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A. Benvenuto - Université Paris 8 Université Paul Verlaine - Metz UFR Lettres et Langues 2006 / 2007 : UE LIBRE Langue des Signes Française Andrea Benvenuto Université Paris 8 [email protected] Les sourds dans la cité: de l’antiquité à nos jours 1.1. La figure du sourd dans l’antiquité 1.2. L’intégration de sourds à la société médiévale 1.3. Le sourd comme figure de l’anormalité 1.4. La notion de handicap 1.5. Le sourd: être bilingue et interculturel

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Université Paul Verlaine - MetzUFR Lettres et Langues2006 / 2007 : UE LIBRE Langue des Signes Française

Andrea BenvenutoUniversité Paris [email protected]

Les sourds dans la cité:

de l’antiquité à nos jours

1.1. La figure du sourd dans l’antiquité1.2. L’intégration de sourds à la société médiévale1.3. Le sourd comme figure de l’anormalité1.4. La notion de handicap1.5. Le sourd: être bilingue et interculturel

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« On pourrait faire une histoire des limites – de ces gestes obscurs, nécessairement oubliés dès qu’accomplis, par lesquels une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l’Extérieur ; et tout au long de son histoire, ce vide creusé, cet espace blanc par lequel elle s’isole, la désigne tout autant que ses valeurs »Michel Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, 1961

• Le terme « figure »:

– s’utilise comme métaphore– sert à représenter quelque chose d’autre– représentation indirecte de ce qu’on ne peut/veut pas dire directement

« Anormal »« Infirme »

« Invalide » ≠ ou = « sourd » ? « Déficient »« Bilingue » « Handicapé »« sourd/Sourd »

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Grec ancien: κοφός(cophos)

Plan physique: « Etre privé de quelque chose », « être coupé de » → vue, odorat, ouïe, etc. (D’abord le toucher, ensuite champ de l’audition)

Personne sourde → un sens était « émoussé », « entaillé », « mutilé » Cophos = « aveugle », « infirme », « sourd » Surdité = mutité (conséquence de la surdité)

Plan intellectuel = « hébété », « stupide »

Latin : surdus

Plan physique: référé exclusivement au sens de l’ouïe. Notion de bruit/ organe

Personne sourde: « qui n’entend rien » ou « affaiblissement du sens de l’ouïe »

Cf. Ienke Keijzer, La surdité dans la société gréco-romaine, Mémoire de maîtrise Lettres Classiques, UniversitéPaul Valéry, Montpellier, 1995-1996.

Étymologie du mot « sourd »

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1.1. La figure du sourd dans l’antiquité1.1. La figure du sourd dans l’antiquité

Ancien Testament

Sourd → sub-normal

L’ensemble des invalidités → déclarées impures, rendant inapte au culte actif.

« Tout homme qui aura un défaut corporel ne pourra s'approcher: un homme aveugle, boiteux, (...) il a un défaut corporel: il ne s'approchera point pour offrir l'aliment de son Dieu. » (Lévitique, chapitre 21)

Au même temps :

«Tu ne maudiras point un sourd, et tu ne mettras devant un aveugle rien qui puisse le faire tomber; car tu auras la crainte de ton Dieu. Je suis l'Eternel. » (Lévitique, chapitre 19)

Nouveau Testament: avec Jésus: l’obligation extérieure imposée par le groupe est rompue

Intégration social: revient à la conscience éthique et spirituelle de chacun

Infirme: dorénavant soumis à la charité chrétienne

Henri-Jacques Stiker, Corps infirmes et sociétés. Essais d’anthropologie historique, (1982), Paris, Dunod, 2005, 3e édition.

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Antiquité classique

Sparte, Athènes, Rome ancienne

Enfants nés difformes : «exposés»* Emmener les enfants vers un endroit secret hors de la ville et les laisser mourir Difformités: signes extérieurs du corps Le signe de la colère des dieux

Et les sourds étaient « exposés » ? : pas sûr. N’étaient apparemment dans la catégorie des difformes (surdité pas remarquée

comme difformité) Surdité: repérée tardivement (enfants « exposés » étaient plutôt les nouveaux-nés)

Quintus Pedius: Premier geste pédagogique (éducation d’un sourd par le dessin)

Egypte: Sourds, illuminés par les dieux (preuves?). Les égyptologues sont divisés quant au sort des handicapés en Egypte antique. (Desroches-

Noblecourt C.,1986; Andreu, G., 1992)

*Marie Delcourt, Stérilité mystérieuse et naissance maléfique dans l’Antiquité classique, Liège, Faculté de philosophie et de lettres,1938, Paris/Genève,Droz, 1937.

