À trop courber l'échine N°15

download À trop courber l'échine N°15

of 12

Transcript of À trop courber l'échine N°15

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    1/12

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    2/12

    2

    vie. Il est noter dailleurs quil est srementplus facile de ne jamais commencer bosserplutt que darrter quand cela fait plusieursannes que lon travaille. Il nen reste pasmoins que rien ne nous oblige aimer notre

    condition ni y trouver des excuses. Sil taitaussi simple que certains le prtendent devivre en plein accord avec nos ides, notremonde serait tout autre. Enfin, il seraiterron de croire que le style de vie que lonmne induit forcment une volontparticulire face ce monde : on peut trsbien tre un travailleur salari et porter ensoi une vritable rvolte, tandis quun voleurpeut trs bien se comporter comme le pirecapitaliste qui soit.

    Oui, il est vrai que nous utilisonssouvent largent pour nous doter de ce dontnous avons besoin. Certains dentre noustravaillent mme pour lobtenir. On nous ditaussi que le vol constitue une forme dedpendance envers ce systme puisque alorsnous sommes considrs comme des

    parasites. Penser de la sorte, cest ne pas voirque la question fondamentale nest pas de

    vivre avec ou sans argent mais savoir quoilemployer. Si nous tachons de rduire sa

    plus simple expression lusage de la monnaieentre nous, nous ne sommes pas de douxrveurs qui simaginent quon va nous laisseravancer notre guise sans jamais rien nousdemander. Nous travaillons la mise encommun de savoirs et doutils aptes nousfournir la plus grande autonomie possible.En dautres termes, nous communisons nospratiques afin de permettre la multiplicationdes offensives et des scessions hostiles cemonde. En somme, nous visons suspendre

    les diverses sortes de rapports inhrents aucapitalisme. Quand nous habitons un lieuqui nous permet de dployer nos activits,quand la grve dpasse les mots dordresyndicaux pour crer une autre forme deliens qui chappent aux stricts rapports deproduction, quand la manifestation bonenfant dgnre en meute, etc., dans tousces moments, nous considrons que nous

    vivons pleinement le communisme. Achaque instant que nous entrons en rupture

    avec la sociabilit impose par le capitalisme,nous en faisons lexprience intense.

    Il faut tre dun lgalisme crasse,dune btise sans borne ou dun passismepeureux pour vouer aux gmonies de telsactes. Le plus pathtique dans laffaire cestque tous nos ennemis sentendent les

    condamner quand ils sont de notre fait alorsquils prtendent parfois se reconnatre dansdautres, qui sont bien souvent sanscommune mesure, lorsquils ont t initispar des camarades du pass. Que lon songeaux actes accomplis par les communards oupar les anarchistes espagnols. Ceux l nontjamais t traits de casseurs ou de violents.Les mmes ennemis sont capables dedcrter que le soulvement qua connurcemment la Kabylie na rien de

    rvolutionnaire et que pour cette raison ils secontentent dun article mdiocre dans unjournal (et encore !) au lieu de le souteniractivement.

    Nous avons trouvs la citation deThucydide que nous mettons en exergue dece texte dans le trs bon ouvrage que JaimeSemprun a consacr cette rvolte deKabylie (Apologie pour linsurrection algrienneaux ditions de lEncyclopdie desNuisances). Cette citation dit encore que

    lloge des actions dautrui nest supportable quedans la mesure o lon se croit soi-mme capable de

    faire ce quon entend louer. Nous avonslillustration de cette rflexionquotidiennement sous les yeux.

    Algrie, printemps 2001

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    3/12

    3

    Donc, exprimenter la suspension etla rupture avec le capitalisme, voil quelle estnotre pratique. Il sagit dchapper auxrapports marchands, aux rapports deproduction, lconomie. Nous voulons que

    des actes aussi simples que manger oudormir ne soient plus des actes rductibles celui plus gnral de consommer.Pareillement, nous organiser pour rpondre nos besoins ne doit pas se rduire lactede travailler.

    Tout cela implique un autrephnomne qui permet de saisir en quoinous voulons nous dgager des sablesmouvants du dsert dans le mme temps

    quil claire les rapports vhiculs par lemonde capitaliste. Ce phnomne a trs bient dcrit par Hanna Arendt dans sesConsidrations morales : cest le fait desuspendre sa pense, considre comme undialogue avec soi-mme. Arendt cherche cerner la question du mal et comprendrecommentMonsieur tout le mondeest capable dele commettre. Pour rsumer trssuccinctement son expos, disons quArendtdistingue la conscience que lon a des

