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A la place de Stefan & Franz
Cyril Suquet
A la place de Stefan & Franz par Cyril SUQUET © – 2009 Les Z'écrits de Cyril Suquet: http://lesecritsdecyrilsuquet.wifeo.com
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Avant-propos de l'auteur
Les belles rencontres d'une vie sont souvent les plus inattendues. Elles restent
gravées comme des instants de magie où soudain, alors que vous ne l'aviez
absolument pas imaginé ni programmé, tout a basculé et votre destin a pris un
nouveau chemin.
Cette histoire narrée entre Stefan Kafka et Franz Zweig est d'autant plus
extraordinaire qu'elle n'a jamais eu lieu à Florence ni même ailleurs, alors que
leurs chemins auraient dû ou pu se croiser, peut-être pour l'éternité... c'est ce
retour vers le passé qui est mis en scène via l'univers volontairement croisé des
deux écrivains, avec ce fol’ espoir d'une destinée nouvelle.
Cette rencontre en plein coeur de Florence est bien évidemment improbable et
utopique, mais elle est peut-être légitimée et fortement désirée, tant il existe de
symboles communs liés à ces deux auteurs si charismatiques et
emblématiques de leur époque littéraire. Elle n'est jamais arrivée,
malheureusement, au grand dam de l'auteur, inconditionnel lecteur de ces
deux écrivains.
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Surréaliste donc cette rencontre… ? Finalement, pas vraiment, au regard des
destins croisés de ces deux hommes qui ont marqué leur siècle. L'auteur se
permet de changer et de transformer leur biographie respective, la nature
même de leur existence, tant il est fasciné par leur cheminement intellectuel et
par leurs écrits qui ont de nombreux points similaires.
Tous deux juifs et de langue germanique, Franz Kafka (1883-1906), né à Prague
est décédé à Vienne, là où Stefan Zweig (1881-1942) y fit ses premiers pas
d'Autrichien. Deux années seulement les séparent et cependant, ils n'ont pas
appréhendé et vécu leur époque de la même manière ; leur fin fut néanmoins
tout aussi tragique; c'est ce destin que l'auteur à remis en scène en mélangeant,
prolongeant leurs parcours et leurs écrits pour redonner vie et perspective à ces
deux romanciers de légende, idéalistes et analystes de la condition de l'homme
sous toutes ses coutures.
Il nous invite dans cet univers « Kafkaien et Zweigien », mêlé de sentiments,
de paradoxes et de contresens, bref tout ce qui caractérise la nature souterraine
de l'Homme, le temps d'une rencontre intense en émotions et en échanges
entre les deux protagonistes.
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Une rencontre florentine qui va irrémédiablement changer le cours de leurs
destins et de leurs écrits, quoi que… cette nouvelle étant le fruit de
l'imagination de l'auteur, une pure fiction qui n'a de sens que dans les
messages que Stefan Zweig et Franz Kafka ont portés dans leurs romans
respectifs.
Les faits énoncés dans cette nouvelle n'étant que l'oeuvre des fantasmes de
Cyril Suquet, en la mémoire de ces deux écrivains de génie, ils ne feront ni
procès d’intention, ni confusion des sentiments de ces vingt quatre heures
passés ensemble sous le soleil de la Toscane, une véritable partie d’échecs
s’annonce !
Qui en sortira vainqueur et vaincu ? A moins que les deux hommes aient choisi
involontairement une autre issue …
Cyril SUQUET – 5 Avril 2009
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A la place de Stefan & Franz
Nouvelle
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Florence, matin de mai 1919.
8h34 - La brume se dissipe au loin, laissant s'échapper les premières senteurs
de citronniers et d'oliviers. Une brise naissante surfe au-dessus des toits aux
couleurs framboise, rougis par les clins d'oeil du soleil, chassant la brume non
désirée dans les vallées de la Toscane. La cité florentine se réveille tout
doucement en ce début de mois de mai 1919, sous un soleil annonciateur
de plomb. Les traces de la guerre 1914-18 se font à peine sentir, la capitale de
l'art florentin trône fièrement ses statues et chefs d'oeuvre en l'honneur des
Médicis sur toutes les places où les marchands ambulants ont commencé leur
bal du mardi.
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Au coeur de la vieille cité des Médicis, Place des Seigneurs alias Piazza della
Signoria, des pigeons battent des ailes pour s'accaparer le reste de festin de
mies de pain, jetées par brassées par un boulanger de passage, se dirigeant
vers le marché voisin dans le quartier de Santa Croce.
8h37 - Un homme, assis seul sur une terrasse du café des Seigneurs, boit son
café viennois, il se nomme Stefan Kafka. Il ne le sait pas encore mais cette
matinée va changer le cours de sa vie d'homme écrivain.
Sur sa petite table ronde finement décorée de porcelaine de couleurs bleues et
blanches, tout à côté de sa tasse de café dont le fond laisse s’échapper
quelques filets de fumée, sont disposés quelques feuillets écrits de sa main.
Un crayon à papier et une gomme sont posés sur les feuilles, les empêchant de
s'envoler vers d'autres tables laissées vacantes.
Par intermittence, ventilées par la brise qui s'engouffre par la via dei
Calzaiuoli, donnant sur cette large place historique, surplombée
magistralement par le Palazzo Vecchio, des odeurs de printemps embaument
les lieux. L'homme contemple depuis quelques secondes la scène des pigeons
et fixe l'un d'entre eux, songeur et imperturbable aux allées et venues du
serveur.
