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EnhommageauxsériesBeautifuletWildSeasons

del’auteur#1danslalistedesbest-sellersduNewYorkTimesCHRISTINALAUREN

« Des personnages aux caractères bien trempés qui vousbouleverseront,unhumourquivousferaglousser,unealchimieaussi renversante qu’exceptionnelle, Dark Wild Night estabsolument inoubliable. Une romance contemporaine aumeilleurdesaforme!»

–SarahJ.Maas,auteurdeThroneofGlass

«Délicieusementtorride.»

–EntertainmentWeeklyàproposdeBeautifulBastard

« Une aventure audacieuse, touchante, à mourir de rire etsurprenantederéalisme…L’unedesromancesérotiqueslesplusfraîches,drôlesetpleinesdesentimentsauthentiques.»

–RomanticTimesBookReviews,àproposdeSweetFilthyBoy(lelivredel’année2014duRomanticTimes)

« Personne n’écrit des romances contemporaines commeChristinaLauren.AvecSweetFilthyBoy,émotiongarantie.»

–Bookalicious

«Vais-jecesserdetomberamoureusedeshommesdefictiondeChristinaLauren?LaréponseestSEIGNEUR,NON.»

–Fangirlish

« Intelligent, sexy et plaisant, leBeautiful Bastard de ChristinaLauren est destiné à devenir un classique de la littératureamoureuse.»

–TaraSueMe,àproposdeBeautifulBastard

« La parfaite dose de romance que les amateurs de comédiessexy,enthousiasmésparlasérieBeautifulBastard,attendentetadorent.»

–TheStir,àproposdeSweetFilthyBoy

« [Christina Lauren] sont devenues mon premier choix quandj’aienvied’uneromanceérotiquecontemporaineetsincère»

–HeroesandHeartbreakers

« La série Wild Seasons est aussi torride que drôle etromantique… À nos yeux, Christina Lauren ne peut pas setromper.»

–Bookish

«Malinetsexy…Lolan’arrivepasàcroirequequelqu’und’aussimerveilleuxqu’Oliver(ilestplutôtmerveilleux)puissel’aimer,etLauren capture ses doutes d’une manière si puissante que leslecteurss’identifientaupersonnage.»

–TheWashingtonPost,àproposdeDarkWildNight

« Beautiful Bastard allie le cœur et l’érotisme cru à uneréjouissante dose de sarcasme. C’est la friandise sexy parexcellencepourles lecteursderomansd’amouret lesamateursd’intriguesintelligentes!»

–MyraMcEntire,auteurdeHourglass

« Frais, branché et énergique, Wicked Sexy Liar combinel’érotismeet ledialoguesincèredespersonnagespourcréeruncocktailexplosif.»

–BookPage

« Christina Lauren est mon premier choix quand je suisd’humeur à rire et à m’émouvoir, une romance sexy entre lesmains.»

–FlirtyandDirtyBookBlog

«NoussommesdessuperfanscertifiésdeChristinaLauren.»

–RomanticTimes

«J’airougi.Beaucoup.»

–USAToday,àproposdeSweetFilthyBoy

DumêmeauteurCHRISTINALAUREN

Lasérie«Beautiful»

BeautifulBastardBeautifulStrangerBeautifulBitch

BeautifulSexBombBeautifulPlayer

BeautifulBeginningBeautifulBelovedBeautifulSecretBeautifulBoss

Beautiful

Lasérie«WildSeasons»

SweetFilthyBoyDirtyRowdyThingDarkWildNightWickedSexyLiar

RomansYoungAdult

SublimeHantée

Autoboyography

Romansstand-alones

DatingYou/HatingYou

GalleryBooksDivisiondeSimon&Schuster,Inc.

1230AvenueoftheAmericasNewYork,NY10020

Cetouvrageestunefiction.Touteréférenceàdesévénementshistoriques,despersonnesréellesoudeslieuxréelscitésn’ad’autreexistencequefictive.Touslesautresnoms,personnages,lieuxet

événementssontleproduitdel’imaginationdel’auteurettouteressemblanceavecdespersonnes,desévénementsoudeslieuxexistantsouayantexisténepeutêtrequefortuite.

Titredel’éditionoriginale:DATINGYOU/HATINGYOUCopyright©2017parLaurenBillingsetChristinaHobbs

PremièreéditionpapierdeGalleryBookscommercialiséeenjuin2017GalleryBooksetcolophonsontdesmarquesdéposéesdeSimon&Schuster,Inc.

Couverture:Design©DavinaMock-Maniscalco/©Ridofranz/FeedoughGettyimages

Pourlaprésenteédition:DatingYou/HatingYouOuvragedirigéparIsabelleSolal

CollectionNewRomance®dirigéeparHuguesdeSaintVincent

©2017,ÉditionsHugoRomanDépartementdeHugo&Cie

34-36,rueLaPérouse75116-Paris

www.hugoetcie.fr

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

PourKristin,ettouteslesaventuresquinousattendent.

SOMMAIRE

Titre

Dumêmeauteur

Copyright

Dédicace

Chapitre1

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Chapitre13

Chapitre14

Chapitre15

Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

Chapitre21

Chapitre22

Chapitre23

Chapitre24

Chapitre25

Chapitre26

REMERCIEMENTS

Àproposdesauteurs

Chapitre1Evie

LeboulevardLaCienegaestunenferinterminabledebétonsinueux,

mais c’est un mal nécessaire dans cette ville. Serpentant du nord ausud de Los Angeles, il forme une énorme artère qui traverse la thirtymilezone,égalementconnuesouslenomdeTMZouencoredeStudioZone,oùsetrouvaientlestoutpremiersstudiosdecinéma.

Pendantsonâged’oretavantqued’autresvillesnecommencentàoffrirdes réductionsd’impôts etd’énormes incitationspour convaincreles réalisateurs de filmer chez elles , c’était là où étaient tournés laplupartdesfilms.Pendantdesdécennies,destransactionsdecentainesdemillionsdedollarss’yconclurentdansl’industrieducinéma,maisjen’ai jamais entendu personne dans le milieu lancer « TMZ » avecdésinvolturedansuneconversation.Contrairementàcequ’onpourraitimaginer. À l’image des touristes qui passent par San Francisco etappellent la ville Frisco, toute personne faisant référence de cettemanière légère à ce qui constitue le cœur actuel de l’activitéhollywoodienneapparaîtraitcommeunoutsiderquiauraitluendétailune page Wikipédia. C’est tellement archaïque, en réalité, que laplupartdemescollèguesnesaventmêmepasquec’estdelàquevientlenomdusitepeople.

La Cienega ressemble à la plupart des rues de Hollywood : desboutiques serrées lesunesà côtédesautres,des restaurantsoccupanttoutl’espacelibre,despalmiers,despanneauxd’affichagesedétachantsuruncielbleu-grisetdesvoiturespartout.Aunord,làoùlacollineenarrière-plan semble émerger de l’asphalte, on trouve les studios danslesquels sont nés la plupart des rêves hollywoodiens. Des maisonsestiméesàplusieursmillionsdedollarssecôtoientcommedesblocsdebriquesdeTetrissurlesflancsdescollines,leursfenêtresétincelantesetleursportailssurplombentlavilleencontrebas.

C’est un sacré panorama si vous pouvez vous le permettre, maiscomme la plupart des habitants de Los Angeles, mes pieds sontfermement posés sur le sol et la vue de chez moi se résume àl’appartementdel’autrecôtédelarue,oùvitunjongleurmarocainquiadoresepromenertorsenu.

Ilyapire,jesuppose.Mêmesi jedétesteLaCienegaet sesembouteillages interminables,

leboulevardestàpeuprèslaseulevoiedeLosAngelesquirespecteladistance à vol d’oiseau. N’importe quel habitant vous dirait que sedéplacer en ville est une question de timing : en partant à quatorzeheures,vousarriverezpresquepartoutenvingtminutes.Partezàdix-sept heures comme tout le monde, et il vous faudra une heure pourparcourirhuitkilomètres.

Dieumerci,jesuistoujoursladernièreàquitterlebureau.Je lève les yeux en entendant frapper àmaporte, pour découvrir

Daryl,danssagloiredecheveuxblondsetd’yeuxbleus,quisetientsurle seuil. Alors que je suis le produit naturel demesdeuxparents auxcheveuxbrunsetauxyeuxmarron,DarylHannahJordanestleportraitde son homonyme et elle a davantage l’air de sortir de l’eau sur leplateaudeSplash que d’avoir grandi à SanDimas, à troismaisons dechezmoi.

–Lajournéedetravailestterminéedepuisuneheure,lance-t-elle.

–Jefinisdelirecetarticleavantdepartir.(Jeplisseinstinctivementlesyeuxenluijetantuncoupd’œil.Darylportaitunejupeetdestalonsvertigineux il y a quelques heures et, maintenant, elle a enfilé uneblouse et ses cheveux blondis par le soleil sont noués en queue-de-cheval.)C’est ce soirquenousallons chezMikeetSteph.Dis-moiquec’esttondéguisement,jet’ensupplie.

Daryl commence à gigoter sur elle-même et semble prêtersoudainement une attention démesurée à une tache invisible surl’ourletdesachemise.Jesaisalorsqu’ellevameplanter.

Jehalète:–Non!–Jesuisdésolée!dit-elleens’affalantd’unairthéâtralsurlachaise

enfacedemoi.–Connasse.Tumelaissestomber?–Jen’enaiaucuneenvie,maisj’aioubliéquej’avaispromisàmon

oncle que je l’aiderais ce soir. Pourquoi neme l’as-tu pas rappelé cetaprès-midi?Tusaisqueçafaitpartiedetonrôledansnotreamitié!