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Sur le rapport langue-pensée

Aristote (384 - 322 av. J- C.):

« ... la faculté d’apprendre appartient à l’être qui, en plus de la mémoire, est pourvu du sens de l’ouïe »

(Métaphysique, Tome I, Livre A, 980b)

– Seule la parole articulé atteste la capacité langagière– C’est la parole qui rend possible la pensée et le raisonnement

• Conséquence pour les sourds:

– Attribution des difficultés d’abstraction et de raisonnement chez les sourds, dû à la difficulté d’acquérir la parole orale.

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1.2. Intégration de sourds à la société médiévale1.2. Intégration de sourds à la société médiévale

Pas de politique particulière.

Catégorisés comme «les fous du village »

Le travail manuel favorisait l’intégration de sourds [Aude de Saint- Loup, « Les sourds-muets au Moyen-Age. Mille ans de signes oubliés », in L. Couturier et A. Karacostas (sous la direction de), Le Pouvoir des Signes, Paris, INJS, 1989]

Adoptés par certaines congrégations religieuses (règle du silence, Saint Benoît, chapitre 38, VI siècle.)

Education: préceptorat, religieuse, individuelle (enfants sourds de familles riches)

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Statut juridique: Code Justinien (édicté en 530, VI siècle)

Cinq classes de sourds:

Ceux qui par nature n’entendaient ni ne parlaient n’avaient aucun droit. Les devenus sourds par accident, s’ils savaient lire et écrire, pouvaient disposer de

droits. Les sourds de nature mais non muets étaient des cas exceptionnels, pouvaient

disposer de droits Les sourds par accident mais qui parlent, n’entraînaient aucune privation de droits. Les muets qui entendent, n’entraînaient aucune privation de droits.

J. R. Presneau, Signes et Institution des sourds. XVIIIe –XIXe siècle, France, Champ Vallon, 1998; pp. 20-21.

Code Napoléon (1804, XIX siècle) inspiré du Code Justinien (aujourd’hui en vigueur):

Art. 936 «Le sourd-muet qui saura écrire pourra accepter lui-même ou par un fondé de pouvoir. S'il ne sait pas écrire, l'acceptation doit être faite par un curateur nommé à cet effet, suivant les règles établies au titre de la minorité, de la tutelle et de l'émancipation. »

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1.3. Le sourd comme figure de l’anormalité1.3. Le sourd comme figure de l’anormalité

Le concept d’anormalité se forme (XVIII-XIX siècle), selon Michel Foucault*, à partir de trois figures:

le monstre l’individu à corriger l’onaniste (masturbateur)

*Les anormaux, Cours au collège de France, 1974-1975, Ed. Gallimard/Seuil/Hautes Etudes, 1999, p. 51.

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1° figure: le monstre humain

Cadre de référence: la loi (de la nature et de la société)Notion juridique au sens largeViolation à la fois, des lois de la nature et des lois de la

sociétéDouble registre: juridico-biologiqueMonstre mixte: moitié homme, moitié bête

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Le sourd est un « monstre » parce que:

1 - Rompt avec les lois de la nature: frontière entre l’homme et l’animal

Parce qu’il n’a pas de langue oral (la seule possible selon la tradition aristotélicienne)

Parce que sans langue il est identifié à l’animal:

Johann Gottfried von Herder :« Ils [les sourds] n’ont pas de sensorium interne pour distinguer les objets, ni même de sympathie pour leur propre espèce. On a des exemples de sourds et muets de naissance qui ont égorgé leurs frères parce qu’ils avaient vu égorger un porc et qui, sans frémir, leur ont arraché les entrailles pour mieux imiter ce qui s’était passé sous leurs yeux » (J. G. von Herder, Idées pour la philosophie de l’histoire de l’humanité, Paris, Quinet, 1827, pp. 201-202)

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L’instruction de sourds par l’abbé de l’Épée (1712-1789) rompt avec cette conception:

« L’intérêt que la Religion et l’humanité m’inspirent pour une classe vraiment malheureuse d’hommes semblables à nous, mais réduits en quelque sorte à la condition des bêtes, tant qu’on ne travaille point à les retirer des ténèbres épaisses dans lesquelles ils sont ensevelis, m’impose une obligation indispensable de venir à leur secours, autant qu’il m’est possible » (Abbé de l’Epée, La véritable manière d’instruire les sourds et muets, 1784, Corpus des Œuvres de Philosophie en Langue Française, France, Fayard, 1984, p. 9)

Abbé de l’EpéeGravure

Artiste Paul Grégoire,Sourd-muet

1776in A. Karacostas (sous la direction de), Le Pouvoir des Signes, Paris, INJS, 1989