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De temps à autre, il prend son crayon de bois, baisse délicatement la tête, la
penche légèrement de côté comme pour mieux se concentrer et se plonge dans
ses notes puis au bout de quelques secondes d'inspiration, se redresse, fixant
de nouveau devant lui le théâtre vivant qui se déroule sous ses yeux. Toujours
aussi concerné par la scène insignifiante des volatiles, il se replonge à nouveau
de manière mécanique dans ses écrits, tel un métronome.
Depuis son arrivée en Italie il y a dix jours, il a débuté un nouveau roman qui
lui tient particulièrement à coeur; il sent que ce pourrait être l'oeuvre la plus
aboutie, le roman d'une vie, un testament pour les générations à venir. Tout
est clair dans son esprit, le déroulé de l'histoire, les personnages, la chute mais
le scénario est complexe à écrire tant l'ambiance est pesante, l'histoire
délirante et peu crédible.
Un homme va être accusé un matin d'un acte grave mais il ne sait pas de quoi
en réalité, il va devoir se remettre en cause et se retrouver lui même pour
prouver une innocence de ce qu'il ne sait pas et combattre les méandres
d'une justice implacable. Stefan sait pertinemment qu'il en est train de
transcrire sur papier l'histoire de cette Europe de début de siècle, qui ne
tourne plus rond et part en vrille de tous côtés du continent.
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8h41 - Un jeune homme d'une trentaine d'années, à l'allure tranquille, vêtu
d'un complet gris, sort d'un bâtiment sali par le temps, rue de Zannetti, il
s'agit de Franz Zweig. Arrivé la veille par le train, il est de passage à Florence
sur les conseils d'un ami Praguois afin de respirer le bon air de la Toscane; il
ne sait pas combien de jours il séjournera dans cette ville, il ne fait pas de
plan ; il vit chaque jour comme une aubaine qui lui est octroyée, il est seul face
au spectre de la malédiction.
Il a pourtant toujours cette foi qui le maintient droit debout et l'envie de se
laisser porter par les sens étonnants de sa vie. Cette étape n'était pas prévue, il
comptait bien aller en Toscane mais plutôt à Pise, au bord de la mer puis
s'évader quelques jours dans la capitale Romaine si ses finances le lui
permettait ; il est bien là, errant dans le centre historique de Florence, heureux
et serein ; finalement, grâce à son ami qui a bien fait d'insister sur la beauté de
la cité florentine, qui serait selon ses dires, de bon présage pour l'aider à se
soigner et à l'inspirer.
Franz aime faire confiance à ses proches, bien lui en a pris pour cette fois, il le
sait au fond de lui-même, son sens profond et loyal de l'amitié ne lui a pas
toujours donné raison, il s'est souvent senti trahi par la faiblesse, l'avidité et le
manque de courage des hommes.
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En ce matin de mai, il se dirige vers la Piazza del Duomo, chef d'oeuvre de
l'architecture florentine, dont la pureté du blanc mêlée à la volupté du vert ne
l'ont pas laissé insensible la veille au soir en se promenant pour la première
fois dans cette cité chargée d'histoire et d'art. En entamant ses premiers pas, il
remercie tout bas son ami qui a eu raison de le persuader de séjourner dans ce
haut lieu, même si sa chambre est d’un confort plus que précaire ; peu lui
importe, il n'est pas un adepte du luxe, là n'est pas sa priorité et bien loin de
ses préoccupations en ces premiers jours de mai.
Il n'a pas de but précis ce matin si ce n'est prendre un rapide petit déjeuner et
se plonger dans son roman ; il a bien ancré sous son bras gauche, une pochette
couleur rouge sang où sont notées les bribes d'un nouveau roman. Franz ne le
sait pas encore mais Florence sera son dernier voyage, rattrapé par sa maladie
respiratoire qui l'enverra très haut dans le ciel de la postérité.
Mourir si jeune, inconnu, Franz ne le conçoit pas une minute, tant il a la rage
de vivre et de faire valoir ses convictions en ce début de siècle où les
dites grandes puissances européennes ne songent qu'à étendre leurs empires
dévastateurs. Il déambule dans les rues, observe avec bonhomie les us et
coutumes des florentins en cette belle journée printanière, Franz hume les
odeurs montantes et se dit qu'il est grand temps de déguster une brioche toute
fraîche à la mie si tendre et de siroter un café bien serré.
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8h44 - L'air ambiant sur la place est très agréable et réchauffe le coeur de ceux
qui y ont pris le temps de s'y poser un instant ; le regard de Stefan reste figé
sur les légers déplacements et frétillements des pigeons ; ses yeux se noient
dans une sorte de fine brume, il panse encore et toujours aux maux des
hommes ; il est très troublé par la montée lente mais progressive en Europe de
l'antisémitisme, il souhaite que ce roman en soit l'empreinte de la folie et de la
déraison de l'homme, de ses contradictions et de ses délires.
L'homme sort de sa pensée, rattrapé par des badauds, qui passent devant lui,
par petites grappes.
La Piazza della Signoria reste bien silencieuse en ce matin de mai, le marché
de la Piazza Santa Croce, à deux pas de là, ne bat pas encore son plein de
florentins. Ce marché bouillonne au pied de la Basilique Santa Croce où
reposent paisiblement d'illustres artistes tels que Michel Ange, Raphaël et tant
d'autres ; il est certain que des dizaines de musées européens ne pourraient
rassembler en une seule collection cette multitude d’artistes, tellement le
dynamisme créatif et la richesse de la Renaissance fut l'apogée de ce que
l'histoire de l'Art a pu connaître depuis l'origine du monde.
Stefan redemande un café au serveur qui danse de ses petits pas autour de lui.
il ne maîtrise pas bien l'italien mais bredouille quelques mots et fonctionne
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par onomatopées et pratique aisément le langage des mains, si cher aux
transalpins.
