconde de 200 400 TW, a été développée au Laboratoire d’Optique Appliquée (LOA). Les éclairements extrêmes qui y sont attendus (10 21 Wcm 2 ) laissent entrevoir des températures électroniques relativistes (> 10MeV), donnant lieu à des pressions supérieures au Gbar. On peut ainsi envisager de produire des chocs électrostatiques dans des gaz, de façon à exploiter les taux de répétition élevés (> Hz) propres à ce type d’installation laser. Nous présenterons ici une étude numérique de la formation de ces chocs, et de l’accélération ionique associée, dans une gamme de paramètres accessibles au laser SAPHIR. Au moyen de

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Accéleration d’ions par choc électrostatique induit par laser ultra-intense

A. Debayle1,2, L. Gremillet1, F. Mollica3, B. Vauzour3, A. Flacco3 and V. Malka3

1 CEA, DAM, DIF, F-91297 Arpajon, France2 LRC MESO, École Normale Supérieure de Cachan - CMLA, 61 av. du Président Wilson,

94235 Cachan cedex, France3 Laboratoire d’Optique Appliquée, ENSTA-CNRS-EcolePolytechnique, UMR 7639, 91761 Palaiseau, France

mél :[email protected]

Les chocs dits “non-collisionnels” constituent une vaste classe de chocs où la discontinuité hy-drodynamique des espèces chargées est régie par des champs électromagnétiques plutôt quepar des collisions Coulombiennes. Ces phénomènes, qui résultent de l’interaction entre plasmasénergétiques, jouent un rôle important dans de nombreux scénarios spatiaux (supernovae, ventsolaire/plasma magnétisé planétaire, vent solaire/plasma interstellaire, etc.). Du fait du caractèrehors-équilibre ou des propriétés distinctes (densité, vitesse, température, anisotropie, etc.) desplasmas concernés, ces chocs peuvent admettre des nombres de Mach extrêmement élevés. Leschocs non-collisionnels se répartissent en deux catégories. En régime “laminaire” (générale-ment pour des nombres de MachM . 3), le saut de pression cinétique électronique, causeinitiale du choc, est soutenu par un champ électrostatique [1, 2]. Le saut de potentiel réfléchitune partie des ions situés en amont du choc, à une vitesse égale à deux fois la vitesse du choc(par rapport au plasma amont et dans le cas non-relativiste). Pour une vitesse de choc constante,le spectre des particules accélérées est donc mono-énergétique. En régime “turbulent” (pour desnombres de MachM ≫ 1) , la séparation hydrodynamique est assurée par une turbulence élec-tromagnétique auto-générée, dominée par des fluctuations magnétiques [3]. Celles-ci, présentesen amont comme en aval du choc, entraînent parallèlement l’isotropisation des différentes es-pèces. Certaines particules, piégées entre ces champs, sontaccélérées lors de multiples réflex-ions de part et d’autre du front du choc : c’est l’accélération de Fermi, qui conduit à un spectreénergétique en loi de puissance∼ γ−p [4].

Les lasers de puissance permettent aujourd’hui de générer des chocs électrostatiques [5], et de-vraient être capables d’ici peu de créer des chocs auto-magnétisés [6]. Le domaine d’existenceet la nature de tels chocs reste encore largement méconnu en raison de la complexité des mécan-ismes de chauffage durant l’interaction laser/matière et de la non-stationnarité des processus enjeu. Malgré ces obstacles, les chocs laser électrostatiques semblent prometteurs pour engendrerdes faisceaux d’ions de faible dispersion en énergie [7]. Ce scénario constitue ainsi une desvoies retenues dans le cadre du projet SAPHIR. Ce projet, soutenu par l’agence d’innovationOSEO et piloté par Amplitude Technologies, vise à démontrerla capacité de faisceaux laserà produire des faisceaux d’ions adaptés à la protonthérapie. À cette fin, une chaîne laser fem-toseconde de 200−400TW, a été développée au Laboratoire d’Optique Appliquée (LOA). Leséclairements extrêmes qui y sont attendus (∼ 1021Wcm−2) laissent entrevoir des températuresélectroniques relativistes (> 10MeV), donnant lieu à des pressions supérieures au Gbar. Onpeut ainsi envisager de produire des chocs électrostatiques dans des gaz, de façon à exploiterles taux de répétition élevés (> Hz) propres à ce type d’installation laser.

Nous présenterons ici une étude numérique de la formation deces chocs, et de l’accélérationionique associée, dans une gamme de paramètres accessiblesau laser SAPHIR. Au moyen de

simulationsparticle-in-cell(PIC), réalisées avec le codeCALDER [8], nous montrerons la pos-sibilité d’engendrer des chocs avec des impulsions laser d’une dizaine de joules, focalisées dansdes plasmas marginalement sous-critiques (de densité électroniquene. nc = 1.7×1021cm−3).Des simulations simplifiées (1D et 2D périodiques) serviront d’abord à comprendre le mécan-isme de chauffage et de formation du choc. Des simulations 2Dplus réalistes, tenant comptedes profils de jets de gaz obtenus au LOA, permettront ensuited’estimer plus précisément lesperformances de l’installation SAPHIR.