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2- Il rompt avec les lois juridiques: ne parle pas = pas d’héritage (Code Justinien)

C’est une des raisons du début de l’éducation de sourds au XVI siècle en Espagne (Pedro Ponce de Leon, 1520-1584, moine bénédictin, enfants riches de familles nobles)

L’eugénisme du XIX et XX siècle:

Alexander Graham Bell (1847, Ecosse-1922, Canada), en 1883, tentative d’interdiction du mariage entre sourds pour éviter la formation d’«une variation sourde de la race humaine » (Cf. Harlan Lane, Quand l’esprit entend. Histoire de la surdi-mutité, Odile Jacob, Paris, 1984)

Pratiques de stérilisation de femmes sourdes Politique d’extermination de sourds sur le régime nazi (Cf. les travaux de Horst

Biesold et Brigitte Lemaine)

http://clerccenter.gallaudet.edu/WorldAroundYou/holocaust/index.html

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Chronologie de l’eugénisme et l’extermination de sourds

in A. Karacostas (sous la direction de), Le Pouvoir des Signes, Paris, INJS, 1989

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2° figure: l’individu à corriger

Il apparaît clairement au XVIII siècle Cadre de référence: la famille et son rapport aux institutions C’est un individu à corriger parce que toutes les techniques

de correction ont échoué Il est défini comme un corregible-incorrigible Il est à la base de toutes les institutions pour anormaux du

XIX siècleDéveloppement de techniques disciplinaires

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Le sourd est un « individu à corriger » parce que:

Il est au centre des nouvelles techniques de correction du corps que l’Institut de sourds de Paris, depuis sa création au 1791, va progressivement mettre en place.

Corps de l’enfant sourd: l’objet d’une stratégie « orthopédique » (« L’art de prévenir et de corriger, chez les

enfants, les difformités du corps », Nicolas Andry, L’orthopédie, Paris, volume 1, 1741, préface, p. 2)

Gymnastique, orthophonie Il s’agit de corriger l’incorrigible: rendre l’audition (Jean Marc

Gaspard Itard, médecin chef de l’Institut, 1800)

Début de la « pathologisation »* de la surdité et de l’ «orthopédisation »* de la pédagogie.

*Didier Séguillon, De la gymnastique amorosienne au sport silencieux : le corps du jeune sourd entre orthopédie et intégration ou l’histoire d’une éducation « à corps et à cri », 1822-1937 , thèse de doctorat en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, Université Bordeaux II, 1998)

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Jean Marc Gaspard-Itard (1774-1838)

• 1800, nomination médecin de l’Institut national de Sourds-muets de Paris

• Fondateur de la psychologie de l’enfant et la première école d’otologie en France

• Célèbre pour son travail avec Victor, « l’enfant sauvage de l’Aveyron » pendant 4 ans.

• L’arrivée d’Itard à l’Institut marque le début de la médicalisation de l’Institution

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Traitements cités par le Dr. Itard en 1821 dans son Traité de maladies de l’oreille*:

• Electrogalvanisme: partait du principe que tout nerf paralysé pouvait bénéficier efficacement de stimulations électriques. La sonde était parfois utilisée dans une oreille remplie d’eau.

*In Alexis Karacostas (sous la direction de), Le Pouvoir desSignes, Paris, INJS, 1989. (Toutes les images qui suivent, ontété prises du même ouvrage.)

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• Les purgatifs• Les injections irritantes

dans la trompe d’Eustache

• Les vomitifs• Les préparations amères• Les frictions sèches de la

tête• Les vaporisations d’éther

dans le conduit auditif externe

• La perforation de la membrane tympanique avec injection d’eau tiède

• Les cautérisations

Avec l’objectif de rendre l’audition aux jeunes sourds !

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3° figure: le masturbateur

Il apparaît au XIX siècle (fin du XVIII siècle)Cadre de référence: la chambre, le lit, le corps, la famille, le

médecin, les surveillants dans les institutionsConsidéré comme « cause » de maladies (dont la surdité)Présente dans les pensées et les savoirs pédagogiques au

XIX siècle

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L’enfant sourd incarne la figure de l’onaniste parce que:

L’utilisation du corps (gestualité) le fait suspect d’une majeure activité sexuel (masturbation) que les autres enfants

Mesures préventives: Renforcement du control des horaires et du temps scolaire pour

éviter la « distraction » Organisation policière de l’espace scolaire (dortoirs, salle à manger) Importance majeur à la gymnastique

La lutte contre l’onanisme par le moyen de la gymnastique avait comme objectifs:

Cadrer la sexualité sous une norme moral Empêcher tout «débordement physique » Faire parler les sourds Renforcement de l’interdiction de la langue de signes

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1.4. La notion de handicap*1.4. La notion de handicap*

XVII siècle, « hand in cap », « la main dans le chapeau », jeux anglais.