Stefan Kafka est un auteur connu dans son pays, son ouvrage précédent "Vingt
quatre heures de la vie d'une femme" a connu un grand succès de librairie, il
côtoie les cercles littéraires branchés de Vienne et Budapest, sa popularité
dans les capitales européennes était grandissante en 1913 ; mais voilà que la
grande guerre est passée par là et a interrompu son ascension littéraire, venant
perturber le fleuve tranquille de l'écrivain, comme bien de ses compatriotes
dans les arts majeurs. Six ans plus tard, il a enfin retrouvé une certaine
sécurité, certes précaire, mais il se sent léger, a de nombreux projets en tête ; il
se donne les moyens de les accomplir avec ses maigres économies accumulées
grâce aux ventes de ses deux derniers livres.
Il est en voyage avec son épouse, Erika, et s'est donné trois mois pour traverser
l'Europe, de Vienne à Londres en passant par Florence et Paris. L'inspiration
et la sérénité de l'écriture vont de pair avec ces voyages initiatiques.
Stefan se replonge spontanément dans ses notes, son livre pourrait être aussi
bien le procès des hommes se dit-il, oui, d'ailleurs c'est bien pour cela qu'il a
instinctivement pensé l'intituler le "procès", celui des hommes et de la société
qui part de travers.
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Il se dit que ces temps modernes ne sont pas à la hauteur des grandes familles
d'antan de cette cité toscane, où les Buonarroti, Della Rovere ducs d'Urbino,
Conitini-Bonacossi mais aussi des Lorraine et bien sûr des Médicis ont
apporté leur génie des arts et de la contemplation pour l'éternité.
Les rois Victor Emmanuel II et III et Humbert Ier qui séjournèrent au Palais
Pitti à quelques pas de la Piazza della Signoria, ne comprendraient assurément
pas que durant la grande guerre, tant de toiles et de sculptures ont pu
être sacrifiées au feu des bombardements ; les Botticelli, Caravage, Filippo
Lippi, Raphaël, Rubens et autres Salvator Rosa, Titien s'en retourneraient
dans leur tombe par tant de médiocrité et d'absurdité.
Stefan se sent assurément inspiré par la grandeur des lieux chargés d'histoire,
de splendeurs qui rodent à chaque coin de rue et par les âmes de ces grands
artistes qui hantent la place des Seigneurs. La brise se fait de plus en plus
présente, amenant désormais des odeurs de lauriers, de thym et même de
violette.
Stefan y voit un signe de bon augure, son inspiration n'en sera que décuplée, il
se doit d'en profiter et d'avancer dans le cheminement de son héros et des
personnages qui vont le mettre au défi.
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8h47 - Franz est maintenant dans la via dei Calzaiuoli, il est un peu perdu et ne
sait plus trop se repérer dans ces vieilles artères parfois très étroites ; attiré par
les odeurs, il a franchement faim et il s'arrêtera, pour sûr, à la prochaine
Piazza. Il serre bien fort sa pochette rouge, le bien le plus précieux qu'il a
emporté dans ses maigres bagages ; une seule et unique valise rouge en vérité,
facile à repérer parmi le flots de sacs descendus un jour plutôt, du train express
transalpin.
Franz est pensif à cet instant et passablement inquiet. Il n'est pas encore sûr
du titre de son ouvrage mais songe fortement à le nommer "le joueur
d'échecs". C'est l'histoire d'un homme prodige dont les facultés intellectuelles
sont sans limites, un joueur d'échecs de génie mais qui n'a pas tripoté
l'échiquier depuis longtemps, près de vingt ans ; Stefan est encore hésitant sur
la suite des scénarii et notamment sur les personnages secondaires qui vont
entourer et se frotter à son héros, Mirko. Il prépare en quelque sorte une fable
moderne autour de ce jeu, à mi-chemin entre la folie et l'isolement de
l'homme.
Franz Zweig aime les échecs ; ce n'est pas un grand joueur, certes, pour
autant, il est fasciné par l'alchimie qui s'opère autour des pièces de l'échiquier;
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une ambiance et une atmosphère particulières. Ce qui l'attire dans les échecs,
c'est aussi la dynamique créée entre les deux joueurs, un face à face terrible,
sans concessions. Face à l'autre mais aussi terriblement seul. Face à sa
conscience, continuellement en introspection dans un silence de mort, pour
trouver à chaque tour le coup d'éclat, la meilleure solution, tout en anticipant
les mauvais scénarios et les interprétations de l'adversaire…
Un jeu, un hymne à la stratégie guerrière, à la réflexion et à la mémoire, à la
torture de l'esprit. Isolé devant le plateau de pions, pas un mot, le souffle court,
le règne du silence s'impose pour un verdict sans appel : Echec et mat !
Bien sûr, il peut y avoir parfois des matchs nuls mais là n'est pas la philosophie
des échecs, il faut un vainqueur et un vaincu déchu de son trône ; l'homme
serait-il condamné à cette seule issue s’est alors demandé Franz en écrivant les
dernières lignes du second chapitre.
8h51 - Franz arrive sur la Piazza della Signoria. La place est quasi vide,
quelques pigeons voyageurs chahutent dans un brouhaha qui leur est propre.
Il regarde autour de lui, contemple la beauté de cette place, les statues trônant
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fièrement de chaque côté, et aperçoit un café avec une terrasse.
Voilà enfin le lieu où se poser se dit-il, en s'avançant vers le café. Il se
rapproche des oiseaux, et remarque que des pigeonneaux côtoient leurs aînés,
et au milieu de cette tribu de volatiles, une colombe. Il s'arrête d'un coup et
admire la blancheur éclatante de ce columbidé, symbole de la liberté. Il est à
deux mètres des oiseaux, immobile et comme hypnotisé, faisant face
maintenant au café où des florentins savourent les rayons de lumière du soleil.