    vnements, de laccomplissement de nosactes, du fait de penser, cest--dire davoir lecourage de faire leffort de retourner chezsoi o nous attend notre conscience (cetautre nous-mme) pour juger ces actes. Etfinalement, pour commettre le mal ou pourlaisser commettre le mal sans agir, il suffit derefuser de rentrer chez-soi afin dempcherce dialogue avec soi-mme. Il nest pasquestion de stupidit ou de mchancet danstout cela. La pense en elle-mme napporte

    pas grand-chose la socit, elle ne cre pas devaleur, elle ne trouvera pas une fois pour toute cequest le bien ; elle ne confirme pas mais dissout

    plutt les rgles de conduite acceptes. Sa significationmorale et politique napparat que dans les raresmoments de lhistoire o tout part en miette, le centrene peut plus tre le soutien, la simple anarchie se

    rpand dans le monde [] A ces rares momentscruciaux, la pense cesse dtre une affaire marginaleaux questions politiques. Quand tout le monde selaisse entraner, sans rflchir, par ce que les autres

    font et croient, ceux qui pensent se retrouvent

    dcouvert, car leur refus de se joindre aux autres estpatent et devient alors une sorte daction. Llmentqui purge la pense [] qui rvle les incidences desopinions reues et par l les dtruit (valeurs,doctrines, thories et mme convictions) est politique

    par ses implications. Car cette destruction a un effetlibrateur sur une autre facult humaine : la facultde juger, que lon peut appeler trs justement la plus

    politique des aptitudes mentales de lhomme.Nous autres aimons pratiquer cet

    exercice de la pense de manire collective.

    Il ne sagit pas, comme cela peut nous trereproch parfois, de jouer les intellectuels nide chercher flatter notre ego. Tous lestextes circulant dans la mouvance seretrouvant sur les bases que nous tchons dedfinir ici sont anonymes. Personne necherche devenir un gourou et personne necherche un matre penser. Pour notre part,nous avons assez dit combien tait grandnotre dsir de dbat et de confrontation.Nous navons eu de cesse de rpter

    galement que notre souci ntait pas dedonner des leons qui que ce soit mais aucontraire duvrer la mise sur pied duneforce porteuse de subversion et de solidarit.

    Les ides nappartenant personne,il est naturel de les communiser en lesconfrontant. Ce faisant, nous devenonsparfois la conscience dun certain nombredindividu que nos paroles et nos critsdrangent. Bien sr, il peut paratreprtentieux de dcrire les choses ainsi.

    Pourtant, force est de constater lagacementprovoqu par nos activits chez des gens quine devraient pas tre agacs silsconsidraient leurs ides comme autre chosequune simple tiquette ou quun simpleloisir.

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    4/12

    4

    Echanges suite la publication des deux derniers bulletins

    Il est banal de remarquer que, mme dans les priodes agites par de grands changements,les esprits les plus novateurs se dfont difficilement de beaucoup de conceptions antrieures

    devenues incohrentes, et en conservent au moins quelques-unes, parce quil serait impossible derepousser globalement comme fausses et sans valeur des affirmations universellement admises.

    Il faut pourtant ajouter, quand on connat par la pratique ce genre daffaires, que de telles difficultscessent dencombrer ds le moment o un groupe humain commence fonder son existence relle sur le

    refus dlibr de ce qui est universellement admis ; et sur le mpris complet de ce qui pourra en advenir.Guy Debord, uvres cinmatographiques compltes

    Comme nous lindiquions dans notreprcdente dition, nos rflexions au sujet dela lutte de classes amnent quelques

    remarques de la part de nos lecteurs. Nousvoulons ici apporter des rponses crites ces remarques amicales qui contribueront lever tout malentendu.

    Notre ami Michel, militant dusyndicat CNT-AIT dAmiens, nous crit afinde prciser ce quil entend par lutte declasses. Aprs avoir indiqu que le faitdenvisager une fin du capitalisme tout enmaintenant les divisions entre classes est uneescroquerie, Michel crit quil a fallu plus

    que le salaire pour compromettredfinitivement et idologiquement les

    proltaires et que cest lactionnariat ditpopulaire qui permet lidentification du travailleuravec lentreprise. Plus de patrons identifis mais desnbuleuses finances par des fonds de pensions, descapitaux privs, des grosses fortunes et des salaris.Tout le monde uni pour faire prosprer lentreprise.Pas de grve, seulement quand a peut servir lesrestructurations ou viter les explosions sociales

    incontrlables. [] Quant aux personnels

    rpressifs, quelque soit leur niveau dans la hirarchiesociale, ils ne doivent pas tre considrs dans notreclasse ds quils remplissent leur rle dans le systme

    capitaliste. [] Plus banalement une caissire desupermarch peut tout aussi bien prvenir son chef oulaisser passer un client qui tente de payer un eurosymbolique ses douze litres de Bordeaux. L est laconscience de classe et la diffrence entre un patron et

