A la redécouverte des Amériques ·  · 2013-06-04James Clifford , The Predicament of Culture,...

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A la redécouverte des Amériques Les voyageurs européens au siécle des indépendances A ta¡" du XVIil' siécl¿, l¿ diclenchement d¿s "Maolutions atlantiques' remettait Ie mond¿ arnéricain au ceur dcs curiosités et dzs préoccapation¡ dc I'Europe. Cette "redécouaerte des Amériqueí', on Ia dait, ?oar une large part, á ces sauants-aolageurs - d¿ Humboldt h Alcidc d'Orbigry - dont les récits aiürmt )t la connaissance d'espaces encore rnéconnus oa ignoré* Leurs obseruations contribulrent en ffet h l'étnergmce d¿ nouaeaux regards, d"poit Ic simple exotisme jusqu'aux approches propremmt scientifiques. Véritabl¿s initiateurs de sciences humaines en gestation, ces aaentuüers du saaoír firmt de leur oQjet d'obseraation l¿ lieu se croisaimt, pour leur enrichissement rnutuel, I'humain, le g,áographique, Ic bounique ou Ic biologique. Ils apportérmt ainsi leur pierre, m cette périodc dcs Lurnüres, h I'édificaüon de Ia rnod¿rnité cuhurelle earopéenne, Le présent ouorutge rassembl¿ I¿s textes de spécialistes aenus d'horizotu géograpbiqaes et disciplinaires nls diaers, mais tous également souciewc dz rnesarer auec précision I'imltact de cette reücouuerte dcs Amiltqaes sur I'histoire cuburelle du XIX" síécle et sur son qrstéme de rEtrésmtations dc lAutre. Michel Bertrand, professeur I I'Université de Toulouse-Le Mirail, est historien de la Mésoamérique. Il a récemment publié, en collaboration avec Richard Marin, Écrire I'Histoire de lAmñque laüne, |%-2hsilclzs, CNRS Editions, 2001. Laurenc Vidal est maitre de conférences en histoire contemporaine )r I'Université de La Rochelle et chercheur i I'Espace Nouveaux Mondes (SEAMAN) et au CREDAL. Il a récemment publié De noaa Lisboa h Brasilia, Iiinumtion d'une capitalc, IHEAL, coll. Tiavaux et Mémoires de I'IHEAL n" 72,2O02. collection terupus dirigee par Patrick Cabanel et Mireille Mousnier PRESSES UN IVERSITAI RES DU MIRAIL UNIVERSITÉ DE TOULOUSE-LE MIRAIL s, Rr-lÉrs ANToNto MAcHADo 31058 TOULOUSE CEDEX 1 , illJx[tluill|LLl|ltil ISBN : 2-85816-617-X code Sodis : F276179 23€ 150,87 F Gabriela Dalla-Corte Caballero

Transcript of A la redécouverte des Amériques ·  · 2013-06-04James Clifford , The Predicament of Culture,...

A la redécouvertedes Amériques

Les voyageurs européensau siécle des indépendances

A ta¡" du XVIil' siécl¿, l¿ diclenchement d¿s "Maolutions atlantiques' remettaitIe mond¿ arnéricain au ceur dcs curiosités et dzs préoccapation¡ dc I'Europe.

Cette "redécouaerte des Amériqueí', on Ia dait, ?oar une large part,á ces sauants-aolageurs - d¿ Humboldt h Alcidc d'Orbigry - dont les récits

aiürmt )t la connaissance d'espaces encore rnéconnus oa ignoré*

Leurs obseruations contribulrent en ffet h l'étnergmce d¿ nouaeaux regards,

d"poit Ic simple exotisme jusqu'aux approches propremmt scientifiques. Véritabl¿sinitiateurs de sciences humaines en gestation, ces aaentuüers du saaoír firmt

de leur oQjet d'obseraation l¿ lieu oü se croisaimt, pour leur enrichissement rnutuel,I'humain, le g,áographique, Ic bounique ou Ic biologique.

Ils apportérmt ainsi leur pierre, m cette périodc dcs Lurnüres, hI'édificaüon de Ia rnod¿rnité cuhurelle earopéenne,

Le présent ouorutge rassembl¿ I¿s textes de spécialistes aenus d'horizotugéograpbiqaes et disciplinaires nls diaers, mais tous également souciewc dz rnesarer

auec précision I'imltact de cette reücouuerte dcs Amiltqaes sur I'histoire cuburelledu XIX" síécle et sur son qrstéme de rEtrésmtations dc lAutre.

Michel Bertrand, professeur I I'Université de Toulouse-Le Mirail, est historien de laMésoamérique. Il a récemment publié, en collaboration avec Richard Marin,Écrire I'Histoire de lAmñque laüne, |%-2hsilclzs, CNRS Editions, 2001.

Laurenc Vidal est maitre de conférences en histoire contemporaine )r I'Universitéde La Rochelle et chercheur i I'Espace Nouveaux Mondes (SEAMAN) et au CREDAL.

Il a récemment publié De noaa Lisboa h Brasilia, Iiinumtion d'une capitalc,IHEAL, coll. Tiavaux et Mémoires de I'IHEAL n" 72,2O02.

collection terupusdirigee par Patrick Cabanel

et Mireille Mousnier

PRESSES UN IVERSITAI RES

DU MIRAILUNIVERSITÉ DE TOULOUSE-LE MIRAIL

s, Rr-lÉrs ANToNto MAcHADo31058 TOULOUSE CEDEX 1

, illJx[tluill|LLl|ltil

ISBN : 2-85816-617-Xcode Sodis : F276179

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Á Ia redécouaerted.es AmériquesLes aoyageurs européens aa

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Á Ia red.écouaerted.es AmériquesLes aoya.geurs eurolréens A.u

sibcle des indépendances

0uvrage publié avec le concours de I'lnstitut Pluridisciplinairepour les Etudes sur l'Amérique Latine á Toulouse - IPEALT -

Université de Toulouse-Le Mirail

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Illustration de couverture :

Carl NEBE! Tampico de Tamaulipas (Mexique)Aquarelle, Musée de l'Homme.

Couverture : Dominique Rouaix pour le compte des pUM

Composition: Micro-édition 31, Héléne Mas

5 impasse G. Apollinaire,31,240 Saint-jean

ISSN: 1248-895X

ISBN :2-85816-617-X

@ Presses Universitaires du Mirail 2002

Université de Toulouse-Le Mirail

5, allées Antonio Machado

31058 Toulouse

Tous droits de reproductior¡ de traduction et d'adaptation réservés pourtous pays. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partiellefaite par quelque procédé que ce soi! sans le consentement de l'auteur oude ses ayant cause, est illicite et constifue une contrefagon (art. 2 et sui-vants du Code pénal). Les copies ou reproductions destinées á une utili-sation collective sont interdites.

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TABLE DES MATIERES

Introduction : Les voyageurs européens et la redécouvertedes Amériques au siécle des IndépendancesMichel Bertrand et Laurent Vidal

LA CONSTRUCTION D'UN REGARD SCIENTIFIQUE

L"autorité ethnographique du missionnaire :

les médiations de ]osé Cardiel dans les réductions guaraniesGabriela DaIIa Corte 15

Alcide d'Orbigny, .l'homme péruvien )> .

et les débuts de l'anthropologiePascal Riaiale.......... 37

Aux origines de l'ethnologie ?

Le regard des voyageurs frangais sur les Indiens du BrésilClothilde Gadenne .. 53

Le voyage aux Amériques etles revues savantes frangaises au XIXe siécleMona Huerta................... 73

LES NOWELLES REPRÉSENTATIONS DE L"ESPACE AMÉRICAIN

Imaginaire et réalité : l'imagerie du Mexiquedurant la premiére moitié du XIX" siéclePascal Mongne 97

La ,, découverte > du Sonora par les Frangais(Mexique, 1848-1854)Delia Gonzdlez A. de Reufels 125

Du réve doré á l'enfer vert :

l'invention contemporaine de l'espace amazonienMichel Bertrand....... 139

Ilinvention du SertáoRichard Marin 1.67

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DISCOURS ET REGARDS DE VOYAGEURS

Étrangers ou créoles ? Les discours des voyageurs étrangerssur le Vénézuela du XIXe siéclePedro Enrique Calzadilla

Entre invités et intrus :

Buenos Aires vue par les voyageurs et les immigrantslors du centenaire de l'Indépendance (1910)Norberto O. Ferreras

L"industrie mexicaine vue parles voyageurs européens du XIXe siécleEaelyne Sanchez Guillermo.....

Voyageurs des frontiéres : les regards portés sur l'Argentineet le Brésil pendant le XIXe siécleMqria Verónica Secreto

Ferdinand Denis, observateur de la société brésilienne (1816-7537)Lqurent Vida\............

Postface : d'Orbigny et la redécouverte des AmériquesPierre Vay ssiére ................