Soudain, un enfant de dix ans qu'il n'avait pas remarqué, courant derrière lui,
pousse un cri féroce à destination des pigeons, créant une levée de boucliers,
les battements d'ailes des pigeons s'agitant dans tous les sens pour aller se
parquer quelques mètres plus loin.
L'espace de quelques secondes, Franz est pris de peur par ces mouvements de
volatiles qu'il n'a pas anticipés ni même vus venir à lui.
Certains des pigeonneaux, complètement apeurés et idiots, l'effleurent ; Franz
dans un réflexe ultime, incline la tête pour les éviter et dans un même temps,
laisse tomber à terre sa pochette rouge. Aidé de la brise qui se mêle à ce
charmant manège de battements d'ailes, les feuilles blanches de Franz,
noircies par ses écrits du voyage et de la nuit, s'envolent et s'éparpillent au gré
des petites allégories du vent.
Franz reste semi inconscient, tant la scène s'est déroulée furtivement sous ses
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yeux. La colombe s'est évanouit, disparue, volatilisée en un millième de
seconde comme par magie, que s'est-il passé se demande Franz ?!
Il se réveille comme sorti d'un pseudo coma, se courbant et cherchant à
remettre de l'ordre dans les feuilles éparpillées.
En se relevant, une ombre tout près de son corps lui indique qu'il n'est pas
seul en ce lieu, en cette place, en cet instant ; une personne se dresse droit
devant lui et lui tend d'un geste assuré quelques feuillets qu'il a dû ramasser
sans qu'il s'en rende compte.
Cet homme, c'est Stefan kafka.
- Stefan à Franz : Bonjour Monsieur, je vous ai vu laisser tomber votre pochette
et j'ai eu peur que vous perdiez certaines des feuilles
- Merci, c'est très gentil à vous. Je suis confus, je n'avais pas remarqué cet
enfant qui a perturbé le repas de ces oiseaux.
- Les enfants sont terribles, ils ne peuvent s'empêcher de les apeurer, dit
Stéphan avec un semblant d’humour.
- Pour le coup, c'est moi qui ait été le plus bouleversé…
Comment vous remercier, Monsieur... ?
- Stefan ! Heureux de vous connaître. Je suis à la terrasse de ce café.
- Franz ! Franz Sweig. Justement, je désirais me poser un moment pour boire
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un café, je peux vous en offrir un.
- Volontiers, venez vous asseoir à ma table, elle a une vue imprenable sur le
Palazzo Vecchio !
8h57 - Les deux écrivains sont assis côte à côte au café des Seigneurs,
Piazza della Signoria. La scène est historique, personne ne le sait, même pas
eux, jeunes auteurs qu’ils sont en pleine croissance intellectuelle. Les deux
acolytes, de langue allemande, entament naturellement une discussion qui fera
date...
- Vous êtes Autrichien ? demande Stefan.
- Non, Tchèque, et vous Allemand ?
- Autrichien ! C’est étonnant, vous avez un accent qui me semble si proche de
l'allemand.
Décidément, nous nous comprenons mais n'avons pas de don pour les
nationalités.
- Je parle une sorte de dialecte, dérivé de la langue germanique, c'est assez
trompeur...
- Nous ne formons qu'une seule et grande communauté d'hommes, peu
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importe d'où nous venons, l'essentiel est de se comprendre.
- Nous sommes d'accord, si les nations et les dirigeants de ce monde
pouvaient vous entendre...
Franz se reprenant après un silence... : Vous faites de la politique ?
- Non, pas du tout, loin de moi cette envie, quoi que cela me démangerait
parfois... en fait je suis...
A cet instant, le serveur se rapprochant de la table où les deux hommes sont
assis, les interrompt.
- Le serveur d'un ton assuré : Messieurs, que puis-je vous proposer ?
- Stefan interpellant le serveur : Deux expressos s'il vous plaît !
- Franz ajoutant : vous avez des viennoiseries, des brioches ?
- Oui, Monsieur.
- Ca vous tente !? demande Franz à Stefan
- Pourquoi pas, un peu de folie, ça ne changera pas le cours de l’Histoire…
- Alors, deux brioches s'il vous plaît ! conclue Franz au serveur
Franz reprenant le fil de la conversation :
- Vous êtes en vacances à Florence ?
- Je suis ici avec mon épouse pour une dizaine de jours, nous faisons tout un
périple en Europe.
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- Formidable !
- Et vous ? demande Stefan, très curieux d’entendre la réponse
- J'ai moins d'ambition touristique que vous, je ne suis là que quelques jours et
puis je retournerai à Prague, j'ai une santé fragile qui ne permet
malheureusement pas de réaliser de longs projets, j'erre davantage au jour le
jour.
- C'est une belle philosophie !
- Certes, mais pas toujours évidente à suivre... disons que cette approche a
l'avantage de ne pas trop se prendre la tête à anticiper ; et puis à s'organiser
afin d’avoir la certitude que ce que l'on a prévu fonctionne.
- Vous êtes venu seul ? demande Stefan sans tabou aucun dans le sens de sa
question.
- Oui définitivement seul, je préfère rester seul que mal accompagné. Je ne dis
pas cela pour vous ni pour votre épouse d’ailleurs, je suis bien content de vous
avoir rencontré, et je dois bien l'avouer, je vous dois une fière chandelle pour
tout à l'heure, c'eusse été une catastrophe que de perdre mes feuillets, j'ai eu
tant de mal à vomir ce que j'ai écrit ces...