    un employ nest pas thique mais fondamentale.Il est clair que pour nous, la fin du

    capitalisme ne peut qutre synonyme de la

    fin de toutes les sparations et hirarchies.Cest effectivement un leurre que de croire

    que lon pourrait vivre dans un monde noncapitaliste dans lequel la division entre richeset pauvres et entre chefs et excutants aurait

    encore cours. Il est vident que la situationactuelle ne ressemble pas celle du 19mesicle ou du dbut du 20me. Notrecompagnon a raison de dire quelidentification de lennemi est rendue plusdifficile. Mais a nest pas seulement parceque lpoque est aux grands groupesfinanciers ou lactionnariat salarial. Cestaussi parce que le capitalisme reprsenteavant tout un mode de vie et impose descomportements et des rapports sociaux.

    Sous son rgne tout est rduit aux impratifsconomiques. Dire que notre intelligence,notre sensibilit et notre faon de concevoirautrui sont littralement imprgnes par lemonde de la marchandise et du travail nestpas une vue de lesprit. Tout concourre atomiser les collectivits. Mme quand ellesprtendent encore se rebeller, leur faon delutter emprunte ses mots et ses mthodes ausystme de domination : dmocratisme,respect, ngociation, gestion, canalisation

    des extrmistes, etc. Nous pourrionsdissquer longtemps les causes et lesconsquences dun tel phnomne. Nousremarquerions certainement quil est difficilede distinguer ce qui est cause et ce qui estconsquence. Pour nous, il ne fait aucundoute que lidologie du progrs contribupour une bonne part ltat actuel dumonde et des consciences. Lintgration auxmots dordre du capitalisme, lacceptation deses critres de jugements et lidentification

    des individus avec les modles quil prsentea t permise grce la collaboration de lamajeure partie du mouvement ouvrier.

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    5/12

    5

    Notre ami Michel finit dailleurs sa lettre endnonant ces imposteurs qui prtendenttre rvolutionnaires tout en adhrant desorganisations dont les mthodes et la raisondtre sont en tout opposes au

    dveloppement dune force rvolutionnaire.En ce qui concerne le fait derenoncer compter parmi les proltairestoutes les forces rpressives, l encore, nousnavons rien objecter. Si ce nest que dunpoint de vue strictement conomique, unebonne part des individus sont desproltaires. En effet, si nous nous en tenons la dfinition minimale qui nonce questproltaire celui qui vend sa force de travail(ses bras et/ou son cerveau) en change dun

    salaire cens lui permettre de satisfaire sesbesoins et reconstituer cette force de travail,alors un flic, un contrleur ou un vigile sontdes proltaires. Michel introduit la notion deconscience de classe afin daffiner la limiteentre les deux camps opposs. L encore,nous comprenons bien cette dmarche, quidailleurs nous donne raison quand nousaffirmons que la diffrence entre un patronet un ouvrier est thique. Mais nous nousapercevons que le mot thique est rarement

    compris par nombre de personnes. Certainsy voient mme des connotations moralesvoire religieuses ! Une dfinition sommetoute classique de lthique en fait la thoriede laction que lhumain doit accomplir pourbien mener sa vie. Quand nous parlons dedistinction thique, nous voulons montreren quoi les choix et les acceptations des unset des autres indiquent de quel ct ils sesituent. Cela nous indique galement que sinous pouvons ventuellement tre amis avec

    les uns, il est impossible que nous le soyonsavec les autres. On nest pas flic ou patroninnocemment, on ne balance pas son voisinou son collgue de manire anodine. Parconsquent, si la distinction qui nousintresse ici est effectivement fondamentale,elle est bien dordre thique puisquelleconcerne notre disposition apprhender cemonde et les autres et nous positionner parrapport eux.

    Notre camarade de la CNT-AIT

    poursuit son courrier en indiquant que, selonlui, il ny a pas dopposition entre lutte de

    classes et lutte anti-industrielle. Et dajouterque les anarcho-syndicalistes sattachent faire le lien entre ces deux aspects de la lutte.Il nous semble que cette vision nestapplicable qu une fraction de lanarcho-

    syndicalisme mais certainement pas lensemble des personnes regroupes souscette idologie. Mme au sein de la CNT-

    AIT le point de vue anti-industriel nerencontre pas lassentiment de tous.