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LISTE DES AUTEURS

Michel BERTRAND, FRAMESPA-cNRS et IPEALT, Université de Toulouse 2,

[email protected]

Pedro Enrique CALZADILLA, Universidad central de Venezuela,Caracas, [email protected] ou [email protected]

Gabriela DALLA CORTE, Universidad central de Barcelona,dalla@trivium. gh.ub.es ou [email protected]

Norberto O. FERRERAS, Universidade federal do Ceará (UFC) etCentro de Estudos das Migragóes Internacionais da Universidade

Estudual de Campinas (cBII¿I-UNICAMP), [email protected]

Clothilde GADENNE, doctorante de l'Université Paris X-Nanterre,cloegadenne@fr. europost. org

Delia GoNZArnz l. DE REUFELS, M.A, universitát zu KhóIry

Mona HUETA" CREDAL-CNRS et IHEAL, Université de Paris 3,

[email protected]

Richard MARIN, GRAL-CNRS et IPEALT, Université de Toulouse 2,[email protected]

Pascal MONGNE, Institut d'histoire de l'art et d'archéologie, Centre derecherche en archéologie précolombienne,[email protected] ou [email protected]

Pascal RIVIALE, Musée d'Orsay,pascal. [email protected]

Évelyne SANCHEZ GUILLERMO, Docteur en histoire de l'Université deToulouse 2Evelyne. [email protected]

Maria Verónica SECRETO, Universidade federal do Ceará (UFC)

[email protected]

Pierre VAYSSIERE, GRAL-CNRS et IPEALT, Université de Toulouse 2,

p.vayssiere. canto@wanadoo. f rLaurent VIDAL, maitre de conférences en histoire, Espace NouveauxMondes (SEarraaN), université de La Rochelle,[email protected]

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IiAUTORITE ETHNOGRAPHIQUEDU MISSIONNAIRE:

LES MÉDIATIONS DE IOSÉ CARDIELDANS LES RÉDUCTIONS GUARANIES 1

Gabriela Dalla Corte

" A la fin du XIXe siécle, rien ne garantissait, a priori, que l'ethno-graphe fut le meilleur interpréte de la vie indigéne, en comparaisonavec le voyageur et en particulier le missionnaire et l'administrateu{,dont certains étaient restés sur le terrain bien plus longtemps, pos-sédaient de meilleurs contacts et de plus grandes capacités linguis-tiques. >

James Clifford , The Predicament of Culture, 1988 2.

Par cette affirmation, james Clifford nous introduit dans un domaineexploré récemment par l'anthropologie. Je me référe au statut des récitsde voyages et au róle des missionnaires dans la genése du regard ethno-graphique, et dans sa construction comme " discipline ". Clifford signaleque l'image de l'ethnographe s'est créée pendant la premiére moitié du

fe remercie Frangois Godicheau et Evelyne Sanchez pour la traduction de ce texte ori-ginalement écrit en espagnol.Paragraphe cité de Clifford James, . Sobre la autoridad etnográfica ,,, Geertz Clifford,Clifford James y otros, El surgimiento de Ia Antropología Posmoderna, Carlos Reynoso(comp.) Barcelona, Gedisa, 1992, p.745.

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XXe siécle comme une forme particuliére de l'autorité, validée scientifi-quement. Ces nouvéaux chercheurs de terrairy écrit-il, ont tenu d'embléeá se distinguer de leurs prédécesseurs - le missionnaire, l'administrateur,le commerEant et le voyageur -, jugeant partisanes et non fondées scien-tifiquemenf leurs connaissances des peuples indigénes. George Marcus etDick E. Cushman ont exposé des idées comparables quelques annéesavant que Clifford n'explique que la différence entre le récit de voyage etle texte ethnographique résidait dans le fait que, dans ce dernier, prédo-minait le narrateur scientifique invisible, l'observateur omniscient etdépassionné 3. FranEoise Zonabend expose une interprétation similaire enreconnaissant que les Meurs des Sauoages américains écrites par le voya-geur Lafitau en 1724 sur les Iroquois et les Hurons, par exemple, ont étéau point de départ de certains travaux d'ethnologie, comme ceux de Mor-gan. La différence entre les deux auteurs est d'ordre méthodologique :

Morgan a collecté " systématiquement ' les terminologies de parenté tan-dis que Lafitau l'avait fait de maniére < non systématique ), en insistantsur l'exotique de certaine situations a. Chez d'autres auteurs apparait uneappréciation plus péjorative sur le travail réalisé par les voyageurs et lesmissionnaires. Dans son prologue aux Reflexiones sobre un trabajo de campo

en Marruecos, de Paul Rabinow, María Cátedra signale que l'anthropo-logue peut parvenir á écrire des textes sans s'impliquer personnellement,mais qu'il peut aussi se donner á voir á travers un simple recueil d'anec-dotes oü il narre, i1 la faqon du aoyageur, les conditions dans lesquelles il a

mené á bien son travail malgré des conditions de vie difficiles. Et elleajoute, pour augmenter notre confusion sur les limites des expériences,que la figure de l'ethnographe offre quelque ressemblance avec celle dumissionnaire puisque tous deux supportent les difficultés en des lieuxlointains, et sauvent . des ámes ou des matériaux qui autrement seraientperdus ,. N'oublions pas non plus que Lévi-Strauss, dans TristesTropiques,a recours aux descriptions laissées par le missionnaire jésuite SánchezLabrador et expliquant que les missionnaires avaient recueilli tout ce quivalait la peine d'étre conservé, attribuant aux notes des fésuites et desmissionnaires la capacité d'instaurer la conscience ethnographiquemoderne. Le voyageur et le missionnaire, conclut Lévi-Strauss, ont ouvert

Ibid., p.146 ; George Marcus et Dick Cushman, < Las etnografías como textos >, GeertzClifford, Clifford |ames y otros, El surgimiento . . . , op . cit . , p . 771-2-13 . Voir aussi Cliffordlames, Itinerarios transculturales, Barcelona, Gedisa, 7999, p.86-88. ile éd. 1.997.

Frangoise Zonabend, " De la famille. Regard ethnologique sur la parenté et lafamille ", dans André Burguiére; Christiane Klapisch-Zuber; Martine Segalen; Fran-goise Zonabend (dfu.) Histoire de la famille, t. 1, < Mondes lointains, Mondes anciens ,,Paris, Armand Colin" 1986, p.1,5-75.

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L' autorité ethnographique du missionnaire

la voie á l'observatiory un des principes fondamentaux des sciencesmodernes s.

La " redécouverte " de la valeur narrative des récits de voyages, tanten géographie qu'en histoire et en anthropologie, a été l'une des caracté-risüques du XXe siécle. Cet article aborde justement la question du róledes missionnaires et des voyageurs dans les prolégoménes de la construc-tion de l'ethnographie comme discipline scientifique. Les étres humainsont toujours voyagé guidés par la boussole de leurs intéréts mulüples,personnels et collectifs. Tout au long de l'histoire, de nouvelles significa-tions ont enveloppé les expériences des voyageurs. Les voyages sontdevenus un fait banal dans l'Espagne éclairée et ils ont été entrepris pardes représentants de diverses institutions, presque toutes soutenues par laCouronne. Les voyages vers des mondes lointains tout comme l'activitémissionnaire ont occupé une place importante dans les politiques impé-riales, notamment á partir du XVIIIe siécle. Les voyageurs du XVIIIe siécleannotérent dans leurs journaux, itinéraires et descriptions, les scénes quise présentaient á leurs yeux, mais furent aussi guidés par la recherche del'exotisme et du contróle intellectuel de nouveaux espaces 6. Ils se fondé-rent pour cela sur l'observation comme méthode de recherche et sur le cri-tére de l'utilité de leurs découvertes, générant ainsi une trés richelittérature ethnographique. Une grande partie d'entre elle fut l'ceuvre devoyageurs particuliers, les Jésuites, membres d'une puissante et prolifé-rante corporation religieuse qui joua dans les terres australes d'Amériqueun róle essentiel avant la création de la vice-royauté de la Plata en 1776,La double composante d'idéalisme et d'empirisme de l'euvre d'un desreprésentants de la Compagnie, le |ésuite ]osé Cardiel, permet d'observerla conquéte par l'intellect des nouvelles régions. Cardiel est devenu l'undes pionniers de l'étude du Paraguay et des cótes argentines, depuis Bue-nos Aires jusqu'au détroit de Magellan. Il figure au rang de ceux plus inté-ressés par l'étude ethnographique que par la fondation de réductionsindigénes. Ses voyages furent un savant mélange entre une ambition d'es-sai scientifique et politique, une manifestation de l'esprit aventurier et lavolonté de porter un regard critique sur le modéle colonial péninsulaire

Claude Lévi-Strauss (1988), Tristes Trópicos, Barcelona, Paidós Ibérica, 1re éd. en 1955,

p. 191,, 194, 220, 228, 230, 234.Francisco De Solano, " Viajes, comisiones y expediciones científicas españolas a ultra-mar durante el siglo XVIII >, Cuadernos Híspanoamericanos, Cnrlos III y América, n" 2,

p.1,47 et 152 ; Daniel Roche, " Viajes ", Fe¡rone Vicenzo y Daniel Roche (eds.) Dicclo-naria Histórico de la llustración, Madrid, Alianza, 1997, p.287-289; Alejandro Malas-ptna, En buscn del paso del Pacífico, edición de Andrés Galera Gómez, Mad¡id, Historia76, 7990, Crónicas de América n' 59. Cette derniére expédition se dé¡oula entre 1789 y1794.

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mis en euvre dans ces régions d'Amérique. Ses propositions furentamplement réformistes dans un contexte politique opposé aux fésuites.

J'analyserai d'abord quelques-uns des débats introduits par Cardielsur le type de relations qui a uni la Couronne, l'Éghse et les sociétés nou-velles, et je proposerai par la suite de discuter le róle joué par les fésuitesdans la constitution du corpus littéraire de récits de voyage¿ ainsi quedans la consolidation de l'ethnographie. L"idée repose sur un constat tréssimple : les travaux sur les missionnaires jésuites du Paraguay ont recoursassez systématiquement aux manuscrits de ]osé Cardiel pour recons-truire la vie quotidienne, le régime familial et de parenté ainsi que lesusages de production. Ceci est visible dans un texte assez conservateur á

propos des doctrines, comme celui de Maxime Haubert, mais aussi dansle récit descriptif de Silvio Palacios et Ena Zoffoli 7. Ces études renvoientinlassablement á des paragraphes entiers du récit ethnographique dufésuite mais sans prendre en compte l'objectif de son euvre.