A cet instant, le serveur les interrompt de nouveau, apportant dans un petit
halo de fumée les brioches et expressos.
- Stefan, reprenant : Vous faites de la politique ?
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- Décidément, nous avons les mêmes visions.
Non… pas vraiment en réalité, indirectement peut-être, je la combats et tente
de la cerner ! En vérité, je suis écrivain, enfin j'essaie !
Stefan reste étrangement silencieux aux propos de Franz.
Après un bref moment sans paroles, Franz, sans se rendre compte de l'attitude
de son voisin, reprend :
- J'ose essayer de le penser comme un métier, je fus par le passé un brillant
expert en assurances suite à des études de droit, mais cette matière, je préfère
désormais l'oublier et lui donner de nouvelles formes via l'étude des
comportements humains.
Et vous Monsieur Stefan... je ne connais pas votre nom d'ailleurs, vous faites
de la pol....
Stefan coupe la phrase de Franz, sentant une certaine gêne dans la question
que ce dernier lui pose.
- Non, pas de politique non plus. Mon nom est Kafka.
- Franz, surpris et ému à la fois par la réponse : Kafka, comme Stefan Kafka,
l'écrivain autrichien ?!!
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- Oui, tout pareil, c'est bien moi, là sur cette chaise, devant vous, en chair et en
os !
- Franz, confus, bredouillant dans un allemand moins académique : C'est
incroyable ! J’ai lu cet été votre dernier roman, la métamorphose, un véritable
chef d'oeuvre !
- Je vous remercie, la presse de mon pays n'a pas été aussi unanime et
comment dire, euphorique ...
- Comment cela, c'est dément !
- Oui, dément, c'est bien le mot. Les spécialistes des gazettes ont parlé de
roman dément, proche du délire et du n'importe quoi, remettant en cause les
principes fondateurs de notre justice et de la notion même de la famille, de la
valeur travail de notre grand empire en décomposition.
J'ai été presque considéré comme un traître à la nation !
Certains chroniqueurs m'ont même traité de cafard, c'est un comble !
Du coup, j'ai décidé d'aller encore beaucoup plus loin et d'en remettre
plusieurs louches dans le délire ambiant.
Je m'aperçois qu'ils n'ont pas bien saisi le sens de la métaphore et qu'ils ont
pris pour argent comptant mes propos ; remettre en cause notre société dite
moderne, c'est se mettre en danger vous savez, c'est comme s'attaquer à
l'Everest, vous vous lancez dans un challenge de taille sans savoir si vous en
reviendrez vivant.
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- C'est incroyable, un tel chef d'oeuvre, je n'en reviens pas...
Vous êtes un précurseur Monsieur Kafka, le temps vous donnera raison, notre
justice perd la tête avec les hommes qui érigent ces lois de mal en pire, je
crains fortement pour les générations à venir. Nous sommes de nouveau en
tant de paix mais combien de temps cela va-t-il durer ?
Il suffit de constater ces derniers mois, tant de haines et de contentieux entre
les hommes et les nations européennes...
- Leurs discours sont inaudibles, leurs volontés politiques irréalisables, leurs
effets d’annonce contradictoires.
Nous allons vers la catastrophe Monsieur Sweig, la haine des peuples, il n'y a
rien de pire pour notre avenir. Humilier l'Allemagne comme certains pays sont
en train de le faire suite à sa défaite, c'est se préparer dès à présent à de
sombres années.
Je ne dis pas qu'elle mérite son sort mais il y a des manières d'agir, se venger
par provocations et humiliations, je ne sens rien de bon en cela…
- L’humiliation ne fait qu’engendrer la haine, d’où en découlera inévitablement
de la vengeance. Cette attitude ne peut créer, dans le meilleur des cas et avec
une dose extrême d’intelligence et de compréhension, que de l’indifférence.
Mais dans le cas de conflit entre les nations, mes propos ne sont que de la pure
utopie !
- C’est malheureusement tellement vrai - souffle Stefan avec un certain dépit
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dans l’intonation.
- Franz, rebondissant sur les propos de Stefan : Vous avez un sens politique
aiguisé, ne seriez vous pas visionnaire ? Vous devriez peut-être vous lancer
dans l'action politique. Rien de tel que l'action pour combattre les idées et
impulser ses propres convictions.
- Stefan reprenant... : La liberté reprendra tôt ou tard son chemin... s'il y a bien
une chose que l'on ne peut définitivement pas aliéner, Monsieur Sweig, c'est
bien la liberté et la fierté d'un peuple.
Quel qu'il soit, les racines d'un peuple, d'une nation, ne peuvent être
supprimées; il restera toujours quelque part une trace qui portera l'étendard de
ce peuple opprimé ou détruit. L'Histoire grave dans sa mémoire le passé des
peuples et de ses origines, on ne peut pas lutter contre cela.
- Je vous suis parfaitement.
- Quant à la politique, je préfère la laisser à mes camarades intellectuels, je
préfère me charger des basses besognes, d'analyser les couloirs sombres de
l'âme humaine !
- Vaste sujet, je m'y intéresse de près aussi.
Vous avez donc un nouveau roman sous le coude ? devine Franz.
- Sous le coude, c'est la bonne expression, vous voyez là... (Montrant le
manuscrit sur la table), ce sont les premières pages de mon prochain livre, un
nouveau pamphlet contre la justice implacable de l'homme et de ses arcanes.
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- Passionnant ! C’est dément, je le sentais... en finissant votre dernier ouvrage,
je sentais que vous pouviez encore aller plus loin, j'avais presque imaginé… le
scénario et le titre du livre : Le procès !
Un long silence suit cette envolée lyrique de Franz Sweig...