    Il convient ici de bien stipuler leschoses : nous disons que la lutte de classes cest--dire le fait quasiment mcanique queles plus pauvres se confrontent aux plusriches afin damliorer leur condition nousattache toujours plus au monde de la

    marchandise et aux rapports de production.Certes, pour nos compagnons de la CNT-AIT et pour quelques autres, la lutte declasses dautres ambitions : la suppressiondu salariat et de lEtat notamment. Mais ilnen reste pas moins que le ct syndicalistede leur dmarche les oblige formuler desrevendications immdiates. Nous avons djdit quil est videmment ncessaire de sedfendre contre les patrons et lesgouvernements. Mais non pas pour dfendre

    de prtendus acquis ni obtenir dillusoirescompensations pour lexistence de merde laquelle ce systme nous condamne. Il estplus que ncessaire dattaquer sur notrepropre terrain : celui de la remise en causedu bien fond du systme marchand etindustriel. Non pas sur le mode cologique,ni sur celui de la dfense des citoyens, desconsommateurs ou des salaris. Il ne fautpas se poser en interlocuteurs mais enennemis. Il est bien entendu que dans le

    cadre dune lutte au sein dune entreprise, lamarge de manuvre est extrmementrduite et les risques de rpressionconsidrables. Et qui nous dira enfin quel estlintrt de demander des salaires dcents etdes conditions de travail plus sres et plusagrables quand le travail effectuoccasionne pollution et marchandisesdbilitantes ? Et que dire de cesrevendications prtendument radicales quiconsiste rclamer un partage galitaire du

    travail (le fameux travaillons tous, moins etautrement) qui nous condamnent toujours

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    6/12

    6

    plus au bagne du salariat ? On nous dira quece genre de slogan est une facilit afin de nepas effrayer les gens. Ce faisant, on prend cesfameuxgenspour des imbciles puisque alorson les trompe. Quon le veuille ou non, la

    critique du salariat doit sexprimerclairement : parler de partage du travail nedit strictement rien de cette critique. Cest laraison pour laquelle ce terrain l nest plusune priorit tout du moins il nous revientdlargir ds que possible lhorizon de tellesluttes. Nous ne pouvons plus nouscantonner dans les rles que le pouvoir veutnous faire jouer, il nest plus possible decontinuer de marcher dans les impasses quilamnage. Cest la raison pour laquelle nous

    navons de cesse de critiquer lesrevendications et les mouvements partiels.Cest aussi pour cette raison que nousproposons tout de suite la constitution delieux dautonomie et lemploi de moyensclandestins et efficaces contre lennemi. Aforce dattendre un soulvement qui ne vientpas en mettant provisoirement un mouchoirsur nos profondes aspirations, nous nousenlisons toujours plus dans le bourbiercapitaliste. Tous ceux qui nous disent que

    nous ne faisons rien de concret tandisqueux luttent pour dfendre des miettessont des fumiers qui profitent bien souvent(comme le souligne dailleurs Michel) de lasituation actuelle.

    Pour conclure notre raction vis--vis des propos de notre compagnon, nousraffirmons que la rfrence la lutte declasses nest plus ntre. Nous sommes leshritiers des mouvements rvolutionnaires

    passs. Nous savons ce que nous leurdevons. Mais nous sommes arrivs unautre stade. Encore une fois, nousreconnaissons les diffrences de classes,nous voyons bien quil existe des conflits lesopposants. Nous-mmes ne vivons pas dansun monde part, nous aussi nousconnaissons les procdures de licenciement,les factures et les loyers payer et les fins demois difficiles. Mais nous voulons dpasserce simple constat afin de rendre plus

    efficiente notre critique et, comme nousvenons de le dire, de passer loffensivedepuis la position qui nous convient lemieux. Alors, nous nous rendronsirrcuprables. Pour quune telle stratgiepuisse avoir des chances de se dvelopper demanire consistante, il faudrait dans unpremier temps que tous ceux et toutes cellesqui parlent de rvolution cessent duser dumme langage que celui du pouvoir etcompose allgrement avec lui. Cest

    pourquoi nous leur donnons des signesdhostilit.

    Dautres commentaires nous sontparvenus. Lun incriminait notre point de

    vue qui dit que le mouvement ouvrier na tque la fraction progressiste du capitalisme

    visant la gestion du capital par les proltaireseux-mmes. Pour Bertrand Louart, puisquecest lui qui nous a fait cette remarque, cepoint de vue est celui du stalinisme. Il est

    vrai que les staliniens de toutes tendancesnont jamais rien fait dautres que detravailler nous enfermer dans le monde dela production. Cest un dogme pourbeaucoup que de voir en chaque chose unfragment du capital. Pour autant, nous avons considrer les faits. Et ce que nousavanons est une ralit historique. Encoreconvient-il de prciser que le terme demouvement ouvrier est bien flou, puisquilenglobe des parcours et des positionnements

    incompatibles. Que dsigne ce terme ? Lesorganisations ouvrires (partis et syndicats) ?

