A mon frère Michael, qui a toujours empli notre maison de...
Transcript of A mon frère Michael, qui a toujours empli notre maison de...
AmonfrèreMichael,quiatoujoursemplinotremaisondemusique,dejourcommedenuit.
«Lamusiqueestcequiunitlesdifférentespartiesdenotrecorps.»ANAÏSNIN
Prologue
MusicFestd’Austin—5ejour
C’estdanscegenredemoments,lorsquemonarchetcourtsurlescordescommes’ilétaitdouéderaison,quej’ail’impressiond’êtrecapabledevoler.Commesijelaissaisderrièremoilascène,lepublicetmêmelemonde,etquejem’élevaisàunplansupérieur.
Le bruit assourdissant de la batterie deGavin résonne dansmes oreilles, en rythme avec lesbattementsdemoncœur.LesnotesquimontentdelaguitaredeDallasformentunfluxquicouledansmesveines,telleunerivièrequimetransportedepartetd’autredelascène.Lesonmefaitdécoller,flotter, tandisque je jouecommesimavieendépendait.Lamusiquecirculeautourdenousetelleentreenmoi,allumantlamoindrefibredemonêtrejusqu’àcequetoutmoncorpss’embrase.
Les spectateursque j’aperçoisdansmonchampdevision se fondentdansunhalode lumièrebleueetrouge.Sijen’étaispasentraindejouer,lescouleursmedistrairaientsûrement,maisjesuisconcentrée.Jenefaisqu’unavecmoninstrument,etlamélodiequej’entirefaittellementpartiedemoiquej’ail’impressionquec’estmonâmequejetienssurmonépaule,aulieudemonfiddle1.
Avec notremusique, le public embarque sur desmontagnes russes vertigineuses.Dallas aimecommenceretterminerchaqueconcertsurdeschansonsrapidesetjouerlesmorceauxpluslentsverslemilieu.WhiskeyRedemption retentit après une série de reprises de tubesR’nBqui a emballé lesspectateurs.OnenchaînesurRingofFireavantdepasseràunechansond’Adele,puisonentonnetouslestroisLoveRunsOut.
Machansonpréféréearriveensuite,etjesuistotalementélectriséependantqu’onlajoue.C’estunmixdedeuxchansons,l’uneappeléeWhatDoYouWantfromMeetl’autreBeneathYourBeautiful,qu’on a modifiées pour leur donner un style qui nous ressemble. C’est notre reprise la plustéléchargée en ligne. Il m’a fallu une éternité pour convaincre Dallas de la faire et encore pluslongtempspourparveniràlaversionfinale,maislesnuitspasséesàtravaillerontfiniparpayer.Avoirl’expressiondesgensdanslepublic,çavalaitlecoup.
On joue la chanson à boire préférée de Dallas (il l’a composée lui-même), puis notre sets’achèvesurnotretoutedernièreversiondeWhenYouLeaveAmarillo.Lesapplaudissementssontsiassourdissantsque jepeux sentir toutmoncorpsvibrer. Jedéborde tellementd’adrénalineque j’aitouteslespeinesdumondeàreprendremonsouffle.Onsaluelafouleetonremercielepublicleplusnombreuxet leplusenthousiastedevant lequelonait jamais jouéavantdenouséclipser.Jenesuismêmepassûrequemespiedstouchentlesoltandisqu’onregagnelescoulisses.
Untypeencostumealpagueimmédiatementmonfrèreetl’entraîneàl’écartpourdiscuter.Sansdouteunmanagerpotentiel.Gavinestderrièremoi,siprèsquejeressenssonexcitationpresqueaussinettementquelamienne.Jemetourneverslui.
—C’étaitgénial.Jemedemandesicen’étaitpasencoremieuxquelesexe.Ilarrêtede joueravecsesbaguettesetmedévisage fixement.Son regardnoisette s’assombrit
alorsqu’ilmepoussedanslecouloir,horsduchampdevisiondemonfrère.Aveclalumièretamiséedescoulissesquisereflètedanssespupilles,ilapresquel’aird’unêtre
mystique venu d’un autremonde.Une voix présente le groupe suivant aumicro, etmon frère estquelquepart,entraind’échangerunepoignéedemainquivapeut-êtrechangerlecoursdenotrevieàtous.Maispourlemoment,làoùjesuis,riendetoutçan’ad’importance,carGavinGarrisonmefaitl’amourduregardetjeneveuxsurtoutpasqueças’arrête.Jamais.
Ilbaisse la têteetses lèvressontàpeineàquelquesmillimètresdesmiennes.Lesmotsquiensortentfontbattremoncœursivitequej’aipeurdefaireunarrêtcardiaque.
—C’étaitgénialparcequetuétaisgéniale.Etsi tucroisqueça,c’étaitaussibienquelesexe,alorslesminetsquetut’esenvoyésnedevaientpasêtretrèsdoués.
1.Sortedeviolon(NdE).
1
Ilyatoutuntasdechosesàdiresurlesexepost-rupture.Pasdepression.Pasd’inquiétudesicen’estpasparfait.Donne-moiundernierorgasmes’il te
plaît,merci,aurevoir.Jetesouhaitelemeilleur,oupas.Vaenpaix.Nonpasquejesoisuneexperte,loindelà.Jen’aicouchéqu’avecuneseulepersonne.Cedontje
suissûre,enrevanche,c’estquenotredernièrefoisétaitaussilameilleure.DanslecasdeJaggerdMcKinley,c’étaitsiréussiquej’ensuisvenueàenvisagerdemeremettre
aveclui,justepourqu’onpuisserompredenouveauetremettreçaunedernièrefois.Ilestvraimentdouéde sesmains, etpasuniquementpour réparerdesvoitures.Un talentqu’ilm’acachépendantl’annéequ’adurénotrerelation.
—Dixie,çafaitdeuxfoisqueturatesl’intro.Lavoixdemonfrèremefaitsursauter.—Tupeuxteconcentrerunpeu,s’ilteplaît?Onpaieàl’heure,jeterappelle.—Pardon.Jeme sens rougir sous son regard inquisiteur et celui deGavin.D’habitude, c’est lui qui est
distraitetquiseplante.Engénéral,c’estparcequ’unenanaaattirésonattentionouluiajetésapetiteculotte—quiabiensûratterriauboutd’unedesesbaguettes.Et,danscescas-là,c’estluiquemonfrèrefusilleduregard.
—Toutvabien?medemandeGavin,l’airanxieux.Jesaisàquoiilpense.Leweek-enddernier,onajouéauMidnightRodeo,uneboîteducentre-
ville. Jaggerd, celui qui est désormaismon ex, n’a jamais particulièrement soutenu notre groupe,LeavingAmarillo,maisils’étaitdéplacécettefois…etilaeulabonneidéed’arrivercomplètementsoûl.Gavinetmonfrèreontfailliluifaireunetêteaucarréavantquelesvideursnelemettentdehors.Dugrandspectacle.
—Oui,çava.Désolée.Onrecommence.Je fais roulermes épaules pourme détendre et placeOz,mon fiddle, surmon épaule droite.
Deuxmesuresaprèsledébutdumorceau,lamusiqueautourdumois’arrêtebrusquement.—BonDieu,Dix.Dallasadesmitraillettesàlaplacedesyeuxet,pasdechance,c’estmoilacible.Jepousseun
énormesoupirenbaissantmonarchet.—Désolée.J’inspireprofondémentetleuradresseunpiteuxsourired’excuse.—Jevaisyarriver,promis.Onreprend.
—Tuasdormiunpeulanuitdernière,aumoins?demandeDallas.Sonregards’estadoucietjesuispresqueétonnéepartantdesollicitudedesapart.Cen’estpas
dansseshabitudes:lorsqu’onrépète,c’esttoujourslamusiquequipasseenpremier.Jenesaispassicesontlescernessousmesyeuxquil’inquiètent,souvenirsdeslonguesnuitspasséesàveillermongrand-père, ou si c’est ma rupture. En tout cas, il paraît décidé à attendre que je réponde pourreprendre.
—Oui,net’enfaispas.Jevaisbien,jet’assure.Onyretourne.Jemeforceàluisourire,jerelèvemonarchet,etonjouelamoitiédenotresetsanslamoindre
interruption. Je lutte contre la fatigue et contre les souvenirs douloureux qui m’assaillent. Dessouvenirsquisontloind’êtretousliésàJaggerd.Heureusementquejejouedepuisdesannées.Moninstinctprendledessusetmonarchetvolesurlescordes.
—Mortel ! s’écrieDallasen tapantdans lamaindeGavinquandon fait enfinunepause.Ça,c’estdelarépète!
Ilsouritdetoutessesdentsetjenepeuxm’empêcherdel’imiterenlevoyantsienthousiaste.Jemesensdixfoispluslégèred’avoirjouéet,surtout,devoirmonfrèresifier.
—Tupensesqu’onestprêtspourNashville?—On tient le bon bout, petite sœur. Bon, on reprend depuis le début deRing of Fire et on
enchaînejusqu’àlafinduset.Je lève lesyeuxaucielen l’entendantm’appeler«petitesœur».J’aibeauavoirdix-neufans,
Dallascontinueàmetraitercommesij’enavaisdouzeetcommes’ilétaitmonpère.Ilfautavouerque ça lui est arrivé plusieurs fois de jouer ce rôle, depuis que nos parents sont morts dans unaccidentdevoiturequandonétaitpetits.
Le regard deGavin croise lemien, et il hoche la tête pour s’assurer que je suis prête avantd’attaquer l’intro de la chanson suivante. Mon cœur fait une espèce de petite pirouette, comme àchaquefoisquenosyeuxserencontrentpendantplusd’uneseconde.Cequin’arrivepastrèssouvent,d’ailleurs.
C’est toujours pareil : un regard un peu appuyé, et je voyage dans le temps pour remonterjusqu’ànotrepremièrerencontre.
GavinGarrison,notrebatteuretlemeilleuramidemonfrère,estlepremiergarçonpourquij’aieuuncoupdecœur.Depuislemomentoùilestapparusurleperrondemesgrands-parents,avecsesvêtementsdéchirés,sescheveuxenbataillequiavaientsérieusementbesoind’unecoupeetsonairdechiotabandonné,noussommesrestésinséparables,touslestrois.
C’était le jour des funérailles demes parents et la journée avait été surréaliste, avec tous cesgens qui marchaient sur des œufs autour de nous, qui nous offraient des cookies et du thé… Laplupartd’entreeuxétaientdesétrangers,mais ils faisaient toutcequ’ilspouvaientpournous faireoublierlefaitqu’onétaitsoudaindeuxorphelinsdeneufetdouzeans.
AvecDallas,onétaitassissurlabalancelleduporche,onneparlaitpas.Cen’étaitpascourantpourmoi:j’étaisunevraiepipelette,entempsnormal.Maislechocetlatristesseagissaientcommeunbâillonquim’empêchaitd’ouvrirlabouche.
Gavinestarrivé,ilaobservélahordedegensquientraientetsortaientdelamaisonetils’esttournéversnous.
—Ilyaunefête?a-t-ildemandésansseprésenter.J’airegardémonfrère,enquêted’uneréponse.Aprèsunsilence,Dallasasecouélatête.—Unenterrement.Nosparents.Gavins’estpasséunemaindanslescheveux,malàl’aise.
—Oh…Merde.Avantça,jen’avaisjamaisentenduquelqu’unemployervolontairementcemotàvoixhaute.Un
frissond’excitationm’aparcourueetmoncœurs’estmisàbattreplusvitedansmapoitrine.Cequiétait étonnant, vu que, depuis que tante Shelly nous avait annoncé que nos parents étaient morts,j’avais plutôt l’impression qu’il était perpétuellement sur le point de s’arrêter en signe deprotestation.
—Çavousditd’allerpéterdestrucs?aalorsdemandéGavin.Une fois encore, je m’en suis remise à mon frère, en proie à un mélange de panique et
d’exaltation.Maisintérieurementjelesuppliais:Disoui.—Pourquoipas,aditDallasendescendantdelanacelle,commesic’étaitdansnoshabitudesde
suivredesgaminsinconnus.Ons’estprésentésetGavinaserrémamaincommelefaisaientlesgrandespersonnes.Jepeux
jurer sur ce que j’ai de plus cher que j’ai ressenti une décharge dans le bras et que ses yeux ontsemblé s’illuminer. Je me suis figée et mon frère a plissé les yeux en nous considérant d’un airsuspicieux.
—Qu’est-cequetufaisaisici?Pourquoituescheznous?—Euh…Gavin a lâchémamain. Son expression s’est assombrie et il s’est gratté la tête en regardant
autourdelui,commeenquêtedelasortiedesecourslaplusproche.—Jecherchaisquelquechoseàmanger.Jemesuisditqu’ilyauraitdelanourritureàunefête.
***
Lesondelabatteriefaitvolermonsouvenirenéclats.Monsoloapprocheetjesuisramenéedeforcedansleprésent.JelèveOzetjouemapartitionjusqu’àcequeDallashochelatête.Ilal’airdesesatisfairedufaitquejenemesoispastotalementplantéecettefois,mêmesijesuissûrequ’ilsentque je suis toujours distraite. Je profite dumoment où il attaque le premier couplet de la chansonqu’onaécrite,àproposdupasséquiestbienplusqu’unsimplesouvenir,pourglisserunregardendirectiondeGavin.
Il abeaucoupchangépar rapportaupetitgarçonmaigreet timidequ’il était.SonT-shirtgrisfoncélaissedevinerdesmusclespuissantsetsesbrassontrecouvertsdetatouages.Iljouecommesisavieendépendaitetjesuisincapabledelequitterdesyeux.
Il est différent. Plus… intense. Et aussi, sa qualité de vie s’est sensiblement améliorée,comparativementàcequ’elleétaitquandilavaitdixans.Iln’estpluscetenfantquidoitsedébrouillerseulpoursurvivre,maisilyatoujourscetteespècedefaimenlui.Unmanque,unbesoinprofondetsombrequiravagemonâmeetmoncorpsàchaquefoisquejeplongedanssesyeuxbrûlants.
—Cinqminutes de pause, déclareDallas à la fin de la chanson. J’ai quelques coups de fil àpasser.
Ilmelanceunregarddustyle«Jeteconseilledetereprendre»etjequittelapiècesansunmot.J’attrapeunebouteilled’eauetjemedirigeversl’escalierquiconduitautoitpourprendrel’air.Endépitdemeseffortspournepaslaisserlepassém’emporter,lesouvenirdecettejournéeoùGavinestentrédansnosviesmepoursuit.
Ce jour-là, il y a dix ans, je suis rentrée en courant dans la maison et j’ai attrapé autant desandwichs, de canapés, de brownies et de cookies que possible. Les bras chargés, je suis ensuite
ressortieaupasdecourseparpeurqu’ilspartentsansmoietj’aifaillim’étalerdetoutmonlongsurleperron.
Heureusement, ils étaient toujours là. Je leur ai donnémon stock de provisions et jeme suisfourréunbrowniedanslabouche,pourqueGavinn’aitpasl’impressionquejeluifaisaislacharité.Aucoursdesquelquesjoursquis’étaientécoulésdepuislamortdemesparents,j’avaiseumadosede témoignages de sympathie éplorés et ils m’avaient tous laissé un goût plus qu’amer dans labouche.Onseressemblait,luietmoi,jelesentais.Alorsjen’aipasposédequestions,jen’aipasfaitde commentaires sur ses vêtements et ses cheveux sales, et je ne lui ai pas demandé pourquoi iltraînaitenvilletoutseulenquêtedenourriture.
Onamangéenmarchantjusqu’àunparkingabandonné.Là,onapasséuntempsfouàbalancerdesbouteillesdebièrevidescontreunmurenbriques,jusqu’àcequejenepuisseplusleverlebras.
Chaqueexplosiondeverremeramenaitàlavie.Ellefaisaitremonteràlasurfacedesémotionsquej’avaisenfouiestrèsprofondément.Lemondeétaitdevenugrisdepuislamortdenosparents,etcen’étaitpasjusteuneimage.Chaquejournéeavaitapportésonlotdenuagesetdepluiedepuisqu’onétait arrivés dans ce coin du Texas. Mais « péter des trucs », comme disait Gavin, ravivait lescouleurs,commesilesoleilperçaitàtraverslesnuagesquiobscurcissaientlecieltexan.Çafaisaittellementdebien.Tropdebien:mêmeàneufans,jemesentaisaffreusementcoupabled’êtrepartiem’amuseralorsquec’étaitl’enterrementdenosparents.
—Putaindemerde!Jamaisjen’avaisprononcédetelsmotsàhautevoixmais,enlescriant, j’espéraisévacuerun
peudetristesseetdecolère.Dallasacontinuéàjeterdesbouteilles,maisGavins’estarrêtépourm’observer.J’aifiniparme
laisserglisseràgenouxsurlesol,levisagedissimuléauregarddesgarçonsparmeslongscheveux,etj’aipleuré.J’aipleuréàchaudeslarmespourlapremièrefoisdepuisqu’onavaitapprisledécèsdemesparents.Auboutd’unmoment,lebruitdeverrebriséafiniparcesser.
—Jet’interdisdelatoucher.Lavoixdemonfrèreétaitlourdedemenaces.J’airelevélatêteetvuqueGavinétaitàquelquespasdemoi.Apparemment,ilavaitvoulume
réconforter,maisl’avertissementdeDallasleclouaitsurplace,àprésent.Lesgravierss’enfonçaientdansmesgenouxetmespaumes,maisjenevoyaisquelesémotionscontradictoiresquidéfilaientsurlevisagedeGavin.Ilavaitenviedem’aider,maisiln’osaitpasm’approcher.
—Ellevabien.Tuveuxqu’onsoitamis?D’accord.Maistunelatouchespas.Jamais.Relève-toi,DixieLeigh,aalorsditDallasd’unevoixplusdouce.Onrentreàlamaison.
Lamaison.Tu parles. Lamaison était unemaison de briques en banlieue, à une demi-heured’Austin,oùonfaisaitduvéloetoùonjouaitavecnosamis.Lamaisonabritaitnotremèreetnotrepère,ellesentaitlespancakesaupetitdéjeuneretellevivaitaurythmedesdessinsaniméslesamedimatin.Saufque,désormais,onallaitvivredansunevieillebaraquebranlantesanstélévision,avecunporche qui tombait en ruine, dans une rue crasseuse d’Amarillo, avec des gens qu’on ne voyaitnormalementquependantlesvacances.
Lamaisonétaitmorteenmêmetempsquenosparents.Onn’yretourneraitplusjamais.
***
L’escaliermétalliquegrincesousmespasetjeprendsunegrandeinspirationenarrivantsurletoit.LecielduTexasestpeuplédenuagesaujourd’hui,exactementcommeill’étaitilyadixans.
D’unecertainefaçon,etmêmesiDallas,Gavinetmoin’erronsplusdanslesruellesd’Amarillo,nos vies sont toujours les mêmes. Sauf qu’on parcourt le Texas à bord d’Emmylou, une vieilleChevroletExpress qui nous transporte, nos instruments et nous, de concert en concert, pour jouernotremusiquedevantquiconqueveutbiennouspayer.Mêmesi,parfois,onnousrémunèrejusteennourritureetenpourboires.
JejouedufiddleavecLeavingAmarilloetjesuisdouée.Sidouéequ’engénéralchacundenosconcertsdébuteparunsolodefiddlepourcapterl’attentiondupublic.Onacommencéàjouerdansl’abride jardindemesgrands-parentsquand j’avaisquinzeans,maisc’est seulementquandonestarrivéstroisièmesàunconcoursmusicalqu’onaofficiellementlancénotregroupe.J’étaisencoreaulycée à l’époque. Malheureusement, au moment où on s’est rendu compte que Leaving Amarillopourraitêtreplusqu’unpasse-temps,j’avaisdéjàacceptéuneboursed’étudespourunedesécolesdemusiquelesplusprestigieusesduTexas.
Cequim’avaludepasserunsemestreetdemi,l’andernier,àlaShepherdSchoolofMusicdeHoustonpourysuivreuneformationdeviolonisteclassique,quidevaitmeconduiredroitàunefossed’orchestre. Quand notre grand-père a eu une attaque cardiaque au début du printemps, je suisrevenueàlamaisonpourm’occuperdelui.Unefoisqu’ilaététotalementremissurpied,DallasetGavin ont accepté que je participe à quelques concerts avec eux, puis à d’autres.On commence àpercer,maintenant,etj’espèrequejen’auraiplusjamaisàenfilermonuniformenoirpourmefairetrimballerd’unefossed’orchestreàuneautre.Mais,siunmanagerdignedecenomnenousapasproposédecontratd’icilafindel’été,jedevraireprendrelechemindel’écoleàl’automne.
Jene saispas combiende fois j’aidit àmon frèreque je suffoquaisdèsque j’étaisdansunefossed’orchestre,mais il s’estmontré intraitable : ilneme laissera jamaisabandonnermaboursepourparcourirlepaysdansunvanavecluietGavinetgagnerdescacahuètes.Apartlamusique,jen’aipasbeaucoupdepossibilitésentermesdecarrière.Sijelaissetomberl’écoleetquelegroupeéchoue,jerisquedepasserlerestantdemesjoursàdemanderàdesinconnuss’ilsveulentunepartdegâteauavecleurcafé.
Mesyeuxbalaientlecentre-villed’Amarilloetjesenslepoidsdutempsquipassepesersurmoi.Ilmeglisseentrelesdoigts,tropvitepourquejeparvienneàleretenir.
J’adresseuneprièresilencieuseànosparents,ouàquiconquem’écoute,etjelessuppliedemedonnerunechance.
S’ilvousplaît…Parpitié,laissez-nousvivrenotrerêve.
2
—Qu’est-cequelespetitsoiseauxracontent,aujourd’hui?La voix de Gavin vient interrompre ma rêverie. Je me tourne vers lui et m’appuie sur la
balustradeauborddutoit.—Beaucoupderagots.Ilyauraitdequoienfaireunechanson.Ilregardebrièvementpar-dessuslereborddelabalustradeetfaitlagrimaceavantd’yposerles
coudes.Ilatoujourseuunpeulevertige.MaisGavinGarrisonn’estpasdugenreàlaissersespeursl’empêcherd’allerdel’avant.
—Ahoui?Préviens-moiquandtuaurasécritlesparoles.Monregardseposesursesbras tatoués,glissesursontorsemusclé,puisremonte le longde
son cou et de la ligne de samâchoire.Desmèches sombres de cheveux bouclés dépassent de sonbonnetgris. Ilaune fossettepresque invisibleauniveaudumenton,assortieàcellequinaît sursajoue droite quand il sourit. Si vous saviez ce que ça me fait quand il sourit et que la fossetteapparaît…Monpoulss’accélèrerienqued’ypenser.
Jemerendscomptequ’ilmefixebizarrement,commes’ilattendait.Ahoui…Dequoionparlaitdéjà?
—Teprévenirquandquoi?Lorsqu’onjoue,c’estélectrique :onsecomplèteà laperfectionet l’harmonieest totale.Mais
retirezlamusique,lebruitetlemurqueconstituemonfrèreentrenous,etjedeviensaussispirituellequ’une endive face à lui. A croire que l’arrivée de Gavin sur le toit a anéanti mes facultésintellectuelles.
—Quandtuaurasécritlesparoles,préciseGavin.—Ah.Oui,biensûr.Jetetiendraiaucourant.—Ecoute, je sais que tu es contrariée d’avoir rompu avec l’autre abrutimais, crois-moi, les
mecscommeluine…—Çan’arienàvoiravecJaggerd.A la secondeoù lesmots sortentdemabouche, il fronce les sourcils et je regrettedenepas
avoirmenti.Ç’auraitétébienplusfaciledeprétendrequec’étaitmarupturequimeperturbait.—Oh.Tantmieux,alors.C’estjustequetuavaisl’airdistraiteetDallasestplussurlesnerfsque
d’habitude.—Papyaeuquelquesnuitsdifficileset…çafaitdixansaujourd’hui,dis-jedoucement.Ilfroncelessourcilsencorepluset,àsonexpression, jevoisbienqu’ilnesaitpasdequoi je
parle.
—Nosparents.Çafaitdixansqu’ilssont…—Bonsang,jesuisdésolé.Jen’yaipaspensé…Quelcon.Il a l’air tellementmal que j’oubliemapropre tristesse, prise d’un besoin irrépressible de le
réconforter.IlaLeRegard,commej’aicommencéàlesurnommer.Celuiquidit:«J’aimeraistellementte
consoler,t’emmeneraulitetfaireensortequetoutaillemieux,maistonfrèremetueraitsijeposaislamainsurtoi,alorsjerestedeboutàcôtédetoi,àmedandinersurplacependantquejeréfléchisàquoifairedemesbras.»
—Çane fait rien, dis-jepour abréger ses souffrances.Çamepèseplusqued’habitude, c’esttout.
Cequ’ilnesaitpas,c’estqueLeRegardme réconforte, en réalité.Carmêmes’il nepeutpasm’entourer de ses bras, s’il ne peut pas me murmurer des mots doux à l’oreille ou adoucir matristesse avec des baisers—oumême plus—, ses yeuxme disent qu’il aimerait bien.Et, pour lemoment,çamesuffitdelesavoir.Mêmesij’ignorecombiendetempsçamesuffira.
Gavin sort un paquet deMarlboro rouge de sa poche et je le fusille du regard en le voyantattraperunecigarette.
—Jecroyaisquetuavaisarrêté?—Jenepeuxpasmepriverdetout,Bluebird.J’aibeauêtrepassablementirritéedelesurprendreentraindefumer,unevaguedechaleurme
submergequandj’entendslesurnomqu’ilmedonnedepuisqu’onestenfants.L’étédemes treize ans,Dallas etGavin tondaientdespelousespour se faireunpeud’argent.
DallaséconomisaitpouracheterunvanetGavinvoulait…Jenesaispastrop,enfait.Jesupposequ’ilenavaittoutsimplementmarredenepasêtreenmesuredesubvenirseulàsesbesoins.Çalegênaitd’accepterl’aidedepapyetmamie,mêmes’ilslefaisaientdeboncœur.
Quantàmoi,jevivaisenpleinentre-deux:j’avaislecorpsd’unefemme,maisencoremonâmed’enfant,etjemesentaissoitlesdeuxàlafois,soitriendutout.
Unjour,mamiem’aenvoyéeprévenirlesgarçonsqueledînerétaitprêt.J’auraispuyallerencourant,mais jenevoulaispasêtreensueuravantdepasserà tableavecGavin,alors j’aimarchéaussilentementquepossible.Lesmainsdansantdanslabrise,j’essayaisdenepasmelaisserdistraireparlesfleursquej’étaistentéedecueillir.
J’aifinipararriveràl’étangdelafamilledeCamillaBaker.Lesgarçonssetenaientl’unàcôtédel’autreetilsavaientlesyeuxrivésausol.Pensantquel’und’euxs’étaitblessé,qu’ilsaignait,qu’ilavaitlaisséunorteil,oucarrémentunpied,danslatondeuse,jelesairejointsencourant.
—Chut,aditDallasenlevantunbraspourm’empêcherdemarchersurcequ’ilsobservaient.Jepensequ’ilestencoreenvie.
—Qu’est-cequiestencoreenvie?Leurimmobilitémefascinait.Ilsétaientplutôtdugenreànepastenirenplace,d’habitude.—Regarde,aditGavinenmontrantlesol.Sapoitrinebouge.Ilrespireencore.J’ai frissonné en songeant qu’il s’agissait peut-être d’un rat ou d’une autre bestiole dumême
genre,maisj’aiquandmêmeregardé.Là,prèsd’unetouffedefougères,setrouvaitunpetitoiseauavecdesplumesbleues.Sarespirationétaitrapide,maisilnebougeaitpas,etjemesuisbaisséesansréfléchirpourleramasser.
—Non!acriéGavin.Arrête.Ilnefautsurtoutpasletoucher.—Pourquoi?Ilabesoind’aide.
Il a secoué la tête etm’a dévisagée d’un air terriblementmalheureux, un air quim’a hantéependantdesannées.
—C’estpeut-êtreencoreunbébé,etsisamèresenttonodeursurlui,ellenevoudrapluss’enoccuper.Ellel’abandonneraetilnepourrapassurvivretoutseul.
C’est marrant, les détails dont on se souvient parfois. Je me souviens qu’on a longuementdébattu,maisj’aioubliélesargumentsdechacun.Jeseraisincapabledemelesrappeler,mêmesimavieendépendait.Enrevanche,jemerappellel’expressiondeGavinetjemerappellequec’estlàque,pourlapremièrefois,jemesuisrenducompteàquelpointsavieétaitdifférentedelamienneoudecelledeDallas.
Biensûr,onétaitorphelinsetonétaitpassésd’uneexistenceconfortableenbanlieueàunmodede vie bienmoins opulent.Mais, à la fin des longues journées d’été en compagnie de Gavin, onrentrait chez des gens qui nous aimaient. Qui nous offraient de bons repas, leur amour pour lamusique,descâlinsetdeslitspropresetaccueillants.ParfoisGavinrestaitdormircheznous.Parfoisnon.
Encoreaujourd’hui,jenesaispasexactementoùilallaitquandilnousquittaitpourrentrerchezlui.Maisjesaisquec’étaittrèsdifférentdelàoùjevivais.
Cejour-là,Dallasafinalementramassél’oiseauetl’atenublotticontresapoitrinependanttoutletrajetjusqu’àlamaison.Onalongtempsréfléchiàcequipouvaitêtrelacausedesadétresse,sansvraimentlatrouver.
Unefoisarrivé,Dallasaécartéunemaindesapoitrinepournouslaisserjeteruncoupd’œilànotrepatientblessé.Ilétaittellementpetit…tellementimmobile.
Unsanglotestmontédansmagorge.Lavieétaitdure,Dallasmelerépétaitconstamment.Onnepouvaitpaspassersontempsàpleurnichersansarrêt.
Mais l’injustice de voir l’existence de cette petite créature se terminer sans raison, c’était unchoc pour l’enfant que j’étais. Un rappel brutal que la mort était omniprésente, inévitable etimprévisible.Elleavait emportémesparents sanspréveniretplanait au-dessusdenouscomme lesnuagesdansuncieltexan.
Alorsqueleslarmescommençaientàmemonterauxyeux,lepetitoiseauaouvertlessiensetpoussé un cri perçant. C’était peut-être un cri de remerciement, ou de peur quand il s’est renducomptequ’ilétaitcaptifentrelesmainsd’unêtrehumain.Avantqu’aucundenousn’aitletempsderéagir,iladéployésesailesbleuesets’estenvolé.Onn’arienpufaireàpartlesuivredesyeuxdansleciel.J’avaisl’impressiond’avoirassistéàunmiracle.
Mamienousafaitrentrerdanslamaisonetonluiaracontél’histoire,maiselleasûrementcruàunefablequ’onseseraitinventéepoursedistraire.
Après ledîner,pendantmoncoursdepianoquotidien, j’ai tentéd’imiter lesifflementdupetitoiseau. Je n’étais vraiment pas douée et les garçons se sontmoqués demoi.Enfin, surtoutDallas.Gavin,lui,ajustesourienregardantsonmeilleurcopainfairedessingeries.Alafindemaleçon,onamangédelaglacedansdespetitspotsencartonsurlaterrasse,puisGavins’estlevépourpartir.Et,parcequej’avaisvusonexpressionetladouleurdanssonregardquandilavaitparlédelamamanoiseauquiabandonneraitsonpetit,jenevoulaispasqu’ils’enaille.
Commeilfaisaitnuit,papyaoffertdeleramenerchezluienvoiture,pendantquejerestaislà,àréfléchiràunmoyendelefairerester.MamieaforcéDallasàrentrerpourprendreunbainetpapyestalléchercherlafourgonnette.J’enaiprofitépourmerapprocherdeGavin.Levisagetournéversleciel,ilgardaitsesdistancesavecmoi,commetoujours.
J’aiprismoncourageàdeuxmainsetmurmuré,ensentantmesjouess’empourprer:
—Neparspas.Tupourraisresterici.Ceque jevoulaisdire en réalité, c’était qu’il aurait pu resterpour toujours,mais jene lui ai
jamaisdemandés’ilavaitcomprislavraiesignificationdemaproposition.Ilaposésurmoiunregardtristeavantdemefaireunclind’œil.—Net’enfaispas,Bluebird,çavaaller.Ilnefautpast’inquiéterpourmoi.Mais j’étais inquiète. Je le suis toujours. Et luim’appelle toujoursBluebird, « oiseau bleu ».
Maisseulementenprivéetjamaisdevantmonfrère.
***
Revenantbrusquementauprésent,j’arrachelacigarettequ’iltiententresesdoigts.—Oui,ehbien,jepensequetupeuxtepriverd’uncancer.Jebalancelacigarettedanslevide.—Çanevapasouquoi?—Legroupeneseraitpluslemêmesansbatteur.Etçanousprendraitdutempspourtetrouver
unremplaçant,onn’apasqueçaàfaire.Gavinplisselesyeuxavecunairquebeaucoupassimileraientàdelacolère,maisjesaisque,
dans le fond, il a enviede sourire. Il tente toujoursdeparaître taciturne et impénétrable.Çaprendpeut-êtreavec lepublicet toutescesfillesqui lui jettent leurpetiteculotteendentelle.Pourmoi, ilresteGav,legarçonquejeconnaisdepuistoujoursoupresque.Celuidontlamèreétaittropdéfoncéepour être capable d’éduquer son fils. « Eduquer » est d’ailleurs unmot bien trop ambitieux pourKatrinaGarrison:rienquelenourrir,c’étaittropluidemander.HeureusementqueGavinestfortetcombatifetqu’iln’ajamaiseubesoind’elle.
Lorsqu’onétaitplusjeunes,c’étaittoujoursluiquis’occupaitd’elle,quiluirappelaitdesefaireàmangeroumêmedeselaver.Quantàelle,elleétaitbientropoccupéeàtrouverdequois’achetersaprochainedosepouren faire autantpour lui.LeGavinque je connais a failli s’écrouler sousmesyeuxquandlabonneàrienquiluisertdemèreafrôlél’overdose.Alorscen’estpaslapeinequ’ilsefatigueàjouerlesgrosdursdevantmoi.
—D’accord.Tuasgagné.Ilfaitminederemettresonpaquetdanssapocheavecunsoupir,maisjetendslamainverslui.
Jeclaquedesdoigtsenluifaisantlegestedemeledonner,etilserenfrogne.—Bonsang,arrêteunpeu.Jeprometsdenepasfumerquandtueslà,voilà.Çateva?Cepaquet
m’acoûtésixdollars,Dix.Je hausse les épaules et le défie silencieusement de continuer à argumenter.Après toutes ces
années,ildevraitpourtantsavoirqueçanesertàrienqu’ils’obstine.Aprèsuneminutepasséeànousaffronterduregard,illèvelesyeuxauciel,exaspéré,etplacele
paquetdansmapaume.Jelebalanceimmédiatementpar-dessuslabalustrade.—Tupollues,jetesignale.J’espèrequetuesfièredetoi.—Fière de ne pas hériter d’un cancer des poumons causé par ton propre tabagisme, tu veux
dire.Et,sijepeuxt’empêcherderaccourcirtonespérancedeviedeplusieursannées,alorsjelesuisencoreplus.
Jelefusilleduregard,carc’estquelquechosequimemethorsdemoichezlui.Ilseraitprêtàtoutlâcherpourallers’occuperdesamèredroguée,etsiDallasoumoiavionsbesoind’unrein,ilserait le premier à vouloir nous donner un organe. Mais quand il s’agit de prendre soin de lui-même…Parfois,j’ail’impressionqu’ilessaiedeprendreunraccourcipoursespropresfunérailles.
—Oh!Jetemanquerais?Etvoilà. Juste aumomentoù jeme sensmalpour lui, il se fichedemoi.Parfois, jedoisme
retenirpournepasluienvoyermonpieddanslestibias.Mais,sijefaisaisça,jesaisquelapremièrechosequejeferaisensuiteseraitdetomberàgenouxpourm’assurerquejeneluiaipasfaittropmal.Et…sijemeretrouvaisvraimentagenouilléedevantGavinGarrison,jeneveuxmêmepasimaginerdansquelgenredepétrinjeserais…Alorsjemeretiensdelefrapper,pournotrebienàtouslesdeux.
—Biensûrquetumemanquerais.Iln’yauraitpluspersonnepourmefairec…—Ah, pas de grosmots,ma jolie !Qu’est-ce que ton frère dirait s’il t’entendait débiter des
obscénitéspareilles?Sonregardseposesurmaboucheet j’aibienl’impressionqueparlerd’obscénités luifaitun
certaineffet.Amoiaussi,d’ailleurs.Jemerapprochedelui.—D’accord.Tusaisquoi?Tunedisplusd’obscénitésetjetâcheraid’enfaireautant.Marché
conclu?—Hum…Jenesaispastrop.Jedoisreconnaîtrequec’esttrèssexydevoirdesgrosmotssortir
d’unesijoliebouche.Jenepeuxpasm’empêcherdesourired’unairsuffisant.—Lavéritééclateenfinaugrandjour.Tupensesquejesuissexy.—Tun’asaucuneidéedecequejepense.Ilponctuesaphrased’unclind’œil,maisiln’yapaslamoindretraced’humourdanssavoix.Il
setournedefaçonàappuyersondosetsescoudescontrelabalustrade.Est-cequec’estparcequ’ilneveutplusêtre faceàmoi? Jedétestenepasvoir l’expressionde sonvisage. Jepeux justevoir samâchoiretendue,toutcommelerestedesoncorpsd’ailleurs.J’ail’impressionqu’iln’arrivepasàsedécideràproposdenous.Ilyatoujourseuquelquechose.Uneconnexion.Maisplusonvieillit,plusçadevientcompliqué.
—C’esttoiquiledis,Gav.Jehausselesépaulesnonchalamment,commesijen’enavaisrienàfaire,saufqu’enréalitéje
suisàdeuxdoigtsdefondreàforced’êtresiprochedelui.Encoreunpeuetjeseraiscapabledelesupplierdemedirecequ’ilpensedemoi.Denous.Avantquemesdésirssecretsn’aient raisondemoi,jetournelestalonspourretourneràl’intérieur.
Maisjesuiscommejesuis,àsavoirtêtue,etjedétestecéderenpremier.Alors,avantdepartir,jeluiassèneuncoupquipourraitlefaireréfléchir.
—Oh!aufait,Gav…—Oui?Je le regardedans lesyeuxpourm’assurerqu’ilm’écouteetqu’ilvabien saisir laportéede
chaquemot.—Pourtoninformation,jenefondepasmesdécisionssurcequeditmonfrère.Ilpenchelatêtesurlecôtéetcroiselesbrassursapoitrine.—Vraiment?Vraiment.Contrairementàtoi.Lesmotssontsurleboutdemalangue,maisjeserrelesdents.Jesoutienssonregardet lutte
pourresterdroiteetgarderlatêtehautealorsquejen’aiqu’uneenvie:melaissertomberlatêtelapremièredansceregardquifaitbouillonnermonsangdansmesveinesàchaquefoisquejelesenssurmoi.
—Jeteretrouveàl’intérieur.
Mavoixn’estqu’unmurmureetjeprendslafuitesansmeretourner.
***
—OK.Oui,pasdeproblème.Et,encoreunefois,mercibeaucoup.Sincèrement.Sijepeuxfairequoiquecesoitpourtoi,tun’hésitespas,d’accord?
Dallas raccroche et ses yeux bleus se posent sur moi, qui suis en train d’appliquer de lacolophanesurmonarchet,puissurGavinquivientjustedenousrejoindre.Ilsourittellementqu’ilapresquel’airdérangé.
—C’étaitLeviEaton,annonce-t-il sansnous laisser le tempsde luidemanderàqui ilétaitentraindeparler.SongroupenepeutpasjouerauMusicFestd’Austin,lejoueurdesynthéacouchéaveclafemmeduchanteur.Enfinbref,ilsfontunbreak.
—Formidable,ditGavinavecunetouchedesarcasmedanslavoix.—C’estcarrémentgénial, tuveuxdire!Enfin,pasparcequ’un types’est tapé lafemmed’un
autre,maisparcequeçaveutdirequ’ilyauneplacequiselibèrepourjoueraufestival.LeMusicFestd’AustinestunfestivalmusicaldecinqjoursquisedéroulesurSixthStreet.C’est
le deuxième plus gros festival de la région. Ça ne paie pas desmasses,mais la visibilité est plusimportantequecellequ’onacquerraitenunandeconcerts,sicen’estplus.
Depuisqu’onacommencéàjouersérieusement,onatenténotrechancechaqueannée,maisonn’ajamaisréussiàêtresélectionnés.
—Alors,d’aprèstoi,onajusteàyallerenfaisantsemblantd’êtrelegroupedeLevi?Dallaséclatederire.—Maisnon.Onfaitpartiedelaprogrammation,avecnotrenomànous.Levinousrefilemême
sachambred’hôtel.Heureusement,sinononauraitdûdormirdanslevantoutelasemaine.Soudain,c’estcommesiquelqu’unavaitvidétoutl’aircontenudansmespoumons.Peut-êtreque
maprièresurletoitaétéentendue,enfindecompte.Jusqu’àmaintenant,onatoujoursdonnédesconcertsprèsdelamaison.Biensûr,ondoitparfois
dormirdans levanquandon joueà l’extérieur,maisçan’a jamaisétépourplusd’unenuit, et lesgarçonsrestent toujourssur lessiègesavantpourque jepuissem’allongersur labanquette.Sur laroute,ondortchacunnotre tourpendantqu’undenous troisconduitnotrepoubelle sur roues,quitientsonsurnomdemagrandemaisbrèvepassionpourEmmylouHarris.
Maiscettefoisçavaêtredifférent.Trèsdifférent.—Onpartdemainsoir. Ilyauraplusd’unecentainedemanagersprésentsetaumoinsautant
d’agentsetdepatronsdelabels.Çayest.Ontientenfinnotrechance.Ilrayonneetsespupillesbrillentlorsquenosregardsserencontrent.—Putaindemerde.OnjoueauMusicFest.Lesgarçonssetapentdanslamainpourfêterlabonnenouvellependantquej’essaied’assimiler
ce que ça veut dire. J’ai la gorge sèche tandis que mes yeux se posent sur l’homme tatoué assisderrièresabatterie.
J’ai fait de monmieux pour conserver mes distances. Pour bien me tenir, garder la boucheferméeetnepaslaisserparlermoncœur.Çagâcheraittout.
Unesemaine.Unechambred’hôtel.Notrechancedenousfaireconnaîtreenfin.Jenesaispassij’ensuiscapable.Jesaisjustequejen’aipaslechoix.
3
Installéesurlabanquettearrière,jedorsautantquepossiblependantletrajetjusqu’àAustin,quinousprendunpeuplusdeseptheures.Pendantlesraresmomentsoùonesttouslestroisréveillés,ondiscutedeschangementspossiblesàapporteràlalistedechansonsquenouscomptonsjouer,d’idéespourretravaillerquelquestitresetdesmorceauxlesplusrécentsqu’ondoitencoreaméliorer.
Quandon se gare sur le parkingduDays InnoùLevi a réservé la chambrequ’il nous laisseutiliser,onestpartagésentrelafatigueduvoyageetl’excitationd’êtreenfinarrivés.
Onrécupèrelescartesd’accèsànotrechambre,puisonprendunascenseurquisentlégèrementl’urine et la bière jusqu’au troisième étage. Ce n’est pas le grand luxe, mais c’est abordable. Laplupartdesmusiciensquijouentaufestivalvontsûrementrésiderici,euxaussi.
Dès qu’on pose nos sacs dans la chambre, deux lits simples et un lit pliant, Dallas et Gavincommencentàdéballerleursaffaires.
Demoncôté,jem’assiedssurundeslitsetjemecontentedelesregarderfaire.Dallasfroncelessourcilsetpousselelitdecampdanslepetitespacequiséparelesdeuxlitsindividuels.
—Jeprendslelitpliant.—Jepeuxleprendre,situveux,proposeGavin.J’aiconnupire.Moncœurseserredansmapoitrine.J’essaiedenepasl’imaginer,petitgarçon,endormiDieu
saitoùàmêmeunsolsale.Monfrèreluilanceunregardlourddesous-entendusetlaconversationtournecourt.
Unevaguede soulagementmesubmerge, et jeprendsconsciencede la tensionquim’habitaitdepuisque j’aiapprisqu’onallaitpartager lamêmechambre.Dormir—ouessayerdedormir—dansunechambreàcôtédeGavinmeterrifie.MaisavecDallasentrenous,commeàsonhabitude,jeseraisansdoutemoinsenclineàmeretournerdansmonlitenmedemandantcequisepasseraitsiGavinm’yrejoignait.J’aibienassezdelapressiondufestivalpourm’empêcherdedormir.
Lavérité,c’estque,mêmesijen’aipasbesoindelacélébriténidesfeuxdelarampequemonfrèrerecherche, j’aiautantenviederéussirquelui.Jepréfèrenepaspenseraudestinquim’attenddanslecascontraire.Maplaceestici,aveccesdeuxhommesquej’aimesidifféremment,àvivredelamusiqueaveclaquellej’aigrandi.Pasdansunefossed’orchestre,àavoirlesentimentd’étoufferpendantquejejouedespartitionsbientropprétentieusespourmoi.
Unefoisqu’onestinstallés,jesorspourappelerpapy.Jeluiaipromisquejeluitéléphoneraispourleprévenirqu’onétaitbienarrivés,maisilnerépondpas,alorsjeluilaisseunmessage.
Quandjereviensdanslachambre,lesgarçonssonttouslesdeuxendormis.Jepenseàpapytouten grignotant une gaufre qui reste du petit déjeuner qu’on a pris à emporter. Il va avoir soixante-
douzeans,ilestpresquesourdetdepuissonattaquecardiaque—ouplutôtson«petitsouci»,commeill’appellelesraresfoisoùilenparle—jenel’aijamaislaisséseulplusd’unenuit.
Endépitdesannéesquipassent,savoixcontinueàrésonnerdansmatête.Lapremièrefoisquej’aiattrapésonfiddle,ilarietm’aditque,sij’étaiscapabledel’apprivoiser,ilétaitàmoi.Pendantdessemaines, j’aimassacré lesoreillesdesvoisinsetde tous lesanimauxenvironnants, jusqu’àcequ’ilaitpitiédemoietqu’ilcommenceàmemontrerlesbases.Ilm’aenseignélamanièred’appuyersur les cordes pour obtenir un son plus riche. Il m’a appris comment faire chanter l’instrument.AmazingGraceestlapremièrechansonquej’airéussiàjouerdudébutàlafin.C’étaitincertainetpastoujoursharmonieux,maisc’estcejour-làquepapyadéclaréquelefiddlem’appartenait.
A lamortdemesparents, j’avaiseu l’impressionque toutes lesbonneschosesque j’avaisenmoiavaientétéanéanties,qu’onmelesavaitprisespourlesmettreàlapoubelle.Repenseraupasséétaitdouloureux,etpenseràmonaveniraussi.Lesregardsétrangesquemejetaientlesenfantsàmanouvelleécolemedonnaientenviededisparaîtresousterre.Maisjouerdufiddlefaisaitnaîtreenmoiquelquechosedespécialetdemagique.Çaramenaitdansmavieunsentimentquiavaitdisparuquandj’avaisperdumamèreetmonpère:l’espoir.
Touslesjoursaprèsl’école,jerentraisencourantàlamaisonpourm’entraîner,etjemelevaistôttouslessamedisettouslesdimanches,impatiented’avoirOzentrelesmains.PapyavaitditquejepouvaisluidonnerunnometjevenaisjustedevoirLeMagiciend’Oz.Dorothylaissaitderrièreelleunmondegrisetmorneetpartaitpourunendroitmagique,etc’étaitexactementcequejeressentaisenjouant.
Et c’est pour ça que,même si j’en ai envie, jeme force à nepas regarder le corps ciselé deGavin,étendusurlelitdel’autrecôtédelachambre.Pournepasfairequoiquecesoitquirisqueraitdegâchercettemagie.
Jem’endors en réfléchissant à des paroles de chansons et j’essaie de ne pas penser à ce queseraitlasensationdesesmainssurmoi,deseslèvressurlesmiennes.
***
Jemesuisréveilléeàplusieursreprisesaucoursdelanuit.Achaquefois,j’aisurprismonfrèreassissursonlit,absorbéparlesparolesd’unechansonquiluidonnentdufilàretordre.Tropfatiguéepourluidonnerdel’inspirationouunbonconseil,jemerendormaispresqueaussitôt.J’étaisencoregroggyquandilnousaréveillésavecGavinpourallerànotrepremièrerépétition.Enfaitdelocal,c’estungarde-meublesvidequeLeviestparvenuàlouerpourlasemaine.
—On va jouerRing ofFire avantWhiskey Redemption, ordonnemon frère.On captera leurattentionavecunmélangedereprisesetdecompositionsànous,etonessaieradeconserverlemêmerythmependanttoutleconcert.
Gavinécritlalistedesmorceauxsurunblocqu’ilapiquéàl’hôteletlèvelesyeuxsurmoi.—Dixiejouesonsoloaudébut?Dallassetourneversmoietl’inquiétudeselitsursonvisage.—Tut’ensenscapable?C’estdusérieux,Dix.Sesyeuxbleus légèrementplus sombresque lesmiensneme lâchentpas. Jeprends le temps
d’évaluerlesrisquesdemelaisserdistrairepardesgroupiesàmoitiénuesetcomplètementbourréesentraindemontrerleursseinsàGavin.Çaneseraitpaslapremièrefois.
—Jepeuxlefaire.Pasdeproblème.
Jeluisourisavectoutel’assurancedontjesuiscapable,maisilnem’offrequ’unhochementdetête incertain en retour. J’ai envie de faire un commentaire sur le manque de confiance qu’il metémoigne,maisjemeretiens.L’atmosphèreestdéjàasseztenduecommeça.
—Très bien, acquiesce-t-il avant de retourner à sa place et d’attraper sa guitare.Alors c’estparti.
Jemeconcentreautantquepossiblependantqu’onjoue,enprenantbiensoindefaireattentionauxnuancesdechaquemorceau.Sicetteopportunitéestmachanced’échapperàlafossed’orchestre,c’estaussiunechancepourDallasdevivresonrêveetdefairedenousautrechosequ’unpetitgroupequidonnedespetitsconcertsdansdespetitsbars.Nepasvraimentréussiràvivredelamusiqueluidonnel’impressiond’êtreunraté.Jesaisqu’ilalesentimentdenepasprendresoindemoietdenepasmedonnerlaviequejemérite.Jel’aisurprisplusieursfoisentraindetenircegenredediscoursàGavin.
« Prenez soin l’un de l’autre. » C’est la dernière chose que nous a dite notre père, avant decroiser larouted’unconducteur ivrequis’étaitendormiauvolant.Aprésent,monfrèreaccordeàcesmotsuneimportancebienplusgrandequecellequemonpèreleuravaitsansdoutedonnée.
Papyetmamieparvenaienttoutjusteàbouclerlesfinsdemoisquandonaemménagéaveceux.Ils étaient des gens simples qui vivaient dans la mesure de leurs moyens. Les funérailles etl’enterrementavaientgrignoté lesmaigrespolicesd’assurancedenosparents,et l’argentquenousavaitversél’Etataidaitàpeineàaméliorerlequotidien.Jemesouviensencoredenospassagesàlafriperie pour acheter des vêtements d’école dont les autres filles se moquaient. Enfin, elles s’enmoquaient toujoursmoins que des vieux habits demon frère que je portais quand ils étaient troppetitspourlui.Pendanttoutescesannées,Dallasm’arépétéàlongueurdetempsquetoutfiniraitpars’arranger.
Ilcontinueàessayerd’améliorerleschoses,detenirunepromessequ’iln’apourtantpasbesoind’honorer.Jeluiaiditunmilliarddefoisquej’étaistrèscontentecommeça.Jen’aipasbesoindevêtementsdemarque,jen’enavaispasbesoinenfantetçan’apaschangé.MaisDallasestconvaincuqu’ildéçoitnosparents,etjenepeuxrienfairepourôtercepoidsdesesépaules,alorsj’aifiniparmerésigner.C’estsacroixetjenepeuxpaslaporteràsaplace.
—Onfaitcinqminutesdepause,décrèteDallasalorsqu’onenestàlamoitiédelarépétition.Pendantl’interruption,nousdiscutonsdemonouvertureetjevoisbienqueDallasestnerveuxà
l’idéequejejouemonsoloenpremier.Lesplisquibarrentsonfrontparlentpourlui.—Cen’estpasquelemorceaunemeplaisepas.Simplement,jemedemandesic’estlemeilleur
choix.—Etsijejouaisçaàlaplace?Jebaisselementon,lèvemonarchetetjouelespremièresnotesdeIfYou’reGonnaPlayinTexas
d’Alabama.Aussitôt, lamusiquem’emportequelquepartoù le stresset lapressionnepeuventpasm’atteindre.Quandjebaissemoninstrument,DallasetGavinmefixenttouslesdeuxavecungrandsourire.
—Alors?Çairait?—Oui,DixieLeigh,ditDallasavecunhochementdetêteapprobateur.Çairait.Le reste de notre set est une combinaison de chansons de notre composition, de hits
contemporainsetdeclassiquesde lamusiquecountry.OnjouequelquesmorceauxdeJohnnyCashauxquelsonaajoutéunepointederock’n’rollainsiqued’autreschansonsplusrécentesarrangéesànotresauce.Onamêmeremaniédes titresdeJayZetBrunoMarsenyajoutantunairdecountry.C’étaitjustepournousamusermais,bizarrement,c’estcequelepublical’airdepréférer.
Après cette répétition réussie, la tension présente chez Dallas semble avoir disparu et mêmeGavinparaîtplusàl’aise.Jemetourneverseux.
—Onpeutallermangerunmorceau?Jesuisaffamée.—On n’a qu’à commander une pizza et la faire livrer dans notre chambre. Je veux encore
bosser sur une chanson. J’aimerais bien avoir quelque chose de plus ou moins exploitable avantdemainsoir.
PaslapeinededemanderdequellechansonDallasparle:ontravailledessusdepuisprèsd’unan.D’aprèslui,c’estl’hymnedontlegroupeaabsolumentbesoin.Saufquesijeretournedanscettechambre,oùl’anxiétédemonfrèreconsommetoutl’oxygène,jesensquejevaisdevenirfolle.Ilnemet pas demots sur ses angoisses,mais elles irradient de tout son être et augmentent au fur et àmesurequelepremierconcertapproche.
Gavindoitliredansmespensées—unepossibilitéabsolumentterrifiante,quandj’yréfléchis—carils’interposeentremonfrèreetmoiavantquejefasseuncommentaire.
—Etsiondînaità l’italiendevant lequelonestpassésenvenant ici?Onpeutyalleràpied.Commeça,Dallas,tuastapizzaetonpeutparlerdelachansonsansêtreenfermésdansunechambre.
J’observe Dallas, dans l’attente d’une réponse. Il se passe unemain dans les cheveux puis ilsoupirebruyamment,sonregardalternantentreGavinetmoi.
—J’aimeraismieuxmeconcentrersurlachanson,pourêtrehonnête.Jesuisincapabledecachermadéceptionetilfroncelessourcils.—Jesaisquejevousfaistravaillersansarrêtencemoment,maisjevousassurequec’estpour
lebiendugroupe.Jeluidonneunpetitcoupd’épaulepourlerassurer.Jesaisqueçapartd’unebonneintentionet
queGavinaussienestconscient.—Net’enfaispas,Dallas.Onlesaitbien.C’estjustequeparfois…—Parfois,onjoueauxfléchettesenutilisantunephotodetoicommecible.Dallas éclate de rire à la blague deGavin, et c’est comme si la tension n’avait jamais existé.
C’est pour ça que ça fonctionne entre nous et que Leaving Amarillo existe toujours. J’adore lamusique,maisjedétestelecôtébusiness,tandisqueDallas,c’estsontruc.QuantàGavin,iljouelesmédiateursetnousempêchedenousmassacreràcoupsdeguitareoudefiddle.
C’estprécisémentpourçaque j’aipeur.Sinotredynamiquechange,si jeperds l’emprisequej’aisurmessentimentspourGavin,çagâcheratout.
JenesaispasquijesuissansLeavingAmarilloetjenesaispasnonpluscequeseraientDallasou Gavin sans le groupe. Dans une autre vie, peut-être que je serais caissière et qu’ils seraientouvriersouquelquechosecommeça.Mais,danscettevie-là,onestungroupe.Chacundenousestuncomposantdequelquechosedebienplusgrandquenous.
—Allez-y,vous,ditDallastandisqu’onquittel’entrepôtvide.Jem’achèteraiuntrucàgrignoteràl’hôtel.
—Dallas…—J’aipleind’idées,alorsjepréfèrem’ymettretoutdesuiteavantd’oublierlesparolesquej’ai
entête.Ilouvrelesportesarrièreduvan,rangesaguitareetattrapel’étuidemonfiddle.—C’estbon,jevousassure.Jeveuxjustetravaillerdessustantquec’estfraisdansmatête.Gavfinitdechargerlevanetrefermelesportes.—Onvaveniravectoi.Onn’aqu’àfairecequetudisais,onpeutcommanderdespizzas.
Jesoupire,carjesaisquemonfrèrevientdegagneretqu’onvaretourners’enterrerdanscettefoutuechambre.Entrenosbagages,notrematérieletlelitpliant,c’estunvraigourbi.
— Regarde Dixie, répond Dallas en levant les yeux au ciel. On dirait que je viens de lacondamneràmort.
—Ouquetuviensdemecondamneràpasserlerestantdemesjoursdanslachambre106duDaysInn,cequiestencorepire.
PileaumomentoùGavins’apprêteàouvrirlaportièreavantduvan,Dallasl’enempêche.—Allezmanger.J’aienvied’êtreunpeuseuldetoutefaçon.Cettechansonmeprendlatêteet
j’enaivraimentmarre,jeveuxabsolumentlaterminer.Gavinhausselessourcils,maisjesautesurl’opportunité.—Tul’asentendu,Garrison.Onyva.Jemeursdefaim.—Tuessûr?insisteGavin.Dites-moiquejerêve…Ilveutquejel’étrangleouquoi?—Absolumentcertain,répondmonfrère.Nerentrezpastroptard,parcontre.Ondoitêtreen
formedemain.Ilséchangentunregard lourddequelquechosequejen’arrivepasà identifierde làoù jeme
trouve. Que Gavin et moi allions dîner sans mon frère ne devrait pas être une affaire d’Etat. Etpourtant jevoisbienqueçaposeunproblème.L’avertissementestprésentdans lesyeuxdeDallaschaquefoisqu’onfaitquelquechoseseuls,sansqu’ilsoitlàpournouschaperonner.Ilaceregardquidit:«Assieds-toienfaced’elleetpasàcôté,nelalaissepastoucheràlamoindregoutted’alcooletnet’avisesurtoutpasdeposerunemainsurelle.»
GavinhochelatêtepourscellerleuraccordmuetetonsesépareenpromettantàDallasqu’onlerejointvite.
Parcourirlesdeuxpâtésdemaisonsjusqu’aurestaurantestunvéritableexercicedepatienceetderetenue.Gavinestassezprèsdemoipourquejepuissesentirlachaleurdesonbrasquisebalanceàcôtédumien.Aumomentoùjesuissurlepointdetoutenvoyerpaîtreetdepassermonbrassouslesien,commesionétaiten1926etqu’onsepromenaitlelongd’unerivièreetpassurletrottoird’unezoneindustrielle,uncoupdeklaxonretentit,quinousfaitsursauter tous lesdeux.C’estmonfrère,quinousdépasseauvolantduvanetagitelamainparlafenêtre.
Abruti.Ill’afaitexprès,j’ensuispersuadée.Gavinluifaitunpetitsignedelamainpuisonperdle van de vue. Quand je me tourne vers lui, je me rends compte qu’il s’est écarté pour laisserdavantaged’espaceentrenous.Lachaleurdesonbrasmemanquedéjà,maislecoupdeklaxonétaitunrappelàl’ordredesplusclairs:«Gardezvosdistances.»
4
Gavinse tientàunedistancerespectueusependant lerestedutrajet jusqu’aurestaurantetmonenvied’étranglermonfrèreestplusgrandeàchaquepas.
Aufond,jesaistrèsbienqueDallasneveutpasmefairedepeine.Ilveutjustemeprotégeretm’empêcher d’êtremalheureuse.De lamême façon que je devine son anxiété quant à l’avenir dugroupe,jesaisqu’iln’estpasdupeetqu’ildevinemessentimentspourGavin.Jelesoupçonnemêmed’avoirtoujourssucequirisquaitdesepassersijedécidaisdeleslaissers’exprimer.IlsfiniraientsansdouteécraséssouslasemelledeGavin,commeceuxdetoutuntasdefillesavantmoi.
Monfrèreetmoinepartageonspasvraimentlamêmevisiondeschoses.Ilnecroitpastropaufait que l’amour a le pouvoir de tout arranger, ou du moins de rendre les difficultés plussupportables. Quand Robyn, sa petite amie, est partie étudier à l’université, ils ont décidé de seséparer.D’aprèslesfragmentsd’informationsquej’aipurassembler,Robynvoulaittenterlarelationàdistancemais,pourdesraisonsquemonfrèren’ajamaisvouluévoqueravecmoi,ilsontfiniparrompre.RobynBreelandétaitmagnifique,drôleetintelligente.Elleétaitsincèreet,surtout,elleétaittoujoursgentilleavecmoi.Peuimportaientlesdisputesentreelleetmonfrère,elleétaittoujourslàpourmoi.D’ailleurs,ellecontinueàprendredemesnouvellesdetempsentemps.Elleestunpeulagrandesœurquejen’aijamaiseue.
Achaque foisque j’aiessayédecuisinermonfrèrepoursavoircequi s’étaitpasséentreeuxexactement, il a éludé mes questions et marmonné quelque chose à propos des relations longuedistanceetdespriorités.Mais,enfaisantdurangementladernièrefoisqu’onestrentrésàlamaison,j’ai trouvé sous son lit la boîte que Robyn lui avait donnée au lycée. J’ai jeté un coup d’œil àl’intérieuretj’aisentimoncœursebriser:elleétaitpleinedephotosd’eux.Ilsétaientsibeauxetilsavaient l’airsiheureux.IlyavaitaussidespetitsmotsécritsparRobyn,avecdeminusculescœursdessinésdessus.Ilsétaientpliéssiminutieusementqu’ilsdevaientêtretrèspersonnels,etjen’aipasétéindiscrèteaupointdeleslire.Rienquelefaitquemonfrèreaitconservélaboîtequatreansaprèsleurruptureenditlongsurlessentimentsqu’ilaeuspourelleetqu’ilapeut-êtreencore.Iln’estpasdugenreàs’accrocheràdespossessionsmatérielles.Mêmelesaffairesdenosparentsn’ontjamaiseuunegrandevaleursentimentalepourlui.
—Tuesdrôlementsilencieusecesoir,Bluebird.LavoixdeGavininterromptmaréflexion.Ilalessourcilsfroncésetsemblesincèrementinquiet
deme voir si songeuse. Encore agacée par la distance qu’il a mise entre nous, j’envisage de luirépondrequetoutvabienpuisde l’ignorercordialement.Maissa fichuefaçondemeregardermepoussetoujoursàluidirelavérité.
—Est-cequetupensesqueRobynmanqueàDallas,parfois?Avoirsatête,cen’estpaslegenredequestionauquelils’attendait.—Breeland?—Est-cequ’ilestsortiavecuneautreRobyn?Il lève les yeux au ciel et allume le briquet qu’il a dans les mains— et que je n’avais pas
remarqué.—Non,grossemaligne.Jenem’attendaispasàcequetuparlesdeça,c’est tout.Pourquoi tu
pensesàelle,d’uncoup?—Jen’ensaisrien.C’estjustequejetrouveçatriste,jel’aimaisvraimentbien.Unepartiede
moiespéraitqu’ilssemarieraientunjour.Gavinécarquillelesyeuxetilfaitunegrimacededégoût,commes’ilétaitsurlepointdevomir.—Semarier?Iln’aquevingt-deuxans,bonsang.—Jenevoulaispasdirebientôt.Unjour,dansplusieursannées.Peudegenspeuventdompter
monfrèrecommeellelefaisait.Jecroisquej’aipeurqu’ilneretrouveplusjamaisquelqu’uncapabledelesupporter.Jeneveuxpaslevoirfinirtoutseuletjen’aivraimentpasenviequ’ilsquattemoncanapéjusqu’àlafindesesjours.
Gavinritetjesenslesmusclesdemonestomacsecontracter.Ilyatoutuntasdetypesderiresdanscemonde.Desrirescontagieux,desriresaigus,desrires
agaçants.MaisleriredeGavinGarrisonestgraveetprofond,etsirarequemoncœurfondàchaquefoisquejel’entends.C’estlemeilleurdesantidépresseurs.
Heureusement,onfinitpararriveraurestaurantitalien,etj’aiquelquesminutespourreprendreunecontenance tandisqu’onnous installeetqu’onnousapporte lesmenus.Observer lesphotosdenourriture qui accompagnent la description des plats fait gargouillermon estomac, sans parler del’odeurd’ailetdetomatequiflottedanslasalle.
—Qu’est-cequetuvasprendre,Blueb…—Dites-moiquejerêve!s’exclameuneserveuserousseàcôtédenotretable.Vousêtesdansce
groupe…LeavingAmarillo,c’estça?C’estplutôtétrangequ’ellenousreconnaisse.Çanenousarrivejamais.Aumoins,ellenes’est
pastrompéesurlenomdugroupe.Çachangedetouscesgensquidéformentnotrenom:deLovingEldoradoàLosingArmadillos,lalisteestlongue.Jesuisd’abordflattéeetreconnaissantequenousayonsunefan,maisquandjelaregardedeplusprès,mabonnehumeurs’envole.EllesepâmedevantGavind’unefaçonquimedonneenviedeluiarrachersesgrandsyeuxdebiche.
—Toutàfait,madame,luirépond-il.Savoixestplustraînanteetunpeuplusgravequed’habitude.Jehausselessourcils,maisilne
s’enrendpascompte,àcroirequejesuissoudainementdevenueinvisible.—Tuasentenduparlerdenous?Ungrandsourireilluminelevisagedelaserveuse.Jedoisbienavouerqu’elleestjolie.Enfin,
elleleseraitsansdouteencoreplussiellenes’étaitpasétaléunetonnedemaquillageàlatruellesurlevisage.
—JevousaivusàBealeStreetl’andernieret,depuis,jevoussuisàlatracesurleNet.Sesjouesdeviennenttoutesrougesetellebaisselatête.—Enfin,pasàlatrace,maisj’aitoutesvoschansonsdansmoniPodeteuh…j’aimebeaucoup
cequevousfaites.Enfin,çaparaîtévident.Waouh,vousdevezmeprendrepourunevraiecruche.Enpleindanslemille.Etmaintenantdégage.
Gavinselaisseallercontreledossierdesachaise.Ill’examinedespiedsàlatêteetjesuisprised’uneenviesoudainedeluicollermonpoingsurlafigure.
—Onnepenseraitjamaisçadenosfans,princesse.Vousêtesextrêmementintelligents,touslescinq,etvousaveztrèsbongoût.
Il lui fait un clin d’œil et je jurerais qu’elle est à deux doigts de se livrer à un strip-tease.Heureusementquepersonnenenousaencoreapportédecouverts,parcequejeluicrèveraisbienlesyeuxavecunefourchette.
—J’aiprisdesplacespourvenirvousvoirauMusicFestcettesemaine.J’étaistellementexcitéequand j’ai appris que vous faisiez partie de la programmation cette année.On n’a que des placesstandardavecmescopines.LesplacesVIPsontpartiessuper-vite.
Ellefaitunemouedepetitefillecontrariée,etj’agrippemongenoudetoutesmesforcessouslatablepourm’empêcherdeluiencollerune.
—Tuasunstylo?luidemandeGavin.Je détourne le regard pour ne pas assister à cet échange, quime blesse bien plus qu’il ne le
devrait, et je me lance dans la contemplation du menu comme s’il s’agissait d’une épreuve dubaccalauréat…enessayantd’oublierlenœuddecolèrequis’estformédansmagorge.
Letintementdesbraceletsdelaserveusequandelleluitenduncrayonmetapesurlesnerfs.Entoutelogique,jesaistrèsbienquejen’aiaucuneraisonvalabled’êtresiprèsdepéterunplomb.Maislalogiquen’ajamaisétémonpointfortquandils’agitdemessentimentspourGavin.
Lorsqu’il luiprendlamainetrelèvedélicatementlamanchedesonchemisierpourécriresursonpoignet,jeperdscomplètementlespédales.Mongenoum’échappeetcognecontrelatable,dontlespiedscrissentbruyammentsurlecarrelage.J’expireaussilentementetdiscrètementquepossibledansl’espoirqueçam’aideàcalmermonaccèsenragédejalousie.
—Voilàmonnuméro…—Marissa.—Marissa,répète-t-ildoucement.Il lui adresse le sourire qui est sa marque de fabrique, celui qui leur donne envie à toutes
d’arracherleurpetiteculotte,etsafoutuefossetteapparaît.—Envoie-moiunmessagequandvousarrivezet je feraiensortequevoussoyezaupremier
rangpournotreconcert.Ouappelle-moi,commeçajepourraientendretajolievoix.Jeretiensunricanement,caronn’aabsolumentpascegenredepouvoiroud’influence.C’est
déjàtoutjustesionaréussiàdécrocherledroitdemontersurscène.Maiscequimerendmalade,c’estdesavoirque,s’il luidonnesonnuméro,c’estsansdoutepour lui faireunconcertprivé.Magorgesenouependantqu’ilssedéshabillentmutuellementduregard.Etcen’estque lorsqu’il finitenfin par lui lâcher lamain pour qu’elle puisse aller chercher nos boissons que je respire un peumieux.
Gavinsetourneversmoi,sansdoutesansimagineruninstantquej’aipassélestroisdernièresminutesetdemieàréfléchirauxdifférentesfaçonsdel’assassineravecdescouverts.
—Alors,qu’est-cequetuprends?Ma poitrine se soulève péniblement. Rester assise sans bouger et respirer calmement est une
véritableépreuve,comptetenudemonenviederetournerlatable.Jebaissemonmenuetluilanceunregardassassin.
Bluebird?Jet’aidemandécequetu…Ils’interromptenvoyantmesyeuxplissésparlacolère.—Toutvabien?Concentre-toi,DixieLeigh.
Quandjeparleenfin,mavoixestétonnammenttranquilleetposée.—Tunemetouchesjamais.—Quoi?Ilbaisselesyeuxsursonmenu,commes’ilcontenaitl’explicationdesplusgrandsmystèresde
l’univers.—Tunemetouchesjamais.Onseconnaîtdepuisdixansettunepassesjamaistonbrasautour
demesépaules.Tunemeprendsjamaisparlatailleettunemetiensjamaislamainquandonmarchecôteàcôte.Tunemeprendsjamaisdanstesbrasettuneposesjamaistamaindanslebasdemondos.
Ils’éclaircitlagorgeetregardeautourdelui,commeunanimaltraqué.—OK.Jenetetouchepas.Etalors?Onpeutcommandermaintenant?Jetendslebraspourbaisserlemenuqu’iltientdevantluicommeunbouclier.—Et alors ?Alors tu connais cette serveusedepuis cinq secondes et tu lui as caressé lebras
commesic’étaittaproprebitequetutripotais.Alorsque,toietmoi,onseconnaîtdepuistoujoursettunemetouchesjamais.
Jeneluiaijamaisparlécommeça.Ilécarquillelesyeuxetjelevoisdéglutir.—Dis-moiquec’estuneblague.Tuveuxvraimentfaireçamaintenant?—Jeveuxjustequetumedisespourquoi.Jeveuxsavoirpourquoiçan’estpasunproblèmede
poser lesmains suruneparfaite étrangèrealorsque tuévitesdeme touchercommesi j’avaisunemaladiecontagieuse.Cequin’estpaslecas,pourinformation.
—Tusaistrèsbienquejenepensepasquetuescontagieuse.L’expressiondesonvisagesedurcit,maisjen’arrivepasàl’interpréter.Ondiraitpresquequ’il
croitquejejouelesidiotes.Quejefaissemblantd’ignorerlaréponseàmaquestion.—PaslapeinedemettreçasurlecomptedeDallas.Çam’étonneraitqu’iltecasselafigurejuste
parcequetupassesunbrasautourdemesépaules.Sonregards’assombritdavantage.Laserveuserevientavecnosboissons,maisGavincontinueà
mefixer,sansluiprêterattention.—Est-cequevousêtesprêtsà…—Onaencorebesoind’uneminute,aboie-t-ilpresque.Unefoisqu’elles’estéloignée,jeboisunegorgéed’eausanslequitterdesyeux.J’ignorecequi
estentraindesepasserentrenous,maisjesaisquec’estimportantetjeneveuxpasenperdreunemiette.
—Tu réagis comme si j’essayais de t’attirer dansmon lit. Ce n’est pas le cas. Je veux justecomprendrepourquoitune…
—Tuvasm’écouterattentivement,m’interrompt-il.Toietmoi,ilesthorsdequestionqu’onaitcetteconversation.Niici,nimaintenant,nijamaisd’ailleurs.C’estclair?
Ilmartèlechaquemotenmefusillantduregard.Moncœurs’emballecommes’ilallaitexploser,maisjecroiselesbrassurmapoitrinepourmedonnerunairassuré.
—Tucroisça?Ehbienmoi,j’aidécidéqu’onallaitl’avoir,cettediscussion.—Situytienstantqueça,tun’asqu’àl’avoirtouteseule,taputaindediscussion.Moi,jeme
cassed’ici.Jetressaillequandilreculebruyammentsachaise.Ilnem’ajamaisparlédecettefaçon.J’adore
çaetjedétesteçaenmêmetemps.C’estàlafoissupersexyetcomplètementterrifiant.—Gav,s’ilteplaît.Attends.Jesuisdésolée.Jel’attrapeparlepoignetetildégagesonbrascommesijevenaisdel’électrocuter.Jerepose
lesmainssurmesgenouxetl’observed’unairsuppliant.Ilmedévisagependantcequimeparaîtune
éternitéavantdefinalementserasseoiretreportersonattentionsurlemenu.Pendantlesminutesquisuivent, j’essaie de croiser son regard et de rétablir une connexion entre nous, mais il semblefermementrésoluàm’ignorer.
—J’hésiteentrelespennesaupestoetlesspaghettisàlasauceAlfredo.J’aiprismavoixlaplusdétachéepourluifairecomprendrequejevaislelaissertranquille…du
moinspourl’instant.Illèveprudemmentlesyeuxsurmoi,commepours’assurerquej’aivraimentlaissétomber.Ce
n’estpaslecas,maisilvafalloirquej’yailleplusdoucementsijeveuxobtenirdevraiesréponses.—Tun’asqu’àcommandercellesaupestoetmoilesautres.Onpartagera.J’acquiesceetjesensunsouriresedessinersurmeslèvres.Quandonétaitenfants,jen’arrivais
jamaisàmedéciderentrelaglaceauchocolatetlaglaceàlaframboise.Gavinenprenaittoujoursune au chocolat puis échangeait avec moi quand j’en étais à la moitié, en dépit des protestationsécœuréesdeDallas.
—Paslapeinedesourirecommeça.C’estcequej’allaiscommanderdetoutefaçon.—Biensûr.Je souris de plus belle et je suis sur le point de lui rappeler l’histoire de la glace quand la
serveusefaitsongrandretour.—Vousêtesprêts?Illuisortdenouveausonsourireséducteur.Celuiqu’ilnemefaitjamais.—Oui,princesse.Onestprêts.Il commande nos plats, lui tend les menus et, une fois encore, j’ai l’impression d’avoir
l’estomacquifaitdesloopings.—Rentrelesgriffes,mabelle,dit-ilquandonestdenouveauseuls.Profitonsplutôtdudîner.Apparemment,jenesuispastrèsdouéepourmasquermesémotions…Jemeforceàluisourire,
mêmes’ilmeconnaîtsuffisammentbienpoursavoirquecen’estpassincère.—Jevaisessayer.Maisçam’aideraitsituarrêtaisdebaiserlaserveusedesyeux.Il se redresse sous le coup de la surprise. Il pose un regard intrigué sur mes lèvres et son
commentaireàproposdesobscénitésdansunejoliebouchemerevientàl’esprit.Jemepencheenavantpourajouter:— Je ne veuxpasmedisputer avec toi,Gavin.Mais il faut qu’on parle, et le plus tôt sera le
mieux.—Non,lâche-t-ilplatement.Peut-êtrequeGavinestheureuxdeflotterdansunerivièrededéni,maismoi,jesuisentrainde
couler.Alorsj’insiste.—Onestdanslemêmegroupedemusiqueetonestsurlepointdevivreensemblependantune
semaine.Tunepeuxpasfairecommes’ilnesepassaitrien,commesi tuneressentaisrien.Jesaisquecen’estpasvrai.
Unetensionpalpableémanedetoutsonêtre.Sij’étaisunebatterieetqu’ilavaitsesbaguettes,jenedonneraispascherdemapeau.Jesaisquejelepousseàboutmaissi,mêmesansallerplusloin,onne reconnaîtpasqu’ilyaquelquechoseentrenous, jepenseque jevais imploser.Et,quandçaarrivera,jedevinequeçaneserapasbeauàvoir.J’aipeurqueçadétruisetout.Nous,notregroupe,toutesleschosespositivesdansmavie…dansnotrevieàtouslestrois.Ilpenchelatêtesurlecôtéetpousseunlongsoupir.
—Ecoute,jesuisunhomme,tuesunefemmeet,oui,ilyadesmomentsoù…
Il s’interrompt pour regarder autour de nous, comme si on était entourés d’agents secretsembauchésparmonfrèrepourespionnernotreconversation.
—Oùc’estunpeuintense,finit-ilpardire.Unpeuintense?C’estuneuphémismequifrisel’insulte.Personnellement,jediraisplutôtqu’ilyadesmoments
oùj’aienvied’arrachersesvêtementspoursuivrelescontoursdesestatouagesavecmalangue.Desmoments,danslasemaineàvenir,oùjevaisdevoirm’agripperdesdeuxmainsauxdrapsdemonlitafindem’empêcherdetendrelebraspourletoucherenpleinenuit.Desmomentsoùjesuistellementdépasséeparundésirdouloureuxqueluiseulpeutsatisfairequejeseraiscapabledeleplaquercontreunmur,sansmepréoccuperdespersonnesautour.
