ABC Contre Poirot

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Agatha Christie

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  • AGATHA CHRISTIE

    A.B.C.

    CONTRE POIROT

    (THE A.B.C. MURDERS)

  • Table des matires

    CHAPITRE PREMIERLA LETTRECHAPITRE IICHAPITRE IIIANDOVERCHAPITRE IVMADAME ASCHERCHAPITRE VMARY DROWERCHAPITRE VILE THTRE DU CRIMECHAPITRE VIIM. PARTRIDGE ET M. RIDDELLCHAPITRE VIIILA SECONDE LETTRECHAPITRE IXLE MEURTRE DE BEXHILL-SUR-MERCHAPITRE XLA FAMILLE BARNARDCHAPITRE XIMEGAN BARNARDCHAPITRE XIIDONALD FRASERCHAPITRE XIIIUNE CONFRENCECHAPITRE XIVLA TROISIME LETTRECHAPITRE XVSIR CARMICHAEL CLARKECHAPITRE XVICHAPITRE XVIILAFFAIRE PITINE SUR PLACECHAPITRE XVIII

  • CHAPITRE XVIIIPOIROT PRONONCE UN DISCOURSCHAPITRE XIXPAR LA SUDECHAPITRE XXLADY CLARKECHAPITRE XXILE SIGNALEMENT DUN ASSASSINCHAPITRE XXIICHAPITRE XXIIILE 11 SEPTEMBRE, DONCASTERCHAPITRE XXIVCHAPITRE XXVCHAPITRE XXVICHAPITRE XXVIILE CRIME DE DONCASTERCHAPITRE XXVIIICHAPITRE XXIX SCOTLAND YARDCHAPITRE XXXCHAPITRE XXXIHercule Poirot interrogeCHAPITRE XXXIIET ON ATTRAPE UN RENARDCHAPITRE XXXIIIALEXANDRE-BONAPARTE CUSTCHAPITRE XXXIVPOIROT SEXPLIQUECHAPITRE XXXVPILOGUE

  • AVANT-PROPOS

    Par le Capitaine Arthur Hastings,de lArme britannique.

    Jusqualors, je nai rapport que des faits dont jai t

    tmoin. Par exception, je dois mcarter cette fois de ceprincipe : voil pourquoi certains chapitres de mon rcitseront crits la troisime personne.

    Nanmoins, je tiens dclarer mes lecteurs queje me porte garant de la vracit des incidents relatsdans lesdits chapitres. Si je me suis permis quelqueslicences potiques en exprimant les penses et les

  • sentiments de plusieurs de mes personnages, je croiscependant navoir pas outrepass les limites de lavraisemblance. Dois-je ajouter que mon ami,Hercule Poirot, a bien voulu maccorder son entireapprobation ?

    Si je me suis un peu trop attard sur les comparsesqui voluent autour de cette trange succession decrimes, cest qu mon sens, il faut toujours faire entrer enligne de compte llment humain. Dautre part, lamourpeut tre un sous-produit du crime, ainsi que me laappris Hercule Poirot en une circonstance trsdramatique.

    Quant Poirot lui-mme, quil veuille bien trouver icile tmoignage de mon admiration pour la remarquableperspicacit dont il a fait preuve dans la solution dunproblme tout fait neuf pour lui.

  • CHAPITRE PREMIER

    LA LETTRE

    Au cours du mois de juin 1935, je dbarquai enAngleterre pour y passer six mois. Comme tous les autres,nous navions pas chapp la crise mondiale et, confiantnotre ranch de lAmrique du Sud ma femme, jtais venurgler en Europe certaines affaires personnelles.

    Inutile de dire quune de mes premires visites futpour mon vieil ami Hercule Poirot.

    Il avait lou un appartement meubl dans une maisontoute neuve, dun style tout fait moderne. Histoire de letaquiner, je lui reprochai davoir choisi cet immeuble enraison de ses lignes parfaitement gomtriques.

    Je nen disconviens pas, mon ami, avoua-t-il.Trouvez-vous donc cette symtrie dplaisante ?

    Je lui rpliquai que, pour mon got, jy voyais tropdangles droits. Faisant allusion une vieille plaisanterie, jelui demandai si, dans cette htellerie ultra-moderne, lespoules pondaient des ufs carrs.

    Poirot rit de bon cur. Ah ! ah ! vous vous souvenez encore de cette

    boutade. Hlas ! non. La science nest pas arrive dcider les poules se conformer au got actuel.

  • Les poules donnent toujours des ufs de tailles et decouleurs diffrentes !

    Jexaminai mon ami et le trouvai florissant de sant. Ilavait peine vieilli depuis notre dernire sparation.

    Poirot vous paraissez rutiler de sant et mmerajeunir. Si la chose tait possible, je dirais mme quevous avez moins de cheveux gris.

    Le visage de Poirot spanouit en un sourire. Pourquoi ne serait-elle pas possible ? Cest la

    vrit pure. Vous prtendez que vos cheveux noircissent au

    lieu de grisonner ? Parfaitement. Mais cela est scientifiquement irralisable ? Pas du tout. En tout cas, ce phnomne me parat

    extraordinaire et contre nature. Comme toujours, mon cher Hastings, vous

    conservez un esprit candide. Les annes ne vous changentpas. Un fait vous tonne, vous en donnez aussitt lasolution, sans vous en apercevoir.

    Intrigu, je le regardai bien en face.Sans prononcer une parole, il se rendit dans sa

    chambre coucher et reparut avec, la main, une bouteillequil me tendit.

    Je la pris tonn.Je lus : Revivit. Restitue la chevelure sa nuance naturelle. Revivit

  • nest pas une teinture. Se fait en cinq couleurs : cendre,marron, blond vnitien, chtain et noir.

    Poirot, mcriai-je, vous vous teignez les cheveux ? Enfin ! Vous saisissez ! Voil donc pourquoi je vous trouve les cheveux

    plus noirs qu mon dernier sjour en Angleterre ? Prcisment. La prochaine fois, lui dis-je, revenant de ma

    stupfaction, vous porterez des fausses moustaches moins que ce ne soit dj fait ?

    Poirot se renfrogna. Il stait toujours montrchatouilleux sur la question de ses moustaches, dont il taitparticulirement fier. Mes paroles le touchrent au vif.

    Non, non ! mon cher. Ce jour-l est encore loin,jespre. Des fausses moustaches ! Quelle horreur !

    Afin de me convaincre quelles lui appartenaient bien,il tira dessus dun coup sec et vigoureux.

    mon gr, elles sont encore magnifiques, lui dis-je.

    Nest-ce pas ? Dans tout Londres, on nentrouverait pas de pareilles.

    Je men flicitai intrieurement. Mais pour tout lor dumonde je naurais voulu froisser Poirot en lui exprimantmon opinion.

    Abordant un autre sujet, je lui demandai si parfois il luiarrivait encore dexercer sa profession.

    Je sais que vous avez pris votre retraite voilquelques annes

    Eh oui ! Pour aller planter mes choux ! Mais que

  • survienne un meurtre intressant et jenvoie la culture tous les diables. Depuis Vous allez me comparer, sansdoute, la prima donna arrive en fin de carrire et quidonne et redonne sa reprsentation dadieu un nombreincalculable de fois !

    Jclatai de rire. Pour moi, cela sest rellement pass ainsi. Aprs

    chaque affaire, je me dis : Enfin, voici la dernire ! Mais, chaque fois, il surgit quelque nouveau crime !Javoue, mon ami, que jaurais tort de men plaindre. Dsque les petites cellules grises ne sexercent plus, elles serouillent.

    Je comprends. Alors, vous les faites fonctionneravec modration.

    Prcisment. Je fais mon choix. Aujourdhui,Hercule Poirot ne soccupe que de la crme des crimes.

    Et il y a eu beaucoup de crme ? Pas mal. Il y a quelque temps, je lai chapp belle. Un chec ? Non ! non ! rpondit Poirot, vex. Mais moi

    Hercule Poirot, jai failli tre tu !Jmis un lger sifflement. Le meurtrier devait tre bien audacieux ! Ou plutt tmraire. Mais, passons. Vous savez,

    Hastings, que je vous considre un peu comme unemascotte.

    Vraiment ? En quel sens ?Sans rpondre directement ma question, il

    poursuivit :

  • Ds que jai appris votre arrive, je me suis dit : Ilva srement se passer quelque chose. Comme autrefois,nous allons faire ensemble la chasse au malfaiteur. Maisnous ne nous contenterons point dun crime ordinaire. Ilnous faut quelque chose de rare de recherch de fin

    Ma parole, Poirot, ne dirait-on pas que vous tesen train de commander votre menu au Ritz ?

    Avec cette diffrence quon ne saurait prparer uncrime sur commande.

    Il poussa un soupir. Toutefois, je crois la chance ou, si vous

    prfrez, au destin. Vous, Hastings, le destin vous place mes cts pour mempcher de commettre uneimpardonnable mprise.

    Quappelez-vous une impardonnable mprise ? Ne pas voir ce qui saute aux yeux.Je tournai et retournai cette rplique dans ma tte

    sans russir en saisir entirement la signification. Eh bien, tenez-vous ce crime sensationnel ? Pas encore Du moinsIl fit une pause, frona les sourcils, et, machinalement,

    remit en place un ou deux objets que javais drangs parinadvertance.

    Jusquici, je ne puis rien affirmer, pronona-t-illentement.

    Sa voix avait pris un ton si trange que je le regardaiavec surprise.

    Son front demeurait pliss.Soudain, avec un mouvement brusque et dcid de la

  • tte, il traversa la pice et gagna le bureau prs de lafentre. Inutile de dire que tout y tait class et rang avecun soin minutieux, en sorte quil put immdiatement trouverle papier quil cherchait.

    Il revint vers moi, une lettre ouverte la main. Aprslavoir lue, il me la tendit.

    Dites-moi, que pensez-vous de cela, mon ami ?Je pris la lettre avec curiosit.Elle tait crite en caractres typographiques sur un

    papier assez pais. Monsieur Hercule Poirot, Vous vous faites fort, parat-il, de rsoudre des

    problmes trop subtils pour nos pauvres policiers anglais la cervelle obtuse. Nous allons, monsieur le malin,vous mettre lpreuve. Lnigme que nous vousposerons vous donnera peut-tre du fil retordre ; en toutcas, ne manquez pas de voir ce qui se passera le 21 dece mois, Andover.

    Recevez, etc.A.B.C.

    Je jetai un coup dil sur lenveloppe. Ladresse tait

    galement crite en caractre dimprimerie. Le timbre de la poste indique : W. C. 1, dclara

    Poirot. Eh bien, quelle est votre opinion ?Je haussai les paules et lui rendis la lettre.

  • Cest sans aucun doute llucubration dun fou. Voil tout ce que vous trouvez dire ? Seul un toqu a pu pondre ces lignes. Prtendez-

    vous le contraire ? Pas le moins du monde, cher ami.Il affecta un ton si grave pour me rpondre que je le

    regardai, surpris. Vous prenez la chose trop au srieux, Poirot. Un dment doit toujours tre pris au srieux, mon

    ami, car cest un personnage trs dangereux. videmment, je ny avais pas song Je voulais

    dire quil sagit l dune mystification stupide duneblague dhomme qui a bu un coup de trop.

    Vous avez peut-tre raison, Hastings ; il ny fautpas voir autre chose

    Mais vous y voyez autre chose ? rpliquai-jedevant son air mcontent.

    Il se contenta de hocher la tte. Eh bien, que dcidez-vous au sujet de cette lettre ? Que puis-je faire ? Je lai montre Japp. Comme

    vous, il ny a vu quune plaisanterie absurde. Chaque jour,Scotland Yard reoit de semblables messages. Moi aussi,jen ai eu ma part.

    Mais celui-ci vous attachez de limportance ?Poirot rpondit : Hastings, quelque chose minquite dans cette

    missiveJe me sentis impressionn malgr moi. Quoi donc ?

  • Il prit la lettre et la remit en place dans le tiroir de sonbureau.