Cardiel naquit á la Guardia, en Alava. Il était le fils d'un médecinformé précisément á l'art de l'observation de la nature et du corpshumairy mais lui ét ses deux fréres ainés choisirent d'intégrer la Compa-

gnie de lésus.losé le fit alors qu'il avait un peu plus de quinze ans. Il par-tit au Paraguay une dizaine d'années plus tard : il arriva á Buenos Airesen1731et se dirigea directement vers les missions guaranies. Lannée sui-vante, il prit en charge la réduction de Santiago et passa peu aprés au vil-lage de Jésus. Pendant ces courtes années, il apprit la langue des indiensGuichaquis et le guarani, occupa la charge de chapelain de l'armée á SanCosme et Damiár¡ puis celle de professeur dans le collége jésuite de Cor-rientes. Un an aprés commenga son périple parmi les réductions desindiens Mocobíes de San Francisco faviel, au Nord-Est de Santa Fe, puisAbipones de Santa Fe, pour terminer par les Charrúas situés entre lefleuve Paraná et le fleuve Uruguay a. Ce long parcours lui permit deconnaitre en un laps de temps trés court une grande diversité de groupesindigénes, leur forme de vie, le type d'activité extractiviste qu'ils réali-

Maxime Haubert, La Vie quotidienne au Paraguay sous les lésuites, Paris, Hachette, 1967.

Silvio Palacios,EnaZoffoli, Gloría y tragedia de las misiones guaraníes. Historia de las

Reducciones lesuíticas durante los siglos XVII y xVlll en el Río de la Plata, Bilbao, EdicionesMensajero, 1991.

Héctor Sáinz Ollero, " Introducción ", en José Cardiel (1771) Las misiones del Paraguay,

Madrid, Historia'16, 1989, Crónicas de América n" 49, p.7-36.

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L' autorité ethnogr aphique du missionnaire

saient. A la fin de sa vie, Cardiel rédigea une sorte d'essai autobiogra-phique:

le suis un ecclésiastique qui, en L729, h l'ñge de 25 ans, est passé d'Espagne en Amé-rique. l'ai vécu, pendant quarante longues années au Paraguay, it Buenos Aires, h

Tucumdn, h Magellan et en Patagonie ; presque toujours en de continuels aoyages,

assumant plusieurs charges ecclésinstiques et quelques-unes politiques et publiques, etpendant toutes ces années, i'ai parcouru des millíers et des milliers de lieues. I'aí luaaec attention en diz¡erses occasions toutes les histoires citées et les traités. I'aí aécubeaucoup des choses qui y sont dites. l'ai ou presque tout ce ilont elles traitent, et beau-coup d'autres choses dont elles ne parlent pas, ce qui m'oblige et m'autorise plus quetout autre h pouooir dire la aérité sur ce qui s'est passé dans ces parties du monde, en

ce siécle particuliérement, h expliquer et d exposer ce que sont ces pays, territoires etprooinces 9.

Cardiel est surtout connu pour ses expéditions au sud de Buenos Aireset dans les terres du détroit de Magellan sur ordre du monarque PhilippeV. Pendant la premiére moitié du XVIIIe siécle, il accompagna les ]ésuitesjosé Quiroga et Matías Stróbel, le premier spécialisé en mathématiques eten cartographie et le second cherchant á rencontrer des populations pourfonder des réductions. Iiobjectif était d'examiner la géographie cótiérepour fortifier un port qui servirait d'escale aux bateaux espagnols, pour( s'assurer une entrée facile sur ce continent et empécher que d'autresnations s'y établissent 10 >. Cependanf Cardiel pénétra dans ce territoireá la recherche de populations indigénes afin de décrire leurs coutumes. Ilportait en lui les images mythiques que les voyageurs précédents avaientélaborées mais, comme il le raconte lui-méme, il trouva .. un grand tas depierres qui couvraient un squelette presque pourri, d'une taille ordinaire,

o Yo soy un eclesiásüco que de edad de 25 años pasó de España a la América el año1729.He habitado en los países del Paraguay, Buenos Ai¡es, Tucumáry Magallanes yPatagones por el largo espacio de 40 años, casi siempre en continuos viajes, con varioscargos eclesiásticos y algunos políticos del público, y en tantos años he caminadomuchos millares de leguas. He leído con atención en diversos tiempos todas las cita-das historias y tratados. He experimentado mucho de lo que ellas dicen. He visto casi

todo aquello de que ellas tratary y otras muchas cosas de que no hablao con que tengomás obligación que otro alguno, o mayor ocasióry de poder decir la verdad de lo acae-

cido en aquellas partes especialmente en este siglo, y de explicar y declarar qué cosa

sean aquellos países, territorios y provincias ", fosé Cardiel, Compendio de Ia Historiadel Paraguay sacadn de todos los escritos que de ella tratnn y de la experiencia del autor en 40

años que habitó en aquellas partes, 11780], editado por la Fundación para la educacióry laciencia y la cultura con un Estudio preliminar de José M. Mariluz Urquijo, BuenosAires,1984, p.39.Pedro F.J. Charlevoix, Hlstoria del Paraguay, Correcciones y anotaciones del Padre DomingoMuriel,Traducción de Pablo Hemández, Compañía de Jesús, Madri4 Librería Gene-ral de Victoriano Suáte2,191.6, t.6,p.97. Pablo Hernández, El extrañamiento de los jesui-tns del Río de la Plata y de las misiones del Paraguay, Decreto de Carlos IIL Madrid,Librería General de Victoriano Suáre2,1908.

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et non de la taille gigantesque que Le Maire, l'auteur du voyage de San,tiagO attribuait aux habitants de ce pays >, rompant ainsi avec la fable surla grande stature des indigénes.

A son retou4, Cardiel sollicita auprés des autorités de Buenos Aires unnouveau permis pour atteindre par les terres le détroit de Magellary envoyageant á son compte vers la cordillére des Andes. Son projet ne fut pasaccepté, mais un an aprés on lui demandait de se rendre á la Sierra delVolcán (qui, en mapuche, signifie porte), á soixante-dix lieues au Sud-Estde Buenos Aires, oü se trouvaient les réductions des indiens Pampas. Car-diel accepta ce défi á la condition d'obtenir un permis pour arriver audétroit de Magellan par les terres et < reconnaitre le pays vaste etinconnu ". Il profita du désir qu'avaient les autorités et la monarchie elle-méme d,e trouver I'El Dorado du sud, la mythique ville des Césars qu'ilsvoyaient comme un centre de richesses de l'aire méridionale de l'empireen Patagonie. Il était conscient qu'il s'agissait de fables et d'exagérationset il en fit part au gouverneur Ceballos en\746, mais c'était la seule cartequ'il pouvait jouer afin d'entreprendre sa propre expédition tt.

Cardiel put connaitre les coutumes des indigénes gráce aux études lin-guistiques menées, depuis le XVIIe siécle, par les missionnaires jésuites 12.

Il emporta avec lui El Arte y Vocabulario de la langue Aucae, écrit par lepére Valdivia, et réalisa des entrevues avec des personnes clefs de la zonefrontaliére qu'il définit clairement comme une région de contacts et decommunication entfe indigénes et Espagnols. Il effectua plusieurs entre-tiens avec les Toelches et vérifia que, vers le Sud de la sierra, habitaientenviron vingt peuples ou ( nations ". Il dessina méme une carte de leurpossible situation géographique, toujours avec l'idée de mettre sur piedsune nouvelle expédition d'envergure de retour á Buenos Aires 13.

Les guides et les cartes ont été largement valorisés dans l'Europemodeme, tout comme les instructions sur les chemins á suivre et les récitsd'observations et impressions plus particuliéres et personnelles. Des ins-tructions et des conseils donnés aux possibles lecteurs émergent du récitde voyage, qui offrait aussi des informations sur les caractéristiques

" Carta al gobierno de Buenos Aires sobre el descubrimiento de tierras patagónicas enlo que toca a la ciudad de los Césares ,r, en Colección de obras y documentos relatiaos a lahistoria antigua y moderna de las proaíncias del Río de la Plata, aportación de P. de Ange-lis, Buenos Ai¡es, 1836, t. 1, n" 5.

Sur l'usage des recherches linguistiques par les missionnaires jésuites pendant leXIXe siécle, voir Zeballos Estanislao, La Conquista de quince mil leguas. Estudios sobre latraslacíón de Ia fontern sur de la República aI Río Negro, dedicado a los gefes y oficialesdel Ejército Expedicionario, Buenos Ai¡es, 1878, 2". Edicion, p. 413.

]osé Cardiel, Las misiones del..., op. cif. Cardiel entendait par < nation " un villaged'une méme langue, fosé Cardiel, Compendio., . op. cit., p. 45.

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L' autor ité ethno graphique du missionnaire

locales, les dangers potentiels, les paysages, les systémes culturels etsociaux 14. L"accent que mit Cardiel sur la cartographie était non seule-ment dü á la nécessité d'établir des frontiéres et de réduire la connotationd'espace flou qu'avait cette région dans l'imaginaire de l'époque, maisaussi á l'urgence d'établir le contróle et garantir la connaissance de zonesqui paraissaient encore risquées et dangereuses pour les Européens. Bienplus, il était important pour Cardiel de faire en sorte que l'État intervienneen substitution de la population civile espagnole qui n'avait pas toujoursde grands égards pour la population autochtone. En effet, cette zone sep-tentrionale des montagnes bonaerenses n'avait jamais fait l'objet d'unrelevé cartographique précis. Cardiel réussit á réunir les informations dela bouche des indigénes et étudia une partie de la région de Tandil, detelle sorte qu'il put illustrer son Diario del Viaje y misión al Río del Sauceavec une carte qui constitue le premier document moderne tentant des'ajuster á la réalité régionale sans trop se référer aux représentations pré-existantes du littoral du Rio de la Plat4 avec une attention spéciale portéeaux éléments hydrographiques du versant atlantique t5.