—Et?Ilsecoueimperceptiblementlatête.—Etriendutout.Onnepeutrienyfaire.Est-cequejetetrouvebelle?Biensûr.J’aidesyeux.
Touslestypesassisdanscerestaurantaimeraientêtreàmaplaceencemoment.Maisonestplusqueça.Vousêtestoutcequej’ai,Dallasettoi.Tucomprendsça?Tusaiscequiarriveraitsije…sion…
Ilsecouelatêteunenouvellefoisetsesyeuxseperdentdanslevague.—Alorsrendsserviceàtoutlemondeetlaissetomber.D’accord?J’ailatêtequitourne.Ilmetrouvebelle,jel’attire,maisilveutquejelaissetomberparcequeje
comptetroppourlui.Enrevanche,ondiraitbienquelaserveusecomptepilecequ’ilfaut,elle.Elle revient avec nos plats et prend tout son temps pour nous servir. Après avoir posé nos
assiettesbrûlantesdevantnous,elleglisseunétuinoirdanslamaindeGavin,etquelquechosemeditqu’ilnecontientpasquel’addition.
—Situveuxundessert,dit-elleenappuyantgrossièrementsurlederniermot,tun’asqu’àmepréveniretjet’apporteraiça.
Je baisse les yeux surmespâtes au pesto, l’appétit brusquement coupé.Gavin l’attrapepar lepoignetet j’ai l’impressionquemoncœurvaexploserdansmapoitrinesous lecoupde lacolère.Sans m’accorder un regard, il l’attire à lui pour lui murmurer quelque chose à l’oreille, et elleacquiesceavecunsourireavantdes’éloigner.
MessentimentspourGavinonttoujoursétéincontrôlablesetindéfinissables,mais,àcetinstantprécis, jesaisexactementcequejeressenspourlui: jeledéteste.Chaquefibredemonêtrelehaitprofondément.J’ailesmainsquitremblentetjerisquedefiniraveugléeparlaragesijenemecalmepas.
—Tusais,dis-jed’unevoixtremblante,quetuneveuillespasdemoi,oudumoinsquetuneveuillespasassezdemoipourprendrelerisque,c’estunechose.Maisteregarderparaderavectesconquêtessousmonnez,c’enestuneautre.Etc’esttrop,mêmepourmoi.
Sansluilaisserletempsd’ouvrirlabouche,jemelèved’unbondetjequittelatablecommeunefurie.
Jesuisentraindemedonnerenspectacleetdem’humilierdevantlapersonnefaceàlaquellej’aitoujoursfaitensortedegardermonsang-froid.Maissijenevaispasmeréfugierauxtoilettesdanslescinqsecondes,jesaisqueceseraencorepire.
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—Oh!net’enfaispas.Jesuisprêteàfairen’importequoi.Entoutcas,jepeuxt’assurerqu’onseraenVIP.La serveuse est au téléphone avec quelqu’un quand j’arrive dans les toilettes. Elle rit et je la
fusilleduregardenl’entendantfaireuneblaguecrassesurlefaitdedonnerdesapersonne.—Jedoisfiler,Stace.Jeterappellequandj’aifini,d’accord?Elleritdenouveauetm’adresseunsourirenarquois.—Enfin…quandj’enauraifiniavecGavinGarrison,plutôt.L’entendreprononcersonnomcommesielleleconnaissaitmedonnedesenviesdemeurtreet,
àenjugerparsonsourireassuré,ellelesait.D’uncoup,lesparolesdelachansonJoleneretentissentdansmatête.
—Tueslajoueusedefiddle,c’estça?Est-cequetoietlui,vousavezdéjà…enfin,tusais?Jemedemandes’ilestaussimortelaulitqu’ilenal’air.
Elle ramène ses boucles rousses en queue-de-cheval basse et jauge le résultat dans lemiroir.Mortel?Sûrement,maiscertainementpasautantquemonenviedelagifler.
Unriresansjoies’échappedemeslèvres.—Jepensequetuledécouvriraspartoi-même.Jelacontourneetagrippelerebordduplanenmarbrequientourelelavabo.Déterminéeàne
pasperdrelafacedevantcetteidiote,jeprendsunegranderespirationetm’aspergelevisaged’eauglacée. Je me redresse ensuite et tamponne délicatement ma peau avec une serviette en papier enfaisantattentionànepasruinermonmaquillage.Jen’aipasenviederessembleràunpandaenplusdureste.
Ducoindel’œil,jelavoisrangersongloss.Pastroptôt.—J’espèrequejenesuispasentraindemarchersurtesplates-bandes,lance-t-ellesoudain.Ellesourit,maisjevoisbienquesesyeuxnesourientpas.Salehypocrite.—J’aiuncopain,tusais,maisj’aitoujourseuunpetitfaiblepourlesmusiciens.—Etjesuissûrequ’ilsontéténombreuxàprofiterdetafaiblesse,mapauvre.Ses yeux s’illuminent. C’est exactement ce qu’elle veut : un crêpage de chignon. Si elle tient
autantqueçaàfinirdanslelitdeGavin,c’estsansdouteenpartieparcequ’ellesentquejesuissurladéfensive.Ehbienqu’ilsaillentaudiabletouslesdeux.
—Comme tu esmignonne, couine-t-elle.Tu as le béguin pour lui, c’est ça ?C’est adorable.Maistusais,mapuce,cen’estpasunpetitgarçonquetuasenfacedetoi:c’estunhomme.Ettoi,tuesencoreuneenfant,mapetitechérie.
Elleme sourit, faussement compatissante, et je ne prends pas la peine de lui faire remarquerqu’ilaàpeineunandeplusquemoi.Jesuisquasimentsûrequ’elleneparlepasd’âge,detoutefaçon.J’ai vécu toutema vie au Texas, alors quand quelqu’un dit : « Comme tu esmignonne », je saisexactementcequeçasous-entend.Quelquechosecomme:«Mapauvrefille».Etquandunefemmeenappelleuneautre«mapuce»,cequ’elleveutdireenréalité,c’estqu’ellelaprendpourunedébileprofonde.
Peut-être qu’elle a raison. Jemeperds dans l’observation demon reflet dans lemiroir.Avecmonmètresoixante-dix,jesuisplutôtgrandepourunefille,etassezfineaussi.J’aiquandmêmedesformes,assezentoutcaspourqu’onaitarrêtédemeconfondreavecungarçondepuismesquatorzeans.Mescheveuxnaturellementboucléssontbrunsetm’arriventpresqueàlataille.Ilssontbeaucouptroplongsencemoment,maisonatellementsillonnélesroutescesdernierstempsquejen’aipaspris le tempsd’allerchezlecoiffeur.Pendant l’été, ilss’éclaircissentunpeuetprennentdesrefletsroux,tandisquemapeaudiaphane,sisemblableàcelledemamère,dorelégèrement.J’aidegrandsyeuxd’unbleuquitiresurlegris,avecdeséclatsvertsàlalumièredusoleil.
Jenesuispashideuse,maisjesuisloind’êtrecanoncommeGavinGarrisonet,souslesnéonsdestoilettesdurestaurant,jeparaisfadeetfatiguée.Lesmotsdelaserveuserésonnentdansmatête.Peut-êtrequeGavinacouchéavectellementdefillesquelesexeclassiquenel’intéresseplusetqu’ilest branchémasques,menottes et coups de fouet. Et en effet, ce n’est pasmon style. Je soupire etregardemesépauless’affaissertristementdanslaglace.
Jesaiscequec’est,monstyle.C’estladentelleetlesfleursetjouerdufiddlesurlaterrassedemesgrands-parents.Cesontlesroutespoussiéreusesetlespissenlits,commepapyledittoujours.Lesvinylesdansunmondedemusiqueàtélécharger.Papyditaussiquej’aiuneâmeancienneetquec’estpourçaquej’appréciedeschosesquin’intéressentpaslesgensdemonâge.Enrevanche,jenesuispaslaseuleàapprécierGavin:ilestletyped’hommesquetouteslesfemmesveulent.
Ilestsombreetaudacieuxalorsque jesuisdouceet réfléchie. Impulsif làoù jesuis réservée.Flamboyant làoù je suisdiscrète.Onn’a rienà faireensembleet je suis ridiculedepenserque jepourrais l’avoir un jour. Jeme sens stupide d’oser ne serait-ce qu’en rêver.Comment pourrais-jedompterquelqu’unquiacouchéavectouslestypesdefemmespossiblesetimaginablessansjamaisenrappeleruneseulelelendemain?
JaggerdMcKinleymecorrespondaitbienplus.Ilmeressemble,dumoins.IltravailleàAmarillodanslacarrosseriedesonpère.C’estunouvrieravecdesrêvesd’ouvrier,quisecontentedefairesasemaine de trente-cinqheures sans se poser de questions. Il est pile dans lamoyennedes hommespourmoi.Ilenestmêmel’incarnationparfaite.
Toutbienréfléchi,jecroisquelemomentestvenudemerésigner:jedoismecontenterdevoirGavinGarrisoncommeunami,unmembredemongroupe,etriend’autre.Peut-êtrequejedevraismedirequej’aidéjàdelachancedefairepartiedesavie.
Ilestcommeunincendiequiembrasetoutsursonpassage,tandisquemoi…jesuisjusteunpetitoiseaubleuquirisquedesebrûlerlesailesàforcedevolerbeaucouptropprèsdufeu.
***
Quandjeretrouveenfinlecontrôledemesémotionsetquejesorsdestoilettes,jedoisunefoisdeplusfairefaceàGavinetsanouvellecopine.Larouquineestenrouléeautourdeluicommeuneliane.Ondirait le lierre qui poussait toujours sur les troncs des chênes chezpapy etmamie.Papydisaitqueçaempêchaitlesarbresderespirer,etilavaitl’habitudedel’arracheretdelebrûler.
Çanemedérangeraitpasd’enfaireautantavecl’autregarce.Jepassedevanteuxsansunregard.—Attends,Dixie,ditGavinensesoustrayantàl’emprisedesacamaradedejeudujour.—Jerentreàl’hôtel.Bonnesoirée.J’aiàpeinefaittroispasqu’ungrandtypeauxcheveuxsombresvientseplanterdevantmoi.—Lesrestesdevosplats,mademoiselle,dit-ilenmetendantunsac.—Oh.Merci.Jeprendslesacetjesorsdurestaurant.Gavinpeutbienpayerl’addition.Aprèscequ’ilvientde
mefairesubir,c’estleminimum.Dèsquejesuisdehors,jebalancelesreliefsdenotredînerdansunepoubelle,aveccequime
restedefierté.—Peut-êtrequejen’avaispasfini.Savoixretentitjustederrièremoi,siprèsquejesursauteavantdefairevolte-face.Jelefusille
duregardetlèvelebraspourhéleruntaxi.—Riennet’empêchaitdeterminertonassiette.—Tusaistrèsbienquejeneparlaispasdudîner.—Tu sais quoi,Gav ? Si tu n’en avais pas terminé avec ton petit dessert aux cheveux roux,
personne ne t’empêche d’y retourner. Ne te gêne surtout pas pour moi. Tu ne t’es jamais gênéauparavant.
Il lève lesmains, visiblement exaspéré. Il perd si rarement son calme que çame chamboulepresqueencoreplusquequandilmecriedessus.
—Qu’est-cequetuattendsdemoi?Dis-moicequejesuiscenséfaireparceque,apparemment,jefaistoutdetravers.
D’uncoup,toutesmesbonnesrésolutionss’envolent.Jenel’auraipeut-êtrejamais,maisjeveuxqu’ilsache.J’aibesoindeluidirecequejeressens.Etsurtoutj’aibesoindesavoirsi,ouiounon,iléprouvelamêmechosequemoi,s’ilressentcemagnétisme,cetteconnexionentrenous.Sijehantesesrêvesdelamêmefaçonqu’ilhantelesmiens.
Je rassemblemoncourageet faisunpasvers lui.Lorsque j’ouvreenfin labouche,un flotdeparolessedéverse.
—Jeveuxquetumetouches.Jeveuxquetumeprennes,quetumepossèdes,jeveuxêtreàtoiautrementquejustedansnosfantasmes.Jeteveux,toutentier.Avectesbonsettesmauvaiscôtés,etaveccettefragilitéquetunemontresjamaisàpersonned’autre.Jeveuxêtrecelleavecquitupassestesnuits,celleprèsdequituteréveilleslematinetcelleàquitupensessansarrêt.
Ilmedévisageavecdureté,etunetensionsembles’êtreemparéedetoussesmuscles.—Tujouesaveclefeu,mapetite.—Jesais.Maisjenepeuxpasm’enempêcher.Jeneveuxpas.Mavoixn’estqu’unmurmureet,pendantunmoment,onrestetouslesdeuxaussiimmobilesque
desstatues,indifférentsàcequisepassedanslaruebondée.Untaxis’arrêteprèsdenousetGavinmecontournepourouvrirlaportière.—Grimpe.Ilneditpasunmotdeplus.Jepeuxlireunmélangedepaniqueetdedésirdanssesyeux,etj’ai
peur de deviner laquelle des deux émotions va l’emporter. J’ai peur demonter dans le taxi, qu’ilrefermelaportièreetqu’ilmerenvoieàl’hôteltouteseule.
Jeréussisàmurmurer:—Toid’abord.—Montedanscefoututaxiimmédiatement,Dixie.
—Pasavantquetumepromettesdeveniravecmoi.—Grimpeetretourneàl’hôtelavantquej’appelletonfrèrepourluidiredevenirtechercher.Je sensmesyeux se remplir de larmes. Je lui ai avouémes sentiments, jeme suis totalement
miseànuetluinetrouveriendemieuxàfairequedem’envoyerloindelui.—Tumemenaces?Tun’arrivespasàencaisserceque j’aià tedire,alors tuveuxaller tout
raconteràmonfrère?Jesuisunegrandefille,tusais.Unsimple«merci,maisnonmerci»auraitsuffi.
Unsanglotmontedansmagorgeets’échappeavantquej’aieletempsdeleretenir.—Blueb…—Non.Tusaisquoi?Jem’envais.Maiscesoir,quandtuserasavectaserveuse,uneautrede
cesfillespourquituneressensrien,donttunetesouviendraspasetquetunereverrasjamais,danslefond,onsaittouslesdeuxquec’estàmoiquetupenseras.Bonnenuit,Gavin.
Là-dessus, je grimpe dans la voiture et je sursaute quand il claque violemment la portièrederrièremoi.Letaxidémarreetjefaisuneffortsurhumainpournepasmeretourner.
***
Dallas n’est pas là quand je reviens à l’hôtel, mais le simple fait de franchir la porte de lachambrememetlesnerfsenpelote.Gavinestpartoutdanslapièce.UndesesT-shirtstraînesurledossierd’unechaiseetsesbaguettessontsurlatable.J’essaied’atteindremavalise,maislelitpliantdeDallasmebloque l’accès,et ilne tardepasàse transformeren litpliantdemerdequand jemecognelepetitorteilcontresonpied.
Mêmeclignerdespaupièresmemetenragecar,àchaquefoisquejefermelesyeux,l’imagedeGavinen traindeflirteravec laserveuseapparaît.Je lerevoisen trainde la toucher, jerevoissonfoutusourire,jerevoissesmainssurelle…
Ilvafalloirquemonfrèrearrêteavecsonnumérod’artistessanslesou.Cen’estpasl’opulenceetonmangesouventdesrestespendantplusieursjoursd’affilée,maislà,j’enaimaclaque.Apartirdemaintenant,siondoitpasserunenuitàl’hôtel,jeveuxmaproprechambre,mêmesijedoismepriver de manger pour la payer. Vivre dans une telle proximité avec Gavin, c’est impossible. Jebalance ma valise sur le lit et commence à jeter mes affaires à l’intérieur. Quand tout y est, jem’empare d’unbloc-notes et d’un stylo et rédige unpetitmot à leur intention.Enfin, c’est surtoutpour Dallas, car je doute que Gavin en ait quoi que ce soit à faire de savoir où je suis. Çam’étonneraitmêmequ’ilreviennedormiricicesoir.
J’expliqueque j’ai besoin demonpropre espace et que je prends une chambre séparée.Puis,tandisquejemedirigeverslaréception,j’attrapemonportablepourenvoyeruntextoàmonfrère,aucasoùilneverraitpasmonmot.
Pasdepanique.J’aiprisunechambrepouréchapperautrop-pleindetestostérone.J’aibesoindem’aérerunpeu.
Alors que je termine d’expliquer à la réceptionniste que j’ai besoin d’une chambre aussiéloignée que possible dema chambre précédente,mon téléphone bipe. Je prends possession de lacartemagnétiquequimepermettrad’accéderàmonsanctuaireàsoixante-cinqdollarslanuit,puisjelislaréponsedemonfrère.
Qu’est-cequisepasse?Jeviensderevenirdanslachambre.Oùest-cequetues?
Jenesuispasd’humeuràmejustifier,d’autantmoinsquejen’aipasvraimentderaisonvalable.Je prends donc le temps de réfléchir à une réponse tandis que je déballe mes affaires dans machambreaucinquièmeétage,àl’opposédelaleur.
J’aijusteenvied’avoirunechambreàmoi.Problèmesdefille.J’avaisunpeud’argentdecôté,doncnet’enfaispaspourça.Jevousvoisdemainmatin.
Voilà.Problèmesdefilleestnormalementunemanièreinfaillibledem’assurerquemonfrèrenevapasinsister.
Ilmerenvoieunmessage,quinecontientqu’unseulmot.
OK.
Dieubénisselesproblèmesdefille.Jem’installesurmonlitetparcoursdeuxfoisl’intégralitédeschaînesdetélévisiondisponibles
avant de l’éteindre. J’ai beau essayer,mon esprit reste concentré surGavin. Je n’arrête pas demerepasserlascènesecondeparsecondeetdemedemandercequ’ilpeutbienêtreentraindefaireencemoment.S’ilestaveclaserveuse.Siellelevoit,letouched’unefaçondontjenepourraijamaislevoirniletoucher.
Avant de sombrer complètement dans la folie, je vais dans la salle de bains pour prendre ladouche laplusbrûlantedumonde.Comme si la chaleurde l’eaupouvait faire sedésintégrermondésirpourlui…
Alorsquej’enfileundébardeurblancetleshortbleudélavéquej’aidécoupédansunjogging,jemerendscomptequemonplanprésenteunefaillemajeure.Dansmahâtedeprendrelafuite,j’aioubliéundétail,etpasdesmoindres:touteslesboissonsettouslescasse-croûtesontdanslachambredesgarçons.
Etmerde.Heureusement,j’aiunpeudemonnaie.Jedémêlesommairementmescheveuxencoretrempés,
jemetsmesbasketsetj’attrapelaclémagnétiquedemachambresurlatabledenuitpourpartirenquêtedenourriture.Monestomacsouffredouloureusementdufaitquemonidiotdecœurl’aitprivédedîner.
J’ouvrelaporteetj’ailesoufflecoupéendécouvrantquisetientderrièreelle.—Qu’est-cequetu…—Ilyauneraison,m’interrompt-il.Ilyauneraisonpourlaquellejenetetouchejamais.—D’accord.C’estleseulmotquimevienneàl’espritetjeleprononcepresqueauralenti.Gavinrespirela
colère et aussi autre chose que je n’arrive pas à définir. Son regard torturé croise lemien et unevaguededésirm’emporte.
—Alorsdis-moitaraison.Ilm’avue enpyjamaunmillionde fois,mais ilme contemple comme si j’étais toutenue. Il
agrippelemontantdelaporteavantdemerépondre.Ouplutôt,desifflerentresesdents:—Si je te touche,si jem’autoriseneserait-cequ’àposerunemainsur toi, jenesuispassûr
d’êtrecapabledem’arrêter.Jemeursd’enviedetestersathéorie.Deletoucher,del’attireràmoietdeprendrepossessionde
sabouche.Mais laviolencedesonaveuet sonregard férocem’empêchentd’esquisser lemoindremouvement.
—Et…sijenevoulaispasquetuarrêtes?Ousimoijetetouchais?Qu’est-cequiarriveraitsij’arrêtaisdejouerlesgentillesfilles,sij’arrêtaisdevouloirmecontrôler,dem’inquiéteràcausedemonfrèreetdugroupe?Sijecédaisàcequimefaitvraimentenviepourunefois?
La vérité, c’est que ce serait littéralement la première fois que j’imposeraisma volonté,mesdésirsetmesenviesàquelqu’un. J’ai toujourspris laviecommeellevenait, sans jamais tenterdemanipuler les forcesde l’univers.D’unecertainefaçon, jesuisdevenueunefleurdans labrise,oupeut-êtreunemauvaiseherbe têtue : jepenchegentimentdu côtéoù leventmepousse,mais jenebougepasdelàoùjesuis.Saufqu’àcetinstantprécisjen’enpeuxplusd’êtreraisonnableetjerêvedeprendreGavindansmesbrascommejel’aisisouventimaginé.
Sa poitrine se soulève rapidement et il semble avoir toutes les peines du monde à respirernormalement.Ilsepasseunemaindanslescheveuxetregardepar-dessussonépaule.
—Jen’ensaisrien.Maisjepensequec’estlapirechosequetupourraisfaire.Pournoustous.Monesprit,moncorpsetmoncœurselivrentuneguerresansmerci.Jesuisaubeaumilieude
leurstirscroisés,ballottéeentreleursdésirscontradictoires.Jetrouvelaforcedechuchoter:—Pourquoi?Pourquoituneveuxpasdemoi,Gavin?Qu’est-cequ’ilyachezmoiquial’air
deterepousser?Pendant longtemps, jesavaisqu’ilmevoyaituniquementcommelapetitesœurdeDallas,une
gamine avec des cheveux frisés en bataille, des genoux cagneux, et plate comme une planche àrepasser.J’aibienchangéàprésentet,pourtant,j’aiparfoisl’impressionqu’ilnes’enestpasrenducompte. Peut-être qu’il voit encore les genoux cagneux, les cheveuxmal peignés et les taches derousseursurmesépaules.
Ilplisselesyeuxetsecouelatête.—Arrête.Nemefaispasça.Tulesais.Jeviensdeteledire.—Non,jenesaispas.Tutripotesdesserveusesjustesousmonnez,maistunemetouchespas.
Tu couches avec tout ce qui bouge,mais pas avecmoi. Je te dis ce que je ressens et ta premièreréaction,c’estdetedébarrasserdemoiàlavitessedelalumière.
Ilavanceversmoi,lesyeuxbrillantd’unecolèrequejen’aijamaisvuechezluiauparavant.Ilentredanslachambre,meplaquecontrelemuretrefermebruyammentlaportederrièrelui.Ilposesesmainsdepartetd’autredematêteetuneénergiedévastatriceirradiedetoutsonêtre.Lesseulesfois où je l’ai vu aussi énervé, c’est quand il joue de la batterie.Mon cœur se transforme en unminusculepetitoiseauprisonnierdemacagethoracique,quivoudraits’échapperdésespérément.
Les mots sortent de sa bouche avec une telle force qu’ils me feraient sûrement tomber à larenversesijen’avaispasdéjàledosplaquéaumur.
—Qu’est-cequetupenseraisdemedireunebonnefoispourtoutescequetuattendsdemoi?Tuveuxqu’onsetiennelamainetqu’onyailledoucement?Parcequesic’estçaquetuveux,alorsjedoisdirequetun’espasaussifutéequejelecroyais.
Jerelèvelementon,feignantuneassurancequejen’aipas.Ilesthorsdequestionquejelelaissem’intimider.
—Tuascouchéaveclaserveuse?Jeveuxsavoir.Ilsecouelatêteetlaisseéchapperunriresansjoie.—Non,tuneveuxpas.—Si.Dis-moilavérité.Jerivemesyeuxauxsiensenpriantpourquelaréponsesoit«non».Quelquechosemedérange
profondémentchezcettefille.Peut-êtrequec’estlefaitdelesavoirvusflirter,oupeut-êtrequec’està
cause de ce qu’elle m’a dit aux toilettes. Je n’en sais rien. Je suis consciente qu’il a été avec unnombreincalculabledefillesmais,aveccelle-ci,c’estdifférent.Cettefois,jeleprendscommeuneattaquepersonnelleparcequ’ilsavaitcequejeressentais.Cequisignifieque,s’ilacouchéavecelle,ilafaitunchoixconscientetréfléchientreelleetmoi.
—S’ilteplaît.Ilmelibèredelaprisondesesbrasetseprendlatêteentrelesmains.Jereprendstantbienque
malmarespiration,maisl’accalmienedurepas,carildonneuncoupdanslemur.Jesursauteetilasoudainl’airmortifié,commes’ilcroyaitquej’avaispeurdelui.Cequiestridicule.C’étaitjusteunsursautdesurprise.Jamaisjenepourraisavoirpeurdelui.
—Non,çateva?Jen’aipascouchéavecelle.C’estbon,tuescontente?—Toinon,visiblement.Situsavaisqueçaallaittecontrarierautantqueça,pourquoitunete
l’espasfaitealors?—Tutefousdemoi?Qu’est-cequetuauraisvoulu,enfait?Quejecoucheavecelle,ouiou
non?Savoixaaugmentédeplusieursdécibels.Encoreunpeuetilvasemettreàcrier.Demoncôté,
jesuistenduecommejamais.J’ail’impressiond’êtreundecesjouetsquej’avaisquandj’étaispetite,dontonremontelemécanismeencoreetencorejusqu’àcequ’ilsecasseetqueleressortvousrestedans lamain. Je suisperdue,blessée,encolèreetenproieàuneexcitation incompréhensible.Unecombinaisonbientropcomplexepourquejesoisenmesuredel’assimiler.InspiréeparlaméthodeGavin,jetapedanslemuràmontour.Naturellement,jemefaismal,maisladouleurmedistraitetmedonnelecouragedecracherlavérité.
—Non!Jeneveuxpasquetucouchesavecelle,niavecpersonne!Ilouvregrandlesyeux,incrédule.—Personne?Donc,ilfaudraitquejefassevœudechasteté?Tumedétestesouquoi?Jeprendsplusieursgrandesinspirationspouressayerdemecalmeretçamarche.Presque.—Cequejeveux,c’estquetunecommencespasdepréliminairessousmonnez.Il ouvre la bouche pour répondre — et sans doute pour nier — mais je pose mes doigts
tremblantssurseslèvres.Enunefractiondeseconde,jeviensdebriserl’accordtacitevieuxdedixansselonlequelonnedoitpassetoucher.J’aimeraisprendreuninstantpoursavourerlasensationdeses lèvres douces et sensuelles, mais ce n’est pas le moment de me laisser distraire. Je dois meconcentrersurcequej’essaiedeluidire.
—Jet’aiditcequejeressentaisetcequejevoulais,etjecomprendsquetuneressentespaslamêmechoseouque tuneveuillespasécouter tes sentiments.Maisçaneveutpasdireque jepeuxoublierlesmiensquandçat’arrange.Etçanem’empêchepasd’êtrejalouse,outriste,etdedétesterêtreenprésencedecesfemmesquiobtiennentcequemoijen’auraijamais.
L’anxiétéet la frustrationdeGavin sont sipalpablesdans l’atmosphère saturéede lachambrequej’aidumalàrespirer.Jeretiremesdoigtsdesaboucheetjeregardelesémotionscontradictoiressesuccédersursonvisage.Ilfinitparpencherlatêteversmoietjefrémisensentantsonsouffledansmoncou.
—Dis-moiqu’onneserajamaisensembledecettefaçon.Dis-moidelaissertomberetdepasseràautrechose.
J’aibesoindel’entendreledire,mêmesicetteperspectivemeterrifiecomplètement.—Tuesmameilleureamie.Tuétaismonrepèreengrandissant,dit-ildansunsoupir.Jeneveux
past’abîmer,Bluebird.
Avantquejepuisseluiassurerqu’ilnevapasm’abîmer,Gavinfaitladernièrechoseàlaquellejemeseraisattendue.
Dansmonesprit,jelevoism’attraper,m’embrasseretmefairel’amourtoutelanuit.Maisdanslemonderéel,celuidanslequeljevis,malheureusement,celuioùlesparentsmeurentetoùlesrêvesneseréalisentpresquejamais,GavinGarrisonlâchesonjuronfavori,tournelestalonsetmelaisseplantéelà.
6
MusicFestd’Austin—1erjour
—Un,deux,un,deux,trois,quatre!Gavinmarqueletempoavecsesbaguettesetj’ail’impressionquec’estsousmaboîtecrânienne
qu’iljouedelabatterie.Je n’ai pas dormi après son départ la nuit dernière. Le souvenir de la façon dont jeme suis
humiliée devant luime donnait trop envie de voyager dans le temps pour gifler lemoi d’hier, lebâillonner.
Si seulement je pouvaism’inventer une excuse qui expliqueraitmon comportement. Peut-êtrequejepourraisdireàGavinquejenemesentaispasbienetquej’aipristropdemédicamentscontrelerhumepournepasêtremaladelepremierjourdufestival?Ouluifairecroirequej’aiétévictimed’uneintoxicationalimentaireetquejenesavaispascequejedisais?Saufqu’ilsaitquejen’aipastouchéàmonplatdepâtes.
Mon introarriveet je joue lespremièresnotesdeWhiskeyRedemption,uneballade lentequeDallas a composée à propos d’un homme qui a tout perdu à cause d’un problème d’alcool.D’habitude, j’adore cette chanson et l’harmonie entre le fiddle et la guitare de Dallas, maisaujourd’huiellemetapesurlesnerfs.
GavinGarrisonm’aprovoquéeavantdemelaisserenplan,etc’estseulementmaintenantquejemerendscompteàquelpointjesuisfurieusequ’ilaitalluméuneflammequ’iln’apaspu—oupasvoulu—éteindreensuite.
Après la chanson, on enchaîne sur quelques tubes classiques puis plusieurs morceaux plusentraînants.Alafindenotreset,macolèrebatsonpleinetjesenslafatiguem’envahir.
Entrel’hommedeWhiskeyRedemptionquifinitsansdomicileavantdemourirtoutseuletGavinquinedaignemêmepasmeregarder,monétatémotionnelestdangereusementinstable.Lamusiqueprendplusqueceque j’ai à luidonneret je sensque jenevaispas tarder à atteindremes limites.Néanmoins,Dallas a l’air ravi et dit que, si on joue aussi bien ce soir, il sera le plus heureux dumonde.
MonDieu.Cesoir.LepremiersoirduMusicFestd’Austin.Onmontesurscènedansquelquesheuresetjen’aimêmepasencoreréussiàdigérerl’imagede
larousseentraindesejeteraucoudeGavin.Alorspourcequiestdejouercorrectement…—OnpeutallermangerchezMaeavantlabalanceson,suggèreDallas.Endisantça,ilmelanceunregardencoin,unpeunerveux.—Çava,Dix?Tuasl’airfatiguée,tuveuxfaireunsommeavantleconcert?
Commeilcroitquej’aimesrèglesetquejen’aiabsolumentpasl’intentionderétablirlavérité,ils’abstientdemeposer tropdequestions.Néanmoins, jevois l’inquiétudedanssesyeux lorsqu’ilmeprendparlesépaules.
—Oui.Allez-y,vous.Jevaisrentreràl’hôtelmereposerunpeu.Gavinremballesonmatériel,latêteobstinémentbaissée,etj’aienviedelegifler.Espècedelâche.Jesupposequejen’aiplusqu’àmerésigner.J’aiperdulabatailleetjedoismaintenantenpayer
leprix.C’estpeut-êtremieuxcommeça.S’ilestaussidistantjusteparcequej’aiétéhonnêteaveclui,jepréfèrenepasimaginercequeçadonneraitsij’étaispasséeàl’action.
—Rendez-vousà19heurestapantes,DixieLeigh.Tuasintérêtàêtreàl’heure.Onauratrenteminutespoursechauffer,pasunedeplus,merappellemonfrèredesontonquiveutdire:«Jenesuispaslàpourrigoler.»
—Oui,chef.Jeseraisurlefrontà19heures,chef.J’imiteunsalutmilitaireetjemedirigeverslaporte.—Jeneplaisantepas,Dixie,gronde-t-il.—Jeseraiàl’heure,promis.Jevaismettreunréveilsurmonportable.—Mets-endeux.Je fais le trajet jusqu’à l’hôtelensecouant la tête toute seule.LeDays Innn’estqu’àquelques
pâtésdemaisonsdulocaloùonrépète,maisj’ail’impressiondeparcourirdeskilomètres.Lorsquej’arrivedansmachambre,jesuisprêteàm’effondrersurmonlit.Mais,commejesuisincapabledem’endormirenprenantlerisquededécevoirDallas,jemetsdeuxréveilsàcinqminutesd’intervalle.Commeça,jesuissûredenepasratermoncoup.
Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,jenepensepasàGavintandisquejesombredanslesméandresdusommeil.Jel’aiperdu.Lavéritél’afaitfuir.
***
LettheDrummerKickretentitetlebrouhahadesinstrumentsmesortdematorpeur.Lorsque j’ouvre les yeux, ilme faut un instant pour reconnaître le décor impersonnel dema
chambred’hôtel.Jemeredresseetregardelenomquis’affichesurl’écrandemonportable.C’estGavin.Pourquoiest-cequeGavinm’appelle?Jeplacemontéléphoneprèsdemonoreilled’unemaintoutenmefrottantlesyeuxdel’autre.—Allô?—Debout,Bluebird.Tonfrèreestentraindecomplètementpéterlesplombs.Ilm’aappeléeBluebird.Peut-êtrequejen’aipastoutgâchéavecmaconfessionridicule,enfin
decompte?Mais…merde,quelleheureest-il?—Ilestquelleheure,Gav?Lesmotsn’ontpasencorequittémeslèvresquejeredoutedéjàlaréponse.—Labalanceestdanscinqminutes.—D’accord.J’yserai.Jeraccrochesansunmotdeplus.Saufquec’est impossibleet je lesais.Mêmesi j’étaisprêteàpartir, ilmefaudraitencoredix
minutespourprendreuntaxietrejoindrenotrescène.Jamaisjen’arriveraiàl’heure.Jevérifiemontéléphone:j’aieffectivementrégléleréveilsur6heures…dumatin,aulieude6heuresdusoir.
Jelaissetombermonportablesurlematelas,jemelèveetj’enlèvemonjeanetmonT-shirtàlavitessede l’éclair.J’ouvremavaliseetattrape lesvêtementsquimeparaissent lespluspropres,unpetitshortnoiretunechemiseblanchequin’estmêmepasàmoi,siçasetrouve.Desbretellesnoirespailletées sont encore attachées au short et je décide de les laisser, pour ajouter une touche deglamouràma tenue.Mescheveuxsont indomptablesalors jemetsunchapeaunoir, et j’enfileunepairedetalonsaiguillesnoirsenespérantqu’ilsm’allongentsuffisammentlesjambespourm’aideràtrouveruntaxiplusvite.
Naturellement,j’aimalboutonnélachemiseetjeporteunsoutien-gorgenoiralorsqu’ilrisquedepleuvoirpendantlasoirée.Pourcouronnerletout,monsacserenversequandjel’attrape,alorsjem’empared’unglossauhasard.Unpeudemascaraneseraitpasduluxe,mais jedoutequeDallastrouvequelaséparationdemescilsjustifiemonabsenceàlabalance.
Enpassantdevantlemiroir,jemerendscomptequemonlookestunpoilvulgaire,maisjen’aipasvraimentletempsd’yremédier.Jeprendsl’étuiquirenfermeOz,laclédemachambreetjesorsentrombe.Jemeprécipitedansl’escalierpournepasperdreuneminuteàattendrel’ascenseur,etjepriependant toute ladescentepournepasmebriser lesosaveccesfoutueschaussures.Mestalonsfontunbruitdemitraillettetandisquejetraverselehallencourant.Dansmahâte,jemecognecontreunmonsieurâgéquipousseunchariotchargédevalises.
—Pardon,monsieur.Jesuisvraimentdésolée.Il me sourit chaleureusement et hoche la tête avant de remettre de l’ordre dans sa pile de
bagages.Peut-êtrequ’ilaimebienlesjoueusesdefiddleenmicro-short.Apeinearrivéesurletrottoir,jemeheurtebrutalementcontrecequiressembleàunearmoireà
glace. Je reprendsmes esprits etmon souffle à temps pourme rendre compte que c’est un type àpeineplusâgéquemoi,avecunétuideguitareaccrochédansledos.
Jemurmureunvague«pardon»pourladeuxièmefoisenmoinsd’uneminute.Ilyavraimenttrop de monde dans cette ville… Il pose sur moi des yeux bleu glacier et me sourit d’un airapprobateur.
—Tuestoutepardonnée,mabelle.Hum.D’accord.Apparemment,luiaussiaimebienlesmusiciennesenshorttropcourt.—OK.Désolée.Jelèvelebrasdésespérément,maisaucuntaxinedaignes’arrêter.Dallasvametuer.—TuvasauMusicFest?Jemetourneversmanouvellevictimeensoupirant.—Oui.Etjesuisenretardpourlabalance.—Nousaussi.Enfin,jeveuxdirequenousaussionvaaufestival,pasqu’onestenretard.Tu
veuxqu’ontedépose?Unmaladesurunvélomanquedemerenverseretj’atterrispresquedanslesbrasduguitariste.
Quiestloind’êtredéplaisantàregarder,d’ailleurs.—Faisattention,meprévient-il.Apparemment,lesgenssontcomplètementobsédésparlesport
ici.C’estlaquatrièmepersonneàvéloquej’aivueàdeuxdoigtsderenverserunpiétonaujourd’hui.—Lepiétonenquestionestenretardet,siellen’estpassurlascène7dans…ilyadixminutes,
sonfrèrevalatueretcachersoncorpsdansunétuiàguitaresemblableautien.Jesuisdésoléesij’ail’airmalélevée,maisjedoisvraimentyaller.
—Onaunvanetonconnaîtunraccourci.—Unvan?
Je remarque alors plusieurs autres types du même âge qui chargent du matériel dans unefourgonnette, en bien meilleur état que celle dans laquelle j’ai l’habitude de voyager. Il y aprobablement laclim…cequemescheveuxapprécieraientsûrement,avec leur tendanceàfrisotterdèsqu’ilyadel’humidité.
—Oui. Je suis sûrqu’onaassezdeplacepourunepersonneenplus, siçane tedérangepasd’êtreunpeuàl’étroit.
Risquer de laisser ce type et ses copains me violer en réunion et me balancer au bord d’uncheminOUaffronterlaragedemonfrère…
C’esttriste,maisj’avouequejenesaispasquoichoisir.—Euh,c’estgentil,maisjeferaisprobablementmieuxde…—Jecomprends.Des typesdansune fourgonnette,cen’estpascequ’ilyadeplus rassurant.
Maistupeuxnousfaireconfiance,onestcool.—Jetecroissurparolemaisjepréfère…Sonéclatderiremecoupelesifflet.—Tun’yespasdutout.OnestlesCoolset,àenjugerparl’étuiquetutrimballes,tudoisêtrela
joueusedefiddledugroupequifaitnotrepremièrepartiecesoir.J’ailittéralementenviedememettredesgifles.—Mais…jetereconnais!TuesAftonTate.Putaindemerde!Afton Tate était un enfant prodige de la musique avant de devenir le chanteur des Cools. A
seulementvingtetunans,c’estuneétoilemontantede lamusique indépendanteet iladéjàdéclinéplusieurspropositionsdecontratsdelapartd’énormesmaisonsdedisques.Néanmoins,songroupecontinueà être l’undesplusdemandésdans les festivals et leurs chansons figurent en têtedeshit-parades.
—Çachange,commeréaction,plaisante-t-ilensedirigeantverslevan.—J’adorecequevousfaites.Waouh…Jenesaismêmepasquoidire.Ilritdenouveauetmetientlaportièreouvertepourquejepuissegrimper.—Etant donné que tu faisma première partie, tu pourrais peut-être commencer parme dire
commenttut’appelles?Enfin,c’esttoiquivois.—Monnom.Biensûr.Jem’appelleDixie.DixieLark.Super. J’ai l’aird’unepauvregroupie sanscervelle. Jene suispasmieuxquecette abrutiede
serveuseàquij’aitoujoursenviedecreverlesyeux,enfait.Untypepercédepartoutestdéjàinstallésurlabanquette.Jecroisquec’estMikeyBeam,leur
guitariste.Jemeglisseàcôtédeluietdessifflementsretentissent.—Ducalme, lesgars,ditAftonens’installantauvolant.JevousprésenteDixieLark,elleest
danslegroupequifaitnotrepremièrepartiecesoir.Quelques-uns d’entre euxme saluent d’un hochement de tête etMikeyme volemon chapeau
pourlemettresursatête.— Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je suis coiffée comme un épouvantail, alors j’ai
vraimentbesoindecechapeau.Jeluidonneunepetitebourradeetilsemetàrire.—Jetrouvequeçamevamieuxqu’àtoi,pourtant.Qu’est-cequevousenpensez,lesgars?Ill’ajustedefaçonquelechapeaudissimuleundesesyeuxetlesautressifflentdenouveau.—Aufait,Dixieestunpeupressée,prévientAfton.Alorsonprendleraccourci.—Sérieusement?demandel’hommeassissurlesiègepassageravant.
Ilestsensiblementplusâgéquelesautres.J’imaginequec’estleurrégisseur,étantdonnéqu’àmaconnaissanceilsn’ontpasdemanager.
—Quandunebellefemmedoitabsolumentserendrequelquepart,tul’yconduis,répondAfton.Jemesensrougirjusqu’àlaracinedescheveuxetjetournelatêtepourquelesautresnes’en
rendentpascompte.—Oh!c’esttropmignon,minaudeMikey.Aftonaunfaiblepourtoi,Dixie.Attends,jevaiste
fairepasserunpetitmotpourtedemandersituveuxbiensortiraveclui.—C’estvraimentsympadetapart,enfoiré,marmonneAfton.Je suis quasiment certaine que la rue dans laquelle on se trouve est coupée à la circulation à
l’occasiondufestival.Tandisqu’Aftonaccélère,jel’observeunpeuplusattentivement.Sescheveuxsombressontbouclésetilavraimentunbeauvisage,avecunairencoreunpeuenfantin.
Maisiln’arrivepasàlachevilledeGavin.Cequejepeuxdétestermonsubconscient,parfois.Avantquej’aieletempsdepoursuivremonexamen,ons’arrêtedansuncrissementdepneuset
Mikeyfaitcoulisserlaportière.Aftonm’alittéralementamenéeaupieddelascène7.—Mercidem’avoirdéposée,messieurs.Jeme tordsunpeu lachevilledroiteensautantàbasduvan,mais jen’aipas le tempsdeme
lamentersurmonsort.—Bonnechancepourcesoir,meditAfton.J’aiàpeinefaitquelquespasquej’aperçoisDallasetGavinquimefusillentduregard.Jeleur
offreàchacunmonplusbeausourired’excuseetunpetitsignedelamaintandisquejem’approchedel’escalierquimèneàlascène.
—Hé,premièrepartie!crieunevoixdansmondos.Tuasoubliéça!Jemeretourneetjevoisqu’Aftonestjustederrièremoi.Ilmesourit,monchapeauàlamain.—Merci!Jetendslebraspourl’attraper,maisilrecule.—Dîneavecmoi.—Quoi?Maisj’aiunebalance,tusaisbien.Mondosmedémange.Sansdoutelesyeuxdemonfrèrequilancentdesflèchesempoisonnées
dansmadirection.—Aprèsleconcert,espècedefolle.Dîneavecmoiaprèsleconcert.Iltienttoujoursmonchapeaupilehorsdemaportée.Normalement,çam’énerveraitqu’onme
taquinedelasorte,maisAftonTatearriveàrendreçadrôle.Ilmeregardeavecunmélanged’espoiretdenervosité,maisjesuistroppréoccupéeparl’engueuladequim’attendpoursongeràcequesoninvitationsignifievraiment.
—Jevaisréfléchir,OK?Çadépendsurtoutdesimonfrèrem’égorgeoupas.Etplusjelefaisattendre,plusjerisqued’êtreportéedisparue.
—Alorssic’estunequestiondevieoudemort…Aftonmesouritetposemonchapeausurmatête.—Passemevoiraprèsleconcert,d’accord?Je hoche la tête,maismon propremanque d’enthousiasmem’agace. C’estAfton Tate, quand
même.Oùsontlespapillons,l’estomacnouéettouscestrucs?Iln’yapasuneadoousamèresurcetteTerrequi ne fantasmepas sur cemec—sur tout songrouped’ailleurs.Etmoi, je suis justevaguementflattéeparl’invitationetreconnaissantequ’ilaitjouélestaxis.
J’avance jusqu’à la scène lamort dans l’âme, certaine queDallas vame trucider. En passantdevantlui, j’ignoreroyalementlegarçonparlafauteduqueljenesautepasdejoieàl’idéed’allerdîneravecAfton.Delamêmefaçonqueleditgarçonm’aignoréetoutàl’heurependantlarépétition.
—Dallas,jesuisdésolée.Jenemesuispasréveillée.J’aimisdeuxréveils,commetumel’avaisdit,et…
—Contente-toidejouer,Dixie.Jen’aivraimentpasenvied’écoutertesexcuses,là.On interprète quelquesmorceaux pour nous échauffer et nous assurer que l’acoustique nous
convient.Achaquenote,jemetstoutemonénergieettoutmontalentauservicedemonarchet.Aunmoment,Gavincasseunebaguetteetilmefusilledesyeuxquandjetournelatêteverslui.Acroirequeluiaussiaccordesoudainementuneimportancevitaleàlaponctualité.Acetteexception,niDallasniGavinnemejetteunregardpendanttoutelabalance.
Dèsqu’onaterminé,jefaisunedernièretentativepourobtenirlepardondemonfrère.—J’aimerdé,jesais,maisjet’assurequeçanesereproduirapas.Dallasmefaitface.—Qu’est-cequetufabriquaisavecAftonTate?Jepensaisquetufaisaisunesieste,pasquetu
batifolaisavec…—Attends, je rêve ou tu viens de dire « batifoler » ? J’ai vraiment fait une sieste, pour ta
gouverne.Ons’estcroisésalorsquejesortaisdel’hôtelencourantet,commeiln’yavaitpasdetaxi,ilaoffertdemeconduirejusqu’ici,toutsimplement.
—Et donc, tu as sauté dans un van rempli demecs que tu n’avais jamais vus de ta vie ?Tudéliresouquoi?Jetecroyaisplusintelligentequeça,Dixie.
Jesecouelatêtependantquejerangemonarchetdansmonétui.—Vas-y,dis-le:jesuisirresponsableetimmatureetjen’airienàfaireici.Jeferaismieuxde
retourneràl’écoleetdepassersagementmaviedansunefossed’orchestre,plutôtquedesillonnerlesroutesavecvous.
Dallasaunmouvementderecul.—Dixie,cen’estpascequeje…—Tusaisquoi?J’aiunscooppourtoi: jesuisunegrandefilleetjefaisdeserreurs.Avrai
dire,j’enaimêmefaittoutuntascesdernierstemps.Endisantça,jeregardeGavin,quiobservelascèneplanquéderrièresabatterie.—Jenesuispasparfaite,jesuisjusteunêtrehumain,etaussiuneadultequiméritelebénéfice
dudoute.Jemesuisexcuséeet,franchement,jenevoispascequejepeuxfairedeplusàpartpasseràautrechose.Parcontre,sitoitunepeuxpas,c’esttonproblème,paslemien.
J’attrapeOzetjeleurtourneledos,aucombledelafrustration.Cenesontpaslesraisonsquimanquent.Gavinneveutpasdemoidanssavie,Dallasneveutpasdemoisurlaroute,alorsquec’estle seulendroitoù jemesentevraimentchezmoi,et je suiscomplètement insensibleaucharmedumusiciensexyethyper-talentueuxquim’ainvitéeàsortir.
—DixieLeigh,cen’estpascequejevoulaisdire.C’estjusteque…Jelèveunemainenl’airpourluifairesignedesetaireetjem’envais.Ilfautabsolumentqueje
mettedeladistanceentreeuxetmoi.Ettoutdesuite.J’ai passéma vie à sauver les apparences,mais là, je sens que j’ai de plus en plus demal à
donnerlechange.J’aitoujoursacceptémonexistencetellequ’elleétait,sansmeplaindreetsanstropendemander.J’aitoujoursfaitensortedenepaslaisserladouleurcauséeparlamortdemesparentsdéteindresur lesgensautourdemoi. J’ai tentéd’êtrecequeDallasetGavinavaientbesoinque jesois,d’êtreuneenfantsansproblèmesetdenepasembêtermesgrands-parents,quiseretrouvaientà
nouséduqueràunâgeoù ils auraientdûprofiterde leur retraite. J’ai fait tout cequiétait enmonpouvoirpouréteindrel’incendiequifaitrageenmoidèsqueGavinposelesyeuxsurmoi.
Maistoutça,toutecetteretenue,afiniparsemerlechaosenmoi.Unchaosquimeperturbeetmefaitsouffrir.
Acôté,ledéchirementqu’aétémondépartpourHoustonparaîtraitpresquefacileàgérer.L’idéedepartirentournéeaveclegroupemeplaisaittant.Jamaisjen’avaisimaginéqu’ilpourraityavoirdes inconvénients. Mais, à présent, je sais que ça inclut une place au premier rang du défilé desconquêtesdeGavinetçamultiplieparl’infinicequej’airessentienlevoyantflirteraveclaserveuse.
—Tuvasoù?mecrieDallasdepuislascène.—J’aibesoind’air.Jeserairevenueàtempspourleconcert.MavoixtrembleunpeuetjemedemandesiluiouGavins’enrendentcompte.Jeneseraipasenretard.Maisjeneseraipeut-êtrepasentièrenonplus.
7
—J’endéduisquetonfrèreétaitfurax?Je sursaute en entendant la voix d’Afton.Assise seule à une table dans un petit bar, je ne l’ai
mêmepasvuarriver.Ilal’airsincèrementinquiet.—Onpeutdireça,oui.—Désolé.Sijenet’avaispastenulajambedevantl’hôtel…—J’étaisdéjàenretard.Crois-moi,cen’estabsolumentpastafaute.Ilbaisselatêteetm’observeàtraverssescils.—Çanecoûteriend’essayerdepartagerlaresponsabilité.Jeluiadresseunpetitsourire.—Merci.C’étaittrèsnobledetapart.—Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeregardepas,maisçamesembleunpeuexagéré
commeréaction,non?Jehausselesépaulesensuivantduboutdesdoigtslemotifgravésurledessusdelatable.—Unpeu.Disonsqu’ilyad’autrestrucs.Nonpasquej’aieprévudet’enparler.—Jevois,répond-ildoucement.Onpeutpeut-êtreendiscutercesoirautourd’undîner?Ilya
unrestomexicainpastrèsloind’icietilparaîtqu’ilsserventjusquetarddanslasoirée.Il attendma réponse et à chaque seconde qui passe la lueur qui brille toujours dans ses yeux
sembleseternirunpeu.—Combiendefoisjepeuxt’inviteravantd’avoirl’airdésespéré?—Normalement,Bluebirdnedit jamaisnonàun repasgratuit.Alors si tudois luidemander
plusd’unefois,çaveutdirequ’ellen’enapasenvie.LavoixdeGavinnoussurprendtouslesdeux.Aquoiiljoue?Ilnem’ajamaisappeléecommeçadevantquelqu’un.Pasunefoisendixans.Aftonécarquillelesyeuxetlèvelesmainsensigned’excuse.—Désolé,mec.Jenesavaispasqu’elleavaituncopain.—C’estparcequ’ellen’enapas,jerétorqueaussitôt.Jesuisentraindecomprendre.Gavinpeutmejetercommeunemalpropre,maisilnesupporte
pasdemevoiravecquelqu’und’autre.Jemelèvepourêtreaumêmeniveauqu’euxetmetourneversAfton.
—J’adoreraisdîneravectoi.Onn’aqu’àseretrouveraprèstonconcert.Ungrandsourireilluminesoudainsonvisage.—Génial.Bonconcert,DixieLark.
Ilmefaitunclind’œiletdisparaîtdanslamasse,melaissantseuleavecM.ChaperonFurax.—Qu’est-cequetufabriques?Jecroiselesbrassurmapoitrineavantdeluirépondre:—Jepeuxteretournerlaquestion.—Jetesauvelamiseavantquetonfrèreneteviredugroupeouqu’ilteconfisquetonsolo.—Ah.J’endéduisquec’estl’heure?—Oui.C’estl’heure.Sansunmotdeplus,iltournelestalonsetjeluiemboîtelepas.Lebarestbondéetonadumalà
sefaufileraumilieudecettemaréehumaine.Mais,aufuretàmesurequ’onapprochedelascène,lafoulesembleplusclairsemée.
C’estunpeuleproblèmequandonfaitlapremièrepartied’unautregroupe.Toutlemondeestencoresobreet lepublicestbeaucoupmoinsindulgent.Enplus,cesoir, ilnefaitpasencoreassezsombrepourcomptersurladosedemagiequ’ajoutentnormalementleslumières.Dallasn’apastoutàfaittortquandilditqu’onvadevoirêtreabsolumentirréprochables.
Lesingénieursdusonsontencoreentrainderéparerdumatériel,cequiveutdirequ’ilyauraforcémentdespetitscouacspendantnotreset.Dallas trouveça inacceptablemais,pourmoi,çafaitpartie du jeu.Les imprévus, les incidents, les soirs où rien ne se passe commeon le voudrait, lesconcerts où tous les éléments sont contre vous… c’est aussi ça que j’aime. La musique est uneexpérience, elle est pleine de vie et indomptable. Vous pouvez essayer de tout organiser, de toutprévoir,maisellenesesoumetjamaiscomplètementàvotrevolonté.
Jesuisnéepourêtreunepremièrepartie,pourêtretoujoursunpeusurlefilettenterdetirerlemeilleurpartidechaquechose.Maismonfrère,lui…ilestfaitpourêtreentêted’affiche.
QuantàGavin…jenesaispasvraimentcequ’ilest.Lerappel,peut-être.Celuidontlepublicneselassejamais.
Mêmesijesuiscomplètementstressée,jenepeuxpasm’empêcherderemarquersonjeannoirquiluitombesurleshanchesetsesbaguettesquidépassentd’unedespoches.Jenepeuxpasrésisterau besoin de contempler la manière dont son T-shirt épouse son dos large et dont ses tatouagessemblentprendrevielorsquelesmusclesdesesbrasbougent.
Quand on atteint la scène, Gavin va immédiatement s’installer derrière sa batterie. Il est encolèreetjesensbienquec’estcontremoi.Saufquejen’aipaslamoindreidéedepourquoi.
—Dallas,jesuissincèrement…Jen’aipasletempsdefinirdeprésenter—unenouvellefois—mesexcuses,carmonfrèreme
prenddanssesbras.—Jesaisqueçafaitdixansetjesaisqu’ilstemanquent.Jesuisdésolé,DixieLeigh.Situsavais
àquelpoint.Ilmeparleàl’oreille,toutbas,toutenmecaressantlescheveux.Ilyaunetelleémotiondanssa
voixquejesensquejesuissurlepointdeflancher.Alorsjemecontentedehocherlatêtesansriendire.
—Çavachanger.Tuvas avoiruneviemeilleure, je te lepromets.Ouplutôtnon, jene te lepromets pas : je te le jure.Dix, je jure sur lamémoire de nos parents que tu auras tout ce que tumérites.
—Dallas,j’aidéjàtoutcedontj’aibesoin.J’ailamusiqueetjet’ai,toi.Çamesuffit.Etj’aiGavin.Saufqu’onnepeutpasvraimentavoirdufeu.Onnepeutpasteniruneflammeentresesmains
sanssebrûler.
—Ehbien,tunedevraispastecontenterdeça.J’aitroppeurdememettreàpleurers’ilcontinuecommeça,alorsjelecongédieavecunclin
d’œil.—Onenparleraplustard.Vaàtaplace,grandfrère.C’est l’heuredeleurenmettrepleinles
oreilles.Ilmelaisseseule,prêteàattaquermonsolo,etjemelance.Jegardelesyeuxbaissésjusqu’àlafinet,quandjerelèvelatête,jem’aperçoisquelepublicest
sensiblement plus nombreux qu’au début. Je n’avais pas non plus remarqué qu’Afton et les autresmembresdesongroupeétaientpostéssurlecôtédelascène.
Pendant tout le reste denotre concert,Aftonneme regardepasune seule fois.Sesyeux sontfixéslàoùlesmiensrêveraientd’être,làoùmoncœurrevientsanscesse.RivésàGavinGarrison.
***
Une brise légère rafraîchit un peuma peau encore brûlante. Le concert s’est bien passé et leparterredevantnotrescèneétaitpleinàcraqueràlafin.MêmeDallasétaitcontent,c’estpourdire.
— Ton batteur a l’air un peu… véhément, dit Afton pendant qu’on marche en direction durestaurant.
—Hum…SivéhémentestunbonadjectifetbatteurunbondescriptifpourGavin,iln’estcertainementpas
monbatteur.D’ailleurs, j’ai aperçu sa nouvelle serveuse préférée qui roulait des fesses jusqu’à luiaprèsnotreconcert.
—Iln’avaitpasl’airenchantéquejet’emmènedîner.Apparemment,Gavinl’avraimentintimidé.LorsqueAftonestvenuseprésenteràGavinetDallasensortantdescène, ils sesont tous les
deuxplantésdevantmoi,commepourluibloquerlepassage.Lesépaulesdroitesetlementonrelevé,onauraitditdeuxmembresdelagarderoyale.
Dallasamêmepromisdeselanceràsapoursuitesijenesuispasderetouràl’hôtelàminuit.Apparemment,jesuisCendrillonetpersonnenem’avaitprévenue.Gavin,quantàlui,m’ajustejetéun regardmeurtrier. J’aimarquéunepause enpassant à côté de lui, pour lui donner unedernièrechancededirequelquechose.N’importequoi.Envain.
Quandj’aieulaconfirmationqu’iln’allaitrienfaired’autrequenousscruterméchamment,j’aihaussélesépaulesetprislebrasd’Afton.Aumoins,ilyaunmecsurcetteplanètequin’apaspeurdemetoucherdevantmonfrère.
Même une fois qu’on était sortis de son champ de vision, j’ai continué à sentir le regard deGavinsurmoi.Ils’étaitinsinuésousmapeauetmesuivaitpartout.Malgrétousmeseffortspourmeconvaincrequejememoquaisbiendelaraisonpourlaquelleilnevoulaitpasquej’ailledîneravecAftonTate.
—Ilsontjusteunegrossetendanceàmesurprotéger,c’esttout.—Tonfrère,peut-être.Maislebatteur…cen’estpasdutoutdesondesdefrèresurprotecteur
quej’aisentieschezlui.—Etquelgenred’ondesc’était,alors?J’ai des papillons dans l’estomac. C’est affreux,mais c’est la première fois qu’Afton éveille
vraiment mon intérêt. Je suis horrible. Pire encore, je suis tordue et visiblement encline aumasochisme.
—Ilnetequittepasdesyeuxquandtujoues.Unnœudsiénormeseformedansmagorgequejen’arrivepasàrépondre.Gavinmeregarde?Jen’aiaucunmoyendesavoirsic’estvraioupas,carjenepeuxpasvoirGavinpendantqueje
joue.Jenevoispasgrandmonde,d’ailleurs.Enrèglegénérale,jefermelesyeuxetjenevoisplusquelescouleursvibrantesdelamusiquequej’interprète.
—Jen’inventerien,jet’assure.Jenedécèleaucunetracedejalousiedanslavoixd’Afton.Ilparledemanièredouceetposée,
comme un professeur dont le seul objectif est de faire part à ses élèves d’un phénomène qu’il aobservé.Ilestréellementgentiletjemetrouveinjustedenerienavoiràluioffrirenretour,mêmesiceschoses-lànesecommandentpas.
—Jetecrois.Jeréfléchissais,c’esttout.Jesuissûrequec’estsimplementpours’assurerquejeneratepasunemesureetqu’ilnedoitpasrattrapermesbourdes.
Dieumerci, on arrive enfin devant un bâtiment bariolé qu’Afton désigne comme étant notredestination.
Ilm’ouvrelaporte,etunefemmeentièrementvêtuedenoirnousaccueille.Elleaunfortaccentespagnoletsatenuecontrastefortementaveclescouleurséclatantesdudécor.Dessombrerosornentlesmursetunemultitudedelanternesenverrependentauplafond.Desodeursdélicieusesdesauceetdefajitasflottentdansl’air.
Onnousdonnedesmenusetonnousinstalleautourd’unepetitetable,dansuncointamisé.Lecadreestunpeuplusintimequecequej’auraisvoulu,àvraidire…Aftonmeregardetimidementetesquisseunsourireunpeucrispé.
—Tuasdéjàchangéd’avisetturegrettesdem’avoirinvitéeàdîner,c’estça?Sic’estlecas,tuferaismieuxdeme le dire tout de suite, parce que je suis sur le point de commander tout le côtégauchedumenu.
Aftonbaissesacarteetsepassenerveusementunemaindanslescheveux.—Jeplaisante.Jevaisjusteprendreunequesadillaaupoulet.Détends-toi.Ilinspireprofondémentetsepencheversmoi.—Tum’asimpressionnésurscène.Tuesvraimentdouée.Ettrèsbelle,aussi.Evidemment.Ilbaisselatête,visiblementembarrassé,avantdepoursuivre:—Jenesaispastropcommentdireça,maisjevaisfairedemonmieux.—Oh!mevoilàrassurée.Moiquiavaispeurd’êtremalàl’aiseavantmêmed’avoircommandé
lesentrées,jemesensmieux,toutdesuite.Ilsouritenfindeboncœuretunelueuramuséebrilledanssesyeux.—Désolé.Jenesuispasaussinul,d’habitude.—Jedoisreconnaîtrequec’estsansdoutelapremièrefoisquejerendsunmecaussinerveux.—Cen’estpastafaute.C’estmoi.—Demieuxenmieux.Onn’utilise jamais l’excusedu«cen’estpas toi,c’estmoi»avant le
dessert,jetesignale.Oumêmejamaisavantd’avoircouché,jedirais.Ilécarquilletellementlesyeuxquejesuisàdeuxdoigtsd’éclaterderire.—Tu…tuasl’intentiondecoucheravecmoi?Aupremierrendez-vous?demande-t-ilavecun
mélanged’impatienceetd’anxiété.—Maintenantquejesaisdéjàavecquellephrasetuvasmelarguer?Certainementpas.Jen’arrivepasàretenirunsourireetilm’imite.
—C’estméchant de temoquer demoi comme ça. Je commence àme dire que c’est toi quidevraism’inviteràdîner.
—Horsdequestion.C’esttoiquiasinsisté,jeterappelle.Là-dessus, un serveur, qui n’amême pas l’air d’avoir l’âge de conduire, nous interrompt et
déposedestortillasetunboldesaucesurnotretable,ainsiquedeuxverresd’eau.JecommandemaquesadillaetAftonprenddesfajitasaubœuf.Unefoisqueleserveurs’éloigne,jem’empared’unetortillaetmeconcentresurmoncavalier.
—Etdonc,qu’est-cequetudisais?—Enfait,j’aimeraisbiensavoirpourquoituasacceptédedîneravecmoi.Çam’al’aird’une
décisionplutôtrisquée.Sonregardcroiselemienetj’ylisdavantagequedelasimpletaquinerie.Ondiraitbienquej’ai
déclenchéquelquechoseenparlantdesexe.Jeboisunegorgéed’eauetj’attendsuninstantavantderépondre:
—Laisse-moideviner.Tuas eu l’impressionque le comportementdemon frère et deGavinvoulaitdire :«Tupeux regardermaispas toucher», etmaintenant tu cherchescommentbattre enretraite.
Jelèchelesmiettesquisontrestéescolléessurmeslèvresetlesyeuxd’Aftonseposentsurmabouche.Ilsuffiraitdefaireuneblagueunpeuprovocanteoudeselécherlabouchepourfascinerunhomme?Ilfautquejetireçaauclair.
—Amoinsque…Jememordslalèvreinférieureetmepencheverslui.—…tunesoispasaussigentilquetuenasl’airetquetuaiesenviedeprendredesrisques.Ilselaisseallercontresondossierethausselessourcils.—Honnêtement,prendredesrisques,cen’estpasmongenre.Aftonn’estpas justegentil : ilest intelligentet,visiblement, ilvoitclairdansmonpetit jeu.Il
fautcroirequejenesuispasaussiirrésistiblequej’aimeraisl’être.C’est pour ça que Gavin n’a pas voulu de moi. Parce que je ne suis pas assez sexy ni
expérimentée.Çadoitsevoircommelenezaumilieudelafiguresimêmequelqu’unquejeviensjustederencontrerrejettemesavancesaussifacilement.Ilnemeresteplusqu’àfairebonnefigure.
—C’estcequej’aientendudire.—C’est-à-dire?—Ilparaîtquetuasreçubeaucoupd’offresdelapartdegroslabelsetdemanagersimportants.
Pourquoiavoirditnonàtoutlemonde?Pourquoinepastentervotrechance?—Parcequej’aimemacarrièreetmongroupetelsqu’ilssont.C’est toujourspareilavecces
gens-là:ilscommencentpartedirequetuesgénial,puisilssemettententêtedechangertoutcequifaitquetuesgénialàlabase.
—Jevois.Çame rend triste de penser que le grouped’Afton risque de ne jamais vraiment connaître le
succès.Ilssontfranchementbonsetilsméritentmieuxquedevivreentassésdansunvanengagnantunemisère,mêmes’ilsaimentleurviecommeelleest.
Soudain,jecomprends.C’estsûrementcequeDallasressent.—Nefaispascettetête.Onreçoitrégulièrementdespropositions.Pourlemoment,onesttrès
biencommeça.Siçachange,alorsonexploreralesdifférentesoptionsquis’offrentànous.Jehochelatête.Çanemeregardepasdetoutefaçon.
—Jecomprends.Désolée,jesuisindiscrète.—Çanemedérangepasd’enparler.Et,pourtagouverne,jenesuispasentraindebattreen
retraite.J’aimejustesavoiroùjemesitue.—Parrapportàquoi?—Aubatteur,dit-ild’unevoixneutre.Ilneteregardepascommes’ilavaitpeurquetufasses
unefaussenote.Plutôtcommes’ilavaitpeurquetudisparaissesetquetuemportessoncœuravectoi.«Si je te touche, si jem’autorisene serait-cequ’àposerunemain sur toi, jene suispas sûr
d’êtrecapabledem’arrêter.»J’essaiederepousserlesmotsdeGavinquitententdes’insinuerdansmonesprit.—Pasmal.Tudevraismettreçadansunechanson.—C’estlavérité,insiste-t-ilenhaussantlesépaules.Jel’aiobservépendanttoutleconcert:ilte
regardecommesisavieendépendait.Jemesuisvraimentsenticondet’inviteràsortiralorsqu’ilyaclairement…
—Iln’yariendutout,d’accord?Tunesaisabsolumentpasdequoituparles.Ilaunmouvementderecul,sansdoutesurprisparlaviolencedemaréaction.Décidément,piquerdescrisesàl’heuredesrepasestentraindedevenirunemanie.Jevaisfinir
parmourirdefaimsijecontinue.Jerespireprofondémentetjeplieetdéplielesdoigtspouravoirquelquechosesurquoimeconcentrer.
—Ecoute,cen’estpasaussicompliquéqueçaenal’air.J’aisimplementeulebéguinpourluiquandonétaitplusjeunesmais,crois-moi,onneserajamaisautrechosequedesamis,ilaététrèsclairlà-dessus.Onestdeuxmusiciensquijouentdanslemêmegroupe,c’esttout.
«Onestplusqueça.Vousêtestoutcequej’ai,Dallasettoi.Tucomprendsça?»Commentsefait-ilqueGavinsoitsoudainunepetitevoixdansmatête?Aftonouvrelabouche,
maisnosplatsarriventavantqu’ilnepuisserépondre.C’estsansdoutemieuxcommeça.On commente le contenudenos assiettes respectives—vraiment délicieux—puisAftonme
parled’unepetitetournéed’artistesindépendantsàlaquelleilaimeraitquesongroupeparticipe.J’aimebiendiscuteravecluietjepasseunbonmomentmais,dèsqu’onafinidemanger,jen’ai
qu’uneenvie:retrouverlasolitudedemachambre.Mêmesansêtrelà,Gavinaréussiàgâchermonrendez-vous.
8
Jel’aivu.GavinétaitdanslecouloirquandAftonm’araccompagnéejusqu’àmachambred’hôtel.Iladû
nousentendrearriveretfaireaussitôtdemi-tourcarjel’aijusteaperçuunedemi-secondeavantqu’ilnes’engouffredansl’escalier.Maisilétaitàmonétage.
Pourquoi?Entempsnormal,jemeseraisjusteditqueluietDallasfaisaientdesrondespours’assurerque
jerentraisàl’heure.Maiscequ’Aftonm’aditpendantledînerafaitnaîtreunfolespoirenmoi.Peut-êtrequ’unjourGavinmevoudrasuffisammentpouroser.OserdéfierDallas,mettreenpérill’avenirdugroupeetaussiceluidenotreamitié.
Je dois reconnaître que c’est un risque énorme. La possibilité de gâcher tout ce qu’on a, deperdreà la fois laconfiancedemon frère, legroupeet l’amitiédeGavin,medonne l’impressiond’êtreenéquilibreaubordd’ungouffresansfond.
Arrivéedevantmaporte,jemetourneversAfton.—Merci pour le dîner. Désolée de rentrer aussi tôt, je sais que c’est nul, mais je suis plus
fatiguéequecequejecroyais.—Tuestoutsaufnulle.Ilsourit,maisjesensbienqu’ilestdéçudanslefond.—Encoremercidem’avoirdéposéetoutàl’heure.J’aivraimenteuchaudauxfesses.Ilsepencheetregardemesfessesouvertement.—Quisontsuperbes,ilfautbienl’avouer,medit-ilavecunclind’œilmalicieux.—Raviequ’ellesteplaisent.Jeluitendslamain.Aulieudelaserrer,illasoulèveetmefaitunbaisemain.Jerisgaiement.
C’esttellementclichéquejenerésistepasàl’enviedeprendremonplusbelaccentdeduchesseduXVIIesiècle.
—Adieu,sieurTate.Cefutunréelplaisirqueceluidefairevotreconnaissance.Tousmesvœuxderéussitedansvosfuturesaventuresmusicales.
—Qu’ilensoitdemêmepourvous,dameLark.Peut-êtrenoscheminsse recroiseront-ilsunjourprochain.Sinousavonslachancequelesétoiless’alignentdenouveau.
A cet instant, tandis qu’on joue tous les deux la comédie et qu’Afton me sourit sichaleureusement, je commence à comprendre pourquoi Gavin est capable de coucher avec desinconnues.
Lasolitudeest lequotidiendesartistesentournée,etellel’estencoreplusmaintenantquej’aiunechambreàmoitouteseule.Laperspectived’unpeuderéconfort,mêmes’iln’estquepassager,esttentante.JepourraisinviterAftonàentrer,lelaisserm’embrasser,tirersurlaceinturedesonjean,etpasserunenuittrèsagréabledanssesbras.
Saufquejerevoisencorel’expressiontourmentéedeGavinquandilm’avuepartiravecAftonet jesais lenombreexactdebaguettesqu’ilacasséescesoir.Cinq.C’est lapremière foisqu’ilencasseautantenunseulconcert.Onnepeutpourtantpasdirequ’onjoueduheavymetal.
Peut-êtrequ’ilnemedésirepas suffisammentpourmeprendre lamainet sauterdans levideavecmoi,maissavoirquejeluiferaisdumalenétantavecAftonsuffitàm’encouperl’envie.
—Peut-être,dis-jeenfinàvoixbasse.Bonnenuit,Afton.—Bonnenuit,DixieLark.Ilselaissecongédiersansprotesterets’éloigne,enparfaitgentleman.Unefoisdansmachambre,j’appuiemondoscontrelaporteclose.Ozestlàpourm’accueillir.
Peut-êtrequeçanedérangeraitpaslesgensdeschambresvoisinesquejejoueunpetitpeu?Je songe soudain qu’il est trop tard pour appeler papy et j’ai envie demegifler. Je l’appelle
toujoursaprèsunconcertpourluidirecommentças’estpassé.Maisildoitdéjàêtrecouchéàcetteheure-ci.Jem’assiedssurmonlitettented’écriredesparolespotablespourunechansonsurlaquellejetravaille.J’écrissansrelâche,jusqu’aumomentoùjen’arriveplusàgarderlesyeuxouverts.
***
Lelendemainmatin,jeretrouveDallasdanslehalldel’hôtel.—J’imaginequetonsbiret’ainforméquej’étaissagementrentréeplusd’uneheureavantmon
couvre-feu?—Monquoi?IlfroncelessourcilsetsesyeuxseposentsurGavin,quivientdenousrejoindre.Ilal’aird’être
tombédesonlit.—Oublie.Jen’aiplusenvied’enparler.Gavinnousditbonjourd’unevoixrauquequim’exciteinstantanément.Jetournelatêteverslui
pouressayerdecroisersonregard.Echeccuisant.Ilnelèvemêmepaslesyeux.—Tuespasséoùcettenuit?luidemandeDallas.Tuesalléretrouverlarouquine,finalement?Macuriositémasochisteestimmédiatementpiquéeauvif,maisledégoûtmefaitgrimacer,alors
jem’éloigneversleparking.HorsdequestionqueGavins’enrendecompte.Etpuis,ilvautmieuxquejenesachepas.Çanechangerien,detoutefaçon:mêmesij’avaissu
hiersoirqu’ilétaitavecelle,jen’auraisrienfaitavecAfton.Jen’arrivepasàm’imaginercouchantavecquelqu’unparvengeanceoupardépit,etencoremoinsavecungarçonaussigentilque lui. Ilméritemieuxqueça.
Lesoleilm’aveugledèsquejemetsunpieddehorsetjedoismeprotégerlesyeuxpourrepérerlevan.Lesgarçonsnetardentpasàmerejoindreet,heureusement,lesujetsembleclos.
—Onyvaàpiedouenvoiture?—Apied,merépondDallas.LabatteriedeGavinestdéjàsurplaceettouslesparkingsdoivent
êtrebondés.Sionprendlevan,onneretrouverapasdeplacepoursegarer.Jeleslaisseouvrirlamarcheetprendrequelquesmètresd’avance.
J’aibesoindesipeudechosespourexister. Ilmefaut justede l’eau,Oz,de lamusiqueetuncœurquibat.Mêmeunpetitpeu.Tantqu’ilnes’arrêtepas.
Batsjusteunpetitpeu.J’inspire.J’expire.Allez,DixieLeigh.Avance.Plusfacileàdirequ’àfaire.J’ai l’impressionquelebitumesetransformeensablesmouvants
sousmespiedsetquel’airestsidensequejevaisétouffer.Jenesaispassic’estàcaused’Afton,denotrerencardoud’autrechosequin’arienàvoiravec
moi, mais Gavin est contrarié, je le sens. Ses épaules sont tombantes, il a la tête basse, et l’airnonchalant qu’il affiche toujours semble forcé. Peut-être qu’il a la gueule de bois ou qu’il est demauvaisehumeur.Peut-êtrequesamèrel’aappeléetqu’elleluiademandédel’argentenluidonnantuneexcusedébile,alorsqu’enfaitc’estpours’acheterdeladrogue.Peut-êtrequelarousseétaitsibonneaulitqu’iln’apasdormidelanuitetqu’ilestépuisé.
Entoutcas,quellequesoitlaraison,iln’estpasdanssonétatnormaletparconséquentmoinonplus.
Je ne sais pas quand je suis devenue cette espèce de pauvre fille pathétique complètementdépendantedubonheurdequelqu’un.Quelqu’unquim’aclairementditqu’ilnefranchiraitjamaislafrontièredel’amitiéavecmoi.Etpourtantjerestelà,touteseuleettoujoursaussiamoureuse.
On arrive dans la rue où se trouve l’entrepôt.Dallas etGavin traversent le carrefour au trottandisquejelessuisentraînantlespieds.
Sil’annéequej’aipasséeàHoustonpourdeveniruneviolonisteclassiqueaétécatastrophique,cen’estpasseulementparcequejen’aimaispaslegenredemusiquequejejouais.C’estaussiparcequej’étaisloindestroishommesdemavie.
LoindelachaleurdeGavin,desonfichusourireàfossette,loindelaprésencedemonfrèreetde son rire réconfortant, loin de la force tranquille demon grand-père et de ses encouragementsconstants,j’aicommencéàchanger.Commeunefleurquinevoitpluslalumièredusoleil,jemesuisfanéedejourenjour.Jemesuisrenferméesurmoi-mêmeetjemesuisrapprochéedecellequejeseraissûrementdevenuesiGavinGarrisonn’étaitpasapparusurleperronlejourdel’enterrementdemesparents.
***
Alafac, tout lemondepensaitquej’étais timide,à l’exceptiondeceuxquimeprenaientpourunepetitesnobinardequisecroyaitsupérieureàeux.S’ilsavaientsuàquelpointilsétaientloinducompte…
Alors, quand j’ai obtenu la place de premier violon solo, tout ça sans être passée par leconservatoire,nipar les stageshorsdeprixquemespetits camaradesavaient enchaînés toute leurvie…inutilededirequeçan’apasenchantélesautres.
MaisquandDallasm’aappeléepourmedirequepapyavaitfaituninfarctus,jen’aipashésité.Jesuispartieavantlafindesexamensetj’aiprislepremierbuspourAmarillo.
La frayeur que papym’avait faitem’avait rappelé à quel point la vie était courte. Jemouraisd’envied’allerchezGavinencourantpourluidirequejel’aimaisetquejenepouvaispaspasserunesecondedeplusloindelui.
IlasuffiàDallasdequelquesmotspourm’endissuader.C’étaitlepremiersoiraprèslasortiedepapydel’hôpitaletonvenaitdel’installeràlamaison.Dallasm’aentraînéedanslacuisinepour
discuteretj’aisautésurl’occasionpourluiexpliquercequem’avaitditmonconseillerd’orientation.Etantdonnéquec’étaituneurgencefamilialeetqu’ilnerestaitquequelquessemainesavantlafindusemestre, ils acceptaient de me garder une place jusqu’à l’automne et de me laisser passer lesrattrapages.