Je glisse dans mon fauteuil. Pour se payer l’université, Daryl atravailléau centremédicalde sononcleet aprofitéde ses réductionsd’employée autant qu’elle a pu. Elle est sublime, une peauresplendissante, des seins parfaits et un thighgap 1 si impressionnantqu’onpourraitregarderlatéléàtravers,maiselleestaussilapremièreà admettre qu’elle doit une grande partie de tout cela aux effortspionniers de la science et à son oncle, le Dr Elias Jordan, chirurgienesthétique.Darylaura trenteans cetteannéeet, enplusde son jobàl’étage dans le département Écriture et Adaptation audiovisuelle, elletravaille pour lui de temps en temps pour payer ses petites retouchesrécentes.Commebeaucoupdegensdanscetteville,elleestdéterminéeànejamaisvieillir.

Heureusement pour elle, elle n’aura bientôt plus besoin de s’ensoucier,parcequejevaislatuer.

–Ehbien, cette journée a vraiment étéhorrible. (Je jetteun coupd’œilàmontéléphoneavantdelefourrerdansmonsac.)Rappelle-moipourquoijet’aime.

– Tu m’aimes parce que j’écoute tes histoires inintéressantes decinémapendantdesheuresetquemapassivité tepermetdesatisfairetonbesoindetoujourstoutcontrôler.

J’aimerais pouvoir lui donner tort, mais ses arguments sontirréfutables.J’aigrandiavecl’obsessiondesfilms,c’estdansmonsang.Mon père était électricien pour Warner Bros. et ma mère assuraitmaquillageetcoiffurepourtouslesstudiosalentour.Quandj’aieuhuitans,jelesaiconvaincusdemelaisseralleràvélojusqu’auvidéoclubduvoisinage–oui,jesuisvieille–afindeproposerauvieuxgérant,Larry,d’ytravaillerenéchangedelocationsgratuites.Ilafinalementacceptédemepayerquandjesuisrentréeenpremière.

J’ai voyagé dans lemonde entiermais L.A. a toujours été, et seratoujours,monchez-moi.Cen’estpasseulementparcequemafamilleyhabite,c’estparcequemoncœurrésidedansl’atmosphère,lechaosetles règles tacites de Hollywood. C’est la raison pour laquelle je suisdevenueagentd’artistes. Jen’ai jamais voulu êtredans les films,maisj’aitoujoursrêvédeparticiperauprocessusdecréation.

Et j’aivraimenttoujoursbesoindetoutcontrôler,elleatotalementraisonsurcepointaussi.

– OK.Mais la prochaine fois qu’un clientm’arrange un blind dateatroceque jenepeuxpasrefuser, tumetsunmasqueàmoneffigieettuyvasàmaplace.

– Promis. (Elle me dévisage avec un sourire forcé.) Sans vouloirmettre de l’huile sur le feu, ton costume est-il dans ta voiture oucomptes-tu y aller avec ces airs de banquière sophistiquée maismaussade?

J’ouvre labouchepour luidire exactementoùellepeut se fourrermon costume quand je remarque unmouvement derrière elle, par laporteouverte.

Jem’écrie:–Amélia!(Ellepasselatêteparl’embrasuredelaporte.)Quefais-

tu ce soir ? Je t’en prie, dis-moi que tu es libre,Mademoiselle AméliaBaker,lapersonnequej’aimeleplussurcetteterre.

– Je dois récupérer Jay qui revient d’une semaine en colonie et jecomptepasserlerestedelasoiréeenpyjamaàmangerdesraviolisenboîte.

Jelaissetomberlatêteentremesbras.JetravailledansledépartementLongs-Métrages, jereprésentedes

acteursetdesactricesdecinéma.Darylbosseà l’étage,Améliaetmoisommes voisines, elle est codirectriceRH. Parce qu’elle a commencé àdeveniradulteplustôtquelaplupartd’entrenous,Améliaestaussilafièremamanduplus intelligentetplusbeaugarçondedouzeansdumondeentier.

Jesuisdésespérée.–Tunepeuxpastrouverunebaby-sitter?Amélia entre dansmonbureau et s’installe sur le bras du fauteuil

deDaryl.Ses cheveux sont coupés très court sur soncrâne. J’aimeraisbeaucoup avoir le même style – ce qui n’arrivera jamais – avec cettecoiffure, on ne voit plus que son sourire éclatant, sa peau sombrelumineuseetsespommettesdessinées.

– Un vendredi soir ? (Elle se retient manifestement d’éclater derire.)Aucunechance.Pourquoi?

– Parce que Daryl est la pire amie du monde et que tu es lameilleure?

Elles’esclaffe,jedécidedelaissertomberengrognant.– Tu as des projets pour la soirée ? (Elle se moque de moi

ostensiblement.)Cen’estpascommesi jem’attendaisàceque tuaiesun rendez-vous ou quoi que ce soit, mais tu sais, on peut toujoursespérer.

JemeredresseetdésigneDaryldudoigtd’unairdramatique.–J’étaiscenséealleràunesoiréeaveccelle-ci.

–C’estvrai,répond-elled’unaircoupable.Maisj’aioubliéetpromisàoncleEliasquejeferaissescomptes.

Amélialadésigned’undoigtdemaman:–Tun’aspasintérêtàtefaireencoretrafiquerlevisage.Daryl lui fait signe que ce n’est pas la peine d’argumenter. Nous

évitonsengénéral lesremarquessurlesopérationsdeDaryl,c’estunegrandefilleet,siparfaitequenouslatrouvionsdéjà,ellesefaitopérerparce qu’elle en a envie. Ce ne sont pas nos affaires. Bon, je peuxquandmême avouer qu’elle a été… un peu trop assidue ces dernierstemps.

– Justeunpetit rafraîchissement. (Daryl faitungrandgesteavantdesetournerversmoi.)Enparlantdeça,jedoisyaller.

–J’imaginequemoiaussi.Çanesertàriendereculerpourmieuxsauter.

Jeglissequelquesdossiersdansmonsacenmesouvenantsoudaindecequej’étaisentraindelire:

– Au fait, vraiment très rapidement : avez-vous vu passer l’articlesur Brad dans Variety ? (Je baisse la voix en jetant un coup d’œilcirculairedanslesbureauxvides.)Attends,ilestencorelàoupas?

Améliasortsurlepasdemaportepourregarderdansladirectiondu bureau de Brad Kingman – vice-président de Price & Dickle,directeur de la section Longs-Métrages et connard extraordinaire – etrevientensecouantlatête.

–Ondiraitqu’iln’yaplusqueDudleyetnous.Jedésignemonécrand'ordinateuretmesdeuxamies sepenchent

pourlirederrièremoi.– Ça ne parlait pas exactement de lui. (Je désigne l’article en

question.)Maisilestécritqu’onl’avudîneravecGabeVestes.Gabe est une star de cinéma de première importance qui a signé

avecl’agencerivale,CTMedia.EtilestdenotoriétépubliquequeBradetGabenepeuventpas sevoirenpeinture,mêmesipersonnenesaitexactementpourquoi.

Darylseredresse,l’airindifférent.–Cen’estqueça?Jepensaisqu’ils’agissaitd’unehistoiresordideet

scandaleuse.Je grogne avant de me concentrer à nouveau sur l’article. Son

apparentecertitudequecetarticleestinsignifiantnemerassurepas.Jesuissurmesgardes.

– Ils se sont peut-être rabibochés d’unemanière ou d’une autre ?lanceAmélia.

Jerenifle,toujourspasconvaincue.–JenepensepasquecesoitlegenredeBradàmoinsqu’iln’yait

del’argentenjeu.–Ehbien, tuas tout le loisird’yréfléchir,NancyDrew 2, reprend

Amélia, mais Jay m’attend, donc je dois filer. (Elle se tourne pourpartir,mais s’arrête sur le seuilde laporte).Etavantque j’oublie, j’aivu passer une note aujourd’hui – tu vas sûrement la recevoir cettesemaine,Evie–,Bradreporteleséminaireannueldetondépartement,donctupeuxl’enleverdetonplanningpourl’instant.

–Illereporte?A-t-ilexpliquépourquoi?Tous mes sens sont en éveil maintenant. Brad organise notre

séminairedudépartementLongs-MétragesàBigBear, lemêmeweek-enddumoisdenovembre,commetouslesansdepuisuneéternité.

–Pasdutout,renchéritAmélia.Toutcequ’onsait,c’estqu’ilaétéreportésinedie,mais jesuiscertainequetuneteplaindraspasdenepas être obligée de passer un week-end entier dans la forêt avec cetype.

Quand vous avez mon âge et que vous vivez seule dans unappartement avec une entrée commune, des couloirs interminables etdes petites sonnettes sur les portes, vous oubliez le sentimentd’impuissanceangoissantquivoussubmerge lorsquevousarrivezdans

unevraiemaison.UnemaisonavecunporcheetuneporteCraftsman,ainsiqu’unheurtoirquienditlongsurlesgensquiyhabitent.

Undragonenfer.Unefleurenlaiton.Peut-êtreunegargouilleencuivre.Jefixel’angelotparfaitementternisurlaported’entréedeStephet

Mikeetmerenfrogneenmesentantsoudainbeaucoupmoinssatisfaitedemonexistencequ’ilyaquelquesheures.Ilsontquatreansdemoinsque moi et ils se sont déjà transformés en personnes à heurtoir.Personnesàported’entrée.Propriétaires.

Jen’arrivemêmepasàmeconvaincredem’abonneràNetflixpourunanet jenepossèdepasnonplus lavoiturequejeviensdegareràdeuxblocsdelaruebondée.Jesuisunmauvaisadulte.