    Si rellement vous prenez la menace au srieux,pourquoi ne pas agir ? demandai-je.

    Ah ! voil lhomme daction qui se met parler !Que voulez-vous que je fasse ? La police du comt,dment avertie, refuse de sintresser cette lettre. On nyrelve nulle empreinte digitale et on ne possde aucuneprsomption quant son auteur ventuel.

    De fait, linstinct seul veille votre mfiance ? Je vous en prie, Hastings, employez un autre mot

    quinstinct Mon savoir mon exprience me fontpressentir quelque chose de louche dans cette lettre

    Il gesticulait, ne trouvant pas les termes adquatspour exprimer sa pense.

    Je vois peut-tre une montagne o il ny a quunefourmilire. En tout cas, il ne nous reste plus qu attendre.

    Le 21 de ce mois tombe vendredi prochain. Si unvol considrable est commis aux environs dAndover

    Ce sera pour moi un grand soulagement Un soulagement ?Le terme me paraissait peu en rapport avec la

    situation. Un vol peut causer une motion, non pas un

    soulagement, protestai-je.Poirot secoua nergiquement la tte. Vous faites erreur, mon ami. Vous ne comprenez

    pas ce que je veux dire. Un vol me procurerait unsoulagement du fait quil menlverait la crainte dun mal

  • beaucoup plus grand. De quoi ?Dun assassinat, rpondit Hercule Poirot.

  • CHAPITRE II

    (Ce chapitre ne fait point partie du rcit du capitaineHastings.)

    M. Alexandre-Bonaparte Cust se leva de son sige etses yeux myopes firent le tour de la pauvre chambre coucher. Dtre rest trop longtemps dans la positionassise, il se sentait courbatu et il stira de toute sahauteur. Il tait rellement dune taille leve, mais son dosvot et sa myopie donnaient limpression du contraire.

    De la poche dun vieux pardessus suspendu contre laporte, il tira un paquet de cigarettes bon march etquelques allumettes. Ayant allum une cigarette, il se rassitdevant sa table de travail, prit un indicateur des chemins defer, le consulta, puis tudia une liste de nomsdactylographis. Dun coup de plume, il marqua un despremiers noms de cette liste.

    On tait le jeudi 20 juin.

  • CHAPITRE III

    ANDOVER

    Les pressentiments de Poirot touchant la lettreanonyme quil avait reue mavaient, certes, impressionnsur le moment. Toutefois, je dois lavouer, je ny pensaibientt plus et lorsque arriva le 21 juin, le souvenir men futrappel par une visite de Japp mon ami belge.

    Japp, chef inspecteur de Scotland Yard, que nousconnaissions de longue date, maccueillitchaleureusement.

    Sapristi ! Mais cest le capitaine Hastings, deretour de son pays de sauvages ! Quel plaisir de vousrevoir ici avec M. Poirot ! Et toujours en parfaite sant. Toutjuste le crne un peu dgarni, hein ? Cest le sort commun.Je ny chappe pas moi-mme.

    Je fronai le sourcil. Je mimaginais, en effet, que,grce aux soins que je prenais de ramener mes cheveuxsur le sommet de la tte, cette lgre calvitie, laquelleJapp faisait allusion, passait presque inaperue. En ce quime concerne, Japp a toujours fait preuve dun manque detact agaant, aussi je ny attachai point dimportance etdclarai que ni lun ni lautre nous ne rajeunissions.

    Except M. Poirot, dit Japp. Sa tte pourrait servir

  • de publicit un produit rgnrateur de la chevelure. Sesmoustaches restent magnifiques, et, dans sa vieillesse, levoici qui acquiert une clbrit unique. On le retrouve danstous les crimes fameux de lpoque : mystres de lair, duchemin de fer, meurtres dans la haute socit il sinsinuepartout. Depuis quil a pris sa retraite, on na jamais tantparl de lui.

    Je disais justement lautre jour Hastings que jeressemble la prima donna qui donne toujours sa dernirereprsentation, dit Poirot, le sourire aux lvres.

    Vous finirez par dcouvrir votre propre assassin,dclara Japp en clatant de rire. Voil une excellente ide placer dans un livre !

    Je laisserai ce soin Hastings, dit Poirot enclignant des yeux vers moi.

    Ah ! ah ! quelle bonne farce ! sexclama encoreJapp.

    Dcidment, je ne voyais l rien de risible, et laplaisanterie me semblait plutt de mauvais got. Poirot, lepauvre vieux, avance en ge, et toute allusion sa fin plusou moins proche ne saurait lui plaire.

    Sans doute mon expression trahissait-elle monsentiment, car Japp changea de sujet de conversation.

    tes-vous au courant de la lettre anonymeadresse M. Poirot ? me demanda-t-il.

    Je lai montre moi-mme Hastings lautre jour,dit mon ami.

    Cest juste. Mais je ny pensais plus. Voyons, queltait le jour mentionn dans cette lettre ?

  • Le 21, dclara Japp. Je venais prcisment vousle rappeler. Hier, nous tions le 21, et, par simple curiosit,jai tlphon dans la soire Andover. Il sagissait, eneffet, dune mystification. Rien ne sest passdextraordinaire : des pierres lances par des gamins, unevitrine brise, un couple divrognes et quelques menusdlits. Voil le bilan de la journe. Pour une fois, notre amibelge sest fourvoy.

    Me voil donc soulag, reconnut Poirot. Tiens, vous aviez pris cet incident au srieux ? lui

    demanda Japp dun ton affectueux. Il ne fallait pas vousfrapper. Chaque jour nous apporte une douzaine de lettresde ce genre. Des gens oisifs, au cerveau faible, ne trouventrien de mieux que de nous crire des messages aussisaugrenus. Ils ny mettent aucune malice ; ils ne songentqu samuser, voil tout.

    Jai eu tort, en effet, de prendre les choses cur,fit Poirot.

    Je men vais prsent, annona Japp. Jai unepetite affaire de bijoux rgler dans la rue voisine. Enpassant, je suis mont pour vous rassurer, mon cher Poirot.Il et t regrettable de laisser vos cellules grisesfonctionner vide.

    Riant aux clats de cette remarque quil simaginaittrs spirituelle, Japp sen alla.

    Ce bon vieux Japp, toujours le mme ! dit Poirot. Je le trouve bien vieilli. Son poil grisonne comme

    celui dun blaireau.Mon ami toussota et me confia :

  • Hastings, mon coiffeur applique un systmeextrmement ingnieux il le fixe sur votre crne et vousbrossez vos propres cheveux par-dessus. Ce nest pas uneperruque mais

    Poirot, mcriai-je, une fois pour toutes, fichez-moila paix avec les sacres inventions de votre coiffeur. Quetrouvez-vous redire mes cheveux ?

    Moi ? Rien du tout. Si encore jtais chauve je comprendrais Bien sr ! Bien sr !Les ts torrides qui svissent l-bas provoquent la

    chute des cheveux. Mais avant mon dpart, je meprocurerai un bon fortifiant du cuir chevelu.

    Je vous approuve. En tout cas, cette question ne regarde nullement

    Japp. Pour ma part, je le trouve insolent et lourd desprit. Ilappartient ce genre dindividus qui clatent de rirelorsquon tire une chaise au moment o une personne vasasseoir.

    Il nest pas le seul de son espce. Je qualifie cette coutume de compltement idiote. Oui, si lon se place du point de vue de celui qui se

    dispose sasseoir.Oubliant ma mauvaise humeur toute allusion ma

    calvitie naissante mest, en effet, assez pnible , je dis Poirot :

    Je dplore que cette affaire de lettre anonyme serduise finalement nant.

    Je me suis fourr le doigt dans lil je lavoue.

  • Je croyais discerner du louche dans cette lettre et ce ntaitquune grotesque farce. Hlas ! en vieillissant je deviensmchant comme un chien de garde aveugle qui aboie sansmotif.

    Si je dois collaborer avec vous, ouvrons lil pourdcouvrir la crme des crimes, lui dis-je en riant.

    Vous rappelez-vous votre remarque de lautrejour ? Si vous pouviez commander un crime comme on sefait servir un dner, que choisiriez-vous ?

    Me mettant lunisson avec le caractre enjou dePoirot, je rpondis :

    Examinons dabord le menu : Vol ? Faux ? Non,cela ne me dit rien. Trop vgtarien. Il me faut un meurtreun assassinat tout saignant avec la garniture,videmment.

    Bien sr. Et les hors-duvre. Qui sera la victime ? Un homme ou une femme ?

    Un homme une grosse lgume un millionnaireamricain, un premier ministre, le propritaire dun grandjournal ? Quelle sera la scne du crime ? Pourquoi pas labibliothque aux rayons garnis de belles reliures ? Rien detel pour crer lambiance. Quant larme ce sera unpoignard au manche curieusement entrelac une idolede pierre sculpte

    Poirot poussa un soupir. Il y a aussi le poison, ajoutai-je, mais ce procd

    prsente toujours un ct technique ou encore le coupde revolver clatant dans la nuit Avec cela, une ou deuxjolies femmes.

  • Aux cheveux chtains, murmura mon ami. Soit. Une des deux femmes sera injustement

    souponne, et un malentendu surgira entre elle et sonfianc. Ensuite, une autre femme doit tre suspecte, unefemme plus ge, une brune, genre femme fatale etaussi un ami ou un rival du dfunt quelque vaguesecrtaire le bouc missaire un homme jovial auxmanires brusques ; et un mnage de domestiquescongdis avec un stupide dtective comme Jappcest tout.

    Voila ce que vous considrez comme la crmedes crimes ?

    Vous ne partagez point cet avis ?Poirot me regarda tristement. Vous venez de faire un joli rsum de la plupart

    des romans policiers publis ce jour. Eh bien, lui demandai-je, que commanderiez-

    vous ?Poirot ferma les yeux et se renversa dans son fauteuil.

    Entre ses lvres, sa voix sortit comme un ronronnement : Un crime trs simple, sans complication aucune,

    un crime de la vie courante un crime intime. Quappelez-vous un crime intime ? Supposez quatre types la table de bridge, et un

    cinquime au coin du feu. la fin de la soire, lhommeassis prs de la chemine est trouv mort. Un des quatreautres pendant quil faisait la quatrime main sest levet la tu. Les trois autres, absorbs par le jeu, nont rien vu.Ah ! voil un joli crime ! Lequel des quatre joueurs est le

  • meurtrier ? Ma foi, je ne vois l rien dextraordinaire.Poirot me lana un regard charg de reproches. Parce quil ny a ni dague curieusement cisele, ni

    chantage, ni meraude vole une idole dans un temple,ni poison oriental ne laissant aucune trace. Hastings, vousavez le got du mlodrame. Un drame ne vous suffit pas,vous en exigez toute une srie.

    Jadmets que souvent un second crime dans unroman rveille lintrt. Si le meurtre a t commis aupremier chapitre et que lenqute se poursuive jusqulavant-dernire page, lhistoire devient un brin fastidieuse.

    La sonnerie du tlphone retentit et Poirot se levapour rpondre.

    All ! All ! Oui, cest Hercule Poirot qui parle.Il couta une minute ou deux et je vis son visage

    changer dexpression.Sa part de conversation ne comporta que quelques

    brves paroles, sans aucun lien entre elles. Mais oui Oui, bien sr Oui, oui, nous y allons

    Naturellement Vous avez peut-tre raison Oui, jelemporte. tout lheure !

    Il replaa le rcepteur et vint vers moi : Cest Japp qui me parlait, Hastings. Eh bien ? Il vient de rentrer Scotland Yard. Un message

    dAndover ly attendait. Andover ?Poirot pronona lentement :

  • Une vieille femme du nom dAscher, tenanciredun petit bureau de tabac, a t assassine.

    Lintrt veill chez moi par le nom dAndoversattnua sensiblement. Je mattendais un crimefantastique sortant tout fait de lordinaire. Aussi lemeurtre dune vieille buraliste me parut sordide et tout faitbanal.