Rienn’auraitpumeprépareràlaréponsedemonfrère:—Jenepeuxpasdirequeçam’enchantequetuaiesquittél’écoleetenmêmetemps…jenesuis
pasmécontentquetusoislà,Dix.Ecoute,jesaisqu’ondoitseconcentrersurlasantédepapypendantlesprochainessemaines,maisj’aiparléàquelquespropriétairesdesallesdanslecoin.Jepeuxnousdécrocherunedouzainedeconcertslemoisprochain.
Unepartiedemoiétaitchoquéequ’ilsepréoccupedugroupealorsquelasantédenotregrand-pèreétaitlapriorité,maisjenepouvaispaslenier:j’étaissurexcitéeàl’idéedejouerdenouveauaveceux.Etçafaisaitbienlongtempsquejen’avaispasétéexcitéeparquelquechose.
Maisc’estlasuitedelaconversationquim’abouleversée.—Aufait,ne luienparlepasquand tu leverras,maisGavina traverséunepériodedifficile.
Sanslegroupe,ilétaitunpeu…paumé,disons.Rienquederepenseràcettediscussion,moncœurseserredansmapoitrine,exactementcomme
ill’afaitcejour-là.—Paumé,c’est-à-dire?Dallasahaussélesépaulesetdétournéleregard.Ilfaittoujoursçaquandilmecachequelque
chose.—Rien.C’est justevraiment importantqu’on fassecesconcerts. Il abesoindugroupeet il a
besoind’êtreoccupé,autrement…—Autrementquoi,Dallas?Dis-moicequisepasse.Jeveuxsavoir.Lesbrascroisésetlatêtebasse,Dallasm’aalorsexpliquéque,quandj’étaispartieàHouston,le
groupes’étaitretrouvéaupointmort.Gavinavaitcommencéàdéraper,aupointdesuivreunchemindangereusementsemblableàceluidesamère.
J’étaistellementchoquéequejemesuismiseàpleurer,incapabledemasquermesémotions.J’aisuppliémonfrèredemedonnerdavantagededétails,maisilm’aréponduquecen’étaientpasmesoignons,queças’étaitmalpassé,toutsimplement.Quecen’étaitquelorsqueDallasluiavaitditquejerevenaisàAmarilloetqu’ilnousavaittrouvédesconcertsqueGavinavaitcommencéàremonterlapente.
Gavinabesoindugroupepourresterdansledroitchemin.Dallasa toujourseubesoind’êtresurscène.Monâmedépéritquandjenepeuxpasjouerlamusiquedontellesenourrit.
C’estpourçaquej’aiessayédetoutesmesforcesdemementirsurcequej’éprouve,pourquelegrouperesteensemble.Etçamarchaitplutôt…jusqu’àcequejelevoieaveccettefichueserveuseetquejepiqueunecrised’hystérie.
Sijeneparvienspasàgarderlecontrôlesurmoncœur,jevaistoutgâcher.Jevaisfairedumalà tous lesgensque j’aime.Mais j’ai vraimentpeurd’échouer.Affronter la réalité—cellequimesubmergequandjesuissiprochedelui—faitressortirtoutesmesfaiblesses.
Ilestparti.Ilatournélestalonsetilestparti.Voilàquelleaétésaréactionquandjeluiaiavouémessentiments.
Lavérité,c’estqueGavinGarrisonnem’embrasserajamais.Ilnemeferajamaisl’amouretilnemurmurera jamaismonnomdans lesilenced’unechambreàcoucherplongéedans l’obscurité,tandisqu’ilmetientdanssesbras.
Ilnedirajamaiscesmotsquejen’aipasentendusdepuislamortdemesparents.Pasàmoidumoins.Lejeun’envautpaslachandelleàsesyeuxetjelecomprendstoutàfait.Maiscomprendreetacceptersontdeuxchosestrèsdifférentes.
Ça nem’a jamais dérangée quemes grands-parents ne nous le disent pas.Ce n’était pas leurgenre,toutsimplement.Ilscroyaientdavantageauxpreuvesd’amourqu’auxgrandesdéclarations.JenecroispasqueDallasl’aitjamaisditàRobyn,etencoremoinsàmoi.Çanem’embêtepas:jesaisquemonfrèrem’aimeet jesaisaussiàquelpointça lemettraitmalà l’aisededevoir ledire touthaut.MaissavoirqueGavinnemedirajamaiscestroismotsetqu’ilneveutpaslesentendredemabouche… Ça me fait l’effet d’un pieu qu’on m’enfonce dans le cœur, un peu plus profondémentchaquejour.
J’aibesoindelesdire.Ilfautqueçasorte.Autrement,jevaisredevenircettefillequiseflétritet,aumoindrecoupdevent, lesmorceauxdemoncœurbriséserontdisperséspar labrise, tellesdesaigrettesdepissenlit.
Unefoisdansl’entrepôt,jesorsOzdesonétui,ledostournéàGavinetDallasquis’installentdeleurcôté.Ilsplaisantentensembleetparlentdesfillesqu’ilsontrencontréesàAustin.Monfrèrefaituncommentairesurlachaleurdel’étéquipousselesjupescourtesàsortirdeleurhibernation,etleriredeGavinmedonnelanausée.Dallasditquelquechoseàproposd’unbarducoinoùdesfillesveulent les retrouver après le concert de ce soir, mais le bourdonnement dans mes oreillesm’empêchedecapterlesdétails.
Je rêve qu’ils la bouclent et qu’on entame cette fichue répétition. Je suis là pour jouer. Jouersuffirait à garder le contrôle. Lamusique balaierait la douleur.Mais ils n’ont pas l’air pressés dedémarrer, et me tenir plantée là comme une idiote pendant qu’ils prévoient de sortir draguer desgroupiesestau-dessusdemesforces.
—J’aibesoind’unepause.Jesaistrèsbienqu’onn’apasencorecommencéetqu’ilsvonttrouverçabizarre,maisjem’en
moque.JetentedeposerOzavecsoin,maisj’entendsmonarchettomberparterretandisquejequitte
l’entrepôtleplusvitepossible.
9
Amoitiéaveugléeparlalumièredusoleil,c’estpresqueàtâtonsquejevaismeréfugierdanslacontre-allée. Penchée en avant, lesmains sur les genoux, je fais demonmieux pourme ramassertouteseuleàlapetitecuillèreetrecollerlesmorceaux.
Dallasvaêtrefurieux.QuantàGavin,ilvasedemandersijenesuispasdevenuecomplètementfolle.
—Çava,Bluebird?Pourlapremièrefoisdemavie,jen’aipasenviedelevoir.Dommagequecenesoitpasmon
frère qui soit venu me chercher. Avec lui, j’aurais pu ressortir l’excuse des problèmes de fille,j’auraispuaccuseruntauxanormalementélevéd’hormonesetreprendrelarépétitioncommesiriennes’étaitpassé.MaislesyeuxnoisettedeGavinpleinsd’inquiétudem’enempêchent.Jesuisincapabledeluimentir.
Alorsjemerends,jecapituleetjedéposemoncœurauxpiedsdel’ennemi—avecunpoignardetunschémadesendroitsoùmefrapperpourmefairevraimentmal.
—Non.Ils’approcheunpeuplus.Soncorpsfaitécranentrelesoleiletmoi,lalumièreformeunesorte
dehaloautourdesasilhouette,quiluidonnedesairsd’apparitiondivine.—J’auraisdûêtrehonnête.J’auraisdûteledireplustôt,peuimportecequeDallasenpensait.Unpetitsanglots’échappedemagorgeetjeparleplusvite,parpeurdenepasréussiràaller
jusqu’aubout.— Si j’avais fait ça, peut-être que je ne serais pas en train de perdre les pédales pendant la
semainelaplusimportantedenotrevie.Gavinmedévisagecommesijeparlaisunelangueétrangère.—Jenesaispasdequoitu…—Jesuisrentréeàlamaisonpourpapy,toutlemondesaitça.Jesuisrevenuepourm’occuper
deluietpourqueDallasn’aitpasàtoutgérertoutseul.Maiscen’estpaslaseuleraison.Sijesuisrevenue,c’estaussipourtoi,Gav.
Ilvameplanterlà,exactementcommelanuitdernière.Jepeuxdéjàleliredanssesyeux.Maisilfautqueçasorte,tantpispourlesconséquences.
—JedétestaismavieàHouston.Jepouvaissentirenpermanencecetteattraction,cetteespècedechampmagnétique,commesituavaisbesoindemoi,qu’onavaitbesoinl’undel’autre,etêtreloindetoim’étaitinsupportable.Maiscequejevisàprésent,c’estencorepire.Etresiprèsdetoietnepaspouvoir…
Mavoixdevientrauqueetlesmotsontdeplusenplusdemalàsortir.— J’ai toujours essayé de gérer ça toute seule dansmon coin,mais je ne sais pas si je peux
continuer.Avec toutcequinousarriveencemoment, jesaisque jedevraisêtrereconnaissante.Jedevraisêtreheureusequ’onsoitici,heureused’avoirunechanced’échapperàlafossed’orchestre,maispasserlerestedemaviecommeça,ensemblesurlaroutesans…
Jen’arrivemêmepasà finirmaphrase. Je suis incapabledemettredesmots sur cedont j’aibesoinetjen’aiplusassezd’airdanslespoumonspourparlerdetoutefaçon.
Siseulementj’avaisunebouteilledebièrevideàbalancercontrelemur…LeregarddeGavins’assombrit.Moncorpsessaiedemefairetaire,demeforceràtoutgarderà
l’intérieur,maisriennepeutarrêterleflotdemesparolesmaintenantquelebarrages’esteffondré.Toutcequej’aiessayédetairependantsilongtempsm’échappe,sivitequejenemerendsmêmepascomptedel’énormitédemaconfession.
—Jesaisquetuneressenspaslamêmechoseetqueçadétruiratoutcepourquoionatravaillésidur,maisjet’…
Les lèvresdeGavinatterrissentbrutalement surmaboucheentrouverteetvolent lesmotsquis’apprêtaient à en sortir. Des flashs de lumière dansent devant mes yeux et mes mains viennentinstinctivementseposersursanuque,commepourscellernosdeuxcorpsensemblepourl’éternité.
Jesenssesdoigtss’enfoncerdanslachairdemesfessesetilm’agrippefermement,sansjamaisquittermabouche.Ilmesoulèveetmondospercutelemurenbriquesderrièremoi,maisjemerendsàpeinecompteduchoc.
Il respirecontremabouche,et jeplaquemes lèvresetma languecontre lessiennesbienplusbrutalementquecequiconviendraitpourunpremierbaiser. Ilplantedoucement lesdentsdansmalèvre inférieureet je l’imiteenmecollantcontre lui, incapabledemecontrôler. J’aibesoind’êtreencoreplusprochedelui,mêmesic’estphysiquementimpossible.
Peut-êtrequec’estdelapitié,peut-êtrequec’estdudésiroupeut-êtrequelebaiserajustepourbutdemefairetaire.Jen’ensaisrien,maisjesaisquec’estsansdoutetoutcequej’obtiendraijamais.Alors jeprends cequ’ilmedonneavecvoracité, jusqu’à cequ’il arrêteouque l’undenousdeuxs’évanouisseàcaused’unmanqued’oxygène.
Touttourneàtoutevitesseautourdemoi,commesij’étaisdansl’œild’uncyclone.Lesassautsdes lèvres de Gavin finissent par se faire plus doux et j’essaie de suivre son rythme. J’aimeraismémoriserchaquerespiration,savourerchaquepetitgrognementquisortdesabouchepourmourirsurlamienne.Jeveuxquesaprésencerestegravéesurmeslèvres,qu’ellesmebrûlentpourquejemerappellechaquefractiondechaqueseconde.Maissongoûtenivrantm’étourdittroppourquejepuissemeconcentrer.
Lorsque nos langues se rencontrent de nouveau, une vague de chaleurme submerge et c’estcommesichaquecelluledemonêtresortaitd’unlongsommeil.Unpetitgémissementm’échappeetjetrembledespiedsàlatête.Sasaveurmegrisetellementquemesjambesvacillent.Heureusementqu’il me tient, autrement je m’effondrerais. Et dire que j’ai vécu toute ma vie sans connaître cesentiment…Çamefendlecœur.
UngémissementplusprofondsortdemagorgeetGavinmelâchesiabruptementquejetombepresque à la renverse.Dès que j’ai retrouvé un semblant d’équilibre, il recule d’un pas, puis d’unautreenseprenantlatêtedanslesmains.Maislaréelledistanceentrenous,l’immensefosséquinoussépare,c’estdanssesyeuxquejelevois.
Jefaisunpasverslui.J’aidésespérémentbesoindelerameneràmoi,derevivrecesquelquessecondesdeperfection,qui, indubitablement,ontété lesmeilleuresde toutemavie.Mais il faitun
autrepasenarrièrepourmettreencoreunpeuplusdedistanceentrenous.Ilsedéfiledéjà.Beaucouptroptôt.
—MonDieu.Non.Dixie.MonDieu.Jen’auraisjamaisdû.Jesuisdésolé,je…—Jet’interdis.Lacolèrerongemoncœurcommedel’acide.Ilestentraindecomplètementgâcherlemoment
qu’onvientdevivre.—Net’avisepasdemeretirerça,GavinGarrison.Pasd’excuses.Ilouvrelaboucheetlarefermeaussitôt.—Nedispasunmotdeplus.S’ilteplaît.Restons-enlà,d’accord?Sonregardtumultueuxseposesurmoietilhochelatête.—Çava?J’aicomplètementperdulecontrôle,jesuisvraiment…Jelefoudroieduregardetilravalesesexcuses.—Est-cequejet’aifaitmal?Jesecouelatête.Pasencore.Pourtant,onsaittrèsbientouslesdeuxqu’ilestsurlepointdemedétruire,demassacrermon
pauvrecœurunebonnefoispourtoutes.Jen’échangeraiscebaiserpourrienaumonde,maisc’estencorepiremaintenant.J’aigoûtéaubonheurparadisiaqued’êtreembrasséeparGavinGarrisonettoutcequ’ilenreste,cesontlesregretsquejelisdanssesyeux.
—Vousvenez,ouiounon?LavoixdeDallass’élèveprèsdelaporteouvertedulocaletjeprendsunegrandeinspiration.
Toutestsouscontrôle.Dumoinspourl’instant.J’effleuremeslèvresdemalangueetjesensqu’ellessontunpeugonfléesparletraitementque
Gavinvientdeleurinfliger.J’aiprisuneseuledoseetjesuisdéjàaccro.Ilvafalloirm’encontenter.Çadevrasuffire,jen’aipaslechoix.
Je ne regarde pasmon frère quand je retourne à l’intérieur. Jemets simplementOz surmonépaule,j’attendsqu’ilssoientprêtségalement,etjecommenceàjouer.
Je joue mieux que jamais. Je suis débordante d’énergie et complètement électrisée par lesouvenir de la bouchedeGavin contre lamienne. Je suis vivante.Aubout de quelquesmorceaux,Dallasmedemandecequej’aiprisaupetitdéjeuneretjehausselesépaules,toutenmerepassantenbouclelesimagesdubaiser.
Il fautque j’yarrive. Jedois réussiràmenourrirdupeuqu’ilvientdemedonner, aumoinspourunsoirdeplus.
Quantaufaitdesurvivreàunetournéeavecunhommequej’aimeetquejenepeuxpasavoir,j’aiunplan.Resteàsavoirs’ilm’aideraàtravailleràproximitéimmédiatedeGavindansl’avenirousi,aucontraire,ilprovoquerauncataclysmequibouleverseranotremonde.
10
MusicFestd’Austin—2ejour
Ladeuxièmesoiréedufestivalestencoreplusintensequelapremière.Heureusement,jen’aipaseuàmepréparerentrentesecondes,niàfairedustopcettefois.Cesoir,j’aimisunhautencuiretendentelleque j’ai sélectionnéavec soinetun jeandélavé,déchirépile làoù il faut. Il faitplus fraisqu’hieretlabrisevasûrementapporterdelapluiedanslanuit.Jerespireprofondément,jefermelesyeux et je joue demon instrument de lamême façon que Gavinm’a embrassée il y a seulementquelquesheures.Passionnément.Avidement.Désespérément.
La foule est plus importante que le premier soir et le soleil se couche un peu plus tôt, nousoffrantcetteobscuritébéniequirendlamusiqueencoreplusmagiqueetmystérieuse.
Ce soir, on joue sur la scène 11, un peu plus à l’écart de l’artère principale.Le groupe pourlequel on fait la première partie s’appelle Living a Past Life. Ils jouent du rock chrétien, et leurcommunautédefansestabsolumenténorme.Lesouci,c’estqu’ilsnesontpasencorearrivésetquelesorganisateursn’arrêtentpasdefairesigneàDallasdecontinueràjouer.Onenestdéjààquatrechansons de plus que prévu et on en est presque à improviser quand la tête d’affiche finit par semontrer.
Onpartsousunconcertd’applaudissements,maisjenesaispass’ilss’adressentànousouànossuccesseurs.
—Jevais traînerunpeudanslecoinetessayerdeparlerà leurmanager,nousditDallasunefoisqu’onarangétoutnotrematérieldanslevan.Vousn’avezqu’àprendreEmmyloupourrentreràl’hôtelsivousvoulez.
Sijecroyaisneserait-cequ’unesecondequeGavinallaitprofiterdel’occasionpourseglisserdans ma chambre, j’accepterais l’offre de Dallas sans hésiter. Mais, à voir la façon dont Gavinm’évite,jeparieraisplutôtqu’ilvacourirs’enfermeràdoubletourdanssachambreàpeinearrivéàl’hôtel,sansmêmemedirebonnenuit.
—Ilfaitboncesoir,jepensequejevaismebaladerunpeuavantderentrer.Bonnesoirée,lesgarçons.
Sans attendre leur permission, je commence à m’éloigner. Jamais ils ne vont me laisserremonterSixthStreettouteseule.C’estlechaos.Toutlemondeestcomplètementsoûl,laplupartdesgenscherchentquelqu’unavecquicoucheret,pourunefois,jesuiscommelaplupartdesgens.
—Attends,Bluebird.Jefaislentementdemi-tourenentendantlavoixdeGavinderrièremoietmoncœurbonditdans
mapoitrine.—TucroisvraimentqueDallasvatelaissertepromenertouteseuleaumilieudecettefaune?Jesouriscaronsaittouslesdeuxquenon,etilfroncelessourcils.—Jevois.Moiquipensaisquetoninnocencefaisaitpartiedetoncharme,tusaismanipulerles
hommes,enfait.—Peut-êtrequej’aiapprisquelquechoseàlafac,enfindecompte.Ilsecouelatêteensouriantetj’aidesfourmisdanslesmains.Jemeursd’enviedetendrelebras
etdel’attraperparlescheveuxpourramenerseslèvreslàoùellesdevraientêtre.Surlesmiennes.—Alors…,commence-t-ildoucement.Ilfourrelesmainsdanssespochesetons’enfonceunpeuplusdanslafoule.—Alors?
—Jepensequ’ilfaudraitqu’ondiscute.—Tupenses?Ilsoupired’unairagacé.—Bonsang,Dixie,tupeuxarrêterdejouerlesperroquets?— Tu m’as embrassée, Gavin. Ce qui signifie que ton super plan de « Je-Ne-Te-Toucherai-
Jamais»estbonpourlapoubelle.Alorsqu’est-cequ’onfait,maintenant?—Jecroisquejepréféraisquandtutecontentaisderépétercequejedisais,enfait.Jemepresse légèrementcontre luiet luidonneunpetit coupd’épaule.Cebaiseraouvert les
portesd’unmondeoùj’ailedroitdeletoucher,etjesensquejenesuispasprèsdem’enlasser.C’estdélicieux…Maisilaraison,ondevraitparler.
—Tuveuxbienm’expliquer?—T’expliquerquoi?—Pourquoituaschangéd’avis.Leslumièresdesbarséclairent laruebondée,maisjenelesvoisplus.J’aiplutôt lesentiment
qu’onestseulsdansl’obscuritétandisquej’attendssaréponse.—Jen’aipasexactementchangéd’avis.Ohnon.Soudain,c’estcommesimoncœursombraitdansunabyssesansfond.Jeprendsmon
tempspourrépondre,pourgagnerquelquessecondesavantqu’ilnemeportelecoupsuivant.—D’accord…Alorsquoi,tuasglisséettuestombésurmabouche?Justeavantdem’attraper
etdemeplaqueraccidentellementcontreunmurpendantquetu…—Arrête.Ilsefigebrusquementetsetourneversmoi.Unincendiesemblel’éclairerdel’intérieuretune
lueurd’avertissementbrûledanssonregard.Jedevraisreculermais,apparemment,moninstinctdesurvieestinexistant.
—Çasuffit,reprend-ild’unevoixunpeupluscalme.C’étaituneerreur.Jetel’aidéjàdit,ilyadesmomentsoùleschosesentrenousdeviennent…difficilesàcontrôler.J’aimerdé,c’esttout.Çanesereproduirapas.
Je suis aussi surprise que si j’avais reçu une gifle en pleine figure sans l’avoir vue venir.Néanmoins,jecontinueàmarcher,commesijemefichaiscomplètementqu’ilmesuiveoupas.Uninstantplustard,ilestdenouveausurmestalons.
—Ehbien,tusaisquoi,Gavin?Sic’estlavérité,jesuisdéçue.Quandest-cequetuesdevenucetype?
—Queltype?—Celuiquimementetsementàlui-même.Celuiquis’excusecommeunlâched’avoirenfin
priscequ’ilvoulaitetd’avoiraiméça.Ilouvrelabouchepourmecontredire,maisjelèvelamainpourlefairetaire.—C’estbon,netefatiguepas.Jesupposequejemesuistrompéesurtoncompte.Alorsjevais
justemecontenterdemonbaiserettupeuxtegardertesexcusesminablesettesprétextesbidon.Soudain,Gavinm’attrapeparlesépaulesetilmefaitpivoterpourquejesoisfaceàlui.—Etqu’est-cequetuvoudraisquejefasse?Quejementeàmonmeilleuramietquejesautesa
petitesœurdanssondos?—Non.Jeposelesmainssurseshanchesetjel’attireàmoijusqu’àcequemapoitrinefrôlesontorse.—Cequejeveux,c’estquetum’embrassesparcequetuenasenvie,parcequetunepeuxpasne
pasm’embrasserunesecondedeplus.Jeneveuxpasquetumesautesdansledosdemonfrère.Je
veuxquetupassesdutempsavecmoiparcequec’estplusfortquetoi,parcequetunepeuxpasniercelienentrenous,etparcequelapenséedenejamaism’avoirt’estinsupportable.
—Rienqueça?—Est-cequec’estvraiment tropdemander? Je saisqu’onnepeutpas se jeter là-dedans tête
baissée etquece seraitmauvaispour legroupeencemoment.Mais tu le sens aussi, ce truc entrenous.Jelesaisparcequeçairradiaitdanslebaiserquetum’asdonnétoutàl’heure.
Lorsqu’ilm’aembrassée,onaétéconnectésàunniveauquidépassaittotalementlesloisdelaphysique. Il pourra dire ce qu’il voudra, mais je l’ai senti : il s’est abandonné à moi. Il a laissédéferlersessentimentsquiontenfindétruitlemurquisedressaitentrenousdepuissilongtemps.
Notrebaiserm’adonnéuneidée.J’aimeraisplusquetoutqu’ellefonctionne,saufquejenesaisabsolument pas comment la lui présenter. Pour l’instant, je continue à peaufiner les détails surlesquels jedoisobtenir sonaccord, enespérant luiprouverqu’ilpeut avoirbienplusquecequ’ils’autorise.
—Dixie,écoute-moi.Jen’aiquedesplansd’unsoir.Jenememetspasencoupleetjenefaispas de promesses parce que, pour moi, c’est de la connerie, tout ça. Une grande histoire et dessentimentsquidurenttoujours,jamaisjenepourraisdonnerçaàquiquecesoit.
Ilsetrompe.Jelesais.GavinGarrisonestcapabled’aimeretj’aibienl’intentiondeleprouver.Il ferme lesyeuxun instant et secoue la tête. Je sensqu’il est sur lepointde reculer, alors je
resserremonétreintepourl’enempêcher.Lamusiquedesdifférentesscènesretentitautourdenousetnous enveloppe tandis qu’on reste immobiles, au milieu d’une marée humaine en perpétuelmouvement.
—J’aiunplan.Jesuisinterrompueparunemèchedecheveuxquivientsecollersurmaboucheàcauseduvent.
Jevoudrais ladégagerdemonvisage,mais j’aipeurde lâcherGavinetqu’il s’écarte. Jen’aipasbesoindedébattrelongtemps,carillefaitpourmoi,etunfrissonmeparcourtensentantsesdoigtseffleurermeslèvres.
—Unplan?—Jeneveuxpasdepromesses,niqu’oncolleuneétiquettesurcequisepasse,nimêmequ’on
lediseàDallas.Pasencemomententoutcas.Ilestassezstressécommeça.J’aidix-neufans,Gavin.Jenevaispascommenceràécumerlesbijouteriespourrepérerdesbaguesdefiançaillesetjenetedemandepasdet’engageràvie.Inutiledetedirequejenevaispasnonplusmetransformerentaréequitesuitàlatracecommecertainesdetesgroupies.Detoutefaçon,laplupartdutemps,jesaisdéjàoùtutetrouves.
Ilserreleslèvresetm’observe,songeur.Jusque-là,toutvabien.—Danscecas,qu’est-cequetuveuxexactement,Bluebird?J’inspireunegrandeboufféed’airfraistexanenespérantqueçamedonneducourage.C’estma
seulechancedeluiprouverquemonplanestunebonneidéeetjenedoispaslagâcher.—UnefoisleMusicFestterminé,jeveuxunenuitavectoi.Seuls,sanspersonne.Ilfautqu’on
parledecertaineschoseset…s’ilsepassequelquechose,onverraàcemoment-là.Maisjenepeuxpascontinueràmecacherderrièremonfrèreettoinonplus.
Sansrépondre,Gavinenrouleunemèchedemescheveuxautourdesondoigtettiredoucementdessus.Quandjeleregarde,jerevoistoujourscepetitgarçonassoifféd’amourquej’airencontréilya dix ans.L’hommequ’est devenuGavinGarrison est fort. Il a été endurci par unevie difficile et
pleined’injustices, et il est intimidantpourquiconquene le connaîtpas.Mais il est aussi tellementplusqueça.Jevoisbienqu’ilessayesurtoutdemaintenirsoncœurfragileàl’abri.
—J’avaisraison,dit-ilenfind’unairabsent,samaintoujoursdansmescheveux.Maintenantquejet’aitouchée,jenepeuxplusm’arrêter.
—Jeneveuxpasquetut’arrêtes.Ma confession est à peine audible au milieu du vacarme ambiant. Il s’éclaircit la gorge et
regardeautourdenous.J’essaiedenepasm’énerver,mêmesijesaisqu’ilestentraindevérifierqueDallasnetraînepasdanslesparages.
—Unenuit?J’acquiesceetilfroncelessourcils,pensif.—Etqu’est-ceque tuenattends,decette fameusenuit?Les imagesdeceque j’enattendsse
formentsinettementdansmatêtequej’aipeurqu’undiaporamaérotiquesereflètedansmespupilles.Je veux que tu te rendes compte que tu peux aimer et être aimé.Mais naturellement il est hors dequestionquejeluidiseunechosepareille.Alorsjeluidonnelaseuleréponsedontjesuiscapable:
—Rien.Jeveuxjustequ’onsoithonnêtesl’unenversl’autre.Pasdecrise,pasdefrère,pasdedisputeetpasdeserveuseentrenous.
—Pourquoiest-cequetuytienstellement?—Ettoi,pourquoituasattenduquejerentredemonrendez-voushiersoir?L’espaced’uninstant,ilsembleprisaudépourvu.—Jevoulaisjustem’assurerquetuétaisensécurité.—C’estdrôlementfraternelde tapart.Saufque,cequis’estpassédehorsaujourd’hui,c’était
toutsauffraternel.Rienqued’yrepenser,jesensunevaguedechaleurmonterentremescuisses.Ilglissesamain
derrièremanuqueetjemeprépareàl’entendremedirequec’estunemauvaiseidée,qu’ilrefuse.—J’accepteàunecondition.Jeveuxquetumediseslavraieraison.Moncœurbatn’importecommentetj’aipeurdefriserlemalaisecardiaque.—C’estparceque…j’aibesoinqu’onrègleçaavantquej’imploseetquejedétruisetout.Jene
pourraipastoujoursavoirmaproprechambred’hôtel.Etparceque,sionfinitsouslesfeuxdelarampe,j’aipeurquetoutlemondedécouvreceque
j’aiessayédecacherpendantsilongtemps.Auxridesquibarrentsonfront,jevoisbienqu’ilnesaisitpastoutàfaitcequejeveuxdire.Si
j’enavais lecourage, je luidirais simplementque jeveuxunenuitdurant laquelle ilmedonneraittout,unenuitpendantlaquellejepourraiscroirequ’onaunavenirensembleautrementquecommesimplesmembresd’unmêmegroupe.
Etsi jen’arrivepasà luimontrerqu’ilestcapabled’aimeretqu’ilméritede l’êtreenretour,alorsilmeresteraaumoinslesouvenirdenotrenuitensemble.
—D’accord,concède-t-ilenfin.Mais,danscecas,peut-êtrequ’onferaitmieuxdegardernosdistancesdanslesjoursquiviennent.
Jenepeuxpasm’empêcherdefairelamouequandilrecule,etilmesourit.—Vendredisoir,jediraiàtonfrèrequejedoisretrouverquelqu’unetjeterejoindraidansta
chambre, si c’est vraiment ce que tu veux. Je ne suis pas sûr que ça résolve nos problèmes,néanmoins.
Çaen résoudraaumoinsun.Parceque si tout sepassecommeprévu, aprèsvendredi soir, jesauraiexactementcequeGavinressentpourmoi.Etjesauraiaussicequeçafaitdelesentirenmoi.
Ilacomplètementperdulespédalesquandons’estembrassés,alorsj’oseàpeineimaginercequeçadonneraitsi…
Ilcommenceàpleuvoir,etlebruitd’uncoupdepoinginterromptmaréflexion.Deuxtypesontcommencéà sebattreàquelquesmètresdenousetuncercleest en trainde se former rapidementautourd’eux.
—Viens, on ferait mieux de filer avant que ça dégénère. Ou avant que ton frère nous voiecommeçaetmecasselafigure.C’estl’heuredetemettreaulit,detoutefaçon.Touteseule,clarifie-t-ilenpassantunbrasautourdemesépaules.
Ilm’emmèneà l’écartde labagarrequimenacede segénéraliser,visiblement inconscientdufaitqu’ilvientdecomplètementgâchermabonnehumeur.
***
Quandonarriveà laportedemachambre,Gavin faitunpasenarrièreet enfonce lesmainsdanssespoches,pourbienmemontrerqu’ilnevapasentrer.Ilnemedonnepasunautrebaiseràentomberparterre,maisilappuiesonmentoncontremonfrontetmesouhaitedefairedebeauxrêves,avecunetelledouceurquejesuissûred’enfaire.
Parfois,ilfautsecontenterdecequ’ona…Unefoisseule,jemerendscomptequ’iln’estpastrèstard,alorsj’attrapemonportable.Auboutdequatresonneries,toujourspasderéponse,alorsjemerésousàlaisserunmessage
surlerépondeur.—Salut,papy,c’estmoi.Onafinitardplusieurssoirsdesuiteetjen’aipasput’appeler.Je retire mes chaussures en soupirant et les envoie valser bruyamment dans un coin de la
chambre,avantdem’asseoirsurmonlit.—J’espèrequetuvasbien.Lesdeuxconcertssesontvraimentbienpassés,jen’aijamaisvuun
publicaussienthousiaste.Alorsquejecherchemesmotspourconcluremonmessagevocal, jemerendscomptequeje
suisanxieuse.J’appelletoujourspapyaprèsunconcertpourtoutluiraconter.J’aimêmeplutôtintérêtànepasoublierlesdétails,autrementilatendanceàfairelatête.Toutlemondeytrouvesoncompte:ilvitàtraverslegroupeet,demoncôté,çamepermetdem’assurerqu’ilvabien.S’ilavaitrépondu,je luiaurais racontémonépopéesauvageenvande laveilleet labagarreà laquelle j’aiassistécesoir.Ensuite, ilm’aurait régaléeavecdeshistoiresde l’époqueoùilétaitdansungroupe,quandilavaitmonâge.
Ses anecdotes commencent toujours de lamêmemanière : « J’étais dans un groupe, dans letemps…»,commesionne lesavait toujourspasaprèsavoirentenduseshistoiresdesdizaines defoisaufildesans.«Onpensaitvraimentqu’ondeviendraitdesstars»,aurait-ilditensuite,avecdesétincellesdanssesyeuxcerclésderides.«Maisonafiniparsesépareraprèsplusieursannées.»
«Pourquoiça?»aurais-jedemandé,commetoujours.« On gagnait des clopinettes. On jouait gratuitement, le plus souvent », aurait-il grommelé,
frustré.«Cen’étaitpasuneviepourunhommequivoulaitfonderunefamille.»Je repense à la première fois où ilm’a raconté son histoire avecmamie. Les parents dema
grand-mère ne voulaient pas qu’elle l’épouse. A leurs yeux, il n’était qu’un musicien fauché quin’avaitrienàoffriràleurfille.Ils’étaitengagédansl’arméepouravoirleurapprobationetgagnerdequoiacheterunebaguedefiançaillesetunemaison.Mais,mêmeaprèssonretourdedéploiement,lesparentsdemamieavaientcontinuéàdirenon.Ilsavaientarrêtéleurchoixsurunbanquier,lefils
d’un couple d’amis à eux. Ils ont fini par s’enfuir ensemble. Je ne sais pas combien de fois j’aientenducettehistoire,maisçamedonnetoujoursdesfrissons.Ilsétaienttellementrebellespourleurépoque.
Des années plus tard, quand Dallas, Gavin et moi sommes passés du stade de gamins quis’amusaient avec lesvieux instrumentsqui traînaient dans l’abri de jardin à celui degroupe, il estdevenunotreplusgrandfan.Ils’asseyaitdehorssurunechaiselongueetnousécoutaitrépéterdanslacabane où on avait trouvé sa vieille basse et sa batterie. Dans ces moments-là, je pouvaisentrapercevoirlejeunehommequ’ilavaitété,autrementqu’enregardantdevieillesphotosjaunies.
Onestpareils,luietmoi.Ongraviteautourdelamusiquecommeuntournesolsuitlacoursedusoleil.
Jesaisquec’estinsupportablepourmonfrère,quivoitçacommeunmanqued’ambition,maisjenerêvepasdetournéesenEuropedansdesstadesbondés.Jevisetjerespirepourlamusique,toutsimplement.Poursapuretéetsasainteté.J’enaibesoinpourexisteretjenepeuxmêmepasimaginercequeseraitmaviesanselle.
Machinalement, je suis les contours desmotifs demon drap du bout des doigts tandis que jeterminemonmessage.
—Tumemanques.J’essaieraideterappelerdemain.Jet’aime.Je raccroche, un peu réconfortée de savoir qu’il y a au moins un homme qui sera toujours
heureuxdem’entendreluidirecesmots.
11
MusicFestd’Austin—3ejour
Letroisièmejourdufestival,ilyatellementd’humiditédansl’airquejemedemandesijevaisprendrelapeinedememaquiller.Çadégoulineraitauboutdedeuxminutesàpeine.
Enmeréveillant,jevoisquej’aiunmessagedemonfrère,pourmeprévenirqu’ilpetit-déjeuneavecMandyLantram.C’estunefemmemanagerqu’ilarencontréehieretdontilabeaucoupentenduparler.Elleauncarnetd’adressesimpressionnantetaréussiàhisserplusieursdesesartistesautopdeshit-parades.
J’aibeaumeplaindreducôtésergent-chefdeDallas,jedoisbienavouerqu’ilaundonquandils’agit de faire bouger les choses pour le groupe. Si quelqu’un est capable de nous trouver unmanager,c’estlui,etjeluiensuisreconnaissante.
J’imaginequeGavinnevasûrementpasmerejoindredansmachambrepourqu’onregardeunfilmensembleenattendant, alorsautant retentermachanceavecmongrand-père.Auboutde troisappelssansréponse,jecommencevraimentàm’inquiéter.
Normalement,notrevoisine,MmeLawson,valuirendreunepetitevisitepours’assurerqu’ilvabienquandjenedorspasàlamaison.Jepourraisl’appeler,maisçaseraitprendrelerisquededevoirl’écouterdéblatérerpendantuneheure sur ses enfants ingrats et sespetits-enfants, sansoublier sesdéliressurseschatsguérisseursetleurspouvoirsspirituels.
Jetentedeprendremonmalenpatiencemais,àmesurequelesheurespassent,jecommenceàpaniquer. Il est midi, je n’ai toujours pas de nouvelles de Dallas et je fais les cent pas dans machambre comme un lion en cage. Son petit déjeuner a dû se prolonger, ce qui est sans doute bonsigne,j’imagine.
Bientôt,jenetiensplus.Auxgrandsmaux,lesgrandsremèdes.—Allô?Al’inversedemongrand-père,MmeLawsonrépondàlapremièresonnerie,elle.—Bonjour,madameLawson.C’estDixie,votrevoisine!Jecriepresquepourqu’ellem’entende.—Pardon?Qu’est-cequisepassechezlesvoisins?Misère…Jem’assieds,prêteàsubirunediscussioninterminable,etjerépètecequejeviensde
luidire.—Ah,DixieLeigh!Raccroche-moidonccetéléphoneetviensicitoutdesuite.J’aidéjàpréparé
duthé.—Ceseraitavecplaisir,madame,maisjenesuispaslà.JesuisàAustin.—Qu’est-cequetufabriquesàBoston?—Austin,madameLawson!AustinauTexas.C’estparcequeje…peuimporte.Dites-moi,est-
cequevouspourriezmerendreunimmenseserviceetallervoirsimongrand-pèrevabien?Ilnerépondpasautéléphone.
—Çanem’étonnepas,ilestsourdcommeunpot,tusaisbien.Jenepeuxm’empêcherdesourire.—Oui,madame.— Pas plus tard que la semaine dernière, je l’ai appelé depuis mon jardin alors qu’il allait
cherchersoncourrier,maisiln’amêmepastournélatête.
Etantdonnéquepapyauneprothèseauditive,jeparieraisplutôtqu’ilafaitsemblantdenepasl’entendre.MmeLawsonvitseuledepuisquesonmariadûallerdansunemaisonmédicaliséeaprèssonAVC,etpapydittoujoursqueM.Lawsonfaitsûrementsemblantd’êtreparalysépouréchapperàsapipelettedefemme.
—Jesuisdésoléequ’ilnevousaitpasentendue,madameLawson.Iln’entendpassontéléphonenonplus.Vouspourriezjusteallerfrapperchezluipourvérifierqu’ilneluiestrienarrivé?Jemefaisdusouci.
Lepauvre,ellevasûrementluitenirlajambependantuneheure.Ill’acherché,enmêmetemps.Voilàcequiarrivequandonnerépondpasautéléphoneachetéavecamourparsespetits-enfants.Aumoins,commeça,ilgarderasonportablesurluilaprochainefois.
—Biensûr,majolie.J’yvaistoutdesuite.Est-cequetuveuxquejeterappelleaprès?TootieLouetMonsieurDarcyontconnuunegrandesynchronisationaveclesespritscesdernierstemps,jepourraisleurdemanderdeliretonavenirdanslesfeuillesduthéierdetongrand-père.
En imaginant ses deux gros chats en train de renifler des feuilles de thé, je suis sur le pointd’éclaterderire.
— Ça a l’air très intéressant, madame Lawson, mais je dois filer. Si vous pouviez justedemanderàmongrand-pèredemerappeler,ceseraitvraimentgentildevotrepart.
—Iltemanque,jeparie.Tuestellementgentille,pascommemesenfants.Eux,ilsn’enontrienàfaire.Jepourraisresterunmoissansrépondrequeçanelesinquiéteraitpas.Ilsneviennentjamaismevoir,detoutefaçon.
— Voyons, vous exagérez, madame Lawson. Vous êtes tellement forte et indépendante, ilspensentsûrementquevouspréférezvousdébrouillertouteseule.
Ellesoupireetjesecouelatête,mêmesiellenepeutpasmevoir.—Voussavezquoi?Laprochainefoisquejesuisenville,jeviendraipasserunaprès-midiavec
vous,d’accord?Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire…La première chose que je vais faire en voyant papy, c’est
mettre22deTaylorSwiftcommesonneriesursonportableetréglerlevolumeaumaximum.—Avecplaisir,majolie.J’yvaistoutdesuiteetjedisàcevieuxgrincheuxdeterappeler.J’entendsavecsoulagementgrincersaported’entrée.—Mercibeaucoup,madameLawson.EmbrassezTootieLouetMonsieurDarcypourmoi.—Jen’ymanqueraipas.BonnechanceàBoston.Dèsqu’ellearaccroché,jefilesousladouche.J’aibienuneheurederépitavantqu’ellenelaisse
papyenpaixetqu’ilnem’appellepourmemaudiredel’avoirenvoyéechezlui.Ensortant,jevoisquej’aiunmessagedeDallas.Ilveutquejelerejoignedanslehalluneheure
plus tôt que d’habitude pour déjeuner avec Mandy Lantram, je vais devoir passer à la vitessesupérieuresijeveuxêtreprête.Jeviensjustedefinirdem’essorerlescheveuxetd’enfilerunepetiterobenoirepourleconcertdecesoirquandmontéléphonesonne.
Jerépondssansconsulterl’écran.C’estsûrementDallasquiveuts’assurerquej’aibienreçusontexto.
—Dixie Leigh, combien de fois devrai-je te dire d’arrêter dem’envoyer cette fichue bonnefemme?!
Mon grand-père est aussi énervé que ce à quoi jem’attendais. Et surtout, il a l’air en pleineforme.Jepeuxenfinrespirernormalement.
—Papy,siont’aachetéunportable,c’estpourpouvoirtejoindreplusfacilement.Tusaisquejeme fais un sang d’encre quand je ne suis pas là. Alors quand tu ne réponds pas, je t’envoie
MmeLawson.Compris?—Elleapassétroisquartsd’heureàmeparlerdesesfoutuschatsalorsquej’essayaisd’écouter
lematch des Rangers à la radio. J’ai raté le dernier tour de batte et le score final à cause de sesidioties.
—Désolée,maisjemefaisaisdusoucipourtoi.Je tiens en équilibre sur un pied tandis que j’essaie d’enfiler une bottine en cuir noire, le
téléphonecoincéentremonoreilleetmonépaule.—Tuprendsbientesmédicamentscommetel’aditleDrRogers?Est-cequetuutiliseslaboîte
quejet’aiachetéeaveclesjoursdelasemainedessus?—Oui,oui,marmonne-t-il.Etvous,vousnefaitespasdebêtisesàAustin?Tugardesunœilsur
lesgarçons?—Oui,chef.Etleplusdrôlec’estqu’ilscroientquecesonteuxquigardentunœilsurmoi.—Pourça,illeurfaudraitdeuxpairesd’yeuxàchacun,tunecroispas?répond-ildansunpetit
rire.Ensuite, il me demande comment les concerts se sont passés et je lui raconte tout dans les
moindresdétails.Dansletemps,quandiljouaitdelabasse,songroupes’appelaitlesGentlemenGangsters.Leur
slogandisaitqu’ilsnevolaient rienàpartdescœurs,ouquelquechosecommeça. J’ai trouvéunephotodugroupeunjour,enfarfouillantdansuncarton.Décolorée,l’imageennoiretblancmontraitquatretypesappuyésnonchalammentcontreunevieilleDodge.
J’aitenduleclichéàpapyavecunsifflementadmiratif.Ill’aobservépendantquelquesinstantsavantdeleremettreàsaplacesansunmot.Depuis,jeregrettedenepasl’avoirrécupéré.Ildoitêtreàmoitié moisi maintenant, et papy me manque tellement que je sens mon cœur se serrer dans mapoitrine.
—Tumemanques,tusais?Dallasaprévuquelquestrucspourlesjoursquisuiventlefestival,maisaprèsonvarentrerà lamaison,d’accord?Je te feraidupaindeviandecommetuaimes,ensuivantlarecettedemamie.
Ilgardelesilence.Impossibledesavoirs’ilm’aentendueous’ilécoutelaradio,quej’entendsbraillerderrièrelui.
—Ceseraitformidable,DixieLeigh.Personneneleréussitaussibienqu’elle,maisletienn’estvraimentpasmal.
—Merci,papy.Jefaiscequejepeux.Çafaitplusdetroisansquemamieestmorte,maispapynes’enremetpas.Rienqued’ypenser,
magorgesenoue.Jecommenceàmedemandersijenevaispasavoirmesrèglespourdevrai,enfindecompte.J’aienviedepleurersansarrêtetj’aivraimentdumalàcontrôlermesémotions.
—JepourraiaussitejouerlemorceauquetuaimesbiensurleWurlitzer.CeluideGlassqu’ellejouaittoujours.
A l’évocation du piano auquel mamie a passé tant d’heures assise, il grommelle un vagueacquiescement, puis il s’attarde un peu, comme s’il voulait rester avec moi au téléphone.Malheureusement,leréveilsurmatabledenuitlaissepeudeplaceaudoute:jedoisfiler.
Aprèsavoirraccroché,jeresteassisesurmonlit,lesyeuxfixéssurmonrefletdanslemiroir.C’estétrange, leschosesdontonse souvientetcellesqu’onoublie.Les souvenirsque j’aide
mes parents sont comme un montage fantasque, qui défile devant mes yeux dès que je presse unboutoninvisible.Jelesrevoisentraindesetenirlamainenvoitureoudemeprendredansleursbras.Jerevoismamèrequisemetdesbouclesd’oreillesetjemeprometsdemefairepercerlesoreilles
unjour.Jemerappellesonrireclairquandmonpèrefaisaituneblague,lafaçondontelleluisouriaitavantde l’embrasser…Toutesces imagesapparaissent toujoursdansune sortedebrouillardépaisquimedonneraitpresque l’impressionde lesavoirvuesdansun film,etnonpasd’avoirvécucesmoments.Enrevanche,touslessouvenirsdemamieetpapysontd’unegrandeclarté.
Mêmesijesuisfaceaurefletd’unefemmequiressemblebeaucoupàmamère,jerepenseàmagrand-mère lorsqu’elle était encore en vie. Avec elle, lamaison était toujours pleine demusique.C’estd’ailleurscequim’aaidéeàmereleveraprèslapertedemesparents.
Ellenousaenseignétoutcequ’ellesavaitsurlapratiquedupiano,surletempo,lesémotions…C’estellequim’aapprisàlaissermapeinesedéversersurlestouchesenjouant.
Lamusiquen’apeut-êtrepasréparécequelamortdemesparentsavaitcassé,maiselleaétélebaumequiapermisdecicatrisermesblessures.
***
QuandjeretrouvelesgarçonsdanslehallavantderejoindreMlleLantram,onpeutdirequ’ilsontdumalàcacherleursurprise.
Jenesuispasdugenreàmontersurscèneenjogging,maisilfautreconnaîtrequ’aujourd’huimatenueestplusprovocantequed’habitude.Marobeestsicourtequ’elleressembledavantageàunT-shirtavecuneceinturequ’àunerobe.J’aipasséunedemi-heureàmefairedesyeuxcharbonneux,etlestalonsdemesbottinesnoiresMcQueen—trouvéessurunvide-grenierpourmonplusgrandbonheur—sontvertigineux.Rienàvoiravecleschaussuresquejeporteengénéral.
Dallas fronce les sourcils en signededésapprobation,mais ne fait pas de commentaire.Sansdouteparcequ’ilneveutpasinterrompresaconversationtéléphoniqueetpeut-êtreaussiparcequ’ilcroittoujoursquemeshormonessontenébullition.
LaréactiondeGavin,enrevanche,estplusprochedurésultatquejesouhaitaisobtenir.Ilserrelespoingsetavalefrénétiquementsasalivecommes’ilétaitatteintd’untroubledeladéglutition.Pastroptôt.Ilmevoitenfin.Quandsonregardcroiselemien,jepeuxylirelemêmedésirdouloureuxqueceluiquej’aiportéseulecommeunfardeaupendantsilongtemps.
Jeneveuxpasqu’ilsecontented’accepterdepasserunenuitavecmoi:jeveuxqu’ill’attendeavecimpatience.Jeveuxque,commemoi,ilcomptelesheures,lesminutesetlesbattementsdecœurquileséparentdumomentoùonneseraquetouslesdeux.
—Tun’aspasapportéOz?finitparmedemanderDallasaprèsavoirraccroché.Aregret,jedétournelesyeuxdeGavinetlesposesurmonfrère.—Onnevapasavoirletempsderepassericiaprèslerendez-vous?Dallassoupirecommesijevenaisdeposerlaquestionlaplusstupidedumonde.—Jen’ensaisrien,Dix.Maisjepréfèrequ’onsoitprêts,justeaucasoù.—Jevaislechercher,proposeGavinenmetendantlamainpourquejeluidonnemaclé.Ilfaut
quejeremontedetoutefaçon,j’aioubliédeprendredesbaguettesderechange.C’esttrèsaimabledesa part, sauf qu’il est absolument hors de question qu’il aille dans ma chambre. Les paroles surlesquellesjetravailleencemomentparlentdeluietellessontétaléessurmonlit.Sanscomptermessoutiens-gorgeetmespetitesculottesquijonchentlesol.Çanedevraitpasmedérangerétantdonnéqu’ilrisquedemevoirensous-vêtementsvendredisoir,maisc’estdifférent.
—C’estgentil,maisjevaisyaller.J’aiquelquestrucsàprendresionnerepassepasavantleconcert.
—Dépêchez-vous,jeneveuxpasêtreenretard.
Gavinetmoihochonslatêteetonsemetenroute.Unefoisdeplus,Dallasm’aréduiteàl’étatdepetitesœurqu’ongrondeparcequ’elleaoubliésesaffaires.Pourunefoisquejepensaisêtreaupoint…
Gavin appelle l’ascenseur et je me surprends à observer sa main, ses longs doigts à la foismasculinsetgracieux.Ilm’aagrippéesifortquandons’estembrassés…J’auraisdûvérifierquejen’avaispasdebleuenprenantmadouche.
MonDieu,donnez-moilaforce.Je veux qu’ilme fasse l’amour si passionnément que j’en garderai des traces, que ses doigts
s’enfoncentdansmachairaupointdemefairemalpendantquejecrieraisonnom…Enfin,untruccommeça.
Un«ding» retentit et on attendqu’ungroupede typeshabillésdans lepluspur style reggaesortentdel’ascenseurpouryentrer.Iln’yaquenousdanslacabine,épaulecontreépaule,nosbrassefrôlent.Mesfantasmesn’auraientpasputomberàunplusmauvaismoment.
Gavinal’airaussitenduquesij’étaisentraindeluicommuniquermespenséespartélépathie.Ondiraitqu’ilsaitexactementcequisepassedansmatête,etçaal’airdelemettreencolèreetmalàl’aise.J’appuiesurlesboutonsdutroisièmeétagepourluietducinquièmepourmoi,engardantlesyeuxfermementrivéssurmesboutsdepied.
Au troisième, les portes s’ouvrent et je m’apprête à dire à Gavin que je le retrouve dansquelquesminutes,maisilnebougepas.Lacabineserefermeetonreprendnotreascension.
Jetournelatêteversluipourchuchoter:—Qu’est-cequetufabriques?—Cen’estpascequetuveux?Si.—Quoi?Ilplongesonregarddanslemienetmesouritaveccequiressembleraitpresqueàdumépris.—Quejetebaiseenvitessedanstachambre.Commeça,tupeuxrayerçadetaliste.J’aiunmouvementdereculenentendantlaméchancetédanssavoix.—Jetedemandepardon?Ilmartèleleboutond’arrêtd’urgenceetplacesesbrasdepartetd’autredematête.—Tuportesmachemisepourtonrencardavecl’autreboysband.Ensuitetumedistousces…
trucs.Puistumefaisdireouiàunenuitavectoietmaintenanttutepointesaveccetterobe?Jenesuispeut-êtrepasalléàlafac,maisjenesuispascomplètementabrutinonplus.
Unenuéedesentimentscontradictoiresm’envahit.Jel’aime.Jeledéteste.J’aienviedelegiflerpuisdel’embrasserjusqu’àenavoirletournis.
Qu’est-cequinevapaschezmoi?Mapoitrinemonteetdescendrapidement,endépitdemeseffortspourrespirernormalement.—Pourcommencer,jenesavaispasquec’étaittachemise.Ensuite,j’aisimplementétéhonnête
avectoi.Pourunefois,j’aiditlavéritéetjenecomptepasretirerunseuldesmotsquisontsortisdemabouche.Etpourfinirjenevoisabsolumentpasoùestleproblèmeavecmarobe.
Je suis bien consciente que j’éructe à traversmes dents serréesmais, maintenant que je suislancée,impossibledem’arrêter,alorsjecontinue:
—Ahet,pour info, jene t’aipas faitdireouiàquoiquecesoit.Tuveuxdirenon?Fais-toiplaisir,Gavin.Personnenet’obligeàrien.
Jecroiselesbrasetaffrontesonregardglacialsansciller.Moiaussi,jepeuxjouerlesgrosbrasinsensibles.Çamedétruirait qu’il changed’avis ; depuisqu’il adit oui, jem’accrocheà l’idéede
cettenuitavecluicommesimavieendépendait.Maiss’iln’enapasréellementenvie,alorsçanem’intéressepas.
Ilcontinueàmefusillerduregard,maisilnerevientpassursadécision.Pasencore,dumoins.—Tuasentenducequej’aidit,Gavin?Jeveuxuneréponse.C’estouiouc’estnon.Unbruitd’interphonenousfaitsursauteretils’écartedemoi.Ilappuiedenouveausurlebouton
d’arrêtd’urgenceetl’ascenseurrepartsansqu’aucundenousnediseunmotdeplus.Moncœurbat lachamadetandisquejemedirigeversmachambre,suiviedeprèsparGavin.
J’ailesjambesencotonetmamaintremblequandj’attrapemacartemagnétique,coincéedansmonsoutien-gorge.Naturellement,jen’arrivepasàouvrirmaporteetjejureàvoixbasse.Aladeuxièmetentativeinfructueuse,Gavinmeprendlacartedesmainsetjepeuxsentirsonsoufflechauddansmoncou.Aussitôt,mesépaulesetmesbrasserecouvrentdechairdepoule.
—Laisse-moifaire,chuchote-t-ilàmonoreille.Unesecondeplustard,maporteestouverteetjerentredansmachambre,flageolantcommeun
poulainquivientdenaître.—Gavin,jeveuxune…Mavoixsebrise.Jesuisincapabledereposerlaquestionetj’aienviededisparaîtredansuntrou
desouris.Soudain,leslèvresdeGavinsontdansmoncouetj’enoubliepresquequ’ilnem’apasencore
répondu. J’incline la tête pour lui faciliter la tâche et je n’arrive pas à retenir un gémissement deplaisir.
—C’estoui,Bluebird,murmure-t-il.Maisjepensequetulesaisdéjà.—Tuessûrdetoi?Est-cequetucomprendscequejeveux?Ilsepressecontremondosetjesensquelquechosequejen’aiimaginéquedansmesrêvesles
plusfous:lesexedeGavingonfléparledésir.Jedevraisêtrehonteusedusongutturalquis’échappedemagorge,maisjenesaismêmepluscequ’estlahonte.Toutcedontj’aiencoreconscience,c’estdesabouchesurmapeau,desesmainssurmeshanchesetdelapromessedecequim’attend,presséecontremesfesses.
—Crois-moi,jecomprends.Ettoi,tuessûrequetuesprêteàrisquerdetoutperdrepouruneseulenuit?Jepensequ’onsaittouslesdeuxcequeçapourraitnouscoûter.
Avec soncorps siprochedumien, fairemarchearrière est inenvisageable.Alors jehoche latête,sansunmot.
—Trèsbien.Tusais,çanemeplaîtpasqued’autresgenstevoientdanscetterobe.Çanemeplaîtpasdutout,même.
—Ahoui?Etqu’est-cequetucomptesfaire?Ileffleurelelobedemonoreilleduboutdesalangueetjetressaille.—Pourl’instant,rien.Maisdisonsque,si tuesaussieffrontéevendredisoir, turisquesdene
mêmepasêtreenétatdemarchersamedi.Mes jambes sedérobent sousmoi et ilmeprendpar la taille.Acroirequ’il devinecomment
moncorpsréagitàsesparoles.—Ilfautvraimentqu’onailleàcerendez-vous?Sonpetitriregraveserépercutedanstoutmon
être.—Jecrainsqueoui.Ilm’embrassedanslecouunedernièrefoisetrecule.Quandjefaisvolte-face,jesaisquejesuis
rougecommeunepivoine,etlevoiraussicalmeetmaîtredelui-mêmemetapesurlesnerfs.—Tuavaisprévudemeséduire,Bluebird?Ondiraitquetut’esfaitprendreàtonproprejeu.
Sondemi-sourireteintéd’arrogancemefaitenragermais,étantdonnéquejefrissonneencore,j’auraisdumalàluifairecroirequejesuisinsensibleàcequivientdesepasser.
J’attrapemonarchetetentreprendsdelerangerdanssonétuipourmedonnerunecontenance.— Peut-être.Mais j’étais sérieuse quand je disais qu’on devait discuter et être honnêtes l’un
enversl’autre.J’aibesoinde…—Jesaisdequoituasbesoin.Maisjenepensepasêtrecapabledeteledonner.Son air arrogant a disparu et il est de nouveau ce petit garçon au cœur fragile comme la
porcelaine.Jetendslamainetluicaressedoucementlajoue.—Etmoi,jesuisconvaincueducontraire.Jel’aitoujoursété.—J’aiunecondition.Enfin,uneautrecondition,enplusdelapromessequetonfrèrenesera
jamaisaucourant.—Jet’écoute.Ilfrottedélicatementsonnezcontrelemien.—Netombepasamoureusedemoi.Parfois,lesfemmesconfondentlesexeetl’amour.Dusexe,
je peux t’en donner, et j’ai même la ferme intention de te faire vivre une nuit que tu n’oublierasjamais.Mais je suis incapable d’aimer et tu saismieux que personne pourquoi. Alors il n’y auraqu’uneseulenuit,parcequec’esttoutcequejepeuxtedonner.
Une image de samère sematérialise immédiatement dansma tête. C’est sa faute. Elle ne l’ajamaisaimé.Dumoins,ellen’ajamaisrienfaitquipourraitlaissersupposerqu’elletientàsonfils.Ellenel’ajamaiscajolé,embrasséoutenuparlamain.
Gavinnesaitpascommentaimeràcaused’elleetj’aitellement,tellementenviedeluimontrercommentfaire.Maisàvoirladouleursursonvisagejecomprendsquecen’estpascequeluiveut.Niavecmoiniavecpersonne.
— Je te promets que je ne tomberai pas amoureuse de toi juste parce qu’on passe une nuitensemble.
Parcequejesuisamoureusedetoidepuislatoutepremièrefoisquejet’aivu.
12
Avecsapeaumateveloutéeetseslongscheveuxquitombentencascadejusqu’aumilieudesondos,MandyLantrampourraitpresquepasserpourunedes sœursKardashian.Sa robebleumarineépousesesformesvoluptueusescommeunesecondepeauetjemesenscommeunegaminedéguiséequandelleselèvepournousaccueillirsurlavérandadurestaurantchicoùellenousadonnérendez-vous.Dallasfaitlesprésentations.
— Je vous en prie, appelez-moiMandy. Je suis ravie de faire votre connaissance, dit-elle ennous souriant chaleureusement, à Gavin et moi. Comme je le disais à Dallas au cours de notreentretiend’hier,ondiraitbienquevouscommencezàvousfaireunnomauTexas,touslestrois.
Jeremarquequesonregards’attardesurGavinquandilselaisseallercontreledossierdesachaise.Çacommencebien.
—Onpeutdireça.Enfin,onjouepresquetoujoursgratuitement,alorsc’estsûrementpourçaquelesgensnousconnaissent,dis-jesèchement.
Toutlemonderitdeboncœur,alorsquejesuistoutàfaitsérieuse.—Ehbien, j’aimerais faire en sorteque ça change,ditMandyennousdévisageant à tourde
rôle.Jepensequevousvalezbeaucoupmieuxqueça.Voilàquifaitplaisiràentendre.Ilyaenfinquelqu’unquicroitennous.Quelqu’unquiconnaît
l’industriedelamusiqueetdontl’opinionestrespectéeetimportante.Pourlecoup,j’aipresqueenviedelaprendredansmesbras.Siçasetrouve,c’estcettefemmequivaaidermonfrèreàcomprendrequemaplaceestici,etpasàHouston.
JesursauteenentendantGavins’éclaircirbruyammentlagorge.—Commetulesais,trouverdesdatesn’estpascequ’ilyadeplusfacile,etonnepeutpasdire
qu’onsoituntriocountrytraditionnel.Onaunstyletrèsvariéetplusieursmanagersnousontditquelepublicn’étaitpasprêtpournotremusique.
J’aienviedeluimettreuncoupdepiedsouslatable,maisMandyacquiesce,commesic’étaitexactementlaréponseàlaquelleelles’étaitattendue.
—Certes,lefiddlecoupléàdesremixdeR’nBestloind’êtreconventionnel.Ellefaitunepauseaucasoùl’undenousvoudraitl’interrompre,maisongardetouslestroisle
silence.—Cela étant dit, je pense que lemoment est venu pour vous trois de prendre des décisions,
même si ce sont des choixdifficiles.La réalité, c’est que, dansdes festivals commecelui-ci, vouspouvez jouerautantdereprises,derapremixéoudebluegrassquevousvoulez, jem’enfichepasmal.Maisquandjevousdécrocheraiunshowcase,vousdevrezproduirevotrepropreson.Jouerles
morceaux quimontrent lemieux de quoi vous êtes capables, ceux qui se rapprochent le plus deschansonsquisontentêtedeshit-paradesencemoment.
Undétailnem’apaséchappé:elleaditquandetpassi.L’espoirgranditenmoi,ilmontedansmapoitrineetserépandcommeunfeudepaille.Jemevoisdéjàpousserdesailesetm’envolerloindescoursrasoirdemusiquethéorique.Unshowcase…ceseraiténorme.Uneoccasionenordenousproduiredevantdesmanagersetdesmaisonsdedisques.JelesaisparcequeçafaitdesannéesqueDallasnouschantesurtouslestonsàquelpointlesshowcasessontimportantssionveutsigneruncontrat.
—Jepensequejeparleennotrenomàtousquandjedisquenoussommestoutàfaitconscientsdes sacrifices et des compromis que ça exigerait, dit Dallas. Surtout si on est nouveaux dansl’industrie.
— Cela dit, l’interrompt courageusement Gavin, on ne va pas faire semblant d’être quelquechosequ’onn’estpas.Çanenousapporterariendedécrocheruncontratsionjouequelquechosequinenousressemblepas.
—Biensûr.Leplusimportantàmesyeux,c’estquevousfassiezcequevousaimez.Jeneveuxsurtoutpasvousvoirfrustrés.Lamusiqueestquelquechosedetrès…personnel.Etmontravailc’estdeveilleràcequevoussoyezsatisfaitsdetoutcequenousfaisonsensemble.
Jedoisreconnaîtreque j’assisteàcetteconversationplutôtenspectatrice.Je lesécouteparler,maisc’estcommesimonintuitionféminineessayaitdem’avertirdequelquechosesansquejesachedequoiils’agit.Mêmesisonsourireestsincère,jetrouveletondeMandyunpeutropmielleux.
Sansmelaisserletempsd’analyserdavantagecettesensation,unserveurapparaîtetprendnotrecommande.Jen’aimêmepas regardé lemenu,alors jemecontentede luidemander leurmeilleurplatdepâtesetunverred’eau.Gavinprendunhamburger,commeDallas,etMandycommandeunesalade.
Lorsqu’onseretrouvedenouveauseuls,Mandynousposedesquestionssurnotrehistoireetlafaçondontlegroupes’estformé.
Sesyeuxsemblents’arrêterunpeuplussurDallasquesurGavinoumoi,maisjesupposequec’esttoutsimplementparcequecen’estpaslapremièrefoisqu’ilssevoient.Detoutefaçon,siundesdeuxgarçons l’intéresse, j’aimeautantquece soitDallas.Supporter lesgroupiesdeGavinestunechose, mais travailler avec un manager qui a envie de le mettre dans son lit serait mon pirecauchemar.
Aubout d’unmoment, elle demande comment les garçons se sont débrouillés quand j’étais àl’écoleàHouston.
—Ilsm’appelaienttouslesjoursenpleurantetmesuppliaientderentrer.JefeinsleplusgrandsérieuxetDallasmejetteunregardagacé.—Engénéral,onessayaitdetrouverdesconcertsàmi-cheminentreAmarilloetHoustonquand
Dixien’étaitpastropdébordéeparsescours.Sinon,Gavinetmoiavonsdonnéquelquesconcertsàdeuxdanslesbarsducoin.
Ellereportesonattentionsurmoi.—Ettuseraisprêteàrenonceràuneboursed’étudesprestigieusepourça?Pouruneviesurles
routesaveccesdeux-là?Leconceptal’airdecomplètementladépasser,etpourtantjehochelatêtesanshésiter.—Jesaistrèsbienqu’unecarrièreauseind’unorchestrerenomméestlerêvedebeaucoupde
musiciens,maiscen’estpaslemien.Jenem’ysenspasàmaplace.
Ladernièrephraseestsortiedemabouchesansque j’aie le tempsde laretenir.Jesuisgênéed’enavoirdévoiléautant,maisMandysecontented’acquiescer.
Ensuite, elle évoque les groupes pour lesquels on a fait des premières parties, les autresmanagersavecquionadiscutédanslepasséetnotreprésencesurlesréseauxsociaux.C’estmoiquim’enoccupedepuis ledébut : jemetsnospagesà jouret jepostedesphotossurnotreblog.Onad’ailleursunnombreétonnammentélevédefollowers.
LesplatsarriventetjeprofitedurepaspourobserverMandyàladérobée.Elleestl’incarnationmême de la sophistication. J’ignore ce qu’elle pense de moi mais, de mon côté, je sais que mesespoirs et mes rêves sont entre ses mains. Ce qui va se passer pour moi à l’automne, lorsquel’universitéreprendra,dépenddirectementdesionsigneavecelleoupas.Jemejetteraisavecplaisiràsespiedspourlasuppliersiçanouspermettaitdedécrocherlegroslot,maiscen’estsansdoutepaslameilleurestratégie.Alorsjemecontentedemangerensilenceetd’acquiescerensouriantàchaquefoisqu’elleparled’undesesclientsdontelleafaitdécollerlacarrière.
Alafindurepas,Dallassepencheversnous.—Mandy a exactement la même vision de notre futur que moi. Elle a entendu parler d’un
showcaseénormeauquel ellepeutnous faireparticiper le lendemainde la findu festival.Si çanemarche pas, au moins on sera fixés.Mais je pense qu’on devrait lui donner une chance de nousmontrercequ’ellepeutfairepourlegroupe.
JeprendsunegranderespirationetjeregardebrièvementGavinavantdemetournerdenouveauversmonfrère.
— Je te fais confiance,Dallas. Tu as toujours fait les bons choix pour le groupe, alors si tupensesquec’estlabonnedécision,jetesuis.
Mandymedécocheunsourireéclatantetjeluisourisenretour.—Pareil,ditGavinenjetantuncoupd’œilversmoi.Parcontre,jepréfèreneriensigneravant
leshowcase.Onverrabiencequeçadonneàcemoment-là.Sidesgenssontintéressésaprèsnotreperformance,Mandypourranousaider,sielleesttoujourspartante.
—Çanefaitaucundoute,claironneMandy.Leproblèmeneserapasdesavoirsivoussuscitezl’intérêtounon.Ceserasurtoutdefaireunchoixparmilapluied’offresquivavoustomberdessus.
Laconfianceselitdanssesyeux,etl’espoirqu’elleafaitgermerenmoigranditàtoutevitesse.Sitoutvabien,d’icipeu,jepourraidireadieuàlafossed’orchestre.
***
Mandynousaccompagneaprès ledéjeuneretassisteànotre répétition.Lesoir,onseproduitfaceàunpublicrelativementnombreux,devantundesbarslespluspopulairesdeSixthStreet.
Pendantleconcert,jemeretourneplusieursfoispourobserverGavinpendantqu’iljoue.Ilsedéfoule sur sa batterie, son superbe corps tatoué éclairé par la lumière bleue des néons. Quant àDallas,ildonneabsolumenttoutcequ’ilasurscène.Atelpointquejemedemandesilafaçondontilsedéhancheetlesregardsembrasésqu’illanceaupublicn’auraientpasquelquechoseàvoiraveclafemmequise tientaupremierrang.Maisquandbienmêmeceserait lecas, jenevaispasfairedecommentaires.Lachanceafrappéànotreporte,elles’appelleMandy,etonestlàpourlaconvaincrequ’onaunavenirdanslamusique.
J’oubliemespeursdenepasêtreassezbienpourGavin,jebalaiemesinquiétudesdenepasêtreà la hauteur pour Mandy, j’ignore mon frère qui se pavane comme un paon, et je joue, toutsimplement. Je suis la musique et plus rien n’a d’importance lorsque mon archet court sur mes
cordes.Toutcequicompteàcetinstant,c’estlamélodieetl’expériencequ’onoffreauxgensquisontvenusnousvoir.
Alafindenotreset,onsaluelepublicsouslesapplaudissementsetonsouhaiteàtousunebonnesoirée avant de sortir de scène. Je suis Dallas et on rejointMandy, qui est occupée à tapoter surl’écrandesonportable.
—Excellentenouvelle, dit-elle ennousvoyant arriver. IndieMusicMagazineveut publier unreportagesurlesgroupesquijouentaufestival,etunjournalisteaimeraitvousinterviewertouslestroisdemain.
Jelaisseuneexclamationraviem’échapper.—C’estgénial!Jenesaispascommenttuasfait,maismerci.PendantqueMandycommuniqueàDallaslesdétailsconcernantl’heureetlelieudel’interview,
j’ai l’impression de flotter : l’adrénaline quim’habite toujours après un concert n’est pas encoreredescendue.Mabonnehumeurdisparaîtpourtantbrutalementquandmonfrèrenousditqu’ondoitrentrertoutdesuiteàl’hôtelpourêtreenformelelendemain.
LuietMandysemettentenroutesansattendreenévoquantlesquestionsquerisquedeposerlejournaliste.JelessuisdeloinavecGavin.Sonbraseffleuredoucementlemienetjesensunepetitedéchargeélectriquemeparcouriràchaquefrôlement.
—Ondiraitqu’onn’estpas lesseulsàenvisagerdefranchirdes limites,murmure-t-ilàmonoreille.
Jelèvelatêtepourvoirdequoiilparleetm’aperçoisqueMandyestentraindesourireàmonfrèrecommesiellejouaitdansunepubpourdudentifrice.QuantàDallas,ilraconteavecdesgrandsgestesuneanecdotequidated’undenosderniersconcerts.Lascèneétaitséparéedubarparunmurenplexiglas,àcausedelafâcheusetendancedeshabituésàbalancerdestrucsauxmusiciens.Cen’estpas forcément l’histoire que j’aurais choisie pour l’impressionner,maisDallas était immensémentfierqu’onaitétéleseulgroupeànepasêtrelacibledejetsdebouteillesdebièrecesoir-là.
JesourisetmetournedenouveauversGavin.—C’esttoutcequ’onfait?Onenvisagedelesfranchir?Avantquejepuisseobteniruneréponse,lavoixdeDallasretentitpournousdiredepresserle
pas,etonlesrejoint,laissantunefoisdepluscetteconversationinachevée.
13
A peine la porte dema chambre passée, jeme débarrasse dema robe trop serrée et demeschaussures. Ces bottines sont peut-être très jolies, mais je suis à deux doigts de me casser unecheville.Saufqu’unefoisquejemesuischangée,auprofitd’unjeanetd’undébardeurblanc,jesuisincapablederestertranquillementassise.Aprèsunconcertcommeceluidecesoir,l’inactivitéetlesilencedemachambresontpresque impossiblesàsupporter.Jenerésistepasà la tentationd’allerchercherGavin.
Dèsqu’ilouvrelaporte,jefaisunpasverslui.—J’aichaud,jen’enpeuxplus.Onyva?Gavinouvredesyeuxrondscommedesbilles.—Quoi?Jelecontournepourentrerdanslachambredesgarçonsetmedélectedel’éclatquibrilledans
sonregarddebraise.—Onvamangeruneglace?—D’accord.OnattendDallas?demande-t-ilenconsultantsamontre.Onregardetouslesdeuxparlafenêtre.MonfrèreestencoresurleparkingavecMandy,entrain
dediscuterdelajournéededemainoudushowcase.Jeseraisétonnéequ’ilsepassequoiquecesoitentreeuxcarilesttrèsprofessionnel,maisjesuisraviequ’ilss’entendentbienetqu’ellenousprenneausérieux.
—Ilsenontsûrementpourunmoment.—Onpeuttoujoursleurdemanders’ilsveulentsejoindreànous,suggèreGavin.Ilouvrelafenêtreetleurproposedenousaccompagner,maisilsdéclinentl’invitation.—Nerentrezpastroptard,avertitmonfrère.—Oui,papa.Onrentreraàtempspourlecouvre-feu.Mandy,jesuisraviedet’avoirrencontrée.
J’espèrequeleconcertt’aplu.—Beaucoup,merépond-elle.Jedoisvoird’autresgroupesd’ici lafindelasemaine,maisje
vousretrouveraidemainpourl’interview.—Parfait,ditGavin.Tuesprête,Dixie?Je hoche la tête et on semet en route. Il a l’air bizarre… Il est sûrement nerveux à cause de
l’interview.Çan’a jamaisétéson trucdeparlerenpublic.Oupeut-êtrequ’il repenseàcequis’estpassé ladernière foisqu’onavouluallermangerquelquechoseensemble. Jepriesilencieusementpourqu’onarriveàmangeruneglacetouslesdeuxsansqueçatourneaurèglementdecompte.
Aprèsplusieursminutespasséesàmarchersansriendire,jen’ytiensplus.
—Gav?—Quoi?—Tustressesàcausedel’interview?Ilgardelesilencependantcequimesembleêtreuneéternitépuisilhausselesépaules.—Non,pourquoi?Tustresses,toi?—Non.C’estjustequec’estplusimportantquetoutcequ’onafaitjusque-là.J’ail’impression
quetoutestsurlepointdechanger.Legroupe,nous…—Tuas toujours suqueDallas voulait aller àNashville, non ?Ondirait que ça te fait peur,
maintenantquec’estunevraiepossibilité.—Non,aucontraire,jetrouveçasuper-excitant.C’estmonrêveàmoiaussi,tusais.Mêmesije
nelepoursuispasaussiagressivementquelui.—Jesais.C’estlemienaussi,d’ailleurs,mêmesijen’aijamaisvraimentvuçacommeunrêve.
Plutôtcommeleseultrucquejesachefaire.—Cen’estpasvrai.Ilhausselesépaulesetpasseàunautresujet.—Les changements ne sont pas forcément unebonne chose,Bluebird.Tu as changéd’avis à
proposdecettehistoiredenuitàdeux?Certainementpas.—Ettoi?Ilregardedroitdevantlui,impassible.Lesilences’étirejusqu’àcequej’aielesentimentqueje
vaismemettreàcrier.C’estcommesi la tensionentrenousmenaçaitdes’enroulerautourdemoncouetdem’étouffer.
—Jet’aiditquej’étaisd’accord,répond-ilenfin.Lesoulagementm’envahitetjenepeuxpasm’empêcherdeluisourire.—Arrêtedemeregardercommeça,tuvasfinirparmerendrenerveux.Qu’est-cequetuasen
tête,petiteBluebird?UnfantasmeàlaFiftyShades,quetun’aspasencorepuréaliser?Sasuggestioncoquinefaitbattremoncœurplusvite.—Alorscommeçatulisdupornopourménagères?Ilm’ouvrelaportedumarchanddeglacesenriantet j’entredanslaboutiqueauxmurspeints
dansdescouleurséclatantes.Quand je regardeGavinpar-dessusmonépaule, j’ai l’impressionquechaquemomentpasséavecluiestunrêve,commesij’étaisentraind’imaginertoutçaallongéesurmonlitaulieud’êtreréellemententraindelevivre.
Ungroupedefillesenâged’êtreaulycéeestdevantnous.Ellesontsoudainl’aird’avoirtouteslespeinesdumondeàseconcentrersurlesdifférentsparfums,sansdoutetropoccupéesàglousseretà regarder Gavin. Je ne peux pas leur en vouloir… Entre son regard brillant, ses tatouages quiprennentvieàchaquemouvementetsonairmystérieux…quineseraitpasperturbée?Ilneserendmêmepascomptequ’ilestlecentredel’attention.Ilestconcentrésurlesparfums,lui.
Jerepenseàlapremièrefoisoùonamangéuneglaceensemble.Jel’avaisachetéeaumarchandambulantavecmonargentdudéjeuneretpartagéeavec lui.C’étaitaussi la toutepremièrefoisqueGavin en goûtait, et mon cœur s’était brisé en découvrant qu’en douze ans personne ne lui avaitjamaisoffertuneglace.Ilajuréquec’étaitlameilleurechosequ’ilaitjamaismangéedesavie.Ilafermélesyeuxenladégustantetjesuistombéeunpeuplusamoureusedeluicejour-là.Commemoi,il connaissait et comprenait l’importance de savoir savourer les bonnes choses, la rareté de cesmoments.