Je jette un coup d’œil à ma robe noire, ma cravate bordeaux etjaune, la baguette que je tiens à lamain enmedemandant commentj’ai pu accepter ça. J’ai trente-trois ans et je vais à une fête costuméehabilléeenHermioneGranger.

Seigneur,Evie.Soismaudite,Daryl.Et il en faut du courage pour venir seule ici, habillée en élève de

Poudlard. Je peux vous le dire. Je ressens une bouffée de paniqueinstinctive, comme Bridget Jones lors du barbecue Catins et Pasteurs,en imaginantun instantque laporte s’ouvrira,que tout lemondemedévisagera bouche bée et que Steph murmurera, mortifiée et pleined’empathie :Tun’aspas reçu lemessagedisantque la soiréen’était pluscostumée?

Aumoins avec Daryl, cette éventualité aurait été amusante et onaurait pu se taquiner sur notre choix douteux pour la soirée duvendredi.Mais seule?Cen’estpaspareil. J’espèredoncque le thèmeVenez comme vous êtes est encore d’actualité parce qu’une fille qui abesoind’unRetourneurdeTempspourtoutfairedansunejournée,estl’alteregoparfaitd’unefemmecélibatairequitravailleàHollywood.

Jesoulèveleheurtoiraveceffort,enutilisantlesdeuxmains.Ilestétonnammentlourd.

Quandjelelaissetomber,ilneproduitpaslebruitdouxetprofondauquel jem’attendaismais,aucontraire, ilprovoqueunbruit stridentdemétalcontre lebois.Lesonrésonnesous leporcheet,pendantuninstant terrifiant, les ailes de l’angelot géant oscillent sur leurs gondscommes’ilallaits’effondrerparterre.

Je sursaute et remarque la sonnette parfaitement normale sur lemur à côté de la porte : petite, mais visible et apparemmentfonctionnelle.

Donc…cen’étaitpasunheurtoir.La porte s’ouvre en grand, je distingue des éclats de rire, et vu

commentlesgensmedévisagent,ilsembleraitquej’aiecauséunraffutinhabituel.Stephavance,unevaguedeparfumPradamechatouillelesnarines.Desamaingracieuseetmanucurée,elle immobilisecequiestclairement,aveclerecul,unedécorationdeporteenmétal.

–Evieestarrivée!(Ellem’enlace.)Tuesvenue!J’apprécie Steph. Nous avons travaillé ensemble à l’Agence

Alterman il y a quelques années, quand j’étais encore un jeune agentavidede faire sespreuves et elle,ma stagiaire.Elle est restéedans laboîte, a décroché un poste d’agent et jusqu’à ce jour, elle a privilèged’être la collègue – passée ou présente – que j’ai eu le moinsfréquemment envie d’étrangler. Elle est chaleureuse, bien éduquée…mais une fois que j’entre chez elle, je me rappelle qu’elle s’accrochedésespérément à une esthétique d’ado et tente d’adopter leur style,alorsqu’elleapprochedelatrentaine.Etpourpreuve:soncostume.Jesuisàpeuprèssûrequ’elles’estdéguiséeenMileyCyrusdanssonclipWreckingBall,avecsondébardeurblanctrèscourt,sonbasdemaillotblancetsesbottes.Etpourcouronnerletout:jerepèreunetabledansun coin, surmontée de cannettes de Red Bull et d’une sélection devodkas sophistiquées disposées avec soin, destinées aux imbuvablescocktailsdesteen-agers.

Elle me pousse à l’intérieur en s’exclamant, bien trop fort à mongoût:

–Cetrucestseulementdécoratif,espècedecruche!Tuasfoutulesjetons à tout le monde. Et, Seigneur, Hermione, tu es superbe. C’esttellement génial que tu sois venue toute seule. Ma petite Evie sicourageuse!

Courageuse?Lebruitquevousentendez?Quiressembleàdespneusquicrissent

sur le sol ? C’était ma confiance en moi qui, après un dérapageincontrôlé,sestabiliseavecdifficulté.

Je regarde autourdemoi – visages interrogatifs et sourires polis –enattendantqu’ellefasselesprésentations.

Une rousse à l’air sympathique, déguisée en Ariel, le bras passéautourdelatailled’unprinceÉrichispanique.

Une brune à l’air hautain, habillée en vampire, qui murmurequelquechosedansl’oreilledesonpetitcopainvampire.

Quelques couples dans la pièce, qui ont engagé la conversationmais se tournent soudain pour dévisager la personne qui vientd’introduire le concept de célibat dans une soirée clairement penséepourlescouples.

–Toutlemonde,jevousprésenteEvie-slash-Hermione!Evie, jeteprésente…toutlemonde!

JeleurfaissignedelamainenmarmonnantdiscrètementàSteph,dansmameilleureimitationdeBogart:

–Tunem’avaispasditquec’étaitunesoiréedecouples.– Ce n’est pas le cas, pas vraiment. Ça s’est juste fait comme ça !

s’exclame-t-elle enme tirant dans le salon. Je te promets que ce serasuper.

Pendantuneseconde,quandjeremarquedeuxfemmeshabilléesenBeyoncé et Nicki Minaj enlacées sur le canapé, je pense qu’elle doitavoir raison. Il s’agitd’ungroupeouvertd’esprit,et jesuisune femme

fortechoisissantd’assumersonindépendanceetd’alleràunefêteseule.Aucuneraisonquejenemesentepasàmaplaceici.

Ellemedirigeàtraverslegroupe,etnousnousarrêtonsdevantlatabledeRedBull-slash-vodka.

Voilàdonccommentçavasepasser.– Morgane est-elle ici ? je demande, pleine d’espoir à l’idée de

m’occuperdelapetitefilledeStephetdesonmariMiketoutelanuit,siçapeutm’aideràavoirl’airunpeumoinsmalàl’aise.

Ellemedévisageavecunepetitemouethéâtrale:–Chezlababy-sitter.Commentçava,letravail,encemoment?Jehausselesépaules,résignée.–Çava.Tyler–l’acteurdeBroadwayaveclequelj’aisignéenmars

–est loindesa femmeetdesesenfants jusqu’à finnovembre,donc jelui ai dit que j’irais prendre de leurs nouvelles. En gros, j’ai passé lajournée dans un Entraînement Sensoriel pour Enfants-hashtag-Séminaire-d’Intégration où les bambins jouent avec des pâtes cuitesdans d’énormes saladiers en plastique pour sept cents dollars del’heure.

Lesilencesefait,Stephsepencheversmoi:–Non?–Si.En en parlant, je me souviens de mon incrédulité quand je suis

arrivéedans la salle.Un groupede femmes à l’air sophistiqué, vêtuesdeblanc,et leursenfantsparfaitementhabillés,sans lamoindretacheàl’horizon,fixaientd’unairexcitélesénormessaladiersdepâtescuites.Puis l’activitéacommencé, j’aivula joiedeBeaautoriséeà joueravecdelanourriture,etmoncynismejugeantcetteextravaganceparentaleridicule s’est instantanément calmé, j’ai commencé alors à me dire,ouaisc’estassezgénial.

C’est exactement comme ça que cette ville vous corrompt. Septcentsdollarsde l’heurepourquedesenfantsmalaxentdespâtesavec

leurs petits poings. Ces enfants pourraient s’amuser tout autant avecdesmacaronisdansleurbaignoirepourundollarcinquante.

– Tu n’es pas sa baby-sitter, me rappelle Steph, polimentscandalisée.

–Jesaisbien.Maisj’adoreTyleretluiavoirobtenulepremierrôledansLongBoardaétéungrandmomentpournousdeux.(Unmomentdont j’avais vraiment besoin, Steph le sait.) Je suis heureuse dem’assurer que sa famille va bienmême si, évidemment, je ne suis pasunebaby-sitter.Ettoi?Toutvabien?

– Ouais. Ken se comporte de manière un peu plus bizarre qued’habitude,mais…

Ellemimequelqu’unquiboitunebouteilleculsec,etj’éclatederire.L’heure de l’apéritif avec Ken Alterman – mon ancien patron – étaittoujoursuneaventure.

Quelqu’unattiresonregarddel’autrecôtédusalonet,endépitdemonairsuppliant,Stephmedonneunetaperassurantesurl’épauleetdit:

–Attends-moiuneseconde,jereviens.Etelles’enva.Onpourrait penser que je serais habituée à ce genrede situations

maintenant–naviguerseule,dansunefêtepleinedecouples–,maisçan’estjamaisfacile.

Je sorsmon téléphone de la poche dema cape et j’écris un textorapideàDaryl.

Je grogne mentalement et jette un coup d’œil discret à l’heureavant de glisser mon téléphone dans ma poche. Rester trois quartsd’heure sera suffisant, n’est-ce pas ? Un laps de temps qui signifie :«Tonamitiéesttrèsimportantepourmoi,jesuisravied’êtrevenue!»et«Non,jenemeruepasdutoutdehorspourcontinueràvivremoncélibat en paix. » Je pense qu’on devrait en faire une règle : si vousn’êtespasmariéeàmonâgeet si vousavezétédemoiselled’honneurplusde sept fois,alorsvousdevriezavoirdroitàune issuede secourssans passer pour une garce mal élevée chaque fois que vous arrivezdansunévénementdecouples.

Madécisionprise,j’inspectelesbouteillesdevodkaetchoisislapluschèredansl’assemblagedescontenantsmulticolores.

–Est-celatabledesintrus?Comme je suis occupée à verser la vodka dans mon verre, je

répondssansmeretourner:–Latableavecl’alcool?Cedevraitêtrelecas.C’estlemoinsqu’ils

puissentfaire.