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    7/12

    7

    Leurs mthodes ? Faut-il y inclure lesmouvances plus autonomes, qui nont eu decesse de critiquer ces organisations et dontlaction a nanmoins marqu lhistoire ?Nous ne pouvons nier que les staliniens ont

    russi touffer toute tentative nallant pasdans leur sens et que de fait ils ont puprtendre incarner eux seul le mouvementouvrier. Dun autre ct, nous devons noterque le mouvement ouvrier nest pas lemouvement rvolutionnaire et quil y a desproltaires qui ne sont pas ouvriers.

    Toujours est-il que la lutte de classes, telleque nous la prsentons ci-dessus, na faitquengendrer une rduction de nos vies auxaspects conomiques. Cette lutte de classes

    ainsi considre nest pas neutre dans laforme que le cours de lhistoire a prise.Un autre ami nous crit quil ny a

    pas forcment de contradiction luttercontre les dlocalisations dusines et le faitde dfendre un point de vue anti-industriel,car les dlocalisations ne sont pas de simplesfermetures dtablissement puisque ceux-cisont transfrs ailleurs. Cela est vrai mais,dune part, nous doutons que tous ceux quiluttent contre les dlocalisations luttent

    galement contre les effets engendrs parleur activit, dautre part, nous nentendonspas ces mmes personnes critiquer le bienfond de leur travail ni lutter activementcontre lexploitation subie par les travailleurstrangers prsents comme leursconcurrents. Cest un des reproches quenous adressions certains militantsanarchistes qui reprennent les revendicationsde travailleurs qui refusent la fermeture deleur usine sans jamais oser aborder

    concrtement le fond du problme. Celasignifierait une prise de position courageuseconsistant dire aux travailleurs concerns :

    vous navez jamais produit que de la merde,vous navez jamais rien fait contre le salariatet cest maintenant que vous tes menacspar le chmage que vous vous rveillez. Ilfaudrait alors prendre la responsabilit deproposer de dtourner la lutte des objectifsproclams : oui la fermeture des usines(pas seulement parce quelles polluent et

    quil nen sort que des marchandisesalinantes et pas seulement non plus parcequon sy fait exploiter mais bien pour toutesces raisons la fois), demandons unmaximum dargent aux patrons non pas

    pour compenser la perte de notre conditiondesclave salari mais pour nous rendre plusautonomes en mettant en commun cetargent qui servira nourrir dautresoffensives contre ce monde abject.

    Pour terminer, nous souhaitonsrevenir sur lusage de linsulte qui

    visiblement pose problme quelques unsde nos lecteurs. Nous avons mme lu dans ledernier numro de Nouvelles de nulle part un

    article qui sintitulait Quappelle-t-on insulter ?dans lequel Jean-Marc Mandosio considreque ses propos lencontre de BertrandLouart ne sont pas insultants tandis quenous pratiquons sans vergogne lexercice enquestion. Il faut savoir que nous ninsultonspas pour le simple plaisir ni pour nousdonner des airs de petites frappes. Nousinsultons nos ennemis parce que linjure estaussi une manire de leur signifier que nousnentendons pas laisser passer gentiment

    leurs saloperies. Ce faisant, nous leurmontrons quils ne peuvent agirimpunment. Quant au message personneladress au dnomm Hempel (cf. notren14) sachez que ce dernier nous a rpondupar ces mots : petit lumpen dgnr, tu tes faitenculer par PPDA. Il donnait rendez-vous aurdacteur de ce bulletin Paris pourpouvoir, disait-il, le faire mettre genoux etdemander pardon monsieur Hempel. Outre lefait que le rendez-vous en question tait

    pass au moment o nous avons reu soncourrier, et en faisant abstraction du fait quele rendez-vous manquait en prcisionpuisque aucun horaire ntait indiqu, nousnavons pas lhabitude de rpondre auxconvocations qui nous sont faites ainsi.Cette affaire sera rgle par la manire quisimpose et, en tout tat de cause, nous nenferons aucune publicit et cesseront dumme coup dennuyer nos lecteurs.

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    8/12

    8

    Sur la Nef des fous

    Nous lisons dans le Combat Syndicaliste (dition de la CNT-AIT de Midi-Pyrnes) unecritique du texte de Thodore Kaczynski (plus connu sous le pseudonyme dUnabomber etauteur de La socit industrielle et son avenir) intitul La Nef des fous. Rsumons lhistoire : un bateau

    vogue tout droit vers la catastrophe. A son bord, passagers et marins ne pensent qu leur intrtgoste et demandent au capitaine de satisfaire leurs revendications personnelles. Seul le mousse

    voit bien la situation et dnonce la stratgie des officiers qui mettent tout en uvre pour que lapaix sociale rgne bord. Le hic, cest que personne ne veut entendre ce que dit le mousse et quepersonne ne prend la mesure de limminence du naufrage qui va avoir lieu.