- Vous venez de regarder mes feuilles, comment avez-vous fait ?
- Non pas du tout, je vous assure... Pourquoi me dites vous cela ?
- Vous êtes in-cro-ya-ble, Franz, c'est vous le visionnaire !
- Et pourquoi donc ?
- Mon prochain livre va s'intituler...
- Franz, étonné : Il y a un souci ?
Un silence, suivi d'une hésitation de Stefan puis se reprenant, avec une
certaine émotion dans le timbre de la voix :
- Le Procès, oui... vous avez bien entendu Franz : L E P R O C E S !!!!!
De nouveau un lourd silence, les deux hommes fuyant leur regard respectif,
dévisageant au loin, les passants sur la Piazza della Signoria.
Le silence pesant est suivi, instinctivement, par les deux hommes, d'un rire
venu de leurs entrailles.
- Franz reprenant le premier la parole : C'est incroyable Stefan ! Vous me
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permettez que je vous appelle Stefan…
C'est dingue, c'est merveilleux !
Je le sentais, j'en avais l'intime conviction, ne me demandez pas pourquoi,
c'est ainsi, question de sensations et de vibrations.
- Stefan reprenant ses esprits : Vous êtes surprenant Franz, vous me
perturbez...
C'est bien la première fois qu'une personne, écrivain ou pas, devine avant moi
le titre de mon futur ouvrage. C'est insensé, vous avez peut-être même déjà
écrit le scénario avant moi, qui sait !
- N'exagérons rien, je n'ai pas votre talent…
J'ai en revanche la conviction que ce sera un ouvrage de référence qui fera
date car je ressens fortement la portée universelle de vos messages.
Stefan, quelque peu déconcerté, voulant déplacer le sujet sur le terrain de son
partenaire du jour : Et vous, alors Franz, qu'écrivez-vous donc ?!
- Vous me prenez de court Monsieur Kafka
- Vous n’osez déjà plus m’appeler par mon prénom ?!
Rires complices ....
Et Franz de reprendre le fil de cette conversation fort conviviale :
- Si bien sûr, c’est le naturel qui remonte, question de respect, vous
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comprenez, pour votre personne.
- Soyez naturel allons, pas de cela entre nous, cher confrère.
- Vous avez raison
- SDites-moi, ce n’est pas votre premier roman ?
- Non, le troisième, j’ai écrit beaucoup de nouvelles par le passé.
- Intéressant… et votre ouvrage précédent, de quoi traitait-il ?
- Franz, embarrassé : Hum, d’une histoire d’amour, mais pas banale.
- Oui, un récit sur la profondeur des sentiments, une histoire passionnelle
comme ce siècle en verra peu ; je travaille sur cette matière imparfaite et si
complexe que sont les sentiments.
- Intéressant, très intéressant...
C'est également un sujet passionnant et passionné, sur lequel j’aimerais bien
porter mon attention.
Aaah l'amour, éternel sujet des Hommes ! s’écrie Stefan.
- Ce n'est pas une tâche aisée mais j'avoue que je puise constamment dans
mon passé récent !
- C'est inévitable, vous êtes un écrivain Franz !
Nous sommes des éponges, et il suffit de nous presser pour en faire sortir la
quintessence du jus d'écriture !
- C'est une jolie formule !
- Ce n'est pas une formule, c'est un art inconscient de vivre, des émotions
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latentes qui doivent sortir tôt ou tard.
Après un temps de réflexion, Stefan respire profondément, se raclant un peu la
gorge au passage, reprend :
Je peux être indiscret !?
- Allez-y, au point où nous en sommes !
- Vous avez aimé follement ?
- C'est une question essentielle que je me suis posée et reposée avant de
construire le scénario de ce précédent roman. J’y ai mis mes tripes, tout ce que
j’avais en moi.
- Vous voyez, ma question n'est pas si inutile et superflue !
- Elle va directement à l'essentiel.
Oui, j'ai aimé follement, avec générosité, tout comme dans l'écriture... et
- Stefan coupant Franz : Et ?
- Franz hésitant : Et, total, elle m'a quitté.
- Vous avez su quelle en a été la raison ?
- Non, et je crois qu'elle non plus ne le savait pas, aussi étonnant que cela
puisse paraître !
- Il y a peut-être une seule et unique raison, irrationnelle, …
- Franz coupant à son tour Stefan : Oui, je suppute que vous allez me dire : la
passion !
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- En effet...
-Il n'y pa d'autre explication, la passion… Comme je l’ai expérimenté, la
passion, l'amour, l'envie sont des alchimies si complexes à définir, que se
retourner la tête dans tous les sens à analyser et à comprendre, ne font
qu'empirer l'incompréhension.
- C'est un beau sujet d'étude de personnages
- C'est aussi une thérapie nécessaire
- Thérapie ? demande stéfan, interpellé par le mot prononcé avec force.
- L'amour est un apprentissage, en cerner les contours et les enjeux permet de
mieux le digérer et l'appréhender dans le futur
- Et avez-vous à nouveau aimé depuis ?
- Non, je n’y étais pas prêt, en pleine reconstruction.
- Et maintenant ?
- J'écris pour avancer sur le sujet.
- Toujours votre thérapie !
- Sauf que je l’aborde sous un nouvel angle.
L’étude de l’introspection, ce que l’on a au plus profond de nous, au fin fond
de nos entrailles. Se connaître toujours davantage afin de mieux faire face à
l’autre.
- Vraiment intéressant Franz…
- Pas simple !
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C’est un combat de titan surtout avec de tels joueurs…
- Et, vous avez déjà bien progressé dans votre rédaction ?
- Je suis assez perfectionniste et reviens souvent sur ce que j'ai écrit; du coup,
j'avance lentement.