– Alors, je suis désolé, mais je dois te demander de partir, ditsévèrementl’homme,etlorsquejemeretourne,surprise,ilsepencheàmon oreille pour murmurer encore plus doucement : « On m’avaitassuré que je serais le seul célibataire engagé pourmettre l’ambiancedanscettesoirée.»

Il est plus proche de moi que je m’y serais attendue, mon rires’étrangledansmagorgequandjelevois.

Est-cequ’ilplaisante?Ilestcélibataire?Impossible,jenepeuxpasavoirautantdechance.Sescheveuxsontbruns,avecdesmèchespluslonguesqui lui tombent sur le front. Il sepenchevers lesbouteillesetramène ses cheveux en arrière. Ce n’est pas pour les lisser – aucontraire,ilstiennentquasimentenl’air–,c’estungesteinconscient.Jeremarque immédiatement à quel point il semble bien dans sa peau,tranquille, assez détendu pour que je devine qu’il ne songeait pas às’inventerunegastropourdécamper.

Il me sourit encore, je détaille ce qu’il porte et je dois fermer lesyeuxpourétoufferunéclatderire.

Jeluidemande:–Est-ceuneidéedeSteph?–Quoi?Ilsuitmonregard.C’estsubtil,maisvusescheveux,sesyeuxverts

et ses lunettes, je comprends où il veut en venir avec sa chemiseblanche et sa cravate lâche sous une veste de costume grise. HarryPotter. La cicatriceen formed’éclair sur son frontaide, elleauraitdûattirerimmédiatementmonattention.

Ilfroncelessourcils.–OhSeigneur.Ilregardemacape,macravate,mabaguette,mescheveuxquej’ai

crêpésdanslavoiture.– Tu te fous demoi ?Nous sommes les deux seuls célibataires de

cettesoiréeetnousavonsdesdéguisementsassortis?

Cettefois,jenepeuxpasmeretenirdem’esclaffer.J’éclatederire,en le surprenantautantque tous lesgensquim’ontentendue rire. Jesuispetite,maismonrireestpuissant.

Ilmedévisageavecunsourireamusé.–Waouh.–Salut.(Jeluitendslamain.)JesuisEvie.–Est-celediminutifd’Evil 3?(Ilfaitsemblantd’êtreeffrayéenme

serrantlamainavechésitation.)Es-tusûred’apparteniràGryffondor?Ton rire me laisse penser que tu as un laboratoire secret et que tuconstruisunchienrobotdel’Apocalypsequivadévorertouslesinvitésici.Serpentard,sansaucunehésitation.

– C’est le diminutif d’Evelyn. Ce rire est un don. Il maintient lespersonnestropsensiblesàdistance.

–Carter.(Ilsedésignedudoigt.)Jenesuispasdugenresensible,jelepromets.

Est-ilentrainde…flirter?Enconsidérantlesmauvaisesherbesquipoussentsur leterraindemaviesentimentale, ilestnormalque jenesoisplussûrederien.

Carteraunpetitcôtéringard,maisilestsexy.Seslunettesontl’aird’être des vraies, elles ont une monture épaisse et noire. Il est plusgrandquemoi,mais pasnonplus trop –unbonus – tout comme sesyeuxd’unvertétincelant,sescheveuxbrunsetépais…

Jeclignedesyeuxencessantde ledévisager,car je le fixeunpeutropostensiblement:

–Raviedefairetaconnaissance.–Demême.(Ilpointeencoresoncostumeetsourit.)C’estcequeje

pouvais faire de mieux avec mon manque de motivation et mondressing peu inspirant. (Il me contemple.) Mais tu es une Hermioneextraordinaire,toi.HarryetHermione.Parfait.J’achète.

Monventreseserre.–MonamieDaryldevaitveniravecmoi,déguiséeenRon,maiselle

aannuléàladernièreminute.Jeneluiparleraiplusjamais.

Carteréclated’ungrandriresurprisavantd’ouvrirunecannetteetdeboireunelonguegorgée.

Honnêtement, je dois me forcer à rester calme et à ne pas leregarderdehautenbas.Unéchec.

EnvivantàL.A.etsurtoutentravaillantàHollywood,jerencontredes gens beaux tous les jours. Je suismême sortie avec quelques-unsd’entre eux. Mais dans une ville pleine de visages avantageux, je mesuis progressivement immunisée contre leur manque d’originalité etleurs ressemblances. Carter estmignon à samanière : il a de grandsyeux et de longs cils noirs. Sa mâchoire est bien dessinée. Avec seslunettes épaisses, il semble inconscient de sa beauté. Il devrait allerchez le coiffeur. Quand il sourit, je vois que ses dents sont blanches,mais pas parfaitement alignées. Ça lui donne une apparencesympathique. Et ses imperfections sont surprenantes dans cet océand’Invisalign,Botoxetautresautobronzants.Ilsemble…réel.

Et avant que vous ne pensiez que je m’emballe, laissez-moi vousrappeler que je n’ai plus vingt ans et que lorsque vous rencontrez unhomme àmon âge, vous lemettez immédiatement dans l’une de cestroiscases,histoiredevoussimplifierlavie:comestible,noncomestibleou gay. Comestible signifie que vous portez un soutien-gorge quandvouslevoyez,quevousneparlezpasdevosorganesouencoremoinsdevosboutonsensaprésence.Noncomestibleetgay:aucunelimite.

– C’est déjà pas mal, je n’avais pas de « plus un ». Nos hôtesillustresm’ontfaitvenirsouslamenace.Commentlesconnais-tu?

–JetravaillaisavecStephchezAlterman.Quelque chose passe sur le visage de Carter – un souvenir, peut-

être?–maisavantque j’aie le tempsd’y songer,Stephentreavecunplateau.Carteretmoipoussonslesbouteillesetlescannettespourfairedelaplace.

–Pourquoiavez-vouschoisi cegenredeboissons? je luidemandeendésignantlatable.Tuattendsdesénergumènesdel’université?

–OhSeigneur,tuimagines?(Ellelaisseéchappercetteexclamationcommesiellevenaitdejouir;jeladévisage,leregardvide.)Lesautresalcoolssontlà-bas.

Ellelèvelementonendésignantuneautretabledanslesalon,queje n’avais pas remarquée, avec du vin, de la bière et les alcoolshabituels.

Mesépauless’affaissentavecunairfaussementdéfaitiste.–Maisc’estdansleterritoiremarié.– Nous n’avons pas les stickers pour accéder à cette partie de la

fête,ajouteCarter.Stephs’apprêteàleverlesyeuxaucielquandellesefige,labouche

ouverte.–Vousalleztellementbienensemble.Carteretmoiéchangeonsunregardcomplice.– Nous avions tout prévu. Nous nous sommes coordonnés pour

avoirl’airencoreplusangoissants.Elleluifrappelebras.– Sérieux ? Mikey et moi savions que vous vous plairiez tous les

deux. Nous bossons tous dans le management des talents. Enfin, lesamis.Onnepourraitpasrêvermieuxquevousdeuxensemble,n’est-cepas?

Justeavantdesedirigerverslacuisine,Stephplisselenezennousregardant, comme si nous étions deux figures de porcelaine trèsmignonnesqu’ellevenaitderapprochersuruneétagère.

QuandCartersetourneversmoi,nousnousdévisageons,muetsetstupéfaits.

–Cesconnardsnousontbieneus,murmure-t-il.–Ondirait.(JelanceunregardnoiràSteph.)Nesavent-ilspasque

cestrucsnefonctionnentjamais?–C’est comme ce film avec SethRogen et KatherineHeigl où leur

rendez-vous est désastreux… (Il se tait, la cannette en l’air.) Oh,attends…jecroisquejenemesouvienspasbien.

Jemesenssoudainbienpluslégère,jesaisdequelfilmilparle.–TuveuxdireEncloque,moded’emploi?(Ilacquiesce,jecontinue.)

Ce n’est pas vraiment un rendez-vous. Ils se rencontrent en boîtelorsqu’elle,KatherineHeigl,sortpourfêtersapromotion.EllerencontreSethRogendansunclubdeL.A.quis’appellePlanB,ilssebourrentlagueule et couchent ensemble sans se protéger. Elle se rend comptequ’elleestenceintehuitsemainesplustard,etpuisilsvontàcerendez-vousdésastreuxoùelleluiannoncelanouvelle.

Quand je finis par respirer, je réalise qu’il me fixe, les sourcilsrelevés.

–C’étaitunrésuméimpressionnantpourunfilmquiestsorti ilyadixans.

Jemedandineenlançant:–C’estmondeuxièmedon.Sesyeuxpétillent.– Je dois être honnête avec toi, Stéphanie aurait dû y réfléchir à

deux fois. Tu es incroyablement jolie et tu as clairement deux donsprécieux,maissionysongependanttroissecondes,iln’yariendepirequedesortiravecunagentconcurrent.

Seigneur, je suis d’accord. Sortir avec quelqu’un dema professionserait un désastre : les horaires sont impossibles, votre téléphonen’arrête jamaisde sonneret la tensionartérielle,et lavie sexuelle,enpâtissent.

Jesuisdoncheureused’êtresurlamêmelongueurd’ondequeluietqu’il s’exprime si ouvertement. Nous sommes dans lamême équipe, iln’yasoudainplusaucunepression:ÉquipeIls-sont-mignons-mais-ça-ne-pourrait-jamais-fonctionner-entre-eux.

–Et,ajoute-t-il, jeviensde réaliserque tues labien-aiméeEvelynAbbey.Jecomprendsmaintenant.