    Lauteur de larticle en questionreproche au mousse sa mthode. Selon lui, lemousse sest isol en montrant lescontradictions de chacun alors quil auraitmieux fait de crer et maintenir, travers les

    revendications, un tat conflictuel propice la prise de conscience, la rflexion et laction.En prsentant les choses de la sorte, lemilitant anarcho-syndicaliste opre unedistinction entre les revendicationsimmdiates et la ncessit dabolir le systmede domination tout en maintenant que toutcela nest pas incompatible. Ce faisant, iloublie que la destruction du systme est unencessit immdiate car, au train o vont leschoses, notre avenir risque fort de

    ressembler rellement celui de la nef desfous. De surcrot, il considre que cest lafaon de faire du mousse qui le conduit lisolement strile, tandis que nous pensonsau contraire que ce sont les mthodesutilises par le pouvoir et les gostes qui

    visent isoler les extrmistes. A ce sujet, nousaimons rappeler que tout le monde est, safaon, un extrmiste. Les individus les plusneutres ou les plus consensuels sont desextrmistes de la neutralit et du

    consensus Quant ceux qui nousqualifient dexalts ou denrags, nousrtorquons que ces mots sont pluttflatteurs : nous prfrons lexaltation et larage lennui et la terreur.

    Les fameuses revendicationsimmdiates ne sont pas seules mises encause ; la faon dont elles sont dfenduespar ceux qui les portent est elle aussi mise enpice dans lallgorie de Kaczynski. Quelanarcho-syndicalisme tente doprer la

    jonction entre ces revendications et larupture rvolutionnaire est louable, mais a

    nexplique pas pourquoi il ne russit pas.Lexemple de lEspagne est pourtantparlant : lune des raisons pour lesquelles larvolution initie en 1936 t un checrside dans le fait quune bonne part des

    rvolutionnaires a cru quil fallait dabordgagner la guerre contre les fascistes avant decontinuer la rvolution. Selon nous, lesrevendications immdiates ne retardent paslavnement dun hypothtique grand soir.Elles le rendent illusoire et, au final,impossible. Tant quune majorit secontentera des amliorations ponctuelles deleur sort sans voir quils sont assis sur labranche quils sont en train de scier, nous nepourront rien entrevoir de bon. Dautant

    plus quil serait aberrant de refuser de voirque les revendications partielles nous placentle plus souvent dans la position dequmandeurs. Qui plus est, dornavant ellesexpriment plus souvent lenvie de voirsatisfaire non pas des besoins (nous pensonsdailleurs que seule une socit rellementlibre est en mesure de dfinir quels sont sesbesoins) mais des caprices. Ainsi en est-il detous les combats progressistes qui exigentune reconnaissance de droits (droits de

    mariage, dadoption, de reconnaissancesociale, de tripatouillages chirurgicaux ougntiques, etc.)

    Nous considrons que la mise enavant de la critique radicale du systme dansson ensemble est une priorit. Lesrevendications immdiates peuventventuellement servir de prtexte pour faireavancer notre vision des choses dans lamesure o elles se prsentent comme depossibles brches dans lesquelles nous

    pouvons nous engouffrer. Bien sr quil fautlutter pour que, par exemple, les sans

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    9/12

    9

    papiers ne soient plus traits comme ils lesont. Mais sans taire la problmatiqueprofonde qui engendre leur situationactuelle. Ce faisant, les actes suivent deux-mmes, dans la mesure o notre voix sait se

    faire entendre. Par exemple, la lutte des sans-papiers rcemment dbouche sur la luttecontre les centres de rtentions. Trsrapidement, une analyse radicale sest faitjour et des actions lont traduiteconcrtement dans les faits : incendies dechantiers, attaques dagences Bouygues (quiconstruit ces centres de rtention) allant dusimple placardage daffiches sur les vitrines la casse de celles-ci, en passant par lesabotage de serrures. A chaque occasion, le

    lien se fait avec dautres luttes. Cest ainsique des reprsentants du P.S. se sont faitagresser au cours de manifestations, quedautres cibles sont touches pour leurimplication plus ou moins lointaine dans laconstruction de ces centres. Que de telsactes se dveloppent et soient repris par lapopulation et la situation peut trs vitedevenir insurrectionnelle voirervolutionnaire. Souvenons-nous de lItaliedes annes 70 o les luttes taient

    autonomes et intenses. Regardons du ctde la Kabylie, avec ses grves, ses boycotts,ses meutes, ses attaques de gendarmerie etde bureaux de vote, qui sont le fait dunepopulation qui a dclar la guerre aupouvoir. Entretenir cette mmoire et faireconnatre les conflits en cours est unencessit.