Fin du XVII - début XVIII siècle, le terme est transposé aux courses de chevaux

XIX siècle, la notion est valable pour d’autres sports

Début XX siècle, EEUU, premier utilisation du terme en relation à la déficience physique ou mental

XX siècle, France, loi de 1957, premier définition dans la loi du « travailleur handicapé), puis lois 1975, 1987, 1990, 2005.

*Stiker, H.-J., “Handicap. Handicapé”, in H.-J. Stiker, Monique Vial, Catherine Barral (sous la direction de), Fragmentspour une histoire: notions et acteurs, Alter, CTNERHI, 1996, pp. 29-32. *Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Paris, Le Robert, 2°éd., T.1.*Hamonet, C., de Jouvencel, Marie, Handicap. Des mots pour le dire. Des idées pour agir, Paris, EditionsConnaissances et Savoirs, 2005.

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Deux courants pour considérer le handicap*:

• Le courant « médical »:

– Conséquence d’un état pathologique (maladie ou accident)– C’est la lésion (ou déficience) corporelle pathologique qui rend les personnes

handicapées. – À l’issue de la proposition de Philip Wood (déficience-incapacité-handicap), CIH-

OMS, 1980

• Le courant « anthropologique »:

– Plus social, considère le handicap comme la résultante de la confrontation d’un être humain avec ses capacités et de son environnement avec ses exigences.

– Ce sont les sociétés et le cadre de vie qui créent les situations de handicap. Erving Goffman (1963), Claude Veil (1968), Bernard Mottez (1977), Henri-Jacques Stiker (1982); Claude Hamonet (1985), CIF-OMS (2001), Déclaration de Madrid (2002), Convention des droits de personnes handicapées de l’ONU (2006), entre autres.

*Hamonet, C., de Jouvencel, Marie, Handicap. Des mots pour le dire. Des idées pour agir, Paris, Editions Connaissances etSavoirs, 2005.

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Handicap/déficience = deux faces d’une même réalité? Bernard Mottez (1977,1984) *

Déficience

- Aspect physique

- Peut être mesurée (dioptries: visuelle, décibels: surdité)

- Caractère technique, absolu, précis

- Anomalie

- Même déficienceEx. nanisme

- Produit de l’anomalie

Handicap

- Aspect social

- Permet de classer les individus selon la mesure de la déficience.

- Pas de caractère absolu, officiel, précis

- « L’ensemble des lieux et rôles sociaux (travail, éducation, sport, loisirs, religion) desquels un individu ou une catégorie d’individus se trouvent exclus en raison d’une déficience ».

- Handicap différent selon les sociétésRéalité sociale particulière, lourd handicap:

exclus de rôles de représentation, choix conjugaux limité, vêtements plus chers, choses placées trop hautes, etc.

Chez les Pygmées, société à leur mesure: handicap disparaît

- Produit de l’organisation sociale

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• Actions pour réduire la déficience :

Une direction possible :1) Optique thérapeutique : palliatifs, orthopédie, appareillage, rééducation auditive, orthophonie, lecture labiale.

• Mesures : - portent sur la personne seulement - destinées à améliorer ses performances- doivent augmenter son intégration- objectifs des spécialistes, prothésistes, rééducateurs, etc. - intolérance à l’égard du mode de vie normale qui découle de porter une déficience- diminuant la déficience on attend réduire le handicap

• Actions pour réduire le handicap :

Deux directions (a priori pas exclusives) :1) S’attaquer à réduire la déficience (optique thérapeutique)

2) S’attaquer à modifier l’org. sociale (logements adaptés, rampes, ascenseurs,

portes coulissantes, sous-titrages, etc.)

• Mesures :- vers l’organisation sociale- toute la société impliquée- intégration réelle- objectif de handicapés et proches

- accepter la déficience, mode de vie

- diminuant la déficience on augmente souvent le handicap

*Bernard Mottez, « À s’obstiner contre les déficiences, on augmente souvent le handicap: l’exemple des sourds », (1977) in Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils? Textes réunis et présentés par A. Benvenuto, Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 37-56.

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1.5. Le sourd, être bilingue et interculturel1.5. Le sourd, être bilingue et interculturel

Construction du paradigme interculturel*:

La source phénoménologique:

l’individu n’est pas le produit de sa culture mais l’acteur. la culture n’est pas une réalité sociale en soi que l’on peut appréhender de manière

objective, c’est un vécu dont il s’agit de reconstruire le sens.