1 Mécanisme unidimensionnel de génération de choc par laser dans un plasma sous-critique

Un plasma de densité inférieure à la densité critiquenc = meε0ω20/e2 (où ω0 est la pulsation

laser) permet la propagation de l’impulsion laser. En polarisation linéaire et pour des den-sités proches denc, la température électronique avoisine l’energie d’oscillation dans le champ

laserTe/mec2 ∼ γ√

1+a20 (oùa0 = 0.85

I1018Wcm−2λµm est l’amplitude normalisée du champ

laser). La distance maximale de pénétration du laser,L (normalisée àc/ω0), est limitée par l’én-ergie transmise aux électrons :a2

0τL/2 ∼ neLγ, où τL est la durée laser (normalisée àω−10 ) et

ne la densité électronique (normalisée à la densité critiquenc). En supposantγ ∼ a0, on obtientL ∼ a0τL/2ne.En géométrie 1D, le chauffage électronique résulte principalement du piégeage des électronsdans les ondes électrostatiques induites par le laser. Ces ondes oscillent à des fréquences prochesde la fréquence plasma relativisteω ∼

ne/a0. Le chauffage peut être maximisé pour un choixapproprié de la densité surfacique du gaz,neL. Nous illustrons ce mécanisme dans le cas d’unlaser d’éclairementa0 = 24 et duréeτL = 70, se propageant (de la gauche vers la droite) dansun plasma d’hydrogène. Le plasma est constitué d’un plateaude largeur 10µm et de densiténe= 0.64, bordé de deux rampes exponentielles de longueurs caractéristiques 10µm (à gauche)et 20µm (à droite). L’espace des phasesx− px de la Fig.1(a), tracé à l’instant où le lasers’échappe du plasma (ω0t = 1250), montre une fraction importante des électrons accélérés versl’avant et chauffés dans les ondes électrostatique. Ces particules neutralisent la séparation decharge induite par la force pondéromotrice au front du faisceau laser. Les électrons en amontdu laser sont alors fortement accélérées vers l’arrière, pour former un courant de retour froidd’impulsion px/mec∼ γ ∼ 50−100, de l’ordre du potentiel électrostatiquee|φ |/mec2 (courbenoire). L’énergie moyenne électronique〈γ − 1〉 ∼ a0 (courbe bleue) résulte de la turbulenceinduite par le système instable “double-faisceau” ainsi créé.Considérons maintenant la formation du choc ionique consécutif au chauffage électronique.L’espace des phasesx− px ionique est représenté à différents instants sur la Fig.1(c). Les ionsdu plateau sont initialement (ω0t = 1250) mis en mouvement par la séparation de charge induitepar le laser. Injectés dans la rampe décroissante du plasma,ils sont accélérés plus avant par lechamp ambipolaire créé par les électrons chauds [9]. Ce mécanisme, qualifié de TNSA (pourtarget normal sheath acceleration), est illustré aux instants ultérieurs (ω0t = 1875−8125). Pourdes gradients de densité particuliers, un choc peut se développer du fait de l’accélération inho-mogène des ions : les ions les plus rapides peuvent rattraperles plus lents, donnant lieu à uncroisement de trajectoires fluides [10] . Cet effet est visible dans l’espace des phases ioniquesaux tempsω0t > 3750. Plus précisément, le choc se développe si la longueur locale du gradientde densité est plus courte que la longueur de Debye. Une fois formé, le choc réfléchit une partiedes ions en amont via le champ électrostatique localisé à sonfront. La Fig.1(b) montre que lepic électrostatique se propage deω0x/c≈ 2300 àω0x/c≈ 3000 entre les instantsω0t = 6250etω0t = 8125. L’énergie finale des ions est déterminée par la réflexion sur le choc et l’accéléra-

(a) (b)

ω0x/c

p x/m

c

0 200 400 600 800 1000 1200

−150

−100

−50

0

50

100

150

−4

−3.5

−3

−2.5

−2

−1.5

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500−0.2

−0.15

−0.1

−0.05

0

0.05

0.1

0.15

0.2

ω0x/c

(b) (d)

ω0x/c

p x/m

c

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500

−0.1

0

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

−4

−3

−2

−1

0

1

2

ω0x/c

p x/m

c

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500

−0.1

0

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

−4

−3

−2

−1

0

1

2

3

FIGURE 1 – (a) Simulation 1D : espace des phases électroniquex− px, potentiel électrosta-tique (courbe noire) et énergie électronique moyenne (courbe bleue) à l’instantω0t = 1250.Le front du laser est situé enω0x/c ∼ 1100. (b) Champ électrostatiqueeEx/mecω0 aux in-stantsω0t = 6250 etω0t = 8125. (c) Espace des phases ioniquex− px aux instantsω0t =1250,1875,3750,6250 et 8125. (d) Simulation 2D périodique : espace des phases ioniquex− px

aux instantsω0t = 3750,6250 et 8125.

tion (continue) dans le champ TNSA [7]. Nous en présenterons une synthèse en fonction desparamètres laser et plasma. La Fig.1(d) confirme que, dans le cas d’une simulation 2D où lelaser est modélisé comme une onde plane, le choc se forme selon un même mécanisme et aboutità des énergies finales similaires.