—Sijeprendsframboiseetvanille,tuveuxbienprendre…
—Oui,m’interrompt-il.Tudevraislesavoir,depuisletemps.Il pose une main dans le bas de mon dos et je souris tellement que le type qui prend notre
commandedoitsedirequejesuiscomplètementshootée.Ouquej’aimevraimentbeaucouplaglace.Dès qu’on est dehors, je passe à l’attaque. Je soupire de satisfaction en sentant la douceur du
parfumfondresurmalangueetcoulerdansmagorge.—Est-cequetucroisqueMandyvanousfaireunepropositionofficielle?Gavinmangeunpeudeglaceavantdemerépondre:—Onnepeutêtresûrsderien,maisjepensequ’ilyadeschances.—C’estunrisqueénorme.—Développe.—Laissetomber.Jereportemonattentionsurmabouleparfuméeàlaframboiseavecungrommellement.—Non.Tuasraison:lamoindredécisionquitouchelegroupenoustouche,nousaussi.Sauf
qu’onnepeutpastoujourséviterlesrisques,mêmesionaimeraitbien.—Tuessaiesdemedirequelquechose?—Non.Jemeposejusteunequestion:situassipeurdesconséquences,alorspourquoituveux
faireça?—Tuparlesdelamusiqueoudetoi?—Desdeux.Jeprendsletempsdelaissermaglacefondredansmabouche,puisjemelècheleslèvresavant
derépondre:—Jesupposeque,sijelefais,c’estparcequej’espèrequeçavavaloirlecoup.Unsilencelourddesenss’installeentrenous,finalementinterrompuparGavinlorsqu’onarrive
danslehalldel’hôtel.—Onéchange?demande-t-ilenmetendantsacoupedeglaceauchocolat.—D’accord.Nosdoigtssefrôlentquandjeluidonnelamienne.L’atmosphèreentrenousestélectriqueetje
nepenseplusàrien,obnubiléeparledésirquimonteenmoi.Onarriveàl’ascenseur,maisjen’aipaslamoindreenviequ’onsesépare.
Je suis pratiquement certaine qu’une seule nuit ne suffira pas à me guérir. Il le faudra bien,pourtant.Aumoins,ceseratoujoursmieuxquedevouloirquelquechosesansêtreabsolumentsûrequec’estbiencedontj’aibesoin.
—Ilvavraimentfalloirquetuarrêtesavectesregards.Autrement,savoirsiouiounonMandyLantramvanousproposeruncontratvadevenirlecadetdenossoucis.
—Quelsregards?Il se penche en avant et son visage est à quelques millimètres du mien lorsqu’il reprend la
parole.—Parfois,tumelancescesregards…commeencemoment,dit-ilenpointantsacuillèrevers
moi. Et là, sans Dallas ni personne d’autre pour m’arrêter, je me dis que cette glace serait bienmeilleuresijelaléchaisàmêmetapeauaulieudelamangeravecunecuillèreenplastique.
Et voilà.Monsieur vient dem’envoyer en enfer, où je vais brûler de désir jusqu’à la fin destemps, tout ça enhaussantnonchalamment les épaules.Bien fait pourmoi : j’ai volé tropprèsdesflammes,jemesuisbrûléeetàprésentj’enveuxencore.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. On pénètre dans la cabine et j’appuie uniquement sur leboutondemonétage,cequimevautunregardpourlemoinssurprisdesapart.
—Dixie,qu’est-cequetu…Jeledévisagesansrépondre.Alasecondeoùonarriveaucinquième,jeleprendsparlamainsansluidemandersonaviset
l’entraîne jusqu’àmachambre. Je le lâcheuniquementpourm’emparerdemacartemagnétiqueetl’insérerprécipitammentdans laserrure.Heureusement, j’arriveàouvrir laportedupremiercoupcettefoisetonentredans lapièce,uniquementéclairéepar lafaible lumièredes lampadairesde larue.
Jeposemaglacesurmatabledenuitetjeretirelentementmondébardeur.Uniquementvêtuedemonjeanetdemonsoutien-gorgenoirensatin, jem’assiedsauborddemonlit.Jem’attendsàcequ’ilattrapemondébardeur,meletendeetmedisedemerhabillertoutdesuite,maisilnelefaitpas.Un éclat puissant illumine son regard.Çapourrait passer pour de la colère,mais je sais que c’estautrechose.S’ilestencorelà,qu’ilnes’estpasenfuiencourant,c’estparcequ’ilenaautantenviequemoi.
—Tusaiscequej’aimedanslamusique,Gavin?Appuyéesurmescoudes,jeledévisage.Ilnerépondpas.Ilmescruteetjemeforceànepasbaisserlesyeux.—On ne peut pas la dompter ou la contrôler. Lamusique est libre. Elle est pleine de vie et
imprévisible. Tu ne peux pas la posséder, l’acheter ou la vendre. Pas vraiment, du moins. Ellen’appartientàpersonne.
—Commetoi.—Comme nous. Personne ne peut nous contrôler. Personne ne peut nous arrêter si c’est ce
qu’onveutvraiment.Alors, si tuas enviede recouvrirmoncorpsdeglacepour la lécher ensuite,fais-le.Lavieesttropcourte.Situnemecroispas,tun’asqu’àdemanderàmesparents.
Lamentiondemesparentsfaitenfintombersonmasqueinexpressif.Ilvientprèsdemoietjepeuxlirel’incertitudedanssesyeux.Alorsjem’allongesurlelit,jefermelespaupièresetj’attends.
Auboutdequelquesinstants,jepousseunpetitcridesurpriseensentantquelquechosedetrèsfroidatterrirsurmapeau.J’ouvrelesyeuxetvoisGavinpenchéau-dessusdemoi,quiversedelaglacefonduesurmonventreetm’observetandisquejemecontorsionne.
—Alors,Bluebird,onafroid?Il s’agenouille entre mes jambes et j’en profite pour passer les mains dans ses cheveux. Sa
languemefaitl’effetd’unincendielorsqu’illèchesondessert—enfin,mondesserttechniquement—surma peau. Ilme prend par les hanches et un gémissement s’échappe de sa gorge. J’ai envie defermerlesyeux,maisjemeforceàlesgarderouverts,pournepasperdreunemiettedumagnifiquecorpsdeGavinquibougeau-dessusdumien.Sesmainsdescendent, sesdoigtss’enfoncentdans lachairdemescuissescommes’ilvoulaitmecloueraulit,etjechavireunpeuplusàchaquefoisquesabouchemecaresse.
Jenepenseà rien,àpartunechose :Gavinesten traindeme lécher leventre.Etmaintenantqu’est-cequ’onfait?
Avantquej’aieletempsdeposerlaquestion,ildéboutonnemonjeanetlefaitglisserlelongdemescuisses.Visiblement,iln’apaslapatienced’attendredemeleretirercomplètement,carilpressesabouchesurmoi,àtraversletissudemaculotte.
Je laisse échapper ce qui ressemble à un gémissement de plaisir mêlé à une tentative deprononcersonprénom.Jamaispersonnenem’aembrasséelà.
—Tuveuxquej’arrête?Jesecouelatête.Surtoutpas.
Le désir qui monte entre mes cuisses devient presque douloureux et se transforme en unepulsation insupportable lorsqu’il écarte le tissu dema culotte. J’arque violemment le dos quand jesens sa langue surmoi, et il grogne enme goûtant. Je retiensmon souffle, incapable d’enchaînerdeuxpenséescohérentes.
—Tuesencoremeilleurequelaglace,Bluebird.Ildécritdescercleshumidesavecsalangueetj’oublietout: lespeurs, lesinsécurités, lagêne
quejepourraisressentirenvoyantGavinexplorersiintimementmoncorps.Toutcequejesais,c’estquej’enveuxencore.Jeveuxlesentirplusprofondément,plusfort.
J’ondulecontre saboucheet jegémisdeplaisir à chaque foisqu’ilme touche.Lapressionaatteintsonpointculminantetj’aibesoindelesentirenmoi.Toutdesuite.
Jecriesonnomlorsqu’ilaspiremonclitorisdanssaboucheetlapiècesemetàtourneràtoutevitesseautourdemoi.
—Çava,mabelle?—Gavin,j’aienviedetoi.Jeveuxtesentirenmoi.S’ilteplaît.Jesuisàboutdesouffleetmavoixn’estplusqu’unesupplication.—Bientôt,promet-ilenglissantundoigtenmoi.—Continue,Gavin.Encore.Jesuisauborddudésespoiret,quandunautredoigts’ajouteaupremier,jeperdscomplètement
lespédales.Jem’entendscrier,maislesmotsquejeprononcesonttotalementinintelligibles.Mapeauluitdetranspirationetjemecontorsionnecommesij’étaispossédée.Gavincontinueà
melécherpendantquel’orgasmemeravage,jusqu’àcequemescriss’arrêtent.Alorsseulement,ilrelèvelatête,lesyeuxpleinsdedésiretdedétermination,etjelesaisavec
certitude : il va me faire l’amour. Ou peut-être quelque chose d’encore plus fort, de si intensequ’aucunmotn’aencoreétéinventépourledécrire.
Soudain, quelqu’un frappe à la porte, et jeme redresse si brusquement que j’en ai la tête quitourne.
—Dixie,tueslà?Ouvre.Gavinmarmonneunjuronetjefrôlelacrisecardiaqueenreconnaissantlavoixdemonfrère.
Sansattendre, jeme lèved’unbondetmesersde lacouverturepouressuyer les restescollantsdeglacesurmonventre.J’enfilemondébardeuretjeremontemonjeanenquatrièmevitesse,enproieàlapaniquelaplustotale.
—Peut-êtrequetuferaismieuxdetecacher.—Jenemecachejamais.Pasmêmedevanttonfrère.Gavin se dirige d’un pas assuré vers la porte. Je ne sais pas comment il fait pour être aussi
calme,maisçamedépassecomplètement.Demoncôté, j’angoisse tellementque jen’arrivemêmeplusàrespirer.
—Qu’est-cequ’onvaluidire?—Qu’onregardelatéléenmangeantuneglace.Ilnevapasenmourir.Moisi,apparemment.Jemedemandecommentjevaisréussiràdireçasansrougir.«Manger
uneglace»aunetoutautresignification,àprésent.—D’accord.Jem’assoissurlelit,lesjambescroisées,enessayantd’avoirl’airleplusnaturelpossible.Tout
mon corps vibre comme si le volume de mon cœur avait décuplé. Il bat si fort que je sens sespulsationsjusquedansmonestomac.
JetombepresqueenramassantlatélécommandeetjeparviensdejustesseàallumerlatéléavantqueGavinn’ouvrelaporte.Lavoixannonceque,pour19dollarset95cents,onpeutavoiraccèsàlachaînedefilmspouradultespouruneduréedevingt-quatreheures.Jechangeaussivitequepossibleetj’optepourunechaînemusicale,pileaumomentoùmonfrèreentreaupasdecharge.
—Qu’est-cequisepasse,ici?Aucasoù j’auraisdesdoutes, la lumièrede l’écranquiéclairesonvisage leconfirme: ilest
furax.Deboutderrière lui,Gavinestd’uncalmeolympien,commesionétaitvraimenten traindemangeruneglaceenregardantdesclips.
—Onacruquetuauraisdelacompagniepourlasoirée,ditGavinens’appuyanttranquillementcontrelemur.Ons’estditquevousaimeriezêtretranquilles.
—Delacompagnie?Dallasnousdévisage,perplexe,alorsjeclarifie:—TuétaisengrandeconversationavecMandy.Il soupireet se laisse lourdement tomber surmon lit.Puis il s’emparede la télécommandeet
baisselevolumedelatélévision.—EnparlantdeMandy,j’aiquelquechoseàvousdire.—C’estàproposdushowcase?Dallasne répondpas toutdesuite,cequin’arrivepresque jamais.Etquandçaarrivecen’est
jamaisbonsigne.Ilnousregardetouràtour,avantdebaisserlatête.—Ehbien,justement…—Justementquoi?Ilfroncelessourcilsetsonexpressionmerappellecelledemonpère,surdesphotosdeluiau
mêmeâge.Unhommed’unebeautésauvage,autempéramentpassionné.Enfin,jamaisjen’avoueraisunechosepareilleàDallas.Ilestdéjàbienassezprésomptueuxcommeça.
—Ellearemuécieletterre,maislesorganisateursdushowcasen’acceptentquelesgroupesquiont un manager officiel. Autrement dit, on doit signer un contrat avec elle si on veut figurer auprogrammedesamedi.C’estlaseulesolution.
Jen’essaiemêmepasdecachermasurpriseetmonirritation,maisdéjàilpoursuit:—Elleaditqueçapouvaitêtrequelquechosesurlecourtterme,unesortedepérioded’essai,le
tempsdevoircommentçasepasse.Sidanssixmoisonn’estpassatisfaits,ousiellen’arrivepasàfairebougerleschosespournous,onarrêtetout.Sansrancune.
Gavinpousseunsoupirexaspéré.—Quandest-cequevousallezarrêterd’êtreaussinaïfs, tous lesdeux?Quecesoitpoursix
mois, pour un an ou pour une nuit, s’engager auprès de quelqu’un comme ça a forcément desconséquences.Etsionsignejepeuxvousgarantirqu’ilyenaura,àlongouàcourtterme.
Dallas le dévisage, aussi surpris que moi par la véhémence de son ton. Pour tenter de leconvaincre,ilentreprendalorsderéciterlalistedetouslesartistesqueMandyalancés.C’estassezimpressionnant pour quelqu’un qui n’a que vingt-sept ans, je ne peux pas le nier,mais ce quimetroublevraiment,c’estlaréactiondeGavin.J’ignoresic’estàcausedelanouvelleclauseimposéeparMandy, de la nuit qu’il a accepté de passer avecmoi, ou demon frère qui a interrompu despréliminairesàfairetremblerlesmurs,maiscequiestsûr,c’estqu’ilesténervé.
Quandsonregardcroiseenfinlemien,j’essaiedeluifairecomprendrequejenesuispasaussinaïve qu’il le croit. Je sais que notre nuit aura des conséquences, j’en suis tout à fait consciente.Simplement, jesuisprêteàfaire toutcequ’il faudrapoursurvivreauxrépercussions,parceque jesaisqueçavaudralecoup.Peuimportecequiadviendraensuite,çavaudralapeinedesavoirceque
çafaitd’êtresiprochedelui,d’êtreconnectéeàluidecettefaçon.Pourlui,c’estjusteunenuit,peut-êtremêmeunenuitqu’iloubliera aprèsune semainepasséeà enchaînerdescoupsd’un soir.Maismoi, je sais que le souvenir de cette nuit m’accompagnera toujours. Ce sera un moment que jechériraicommeuntrésoretquifigureraparmilesexpérienceslesplusbellesetlesplusimportantesdemavie.
—Alorsc’estd’accord?Onsigneavecellepouruneduréedéterminéeetonvoitcequ’ellepeutfairepournous?
Gavindévisagemonfrère,incertain.—Situcroisqu’ellepeutprendrelesbonnesdécisionspourlegroupeetsitupensesvraiment
pouvoirluifaireconfiance,d’accord.Maissitun’espastotalementsûrdetoiouquetuasdesdoutessur ses intentions, alors je pense que tu devrais ralentir un peu,mec. Ce n’est pas une course. Jepréfèreattendreletempsqu’ilfaudrapourtrouverlebonmanagerplutôtquedesignerjustepourenavoirun.
QuandGavinafini,Dallassetourneversmoiethausselessourcilspourm’indiquerquec’estàmontourdeparler.
Jehausselesépaules.—Situpensesquesigneravecelleestlabonnedécision,alorsjetesuis.Je te suis,mais je prévois quandmême toujoursde tementir, parceque les poulesauront des
dentsavantquejetediselavéritéàproposdeGavinetmoi.—Jeneseraispaslàsijenepensaispasquec’étaitlabonnedécision.Cegroupe,c’esttoutema
vie,vouslesavezbien.Jeneprendraisjamaislerisquedefairequelquechosesusceptibledegâchercequ’ona.
Unsilencepesants’installe,etjefixeGavin.—Alorsonyva.J’aurais dû formuler ça comme une question, mais c’est trop tard. Le regard de Gavin
s’assombrit et je sais qu’on est tous les deux sur le point de franchir le point de non-retour. Lemomentestvenupourluidejouercartessurtableetdesauterdanslevideavecmoi,oudereculertantqu’ilenestencoretemps.
—Oui.Onyva,ditGavinàvoixbasse.—Bon.C’estparti,conclutDallasensetapantdanslesmains.Ilnousadresseunsourireradieuxetjefaisdemonmieuxpourparaîtreenthousiaste,mêmesi
toutmonuniversrisquedebasculer.—Onvatelaissertereposer,Dix.J’acquiesceetjemelèvepourlesraccompagnertouslesdeuxàlaporte.—Aufait,elleétaitbonne,votreglace?demandeDallasensetournantversnous.Saquestionmeparalyse.J’ouvrelabouche,maisaucunsonn’ensort.Gavin,lui,répondàmon
frèreenleregardantdroitdanslesyeux.—Lameilleuredemavie.
14
MusicFestd’Austin—4ejour
ScottLevinson,trentenairehipsterjournalisteauIndieMusicMagazine,réajusterégulièrementseslunettesàmonturenoirerectangulairependantl’interview.Ilnousposeunefouledequestions,denotreformationànossourcesd’inspirationenpassantparEmmylou.
Dallas est en train d’expliquer une de nos chansons à Scott quand la sonnerie du portable deGavinretentit.C’estlaonzièmefoisdepuisledébutdel’interview.Gavinéchoueunefoisdeplusàcouper le son et Mandy le fusille ouvertement du regard. Une espèce d’autorité naturelle émaned’elle,quimefaitmesentirencoreplusjeunequejenelesuis.Jem’attendsàcequ’elleconfisqueleportabledeGavinàtoutmoment,commelefaisaientlesprofslorsqu’onétaitaulycée.
Unefoisl’interviewterminée,onselèveetonseprépareàjouerquelquesmorceauxpourScottetMandy.
Jem’approchedeGavinpourarticulersilencieusementun:«Toutvabien?»Ilhochebrièvementlatêtepuisdétourneaussitôtleregardpourseconcentrersurlesréglages
desabatterie.Dallas nous a expliqué que Mandy avait suggéré qu’on laisse de côté certaines de nos
adaptationsdemorceauxclassiques,etqu’onlesremplacepardesversionsacoustiquesdehitsplusactuels.Avraidire,jemefichepasmaldecequ’ons’apprêteàjouer.Toutcequim’intéresse,c’estdesavoirpourquoiletéléphonedeGavinestsurlepointd’exploser.
Jeledévisagejusqu’aumomentoùDallasjouelespremiersaccordsdumorceauaveclequelonaclôturénosderniersconcerts.
LebruitdescymbalesdeGavinfaitnaîtreunfrissondélicieuxlelongdemacolonnevertébrale.Ilfrappelacaisseclaireetjeremarquequ’ilalessourcilsfroncés.D’habitude,jouerestunexutoirepourGavin.Ça l’a toujoursété.Maisaujourd’huiçanemarchepas,et jenesaispaspourquoi.Laculpabilité m’envahit : sa frustration a-t-elle quelque chose à voir avec notre nuit ? Non, unpressentimentmeditquelesouci,quelqu’ilsoit,estdirectementliéàlapersonnequil’appellesansarrêt.
Alafindenotresetnouvelleversion,Scottvientnousféliciter,maislevibreurdutéléphonedeGavinl’interrompt.Scottsecontentedoncdenousindiquerladatedeparutiondel’article,etluietMandysedirigentverslasortie.
—Cinqminutesdepause,annonceDallas.Gavin,profites-enpourrépondreàtonfoutuportableetdisàtagroupiedetefoutrelapaix.
Là-dessus,ilsortdel’entrepôtaupasdecourse,sansdoutepourrattraperMandyetluiprésenterdesexcuses.
—Gav,qu’est-cequisepasse?—Riendutout,lâche-t-ilsansmeregarder.Jevaiséteindremonportable.Saufqu’ilnelefaitpasetjesuissoudainprised’unaffreuxmaldeventre.Est-cequeDallasa
raison?Est-cequec’estune«ex»quilepersécute?Ellesnesontpasaussi tenaces,d’habitude.IlfautdirequeGavinesttoujourshonnêteavecelles.Ilnefaitjamaissemblantdevouloirplusqu’unehistoired’unsoiretelleslesavent.Toutcommemoi.
—Peut-êtrequetudevraisrépondre.Commeparmagie,sonportablevibredanssamainàcemoment-làetilfermelesyeux.Quelle
quesoitlapersonnequil’appelle,çalecontrarie.Beaucoup.
—Puisquec’estça,c’estmoiquivaisrépondre.Jeluiprendsl’appareildesmainssivitequ’iln’apasletempsderéagir.—Allô?Unevoixpréenregistréemerépond:—VousavezunappelenPCVdelapartd’unedétenueducentrededétentionpourfemmesdu
comtédePotter.Pouraccepterl’appel,ditesoui.Pourledécliner,ditesnonouraccrochez.J’ouvregrandlabouche,maisaucunmotn’ensort.Jesuistropabasourdieparlatristesseque
j’éprouve pour Gavin et mes envies de meurtre à l’encontre de Katrina Garrison pour réussir àparler.Carc’estellequiessaiedelejoindre,c’estcertain.
La voix du robot commence à énoncer la marche à suivre si je ne souhaite plus recevoird’appelsdecenuméro,maisGavinm’arracheletéléphoneetraccroche.
Je n’aurais pas assez des doigts de lamain pour compter le nombre de fois où il a payé sacaution.Personnenemérited’avoirunemèrepareille,etmonsangbouillonnedansmesveinesdesavoirGavinvictimed’unetelleinjustice.
—Qu’est-cequetuvasfaire?—Qu’est-cequetuveuxquejefasse?demande-t-ildansunhaussementd’épaules.—N’yvapas.Mavoixn’estqu’unmurmurecarjesaisquejeparledanslevide.Iln’ajamaisrefusédelafaire
sortirdeprison.Quandsonregardtourmentérencontrelemien,j’aimaréponse.Ilvayaller.Jetentedefaireuneopérationrapidedansmatête,maislecalculmentaln’ajamaisétémonfort,
alorsjeréfléchisàvoixhaute.—Potterestàenvironhuitheuresderouted’ici,septvucommenttuconduis.Inutiledetedire
quefairel’aller-retouravantleconcertdecesoiresttotalementirréalisable.Onpourraitpartirjusteaprès leconcert,mais j’imaginequ’ilsn’ouvrentpasavant8heuresdumatinet il faudrasûrementuneheurepourréglertoutelapaperasse.Sionnes’arrêtepaspourmangeretqu’onnefaitpastropdepausespipi,onpourraitêtrerentrésàtempspour…
—Horsdequestion.—Laisse-moifinir.—Qu’est-cequiteditquejevaisyaller,detoutefaçon?—Tuyvastoujours.Jesaisquetuvasallerlalibéreretjesaisaussiquetupréféreraisyaller
seul,maispenseautempsquetugagneraissionserelayaitauvolant.Onpourraitfairel’aller-retourd’unetraite.
L’imaginerfaireçatoutseulm’estinsupportable.J’aipeurdenejamaislerevoir,peurqu’ilselaisse aspirer par la spirale dedépravationdans laquelle évolue samère.Dallas n’est jamais entrédanslesdétails,maisjesaisqueGavinafaillisombrerpendantquej’étaisàHouston,etjeneveuxpasrisquerdeleperdreànouveau.
Ilbaisselatêteetunemèchedecheveuxluitombedevantlesyeux.Ilauraitbienbesoind’unecoupe,maiscen’estpasvraimentlemomentdeluiparlerdesonlook,alorsj’insiste:
—C’est ledernier jourdufestivaldemain.Dallasaditque lepatrondeMandyserait làpourassisterànotreconcert.C’estluiquivadécidersiellesigneavecnousoupas.Tutevoisfoutreçaenl’airjusteparcequetuestropbornépourmelaissert’accompagner?
—J’aiditnon,répond-ilabruptement.Çameblessequ’ilneprennemêmepaslapeinedeconsidérermonoffre,maiss’ilcroitqueça
vasuffireàmedécourager,ilmeconnaîtmal.
—Queçateplaiseounon,ilvabienfalloirquetudormesàunmomentdonné.Cequiveutdirequetuneserasjamaisrentréàtemps.Etpuis,mêmesansdormir,qu’est-cequetufaissilevantombeenpanne?Etsitutefaisagresserparunebandedebikersouquetontéléphonetelâche?
Ilpousseunpetitsoupiramuséetunsourireapparaîtsurseslèvres.—Ettucomptesmeprotégerdesvilainsmotardssanguinaires,Bluebird?—S’illefaut.Ilabeauprendreçasur le tondel’humour,monbesoinirrépressibledeleprotégerestbelet
bienlà.Jeveuxqu’ilsoitensécurité,àl’abridetoutcequipourrait lefairesouffrir.Surtoutdesamère.
—Tonfrèrenevoudrajamais.MêmesiDallasetMandysontdehors,jebaisselavoix.—Jen’avaispasprévude luienparler,nide luidemander lapermission.Jesuisunegrande
fille,aucasoùtunet’enseraispasrenducompte.Jeluifaisunclind’œiletmeforceàluisourire,mêmesijepréféreraisdeloinl’attraperparles
épaulesetlesecouercommeunprunier.—J’airemarqué,crois-moi.—Danscecas,c’estdécidé.Tumeretrouvesauvandèsqu’onafinicesoir.Si j’avais un tout petit espoir de le convaincre de ne pas voler au secours de sa mère,
j’essaierais.Malheureusement,jesaisquec’estunepertedetemps,alorsautantallerdel’avant.C’esttoujourslamêmechose:àchaquefois,illaissetouttomberpourquelqu’unquinelèveraitjamaislepetitdoigtpourlui.Çaduredepuistellementd’annéesquejedoutequ’ilouvrelesyeuxunjour.
Jene saispas si cevoyage imprévuvaavoirdes répercussions surnotreaccordàproposdedemainsoir,maisçam’estégal.Jesuistropcontentedelirelesoulagementsursonvisage,endépitde ses protestations. Savoir que j’allège un peu le poids de son fardeaume suffit.Dumoins pourl’instant.
***
Jen’auraisjamaisimaginéqu’AftonTatepuissefairepartiedespersonnessusceptiblesdefairefoirermonplan.Etpourtantilestlà,àattendrequejesortedescène,visiblementbiendécidéàmemettrelegrappindessus.Onadenouveaufaitlapremièrepartiedesongroupecesoiretilal’airunpeutropcontentdemevoir,comptetenudenotre«rupture».
—J’avaispeurdeterater,medit-ilavecunsourirechaleureux.—Pasnous,marmonneGavinderrièremoi.Jenepensepasqu’Aftonl’aitentenducarilcontinueàmeparleraveclemêmeenthousiasme.—IlyaunesoiréeauCraveaprèsleconcert.Ilvayavoirpasmaldegensimportants.Jesuis
invitéetj’auraisbienaiméquetum’accompagnes.Jeretiensunsoupiretmeprépareàlerembarrerendouceur.—Mercimaisje…—Elleadorerait!intervientDallas.Monfrèresetourneversmoietmesouritcommes’ilvenaitdemefaireunmerveilleuxcadeau.—C’estunesuperopportunitépourtoiderencontrerdesgensdansl’industrie,Dixie.Vas-yet
amuse-toi.Ilmefaitunclind’œilets’éloigneencompagniedeMandytandisquejerestelà,àlefusillerdu
regard. Ça m’apprendra à toujours lui dire de me lâcher un peu les baskets. Il doit sûrement se
féliciterintérieurementdesoncomportementdegentilgrandfrèrecompréhensif.Jejetteuncoupd’œilendirectiondeGavin.Iln’apasl’airenchantédelatournurequeprendla
soirée,mais jedoutequ’il fassequoiquece soitpourchanger lecoursdeschoses. Ilditquelquesmotsquejenecomprendspasàmonfrèrepuissedirigeversleparking.Ilnem’amêmepasditaurevoiroudemandésij’avaisbesoinqu’ilmeramèneàl’hôtel.
J’échafaudeàtouteallureunplandansmatête,avantdemetournerversAfton.—Euh…D’accord.Jeteretrouveaprèsleconcertalors.—Génial.Ilmesouritet jemesenspresquecoupable,mêmesi jesaisquecen’estpasunvrai rencard.
C’est juste une soirée et ce n’est pas comme si je l’utilisais pour son carnet d’adresses. SiDallassavaitàquelpointjem’enfiche,d’ailleurs,ilseraitcruellementdéçu.
—Dèsqu’on a fini, je t’envoie unmessage et jememets en route. Je passerai te chercher àl’hôtel,sûrementvers23heures.
—Parfait.Bonconcert.J’attends qu’ilmonte sur scène puis je pique un sprint en direction de l’endroit où le van est
garé.Quandj’arrive,Gavinvientdefermerlesportesarrière.Jesuissirapidequejesuisdéjàassisesurlesiègepassageraumomentoùilouvresaportière,etilécarquillelesyeuxenmevoyant.
—Bonsang,Dixie,tuvasmefairefaireuneattaque,unjour.Jeluioffremonplusbeausourire.—Désolée.—Tuneveuxpasassisterauconcertdetonchouchouavanttonrencard?—Jenesavaispasquej’avaisunchouchou.Niunrencard,d’ailleurs.—Tate n’a pas l’air décidé à lâcher lemorceau.Honnêtement, c’est peut-être avec lui que tu
devrais…—Quejedevraisquoi,Gavin?Quejedevraisavoirenvied’être?J’aienviedelegifler,d’uncoup.— Tu sais quoi ? J’aime bien Afton. Vraiment. C’est un mec adorable dont j’ai beaucoup à
apprendreetjeseraisravied’êtresonamie.Maismarelationavecluin’apasgrand-chose,ouplutôtrienàvoiravecnotre…arrangement.
—J’allaisjustedirequetudevraispasserlasoiréeaveclui,etmelaisseralleràPottertoutseul.Quellecruche!Jemesensrougirjusqu’àlaracinedescheveux.—Justement,puisquetuenparles,j’aiunplan.—Toiettesplans,grommelle-t-il.Jedécidedenepasmelaisserdécouragerparsamauvaisehumeur.—Craveestunrestaurantjaponais,jecrois.Jevaisprétexterquej’aimangéuntrucquinepasse
pasbienetpartirtôt.Ensuite,j’enverraiuntextoàDallasendisantquejesouffred’uneintoxicationalimentaireetquejepréfèrenepasveniràlarépétitiondedemainaprès-midipourmereposeravantledernierconcert.
Gavingarelevanetcoupelecontact.— J’ai dumal à comprendre comment une fausse intoxication alimentaire vam’aider. Enfin,
nousaider.J’aitouteslespeinesdumondeànepassourirecommeunepsychopathequandj’entendslemot
«nous».—Çanous fait gagner du temps.Çaveut dire qu’onn’a pas besoin d’être de retour avant la
balancesondedemain.Detoncôté,tun’asqu’àluienvoyerunmessagedisantquetuvasresteravec
moi.Raconte-luicequetuveux,quetuveuxt’assurerquejem’hydratebien,oumetenirlescheveuxpendantquejevomis,ons’enfiche.Commeça,ilpeutresteravecsagrandecopineMandysansavoiràsesentircoupable,etonn’apasbesoindemultiplierlesexcèsdevitesseetderamasseruneamendedanschaquevilleentreicietAmarillo.
Je ne suis pas peu fière d’avoir trouvé une solution aussi vite. Je vois bien qu’il estimpressionné.
—Tupensestoujoursàtout.Ilsoupireetsepencheversmoi.Ilfinitparêtretellementprèsquejemetortillenerveusement.—Maisj’aiunscooppourtoi,mabelle.—Etonpeutsavoircequec’est?Ilserapprocheencoreetmeslèvrescommencentàmepicoter.J’agrippelecuirdemonsiège
pourm’empêcherdeprendresonvisageentremesmainsetdeplaquermabouchesurlasienne.—Ilyadeschosesqu’onnepeutpascontrôler.Onnepeutjamaistoutprévoir.Jecroiselesbrassurmapoitrineenespérantqu’ilneserendepascompteàquelpointj’aidu
malàrespirer.—C’est-à-dire?—Rien.Laissetomber.D’un coup, il s’écarte et sort du van. Il claque la portière derrière lui, si brutalement que je
sursaute.Qu’est-cequiluiprend?J’arrachepresquemaportièredesesgondsdansmahâteàjaillirduvan.—Excuse-moi.J’aidûratermaformationentransmissiondepenséesparceque,là,jen’aipas
toutsuivi.Mon ton est sarcastique, exactement comme je le voulais, sans rien laisser paraître de mon
trouble.—Contente-toid’alleràtonfouturendez-vous,Dixie.Jepeuxmedébrouillertoutseul.C’estce
quej’aitoujoursfait.Ilditlesderniersmotstoutbas,maisjelesentendsquandmême.—Cen’estpasparcequetuenescapableetquetu l’as toujoursétéquetudoiscontinuer.Tu
n’aspasàaffronterçatoutseul.Tun’espastoutseul.Ilcontinueàavancerendirectiondel’hôtelcommesijen’existaispas.—NomdeDieu,GavinGarrison,attends-moi.Jelerejoinsaumomentoùilentredanslehall.—Tusaisquetun’aspasàfaireça toutseul.MêmeDallasviendraitsi tu le luidemandais.Il
n’hésiteraitpasuneseconde.Ilsetourneversmoietmejettesonregardleplusdésagréablepossible.—Jelesais.Etjesaisaussique,s’ilsavaitcequej’aiprévudefairedemainsoir,ilmecasserait
sûrementlagueuleavantdemevirerdugroupe.Ecoute,j’aipleindechosesàrégleretj’ail’habitudedefaireçasansl’aidedepersonne,c’esttout.J’aimelesréglersansl’aidedepersonne,parcequecenesontpaslesproblèmesdequiquecesoitd’autrequemoi.Alorsmercipourtonaide,maisc’estbon,jegère.Jeparsdansdixminutes.
J’abandonnel’idéedeleraisonneretjel’attrapeparlebras.—Atontourdem’écouter.Plusencorequetoutlereste,tuesmonami,etj’aienviedecroire
quejesuislatienne.Quandc’estlebordel,lesamissesoutiennentlesunslesautresetc’estpourçaquejeveuxveniravectoi.
Sonregardglacialrencontremesyeuxsuppliants.Sijeveuxqu’ilm’emmène,ilvafalloirquejeravalemafierté.
—S’ilteplaît,Gavin.Attends-moicesoir.Ilobservemamainsursonbraspuisrelèvelesyeuxversmoi.—Çan’ariend’unroadtripendécapotable.Pourquoitutienstellementàveniravecmoi?Avecunedouceurinfinie,ilretiremamainetj’aipeurdememettreàpleurer.Parce que je veux être là où tu es. Parce que je veux te protéger d’elle. Parce que je serai
incapabledefermerl’œilouderespirernormalementjusqu’àcequetureviennessainetsauf.Parceque,situpars,j’aurail’impressionquetuemmènesmonâmeavectoi.Parcequej’aimalàencreverdèsqu’onestséparés.
Jenepeuxpas luidonner lesvraies raisons,mais je suis incapablede luimentir,alors j’optepourunedemi-vérité.
—Parceque jeveuxenprofiterpourm’assurerquepapyvabien,mêmesi jene levoisquedeuxminutes.Letempsdeleserrerdansmesbrasetdeluidiredebienprendresesmédicaments.
Illèvelesyeuxauciel.J’aigagné.—Jenesuispassûrqu’onaitletemps,maisonpeuttoujoursessayer.Jeparsàminuit,avecou
sanstoi.Commeça,j’arrivedèsl’ouvertureducentre,jepaiesacautionetjelaramènetoutdesuitechezelle,àtempspourêtrederetourpourlabalance.
—Minuit,c’estnoté.Jeseraiprête.—Paslapeinedeperdretontempsàrevenirici.Jet’attendraidevantleCrave.Parcontre,jete
préviens,situasuneminutederetard,jem’envaissanstoi.—Oui,mamarrainelafée.Minuitoujemetransformeencitrouille.—Euh…D’accord.Ilmeregardecommesij’étaisfolleàlieravantdesedirigerversl’ascenseur.IlnedoitpasconnaîtreCendrillon,oupasdanslesdétailsentoutcas.Enyréfléchissant,jene
saispaspourquoij’aipenséqu’ilconnaîtrait.Peut-êtreparcequetouslesenfantsontvuCendrillonaumoinsune foisdans leurvie?Saufquepersonnen’a jamaisemmenéGavinaucinémaet jedoutequ’onluiaitlubeaucoupdecontesdefées.C’estlapremièrefoisquej’enprendsconscience,aprèstoutescesannées.J’ajoute«luilirelesmeilleurscontesdeGrimm»et«faireunmarathondefilmsDisney»àlalistedéjàinterminabledetoutesleschosesquej’aimeraisfaireaveclui.
15
A22h45,Aftonm’envoieunmessagepourmeprévenirquesonconcertestfinietqu’ilestenroutepourvenirmechercher.
J’examinemonrefletdanslemiroiretrelèvemescheveuxd’unemain,incapablededécidersijelesattacheoupas.J’airessortimesMcQueenchériesetleplusbeauvêtementquejepossède:unerobe rouge dos nu, courte, que j’ai portée pourmon bal de fin d’année. Les cheveux attachésmedonnentunairplus sophistiqué, alors j’attrapequelquesépingles et jeme faisunchignon. J’ai lesmainsquitremblentquandjemetsdurougeàlèvresetunecoucheépaissedemascara.Jenesaispascequimerendleplusnerveuse:lafêteavecAftonoucequivientaprès…mentiràDallasetpartiravecGavin.
Ets’ilpartsansmoi?Jeluttecontrelapaniquequim’envahitàcetteidéeetcontrel’envied’envoyeruntextoàAfton
pourluidirequejenepeuxpasvenir.Alaplace,jefourredesvêtements,mabrosseàdentsetuneculottederechangedansmonsacàmain.Monregardseposesurunpaquetdechipsetunebarredecéréalessurlepetitbureaudemachambre,etjelesajouteaureste.
Jen’osepasimaginercequ’Aftonpenseraits’ilvoyaitlecontenudemonsac.Sûrementquej’aiprévudepasserlanuitaveclui,etaussiquej’aiunetendanceàl’hypoglycémie.Bref.
Jesuisdéjàdevantl’hôtelquandAftonapparaît,àl’arrièred’untaxi.Jesuissurprisedenepaslevoirarriverauvolantdesonvan,etencoreplusétonnéeparlatenuequ’ilporte.Avecsonpantalondecostumenoiretsachemisebleue,ilabeaucoupdeclasse.Ilparaîtplusvieux,sûrdeluietraffinéquelejeunemusiciendébrailléauqueljesuishabituée.Ildescenddutaxietlecontournepourouvrirmaportière.
—Tuestrèsélégant.—Merci.Ettues…dangereusepourmonrythmecardiaque.Jenepeuxpasm’empêcherdesourireenmontantdanslavoiture.—Çaveutdirequoi?Ilnerépondpasetsecontentedegrimperderrièremoi.—Alors,ilyadesgrosbonnetsàcettesoirée?Ilhausselesépaulesetlechauffeursemetenroute.Aftonluiasûrementdéjàindiquél’adresse
durestaurant.—Onpeutdireça.C’estunpatrondemaisondedisquesintéresséparlesCoolsquim’ainvité.Il
veutsûrementm’enmettrepleinlavueenespérantqueçamedonneenviedesigneraveceux.Jeregardedistraitementlesenseignesdesbarsetdesrestaurantsquidéfilentparlafenêtre.
—Çaarrivesouvent?—Detempsentemps.Quand je me tourne vers lui, je me rends compte qu’il m’observe et j’ai l’impression de
littéralement sentir ses yeux surmoi. Ils sont d’abord surma bouche, avant de descendre surmapoitrine puis sur mes cuisses. En temps normal, je serais flattée, mais ce soir je suis bien tropnerveusepourça.Malàl’aise,jemetortilleunpeusurlabanquetteetilrougitd’avoirétésurprisentraindemereluquer.
—Est-cequejepeuxtedemanderpourquoitum’asinvitée,exactement?—Honnêtement, j’exècrecegenredesoirées.Jesuis toujours trèsmalà l’aise,avec tousces
gensquiviennentetseprésententcommesij’étaiscensélesreconnaîtreetenavoirquelquechoseàfaire. Tous ces événements, le réseautage, je déteste ça. Bon sang, je parle vraiment comme unconnardprétentieux.
—Maisnon.Justecommeunconnardantisocial.Ilritdoucement.—Jet’aiinvitéeparcequej’aivraimentpasséunbonmomentavectoil’autrejouret…—Malgrélapartie«cen’estpastoi,c’estmoi»?—Oui,malgréça,acquiesce-t-ilensouriant.Etcommecessoirées-làcen’estpasmontruc,j’ai
euenviedeveniravecquelqu’unquej’apprécie,histoiredejoindrel’utileàl’agréable.— J’en ai, de la chance. Je vais faire un effort pour être particulièrement spirituelle ce soir,
alors.—Tuserasgentille,merci.Ilmefaitunclind’œilet,étonnamment,quelquechoseenmoiseréchauffe.—D’ailleurs,si tuconnaisquelquesbonnesblaguesouque tusaisnouerunequeuedecerise
avectalangue,c’estlasoiréeidéalepourfaireétalagedetestalents.—C’estbonàsavoir.Jefeinsleplusgrandsérieuxetilmedonneunpetitcoupdecoude.—Jeplaisante.Maistuverras,çadevientvitechiantettutesurprendsrapidementàespérerque
quelqu’uns’étouffeavecunhors-d’œuvrepourmettreunpeud’ambiance.—Pourquoitut’embêtesàyaller,danscecas?—Jen’aipastroplechoix.Juliannouslaisseraittombersijen’essayaispasdemefaireunvrai
nomdansl’industrie.Asesyeux,toutcequ’onfaitnesertàriensionnefinitpaspardécrocherungroscontratavecunemaisondedisques.
Jecompatis…J’ail’impressiond’entendreDallas.—Julian?—Notreinvestisseur.C’estletypequiétaitassisàl’avantàcôtédemoiquandjet’aiconduiteau
festivall’autresoir.Ah.C’estdoncça.—Jevois.Donc,c’estluiquitirelesficelles?—Onpeutdireça,oui.La voix d’Afton est beaucoup plus tendue que d’habitude. Je cherche un autre sujet de
conversationpourluichangerlesidées,maisriennevient.—Çaal’air…compliqué.— Parfois. Surtout que c’est aussimon oncle, et la seule personne dansma famille quim’a
soutenu quand j’ai décidé d’être musicien. Enfin, quand j’ai décidé de ruiner mon potentiel et de
briserlesrêvesetlesespoirsdemonpère,situposeslaquestionàmesparents.Doncçaarrivequ’ilyaitdestensions,effectivement.Maisc’estcequirendlavieintéressante,non?
Aftonmesourit,maissesyeuxsont tristes.Heureusementqu’onarriveaurestaurantcar jenesaisvraimentplusquoidire.Aftonlaisseunénormepourboireauchauffeuretcedernierseprécipitepournousouvrirlaportière.IldonnesacarteàAftonetluiditdenepashésiteràl’appelerpournousramenerenfindesoirée.
Jehausselessourcils.—Alorsc’estcommeçaqueçasepasse,del’autrecôté?—Del’autrecôté?répèteAftond’unairamusé.—Çanem’est jamaisarrivéqu’unchauffeurdetaxim’offrederevenirmechercherouqu’il
m’ouvrelaportière.Ilsauraientplutôttendanceàvouloirmetuerquandjenesorspasassezvitedeleurvoiture.
—Sûrementparcequetuneportesjamaiscetterobequandtuprendsuntaxi.Ilmefaitunclind’œiletc’estmoiquirougisàprésent.Jesuissansdouteencoreplusécarlate
quemarobe.Ilmetendlebrasetjeleprendspourentrerdanslerestaurant,privatisépourlasoirée.J’aiunpeul’impressiond’êtreunecélébrité…etaussiunegrosseblague.Normalement,montrucàmoi,cesontlesjeans,lesqueues-de-chevaletlesbarsmiteux.Pasleschaussuresdegrandcréateur,lesrobessexyetlessoiréesprivéesdansdesrestaurantschics.
Mais ce soir jemarche avec la tête plus haute et les épaules plus droites que d’habitude et jesongeque,peut-être,jesuisunpeutoutçaàlafois.
Lapiècedanslaquelleonentreesttrèsélégante,avecdesplafondscouvertsdeboiseries,unsolenmarbreetuneimmensecheminée.L’endroitestbondéetlafouleestdiviséeenpetitsgroupesdetouslesâges.
Levolumedesconversationsestsifortqu’ilemplittoutelasalle.Aftonmeprendparlamainetonsefrayeunchemindanslamasse.Desserveursapportentdessushisauxinvitésassisàdestablesrondes dont les nappes coûtent sûrement plus cher à l’unité que la robe que j’ai sur le dos. Deshommes en costume boivent des alcools forts, perchés sur des tabourets autour de petites tableshautes.Ce sont sûrementdesgrosnomsde l’industriedudisque. Jen’en reconnais aucun,mais jeparieraisuneannéedepourboiresqueDallaslesidentifieraittousaupremiercoupd’œil.
Moncavaliersaluequelquespersonnesetselivreauxprésentationsd’usage,commesicesgensenavaientquelquechoseàfairedesavoirquijesuis.Ilmeprésenteplusieursfoiscomme«latrèsbelleet trèstalentueuseDixieLark»,cequimedonneassezviteenviedemejeterparunefenêtre.Heureusement, notre prochaine étape est le bar.Afton se commande un scotch avant de se tournerversmoi.
—Unthéglacé,s’ilteplaît.— Crois-moi, dans une heure, tu regretteras de ne pas avoir commandé quelque chose de
beaucoupplusfort.S’il savait que je serai déjà partie d’ici là… Néanmoins, je ne proteste pas quand il me
commandeunLongIslandIcedTeaaulieud’unthéglacéclassique.Jenetardepasàdécouvrirqu’Aftonavaitraisonquandildisaitquecessoiréesdevenaientvite
rasoir. Après l’avoir entendu tenir la même conversation avec quatre groupes de personnesdifférents,jesuisprêteàretournervoirlebarmanpourlesupplierd’alignerunmètredeshooterssurlebar.
Pourpasserletemps,jesiroteunautreLongIslandetpicoreduthonépicéavecautantdegrâcequeme le permettentmes baguettes.Heureusement que j’ai pris une brosse à dents dansmon sac,
autrement je risquerais d’asphyxier Gavin dans la voiture. Je vérifie mon portable plusieurs foispendantlasoirée,m’attendantpresqueàcequeGavinm’envoieuncompteàrebours.H-26minutesavantledébutdel’opérationLibérationdemèreindigne.
Jen’aiaucunmessage,biensûr,etjem’agacetouteseuledem’êtreattendueàenrecevoirun,etd’êtredéçuequecenesoitpaslecas.Pourtant,jesaisbienquecen’estpassonstyle,etpuisilaétéclair:ilaimeraitmieuxquejeneviennepasdetoutefaçon.
C’esttoutdemêmemarrant,l’espoir.Ilcontinueàgrandirenmoi,mêmeaprèsavoirétéanéantiencoreetencore.Peut-êtrequec’est justeunsentimentcomplètementstupidequirefusedetirer lesleçonsdesonexpériencepassée.
A23h45,jem’esquiveauxtoilettespourfairepipietmebrosserlesdentsavantnotreescapadetop secret. Afton se lève quand je quitte la table et, en le regardant, je songe qu’il va rendre unefemmetrèsheureuseun jour.Maiscette femme,ceneserapasmoi. Ilabeauêtrecharmant,doux,attentionné, poli et pas du tout prétentieux alors qu’il aurait toutes les raisonsde l’être,mon cœurresteinsensible.Ilnebatqu’enprésenced’uncertainbatteurquidevraitêtrelàdansquelquesminutes.
Jenepeuxpasm’empêcherdesourireenentrantdanslestoilettesetjesouristoujoursquandjesors dema cabine. Soudain, j’aperçoismon reflet dans lemiroir et je reste interdite, comme unebicheprisedanslalumièredesphares.J’ailesyeuxécarquillésetlaboucheentrouverte,commelafemmedanslaglace,etpourtantjelareconnaisàpeine.
Lesyeuxbrillants,ellesemblerayonner.Ellea les jouesrosiesetsacoiffureestprochede laperfection,avecquelquesmèchesquis’échappentdesonchignonpour luientourerdélicatement levisage.
Elleal’airtellementplusâgéeetplussagequemoi.J’aipresqueenviedeluidemandercequelefuturmeréserve.SiGavinlaverrajamaisdecettefaçon.Sicevoyageestvouéàl’échec,silegroupeestdestinéàresterdansl’ombre,sijevaistoutgâcher.Mais,avantquej’enaieletemps,deuxfemmesentrent dans les toilettes en riant, bras dessus bras dessous. Elles semblent à peine remarquermaprésencetandisqu’ellesseplantentdevantlesmiroirspourretoucherleurmaquillage.L’une,blondeavecdesgrosseins,porteunerobenoirequia l’aird’avoirétécousuesursoncorps.L’autreadelongscheveuxbrunsquicontrastentavecsarobeclaire,aussimoulantequecelledesonamie.
Jen’osepasmelaverlesdentsdevantelles,alorsjemelavelesmainsavecunelenteurinfinie.Jen’écoutepasvraimentcequ’ellesracontent,jusqu’àcequ’unnomfamilierattiremonattention.
— Est-ce que tu as vu le morceau sur lequel Lantram a mis la main ? Bon sang…Personnellement,qu’ilsachechanteroupas,jem’enfichepasmal.Jeseraisprêteàluiproposeruncontratjustepourlevoirtortillerduculdansmonbureau,ricanelablonde.
Là-dessus,elles’appliqueunecoucheépaissedeglossetfaitbruyammentclaquerseslèvres.Demoncôté,j’ail’estomacquifaitdesnœuds.ElleparledeDallas.—C’estclair.Pasétonnantqu’ellenesoitpaslàcesoir.Elleestsûremententraindesedonner
corpsetâmeàsonnouveauclient.Littéralement.Labrune rejette sescheveuxenarrièrepuis sepince lespommettespoursedonnermeilleure
mine.—Elleselestapetous,detoutefaçon.Pourquoitucroisquesesmeilleursclientssonttousdes
hommes dans la vingtaine ? Il faut bien avouer qu’elle sait ce qu’elle veut et qu’elle se donne lesmoyensdel’obtenir.
—Jenepeuxpasdirequeje…Lablondes’interromptenpleinmilieudesaphraseetmefusilleduregard.
—Onpeutvousaider?Etmerde.Jesuiscarrémententraindelesdévisageretjenem’enétaismêmepasrenducompte.
Heureusement,jetrouverapidementuneparade.—Désolée,j’étaisjusteentraind’essayerdelirelamarquedevotregloss.Ilestvraimentca-
non.Jen’arrivepasàentrouverunquifassedeslèvresassezpulpeusesetj’aitestélecollagène,maisjenesuispasfan.
Simoijenesuispasfan,elleenrevanche…Elleal’airdereveniràdemeilleuresintentionsetmedécocheunsourireéclatantquirévèleune
rangéededentstropblanchespourêtrenaturelles.—Voustrouvezaussi?Celui-làestabsolumentgénial.C’estunMarcJacobs,Lust forLife. Je
l’a-dore.Heureusementqu’elleestpompetteenplusd’êtresensibleàlaflatterie.Jem’ensorsbienmieux
quejenel’auraisparié.—Lerenduestsuperbesurvous,entoutcas.Ilfaudraabsolumentquejem’enachèteun.Je doute qu’ils en vendent au supermarché où j’achète dumaquillage deux fois par an,mais
passons.—Tenez.Elleressortletubedupetitsacoùellevientdelerangeretmeletend.—Essayez-le.Jesuissûrequeçavasuper-bienalleravecvotrerobe.Jesuisunpeumalàl’aise,maisellerisquedetrouverçabizarresijerefuse,alorsjeleprends.—Oh!euh…D’accord.Merci.Onnevitqu’unefois,aprèstout…J’enappliqueconsciencieusementsurmeslèvresavantdeleluirendre,etellespartentenriant.
Quandjemeregardedanslaglace, jeregrette immédiatementd’avoirmisdesonfichugloss.Meslèvresparaissentréellementpluspulpeuses.
Maintenantquejesuisdésespérémentamoureusedemanouvelleboucheetd’unproduitquejenepourraijamaismepayer,ilesthorsdequestionquejemebrosselesdents.Alorsjemetsjusteunpeudedentifriceauboutdemonindex,jefrottesommairementetjemerincelaboucheenprenantmilleprécautions.Quelleidiote.
Endépitdemoncerveauunpeuembrumépar troisLong Islandetde lamontéed’adrénalineprovoquéeparcetterencontredanslestoilettes,jesensqu’ilyauneanalogiequelquepart.Gavinestunpeucommelegloss:l’essayerunefoissuffitàtoutchanger.Personnenem’embrasserajamaisdecette façon, personne neme chamboulera comme lui le fait, personne nemettramonmonde sensdessusdessous.
FoutuGavin.Etfoutuglossdedesigner.Jeconsultemontéléphoneensortantdes toiletteset jevoisqu’ilnemerestequehuitminutes
pourm’échapper.Quandjerelèvelatête,Aftonestjustedevantmoietjemanquedepeudeluirentrerdedans.
—Jecommençaisàm’inquiéter.Toutvabien?Jen’auraispaspurêvermieux:ilmetendlapercheparfaite.Néanmoins,jemesensvraiment
coupableenvoyantl’inquiétudesincèrequibrilledanssesyeux.Jesuistentéedeluidirelavéritéetdeluifairejurersursaguitaredenepasenparleràmonfrère,maiscen’estpasmonsecret.C’estceluideGavinet,parconséquent,monrôlen’estpasdelerévéler,maisdeleprotégeràn’importequelprix.
—Enfait…jenemesenspassuper-bien.Peut-êtrequej’auraisdûavoirlamainpluslégèresurlethonépicé.Tum’enveuxsijetelaisseetquejerentreàl’hôtel?
— Non, mais je m’en voudrais de te laisser prendre un taxi toute seule. Je vais appeler lechauffeurpourqu’ilviennenouschercher.J’aivutouslesgensquejedevaisvoirdetoutefaçon.
Hum…Çasecomplique…C’estlemomentd’êtreaussihonnêtequepossiblesanstrahirGavin.—En fait… J’ai déjà envoyé unmessage pour qu’on vienneme chercher. Je ne voulais pas
gâchertasoirée.—Tonfrère?Ilyaunenoted’espoirdanssavoixetjemesenscomplètementminable.— Parce que, si ton frère vient, il devrait rester un peu et prendre un verre. Il y a quelques
personnesiciàquiceseraitutiledeparler,jepourraislesluiprésenteret…—Cen’estpasDallas,non…—Ah…Ilenfoncelesmainsdanssespochesetsebalancedoucementd’avantenarrière.—Lebatteur,donc.J’ai l’impressiond’être ladernièredesgarces.Jememords la lèvre,mais j’arrêteaussitôten
merappelantlaprésenceduglossmagique.—Oui,etilestsûrementdéjàdehorsentraindem’attendre.MonfrèreestavecMandyLantram,
commetouslessoirsoupresqued’ailleurs.Apparemment,onvasigneravecelle,alorsjen’aipasvoulugâchersasoiréeàluinonplus.
Plusieurs émotions défilent sur le visage d’Afton, trop vite pour que j’aie le temps de lesdéchiffrer.Jusqu’àcequ’enfinjereconnaissecellequidomine:l’inquiétude.
—MandyLantram…Jevois.Elleaunesacréeréputation.Ecoute,jevaissansdoutepasserpourunconnardfini,maisilfautquejetedisequelquechose.
—Jet’écoute.Aftonregardeautourdelui,commepours’assurerqu’ellenetraînepasdanslesparages.Ilne
manqueraitplusqueça…Voilàbienunrebondissementquejeseraisincapabledegérer.—Ellem’aapprochél’annéedernière,quandlegroupeacommencéàsefaireconnaître.Elle
voulaitnousaider,elledisaitqu’onavaitunpotentielénorme,etqu’enchangeantquelquesdétailstoutlemondenousadorerait.
Pitié…Dites-moiquejerêve.JegardelesilenceetAftoncontinue:— Elle a même fini par me faire un grand discours pour me convaincre que, si je laissais
tomberlesautresmembresdugroupepourfaireunecarrièresolo,jepourraischangerlafacedelamusiqueindéettoutlebazar.
J’ail’impressionquejevaisêtremalade,pourdeboncettefois.J’ailatêtequitourneetjedoutequecesoitàcausedesLongIsland.
—J’espèrequ’ellen’estpasentraindefairelemêmeplanàmonfrère.—Tupensesqu’iltomberaitdanslepanneau,sic’étaitlecas?—J’espèrequenon.Onsigneentantquegroupe,enfinjecrois…—Faisattention,Dixie.Elleconnaîtbeaucoupdemondeetellepeutaussibienvouspropulser
ausommetquevousatomisersiçaluichante.S’ilestvraimentdécidéàsigneravecelle,jouelejeu.Autrement, je vous conseillerais de prendre votre temps et d’explorer vos options. Je vous aientendusjouer:cenesontpaslespropositionsquivontmanquer,crois-moi.
Bon.Ilfautabsolumentquejeparleàmonfrèreavantdesignerlemoindrepapierofficiel.—C’estgentildemeprévenir.Etmercidem’avoirinvitée.J’aipasséuneexcellentesoirée.
—Ilfautdirequejesuisd’excellentecompagnie.Certainesfillesmetrouventmêmeagréableàregarder!
Ilmesouritetm’accompagneverslasortie.—Enfin,jemedoutebienquecen’estpasavecmoiquetuasvraimentenvied’être.—Afton,je…— Laisse tomber. De toute façon, ma dignité est sauve, étant donné que c’est moi qui t’ai
larguée.Unsourirenaîtsurmeslèvresquandonarriveàlaporte.—Commetuvoudras.Jevaisdoncramasserlesdébrisdemoncœurbriséettenterd’allerde
l’avant.—Çavaaller?metaquine-t-ilavecunclind’œil.—Jevaiscommencerparingurgiterdestonnesdeglaceauchocolat,etaprèsonverra.Jepassebrièvementunbrasautourdesesépaulesetjel’embrassesurlajoue.—Aufait,PremièrePartie…—Oui?— A l’avenir, si un mec ne t’intéresse pas, rends-lui service : évite de porter cette robe.
D’accord?Jehochelatête,àlafoisterriblementflattéeettrèsembarrassée,etjesourisàAfton.Majoienetardepasàretombercommeunvieuxsouffléunefoisquejemeretrouveseuledans
larueetquejenevoispasnotrevan.Jesorsmonportabledemonsacpleinàcraquerpourregarderl’heureetmeretiensdepousseruncri.Ilestminuitpassédedeuxminutes.
LesmotsdeGavinrésonnentdansmatête.«Jeparsàminuit,avecousanstoi.»UneHondaquatreportesgrismétalliséetun4x4Fordsontgarésdevantl’entréedurestaurant.
C’esttout.Aucunetraced’Emmylou.Ladéceptionmenouelagorgeetl’estomac.NonseulementGavindoitcroirequejel’ailaissé
enplanouquejesuisuneabrutieincapabled’êtreàl’heure—cequejesuis,d’unecertainefaçon—,maismaintenantjevaisdevoirappeleruntaxi.SiAftons’enaperçoit,ilrisqued’êtrevraimentvexé.Oualors je peux retourner à l’intérieur et simplement lui dire queGavin a euun empêchement etqu’ilnepeutpasvenirmechercher?
Unefois,quandonétaitpetits,lesgarçonssontpartiscampersansmoi.J’avaispourtantpréparémesaffairesetmonsacdecouchageenrêvantdemarshmallowsgrillés,maisquandjesuisarrivéeaurez-de-chausséeilsn’étaientpluslà.Iln’yavaitquemesgrands-parents,assisdanslesalon,quimeregardaientd’unaircontrit.
—Tusais,DixieLeigh,parfoislesgarçonsaimentbienresterentreeux,aditmongrand-père.—Crois-moi, tun’aspasenvied’êtreaveceuxquandilscommencerontàfaire les idiotsetà
fairedesconcoursderotssouslatente,aajoutémagrand-mère.Viensavecmoi,nousallonsvoirsinouspouvonstrouverdequoinousamuser,nousaussi.
Cesoir-là,onafaitunesortedesoiréecampingdanslamaison,mesgrands-parentsetmoi.Onafaitgrillerdesmarshmallowsdanslefouretonachantéenjouantdupiano.Mêmesilesgarçonsm’avaientbrisélecœuretqu’ilsm’avaientabandonnée,cettesoirée-làafinipardevenirundemesmeilleurssouvenirs.
Cettefois,enrevanche,quelquechosemeditqueceneserapaslecas.
16
Aumomentoùjecommenceàenvisagerderentreràl’hôtelenstop,uneCamaroSS1967rougeavecdesrayuresnoiresapparaîtaucoindelarueets’immobilisedevantmoi.Jerecule,méfiante,etlechauffeursepencheetouvrelaportièrecôtépassagerenguised’invitation.Jesuissurlepointdedécliner poliment cette offre inattendue et un poil louche quand, soudain, je reconnais un brasfamilier.
C’est la corde tatouée sur l’avant-bras que j’identifie en premier. Elle est enroulée sur elle-même,etjesaisqu’enremontantsurlebicepsellesetransformeenserpent.J’aifantasmétellementdefoisàl’idéed’encaresserlescontoursduboutdesdoigts,oumêmedelalangue,quejepourraisla dessiner les yeux fermés. Quant à la partition qui recouvre les jointures de ses doigts, je l’aiobservéesisouventquejepourraislajouersurmonfiddle.
Jemeglissesurlabanquetteencuiràcôtédelui.—Belengin.—Jepourraisendireautant,rétorque-t-ilsansmêmemejeteruncoupd’œil.Lerestaurantn’apasencoredisparuderrièrenousquejenesupportedéjàpluslesilenceet la
tensionquirègnentdansl’habitacle.— J’ignorais que tu conduisais ce genre de bolides. Est-ce qu’on va cambrioler une banque
aussi ? J’ai seulement pris une tenue de rechange, mais je suis sûre qu’on peut acheter desdéguisementsquelquepart.Amoinsqu’onn’envoleaussi,aupointoùonenest.
—Tuvastechangeroù?Danslavoiture?Jerisetjemelaisseallercontrelabanquette,bercéeparlesvibrationsdumoteur.—Naturellement,c’esttoutcequetuasretenu.Je me tourne vers lui tandis qu’il change de vitesse et s’engage sur l’autoroute. Mes yeux
s’attardentsursesbrastatoués,sontorseetlalignedesonprofil.—Tuétaisenretard,medit-ildoucementlorsqu’ilmeregardeenfin.—Toiaussi.—C’étaitladeuxièmefoisquejefaisaisletourdupâtédemaisons.J’ignoresic’estparcequejesaisqu’ilm’aattendueouparcequ’onestenfinseuls,maisjedois
résisterà l’enviede le supplierdes’arrêteretdeme toucheravantque j’implose.Mais jedoismecontenterd’uneréponseplusraisonnable,jelesais,alorsjemurmure:
—Désolée.Jenevoulaispasêtremalélevéeetdisparaîtresanslamoindreexplication.—Tun’esvraimentpasobligéedefaireça,tusais.Jeneplaisantepas.Jepeuxmedébrouiller
toutseul,mêmesijecroisedesvilainsbikersenroute.
Jesourisetmerapprocheunpeudeluisurlabanquette.Endépitdelaforteodeurdecuirquirègnedanslavoiture,jepeuxsentirsonparfumetjen’aiqu’uneenvie:fourrermonnezdanssoncou pour le respirer jusqu’à ce que jem’évanouisse.Mais ne pasme couvrir de ridicule est sansdouteunemeilleureidée.
—Jesais,etjetelerépète:jeveuxvenir.Detoutefaçon,onestenroute,alorsnetefatiguepas.Jesoupireetmeretiensdeposerlatêtesursonépaule.—Sij’avaissuqu’onyallaitaveccebolide,jet’auraissuiviàlatracepourêtresûrequetune
partespassansmoi.Oùest-cequetuasdégotéunevoiturepareille?—Jel’aiempruntéeàquelqu’unquimedevaitunservice.—J’ignoraisquetuavaisdesamisàAustin.—Ellen’estpasd’Austin.ElleestjustelàpourleMusicFest.—Ah.Çatombebien.Elle.Monestomacse tord.Jeretournedemoncôtéde labanquetteet regardefixementpar la
fenêtre.—Est-cequ’ont’adéjàditquetuétaisdouéepourcachertesémotions?—Non.Jeresteconcentréesurlepaysage,etGavinlaisseéchapperunpetitrireséduisant.—Çanem’étonnepas.Jetournelatêtejusteassezpourapercevoirlafossettedesajouedroite.—Trèsdrôle.—Ducalme,Bluebird.Elles’appelleJanieLedfordet,crois-moi,elleseraitbienplusintéressée
partoiqueparmoi.Surtoutcesoir.—Pourquoi?Ilmelanceunbrefregardets’éclaircitlagorgeavantdereportersonattentionsurlaroute.—J’étaissérieuxtoutàl’heure.Tarobefaitsoneffet.Jeretiremeschaussuresetrepliemesjambessousmoisurlabanquette.—Quelgenred’effet?—Legenrequifaitquecetrajetvaêtreinterminable.Ilsetortilleauvolantetjenepeuxpasm’empêcherdesourire.Ilaraison:jesuisvraimentnulle
quandils’agitdecachermesémotions.—C’estbonàsavoir.Gavinaimelesrobes,donc.Jepassementalementenrevuelecontenudemonarmoire.Peut-être
quejepourraisenporterunetouslesjoursjusqu’àlafindemavie?Un bruit sourd interrompt mes réflexions et je suis quasiment sûre qu’il ne vient pas de la
voiture,maisdel’estomacdeGavin.—Tuasfaim,Gav?— Je n’ai pas dîné. Comme je ne sais pas à combien va s’élever la caution, j’essaie
d’économiser autantquepossible. Jevais sûrement aussi devoirdonnerde l’argent àungarantdecautionsjudiciaires,alorsjeneveuxpasprendrelerisquedenepasavoirassez.
—Maisilfautquetu…—Détends-toi,Bluebird.Çanevapasmetuerdesauterunrepas.Avantdemelaisserembarquerparlaspiraledesdouloureuxsouvenirsdel’enfancedeGavin,je
merappellesoudainquej’aiapportédeschosesàgrignoter.J’extirpeleschipsetlabarredecéréalesdemonsacavecl’enthousiasmed’unmagicienquisortiraitunlapindesonchapeau.
—Sucréousalé?
Ilmejetteunregardencoinetsoupire.—Salé.J’ouvrelepaquetdechipsetjeleluitends.Quandill’attrapepourleplacerentresescuisses,je
doismeforcerànepasregardersabraguette.Lagrandeclasse,Dixie.—Zut.J’aioubliédeprendreàboire.—J’yaipensé.Ilyauneglacièreparterrederrièrelabanquette,sers-toi.Iln’yaquedusodaet
del’eau,parcontre.—Çameva.Tuveuxunsoda?Lacaféinepourraitt’aiderpourlaroute.—Jeveuxbien.Jemeretourneetmepenchepar-dessuslabanquette.Jeparvienssanstropdedifficultéàouvrir
lecouvercleblancdelaglacièreetàattraperunecanette,maislesbouteillesd’eausontpilehorsdemaportéeetjemepencheunpeuplus.
—NomdeDieu,Dixie,assieds-toi!L’urgencedanslavoixdeGavinmeparalyseuncourtinstant.Jenousimaginedéjàentrainde
nousencastrerdansunpoids lourd.Lecœurbattant, je reviensàmaplacepourmerendrecomptequ’iln’yaaucunautrevéhiculeàproximitédunôtre.
—Tuesdingueouquoi?Tum’asfoutuunedecestrouilles!—Tuasfaillinousfairetuer,jetesignale.Ilagrippelevolanttellementfortquelesjointuresdesesdoigtssontblanches.—Quoi,j’aidonnéuncoupdanslevolant?Ilpousseunprofondsoupiretsecouelatête.—Non,maisj’aivutesfessesdanslerétroviseuretj’aifaillifaireuneembardée.Jepinceleslèvrespournepaséclaterderire.—Jenesavaispasqu’unepairedefessessuffisaitàtedistraire.—Pasautantquetonstringendentellenoire.Nom deDieu. Je veuxme rouler en boule et disparaître. Je porte effectivement un string en
dentellenoiresousmarobe…—C’est fait, alors pas la peine d’être gênée. Tu n’aurais pas un jogging ou quelque chose
commeça?—Non,maisj’aiapportéunjean,situytiens.—J’ytiens,oui.Change-toitoutdesuite.—OK,c’estbon.Je lui tends sa canette et jemeglisse sur la banquette arrière, en prenant bien soin de nepas
montrermesfessescettefois.Enfin…pastrop.—Merci,grommelle-t-ilentresesdents.Impossiblededires’ilparledusodaoudufaitquejememetteenjean.—Situpouvaisgarderlesyeuxsurlaroutependantquejemechange…Oupas.Jecroisesonregardnoisettedanslerétroviseuretjeluifaisunclind’œil.Ilsecouelatêtemais,
mêmedelàoùjesuis,jepeuxvoirsafossette.—Quandest-cequemadoucepetiteDixieLarkestdevenue…—Devenuequoi?Malgrémoi,jesuisvexéequ’ilm’aitappelée«petite».—Monpirecauchemar.Jepassemarobeau-dessusdematêteavantderépondre:
—Jeteremercie.C’estcharmant.—C’estpourtantvrai,répond-iltoutbas.Sa fossette adisparu. Il neplaisantepas.Mon sacetmesvêtements sont toujours sur le siège
avantetj’aipeurquemavoixnesebrisesijeluidemandedemelesdonner.Jem’efforcedepliermarobeenunpetitcarrébiennetenattendantquemonenviedepleurerdisparaisse.Dommagequejenepuissepasenfaireautantavecmoncœurdemidinette.
— Ce n’est pas méchant, ajoute-t-il doucement. C’est juste que j’ai fait une promesse, unepromessequejepensaispouvoirtenir.Etmaintenant…
—Certaines promesses doivent parfois être brisées. Personne n’a le droit de décider à notreplace.Pasmême…
—Jesais,maisc’estcompliqué. Ilyadeschosesque tu ignores,des trucsquisesontpasséspendantquetuétaisàHouston.
Ça,jesuisaucourant,mêmesiDallasn’ajamaisvouluentrerdanslesdétails.—Ehbien,vas-y,jet’écoute.—Cen’estpasunebonneidée,crois-moi.Décidément, ilnecomprendrien.Jeveuxtoutsavoir,aucontraire.Jeveuxsavoircomment il
vivaitquandonétaitenfants,jeveuxsavoirsiquelqu’unluilisaitdeshistoires,ouluipréparaitdescrêpes,ou lecajolaitdevant la télévision.Jeveuxsavoirsic’estàcausedugroupequ’ilallaitmall’andernier,ousic’estàcausedesamère,oudemoi.Jeveuxsavoircequ’ilafaitpouressayerdecombler le vide.Et, surtout, je veux savoir s’il existe unepossibilité quenotre nuit soit davantagequ’unsimpleaccord.
Unepluiediluviennesemetbrusquementàtomber,avecunetelleviolencequ’ondiraitqu’ellevatraverserletoitetlepare-brise.
—Jenevoisplusrien.—Tuferaispeut-êtremieuxdet’arrêtersurlebas-côtéenattendantqueçasecalme.Je me penche en avant pour attraper mon sac quand soudain les feux arrière d’une voiture
apparaissent devant nous.Gavin écrase la pédale de frein et jeme cogne violemment la tête dansquelque chose, sans doute le pare-brise.Un crissement de pneus assourdissant retentit et, enfin, lavoitures’arrêteaumilieudebruitsdeklaxon.
—Etmerde!s’exclameGavin.Ilsedéporteaussitôtsurlabanded’arrêtd’urgencepuisilcoupelecontact.Quandilsetourne
versmoi,sonvisageestdéforméparl’inquiétude.—Çava?Je me frotte la tête et me laisse retomber sur la banquette arrière. Accessoirement, je suis
toujoursenstringetensoutien-gorgemaisj’aitropmalpourm’enpréoccuper.—Oui,çava.La voiture devant nous se range également sur le côté, tandis que d’autres conducteurs,
courageux,décidentdebraverlamoussonetdecontinuerleurroute.—Jesuistellementdésolé.Jenelesavaispasvus.Bonsang,çaauraitvraimentpuêtregrave.Une lueur s’allume dans son regard comme s’il venait de voir quelque chose d’absolument
terrifiant,etl’instantd’aprèsj’ail’impressionqu’ilestailleurs,loindemoietdecettevoiture.—S’ilt’étaitarrivéquelquechose,situavaisétéblessée…Tuauraisputraverserlepare-brise
sijelesavaispercutés.J’auraisputetuer.Iltrembleàprésent.Aaucunmomentiln’aparlédemonfrèreoudecequeDallasluiauraitfait
sionavaiteuunaccident.Parcequecen’estpasDallasquil’inquièteàcetinstant:c’estmoi,etrien
d’autre.Sansréfléchir, je le rejoinsà l’avant,m’installesursesgenouxet luiordonneenpassantmes
mainsautourdesoncou:—Regarde-moi.Jevaisbien.Toutvabien.Tut’esarrêtéàtemps.Jesuisenparfaitesantéettoi
aussi.Sesmainstièdesdescendentsurmescuissesnues,silentementquejemedemanded’abordsije
nesuispasentraind’imaginerlasensation.Ilregardesesdoigtsglissersurmapeau,commesiluiaussiavaitdumalàycroire.
—Çava,tuessûre?Ettatête?—Jesuisplusfortequej’enail’air.Siseulementilpouvaitserendrecomptequejenesuispasensucre,etquenotrenuitàdeuxne
vapasmeréduireenmiettes.—Tun’imaginespasdansquelétatjeseraiss’ilt’arrivaitquelquechose.Sijetefaisaisdumal.Ilagrippefermementmescuissesetj’ondulesanslevouloirau-dessusdelui.—Jeneveuxpastefairesouffrir.Tucomprendspourquoijenetetouchejamais?Parcequeje
teferaisdumal.Jesecouelatête.Ilnecomprendvraimentrien.— Parfois, la douleur est une bonne chose, Gavin. Parfois, c’est le seulmoyen de s’assurer
qu’onestencoreenvie.Quandilm’attrapeparlatailleetqu’ilm’attirebrutalementcontrelui,jemesensplusvivante
que jamais.Et lorsqu’il plaque sa bouche sur lamienne, j’ai l’impression demedétacher demoncorpsetdepénétrerdansunedimensionparallèle.
Pendant unmoment, c’est comme si je flottais au-dessus de nous. Je me vois à demi nue, àcalifourchon, pressée contre lui dans une voiture, sous un véritable déluge. C’est Gavin qui meramène sur terre avec son baiser, si vorace que j’ai l’impression qu’il vame dévorer.Ma langueglissecontrelasienneetillalèchedoucementavantdemordremalèvreinférieure.
Jeme presse plus fort contre lui tandis que sesmains sont partout à la fois. Dansmon dos,autourdema taille, surmescuisses, sous l’élastiquedemonstring…C’est le sondemespropresgémissements quime fait ouvrir les yeux et jeme rends compte que les vitres de la voiture sontrecouvertesdebuée.Gavinpourraitmeprendre ici etmaintenant, sansquepersonnenousvoie. Jesuissurlepointdeleluisuggérerquandsoudainils’immobilise.
— Bon sang, Dixie, qu’est-ce qui m’arrive ? Pendant toutes ces années, j’ai réussi à mecontrôler,maislà…
Jemepencheenavantetj’effleuredoucementsaboucheavecmeslèvres.—Ilétaittempsdelâcherprise,tunecroispas?Ilbasculelatêteenarrièreetj’enprofitepourl’embrasseretlemordillerdanslecou.Unson
rauques’échappedesagorgeetj’aspiresapeauentremeslèvres,enivréeparlegoûtdesachair.—Tuessaiesdemarquertonterritoire,Bluebird?Jesourisetrecommenceàlemordiller.—Hum…Maintenantquetuenparles…J’aspireplusfortetilsetortilleendessousdemoi.Finalement,ilm’attrapeparlesépaulesetme
forceàarrêter.—Çanevapasfairetrèssérieuxpourleshowcase.—Alorsça,cen’estpasmonproblème.
Jel’attaquedenouveauetilrit.Commetoujours,jesuissiheureused’entendrecesonquej’ail’impressionquelemondesemetàtournerplusvite.
—J’aimequandturis.Ons’immobilisetouslesdeuxenmêmetemps.J’aiprononcélemotinterdit,celuiqu’ilneveut
pasentendre.Jen’aipasréfléchietçam’aéchappé.Ilmelanceundecesregardstaciturnesdontilalesecretetjelèvelesyeuxauciel.
—Détends-toi.Cen’étaitpasunedemandeenmariage.J’aimebien ton rire,c’est tout. Je l’aitoujoursbienaimé.
Ilinclinelatêteetmesourit.D’uncoup,l’ambiancen’estplusaubatifolage.C’estbeaucoupplussérieux.Etintense.
—Ahoui?Etilyad’autreschosesquetuaimesbien?Jescrutesonvisageavantdemurmurer:—Testatouages.Depuisquetuascommencéàt’enfaire,jerêvedetouslestoucherunparun.—C’estvrai?Ilbaisse lesyeux surmoiet jepense immédiatementàundesmiensqu’ilnedoit surtoutpas
voir.Paspourlemoment,dumoins.Cars’illedécouvre,jepeuxfaireunecroixsurdemainsoir.—Enparlantdetatouages,tuenasdavantagequecequejecroyais.—C’estparcequetun’asjamaisprislapeinederegarder.— Il ne pleut plus, annonce-t-il alors sans releverma petite pique.On devrait se remettre en
route.Exposéeetimpuissante,jehochelatête,lagorgenouée.—Oui.Çavautmieux.J’avale péniblementma salive et jem’écarte en essayant de ne pasm’étaler sur la banquette.
Enfin,vucequ’ilrestedemadignité,jenesuisplusàçaprès.—Attends,ditsoudainGavinenm’attrapantparlepoignet.J’aioubliéquelquechose.—Quoi?—Ça,dit-ilenglissantunemainentremescuisses.Jedevraisl’envoyerpromener.Luidirequejenesuispasunself-serviceetretournerm’asseoir
dansmoncoin.Maisjenepeuxpas.Pasavecsesdoigtsquisefaufilentsousl’élastiquedemonstring.—J’adorece truc,dit-ilen tirantsur lepetitboutde tissuquicouvreàpeine lapartie laplus
sensibledemonanatomie.—Jepeuxteleprêter,situveux.Jesuisfièredemarepartie,maisçanedurepas.Ilfaitglissersesdoigtssurmonsexe,etmon
cerveauestcommecourt-circuité.Jem’affalesurluietilpousseungrognementbestialquirésonnedansmonoreille.
— Si je pouvais incliner cette foutue banquette, je te garantis qu’on ne bougerait pas d’icijusqu’àcequej’aiegoûtélemoindrecentimètrecarrédetapeau.