Afin d'élaborer la carte, Cardiel utilisa ses observations personnelles etimposa une toponymie extraite du catalogue des saints, toponymie quifut toute éphémére puisqu'elle ne fut pas conservée dans les relevés car-tographiques postéiieurJ. La carte dü fésuite *urqn", selon Outes, ledébut de la nouvelle cartographie dont les caractéristiques seraient défi-nitivement fixées á la fin du siécle. La carte dressée par Cardiel supposela connaissance préalable des données hydrographiques pour le contrólefluvial. Ses écrits mettent d'ailleurs l'accent sur la recherche d'eau potableafin d'assurer les futurs voyages vers le sud par voie terrestre et non parvoie maritime, c'est-á-dire pour organiser des expéditions au-delá descótes et pour pénétrer sur la terre ferme de fagon permanente au moyend'établissements coloniaux.

Les ]ésuites ont été l'un des groupes les plus intéressés á donner corpsá la cartographie pendant cette époque. Ils étaient obligés d'envoyer leursrelevés cartographiques á leurs supérieurs qui exerqaient un sévérecontróle sur les représentations spatiales que les Péres réalisaient. Ces

14. Antoni Maczak" Viajes y aiajeros en la Europa Moderna, Barcelone, Omega, 1996,p.39 I \ fe éd.1979, Varsovie.

15. C'est, de plus, la premiére carte de cette zone. En 1801, Andrés de Oyarbide copiacette carte faite par Cardiel et les originaux passérent dans les archives privées dePedro de Angelis. Cité in Outes Félix < El Itinerario del Rev. Padre fosé Cardiel y lascartas que se le refieren ", dans Guillermo Furlong Cardiff, " El Reverendo Padre JoséCardiel, 1704-178L >>, Diario de oiajey misíón al Río de Sauce (1748), Estudio biogrdfico,lite-rario y cartogrdfico por Guíllermo Furlong Cardiff; Introducción y análisis crítico del iti-nerario y cartas por Félix Outes, Buenos Aires, Casa E. Coni, 1930, p.113-240.

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documents servirent également á dessiner les limites de la vice-royautédu Río de la Plata. Les sciences empiriques, l'observaüon astronomique,la météorologie, la philosophie expérimentale, l'histoire naturelle et lagéographie descriptive favorisérent la croissance de la production scienti-fique |ésuite qui commenga á partir de 7740, rrrorr;ent qui connait unesorte de . boom " de publications spécialisées de la Compagnie. Harry acalculé qu'aprés cette date, chaque ]ésuite publia jusqu'á quatorze textesau lieu de trois pendant les décennies précédentes. Le XVIIIe siécle üt lapublication de deux fois plus de textes que le XVIIe et sept fois plus que leXVIe. Les missions guaranies donnérent á leurs religieux la possibilitéd'entrer en contact avec de nouvelles sociétés et contribuérent á unéchange suivi d'informations et de contacts, ainsi qu'á la formation depuissants réseaux sociaux que les voyageurs mirent en pratique. Si leXVIIe siécle fut le siécle d'or de la Compagnie, le XVIIIe fut celui de sa

consolidation. Entre 1540 et 1700, les études théologiques représentent40 % de la production totale des Jésuites face á 32 % pour la période sui-vante, de 1700 á 1800. La littérature scientifique qui, pendant cette pre-miére période représentalt 6 % des manuscrits, atteignit 73 % durant lasuivante. Les Jésuites ont été les artisans de la diversification scientifiquedu XVIIIe siécle 16, et il est significatif que la contribution de Cardiel a coih-cidé avec cette croissance exponentielle provoquée par le véritable chan-gement d'intéréts de la Compagnie.

Cette mutation". ainsi que l'éloignement physique que choisirent les

Jésuites en s'établissant dans les missions - a sans doute effrayé la monar-chie. Pendant ses voyages, Cardiel parvint á la conclusion que c'étaient lesEspagnols eux-mémes qui génaient le travail des fésuites en avertissantles indigénes que l'intention des Péres était de ,. les rassembler en villageset les asservir ". Cardiel écrivit dans son |ournal que < ce sont ceux-lá quinous causent partout de grands dommages et c'est pourquoi nous tentonsd'aller vers les indiens les plus éloignés, étrangers á ces certitudes démo-niaques dans lesquelles tombent ceux qui communiquent avec les Espa-gnofu 17 r. La monarchie avait commencé á voir d'un mauvais eil le grandintérét de la Compagnie á atteindre les " infidéles éloignés " et lui avaitprété l'intention d'empécher la divulgation de ses activités. Cardiel deson cóté, écrivit que le contact entre indiens et Espagnols était l'un des

Horacio Capel, " Geografía y cartografía ', en Manuel Sellés; José Luis Peset y Anto-nio Lafuente, Carlos lll y Ia ciencía de la llustración, Madrid, Alianza, 1,988, p.99-725.Harry Stever¡ lesuit Ideology and lesuit Science. Scientific Actiaity ín the Society of lesus,1550-1773, Madisory Phd, University of WisconsirL 7988, p.299.< Estos son los que nos hacen grandísimo daño en todas partes y esta es la causaporque procnramos ir a los indios más distantes, ajenos de estas endemoniadas per-suaciones en que están los que comunican con españoles r.

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grands maux de la colonisation. En traitant des Abipones il souligna lesconflits surgis entre la Compagnie, les fonctionnaires et les troupes mili-taires espagnoles :

l'appris que iles Abiponesl désiraient Ia paix afin de se libérer des continuelles frayeursdans lesquelles ils afuent et des malheurs qu'ils connaissent lors des incursions et deséchauffourées az,ec les Espagnols car, bien qu'eux-m€mes tuent aussi beaucoup, cesderniers ne cessent de tuer ou de les capturer, de les plonger dans I'angoisse et lesinquiéter par des runrcurs, le plus souoent fausses

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Peut-étre ce voyage le fit-il réfléchir sur le travail que les ]ésuites met-taient en cuvre et l'incita á rédiger une Relación de lqs Misiones del Para-guay (1747), dans laquelle il réfute une á une les critiques faites contre laCompagnie 1e. Un an aprés, il se remit en route afin de reconnaitre parvoie terrestre l'embouchure du Rio de los Sauces. Ce fut la seule expédi-tion de la premiére moitié du XVIIIe siécle dans la campagne et le littoralde Buenos Aires, et la carte qu'il dessina fut également la premiére de cesrégions. A cette occasiory il effectua une < mission scienti?ique )) avec unpersonnel minimum, en compagnie d'un étudiant jésuite, mais cet essaiéchoua encore une fois, en raison de la fuite des indigénes guaranis qui lesaccompagnaient. Cardiel dut retourner á Buenos Aires oü les autorités, aulieu d'insister sur le projet originel, décidérent de l'envoyer vers unerégion inhospitaliére oü il aida á fonder la réduction de San Jerónimo.

Comme nous le savont la Compagnie de Jésus s'implanta au départdans l'espace colonial avec l'appui de Madrid et du Conseil Royal desIndes en récompense de l'efficacité de leur travail apostolique et decontróle social. L évangélisation des indigénes s'appuya sur la valorisa-tion de qualités trés particuliéres : la docilité, l'absence de convoitise etl'obéissance. Les jésuites (ordre urbain jusqu'alors) s'implantérent audébut du XVIIe siécle dans le haut Paraná et la région du Guairá en qua-lité de curés et de compagnons 20. Pendant la premiére moitié du

. Conocí que (los abipones) deseaban la paz para librarse de los continuos sustos enque viven y de las desgracias que experimentan en las entradas y refriegas de losespañoles, pues aunque ellos matan rnucho, no dejan éstos de matar y cautivar a nopocos, y de tene¡los en continuo zozobro y movimiento por las voces, aunque las másveces falsas ", Guillermo Furlong Cardifl " El Reverendo... ,r, op. cit., p.29 et57.José Cardiel, Carta y Relación de las Misiones del Paraguay, dírigida al Padre Pedro Cala-tayud,20 de diciembre de 1747, Buenos Aires. Ce texte fut trouvé dans l'Archivo delColegio S.L de San Estañslao á Málaga, et fut publié par Guillermo Furlong en 1953.L histoire de cette Compagnie dans la région du Paraguay et de l'Argentine actuels aété rédigée tout d'abord par le Pére Pedro Francisco Javier de Charlevoix dont le récitva jusqu'en 1747. Charlevoix écrivit cette euvre aprés avoir entrepris des táches simi-lai¡es liées á l'histoire de la Compagnie au Canada et au Japon. Pour cela, il puisa dansles Memorias originelles des Péres du Paraguay. Cette euvre fut lue par le PéreDomingo Murief qui fut Visiteur de la Province du Paraguay dans les derniéres

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XVIIIe siécle, il y avait plus de trente réductions le long du Río Paraná,dont les premiéres furent celles de Loreto et de San lgnacio, d'une super-ficie de plus de cinquante mille kilométres carrés.