Jesuisprisedecourtpendantuneseconde,jenesaispluscommentréagir. Hollywood est une ville qui compte presque quarante millepersonnes,maislemondeestpetit.S’ilaentenduparlerdemoi,etde

monpalmarès,çapeutêtregénial…outerrible.Jesuismalàl’aise,carjenesaispascommenttrancherentrelesdeux.

–Donctuesagent,toiaussi?Commentsefait-ilquenousnenoussoyonsjamaisrencontrés?

–JebossedansledépartementÉcritureetAdaptationaudiovisuelle(Petitmonde.Jemedétendsunpeu.)MaisMikeChristopheretStephparlenttoutletempsdetoi.

–TuappellesMike«MichaelChristopher»?C’esttrèsmignon.ÇafaitunpeuWinniel’ourson.

–Nousétionsà l’écoleprimaireensemble,onnesedébarrassepasfacilement des vieilles habitudes. Il prétend qu’êtremarié et avoir unenfant de trois ans qui lui fait porter un diadème est cool. Mais, aufond,jesaisqueçalerendfoudesavoirquejesuistoujourscélibataireetqu’iln’yaaucunephotodemoisurInstagramoùjeporteleglossàpaillettesdemafille.

J’éclatederire.–Ehbien, si çapeut t’aiderà te sentirmieux, tuesmille foisplus

intéressantquelederniermecqueStephm’aprésenté.Carter a le pouvoir magique de ne lever qu’un seul sourcil. Cela

provoque une réaction chimique en moi, comme si une bombes’apprêtaitàexploser.

–Ellesévitsouvent?–Ladernièrefois,elleaessayédemecaseravecsoncousinjoufflu

devingt-deuxans,Wyatt.–C’estattentionnédesapart.ElledoitbeaucoupaimerWyatt.J’apprécielecompliment.–J’aitrente-troisans,donc…LeriredeCarterestdiscret,maistoutsonvisagesourit.–Wyattn’auraitpasétéàlahauteur,jecomprends.– Fraîchement diplômé d’UCLA, le pauvre n’était sorti avec

personnedepuisdesmois.(Jesouris.)Ou…depuistoujours.

Je ne sais que penser de l’attention exclusive et sincère que jeressenslorsqu’ilm’écoute.Jesuishabituéeàêtrecellequimefonddansledécor,parnécessité.Presquetoutemavie,socialeenparticulier,estcentréesurletravail.Jesorsdescoulisseslorsquej’aibesoind’agiterledrapeaurougeoud’allermebattrepourmesclientsmais, sinon,montravails’effectuedans l’ombre.C’estseulement ici,avecunhommequimecontemplecommesinousétionsseulsaumonde,quejeréalisequecelafaituneéternitéquepersonnenem’aregardéeainsi.

Unepensées’imposeàmoi:mêmes’ilagrandisurlacôteEstavecMike, si Carter bosse en Écriture et Adaptation audiovisuelle, il doitvivreici.Daryldoitleconnaître.

–Oùtravailles-tu?Cartersourit,commes’ilréalisaitqu’ils’apprêtaitàlâcheruneboule

puanteentrenous.–CTM.CT Media est notre concurrent le plus féroce. Deux pulsions

contradictoiresm’étreignent : l’enviede sauterde joieparcequ’il vit àL.A.etl’instinctdecompétition.

S’ilremarquemonsilence,ilnefaitaucuncommentaire.–Jemesuis installé ici ilyadeuxans.Jedisçacommequelqu’un

qui a grandi entouré de bouches de métro et d’un million d’autresmoyenspoursedéplacerparcequ’ici,Seigneur!JevisàBeverlyHills–jen’auraisjamaiscruprononcercesmots–etprendrelavoitureestunenfer.

–Vous, lesgensde l’Est,vousvousêtes laisséembobinerpar…(jemimedesguillemets)lemétroetunsystèmeefficacedetaxis.

Carterricane,hilare.– C’est vrai.Mon cœur se trouve à Long Island.Maismaintenant,

capsurHollywood.–Assure-toisimplementdenepastropenfaireavecHollywood.– Je ne suis pas sûr de savoir ce que « trop en faire avec

Hollywood » signifie. Est-ce lorsque tu regardes des chaussures à cinq

cents dollars chez Saks en pensant : « Je devrais probablement lesacheter»?Parcequel’onalesmêmesàManhattan.

–Pire.C’estquandtureconnais leschaussuresàcinqcentsdollarsauxpiedsdequelqu’unetquetusaisoùlapersonnelesaachetées.Etpuis,tulajugesunpeuparcequecesmocassinsnesontpluslapairelaplusrecherchéeethorsdeprixdelavilleetquetusaisqu’ilsétaientensoldelasemaineprécédente,cequisignifiequecettepersonnenelesapasachetéesauprixfort.

–Waouh.TuesvraimentEve-ilenpersonne.–Ohnon, ce n’est pasmongenre. (Je lève lesmains puismontre

mes chaussures plates jaunes, toutes simples.) Sachez que ceschaussures viennent de chez Old Navy, Monsieur. Achetées en solde.Maisj’aivécuicitoutemavie.Nepasselaisserhapperparlejeu,c’estuneluttequotidienne.

–«Lejeu»?–Agentsd’artistesàHollywood?Tu saisquec’estun jeu,n’est-ce

pas?–Certes,certes.Ilacquiesce,et jeréalisequ’aveccegestesubtil, ilestdéjàentrain

dejouer.Simoninstinctestbon,ilnedoitpasêtremauvais.Ilsemblaitfranc et ouvert jusqu’à ce que le sujet du travail surgisse et,maintenant,unfiltres’estmisenplace.

Intéressant.Jeboisunegorgéeenobservant lesalentours.Ensemble,Carteret

moi,cepetitîlotdanslesalon.C’estcommesionavaitditaurestedesinvitésdenouslaissertranquilles.

–Donc,tubosseschezP&D.–Oui.Je le regarde en tentant de le déchiffrer, comme je le fais avec

toutes les nouvelles têtes que je rencontre pour savoir commentinstaurerundialogueavecelles.Etcelui-ciestindéchiffrable.J’ajoute:

–SousladirectiondeBradKingman.

Carterneréagitpas.Etsijedevinebien,c’estparcequ’ilconnaissaitdéjàcetteinformation.

–Est-cevraiqu’il estaffreusement compliquéavec lanourritureetqu’il ne consomme que du sucre brut, non raffiné ? (Carter sourit enbuvantunegorgéedeRedBull.) Je fais,bien sûr, trèsattentionàmasantémoiaussi.

J’éclatederire.–Oui,c’estvrai.–Ilnepeutpasêtreaussiextrémistequ’onleraconte.–Unjour,j’aidéposéunmagazinededécorationsursonbureauen

pensantqu’ilpourraitdonner labarredecéréalespourchienscotchéeà la couverture à son dogue allemand chéri. Je suis passé le voir unpeu plus tard et c’est lui qui la mangeait. Comme s’il était tellementhabitué à consommer de la nourriture molle et insipide qu’il pouvaitmangerunebarrepourchienbiosansmêmeréaliserquecen’étaitpasfaitpourleshumains.

Cartersemblehorrifié.–Ettuleluiasdit?–Hum,non . (Je n’arrive pas à refrénermon fou rire.)Mais pour

ma défense, il venait juste deme faire remarquer que je semblais unpeuboudinéedansmanouvellerobe.Illeméritait,aprèstout.

Àl’instantoùcesmotsm’échappent,jelesregrette.Les agents sont du genre à cancaner, naturellement. En un sens,

partagerdes confidences fait partiedu job.Mais çan’a jamais étémamanièredefonctionner.Jerestediscrète.Jesuisfranche.Jebossedur.Etmêmesi jemesuissentiedansmonbondroitquandj’ai laissémonboss manger de la nourriture pour chien, on ne risque pas de mesurprendreà ressortirdesvieuxdossiers,deshistoiresdebeuveriesouleschroniquesdescoucheriesentrestagiairesetassociés.Àmoinsquejesois avec Daryl ou Amélia, dans ce cas, je perds toute retenue. Et engénéral, j’aime fréquenter des gens qui ont la même philosophie quemoi.Jetiensàmaréputation.

Cartersepenche.–Ilt’avaitfaituneremarquetrèsdésagréable.Etbordel,enmurmurantcesmots,ilréussitàsecomporteràlafois

commeunprofessionneletcommeuntyperassurant.Lesbonsagentssavent déchiffrer les gens, ils les mettent instinctivement à l’aise etparviennent à les faire parler, ou restent discrets en toutescirconstances.Lesexcellentsagentspeuventfairelestroisàlafois.

Nous tendons tous à conserver nos atouts dans notre jeu sansdévoiler ce que nous pensons vraiment. Nous restons sur nos gardes,derrière nos armures, et notre détecteur de baratin est activé sur lemodeleplussensible.

En l’observant de plus près, je réalise que Carter conserveclairementsesatoutspourlui.Ouais.Etilsembleaussiavoirplusd’untourdanssapoche.

1.Ils’agitdufameuxespacesituéentrelescuisses,«trou»devenuunconcepttrèspriséetpourlequel il existe même une musculation spécifique ! (NdT, ainsi que pour toutes les notessuivantes)

2.PersonnageéponymedufilmNancyDrew(AndrewFleming)sortien2007.NancyDrewestunejeunedétectiveamateur.

3.Evil:lediable,lemal,enanglais.Jeudemotsavecleprénomdupersonnage.

Chapitre2Carter

M ichael Christopher me trouve dans sa cuisine samedi matin, le

journalouvert sur la table, lacafetièrecrachotantcalmementderrièremoi.