—Gavin.Ilvametuer.Jemefrottedésespérémentcontresamainenpriantlecielpoursentirsesdoigts
enmoietnonpassurmoi.Lespulsationsaucreuxdemonventresontsifortesquejeseraismêmeprête à le supplier. Il effleuredoucement l’entréedemon sexeavantdecaresserdélicatementmonclitoris.Encoreunpeuetjevaisfairel’expériencedelacombustionspontanée,j’ensuissûre.
—Dis-moicequetuveux,mabelle.Qu’est-cequejepeuxfairepourquetutesentesmieux?Lalisteesttellementlonguequejenesauraispasparquoicommencer.—Gavin,s’ilteplaît.
Mavoixsebrise.C’esttrop.Cen’estpasassez.—Situdislemotmagique…Ilmetfinàmonsuppliceetglisseundoigtenmoi.Ilvaetvienttoutenutilisantsonpoucepour
massermonclitoris,sanscesserdemurmurerdespromessescoquinesàmonoreille.Emportéeparune vague de plaisir dévastatrice, jem’agrippe à ses épaules, et c’est là que je l’entends. Le bruitcaractéristiqued’unesirènedepolice.
Gavinmejettepratiquementsurlabanquette.—Habille-toietattachetaceinture.Toutdesuite!aboie-t-il.Jefouilledansmonsac,maisjesuisgaucheetmesdoigtsrefusentdecoopérer.—J’aiemportéunT-shirt,j’ensuissûre.—Regardedansmonsacàl’arrière,ildoityenavoirplusieurs.Prends-enun,n’importelequel.
Dépêche-toi.J’adoptedenouveaulapositionquil’avaittanttroubléunpeuplustôtetj’attrapelepremierT-
shirtque je trouvedans son sacde sport.Les lumièresbleuesde lavoituredepolicebrillentdansl’obscuritéetj’aperçoisunhommeenuniformeàtraverslavitrearrière.
Moncœurbatlachamadeetj’examineleT-shirtpourm’assurerquejenel’enfilepasàl’envers.Il est gris, àmanches courtes, avec une inscription qui dit : «Ne change pas, sauf si tu peux êtrebatteur.»
—C’estmoiquitel’aioffert.—Oui,pourmonanniversaire.Etsitupouvaislemettreavantdetefairearrêterpouroutrage
publicàlapudeur,çam’arrangerait.J’obéis et je respire discrètement l’odeur de son parfum, comme un drogué qui prend une
dernière dose en cachette avant sa cure de désintoxication. Je viens juste d’enfilermon jean et debouclermaceinturedesécuritéquandonfrappeàmafenêtre.J’étais tellementsûrequelepolicierfrapperaitàcelledeGavinquejefrôlel’infarctus.Jebaissemavitreetplaquemonplusbeausouriresurmonvisage.
—Bonsoir,monsieur.—Bonsoir,lesjeunes.Ilestunpeutard,dites-moi.Vousavezunproblèmedevoiture?—Non, monsieur, dit Gavin en se penchant pour que le policier le voie. J’ai juste eu peur
d’avoirunsoucid’essuie-glacespendantl’averse,alorsj’aipréféréattendrequeçapasse.Onallaitseremettreenroute.
—Sagedécision.C’estune1967?Gavinhochelatêteensouriant,maisj’ail’impressionqu’ilretientsonsouffle.—Oui,monsieur.Jenesaispassic’estàcausedupolicierouàcausedelatensionquiémanedeGavin,maisje
suisaussinerveusequesij’avaisbudixtassesdecafé.Mêmemesjambestremblent.Enfin,ça,c’estpeut-êtreplutôtliéàcequis’estpasséavantl’arrivéedelabrigadedesbonnesmœurs.
—Jolie.Ettrèsbienentretenue.Oùest-cequevousallez,touslesdeux?—Amarillo.—ComtédePotter,répondGavinenmêmetempsquemoi.L’officierfroncelessourcils.—Vousn’êtespasarrivés.Ilvasansdoutebeaucouppleuvoircettenuit,alorssoyezprudents,
d’accord?—Oui,monsieur,répondons-nousàl’unissoncommedeuxenfantsquisefontréprimander.—Bonnesoirée.
Là-dessus, ilretourneàsavoitureet jerecommenceenfinàrespirer.Gavintournelacléet lemoteurprendviedansunbruittonitruant.
—Çava?Jenet’aijamaisvuaussimalàl’aisedevantunflic.C’estuneuphémisme:ilestblanccommeunmort.Ilhochelatête,sanstoutefoisaffrontermon
regardinquisiteur.—Çava.Ilm’aprisparsurprise,c’esttout.Tuferaisbiendetereposer.Onaducheminàfaire.Les routes sont trempées et Gavin conduit bien plus prudemment que d’habitude. Je reste
sagement assise dansmon coin,ma ceinture bien attachée.Aumoment où j’envisagede couper laradio,Gavinbriselesilencetenduquirègneentrenous.
—MonT-shirttevabien.Soncomplimentrésonnedansmatêtejusqu’àcequemesyeuxsefermentmalgrémoietqueje
m’endorme.
17
MusicFestd’Austin—5ejour
—Debout,Bluebird.Lavoixestfamilièreetpourtantjepeineàlareconnaître.—Lève-toi.Onestarrivés.J’ailatêtedansunétauetjemefrottelonguementlesyeuxavantdelesouvrir.—Hum…—Bonjouràtoiaussi.Tuasencoremalàlatête?Je me réveille avec une migraine terrible et avec l’odeur du café que me tend Gavin.
Apparemment,jesuisdansunevoiture.Enregardantautourdemoi,j’aperçoisunbâtimentmarronplutôtquelconque,avecundrapeauaméricainetundrapeauduTexasquiflottentdepartetd’autredel’entrée.UnpanneaunoiretblancannoncequenoussommesaucentrededétentionpourfemmesducomtédePotter,etsoudainjeretrouvelamémoire.
—J’aidormipendanttoutletrajet?Voilàcequisepassequandonprocureunorgasmeaussiviolentàunefille.Soudain,j’aihonte.—Merde,jesuisvraimentdésolée.Jeconduiraipourleretourjusqu’àAustin.Promis.—Çanefaitrien,m’assure-t-ilenm’ouvrantlaportière.Ilpleuvaittellementquejenet’aurais
paslaissélevolant,detoutefaçon.C’étaittropdangereux.—Quelleheureest-il?—8h05.Onétaitlààl’ouverture.Jesorsdelavoitureetjem’étire,letoutaccompagnéd’unbâillementsonore.—Tuaspuparleràquelqu’un?Lapoliceouungarant?— J’ai discuté avec lemagistrat. S’il n’y a qu’un seul chef d’accusation, je devrais pouvoir
réglerçasanspasserparungarant.Jeprendsunegorgéedemoncafé,noiravecunetonnedesucre.Exactementcommejel’aime.—Quandtudisréglerça,tuveuxdire…—Quej’auraiassezdemeséconomiespourpayerlacaution.Jenepeuxpas retenirunsoupirdefrustration.Levoirsedélesterde toutcequ’ila, jusqu’au
derniercentime,pourquelqu’unquin’enarienàfoutredelui…çamerendmalade.—Tuasdéjàenvisagélapossibilitédenepaslafairesortir?Delalaisserpayerpourcequ’elle
afaitetassumerlesconséquences?—Doucement,Bluebird.Ilestunpeutroptôtpourcegenredeconversations.Ilestadossécontrelavoitureetjefaisunpasverslui.—Jesuis sérieuse.Et si tu luidisais simplementquec’estunegrande filleetquesielleveut
enfreindrelaloielledoitprendresesresponsabilités?Je suis sur le point de lui suggérer de changer de numéro de portable,mais ilm’adresse un
regardsiétrangequejemetais.—Sijecomprendsbien,jedevraisl’encourageràêtreunecitoyennedroiteethonnête,oului
dired’êtreprêteàassumerlesconséquencesdesesactes,quelsqu’ilssoient?—Euh…Oui.Enfin,c’estcommeçaqueçamarchedanslavraievie,non?Lemomentestpeut-
êtrevenupourelledeledécouvrir.Aulieudevivresursonpetitnuagedecaméeinconsciente.Mais,ça,jelegardepourmoi.
—Jevois.Alorslesgensquimententoutrompentou,jenesaispas,moi,quifrayentdansledosdeleurmeilleurami,kidnappentleurpetitesœuretenvisagentdeluifairetoutuntasdetrucspasdutoutcatholiques…Euxaussi,ilsdevraientpayer,non?Euxaussi,ilsdoiventêtrepunis?
Jel’auraisparié.Cequ’ilpeutêtreprévisible,quandils’ymet.—Onn’enfreintaucune loi,àceque jesache.Mêmesi j’ai faitdesrecherchessurInternetet
qu’apparemmentplusieurspositionsquej’aimeraisessayersontillégalesdanscertainsEtats.— Il n’y a que toi pour sortir un truc pareil alors que tu es réveillée depuismême pas cinq
minutes,dit-ilensecouantlatête.Ilsemasselanuqueet,pourlapremièrefois,jeremarqueàquelpointilparaîtépuisé.—Qu’est-cequetuveux,jesuisuniqueenmongenre.Ilmesouritetfaitungesteendirectiondubâtimentfaceànous.—J’aidespapiersàrempliretjedoisl’aideràrécupérersesaffaires,maistupeuxm’attendre
ici,situveux.S’ilcroitquej’aifaittoutcetrajetpourresterassisedanslavoiture,ilrêve.—Jet’accompagne.C’estmapremièrebaladeenprison.—C’est plutôt surprenant, compte tenu de toutes les conneries qu’on a faites quand on était
petits.Jeluidonneunpetitcoupdanslescôtestandisqu’onapprochedel’entrée.—J’aitoujourssuqu’onfiniraitici,Clyde.Ilsembleseraidir,maismefaitquandmêmeunclind’œil.—Heureusementquetuesdebonnecompagnie,Bonnie.Jesuispresquecontentquetusoisvenue.
***
Fairesortirquelqu’undeprisonestbienpluscompliquéqueceàquoijem’attendais.Etquand,enplus, il s’agitdequelqu’unquinemériteni le tempsni leseffortsqu’onyconsacre,çadevientcarrémentfrustrant.
Jepensequej’aitoujoursimaginéqu’onarrivaitauguichetcommeàlabanqueetqu’onpayaitenéchangedelalibérationduprisonnier.Jemesuisplantéesurtoutelaligne.
—KatrinaavecunketGarrisonavecdeuxr,ditGavinà la femmeenuniformede l’accueil.Elleaétéamenéeiciavant-hier.
—Chefd’accusation?—Racolage,jecrois.Jeneconnaispastouslesdétails,grommelle-t-il.Jeprendssamainetlaserredanslamienne.Ilnerépondpasàmonétreinte,maisilneretirepas
samainnonplus,cequiestdéjàbien,leconnaissant.Lafemmetapesursonclavierpendantplusieursminutesavantd’émettreunpetitclappementde
langue. Çame rappelle le bruit quemamie faisait toujours quand on parlait de Katrina, celui quiéquivalaitàlatraiterdesalegarce.Saufquemagrand-mèreévitaitdelefaireenprésencedeGavin,elle…
L’employéepousseunsoupir théâtraletsefrotte lesyeux,commesiellen’enpouvaitplusdenotre présence. Son regard exaspéré rencontre celui de Gavin, et je peux y lire de la pitié, ainsiqu’unepointededégoût.Cequinedoitpasluiéchapper,àluinonplus.
—Ilyaplusieurschefsd’accusation,enréalité.Ellearacoléunofficierdepolice,monsieur…—Garrison,complèteGavin.C’estmamère.
Lafemmefaitlagrimaceetj’aienviedelagifler.C’estsonpremierjour,cen’estpaspossibleautrement.Mêmemoi,jesuisplusdouéequ’ellepourdissimulermessentiments.
—Jesuiscertainequevotremèreseraitraviedevousvoir,maislesvisitesnesontautoriséesqueledimanche.
—Je ne suis pas là pour lui rendre visite, répliqueGavin sèchement. Je suis là pour la fairesortir.
Je sens qu’il est en train de s’énerver, alors je tire doucement sur sa main pour le forcer àreculer.Ilvautmieuxquecesoitmoiquiparle.
—Madame,nousavonsfaituntrèslongtrajetetnousdevonsrepartirpourAustinaussivitequepossible. Si nous avons besoin de contacter un garant ou autre, alors nous devons le faire trèsrapidement.
—C’estdixmillepourlafairesortiraujourd’hui.Gavinsecontractecommesiellevenaitdelefrapperenpleinepoitrine.Dixmilledollars.NomdeDieu.—Sivousvoulezmonavis,vousperdezvotretemps.Elledoitpasserenjugementlundimatinet
jevoisdanssondossierqu’elleadéjàfaitl’objetdeplusieursmandatspourdéfautdecomparution.Sij’étaisvous,jelalaisseraisici.
—Sauf que vous n’êtes pasmoi, que je ne veux pas de votre avis et qu’elle rentre chez elleaujourd’hui,pointbarre.
LavoixdeGavinestsècheetsesyeuxlancentdeséclairs.—Commevousvoudrez,serésigne-t-elle.—Vousavezungarantàmeconseiller?—Tenez,dit-elleenluitendantunecartedevisite.Bonnechance,mongarçon.—Gav?Vienspariciuneseconde.Ons’éloignedequelquespas.Gavintripotenerveusementsontéléphonetandisquejecherche
mesmotsavantdemelancerdansmonplaidoyer.Saufque,cettefois,jesoutiensl’équipeadverseetjenesaispascommentilvaréagir.
—Ecoute,jesaisqueçanemeregardepas,maiscen’estquetroisnuitsdeplus.Ellesurvivra,non?
Sonregardsedurcitetj’ail’impressionqu’unfossénoussépare.—Tuasraison:çaneteregardepas.—Commetuvoudras.S’il réagit comme ça, alors très bien. Je prends une grande respiration et je lui parle aussi
calmementquepossible.—Pourtagouverne,situasrecoursàungarantpourlafairesortiretqu’elleneseprésentepas
àl’audience,ceseratoiquidevrasrembourserlacaution.Boncouragepourtrouverl’argent.Jetournelestalons,déterminéeàlaissercecrétinentêtésedébrouillertoutseul,maisauboutde
deuxpasjem’arrêtenet.Pasparcequ’ilm’aattrapélebrasoumêmetendulamain,maisàcausedecequ’ilmerépond.
—Jesuisdésolé.Jen’auraispasdûteparlercommeça.Encoremoinsalorsquetuasfaittoutcetrajetavecmoi.
Etaprèscequ’onapartagé ilyaquelquesheures.Je lui fais faceet jemerésousenfinà luiposerlaquestionquimehantedepuisdixans.
—Pourquoitufaisça?Ou,plutôt,pourquoitulalaissestefaireça?
Gavinn’ajamaisétéuneprioritépourelle,dumoinsàmaconnaissance.Etpourtantilremueraitcieletterrepourluivenirenaide.
—C’estcompliqué,dit-ildansunhaussementd’épaules.Elleaeuuneenfancedifficile,legenrequi ferait passer la mienne pour un voyage à Disneyland. Tout ce qui lui est arrivé l’a renduecomplètementclaustrophobe,alorsjenepeuxpaslalaisserenprison.
—D’accord.Dans ce cas, peut-être qu’elle devrait voir quelqu’un, un psy par exemple.Maisriendetoutçan’esttafauteettun’espasresponsabled’elle.Tuneluidoisriendutout.
Sonregards’assombritunefoisdeplus.Peut-êtrequejevaistroploin,maisjen’arrivepasàaccepterlesexcusesqu’illuitrouve.
—Iln’yapasqueça.Deschosessesontpasséespendanttonabsence,quejen’ainiletempsnil’énergiedeteraconterpourl’instant.Maistoutçafaitqu’ilesthorsdequestionquejelalaisseici.Situasfait toutcecheminpourmeconvaincredelalaisserenprison,alorstuasvraimentperdutontemps.
Ilentredansunepetitesallequicontientdeuxdistributeursetquelquessièges,etjelefoudroieduregard,mêmes’ilnemevoitpas.
—Cen’estpaspourçaquejesuisvenueettulesaistrèsbien.Jelesuisetmelaissetombersurunsiègetandisqu’ilappellelenuméroquelagardienneluia
donné. Il explique à la personne au bout du fil que samère a été arrêtée pour racolage et qu’il abesoindequelqu’unpourluiavancerlacaution.
Jen’entendsquedesbribesdeconversation:—Oui,madame.Non,madame,jesuissonfils.Oui,c’estbiença.Il a la tête baissée, ce qui m’empêche de distinguer l’expression sur son visage, mais sa
mâchoireestserrée.Ilyaunelonguepauseentrechaqueréponseetjesuisfrustréeauplushautpointden’avoiraccèsqu’àdesfragmentsdeconversation.Entreçaetnotredispute,jeferaismieuxd’allermedégourdirlesjambes,autrementjevaispéterlesplombs.
JemeplantedevantGavinpourarticulersilencieusement:«Jevaisauxtoilettes.»Il acquiesce et je sors de la salle. Il y a une fontaine d’eau dans le couloir et j’aperçois des
ascenseursetunpanneauqui indique ladirectiondesW-C.Jeregardeunedernièrefoispar-dessusmon épaule et constate que Gavin est déjà en train de taper un autre numéro. Apparemment, lepremiergarantarefusédel’aider.
Endépitdemavessiequimenaced’exploser,jesuisincapabledelequitterdesyeux.Ilsemblesiperdu, si seul… Je suis la seule à le voir comme ça. D’un coup, ma frustration et ma colères’évaporent.J’aicompris.
S’ilneveutpasfranchirlecapavecmoi,c’estparcequ’ilabesoindemoi.Lesserveusesetlesgroupiesnevoientpascetaspectdesavie.Ellesnesontpaslàlelendemainmatin,ellesnesaventriendesamèreoudesonenfance.Pourcesfilles,Gavinestunidimensionnel:c’estjusteunbatteursexyavecquiellespassentunbonmoment.Alorsquemoi,jeconnaiscettedimension-làetjesuistoujoursprèsdeluidanslesmomentsdifficiles.
J’adoreraiscourirjusqu’àluiauralentietmejeterdanssesbrascommedanslesfilms,maissije ne vais pas au petit coin tout de suite je vais faire pipi dansmon pantalon.L’étalage de grandssentimentsattendra.Etpuis,jedoisencoreréfléchir.J’aimeraistellementluimontrerquejepeuxêtreàlafoiscellequiembrasesesnuitsetcellequiilluminesesjournées.Maisjenesaispluscommentm’yprendre.
Mêmedans les toilettes desvisiteurs, tout est gris etmorne.Le carrelage au sol, lesmurs enbéton, et jusqu’au distributeur de papier. Aprèsm’être lavé et séché lesmains, je regarde dans lemiroiretydécouvrecequiressembleàunzombie.
Quellehorreur!JepourraisfairedelafigurationdansTheWalkingDead.Monteintestblafardsous la lumière cruedesnéons etondirait que jeme suis coiffée avecunpétard. Jem’asperge levisaged’eaufroideetmesersdemesdoigtspourmedémêlerlescheveux.Jelesattacheenqueue-de-cheval puis jeme lave les dents avec la brosse que j’avais emportée dansmon sac. Le T-shirt deGavinesttropgrandpourmoietj’aitoujoursautantl’aird’unépouvantail,maisaumoinsjesuisunépouvantailàl’haleinefraîche.
QuandjerejoinsGavin,monlookn’apasl’airdeledéranger.Ilparaîtcontentdemevoir,toutsimplement,etjeluisouris.Jesuisheureused’êtrelàpourlui,mêmesijesaisqu’aveccequivientdesepassernotrefollenuitdepassionneserajamaisriendeplusqu’unfantasme.Jeravalematristesseetmesregrets,etjem’assoisàcôtédelui.
—Tuastrouvéquelqu’un?—Oui.Il prend une grande bouffée d’air, comme si c’était la première fois qu’il respirait après des
jourspassésenapnée.—Lesdeuxpremiersontrefuséparcequ’ellenes’estpasprésentéeauxaudiencesdanslepassé.
Maisletroisièmeasimplementditqu’ilfacturaitpluscherdanslescascommelesien.—Cequiveutdire…—Quejedoistrouvermillecinqcentsdollarspasplustardquemaintenant.Ilseralàdansune
heure.Jeregardel’heuresurl’écrandemonportable.Ilestpresque9heures.Sionpartd’icidansune
heureetqu’onpassevoirpapy,onpeutêtresur la routepour11heuresetarriverà tempspour labalanceson.
—J’aitroiscentsdollarssuruncompte.Situlesveux,ilssontàtoi.Unelueurdetristesseetdehontebrilledanssesyeux.—Tumelesrendrasplustard.Cen’estpaslafindumonde.Tuenferaisautantàmaplace.Ilbaisselatêtesansrépondre.—SipapysefaisaitcoffrerpourlemeurtredeschatscinglésdeMmeLawson,tum’aideraisà
payerl’avocat,pasvrai?Ilesquisseenfinunsourire.J’airéussi.—Bon,avecmeséconomies,çafaithuitcentsdollars.Ilenmanqueencoreseptcentsetjedois
fairelepleind’essence.Ilparcourtsonrépertoirependantplusieursminutesetfinitparselever.—Jevaissortirpourpasserquelquescoupsdefil.Jepeuxtelaissericitouteseule?—Jesuisentouréedeflicsetdegardiens,alorsjepensequeçavaaller.Iln’apasl’airentièrementrassuré,maisilsedirigeverslasortie,etjenepeuxpasm’empêcher
demedemanderàquiiltéléphone.J’essaiedenepasm’inquiéter,maisilyatellementdechosesquej’ignore…Onn’estpasrestésencontactpendantmonannéeàHoustonet,enrepensantauxvaguescommentairesdeDallas,j’aipeurqu’ilfasseappelàdespersonnespeurecommandables.
Iln’yaaucunmagazinedanslapièce,alors jemerecroquevillesurmachaiseet jefermelesyeux.Iln’yapasgrand-chosed’autreàfaireetjedoismereposeravantdereprendrelaroutepourAustin.
18
Legarantestenretard.ÇafaitbientôtdeuxheuresqueGavinfaitlescentpasdanslaminusculesalled’attenteetquej’ail’estomacnoué.
—Etmerde.Onneserajamaisrentrésàtemps.Voilàtrenteminutesqu’iljureàchaquefoisqu’ilconsultesonécrandeportable.Demoncôté,
j’aidéjàenvoyéplusieurstextosàDallasetilal’airdegobermonhistoired’intoxicationalimentaire.—Çanefaitriensionn’apasletempsdepasservoirpapy,jesurvivrai.Onn’aqu’àramenerta
mèreetsemettreenroutetoutdesuiteaprès.Jeconduiraiàquinzekilomètres-heureau-dessusdelalimiteautoriséejusqu’àAustinetletourserajoué.
Avantqu’ilaitletempsderépondre,legarantarriveenfin.Pastroptôt,ilestpresque11heures.Petit,asseztrapuetlescheveuxcoupésenbrosse,ilrépondaudouxnomd’Arnie,etsonventre
tombeunpeupar-dessussaceinture.Ilfranchitlesportesmétalliquesd’unpasassuréetnousannonceque tout est réglé et que lamère deGavin sera là dans quinzeminutes, le temps de récupérer sesaffaires.
GavinluiserrelamainetArnies’enva.Onestdenouveautoutseulsàattendre.—Est-cequej’aienviedesavoircommenttuasfaitpourréunirunesommepareilleensipeu
detemps?Gavinfermelesyeuxetsecouelatête.—Non,mabelle.Tun’aspasenvie.J’en meurs d’envie, en réalité, mais ce n’est pas le moment. Je passe une dernière fois aux
toilettes,jemangelabarredecéréalesquitraînedansmonsacetjesuisGavindehorspourprofiterdenosdernièresminutesdelibertéàl’extérieurdelaCamaro.
Enfin,samèresortdubâtimentet,malgrémoi,j’aiunchoc.Sijetrouvequej’aimauvaisemine,alorsKatrinaGarrisonest l’illustrationmêmede la sale tête.Ses cernes sontplus sombres et plusmarquésquedansmessouvenirsetelleal’aircomplètementhagard.Ellealescheveuxgrasetdesracinesnoiresdeplusieurscentimètresquicontrastentavecsesmèchesblondplatine.
Je ne sais pas à quoi je m’attendais comme réaction de sa part en voyant son fils, maiscertainementpasà cequ’elle luibalanceunegifle enpleine figure.Lui si, apparemment, car ilnebronchepas.
—Deuxputainsdejours,salepetitbâtardingrat!Tum’aslaisséependantdeuxjoursdanscetrouàrats.Tusaiscequej’aidûendurer,là-dedans?Non,biensûrquetunesaispas.Tun’aspaslamoindreidéedesconditionsdégradantesdanslesquellesj’aidûvivre.
Pendantqu’elle sedéfoulecontre lui, j’observesesdents jauneset ses lèvres fines.Elleaunebouche de « camée à la méth », comme disait toujours mon amie Cassidy. J’utilisais la mêmeexpressionpourqualifierlesdroguésquitraînaientautourdugaragedupèredeJaggerd.
Aussichoquéequesic’étaitmoiqu’elleavaitgiflée,j’aiencoredumalàdigérerquandGavinouvrelaportièrearrièreetluiditdemonterenvoiture.
Katrina tremble de fureur etmoi aussi,même si j’imagine que ce n’est pas pour lesmêmesraisons.Elle est sûrement en pleine crise demanque tandis que, demon côté, j’ai simplement uneenvieférocedel’étrangler.
—Respire,DixieLeigh,mesouffleGavinenouvrantlaportièrepourmoi.Jevaisbien.—Tantmieux si tu vasbien, parcequemoinon.Pourquoi elle a fait ça ?Tunepeuxpas la
laissertetraiterdecettefaçon.Jesuissérieuse.—Jesuisdésoléquetuaiesassistéàça.Monteenvoiture,s’ilteplaît.Ilfautqu’onsedépêche.Ilal’airdésespéréetjesaisqueDallasvacomplètementflippersionestenretard,alorsjelui
obéis.AlasecondeoùGavins’installeauvolant,Katrinareprendsonmonologuemaiscettefoisson
intonationacomplètementchangé.Elleestpasséed’enragéeàpleurnicharde.—Tun’auraispasvingtdollarspourmoi,monchéri?J’endoisdixàquelqu’unetjen’airienà
mangeràlamaison.—Jen’ai pasd’argent. J’ai donné tout ceque j’avais etmêmeplus àungarantpour te faire
sortir,maman.Ilmeresteàpeinedequoimettreassezd’essencedanscettevoiturepourlarestitueràsapropriétaire.Etpuis je te rappelleque j’ai grandidans cettemaison, ajoute-t-il avecmépris.Tun’enasjamaisrieneuàfoutrequelefrigosoitvide.
Jemerappelleàquelpointilsemblaitnégligéquandonétaitenfants.Mamieinsistait toujourspourqu’ilrestedîneràlamaisonetqu’ilprenneunbaincheznoustouslessoirs.Ellesavaitqueriendetoutçanel’attendaitchezlui.Yrepensermefaittellementmalquej’arriveàpeineàrespirer.
—Tun’asrienquitraîne?Ouquelquechosequ’onpourraitapporterchezLippy?Lippyestleprêteursurgagesd’Amarillo.J’aidéjàentenduGavinendiscuteravecDallasetje
saisqueKatrinaadéjàtoutmisengagechezlui,delatélévisionauvéloquepapyaachetéàGavinpoursondouzièmeanniversaire.Ettoutçapourpayersondealer.Enrevanche…quelquechosequitraîne?Jenesuispasuneexperteenlamatière,maisjesaiscequ’elleveutdireparlà.Qu’est-cequeGavinfabriqueraitavecdeladrogue?
Ilregardesamèrepar-dessussonépauleetlafusilleduregard.—Non,etsij’entendsencoreunmotsortirdetabouche,jetejettehorsdecettebagnoleàcoups
depiedauxfesses.Onverrasiçat’amusedemarcherjusqu’àlamaison.—Etelle,ellen’arien?insistesamèreenmemontrantdudoigt.—Jet’interdisdelaregarder,deluiparleroudel’approcher!aboie-t-il.C’estclair?—Cen’estpas trèsgentildeparleràsamèresurce ton.Je te rappellequec’estmoiqui t’ai
sortide…—Unmotdeplusetjetejurequejetelaissesurleborddelaroute.LavoixdeGavinestsiglacialeetchargéedehainequej’enfrémis.Plusçavaetplusj’aidumal
àcomprendrepourquoiilapayésacaution.Oneffectuelerestedutrajetdansunsilencetenduetjeretiensmonsoufflequandonarrivechez
eux. La maison de mon enfance avait des allures de manoir comparativement à leur caravanedélabrée. J’ai toujours suoùGavinvivait,mais je ne suis jamais entrée à l’intérieur.Lesgraviers
crissentsouslespneusquandonremontel’allée,etjem’installeauvolantpendantqu’ilaccompagnesamèreàlaporte.
De làoù je suis, je lavoisquiagite lesbrasdans tous les sens.Elleesten trainde luihurlerdessus, pour changer. Dans son T-shirt blanc trop grand et son jean noir délavé, elle est d’unemaigreureffrayante.Commentunefemmecommeellepeut-elleavoirdonnénaissanceàunhommecommeGavin?Çamedépassecomplètement.
Il revient vers la voiture, les sourcils froncés, et semble surpris deme trouver à la place duconducteur. Je ledéfiedu regard à travers lepare-brise, biendécidée ànepasbougerde là. Il estexténuéetildoitsereposer.Ilsecouelatêteetfinitparseglissersurlabanquettecôtépassager.
—Tuconnaislaroute?Jehochelatêteetpasselamarchearrière.— A gauche, encore à gauche, puis à droite, et on y est. J’ai regardé l’itinéraire sur mon
portable.J’ail’impressionqu’onmepoignardeenpleincœurquandjepassedevantlaruequimènechez
papy.Néanmoins, jesaispertinemmentqu’onn’apas le tempsdes’arrêter,alors jenedis rien.Detoutefaçon,étantdonnéquenotrevenueiciestcenséeêtreunsecret,c’estsansdoutemieuxcommeça.
—Jesuisdésoléqu’onn’aitpaspuallerlevoir,ditGavinàvoixbasse.Çamefaittropmald’enparler,alorsjepréfèrechangerdesujet.—Allonge-toietessaiededormir.—Tuessûre?Jepeuxfairelecopilote.—Net’enfaispas.Çavaaller.Repose-toi,s’ilteplaît.Pourmoi.Ilacquiesceetpassepar-dessuslesiègepours’installersurlabanquettearrière.Jesuistellement
contrariée, anxieuse et fatiguée que je n’ai même pas le réflexe de regarder ses fesses dans lerétroviseur.
Jetendslamainpourallumerlaradio,maisjelaissemongesteensuspens.J’aiquelquechoseàluidire,d’abord.
—Gavin?—Oui?Il place son sac derrière sa tête en guise d’oreiller et ses yeux rencontrent lesmiens dans le
rétro.—Plus tard, onparlera de la raisonpour laquelle tamère t’a demandé si tu n’avais rienqui
traînait,ettum’expliquerasaussidequoielleparlaitquandelleaditqu’ellet’avaitsortidejenesaisoù.Mais surtout, si je la vois encore lever lamain sur toi, je te jure que ce ne sont pas juste desnouvellesdentsqu’illuifaudra.
—Dixie,je…—Plustard,jet’aidit.Ilfallaitqueçasorte,c’esttout.Dors,maintenant.Jeme concentre sur la route. On va être en retardmais, aumoins, j’aurai vraiment l’air de
quelqu’unquiaétévictimed’uneintoxicationalimentaire.Notremensongeseraencoreplusplausiblequelavérité.
***
LetéléphonedeGavinasonnéunedemi-douzainedefois,l’empêchantdedormirautantquejel’espérais.Deuxappelsprovenaientdepersonnesàquiilapromisdelesrembourserdanslesvingt-
quatre heures. D’après les fragments de conversation que j’ai entendus, il va avoir besoin del’équivalentd’unmoisdecachetspourrendrel’argentqu’ilaempruntécematin.
Avantquej’aieletempsdeluidemanderunenouvellefoispourquoiilfaittoutçapourelle,sontéléphonesonnedenouveau.Ildécrocheetexpliqueàsoninterlocutricequesavoiturel’attendrasurleparkingdenotrehôtel.
—Non,ajoute-t-ildansunpetitrire.Pasdutout.C’estbienplusimportantqueça,àvraidire.Sonregardseposesurmoietjemesensrougir.Est-cequec’estdemoiqu’ilparle?Ons’arrêtepourfairelepleinetGavinreprendlevolantendépitdemesprotestations.Onvient
àpeinedeseremettreenroutequesonportablesonneencoreetGavinjureentresesdentsavantderépondre.
—Salut,Dallas.Tousmesmusclessecontractentimmédiatement.J’aipourtantenvoyéplusieursmessagesàmon
frère,maisapparemmentçanesuffitpas.—Net’enfaispas,c’estunebattante.Onseralàpourlabalance.Samainsecrispesurlevolantetjeremarquequ’unepluiefineacommencéàtomber.—C’estvrai?Désolé,onn’arienentendu.Elleétaitsansdouteendormie.Dallasestvenufrapperàmaporte.Enuneseconde,unepaniqueincontrôlablemonteenmoi.—Tuasdûveniraumomentoùj’étaispartiàlastation-servicepourluiacheterduGatorade.Il
n’yenavaitpasdanslesdistributeursdel’hôtel.Ilment.Etsurtoutilmentavecunefacilitédéconcertante.—Non,jen’aipasoublié.Pasdeproblème.Jeteprometsqu’elleserasurpiedàtemps.Non,je
nesuispasàl’hôtel.Elledort,alorsjesuissortivoirunami.Jet’assurequ’onseraàlabalance,qu’ilpleuveouqu’ilvente.
Ilnecroitpassibiendire.Ledélugearecommencé.Iléchangequelquesphrasesdeplusavecmonfrère,maisjel’entendsàpeineaumilieuduvacarmecauséparlapluie.Enfin,ilraccrocheetposesonportablesurletableaudebord.
Jemerongenerveusementunongle,lesyeuxrivéssurleslumièresrougesdelavoituredevantnous.Sioncontinueàavanceraussilentement,cen’estpaspourlabalancequ’onvaêtreenretard,maiscarrémentpourleconcert.
—Est-cequ’ilt’acru?—Onverracesoir.Etsinonjerégleraiçaaveclui.Net’enfaispas.Ilfroncelessourcilsenregardantlafiledevoituresquis’étiredevantnous.Jevoisbienqu’ilest
inquiet,alorsj’essayededétendrel’atmosphère:—Jeteparievingtdollarsqu’onarriveàl’heure.Aupire,jeconnaisunraccourci.—Dommagequ’aucundenousdeuxn’aitvingtdollars,répliqueGavinenriant.Je ris à mon tour. La vie a vraiment un drôle de sens de l’humour parfois. On ne possède
absolument rienetpourtant…àcet instant, seuleavec lui, sousuncield’orageetdansunevoitureempruntée,jemesensplusrichequejamais.
—Gavin?—Oui?Peut-êtrequ’ilesttempsdeluidirecequemonsubconscientn’acessédemerépéterdepuisle
débutdutrajet.Dis-luiqu’iln’estpasobligédepasserlanuitavectoicesoir.Ilabienassezdechosesàgérer.Laisse-letranquille.Jel’aisurleboutdelalanguemaisaumomentfatidiquejemedégonfle.
—Non,rien.Çan’apasd’importance.
—Aufait, jeplaisantaisquand jedisaisque jen’avaismêmepasvingtdollars. Ilmeresteduliquidedupleind’essence.Tuasfaim?
—Jemangeraisbienquelquechose,maisseulementsionaletemps.—Onvaleprendre.Quelqueskilomètresplusloin,ils’arrêtedevantunfoodtrucketoncommandetouslesdeuxun
menu cheeseburger.Le sacquenous tend le cuisinier sent délicieusement bon,mais j’ai l’estomactrop noué pour apprécier mon repas. On reprend la route et, alors que je mange à toutes petitesbouchées,jeremarquequel’horlogesurletableaudebordindique17h15.Commeladernièrefoisquejel’airegardée…ilyauneheure.
—Euh…Gavin?Est-cequel’horlogefonctionne?Ill’observeàsontouretsonexpressionchange.—NomdeDieu,marmonne-t-il.JeboisunegorgéedeCocaetjesorsmontéléphonedemapoche.—Gavin…Ilest18h50.Mavoixn’estqu’unmurmure,commesij’avaispeurquedirel’heuretouthautlarenderéelle.—OnestencoreloindeSixthStreet?—Unedemi-heureenviron.Merde.Ildépassebrusquementdeuxvoitures,grille laprioritéàune intersection,et j’ai l’impression
quemoncœurvasedécrocher.—Sionmeurttouslesdeuxenchemin,çanevapasnousrendreservice.—Désolé,dit-ilensepassantnerveusementunemaindanslescheveux.Onneserajamaislà-bas
àtemps.Ilfautquej’appelleuncopainpourluidemanders’ilpeutaiderDallasàmontermabatterie.—Finisdemanger,jem’enoccupe.Jem’emparedesonportableetj’envoieunmessageàmonfrèreenessayantd’imiterlestylede
Gavin.Laréponsemeparvientinstantanément.—Ilditquec’estdéjàfaitetqu’onsecontentederamenernosfesses,etvite.Je finis mon Coca, pose mon gobelet vide et attrape mon sac. Heureusement que j’ai
soigneusementpliémarobeaulieudesimplementlabourreraveclerestedemesaffaires.JebaissemonpantalonetGavins’étouffepresqueavecsesfrites.—Qu’est-cequetufabriques?—Jemechange.Onnevapasavoirletempsdepasseràl’hôteletjenepeuxpasjouerhabillée
commeça.—Oh.D’accord.Ilregardedroitdevantluietjevoislesmusclesdesesavant-brasetdesamâchoiresecontracter.
Visiblement,monchangementimpromptudetenuelemetmalàl’aise.JefaisdemonmieuxpourêtrediscrèteetjeremontemarobeautantquepossibleavantderetirersonT-shirt.
Unefoisquej’aifini,ilregardeenfindansmadirectionetmedemanded’envoyerunmessageàsacopineJanie.Ilveut laprévenirque,finalement,savoitureseragaréeprèsdelascèneoùonvajouercesoir.Jem’exécutepuisj’entreprendsderangermesvêtementsdansmonsac.C’estalorsquej’aperçois,aumilieudemesaffaires, lacarted’accèsàmachambred’hôtelque jen’aipasencoretrouvélecouragedeluidonner.
Plustard.Jelaluidonneraiplustard.
19
—Plusdesushispourtoi,petitesœur,plaisanteDallas.Gavin et moi avons rejoint la scène en courant et je suis encore en train de reprendre mon
souffle.—Çanerisquepas.Visiblement,çanemeréussitpas…J’essaiedenepaspoufferde rireenvoyant le souriredeGavin. Je suisprêteàparierque le
surnomdeSushivapoursuivreAftonjusqu’àlafindenosjours.—Je suiscontentque tuaillesmieux,en toutcas.Apparemment, labalanceest reculéed’une
demi-heureàcausedelapluie.C’esttellementironiquequejeriraisbien,maisj’aitroppeurdepasserpourunehystérique.J’ai
cruqu’onallaitmourirdixfoisavantd’arriver.Onaenfreintabsolumenttouteslesrèglesducodedelaroute,j’aicourucommeunedératéeavecdestalonsaiguillesauxpiedsetj’aifaillim’étalervingtfoisdetoutmonlongsurlebitume.Etvoilàqu’onaunedemi-heuredevantnousavantdepouvoirbranchernotreéquipement.JelanceunregardencoinàGavin,quifaitdesonmieuxpouressorersescheveuxtrempés.Unsourirecommenceàsedessinersurseslèvresetjesecouelatête.
Onseréfugiesousl’auventbleud’unbaradjacentetonseserrelesunscontrelesautrespourseréchauffer,commetoutlemondeautourdenous.
—OùestMandy?Non pas que ça m’intéresse vraiment, mais je ressens soudain un besoin urgent de faire la
conversation,letempsdereprendremesespritsaprèslajournéequejeviensdevivre.—Elleestrestéeàsonhôtelpourpréparernotrecontrat.Elleaditqu’ellepasseraitnousvoir
plustard.Après ceque j’ai entendudans les toilettesduCraveetmonéchangeavecAfton, je saute sur
l’occasion.—Tuessûrdetoi?Tucroisvraimentqu’onaraisondesigneravecelle?—Pourquoiça,Dix?Tuasquelquechoseàmedire?—C’estjustequej’aidiscutéavecAfton,etilpensequ’onferaitpeut-êtremieuxdeprendrele
tempsd’explorerunpeupluslesautresoptionsquis’offrentànous.Dallass’écarteetmeregarded’unairmoqueur.—Parce queAfton est notre conseiller,maintenant ?LemêmeAftonqui refuse de travailler
avecdesmanagersetlesmaisonsdedisques?—Trèsdrôle.Çan’avaitpasl’airdetedérangerhiersoiravectes«elleadorerait»et«c’est
unesuperopportunité,Dixie».
Monfrèrefaitlagrimaceenm’entendantl’imiteretj’ail’impressiond’avoirdenouveaudouzeans.
—Lapluiea l’airdesecalmer,annoncesoudainGavin.Onferaitmieuxd’aller semettreenplace.
Autrementdit:«Çasuffit,lesenfants.»Jequittenotrerefugeetlaisselapluiemelaverdelafatigueaccumuléeaucoursdesdernières
vingt-quatreheures. J’étiremesbrasendoloris, levisage levévers leciel.Pendantque lesgarçonssortent notre matériel— qui était à l’abri à l’intérieur du bar—, j’ouvre la bouche et laisse lesgouttesdepluietombersurmalangue.Ilyaquelquechosed’apaisantetdepurifiantdanslefaitdeselaissertremperjusqu’auxos.Jerespireprofondémentl’airhumide,etdeschosesquijusque-làétaienttotalementinsolublesdeviennentlimpides.
Les règlesque jepensaispouvoirm’imposeret imposeràGavin…toutçan’estqu’unevastesupercherie.Gavinaraison:jenepeuxpasenressortirindemne.Ilyauraforcémentunimpactsurmarelationavec lui,sur legroupeetsurnotrevie.Et jenepeuxpas le forceràéprouverquelquechosepourmoisilui-mêmenepensepasêtrecapabledesentiments.
—Gavin?Jel’appellealorsqu’ilsedirigeverslascèneavecmonfrère.Ilseretourneet,dèsquejesuis
près de lui, je lui tends la clé dema chambre. Je savais que je finirais par la lui donner,mais lediscoursquil’accompagne,enrevanche,n’estpasdutoutceluiquej’avaisprévu.
—Tiens.J’aichangéd’avissur…surtout,enfait.Ilregardelacarteenplastiquequejeviensdeposerdanssamain,puisrelèvelatête,confus.—Jenepeuxpastedemanderdescomptes.Tuasdéjàassezdechosesàgérercommeça,entre
Dallas,tamère,tesamisetlespersonnesquit’ontharceléautéléphonetoutelajournée…Jesecouelatête.Jesaisquecesoirjeseraiseuledansmonlitetquejeregretteraiamèrement
lesmotsquisontentraindesortirdemabouche,maisc’estlaseulesolution.—Oubliecequej’aiditàproposdemecontenterd’uneseulenuit,àproposdemesattentes,à
proposdetout.Ilfroncelessourcilsetmescruteaussiintensémentquesij’étaisuneillusiond’optiquedontil
essayaitdepercerlemystère.—Tuasdûtecognerlatêtebienplusfortquecequejecroyaisparcequej’aivraimentdumalà
tesuivre,Bluebird.Jesouriraissimabouchevoulaitbienm’obéir,maisellen’estpasdecetavis.Jehochesimplementlatêteendirectiondelaclédanssapaume.
—Situveuxvenirdansmachambrecesoir,viens.Maisnelefaispaspourmoi,pasparcequejetel’aidemandé.Viensparcequetuenasenvie.Etsituneveuxpas,àcausedeDallas,dugroupe,parce que tu es fatigué, ou juste pas intéressé, alors ne viens pas. Je ne t’en voudrai pas et ça nechangerarienentrenous.Jepensaisquej’attendaisquelquechosedetoimais…jen’attendsrien.
—Tun’attendsrien?répète-t-ildoucement,commes’ilétaitencoreentraind’assimilercequejeviensdedire.
—Lesdernièresvingt-quatreheuresontétédelafolietotalepourtoi,etjepensequ’enrajouterunecoucheestlapirechosequejepourraisfaire.Tutesouviensdelaconditionquetuavais?Quandjet’aiditqueçameconvenait,ehbienjet’aimenti.Passerlanuitavectoi,puisfairecommesiçan’avaitpasd’importanceouprétendrequeçanechange rien,ce serait ladéfinitionmêmedudéni.Alorsvoilà.Situveuxtedéfiler,jet’offretaportedesortie.
Monfrèrecriequelquechosequejenecomprendspaspar-dessussonépauleetGavinacquiesceavantdereportersonattentionsurmoi.
—Maconditionn’avaitrienàvoiraveclefaitdenepasyaccorderd’importance.Ilsepencheversmoietm’attrapeparlementon.—Toutcequ’onfaitensembleadel’importance,Bluebird.Absolumenttout.Ilaraison.Etjepensequec’estpourçaquejesuisprêteàrenoncerànotrenuit.Jevoulaisêtre
plusprochedelui.Saufqu’aprèsaujourd’hui,aprèstoutesleschosesquej’aivuesalorsqu’ilauraitpréférénepasme lesmontrer, je sais que je suis sansdouteplusprochede lui quequiconque l’ajamaisété.
Gavinmelâchelementonetcommenceàsedirigerverslascène.Auboutdequelquespas,ilseretourne.
—Dixie?—Oui?—Jen’aijamaisditquejevoulaismedéfiler.
***
Onvientàpeinedefinirlabalancequandleséclairssemettentàzébrerleciel.Toutlemondesemetàcourirdans tous lessenscommeun troupeaudebrebiségarées.Lesorganisateurs tententdecanaliserlafouleetdedirigerlesspectateursverslesbarsvoisins.
— Scène 9, vous allez au BourbonGirl ! nous lance un homme avec un T-shirt noir et unecasquette.
Onadéjà joué là-basauparavant.Quandonentredans lebar, lavisionde l’immensedrapeauaméricain en néon qui illumine la scène me réconforte. J’ai soudain comme une folle envie dechanterl’hymnenational.
Dallas etGavin installent notre équipement trempé et je l’essuie avec les serviettes en papiergénéreusement offertes par le gérant. Dommage qu’il n’ait pas un sèche-cheveux à me prêter enprime.
PuisjesorsOzdesonétuiavecmilleprécautions.Ilm’avraimentmanquédepuishier.Certainsmusiciensvoientleurinstrumentouleuréquipementcommeunmoyendegagnerdel’argent.Certes,c’estaussiàçaquemesertmonfiddle,maistellementdesouvenirsysontattachés,dontcertainsnem’appartiennentmêmepas,quejepourraispresquejurerqu’ilprendvieetqu’ilmeparlequandonjoue.C’est vrai qu’il est un peu cabossé, rayé etmême ébréché,mais c’est aussi ça qui le rend sispécial.Aprèsnospremiersconcerts,Dallasavoulumepousseràenacheterunautreavecl’argentqu’onavaitgagné,maispourmoic’étaitinimaginable.J’auraiseul’impressiondetricher.Changerlescordes,passeencore,maisacheterunnouveaufiddle…JejoueraisurOzjusqu’àcequ’iltombeenmiettes.
Quandjerelèvelatête,lebarestbondéetDallasestentraindetapoterl’écrandesonportable,surlecôtédelascène.
—Euh,Dallas?Tunecroispasqu’ondevraitjouerdelamusiqueouuntruccommeça?Dallaslèvelesyeuxetsouritàlafoule.—Untruccommeça.Tuesprêt,Garrison?—Onyva,répondGavinens’asseyantsursontabouret.Ildonneletempoetjejouemonouverture.Touteslesimagesdel’incroyablesemainequivient
des’écoulerdéfilentderrièremespaupièrescloses.LaserveuseduMangieri,Gavinquifaitirruptiondansmachambre, lebaiserdans lacontre-alléede l’entrepôt,Gavinqui lèchede laglacesurmon
ventre,moiquilechevauchedanslavoiture,samèrequilegifle,sonregardquandjeluiaidonnélaclédemachambre.
JedéversetoutcequejeressenssurOz:laconfusion,ledésir,ladouleuretuneexcitationplusintensequetoutcequej’ai jamaisressenti.Jesuisvivante.Sivivantequej’aipresquel’impressionquej’observelascènedepuisl’extérieur,détachéedemonproprecorps.
C’estdanscegenredemoments,lorsquemonarchetcourtsurlescordescommes’ilétaitdouéderaison,quej’ail’impressiond’êtrecapabledevoler.Commesijelaissaisderrièremoilascène,lepublicetmêmelemonde,etquejem’élevaisàunplansupérieur.
Le bruit assourdissant de la batterie deGavin résonne dansmes oreilles, en rythme avec lesbattementsdemoncœur.LesnotesquimontentdelaguitaredeDallasformentunfluxquicouledansmesveines,telleunerivièrequimetransportedepartetd’autredelascène.Lesonmefaitdécoller,flotter, tandisque je jouecommesimavieendépendait.Lamusiquecirculeautourdenousetelleentreenmoi,allumantlamoindrefibredemonêtrejusqu’àcequetoutmoncorpss’embrase.
Les spectateursque j’aperçoisdansmonchampdevision se fondentdansunhalode lumièrebleueetrouge.Sijen’étaispasentraindejouer,lescouleursmedistrairaientsûrement,maisjesuisconcentrée.Jenefaisqu’unavecmoninstrument,etlamélodiequej’entirefaittellementpartiedemoiquej’ail’impressionquec’estmonâmequejetienssurmonépaule,aulieudemonfiddle.
Avec notremusique, le public embarque sur desmontagnes russes vertigineuses.Dallas aimecommenceretterminerchaqueconcertsurdeschansonsrapidesetjouerlesmorceauxpluslentsverslemilieu.WhiskeyRedemption retentit après une série de reprises de tubesR’nBqui a emballé lesspectateurs.OnenchaînesurRingofFireavantdepasseràunechansond’Adele,puisonentonnetouslestroisLoveRunsOut.
Machansonpréféréearriveensuite,etjesuistotalementélectriséependantqu’onlajoue.C’estunmixdedeuxchansons,l’uneappeléeWhatDoYouWantfromMeetl’autreBeneathYourBeautiful,qu’on a modifiées pour leur donner un style qui nous ressemble. C’est notre reprise la plustéléchargée en ligne. Il m’a fallu une éternité pour convaincre Dallas de la faire et encore pluslongtempspourparveniràlaversionfinale,maislesnuitspasséesàtravaillerontfiniparpayer.Avoirl’expressiondesgensdanslepublic,çavalaitlecoup.
On joue la chanson à boire préférée de Dallas (il l’a composée lui-même), puis notre sets’achèvesurnotretoutedernièreversiondeWhenYouLeaveAmarillo.Lesapplaudissementssontsiassourdissantsque jepeux sentir toutmoncorpsvibrer. Jedéborde tellementd’adrénalineque j’aitouteslespeinesdumondeàreprendremonsouffle.Onsaluelafouleetonremercielepublicleplusnombreuxet leplusenthousiastedevant lequelonait jamais jouéavantdenouséclipser.Jenesuismêmepassûrequemespiedstouchentlesoltandisqu’onregagnelescoulisses.
Untypeencostumealpagueimmédiatementmonfrèreetl’entraîneàl’écartpourdiscuter.Sansdouteunmanagerpotentiel.Gavinestderrièremoi,siprèsquejeressenssonexcitationpresqueaussinettementquelamienne.Jemetourneverslui.
—C’étaitgénial.Jemedemandesicen’étaitpasencoremieuxquelesexe.Ilarrêtede joueravecsesbaguettesetmedévisage fixement.Son regardnoisette s’assombrit
alorsqu’ilmepoussedanslecouloir,horsduchampdevisiondemonfrère.Aveclalumièretamiséedescoulissesquisereflètedanssespupilles,ilapresquel’aird’unêtre
mystique venu d’un autremonde.Une voix présente le groupe suivant aumicro, etmon frère estquelquepart,entraind’échangerunepoignéedemainquivapeut-êtrechangerlecoursdenotrevieàtous.Maispourlemoment,làoùjesuis,riendetoutçan’ad’importance,carGavinGarrisonmefaitl’amourduregardetjeneveuxsurtoutpasqueças’arrête.Jamais.
Ilbaisse la têteetses lèvressontàpeineàquelquesmillimètresdesmiennes.Lesmotsquiensortentfontbattremoncœursivitequej’aipeurdefaireunarrêtcardiaque.
—C’étaitgénialparcequetuétaisgéniale.Etsi tucroisqueça,c’étaitaussibienquelesexe,alorslesminetsquetut’esenvoyésnedevaientpasêtretrèsdoués.
20
—Onyva.LavoixdemonfrèrenousinterromptetGavinrecule.—MandyetcertainsdesesassociéssontentraindeprendreunverreauWarehouseDistrict.Je
luiaiditqu’onlaretrouveraitlà-basaprèsleconcert.—Tuparlaisàqui,au fait?demandeGavinàDallas,alorsqu’on lesuità l’extérieurdubar
pleinàcraquer.—DaveLenard, leP-DGdeRedLight.C’estplusoumoins lebossdeMandy. Il aditque le
concertluiavaitbeaucouppluetilvoulaits’assurerqu’onétaitsurlamêmelongueurd’onde.On range tout notre équipement à l’arrièreduvan et j’admireunedernière foisAustin et ses
lumièresquibrillentdans lanuit.Jeprendsuneboufféed’airchargéed’odeursdepluieet lève lesyeux vers le ciel nuageux. Des éclairs dansent dans la nuit comme des stroboscopes dans unediscothèque.
Toutestsurlepointdechangerirrévocablement.Jelesensdansmestripes.Onaunmanageràprésent,unshowcasedemainsoir,etDieuseulsaitquoid’autreaprèsça.
MamaineffleurecelledeGavinquandils’empared’Oz.Lemêmecourantélectriquequeceluiquej’airessentiquandonétaitenfants,lapremièrefoisquenosmainssesonttouchées,remontelelongdemonbras. Ilyaunéclairdans son regard,un flash rapide.L’espaced’une seconde, ilmesemblequ’ils’apprêteàdirequelquechose,maisiltourneimmédiatementlatête.
Je veux lui demander s’il va oui ou non venir dansma chambre ce soir. Je veux exiger uneréponse.MaisDallascontinueànousrebattrelesoreillesdurendez-vousavecMandy.
—Dix,tuveuxrentrer?Tuasl’airépuisée.—Euh…Une partie demoi veut aller avec eux,mais je suis exténuée et je n’ai aucune envie de voir
Mandy.J’aimeraispouvoirdireàDallasqueGavinaussiabesoindedormir,maisnaturellementc’estimpossible.Alorsjemecontentedehausserlesépaulesd’unairdétaché.
—D’accord.Allez-y,vous,jevaisprendreuntaxi.—Mais non, on va te raccompagner à l’hôtel.Comme ça, on est sûrs que tu es bien arrivée
jusqu’àtachambre.Dallasmesouritchaleureusementetmoncœursefaitpluslourddansmapoitrine.J’adoremon
frèreetsoncôtésurprotecteur,maiscesoirjeluienveuxterriblementdem’enleverGavin.—Et puis comme ça j’en profiterai aussi pourmettre une demi-douzaine de réveils sur ton
portable.
—Merci…Unefoisdans levan,avecDallasauvolant,Gavinàcôtéde lui etmoià l’arrière,mon frère
passeenrevuenotreprogrammepourlesprochainesvingt-quatreheures.—Letrajetjusqu’àNashvillevanousprendredouzeheures.Leshowcasealieujusqu’àlundi,
maisMandyaseulementpunousavoiruncréneauà21heuresdemain.Sionpartà6heuresdemainmatin, on aura largement le temps d’arriver dans les délais, même s’il y a des bouchons. C’estdommagequ’onn’aitpasdedémosàdistribuer,maisj’ail’enregistrementquetuasfait,Gavin.CeluiavecWhiskeyRedemptionetlemedleydurappel.
Chaquemotquisortdesabouchem’écraseunpeuplus.—J’aiuneversionunpeupluspropresurl’ordiportable.Tuveuxquejelagraveenrentrantce
soir?—Paslapeine.Onrisquederentrertard,alorstun’aurasqu’àlefairesurlaroutedemain.J’étudie leprofildeGavinpendantquemon frèreet luipeaufinent lesderniersdétails.Même
épuisé,ilestmagnifique.Etilsortcesoir.Tard.Dallasditquelquechoseàproposdenousrelayersurlaroutejusqu’àNashville,maisjesuistropdistraiteparlasoiréequilesattendpourfaireattention.
Pendanttoutletrajetjusqu’àl’hôtel,j’attends.J’attendsqueGavindisequ’ilneveutpassortir,qu’ilestfatiguéouqu’ilad’autresprojets.MaisildiscutedesarrangementsdetelleoutellechansonavecDallascommesijen’étaismêmepaslà.
QuelquepartentrelesquatrepâtésdemaisonsquinousséparentduDaysInn,lafatiguelaisseplaceàlafrustration.Unecolèresourdecommenceàmonterenmoiet,lorsqu’onatteintleparking,jesuiscarrémentfurieuse.Jenesaismêmepascequim’énerveleplus:laremarqueénigmatiquedeGavinquantaufaitqu’ilnevoulaitpassedéfilerousavoirqu’ilvapeut-êtrerencontrerquelqu’und’autreaucoursdesasoiréeavecmonfrère.
Unefoislevangaré,ondescendtouslestroisetjemeforceànepasregarderGavin.—Çava,Dix?Tuasl’airbizarre,ditsoudainmonfrère.—Oui, je suis fatiguée,c’est tout.Ne t’embêtepasàm’accompagner jusqu’àmachambre, je
suisunegrandefille.—Tuessûre?—Certaine.J’aijustebesoindedormir.—Commetuvoudras.Envoie-moiunmessagequandtuesdanstachambre,d’accord?—Promis.Il sort son portable, sans doute pour appeler un taxi, et je prends mon sac, qui contient les
preuvesdemonescapadeavecGavin.—Bonnesoirée,lesgarçons.—Bonnenuit,ditDallas.Parcequejenesuisqu’unefaiblefille,jemeretourneversGavin.—Faisdebeauxrêves,Bluebird,dit-iltoutbas.Jepousseunsoupirdéçuetjem’éloigne.Jenepeuxm’enprendrequ’àmoi-même:jeluiaioffertuneéchappatoire.Monfrèreluiena
donnéuneautre.Ondiraitbienqu’ilasautésurlesdeuxoccasions.
***
IlesthorsdequestionquejeresteassisetouteseuledansmachambrependantqueGavinetmonfrèrefontlafête.Autrement,jevaissombrerdanslafolie.
Dallas péterait un câble s’il savait que je suis ressortie aussitôt après être passée dans machambreet lui avoirenvoyéunmessage.Lapluien’estplusqu’unepetitebruineet je suisàpeinemouilléelorsquej’arriveàl’hôtelDriskill.Onyajouépourunmariageunefoisetjesaisqu’ilyaunpianoaubar.Çafaitunmomentquejen’aipasjouémaisàlasecondeoùjeposelesyeuxsurlui,jesaisquec’estcedontj’aibesoin.
L’endroitestpresquevide,à l’exceptiondequelqueshommesd’affaires installésaucomptoir.J’avancejusqu’aupianoetjem’installesurletabouret.
Mamieavaitpourhabitudedemefaire fairedesgammespourm’échaufferavantde jouerunmorceau compliqué. Elle disait que ça évitait d’attraper des crampes dans les doigts.Malheureusement,cesoir jenepeuxpasm’offrir le luxedeprendremon temps.Lebarvabientôtfermeret,sijenemeperdspasauplusvitedanslamélodie,jevaisdevenircinglée.
J’arquelesdoigtscommeonmel’aappris, jelesplaceau-dessusdestouchesetjecommenceparunairfamilierquepapyadoreavantdepasseràunmorceauclassiqueplusrapide.J’aimisdesannées à maîtriserMetamorphosis et, encore aujourd’hui, je dois être totalement concentrée pourparveniràl’interpréter.Arrivéeàlafindelapremièrepartie,jenem’arrêtepaset,lorsquejetermineMetamorphosis2,personnenevientmemettredehors.Commejeressensencorecettedouleurenmoietquejenesuistoujourspaslibéréedupoidsdessentimentsquej’éprouvepourGavin,jecontinue.Heureusement,ilyaencoretroispartiesextrêmementcomplexes.DieubénissePhilipGlass.
Jeretiensmonsouffleet,aumomentd’expirer,j’ail’impressionquec’estàtraversmesdoigtsquejerespire.Ilsjouentdeleurproprechefet,mêmesicen’estpasparfait,c’estloind’êtremauvais.Danstouslescas,c’esttoujoursmieuxquepleurersousmacouette.
Laquatrièmepartie est laplusdifficile et celleque j’ai toujours trouvée laplus ensorcelante.C’estlemomentd’oubliermespeinesetdemeconcentreruniquementsurlestouchesetletempo.
«Lerythmeestleplusimportant»,disaittoujoursmagrand-mère.Vouspouvezjouertouteslesnotescorrectementmaissivousnerespectezpasletempolemorceauestgâché.Elledisaitaussiqueletempon’étaitpasquelquechosequ’onpouvaitapprendre.Onlesentait,onl’avaitdanslapeau,oupas.Jefermelesyeuxetjefaisdemonmieuxpourlesentiretleretranscriresurleclavier.
Lacinquièmepartieestunrappeldelapremièreet, lorsquej’aifini, j’ai l’impressiond’avoircomplété un cycle. J’aimal aux doigts et au dos,maismon âme est comme guérie, ou dumoinsapaiséelàoùellesouffraitleplus.
Je me lève et sursaute quand des applaudissements polis résonnent autour de moi. J’avaiscomplètement oublié que je n’étais pas seule. Quelques hommes lèventmême leur verre dansmadirection.Jelessalueavantdem’éloigneràviveallure,latêtebaisséepourqu’ilsnevoientpasquejesuisrougecommeunetomate.
C’estpourçaquejenemecontentepasd’aimerlamusique.Quejeneprendspasletempsdemedemander si j’aime ça ou non quand je joue, tout comme je ne prends pas le temps de dégusterl’oxygène que je respire. Je joue parce que je ne peux pas faire autrement. Parce que, quand touts’écrouleautourdemoi,c’estlamusiquequimepermetdenepasm’effondrer.Et,àcetinstant,c’estàelleetàelleseulequejedoisd’êtreencoreentière.
LapluieestplussoutenuequandjequittelebarduDriskilletjesuistrempéequandj’arrivedansmachambre. Jem’empressede retirermesvêtementsetdeprendreunedouchebienchaude.L’eaubrûlanteesttellementagréablesurmapeauglacéequejerestesouslejetpendantuneéternité.Jemedemandemêmesijenegémispasunefoisoudeux.
Mais, une fois assise sur mon lit à me démêler les cheveux tandis que j’examine mes deuxoptionsradicalementdifférentesenmatièredepyjama,jemesensvideetj’aidenouveaufroid.
J’ailechoixentredébardeurblancetshortencoton,ounuisettenoiresexyetculotteendentelleassortie.Cequej’espéraisporterpourGavin.Etaléssurmonlit,lesdeuxensemblesmerésumentàlaperfection:lafillequejesuiscontrelafemmequej’aimeraisêtre.J’enfilelalingerieendentelleetjememetspresqueàrire.Quiest-cequejecroistromper?Ilneviendrapas.Ilapresquesoupirédesoulagementquandmonfrèrem’aenvoyéedansmachambre.
Bercéeparlesouvenirdesaccordsquej’aijouésaupiano,jebalancelesvêtementsquitraînentsurmon lit par terre et j’enfile le T-shirt de Gavin. C’est celui que je lui ai emprunté pendant leroadtrip.Jen’aimêmepasfaitexprèsde legarder, j’ai justeoubliéde leremettredanssonsac.Jesuiscontented’avoiroublié,enfait.Cen’estpasgrand-chose,maisc’estquandmêmeunepartiedeluidanslaquellejepeuxm’envelopper.
Les paroles de I Can’tMake You LoveMedeBonnieRaitt résonnent en boucle dansma têtetandisquejemeglissesouslescouvertures.
Demain, il faudraque jememetteuncoupdepiedaux fessesetque j’assure,maisce soir jepeuxm’apitoyersurmonsortautantquejeveux.Alorsjemerouleenboulesurlecôtéenétreignantmon oreiller et je pleure la perte de quelque chose que je n’ai jamais eu, jusqu’à ce que jem’endorme.
21
Lapremière chosedont je prends conscience enme réveillant, c’est qu’il fait encorenuit.Laseule lumière que je distingue provient de la lampe de chevet que j’ai oublié d’éteindre avant dem’endormir. La seconde chose dont je prends conscience, c’est que je ne suis pas seule. Il y aquelqu’undansmachambre.
Ilestassisdanslefauteuilavecuncoudeappuyésurlapetitetablerondeadjacente.Sonmentonestposésursonpoingfermé,maisilalesyeuxouverts.Ilporteencorelejeandélavéquej’adoreetsonT-shirtcobaltquidit:«Cequejepréfèredansungroupe,c’estlebatteur.»
—Tueslà.Mavoixesttellementrauquequ’ondiraitquej’aifuméunecartoucheentièredecigarettesavant
demecoucher.Moncœur imprimeenfincequi sepasseet semetàbattreà tout rompredansmapoitrine.Jenesaispaspourquoiilestvenu,maisilestlà.
—Oui,dit-ild’unevoixoùpercel’épuisement.Enfin,plusoumoins.—Quandas-tuvraimentdormipourladernièrefois,Gavin?Jemeredresseetmepasselamaindanslescheveux.Ladernièrechosedontjemesouviensest
d’avoirprisunedouche,cequiveutdirequej’aidûm’endormiraveclescheveuxmouillés.Jedoisdoncavoirl’aird’avoirétéattaquéepardesécureuilsenragés.Génial.Trèssexy.
—Net’enfaispas,çava.Jevoulaisjustem’assurerquetuallaisbien.Ilseredresse.—Tuavaisunesacréebossesurlatête.Onauraitpeut-êtredûtefaireexaminerparunmédecin.—Alorsc’estpourçaquetueslà?Pourvérifierquejen’aipasdecommotioncérébrale?Mesépauless’affaissent.Jemedétested’avoirespéréautrechose.Jesuisvraimenttropnaïve.Gavinplongesesyeuxdanslesmiensetilsecouelatête.—Alorspourquoitu…Laflammequibrûledanssonregardlorsqu’ilvoitquejeportesonT-shirtm’empêchedefinir
maphrase.Oh,Ohhh.Alorsçayest.Nousyvoilà.C’estnotrenuit,pourlemeilleuretpourlepire.J’enterretoutesmesinsécurités,jebâillonnemesdoutes,etjememetsdebout.—Jesuiscontentequetusoisvenu.—Etmoi,jesuiscontentquetuportesmonT-shirt.Ilselaisseallercontreledossierdufauteuiletrelèvelementon.—Maintenant,retire-le.
Mes jambes tremblent légèrement tandisque jeparcours la distancequi nous sépare.En troispas,jesuisfaceàluietj’ôtesonT-shirt,quejelaissetomberparterre.
Ilmeprendparlatailleetm’attireàlui.J’ouvre labouchepourparler,mais ilmeréduitausilenceavecunbaiser.Sa lèvre inférieure
taquine délicatement mes lèvres et il la fait doucement glisser contre ma peau avant de prendrebrutalement possession dema bouche avec sa langue. J’agrippe son T-shirt et jem’assois sur sesgenoux.Jeveuxsentirsapeau,lesentirlui.J’enveuxplus.Toujoursplus.
Ons’écarteletempsqu’ilretiresonT-shirtetonserecolleaussitôtl’unàl’autre,commedesaimantsincontrôlables.Mesmainscourentsursapeauavecavidité,attiréesparsesmusclescouvertsdetatouages.
— J’adore le goût de tes baisers, ma belle. Je n’ai pas arrêté d’y penser depuis notre petitroadtripetçam’arendudingue.Jesuiscomplètementaccro.
Sesmotssontempreintsd’unepointededésespoiretjesourisenl’entendantseconfieravecunetellefranchise.
—Etj’ailegoûtdequoi,Gavin?—D’unfruitdéfendudontjenepourraijamaismerassasier.Jemordssalèvreinférieureetilgrogne.—Tupeuxmemordreaussifortquetuveux.Jemefichequeçafassemal.Jechuchotecontresabouche:—Moiaussi.J’aiététellementexcitéeparlafaçondonttum’asattrapéedanslacontre-alléede
l’entrepôt…Jesuisobligéedemetoucheràchaquefoisquej’yrepense.Ungémissementgraveettorturés’échappedesagorge.—Montre-moi.Fais-moivoircommenttutetouchesquandtupensesàmoi.—Pastoutdesuite.Jedoisfaireappelàtoutemavolontépourmelibérerdel’étreintedesesmains.Jem’agenouille
devantluietilécarquillelesyeux.—Jeveuxtegoûterd’abord.—Dixie,tun’espasobligéede…—J’enaienvie.Avraidire,jen’aipenséqu’àçadepuisnotrevoyage.Unmélanged’incertitudeetdedésirbrille
danssesyeux.—Gavin?Pasderéponse.—S’ilteplaît.J’enmeursd’envie.—Tuvasm’achever,dit-ilensecouantlatête.Tut’enrendscompte,j’espère?Jetendslamainverssabraguetteetilm’aideàdéboutonnersonjean.Jem’humecteleslèvres,
impatiente,etilbaissesonboxerCalvinKleinetsonjeanjusqu’àseschevilles.Envoyantsonsexeenérection,moncœursemetàbattreàtoutrompre.
Après l’avoir senti plaqué contre moi l’autre soir, je me doutais bien qu’il n’avait pas unmicropénis,maisjenem’attendaispasàça.Ilestplusimposantquecequej’avaisimaginéetjevaissûrementavoirmal,maisjemeursd’impatience.Unepartiedemoi,cellequiestsituéeauxalentoursdemonentrejambe,veutluigrimperdessusetpasseràl’offensiveimmédiatement.Néanmoins,jemeretiens,carjesaisqu’ilfautquejeprennemontemps.Jen’aiqu’uneseulenuitetjeveuxenprofiter.Jeveuxtoutfaireaveclui,jeveuxlesentirpartoutsurmoietenmoi.Jeveuxquecettenuitnouscolleàlapeaucommenostatouagesrespectifs.
Mamainremontemachinalement le longdesacuisseet je lafixecommesielleappartenaitàquelqu’und’autre.
—Dix,attends.Tun’esvraimentpasobligéedefaireça,jet’assure.Est-cequetuasdéjà…—Non.Jamais.Tueslepremier.Sansluilaisserletempsdeprotester,jemepencheenavantetjeleprendsdansmabouche.C’estsurnatureldelegoûterdecettefaçonetjefermelesyeux,aveugléeparunfeud’artificede
plaisir.Lemondeautourdenousdisparaîtetiln’yaplusqueluietmoi,seulsaumilieud’ununiversoùriennepeutnousatteindre.
Ilpasseunemaindansmescheveuxettiretellementfortqu’ilmefaitmal.Mondésirmonteenflècheetjeredoubled’ardeuretd’applicationàmesurequejedécouvrecequ’ilaime.
Lécher ledessousdesonsexe le fait trembler,ensucer l’extrémité le faitgémir,etaspirersalongueurdansmaboucheluifaitpousseruncriquej’aienvied’entendretouslesjoursjusqu’àlafindemavie.
Je n’aurais jamais pensé avoir un tel pouvoir, être enmesure de le contrôler de cette façon.Savoirque jepeux le faire sedépartirde soncalmeen justequelques secondesm’excite tellementqu’unevaguededésir déferle entremes cuisses. Je suis déjà complètement accro,moi aussi, à telpointquejeneparviendraisansdoutejamaisàmedésintoxiquer.Lapressionentremesjambesestsiintensequej’aienviedemetoucher,rienquepourmesoulagerunpeu,maisjenelefaispas.C’estunetorturedélicieuseetnécessaire.
—Arrête,grogne-t-ilaumomentoùjel’aspirejusquedansmagorge.Avantquejepuissedemandersij’aifaitquelquechosedemal,ilmesoulèvecommesij’étais
aussilégèrequ’uneplumeetmebalancesurlelit.Sonregardestceluid’unprédateurféroceetjenepeuxpasm’empêcherderire.
—Çat’amuse?—Disonsqu’onesttouslesdeuxobsédésparquelquechose,maintenant.Safossetteapparaîtsursajouedroiteetjesourisàmontour.—Allonge-toi,ordonne-t-ilsoudain.Etécartelesjambes.Toutetraced’humouradisparudanssavoix.Jem’exécute.J’aibientôtdumalàrespirer,jesuis
exposéedevantluicommejenel’aijamaisété.Ilgrimpeau-dessusdemoietsesdoigtssebaladentsurletatouagequirecouvremoncôtégauche.
—Tum’expliques?—C’estnous.Legroupe.Mavoixn’estqu’unmurmure.Lemotifestassezgrandmaisplutôtsimple:troisfleurssurunebranchedelierrequinaîtsur
mahancheetremontelelongdemescôtes.LenénupharbleudumilieureprésenteDallas.Jesuislafleurdecerisierroseauxpétalesunpeufanésauniveaudemahanche,etunerosenoirepousseaumilieudesépines,prèsdemoncœur.
Du bout du pouce, Gavin effleure la rose juste au-dessous de ma poitrine. Aussitôt, unfourmillementdélicieuxsepropagesurmapeau.
—C’estmoi?Jehochelatêtesansriendire.—Etlesépines?—Parcequetuassurvécuenversetcontretout.C’esttoileplusfortdenoustrois.Desémotionsintensespassentsursonvisage,sansquejeparvienneréellementàlesidentifier.
—Cen’estpasvrai,lâche-t-ilsoudainendétournantleregard.Sij’étaisaussifortquetuledis,jeneseraispaslà.
Jemeredresseetprendssonvisagedansmesmains.—Gavin.Regarde-moi.Ilm’obéitetjeposemonfrontcontrelesien.—Tueslapersonnelaplusfortequejeconnaisse.Taprésenceicicesoirn’arienàvoiravecla
forceoulafaiblesse.Çan’arienàvoirnonplusavecbriserdespromessesquetun’auraisjamaisdûfaire.Situeslà,c’estpournous.Çaneregardequetoietmoi,personned’autre.
Jedoiseffleurerseslèvresplusieursfoisavantqu’ilfinisseparmerendremonbaiser.—Et celui-ci ? demande-t-il en attrapantmonpoignet, recouvert de deuxhirondelles prenant
leurenvol.—Cesontmesparents.Samainremontejusqu’auxdeuxautreshirondelles,pluspetites,àl’intérieurdemonavant-bras.—Ça,c’estDallasetmoi.Ilembrassechaqueoiseauunparunetjemerallongesurlelitenfrissonnant.Ilmesourit,avec
unéclatmalicieuxdanslesyeux.—Aquoitupenses?demande-t-ilenglissantsamainsousl’élastiquedemaculotte.Jerépondssanshésiter:—Adelaglace.—Est-cequej’étaislepremierà…—Oui.Ilfermelesyeux,uneexpressionpresquedouloureusesurlevisage.—Désolé.Savoirquepersonnenet’avaitfaitçaavant…Çamerendcomplètementfou.Ilprendplusieursgrandesrespirationset j’attendsqu’il retrouvesoncalme.Sentirmoncorps
tremblerdedésirsouslesiennel’aidesûrementpas,maisjenepeuxpasm’enempêcher.Ilrouvrelesyeuxetsesdoigtss’enfoncentdanslachairdemeshanchestandisqu’ilmeplaque
contrelematelas.Jegémisquandilprendmontétondroitdanssabouchepourlelécher,ettoutmoncorpssecontracteviolemmentlorsqu’ilrépètel’opérationaveclegauche.
—Çateplaît,mabelle?Jegémisunenouvellefoisenguisederéponseetsabouchecontinueàdéposerdesbaiserssur
monventre,deplusenplusbas. Ilbaissemaculotteetsoudain ils’immobilise.Laseulechosequibouge,cesontsesyeux,quivontetviennententremonvisageetletatouagedontilvientdedécouvrirl’existence.
—Qu’est-cequec’est?Jen’arrivepasàdires’ilestencolèreounon.Cequiestsûr,c’estqu’ilestsouslechoc.—Unmerlebleu.Commel’oiseauqu’onavaittrouvé.Ilestminuscule,surunebranchesuffisammentbassepourpasserinaperçue,mêmequandjesuis
en maillot de bain. Le corps de l’oiseau est composé d’une clé de sol et des notes de musiques’envolentdesesailes.
—Qu’est-cequeçaveutdire?Quejet’aime.—Çareprésenteunepartiedecequejesuis,Gavin.Unepartiedemoiquejen’auraispeut-être
jamaisdécouvertesijenet’avaispasrencontré.Lapartiequibalancedesbouteillesdeverrecontreunmur justepour lesentendreexploser,cellequicourtdehorsethurlequandelleest frustrée,qui
jouedelamusiquepoursesentirexister.Etlapartiequiétrangleratamèreavecungrandsouriresielles’avisedetefairedumaldenouveau.
Lemoinsqu’onpuissedire,c’estqueçanesepassepasdutoutcommejel’avaisprévu.Onestloindespremièresscènesd’amourfaçonfilmshollywoodiens.
Tout ça est bien trop profond et sérieux, et je ne veux pas que la réalité dure et froide nousrattrape.Jeveuxcrier,pleureret l’embrasser jusqu’àcequesabouchesaigne.Jeveuxrevenirà lafoliedoucedespréliminairesquiontbienfaillifaireentrermoncorpsenlévitationilyaquelquesminutesencore.