Au milieu du XVIIIe siéclg Cardiel prit en charge la réduction de SanIgnacio Guazú et celle d'ltapia, et vécut durement la signature duTratadode límites entre l'Espagne et le Portugal qui entrainait l'échange de septréductions dans la région située entre Tapes et Porto Alegre (sur la fron-tiére orientale du Río Uruguay, avec des estancias et des páturages pourle bétail) contre la remise par le Portugal á l'Espagne de colonie de Sacra-mento 21. Le traité mena directement á la rébellion des réductions concer-nées ; quelques Jésuites qualifiérent ce nouveau pacte frontalier d'injusteenvers les indigénes car son exécution impliquait le transfert de popula-tions entiéres et la perte des páturages dans la sierra du Tape. Cardiel futl'un des curés qui s'opposa le plus á la mise en place de la nouvelle fron-tiére, il refusa d'appliquer l'ordre royal et rédigea une lettre ouverte danslaquelle il déclara la nullité intrinséque du traité en raison de son atteinteaux principes de la doctrine chrétienne. Cette réactiory suivie par de nom-breux autres ]ésuites, acheva de décider la monarchie qui pensait depuislongtemps déjá expulser la Compagnie d'Amérique22. Face á cette situa-tion qui menaqait de se transformer en rébelliorU les autorités de l'Ordreimposérent á Cardiel l'obéissance sous peine de péché, l'obligérent áaccepter sans condition l'ordre de ses supérieurs et lui interdirent d'aban-donner la réduction d'Itapúa. Le gouvernement décida d'entamer uneprocédure contre lui en l'accusant de se moquer des préceptes du roi et decontrevenir á ses ordres 23.

années de la Cornpagnie et qui vécut l'expulsion. Muriel reprit la táche de Charlevoixet continua le récit de l'histoire jusqu'en 1766. Les Jésuites Pablo Hernández y RafaelPérez furent les artisans de la reconstruction historique postérieure : P. Hemández a

analysé quelques thémes politiques et R. Pérez a reconstruit l'histoire de la Compa-gnie aprés sa restauration en Argentine en 1836. Pablo Hemández, Organización socialde las doctrinas guaraníes de la Compañía de lesús, Barcelona, Gustavo Gili,1913, t.1.Les réductions en question étaient San Nicolás (4 453 indigénes) San Luis (3 653), SanLorenzo (1 853), San Miguel (6 954) San juan (3 650), Santo Angel (5 186), San Borja(3 550). Lucena Giraldo Manuel < Ciencia para la frontera : las expediciones españo-las de límites, 1751.-L804 >>, en Cuadernos Hispanoamericanos, Carlos III y Améric4 n" 2,

p.757-773.Ce fut peut-étre l'expérience dirigée par J. Cardiel qui séduisit Roland Joffé pour fil-mer Mission, film sur le Paraguay de 1750 dans lequel est évoqué l'empire colonialperdu et l'utopie paraguayenne. Gilles Bernard " The Mission : la déraison des plusforts >, in Jean-Paul Duviols et Annie Molinié-Be¡trand, La Violence en Espagne et en

Amérique (XVe-XlXe siécles) Actes du colloque international Les Raisons des plus forts,Paris,Presses de l'Université de Paris-Sorbonne 1997, p.367-369.Lettre du supérieur Nusdorffer reproduite dans Guillermo Furlong Cardiff, < El Reve-rendo... ", op. cit.p.45-46.

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En1754,le gouvernement de Buenos Aires projeta de mettre en pratiquede faEon définitive le traité au moyen d'une campagne militaire. En parve-nant á la réduction de Yepeyú, qui n'était pas concernée par le Tratado de

límites, les troupes exigérent la remise du bétail, et ce fut alors le début del'une des plus importantes rebellions de cette période, connue sous le nomde Guerra del Guaraní. Selon le récit authentifié par la Compagnie, les reli-gieux refusérent que quelque 300 indigénes prissent les armes contre les1 500 Espagnols qui venaient de mettre á sac le village. Les habitants deYapeyú furent défaits et José Cardiel fut envoyé par le supérieur des mis-sions comme médiateur 2a, expliquer aux Yapeyuanos les termes du traitéet tranquilliser les esprits. Le choix de Cardiel pour occuper ce róle demédiateur ne fut pas le fruit du hasard : il se fonda sur la reconnaissance deson maniement de la langue tupí-guaraní et des techniques de l'arbitrage.

Le systéme qu'il appliqua pour tenter de reconstituer les faits surve-nus á Yapeyú fut de type inquisitorial. Cardiel eut un entretien avec cha-cun des guaranis prisonniers qui étaient parvenus á fuir les prisonsespagnoles pour revenir á Yapeyú. Gráce á ces recherches systématiques,il apprit que les interrogatoires auxquels les indigénes avaient été soumisavaient inclus des tortures et que l'examen judiciaire les avait obligé áfaire une déclaration á l'encontre des ]ésuites et á les accuser d'incitationá la rébellion : ( Tous convenaient que les Espalnols leur avaientdemandé si les Péres les avaient envoyé et que ceux qui le niaient étaientréprimandés avec fureur 25. >>La méthode inquisitoriale de recherche dela vérité appliquée á un village entie4, ainsi que sa propre cohabitationavec les indigénes, lui servirent pour écrire un livre remarquable qu'ilintitula De Moribus Guaraniorum et qui constitue l'un des premiers récitsethnographiques dans le sens que nous donnons actuellement á ce mot,puisque des thémes comme la parenté, la religior¡ le symbolisme, lalangue, les liens politiques, la production économique apparaissent dansce manuscrit. Traduit en castillan sous le titre de Costumbres de los gua-raníes 26,Ie texte tente de d'expliquer pourquoi Yapeyú avait été la région

24. José M. Mariluz Urquijo (7984), " Estudio preliminar ", fosé Cardief Compendio, op.

cit., p.1,5.< Todos convenían en que los españoles les habían preguntado si los habían enviadolos Padres y que, a los que negabarg les reprendían con enojo. o . Recurso de los jesui-tas de Paraguay al Tribunal de la verdad e inocencia en la causa de la ejecución yresultados del Tratado de límites entre España y Portugal ", Muriel Domingo, Hisúo-ria del Paraguay desde 1747 a 1767, obra latina traducida al castellano por PabloHernández, Madrid, Librería General de Victoriano 9ufue2,19L8, p.37 y 328.En adoptant la catégorie moribus, J. Cardiel précéda un autre jésuite, ]osé Manuel Per-amás, qui, en7793, rédigea < De vita et moribus tredecim virorum paraguaycorum >,

en Truyol Y Serra Antonio, Hístoria de la Filosofía del Derecho y del Estado, vol.2, DelRenacimiento a Kant, Madrid, Alianza, 1975, p.74.

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la plus affectée par les rébellions contre le traité : son hypothése était queces derniéres étaient l'expression des conflits de pouvoir qui affectaient larégion depuis le XVIIe siécle.

Gráce á De Moribus Guaraniorum, nous savons que Yapeyú était com-posé de 1 700 familles et était l'un des plus grands établissements en com-paraison avec d'autres réductions comme ltapúa, Corpus Christi ou SantaAna27. Yapeyú s'était caractérisé comme un centre important d'élevage etcomme fournisseur de viande bovine aux autres missions. Ses entrevuesavec les guaranís lui permirent de constater que Buenos Aires avait tou-jours privilégié les Espagnols plutót que les indigénes et qu'á présent lesreprésentants de la monarchie prétendaient imposer un modéle < libérali-sateur " afin de profiter du fruit du travail des guaranís sans le contróleexercé par la Compagnie de Jésus. En peu de décennies, critiquait Cardiel,la baisse démographique était déjá une réalité et elle avait affecté lesrégions du bas Paraná. L entrée des Espagnols dans les réductions de SanMiguel, San Nicolás et San Lorenzo dispersa les familles qui y vivaient,tandis que les Portugais envahissaient la zone occupée par les sept réduc-tions Jésuites que le traité leur accordait. Pendant ces journées, Cardielrelata qu'il n'avait pu réunir que quatre cents familles sur les mille et plusqui vivaient á San Nicolás. Vers 1764, date á laquelle Cardiel rédigea sesCostumbres de los Guaraníes, la région ne comptait plus que cent milleámes.

Pour lors, les voyageurs éclairés et libéraux se montraient réticents vis-á-vis du modéle de production et de cohabitation proposé par les Jésuites,théme qui allait devenir l'un des objets de réflexion récurrents des récitsde voyages postérieurs. Félix de Azara - qui vécut en Amérique méridio-nale pendant vingt ans, entre 1787 et 1801, occupé á des táches de démar-cation -, se montra plus favorable á un modéle de libre concurrence ou

27. Les trente et une réductions étaient situées dans l'évéché du Paraguay (San Ignacio,Cuzú, Loreto, San lgnacio, Mini, Itapúa Corpus Christie, Candelaria" Santa Rosa, San-tos Cosme, Damiáry Nuestra Señora de La F, Santiago el mayo1, El Jesús, SantísimaTrinidad, San Joaquín) et dans l'évéché de Buenos Aires (Concepción, Santa Maía,Yapeyít, San Nicolás, San Javie4 La Cruz, San Carlos, San Miguel, Santo Tomé, SantosApóstoles, San Jos{ Los Mártires, San Luis G onzaga, San Borja, San Lorenzo, San fuanBautista y Santo Angel), c'est á dire qu'il existait dans la marge occidentale du Paranáhuit réductions, sept sur la frontiére orientale de l'Uruguay et quinze entre les deuxfleuves. Pablo Hernández, Organización social de..., op. cit., t.7.

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bien dirigé par des encomenderos et refusa, non pas tant la Compagnie de

]ésus comme l'affirmait George O'Neill, mais plutót le fait qu'un gouver-nement füt coopté par des religieux. Dans sa Descripción General del Para-guay Azata souligna que le gouvernement communautaire des villagesétait le pire systéme imaginable : ,. Il n/y aura jamais de civilisation"sciences ni arts tant qu'existera le gouvernement en communauté, parceque les dispositions physiques et spirituelles ne servent á rien chez ceuxqui y vivent puisqu'un excellent peintre et un vacher doivent manger etse vétir de la méme fagon 28. > Il est certain que, lorsqu'il élabora sonfameux tableau démographique des partidos et villages de la province deParaguay en 1785, dans les anciennes missions oü vivaient auparavantdes centaines de milliers d'indigénes, il n'y avait plus alors que quelquesindiens, femmes et hommes, presque fous mitayos2e.