–C’estunebonnechosequetun’aiespasessayéderentrercheztoienvoiture.

Sa voix grave est encore plus rauque qu’à l’ordinaire et, quand jelève les yeux, je souris en le voyant vêtu d’une robe de chambre envelours bleumaladroitement fermée, dévoilant un vieux T-shirt et uncaleçon rayé.Ses cheveux sontdressés,ondirait les flammesd’un feudecamp.

–Bonjour,M.Hefner.IljureenmarchantsurdesLegoquitraînentsurlecarrelagedela

cuisine.–Surveilletonlangage!J’aientenduStéphanieleluirappeleraumoinsdouzefois.Michaelgrogneensepenchantpourinspecterlesdommages.–Tun’aspasconnu ladouleur tantque tune t’espasplantéune

decesmerdessouslaplantedupied.Rassurédevoirqu’ilnesaignepas,ilclopinejusqu’auplacard,sort

unmugblancsur lesquelles lesempreintesdesmainsdeMorgansont

impriméesetsesertuncafé.–Pourquoiteréveilles-tutoujourssitôt?–Jenesaispas.MonhorlogeinternerefusequejequitteNewYork.–Tonhorlogeinterneestidiote.–Jesais.(Jeris.)Bellerobedechambre,d’ailleurs.Il verse de la crème dans son mug et range la brique dans le

réfrigérateur.Leréfrigérateurde l’appartementquenouspartagionsàla fac était recouvert de coupons de pizzas et de numéros detéléphone ; celui-ci est décoré d’un énorme dessin de Toccata etd’invitationsàdesgoûterspoursafille.

Michael seglisse sur le siègeen facedemoietboitunegorgéedecafé.

–C’étaitlecadeaudeStephpourlafêtedesPères.–Ehbien,félicitations.Tuesofficiellementdevenutonpère.Michaelsepenchesurlatablepourinhalerlavapeurqu’exhaleson

café.–Jenesuispasencoreassezenformepourtesrepartiescinglantes,

Carter. J’ai un mal de tête épouvantable et j’essaie encore dedéterminer pourquoi je portais les sous-vêtements de Steph quand jemesuisréveillé.

–Nan.Non.Non.Je secoue la tête en espérant déloger cette image mentale avant

qu’ellenesoitgravéepourtoujoursdansmonesprit.Jemelèveetrécupèrel’Ibuprofènequejesaisêtredansleplacard

à côtéde l’évier, l’armoire àpharmacie comme ils l’appellent. Elle estpleined’ordonnances,depansementsetdetouslesmédicamentsdontvouspourriezavoirbesoin.Ilyamêmeunebouteilledeteintured’iode,bonsang.

Les adultes possèdent de la teinture d’iode, ma mère a de lateintured’iode.J’aivingt-huitanset jeneseraismêmepascapabledevousdireaveccertitudeàquoisertlateintured’iode.

C’estdanscegenredemomentquejeperçoisàquelpointnosviessont différentes. Michael et Steph possèdent une maison avec troischambres dans une rue résidentielle paisible. Ils ont une boîte auxlettressur laquelle lenomLesEvans estpeintvisiblementà lamainetuntableaudecroissanceaccrochéàl’intérieurd’uneportedeplacard.Ilsontunenfant.Jevisdansunminusculedeuxpiècesetjepossèdeuncactusquifaitmafierté,carj’airéussiàlemaintenirenviependantsixmois.

Quandm’a-t-ildépassésurl’Échelledel’AccomplissementdelaVied’Adulte?

Peut-êtrequand il s’estmariéouquand ilabravé lesdifficultésdela jungle immobilièreoualorsquand il estdevenupère.Quoiqu’il ensoit, jenepeuxpasluiposerlaquestionparceque,aussiresponsablesque Steph et lui soient devenus, ils considèrent encore qu’ils viennentdesortirdel’adolescence.Ettoutementionducontrairelesconduirait,pour insister, à boire directement dans un tonneau de bière ou àtrouver la rave party la plus proche. Et moi, ironiquement, je suisclairementtropvieuxpourça.

JereviensavectroisAdviletunverred’eau.Il marmonne des remerciements et prend les cachets en vidant le

verred’unetraite.–J’ailagueuledebois.–Etçatesurprend?(Jemerassieds.)TuasbudesvodkaRedBull

et tuas testé trois typesdemarijuanapendant la fête. Jen’avaisplusvuautantd’alcooletd’herbedanslamêmesoiréedepuislemaster.

Illèvelesyeux,l’airoffensé.–C’étaitunesuper-soirée.–Oui,maisc’étaitsurtoutunesoiréecostuméefinseptembre.–MorganabeaucoupdechosesprévuespourHalloween.Ilyales

invitations à des goûters de toutes sortes, les parades costumées et lecarnavald’automne.Cetenfantestplusoccupéquemoi.Stephetmoiavonsdûorganisernotrefêteenamont.

Jeme tais en espérant qu’il entende ce qu’il vient de dire,mais ilsembletropoccupéàtomberamoureuxdesoncafé.

Finalement,jecraque:–LedéguisementdeMileyCyrusdetafemmeétaitmémorable.LesyeuxdeMichaelChristophersemettentàpétiller.–Situledis.Entoutcas,Eviemontraitaussipeudepeauquetoi.

Vousétieztellementmignons,enélèvesdePoudlard.Etc’estreparti.Jeboisuneautregorgéedecafé.Dansmavisionpériphérique,jelevoishausserlesépaules.–Stephpensaitquevouspourriezbienvousentendre.– Je t’enlève au moins cinq points de coolitude pour laisser ta

femmetenterdemecaseravecquelqu’un.–Çanesemblaitpastedérangeroutremesurehiersoir.Jeposematasseetfaisdemonmieuxpourignorerlefaitquemon

cœur s’accélère. C’est vrai, il y a eu plus d’alchimie entre Evie etmoidurant les troisheuresquenousavonspassées ensemblequ’avec tousmesderniersrencardsréunis,l’annéedernière.

– Ce n’est pas grave. Elle est sexy, elle est drôle et ce rire ?Merveilleux.

Ilsefige,etjesensqu’ils’approcheunpeudemoi.–Jesuissurlepointdetedirequejesuisraviquetufricotesavec

unepersonnequenousconnaissonsenimaginantnosfuturessortiesdecouples. J’ai besoin d’un couple sympa avec qui passer du temps,Carter. Tout le monde ici a envie de parler, de raconter combien legluten-freeachangéleurvieouquellesommeilsontinvestiedansleurfondsdepensionpourlaretraite.

– Ne nous emballons pas. Je la trouve sympa, mais… voyons.(J’appuiemescoudessur latable.)TuvisavecStephet tuvoisàquelpoint son travail est épuisant. Imagine Steph sortant avec Steph.Impossible.Ceseraituncauchemar,etonfiniraitparsedétester.

–Pourquoilalogiquedoit-elletoujoursanéantirmesrêves?

Iljetteuncoupd’œilderrièreluiavantd’ajouterdoucement:– Ne répète jamais à ma femme que j’ai suggéré ça, mais tu ne

pourrais pas juste la draguer un peu ? T’amuser et voir ce que çadonne?

– Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Mais nous avonséchangénosnuméros. (Jeposema tassedans l’évier.)C’étaitmarrantdediscuter avec elle, et son contact deviendrapeut-être intéressant àuncertainpointsijebosseenLongs-Métrages.

–Jesuistoujours intéressé,mêmesi l’undevoussefaitvirer,dit-ilavecunsourire.

– Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire par là, maisj’apprécietonoptimisme.

Nous levons les yeux au même moment en entendant un bruitsourd de basses et une voiture roulant trop vite dans la rue calme etendormie.

Michaelselèvepourregarderparlafenêtre.– Tu nem’avais pas dit que Jonah avait acheté une Range Rover

noire?–Jonah,monfrèreJonah?Jem’approchedelafenêtre.Et,biensûr,nousapercevonsuneRangeRoverd’unnoirétincelant

dévaler la rue en ralentissant juste assez pour réaliser un virage àgauche impressionnant et s’engager dans l’allée étroite menant à lamaisondeMichaelChristopher.Lemoteurestabruptementcoupéetlesilencesoudainmefaitsifflerlesoreilles.

Je crains déjà cette confrontation. Je n’ai pas vu ou parlé à monjeunefrèredepuisplusd’unan.Jen’aiaucuneidéedecequ’il fait ici.Nous regardons la portière côté conducteur s’ouvrir et une paire dejambesvêtuesdejeanenémerger.

–Ehbien,ilal’air…différent,ditMichael,lessourcilsrelevés.– Tu ne l’as pas vu depuis ses dix-huit ans, bien sûr qu’il a l’air

différent.

Jem’éloigneducomptoirpourallerouvrirlaported’entrée.Enréalité,laplupartdesgensavecquinousavonsgrandin’ontpas

vuJonahdepuisqu’ilaquittélamaisonjusteaprèssonbac.C’étaitungaminquise la jouaitartiste,avecsonappareilphototoujoursautourdu cou, prenant des clichés de lignes à haute tension, de murs debriquesetdesphotosdéprimantesde sincéritédegensqui semblaientincapables de sourire. C’est l’une de ces photos qui lui a permisd’obteniruneboursedansuneacadémied’artenterminale.Maisalorsquetout lemondeplanifiaitsonentréeà l’université,JonahaprissonappareilphotoetsonsacàdosetadéménagéàL.A.Justecommeça.Une fois là-bas, il a offert de la drogue à la bonnepersonnependantunesoiréeetaétéengagésur-le-champ.Ilaprisunephotoennoiretblancd’unelégendedurock’n’roll.Leguitaristeestmorttragiquementseulementquelquesjoursplustardet,dujouraulendemain,Jonahestpassé d’artiste crève-la-faim à photographe de couvertures pour lacélèbre revue Rolling Stone . Le « it boy » s’est retrouvé avec despropositionsde jobs,des femmesetde l’argent àneplus savoir qu’enfaire.