—Pourquoitut’esfaittatouerça?—Parcequetufaispartiedemoi.Depuistoujours.Ilnerépondrien.Ilsecontentedemedévisagercommes’ilréfléchissait,puissesyeuxrestent
fixéssurmontatouagependantuneéternité.Quandillesrelèveenfin,jelisdanssonregardqu’ilacompris.Ilaenfincomprisetunéclatde
douleurilluminesespupilles.—Jeneméritepasdefairepartiedetoi,dit-ild’unevoixéraillée.Tuestropbienpourmoietje
ne…Jet’aiditdenepastomberamoureusedemoi.—Tumel’asditdixanstroptard.Là-dessus,jel’embrassepassionnémentet,àmongrandsoulagement,ilmerendmonbaiser.Enfin, l’explorationdemes tatouages est terminéeet les chosesont repris leur coursnormal.
Gavinestdenouveauavecmoi,sabouchem’embrasedèsqu’ellem’effleureetjesenslesmusclesdesoncorpssecontracterau-dessusdemoi.Noussommespeaucontrepeau,noslanguesetnosdoigtssetrouventetseretrouventsanscessedanslasemi-obscurité,aumilieudenossoufflesentrecoupésetdenosgémissements suppliants. J’enfoncemesonglesdans sondosquand je sens sonsexepressécontrelemienetjesuspensmonsouffle.Jesuisprête.Tellementprêtequej’aimalàdesendroitsquejesuisincapabled’atteindre.
—Ilvafalloirqu’onralentisse,Bluebird,dit-ilens’écartant.Ilexaminedenouveaumestatouagesetsafossetteapparaît.Peuimportequ’ilnesoitpasprêtà
me l’avouer ou à se l’avouer à lui-même : il les aime.Son sourire parle pour lui. Je retiensmonsouffle en levoyant s’agenouiller entremes cuisses. Il caressemonnombril duboutdesdoigts etmoncœurbonditdansmapoitrine.
—Gavin.S’ilteplaît.Jen’enpeuxplus.—Jesais,mabelle.Onyvient,jetelepromets.Ilembrassel’intérieurdemescuisses,lesécarte,etcettefoisc’estofficiel:jenerespireplus.Je
nepenseplus.Jenesuispluscapabledumoindremouvement.—Rienquede te respirer, çame rend complètement fou. J’ai envie d’ouvrir la fenêtre et de
crieraumondeentierquetum’appartiens.Enfin,salangueestsurmoietjepousseuncri,sifortquejepourraispresquecroirequec’est
quelqu’und’autrequiahurléàmonoreille.—Pourquoituasaussibongoût?Jesuisfoutu,dit-ilenenfonçantsesdoigtsdanslachairde
mescuisses.Tonodeurvafinirparmerendrecinglé.Jevoudraisluirépondrequelquechosedespiritueletsexy,maisj’ensuisincapable.Toutesmes
tentatives se soldent par des gémissements inintelligibles.Quand il glisse un doigt enmoi et qu’illèchemonsexebrûlant,jepousseunnouveaucrietjemanquedepeud’arracherlesdraps.
—Gavin!
Ilmelèchesansrépitetunflotdebruitsincohérentss’échappedemabouche.Jenesaismêmepascommentmoncorpsestencoresurlelit.J’aiplutôtlesentimentqu’ildevraitêtreenorbiteautourd’une galaxie très lointaine. Un tourbillon de plaisir m’emporte avec une telle violence que j’ail’impressionquejevaismebriserenmillemorceaux.
—Dis-leencore.Jeveuxl’entendrequandtuvasjouir.—Direquoi?—Monnom.Jeveuxentendremonnomsortirdetajoliebouche.Dis-le,mabelle.Ilmelècheunenouvellefoisavantd’aspirermonclitorisentreseslèvres.Jevaism’évanouir
s’il continue comme ça. J’essaie de serrer les cuisses, mais je n’en ai pas la force, je suiscomplètementdominéeparleplaisirquiprendpossessiondemessens.
Iltented’ajouterundeuxièmedoigtaupremier,maismesmusclessonttellementcontractésquec’estimpossible.Ilretiresamainetcaressemapeauchaudeethumideavantd’essayerànouveau.
—Gavin!Lecrim’échappequandjesensleboutdesesdoigtsentrerenmoi.S’ilteplaît.—Détends-toi,mabelle.Ouvre-toipourmoi.Soudain,c’estcommesiundéclics’effectuaitenmoi,etl’instantd’aprèsjesenssesdoigtsaller
etvenir.Ilrecommenceàléchermonclitorisetjesenslapressionmonterenmoietmesubmergertandisquejedécolledeplusenplushaut.
Sesdoigtsserecroquevillentenmoieteffleurentunpointdontj’ignoraisjusqu’àl’existence.Lasensationestsifortequej’ail’impressionquejevaisexploser.Unbrasierm’entoureetmeréduitencendresdansunfeud’artificenoir,rougeetbleuquisetransformeengrandelumièreblanchetandisquejebasculedanslevide.
—Vas-y,mabelle.Jouispourmoi.Jemecontorsionneetjegémistandisqueleplaisirmetransfigureetmetranscendependantce
quimeparaîtêtreuneéternité.—Situtecontractesautantàchaquefoisquetujouis,jevaisfinirauxurgences.Quand Gavin retire enfin sa main, il se lèche les doigts, comme si c’était la chose la plus
délicieusedumonde.Cettevisionm’excitetellementqu’ilnem’enfaudraitpasbeaucouppluspouravoirunnouvelorgasme.
Achaquefois?Parcequ’onn’apasterminé?C’étaittellementbonlapremièrefoisquej’ailesentimentd’avoirrêvé.L’étonnementdoitseliresurmonvisagecarGavinmesourit.
— Ma jolie petite Bluebird, parce que tu croyais qu’on allait s’arrêter là ? dit-il avec unecompassiontoutefeinte.Ça,c’étaitjustepourdétendrel’atmosphère.Onnefaitquecommencer.
Ilsepenchesurmoietm’embrasseàpleinebouche.Jedécouvremonpropregoûtsurseslèvreset je frissonne de plaisir. C’est obscène, intense et délicieux à la fois. Si enivrant que je n’auraisjamaiscruçapossible.
Peuimportecequ’iladviendra,personnenepourranousretirercetteintimitéqu’onestentraindepartager.Cesouvenirseramontrésor,quejechériraidetoutmoncœur.Lesouvenirdelanuitoùj’aitenuuneflammeentremesdoigts.
22
—Jenevaispastementir,mêmeexcitéecommetul’es,turisquesd’avoirmalaudébut.Tuessuper-tendue.
Gavin se penche pour attraper quelque chose dans la poche de son jean. J’observe ses doigtstandisqu’ildéchirel’emballagecarréetdéroulelepréservatifsursonsexeavecdextérité.
—Jeprendslapilule.Eteuh…jen’aipasdemaladiesoudetrucsdecegenre.—Depuisletempsqu’onestsurlarouteensemble,jesaisquetuprendslapilule,mabelle.Etde
moncôtéjefaisdesdépistagesrégulièrementetjemeprotègetoujours.Maisjeconnaisdestypesquiont fini papas alors qu’ils auraient pu jurer que la fille n’oubliait jamais un comprimé, alors jepréfèrequ’onfasseattention.Jeneveuxsurtoutpastefairedutort.
Ilmecaresselajoueetjefermelesyeuxl’espaced’uninstant.—Est-cequetusaisseulementàquelpointtucomptespourmoi?L’envie de pleurerme prend complètement par surprise. Je cligne des yeux pour retenirmes
larmesetjeleregardesansriendire.J’aienviedeluirépondrequejel’aime,quejesuisamoureusedeluietquejel’aitoujoursété.Maisjesaisqu’ilneveutpasentendrecegenrededéclarationsencemoment,alorsjehochedoucementlatêteetjeserrelesdentsjusqu’àcequemeslarmessetarissent.
—Montre-le-moi,danscecas.Fais-moivoiràquelpointjecomptepourtoi.—Avosordres,dit-ilavecunclind’œil.Ilsepencheau-dessusdemoietj’arqueledos.Quandjesenssonsexedurentremescuisses,un
gémissements’échappedemabouche,qu’ilétouffeavecunbaiser.— J’aurais aimé t’emmener dans une chambre plus belle que celle-ci. Tu mérites tellement
mieuxqueça.—Iln’yaquetoiquim’intéresses.Jemefichedequand,oùetcomment.C’esttoiquejeveux,
riendeplus.—Jesuistoutàtoi,dit-ilenpressantl’extrémitédesonsexecontrelemien.Pourcesoir,dumoins.Lesmotssontapparusdansmatêteenunefractiondeseconde,maisje
décidedelesignorer.Jerefusequel’amertumeprennelepassurlereste.Pascettenuit.Enlesentantsiprèsdemoi,toutmoncorpssecontracteetjesuisaussiimmobilequ’unestatue.
—Respire,mabelle,chuchote-t-ilàmonoreille.Jevaisyallerdoucement,jetepromets.Ledésirmonteenmoi,unpeuplusdévastateuràchaquefoisquesapeaufrôlelamienne.Son
torsenueffleureencoreetencore lapointedemesseins,quine tardentpasàdurcir.Jesuissur lepointdeluidiredenepasyallerdoucement,deprendrepossessiondemoietdefairecequ’ilveutde
moncorpstoutelanuitsiçaluichante,maisjen’enaipasl’occasion.Ilglissesonsexeenmoietjenesuisplusenmesuredeformulerlamoindrephrasecohérente.
Mes ongles s’enfoncent si fort dans ses épaules qu’il va sûrement avoir des griffures.Néanmoins,àentendrecommentilgrogne,ilal’aird’aimerça,alorsjenemeretienspas.
Ils’aventureunpeuplusloin.Mesmusclessecontractentautourdeluietjesenstoutmoncorpsquipalpitetandisquej’essaiedel’accueillir.
—MonDieu,Gavin.Tuessi…Jemesenstellement…—Tellementquoi,mabelle?Savoixgraveetrocailleusem’enivreetfaitbouillonnermonsangdéjàbrûlantdansmesveines.—Entière.Commesitumecomplétaisàmesurequetuentresenmoi.Ilgrogneetplaqueseshanchescontrelesmiennes.—Doucement,majolie.Situcontinuesàdiredeschosescommeça,onvaavoirfinibienplus
tôtquecequej’aiprévu.J’écarte un peu plus les jambes, je prends une grande respiration, et mes muscles semblent
finalementsedétendre.Moncorpsacceptedel’accueilliretilcommenceenfinàbougerenmoi.—Jen’aipasenvied’attendre,Gavin.Jeveuxtesentirjouirenmoi.—Arrête.S’ilteplaît,arrêtedeparler.Lapointedevulnérabilitédanssavoixnemedonnequ’uneenvie.Celledecontinuer.—J’attendsçadepuisuneéternité.Çafaitsilongtempsquej’avaisenviedetoi.Çadépassetout
cequej’avaisimaginé.Ilme pénètre plus profondément et je gémis bruyamment. C’est comme si unmur venait de
s’effondrerpourrévéleruntrésorcachédepuisdesannées.—C’esttellementbon,Gavin.Continue,viensplusprofond.J’adoretesentirenmoi.Ilm’attrapelespoignetsetlesplaquedechaquecôtédematête,sesyeuxlancentdeséclairs.—Arrête.De.Parler,ordonne-t-il.—Oualorsquoi?—Oualors je te collemamain sur la bouche et je te prendsbienplus fort que ceque tu es
capabled’encaisser.Oui,s’ilteplaît.Toutmoncorpssecontractefurieusementàcetteidéeetunsourirenaîtsurmeslèvres.—Çanemefaitpaspeur.Vas-y,Gavin.Prends-moiplusfort.Il m’assaille plus sauvagement que jamais et je pousse un long cri, qu’il étouffe en
m’embrassantavecfougue.—Tuvoiscequiarrivequandtunefaispasceque je tedis?Alorsmaintenantsoisgentille,
sinonjevaisdevoirtemettrelafessée.—Envoilà,unebonneidée.Jefaisexprèsdemecontracteraussifortquepossibleetilretientsonsouffle.—Bonsang,Dixie,arrêteça.Jepeuxàpeinerespirer.Sesmotséveillentuneespèced’espritdecompétitionenmoi.Cesoir, avec lui,dansce lit, je
veuxêtrelameilleure.Jedoisêtrelameilleure.Jeveuxêtrecellequ’ilnepeutpasoublier,celledontiln’arrivepasàserassasier.Celledontilnepeutpasseséparer.
Je me contracte encore plus et je trace une ligne de baisers sur son torse et dans son cou.L’instantd’après,iltitillemestétonsavecsalangueetj’arqueviolemmentledos.Iltienttoujoursmespoignetsfermementau-dessusdematête,etnepaspouvoirlecaresserestunevéritabletorture.
—Laisse-moitetoucher.Lesmotsm’échappentdansunsouffle.—Dislemotmagique.—S’ilteplaît.Jepousseuncrialorsqu’ilseretirepresqueentièrement.Enfin, il lâche mes mains et je peux passer mes bras autour de son cou. Instinctivement,
j’enrouleaussimesjambesautourdeluietjel’attireplusprofondémentenmoi.Unepressiondélicieusemonteenmoi,cellequiveutdirequel’orgasmeestproche.Unetension
folleenvahitmonventreetgranditàchaquefoisquelesexedeGavinvaetvientcontrelemien.—Détends-toi,mabelle.Neréfléchispas.Laisse-toialler.Jenesaispascommentilfait,maisilal’airdelireenmoientempsréel.Ilchangelerythmeet
adopteunecadenceplussoutenuequinevapastarderàavoirraisondemoi.—Jeveuxt’attendre,Gavin.Jeveuxtesentirjouirenmêmetempsquemoi.—Jeviens,mabelle.—Embrasse-moi.Ilsouritavantdem’obéir,etjeprendspossessiondesaboucheaveclamêmeaviditéquecelle
aveclaquelleilprendpossessiondemoncorps.Ilgémitcontremeslèvreset,àl’instantoùjelesenstressaillirenmoi,jelâcheprise.Unocéan
déchaînédeplaisirm’emporte et nos corps ondulent violemment, lesmains deGavin agrippent sifortmeshanchesquejevaissûrementavoirdesbleus.Jepousseuncridigned’unanimalsauvageetdesserrel’étreintedemesjambesautourdeseshanchestandisquejedérivetoujoursplusloin.
Gavinestencoreentraindebougerenmoiet,àmagrandesurprise,unsecondorgasmesuitlepremier.C’estuntelouragand’émotionsetdesensationsquejesuistotalementincapabled’analysercequisepasse.J’aibeauneplusêtreviergedepuisunmoment,jen’aijamaisrienvécudepareil.Lesorgasmes interminables, les ondes de plaisir qui vous laissent tremblante et ahurie, je n’ai jamaisconnuça.Gavinglissesamainentrenosdeuxcorpspourpressersonpoucecontremonclitorisetjecriedenouveau.Lavagueestplusdoucecettefois,etvientmecaresseraveclangueurjusqu’àcequej’atteignel’extaseabsolue.
Jevaismourir. Je suis en traindevivremesderniers instants surTerre, et jen’auraispaspurêverd’uneplusbellefin.
Jenepeuxqueprononcer«C’esttropbon»dansunflotdemotsincohérentetininterrompu.JesenslesoufflechauddeGavindansmonoreille,maisjenecomprendspasimmédiatementcequ’ildit.
—Tuestellementbelle.Tellementparfaite.Ilreprendsonsouffleetm’achèveavecunedernièredéclaration.—Tum’astué,Bluebird.Jesuisfoutu,murmure-t-ilavantdes’écroulersurmoi.
23
Jesuisentrainderêver.Dumoins,jecrois.J’étaisenhautd’unefalaiseetjesuistombéedansl’eauencontrebas.Lecourantesttropfortet
ilm’empêchederemonteràlasurface.Jesuissousl’eaudepuisuneéternitéetjesaisquejenevaispaspouvoir tenirencore longtempscommeça.Jecommenceàpaniquer,mais l’eauautourdemoiétouffemescris.Jusqu’àcequelamusiquecommenceàjouer.
Le sonduviolon, joué avecunegrâce et un talent surnaturels,me ramène à la surface etmepoussejusqu’aurivage.Jeregardeautourdemoi,àlarechercheduvirtuosequivientdemesauverlavie,maisjenevoispersonne.
Jememets à courirmaladroitement, gênée par le sable qui se dérobe sousmes pieds. Puis,enfin, je l’aperçois. Ilme tourne ledoset iln’estpasen trainde jouerduviolon. Ilesten traindefairel’amouràunefemme.
LesmusclestatouésdeGavinsecontractentàchaquefoisqu’ilbougeetlafemmedanssesbrascrie,mais j’ignore si ce sont des cris dedouleur oudeplaisir. Je fais quelquespas vers eux et jeparviensàdistinguersonvisage.
C’estmoi.Soudain, un incendie se déclenche autour d’eux. Ils sont la proie des flammes et je veux les
aider,maisjenepeuxpasbouger.Jesuisclouéesurplaceparuneforceinvisible.Jesensmaboucheetmespoumonss’emplird’eaudenouveau.J’essaiedeleurdemanders’ils
me voient, de les prévenir qu’ils vont brûler, mais plus je tente de crier, plus mes poumons seremplissentdeliquide.
—Dixie?Gavinarrêtedecaresserlafemmedanssesbrasetmedévisage,ahuri.—Bluebird,est-cequeçava?Ilmevoit.J’ouvrelesyeux.Jenesuispassousl’eau.Jesuisdansunechambred’hôtel.Jesuisdanslesbras
deGavin,entraindelutterpourreprendremonsouffle.Jenesuispasentraindecouler.Toutvabien.—Dixie,mabelle,tuvasbien?Jehochefrénétiquementlatête,marespirationtoujoursentrecoupée.—J’aifaituncauchemar.—Tum’asfoutuunedecestrouilles.Tufaisaisdesbruitsbizarres,commesitut’étouffais.
Jemelaisseallerdanssesbras.—Désolée.Onétaitensemblesuruneplage,maisensuiteonétaitséparésetjemenoyais.Ilmeserredanssesbraset jecollema jouecontreson torse.Jepeuxentendre lesbattements
réguliersdesoncœur,quimebercentetm’apaisentprogressivement.—C’étaithorrible. Je savaisque j’étais en trainde rêveret, enmême temps, c’était tellement
réel…—Jepeuxt’assurerquetuesréveilléeàprésent,etmoiaussi,d’ailleurs.Avecunsoupirdesoulagement,jelaisseglissermamainsursonventremusclé.Onestencore
nus.Jedescendsplusbaset,quandjeprendssonsexedansmamain,ildurcitpresqueinstantanément.—Ondevraitpeut-êtres’assurerqu’onn’estpasentrainderêver?—Jepensaisplutôtprendreunedouche,àvraidire.Commej’étaisàmoitiéendormi,jecrois
quej’aifaitunpeun’importequoienretirantlepréservatif.Tuveuxtejoindreàmoi?Voilàuneoffrequejenepeuxpasrefuser.Nos corps ont dû se transformer en aimants pendant qu’on faisait l’amour (ou qu’on se
déchaînaitcommedesbêtes,jenesaispastrop),caronsembleincapablesd’arrêterdesetoucher,neserait-cequeletempsd’alleràlasalledebains.Quecesoitsonbrasautourdemataille,samaindansmondosouencoredansmescheveux,ilyaconstammentunpointdecontactentrenous.Impossiblede résister plus longtemps, alors je prendsmon courage à deuxmains et je l’embrasse.Même si,techniquement,çan’entrepasdansnotreaccord.Etc’estavecunetimiditénouvellequejerelèvelatêteverslui.
—Jepeuxmegoûtersurteslèvres.Ilmesouritenmettantladoucheenrouteetlaflammedudésirs’allumedenouveauaufondde
sonregard.—Ahoui?Çadoitêtreunvrairégal,alors.Jusqu’àcesoir,jepensaisquemonparfumpréféré
étaitlaglaceàlaframboisequej’avaisléchéesurtonventre,maismaintenant…Ilfaitunepauseetregardequelquechosepar-dessusmonépaule.—Maintenant,jepeuxdireentoutehonnêtetéquec’esttoimonparfumpréféré,DixieLark.Jefrémisdedésirtandisquelavapeurd’eaunousentourepetitàpetit.Jepivotepourvoircequi
a attiré son attention et j’aperçois notre reflet dans lemiroir presque entièrement couvert debuée.Avecnostatouages,onauraitpresquel’aird’unepeintureérotique.
—Onvabienensemble.LeregarddeGavincroiselemiendanslemiroiretilhochelatêteimperceptiblement.Ilpasse
son bras autour dema taille et glisse immédiatement unemain entremes cuisses tandis qu’il mecaresselapoitrinedesonautremain.
—Gavin.Continue.S’ilteplaît,n’arrêtepasdemetoucher.N’arrête jamaisdeme toucher serait plus exact,mais il n’a pas l’air d’avoir besoin ni envie
d’uneclarification.Ilsemetàmordilleretlécherlelobedemonoreille,etmesyeuxrestentrivéssurnotrereflet.
—Ecartelesjambes.S’ilteplaît,murmure-t-ilenvoyantquejenebougepas.—Puisquetudislemotmagique…Jem’exécuteetilmetouchesansattendre.Sesdoigtsvontetviennentenmoi,etlesmotsqu’il
susurreàmonoreillefontdurcirlapointedemesseins.—Bonsang,mabelle,tuesdéjàtrempée.Je veux bien le croire. Rien que le fait de voir son bras se contracter chaque fois qu’il me
caressemedonneenviedejouir.
—Jenevaispasréussiràtenirdeboutdansladouche,situcontinuescommeça.—Tuveuxquej’arrête?Il nebougeplus et je sens son sexe en érection contremes fesses. Je secoue la tête, toujours
fascinéeparnotrereflet.—Non.Jeveuxjustem’assurerqueçanetedérangepasdedevoirmedonnerlebain.—Aucontraire,Bluebird.Ceseraavecplaisir.Ilmesouritpuisdétachesonregarddumienpourm’embrasserdanslecou.Sesbaiserssuivent
lemêmerythmequesescaressesetjegémisdeplusenplusfortàmesurequelapressionaugmente.—Bonsang,Gavin.Ma voix est sur le point de se briser, un peu comme le reste de mon corps, à vrai dire. Je
m’arqueviolemmentcontreluietilresserresonétreinte.—S’ilteplaît,Gavin.Apartcessupplications,jenesuisplusenmesuredeformulerlamoindrephrasesensée.C’est
tellementbon,tellementincroyable,tellementpuissantque,sijen’avaispasuneconfianceabsolueenGavin,çameferaitpeur,jecrois.
Ceconstatmefaitpresqueautantd’effetquel’orgasmequimesubmergesoudain.C’estpourçaquec’estsidifférent,siviolentetsibouleversantaveclui.C’estpourçaquec’estinfinimentmieuxquetoutcequej’aiconnuoutoutcequejepourraisconnaîtreavecunautre.C’estparcequejeluifaisconfiance,quejel’aimedetoutemonâmeetquejem’abandonnetotalementàlui.
Une fois le point culminant dema jouissance passé, je reprends doucementmes esprits.MonregardrencontreceluideGavindanslemiroiretjepeuxpratiquementliredanssespensées.
—Tun’arrivespasàtedécider,c’estça?Est-cequ’ondevraitprendreunedoucheouest-cequetuferaismieuxdemepencherpar-dessuslelavaboetdemeprendrejusqu’àcequejem’évanouisse?
—Jedoisdirequej’aiadorétevoirjouirdanslaglace,répond-ilavecunsourirediabolique.Rienqued’imaginertonvisagependantquejeteprendspar-derrière…jepeuxmourirheureux.
Je fais de mon mieux pour me plaquer contre lui, en dépit de mes jambes tremblantes.Heureusementqu’ilmetienttoujoursparlataille,autrementjeseraisdéjàparterre.
—Mais,apparemment, lesminutesqui te restentavantde t’écroulersontcomptées,ajoute-t-ilavecunclind’œil.
—Aladouche,alors.Ilm’entraînedanslacabineembuéeetmelavelescheveuxavecunedélicatesseinfinie,comme
sij’étaisunepoupéequ’ilavaitpeurdecasser.Je trace lescontoursd’undeses tatouagesduboutdesdoigts.C’est lemélanged’unéclairet
d’unenotedemusique,justesursapoitrine.—Jemesouviensdecelui-ci.Tul’asfaitquandjesuisrentréedeHouston.—Oui,auBlackLotus.Jemesouviensaussi.Ils’emparedupommeaudedouchepourmerincerlescheveuxetjefermelesyeux.— Je croyais que tu te faisais toujours tatouer chez Jinxed Ink. Je ne t’ai jamais demandé
pourquoituétaisalléailleurs,cettefois-là.— Je vais là oùXander va.C’est lui qui fait tousmes tatouages, et le patron deBlackLotus
l’avaitinvitéàtatouerchezluicesoir-là.Gavin ne fait confiance à personne d’autre qu’àXander Erikson. C’est peut-être pour ça que
c’estluiquiafaittousmestatouagesaussi.IlaaussiexécutéceuxdeDallas:notrenomdefamilleàl’intérieurdesonavant-brasdroitet laguitaresursonavant-brasgauche.Soudain, j’aienviede ledireàGavin.
—C’est luique jesuisalléevoirpour lesmiens.Je luiaipratiquement fait jurersur toutesafamilledenerientedireavantderéaliserlemerlebleu.
—Comptesurmoipourluibotterlesfessesenrentrant.—Arrête,tul’adorescetatouage.Ilnerépondpasàmataquinerie.Aulieudeça,ilmefaitreculerdoucement,jusqu’àcequeje
meretrouveledoscolléaumurdelacabinededouche.J’ouvrelabouchepourluidemanders’ilestvraimentencolèrepourletatouage,maisjesuis
distraite par la vision de son sexe, dressé entre ses jambes. Un flash de désirm’aveugle : j’ai denouveauenviedelui.
—Tuasraison,dit-ilensemettantàgenouxdevantmoi.Ilestmagnifique.Jeme sens défaillir à la seconde où il pose sa bouche surmon tatouage. Jem’agrippe à ses
cheveuxet,pendantuninstant,jecroissavoircequivasepasserensuite.Maisàmagrandesurpriseils’écarteetcaressedoucementlepetitoiseaugravésurmapeau.
—Magnifique,répète-t-ildoucement.—Merci.Xanderestvraimentdoué.J’airépondudansunsouffle,troubléeparsonregardintense.—Tuasdûenlevertaculotte?Ilestvisiblementjalouxetjesecouelatête,àlafoistouchéeetamusée.—Non.J’aijustebaisséunpeumonjean.Enfin,j’aiaussidûécarterletissudemaculotte,mais
ilaétéunparfaitgentleman.—Aucuneimportance.Jevaisquandmêmeluicasserlesdents.—Quiferatestatouages,après?Ilpenchelatêtesurlecôté,amusé.—Tupensesquejedevraisenfaired’autres?—Monnomsur les fesses,pourcommencer.Etunautresous lenombrilavecuneflèchequi
pointeverslebasetl’inscription«BienvenueàDixieland».Enfin,laflèchen’estpasobligatoire.Ilritetm’embrassesurlahanche.—Tuvast’enfaireunpourmoi,alors?Sonsoufflechaudmechatouilleetjegémisalorsqu’ilnemetouchemêmepas.—J’enaidéjàunpourtoi.Je l’ai dit dansunmurmure car,même s’il connaîtmon secret,même s’il avu le tatouageet
qu’ilm’afaitl’amourcommepersonneavantlui,jesuisencoregênée.Entrelarosenoireetl’oiseau,onnepeutpasdirequecesoitdiscret.Acestade,jepourraistoutaussibienavoir«JET’AIMEAFOND,GAVINGARRISON»tatouésurlefront.
—C’estvrai.C’estmoiquit’endoisun,alors.Etpeut-êtremêmeplusieurs.Avantque j’aie le tempsde répondre, ilplaquesa languesurmonsexeet jepousseuncride
surpriseetd’extase.Puisilaspiremonclitorisetjenesuisplusqu’ungémissementincohérent.—MonDieu,Gavin.—Aprèscettenuit, je t’interdisdeprononcer lesmots«monDieu»ou«bonsang»etmon
prénomdanslamêmephrase.Compris?—Quoi?Jesuistellementexcitéequejenecomprendsrienàcequ’ilmeraconte.—MonDieu,bonsangetGavin.Tunepeuxpluslesdireensembleaprèscettenuit.Jamais.—Pourquoi?
Jet’ensupplie,tais-toietcontente-toidecontinueràmecaresser.Jeseraisprêteàvendreundemesorganesaumarchénoirpourqu’ilsetaiseetrecommenceàmelécher.
—Parcequ’àchaquefoisquejelesentendraijerepenseraiàcemoment.Etrepenseràçaaprèscettenuitrisquedesérieusementmettreenpérilnotreaccord.
Notreaccord.Unenuit.—Ons’entape,denotreaccord,Gavin.Jetejureque,situneterminespastoutdesuiteceque
tu as commencé, je dirai «MonDieu, Gavin » chaque fois que je te verrai.Même à lamesse ledimanche.
Ilmedécocheunsourireterriblementséduisantetlégèrementmoqueur,maisilnerépondpas.Puisquec’estça…
—Tusaisquoi?Jem’enfiche.Jepeuxmedébrouillertouteseule.Sans lui laisser le tempsde réagir, jeglissemamainentremes jambeset jecommenceàme
caresser. Je me force à le regarder droit dans les yeux, jusqu’à ce qu’il détourne les yeux pourobserverlesmouvementsdemesdoigts.
—Çateplaît,mabelle?—Pasautantquetabouche,etcertainementpasautantqueta…main,dis-jeavecunclind’œil.
Mais j’ai une imagination débordante, à force de passer mon temps à t’imaginer en train de metoucher,alorsçadevraitaller.
Jevoisprécisémentàquelmoment ledésirpassedepuissantà incontrôlabledanssesyeux. Ilétait taquinetdouxmais,àprésent, ilestsauvageetdangereux.Exactementcommedans lavoiturequandilaperdusoncalmeavecsamère.Maisjerefusedelaissercesouvenirmeperturberetjemelaisseguiderparmoninstinct.JefaisalleretvenirmesdoigtsdansmonsexebrûlantpuisjelesposesurlabouchedeGavin.
Sansunmot,ilécarteleslèvresetaspiremesdoigtsdanssaboucheenfermantlesyeux.J’aiàpeine le temps de reprendre haleine que je sens de nouveau son souffle et sa langue sur moi.Lorsqu’il l’afait lapremièrefois, lesoirdelaglace,c’étaitdouxetmesuré,maiscettefoisçan’aplusrienàvoir.Jesenssesdentseffleurermachairplussensiblequejamaisetjecriesonnom,maisilnemelaisseaucunrépit.Sesdoigtsrejoignentbientôtsalangueet,lorsqu’illesglisseenmoi,jesombredansungouffresansfond.
Jen’entendsquemescris,mavoixdésespéréequilesuppliedenepass’arrêterendépitdemoncorpsquiseliquéfiesoussescaresses.Jesuisenpleineascensionquandsoudainilselèveetplaquesonsexeentremesjambes.
—Net’arrêtepas,s’ilteplaît…Jeveuxtesentirplusfort.Sanshésiter,ilmepénètreetmeplaquecontrelacabinededouche,puisilsemetàbougeren
moiàunecadenceimpitoyable.Onn’apasmisdepréservatifetjevoisbienquesonespritestpartitrop loin pour se le rappeler. Quant à moi, je suis tellement époustouflée par la sensation que jen’arrivepasréellementàmesoucierdesconséquences.
J’enroulemes jambes autour de sa taille et jem’agrippe à son corps puissant comme à uneplanchedesalut.Sionglisse,onrisquedeseretrouveravectoutuntasdefracturesqu’onauraitunmalfouàjustifier,maisleplaisiresttelquejemefichepasmald’êtreplâtréedespiedsàlatête.
Il fait l’amour comme il joue de la batterie. Il s’abandonne, il se donne corps et âme, sanscompter.Sabouchecouvrelamienneetladévoreavidement,sanstoutefoisparveniràétouffermescris etmes supplications.Mon orgasme est bien trop violent pour être silencieux et je plantemesonglesdanssondospendantqu’ilgrogneférocement.Enfin,latempêtedeplaisirquisedéchaîneen
moidiminuepeuàpeu,jusqu’àneplusêtrequ’unevaguesensationdebien-être.Toutmoncorpssedétendd’unseulcoupetjem’affalecontreGavin,àboutdeforces.
Ildesserresonétreinteetmereposesurlesol,toutengardantunbrasautourdemataillepours’assurerquejetiensdebout.Puisilmefaitpivotersurmoi-mêmeetilouvrelerideaudeladouche.Uncourantd’airfraisnousenveloppeetj’aperçoisnotrerefletdanslemiroir.Deboutderrièremoi,Gavinal’aird’êtresurlepointdenefairequ’unebouchéedelapauvrepetitechosesansdéfensequejesuis.Jemelaisseallercontreluietposemamainsurlasienne,suivantsesmouvementstandisqu’ilmecaresseleventre.Jesaisexactementàquoiilpenseetj’enaiautantenviequelui.
Ilétreintmeshanchesetj’écartelesjambessansattendrequ’ilmeledemande,cettefois.Alors,ilmeprendetjelaissematêteretombercontresontorse,délicieusementétourdie.Duboutdesdoigtsilcommenceàdécriredescerclesdiaboliquesautourdemonsexe,aumêmerythmequesescoupsdereins.Jefermelesyeux,maisilposelesmainssurmesépaulesetmesecouedoucement.
—Ouvrelesyeux,Bluebird,ordonne-t-iltoutbasdansmonoreille.Jeveuxqueturegardes.Jeveuxquetuvoiesl’expressionsurmonvisagequandtumefaisjouir.
Sesmotssuffisentàm’embraseretjegardelesyeuxfixéssursonrefletpendantqu’ilmeprendpar-derrière.Lavisiondenosdeux corpsdans cette position, totalement exposés et connectés à lafois,esttellementexcitantequejesaisquecetteimageresteragravéedansmonespritjusqu’àlafindemesjours.
—Ilfautquejemeretire,mabelle.Jen’aipasmisde…—Non!Instinctivement,j’agrippesesmainspourlesramenersurmoi,enmecontractantautourdelui.—Jeveuxtesentir,Gavin.Jeveuxquetusoisencoreenmoiquandonaurafini.Ilnerépondpasetrestederrièremoisansbouger,alorsjemecontractedetoutesmesforces.Si
cettenuitesttoutcequ’onvajamaispartager,jen’aipasletempsdejouerlespetitesfillestimides.Jen’aipasletempsderéfléchiroudejouerlasécurité.Etjeneveuxpas.
—Vas-y,Gavin.Laisse-toialler.Jeteveuxenmoidetouteslesfaçonspossibles.—Etmerde,siffle-t-ilàmonoreille.Ilseremetàbougeretjel’entendsgrognerentresesdentsserrées.L’espaced’uneseconde,mes
piedsnetouchentpluslesolalorsqu’ilmeprendavecunevigueuretunevitessesurnaturelles.Enfin,iljouit.Mais,aulieudeseconcentrersursonplaisir,iltrouvedenouveaumonclitorisetmecaressecommes’ilsavaitexactementcommentj’aimeêtretouchée.Ilnemefautpaslongtempspourbasculeraveclui.Toutmoncorpssetend,commesijevoulaism’écarterdeluietfusionneravecluienmêmetemps.
J’ail’impressionqu’unincendiemedévoreetmeréduitenpoussière.Unepartiedemoiacceptequecesoittoutcequej’obtiendraijamaisdelui,maisuneautrepartierésisteetrefusedesecontenterdeça.Cetteautrepartieenveutplus.Encoreettoujoursplus.
Sonregardcroiselemiendanslaglaceetjevoisqu’ilestenproieaumêmedilemme.—Jenet’aipasfaitmal?Jen’aijamais…Il s’interrompt pour m’embrasser sur l’épaule et prend une grande respiration avant de
continuer:—Çan’ajamaisétécommeça,confesse-t-il.Ilm’embrassedanslecoucettefoisetmeserreplusfortdanssesbras.—Çava,DixieLeigh?—Tum’ascomplètementanéantie,Gavin.Jenesuisplusbonneàrien.
***
Lapremièrepenséecohérentequimevientà l’espritestqu’ilm’abordée.Epuiséeetàmoitiéendormie, jemerappellevaguementcequis’estpassé.Aprèsm’avoirdonnéplusdeplaisirque jen’en aurais jamais imaginé, il s’est occupé de moi, il m’a lavée, puis il m’a enroulée dans uneserviette et il m’a portée jusqu’au lit. Je crois que je suis toujours enveloppée dans la serviette,d’ailleurs,oudumoinsenpartie.
MatêtereposesurletorsepuissantdeGavinetsoncorpsesttellementbrûlantquejetranspire.Néanmoins, je reste là, blottie contre lui, et je profite de ces derniers instants, bercée par sarespiration.
Notrenuitensembleaété…Elleaététoutuntasdechoses.Saufqu’onn’apasparlédelasuiteetquejenesaismêmepass’ilyenaune.Jemeredresseetprendsappuisuruncoudepouradmirerlabeautéensorcelantedesonvisage.Unedouleur familièresurgitdansmapoitrine,commepourmerappelerque,peuimportecequis’estpasséentrenouscettenuit,ilnem’appartientpas.Iln’appartientàpersonne.Ilatoujoursétéunloupsolitaire.IlasimplementfaituneexceptionpourDallasetmoiquandiladécidéqu’onpouvaitsejoindreàlui.
Al’épierainsidanssonsommeil, j’aipresquel’impressiond’êtreunpervers,maisjenepeuxpasdétachermonregarddelui.C’estplusfortquemoi.Commecequej’éprouveàsonégard.
TomberamoureusedeGavinGarrisonestarrivésansquej’aiemonmotàdire.J’imaginequec’étaitinévitable,toutsimplement.Ilatrouvéunefailledansmoncœuretilestentré,d’abordsurlapointedespieds.Sansque jem’en rendecompte,mes sentiments se sontprogressivement insinuésdans toutes les cellules de mon corps, jusqu’à devenir partie intégrante de ce que je suis. MêmelorsquejesortaisavecJaggerd,c’étaittoujourslà.Etmêmesiunjourjememarieavecunautreetque j’aieavec luidesenfantsque j’aimede toutmoncœur,monamourpourGavinGarrisonseratoujourslà.
C’estunpeucommemesyeuxbleus,mescheveuxbrunsou la tachederousseursur l’ailedemonnez:jedoisvivreavec.Jenepeuxpascontinueràlutterouàessayerdelecachercommejel’aitoujoursfait jusqu’àmaintenant.Mêmesicequis’estpassécettenuitnemèneàrien,mêmes’ilneressentpaslamêmechosequemoious’ilsecroitincapablederessentirlamêmechose,jenepeuxplusfairesemblant.Pasaprèscequ’onavécuensemble.
—Jet’aime,Gavin.Jemurmurecontresontorseetsarespirationconservelemêmerythmerégulier,maissesbras
se resserrentautourdemoi. Je relèveunpeu la têteetvoisque sespaupières tressaillent dans sonsommeil.Dequoirêve-t-il?A-t-ildéjàrêvédemoi?
Avantquelesommeilnem’emportedéfinitivement,j’ajoute:—Detoutmoncœur.Pourtoujours.
24
—Debout,marmotte.C’estl’heure.Jem’étireetjebâilleavantd’ouvrirlesyeux.J’aidescourbaturesjusquedanslesorteils.—Bonjour,Bluebird,ditGavinavecunpetitsouriresatisfait.Commenttutesens?—J’aimalpartout.Ettoi?—Moi,jesuisplutôtfierdemoi,jedoisdire,répond-ilensouriantencoreplus.Enfin…plus
oumoins.Jemeredresseetramènelaservietteautourdemoncorpsnu.—Commentça,plusoumoins?—Jeluiaiditquej’avaisdormichezunamicettenuitetquejepassaisteréveiller.Paslapeinededemanderdequiilparle.Jelesaispertinemment.—Onacombiendetemps?Jemeredresselégèrementetlaissetombermaserviette.Aussitôt,Gavinécarquillelesyeuxetsonregardseposesurmapoitrinedénudée.—Pasassez,dit-ild’unairvisiblementcontrarié.—Jevoulaisdirecombiendetempspourmeprépareravantqu’onsemetteenroute.Maission
aaussiletempsde…—Non,mecoupe-t-il.Habille-toi.IlmetendunjeanetunT-shirtblanc,quiestsansdouteledernierhautproprequ’ilmereste.—Dallasestenbas,ilnousattenddanslehall.Etvoilà.Lavie reprenddéjà soncours,commesi riennes’étaitpassé. Je faisdemonmieux
pour ignorer le nœud qui se forme dans ma gorge et je m’habille pendant que Gavin met seschaussures.Uncoupd’œilendirectiondel’horlogem’indiquequ’ilaraison:ilestdéjà7heures;Dallasvoulaitpartirà6heures.
Néanmoins, jenepeuxpasmerésoudreàboutonnermonjeanouàmettremeschaussures.Jen’arrivepasàm’imaginerquittantcettechambreetretournantdansunmondeoùGavinGarrisonnemetouchepas.Oùjenepeuxpasl’embrasserquandj’enaienvie.Jeveuxresterici,danslecocondecettechambrequiabriteetprotègenotresecret.
Letempsestpassétropviteetjenesuispasprête.C’esttroptôtpourquejepuissereléguertoutçaaurangdesouvenir.
J’avancejusqu’àGavinentraînantlamentablementlespieds,chacundemespasalourdiparlepoidsdenotreséparationtouteproche.Illèvelatêteversmoietsoupire.
—Mabelle,on…
—Jeluidiraiquej’aidûprendreunedouche.Cesontlesderniersmotsquejeprononceavantdel’embrasser.Lanuitdernièreoutôtàl’aube,
c’étaitdusexe,delabaise,etc’étaitincroyable.Maiscematin,c’estdifférent.Cematin,endépitdel’heure,onprendtoutnotretempsetonfaitl’amour.
Mesvêtements atterrissent sur le sol à côtédes siens, il se laisse aller contre ledossierde lachaiseetjevienssurluisansunmot.Sesmainsm’accueillentcommeaprèsunelongueabsenceetjemedélectedesachaleurtandisquejecommenceàbougerau-dessusdelui.
Sabouchenequittepaslamienne.Iln’yapasdeparoles,pasdeblagues,pasdemotscoquins.Pasdepromessesnidedéclarations.
Iln’yaquenous.
***
—Onva devoir tracer commedesmalades étant donné queDixie a cru vital de se laver lescheveux.S’ilyadesbouchons,onestmal.
Dallasestencoreentraindeseplaindreduretardquej’aicausépendantqu’onchargelevan.Demoncôté,jeflottedansunesortededimensionparallèleoùriennem’atteint,maisçan’apasl’airdeledécourager.IlfautdirequeDallasn’ajamaisétédugenreàlâcherlemorceau.
—Nonmaisfranchement,Dixie,tucroisquoi?Qu’onpeutsepointerquandçanouschante,àn’importequelleheure?Onnepeutpassepermettredemerder.Uneopportunitépareillenevapasseprésenterdeuxfois.
—Jesuisdésolée.Pasvraiment,enfait.Jenesuispasvraimentdésolée,toutcommejenesuispasvraimentdansce
vanquinousemmèneàNashville.Jesuisencoredansunechambred’hôtelàAustin,avecGavin.UnevoiturenouscoupelarouteetDallasklaxonnefurieusement.—Dégage,abruti!—Ducalme,Dallas,onvayarriver.J’airegardémonGPSetc’estseulement…Ildétournesonattentiondelaroutepourmejeterunregardassassindanslerétroviseur.—Dis-moi, tontéléphonepeutaussiprévoir lesaccidentssur l’autoroute?Oualorspeut-être
que tu as une application qui prédit l’avenir ? C’est un nouveaumodèle dont je n’ai pas entenduparler?
Jefaislagrimace.Jemesenscoupabledenousavoirretardés,danslefond,maissic’estleprixàpayerpourmadernièreétreinteavecGavin,tantpis.
—Non.Jeveuxjustedireque…—Cen’estpasenmerépétantqu’onvaêtreàl’heurequeceseralecas,alorstais-toi,çavaudra
mieux.—Etcen’estpasnonplusenrâlantcommetulefaisqu’onvayarriver,lancesèchementGavin.
Alorslâche-la,maintenant.Dallassetourneversluietjeretiensunsourire.Gavinneprendjamaisparti,ilatoujoursétéle
pacificateurdugroupe.Maiscematin,àvoirleregardqu’illanceàmonfrère,ilachoisisoncamp.Etc’estlemien.
Endépitdelatensionpalpablequirègneentrenoustrois,monfrèresemetàrire.—Ducalme,mec.Tuesdrôlementnerveux,cematin.Jecroyaisquetuavais tiré toncoupla
nuitdernière,pourtant.Tun’asrientrouvéàtemettresousladent?—Çaneteregardepas,mec.
—Excuse-moi,ditDallasenriantdenouveau.Quandtum’asditquetudormaischezunpote,j’enaidéduitque…
—Lark,jeneplaisantepas.Ferme-la.J’enroulemes bras autour demes genoux et j’essaie dem’habituer à l’idée que c’est demoi
qu’ilsparlent,mêmesimonfrèrenelesaitpas.—OK,c’estbon,jelaboucle.C’estbienlapremièrefoisqu’uncoupd’unsoirtemetdansun
étatpareil.Acroirequetul’aimesbien,celle-ci.Tuvasmelaprésenter?Saufsituaspeurqu’elleserendecomptedesonerreuretqu’elletelâchepoursortiravecmoi.
Amicaledel’inceste,bonjour.Endépitdemonenviedemeboucherlesoreilles,jenepeuxpasm’empêcherd’êtreàl’affûtde
laréponsedeGavin.—Jevaisfaireunsomme.Réveille-moisituveuxquejeprennelevolant.Il place son sac contre la vitre pour l’utiliser comme un oreiller et ça s’arrête là. Je lui
proposerais bien de changer de place avecmoi pour qu’il puisse s’allonger,mais sa colère et safrustrationirradient,etjesaisquejeleprendraiaffreusementmals’ilm’envoiebalader.
Ilnemefautpaslongtempspoursombrerdanscedrôledemondeentrel’éveiletlesommeil.Jeme rends vaguement compte que les garçons changent de place quelque part entre Little Rock etMemphis.Ilsmetendentunsacvenantd’unfast-foodquelconque,maisjemerendorset,quandjemeréveilledenouveau,lanourriturearefroidi.
Unpeuplustard,jesensqu’ons’arrêteunefoisdeplus.Lorsquej’ouvrelesyeux,jevoisDallasqui grimpe pratiquement par-dessus Gavin pour repasser derrière le volant. Je me redresse etj’aperçoisunpolicierquisedirigeversnous.Jetented’avoirl’aird’unepassagèreenthousiasteaulieu d’une auto-stoppeuse prise en otage, mais avec mon air endormi je peine à faire illusion.L’officierdemandeàDallassonpermisdeconduireetlacartegriseduvéhiculeavantdes’éloigner.
—Oùest-cequ’onest?—AenvironuneheuredeNashville.DallaslanceundrôlederegardàGavinetmarmonnequelquechosequejenecomprendspas.—Sansdéconner,répondGavin.Iltapotenerveusementsongenoudroitetsembleétrangementmalàl’aise.— Pourquoi vous avez changé de place comme ça ? Tu es sous mandat d’arrêt ou quoi,
Garrison?Jedisçapourplaisantermais,quandilmeregardepar-dessussonépaule,iln’avisiblementpas
enviederire.—Untruccommeça.Jesuissurlepointdeluidemandercequisepassequandlepolicierrevient.Dallasallaittrop
vite,et il luimetuneamende,endépitdesexcusesetdesprotestationsdemonfrère.Lorsqu’onseremetenroute,jereparsàl’attaque.
—Commentça,untruccommeça?—Laissetomber,cen’estrien,ditGavinsansmêmeseretourner.—Sicen’était rien,vousn’auriezpaséchangévosplacesenayant l’aird’êtreaubordde la
crisedenerfs.—Cen’estpaslemoment,melanceDallasavecunregardmenaçant.Un silence pesant s’installe pendant les derniers kilomètres qui nous séparent de Nashville.
Lorsqu’onarriveàl’entréedelaville,ilfaitnuitetjeregardelesnéonsdéfileràtraverslafenêtre.—Onyest,annonceDallas.
Quelquesminutesplustard,onarrivesurleparkingd’unhôtelàlafaçadeimposante.—Mandynousaréservéunechambredanslemêmehôtelqu’elle.Ilfautqu’onsedépêche,ona
moinsd’uneheurepourseprépareretalleraushowcase.—Jenebougepasdecevantantqu’undevousdeuxnem’aurapasexpliquécequisepasse.Entrel’incidentdel’autorouteetl’attitudeétrangedeGavinquandonaétéarrêtéssurlaroutede
Potter,jesuiscertainequecequis’estpassépendantquej’étaisàHoustonestplusgravequecequ’ilsont bien voulume faire croire.Onm’a caché la vérité,mais ça a assez duré.Même si la réponsem’angoisseaupointdem’empêcherderespirer,jeveuxsavoir.
GavinetDallaséchangentunregard,etGavinseraiditavantdesetournerversmoi.—J’aieudesproblèmesquandtuespartiel’andernier.J’aifaitdestrucsquejen’auraispasdû
faireetçaamerdé.Maisc’estterminé,jegère.—Ilfaudraitsavoir.Situgères,c’estquecen’estpasterminé.— Dixie, s’il te plaît. Je te jure qu’on t’expliquera, mais là, il faut vraiment qu’on y aille,
imploremonfrère.Je l’ai déjà assez énervé aujourd’hui avec mon retard, alors je me résigne. Je connais
suffisammentbienmonfrèrepoursavoirqu’iltiendrasapromesse.—D’accord.Ilsortdelavoitureetcommenceàdéchargerlematériel.Demoncôté,jem’étireetjegrogne
doucementensentantmesmusclesmeurtrissedétendre.—Arrêteçatoutdesuite,ordonneGavinenmefusillantduregard.—Quej’arrêtequoi?Dem’étirer?Ilnerépondpasetjebaisselesbras,perplexe.—Désolée,maisilvabienfalloirquejem’étiredetempsentemps.—Jeneparlepasdeça.Jeparledesbruitsquetufais.Situpouvaiséviterdepousserdespetits
crisenmaprésence,çam’arrangerait.Unrireamusém’échappe,maisilal’airtellementénervéquej’arrêteaussitôt.Il ferme les yeux dans un soupir et je tends le bras pour lui caresser la joue.En sentantmes
doigtssursapeau,ilrouvrelesyeuxetcequej’ylismeclouesurplace.Moiquipensaisavoirdéjàvu une flamme brûler dans son regard, ce n’était rien comparé à l’éruption volcanique que j’ydécouvreencemoment.
—Jepeuxencoresentirtonodeursurmoi,tongoûtsurmalangue.Çamerendcomplètementdingue,Bluebird.
Monestomacsetord.S’ilsavaitàquelpointjesuisàl’agoniedepuisqu’onaquittécettefichuechambre…
—Cequ’onafait,cen’estpassimplement…Il n’a pas le temps de terminer, car Dallas ouvre brusquement sa portière. Je retire
précipitammentmamain,maisheureusementjecroisqu’iln’arienvu.—Magnez-vous,touslesdeux.Onn’avraimentpasletempsdediscuter,là.Gavin sort duvan sansunmot tandis que je reste là, hébétéepar cequ’il vient demedire et
frustréedenepasavoirpuluirépondre.Moiaussi,jepeuxtesentir,Gavin.Et,moiaussi,jepeuxencoretegoûter.Ilyaunedifférence,néanmoins.Etc’estque,moi,jesuissûrequejeneregretteraijamaiscequi
s’estpassé.Est-cequeluipeutendireautant?Jen’enaiaucuneidée,etçameterrifie.
***
Lorsqu’on arrive dans le hall de l’hôtel, Mandy est là qui nous attend. Dès qu’elle aperçoitDallasetGavin,ellesouritdetoutessesdents,maissajoiesemblediminuerquandellemevoit.Elleal’air de sortir d’une couverture demagazinedemode tandis que j’ai l’air de sortir d’unebenne àordures.
—Bonsoir,voustrois.Toutestprêt,voicilaclédevotrechambre.Ilvayavoirdesgenstrèsimportantscesoir.J’aiparlédevousàénormémentdemonde.
—Euh…Merci.C’estgentil.Jenevoispastropquoiluidired’autre.Onasignéunepromessedecontratavantdeprendrela
routecematin,cequiveutdirequ’elleestnotremanageràprésent.Saufquejenelaconnaispasetquejenesaispasvraimentcommentinteragiravecelle.
—C’estmontravail.ElletendunecartemagnétiqueàDallasetsetourneversmoi.— Dixie, je n’ai pu réserver qu’une seule chambre, donc j’ai dit à ton frère que ça ne me
dérangeaitpasdepartagerlamienneavectoi.Pourunesurprise…—Excellenteidée,déclareDallassansmelaisserletempsderépondre.Ellemesouritetjeluioffrelerictusleplusreconnaissantquej’aieenréserve,puisonsedirige
tousversl’ascenseur.Elle et Dallas passent en revue ce qui nous attend au cours des prochaines heures. On va se
préparer pendant queRandall, l’assistant deMandy, se charge de conduire notre van au showcase.Quantànous,onprendraunevoitureavecchauffeurencompagniedeMandy jusqu’auPalace.Là-bas, on rencontrera des patrons de maisons de disques puis on jouera plusieurs morceaux. J’ail’impressiond’êtreunpoissonhorsdesonbocaletjemeconcentresurladernièrepartie.J’aibesoindejouer,d’évacuerlafoliedeladernièresemainepourquemesémotionsarrêtentdefaireleyo-yo.Mandynousexpliquequedegrosproducteurs serontprésents,dontcertainsontdéjà remportédesGrammy.Naturellement,ilyauraaussidespromoteurs,despublicistesetdesagentsartistiques.
Touslesmotsquisortentdesabouchefontbrillerlesyeuxdemonfrère,maisdemoncôtéilsmefontl’effetd’unpoidsquipèselourdementsurmesépaules.Toutescesattentes,cettepression…sans parler du risque d’être nulle ce soir et de le décevoir ou, pire, de gâcher nos chances dedécrocheruncontrat.
—Çava?memurmureGavin.Jehochelatêteensilence.Sij’ouvrelabouche,jesaisquelavéritévaensortir.Ça,oualorsle
hamburgerquej’aimangéentreMemphisetNashville.L’ascenseurs’arrêteauhuitièmeétageetlesportess’ouvrent.—C’estvotreétage,lesgarçons.Jevousretrouveenbasdansvingtminutes.Unefoisqu’onseretrouveseules,j’ail’impressiondeneplusêtrefaceàlamêmepersonne.Ses
yeux, qui pétillaient il y a encore une seconde, sont à présent sombres etmenaçants. Elle n’essaiemême plus de faire semblant d’être agréable avecmoi. Soit j’ai des hallucinations causées par lafatigue accumulée au cours des derniers jours, soit elle a un trouble dissociatif de l’identité.Moninstinctmeditquec’estlasecondesolution.
—Qu’est-cequ’onvabienpouvoirfairedetoi,DaisyMay?Jeluisouris,biendéterminéeànepasluimontrerlacraintequ’ellem’inspire.—C’est Dixie Leigh, pas DaisyMay. Et tant que tu ne payes pas quelqu’un pourme tuer et
balancermoncorpsdansunerivière…
Ellerit,ouplutôtelleglousse.Avraidire,sijefermaislesyeux,jepourraiscroirequejesuisàcôtéd’undindon.Jen’étaispeut-êtrepassiloindelavéritéquandjedisaisqu’elleavaituntroubledelapersonnalité.
—Jeplaisante,biensûr.J’aihâtedevoircequetuvasnousjouersurtonpetitfiddlecesoir.Jehausse lessourcils.Premièrement,Ozn’estpasmon«petit fiddle», etdeuxièmement, elle
s’est peut-être mis mon frère et Gavin dans la poche, mais moi, je ne suis pas dupe. Afton avaitraison.Ellen’estpasdignedeconfianceetj’ailanauséeenpensantqu’onasignéavecelle.
—J’aicroiséunamiàtoiàAustin.—Vraiment?demande-t-elleavecunepetitemoue.Quiça?—AftonTate.Je vois qu’elle résiste à l’envie de lever les yeux au ciel. On arrive au douzième étage et je
l’invited’ungesteàsortirdel’ascenseurenpremierpourqu’ellemeguidejusqu’ànotrechambre.—Tiensdonc.Etcommentva-t-il,cebraveAfton?—Ilm’aconseillédecontinueràexplorernosoptions.Tuasuneidéedecequeçaveutdire?Arrivée devant la chambre 128, Mandy ouvre la porte et on entre dans une suite qui est
certainementbienplusluxueusequelachambrequ’occupentGavinetDallas.—Aftonétaitencoretrèsjeuneettrèsinexpérimentéquandnoscheminssesontcroisés.Iln’a
pasréussiàavoirunevisionglobale.Ouàaccepterlefaitquetoutlemondenejouepasfair-play.—Jenesavaispasquec’étaitunjeu.—Toutestunjeu,Dixie.Danstouslesdomaines, ilyadesstratégiesàadopteretdesparisà
faire.Ilyatoujoursdesgagnantsetdesperdants.—C’estunefaçonintéressantedevoirleschoses.J’ouvremavaliseetjesuisatterréedevoirledésordrequirègneàl’intérieur.—C’estlaseulevisionquivaille,lance-t-elleavecdédain.Enparlantdefaçondevoir,certains
deshommesquiserontprésentscesoirprendrontdesdécisionsconcernantLeavingAmarilloensefondantuniquementsurleplaisirqu’ilsprendrontàteregarder.Alorsonvas’assurerquetuvailleslapeined’êtrevue,d’accord?
—Jetedemandepardon?—Tiens.Ellemelancedeuxrobes.L’uneestnoireavecunmotifargentédansledosetal’airtellement
minusculequejemedemandesicen’estpasundébardeur.L’autreestdansdestonschampagne,avecuncorsagemoulantetunejupeàvolantsquiseraitparfaitesielleétaitpluslonguededixcentimètres.
—Essayeça.Pourcesoir,lesdeuxstylesfontl’affaire.—J’ignoraisquej’allaisdevoirmedéguiser.Ellesecouelatêteetm’adresseunpetitsouriresardonique.—Jetelaissetechanger.Retrouve-moidanslehall.J’entendsbienl’emphasequ’ellemetsurle
mot«changer».Il résonnepresquedanslapièceunefoisqu’elleestpartie.CommepourbienmefairecomprendrequelaversiontraditionnelledeDixieLarkn’estpasassezbienpourelle.
Jeregardemonrefletfatiguédanslaglace.Larobeàvolantsestmignonne,presqueinnocente,etelle iraitparfaitementà lavieilleDixie.MaisaprèsmanuitavecGavin j’ai le sentimentd’avoirchangé,alorsjemeglissedanslarobenoireenretenantmonsouffleetenrentrantleventre.
Quandjemeregardedenouveau,jemesensrougir.C’estcommesij’étaisquelqu’und’autre.Aquelquescentimètresprès,larobepourraitpasserpourunenuisette.Ellelaisseapercevoirlehautdema poitrine etmon décolleté, une partie demon corps que je ne dévoile jamais.Quant au bas, sij’écarteunpeutroplesjambes,monentrejamberisquedefairepartieduspectacle,luiaussi.
Bon.SoitMandyLantramacomplètementdisjoncté,soitc’estunemèremaquerellequichercheàmerecruterpourunréseaudeprostitutionclandestin.
Jepivotesurmoi-mêmepourvoircommentlarobetombedansmondos,etjepousseuncridesurprise.
Il n’y a pas de dos.Le tissu couvre uniquementmes fesses etmes tatouages ressortent sur leblancdemapeau.Est-ceunemauvaiseidée?Pourunefois,j’aienviedelesassumeraulieudelescachersystématiquement.Jeprendsunegranderespiration.Monchoixestfait:ceseralarobenoire.Jepeuxlefaire.Jepeuxmontersurscène,etjouer,et…
Etjesuisunegrossedégonflée,enfait.Jefouilledansmesaffairesetjemetslamainsurunepetitevesteencuirnoir.Jemesensbeaucoupmieuxunefoisquejel’aisurledos.J’aitropchaudetjevaistranspirermais,aumoins,jen’aiplusl’impressiondeparticiperàundéfilédelingerie.
Mescheveuxsontunecauseperdue,alors jemecontentede lesreleversur lescôtésavecdespincespourdégagermonvisage.Unpeudemascara,deglossetj’abandonne.Mêmesij’avaisvingtminutesdeplusdevantmoi,jenepourraispasfairebeaucoupmieux.
Jepriesilencieusementpourqueleventtournepourlegroupe,maisaussipourDallas,Gavinetmoi.Jepriepourquecesoitnotrechanced’arrêterdevivredansl’ombred’unpassédouloureuxetdecommenceràaccomplirnotrerêve.Enfin.
25
Lorsquej’aifinidemepréparer,j’appellepapypourluiparlerdushowcase.Unefoisdeplus,jetombesursonrépondeur.Jesuistentéed’envoyerMmeLawsonluirendreunepetitevisite,maisc’estbientôtl’heureàlaquelleilvasecoucher,alorsjeluilaisseunmessagevocal.Jeluifaisunrésumédes derniers jours, je lui parle de Mandy et de l’interview avec Indie Music Magazine, tout enl’imaginantentraindepiquerdunezdanssonfauteuilfavori,aveclaradioenfondsonore.
Ilyafouledanslehalldel’hôtelet,tandisquejemefaufileparmilesdifférentspetitsgroupes,jeregrettedenepasavoirprisOzavecmoi, jen’aimepasle laisserentrelesmainsd’uninconnu.Maisilestunpeutardpourypenser.
—Lavoilà,s’exclameMandylorsqu’ellem’aperçoit.MonfrèreetGavinsontdéjàavecelle.Dallasporteunjeanquejenereconnaispas(sansdoute
l’œuvredeMandy)etunevestecintréenoire.Sachantqu’ilestplutôtdustyleT-shirtetchapeaudecow-boy,jesuisassezétonnéeparsonlook.AutantqueGavinl’estparlemien,apparemment.
—Latroupeestaucomplet,poursuitMandyavecenthousiasme.Gavinasonfameuxregardtaciturne,celuiquiveutdire:«Jedétesteavoirenviedetoi»,etila
l’airpresqueaussimalàl’aisequemoidanssesvêtementsnoirs.Onsemetenroute,avecMandyetDallasquiouvrentlamarchecommeàl’accoutumée.—Jerêveouc’estbienunecravatequejevoisautourdevotrecou,monsieurGarrison?—Jene sais pas, rétorque-t-il.Ce sont biendes sous-vêtements que je vois là,mademoiselle
Lark?Jemepenchepourmurmureràsonoreillesurletondelaconfidence:—Envérité,jen’enportepas.Ilsseseraientvussouslarobe.Jepensaisquemablague l’amuserait,mais son regards’assombritet ilaccélère lepas. Ilme
laisseenqueuedepeloton,seuleetvexée.Jenedesserrepaslesdentspendant le trajet,concentréesur lesruesaniméesdeNashvillequi
défilentparlafenêtre.Mandyfaituneremarqueàproposdemaveste,maisjenemefatiguepasàluirépondre.Jen’aipaslecouragedejoueràsonpetitjeu.J’aidespréoccupationsplusimportantesetmoinsnombrilistesqueçaàcetinstant.
Cen’estpasdemoiqu’ils’agitcesoir,nid’elleoumêmedeGavin.Cequiestsurlepointdesepasserestbienplusgrand,bienpluspuissantquenousentantqu’individus.Cequicomptepar-dessustoutcesoir,c’estlegroupeettoutcequ’onafaitpourqueLeavingAmarilloconnaisselesuccès.Jerepenseauxsacrifices,autempspassé,audévouement,àlasueuretauxlarmes,auxjoursetauxnuitspassésdansunvan,auxheuresinterminablespasséesàrépéter…Sansparlerdemamieetpapyqui
ontdonnétoutcequ’ilsavaientpournousaideretnoussoutenir.Jouernousaaidésànousreleverlorsqu’onétaittroisgaminsàterreetjerefusedelaisserquiquecesoitmeperturberetsemettreentraversdenotreroute.Onatravaillétropdur.
JejetteunregardàGavinetvoisqu’iltapoterapidementsongenouavecsonpouce.Mesyeuxs’attardent sur ses doigts et, pendant un instant, jeme rappelle la sensation de sesmains surmoi.Quandilsentquejel’observeetqu’iltournelatêteversmoi,jedétourneleregardetmeplongedenouveaudanslacontemplationdesruesaudehors.
Non.Riennesemettraentraversdenotreroutecesoir.Pasmêmemonimbéciledecœur.
***
UngroupenomméBlackRevolverestentrainderemercierlepublicetdequitterlascènequandonarrive.LePalaceestàlafoisunbar,unrestaurantetunesalledeconcert.Lelieuestimmenseetbondé, avec des hommes et des femmes qui portent aussi bien des costumes hors de prix que destenuestexanes.Mandynousconduitàunetablealorsqu’unautregroupe,ColdSeptember,seprésenteetcommenceàjouer.Leurstyleestplusalternatifqueceàquoi jem’attendaispourunshowcaseàNashville,maisc’estvraimentoriginaletjemeretrouveàlesécouter,aulieudeprêterattentionàcequeMandynousraconte.
—Dixie,tuasentenducequejeviensdedire?demande-t-ellesoudaind’untonexaspéré.—Euh…Non.Désolée.—Vous avezdixminutespourprendreunbainde foule et vousprésenter.Ensuite, tudois te
tenirprêtepourtonouverture.—D’accord.—Onjouelesmêmesmorceauxqu’hiersoir,OK?s’assureDallas,fébrile.Ondiraitpresquequ’ilvoudraitqu’onformeuncercleetqu’onpousseuncrideguerre,comme
uneéquipeavantungrandmatch.Ilestbienleseul:Gavinacquiesced’unairabsenttandisquejesuistoujoursdistraiteparlegroupesurscène.
—C’estbon?insiste-t-il.—Oui,Dallas.Net’enfaispas,çavaaller.Jeprendssamainetlaserredanslamienne,etilmesourit.—Çavaêtregénial,ditMandyenluidonnantunpetitcoupd’épaule.Commetoujours.Elleneparlepasdugroupe:elleparledeDallas.Iln’yaqu’àvoirlafaçondontelles’interpose
entre lui et nous pour s’en rendre compte. Ça m’est égal, cependant. Mon frère sourit et je suisheureusedelevoirheureux.
—C’estparti,dit-ilavecenthousiasme.Allonsserrerdesmains.Une fois de plus, Dallas etMandy avancent les premiers et je leur emboîte le pas, suivie de
Gavin.Mandys’arrêtedevantunepremièretable,occupéepardeuxhommesencostumeetunefemme
trèsséduisante.Elleporteunevestequiressembleunpeuàlamienne,saufquelasienneadûcoûterl’équivalentdesixmoisdepourboires.Mandynousditleursnomsetceluidelamaisondedisquespourlaquelleilstravaillent.Naturellement,jen’aijamaisentenducesnomsdemavie.Dallas,lui,selanceimmédiatementdanssonnumérodecharme:ilnousprésentechacunnotretouretleurfaitunbrefexposésurnotregroupeetlesendroitsoùonajoué.Jesourisàchaquefoisquel’und’entreeuxmeregarde,maisjepréfèrelargementlaisserparlerDallas.Jenesuispasdutoutdansmonélément.
Unefoisquelafemmereportesonattentionsurlascène,j’endéduisquejenevaispaspasserpourunegaminemalélevéesij’enfaisautant.Quelquesinstantsplustard,Mandynousentraînedenouveaudanssonsillagejusqu’àunetablehaute,oùsontinstallésdeuxhommesquiboiventcequiressembleàducognac.
—BrianEadesetLowellKirkowitz, jevousprésenteDallasetDixieLarketGavinGarrison,autrementditlesmembresdeLeavingAmarillo.Cesontmesnouveauxclients,indique-t-elleavecunclind’œil.
Elleflirteoutrageusementaveceuxtandisqu’elleleurparledenotregroupe,denotrestyledemusiqueetdes concertsqu’onadéjàdonnés.Dallas répondensuite à laplupartde leursquestionstandis que Gavin et moi hochons gentiment la tête, comme des marionnettes dont il tirerait lesficelles.
Ons’apprêteàs’éloignerendirectiond’unautrepetitgroupequandundesdeuxhommes,celuiqueMandyaappeléBrian,m’attrapeparlebras.
—Dixie,c’estbiença?J’acquiesceenjetantuncoupd’œilendirectiondemonfrère,maisiln’apasremarquéquejene
lessuivaisplus.—Oui?—J’aiunequestionàvousposer,sivousavezuninstantàm’accorder.JeregardemonpetitgroupeunefoisdeplusetvoisqueGavins’estaperçudemonabsence.Il
ditquelquechoseàl’oreilledemonfrère,quimejetteunregardpar-dessussonépauleetmesourit.Mandy,elle,lèvelepoucedansmadirection.Siçasetrouve,BrianEadesestuntueuràgagesetellevientdeluiconfirmerquec’estbienmoi,lapersonneàabattre.
—Biensûr.Jevousécoute.Gavinal’aird’êtresurlepointdemettrelefeuaurestaurant,maisjenepeuxpasfairegrand-
chose. Je hausse les sourcils, impuissante, puis je me tourne vers Brian, qui sourit en attendantpatiemmentquejeluiconsacretoutemonattention.
—Est-cequ’ilyaunedifférence?—Excusez-moi,dis-jeau-dessusdubruitdelabasseetdelabatterie.Jen’aipasentenduceque
vousavezditaudébut,unedifférenceentrequoi?Sesyeuxbleuspétillentcommes’ilvenaitdefaireuneblaguedontj’auraisratélachute.—Entreleviolonetlefiddle.Mandym’aditquevousjouiezdufiddleetjemedemandaisquelle
étaitladifférenceentrelesdeux.—Ah.Jesouris,heureused’avoiruneréponseàluiapporter.—Mongrand-pèredittoujoursqu’iln’yaqu’unedifférence,enréalité.—Etqu’est-cequec’est?demande-t-ilensepenchantversmoi.—Onnerenversepasdebièresurunviolon.Ilritetjeprendsquelquesinstantspourl’observer.Avecsabarbedetroisjoursetsescheveux
châtains,ondiraitunpeulegrandfrèredeJustinTimberlake.Jedoisdirequec’estagréabledesentirquequelqu’un a envie de discuter avecmoi, après la façondontGavinm’a éconduite dans le halld’hôtel.
—Est-cequevousêtesentraindemedirequelesfiddlessontimperméablesàlabière?Puisqu’ilal’airsincèrementintéressé,jedécidedeluidonnerunevraieexplication.—Jepensequecequ’ilveutdireparlà,c’estqu’unviolondoitêtremanipuléavecleplusgrand
soin.Mais,avecunfiddle,cesontlescoupsetleséclatsdansleboisquiluidonnentcesonsiunique.
Ilacquiesceetjecontinuemoncoursmagistral:—Cequifaitladifférence,c’estlamusiquequ’onjouesurchacun.Avecunviolon,onjouede
lamusiqueclassique.Maissivousjouezdelamusiqueplusfolk,alorsonappelleçaunfiddle.Onserapprochelégèrementpourquejepuisseluiparlersansavoiràcrier.— Ils ont tous les deux quatre cordes, mais ils sont assemblés différemment, notamment au
niveaudespartiesquipeuvent se remplacer, comme lechevaletou lecordier.Parexemple, j’aimebienunchevalet assezplat, à l’inversede lamajoritédesviolonistes classiques avecqui j’étais enformationàHouston.
—Unchevaletplat.Biensûr.Son air malicieux indique qu’il essaie de donner le change même s’il est évident qu’il n’y
connaîtrien.—Ceseraitplusfacileàexpliquersij’avaisOzavecmoipourvousmontrerexactementdequoi
jeparle.—Oz?Ilprendunegorgéedecognacetsourit.—Monfiddle.Oui,jeluiaidonnéunnom.Etnon,jenevousconseillepasderenverserdela
bièresurlui.Jecrainsqu’ilnemedemandepourquoijel’aiappelécommeça.Jen’aipastrèsenvied’entrer
danslesdétails,deparlerdemesparents,nidurôlequelamusiquejouedansmavie,maisjeneveuxpasnonplusmentirouêtreimpolie.
Ils’avèrequeBriann’apasletempsd’allerplusloin.Unepoignesolideentouremonpoignetetmefaitpivotersurmoi-même.
—C’estl’heure.Gavinestlivide.L’espaced’uninstant,jeredouted’avoirencoreperdulanotiondutempsetde
nous avoir mis en retard. Mais un coup d’œil vers la scène m’indique que Cold September n’atoujourspasterminé.J’adresseunsourirepoliàBrian.
—Jevouspriedem’excuseruninstant.LesmotsontàpeinequittémeslèvresqueGavinmetraînejusqu’àunezoned’ombreducôtéde
lascène.Jemanquedemecognerdanstoutcequibougeencheminetj’aperçoisDallasetMandyengrandeconversationavecplusieurshommesplusâgésquimerappellentpapy.Oupeut-êtrequec’estjusteparcequej’ailemaldupays.
Dèsqu’onestàl’abridesregards,jemedégagebrusquement.—Onpeutsavoircequit’arrive?Depuisquandtulajouespetitamipossessif?Surtoutsion
considèrequetun’esnil’unnil’autre.Tuveuxbienm’expliquerpourquoitum’asinterrompueenpleinmilieud’uneconversationprofessionnelle?
—Uneconversationprofessionnelleneconsistepasàmater lesseinsdesoninterlocuteur.Et,crois-moi,ilfaisaitbienplusqu’écouterreligieusementcequetuluiracontais.
—Tuescomplètementmalade.Sij’avaisosé,neserait-cequ’unefois,t’interromprequandtuesavecunedetesgroupies,jen’osemêmepasimaginerlacrisequetuauraispiquée.
Illèvelesyeuxaucielcommesijeracontaisn’importequoi.—Jen’auraisjamaispiquéunecrise.—Ahoui?Etqu’est-cequej’ensais?J’ignore pourquoi cette conversation me met autant en colère, mais je suis furieuse. Je
bouillonnetellementquemavestenevapastarderàentrerenfusionavecmapeau.
—Tusaiscombienj’enaivuesparaderjustesousmonnezsansjamaisdireunmot?Ettoi,tuinterrompsuneconversationd’ordrestrictementprofessionnelettutecomportescommeunhommedescavernes.
—Exactement.Tun’asjamaisditunmot,réplique-t-ilentirantsurlecoldesachemisecommes’ilétouffait.
Jelefusilleduregard.—Tu sais, après la nuit dernière, je comprendspourquoi tu fais ça avec toutes les nanasqui
passent.C’esttellementagréable,j’auraisdumalàmereteniraussi,àtaplace.Jenesaispascequimeprend,maisjesuiscomplètementhorsdecontrôle.—Tusaispertinemmentqu’hiersoirn’avaitrienàvoiravec…Peuimporte.— Merci pour cette explication, c’est très clair. Je suis vraiment ravie qu’on ait eu cette
conversation.Ilfautquejemecalme.Jedoutequelespatronsdemaisonsdedisquesprésentsaientenviede
voir lesmembresd’unmêmegroupes’étriper,alors je tourne les talonspourmettreun termeà laconversation.C’est compter sans l’entêtement deGavin, qui attrapemonpoignet etm’empêche departir.
—Attendsuneminute.Jen’aipasfini.Lanuitdernière…cen’estpascommeçaqueçasepassed’habitude.Etcequis’estpassécematinyressembleencoremoins.Jen’aimêmepasdemotspourdécrirecequis’estpassécematin.
Ças’appelle«fairel’amour».Maisjegardemaleçondesémantiquepourmoi.Ilsepasseunemaindanslescheveuxetcontinue:
—Jetiensplusàtoiquejen’aijamaistenuàpersonne,etçam’énervequetunet’enrendespascompte.La raisonpour laquelleonn’a jamais… faitquoiquece soit, c’est justementparceque tureprésentesbienplusqueçaàmesyeux.
—EtàcausedeDallas.—Oui,admet-il.Aussi.Simoncerveaumetuncertaintempsàimprimercequ’ildit,moncœuretmespoumons,eux,
ontl’aird’avoirtoutcompris.J’ail’impressionquemapoitrinevaexploser.Ils’approchedemoietnosnezsefrôlentpresque.
—Bluebird…Çametuedetevoirdanscetterobe,parcequejesaiscequepensentlesautrestypesdanslasallequandilsteregardent.Commel’autre,là,Brian…Iltebavaitpratiquementdessus.
—Ilne…—Si.Etilestencoreentraindebaver,d’ailleurs.Avantquejepuissevérifierpar-dessusmonépaule,ilposeunemainsurmahancheetsepenche
surmoipourmeparleràl’oreille.—Laisse-moiunpeudetemps,mabelle.Jesaisqu’onavaitditqueceseraitjusteunenuit,mais
tu ne t’esmême pas encore douchée. Tu as toujoursmon odeur sur toi. Alors excuse-moi si j’aiencoretendanceàmecomportercommesitum’appartenais.Ilvamefalloirplusdequelquesheuresavantdepouvoirêtrestoïquefaceàuntypequirêvedetefairecequej’aifaitlanuitdernière.
—Etcematin.—Etcematin.Pendant un instant, on se sourit comme deux gamins qui partagent un secret, bercés par un
souvenirmutuelauquelj’aimeraisredonnervieàchaqueinstant.—Toutvabien?
LavoixdeDallasnousfaitredescendredenotrepetitnuage.Gavinmelâcheet jereculed’unpas.
—Oui,onpassaitjusteenrevuelesderniersdétails.—Toutestcarré,Garrison?demande-t-ilàGavinsansmêmemejeterunregard.—Plusquecarré,Lark.Aquelleheureoncommence?— Dans pas longtemps. On ferait mieux d’aller en coulisses, dit Dallas en nous scrutant
bizarrement.—Ontesuit,grandfrère.Jesensdelasueurseformerentremesomoplates.Jevaismeliquéfiersijejoueavecmaveste.
Unefoisdanslescoulisses,jelaretireetlaposesurunechaise.Mandymeregarded’unairentendu.Jecroisd’abordquec’estparcequ’elleapprouvemonchoixvestimentaire,jusqu’àcequejelavoiehocherdiscrètementlatêteendirectiondeGavin.