Néanmoins, la moitié des chapitres est écrite.
- Vous avez déjà pensé au titre ?
- Oui
- Alors ?
- Vous êtes bien curieux de mon écrit Monsieur Kafka !
- Franz... !
Franz, s'il vous plaît !
- Pardon - oui Stefan… Vous êtes décidément bien curieux, vous me flattez !
- Vous m'intéressez drôlement... alors ce titre ?
... Silence de plusieurs secondes .... puis Franz reprenant :
- Je pense à un titre un peu décalé mais très parlant, "le joueur d’échecs"
- C’est un titre simple mais évocateur
- Cela n’engage que vous mais j’apprécie la remarque à sa juste valeur
- Les joueurs de mots vont apprécier !
- Si vous le dites, je n'en suis pas encore convaincu...
- Ces feuillets que vous avez fait tomber à cause des pigeons, ils sont liés à
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votre livre ?
- Oui - tout à fait, c'est pour cela que j'ai eu un petit moment de panique...
- Je peux y jeter un oeil ?
- Vous me gênez de nouveau, je ne préfère pas trop à dire vrai..., c'est inachevé
et puis, il me semble que c'est illisible, c'est rempli de ratures et de codes que
seul moi pourrais en comprendre la lecture; et encore, parfois, je me demande
bien ce que j'ai voulu dire tellement c'est lié à des inspirations et pensées du
moment !
- Ce n'est pas un souci, je fonctionne de la même manière.
Vous permettez, que je regarde si j'arrive à déchiffrer votre écriture
- Vous ne me laissez guère le choix ! répond Franz avec ironie
- Allez, nous sommes entre confrères, c'est de la solidarité littéraire...
- Vous êtes décidément très persuasif !
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9h17 - Piazza della Signoria, café des Seigneurs - Les deux hommes assis à la
terrasse.
Après quelques soupirs de circonstance, Stefan reprend :
- Ce que je vous propose... cela va vous surprendre, vu que je me surprends
moi-même à l'instant à vous suggérer ceci, mais bon, à rencontre
exceptionnelle, situation atypique : je vais être pris par le temps car mon
épouse m'attend à l'hôtel, nous devons aller nous promener dans l’arrière-pays,
et je suis déjà en retard.
- Désolé, c'est de ma faute
- Non pas du tout, au contraire, vous plaisantez, de toute façon, vous ne
pouviez pas savoir...
Voilà, ce que je vous propose, c'est plutôt inédit... vous n'êtes pas obligé
d'accepter bien évidemment
Mais l'idée m'excite (sourires) : Je vous invite à nous prêter nos manuscrits et
à les lire d'ici demain matin, en nous redonnant rendez-vous au même endroit
à la même heure !
Qu'en pensez-vous ?
- Vous êtes incroyable Stefan ! Je ne sais quoi vous répondre...
L’idée me séduit mais je ne sais si je dois accepter... c'est notre intimité, et
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quelque part, dans notre cheminement intellectuel que vous suggérez de
pénétrer, c'est très perturbant et honorant à la fois.
Laissez-moi réfléchir !
Silence de plomb, la Place s'est à nouveau vidée de ses passants.
La colombe a fait sa réapparition comme par magie.
Franz fixe devant lui, redevenant songeur à la vue de la colombe puis
regardant droit dans les yeux de son homologue :
- C'est d'accord, je suis avec vous dans cette expérience.
Mais à une condition !
- Ah oui, et laquelle ?
- Que nous nous disions franchement et sans détours, ce que nous en pensons
et que nous en discutions demain.
- Ca marche, faisons ainsi Franz !
- Franz, ému : D'accord
- Stefan remettant à Franz les feuilles qui étaient à l'abri de son coude, sur le
coin de la table : Je vous laisse le livret du Procès, j'en ai écrit 50 feuilles, les
premiers chapitres sont déjà bien achevés, mais je ne vous en dis pas plus.
- Quelle responsabilité, je suis vraiment honoré de cette complicité et de cette
confiance
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- C'est moi qui vous remercie Franz, je suis convaincu que vous êtes un auteur
de talent.
Puis Stefan se levant : Nous en reparlerons demain, à la même heure, 9h, cela
vous convient ?
- Franz, se redressant mécaniquement : Marché conclu, je serai là demain au
levé du soleil.
- Stefan, tout en s'éloignant de la terrasse : Ce fut un grand plaisir que de vous
rencontrer Franz, nous n'en resterons pas là...
Stefan pensif ne répondit pas... figé et ému par l'intensité de cette rencontre
inédite.
Assis sur la terrasse, avec le livre du Procès dans les mains, le jeune écrivain de
Prague reste ainsi de longues minutes. Il contemple le ciel, respire fortement,
hume l'atmosphère de la place et se met à rêver : et si demain serait un autre
jour, le début d'un nouveau chemin, d'une espérance...
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Florence, 2ème matin de mai 1919.
8h54 - Piazza della Signoria, café des Seigneurs
Stefan Kafka est déjà en place depuis plus de quinze minutes, c'est un matinal
qui adore sentir les débuts de journées, déambuler dans les rues et côtoyer les
premiers marchands qui s'activent devant leurs étalages. Malgré la fatigue
d'une nuit agitée, il est en avance sur son rendez-vous avec Franz Zweig ; une
certaine excitation est palpable dans le regard de l'écrivain autrichien.
Que lui est-il arrivé cette nuit… ?
A son grand étonnement, la lecture des trente premières feuilles du joueur
d’échecs fut une révélation, à ne plus en dormir jusqu'au levé du soleil. Il
arrivait à déchiffrer chaque syllabe, chaque mot comme autant de messages
qu'il ressentait au plus profond de lui-même.