    De sa voix grave et lente, Poirot poursuivit : La police dAndover se croit en mesure darrter

    lassassin.Nouvelle dception. Il parat que la vieille ne saccordait pas avec son

    mari, un ivrogne qui lui empoisonnait lexistence. Plusdune fois, il a menac de la tuer.

    Cependant, tant donn ce qui sest pass la policedsire de nouveau la lettre anonyme que jai reue. Jaiannonc que vous et moi partions immdiatement pourAndover.

    Je repris courage. Si mdiocre que part ce crime,ctait tout de mme un crime, et depuis fort longtemps jenavais pas eu loccasion de moccuper de crimes et decriminels.

    Je ne prtai gure dattention sur le moment auxparoles suivantes de Poirot, mais plus tard elles seprsentrent ma mmoire avec un sens bien dfini :

    Ce nest que le commencement, avait annoncHercule Poirot.

  • CHAPITRE IV

    MADAME ASCHER

    Andover, nous fmes reus par linspecteur Glen,un grand blond au sourire agrable.

    Pour plus de prcision, je crois devoir faire un brefrsum des faits.

    Le crime avait t dcouvert par le policier Dover, le22, une heure du matin. Au cours de sa ronde, il avaitsecou le bec-de-cane et constat que le magasin taitdemeur ouvert. Il entra, simaginant dabord que laboutique tait vide. Dirigeant sa lampe de poche vers lecomptoir, il aperut le corps prostr de la vieille femme.Lorsque le mdecin lgiste arriva, il dclara que la victimeavait t frappe dun coup sur la nuque, sans doute aumoment o elle prenait un paquet de cigarettes surltagre fixe derrire le comptoir. La mort remontait sept ou neuf heures.

    Mais nous avons russi la situer dune faon plusprcise encore, expliqua linspecteur. Nous savons quunclient est entr et a achet du tabac cinq heures trente.Un autre entra, mais sortit aussitt aprs, six heures cinq,croyant le magasin vide, ce qui place le meurtre entre cinqheures trente et six heures cinq. Jusquici, je nai interrog

  • personne qui ait vu Ascher dans le voisinage, mais nous nesommes quau dbut de lenqute. neuf heures, il setrouvait aux Trois Couronnes, passablement mch. Dsque nous mettrons la main dessus, nous le garderonscomme inculp.

    Un personnage peu recommandable, inspecteur. Comme vous le dites. Il vivait spar de son pouse ? Oui. Ils se sont quitts voil plusieurs annes.

    Ascher, de nationalit allemande, occupait un emploi devalet de chambre, mais il sest adonn la boisson etdevint incapable dexercer son mtier. Place commecuisinire, sa femme donnait une partie de ses gages son mari, mais celui-ci continuait boire et venait mmefaire des scnes chez les patrons de sa femme. Voilpourquoi Mme Ascher sengagea chez Mlle Rose, LaGrange, en pleine campagne, trois kilomtresdAndover ; son mari ne pourrait sy rendre aussifacilement. sa mort, Mlle Rose laissa un modestehritage Mme Ascher qui prit un petit fonds decommerce : tabac et journaux. Elle arrivait tout juste joindre les deux bouts. Son mari se reprit linsulter et lamenacer ; pour se dbarrasser du triste sire, elle luiremettait quelque argent en sus des quinze shillings quellelui allouait rgulirement chaque semaine.

    Ont-ils des enfants ? demanda Poirot. Non, seulement une nice en service prs

    dOverton. Une jeune femme trs srieuse et intelligente. Vous disiez donc que cet individu Ascher

  • menaait constamment son pouse ? Parfaitement. La boisson le rendait fou il

    maltraitait sa femme et jurait quun jour il aurait sa peau.Elle ntait pas heureuse, la pauvre Mme Ascher.

    Quel ge avait-elle ? Prs de soixante ans une personne honnte et

    travailleuse. Selon vous, inspecteur, Ascher aurait commis le

    crime ? demanda Poirot dun ton svre.Linspecteur toussota et rpondit sans se

    compromettre : Il serait quelque peu prmatur de laffirmer,

    Monsieur Poirot ; cependant, je voulais entendreFrantz Ascher me dire o il a pass sa soire dhier. Silme fournit une explication satisfaisante, tant mieux sansquoi

    Il fit une longue pause. Rien ne manquait dans la boutique ? demanda

    Poirot. Non. Largent de la caisse ne paraissait pas avoir

    t touch. Selon toute apparence, aucune trace de vol. Vous souponnez le dnomm Ascher dtre entr

    dans la boutique en tat divresse, davoir insult sa femmeet finalement de lavoir assomme ?

    Cest la solution la plus vraisemblable. Jaimeraisbien jeter un coup dil cette lettre bizarre que vous avezreue, Monsieur Poirot. Serait-il possible quAscher letcrite ?

    Poirot tendit la lettre linspecteur, qui la lut en

  • fronant les sourcils : Ascher nest pas lauteur de ces lignes, dit-il enfin.

    Il naurait pas employ ce terme : notre policebritannique moins quil net exceptionnellement faitpreuve dune finesse dont je ne le crois pas capable. Enoutre, cet homme nest quune loque, sa main tremble troppour crire aussi lisiblement. Ce papier est de bonnequalit, ainsi que lencre. Le plus curieux, cest la datementionne le 21 de ce mois videmment, cela peuttre une concidence.

    Possible ! Mais cette sorte de concidence me dplat

    souverainement, Monsieur Poirot.Le front pliss, linspecteur se tut pendant une minute. A.B.C. Qui diable est cet A.B.C. ? Nous verrons la

    nice, Mary Drower. Peut-tre pourra-t-elle nous clairer.Quelle drle dhistoire ! Sans cette lettre, jaurais mis surFrantz Ascher.

    Connaissez-vous le pass de Mme Ascher ? Originaire du Hampshire, elle se plaa de bonne

    heure comme servante Londres o elle connut Ascheret lpousa. Pendant la guerre, le mnage dut mal marcheret ils se sparrent dfinitivement en 1922. Tous deuxhabitaient alors Londres. Elle regagna ce pays-ci poursloigner de cette brute, mais Ascher dcouvrit sa retraiteet vint la relancer pour lui soutirer de largent.

    ce moment, un policier entra. Que se passe-t-il, Briggs ? Ascher est ici, Monsieur.

  • Bien, faites-le entrer. O se trouvait-il ? Cach dans un fourgon qui stationnait sur une voie

    de garage. Pas possible ! Amenez-le ici.Frantz Ascher tait un triste spcimen dhumanit. Il

    pleurnichait, criaillait et suppliait tour tour. Ses yeuxchassieux nous regardaient lun aprs lautre, la drobe.

    Que me voulez-vous ? Je nai commis aucun mal.Cest honteux de traiter ainsi un honnte homme ! Bandede saligauds !

    Soudain il changea de ton : Non ! non ! ce nest pas ce que je voulais dire

    Vous ne ferez pas de mal un pauvre diable ne soyezpas mchants. Ici tout le monde se montre impitoyableenvers le pauvre vieux Frantz. Pauvre vieux Frantz !

    M. Ascher se mit pleurer. Cest bon, Ascher, cessez vos jrmiades. Je ne

    vous accuse de rien pour linstant Et personne ne vousoblige faire une dposition moins que vous nyteniez. Dautre part, si vous ntes pour rien dans lemeurtre de votre femme

    Ascher linterrompit et scria : Je ne lai pas tue ! Je ne lai pas tue ! Cest un

    infme mensonge ! Sales cochons dAnglais vous vousmettez tous contre moi ! Non ! je ne lai pas tue ! Je vousle jure !

    Vous lavez pourtant menace assez souvent,Ascher.

    Non ! Non ! Vous ne comprenez pas. Ce ntait

  • quune plaisanterie une bonne farce entre elle et moi.Alice savait parfaitement que je ne laurais pas tue !

    Vous avez de drles de faons de plaisanter !Voulez-vous me dire o vous tiez hier soir, Ascher ?

    Oui ! Oui ! Je vais tout vous dire. Je ne suis pasall voir Alice. Jtais en compagnie damis dexcellentsamis aux Sept toiles, et ensuite au Chien Rouge

    Il parlait prcipitamment, les mots se chevauchant lesuns sur les autres.

    Jtais avec Dick Willows, le vieux Curdie, Platt etun tas dautres copains. Je vous dis que je ne suis pas allvoir Alice. Ach, Gott ! Je vous jure que je dis la vrit.

    Il criait de plus en plus fort. Linspecteur dit sonsubalterne :

    Emmenez cet homme et enfermez-le commeinculp.

    Je ne sais que penser, ajouta-t-il lorsque lindividutremblant, au regard faux et la mchoire mauvaise, eutdisparu. Ntait-ce cette lettre, jaffirmerais que cest lui lecoupable.

    Quels sont ces hommes dont il cite les noms ? Une bande de gens sans aveu aucun deux ne

    reculerait devant un parjure. Je ne doute pas quil ait passavec eux la majeure partie de sa soire. Reste savoir sipersonne ne la vu rder, autour de la boutique, entre cinqheures et demie et six heures.

    Poirot hocha la tte dun air pensif. Vous tes certain que rien na t enlev de la

    boutique.

  • Linspecteur haussa les paules. Cela dpend. On a pu soustraire un ou deux

    paquets de cigarettes mais on ne commet pas unmeurtre pour un si maigre butin.

    Et vous navez rien remarqu dans la boutiquerien qui vous ait paru suspect incongru ?

    Il y avait un horaire des chemins de fer. Un horaire des chemins de fer ? Oui. Il tait ouvert et retourn sur le comptoir

    comme si quelquun venait de le consulter pour voir lheuredes trains partant dAndover. Soit la vieille femme, soit unclient.

    Tenait-elle cette sorte dhoraire ?Linspecteur hocha la tte. Non. Elle vendait de petits horaires un penny.

    Celui-ci tait dun grand format du genre de ceux quevendent les grandes librairies.

    Une lueur brilla dans les yeux de Poirot. Il se penchaen avant.

    Un horaire des chemins de fer, dites-vous ? UnBradshaw ou ou un A.B.C. ?

    Une clart illumina galement lil de linspecteur. Sacrebleu ! sexclama-t-il. Ctait un guide A.B.C.

  • CHAPITRE V

    MARY DROWER

    Je puis dire que je commenai rellement mepassionner pour cette affaire ds que jentendis parler duguide A.B.C. Jusque-l, je suivais Poirot sans grandenthousiasme. Le meurtre sordide dune vieille femmedans une ruelle voquait tellement les crimes habituelsrelats dans la presse, que je ny attachais aucuneimportance et considrais la date de lassassinat et celledu 21 courant mentionne dans la lettre anonyme commeune pure concidence. Jaurais certifi que Mme Aschertait la victime de son ivrogne de mari. Mais la prsencedu guide A.B.C., si connu en Angleterre, et ainsi dsignparce quil donne la liste de toutes les stations de cheminde fer par ordre alphabtique, piqua ma curiosit au plushaut point. Ce dtail ne pouvait tre une secondeconcidence.

    Le crime crapuleux prenait pour moi un nouvel aspect.Qui tait le mystrieux individu qui avait tu

    Mme Ascher et laiss un horaire A.B.C. aprs lui ?En quittant le poste de police, Poirot et moi nous nous

    rendmes au dpt mortuaire pour examiner le cadavre dela dfunte. Une trange motion mempoigna lorsque je vis

  • le visage tout rid de cette vieille femme, ses rarescheveux gris tirs sur le front Ses traits refltaient unepaix profonde et une extrme douceur.

    Elle na pas su qui la tue ni avec quoi on lafrappe, observa le sergent. Telle est, du moins, lopiniondu docteur Kerr. Tant mieux pour la pauvre vieille ! Ctaitune si brave femme !

    Elle a d tre trs jolie autrefois, opina Poirot. Vraiment ? murmurai-je, incrdule. Regardez plutt le contour du visage et le model

    de la tte.Il poussa un soupir, replaa le drap sur la figure de la

    morte et nous quittmes la morgue.Ensuite, nous nous rendmes chez le mdecin lgiste.Le docteur Kerr tait un homme dge mr, lair

    comptent. Il parlait dune voix brusque et dcide. Larme na pas t retrouve, nous dit-il.