Etmerde.Ellesait.Jesuisauborddelacrisedepaniqueetj’écouteàpeinemonfrèreréciterunedernièrefoisla
listedechansonsqu’ons’apprêteàjouer.Mandyavisiblementétébienplusattentivequeluiet,àprésent,lapersonneaumondeenquij’ai
lemoinsconfianceconnaîtmonsecret.Qu’est-cequ’elleavuexactement?Depuiscombiendetempsnousobserve-t-elle?Jen’enaiaucune idéeet savoirqu’elleaquelquechoseàutilisercontremoi—etcontreGavin—meretournel’estomac.
«Danstouslesdomaines,ilyadesstratégiesàadopteretdesparisàfaire.Ilyatoujoursdesgagnantsetdesperdants.»
Aprésent,jecomprendsexactementcequ’ellevoulaitdire.C’estellequial’avantage:ellesaitquelquechosequejeneveuxsurtoutpasquemonfrèredécouvre.
Lavraiequestionest:qu’est-cequ’ellecompteenfaire?
***
—Bonsoiràtous.OnestLeavingAmarillo,managésparMandyLantram.Onespèrequenotremusiquevavousplaire.
Etc’estparti.OncommenceavecWhenYouLeaveAmarillo, unevieille chansonqueDallas atrouvéesurYouTubeetqu’onaarrangéeànotresauce.
J’aidespapillonsdans l’estomacetdes fourmisdans les jambes.Sansme laisserdistraire, jejoueetjetrouverapidementmonrythme.Bientôt,lespapillonsetlesfourmissemettentàdanserausondemesnotesetj’oublieleurprésence.
Lepublic semblepartagé.Certains lèvent la tête et nous écoutent attentivementquandon joueWhiskeyRedemption,maisd’autresrecommencentàtapotersurleurportableouàdiscuteravecleurvoisinpendantnosreprises.Jem’efforcedenepaslesregarderetjemeconcentresurlamusique.JefaisensortedejoueraveclamêmepassionquecellequivibraitentreGavinetmoicettenuit.Jesaisdepuislongtempsquelaseulefaçondelibérermonâmeestd’interpréterchaquenoteàlaperfection.
Pourtant,àunmoment,jem’embrouilleunpeu.Dallasaremarquéquelesreprisesdecountrystandardn’attirentpas l’attentiondupublicetachangénotre setpour intégrerplusdenosproprescompositions et un hit R’nB retravaillé qu’on a très peu répété. A la fin du set, je suis à bout desouffle.J’étaistellementconcentréequejenesaismêmepassionacassélabaraqueousic’étaitlapireperformancedenotrevie.
Dallas remercie le public et quitte la scène. Je le suis et Gavin m’emboîte le pas. Je suis sinerveusequ’enl’entendantfairetintersesbaguettesl’unecontrel’autrej’aienviedelesluiarracherdesmainsetdelesjeter.JesuisentrainderangerOzdanssonétuiquandMandynousrejointdanslescoulisses.
—Vousvous êtesbiendébrouillés, dit-elle en regardantDallasdebiais.Vous auriezpu fairemieux,néanmoins.Jepensequej’aivumieuxàAustin,cequiestfortdommage,étantdonnéquec’estleconcertdecesoirquiavraimentdel’importance.
—Tousnosconcertsontdel’importance,lâcheGavin.—Biensûr.Bref,vousavezdelachance,chaquegroupealedroitdejouerunrappel,çadevrait
vouspermettrederattraperlecoup.J’aimeraisqu’ondiscuteduchoixdelachanson,maisd’abordjevoudraisdireunmotàDixie.
Elleplaceunemainsurl’avant-brasdemonfrèreetluisouritmielleusement.—Trucsdefilles,dit-ellepoursedébarrasserdeluietdeGavin.Jepourraisleuradresserunregardsuppliantpourqu’ilsrestentavecmoi,maisjesaisqueçane
sertàrien.Lesgarçonss’envontetjecroiselesbrassurmapoitrine.—Qu’est-cequejepeuxfairepourvous,mademoiselleLantram?Montonestvolontairementnarquois,nousn’ensommesplusaustadeoùnousfaisonssemblant
denousapprécier.—Jepensequejen’aipasbesoindetedirequetuétaisdistraitependantleconcert.Cequetu
ignorespeut-être,parcontre,c’estqueDallasauntalentincroyable,etjepensequ’ilesttempsquetutemettesenretraitdanssonintérêt.Ilmérited’êtresouslefeudesprojecteurs,tunecroispas?
Elleadmiresonrefletdansunimmensemiroirderrièremoi,commesijen’existaisdéjàplus.—Oubien…?Jeconnaisdéjàlaréponse,maismoncôtémasochisteprendledessus,commed’habitude.—Tusais,c’estdrôle.Lapremièrefoisquej’aiparléàtonfrèreàAustin,jeluiaidemandés’il
yavaitquelquechoseentretoietGavin.Elle n’a pas attendu longtemps pour sortir son atout. Je fais demonmieux pour avoir l’air
placide,maisjedétesteentendrelenomdeGavindanssabouche.Elleeffleurel’étuid’Ozduboutdesesdoigtsparfaitementmanucuréset j’aiuneenvie follede luidonnerune tapesèchesur lamain.Commemamiequandjevoulaisprendreuncookiealorsqu’ilsn’avaientpasencorerefroidi.
—Tuveuxsavoircequ’ilm’adit?—Tuvasmelerépéterdetoutefaçon,alorsvas-y.—Iladit,jecite:«Noustrois,onestcommeunefamille.Gavinatoujoursétécommeunfrère
pourDixieetmoi.»Jehausselessourcils.D’unecertainefaçon,c’estlavérité:Gavinfaittoujoursattentionàmoi,
etilfaitdesonmieuxpourmeprotéger.—Etalors?—Alors,jedoutequ’ilsepassequoiquecesoitd’incestueuxentretoietDallas.Tandisqu’avec
Gavin…Jenepeuxpasretenirunegrimacededégoût.—Dis-moiquejerêve.—Jevoisbienlafaçondontvousvousregardez.Aveclebatteur,jeveuxdire.—Jesaiscequetuveuxdire,ettusaisquoi?Cenesontpastesoignons.—Tucroisça?Tusais,si jepressensunproblèmepotentielquipourraitporterpréjudiceau
bien-êtredemesclients,jemedoisdeleleursignaler.C’estmontravaild’empêcherleproblèmeen
questiondenuireàleurcarrière.Elleprononcechaquemotavecsoin.Chaquesyllabeestchargéed’unemenaceetjenesuispas
sûredefairelepoidsdanscettebataille.Maisjenepeuxpasabandonneraussifacilement,alorsjemedéfendscommejepeux.
—Etdonc?TuesentraindemedirequetuasremarquéquejeregardaisGavindetempsentemps, et que tu trouves çavital d’enparler àmon frère ?Tune crois pasque çane ferait que lecontrarieràunmomentcrucialdesacarrière?Etd’ailleursGavinetmoisommesaussitesclients.
—Ce point-là peut s’arranger facilement. Je commence àme dire qu’il vaudraitmieux pourDallasqu’ilfasseunecarrièresolo.Surtoutsilesautresmembresdugroupefontdestrucsderrièresondos.
—Tuveuxquejequittemonpropregroupe?—Jamaisjenesuggéreraisunechosepareille.Cequejeteconseillerais,enrevanche,c’estde
leslaisserjouerlerappelsanstoi.Toutlemondeavuquetusemblais…distraitecesoir.Ilfautdireque cet endroit est un peu plus impressionnant que les bastringues et les bars de seconde zoneauxquelstueshabituée.
Lasimpleperspectivedenepasmontersurscènegénèreenmoiunedouleurphysique,maiscen’estpaslepire.Leplusterrifiant,c’estlapossibilitéqueMandyracontetoutàmonfrère,etqueluietGavinsedisputentaupiremomentpossible.
«Vousêtestoutcequej’ai,Dallasettoi.Tucomprends?»LegroupeesttoutcequeGavinpossède.Dallasetmoi,onaaussicetteenviedansnostripesque
legroupefonctionne,biensûr,maispourGavinc’estdifférent.IlabesoindeLeavingAmarillopournepaspartiràladérive,pournepasdéraperdenouveau.Jemedemandesijesauraijamaiscequis’estvraimentpassépendantmonabsence.Cequejesais,enrevanche,c’estquejeneveuxpasquelegroupeéchoueàcausedemoi.Etjeneveuxpasnonplusêtrelaraisond’unealtercationentremonfrèreetGavinpendantlasoiréelaplusimportantedenotrevie.
—D’accord.—Tuessérieuse?demande-t-elled’unairsincèrementsurpris.C’estjusteunechanson.Onrégleraleresteaprèsleshowcase.Voilà.Jen’aiqu’àmedireça,etçavaaller.Envoyantquejenerépondspas,Mandyhochelatêteettournelestalons.—Dixie?lance-t-ellepar-dessussonépaule.—Oui?Son regard est presque un regard d’excuse. Dommage qu’il soit teinté de son éternelle et
insupportablearrogance.—Çavautcequeçavaut,maisjepensequetuasprislabonnedécision.Jesuissoudainlaproied’unemigraineterrible.J’ail’impressionquequelqu’unmefaituntrou
danslecrâneavecuneperceuse,etlapressionaumilieudemonfrontestàpeinesupportable.—Pourqui?Ellenerépondpas,elleestdéjàpartie.
26
JememetsenquêtedeDallasetGavinpourparlerdurappelaveceuxavantqueMandyneleurannoncelanouvelle.Jereconnaislavoixdemonfrèredansuncoinderrièrelebar,etjesursauteenentendantàquelpointilsembleencolère.Apparemment,jen’aipasétéassezrapide.
—Oùest-cequ’elleest?Ilfautquejeluiparle.Qu’est-cequ’ellecroit?Cen’estpasunfoutujeudechaisesmusicalesdanslequelonpeutpassernotretoursiçanouschante?
—Elle ne se sent pas très bien. Elle avait l’air un peu paniquée sur scène. En tant que votremanager, je te conseille vivement de ne pas te disputer avec elle, et encoremoins en public. Je terappellequ’onestdansunepiècepleinedegenssusceptiblesdefairedécollertacarrière.Sielleneveutpasmontersurscène,tudoisrespectersadécision.
Quellegarce!J’enaienviedevomir.Jesuissur lepointdefaire irruptionaumilieude leurpetite conversation pour annoncer que je compte bien monter sur scène. Mais, avant que j’aie lecouragedepasseràl’action,Mandycontinuesonpetitdiscours:
—Ecoute, je t’aipromisque je seraishonnêteavec toi. Je suisdésolée si lavérité estdureàentendre, mais c’est peut-être mieux comme ça. Tu as le talent et toutes les qualités pour réussir.Vraimentréussir.Maiscombiendegroupescélèbresas-tudéjàvusquicommencentleurconcertavecun solo au fiddle ? Aucun, Dallas. Zéro. Ta sœur est adorable et je sais bien que vous comptezbeaucoupl’unpourl’autre.Maiselleestunfreinpourtacarrière.C’estaussisimplequeça.
Uncridesurprisem’échappeet jereculeimmédiatement,parpeurqu’ilss’aperçoiventdemaprésence.
«Elleestunfreinpourtacarrière.C’estaussisimplequeça.»C’est ma faute. C’est moi, la raison pour laquelle tellement de managers et de maisons de
disquesnousontignorés.Voilà.C’estlavérité,sortietoutdroitdelabouched’uneprofessionnelledel’industrie.Ellene
saitpasquejesuisentraindelesécouter,alorscen’estpascommesielledisaitçapourmefairedumal.
Lerêvequej’aidepuissilongtemps,cetteimagedeLeavingAmarilloentournée,denoustroisqui jouons ensemble la musique qui nous habite depuis l’enfance, s’estompe doucement jusqu’àdisparaître.
J’ai bien remarqué l’expression amusée des spectateurs pendantmon ouverture. Le doutemesubmergeet jesensde labile remonterdansmagorge.Acet instant, jesuissûrededeuxchoses :MandyLantramaraison,etjevaisêtremalade.
***
J’aijusteletempsdesortirdubâtimentetdeposermesmainssurmesgenoux,pliéeendeux,avantdevomir.Heureusementquejen’aipasdînéavantdevenir.
—Bluebird?Pitié.Biensûr,ilfallaitqu’ilsoitdehors.J’ailachairdepouleetjesensdelasueurperlersur
manuque.—Salut.Ilaretirésacravateetdéboutonnélecoldesachemise.Endessous,ilportesonT-shirtquidit:
«Pourunboncoup,choisissezunbatteur.»—Jecroyaisquetuavaisarrêté?Jedésignedumentonlacigarettedontilestentraind’écraserlemégotsoussontalon.—J’aiarrêtéentaprésence,nuance.—Tun’espourtantpasdugenreàteplanquer.—Ettoi,tun’espasdugenreàêtrenerveuseavantunconcert.Qu’est-cequisepasse?—Est-cequetupensesquejesuisunfrein?PourDallasettoi,jeveuxdire.—Qu’est-cequeturacontes?—Est-cequetupensesquelegroupeauraitplusdesuccèssijen’enfaisaispaspartie?—D’oùtusorsuntrucpareil?Quelqu’unt’aditquelquechose?Iln’apasréponduàmaquestion…Jesecouelatêtepournepasavoiràluimentiràhautevoix,
maisleslarmesquisemettentàcoulersurmesjouesmetrahissent.—Parle-moi.Jenesaispascequitemetdansunétatpareil,maisilfautqueçasorte.—Cen’estpassisimple.Ilfroncelessourcilsetfranchitladistancequinoussépare.—Onestencoreentraindeparlerdugroupe?—Atonavis?Jem’adossecontrelemurdebriquesderrièremoietlefusilleduregard.Toutescesémotions
quej’airetenuespendantsi longtempssontentraindesetransformerenunouragandefrustrationquimenacedebalayerGavinGarrison.
—Tuvois,Bluebird,c’estexactementpourçaquejenevoulaispasqu’onfassecequ’onafait.Tuesencolère, jenesaispaspourquoi,et lefaitquejenesachepaspourquoial’airdet’énerverencoreplus.
Unnœudseformedansmagorgeetj’aitouteslespeinesdumondeàrespirer.«Jenevoulaispasqu’onfassecequ’onafait.»Unsanglotm’échappe,mélangéàcequiressembleàuncrid’animalblessé.Sesmotsmefont
tellementmalquej’arriveàpeineàtenirdebout.Mefairearracherlecœurseraitsansdoutemoinsdouloureuxet,aumoins,çaauraitleméritederésoudretousmesproblèmes.
—Désoléedet’avoirforcéàfairequelquechosedonttun’avaispasenvie.EtjedétesteceputaindeT-shirt.
Je le repousse brutalement,mais ilm’attrape les poignets d’unemain et passe son autre brasautourdemoi.Génial.MevoilàcoincéeentreGavinetunmur.
—Tunem’aspasforcéàquoiquecesoit.Etnet’enprendspasàmonT-shirt,d’autantplusquetusaisquec’estlavérité.
Moncœursemetàbattreplusvite.Commesij’avaisbesoinqu’ilmelerappelle.Lessouvenirsde la nuit dernière ont défilé dansma tête sans interruption depuis que j’ai fermé la porte dema
chambred’hôtelderrièremoi.Jetentefaiblementdemedégager,maisilestplusfortquemoi.Jeneparvienspasàéviterde
respirersonodeur,unmélangedesavon,detabacetduparfumquejeluiaioffertpoursondernieranniversaire.
—Tun’esqu’unconnard.—Certes,maiscen’estpaslesujet.Dansunpremiertemps,tupourraispeut-êtremedirecequi
temetdanscetétat?—Je…Jenesaismêmepasparoùcommencer.—Essaietoujours.JerepenseàcequeMandyaditàmonfrère.Jeneveuxpasluimentir,maisjeneveuxpasnon
plusqu’ilprennemadéfensefaceàDallasouqu’ilsedisputeavecMandydevanttoutlemonde.Jefinisparopterpourunmensongeparomission.
—J’aientenduquelqu’undirequelegroupefonctionneraitmieuxsijen’enfaisaispaspartie.Etcen’étaitpasn’importequi.C’étaitquelqu’und’important,quisaitdequoiilparle.
—Dixie, écoute-moi. Je ne sais pas qui a dit ça,mais je peux te certifier que c’est undébileprofond.C’esttoi,l’essencedugroupe.C’estgrâceàtoiquelesgensarrêtentdeboire,oudeparler,oudefairecequ’ilssonten traindefaire,etqu’ilsnousécoutent.Alors je t’interdisdecroireunechosepareille.Tum’asbiencompris?
Jebaisselesyeuxetlaisseéchapperunpetitsoupir.—D’accord.—Etarrêtedefairecegenredebruits.Saufsituveuxquenotredeuxièmefoissepassedansune
contre-allée.Onest tellementprochesqueseslèvreseffleurent lesmiennesquandilparleet jenepeuxpas
m’empêcherdesourire.—Techniquement, ce serait notre quatrième fois. La— deuxième était dans la douche, et la
troisièmedanslefauteuilprèsdelafenêtre.Suis,unpeu.Ilposesesmainsenbasdemondosetsesdoigtss’enfoncentdansmachair.Jenesaispassi
c’estmoiouluiquiarquelebassin,maisquandnoscorpssetouchentjesensqu’ilestaussiexcitéquemoi.
—Tuvasnouscréerdesproblèmes,DixieLeigh.Ilenfouitsonvisagedansmoncouetjefrissonnequandsesdentsmemordillent.—Peut-êtrequej’aimeça.Jeme sens tellement bien dans ses bras.Comme si j’étais àma place, au chaud, à l’abri des
regards etdu jugementd’unpublic inconnu.Etdes commentaires assassinsdeMandy.Son souffletandisqu’ilritdoucementdansmonoreillemechatouilleetjemetortilleenriantàmontour.
Unbruitdeportequiclaquemefaittournerlatête.JemeredresseimmédiatementetGavinfaitunpasenarrière.Onadelacompagnie.
La ragequi émanedeDallas est palpable. Il serre lespoings en avançantversnous et je suisterrifiéeàl’idéequecespoingsfinissentdanslafiguredesonmeilleurami.
—Qu’est-cequisepasse,ici?C’estquoi,cebordel?Moncœurbatsifortquejel’entendsàpeine.Sestraitssontdéformésparlacolèreetjemesens
rougir.—Gavinétaitjusteentraindemeconsoler.Jenemesentaispastrèsbienetj’étaiscontrariée
parcequeMandyt’adit.Ilmeréconfortait,c’esttout.
La culpabilité remplace la colère sur le visage de mon frère et son regard s’adoucitconsidérablement.
—Dix,cen’estpascequ’ellevoulaitdire.J’aidiscutéavecelleetjeluiaiexpliqué.Ellene…—Elleaditquej’étaisunfreinpourtacarrière,Dallas.Peut-êtrequ’ellearaison.Je hausse les épaules nonchalamment en dépit de la douleur que je ressens. Gavin serre les
poings aussi, àprésent, et jeme rends compteque, sans levouloir, jeviensde révélerquec’est àcausedeMandyquej’étaisaussimal.
—Jecroyaisqu’ellenouscomprenait,qu’elleaimaitnotremusique.SansDixie,iln’yapasdegroupe.
—C’estpluscompliquéqueça.Dixieaseulemententenduunepartiedelaconversation.Dallas m’adresse un regard plein de sympathie, mais son expression change du tout au tout
quandilsetournedenouveauversGavin.—Al’avenir,quandmapetitesœurn’estpasbien, tu luidisdevenirmeparler.Etàpartirde
maintenant,quandtuveuxlaréconforter,tulefaisàdistance.— Personne ne me donne d’ordres, Dallas, et ça vaut aussi pour toi. Sache que j’apprécie
moyennementlafaçondonttulaissestanouvellecopineparlerdetapetitesœur.Etpourtagouverneellen’est lapetite riendu toutdepersonneet elle est àdeuxmètresde toi, alors tupeuxpeut-êtrecommencerpararrêterdeparlerd’ellecommesiellen’étaitpaslà.
JevoistoutlecorpsdeDallassecontracteretilvientseplanterjustedevantGavin.—Tuasquelquechoseàmedire,Garrison?Parcequ’onadéjàparlédeça.Jepensaisavoirété
clairlapremièrefois,maistuaspeut-êtrebesoinquejerépète?—Nemepoussepasàbout.Tusaistrèsbiencequej’enpense.Oupeut-êtrequec’esttoiquias
besoind’unpetitrappel.Jenecomprendspastoutcequ’ilsracontent,maisjesuisenétatd’alerte.Çavadérapersijene
m’interposepasimmédiatement.—Arrêtez. Inutiledevousmettredansdesétatspareils. Jenemesensvraimentpas trèsbien,
alorsjenevaispasfairelerappel.Vousn’avezqu’àyallertouslesdeux.Siquelqu’unestintéressé,onverraàcemoment-làsijedoisounongardermaplacedanslegroupe.Peut-êtrequejepourraisfairevotrepremièrepartiependantvotretournéeinternationale.
Je donne un petit coup d’épaule àDallas en espérant avoir réussi à détendre l’atmosphère. Ilsecouelatêteetreprendlaparolecommesijen’avaisriendit.
—Tufaispartiedecegroupe,DixieLeigh.Tuastoujourseutaplaceettul’aurastoujours.Etmaintenantc’estl’heuredemontersurscène,alorsonyva.
Gavinjoueavecsonbriquet,commeàchaquefoisqu’ilabesoindecanalisersonénergieoudesedéfoulersurquelquechose.
—Dallas, je suis sérieuse. Ce n’est pas la peine d’en faire une affaire d’Etat, c’est juste unechanson.Allez-y.Jeseraidanslepublicpourvousapplaudir.
J’essaiedememontrerencourageante.Jeveuxleconvaincrequecen’estpasgrave,carçanel’estpas.Enfin,pasvraiment…Lavérité,c’estque,mêmesiçameblessedenepasfairelerappel,j’aibesoindesavoir.Jeveuxqu’ilslefassentsansmoipourvoircommentlepublicréagit.Sic’estréellement leurchancedese faireunnom, jenesupporteraispasd’êtreunobstaclesur leur route.Alorsjevaisfaireprofilbasetleslaissertenterlecoupsansmoi.
—Lesgarçons?Mandypasselatêtedansl’entrebâillementdelaporte,etelleagitelebrasimpatiemment.—Ilfautyaller.C’estl’heure.
—Dixie?—Vas-y,Dallas.Jevaisbien,jet’assure.Ilplisselesyeux,visiblementsceptiquefaceàmespiètrestalentsd’actrice,maisilserésigne.En
voyantl’expressionsursonvisage,jerepenseàlafois,quandj’avaisonzeans,oùonestpartisfairede l’escaladedansunecarrière. Ilyavaitun lacartificielaumilieuet l’idéeétaitdegrimperaussihautquepossiblepoursauterdansl’eau.J’étaisterrifiée—j’aitoujourseuunpeulevertige—,maisj’ysuisalléeaveceuxpourm’assurerqu’ilneleurarriveraitrien.Aufinal,ilsontsautéetilsétaientsurexcitésaprès,commes’ilsavaientaccompliunexploit.Quantàmoi,j’ailevélesyeuxaucielenfaisant comme si je n’étais pas du tout impressionnée, alors que je l’étais, bien sûr. J’ai fini parrassemblermoncourageetdéciderquejevoulaissauter,moiaussi,pournepasrestersurlatouche.Mais,aumomentoùj’aivoululedireàDallas,lesgarçonsavaientdéjàdécrétéqu’ilsétaientprêtsàrentrer à lamaisonetonestpartis. J’avais laissépassermachanceet, des annéesplus tard, jemeretrouvedenouveaudanslamêmesituation.
—Gavin?Onyvaouquoi?—Donne-moiuneminute.MonfrèreluilanceunregarddésapprobateuretGavinserrelesdents.—Uneminute,j’aidit.Dallassecouelatêteetnouslaisseseuls,nonsansavoirlâchéunebordéedejuronsàvoixbasse.— Pourquoi tu fais ça ? me demande alors Gavin en se tournant vers moi. Est-ce que c’est
vraimentàcausedecettegarcemanipulatriceouest-cequec’estàcausedemoi?Denous?—Est-cequ’ilpeutvraimentyavoirun«nous»?Apparemment,monfrèreettoiavezdéjàvoté
contre.Sansmêmemedemandermonavis.Un masque de regret et de tristesse recouvre son visage, mais il ne dit rien. Etre avec moi
équivaudraitàtrahirmonfrère,jelelisdanssesyeux.Jenesaispasvraimentpourquoi,maisc’estunfait.Jenepeuxpasleurdemanderdechangerd’avis,maisjenepeuxpasnonpluscontinueràcachermes sentiments. Je suis incapabledecontinuercommeça, jene supporteplusd’êtrecettebombeàretardementquimenaced’exploseretdedétruireleursrêves,leuravenir,parlamêmeoccasion.
Commentai-jepuêtrestupideaupointdecroirequ’unenuitallaitsuffireàtireruntraitsurdessentimentsvieuxdedixans?Mondésiratellementfaussémonjugementquej’aifiniparmementiràmoi-mêmesansmêmem’enrendrecompte.
—J’aimeraispouvoirt’expliquer…,commence-t-il,maisjeposemesdoigtssursabouchepourlefairetaire.
—Mercipourlanuitqu’onapasséeensemble.Mêmesijesaisquetuneveuxriendeplus,jeneregretteraijamaiscequ’onavécu.Maislà,Dallasabesoindetoietj’aibesoindelelaissertentersachancesansluimettredebâtonsdanslesroues,nilepousseràsebattreavecsonbatteur.Ilfautquetuailleslesoutenir.
—Viens avec moi. On va jouer ce morceau comme on l’a toujours joué. Pour le reste, onpourratoujourstrouverunesolutionplustard.
Ilprendmamainet,quandsesdoigtsenlacentlesmiens, jesuispresquetentée.Mais,entrecequia failli sepasserentreDallaset lui et cequeMandyadit, jedoisprendreunpeude recul.Dumoinspourlemoment.
—Jel’aidéjà,lasolution.Vas-y.Jemehaussesurlapointedespiedsetdéposeunbaisersursajoue.—Jevaisbien,jetelepromets.Valeurmontrerdequoituescapable.
—Il faut qu’on parle après le concert. Et après ça on parlera à ton frère et à notre nouveaumanager,dit-ilencrachantlederniermotavecdédain.
—Gavin,je…—Non,Bluebird.Çasuffit.Arrêtede teconvaincreducontrairedeceque tuveux.Jen’enai
rien à foutre de ce que Mandy Lantram peut penser, ou de ce que qui que ce soit peut penserd’ailleurs,etjevoudraisquetuenfassesautant.Arrêtedefairepasserlesautresavanttoi.C’estàtoidedécidercequetuveuxvraiment.Quetufassesounonpartiedugroupenedépendquedetoietdepersonned’autre.C’estuniquementpourtoiquetudoisprendreladécision,tuascompris?
Jehochelatête.Jesaiscequejeveux.Legroupeestlachosequicompteleplusdansmavieetsansluijesuisperdue.
Laportes’ouvrebrusquement.—Tuviensouquoi?LavoixdeDallasestglaciale,commesonregardquandilvoitlamaindeGavindanslamienne.—J’arrive.Dallasretourneàl’intérieuretGavinmeserrecontrelui.—Attends-moiaprèslerappel,d’accord?J’acquiescemais,quandillâchemamainetqu’ils’éloigne,jesaisaufonddemoiquecen’est
passeulementaurappelquejeviensdedireadieu.
27
Malgrélafoule,jetrouveunsiègevideaubordd’unedespremièresrangées.Heureusement,lascèneestencoreplongéedansl’obscurité,jen’aidoncrienraté.JenesaismêmepasquellechansonDallas a choisie au final, alors je n’ai aucune idée de ce à quoim’attendre. Soudain, le bruit descymbalesdeGavinretentitet j’ai lachairdepoule.Dallas jouequelquesaccordset jereconnais lachansonimmédiatement.Elles’intituleTheEnd.Sachantqu’ilssontlederniergroupedelasoirée,çan’auraitpaspumieuxtomber.
Les lumières s’allument et j’aperçois enfin les deux hommes que j’aime le plus au monde—enfin,à l’exceptiondepapy,biensûr.Acet instant, jeredevienslapetitefillequiresteassiseauborddelafalaiseensedisantqu’elleaimeraitbiensauteraulieud’êtreunepoulemouillée.
Aucoursdeladernièreannée,onaenvisagéuntasd’hypothèsespouvantexpliquerlefaitquelegroupe ne perçait pas. Dallas a tout passé en revue, de notre goût trop prononcé pour la countryclassique à notre refus de jouer de la pop, en passant par notre look. On a souvent discuté deschangementsqu’onpouvait faire,mais jamaispersonnen’avait suggéré que c’était peut-êtreOz etmoi,leproblème.Jesuissurlepointdedécouvrirsic’estbeletbienlecas.
L’émotionmeserrelagorgeetmesyeuxseremplissentdelarmestandisquejeregardeDallasjouersonsolodeguitare.Iln’apasdutoutlamêmevoixquelechanteurd’origineetils’approprievraiment la chanson, au lieud’essayer d’imiter quelqu’und’autre. Je débordede fierté et d’amourquandjevoislechangementd’attitudedanslepublic.Presquetouteslespersonnesprésentessesontredresséessurleursiège,etellessontcaptivéesparl’énergieetl’originalitédeDallasetGavin.
Jesuisheureusepoureuxet,enmêmetemps,nepasêtreaveceuxmedonnel’impressionqu’onm’aarrachélestripes.Ladouleurdansmapoitrineesttellementintensequejem’attendspresqueàmemettreàsaigner.
MesyeuxseposentsurGavinet jeretiensmonsouffle. Ilmet toutsoncœuret toutesonâmedans lemorceau.Saconcentrationestmaximale. Je serais incapablede fixermon regardsurautrechosemêmesimavieendépendait.Moncœurbataurythmedesabatterieet,enlevoyantsurscène,j’ai lesentimentde tomberencoreplusamoureusede lui.Danscettesallepleined’inconnus, jemelaisseencoreunefoisemporterparlesimagesdenotrenuitetjemerepassechaquecaresse,chaquebaiser,danslesmoindresdétails.
Il est vivant quand il joue, quand il est assis derrière sa batterie et qu’il donne le tempo. Il abesoindeLeavingAmarillopoursurvivreetj’aihonted’avoiroséfairequelquechosesusceptibledel’enpriver.
Dallaschantelesdernièresphrasesacappellaetsavoixmetransportedansuneautredimension.Quandilsontterminé,untonnerred’applaudissementsretentit,maisjenemejoinspasauxautres.Jesuistropoccupéeàmecouvrirlabouched’unemainpourm’empêcherdesangloter,tandisquemonautremainestposéesurmoncœur,briséenmillemorceaux.J’attrapemonportabledansmonsacpourlesprendreenphoto.J’aiplusieursmessages,maisjedécidedelesconsulterplustard,etjemedépêchedelesphotographieravantqu’ilsnequittentlascène.
Jemelèvepourlesrejoindreencoulissesetlesféliciterquandjesensunemainseposerdanslebasdemondos.
—C’étaittrèsbien,maisç’auraitétéencoremieuxsivousaviezétésurscèneaveceux.Lavoix,masculine,appartientvraisemblablementaupropriétairedelamain,etl’intonationest
bientropintimecompte tenuducontexte.JemeretourneetBrianEadesm’adresseunpetitsourirecompatissant.
—Jenemesentaispastrèsbien.J’essaiedeluiéchapperenmedirigeantverslascène,maisilm’emboîtelepas.—Dommagepoureux,répond-ilavecunclind’œilcomplice.—Ilssesonttrèsbiendébrouilléssansmoi.Jetentedeluisourire,maislecœurn’yestpas.—Bluebird,tuesprête?Je tourne la têtevers lavoix familièreetun frissonmeparcourtenvoyant l’éclatde jalousie
férocequibrilledanslesyeuxdeGavin.Ilestdenouveauentraindemarquersonterritoirecommeunpetitchienalorsqu’iln’enaaucundroit,maisjen’aimêmepaslaforcedememettreencolère.Jerepèremonfrèreunpeuplusloin,entraindeserrerlamaindel’hommequiétaitassisavecBrianplustôtdanslasoirée.
Malgrémoi,jesuisGavinàl’extérieur.Ennousapercevant,lechauffeursortdelavoiture,maisjeluifaissigned’attendre.Pourl’instant,j’aijustebesoindeprendrel’air.
—Jesaiscequetuasfait,ditGavinens’approchantdemoi.J’aivul’expressionsurtonvisageàlafindumorceau.
Mentirneserviraitàrienetjen’aipaslesmotspourexpliquercequej’airessentienlesvoyantjouersansmoi,alorsjenerépondspas.Jelaissesimplementlachaleurdesoncorpscontrelemienmeréconforter.
—Jemefichedecequelesgensdisent.Plusjamaisonneremontesurscènesanstoi.Jegardelesilence.Detoutefaçon,j’aitropdemalàrespirerpourparler.—Bonsang,Dixie,disquelquechose.Jet’aivue.J’aivucequeçat’afait.Regarde-moi.Jelèvelatêteetjemerésousàaffrontersonregard.—Vousavezétégéniaux.C’étaitparfait.—C’étaittoutsaufparfait.—Tuastort.Vousavezcomplètementélectrisélepublic,ilsétaientcaptivés.—Jen’aipasremarqué.Jenevoyaisquetoi.Çamefaittellementdebiend’entendreça,aprèsladouleurquej’airessentieenlesvoyantjouer
sansmoi,quejememetssurlapointedespiedsetquejel’embrassesansréfléchir.Ilm’agrippefermementparlesépaulesetmefaitreculerd’unpas.—Onnepeutpas,Bluebird.Tulesaisbien.Saufquecequejelisdanssesyeuxesttotalementàl’opposédesmotsquisortentdesabouche,
alorsjeposemonsacsurlesoletpassemesmainsdanssescheveux.—Jelesais.C’estvrai,tuasraison.
Cesontlesderniersmotsquejeprononceavantdel’embrasserdenouveau.Cequicommencecommeuntémoignaged’amouretdetendressedevientrapidementlebaiser
le plus intense et le plus sensuel que j’aie jamais donné. Nos lèvres, nos langues, nos dentss’entrechoquent désespérément, on a tellement besoin de se rapprocher encore de l’autre, de lemarquer, de se l’approprier. Quand il m’attrape pour me serrer contre lui avec un grognement,j’enroulelesjambesautourdesataillesansmêmeypenser.Jesuisprêteàcequ’ilouvrelaportièrede la voiture pourmeprendre sur la banquette arrière, et tant pis si n’importe qui risque de noussurprendre.
—Gavin.Jemurmuresonnomdansunsoupirtandisqu’ilm’embrassederrièrel’oreille.Salanguesuitle
contourdemonlobeavantquesesdentsne titillent lecreuxdemoncou,commes’ilhésitaitàmemordre.
—NomdeDieu,Dixie.Pourquoifaut-ilquetuaiesaussibongoût?Jefrémisetilmereposesurlesol.Doucement,ilappuiesonfrontcontrelemien.J’enroulemes
brasautourdesataillepouressayerdel’attirercontremoi,maisilrecule.Sonsouffleestirrégulieretildescenddutrottoirensecouantlatête.
—J’aipromis.J’aipromis,putain.—Toutn’estpasblancounoirdanslavie,Gavin.Toutn’estpasbienoumal,etonn’arienfait
demaltouslesdeux.Dumoinscen’estpasl’impressionquej’aieue…quej’aiencore.Moncœurmesupplied’arrêter,demetaire.Jesuisencorebouleverséedelesavoirvusjouersansmoietjen’aipaseule tempsdemeprépareràundeuxièmeround.Mais jene l’écoutepas,parceque j’aibesoindesavoir.
—Est-cequeturegrettes?Jesaiscequ’est leregret.Nepasmontersurscèneaveceuxmel’aappris.C’estunpoidsqui
pèse sur votre poitrine quand vous vous rendez compte que vous ne pouvez plus rien faire pourchanger ce qui s’est passé, ou ce qui ne s’est pas passé d’ailleurs. Vous devez juste l’accepter etessayerd’avancerensoignantvosblessuresdumieuxquevouspouvez.
JenevoudraispourrienaumondeavoirfaitçaàGavin.Et,enmêmetemps,jesuisterrifiéeàl’idéedelablessurequeGavinestpeut-êtresurlepointdem’infliger,carjenesuispassûred’avoirlaforcedelasupporter.
—Réponds-moi,bordel.Jeveuxsavoir.Est-cequeturegrettes?—Tuterappellescequetum’asdit?commence-t-ild’unevoixtendue.Quetuveuxêtrecelle
avecquij’aienviedepassermesnuits,demeréveillerlematin,etcelleàquijepensesansarrêt.Ilfaitunpasversmoietj’acquiesce,tremblante.—Tul’es,Bluebird.Tul’astoujoursété.En entendant sa confession, c’est comme si toutmonunivers s’écroulait. Tout s’évanouit : le
groupe,lapeur,monfrèreetmêmelamusique.Iln’yaplusqueGavin,plusquenous.Ilmedévisagecommesic’étaitlapremièrefoisqu’ilmevoyaitetjememordsnerveusement
les lèvrespendantqu’ilm’observe.Ona tout àperdremais,maintenantque je saisqu’onestdeuxdanslemêmecas,çan’apluslamêmesignification.
Jetendslebrasversluipourleserrercontremoi,l’embrasser,leconsoler.J’aimeraisluidirequejel’aime,queplusjamaisjeneleslaisseraijouerunmorceausansmoi,qu’ilesttellementplusquecequ’ilcroit.Maisonnem’enlaissepasletemps.
—Garrison,c’estquoi,cebordel?
Lavoixdemonfrèrenousfaitl’effetd’uncoupdemassue.IlavanceversnousaupasdechargeavecMandysurlestalons,etGavinreculed’unpas.
—Calme-toi,Dallas.Cen’estpascequetucrois.Pascequetucrois?Qu’est-ce quemon frère croit ? Et, si ce n’est pas ce qu’il croit, qu’est-ce que c’est alors ?
Chaquequestionestcommeuncoupdepoignardenpleinepoitrine.—Vousm’avez laisséenplan.Onestcensés rencontrerdumondeet faire laconnaissancede
gensimportants,etvous,vousêteslààprendrel’air?—SiDixiesesentaitmalaupointdenepaspouvoirmontersurscène,jepensequeçaveutdire
qu’ilesttempsderentrer,ditGavinsansselaisserimpressionner.Mandysedirigeverslavoiture,suiviedeDallas.Jeramassemonsacetmonregardcroisecelui
deGavin,chargéd’incertitude.Mandy donne l’adresse de l’hôtel au chauffeur et les garçons regardent par la fenêtre sans
desserrerlesdents.AlafaçondontMandysourit,jepariequ’ellen’enperdpasunemiette.J’enprofitepoursortirmonportabledemonsacetjevoisquej’aiplusieursappelsenabsence
deMmeLawson.Lesmessagesvocauxqu’ellem’alaisséssontsûrementàproposdeseschats,maisjelesécoutequandmême.
Danslepremier,savoixestsiperçanteetpaniquéequejenecomprendsrien.Maislesecondestclaircommedel’eauderoche.
Papyafaituninfarctus.Ellel’atrouvédanslejardintôtcematinetilestàl’hôpitalStAnthony,dansunétatgrave.
Monportableglisseentremesdoigts.—Ilfautqu’onrentreàlamaison.Toutdesuite.
28
LetrajetdepuisNashvilles’estdéroulédansunesortedebrouillardépais.Jenecroispasavoirditunseulmot.Onacommencéparsedemandersionpouvaitsepermettredeprendrel’aviontouslestrois,pourensuiteserendrecomptequ’iln’yavaitaucunvoljusqu’à8heureslelendemainmatin.AlorsonachargéEmmylouetons’estmisenroute.Jecroisquelesgarçonsontessayédemefairemangerquelquechoseàunmoment,etquej’aibuquelquesgorgéesdelaboissonquequelqu’unm’atenduedansunestation-service,maisjenemerappelleriend’autre.
J’avaismaletj’étaisénervée,maisjenemesouvienspaspourquoi.Jenemesouviensderien.Plus rien n’a d’importance. Toutes mes pensées sont prisonnières dans un tunnel de peur etd’incertitude.
La salle d’attente du service de soins intensifs est presque vide. Une odeur agressived’antiseptiqueflottedansl’air.Onestarrivésplusvitequeprévu,grâceànotreméprisaffichépourlecodedelarouteetleslimitationsdevitesse.Dallassemetenquêtedel’infirmièreenchefetonnousinformequ’unmédecinviendranousparlerpendantsatournéedel’après-midi.Enattendant,iln’yarienàfaireàpartresterassisprèsdulitdepapyetregarderlesmachinesrespireretl’hydrateràsaplace.Elles bipent à un rythme réguliermais, pour la première fois, je n’entends pas demusique.J’entendsjustelepassageirrévocabledutemps.
Chaquemoment,chaquerespirationreprésenteunemesurequinousrapprocheunpeuplusdelafin et me rappelle qu’il n’y aura pas toujours de lendemain. On tient tellement de choses pouracquises…
Sijepouvaisbougeraulieud’êtreterrasséeparlechoc,jemejetteraisdanslesbrasdeGavin.Jediraisàmonfrèreetaumondeentierquejesuisamoureusedelui,quejel’aitoujoursété,etquejele serai jusqu’àmon dernier souffle.Mais là, avec papy qui semble avoir pris dix ans et paraît sifragileenveloppédanscedrapblanc,ceseraitégoïsteetinutile.Aimer,êtreaimé,estuneffortinutile.Exactementcommel’énergiequejedépenseraisenrentrantàlamaisonpourprendreunedoucheoumanger,alorsquejepeuxrestericiprèsdeluienpriantpourqu’ilserétablisse.
Onrestedoncassislà,avecDallasetGavin,aumilieudubruitdesmachines.Latélévisionestalluméeetlessous-titresdeCNNdéfilentsilencieusementenbasdel’écran,carpersonneneprendlapeinedemonterlesonoudechangerdechaîne.Lenombredevisiteursautorisésestnormalementdedeux,maisGavinadûfaireducharmeauxinfirmières,parcequ’ellesl’ontlaissérester.Ellesvontetviennent,demandentnosnoms,seprésententetnotentsurleurcarnetdeschosessurl’étatdepapy,quiresteinchangéàchaquefois.
A l’heure du déjeuner, on n’a encore vu personne capable de nous dire ce qui se passeexactement. Dallas appelleMme Lawson, qui lui explique, en larmes, que ses chats avaient préditqu’unmalheurallaitarriver.
—Ellel’atrouvéprèsdelaboîteauxlettres.Ellem’aditqu’ilétaitsurledos,delamousseluisortaitdelaboucheetilnerépondaitpasquandelleluiparlait.Elleaappelélespompiers,quiluiontexpliquécommentfaireunmassagecardiaque,maisilcontinuaitàécumer.
TandisqueDallasmerapporteleurconversation,jehochelatête.C’esttoutcequejemesenscapabledefaire.Ilpourraittoutaussibienmemettreunegifleentrechaquephrasequejeneréagiraispasdavantage.
—Ilafalluvingtminutesàl’ambulancepourarriveretlesambulanciersétaientencoreentraindeleranimerquandilssontpartispourl’hôpital.Ellem’ademandédelateniraucourant.
J’acquiescedenouveau,commeunautomate.Jesuissurlepointdem’endormirquandunhommeblondàl’airfatiguéentredanslachambre.
DallasetGavinsomnolent,recroquevillésdansdesfauteuils.—MademoiselleLark?Jemelèved’unbond,commeunpoliciersurprisentraindedormirpendantleservice.—Oui,monsieur.—Vousêtessafille?—Sapetite-fille.C’estlepèredemamère.Elleestmortequandj’étaispetiteetc’estluiquinous
aélevés,avecmonfrère.JedésigneDallasdudoigt.Jen’aiaucuneidéedepourquoijeviensdeluidéballertoutça.J’ai
l’impressiond’êtreunrobotquidébitedesinformationsàlademande.Ilmeserrelamainetjeremarquequ’ilalesyeuxrougesetdegroscernes.Ilnedoitpasavoir
plusdetrenteans,maislafatiguelevieillit.—Bonjour.JesuisleDrPaulsen.Jen’étaispaslàquandvotregrand-pèreaétéadmis,c’estle
DrRasheedquis’estoccupédeluiàsonarrivée,maisj’aisupervisétoussesexamens.—Quelsexamens?— Des scanners, en majorité. Votre grand-père a fait une crise cardiaque. On a constaté un
blocageà90%etplusieursscannersontrévéléuneactivitécérébraletrèsfaible,voireinexistante.Unneurologuedoitpasserdemainpourdiscuterdesesrésultatsplusendétail.
Je suis sûre que tout ce qu’ilme dit est supposé avoir un sens,mais lemanque de sommeilm’empêche de comprendre quoi que ce soit. J’attends lemoment où il vame donner la solution,m’expliquerlaprocédureoul’opérationquivaréparerça,soignerpapy.
Ilm’adresse un sourire compatissant que je suis trop épuisée pour lui retourner.Unnœud seformedansmagorgeetjesensmesyeuxseremplirdelarmes.
—Alorsc’estgrave?C’esttoutcequejeparviensàdire.—Ilaeuuneattaquetrèssérieuseet,pourêtrehonnête,onnepeutpassavoirpendantcombien
detempssoncerveauaétéprivéd’oxygène.—Qu’est-cequeçaveutdire?—Çasignifieque,mêmesisoncœurbat,ilyadegrandsrisquespourqu’ilsoitenétatdemort
cérébrale.Mon esprit rejette aussitôt cette possibilité. Je regarde mon grand-père et je décide qu’il est
simplementfatigué.Ildorttrèsprofondément,c’esttout.Lemédecinsetrompe,d’ailleursiln’apasditqu’ilétaitdésolé,ouaucundecestrucsquedisentlesmédecinsquandc’estvraimentgrave.
Lapoitrinedemongrand-pèremonteetdescendàunrythmerégulieretjedécided’ignorerlefaitquec’estuniquementgrâceauxtubesquientrentdanssonnezetdanssabouche.Ilrespire.Ilestenvie.Iln’estpasenétatdemortcérébrale.Ladernièreconversationqu’onaeueautéléphonen’estpasladernièreconversationdenosvies.C’estimpossible.
—Jedevaisluifairedupaindeviande.Ma voix s’étrangle avant que les derniers mots n’aient quitté mes lèvres. Le médecin écrit
quelquechosesurledossierdepapyetraccrochebruyammentleporte-blocauboutdesonlit,avantdereprendrelaparole:
—Nousallonssurveillerdeprèssesconstantesetleretournerpouréviterlesescarres,maisjemedoisd’êtrehonnêteavecvous.Vousallezdevoirprendredesdécisionsdifficiles,notammentencequiconcerneleformulairederefusderéanimation.Lesinfirmièresvousenparleront.
—Jenesaispascequec’est.—C’estunpapierquipréciseque lepatientnedoitpas être réanimé si soncœur s’arrête.Si
vouslesignez,alorslesinfirmièresplacerontunbraceletautourdesonpoignetetl’indiquerontdanssondossier.Çaveutdireques’il faitun infarctus, commec’est souvent lecasdespatientsdans sasituation,nousn’imposeronspasàsoncorps le traumatismequesupposeuneréanimation.Nouslelaisseronspartir,toutsimplement.
«Nouslelaisseronspartir,toutsimplement.»Il a presque chuchoté,mais lesmots résonnent dansma tête comme s’il les avait hurlés dans
monoreille.—Jedevaisluifairedupaindeviande.J’ail’impressiond’êtreundisquerayé.Jesuisbrisée,cassée,etmoncerveaunefonctionneplus.—Jevaisvous laisserdiscuterde toutçaavecvotre famille.Sivousouvotre frèreavezdes
questions,jerepasseraidemainpendantmatournéedumatin.Aprèsunedernièrefaibletentativedesourireetunpetitsignedetêtecompatissant,ils’enva.Je
suis seule, à essayer d’assimiler tout ce qu’il vient demedire et àmedemander comment je vaisannoncerçaàDallas.
—Jesuisdésolé.JesursauteenentendantlavoixdeGavin.J’étaispersuadéequ’ilétaitendormi.—Cen’estpastafaute.Sansforce,jemelaisseretomberdansmonfauteuil.—Essaiededormir,Bluebird.J’enaientenduassezpourpouvoirtoutexpliqueràDallasquand
ilseréveillera.Unepetitepartiedemoncerveau,cellequicroitencoreauxfinsheureusesendépitd’uneviequi
n’acessédemedémontrerqueçan’existaitpas,semetàespérerquejedorsdéjà.Oui,jesuisentrainde faire un horrible cauchemar et, quand je vaisme réveiller, papy se portera commeun charme.Alorsjelaissecettepartieprendreledessusetjebasculedansl’inconscience,làoùtoutvatoujoursmieux.
***
—Hello.J’ouvrelesyeuxetjetentederépondre,maisseulungrognementsortdemabouche.Desrayons
desoleilentrentdansunechambregrisemeubléed’unlitblanc.Vide.—Oùest-il?
J’aimeraismelever,maisj’aidormiaveclesjambespliéessousmoietj’aitellementdefourmisquejenepeuxpasbouger.
—Ilsl’ontemmenépourdesexamens,m’expliqueDallas.Ilal’airaussiépuiséquemoi.QuantaufauteuildeGavin,ilestvide.
—Oùest-ceque…— Il est rentré. Je lui ai demandé de garder la maison pour nous et je lui ai dit qu’on
l’appelleraitsionavaitbesoindequelquechose.Jehochelatêteettented’avalermasalive,maisj’ail’impressionquemaboucheestpleinede
sable.—J’aivuunneurologuecematin.J’aioubliésonnom.Ilm’aplusoumoinsditlamêmechose
quecequelemédecint’aexpliquéhier,d’aprèscequem’aracontéGavin.C’estgrave.Vraimentgrave.Jelevoisàlafaçondontsesépaulessontaffaissées,dontsatêteest
baissée,maisjenesuispasencoreprêteàavoircetteconversation.—J’aidormilongtemps?—Presqueseizeheures.Tuétaisépuisée.Onn’apasarrêtécestemps-ci…Peut-êtrequej’aiété
tropexigeant.—Net’enfaispas,jevaisbien.Qu’est-cequelemédecinadit?Ilyadunouveau?Ilsepencheversmoi.SesyeuxontlamêmeexpressionquecelleduDrPaulsenhier.—Dixie, je sais que c’est dur et, crois-moi, s’il y a bien quelqu’un qui sait que papy est un
battant,c’estmoi.Maisjepensequ’ilfautqu’ondiscutede…—Tuveuxsignerlepapier.Jeleconnais, jesavaisqu’ilpenseraitquec’était lameilleurechoseàfaireàlasecondeoùle
médecinluienparlerait.—Avoirdesinfirmièresquiletorchentetquiletournentpourqu’iln’attrapepasd’escarres…
jepensequ’ildétesteraitça.Quandjelevoisallongélàensachantqu’ilneseraplusjamaislemême,qu’ilvapasserlerestedesaviecommeça,jemedisqu’onn’apasledroitdelelaisserdanscetétat.Jepensequ’ilpréféreraitpartir.
—Tu te rendscompteque, sion fait ça, ilsvont lemarquercommeunebêtequ’onenvoieàl’abattoir?Ilvaavoirunbraceletquiveutdire«Laissez-moimourir»!J’ail’impressionqu’onlelaissetomber.Qu’onn’essaiemêmepasdesebattrepourlui.
Jesuistellementbouleverséequej’arriveàpeineàfinirmaphrase.Dallasalesyeuxpleinsdelarmes.Jenecroispasl’avoirjamaisvupleurer.
—D’accord.Alorsonnesignepas.Pastantquetun’espasprête.J’appréciequ’iln’argumentepas,carjen’aivraimentpaslaforcedemelancerdanscegenrede
débat. Je saisqu’il a raison :papyserait furieuxdesavoirqu’on l’a laissévégéterdansce lit sansaucunedignité.«Jesuisunanciencombattant,bonsangdebonsoir!»Voilàcequ’ilnousdiraits’ilpouvaitparler.Dallasmeprenddanssesbrasetmeberceenmemurmurantqu’ilm’aimeetqu’ilestdésolé.
—J’étaiscenséeluifairedupaindeviande.Jesuisincapabledepenseràautrechose.C’esttoutcequimereste:l’espoirqu’ilvaseréveiller,quejeluiferaidupaindeviandeetque
laviecontinueracommeavant.
***
Au bout de quatre jours, Dallas se fâche et memenace de me faire interner dans le servicepsychiatrie si je ne vais pasme reposer. Il ne plaisante pas : je l’ai entendu dire àGavin qu’il luidonnaitvingt-quatreheurespourtrouverunmoyendemeconvaincrederentreràlamaison.Danslecascontraire,ildemandeàunpsydevenirm’examiner.
Jen’aipasvraimentmangéquoiquecesoitdeconsistantdepuisqu’onestrevenusdeNashville,jen’aipasnonplusprisdedoucheetj’ail’aird’unvraizombie.Jelevoisàchaquefoisquejepassedevantlemiroirdelapetitesalledebainsattenanteàlachambredepapy.
«Rentre à lamaison,Bluebird, juste pour une nuit. Prends une douche, fais un vrai repas etpasseunevraienuitdesommeildanstonlit.Ensuite,jeteramèneici.»
C’estlapromessequemefaitGavintouslesjours.Dallasetluiserelaientsansarrêtetquelquechosemeditquecen’estpasuniquementpourveillersurpapy.S’ilssont tout le tempsà l’hôpital,c’estaussipourgarderunœilsurmoi.
Depuisquatre jours, j’aibrossésescheveuxgris, je luiaicoupé lesongleset je l’ai rasé.Sespaupièresbougentdetempsentemps,surtoutquandjeluiparled’Austin,etaussilorsqu’onn’estquetouslesdeuxetquejeluiparledeGavin.Mais,àpartça,iln’yapasvraimenteudechangement.J’aijouédufiddlepourluiàdeuxreprisesetjusque-làpersonnenes’estplaint.Lapremièrefois,j’aicruquepapym’avaitserrélamain,maislesdocteursontditquec’étaitjusteunréflexemusculaireetqueçanevoulaitriendire.
Uneinfirmièreentredanslachambreetprendsesconstantesavantdemeposerdesquestions.Est-cequej’aimangé,est-cequejeveuxqu’ellem’apportequelquechoseàgrignoter…Quandellemedemandesij’aidéjàpenséàmefairedumal,jecomprendsqu’ellen’estpasjusteentraindemefairelaconversation.Dallasaparléaupsyetelleestlàenreconnaissance.
Quand elle quitte la chambre, jeme tourne vers Gavin, qui est le chien de garde de serviceaujourd’hui. Il ronfle doucement, installé dans un fauteuil à côté demoi. J’appuiema tête sur sonépauleetjepassemonbrassouslesien.Ilprendmamainetlaserredoucement.
—D’accord.Onrentreàlamaison.
29
Jem’attendaisàtrouverunemaisonendésordreetdesmeublesrecouvertsdepoussière,unpeucommedanslesfilms.Amagrandesurprise,c’estloind’êtrelecas.Lesvoletsjaunessontouverts,leplancherbrille,toutelamaisonestpropreetbienrangée.DallasetGavins’ensontbienoccupés.
J’effleureduboutdesdoigtslecanapébeigeàfleursetunefouledesouvenirsmereviennent.Cesofaaremplitellementderôlesdifférentspournousaucoursdesannées:ilnousaservideplanquependantnospartiesdecache-cache,deperchoirquandonjouaitàchat…C’estaussisurluiquejemesuisassisependantdesannéespourjoueràdesjeuxdesociétéavecmesgrands-parents,avantqu’ilsnecèdentànossupplicationsetqu’ilsachètentunetélévision.
Apparemment,cesjours-ci,lecanapéaaussifaitofficedelit.Ilyaunoreilleretunecouverturesoigneusementpliéeàunedesextrémités.
J’entendsGavinmettrel’eauenroutedanslasalledebainsetjesupposequec’estpourlui,maisil réapparaît presque aussitôt dans le salon.Quand il entre dans la pièce, je suis plantée devant lepiano,avecmesdoigtsquisepromènentsurlestouches.Do,ré,mi…JepeuxencoreentendrelavoixdeMamie.
«Do,ré,mi,DixieLeigh.Un,deux,trois.»—Ladouchen’attendquetoi,mabelle.Donne-moiteshabits,jevaislesmettreàlamachine.Jenesaismêmeplusquandj’aienfilélejeanetleT-shirtquejeporte.Jenediscutepas,jeneme
lancepasdansungranddiscourssurlefaitquejesuisuneadulteresponsablequipeutsedébrouillertouteseule.Jemecontentedemedéshabilleretdeluitendremesvêtements.Gavindisparaîtdanslecouloiret jevaisdans lasalledebains.Lapièceestdéjàpleinedevapeurd’eau,cequim’arrangebien.Commeça,jenepeuxpasmevoirdanslemiroir.
Jememetssous le jetet je laisse l’eaumedébarrasserdupoidsdesdernièressemaines.Je leporteàboutdebrasdepuissilongtempsquejen’aiplusdeforces.Jemelaveenréfléchissantàtoutesleschosesquejevaisdireàpapyquandilvaseréveiller.Premièrement,jenepartiraiplusjamais.Jetrouveraiunjobenvilleetjepourraitoujoursjouerdelamusiquesousleporchepourluitouslessoirs.Deuxièmement,jevaisluipasserunsavon.Ettroisièmement,jevaism’asseoiretl’écoutermeraconterabsolumenttoutcequ’ilsaitsurlavieetlamusique.Chaquejournéeavecluiétaituneleçonetj’aiencoretellementdechosesàapprendre.
Saufque jeprendssoudainconscienced’unechose : sipapymeurt, luietmamieserontenfinréunis.C’estcequ’il a toujoursvoulu. Iln’auraplusàpasserdes journéesentièresassis seuldanscettemaison,à songeràcombienelle luimanque. Ils formaientunsacrécouple…«uneéquipe»,commeilsledisaienttoujours.Iln’aplusjamaisétélemêmedepuissondécès.
Jesorsdeladoucheetm’enveloppedansuneserviettequeGavinasûrementdûsortirpourmoi.Jepasselamainsurlemiroirpourenretirerlabuéeetj’observemonreflet.Sipapymevoyait, ilauraithontedemoi.Ilauraithontedemevoirdanscetétat,simaigreethagarde,endeuilcommes’ilétaitdéjàmort.
Quandonaapprisquemamieétaitmalade, ilnousafaitasseoirprèsdelui,avecDallas,et ilnousademandédefaireensortequechaquejourquiluirestaitàvivresoitremplideriresetdejoie.Ilnevoulaitsurtoutpasqu’onpleureouqu’onsemorfondesurnotresort,alorsonafaitdenotremieuxetona retenunos larmes, jusqu’àcequ’ellenousquitte, sixmoisplus tard.Le jourde sonenterrement,enrevanche,onasanglotépendantdesheuresetpapyn’arienfaitpourtenterdenousendissuader.Luiaussiavait lesyeuxbrillantscejour-là.Aprèsça,unmoiss’estécoulésansqu’ilmeretrouve dehors sous le porche pour ma leçon de fiddle quotidienne. Mais j’ai continué à allerl’attendretouslesjours,jusqu’àcequ’ilmerejoigneunmatinaprèssoncafé.«Tuaslabeautéd’unefleuretlarésistanced’unemauvaiseherbe,mapetiteDixie»,a-t-ilditcejour-là,avantdemedonnerquelquesconseilspourdétendremesdoigts.
Jenesuispassûrederessembleràunefleur,maisencequiconcernelamauvaiseherbe,jevaisessayer.Jeluidoisd’êtreplusforteetplusrésistantequejamais.
J’enfile unvieuxbas de pyjama rayé et undébardeur, jemedémêle les cheveux et je rejoinsGavin dans la cuisine. En le voyant devant la gazinière, en pleine préparation de macaronis aufromage—monplatpréféré—, je suispartagéeentre l’enviede l’embrasseretcellede lemettredehors.Dallasadéjàdûannulerdeuxconcertscette semaineet je saisàquelpointGavinabesoind’argent. Ils feraientmieux de s’en aller tous les deux, je peux très bienm’occuper de papy touteseule.Lesmotsseformentdansmonesprit,maisjen’arrivepasàlesprononcer.Alaplace, jememetsàtableensouriantdumieuxpossibleetildéposedevantmoiuneassiettefumanteetunverredethéglacé.
—Jen’arriveraijamaisàmangertoutça.Tuasfaittoutelaboîte?—Non,justelamoitié,dit-ilens’installantenfacedemoi.Pendantuninstant,jemecontentedeleregardermanger,reconnaissantequ’ilsoitlàavecmoi.—Merde,lâche-t-ilsoudain.J’aioubliéquetesgrands-parentsdisaienttoujoursuneprièreavant
lerepas.Tuveuxlefaire?JememetsàrireetGavinmedévisaged’unairsincèrementinquiet.—JepensequeDieumepardonnera,pourunefois.Iladûvoirquej’étaisunpeudistraite.Ilmesouritetpointesafourchettedansmadirection.—Mange,danscecas.J’obéisetonévoqueenriantlescrisesquepiquaitmamiequandellenoussurprenaitentrainde
mangeravantd’avoirrendugrâce.—Sérieusement, j’étaispersuadéqu’elleavaitune lignedirectepourparleraubonDieu.Une
fois,jeluiaiditquejeneservaisàrienetquejefiniraisenenferparcequemesparentsn’étaientpasmariésetquemamèrenesavaitmêmepasquiétaitmonpère.
—Ahoui?Etqu’est-cequ’ellet’arépondu?—Ellem’adit:«Noéétaitunalcoolique,Jacobétaitunmenteur,MoïsebégayaitetLazareétait
mort.Dieutrouveuneutilitéàchacun,auxbâtardscommeauxautres.»Jem’étranglederireetjeplaqueunemaindevantmabouchepournepasrecrachermespâtes.
C’esttoutàfaitlegenredechosesquemamiedisait.—Elleavaitvraimentréponseàtout.—Çamerappellequelqu’un.
—Qui?Moi?—Atonavis?metaquine-t-ilenhaussantlessourcils.—Jevoudraisbien.Çaressembleplusàungrommellementqu’àunevraiephrase,et je reportemonattentionsur
monassiette.Jesuisloind’avoirréponseàtout.Jen’aipaslaréponseencequiconcernepapy.Jenesaispascommentconcilierlegroupeetcequisepassedansmavie.Etjesaisencoremoinscommentavoueràmonfrèrequejesuisamoureusedesonmeilleuramietquejel’aitoujoursété.
Quandj’aifinidemanger,jemelèveavecl’intentionderincermonassietteetjebâilleàgorgedéployée.
—Tuassommeil?demandeGavin.—Unpeu.Jepensequejevaismecoucherdebonneheurepourretourneràl’hôpitaltôtdemain
matin.Mercipourledîner.—Bonnenuit,Bluebird,dit-ildoucement.Là-dessus, il s’empare demon assiette et la pose dans l’évier. Pendant une seconde, quelque
chose flotteentrenous,commeuneétincellequin’auraitbesoinqued’unsoufflepour s’embraser.Maispresqueaussitôtilmetourneledosetjevaismecoucher.Seule.
***
Ladernièrechosequejemerappelle,c’estd’avoirregardélesombresdesbranchesd’arbrequisontdevantmafenêtredanserauplafond.J’aidûfinirparm’endormircar,quandj’ouvrelesyeux,jesuisdansmonlitet il faitencorenuit.Je titubejusqu’àlasalledebainsetcen’estqu’aprèsm’êtrepasséunpeud’eausurlevisagequejereviensàlaréalité.Jemerappellepourquoijesuisderetour,pourquoi je suis à lamaison. Je retourne dansma chambre et j’envoie un texto àDallas pour luidemanderdesnouvellesdepapy.Ildoitdormircar,auboutdeplusieursminutes,ilnem’atoujourspasrépondu.
Incapabledeme rendormir, jeme relèvepourallerausalon.Peut-êtreque jouer sur levieuxpiano demamie vame réconforter un peu. Jem’arrête sur le seuil. Je pensais queGavin dormaitpeut-êtredanslachambredeDallascesoir,maisnon,ilestlà,surlecanapé.Sontorsenusesoulèverégulièrementetjeprendsquelquessecondespourleregarderdormir,avantdefairedemi-toursansbruit.
J’ail’impressiond’étoufferdansmachambre,alorsjelaisselaporteentrouverte.Ilfaittoujourschauddanslamaisoncariln’yapasl’airconditionné,àpartdanslacuisineetlachambredepapy.Jeretiremonbasdepyjamaetjemerouleenboule,monoreillerdanslesbras,enessayantdenepasrepenseràtouteslesfoisoùpapym’abordéequandj’étaisenfant.
Mon oreiller est humide et je me demande si c’est parce que j’ai pleuré ou bavé dans monsommeil.Peut-êtrelesdeux.
J’entendsalorslaportedemachambregrincerdoucement.Elles’ouvrecomplètement,laissantpasserunpeudelumièreenprovenanceducouloir.Gavinneprononcepasunmot.Ilnemedemandepassijevaisbienousij’aibesoindequelquechose.Ilavancejusqu’àmonlitetseglisseprèsdemoisouslacouverture.
—Excuse-moidet’avoirréveillé.Ilmeserrecontresontorseetmebercetendrement.—Jenedormaispas.Etmêmesijedormais,tupourraisbienjouerdupianotoutelanuitsituen
asenvie,çanemedérangeraitpas.
Lesvibrationsdesavoixcaressentmajoueetjeprendssoudainconsciencedelaproximitédenosdeuxcorps.Jeneportequ’undébardeuruséetuneculotte,etluiunboxer.Passerdudésespoirleplustotalàunbesoinirrépressibledechaleuretderéconfortn’apasdesensetpourtant,enquelquessecondes,moncorpsn’estplusdutoutsurlamêmelongueurd’onde.
—Gavin,jevoudrais…Enréalité,jenesaispascequejeveux.J’aijustelesentimentquemonsangestglacédansmes
veinesetquelaseulefaçondenepasmourirgeléeestdepressermoncorpscontrelesien.—Prendstoutcequetuveux.Toutcequej’aiestàtoi.Dis-moicequetuveuxquejefassepour
quetutesentesmieux.J’enroulemajambeautourdessiennesetjel’attireplusprès.—C’esttoiquejeveux.Mêmesilamaisonestvideàpartnous,jeparletoutbas,commesij’avaispeurquequelqu’un
découvrenotresecret.—Jesuistoutàtoi,Bluebird.Jel’aitoujoursété.Jem’assiedspour retirermonhaut et jevois sesyeux scintillerdans l’obscuritéquand jeme
mets à califourchon sur lui. Il reste parfaitement immobile jusqu’à ce que je l’embrasse : là, il seredresse,prendmonvisageentresesmainsetmerendmonbaiseravecfougue.
—Jeveuxtesentirenmoi,Gavin.Sansunmot, ilnous retirenos sous-vêtementsetvientau-dessusdemoi. Je leprendspar les
hanchespourl’attirercontremoi,maissoudainilsefige.—Attends.Tuessûre?Jen’airiensurmoi.—Certaine.Sansmelâcher,ils’allongesurledos,etjedescendsdoucementsursonsexejusqu’àcequ’il
soitentièrementenmoi.Jesaisquec’estmaldeprendreduplaisirdecettefaçonpendantunetragédie,unpeucommede
jeter des bouteilles en verre contre unmur de briques le jour des funérailles de ses parents.MaisGavinest làpourmerappelerqu’aumilieudecettedouleur jesuisenvie. Ilmelaissefaire, ilmelaisse bouger contre lui jusqu’à alléger un peuma peine, encore et encore, jusqu’à l’épuisement.Enfin,lorsqu’ilalacertitudequejesuisrassasiée,luiaussiselaisseemporteretjouitenm’étreignantdetoutessesforces.
—Cen’estpaspourçaquejesuisvenu,dit-ilalorsquejereprendsmonsouffle.Jenevoulaispasprofiterdetoi.Jeveuxseulement…
—Jesais.Bonnenuit,Gavin.Jel’embrassedoucementsurl’épaule.—Bonnenuit,Bluebird.Ilmeprenddanssesbrasetj’enfouismonvisagedanssoncou.Lesbattementsdesoncœurme
bercentjusqu’àcequelesommeilm’emporte.
30
Mongrand-pèreestmortlejourdemonanniversaire.Jem’étaisabsentéequelquesminutespourallerchercherdescaféset,àmonretour,j’aitrouvé
Dallasdanslecouloir.Ilm’attendaitdevantlaportedelachambreaveccetteexpressionsurlevisage.Cet air simalheureuxet si désoléqu’il enparaissait plusvieuxdeplusieurs années et encoreplusépuiséqu’ilnel’était.Aumomentoùnosyeuxsesontrencontrés,j’aicomprisquepapyn’étaitpluslà.
Je nem’étaismême pas rendu compte que c’étaitmon anniversaire, et je crois queDallas etGavinnonplus.Sijem’ensuissouvenue,c’estuniquementparcequeRobynm’aenvoyéunmessagepourmelesouhaiteretmedemandercommentpapyallait.
C’estvraimentétrange,quandquelqu’unmeurt le jourdevotreanniversaire.Jusqu’à lafindemavie,cettedatenemarqueraplusseulementuneautreannéevécue,maisaussiuneannéedeplusdepuisqu’ilestparti.
Je suis totalement sous lechocquandDallasme ramèneà lamaison. Il appelle le funérariumdepuis la voiture et prend rendez-vous pour qu’on aille choisir les fleurs et un cercueil. Commequandonétaitpetits,Dallasvientàlarescousse,meprotège.Grâceàlui,jen’aipasàm’occuperdetouscesdétailssiatrocementdouloureux.Iltendlebrasversmoietmeserrelamainpendantqu’ilcontinue sa conversation,mais lesmots qu’il prononce ne forment aucune phrase cohérente dansmonesprit.
Jeregardevaguementdehors,entrelesrigolesdepluiequidégoulinentlelongdemafenêtre.Al’horizon,jevoislechampquientourelamaredesBaker.Laplupartdeslupinsbleusontdisparuàcettepériodedel’année,maislespissenlitstiennentlecoup.
«Tusais,DixieLeigh,lespissenlitssontplusfortsqu’ilsenontl’air»,m’aditpapyunjouroùjefaisaisunvœuensoufflantsurdesaigrettesdepissenlit.«Commeilssontdispersésparlevent,ilsnechoisissentpasl’endroitoùilsgrandissent,maisilsarriventàpousserpresquen’importeoù.»
Je l’avais trouvé triste cet après-midi-là, mais je n’avais jamais compris pourquoi. Jusqu’àmaintenant.
J’avaisfaitunvœuensoufflant.J’avaissouhaitéquemesparentsreviennent,pourqueDallasetmoipuissionsrentreràlamaison.
J’aitellementmalaucœurquejeportelamainàmapoitrine,enespérantqueçal’empêcherad’exploser.
Lespissenlitsnechoisissentpaslelieuoùilspoussentetjen’aipaschoisinonplus.
Onm’aarrachéeàmajoliepetiteviepourmejeterdansunmondecomplètementdifférent.Unmondebienmoinsraffinéet,surtout,beaucoupplushumble.
Sij’avaisgrandiavecmesparents,j’auraisprisdescoursdepianoauprèsduprofesseurlepluscherquemamèreauraittrouvé—sansdouteuntypecolletmontéencravatequin’auraitpaspufaireladifférenceentrebluegrassetrhythmandblues.Aulieudeça,c’estmamiequinousaapprisàjouer,à Dallas et à à moi. Elle nous faisait cours tous les samedis après-midi et elle nous faisait nousentraînertoutelasemaine,uneheurechacunaprèsledîner.
Envoyantquej’aimaisleviolon,mamèrem’auraitenvoyéedansuneécolebranchéeartsetellem’auraitsûrementinscriteàdescoursdevioloncellepourfairebonpoids.Mais,àAmarillo,jemelevaisàl’aubelesamedipendantquepapyprenaitsonpremiercafédumatinetj’allaisl’attendresurunvieuxbancenpierredanslejardin.Ilmerejoignaitaprèssonsecondcaféetmedonnaitquelquesinstructionsetune tapesur la têteavantde retournerà l’intérieur.Aprèsça, jepassais la journéeàm’entraîneretàmartyriserlesoreillesdeschiensduvoisinage.
Unsanglotmontedansmagorgeetleslarmessemettentàroulersurmonvisage.Jenesaispassic’estparcequejeculpabilisedenepasavoirétédanssachambrequandilestmortousic’estparcequej’aienfinarrêtéd’espérerleretourdemesparents.
—Dixie,çava?Jem’essuieprécipitammentlesjouesetjemeforceàsourireàDallas.Jenem’étaispasrendu
comptequ’iln’étaitplusautéléphone.— Oui, c’est juste que… Tu t’es déjà demandé ce qui nous serait arrivé si papa et maman
n’étaientpas…Enfin,tusais.Ilgardelesilencequelquesinstantsavantdemerépondre:—Pasvraiment,non.Jemesuis toujoursditqueçaneservaità riendepenseràcegenrede
choses.Ilssontmortsetpapyetmamienousontélevés,c’esttout.—Jesais.Jemedisaisjusteque…j’aimebiennotrevieetnossouvenirs.Çamerendtristede
me dire que, si on n’était jamais tombés sur les vieux instruments de papy dans cette cabane, onn’auraitpeut-êtrejamaisapprisàjouer.Etenmêmetempsjemesenscoupabledepenserça,parcequeçamedonnel’impressionquepapaetmamannememanquentpasassezetque…
—Tu n’étais qu’une gamine,Dix.Crois-moi, ils t’ont bien assezmanqué, et penser à ce quiaurait été différent est une perte de temps. Réfléchis plutôt à l’endroit où pourrait être rangé lecostumemarrondepapy,celuiqu’ilportetoujoursauxmariagesetauxenterrements.M.Phillipsveutqu’onleluiapporteaufunérariumàlapremièreheuredemainmatin.
Ilserrelesmâchoireset jevoisqu’ilestmalàl’aise.Ilatoujoursétéplusdouépourl’actionquepourlesémotions,commes’ilavaitapprisànejamaisleslaisserprendreledessus.J’aimeraistantsavoircommentilfait,parfois.
—D’accord.Jem’enoccupe.Lespissenlitsarriventàpousserpresquen’importeoù.
***
LesfunéraillesontlieuaufunérariumdeM.Phillips,àlasortiedelaville.Jen’enrevienspasdunombredepersonnesquisontvenuesluirendrehommage.Touslesamisavecqui ilbuvaitsoncaféaumarchésontlà,àdiscutercommedevraiespipelettes,etchacund’euxmeprenddanssesbras.Leurchapeauàlamain,ilssaluentDallasetnousdisentàquelpointilsadmiraientpapypourtoutce
qu’ilavaitaccomplidanslamarine,etcombienilsaimaientqu’illeurracontedesblagues.Jehochelatêteensouriantfaiblement.Ilnenousracontaitjamaisdeblagues,ànous.
Apart ça, tout le resteest flouet tous lesvisagesquidéfilentdevantmoi semélangent, entrelarmesetcondoléances.Lepasteurdel’églisebaptisteoùpapyavaitarrêtédeserendreaprèslamortdemamieditquelquesmotsetinvitetoutlemondeàsemettreenroutepourlecimetière.
Sursatombe,jejoueAmazingGracesurOzettoutlemondegardelatêtebaissée,visiblementému.Mme Lawson et quelques autres dames de la paroisse passent ensuite à la maison avec desgratins, des gâteaux et plus de tartes que le réfrigérateur ne peut en contenir.Quelques personness’attardent un peu, alors je leur prépare du café pendant qu’elles regardent de vieilles photos etévoquentdessouvenirs.Parlafenêtre,j’aperçoisJaggerd,assisseulsurleperron.Gavin,lui,circuledanslesalonavecunecafetièrepleineàlamain.Jem’apprêteàlerejoindrequanddeséclatsdevoixattirentmonattention.C’estDallas,quiestentraindecriersurquelqu’unàl’arrièredelamaison.
Au début, je crois qu’il est au téléphone, mais un coup d’œil par la fenêtre de la cuisinem’indiqueque jeme trompe. Je reconnais immédiatement les boucles rousses deRobynBreeland.Elleestvenueauxfunéraillesetnousatouslesdeuxserrésdanssesbras,maisDallasareculéauboutd’une demi-seconde. Il ne l’amême pas regardée quand il l’a remerciée d’être venue.Mamie luiauraitbottélesfessesenlevoyantsecomporteraussimal.Quantàmoi,mêmes’ilnemel’ajamaisvraiment dit, je crois comprendre pourquoi il est comme ça. J’ai le sentiment que, s’il garde sesdistancesavecRobyn,c’estparcequ’iltientencoreàelle.
—Sijepeuxfairequoiquecesoit…—Paslapeine,toutestsouscontrôle.Maismerciquandmême.Savoixestsicassantequejerentrelatêtedanslesépaules.Aumoins,iladitmerci.Lepire,c’est
qu’ilnesaitmêmepasàquelpointilestblessant.Enfin…j’espère.—Salut,toi.L’arrivéedeJaggerddanslacuisinemeprendparsurpriseetjesursautelégèrement.—Salut,Jag.Jeluisourisetjeluitendsunepartdetarte,maisilsecouelatête.—Est-cequ’onpeuts’asseoiruninstant?J’aimeraisteparlerdequelquechose.—Biensûr.Jem’assoissurunedeschaisesetjecroiselesmainssurlatable.J’aimeraisbienavoirunetasse
decaféà tenirpourmedonnerunecontenance,mais jen’enaipas,alors jemartyrisemesonglesd’unairabsent.J’ail’impressionquejen’aipaseuletempsderespirerentrelemomentoùjesuisarrivée à l’hôpital et celui où j’ai appris quepapy était décédé.Et dire que c’était il y a déjà troisjours.
—Net’inquiètepas,cen’estpastrès important.Rienquinécessitequetut’enoccupestoutdesuite,prévientJaggerd.
Unemèchedecheveuxluitombedanslesyeux.Ilauraitbienbesoind’unecoupe,maisilestdugenreànepasallerchezlecoiffeuràmoinsquesapetiteamieneprennerendez-vousàsaplace.
—C’estàproposducamping-car.Jevoulaisjustetedirequeçanemedérangepasdelegarderaussi longtemps que tu voudras. Le seul petit souci, c’est que mon père va s’attendre à ce quel’emplacementcontinueàêtrepayéettusaisàquelpointilpeutêtreconpourcegenredetrucs.