Les désaccords majeurs entre Azara et les ]ésuites étaient dus cepen-dant á la mauvaise opinion qu'il avait de leurs pratiques juridictionnelles.A propos des indiens Guaná, il affirma que, chez eux, ,, il n'y avait aucuneloi. Les procés se décidaient entre les parties '. Formé pendant l'époquedes Lumiéres et favorable á un systéme de droit positif, Azara ne pouvaitcomprendre le droit indigéne et moins encore celui que pratiquaient les

Jésuites. Ces derniers se fondaient sur un modéle alternatif basé sur desarbitrages menés par des médiateurs, des juges qui recherchaient laconcorde et la composition amicale entre les parties, et diminuaient l'im-portance du juge législateur. Cardiel fut particuliérement conscient del'importance de l'intervention des Jésuites comme < médiateurs " et décri-vit la fagon dont ils résolvaient les cas concrets :

Lorsqu'ont lieu des procés, comme cela arrizse parfois, surtout ñ propos des limites des

terres communes, les indiens ne pensent pas h recourir comme les Espagnols h I'Au-dience de Charcas, qui se trouae h huit cents lieues, mais choisissent les péres commearbitres ou médiateurs et leur sentence régle Ia question. Il y en a troís dans le Parandpour les procés en Uruguay ; et trois en Uruguay pour les procés du Parand ; ne peutpas juger un procés, celui qui auparaoant a été le curé du plaignant. Si Ie procés a lieuentre un aillage de I'Uruguay et un autre du Parand, on nomme un arbitre de l'Uru-guay et un autre du Parantí, et Ie troisiéme est Ie supérieur des Missions. Les indiensdéfendent leur droit par écrit, et le curé soutient par écrit Ie droit de ses paroissiens.

" Jamás habrá civilizacióry ciencias, ni artes mientras exista el gobiemo de comuni-dad, porque de nada sirven las disposiciones físicas ni espirituales en los que viven enella respecto a que 1o mismo ha de comer y vestir un pintor excelente que el pastor delas vacas. " Félix de Azara, Descripción General del Paraguay, Andrés Galera Gómez ed.,Madrid, Alianza 1990, p.Ibíd., p.150 ; 118-119 ;128 ;174-175. George O'Neill, Golden Years on the Paraguay. AHistory of the lesuit míssions from 1-600 to '1"767, Londtes, Burns Oates & Washbourne,1934, p.Y.

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Les écrits sont présentés aux juges et ceux-ciles comparent entre eux et mettent fin auprocés sans depenses de la part de ces misérables s0.

Ceci ne signifie pas que la Compagnie laissait de cóté l'espace juridic-tionnel " officiel > pour se lancer dans un autre qui lui serait propre ; sonintérét pour le contróle des propriétés ou des ressources la conduisit en denombreuses occasions á soutenir des procés importants avec l'élite 31.

Mais ce qui est certairy c'est qu'en distinguant nettement les deuxmodéles juridiques, les Jésuites et particuliérement Cardiel, ont différen-cié le róle juridique de l'arbitre (fondé sur l'équité et la direction) de celuique l'on attribuait au Roi ou aux autorités civiles, et qu'un Azara valori-sait en raison de sa positivité et de sa concordance avec la formation del'Etat centralisé et absolu. Ce róle de médiateur joué par les fésuitessemble avoir été une constante dans l'histoire de l'Ordre, tant dans lasphére privée que dans l'espace public. A travers l'analyse d'une quaran-taine de lettres envoyées par les |ésuites espagnols á Rome en 1561, Ber-nard Vincent démontre que l'un des domaines les plus importants de leurintervention fut la " pacification > des parties en conflit au moyen de lalimitation des effets de la violence et de la canalisation des pulsions agres-sives. Il a également étudié la pratique développée par la Compagnie entermes d'intercession et de réconciliation entre parents, ainsi que l'usagede la confession comme dispositif de prévention des conflits sociaux. Apropos du domaine public, Vincent décrit comment les jésuites contrólé-rent les rivalités.entre différentes factions urbaines et les bandes dejeunes 32. La médiation assurée par les religieux et en particulier par les

]ésuites ainsi que par les parents et les notables locaux, signifia la créationd'une . infrajustice > recherchant l'entente des parties gráce á l'interven-

. Cuando ocurren pleitos/ como a veces sucede, sobre todo acerca de los límites de loscampos comunet los indios no piensan en recurrir como los españoles a la Audienciade Charcas, que dista ochocientas leguas, sino que eligen a los padres por árbitros oarbitradores, con cuya sentencia se dirima la cuestión. Hay tres nombrados en elParaná para los pleitos en el Uruguay; y tres en el Uruguay para pleitos del Paraná ;ni puede juzgar pleito quien antes haya sido cura del litigante. Si el pleito es entre unpueblo del uruguay y otro del Paraná, se toma un árbitro del Uruguay y otro delParaná, y el tercero es el superior de las Misiones. Los indios apoyan su derecho porescrito, y por escrito apoya el derecho de sus feligreces el cura. Preséntanse los escri-tos a los jueceg y éstos los comparan entre si y ponen fin al pleito sin gastos de estosmiserables ", José Cardiel, < Costumbres de los guaraníes ', en Muriel, Domingo, Hrs-toria... op. cit., p.544.María del Rosario Baravalle, Peñalba Nora y Barriera Darío, La compañía de lesús y losaecinos de Santa Fe. Relaciones Sociales y Frontera (siglo Xvil), ronéotypé,1999.Bemard Vincent (1997), ,, Hacer las paces. Les fésuites et la violence dans l'Espagne desXVIe et XVle siécles ", Jean-Paul Duviols et Annie Molinié-bertrand, La Violence en

Espagne et en Amérique (XW-XIK siécles) Actes du colloque international Les Raisons des

plus forts, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, Paris, p. 189-196.

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tion d'. hommes bons , ou de juges arbitres. Vincent signale qu'un sensparticulier de la " civilisation > guidait l'Ordre, cherchant á atteindre lamodération des pulsions et de l'affectivité, deux des principes de base dela construction de la ciailité á l'époque 33.

L"image de o communisme > qu'un corpus littéraire varié s'est chargéde diffuser par la suite, accusant les jésuites de construire un empire dansl'empire et d'empécher le développement individuel, s'est en grande par-tie fondé sur la doxa de l'époque. Truyol y Serra, pour citer un exemple, aécrit que la Compagnie de Jésus adopta la forme du collectivisme agrairepaternaliste sous la tutelle des missionnaires e. Dans El Imperio lesuítico,Lugones concluait que les principes de base des |ésuites étaient le com-munisme (tout le monde recevant de chaque chose et la pauvreté étantredistribuée) la renonciation á sa propre personnalité et la reconnaissancede l'autorité absolue de l'Ordre, l'ensemble de ces qualités étant nouvellespour la civilisation moderne fondée sur la spéculation et l'individualisme.Selon ce lettré argentiry l'indien de la réduction ne pouvait mener qu'á un

" type régressif > propre á la théocratie. C'est pourquoi l'expulsion futconsidérée par la suite comme favorable á la révolution " individualiste etfédérale > qui mit fin au modéle médiéval. Le livre de Lugones devait étreun mémoire commandé par le gouvernement argentin en 1903 ; il est enréalité un récit de voyage dans les missions disparues, óontrepoint essen-tiel á l'euvre de Cardiel 35.

Frangois-AmédéeFrézier, un autre voyageur du début du XVIIIe siécle,critiqua l'isolement dans lequel les réduction s'étaient maintenues. Le sys-téme de réduction inaugura un nouveau genre d'organisation de l'espace,une troisiéme voie entre l'encomienda et la forme de vie menée par les indi-génes avant la colonisation 36. Woodbine Parish, qui arriva á Buenos Airesen tant que chargé de négoces de Grande Bretagne, écrivit dans son

33. Norbert Elías, El proceso de la cioilizncíón. Inoestignciones sociogenéticas y psicogenéticas,

México, Fondo de Cultura Económica, 1989, fe éd. 1977 ; Bazán Díaz Iflaki, Delin-cuencia y criminalidad en eI País Vasco en la transíción de la Edad Media a Ia Moderna, Bil-bao, Departamento del Interior del Gobiemo del País Vasco, 1995, p. 74 et 77 .

34. Antonio Truyol y Serra, Historia..., op. cit., p. 74.

35. Leopoldo Lugones, El lmperio jesuítico, Hyspamérica, 2e éd.1988. La premiére éditionparut en 1904, publiée sous le titre El lmperio lesuítico, Ensayo Histórico, CompañíaSudamericana de Billetes de Banco, et incluait des photographies d'Horacio Quiroga.Le rapport faisait partie d'un projet de l'État auquel participa aussi Bialet i Massé aveclnforme sobre eI estado de la clase obrera en el interiot de Ia República. Dalla Corte Gabriel4< El sabe¡ del Derecho : ]oan Bialet i Massé ", Gabriela Fernández Sandra y DallaCorte (coord.) S obre oiajeros, intelectuales y empresaríos catalanes en Argentina, Tarragona,Red Temática Medaméric4 Universitat de Barcelona, 1998, p.37-776.