    Impossible de prciser de quel instrument le meurtrier sestservi. Cela peut tre aussi bien une canne plombe, ungourdin, une massue ou tout autre objet pesant.

    Une force peu commune est-elle ncessaire pourfrapper un tel coup ?

    Le mdecin lana un regard vif vers Poirot. Vous vous demandez si un vieillard de soixante-dix

    ans, la main tremblante, en est capable ? Oui, conditionque larme soit suffisamment lourde lextrmit,quiconque mme trs faible, peut obtenir le rsultat dsir.

    Le meurtre a donc aussi bien pu tre commis parune femme que par un homme ?

  • Cette suggestion dconcerta le mdecin. Une femme ? Ma foi, javoue navoir jamais song

    souponner une femme dun pareil crime. Aprs tout, cest trs possible Cependant, du

    point de vue psychologique, je nattribuerais point ce crime une femme.

    Poirot acquiesa dun signe de tte. Parfaitement, parfaitement. Je partage votre avis,

    mais, en la circonstance, il convient de tenir compte detoutes les ventualits. Dans quelle posture gisait lecadavre ?

    Le mdecin nous expliqua, avec force dtails, laposition de la victime. Selon lui, elle avait reu le coup aumoment o elle tournait le dos au comptoir, et par l mme son assassin. Elle tait tombe comme une massederrire le comptoir, en sorte quun client entrant dans laboutique ne pouvait la voir.

    Ayant remerci le docteur Kerr, nous prmes congde lui.

    Poirot me confia : Hastings, nous possdons un nouvel argument en

    faveur dAscher. Sil tait all insulter sa femme et lamenacer, elle lui aurait fait face pour lui rpondre. Au lieude cela, elle avait le dos tourn sans doute afin deprendre un paquet de cigarettes pour un client.

    Cest affreux !Poirot secoua gravement la tte. Pauvre femme ! murmura-t-il.Puis il consulta sa montre.

  • Overton nest situ qu quelques kilomtres dici.Si nous y faisions un saut pour interroger la nice de lamorte ?

    Vous ne songez donc point vous rendre dabord la boutique o a eu lieu le crime ?

    Je remets cette visite plus tard jai une raisonpour agir ainsi.

    Il ne me donna pas dexplications et, quelquesminutes aprs, nous roulions sur la route de Londres, dansla direction dOverton.

    ladresse fournie par linspecteur, nous trouvmesune maison dapparence cossue, quinze cents mtresenviron du village.

    notre coup de sonnette rpondit une jeune fillebrune aux yeux rougis par des pleurs rcents.

    Poirot lui dit, dune voix douce : Est-ce bien vous Miss Mary Drower, la femme de

    chambre ? Oui, Monsieur, cest moi Mary. Peut-tre pourrais-je vous parler quelques

    minutes si votre matresse ny voit pas dinconvnient.Cest au sujet de votre tante, Mme Ascher.

    Madame est sortie, Monsieur. Mais je suis srequelle me permettrait de vous faire entrer ici.

    Elle ouvrit la porte dune petite salle et nous laissapasser. Poirot sassit prs de la fentre et regarda la jeunefille bien en face.

    Vous tes certainement au courant de la mort devotre tante ?

  • Les larmes jaillirent des yeux de la jeune servante. Oui, Monsieur. La police sest prsente ici ce

    matin. Oh ! cest abominable ! Pauvre tante ! Aprs une viesi dure mourir ainsi !

    La police ne vous a-t-elle pas prie de venir Andover ?

    Il faut, ma-t-on dit, que jassiste lenqute quiaura lieu lundi, Monsieur. Mais je ne sais o aller Andoveret ne veux pas loger dans la chambre au-dessus de laboutique De plus, ici, lautre domestique est absente etje ne veux pas mettre madame dans lembarras.

    Vous aimiez beaucoup votre tante, Mary ?demanda doucement Poirot.

    Oui, Monsieur, beaucoup. Elle sest toujoursmontre si bonne pour moi ! lge de onze ans, aprs lamort de ma mre, jai t la retrouver Londres. Je suisentre en service seize ans, mais chaque jour de sortie,jallais le passer prs delle. Elle a t bien malheureuseavec cet Allemand, son vieux dmon , comme ellelappelait. Jamais il ne la laissait en paix, ce vaurien, cettebrute !

    La jeune fille sexprimait avec vhmence. Votre tante na-t-elle jamais song sen

    dbarrasser par les moyens lgaux ? Vous comprenez, Monsieur, ctait son mari. Que

    vouliez-vous quelle ft ? rpondit simplement la nice. Dites-moi, Mary, la menaait-il souvent de la tuer ? Oh ! oui, Monsieur. Il lui criait sans cesse quil allait

    lui couper la gorge. Il jurait en allemand et en anglais. Et

  • pourtant, tante disait quil tait si bon pour elle lpoquede leur mariage ! Cest effrayant, tout de mme, ce que lesgens peuvent changer !

    En effet. Layant entendu plusieurs reprisesprofrer ces menaces, vous navez pas t surprise outremesure lorsque vous avez appris le crime ?

    Oh ! si, Monsieur ! Mais jamais je naurais cru quilparlait srieusement. Je mimaginais simplement quilprenait plaisir employer pareil langage. De plus, tante nele craignait point. Il filait doux ds quelle voulait se montrer.Je dirais mme quil avait peur delle.

    Pourtant, elle lui donnait de largent.Vous comprenez, Monsieur, ctait son mari. Oui, vous me lavez dj dit.Il fit une lgre pause avant de poursuivre : Et si ce ntait pas lui qui lavait tue ? Si ce ntait pas lui ?Elle ouvrit de grands yeux. Oui. Admettons que ce soit quelquun dautre

    Navez-vous aucun soupon ?Ltonnement de la jeune fille ne fit que crotre. Pas le moindre, Monsieur. Savez-vous si votre tante redoutait quelquun ?Mary secoua la tte. Tante ne se laissait intimider par personne. Elle

    avait la langue bien pendue et savait tenir tte nimportequi.

    Vous ne lavez jamais entendue parler dennemisquelconques ?

  • Non, Monsieur. A-t-elle jamais reu de lettres anonymes ? De quel genre de lettres parlez-vous, Monsieur ? De lettres non signes ou signes seulement

    A.B.C.Il lexaminait de prs, mais elle paraissait

    embarrasse et hochait vaguement la tte. Votre tante a-t-elle dautres parents que vous ? Elle na plus personne, Monsieur. Elle tait dune

    famille de dix enfants, dont quatre seulement ont atteintlge adulte. Mon oncle Tom a t tu la guerre, mononcle Harry est parti pour lAmrique du Sud et on nen ajamais plus entendu parler, et ma mre est morte, de sorteque je reste seule.

    Votre tante possdait-elle quelques conomies ? Un peu dargent la Caisse dpargne

    suffisamment pour se faire enterrer dcemment, elle me lasouvent rpt. part cela, elle parvenait tout juste joindre les deux bouts avec son vieux dmon toujours ses crochets.

    Poirot dit pensivement, sadressant plutt lui-mme :

    prsent, nous ttonnons dans lobscuritnousne savons encore la direction prendre si les faits seprcisent

    Il se leva. Si quelque moment jai besoin de vous, Mary, je

    vous crirai ici. Monsieur, je dois vous avertir que jai donn

  • cong. Je naime pas la campagne, mais je restais danscette place parce que je croyais faire plaisir tante endemeurant prs delle. prsent de nouveau les larmeslui montrent aux yeux , aucun empchement ne meretient et je compte retourner Londres. La vie, l-bas, estplus gaie pour une jeune fille.

    En ce cas, je vous prierai de me faire connatrevotre adresse lorsque vous entrerez dans votre nouvellesituation. Voici ma carte.

    Poirot la lui tendit. Mary le considra avectonnement.

    Alors, vous vous nappartenez pas la police,Monsieur ?

    Je suis un dtective priv.Elle le regarda un moment en silence.Enfin, elle pronona : Est-ce quil se passe quelque chose dtrange,

    Monsieur ? Oui, mon enfant, quelque mystre que je narrive

    pas dmler. Peut-tre pourrez-vous maider plus tard. Je je ferai tout mon possible, Monsieur. Tante

    naurait pas d mourir ainsi. Elle ne le mritait pas.Elle avait une faon bizarre de sexprimer mais

    profondment mouvante.Quelques minutes plus tard, nous reprenions la route

    dAndover.

  • CHAPITRE VI

    LE THTRE DU CRIME

    Le drame avait eu lieu dans une ruelle dbouchant surla rue principale. La boutique de Mme Ascher se trouvaitvers le milieu sur le trottoir de droite.

    Arriv dans cette petite rue, Poirot consulta sa montreet je compris pourquoi il avait retard jusqu prsent savisite sur le lieu du crime. Il tait cinq heures et demie ;Poirot voulait autant que possible reconstituer latmosphrede la veille.

    Si tel tait son but, il avait chou compltement. ce moment, laspect de la ruelle ne ressemblait en rien ce quil tait la veille. On remarquait quelques petitesboutiques resserres entre de misrables maisons. Jendduisis quen temps normal on devait y rencontrer desgens de la classe laborieuse et une ribambelle denfantsjouant sur les trottoirs et sur la chausse.

    cette heure, un rassemblement se tenait devant unedes boutiques et il ne fallait pas tre dune grandeperspicacit pour deviner que ce groupe dhumains deconditions diverses considrait avec un intrt intenselendroit o un de leurs semblables avait t assassin.

    En approchant, nous vmes, en effet, que ces gens

  • regardaient un magasin la devanture malpropre et auxvolets ferms, devant laquelle un jeune policeman lairharass faisait circuler les passants. Avec laide duncollgue, il russit claircir la foule des curieux. Certains,tout en grommelant, sen allrent vaquer leursoccupations. Mais presque aussitt dautres vinrent lesremplacer et remplirent leurs yeux avides du spectacle decette boutique ferme o un meurtre avait t commis.

    Poirot sarrta quelque distance de cette cohue. Delendroit o nous tions posts, nous distinguions assezfacilement lenseigne au-dessus de la porte. Poirot la lut mi-voix :

    A. Ascher. Oui, cest lEt il se remit en marche. Venez, Hastings, nous allons entrer.Je mempressai de le suivre.Nous nous fraymes un chemin dans la foule et

    avismes le jeune policier. Poirot montra le coupe-file quelui avait remis linspecteur. Avec un signe dassentiment dela tte, le policier ouvrit la porte et nous laissa pntrerdans la boutique, ce qui dcupla la curiosit des badauds.

    Comme les volets ferms rendaient la pice obscure,le policier tourna un commutateur et une ampoulelectrique de faible puissance claira le bureau de tabacde sa lumire parcimonieuse.

    Je regardai autour de moi.Je vis quelques revues bon march et les journaux de

    la veille, jets ple-mle sur un comptoir et recouverts de lapoussire dune journe. Derrire ce comptoir, des

  • tagres, garnies de paquets de tabac et de cigarettes,montaient jusquau plafond. Deux grands bocaux, luncontenant des pastilles de menthe et lautre des sucresdorge, attiraient le regard. En somme, une modesteboutique, comme il en existe des milliers en Angleterre.

    Le policier, avec son accent tranard du Hampshire,essayait dexpliquer la scne du meurtre.

    On la retrouve affale derrire le comptoir. Lemdecin assure quelle est morte sur le coup sans serendre compte de ce qui lui arrivait. Sans doute tournait-elle le dos pour atteindre une tagre suprieure.

    Tenait-elle quelque objet la main ? Non, Monsieur, mais ct delle il y avait un

    paquet de Players .Poirot approuvait et scrutait les moindres recoins en

    prenant des notes. O se trouvait lindicateur de chemin de fer ? Ici, Monsieur, dit le policier en dsignant une

    extrmit du comptoir. Il tait la page dAndover etretourn sens dessus dessous. Il semblait que lagresseurcherchait le train prendre pour regagner Londres. En cecas, le coupable ne serait pas un habitant dAndover. moins que cet horaire et appartenu une tierce personnenayant rien voir avec le crime, mais qui lauraitsimplement oubli ici.