Mamèreneselassejamaisdeparlerdelui.C’est étrange d’être le grand frère et d’avoir constamment

l’impressiond’êtreàlatraîne.– Je parle des tatouages et des piercings, expliciteMichael enme

suivantdanslecouloir.Ilressembleautypecoold’unboysband.J’ouvre laporteengrandà l’instantoùJonahgravit lespremières

marches.– As-tu une idée de l’heure qu’il est ? je siffle en sortant sur le

porche et en grimaçant intérieurement parce que c’est exactement legenredephrasequenotremèredirait.

Enosantprendreunair surpris, Jonahécraseune cigarette sur leperrondeMichaelduboutdesabottepointue.

–Euh?J’expliqueposément:

– Steph et le bébé dorment. Comme un samedi matin dans unquartierpaisible.(Jejetteuncoupd’œilàsonjean,àsonT-shirt,à laveste en cuir noir et à sa barbemal rasée.) La plupart des gens sontencore au lit et tu arrives avec lamusique à fond, comme s’il y avaitvingtpersonnesentraindedanserdanstavoiture.

– OK, Papa. (Il me passe devant pour entrer dans la maison, endévisageant Michael Christopher avant d’éclater de rire sans aucunebienveillance.)Alors,c’estàçaqueçaressembled’êtremariéetd’avoirunenfant?Chaud…

Michael ouvre la bouche pour répondre sans trouver d’insulteappropriée. Il se contente de lancer un regard étonné à Jonah.Malheureusement, Jonahne le remarque pas, parce qu’il avance déjàjusqu’àlacuisine.

–Chouettebaraque.Jesuismonfrèreetleregardeseverserunetassedecafé.–Jet’enprie,Jones.Il se tourne, s’appuie sur le comptoir en portant la tasse à ses

lèvres.–Mamanm’aenvoyéenvirondeuxcentsmessagesmedemandant

si je savais où tu étais. (Il avale bruyamment sa gorgée de café.)J’imaginequ’ellenesaitpasquenousnenoussommespasencorevusdepuisquetuasemménagéici.

– Tu es rentré à lamaisonune fois en quatre ans, alors épargne-moilesremontrancesfamiliales.

–Ouais,jesuissurbooké,maisjedégagedutempspourmafamille.Heureusement,mamanm’aenvoyécetteadresseparceque,sinon,jenevois pas comment j’aurais appris que tu es SDF et que tu squattes lecanapédetoncolocdelafac.

– En réalité, nous avons une chambre d’amis, précise MichaelChristophersansbeaucoupd’effet.

–JenesuispasSDF,imbécile.J’aijustedormiicicettenuit.

Michaelnoustapotetouslesdeuxsurl’épauleenlaissantéchapperunriregêné.

–Et sinouspassionsàautre chose?Comment sepasse le travail,Jones?J’ailuunarticlequiparlaitdetoidansPeoplel’annéedernière.People,putain!Génial,mec.

Mon frère tire une chaise, la retourne et s’assied à califourchondessus.Commeunconnard.

–C’étaitcool.MaintenantVogue…ça,c’étaitdulourd.Jel’examinequelquessecondes.– Jones, on dirait que tu n’as pas pris de douche depuis une

semaine.Ilmesourit.–Uneputaindenuitdefolie.Michael Christopher tourne sa propre chaise et s’assied en imitant

Jonah.–Pournousaussi,c’étaitunenuitdefolie,n’est-cepas,Carter?–C’était…assezfou.Ils avaient peut-être de la Red Bull et de l’herbe, mais il y avait

aussiunbaràsangria,unbouquetdetamponsdanslasalledebainsetunechambredédiéeauxmèresquiallaitent.

– Ouais, on s’est déchaînés , continue Michael sans se laisserdécourager.Ona fini auxaurores.Enfin… jeveuxdire,unpeuaprèsvingt-troisheuresparcequeMorganestdemauvaisehumeursiellenedortpasassezetquebeaucoupd’invitésavaientdesbaby-sittersetontdûrentrer.Maisavantça?In-cro-ya-ble.

Jonahhoche la têtecommes’ilvoyaitcequ’ilvoulaitdire,etnesemoquepasdeMichael,cequiesttoutàsonhonneur.

–Carteramêmeeudesatomescrochusavecquelqu’un.Jegrogneenentendantcesmots.–Unefille?Jonahsourit.Jeluijetteunregardnoir.–Unefemme,ouais.

Jonahritdanssoncafé.–Pardon.Jevoulaisdireunefem-meuh.JelanceàMichaelunregardquiseveutterrifiant.–Comments’appelle-t-elle,MC?demandeJonah.Jelaconnais?Jem’interpose:–Non!Je ne suis pas sûr d’avoir raison,mais j’espère de toutmon cœur

quec’estlecas.– Evie, répond MC avec enthousiasme. Elle est sexy, intelligente,

super-bienroulée.ElletravaillaitavecStephchezAlter…Jelecoupe:–Michael.Laferme!Jonahapplaudit,jesursaute.–Mec,mamanvaadorercettenouvelle.– Ne parle pas à maman de ma vie sentimentale et je ne

mentionneraipasnonplus la rotationde filles àpeinemajeuresdanstonlit.

Ilbaisselavoixpourinsister.–Tu as raison. Je ne voudrais pas lui donner tropd’espoir. Tu te

rappellesàquelpointelleamalvécutaruptureavecGwen.J’ai l’impression d’entendre Michael Christopher grincer des dents

del’autrecôtédelacuisine.–OhSeigneur!Jeprendsmonvisageentremesmains.GwenTalbot est la première fille dont je suis tombé amoureux, et

ma mère l’adorait. Alors que la plupart des mères tenteraient deconvaincre leur enfant de vingt-quatre ans qu’il est trop jeune pouravoir une relation sérieuse, et à plus forte raison pour s’engager, jepouvais presque entendre ma mère chercher un prénom pour sespetits-enfants chaque fois que j’invitais Gwen chezmoi.Mais Gwen etmoin’avons jamaisété sur lamême longueurd’onde.Ellevoulaitunevie tranquille à Long Island avec une maison et des enfants. Je

travaillais pour un agent et vivais dans un appartement immonde deManhattanpourêtreenmesuredeme rendreà tous les spectaclesetrencontrer toutes lespersonnes influentesdans le théâtre.J’étaispayéune misère et je travaillais d’arrache-pied. Nous avons rompu nosfiançailles au bout d’un an. Je ne pense pas que ma mère s’en soitremise.

Jonahadoreappuyerlàoùçafaitmal,ilcontinueàboiresoncafé,apparemment ravi. Je dois me forcer à évoquer les raisons pourlesquellesluimettremonpoingsurlagueuleseraitunemauvaiseidée.JonahavecsaRangeRover,sonargentetsestatouagesdragon.Jonahestunenfoiré.

–Gwenétaitunepute,finitpardireMCenbrisantlesilence.Et jene le dis pas dans le sens mœurs légères parce que j’approuvetotalementçaetque les fillesdevraientavoir ledroitdecoucheravecqui elles veulent sans être jugées. Mais la manière dont elle s’estcomportéequandvousavezrompu…Quelleconnasse!

Je hoche la tête pour remercier Michael parce que, ouais, Gwenétaituneconnasse,avantdemetournerversmonfrère:

– Contente-toi de ne pas ouvrir ta grande bouche. Sérieusement,quefais-tuici?

– Maman m’a appelé plusieurs fois en me disant que tu nerépondais pas au téléphone. Alors, ellem’a demandé d’aller voirMCparce que si tu étais mort dans un fossé quelque part, il sauraitprobablementoù.

–Je…attends,quoi?demandeMC,l’airinsulté.Jonahterminesoncaféetselèvesansrangersachaisenimettresa

tassedansl’évier.–Etpuisquetuesbienvivant,jepeuxyaller.Àplus,grandfrère.Etsurcesmots,ildisparaît.

Le lundi matin, comme si elle avait campé dans le couloir enplanifiantuneembuscade,monassistantemerepèreàlaminuteoùjesorsdel’ascenseur.

–Tuesarrivé!hurle-t-elle.–Becca,qu’est-cequetufais?Ilestàpeinehuitheures.Sans se laisser décourager, elle commence àmarcher en direction

de mon bureau, un carnet à la main, et à moins que je décide deretournerdansl’ascenseur–cequineseraitpaslapireidéedumonde–,jen’aiguèred’autrechoixquedelasuivre.

– Je voulais m’assurer d’être la première à te croiser. L’un desclientsdeBlaket’ademandé.

–Qui?–LeBeauavecBiceps.Becca appelle rarement les gens par leurs prénoms. Dans le

département Écriture et Adaptation audiovisuelle, nous représentonsunassortimentd’écrivains etde créateurs,mais trèspeud’acteurs. Laplupart d’entre eux atterrissent en Longs-Métrages. Emil Shepard estl’undenos clients et, pourtant, ilme fautunmomentpour savoirdequi elle parle. Si Emil veut passerde la listedes clientsdeBlake à lamienne,ceseraitletroisièmeclientquejedégoteendeuxmois,etmonpremieracteurimportant.