Analyses interactionnistes:

concept d’interaction: l’accent est mis sur les rapports plus que sur des cultures ou des individus pris comme une unité.

« Inter » renvoie à la manière dont on voit l’Autre et à la manière dont on se voit. Cette perception dépend des relations entre moi et autrui.

La tension universalité/singularité:

l’approche interculturelle repose sur diversité/universalité/singularité apprendre à reconnaître en autrui un sujet singulier et universel.

*Martine Abdallah-Pretceille, L’éducation interculturelle, PUF, 1999.

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Être sourd. Qui sait ?

Questions d’identité

La dénomination de sourds sourd (statut audiologique) – Sourd (statut sociologique). (Woodward, 1972)

L’identité sourde

Questions de culture:

La culture est « une manière spécifique de sentir, de voir le monde, d’organiser sa vie et ses rapports aux autres et à l’environnement que partagent les membres d’un groupe en raison d’une condition sociale commune » Bernard Mottez (1985)

Aspects de la culture sourde

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L’identité sourde*

• Le concept d’identité sourde circule parfois :

– comme la vieille « psychologie du sourd »– comme tentative de « description objective »– comme un modèle normatif de ce que les sourds doivent être

• Pour les Sourds le concept d’identité sourde circule :

– comme une découverte et/ou revendication  – comme une libération de chaque un en ce qui est le plus

singulier, les plus personnel

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• Qui sait?

– Les sourds ont le monopole de l’expérience, mais ils n’ont pas le monopole du savoir sur la surdité.

– La surdité est un handicap nécessairement partagé. – Déficient auditif, on l’est, c’est physique. Sourd, on le devient. C’est

social et cela s’apprend.

• Prise de conscience de la surdité

– âge tardif– ne porte pas sur une expérience d’ordre physique (mal entendre ou ne

pas entendre), porte sur une expérience de jeu sociologique (pourquoi l’entourage vous traite différemment)

– une éducation très oraliste, retarde, inhibe la prise de conscience de la surdité.

– c’est en découvrant le « mode d’emploi » que le sourd prend toute la mesure du mal (ce n’est pas la surdité, sinon tout ce dont il a été privé)

– ainsi la surdité n’est plus une affaire privée, intime, cachée, mais une chose publique, commune, partagée, visible, reconnue, banale.

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La culture sourde*

• Participation à la communauté des sourds

• Critères d’appartenance :

– Qui utilisent la LS (et pas le degré de perte auditive) – Liée au moment où la surdité est apparue– Transmission de la LS : internat, école spécialisée– Rituel des présentations : nom, signe, école.

• Se caractérise par :

– un certain usage du corps (les mains, la voix, le regard)– culture orale– à l’échelle du monde, peuple de voyageurs– une culture opprimée– la façon de « gestuer » ordinaire entre sourds est réservée à usage interne

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• Contextes et lieux privilégiés :

– les internats spécialisés (« berceaux de la culture sourde »), – les foyers, – les rassemblements sportifs, – les fêtes sourdes, – les banquets, – les visites réciproques…

• Que se passe-t-il dans ces endroits ?

– d’une part, qu’on apprend à devenir un Sourd. • L’art de se comporter avec les entendants, tel qu’il s’apprend chez les

Sourds: une des formes les plus subtiles des arts martiaux. • Les oralistes qualifient ces lieux de ghettos. Il faut éviter que le jeune sourd

rencontre d’autres sourds. • Cette conception de la surdité comme contagieuse: bel hommage rendu à

l’existence de la culture sourde. – en même temps, ces lieux sont ceux où la surdité peut être oubliée de

façon absolue, où elle est annulée, où elle n’est plus et ne peut plus être un principe de discrimination entre les personnes.

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A. Benvenuto - Université Paris 8

En conclusion, la culture sourde peut être comprise comme :

Formes de solidarité et d’entraide

Savoir-faire avec les entendants (« un mode d’emploi »)

Modes ludiques d’exploration du monde

Réponses au défi de vivre dans un monde organisé par et pour les entendants

Elle permet d’y fonctionner au mieux

Dans ces lieux le jeune sourd apprend de ses pairs et de ses aînés à devenir sociologiquement un Sourd: une façon d’être

*Bernard Mottez, « Aspects de la culture sourde » (1985); « L’identité sourde » (1987); « Savoirs, savoir-faire et façonsd’être. La transmission chez les Sourds » (1990), in Les Sourds existent-ils? Textes réunis et présentés par AndreaBenvenuto, Paris, L’Harmattan, 2006.