    Et les empreintes digitales ? demandai-je.Le policier secoua la tte. Tout a t examin aussitt le crime dcouvert, et

    on na rien vu.

  • Pas mme sur le comptoir ? interrogea Poirot. Elles taient beaucoup trop nombreuses,

    Monsieur, et toutes mles. Parmi elles, aucune dAscher ? Encore trop tt pour le dire, Monsieur.Poirot sinquita si la vieille femme logeait au-dessus

    de sa boutique. Oui, Monsieur. Prenez la porte du fond. Excusez-

    moi de ne pouvoir vous accompagner, Monsieur ; maconsigne moblige demeurer en bas.

    Poirot passa par la porte en question et je le suivis.Derrire la boutique, une pice servait la fois de

    cuisine et de salle manger. Tout y tait propre, maislameublement tait des plus modestes. Sur la chemine,javisai quelques photographies et mapprochai pour lesexaminer.

    Jen comptai trois : un portrait de la jeune fille quenous avions vue laprs-midi, Mary Drower. Visiblementendimanche, elle avait ce sourire timide et emprunt quisouvent gte lexpression dans les clichs avec pose etleur fait prfrer les instantans.

    La seconde photographie tait dun genre pluscoteux : elle reproduisait les traits dune vieille dame auxcheveux blancs, avec un col de fourrure remont autour ducou.

    Je pensai que ce devait tre l miss Rose qui avaitlaiss Mme Ascher le petit hritage et lui avait permis demonter son commerce.

    La troisime photographie, de beaucoup la plus

  • ancienne, reprsentait un jeune homme et une jeunefemme en costumes dmods, se tenant bras dessus,bras dessous. Lhomme portait une fleur la boutonnireet le couple arborait un air de fte.

    Sans doute une photographie de mariage, ditPoirot. Regardez, Hastings. Ne vous ai-je pas dit que cettefemme avait d tre jolie ?

    Il ne se trompait point. Malgr la coiffure suranne etles ridicules vtements de lpoque, cette jeune personnepossdait une beaut indniable dans ses traits rgulierset son port gracieux. Jexaminai de prs son compagnon etjavoue quil me fut impossible de reconnatre lepre Ascher dans cet lgant jeune homme lallurealtire.

    Me souvenant du vieil ivrogne au regard sournois etde sa femme au visage ravag par les veilles et lesfatigues je frmis devant la cruaut impitoyable du temps.

    De cette pice, un escalier conduisait deuxchambres coucher au premier tage. Lune delles taitvide et dpourvue de meubles ; lautre, visiblement celle deMme Ascher, avait t fouille par la police. Une paire decouvertures uses garnissait le lit ; un des tiroirs contenaitdu linge soigneusement repris, lautre des recettes decuisine et un roman broch intitul LOasis Verte, une pairede bas neufs, deux bibelots en porcelaine : un bergermutil et un chien tachet de bleu et de jaune, unimpermable noir et un tricot de laine pendus une patrecontre la porte, tels taient les biens terrestres de feuAlice Ascher.

  • La police avait naturellement enlev les papierspersonnels.

    Pauvre femme ! murmura Poirot. Venez, Hastings,nous navons plus rien faire ici.

    Lorsque nous nous retrouvmes dehors, il hsita uninstant, puis traversa la rue. Presque en face de chezMme Ascher, il y avait une picerie, de ce genre deboutique o la marchandise est plutt expose sur letrottoir qu lintrieur.

    Poirot me donna quelques instructions voix basseet pntra dans le magasin. Une minute ou deux aprs, jely suivis. Il tait en train de marchander une laitue ; moi-mme jachetai une livre de fraises.

    Poirot parlait avec animation la grosse commrequi le servait.

    Cest en face de chez vous que cette malheureusea t tue, nest-ce pas ? Quelle triste affaire ! Vous avezd prouver une rude motion ?

    De toute vidence, lnorme picire en avait par-dessus la tte de ce crime. Toute la journe, elle avait dtre interroge par les clients. Elle dclara :

    Tous ces badauds-l feraient bien de passer leurchemin. quoi cela les avance-t-il de rester l, bouchebe, devant une porte close ?

    Hier soir, ce devait tre diffrent, observa Poirot.Peut-tre avez-vous vu lassassin entrer dans le bureau detabac, un grand blond barbu. Un Russe, ce quil parat.

    Hein ? Vous dites que cest un Russe ?La femme le dvisagea longuement.

  • On ajoute mme que la police la arrt. Voyez-vous a ! Un tranger ! Mais oui. Je supposais que vous auriez pu, peut-

    tre le remarquer hier soir ? dire vrai, cette heure-ci je ne saurais dire ce

    qui se passe dans la rue. Cest le moment le plus occupde la journe : il y a toujours des clients qui entrent enrevenant de leur travail. Un grand blond avec unebarbe Je ne vois personne, dans le voisinage, quirponde ce signalement.

    Jinterrompis leur conversation pour placer mon mot : Excusez-moi, Monsieur, dis-je Poirot, mais on

    vous a mal renseign. On ma affirm, moi, quilsagissait dun petit brun.

    Une discussion intressante sensuivit, laquelleparticiprent la grosse dame, son chalas de mari et unjeune commis la voix rauque. Pas moins de quatre petitshommes bruns avaient t remarqus et le garon enrouavait mme repr un grand blond.

    Malheureusement, il navait pas de barbe , ajouta-t-il avec regret.

    Finalement, nos achats termins, nous quittmes laboutique, laissant ces gens sous limpression fallacieuseque nous tions des clients ordinaires.

    Et pourquoi toute cette comdie ? demandai-je Poirot dun ton de reproche.

    Parbleu ! Je voulais savoir sil tait possible uninconnu dentrer impunment dans la boutique den face.

    Nauriez-vous pu poser la question ces gens-l

  • sans toute cette kyrielle de mensonges ? Non, mon ami. Si je mtais content de les

    interroger, je naurais obtenu aucune rponse. Vous-mmequi tes Anglais ne semblez pas comprendre la ractiondun Anglais devant une question directe. Invariablement, lesoupon sveille chez lui et il en rsulte un silence obstin.Si javais demand le moindre renseignement cespiciers, ils seraient demeurs bouche close. Tandis quenmettant une opinion, mme absurde, suivie de votrecontradiction, jai aussitt dli les langues. Nous savonsdonc, prsent, que ce moment de la journe est trsoccup , cest--dire que chacun vaque ses affaires, etque beaucoup de passants circulent. Hastings, notreassassin a fort bien choisi son temps.

    Aprs une pause, il ajouta sur un ton de rprimande : Vous manquez compltement de jugeote, mon

    cher. Je vous dis : Faites un achat quelconque , et vousne trouvez rien de mieux que de choisir des fraises ! Voilquelles suintent dj travers votre sac et le jus va tachervotre habit.

    Je constatai avec horreur que tel tait, en effet, le cas.Aussitt, je tendis le paquet un gamin qui sen

    montra tonn et lgrement souponneux.Poirot ajouta la laitue, mettant le comble

    ltonnement de lenfant.Il continua sa leon de morale : Chez un petit picier, pas de fraises. Une fraise,

    moins dtre frachement cueillie, perd son jus. Unebanane des pommes voire un chou mais surtout pas

  • de fraises ! Cest la premire chose qui mest venue lide,

    expliquai-je en manire dexcuse. Voil qui est indigne de votre imagination, rpliqua

    Poirot.Il sarrta sur le trottoir.La maison et la boutique droite de chez

    Mme Ascher taient vacantes. Une pancarte louer pendait une fentre. De lautre ct se dressait unehabitation aux rideaux de mousseline dune propretdouteuse.

    Poirot se dirigea vers cette demeure. Ne voyant pasde sonnette, il frappa plusieurs coups de marteau sur laporte.

    Au bout de quelques minutes une fillette plutt malsoigne lui ouvrit la porte.

    Bonsoir. Ta maman est-elle l ? Quoi ? rpondit-elle dun air renfrogn. Ta maman ? insista Poirot.Lenfant ralisa enfin et cria dans lescalier : Mman, on te demande !Ensuite, elle disparut dans un coin sombre de la

    maison.Une femme au visage maigre se pencha sur la rampe

    de lescalier et descendit quelques marches. Inutile de perdre votre temps, commena-t-elle.Mais Poirot linterrompit.Il enleva son chapeau et fit une superbe rvrence. Bonsoir, Madame. Je viens de la part du journal

  • Ltoile du Soir, vous offrir une rmunration de cinq livrespour un article que nous vous prions de nous fournir survotre dfunte voisine, Mme Ascher.

    Donnez-vous la peine dentrer, messieurs, ici, gauche. Veuillez vous asseoir.

    La petite pice tait encombre dun mobilier massifet sans style et nous parvnmes avec difficult nous serrersur un sofa au sige dur.

    Excusez-moi, Messieurs, de vous avoir si malaccueillis, mais vous ne sauriez croire la peine quon a se dbarrasser des importuns qui viennent vendre ceci oucela : aspirateur, bas, sachets de lavande et autresbabioles. Tous ces gens ont lair poli et honnte, saventvotre nom Mme Fowler par-ci Mme Fowler par-l

    Semparant habilement du nom de la femme, Poirotlui dit :

    Jespre, Madame Fowler, que vous acquiescerez ma demande ?

    Je nen sais trop rien, rpondit la dame qui,pourtant, ne perdait pas de vue les cinq livres.videmment, je connaissais Mme Ascher, mais pour cequi est dcrire quoi que ce soit

    Poirot se hta de la rassurer. Il lui demandaitseulement de rpondre ses questions : il se chargeraitlui-mme de rdiger linterview.

    Ainsi encourage, Mme Fowler commena deraconter ses souvenirs et les papotages du quartierconcernant la victime.

    Mme Ascher stait toujours tenue lcart elle ne

  • se liait avec aucune voisine ; malgr tout, chacun savaitque la pauvre femme avait maints ennuis. Il y a belle luretteque Frantz Ascher aurait d tre sous les verrous. Non queMme Ascher et peur de lui quand elle se mettait encolre, ctait une vritable furie ! Elle lui rendait bien lamonnaie de sa pice, mais cette fois-l, elle lui en avaitpeut-tre trop dit. Elle-mme, Mme Fowler, ne cessait delui rpter : Un de ces jours, cet homme vous tuera,madame Ascher ; prenez garde ce que je vous dis. Cequelle avait prvu tait arriv. Quant elle, Mme Fowler,elle navait rien entendu, bien quelle ft sa voisine.

    Elle fit une pause. Poirot en profita pour lui glisser unequestion :

    Mme Ascher avait-elle reu des lettres deslettres sans signature ou avec des initiales commeA.B.C., par exemple ?

    La rponse de Mme Fowler fut ngative. Je sais quoi vous faites allusion on appelle

    cela des lettres anonymes des lettres pleines de motsquon noserait rpter sans rougir. Je nen sais rien et jene crois pas que Frantz Ascher samuse crire desemblables lettres. Mme Ascher men aurait parl. De quoisagit-il ? Dun indicateur des chemins de fer dunA.B.C. ? Non, je nai jamais vu ce livre chez elle, et je suiscertaine que si Mme Ascher en avait reu un exemplaire,elle naurait pas manqu de me le montrer. Jai failli tomber la renverse quand jai appris toute lhistoire. Ma fille Ediema appele : Mman ! viens voir tous ces policiers laporte de la voisine ! Cela ma donn un rude coup, je

  • vous assure ! Quand on ma tout racont, jai dit : Voilune preuve quelle naurait jamais d rester seule dans lamaison, mais y habiter avec sa nice. Un homme qui a bupeut se transformer en un loup. Je lai avertie plus dunefois, et ce que javais prdit sest ralis. Vous pouvez prsent vous rendre compte de ce dont un homme estcapable sous lempire de la boisson.