—Lecamping-car?Jaggerdmeregardecommesijevenaisdefaireuneblaguequ’iln’auraitpascomprise.—Oui,lecamping-cardetesgrands-parents.L’AmericanCoachHeritage,tusais?Jesecouelatête.Jen’aipaslamoindreidéedecedontilparle.
—Ilsl’ontachetéjusteavantquevousemménagiezici,avecDallas.Ilsavaientprévudefaireungrandvoyagemais…
Ilsetortillesursachaise,malàl’aise.Mais,après,mesparentssontmortsetilssesontretrouvésavecdeuxgossesquin’étaientpasles
leurssurlesbras.L’émotionmeserrelapoitrine.—Tun’étaispasaucourant?—Non.—Unebellebête.Jesuissûrquetupourraisentirerpasloindecentmilledollars.Ilestgarésur
unemplacementque tongrand-pèrenous louedepuisdes années,derrière legarage. Je le sorsdetempsentempspourfairetournerlemoteur,etjechangel’huileetleliquidederefroidissementtouslesans.
—Oh…Merci.Je suisbien tropchoquéeparceque jeviensd’apprendrepour trouverautrechoseàdire. Ils
allaientpartirenvoyage,etonlesenaempêchés.— La carte avec l’itinéraire qu’ils pensaient emprunter est encore dedans. Ils avaient prévu
plusieursroutesdifférentesetentourélesendroitsoùilsvoulaientaller.Tupeuxvenirjeteruncoupd’œilquandtuveux,tun’asqu’àm’envoyerunmessage.
J’acquiesce.Pourlapremièrefois, jecomprendscequeçafaitqued’êtreK-O.S’ilfallaituneimagepourundictionnaireillustré,jepensequeceseraitmoiàcetinstant.
—Situdécidesdelevendre,jepourraisûrementtrouverunacheteurdignedeconfianceparmilesclientsdugarage.
—D’accord.Jemeforceàsourireetjemelèvedansl’espoirdemettrefinàcetteconversation.J’aibesoin
d’êtreunpeuseulepourassimilercequejeviensd’apprendre,etJagal’airdecomprendrecarilselèveàsontour.
—Jesuisvraimentdésolépourtongrand-pèreetpourtoutlereste,Dixie.Etquandjedistout,çainclutaussilefaitd’avoiragicommeunabrutijalouxquandonétaitensemble.Tuneméritaispasça.Tuméritesbeaucoupmieux.
Je lisse lesplisdemarobenoireet jouedistraitementavec lecollierdeperlesquiornemoncou,unbijouhéritédemagrand-mère.
—Merci,maisnet’enfaispas,c’estoublié.C’estdupassé,toutça.— Si tu penses rester en ville quelque temps, j’adorerais t’emmener dîner. Pour me faire
pardonnerd’avoiroubliétonanniversaire.Est-cequejevaisresterenvillequelquetemps?Voilàuneexcellentequestion.—Situveux.Ceseraitsympa.Ilmeserreamicalementdanssesbrasetjemeraidisenentendantquelqu’uns’éclaircirlagorge.
Gavinsetientdansl’encadrementdelaporte,unecafetièrevideàlamain.Jaggerdmeserreunpeuplusfortpendantunbrefinstant,puisilmelâche.
—Iln’yaplusdecafé,annonceGavin.Tuveuxquej’enrefasse?—Jem’enoccupe.—Jet’appelle,ditJaggerd.Il toiseGavinensortantetc’est lemomentquemonfrèrechoisitpourfaire irruptiondans la
cuisine.J’ail’impressiond’êtreentrainderegarderunsoapoperatrèsétrange.—D’accord.Super.
JelanceunregardappuyéàJag.Pourvuqu’ilcomprennecequeçaveutdire.Jepréfèrequ’ilneparlepasducamping-carouduprojetdemesgrands-parentsàDallaspourlemoment.Pasavantquej’aieréussiàassimilertoutça.
—Salut,Dallas, lance Jaggerd en serrant lamaindemon frère. J’espèrequ’on se recroiserabientôt…dansd’autrescirconstances.
—Moiaussi,répondDallasavantdel’accompagnerdehors.D’unemaintremblante,j’entreprendsderefaireducafé…etrenversedesgrainspartoutsurle
plandetravail.Gavinposelacafetièreàcôtédemoipourm’aiderànettoyer.Saufque,naturellement,jedonneuncoupdecoudededans,quelacafetièretombeetqu’ellesebriseenmillemorceauxàmespieds.
Jen’aipaspleuréà l’enterrement. J’aimêmeréussiàcontenirmes larmesen jouantAmazingGracealorsquetout lemondesanglotait.Mais là, jem’effondre.Savoirquemasimpleexistenceaempêchémesgrands-parentsdevivreleurrêveetquec’estpeut-êtremafautesiDallasneparvientpasàréaliserlesiendepuistoutcetemps…C’esttrop.
—Jem’enoccupe,Bluebird.Nebougepas.Gavinattrapeun torchonpour ramasser lesplusgrosmorceauxpendantqueDallas s’empare
d’unbalaietd’unepellepourlespluspetits.Mesbrasenroulésautourdemoi,jetrembleviolemmentetGavinmemurmurequejeferaispeut-êtremieuxd’allerm’allonger.
—File,machérie,intervientMmeLawsonquiestvenuevoircequisepassait.Jemechargedemettretoutescesvieillescommèresdehors.Vadonctereposer.
Elle passe son bras frêle autour de mes épaules et m’escorte à l’extérieur de la cuisine. Jeremercielespersonnesprésentesd’êtrevenuesetjemeretire,enfin,danslerefugedemachambre.
Leseulproblème,c’estque,mêmeici, jenesuisplusvraimentà l’abri.Parceque, lorsque jem’allongedansmonlit, jesuiscernéeparl’odeurdeGavin.Elleestpartout,sur lacouette,surlesdraps…
Jecommenceàpeineàsomnoler lorsquemaportes’ouvredoucement, laissantapparaîtredescheveuxroux.
—Dix?Tueslà?Les yeux émeraude de Robyn Breeland sont un peu rougis, mais ils pétillent autant que
d’habitude.Jem’assoisdansmonlitetrepousselescouverturessurmespieds.—Salut.Désoléed’avoirlaissétoutlemondeenplan.Jevoulaistevoirmais…—Net’excusepas.C’estl’enterrementdetongrand-père,tun’espaslàpourdivertirtesinvités.Je souris et elle s’assied à côté demoi. Les petites taches de rousseur sur son nez se voient
moinsqu’avantcarelleporteunpeuplusdemaquillage.Sarobenoireetsapetitevesteentweedluivont à merveille et mettent en valeur sa silhouette menue. Elle est pleine d’allure et vraimentsophistiquée.
—Tuasl’airensuperforme,Rob.J’ail’impressionquejenet’aipasvuedepuisuneéternité.Elleacquiescetoutenretirantseschaussuresàtalonshauts.—Ça a été la folie avecmon nouveau travail. J’ai vu des photos d’Austin sur leNet et j’ai
entendudirequevousaviezeuunshowcaseàNashville?Moncœurseserreenrepensantàcettesoirée.—Cen’étaitpasjustepournous.C’étaitunesorted’auditionavecplusieursautresgroupes.Ona
décrochéuneplaceàladernièreminute.Ellescrutemonvisageattentivement,àlarecherched’indices.Ellesentquejeneluidispastout.
Elleatoujoursétélegenred’amiesquicomprenaitleschosessansquej’aiebesoindetropendire.
—Gavinm’aditqueças’étaitbienpassé.Vousavezmêmesignéavecunmanager,ilparaît?C’estsuper-excitant!
Jehausselesépaules.Çanel’estplustantqueça.Plusdepuisquelafemmequidevaitm’offrirlaviedontj’aitoujoursrêvém’amisesurlatouche.
—Oui.Enfin,toutçamepasseunpeuau-dessusdelatêteencemoment.—J’imagine,oui…Bon,assezparlépourneriendire.Commenttuvas?Réellement?C’estlemomentoùjesuiscenséesourirecourageusementetluidirequec’estdur,maisqueje
m’accroche.Qu’ilestavecmamiemaintenantetqu’ilnesouffreplus.Maisc’estRobyn,alorsj’optepouruneversionmoinsédulcorée.
—Jen’ensais rien. Je luiavaisparlépeude tempsavantet ilavait l’airenpleine forme.Onavaitdiscuté,jedevaisluifairedupaindeviande.Etensuite…Ensuite,MmeLawsonaappeléetlaTerres’estarrêtéedetourner.
— Je suis sincèrement désolée, Dix. Il était tellement gentil. Je sais à quel point vous étiezprochesetcombienilcomptaitpourtoi.
Ellepasseunbrasautourdemesépaulesetmeserrecontreelle.—Ilaétécommeunpèrepourmoiaprèslamortdepapa.Jemerappellequandjevenaischez
vous le samedimatin, avecmon joggingmoche etma queue-de-chevalmal faite. Il m’accueillaittoujoursdelamêmefaçon.
—«Bonjour,belledemoiselle»,dit-ontouteslesdeuxenmêmetemps.Ildisaittoujoursça.Ilétaitdelavieilleécole,unvraigentlemanentoutescirconstances.—Tu te souviensde la foisoù il a surprisDallas etGavinen traind’essayerd’acheterde la
bièreausupermarché?Unpetitrirem’échappe.—Commentjepourraisl’oublier?Illesafaitasseoiràlatabledelacuisineetillesaforcésà
boirelepackentierdedouzebières.Unemarqueimmonde,enplus.—Ilsontdûregretterdenepasavoiressayéd’acheterunpackdesix.—C’estsûr!Gavinatenulechoc,maisDallasaétémaladetoutelanuit.— Quand je pense qu’il a dû m’accompagner au déjeuner de la Société honorifique de la
chambredecommercelelendemain…Encostumeenplus.Ilavaittellementmalàlatêtequ’ilapassélajournéeavecseslunettesdesoleilsurlenez.
Onrittouteslesdeux.J’avaisoubliécedétail.Robynavaitgagnéunprixcetteannée-làpourunprojet qu’elle avait organisé dans la communauté, et elle devait prononcer un discours devant lemaire.Malgrésagueuledebois,monfrèreestalléavecelleet il l’asoutenue,exactementcommeellelefaisaitpendantnosrépétitions,nosconcertsdansdescontre-alléesetnosanimationsdefêtesd’anniversaire.Jemesouviensquej’enviais lafaçondont ilsseregardaient,à l’époque.Ilsavaientcetteexpressionquisemblaitvouloirdirequ’ilss’aimeraienttoujours.Maispeut-êtrequej’étaisjustejeuneetnaïve.
—J’aientendulafaçondontilt’aparlétoutàl’heure.Quandvousétiezderrièrelamaison.Jesaisqu’ilsecomportecommeunmufle,parfois,maistuleconnais…Iln’estpasdouédanscegenredesituations.
—Jesaiset je te lerépète:c’est l’enterrementdevotregrand-pèreetvousn’êtespas làpouramuserlagalerieetfairedescâlinsàtoutlemonde.Vousvenezdeperdreunêtrecher.C’estnormalderéagircommeça.
Malgrétout,jesensbienqu’ill’ablessée.Ellenel’admettrapeut-êtrepas,maisilluiafaitdelapeine.Çafaitquatreansqu’ilsnesontplusensemble,maisj’entendsbiendanssavoixqu’elletient
encoreàlui.Aumoins,pendantquejemeconcentresurleursproblèmes,jenepensepasauxmiens.—Ilnem’ajamaisditpourquoivousaviezrompu.JenesuismêmepassûrequeGavinsache.Ellepousseunpetitsoupirethausselesépaules.—Certains jours, je nem’en souviensmême pas.Mais je crois surtout qu’on était jeunes et
qu’on voulait prendre des chemins différents. Votre grand-mère venait demourir et j’étais sur lepointdepartiràlafac.Dallasnevoulaitpasquittertongrand-pèresitôtaprèsledécèsetilvoulaittravailler.Sonprojet,c’étaitd’économiserassezd’argentpourenregistrerunedémo.Ilespéraitque,grâceàça,vousseriezprêtsàrejoindrelegroupeaumomentoùtufiniraislelycée.
Jefroncelessourcils.—Saufqueçanes’estpaspassécommeça.OnafinitroisièmesauStateFairSoundOff,mais
j’avais déjà accepté ma bourse d’études. Du coup, ça nous a seulement rapporté mille dollars etquelquespoignéesdemain.
LesparolesdeMandymereviennent.C’estmafautesionn’estpasallésplusloinàl’époque.—Maisleschosessontentraindechanger,ondirait.Non?Jemeraidis.J’aimeraishaussernonchalammentlesépaules,maisellessonttroplourdesetmon
corpsrefusedecoopérer.—Plusoumoins.Enréalité,notrenouveaumanagern’estpasvraimentmaplusgrandefan,ni
celled’Ozd’ailleurs.—Commentça,pastaplusgrandefan?—Elleasuggéréquejenemontepassurscènepourlederniermorceauaushowcase.Robynhaussetellementsessourcilsparfaitementsculptésqu’ilsatteignentpresquelaracinede
sescheveux.—Ettoi,est-cequetuluiassuggéréd’allersefairefoutre?Jesecouelatêtesanspouvoirm’empêcherdesourire.—Non.Jesoupirebruyamment.Çafaitdubiend’enparleràquelqu’un,mêmesij’aihontedenepaslui
avoirtenutête.—J’étaisnerveuseetunpeudanslalune,alorselleaditquejeferaismieuxdememettreen
retrait et de laisserDallas briller seul sous le feu des projecteurs. Et elle savait des choses… surGavinetmoi.Alors…
—Parcequ’ilyadeschosesàsavoirsurtoietGarrisonmaintenant?Etelles’estserviedeçapourtefaireduchantage?Maisc’estdudélire.
—Jesais.Maisc’étaitjusteunechanson,alorsjemesuisditque…—Queriendutout,oui.Tuenasparléàtonfrère?—Pasexactement,non.—DixieLeighLark,ilfautquetuparlesàDallas.Etleplustôtseralemieux.— Et qu’est-ce que tu veux que je lui dise ? Au fait, Dallas, je couche avec Gavin, et notre
nouveaumanageramenacédet’enparlersi jerefusaisdepassermontouretdetelaissertentertachancesansmoi?
Jefermelesyeuxpournepasvoirl’expressionsurlevisagedeRobyn.—Jevois,répond-elledoucement.Alors,commeça,Garrisonafinipartenirtêteàtonfrèreet
fairelepremierpas?Ilétaittemps.—Non.C’estmoiquiaifaitlepremierpas.Ellemesouritd’unairapprobateur.—Bienjoué.—C’estcompliqué.Avectoutcequis’estpassécesjours-ci,jenesaispasdutoutoùonenest.
—Jem’endoute.Maisvousvousaimezdepuistoujours,alorsvousallezbienfinirpartrouverunesolution.Ças’arrangera,j’ensuissûre.
—Assezparlédemoi.Atontour.Elleseredresse,lesyeuxbrillants.—Jesuissurunpetitnuage.Jeviensjusted’avoirunepromotion.MidnightBaysponsorisela
prochainetournéedeJasonWadeetilsm’ontnomméeresponsabledelacampagnepromotionnelle.MidnightBayBourbonestunemarquedespiritueux.IlsontembauchéRobynjusteaprèslestage
defind’étudesqu’elleaeffectuéchezeux.J’ignoraisqu’ilssponsorisaient laprochaine tournéedeWade.
—C’estgénial!JasonWade,c’esténorme.Tul’asrencontré?Ilestcomment?Ellerougit.RobynBreelandquirougit,ça,c’estnouveau.—Unpeudragueurmais,tusais,dustylemachocountryaucœurtendre.Enfin,siçasetrouve,
ilnepensepaslamoitiédecequ’ildit.—Commetouslesmecs.On rit et on parle encore de son travail pendant quelquesminutes, ce qui a lemérite deme
distraire.Malheureusement, elle finit par s’en aller et jeme retrouve de nouveau seule, avecmessouvenirsetmesfantômes.
31
—Commenttuveuxquejelesache?Jet’aiditquej’allaisluiparler.Leséclatsdevoixm’arrachentdeforceaudouxcocondusommeilet jem’enfouisaussi loin
quepossibledanslesprofondeursdemonlit.—Ilétaitenretardetilnousaseulementvusàdeuxaumomentdurappel.C’esttoutcequ’elle
m’adit.Dallascriepresquedanslapièced’àcôté.Jemedépêtredemescouverturesetjemefrotteles
yeux.Lecollierdeperlesquej’aioubliéderetireravantdem’endormirestincrustédansmoncouetmarobeestentortilléeautourdemataille.Jegrogneetconsulteleréveilsurmatabledenuit.Ilestunpeuplusde9heures.
Je n’arrive pas à croire que j’ai dormi toute la nuit. Le souvenir des dernières vingt-quatreheuresmerevientetj’aipresquelatêtequitournefaceàl’enchaînementdesévénements.
Je retire ma robe et mes perles pendant que Dallas continue à se disputer (avec Gavin,vraisemblablement).Puis,unefoisque j’aienfiléun jeanetunT-shirt, je les rejoinsdans lesalon,curieusedesavoircequileurarrive.
—Jeneveuxpaspasseràcôté,moinonplus,maistunepeuxpastepermettrede…—Bonjour!s’exclameGavin.Lemoinsqu’onpuissedire,c’estqu’ilm’accueilleavecunenthousiasmeexcessif.—Bonjour,DixieLeigh,ditDallasenmevoyant.Çava?Tuasbiendormi?S’ilspensentqu’ilsvontm’avoiràcoupsdeformulesdepolitesse…—Çaallaitjusqu’àcequevousmeréveilliezenvoushurlantdessus.Qu’est-cequisepasse?Au regard gêné qu’ils échangent, j’ai la nette impression qu’aucun d’eux ne va répondre
honnêtementàmaquestion.—Puisquec’estcommeça,jeretournemecoucher.Je tourne les talons, prête à rejoindre le doux refuge que constitue mon lit, quand la voix
résignéedeDallasmeretient:—Attends.Ilfautqu’onparle.Avecunsoupir,jeprendsplacedanslefauteuildepapy.—Jet’écoute.Je n’aime pas du tout l’air inquiet avec lequel Gavin me regarde. Il porte un T-shirt sur
l’évolution, avec des silhouettes : un singe, un homme debout, puis un homme assis derrière unebatterie.Jesuissurlepointdeluidemanders’iladormiicicettenuitous’ilestrentréchezsamère,maisDallasnem’enlaissepasletemps.
—BarryBorscettinousaentendusaushowcasedeNashville.Ilétaitenretard,maisilavulerappelet,apparemment,ilétaittrèsimpressionné.Ilpensequ’onpourraitêtredebonscandidatspourunetournéequ’ilorganiseetilaimeraitnousrevoirpouruneaudition.D’aprèsMandy,c’esttrèsrarequecesoitluiquisemettedirectementencontactavecdesartistes.
—Barryqui?JemetourneversGavinmais,àvoirsatête,ilestdéjàaucourant.—C’estungrospatrondemaisondedisques,préciseDallas.IlafondéCleartheAirRecords
avantdepasserchezUniversal.Çaneveutpasdiregrand-chosepourmoi,maisjehochelatêtepourl’encourageràcontinuer,
mêmesijen’écoutepasunmotdecequ’ilmeditparcequ’unephraseenparticulierpasseenboucledansmatête.
«Ilétaitenretard,maisilavulerappelet,apparemment,ilétaittrèsimpressionné.»Ilaaimélerappel,donc.Laseulechansonpourlaquellejen’étaispassurscène.—Dixie,tum’écoutes?—Désolée, je réfléchissais. Continue. Tu disais queBarry est quelqu’un de très important et
qu’ilavaitétéimpressionné.Monfrèrehochelatête,maisl’étincellequidevraitbrillerdanssesyeuxn’estpaslà.—Ce n’est pas tout.Mandy dit que, s’il nous inscrit sur cette tournée, l’étape suivante serait
sûrementungroscontratavecUniversal.J’appuielescoudessurmesgenouxetjememasselestempes.Avectoutcequ’onaàréglerici,
rienquel’idéederepartirsurlesroutesm’épuise.— Le seul problème, c’est que l’audition a lieu à Nashville demain. Ce qui veut dire qu’il
faudraitqu’onpartecesoir.Jerelèvebrusquementlatête.—Mandy ne pouvait pas repousser ? Ils ne savent pas qu’on vient d’avoir un décès dans la
famille?—Ça ne dépend pas d’elle, Dixie Leigh. On ne faisait qu’en discuter avec Gavin vu que tu
dormais,mais,maintenantqu’onestlàtouslestrois,onpeutdéciderensemblesionveutsaisircetteopportunitéoupas.
—Onatellementdechosesàfaireici…Letestamentdepapy,lesfacturesdesonenterrement,triersesaffaires…
— Il y a un milliard de trucs à régler, je sais, mais on pourrait toujours s’en occuper enrevenant.
J’ail’impressionquejevaisêtremalade.Jesuissurlequaid’unegareetletraindemaviepassedevantmoiàtoutevitesse.Soitjemonteenmarche,soitjeleregardes’éloigner.Lesouci,c’estqu’àcetinstantjen’aiabsolumentpaslaforcedecouriraprèsletrain.
—Dis-luilereste,Dallas.Ilfautqu’ellesachelavérité.Est-ceque jevais enfindécouvrir pourquoi ils ont l’air aussi bizarres, tous lesdeux? Jeme
tourneversGavin,mais ildésignemonfrèredudoigt,visiblementdécidéà le laisser faire le saleboulot,cequim’irritepassablement.
Dallassoupireetselaissetomberdansunfauteuilquepapyadorait.—Ehbien,Barryne…Enfin,disonsqueMandyn’apasréussiàleconvaincrequ’ilavaitbesoin
denousvoirtouslestrois.Jedevraisêtresouslechoc,éprouverquelquechose.Delacolère?Delatristesse?Etpourtant
jeneressensquedusoulagement.Jen’aiaucuneenviedereprendrelarouteetdelaisserlamaisonet
les affaires depapy endésordre.Alors simaprésencen’est pas requise à l’audition, çameva. JesourisàDallaspourlerassurer.
—Pas de problème. S’il pense quema présence n’est pas utile, ce n’est pas un drame.Vousn’avezqu’àyallerensemble.
Ilssetortillenttouslesdeux,commes’ilsétaientreliésparunfilinvisible.— C’est plus compliqué que ça, Dixie. Mais ça n’a pas d’importance, lâche soudain Dallas.
Barry voulait nous faire auditionner enmême temps qu’un autre guitariste qu’il veut ajouter à latournée.Siçasetrouve,onvajusteluiservirdefaire-valoirletempsdel’auditionetilvanousjeteraprès.Detoutefaçon,commejel’aiditàMandyetcommej’étaisentraind’essayerdel’expliqueràGavin,çanechangerien.Mêmesic’estgénialqu’ilsoit intéressé,soitonyvatousensemble,soitpersonnen’yva.
—Dallas,détends-toi,çanevapasmetuerderateruneaudition.Sic’estvraimentunegrosseopportunité,alorsvousdevriez…
—Cen’estpasunegrosseopportunitépourlegroupe,mecoupemonfrère.L’offren’inclutpasde billets d’avion pour nous trois, Dix. Et si l’audition le convainc, ce n’est pas le groupe quiparticiperaitàlatournée.
Sesépauless’affaissentet jecomprendsenfin.Maintenant, jeressensquelquechose.Untasdechoses,enréalité.Lemélangeesttelquejen’arrivepasàtouteslesidentifier,maisunsentimentsedétachedesautres:lapeur.Jesuisterrifiéeàl’idéequeDallasseretrouvecoincépourlerestantdesesjoursàAmarillo,àattendrequelegroupesefasseremarqueretàlaisserpasserdesopportunitéssurlesquellesildevraitsejetersanshésiter.
—Dallas,peut-êtrequevousdevriez…—Non,interrompt-ilsèchement.C’estnoustroisouriendutout,pointàlaligne.—Mais…—Iln’yapasdemais.Jevaisleurdirequeçanenousintéressepas.Gavinditquelquechose,maisjenel’entendspasparcequ’uneautrevoixrésonnedansmatête.«Prenezsoinl’undel’autre»,dit-elle.Ladernièrephrasedemonpère.L’ordre auquelmon frère tented’obéirdepuisdixans,pour
fairehonneuràlamémoiredenosparents.Ilatoujoursprissoindemoiet,enlevoyantsesacrifierdefaçonaussialtruisteetstupide,jecomprendsquelemomentestvenupourmoideprendresoindelui.
***
Plusieursheuresontpasséetmonfrère fait lescentpasdans lesalon.Savaliseestprèsde laporte.Jelesaisparcequec’estmoiquil’aifaite.
—C’estbon,jetedis.Onn’auraqu’àtemettreauclavierouuntruccommeçaenattendantqueBarry se fasse à l’idéedu fiddlependant les concerts. Il faut que tu sois avec nous en studio pourl’enregistrementdeladémodetoutefaçon.S’ilteplaît,Dix,nemelaissepastomberaumomentoùj’aileplusbesoindetoi.
Unepartiedemoiaenviedefairecequejefaistoujoursetdelesuivrelàoùilva,maiscettefoisc’estdifférent.Ladiscussiontourneenronddepuisdeuxheuresetonn’aplusletemps.S’ilsnepartentpasmaintenant,ilsvontraterl’avion.
Dallas a passé une heure au téléphone à argumenter avec Mandy, mais ça n’a rien changé.Apparemment,Barryaunefilledemonâgeetilestdugenretraditionnel.D’aprèsMandy,ilpense
qu’unejeunefillen’apassaplacesurlaroute.J’airegardésurInternetet,effectivement,samaisondedisquesproduitbeaucoupplusd’artistesmasculinsquedefemmes.Quelquechosemeditque jen’aimeraispasbeaucoupBarrysijelerencontrais.
—Jenetelaissepastomber,Dallas.Jememetsenretraitpournepasêtreunobstaclepourtoi.Jetelaissepartiraulieudet’empêcherd’avancer.
—Tunem’empêchespasd’avancer, voyons, tu fais partie de cegroupe.Une fois queBarryauravuàquelpointtuestalentueuse,il…
—J’aivingtans,Dallas.Lemomentestvenuquej’arrêtedetesuivreàlatrace,tunecroispas?Jen’arrivepasàcroirequejesuisentraindedireça.Lesmotsmelaissentungoûtamerdansla
bouche,maisjen’aipaslechoix.—Legroupe,c’esttoi,Gavin,etmoi.Sanstoi,iln’existepas.Jeresteassisesurlecanapésansrépondre.J’attendsqu’ilsefasseàl’idéequejenevienspas.De
toute façon, il y a tellementde choses àmettre enordre avec ledécèsdepapy…Retourner sur laroutemedonneraitl’impressiond’abandonnersonsouvenir.
Assisàl’autreextrémitéducanapé,Gavinremuenerveusementlesjambes.—Gavin,s’ilteplaît,tuveuxbienluidiredegrimperdanscettefoutuevoiture?—C’est sa décision, répondGavin en secouant la tête. Il est temps que tu la laisses faire ses
choixtouteseule.J’aimerais lui adresser un regard reconnaissant, mais j’ai peur qu’il se rende compte que je
mensàmonfrère,alorsjem’abstiens.—Ilaraison,Dallas.Ilyadeschosesquetuignoresàproposdepapyetmamie.Ilsavaientdes
projetsavantqu’onarrivedansleurvie,desprojetsqu’onlesaempêchésderéaliser.Etjerefusequel’histoireserépèteavectoi.
—Qu’est-cequeturacontes?Mamieetpapyontchoisidenousélever.Onauraittrèsbienpuallerenfamilled’accueiloupartirvivredansl’OklahomacheztanteShelly.Ilsvoulaients’occuperdenous,Dix.Alors,quelquesoitleparallèlequetuessaiesdefaire,ilestplusquecontroversable.
—Controversable?Jeluiadresseunpetitsouriremoqueuretilrit.Aumoins,l’atmosphèresedétendunpeu.—Absolument,déclare-t-ilencroisantlesbrassursapoitrine.Etmaintenantonyva.Jemelèveetvaisleurouvrirlaporte.—Jet’aime,grandfrère,et tusaisàquelpoint jeveuxquelegrouperéussisse,mais j’aides
choses à régler ici.Alors tuprends l’avion, tuvas enmettreplein lavue àBarry et tum’appellesensuitepourtoutmeraconterdanslesmoindresdétails.S’ildécidequevousavezabsolumentbesoind’une joueusede fiddledans legroupe, jeverraibien.Mais, si je t’accompagneaujourd’hui, jeneferaiquetecauserdesennuis.
DallasetGavingardentlatêteobstinémentbaissée,jusqu’àcequejesiffleentremesdentsetquejeleurfassesignededéguerpir.
—Allez!Ils se lèvent enfin et sortent de la maison en traînant les pieds, comme si je venais de les
condamneràmort.C’estridicule:ilsontjouépleindefoissansmoietilss’ensonttoujourstrèsbiensortis. Si les voir sur scène à Nashville m’a fait atrocement mal, ça m’a aumoins prouvé qu’ilspouvaientsedébrouillerseuls.Etpuisçameréconfortedesavoirqu’eux,aumoins,aimeraientquejevienne,mêmesilespatronsdemaisonsdedisquesneveulentpasdemoi.
Jem’assois sur labalancelleduporcheet je leur sourisavec tout l’enthousiasmedont je suiscapable.
—Tum’appellestoutdesuiteaprès,d’accord?Monfrèremeserredanssesbraspendantuneéternitéavantdemelâcher.—Tun’aspasàfaireça,Dix.Jesuissérieux,tusais:jepensevraimentque,s’iltevoitjouer,il
seraheureuxqu’onaitunfiddledanslegroupe.—Tun’aspasbesoindemoi,Dallas.Tuvaslescotcher.Pour faire diversion, je lui demande les chansons qu’il a prévu de jouer, et soudain j’ai une
illumination.C’estcommesilesplanètess’alignaientl’espaced’unesecondeetquejedécouvraislaraisondesplusgrandsmystèresdel’univers.C’estarrivésivitequej’aifaillipasseràcôté.
J’aipresquefinid’écrirelesparolesdelachansonquej’aicrééepourGavinlesoiroùpapyestmort.Mêmesij’étaisaufonddutrou,undéclics’estproduitenmoiquandj’aicomprisquel’amourneserésumaitpasaubonheur.L’amour,cenesontpasseulementlesbonsmoments,lesétreintes,lescoursdeviolonetleréconfort.Mesparents,mesgrands-parents,DallasetmêmeGavin,tousm’ontapprisuneleçoninestimable,quejeviensdecomprendremaintenantquejelesaitousperdus.
Ce sont aussi les mauvais moments qui aident l’amour à devenir plus fort. Je sais combienj’aimais mes parents et combien ils m’aimaient, car je n’ai jamais cessé d’avoir mal depuis leurdépart.Lamêmechoses’appliqueàmagrand-mèreetmongrand-père.EtaussiàDallasetGavin,mêmes’ilsnepartentpaspourtoujours.C’estça,lafacecachéedel’amour:ladouleur,laperteetlemanque.C’estréel,puissant,etaussiévidentetinévitablequ’unecatastrophenaturellequis’abatsurvousetlaisseunetracedéfinitivedesonpassage.
C’estdangereuxd’aimeretdes’autoriseràl’être.Maisj’aitrouvélecouragedevolertropprèsdesflammesetj’aidécouvertquejepréféraismebrûleretavoirdescicatricesplutôtquedenepasprendrederisques.
Lesdeuxdernièresphrasesquimemanquaientpourterminerlachansonprennentvieenmoietj’agrippelebrasdemonfrère.
—Attends.Nebougepasd’ici,jereviens.Jemeprécipitedanslamaisonetjecoursjusqu’àmachambre.Jemetslamainsurmoncarnet
de notes au fond dema valise, j’attrape un stylo sur le bureau où j’avais l’habitude de faire mesdevoirs,etj’écrislesdeuxphrasesaussivitequepossibleavantdelesoublier.
Dèsquej’aifini,j’ail’impressionquequelqu’unvientdemeretirerunénormepoids.Çamefaittoujoursdel’effetquandj’achèveunechanson,maiscequejeressensencemomentdépassetoutcequej’aiconnu.Cettechanson-là,jel’aiécriteavecmoncœuretmestripes.Elles’adresseàdesgensquej’aimeplusquemavieetpourquijevendraismonâmesanshésiter.
Jedétachesoigneusementlafeuilledemoncarnet,laplieendeuxetretournedehors.—C’estpourtoi.Pourvousdeux.Jetendslepapieràmonfrèreavecunsourire.Lapatiencen’ajamaisétéunedesesqualités.Illedépliedoncimmédiatementetsemetàlireles
parolesdevantmoi.Quandilrelèvelesyeux,ilscontiennenttantd’amouretd’émotionquejesuisbouleversée.—Je t’aime,DixieLeigh.Jedevrais te ledireplussouvent, fait-ild’unevoixétranglée.Avec
touteslespersonnesqu’onaperdues,jedevraismêmetelediretouslesjours.Ilsecoueénergiquementlatête,commes’ilétaitécœuréparsapropreattitude.—C’estjustequeje…—Jesais,Dallas.Moiaussi.Jemejetteunedernièrefoisdanssesbras.Ilfautabsolumentqu’ils’enaille,autrementjevais
memettre à pleurer et il refusera de partir.A la fin de notre étreinte, je neme contente pas de le
lâcher : je lepoussepratiquementvers lavoiture.GavinattendqueDallas se soitéloignépourmeparler.
—C’estvraimentpourmettre enordre les affairesde tongrand-pèreque tu restes, ou il y aautrechose?
—Qu’est-cequeçachange?Jereste.Pointbarre.J’évitesonregard,maisjelevoissecouerlatêteducoindel’œil.—Non,pas«pointbarre».Dis-moilavérité.—Commenceparmedirelavéritésurcequis’estpasséquandj’étaisàHouston.Onsefaitfacependantdelonguessecondes.—Disonsquej’aieuunproblème.Etmaintenantjesuisenlibertésurveillée.—Quoi?Quelgenredeproblème?Commentça,enlibertésurveillée?Chacunedemesquestionssemblelemettreunpeuplusmalàl’aise,maisçam’estégal.Ilfaut
quejesache.—J’aifaitdemauvaischoixetj’enaipayéleprix.Çan’apasd’importance.Çaenapourmoi.Jesuissurlepointdeluidiremafaçondepenserquandsoudainjerepenseà
cetarticleque j’ai lu ilyaquelque temps. Ilparlaitd’unhommequi s’était faitarrêterparcequ’ilavaitquittél’Etatalorsqu’ilétaitenlibertésurveillée.
—Attendsunpeu.Situesenlibertéconditionnelle,alorscommentsefait-ilquetuaiesledroitdequitterleTexas?
Lesilencequ’ilm’offreenguisederéponseestassourdissant.—Dis-moiquetun’aspasrisquédefinirenprisonàchaquefoisqu’onatraversélesfrontières
texanes.Etquetun’espassurlepointderecommencer.Mesmainstremblentviolemment,maismavoixestétonnammentcalme.—Jenemeferaipasprendre.Cen’estpascommesijepassaisd’unEtatàunautrepourfairedu
traficdedrogue,Blue…—ArrêteavectesBluebird,Gavin.Jeneplaisantepas.Lesgensd’IndieMusicMagazinenous
ontprisenphoto,onleuraparlédesconcertsqu’onavaitdonnésdansl’OklahomaetleTennessee.Etmaintenant, tu es sur le point d’aller dans un aéroport rempli de flics alors que tu n’es pas censéquitterl’Etat.Tun’aspascommel’impressionquec’estunemauvaiseidée?
—Çanerisquerien.—C’estpourçaquevousavezchangédeplaceavecDallas.Jemesenssistupidedenepasl’avoircomprisplustôtquej’aienviedememettreunegifle.—Çanerisquerien?Tucroisvraimentcequetudis?EtsiDallasavaitétéendormi?Tute
seraisfaitembarquerdanslaminute.—C’estpossible.—Est-cequeçaaquelquechoseàvoiravectamèrequit’ademandésituavaisquelquechose
quitraînait?Elleparlaitdedrogue,c’estça?Visiblement,ilespéraitquej’avaisoubliécetépisode.Ilsepasseunemaindanslescheveuxet
regardedansladirectiondeDallas.—C’estcompliqué.—Regarde-moi.J’attends,jusqu’àcequ’ils’exécute.— C’est loin d’être compliqué, au contraire. C’est même très simple. Tu es en liberté
conditionnelleettunedoispasquitterleTexas,alorstuvasdireàMandydetrouverunesolutionou
decontacterlejuge.Tuasbesoindeparleràtonagentdeprobation,pourvoirsivouspouveztrouverunaccord.Ilspeuventt’autoriseràquitterl’Etatpourdesraisonsprofessionnelles.
—Çanemarchepascommeça.Cen’estpascommesij’étaisemployéparunesociétéetquejepouvaisleurfournirdesfichesdepayeenguisedepreuve.J’aiessayé,crois-moi.
—Alorstuvascourirlerisqued’allerenprison?—Certainsrisquesvalentlapeined’êtrepris,Bluebird,maisjepensequetulesaisdéjà.Essaie
d’imaginerçadupointdevuedetonfrère.Lejouroùilapprendralavéritésurnous,j’aimeraisaumoinspouvoirluidirequej’airisquémapeaupourlesoutenirquandilavaitbesoindemoi.
—Jet’interdisd’utilisercequ’onafaitcommeexcusepour…—Cen’estpascequejesuisentraindefaire.Toutcequejedis,c’estquejesuisprêtàprendre
lerisquepourmonmeilleurami.Atontourmaintenant.Pourquoituneveuxpasvenir?Jesaisquetusouffresetjelecomprends,maisjenepensepasqueresterseuleicivat’aider.
Jen’aiabsolumentpasenviederépondre,surtoutquejesuissérieusementencolèrecontrelui.Mais,quandilmeregardecommeça,jen’aipasd’autrechoixqued’êtresincère.
—J’aipeurd’empêcherDallasdevivresonrêve.Devousenempêcher tous lesdeux. Ilpeutdirecequ’ilveut,maislavérité,c’estquecetypeaaimécequ’ilavusurscène,etquejenefaisaispaspartiedudécor.
J’essayedefairebonnefigure,mêmesij’ail’impressionqu’onmecoupeendeux.Peut-êtrequecenouveaurebondissementaquelquechoseàvoiravecMandy,oupeut-êtrepas.Mais,danstouslescas,jenesuispasenétatd’yaller,nidemebattrecontrenotremanager.J’aibesoindetempspourfaireledeuildemongrand-père,sansprendrelerisquedelaissermapeineporteratteinteaugroupe.
—Detoutefaçon, j’aibesoinde tempspourrégler lesaffairesdepapycommeilauraitaiméqu’elles lesoient.JenesuispascommeDallas, la tristessenemetransformepasenchefdeprojetsurmotivé.
Ilmeregardeunlongmomentsansrépondre.Alafaçondontilmescrute,jemedemandes’iln’estpassurlepointdefaireunegrandedéclarationoudemedirequej’airaisonetqu’ilvarester.
—Faisattentionàtoi,tuveux?Ah.D’accord.—Jen’aimepastesavoirtouteseuledanscettemaison.Alorsassure-toidetoujoursverrouiller
les portes et les fenêtres. Et si tu as besoin de quelque chose, n’importe quoi, tu m’appelles. An’importequelleheure.
Jenesuispassûrequejeleferai,maisjesensqu’ilabesoind’êtrerassuré.—Promis.Gavin,je…Jen’aipasletempsdefinircarilpresseseslèvrescontrelesmiennes.Jemedressesurlapointe
despieds et je sensunepointed’espoirgermer enmoi.Auboutdequelques secondes, il recule àregret,nonsansavoirmordilléunedernièrefoismalèvreinférieure.
—Jesuis toujoursfâchéecontretoi,GavinMichaelGarrison.C’estunemauvaiseidée.Çanevaut pas le coup. La bonne opportunité se présentera quand ce sera le bon moment. Dallascomprendra.
Ilignoretoutesmessupplicationsetm’enadresseuneautreenretour:—Attends-moi,Bluebird.S’ilteplaît.Je regarde par-dessus mon épaule pour voir si mon frère nous a vus nous embrasser.
Bizarrement,çan’apasl’aird’inquiéterGavin.Dallasnoustourneledosetilestentrainderangerjenesaisquoiàl’arrièredufourgon.Aunœudquiserremagorge,jesaisquejenevaispastarderàpleureràchaudeslarmes.
Onrestefaceàface,chacunperdudansleregarddel’autre,levisagecaresséparnossoufflesrespectifs.QuandDallas l’appelleendisantquec’est l’heuredepartir,Gavinm’adresseundernierregardsuppliantetm’embrassedoucementsurlefront.
Pourlapremièrefois,c’estmoiquirecule.—Tutraversesl’Etat toutentierpoursortir tamèredeprison.Tufais toutcequetedemande
Dallas, même si ça implique de violer la loi et de risquer une peine d’emprisonnement. Tum’asmêmedonnécequejevoulais,endépitdetouslesrisquesqueçacomportait.
Vusonexpressiondesurprise,ilnevoitabsolumentpasoùjeveuxenvenir,maismoijelesais.Jeluiposeenfinlaquestionquimehantedepuisdesannées.
—Quiprendsoindetoi,Gavin?Quiveillesurtoi?Dis-moi.Quiterattrapequandtuessurlepointdetomber?Quiestlàpourtoiquandtuasbesoind’aide?C’estlittéralementtoiquidonneslerythme:tuastoujoursétéaucœurdecegroupe,àmarquerletempoetàassurernosarrièresquandonperdlefil.Maisquiassurelestiens?
Moi.Laisse-moifairetoutça.—Ne t’en fais pas, Bluebird. Je m’en sors très bien tout seul. Je n’ai jamais eu besoin de
personne.Lavéritéblesseparfois,etcelle-cimefrappeenpleinepoitrine.Jerespireunedernièrefoisson
odeuretj’aienviedel’embrasserencoreetencore,jusqu’àcequ’ilacceptederesteretd’obteniruneautorisationdesortieduterritoire.Uneimagedeluiavecdesmenottesauxpoignets,àl’arrièred’unevoituredepolice,sematérialisedansmonespritetjen’arriveplusàrespirer.
Mais,quandilrecule,jelelaissepartir.Jelesregardes’éloignerjusqu’àcequ’ilssoienthorsdemavue.J’aitellementmalquej’aile
sentimentqu’ilsontemportéunmorceaudemoncœuraveceux.Jepeuxpresquelevoirquitraînesurlaroute,accrochéàl’arrièredufourgon.
C’estseulementàcemoment-làquejemerendscomptequejeneluiaipasrépondu.Jeneluiaipasditsi,ouiounon,j’allaisl’attendreetilestquandmêmeparti.
«Jem’ensorstrèsbientoutseul.Jen’aijamaiseubesoindepersonne.»D’un seul coup, l’air se raréfie etmon cœur doit faire un effort surhumain pour continuer à
battre.Je sais comment l’auditionva sepasser. Je levoiscommesi j’y étais. Je sais àquelpoint ils
serontexcitésenapprenantqu’ilsfontpartiedelatournée.Maismoi,oùest-cequejeseraidanstoutça?Uneimagedemoiseformedevantmesyeux.Jesuishabilléetoutennoir,mescheveuxdomptésdansunchignonserré,etjejouelamusiquequelemaestroréclameaulieudecellequej’aimeetquimerendlibre.
Non.Jesecouelatêtepourfairedisparaîtrelavisionetjecommenceàdresserlalistementaledetout
cequej’aiàfaire.Jedoisd’abordappeler Jaggerdet luidemanders’ilveutbienmeconduireà l’aéroportpour
quejerécupèrelefourgondeDallas.Cequimerappellequejedoisaussiallervoirlecamping-cardemesgrands-parents.HeureusementqueJagestlà.Çanemeferapasdemald’avoirunamipourm’aideràfairefaceàlamontagnederesponsabilitésquim’attendmaintenantquepapyestparti.JepourraitoujoursmetransformerenuneversionrajeuniedeMmeLawsonsiGavinetDallaspartententournée—ousiGavinvaenprison—,maispourlemomentjevaisfairedemonmieuxpournepasresterseuledansmoncoinàm’apitoyersurmonsort.
Al’exceptiondemapausehoustoniennedel’andernier,jen’aijamaisvraimentréfléchiàcequejeferaissanslegroupe.Cequiestcertain,c’estque,mêmesimonfrèrevatrèsprobablementpiquerunecrise, je refusede retourneràHoustonà l’automne.Lavieest tropcourte,mesparentsetmesgrands-parents en sont la preuve. Peut-être que le groupe n’a plus besoin de moi, peut-être qu’iln’auraplusjamaisbesoind’unfiddle,maisilesthorsdequestionquejerevienneenarrière.
J’erre dans le salon vide. Sans papy ni mamie, je me sens presque comme un fantôme quihanteraitleurmaison.
Jeprendslechâlequiornelefauteuilàbasculepréférédemamieetm’enroulededanscommeunechenilledansuncocon.Monregardseposesurlesphotosqui,aussiloinquejem’ensouvienne,ont toujours décoré lesmurs de la pièce.Mon regard s’arrête sur celle de Dallas, Gavin et moi,pendant notre première répétition officielle. C’était dans l’abri de jardin et j’avais quinze ans.J’effleurelecadreduboutdesdoigts, lesourire joyeuxdemonfrèreetmonproprevisagetournéverslegarçonàmagauche.Gavinsouritaussi,maissonregardestindéchiffrable.
«Attends-moi,Bluebird.»Jenesaispascequel’avenirnousréserve,cequiattendlegroupe,monfrère,ounous.Maisj’ai
un souvenir, un bout de passé auquel je peuxme raccrocher et que je peux ajouter àma boîte desouvenirsenattendantquel’universm’aideàtrouverunesolution.
L’espace d’une nuit, j’ai tenu le feu entremesmains.Et il y a quelques jours, l’espace d’uneautrenuit,lefeum’atenue,luiaussi.
Jepensaisqueçamedétruiraitd’êtresiprochede luiet,d’unecertainefaçon,çaaété lecas.Mais,aumilieudemasolitude,jemerendscompted’unechose:lefeuqueGavinetmoiavonscréém’aaussinourrieetpermisderesterenvie.
Jel’attendrai.Detoutefaçon,jel’aiattendutoutemavie.Ladifférence,c’estquedésormaisjerefusedemettremavieentreparenthèsesunesecondede
plus.
32
—Jesuiscontentquetum’aiesappelé,meditJagquandjegrimpedanssavoiture.C’est une superbeMustang bleue, que son père et lui ont restaurée à l’époque où on sortait
ensemble.—Etmoi je suis contenteque tu aies étédans le coin.Encoremercid’avoir envoyé tesgars
récupérerlefourgondeDallas.C’estvraimentgentildetapart.—Toutcequetuvoudras,princesse,répond-ilensouriant.Jelèvelesyeuxauciel—Monhéros…Bon,allez,parle-moiplutôtdececamping-car.Ilécartelescheveuxquiluitombentdevantlesyeux,d’unemaintachéed’huiledemoteur.—C’estunmodèleaméricainclassiqueavecunekitchenette,unechambreetunepetitesallede
bains.C’était le top à l’époqueoù ils l’ont acheté,mais ça aunpeuvieilli.Enfin, j’ai regardé surInternetettupourraisencoreentirerautourdesoixante-quinzemilledollars.
—Jen’arrivepasàcroirequ’ilsnel’aientjamaisvendu.Jaggerdmeregardebizarrement.Jesensbienqu’ilaenviedemedemandercequisepasseavec
legroupe—cegroupepourlequeljen’aipashésitéàlequitter—,maisparchanceilnelefaitpas.—C’étaitleurrêvedefaireungrandvoyageetilsavaientmistoutesleurséconomiesdansce
truc.Cen’estpasévidentdetireruntraitsurunrêve,tulesaismieuxquepersonne.Jelesais,etc’estpourçaquej’aiunetellehâtedevoirlecamping-car.Parcequemonrêveà
moi me paraît désormais impossible à atteindre. Bientôt, ce qui était encore mon groupe il y aquelquesjourspartiraentournéesansmoietjeserai…seule.
AprèsledépartdeGavinetDallas, j’aienvoyélespapiersàl’assurance-vieetréglétouteslesfactures en retard.Et c’est tout. Papy avait tout prépayé pour ses obsèques, de la pierre tombale àl’emplacement,àcôtédemamie.Résultat : jemesuisrapidementrenducomptequ’enréalité iln’yavaitpastantdechosesàfairequeça.Maisjen’étaistoujourspassûred’êtreprêteàrepartir,encoremoinspourunendroitoùlespersonnesquidécidaientdufuturdugroupenevoulaientpasdemoi.
Dallasm’aappelée toutdesuiteaprès l’auditionpourmedirequeças’étaitbienpassé. Ilsnedevraientpastarderàsavoirs’ilsparticipentàlatournéeoupas.Jesuiscontentepoureux,vraiment,maisunepartiedemoiestencorecettegaminequiregrettedenepasavoirsautédansl’eau.Oucettefilleassisedanslepublic,quiregrettedenepasêtremontéesurscènepourlerappel.
Jenepeuxpaschangerlepassé,maisjepeuxchoisirmonavenir.Alors,aprèsavoirfaitdupaindeviande,mangédes restespendant trois joursd’affiléeetpleurépendantdesheuresau-dessusduclavierdupiano, j’aidécidéqu’ilétait tempsd’allerprendre l’air.Etpeut-êtremêmeplus loinquedanslejardin.Alorsj’aiappeléJaggerd.
Quandonarriveaugaragedesonpèredanslecentred’Amarillo,Jagal’airnerveux.—Tupeuxmeredirepourquoijenedoisparlerdeçaàpersonne?—ParcequeDallasadéjàbienassezdesoucisencemoment.Cen’estpaslapeined’enrajouter.Jesorsdelavoiture,j’attrapemonsacetjesuisJaggerdjusqu’àl’emplacementoùlecamping-
carestgaré.Etlà,jerestesansvoix.Jesavaisqu’ilétaitenexcellentecondition,maisjen’avaispasimaginéqu’ilseraitcommeneuf.
—Mercidel’avoirsibienentretenu.—J’aimaisbientongrand-père.Etj’aimepenserqu’onestencoreamis,toietmoi.—Biensûrqueoui.—Dixie,cen’estpasunvéhiculequetupeuxjusteconduirecommeça.Ilvautvraimentmieux
avoirunpermispoidslourdspour…—Détends-toi.Jeveuxjustejeteruncoupd’œil.Pourlemoment,dumoins.Ilouvrelaporteetjelesuisàl’intérieur.—J’aimonpermispoidslourds,detoutefaçon.Jel’aipasséaumomentoùonpensaitacheter
unvanplusgrandpourpartirentournée.Jag fait un pas de côté etme laisse visiter lamaison sur roues grâce à laquellemes grands-
parentspensaientréaliserleursrêves.Jem’approchedel’avantetjevoisleplan,posésurlesiègeduconducteur.Enledépliant,j’ail’impressionquepapyetmamiesontlà,prèsdemoi,etl’émotionmenouela
gorge. Plusieurs Etats et plusieurs villes sont entourés sur le plan, avec des noms demonumentsgriffonnésicietlà.
DepuisledépartdeGavinetDallas,jemesensperdue,incapablededéciderquoifaireensuite.Là,assiseauvolantducamping-car,jerepenseàmonrêvequinevapasseréaliser.D’habitude,cettepenséemebouleverseetmecoupelesouffle,maispasaujourd’hui.
Aujourd’hui, jesaisque,mêmesi jenepeuxpasréalisermonrêve,jepeuxencoreréaliserleleur.
***
Leslumièresdel’autoroutepresquevidemeguidentlelongdelabandedebitume.Jesuispeut-êtreauvolantd’uncamping-car,maisj’ail’impressiond’êtresurlepointdefairedécollerun747.Jebaisselesondelaradioetjeregardeencoreunefoisleplan,dépliéàcôtédemoi.
Onze Etats, près de deux douzaines de villes, et plusieursmonuments dont je n’avais jamaismêmeentendulenomm’attendentdepiedferme.Jeprendslamaindelapetitefilleauborddulacartificiel,j’attrapecelledelafemmedanslepublic,etjelesemmènetouteslesdeuxavecmoi.Iln’estplusquestionqu’onrestesurlatouche,niqu’onsoitdesimplesspectatrices.
Quandj’aperçoislepanneauquiindiquelasortiedelaville,moncœurseserredansmapoitrineetjecommenceàfredonnerlachansonqu’onentonnaitàlafindechacundenosconcerts.
Mamiedisaittoujoursquechaquefinestenréalitéunnouveaucommencement,mêmesionnelecomprendpastoujourstoutdesuite.
Elleavaitraison.
Epilogue
Gavin
«Quiprendsoindetoi,Gavin?Quiveillesurtoi?Dis-moi.Quiterattrapequandtuessurlepointdetomber?Quiestlàpourtoiquandtuasbesoind’aide?»
Toi.VoilàmaréponseàlaquestiondeDixie.Çadoitbienfairemillefoisquejerevoislascène.Laconversationrésonneenboucledansmatêtedepuisquejel’ailaisséesouscefoutuporcheetlaréponseestlamême.Achaquefois.
Saufquejen’airiendit.J’auraisdû.Quelcon!—Garrison,tum’écoutes?Dansnotrechambred’hôtel,Dallasposesonportablesursatabledechevetets’allongesurson
lit,àquelquesmètresdumien.—Mec,tuasentendu?J’aientendu.Iladit:«C’estbon.»L’auditions’estbienpassée.DallasachantélachansonqueDixieluiavaitdonnéeavantqu’on
parte.Çam’acomplètementretournélecerveau.Etmaintenantonpartentournée.Sanselle.J’arrêtederelirepourlamillièmefoislesparolesquimedétruisenttoutenmeredonnantespoir
etjerelèvelatête.—Oui,jet’aientendu.C’estgénial.Jeluitapedanslamainetilmesourit.— Ce n’est pas tout. Etant donné que le groupe d’Afton Tate participe aussi à la tournée,
davantagedesallesontsigné.Aulieudedurertroissemaines,latournéevaendurersixet,aulieudepasser dans une douzaine de villes, elle va passer dans trente-six.Tu te rends compte ?Trente-sixvilles!
Encoreunpeuetilvacommenceràsautersurlelitenpoussantdespetitscriscommeungamindecinqans.Moi,j’aiplutôtl’impressionquelesols’ouvresousmespieds.
—Cool.—Arrêtedejouerlesblasés,ilsnousontadorés!Toietmoi,unetournéesponsorisée,trente-
six villes, c’est énorme ! Son enthousiasme est contagieux et je finis par lui sourire, mais, àl’intérieur,lesmotsdeDixiemeravagentcommeuneviolentetornade.
Mêmesonécritureestbelle.
Cesmotss’adressentàceluiquej’aime,Ecritsàl’encredemapeine.Tuesceluiquejenepeuxpasoublier,Laflammequim’abrûléeàjamais.Onsaittouslesdeuxquejesuisunerêveuse,Enquêted’espoirdansunmondededoute.Maiscommentsavoircequ’ilyaentrenous,Situneveuxpasmesuivresurlaroute?
Lesmotsrésonnentencoreunefoisdansmatêteet,toutàcoup,ilm’arriveuntrucbizarre.Jenesaispascequec’est,maisçaressembleàuncoupdepiedauxfessespendantunmauvais tripsousacide.
Dallas se lève et dit un truc à propos des vols et des horaires,mais je ne l’entends pas. LesparolesdeDixieprennentviedansmonesprit,jepeuxpresquesentirleurchaleur.
Jepréfèremesentirvivantejustepourunenuit,Plutôtquedecachercequejeressensjusqu’àlafindemavie.Lafacecachéedel’amour,jeladécouvreenfin:C’estlapeine,ladouleur,etunedétressesansfin.Lorsquetoutestfini,quec’estl’heuredesregrets,Onpourraitêtreamis.Saufque,lavérité,C’estquepourêtreàtescôtésJepaieraisn’importequelprix.
Une vision de son magnifique corps nu pressé contre le mien est imprimée de manièreindélébile dansmamémoire, comme les tatouages surma peau.C’est comme simon sang s’étaittransforméenessenceetqueDixieLarkm’avaitjetéuneallumette.
C’estmieuxdeprendredesrisquesetdesebrûler.Jepréfèremebrûlerlesailesquedepasseràcôté.J’aivolétropprèsdesflammes,jenepouvaispasm’enempêcher.Onn’asimplementplusletempsdejouerlasécurité.
—Dallas.Ilfautqu’onparle.Jem’éclaircislagorgeetilarrêteenfinsonmonologue.—Qu’est-cequisepasse?Mesyeuxseposentsurlafeuilledepapierdansmesmains.
J’étaisperduequandtuasilluminémesnuits.Laisse-moiêtrel’angequit’emmèneauparadis.Nousn’avonspasàtraversercetteviedanslasolitude,Tun’aspasàt’accrocheràcettehabitude.Quandtoutserafaitettoutseradit,jeneseraiplusquedescendres.Leventm’emmèneraloind’ici,maisjeresteraiàt’attendre.Et,s’ilfautrecommencer,jesigneraisanshésiter.
Lepremiercoupletserépèteetjeresteimmobile,lesyeuxdanslevague.—Tuluiasdit?demandeDallasendésignantlepapier.Ilveutsavoirsij’airacontéàDixiecequis’estpassépendantqu’elleétaitàHouston.Iln’apas
la moindre idée de ce que les mots écrits sur cette feuille signifient pour moi. Heureusementd’ailleurs.Mêmesijerisquededevoirluienparler…pasplustardquemaintenant.
—Pastout.Ilhausselesépaulesetcroiselesbrassursapoitrine.Jeposelesparolesàcôtéduportablede
Dallasetjemesensàlafoissoulagéetdémunidenepluslesavoirentrelesmains.—Trente-sixvilles…Çafaitbeaucoupdefrontières.On sait tous les deux que je ne suis pas censé franchir celles du Texas. Même Dixie est au
courantmaintenant…saufqu’ellenesaitpaspourquoi.Sesépauless’affaissentetsonenthousiasmeretombecommeunvieuxsoufflé.Quandjelèvela
tête vers lui, il est en train de me regarder de la même façon que sa sœur quand elle sait quequelqu’unluiracontedesbobards.Ilsonttouslesdeuxcefoutupouvoirmagiquequifaitquec’estimpossibledeleurmentirsansqu’ilss’enrendentcompte.Jepariequ’ilstiennentçadeleurgrand-mère.
—C’estjusteque…Jenesuispassûr.Ilyaunpaquetd’endroitsoùjesuissusceptiblede…Je hausse les épaules au lieu de finirma phrase. Il n’a pas besoin que je lui explique ce qui
pourraitarriver.—Jesais,Gavin.Ecoute,peut-êtrequ’onferaitmieuxderetourneràAmarillopouraiderDixie
etchercherautrechose.Cen’estqu’unetournée,ilyenaurad’autres.Ilsourit,maisjen’ycroispasuneseconde,etluinonplus.Onsaittouslesdeuxquecen’estpas
vrai.Lesoccasionscommecelle-lànesontpassifréquentesdansnotremonde.Ellesseraientplutôtdugenreàseprésentertouslestroissiècles.
—Arrête.C’esthorsdequestion.Jerefusedelaissermeserreursl’empêcherd’avancer.—Faiscequetuasàfaire.Casselabaraque.Ilfautquetuyailles.Maispersonnellement…Ilsoupire.—Net’enfaispas.Jecomprends.Tuastoujoursétélàpourmoi.Silesrôlesétaientinversés,je
nesuispassûrquejeseraisprêtàprendrecerisque,alorsjenevaiscertainementpastedemanderuntrucpareil.
—Ilyaautrechose.Tupeuxt’asseoir,oureculer?Parceque,situmemetstonpoingdanslafigure, tuvaspeut-être te fairemalet ce seraitdommagedenepaspouvoir jouerde laguitareauconcertd’Omaha.
—Gavin,tuesenlibertéconditionnelle.Jenevaisquandmêmepastefrapperparcequetu…—C’estàproposdeDixie.Ils’assoit.
Jen’aipluslechoix.Jedoisprendremoncourageàdeuxmainsetluiavouerlavérité.Dallasestunbonami.Monmeilleurami.C’est lefrèreque jen’ai jamaiseuet jedoisêtrehonnêteavec lui.Alorsjeleregardedroitdanslesyeuxetjemelance.
—Jel’aime,Dallas.Jel’aimecommeundingue.Jetejurequejenevoulaispasqueçaarrive.Jenesavaismêmepasqueçapouvaitarriver.Tuavaisraisonl’andernier,quandtudisaisqu’ellen’avaitpasbesoindemoietdemesproblèmes.Ettuavaisraisondemediredenepasm’approcherd’ellequandonétaitgamins.Maisjen’aipasputenirmapromesse.
—Ilvafalloirm’endireunpeuplus.Samâchoireesttendueetjeprendsunegrandeboufféed’air.—Jesuisamoureuxdetasœur,peut-êtremêmequejel’aitoujoursété.Jen’aipasputenirla
promesse que je t’ai faite quand on était petits, ni celle de l’année dernière.Maismême si je suisprofondémentdésolé,sic’étaitàrefaireetquemavieendépendait,jerecommencerais.
J’attendsuneréactiondesapart.Ilneditrien,maisuntasd’émotionspassentsursonvisage.Jene m’étais jamais rendu compte à quel point lui et Dixie se ressemblaient. Ils sont incapables decachercequ’ilsressentent.
Ilfinitparopterpourcequiressembleàunmélanged’inquiétudeetdedétermination.—J’aivucommentvousétiezàl’enterrement,etaprèsaussi.Peuimportecequetufais,tantque
tu es sincère.Mais si c’est juste parce que tu es jaloux deMcKinley, je te conseille d’arrêter tesconneriesetdelalaissertranquille.
—Çan’a rien à voir avec ce type.Même si ça nemedérangerait pas de l’amputer des deuxmainssijelerevoisposersessalespattessurelle.
Ilcommenceàsourire,maisarrêtequandilvoitquejesuissérieux.Jelèvelesmainsensigned’impuissance.
— Il faut que je rentre à lamaison et que jemette de l’ordre dansma vie. Je veux être à lahauteurpourelle.
—Jevoisbienquetuasl’airdevraimentteniràelleetjetrouveçagénial.Jepensesincèrementquetupeuxlaprotégeretnepaslaissertesproblèmesl’atteindre.Entoutcas,tuasintérêt,sinon,tuesunhommemort.Parcontre,l’appelerparsonpetitsurnomoulatoucherdevantmoi,tuoublies.
— Je ferai demonmieux.Mais je pense qu’on sait tous les deuxque ce queDixie veut, ellel’obtient,dumoinsavecmoi.Jenepeuxplustefairepasserenpremier.
—Bonsang,Garrison,c’estpirequesionétaitentrainderompre.Est-cequ’onpeutcoucherensembleunedernièrefois,aumoins?
—Tupeuxtoujoursrêver.Jemelèvepourattrapermonsac.—Tuparsparcequetuneveuxpasprendrelerisqued’allerenprisonoutuparspourelle?Voilàuneexcellentequestion…—Lesdeux,jecrois.Jeglissemonportabledansmapocheetjepassemonsacàmonépaule.Jevaissûrementdevoir
fairedustopjusqu’àAmarillo,maisçam’estégal.JedemandeàDallasdes’assurerquequelqu’unramènemabatterieetilprometqu’ilvas’enoccuper.
—Tuesquelqu’undebien,Gavin,etj’aientièrementconfianceentoi.Mais,situfaisdumalàmasœur,jetejurequeje…
—Jesais,etjeneluienferaipas.Ou,dumoins,jeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourl’éviter.
—Ilfautquetuluiparles.Elledoitsavoir.Peut-êtrepasd’unseulcoup,maisilfaudrabientoutluidire.
—Jesais.Jevaisluiparler.Jevaisréglercequej’aiàrégleret,après,jeluidiraitout.—Quandjet’aivuavecelledansl’allée,j’aicruquec’étaitcomme…—Non.Maréponseestabrupteetjepoursuisplusdoucement:—Etçaneleserajamais.—Tantmieux.Tun’aspasintérêt.—Detoutefaçon…unefoisqu’ellesaura toutceque j’ai fait,ellemediradeneplus jamais
l’approcher,siçasetrouve.Iln’essaiepasdemecontredire,nidemerassurer.Sansdouteparcequ’ilsaitquej’airaison.—Peut-être.Maisc’estunrisqueàprendre.—Ilyadespéchésquemêmedessaintsnepeuventpaspardonner…Dallasmedonneunetapesurl’épauleetglissequelquechosedansmapaumequandilmeserre
lamain.—Iln’yaplusqu’àespérerqu’ellet’aimeassez.Bonnechance.J’ajuste mon sac et je désigne d’un mouvement de tête la guitare de Dallas, appuyée contre
l’armoire.—Atoiaussi.
***
Je suisà lagare routière. Jeviensd’acheterunbilletdebuspourAmarilloavec l’argentquemonmeilleuramiaglissédansmamainenmedisantaurevoir.J’aienvironcinqminutesavantquemon bus n’arrive, alors je décide d’appeler la dernière personne à laquelle j’ai envie de parler.Enfin…unedesdernièrespersonnes.
Ellerépondàlasecondesonnerieetellereconnaîttoutdesuitemavoix.—Tiens,tiens.Qu’est-cequimevautcethonneur?—Ilfautqu’onsevoie.— Voilà qui m’a l’air prometteur. Pour dîner ? Ou alors tu préfères qu’on se retrouve
directementchezmoipourledessert?Un frisson de dégoûtmeparcourt en entendant sa voix. J’enfouis un souvenir que j’aimerais
mieuxoublierauplusprofonddemonesprit,enespérantqu’ilyresteàjamais.—Aucundesdeux.Cen’estpaspourçaquejet’appelle.—Onpeuttoujoursrêver.—Jenesuispasd’humeuràjoueràça.—Dommage,roucoule-t-elle.Ons’amusetellementquandonjoueensemble.Ausecours.—Onpeutsevoir,ouiounon?—Jesuislibredemainaprèsledéjeuner.—D’accord.Alorsàdemain.Je raccroche sans prendre la peine de lui dire au revoir. Elle n’a pas besoin de ce genre de
politesses,etellenelesméritepasdetoutefaçon.Jemontedansmonbusetm’installesurunsiègevide.Unelongueroutem’attendmais,pourla
premièrefoisdemavie,ellememèneversquelqu’unquej’aime.
Quelqu’unquej’aimeraisnepasavoiràblesser.
Playlist
TheDevilWentDowntoGeorgia,TheCharlieDanielsBandIfYou’reGonnaPlayinTexas(YouGottaHaveaFiddleintheBand),AlabamaWhatayaWantfromMe,AdamLambertBeneathYourBeautiful,Labrinthfeat.EmeliSandéRingofFire,JohnnyCashSetFiretotheRain,AdeleLoveRunsOut,OneRepublicOneNight,ChristinaPerriAllYourLife,TheBandPerryMetamorphosis,PhilipGlassDusttoDust,TheCivilWarsLettheDrummerKick,CitizenCopeIfILoseMyself,OneRepublicSomewhereinMyCar,KeithUrbanEavesdrop,TheCivilWarsBluebird,ChristinaPerriLoverDearest,MarianasTrenchTheEnd,KingsofLeonTimetoGo,SaraSwensonDream,PriscillaAhnDust,EliYoungBand
Dallas
Quand j’arrive à l’aéroport, il est encore plus bondé que dans mes pires cauchemars. Lamajorité des gens a le nez collé à son portable. Quelques mères crient sur leurs gosses en leurordonnantde rester làoù ils sont, y comprisunequi a accrochéune laisse au sacàdos en formed’oursdesafille.NomdeDieu…Quelleidéedevoyageravecdesgremlins.
Monportablevibre.C’estunmessagedeMandy.
OnsevoitàOmaha!Bonvoyage,Superstar!
Jefixel’écranpendantunebonneminute.Çayest.Jeparticipeàunevraietournée,sansavoiràdébourseruncentimedemapoche.Et,sitoutvabien,onmeproposerauncontratensuite.
— L’embarquement des passagers des groupes un et deux est ouvert. Nous invitons tous lespassagers de première classe et les passagers des programmes de fidélité Elite et Platinum à seprésenterauxhôtesses.
L’annonce s’adresse aux passagers demon vol, alors je prends place dans la queue. La joliebrune qui parle dans le micro me regarde pendant qu’elle continue à donner des informations àproposduvol.Jeluisourisetjerelèvelégèrementmonchapeaudecow-boypourlasaluer.
Plusj’approchedelapasserellequirelielaported’embarquementàl’avion,plusmoncœurbatvite.Aumomentdetendremonbillet,jesorsdelaqueue,soudainprisdepanique.Despetitsgroupesdevoyageursvont etviennent. Je regarde lesgensdire au revoir à leursproches et embarquer ensouriant.
—Monsieur?Voyagez-vousavecnousaujourd’hui?medemandelajoliebruneentendantlamainpourprendremacarted’embarquement.
Moncœuretmonespritcommencentàse livreruneguerresansmerci.Lepremierveutfairedemi-tour,rentreràlamaisonpourretrouvermasœuretmonmeilleurami,autrementditlegroupequej’aiabandonné.Lesecondsaitqu’ildoitprendrecetavionetleslaisserderrière.
—Monsieur?Cette fois, l’hôtesse a l’air plus agacée qu’intéressée. Je lui tendsma carte d’embarquement,
j’ajustelasangledel’étuidemaguitareetjefaisunpremierpasverslerêvequejepoursuisdepuisaussilongtempsquejem’ensouvienne.
Jesavaisquej’yarriveraisunjour.Simplement,jen’auraisjamaiscruquejeseraistoutseul.
REMERCIEMENTS
EcrirelasérieNeonDreamsaconstituéunedesexpérienceslesplusincroyablesquej’aiejamaisvécues.Ellem’afaitgrandirentantqu’écrivainetaussientantquepersonne.J’aibeaucoupappris,j’aireçuunsoutienincroyable,j’airelevédenombreuxdéfisetj’aidestasdepersonnesàremercierpourça.
J’ai tellement de chance d’avoir la famille que j’ai. Sans eux, je serais incapable d’écrire leshistoiresquej’imagine.Jesuisinfinimentreconnaissantedevousavoir,àtelpointqu’iln’yapasdemotspourdirecequevousreprésentezpourmoi.
Monagentestexceptionnel.Sanselle,vousn’auriezpascelivreentrelesmains.KevanLyon,mercidufondducœurpouravoirdonnésachanceàuneparfaiteinconnuevenued’Alabama!Jeneremercierai jamais assezKellySimmond’InkslingerPRdenousavoirprésentées.Sans les effortsconstantsd’AmandaBergeronetsacapacitéàvoirbienplusdepotentieldansmespersonnagesquemoi, ce livre serait bienmoins intéressant qu’il ne l’est (dumoins, j’espère que c’est ce quevouspensez!).Amanda,mercipourtapatienceettaconfiance!
J’aiaussiuntasderemerciementslarmoyantsenréservepourlesfillesdel’équipemarketingdeHarperCollins ! Merci, mesdames, pour votre enthousiasme et votre soutien. Je ne saurais pasexprimer à quel point j’admire le service artistique et le travail qu’ils effectuent. La perfectionmême!JesuissiheureusedefairepartiedelafamilleAvon/WilliamMorrow!D’ailleurs,tantquej’ysuis,jesouhaiteraisaussiremercierlescharmantsmembresdeRomanceWritersofAmerica,quiont pris le temps de lire ce livre alors qu’elles étaient déjà débordées par leurs propres travauxd’écriture. Merci à Jennifer Armentrout, Candis Terry, Jennifer Ryan, Cora Carmack et JayCrownover.Lesmotsmemanquentpourexprimercequeçafaitd’avoirrencontrétantd’auteursquej’admire.Sansparlerdufaitdesavoirqu’ellesétaiententraindeliremesécrits…Maconsommationdevinetd’anxiolytiquesasensiblementaugmentéàcemoment-là!
Jesuisaussientouréed’unefabuleuseéquipesurleterrain,lesBackwoodBelles,composéedesfemmeslesplusformidablesqu’ilm’aitétédonnéderencontrer.Jepourraisendireautantdemongroupedeprélectrices,CQ’sRoadCrew.Jenesaispascequej’aifaitpourmériterunsoutienaussiexceptionnelmais,danstouslescas,j’ensuisravie!Lesfilles,mercid’avoirtoujoursétélà!
Mes amies critiques ont grandement contribué à améliorer ce roman. Elizabeth Lee et EmilyTippetts,mercidufondducœurd’avoirprisletempsdeliremespremiersjetsabsolumentatrocesetmercipourvoscommentaireshonnêtesetconstructifs.Elizabeth,mercid’avoirtrouvéunnompourlegroupeetmercid’avoirpassédesheuresavecmoiàdiscuterdecettesérieautéléphone.
J’ai quelques autres premières lectrices que je tiens à remercier absolument ! Amy, Erica,Chelcie,Jaclyn,Stephanie,Tricia,Marie,Kristy,Kelly,Mickey,Natalie,Jenna,LeahetRahab,vous
avezétéd’uneaide inestimableet jevousadore!Celavautaussipour toutes lespersonnesquiontprisletempsdeliremeslivresetdeposterdesavisoudesarticlesdeblogpourenparler.Jenevousremercieraijamaisassez!
Ladédicacedudébuts’adresseàmonfrère:jeleremerciedem’avoirrenduecingléependanttoutescesannéesaveclesballadesàlaguitarequirésonnaientconstammentdanssachambre.Ilm’aégalement expliqué ses TRÈS nombreuses théories sur l’intégrité et l’importance de la musique.Mercid’êtretelquetues,petitfrère.
Onarriveaumomentoùjesombredanslaguimauve.Lamusiquefaittantpartiedemoietdemavie que c’est presque impossible à expliquer.Quand j’étais à peine assez grandepourm’asseoir àl’avantduvieuxpick-updemonpèreetqu’onécoutaitcequemamèreappelait«delamusiquedesauvage»,jenesavaispasqu’unjourilneseraitpluslàetqueceschansonscontinueraientàpasserenboucledansmatête.Jenesavaispasnonplusqu’unjourlamoindrechansondesBoyzIIMenmerappelleraitcetterupturedouloureuseentroisième,ouqueCrazyd’Aerosmithmedonneraitencoredesfrissons,quinzeansaprèsmonpremierbaiser.ShaniaTwainetBryanWhitequichantentFromThisMomentOnferonttoujoursrenaîtretrèsprécisémentlessouvenirsdujourdemonmariage,etlabande originale dema vie se compose de tellement de chansons que je serais bien incapable d’enfaire la liste. Je ne sais pas trop commentm’yprendrepour« remercier lamusique», alors, à laplace, jevaisremercier lesgensquisoutiennent lesmusiciens.Merciauxprofesseursdemusique:que vous appreniez des comptines aux enfants dematernelle ou que vous soyez à la tête des plusgrands orchestres, ce que vous faites n’a pas de prix.Merci aux nombreuxmusiciens qui se sontbattusetontréussiàfaireentendreleurmusiquemalgrétout.Chaquemusicienquej’airencontréaunehistoire àproposde« cette fois-là», quandquelqu’un lui adonnéune chance et qu’il a enfinrencontrélesuccès.Merciàvoustousdem’avoirdonnélamienne.
Aceuxd’entrevousquichantentenvoitureetquis’enmoquentlorsqu’ilsserendentcomptequele type dans la voiture d’à côté les a surpris, à ma famille qui me laisse chanter faux à pleinspoumons:jevousaimetous.
Enfinetsurtout,sivousavezlucelivreentièrementetque,pouruneraisonquejenem’expliquepas, vous en êtes arrivé là de mon monologue sans queue ni tête, merci à vous. C’est vous quim’envoyezdese-mails,desmessagessurFacebooketdestweets,etc’estvousquifaitestournermonmonde. Si je vous voyais en personne, je vous serrerais dans mes bras jusqu’à vous faire mal.D’ailleurs,méfiez-vous,c’estsûrementcequirisqued’arriversivousvenezmevoiràuneséancededédicace!
Cette série est tout un tas de choses. C’est un aperçu des dessous d’un groupe. C’est sexy,courageux, romantique, attendrissant à certains moments, moche à d’autres. Mais, au fond, c’estsurtoutunehistoirequiparlederêve.Depuisquej’étaiscettepetitefillequi inventaitdeshistoires,j’aitoujoursrêvédedevenirécrivain.Quandj’aigrandietprisconsciencedelaréalité,àsavoirlenombred’auteursquisefontpublieretquiparviennentàenvivre,monrêveacommencéàneplusêtre que ça : un rêve.Quelque chose quim’amusait quand je l’imaginais,mais qui ne risquait pasd’arriverdanslavraievie.
Sivouslisezceci,çasignifiequemonrêveestdevenuréalitéN’arrêtezjamaisderêveret,surtout,n’arrêtezjamaisd’essayerderéaliservotrerêve.Mêmesi
cen’estpaspossibled’en fairevotreprincipalobjectifdans lavie (malheureusement, les rêvesnepaientpaslesfacturesetneremplissentpasleréfrigérateur),faiteschaquejourunepetitechosequimaintientvotrerêveenvie.Votrefuturvousremerciera.
J’arrêtemaintenant,promis,maisjesaisquej’aioubliéaumoinsunepersonne,parcequec’estcequejefaistoujours.Acetteouàcespersonnesquej’aioubliédeciter,s’ilvousplaît,pardonnez-moi.Vousêtessansdoutelespersonnesquicomptentleplusetjevoustienspouracquises!Mercidem’aimerendépitdemesdéfauts!
Traductionfrançaise:TYPHAINEDUCELLIER
TITREORIGINAL:LEAVINGAMARILLO
&H®estunemarquedéposéeparHarlequin
©2015,CaiseyQuinn.
©2016,Harlequin.
Publiéavecl’aimableautorisationdeHarperCollinsPublishers,LLC,NewYork,U.S.A.
Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:
Femme:©MARKHARE
Réalisationgraphiquecouverture:M.GOUAZE
Tousdroitsréservés.
ISBN978-2-2803-6086-9
Tousdroits réservés,ycompris ledroitde reproductionde toutoupartiede l’ouvrage, sousquelque formequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages, les lieux, les intrigues,sontsoit lefruitde l’imaginationde l’auteur,soitutilisésdans lecadred’uneœuvredefiction.Touteressemblanceavecdespersonnesréelles,vivantesoudécédées,desentreprises,desévénementsoudes lieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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