36. Amadeo Frézier, Relation du aoynge de Ia mer du Sud aux Cótes du Chili et du Pérou,Amsterdam, 1776. Yoir herniíndez Pablo, Organización..., op. cit., t.2. Sainz Ollero

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mémoire de 1838 intitulé Buenos Aires y Ins Proaincias del Río de la Plata, queles doctrines |ésuites avaient été un < Imperium in Imperio > qui avaientsuscité la jalousie des monarques. Mais tous les auteurs ne convergérentpas vers cette représentation péjorative de l'expérience jésuite. Le natura-liste Alcide d'Orbigny, envoyé en Argentine par le Muséum frangais, sou-ligna par exemple dans son Voyage dans I'Amérique du Sud, qv'au-delá descritiques qui pouvaient étre adressées á cette expérience, les missionsavaient été bénéfiques. Il écrivit que, s'il était certain que les indigénesn'avaient pas joui de la liberté en raison de la tutelle exercée par les reli-gieux, ( ce systéme leur convenait mieux que celui qui le remplaga avecles administrateurs ". D'Orbigny, influencé par ses études ethnogra-phiques et d'histoire naturelle et par les visites qu'il fit dans les missionsde Mojo et Chiquitos, parvint á cette conclusion peu aprés les guerresd'indépendance 37.

En1763, Cardiel fut envoyé comme curé dans le village de Concepciónoü il demeura jusqu'en 1768.C'étaient les derniéres années des fésuites auParaguay avant leur expulsion des missions. Larrestation de Cardiel eutlieu alors qu'il était ágé de plus de soixante ans. Ne pouvant résider enEspagne, territoiré'également interdit aux |ésuites, il partit pour l'Italieoü, encouragépat son ancien professeur Pedro Calatayud, il rédigea l'unede ses plus importantes euvres á caractére ethnographique : la Breae rela-ción de las Misiones del Paraguay 38. Ce manuscrit est le meilleur outil dontnous disposons pour connaitre la vie dans les missions et pour com-prendre les problémes centraux liés á la parenté, l'habitat, la productionagricole, la féte, le symbolisme, les conflits religieux ainsi que la percep-tion de Cardiel en tant que membre de la Compagnie de jésus. Mais leplus important est de montrer que son fil directeur réside dans le débatsur la valeur de la < juridiction ), concept chargé de sens dans le travaildes jésuites. Vivre en " villages > signifiait pour Cardiel, vivre en accord

Héctor et. alt., losé Sdnchez Labrador y los naturalistas jesuitas del Río de la Plnta. La apor-tación de los misioneros jesuitas al siglo XVill a los estudios medioambientales en el Virreinatodel Río de la Plata a traaés de Ia obra de losé Sínchez Labrador, Madrid, 1989.Pablo Hernández, Organización..., op. cít., p. 504.Calatayud utilisa ce texte pour élaborer son < tatado sobre la Provincia de la Com-pañía de jesús en Paraguay ", José Cardiel, Breae relación de las Misiones del Paragtay,1.771.. Le manuscrit de J. Cardiel a été édité pour la premiére fois dans Pablo Hemán-dez, Organiznción..., op. cít., p.51.4-61.4. Il a ensuite été publié sous le fitre Las

misiones...op. cit. C'esf cette version qui est utilisée ici.

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avec les lois et la justice, c'est-á-dire dans un cadre culturel, rationnel, nonbarbare 3e, et ces idées justifiérent l'existence des missions. Ses critiques ál'encontre du katado de límites permettent de saisir le sentiment d'hégé-monie qu'avaient les membres de la Compagnie de |ésus dans les mis-sions. Pourtant Cardiel ne défendit pas un modéle socio-politiquealternatif, mais posa des principes ethnographiques essentiels sur les liensinstaurés entre les indigénes et la société civile péninsulaire installée enAmérique, et les liens qui devaient les unir aux missionnaires et fonction-naires espagnols.

La táche de Cardiel peut étre considérée comme l'anticipation d'unenouvelle démarche, l'anthropologie, qui allait se différencier légérement ála fin du XVIIIe siécle dans le champs des connaissances. Le fésuite a pres-senti l'intérét d'une approche, qui se développera au siécle suivant, et quiavait recours á l'expérience pour parvenir á la connaissance du social. Ilaborda des thématiques anthropologiques et le fit en faisant appel á ce quideviendra un concept central dans cette discipline, celui de tnores, qui sebasait sur le postulat d'un Droit naturel prioritaire face au droit positif.Pour Cardiel, la régénération péninsulaire devait étre accompagnée de lasurvie des Guaranis dans le meilleur systéme socio-économique mis áleur service, celui des missions. Justice et équité sont, des concepts quiapparaissent dans ses Guvres, conjointement á l'idée d'égalité de traite-ment pour les indigénes, tout en reconnaissant qu'il convient parfois derecourir á un traitement préférentiel des individus afin de compenser leurinégalité originelle ao.

La découverte qu'il fit de la légalité " phénoménique r,, conque enopposition á l'idéal d'une justice naturelle, a une place centrale dans soneuvre. Cardiel met en question la légitimité des lois formulées dans descontextes historiques et politiques particuliers et place au premier planl'invariabilité d'un ordre basé sur l'affirmation des droits indigénes tradi-tionnels et collecüfs. S'il est vrai qu'il écrivit sur la justice de la conquétefaite dans les terres inhabitées, et si < celles-ci, selon le droit, sont primoocupantis, au premier qui les occupe ", il s'opposa aussi aux idéauxmonarchiques en affirmant que le Roi n'avait pas le droit de disposerlibrement et á son gré des terres qui accueillaient les missions, et cela pourune raison fondamentale : ces terres appartenaient aux guaranis a natural< et les lois royales ordonnent qu'elles ne soient pas confisquées auxindiens qui se convertissent >. Cet outillage idéologique et juridique quiaccompagne Cardiel contraste clairement avec l'hégémonie .croissante

José Cardiel, Compendio... op. cít.,p.49.fon Elste¡, lusticia local. De qué modo las ínstituciones distribuyen bienes escasos y cargasnecesarias, Barcelona, Gedisa 1994, p. 279. 7re éd. en 7992, Russell Sage Foundation.

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qu'allait avoir le droit positif á partir de Ia fin du XVIIIe siécle dans le cadrede la formation des États souverains 41.

LlÉtat absolutiste se caractérisa donc comme une construction centra-lisée et militarisée qui maintint son pouvoir á travers le principe de sasouveraineté absolue, au-dessus des pouvoirs seigneuriaux. Il s'agitd'une nouvelle structure politique, d'une nouvelle administratiory d'uneautre maniére d'exercer le pouvoir. Ce contexte historique et idéologiquefut la condition et la préface du développement du positivisme juridique,pour lequel la totalité du droit se réduit au droit positif dans le cadreréglementé par l'autorité compétente et légitime, qui sera la base de lamodernité. Cardiel lutta contre ce modéle en opposant au droit légal/his-torique un concept de justice plus universel. Le raisonnement naturalistea contribué á la remise en cause de l'absolutisme 42. A l'exemple desautres Jésuites, Cardiel ne discuta pas la légiümité de l'absolutisme et desdroits du monarque á légiférea mais cependant il souscrivit aux postulatsdu droit naturel en exigeant un autre droit comme fondement des critéresde justice.

Nous trouvons d'autres éléments d'innovation dans les écrits de Car-diel. En premier lieu, sa critique des mythes qui encouragérent la cou-ronne á assumer certains projets fondés sur les théories mercantilistes, etqui ne concevaient l'Amérique que comme une source inépuisable derevenus pour l'Espagne. Cardiel profita de ces mythes pour faire accepterses voyages par les autorités de Buenos Aires, mais il tenta de sortir desdogmes scolastiques et des affirmations erronées 43. En second lieu, il pré-senta les coutumes indigénes, en commengant par leur langue, comme uncorpus culturel digne de respect, alors que les adversaires de la Compa-gnie de Jésus soutenaient que la survivance de la différence linguistiquemenagait la souveraineté de l'État. La position des fésuites offrait un

fosé Cardiel, Conryendio..., op. cit., p.51,; Las nisiones..., op. cít.,p.76. Norbe¡to Bob-bio, EI positiz.tismo jurídico. Lecciones de flosofn del Derecho, Mad¡id, Debate, 7993, p.35-42. Yoir aussi H.G. Koenigsberger, < Dominium Regale o Dominium Politicum etregale. Monarquías y parlamentos en la Europa modema ,,, en Reaista de las CortesGenerales, Madrid, n" 3, 1984; José Antonio Maravall, Estado Moderno y MentalidadSocial, síglos XV a XVil, Madrid, Alianza, 1986, [e éd. 1972; Giovanni Tarello " Ideo-logías del siglo XVII sobre la codificación y estructura de los códigos >', en Cultura jurí-dica y política del Derecho, México, Fondo de Cultura Económica, s I d p. 39-56.Nicolas Henshalf The Myth of Absolutism : Change and Continuity in Early Mod.ern Euro-pean Monarclry, Londory Longman Group, 1992. Caroni Pío, Lecciones catalanas sobre laHístoria de la Codificación, Madrid, Marcial Pons, 1996, p. 33.

A propos de ces mythes, on peut se reporter á Pedro Fernández De Cevallos, La rutade la canela anrcricana, [1795], Edición a cargo de Marcelo Frías y Andrés Galera,Madrid, Historia 76,1992, Ctónicas de América no 59 a.

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contraste méme avec celle de voyageurs réputés, tel Antonio de Ulloa, quiinformérent la Monarchie de l'importance de garantir l'existence d'unelangue unique, face aux particularismes linguistiques indigénes. Ulloaécrivit ainsi :

Mon intention n'est pas de conoaincre que Ia langue castillane a en elle-méme la z¡ertud'améIiorer Ia compréhension des indiens, mais simplement, aéhicule il'un commercerationnel aaec les Espagnols, elle les rendrait capables de beaucoup de choses, tout encontribuant d les tirer de leur ignorance... Mais s'ils posséilaient Ia langue cas-tillane... ils apprendraient peu hpeu et seraíent fnalement moins grossiers et rus-tiques que ce qu'ils sont d présent, capables chaque jour il'aaancer un nouaeau pas etgagner en cela Ia considération de ceux qui sont pour I'heure bien loin de Ia leur accor-der 44.