    Elle poussa un profond soupir. Personne na vu Frantz Ascher entrer dans la

    boutique ? remarqua Poirot.Mme Fowler renifla avec ddain : Naturellement, il nallait pas se montrer, rpliqua-t-

    elle.Comment M. Ascher tait-il parvenu entrer dans la

    boutique sans se faire voir ? Mme Fowler ne daigna pasen donner lexplication.

    Elle convint cependant quil nexistait dautre entreque celle de la boutique et que Frantz Ascher tait fortconnu dans le quartier.

    Mais il ne tenait nullement tre pendu et il a dbien se cacher, ajouta Mme Fowler.

    Poirot poursuivit quelques instants encore laconversation, mais quand il saperut que Mme Fowleravait dit et rpt tout ce quelle savait, il mit un terme lentretien en lui remettant la somme promise.

    Cinq livres cest trop pay, observai-je lorsquenous nous retrouvmes dans la rue.

    Jusquici oui. Pensez-vous quelle en sache davantage ?

  • Mon ami, pour linstant nous ignorons quellesquestions poser. Nous ressemblons des enfants quijouent cache-cache dans la nuit. Nous marchons ttons.Mme Fowler nous a dit tout ce quelle croit savoir etmme ce quelle souponne, sans restrictions. Danslavenir, son tmoignage pourra nous tre utile : cest dessein que jai plac cette somme de cinq livres.

    Je ne saisis pas exactement son point de vue, mais ce moment prcis nous rencontrmes linspecteur Glen.

  • CHAPITRE VII

  • M. PARTRIDGE ET M. RIDDELL

    Linspecteur Glen avait la mine renfrogne. Il venaitde passer son aprs-midi essayer de dresser la listecomplte des personnes quon avait vues entrer dans lebureau de tabac.

    Eh bien, qui a-t-on vu ? senquit Poirot. Trois hommes de haute taille au regard furtif,

    quatre petits la moustache noire deux barbes troisgros bonshommes tous des inconnus et tous, si jencrois les tmoins, avec lexpression mauvaise. Jemtonne quon nait pas rencontr une bande dhommesmasqus un revolver au poing !

    Poirot sourit avec sympathie : Quelquun a-t-il aperu Frantz Ascher ? Non. Et cest un point en sa faveur. Je viens de

    dire au chef que cette enqute doit tre confie ScotlandYard, car il ne sagit point dun crime local.

    Poirot dit srieusement : Je suis daccord avec vous.Linspecteur ajouta : Cest une vilaine histoire trs vilaine qui ne me

    dit rien qui vaille.Avant de regagner Londres, nous rendmes visite

    deux tmoins.Dabord M. James Partridge la dernire

  • personne qui et vu Mme Ascher en vie. cinq heurestrente il avait fait une emplette au bureau de tabac.

    M. Partridge exerait la profession demploy debanque. Sec et maigre, ce bout dhomme portait un pince-nez et se montrait extrmement prcis dans son locution.Il habitait une maisonnette aussi nette et propre que lui-mme.

    Monsieur euh Poirot, dit-il en regardant lacarte que mon ami lui avait remise. Vous venez de la partde linspecteur Glen ? Que puis-je pour votre service,Monsieur Poirot ?

    Il parat, Monsieur Partridge, que vous tes ladernire personne qui ait vu Mme Ascher en vie ?

    M. Partridge joignit le bout de ses doigts et considraPoirot comme sil et examin un chque douteux.

    Ce point est discutable, Monsieur Poirot. Plusieursclients ont pu entrer aprs moi chez Mme Ascher pour faireleurs achats.

    En ce cas, ils ne sont pas venus nous lapprendre.M. Partridge toussota : Certaines gens nont pas le sens de leur devoir

    civique, Monsieur Poirot. travers ses lunettes, il nous regarda de ses yeux de

    hibou. Parfaitement vrai, murmura Poirot. Selon toute

    apparence, vous vous tes rendu la police de votrepropre chef.

    Certainement, Monsieur. Ds que jai euconnaissance de lhorrible meurtre, jai compris que ma

  • dposition pouvait tre utile et jai agi en consquence. Et je vous flicite, pronona Poirot, solennel.

    Voulez-vous me rpter votre dposition ? Avec plaisir. Je retournais chez moi cinq heures

    trente prcises Pardon, comment se fait-il que vous vous

    souveniez exactement de lheure ?Cette interruption parut importuner M. Partridge. Lhorloge de lglise venait de sonner la demie. Je

    consultai ma montre et maperus quelle retardait duneminute. Juste ce moment, je franchissais le seuil de laboutique de Mme Ascher.

    Y faisiez-vous dordinaire vos achats ? Oui. Assez souvent, le magasin se trouvant sur

    mon chemin. Deux fois par semaine environ, jachte deuxonces de tabac.

    Connaissiez-vous Mme Ascher ? Vous tenait-elleau courant de ses ennuis ?

    Pas du tout. part mes achats, et quelquesremarques sur le temps, je ne lui parlais jamais.

    Saviez-vous quelle avait un mari ivrogne qui lamenaait constamment ?

    Non, jignorais tout de cette pauvre femme. Vous la connaissiez tout de mme de vue. Navez-

    vous rien remarqu dinsolite dans son attitude hier soir ?Lavez-vous trouve agite ou inquite ?

    M. Partridge rflchit quelques secondes. Ma foi, elle ma paru comme dhabitude.Poirot se leva.

  • Merci de vos renseignements, Monsieur Partridge.Nauriez-vous point, par hasard, un indicateur A.B.C. ? Jevoudrais y chercher le train que je pourrais prendre pourrentrer Londres ce soir.

    Sur ltagre, derrire vous, Monsieur Poirot.Sur ltagre en question se trouvaient un guide

    A.B.C., un horaire Bradshaw, un Annuaire du StockExchange, un Whos Who et un annuaire local.

    Poirot prit lA.B.C., fit semblant de chercher lheure deson train, remercia M. Partridge et prit cong de lui.

    ***

    Notre seconde visite, dun caractre tout diffrent, futpour M. Albert Riddell. M. Albert Riddell exerait le mtierde poseur de rails et notre conversation fut accompagnedes bruits de vaisselle de lpouse irascible de M. Riddell,des aboiements du chien de M. Riddell et de lhostilit nondguise de M. Riddell lui-mme.

    Ctait une espce de gant la figure large et auxpetits yeux mfiants. Il tait en train de manger du pt quilarrosait dun th extrmement noir. Fort en colre, il nousdvisageait par-dessus le bord de sa tasse.

    Jai dj dit tout ce que javais dire, grogna-t-il.Jai tout dgois ces fichus policiers et il faut encore queje recommence pour deux maudits trangers.

    Poirot me lana un regard amus, et dit M. Riddell : Vous avez certes raison, mais quy puis-je ? Il

  • sagit dun assassinat et nous devons prendre nosprcautions, nest-ce pas ?

    Mieux vaut que tu racontes monsieur ce quil veutsavoir, Bert, avana sa femme timidement.

    Toi, ferme a ! rugit le gant. Vous ntes pas, ce que je vois, all de vous-

    mme faire votre dposition la justice ? remarqua Poirot. Pourquoi y serais-je all ? Cela ne me regardait

    pas du tout. Question dapprciation, dit Poirot. Un meurtre a

    t commis la police veut savoir qui est entr dans laboutique il me semble que cela et paru commentdirais-je ? plus naturel de vous prsenter sans retard.

    Et mon travail ? Qui vous dit que je ne serais pasall trouver la police quand jen aurais eu le temps ?

    Quoi quil en soit, votre nom a t transmis auxpoliciers par une tierce personne et il a fallu quon vnt chezvous. Se sont-ils du moins montrs satisfaits de ce quevous leur avez dit ?

    Pourquoi ne lauraient-ils pas t ? demanda Bertdun air froce.

    Poirot se contenta de hausser les paules. O voulez-vous en venir, Monsieur ? Quelquun

    conoit-il des soupons contre moi ? Chacun sait que lavieille a t assassine par son bandit de mari.

    Pourtant, il na pas t vu dans la rue ce soir-l etvous y tiez.

    Ah ! vous essayez de me fourrer ce crime sur ledos ? Vous ny arriverez pas. Pourquoi aurais-je fait cela ?

  • Pour lui chiper un paquet de son mchant tabac ? Vous meprenez peut-tre pour un de ces maniaques de lhomicide,comme on les appelle. Vous croyez

    Il se leva, menaant, mais sa femme bla : Bert, Bert ne dis pas des choses pareilles. Bert,

    Bert, ils vont simaginer Calmez-vous, Monsieur, dit Poirot. Je vous

    demande simplement le rcit de votre dposition. Votrerefus me parat un peu bizarre

    Qui vous dit que je refuse de parler ?M. Riddell se rassit. Vous tes entr dans la boutique six heures ? Oui, en ralit une ou deux minutes aprs six

    heures. Je voulais un paquet de tabac. Jai pouss laporte

    Elle tait donc ferme ? Oui. Tout dabord, jai cru que la boutique tait

    ferme pour de bon. Mais elle ne ltait pas. Jentrai et il nyavait personne. Je frappai sur le comptoir et attendis unpeu. Personne ne venant, je sortis. Voil tout, mettez celadans votre poche et votre mouchoir par-dessus.

    Vous navez pas remarqu le corps tenduderrire le comptoir ?

    Non, vous ne lauriez pas remarqu davantage moins que vous ne leussiez cherch.

    Y avait-il un indicateur des chemins de fer sur lecomptoir ?

    Oui il tait retourn. Lide ma travers lespritque la vieille voulait prendre le train et tait partie en

  • oubliant de fermer sa porte clef. Vous avez peut-tre touch lindicateur et lavez

    dplac sur le comptoir ? Pas du tout. Jai fait exactement ce que jai dit. Et vous navez vu personne quitter la boutique

    avant dy entrer vous-mme ? Non. Mais, je vous demande, pourquoi

    maccuser ? Personne ne vous accuse jusquici. Bonsoir,

    Monsieur.Il laissa le bonhomme mdus, et je le suivis au-

    dehors.Dans la rue, il consulta sa montre. En nous pressant, nous pourrions attraper le train

    de sept heures deux. Vite, la gare !

  • CHAPITRE VIII

    LA SECONDE LETTRE

    Eh bien ? dis-je Poirot, tandis que le train, unexpress, quittait la gare dAndover.

    Nous nous trouvions seuls dans un compartiment depremire classe.

    Le crime, commena mon ami, a t commis par unindividu de taille moyenne, aux cheveux rouges et aux yeuxlouches, qui boite lgrement du pied droit et qui a uneverrue au-dessous de lomoplate.

    Poirot ? mcriai-je.Jtais prt le croire, mais un clignement dil de

    Poirot me fit comprendre quil se moquait de moi. Poirot ! rptai-je, cette fois sur un ton de

    reproche. Que voulez-vous, mon ami ? Vous me regardez

    avec des yeux de chien fidle et vous me demandez defaire une dclaration la Sherlock Holmes ! Parlonsfranchement : jignore le signalement du meurtrier, o ilhabite et comment lui mettre la main au collet.

    Si seulement il avait laiss quelque trace aprslui ?

    Oui, cest toujours ce quoi vous pensez.

  • Hlas ! lassassin na pas fum de cigarette et laissde la cendre aprs lui ; il nest pas entr avec des souliersgarnis de clous dun modle particulier. Non, il ne sest pasmontr aussi obligeant. Toutefois, mon ami, noubliez paslindicateur A.B.C. Voil qui doit vous rconforter.

    Croyez-vous quil lait oubli par mgarde ? videmment, non. II la laiss avec intention. La

    recherche des empreintes nous le confirme. Mais on ny a dcouvert aucune empreinte digitale. Cest ce que je veux dire. Quel temps faisait-il

    hier ? Un temps magnifique, plutt chaud. Est-ce quaumois de juin, par une chaleur suffocante, un homme sepromne avec des gants ? Non, pas sans attirer lattention.Le fait quon na relev aucune empreinte sur lA.B.C.,indique que lhoraire a t soigneusement essuy. Uninnocent et laiss des empreintes, un coupable, non.Notre homme la donc plac l volontairement. Cest toutde mme un indice suivre. Cet A.B.C. a t achet parquelquun ce quelquun la port dans la boutique.