    Un exemple de crtinisme militant

    Cette mthodologie rompt avec lejeu des revendications/ngociations. Ellebrise le respect tout dmocratique dupouvoir car elle nattend rien de lui. Aucontraire, elle le prend directement pour

    cible et uvre ne plus en dpendre aussibien matriellement que politiquement. Desurcrot, le type de solidarit quelle inventeet quelle requiert dpasse lentraideponctuelle qui se fait jour chaque foisquune lutte se dveloppe. Le message estsimple : ce quune poigne dindividus peutfaire (saccager une agence dintrim, squatterune maison, faire un potager collectif,faucher un champ dOGM, saboter son outilde travail, faire dgnrer une grve, etc.)

    nimporte qui peut le faire son tour. Lamultiplication des tels actes ports par uneremise en cause profonde des conceptionscommunment admises est en toutdiffrente du travail militant qui vise avanttout dvelopper une organisation. Enfin,nous ne pensons pas que lapathie gnralequi rgne dans nos contres puissesexpliquer par un manque de conscience.Chacun dentre nous est apte prendre lamesure de ltat actuel du monde. Tenter de

    convaincre ceux qui croient encore auxmensonges ou qui sillusionnent sur unehypothtique amlioration de leur tat est unsport rserv aux militants. Nous navonspas assez dnergie dpenser l-dedans.

    Mais arrtons nous un moment surce point : nous pensons donc que leproblme ne rside pas tant dans laconscience mais plutt dans la confiance etdans la dtermination lutter. Sans doute lecapitalisme puise une bonne part de sa force

    dans son immense capacit mystifier sesvictimes. Cest ainsi quil rpand un normemensonge : il nous persuade que nousdpendons totalement de lui. La peur deperdre ce lien de dpendance sexprimeclairement dans la crainte du chmage etavec sa sur jumelle la dfense de lemploiet de lconomie. Ce faisant, il parvient faire de nous ses complices, sescollaborateurs. Pourtant, la vrit est toutautre, elle est mme inverse cet odieux

    mensonge : cest le capitalisme qui dpendde nous. Cette vrit, nous devons la clamer

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    10/12

    10

    sans relche, dussions-nous nous faireencore plus dennemis. Car elle nest pastoujours agrable, ni mme vidente, pourbeaucoup. Pour certains, elle est toutbonnement scandaleuse.

    Il serait pour autant erron de croireque notre lutte est litiste ou avant-gardiste.Cest bien au contraire le militant qui veutconvaincre qui endosse un rle davant-garde. En ce qui nous concerne, nousagissons pour notre propre compte et neparlons pas la place dautrui. Chacun peutdisposer sa guise de ce que nous semonspar le geste, la parole ou lcrit, et tant pispour ceux qui ne veulent pas comprendre !Les litistes sont ceux qui prtendent

    expliquer les choses aux autres. Nousdveloppons nos analyses et les soumettons la confrontation sans souci de mnager quique ce soit, y compris ceux qui sontsusceptibles de nous rejoindre. Ce nest pasen arrondissant les angles que noustrouverons nos allis.

    Notre stratgie implique donc quenous soyons en mesure de saisir la moindreopportunit se prsentant nous. Celasignifie que nous sommes porteurs dune

    volont de rupture dans le train-train

    quotidien qui doit pouvoir sexprimernimporte quand. Notre avons dit que notrevie devait tre la guerre contre la dominationce qui entrane pour consquence que nouscassions la routine et les habitudes qui nousenferment dans ce monde. A la diffrencedu militant qui est toujours dispos concder lennemi un peu de terrain et composer avec les plus tides, nousprfrons encore trancher. Nous navonspersonne sduire ou convaincre.

    Nous avons cess dattendre, nousnous organisons et comptons bien menernotre barque l o nous le souhaitons, entous les cas, en vitant les voies qui mnentassurment au naufrage et au dsastre.

    Actualits rgionales

    Notre rgion la Haute-Normandie est touche par une nouvelle vague de fermeturesdusines, donc de licenciements, qui donnent lieu des manifestations. Dans la rgion deDieppe, nous avons vu le patron de Palace Parfums profiter des vacances de ses employs pourdmnager son usine sans prvenir personne. A Rouen, cest lusine Yorkshire, qui produit entreautres choses des colorants chimiques, qui ferme ses portes.

    Dans le premier cas, tout le monde sentend pour vilipender le patron-voyou(quel douxeuphmisme Parce que bien videmment, les autres patrons sont honntes, eux !) Maispersonne ne fait le lien avec cette autre actualit : les parfums, et plus gnralement les produits

    cosmtiques, seraient nocifs pour la sant. Personne ne dit combien lusage de tels produitstmoigne des comportements les plus imbciles de la part dune population qui a peur des effetsesthtiques du vieillissement et qui prfre encore sentir la rose quitte sintoxiquer encore unpeu plus.