2 Simulations 2D réalistes de génération de choc par laser enrégime sous-critiqueLe mécanisme 1D de formation du choc reste valide dans le cas d’une petite tache focale, tellequ’attendue sur le laser SAPHIR. Plusieurs conditions sont toutefois requises : (i) une densitéproche de la densité critique ; (ii) une densité surfacique permettant la traversée du laser ; (iii)une rampe décroissante de densité suffisamment courte. Nousprésenterons différentes simu-lations 2D pour des plasmas idéaux afin de confirmer les tendances obtenues en 1D. Surtout,nous montrerons que l’accélération par choc peut égalementse produire dans les gaz d’héliumsupersoniques utilisés au LOA. La Fig.2 illustre ces résultats. Le profil du gaz est modélisé parune gaussienne de largeur à mi-hauteur 120µm et de densité maximalene = 0.144. La tachefocale a un diamètre à mi-hauteur de 5µm. L’ionisation par champ du gaz est prise en compte.La conditiona0τL/2>

nedx̃ (où x̃= ω0x/c) étant vérifiée, le laser est en mesure de traverserle gaz. Comme en 1D, la température électronique satisfaitTe/mec2 ∼ a0 ≫ 1. Une différencemajeure est la formation d’un canal ionique après le passagedu laser en raison du profil inho-mogène du chauffage électronique et de la pression radiative [Fig.2(a)]. Le choc électrostatique

se développe de façon analogue, mais sa topologie est désormais gouvernée par un vortex mag-nétique engendré lors de l’expansion du canal dans la rampe arrière du gaz [11]. La dynamiquedu vortex obéit à l’équation de Hasegawa-Mima [12]. Cet effet est visible sur les Figs.2(b) et2(c), où les champsEx et Bz présentent une même structure en forme de bulle. Le choc ap-paraît aussi clairement sur la carte de densité ionique [Fig. 2(a)]. L’espace des phases ioniquede la Fig.2(d) révèle que l’accélération ionique reste importante, les ions atteignant quelquesdizaines de MeV/nucléon. Elle s’avère néanmoins plus faible qu’en 1D du fait de la dilutionradiale des electrons, qui entraîne une décroissance rapide du champ TNSA.

(a) (b)

ω0x/c

ω0y/c

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500−1000

−500

0

500

1000

−2

−1.5

−1

−0.5

ω0x/c

ω0y/c

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500−1000

−500

0

500

1000

−0.5

0

0.5

ω0x/c

ω0y/c

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500−1000

−500

0

500

1000

−0.5

0

0.5

ω0x/c

p x/m

c

0 1000 2000 3000 4000 5000

−0.1

−0.05

0

0.05

0.1

0.15

0.2

0.25

0.3

0.35

−4

−3

−2

−1

0

1

2

3

4

5

FIGURE 2 – (a) Densité ioniqueni/nc ; (b) champ électrostatiqueeEx/mω0c ; (c) Champ mag-nétiqueeBz/mω0 ; (d) Espace des phases des atomes et ions He, He+, He2+ aprés le passage dulaser (ω0t = 6750).

Références[1] H. Schamel,Plasma Phys.14, 905 (1972)[2] G. Sorasio et al. J.Phys. Rev. Lett.96, 045005 (2006)[3] T. Kato, H. Takabe,ApJ668,L93 (2008)[4] M. Malkov, L. O’C Drury, Rep. Prog. Phys.64, 429 (2001)[5] D. Haberberger et al.,Nat. Phys.8, 95 (2012)[6] W. Fox et al.,Phys. Rev. Lett.111, 225002 (2013)[7] F. Fiuza et al.,Phys. Rev. Lett.109, 215001 (2012)[8] E. Lefebvre et al.,Nucl. Fusion43, 629 (2003)[9] P. Mora,Phys. Rev. Lett.90, 185002 (2003)

[10] T. Grismayer, P. Mora,Phys. Plasmas13, 032103 (2006)[11] T. Nakamura, K. Mima,Phys. Rev. Lett.100, 205006 (2008)[12] A. Hasegawa, K. Mima,Phys. Rev. Lett.39, 205 (1977)