    Vous pensez que cet horaire nous mettra sur lapiste du coupable ?

    Franchement, Hastings, je ne me fais guredillusions. Cet individu, cet X compte de toute videncesur son extrme habilet. Il nest pas homme abandonnerderrire lui une piste trop facile dcouvrir.

    Ainsi cet A.B.C. ne nous sert rien ? Pas dans le sens o vous lentendez. Dans quel sens, alors ?Poirot ne rpondit pas immdiatement ma

  • question. Au bout dune minute, il pronona lentement : Nous sommes en prsence dun personnage

    inconnu qui se tient dans lombre et voudrait y demeurer.Mais, vu sa nature, il ne peut sempcher de se mettre enlumire. Dun ct, nous ignorons tout de lui, et, dun autre,nous en savons dj assez long. Il commence prendreforme nos yeux. Cest un homme qui reproduit nettementles caractres dimprimerie, qui se sert de papier debonne qualit, et prouve un vif besoin dtaler sapersonnalit. Dans son enfance, je le vois dlaiss et mis lcart, puis grandir avec un sentiment de son infriorit,luttant contre linjustice du sort Je dcle alors chez luilenvie de sextrioriser, dattirer sur sa personne lattentiondautrui, mais les circonstances lcrasent et il subit toutessortes dhumiliations. Alors, en son for intrieur, ltincellemet le feu aux poudres.

    Tout cela est pure hypothse, objectai-je et nenous apporte aucune aide relle.

    Vous prfrez les bouts dallumettes, les cendresde cigarettes et les souliers clous ! Vous tes toujours lemme. Nous pouvons cependant nous poser quelquesquestions dordre pratique. Pourquoi lA.B.C. ? PourquoiMme Ascher ? Pourquoi Andover ?

    Le pass de cette femme semble bien simple,hasardai-je. Nos entrevues avec ces deux hommes furentplutt dcevantes. Ils ne nous ont rien appris que nous nesachions dj.

    dire vrai, je nattendais pas grand-chose deux.Mais nous ne pouvions ngliger ces deux assassins

  • ventuels. Comment ? Vous pensez que On peut supposer que le meurtrier habite Andover

    ou aux environs. Cest la rponse une de nos questions : Pourquoi Andover ? Voici deux individus qui sontentrs dans la boutique lheure o le crime a t commis.Lun ou lautre pourrait tre le coupable. Or, jusquici, rienne dmontre que lun des deux le soit.

    Peut-tre cette brute de Riddell Je suis, au contraire, tent dinnocenter Riddell. Il

    paraissait nerveux, violent et visiblement ennuy Cela prouve Une nature diamtralement oppose celui qui a

    envoy la lettre signe A.B.C. La vanit et la confiance ensoi sont les caractristiques que nous devons rechercher.

    Un homme qui fait talage de sa puissance Possible. Mais certains individus aux manires

    timides et effaces cachent une forte dose de fatuit et desuffisance.

    Vous ne souponnez pas le petit M. Partridge ? Ce genre dindividu me semblerait tout dsign :

    voil tout ce que je puis dire. Il ne se ft pas comportdiffremment de lexpditeur de la lettre. Il se prsenteimmdiatement la police, se met au premier plan etsemble y prendre plaisir.

    Alors, vous supposez, en ralit Non, Hastings, je prsume que le meurtrier

    nhabite pas Andover ; toutefois, nous ne devons ngligeraucune piste. Et, bien que je dise toujours il , nous ne

  • perdons pas de vue que le crime a pu tre perptr parune femme.

    Je vous laccorde. La faon dattaquer est celle dun homme. Mais, ne

    loublions pas, les femmes envoient des lettres anonymesplus souvent que les hommes.

    Je me tus quelques instants, puis je demandai Poirot :

    prsent, quallons-nous faire ? Quelle nergie, mon cher Hastings ! me dit Poirot

    en souriant. Je vous demande simplement ce que nous allons

    faire. Rien. Rien ?Le ton de ma voix trahissait ma dception. Suis-je un magicien ? Un sorcier ? Que voulez

    vous que je fasse ?Certes, il mtait difficile de rpondre. Cependant, je

    sentais quil fallait entreprendre une action quelconque etne point laisser lherbe crotre sous nos pieds.

    Je hasardai : Voyons Il y a lA.B.C le papier lettre et

    lenveloppe. Soyez tranquille. On soccupe de ces dtails. La

    police possde tous les moyens dinvestigation pour cessortes denqutes : sil y a quelque chose dcouvrir, ellene manquera pas de le faire.

    Force mtait de prendre patience.

  • Durant les journes qui suivirent. Poirot affecta de nepoint se proccuper de laffaire. Ds que je tentaisdamener la conversation sur ce sujet, il me rduisait ausilence par un geste impatient de la main.

    Je crains davoir devin le motif de son mutisme.Poirot venait dessuyer une dfaite. A.B.C. lavait mis audfi et A.B.C. avait triomph. Accoutum au succs, monami tait sensible cet chec telle enseigne quil nepouvait supporter la moindre allusion cet gard. Faut-ilvoir l un signe de faiblesse chez un si grand homme ? Lagloire peut tourner la tte au plus modeste dentre nous.Dans le cas de Poirot, ctait fait depuis longtemps ; riendtonnant si un insuccs lui causait une telle dception.Par amiti, je respectai ce dfaut de Poirot et vitaidaborder cette question pineuse. Je lisais les comptesrendus de laffaire dans la presse ; ils taient brefs et nuljournal ne mentionnait la lettre signe A.B.C.

    Meurtre commis par un ou plusieurs inconnus ,telle fut la conclusion du tribunal.

    Ce crime, dnu de tout ct vraiment sensationnel,ne retint gure lattention du public, et lon oublia bien vitelassassinat dune malheureuse vieille femme dans uneruelle de petite ville.

    Je dois avouer que je commenais moi-mme par neplus y songer, peut-tre parce quil mtait pnible deconstater la dconfiture de mon ami, lorsque, le 22 juillet, lesouvenir men fut rappel de faon inattendue et soudaine.

    Je navais pas vu Poirot depuis deux jours. Aprs unefin de semaine passe dans le Yorkshire, je rentrai

  • Londres le lundi aprs-midi et la lettre arriva au courrier desix heures. Je me rappelle lair suffoqu de Poirot lorsquilreconnut lenveloppe.

    Le voici ! sexclama-t-il.Je le regardai, sans comprendre. Quoi donc ? lui demandai-je. Le second chapitre de laffaire A.B.C.Je ny pensais plus du tout et ne savais de quoi il

    parlait. Lisez plutt, me dit Poirot, en me tendant la lettre.Comme la premire fois, elle tait crite en

    caractres typographiques sur du papier de qualitsuprieure.

    Cher Monsieur Poirot,

    Eh bien, quen dites-vous ? Cest moi le gagnant dela partie, ce me semble. Laffaire dAndover a marchcomme sur des roulettes, nest-ce pas ?

    Mais la plaisanterie ne vient que de dbuter. Jattirevotre attention sur Bexhill-sur-Mer. Date, le 25 courant.

    Nous nous amusons follement !Votre, etc.

    B. C.

    Mon Dieu, Poirot ! Faut-il en dduire que ce banditva commettre un nouveau meurtre ?

  • Srement, Hastings. Quattendiez-vous dautre ?Croyiez-vous que le crime dAndover serait un cas isol ?Rappelez-vous mes paroles : ceci nest que lecommencement.

    Mais cest affreux ! Oui, cest affreux. Nous avons affaire un fou. Sans nul doute.Son calme tait des plus impressionnants. Je lui

    rendis la lettre avec un frisson dpouvante.Le lendemain matin, nous assistions une

    confrence o se trouvaient runis le chef de la police duSussex, le sous-chef des recherches Scotland Yard,linspecteur Glen, dAndover, le chef inspecteur Carter, dela police du Sussex, Japp et un jeune inspecteur du nom deCrome, et, enfin, le docteur Thompson, le fameux mdecinaliniste.

    Cette lettre portait le cachet de la poste deHampstead, mais, selon Poirot, il ne fallait attacher aucuneimportance ce dtail.

    Laffaire fut discute fond. Le docteur Thompson, unhomme trs agrable, se contentait, malgr tout son savoir,demployer un langage familier, vitant les termestechniques de sa profession.

    Les deux lettres ont t crites de la mme main,cela ne fait aucun doute, dit le commissaire adjoint.

    Et nous pouvons affirmer sans crainte que sonauteur a commis le crime dAndover.

    Parfaitement. Nous sommes avertis quun second

  • crime aura lieu le 25 cest--dire aprs-demain Bexhill. Quallons-nous faire ?

    Le chef de police du Sussex interrogea du regard sonsuperintendant.

    Eh bien, Carter, quen dites-vous ?Carter hocha gravement la tte : Cest bien compliqu, Monsieur. Nous ignorons

    compltement qui sera la victime. Quelle dcisionprendre ?

    Permettez-moi une suggestion, murmura Poirot.Les visages se tournrent vers lui. Je souponne que le nom de la seconde victime

    commencera par la lettre B. Cest dj un renseignement, dit le chef

    inspecteur. Il sagit l dun maniaque de lalphabet, observa le

    docteur Thompson, pensivement. Ce que jen dis nest quune suggestion rien de

    plus. Jy ai song en voyant le nom dAscher peint sur laboutique de la malheureuse femme assassine le moisdernier. Lorsque je reus cette lettre mentionnant Bexhill,jen ai dduit que la victime, de mme que la ville, avaientpu tre choisies en suivant lordre alphabtique.

    Possible, dit le mdecin. Dautre part, le nomdAscher est peut-tre une simple concidence, et lavictime, cette fois encore, une vieille tenancire demagasin. Rappelez-vous que nous avons affaire un fou.Jusquici, il ne nous dvoile pas son mobile.

    Un fou agit-il dans une intention bien dfinie ?

  • demanda le chef de police, sceptique. Certes, Monsieur. Une implacable logique inspire

    les actes des pires dments. Lun se croit envoy par Dieupour tuer les prtres ou les mdecins ou les vieillesfemmes qui tiennent des bureaux de tabac et derrireleurs agissements se trouve toujours un raisonnementcohrent. Ne nous laissons pas fourvoyer par la hantise delalphabet. Bexhill succdant Andover peut ntre quuneconcidence.

    Nous pourrions du moins prendre certainesprcautions, Carter, par exemple dresser une liste desgens dont le nom commence par la lettre B, et monter unegarde spciale prs des petits bureaux de tabac etdpositaires de journaux dont les magasins sont tenus pardes personnes seules. Il ny a rien de mieux faire. Bienentendu, il faudra surveiller de trs prs tous les trangersau pays.

    Le chef inspecteur laissa entendre un grognement. Avec la fermeture des coles et le commencement

    des vacances, la plage est envahie par les touristes cettesemaine.

    Agissons au mieux, rpliqua le chef dun ton sec.Linspecteur Glen prit son tour la parole : Je vais ouvrir lil sur tous ceux qui ont pu tre

    mls laffaire Ascher : les deux tmoins Partridge etRiddell et, naturellement, Ascher lui-mme. Si lun deuxsloigne dAndover, je le ferai suivre.

    Aprs quelques nouvelles suggestions et uneconversation btons rompus, la sance fut leve.

  • Poirot, dis-je, alors que nous suivions les quais dela Tamise, on pourrait tout de mme prvenir ce nouveaucrime ?

    Mon ami belge tourna vers moi un visage hagard. Je crains que non, Hastings. Comment protger

    une ville peuple de milliers dindividus contre la folie dunseul ? Impossible, Hastings. Souvenez-vous de la sriedassassinats commis par Jack lventreur.

    Cest effrayant ! mexclamai-je. La folie est une maladie dangereuse, Hastings.