En troisiéme lieu se trouve sa lutte pour mettre un frein á l'exploitationdes Guaranis par les troupes et les citoyens " émérites ', attitude quebeaucoup interprétérent comme opposée á la couronne. Cardiel dirigeaune partie de ses critiques contre Ia Brer:íssima relación de la destrucción de

las lndias rédigée Bartolomé de Las Casas au milieu du XVIe siécle - et quiavait alors été traduite dans la plupart des langues latines, acquérant unediffusion inédite - ce qui n'empécha pas ses écrits d'étre une véritablerevendication du besoin de protéger la population native. La défense desindigénes contribua á diffuser l'idée du ,, bon sauvage ".qui allait devenircentrale au cours des siécles suivants 45.

Tout en reconnaissant ces limites, il faut signaler qu'avec Cardiel leregard d'abord dirigé vers la nature et l'environnement passe á un autreniveau, de type ethnographique, pour lequel prime l'analyse de la réalitésociale á travers les voyages et l'emploi de la méthode inquisitoriale, enlien avec l'inquisitio comme forme de vérification de la vérité propre á

. No es mi iínimo persuadir que la lengua castellana tenga por sí la virtud de mejorarde entendimiento á los indios, sí solo que logrando por su medio el comercio racionalcon los españoles, este los volvería capaces de muchas cosas, contribuyendo á sacar-los de la ignorancia... Pero si posseyeran la lengua castellana... irían poco á pocoaprendiendo y al fin serían menos torpes y rústicos que lo que al presente sorypudiendo cada día adelantar alguna cosa nueva y para en ella la consideración de loque estiín ahora muy distantes >, Antonio De Ulloa, Viaje a Ia América meridional, Edi-ción de Andrés Saumell, Madrid, Historia 16, 1990, Crónicas de América n' 59a, p. 521.

Jaime Brufau Prats, Hombre, aída social y Derecho, Madrid, Tecnos, 2e éd, 7987, p. 49.Truyol y Serra Antonio, Historia..., op. cit., p. 54-66 et 74.

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l'époque moderne, méthode de base des < relations historiques et anthro-pologiques de voyages a6

". Cardiel ne fit pas qu'écrire, il participa acti-vement á un apport culfurel collectif, témoins ses voyages, marqués par ledialogue et la consultation permanente avec d'autres scientifiques. L"ana-lyse de ses contribuüons á l'ensemble des expériences jésuites est liée ál'importance qu'a eu la Compagnie dans l'histoire civile et politique despays qui succédérent á l'ancienne juridiction de la vice royauté. Commenous le savons, Buenos Aires s'est séparée de la métropole entre 1810 et1816, en promouvant le mouvement révolutionnaire en mai 1810 et enobtenant formellement l'indépendance six ans plus tard. Il est significatifque les antécédents de la restauration de la Compagnie de jésus dans leRío de la Plata datent également de 1810, c'est-á-dire peu de mois aprés leprocessus qu'on a appelé << renversement de la souveraineté " dans les

terres américaines. Une des premiéres demandes des députés américainsau Cortes extraordinaires de Cadb; le 16 décembre 1810, fut le rétablisse-ment de la Compagnie de ]ésus pour la " culture des sciences et le progrésdes missions auprés des infidéles o. En Argentine, Ambrosio Funes fut lepremier d faire la méme demande depuis le Cabildo de Córdoba á la |untegouvernementale réunie á Buenos Aires et son argument fut similaire :

l'expulsion des Jésuites, survenue sans motif réel, quarante ans auPara-van! était perEue alors comme ,. l'origine ou la cause primordiale de l'en-tiére annihilation de l'Espagne. Depuis cette époque malheureuse,désastres et malhgurs se sont enchainés a7 ,. fuste aprés le début du mou-vement révolutionnaire, la réinstallation des fésuites fut valorisée entermes d'< utilité > pour l'éducation de la population civile.

En 1815, le roi Ferdinand VII donna l'ordre de rétablir les Jésuites enAmérique, mais cette mesure ne fut pas mise á exécution en raison desconvulsions des guerres d'indépendance et de la non-reconnaissance del'autorité du Roi en Amérique. Ce processus, cependant, était déjá enmarche dans les projets locaux et fut clairement mis en pratique avec JuanManuel de Rosas qui décida de les faire venir pendant.son premier gou-vernement (1.829-1,b32), mais le ministre des Affaires Étrangéres, Tomás

Michel Foucaul! " Curso del 14 de enero de 7976 ", Microfisica del Poder, Madrid, LaPiqueta, 1992, p. 739-752. Tercera conferencia, en La oerdad y las formas jurrdicas, Batce-iona, Gedisa, 7998, p.63-88, ile éd. 1978.. El origen ó la causa primordial de la entera aniquilación de España. Desde aquella

época desventurada ha sido siempre para ella una cadena de desastres y desgracias o.

Hernández Pablo, Reseña Histórica de la Misión de Chile-Paraguay de la Compañía de

lesús, desde su origen en 1836 hasta el centenario de la restauración de la Compañía en 1914,

Barcelona, Ed. Ibéríca,1914. P. Hernández cite le Diario de las Cortes, t. 3, p. 305. Apén-dice : . La ciudad de Córdoba a la Excma. |unta de los pueblos reunida en BuenosAires ", Rafael Pérez La Compañía de lesús restaurada en Ia República Argentina y Chíle,

eI Uruguay y el Brasil, Barcelona, Imprenta de Henrich y Cía,1901, p. 813/815.

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Guido, regut une réponse négative des Jésuites qui se trouvaient enFrance. Les exécutions réalisées en juillet 1834 et la nouvelle loi d'expul-sion de la péninsule votée en 1835 obligérent les ]ésuites á quitter l'Es-pagne et á s'installer de nouveau dans le Río de la Plata, en commengantpar Buenos Aires. Ils aidérent alors Rosas pendant son second gouverne-ment (1835-1852, á promouvoir ses idéaux face á ceux de l'Association deMai et la jeune génération de 7837, en particulier contre Echeverría yAlberdi a8. Mais malgré cet appui, les Jésuites furent á nouveau expulsésen 1843.

Lévi-Strauss écrivit á propos de l'un de ses voyages en Martinique :

< Pour tout patrimoine j'emportais une malle avec les documents de mesexpéditions : fichiers linguistiques et technologiques, un journal de route,des notes prises sur le terrairy des cartes, des plans et des négatifs photo-graphiques : des milliers de feuilles, fiches et clichés. , Dans le regard deLévi-Strauss, le voyage réussit á nous mettre en face des plus tristesformes de notre existence historique parce qu'il nous'ri.rontre la diversitééliminée peu á peu par l'ordre et l'harmonie occidentale. C'est lá que nouscomprenons " la passiory la folie, la tromperie des récits de voyage ,, endonnant l'illusion de ce qui a existé et qui a été perdu. " r"humanité s'ins-talle dans la monoculture, se dispose á produire la civilisation en masse,comme la betterave ae. > Peut-étre en raison de cette nécessité de récupé-rer l'éphémére et f illusoire, les récits de voyages constituent au jour d'au-jourd'hui l'un des recours documentaires les plus importants pourdécouvrir l'histoire passée. Cardiel écrivit ses meilleures ceuvres en exil etil le fit en sachant que ses descriptions étaient le récit de temps révolus,vestiges d'une culture et de coutumes disparues qu'il avait lui-mémecontribué á faire périr. Leopoldo Lugones fut peut-étre celui qui put inter-préter cette supercherie lorsqu'il écrivit que l'effet catastrophique de l'ex-pulsion devait étre jugé á partir des visites " touristiques > dans les ruinesdes anciennes missions de San Carlos, Los Apóstoles et San Ignacio.Comme écrit Lugones :

Enfermé dans 0a foréÜ, le ooyageur arrioe, en s'ouarant un passage h la machette, jus-qu'it un ancien mur ou un poteau isolé, qui ne lui indiquent rien... Des réductionsargentines, si maltraitées par la guerce, c'est it peine s'il reste autre chose que des murs,

48. Pablo Hernández, Reseña... op. cit.,t.3, p. 305.49. Claude Lévi-Strauss, Tiistes..., op. cit., p. 37 et 42

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et,coflme aestige ornemental Ie portique de San lgnacio, popularisé par Ia photogra-phie et par les descriptions de plusieurs aoyageurs 50.

A présent, peut-étre pouvons-nous penser, coÍune le fit Lévi-Strauss,qu'un voyage peut se convertir en < une exploration des déserts de lamémoire " plus qu'en la découverte de ce qui nous entoure 51. il est vraique nombre de notes de voyages sont en train de se convertir en unimportant champ de recherche pour un grand éventail de disciplines quiexaminent le sens de ces vestiges du passé, j'ai nommé la géographie,l'histoire sociale, l'anthropologie et la littérature. Conclure que lesvoyages constituent des pratiques culturelles et sociales originales peutnous donner une piste pour mettre l'accent sur ce qu'ont de significativesces expériences dans le champ des relations humaines.

< Intemado en (la selva) el viajero llega abriéndose paso a fuetza de machete hastaalguna antigua pared o poste aislado, que nada le indican... de las reducciones argen-tinas, tan maltratadas por la guerra¿ apenas queda otra cosa que paredes, y como restoomamental el pórtico de San ignacio, popularizado por la fotografía y por las des-cripcionesdevariosviajeros>,LugonesLeopoldo, Ellmperí0...,op.cit.,p.202.Claude Lévi-Strauss, Tiistes..., op. cít,, p. 431.

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