Non pas qu'il doutait du talent de son nouvel ami mais plus par la sensation de
pouvoir écrire la même histoire, mot après mot, chapitre après chapitre, avec la
même approche des personnages. Quelle était cette sensation étrange de
rencontrer son double littéraire, une personne qui pense et écrit comme vous ?!
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Etait-ce un mirage, une vision ? Ou au contraire la réalité liée
à l'aboutissement d'un chemin intellectuel qui nous amenait à se percevoir à
travers son miroir.
Cette rencontre était-elle un signe du destin, un message de l'au-delà ?
Autant de questions que se posait intérieurement Stefan Kafka en attendant
son collègue écrivain Franz Zweig place delle Signoria.
A vrai dire, plus le temps passait, plus Stefan piaffait d'impatience tant il était
prêt à en découdre avec Franz ; pour sûr, il avait hâte d'échanger et de
comprendre cette mécanique incroyable qui les avait conduit tous les deux, par
le plus complet des hasards, à se croiser, à discuter, puis à s'échanger leurs
livrets et à se convaincre que leur rencontre était déjà écrite.
La pochette rouge sang de Franz Sweig, prêtée la veille, était apposée sur la
table, sous son coude, dans l'attente de la remettre à son auteur d'origine.
Alors que Stefan était plongé dans ses incroyables pensées, l'heure tournait et
Franz se faisait toujours attendre.
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9h17 - Franz Zweig est déjà loin de la Piazza della Signoria, de Florence et de
la Toscane, dans le train qui le ramène à Prague. Une vilaine crise d'asthme l'a
emporté la veille au soir, suite à une longue promenade dans les jardins du
Palais Pitti, à quelques lieues de la place où il a rencontré Stefan Kafka. Durant
toute l'après-midi, il avait lu et relu pendant des heures infinies, trois, quatre,
peut-être même dix fois, assis, debout, en marchant, dans un semi coma, les 50
pages de cette trame du Procès.
Il en était réellement bouleversé, imprégné, habité. Il sentait cet écrit comme
une partie de lui.
Comment cela était-il possible ?!
De multiples questions s’enchaînaient dans l’esprit de Franz. A quelle partie
d’échecs s’était-il finalement livré ?
Il sentait qu’il n’y aurait cette fois-ci, ni vainqueur, ni perdant mais bien deux
nouveaux destins.
Franz Zweig s'était écroulé soudainement à 17h57 dans les jardins di Boboli du
Palazzo Pitti. Il a été rapidement pris en charge par des secours et a été
hospitalité à Florence avant d'être mis dans le premier train pour être soigné
pour ses problèmes pulmonaires dans un centre thermal de Prague, à la
demande expresse de sa famille, très inquiète, prévenue par l'hôtel où il
séjournait depuis peu.
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Un long voyage en train qui l'éloignait de son nouvel ami, de cette rencontre
invraisemblable.
Que pouvez faire Franz, si ce n'est subir une nouvelle fois le sort du destin. A
moitié conscient, alité dans ce train qui l'éloignait un peu plus chaque seconde
d'un nouvel avenir possible, il serre fort contre sa poitrine le manuscrit que lui
a remis la veille Stefan.
Il se promet de ne pas le perdre et dans une sorte de pseudo inconscience, un
état de chronique annoncée de délire, lié à une insuffisance respiratoire, de
continuer l'écriture du Procès, commencé par son ami autrichien, son frère de
lettres.
9h24 - Stefan Kafka reste imperturbable sur sa chaise, prenant café sur café,
canalisant mal son impatience. Soudain, il aperçoit sur la place la colombe
blanche, elle se pose non loin de sa table.
Est-ce la même que la veille s’interroge Stefan, y interprétant à demi mot un
nouveau signe du destin ?
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Il la fixe, hypnotisé, comme jamais il n'avait encore fixé un oiseau. En un
éclair de temps, il comprend, comme un déclic. Il ne reverra plus jamais Franz
Zweig. La rencontre incroyable d'hier sera la seule et l'unique, comme dans un
mirage, un mauvais scénario qu'il n'aurait jamais imaginé.
Mauvais scénario, se répète t-il !
Non, ce n'est pas le bon terme, un scénario imprévisible et dément qui va
changer le cours de son parcours littéraire; il ne se sent pas en état
de reprendre depuis le début l'écriture du joueur d’échecs.
Il sent une force sereine qui coule dans ses veines, lui dictant de ne pas
s'inquiéter pour ce récit, qui devait être l'aboutissement de tant d'années
d'écriture.
Que m'arrive-t-il se demande Stefan, silencieusement, des sueurs commençant
à perler sur son front ?
Quelle est cette sensation si étrange, cette vision comme si le Procès
devait continuait son chemin tout seul sans lui.
A cette réponse, Stefan Kafka sent comme un soulagement parcourir le haut de
son visage, et ses yeux brillent à nouveau. D'un geste naturel, il reprend son
crayon de bois et sa gomme, ouvre la pochette rouge, s'empare de la dernière
page du feuillet du joueur d’échecs et continue à écrire pendant de longues
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minutes sur l’attitude de Mirko, le personnage central de l’oeuvre.
Les échecs, c’est aussi son dada, et il a de sacrés pions à faire valoir.
Oui, incontestablement, cet ouvrage lui appartient désormais, il en fait sien, le
partage dans le plus grand secret avec un fantôme et l'achève en vertu du pacte
virtuel qu'il a fait avec son ami éternel, Franz Zweig.
Le joueur d’échecs serait son prochain roman, à coup sûr celui de sa vie.
Cyril SUQUET - Avril 2009
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