    Jai peur bien peur

  • CHAPITRE IX

    LE MEURTRE DE BEXHILL-SUR-MER

    Je me souviens encore de mon rveil, le matin du 25juillet. Il devait tre sept heures et demie.

    Poirot, debout prs de mon lit, me secouaitdoucement lpaule. Un coup dil vers son visage me tirade la demi-inconscience o je me trouvais, et soudain jerentrai en pleine possession de mes facults.

    Que se passe-t-il ? demandai-je, me dressant surmon sant.

    Sa rponse fut fort simple, mais sa voix trahissait uneprofonde motion.

    Cest arriv ! Quoi ? mcriai-je, vous voulez dire Mais nous

    sommes aujourdhui le 25. Le crime a t commis hier soir ou plutt ce

    matin au petit jour.Comme je sautais bas de mon lit et effectuais une

    toilette rapide, il me raconta ce quil venait dapprendre autlphone.

    Le corps dune jeune fille a t dcouvert sur laplage de Bexhill. Il sagit dElisabeth Barnard, serveusedans un des cafs de la ville. Elle habitait chez ses parents

  • dans un petit bungalow tout neuf. Les mdecins situent ledcs entre onze heures vingt et une heure du matin.

    Est-ce sr que ce soit le crime ? demandai-je enme passant le blaireau sur les joues.

    Un guide A.B.C., ouvert la page des trains pourBexhill, a t trouv sous le cadavre.

    Je frmis. Cest horrible ! Attention, Hastings. Je ne tiens nullement voir un

    drame dans ma chambre.Jessuyai vivement le sang sur mon menton. Quel est votre plan de campagne ? demandai-je

    Poirot. La voiture viendra nous prendre dans quelques

    minutes. Je vais vous faire monter une tasse de caf ici, etnous partirons immdiatement.

    Vingt minutes aprs, dans une voiture trs rapide dela police, nous quittions Londres.

    Linspecteur Crome nous accompagnait. Il avaitassist notre rcente confrence et tait officiellementcharg de laffaire.

    Beaucoup plus jeune que linspecteur Japp, Cromediffrait totalement de son confrre. Il affectait un silencedhomme suprieur. Il tait, certes, lgant de manires etpossdait une solide instruction, mais, mon sens, il taitun peu trop infatu de lui-mme. Rcemment, il staitdistingu dans une srie de meurtres denfants. Grce sapatience et sa perspicacit, lassassin, finalement arrt,tait actuellement crou Broadmoor.

  • De toute vidence, ce jeune inspecteur tait toutdsign pour dmler le cas prsent, mais je jugeais quiltait trop sr de sa comptence. Il sadressait Poirot dunair protecteur qui me dplaisait souverainement.

    Jai eu un long entretien avec le docteurThompson, dit-il. Il sintresse particulirement ce genrede meurtres en srie. Il sagit l dune dformation mentaletrs spciale. videmment, nous autres, profanes, nous nesaurions comprendre les particularits de ces individuscomme il les envisage du point de vue mdical. (Iltoussota.) propos, mon dernier cas peut-tre en avez-vous t mis au courant par les journaux , le meurtre deMable Homer, suivi de celui de la petite colire deMuswell Hill en ralit, lassassin Capper tait unindividu extraordinaire. Je vous assure quil me donna du fil retordre. Ctait son troisime crime et il paraissaitaussi sain desprit que vous et moi. Mais actuellementnous possdons plusieurs mthodes, toutes modernes, defaire parler les prvenus inconnues de votre temps. Sivous amenez votre type se trahir une fois, vous le tenez !Il sait que vous lavez dpist et il perd courage. Alors, ilavoue tout ce que lon veut.

    mon poque, cela se passait parfois ainsi.Linspecteur Crome regarda mon ami et murmura : Ah ! bah !Pendant un moment nous demeurmes silencieux.

    Crome dit enfin : Si vous avez quelques questions me poser sur

    laffaire de Bexhill, je vous en prie, nhsitez pas.

  • Vous navez sans doute pas un signalement de lajeune fille ?

    Elle tait ge de vingt-trois ans et travaillaitcomme serveuse au caf de la Chatte Rousse

    Non, pas a Je vous demande si elle tait jolie,fit Poirot.

    Jignore ce dtail, rpondit linspecteur dune voixdtache.

    Son ton signifiait : Vraiment, ces trangers ! Tousles mmes !

    Une lueur de gaiet passa dans les yeux de Poirot. Selon vous, cela na pas dimportance. Jestime,

    au contraire, que, pour une femme, cest capital : sa beautdcide souvent de sa destine !

    Linspecteur Crome rpondit par son ternel : Ah ! bah !Nouveau silence.Comme nous approchions de Sevenoaks, Poirot

    rouvrit la conversation : Savez-vous, par hasard, comment et avec quel

    objet la jeune fille a t trangle ?Linspecteur Crome rpondit dun ton bref : Avec sa propre ceinture une tresse de cuir

    paisse, parat-il.Poirot carquilla de grands yeux. Ah ! Enfin, voil un renseignement prcis. Cela, du

    moins, nous apprend quelque chose, nest-ce pas ? Je ne men suis pas encore rendu compte,

    pronona froidement linspecteur.

  • Le manque dimagination de cet homme me donnaitsur les nerfs.

    Le meurtrier a laiss sa signature. Songez donc !La ceinture de la jeune fille ! Voil qui montre la vilenie dubonhomme.

    Poirot me lana un coup dil nigmatique, o je crusdeviner un humour impatient de se manifester. Je crus quildsirait ne pas me voir parler trop devant linspecteur.

    Je me replongeai donc dans le mutisme. Bexhill, nous fmes accueillis par le chef

    inspecteur Carter, accompagn dun jeune inspecteur lair intelligent et aimable, du nom de Kelsey. Celui-cidevait prter son concours Crome.

    Sans doute, Crome, prfrez-vous mener uneenqute personnelle, dit le chef inspecteur. Je vais vousexposer les grandes lignes de laffaire, et, ensuite, vousvous mettrez la besogne.

    Merci, Monsieur, rpondit Crome. Nous avons annonc la triste nouvelle au pre et

    la mre de la jeune fille, poursuivit le chef inspecteur. Quelcoup pour ces pauvres gens ! Je les ai laisss se ressaisirun peu, avant de leur poser des questions. Vous pourrezdonc commencer par l.

    La famille se compose-t-elle dautres membres ?senquit Poirot.

    Oui une sur, dactylographe Londres. Nousnous sommes dj mis en contact avec elle. Il y a aussi unfianc Les parents supposaient que la jeune fille taitsortie avec lui.

  • LA.B.C. ne vous a rien rvl de particulier ?demanda Crome.

    Le voil, dit le chef inspecteur en jetant un coupdil vers la table. Pas dempreintes. Ouvert la page destrains pour Bexhill. Il parat tout fait neuf : en tout cas, onne sen est pas beaucoup servi. Il na pas t achet parici : jai interrog tous les libraires du pays.

    Qui a dcouvert le corps ? Un de ces vieux militaires amateurs de promenade

    matinale, le colonel Jrme. Vers sept heures, encompagnie de son chien, il longeait la cte dans ladirection de Cooden. Son chien le quitta pour aller reniflerquelque chose sur la grve. Le colonel lappela, le chien nebougea point. Trouvant le fait trange, son matre lerejoignit. Devant la funbre dcouverte, le colonel secomporta comme il le fallait : sans toucher au cadavre, ilnous appela immdiatement.

    Le crime a t commis vers minuit ? Entre minuit et une heure du matin vous pouvez

    en tre certain. Notre farceur homicide est un homme deparole. Sil annonce le 25, il commet son crime ce jour-lmme, ne serait-ce que quelques minutes aprs minuit.

    Crome approuva dun signe de tte. Oui, cest bien sa mentalit, observa-t-il. Rien

    dautre ? Personne na pu fournir quelque renseignementutile ?

    Pas jusquici mais lenqute ne fait que dbuter.Toutes les personnes qui ont rencontr hier soir une jeunefille vtue de blanc en compagnie dun homme ont t

  • invites se prsenter devant nous, et comme il y avait aumoins quatre ou cinq cents jeunes filles en blanc qui sepromenaient hier soir avec leurs amoureux, ce sera un jolidfil !

    Mieux vaut que je my mette tout de suite,Monsieur, dit Crome. Je vais aller au caf et la maisonde la jeune fille. Kelsey pourra maccompagner.

    Et M. Poirot ? demanda le chef inspecteur. Je vous suis, dit M. Poirot Crome, avec un

    gracieux salut.Crome me parut lgrement ennuy. Kelsey, qui ne

    connaissait M. Poirot que de rputation, eut un largesourire.

    La premire fois quon voyait mon ami, on le prenaitinvitablement pour un farceur, ce qui me mortifiait au plushaut point.

    Quest devenue la ceinture avec laquelle le crime at commis ? demanda Crome. M. Poirot la considrecomme une importante pice conviction. Sans doutedsire-t-il la voir ?

    Pas du tout, rpliqua vivement Poirot. Vous mavezmal compris.

    Cette ceinture ne vous apprendra rien, dit Carter.Si elle tait en cuir, on aurait pu y relever des empreintesdigitales, mais il sagit dune grosse tresse de soielidal en la circonstance.

    Je frissonnai. Eh bien, dit Crome, partons.Nous sortmes tous quatre.

  • Nous allmes dabord la Chatte Rousse. Situ surle front de mer, cet tablissement ressemblait aux autressalons de th de lendroit. On y voyait de petites tablesrecouvertes de napperons aux damiers orange, desfauteuils de paille trs inconfortables, garnis de coussinsorange. Beaucoup de personnes y prenaient leur petitdjeuner, car on y servait du caf et cinq diffrentesmarques de th ; lheure du lunch, les clients pouvaientcommander des ufs brouills, des crevettes et desmacaroni au gratin.

    Nous y entrmes lheure du petit djeuner et lapatronne nous fit passer vivement dans une arrire-boutique tout en dsordre.

    Miss euh Merrion ? senquit Crome.Miss Merrion, dune voix geignarde, nous rpondit : Cest moi, Monsieur. Quel pouvantable

    scandale ! Cette affaire va certainement nuire mamaison.

    Miss Merrion tait une femme maigre denvironquarante ans, aux cheveux carotte (elle ressemblaittonnamment une chatte rousse). Ses doigts nerveuxjouaient avec les fanfreluches qui faisaient partie de satenue professionnelle.

    Au contraire, rassura linspecteur. Pour vous, cestune extraordinaire publicit. Vous verrez ! Dici peu, vousne saurez o donner de la tte lheure du th.

    Cest curant, dit miss Merrion. Vraimentcurant ! Cest dsesprer de la nature humaine.

    Cependant son il clatait de joie.

  • Quels renseignements pouvez-vous nous fournirsur la malheureuse petite assassine ?

    Aucun ! dclara miss Merrion. Absolument aucun ! Depuis combien de temps travaillait-elle chez

    vous ? Ctait son second t. tiez-vous satisfaite de ses services ? Ctait une bonne serveuse vive et avenante. Elle tait jolie, nest-ce pas ? senquit Poirot. son tour, miss Merrion le considra dun regard qui

    voulait dire : Oh ! ces trangers ! Ctait une jolie fille, lair honnte, ajouta-t-elle

    avec condescendance. quelle heure a-t-elle quitt son travail hier soir ?

    demanda Crome. huit heures. Nous fermons cette heure-l. Nous

    ne servons pas dner. Quelques clients viennent prendredes ufs brouills et du th (Poirot en frmit dhorreur)vers sept heures et parfois un peu plus tard, mais le coupde feu est termin six heures trente.

    Vous a-t-elle dit comment elle comptait passer sasoire ?

    Certes, non ! scria miss Merrion. Nous ntionspas intimes ce point.

    Personne nest venu la demander ? Ou lattendre ? Non. tait-elle comme lordinaire ? Ou paraissait-elle

    gaie ou dprime ? Je ne pourrais vous le dire, rpondit miss