    Voyez comme cette situation est pathtique : on court aprs son emploi, on exige un plansocial qui ne rglera srement rien. Personne ne dit combien la fermeture de telles usines estsalutaire. Gageons que dici quelques annes, quand le nombre de travailleurs malades de leurtravail aura grandit, les tribunaux seront saisis afin de compenser financirement la dgradationde ltat de sant de ces salaris. Quauront-ils gagn en termes dautonomie ? Rien ! Les parfumset les colorants seront fabriqus en Chine ou au Maroc et continueront empoisonner la foisceux qui les produisent et ceux qui les consomment.

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    11/12

    11

    Lutte anti-nuclaire

    Nous avons dj eu loccasion de parler dun collectif anti-nuclaire qui sest constitu lasuite de la manifestation nationale ayant eu lieu Paris en janvier 2004. Nous faisons partie de cecollectif dont lorientation et lorganisation sont libertaires. Il regroupe des groupes et des

    individus soucieux de poursuivre une critique radicale de lindustrie nuclaire tant civile quemilitaire, ainsi que de la socit qui la produit et quelle contribue en retour transformer. Noussouhaitons nous mettre en porte faux par rapport au Rseau Sortir du Nuclaire qui prtendtre seul en mesure daborder ces problmes. Outre le fait que la plupart des grosses cylindresqui animent ce rseau soient tout simplement infrquentables (les Verts ou Greenpeace parexemple), la stratgie mdiatique et la volont de co-grer la question nuclaire avec lEtat nousrebute au plus haut point. Nanmoins, il convient de signaler combien cette question est dlicate, commencer par les risques normes quelle fait encourir lensemble des populations. Cest laraison pour laquelle nous souhaitons intervenir sur ce thme. Si vous souhaitez tre mis enrelation avec des membres de ce groupe afin dorganiser des actions, des runions publiques ouafin de diffuser nos rflexions, vous pouvez crire au bulletin ou bien directement ladresse

    suivante :Collectif contre la socit nuclaire 21ter rue Voltaire 75011 Paris.

    ----------

    En ces temps de morne obscurantisme

    l'intelligence est un exercice rvolutionnaire.

    Nous devons apprendre lire les nouvelles

    formes de la domination. L'Empire est un projet

    totalitaire, une hypothse qui voudrait rduire le

    rel sa mesure, en habitant tous les rapports, soi-mme,aux autres et au monde.

    Trop d'anciennes forces contestataires, pour

    n'en avoir pas compris les ressorts, pour n'avoir rien

    saisi aux mcanismes du spectacle et du biopouvoir,combattent des mirages et sont devenues

    inoprantes, ou pire, paralysantes pour toute forme

    de contestation relle.

    Comprendre qu' une nouvelle

    domination doit correspondre une nouvelleforme de lutte, savoir distinguer ce qui

    affaiblit une puissance de ce qui n'est que le

    prtexte son renforcement prventif, c'estaussi bien ce qui permet de prendre place

    dans une lecture forcment PARTISANE

    du prsent, de se constituer en force

    autonome au sein de la situation.

    La neutralit n'est qu'un confortable mythe.

  • 7/31/2019 trop courber l'chine N15

    12/12

    12

    O trouver A trop courber lchine ?

    A Rouen:-Librairie Elisabeth Brunet 70 rue Ganterie 76000 Rouen-A loccasion des banquets organiss dans le hall de la facult de sociologie Mont Saint Aignan

    et qui ont lieu en gnral le jeudi.

    A Paris :Librairie Actualit 38 rue Dauphine 75006 Paris

    A Grenoble :Infokiosque Squat des 400 Couverts Traverse des 400 Couverts 38000 Grenoble

    A Nancy :La Casbah 20 rue Villebois Mareuil Quartier Mon Dsert

    Algrie, printemps 2001

    Pour soutenirA trop courber lchine

    Vous pouvez envoyer des timbres, des enveloppes, des sous (chques lordre de STA

    Rouen CCP 6 591 39 J) mais aussi vos ides, vos tracts, journaux, dessins et autres. Echange depublication bienvenu. Si vous connaissez des lieux ou des librairies dans lesquels ce bulletin peuttre dpos, faites-le nous savoir.

    Toute reproduction de ce bulletin, partielle ou intgrale, avec ou sans mention de lorigine, estune contribution sa diffusion et est donc vivement encourage.Pour tout contact, une seule adresse :

    A trop courber lchinec/o STAB.P. 1021

    76171 ROUEN cedex 1France