Euphémisme:Blakenevapasêtreravi.–Emilmedemandait?–Ilm’aappeléetroisfoispendantleweek-end,dit-elleenmetirant

parlebraspourquejemeremetteenmouvement.–Blakeest-ilaucourant?Becca déchire un morceau de papier recouvert d’une écriture

presqueindéchiffrableetmeletend:–Iln’yapaseuderemue-ménage,doncjesupposequenon.Mais

tu dois appeler Emil ce matin si ça t’intéresse, avant que quelqu’und’autreaitventdel’affaire.Tusaisquelcauchemarçapeutdevenir,et

siEmilveutchangerd’agent,ilchanged’agent.Tun’espasentraindebraconner.

Elle est gentille d’essayer de me rassurer, mais la situation restecompliquée. J’aimerais passer en Longs-Métrages, mais piquer lesclientsdemescollèguesn’estpas la stratégie idéalepouryarriver. Jenesaismêmepascequeçapourraitsignifier.

Beccam’énoncemonprogramme : réunions à neuf heures et neufheures et demie, une autre à dix via Skype, une réunion de staffimmédiatement après et un déjeuner avec un nouveau scénaristepotentiel.Sij’avaisuntype,ceseraitBecca.Rousseauxyeuxbleus,elleest intelligente,sarcastique,enplusd’avoiruncorpsplantureux.Nousnoussommesrencontrésparhasarddansuncoffee-shople lendemaindemonarrivéeàL.A.,etjel’aiimmédiatementappréciée.Enréalité,jel’aitellementappréciéequej’étaissurlepointdeluiproposerdesortiravec moi quand elle s’est exclamée qu’elle allait être en retard à unentretiend’embauche.Et il s’estavéréque j’étais sonpatronpotentiel.Jeluiseraiéternellementreconnaissantd’avoir jetéuncoupd’œilàsamontreavantquejeluiproposededîneravecmoi.

Mais, malgré nos débuts peu conventionnels, nous nous sommestoujoursbienentendusetnoussommesrestésprofessionnels.Beccaesttrès bonnedans cequ’elle fait, elledoit en savoir plus que laplupartdes dirigeants de la boîte. Ce qui signifie aussi qu’elle ferait un agentfantastiquemêmesiellejurequecen’estpassavocation.

Nousarrivonsàmonbureauaumomentoùelletermined’égrainersatrèslongueliste.

– Carter ? demande-t-elle en remarquant que je regarde dans levague.Tum’écoutes?

Jeclignedesyeux,parcourslafeuilleduregardenm’appliquantàne pas voir la pile de courrier et les nombreux Post-it collés surmonordinateurquicrienttous:Appelle-moiquandtuseraslà!

–Oui.Mais ilestpossibleque jen’aiepasencoreabsorbéassezdecaféine et que les quatre cylindres ne se soient pas tout à faitmis en

marche.Donne-moiuneheureetrepassemevoir.– Je ne sais pas ce que tu as fait pour me mériter, dit-elle en

contournantmonbureau et endéposant unmug en carton fumant àcôtédemonclavier.

– Tu es une déesse. (La simple odeur déclenche un réflexepavlovien, je me sens déjà plus alerte.) Je n’avais pas le temps dem’arrêter pour m’acheter un autre café. Je t’offre à déjeuneraujourd’hui.

Elledésignelalignedouzeheuressurlafeuille.– Non, tu offres à déjeuner à Alan Porter. Un nouveau client

potentiel.Tutesouviens?Jem’affaisseunpeu.–C’estvrai.Ellem’attrapeparlesépaulesetmeconduitjusqu’àmonbureau.–Aujourd’hui,tajournéeestbienremplie,autants’ymettretoutde

suite. (Je tombe surmon fauteuil et la regardeouvrir les stores.)Bonlundi.

Chapitre3Evie

–Evie,jepeuxtevoiruneminute?

Je lève les yeux et distingue la silhouette de Brad qui disparaît déjàdans l’embrasurede laporte. Je répondsdepuismonbureauvide, enmelevantdemonfauteuil:

–Biensûr!Les sonneries des téléphones et le cliquètement des claviers

m’accueillent lorsque j’avance dans le couloir recouvert de moquettegrise. Le couloir est long, étroit, il ouvre de part et d’autre sur desbureaux individuelsdepetitetaille,àchaqueextrémitésetrouvent lesbureaux plus spacieux des dirigeants. Les assistants ne sont pasinstallésdevantlesbureauxdesagents,oùilseraittellementplusfaciledelestrouversilebesoinsefaisaitsentir.Non,ilssontréunis,aveclesstagiaires,dansuneailecomposéedegrandestablescréantunlieudetravail partagé. De cette manière, si l’on en croit Brad, ils ontl’impressiondeproduireuneffortd’équipeplutôtquedetravaillerseulsdansleurcoin.C’estcequeBradpensedecetarrangement,dumoins.Pourtouslesgensquitravaillentpourdebon,c’estinsupportable.

Ma relation avec Brad Kingman a toujours été délicate. Pourcommencer, Brad était agent dans le cabinet où j’ai obtenu monpremierposte,àlafindel’université,ilyapresquedixans.Àl’époque,

ilneconnaissaitpasmonexistence.Cen’étaitpasuntypetrèssympaetilavaitlaréputationdenereculerdevantaucunepratiquelouche,parexemple le braconnage de clients. Ce qui n’est pas nécessairementillégal mais clairement pas encouragé dans le milieu. Il repérait lesacteursqui venaientd’essuyerunéchecet leur suggéraitdiscrètementque c’était leur agent qui était en partie responsable de ce revers,insistantsurcequeluiauraitpufairepourmieuxlesprotéger.Ilciblaitle client qu’il voulait représenter, passait sur son tournage enexpliquantqu’ilvenaitvoirunautreclientetfeignaitlasurpriselorsquel’acteurs’étonnaitquesonagentnesoitjamaisvenulevoirpendantuntournage. Brad maîtrise l’art de planter des graines qui, à la fin, sechargentde faire le saleboulotpour lui. Il l’a faitplusieurs fois sur letournagedu film1943, l’ultime révolte et, étrangement, est parvenuàsigner avec l’acteur principal – très étrangement – juste deux moisaprèsleclapfinal.Àpeineunmoisplustard,onlenommaitàlatêtedudépartementLongs-MétrageschezP&D.

Cen’estpascommeçaquejetravailleetjenel’avoueraijamaisenpublic,mais j’aiapprisquelques trucsàsoncontact, leplus importantétant :n’oubliez jamaisqu’aumomentoùvous sortezdechezvousetmettezunpiedàHollywood,neserait-cequ’uneseconde,lesgensvousregardent.

Bradn’aréaliséquenousavionstravailléensemblequedesannéesplus tard, quand j’ai été engagée chez P&D. Et je suis sûre que c’estparce qu’il pense que je connais ses manières de procéder qu’il megardesiprochedelui.Pascommeuneconfidenteouuneamie,plutôtsoussonjoug.

–Allez-y,medit sonassistanteKylie. (Elle jetteuncoupd’œilauxlistesdeslignesoccupéesetlibres.)Ondiraitqu’ilvientderaccrocher,ildevraitêtreprêtàvousrecevoir.

Kylieestunefilleintelligente,raisonnablementdouéepoursonjob,etelledoitsupporterBradtoutelajournée,touslesjours.Satoléranceàlaconneriedoitêtreincommensurable.

BradKingmanressembleunpeuaubébémiracleissudel’uniondeHugh Jackman et de Christopher Walken. Belle peau, yeux bleusaustèresetstructureosseusesévère.Assisàsonbureau,entourédesesprix et de photos de célébrités, face à une vue imprenable sur lescollinesd’Hollywood,ilestl’imagedusuccès.

Ilattrapeuntrombone,etsachemisefaitesur-mesures’étiresurletypedetorseetdebrasquevousnepouvezpasavoirsanspassertoutvotre temps à la salle de sport. Un smoothie vert est posé sur sonbureau et, même si je n’ai aucune envie d’être ici, je sourisintérieurement. Cette bouillie au kale est sa version de la junk food.Normalqu’iln’aitpasremarquéquelabarredecéréalesétaitdestinéeauxchiens.

–Assieds-toi,dit-il.Je m’exécute et attends qu’il commence à parler. Il griffonne

quelquechosesurungrandcahiernoiravantdefermerledossieravecuneépaissebandedecuir.Commes’iln’avaitpaspu le faireavantdemedemanderdepasserlevoir.

–Écoute,petite, je t’aidemandédevenirparceque j’aibesoinquetupasseslaballeàunmembredel’équipe.

Jemerappelledecompter jusqu’à troisavantde répondre.Passerla balle, c’est l’un des bradismes quim’insupportent le plus. C’est sonslogan stupide pour demander une faveur.Mais comme il en appelletoujoursàl’espritd’équipe,onnepeutpasdirenonsanspasserpourleoulaméchante.

–Quoidonc?Jeconserveuneexpressionneutre.–J’aimeraisquetuaidesJohnàreconstruiresaliste.Je cligne des yeux, perplexe. John Fineman est un collègue très

bienétabliquitravailleenLongs-Métrages.–Brad,iltravailleicidepuispluslongtempsquemoi.– Je suis au courant. (Il se penche en arrière sur sa chaise.)Mais

noussavonstousqu’ilasubideuxcoupsdurscetteannée.Maintenant,

il est en plein divorce et sa concentration s’en ressent. Fais-lui unepasse de temps en temps. Quelque chose dont tu as vent, quelqu’unquetusensbien.Donne-luidequois’occuper.Travaild’équipe.

Donne-luidequois’occuper?Ilyaquelquesannées,Johnaremportélapartdulion(unecommissionàsixchiffres)quej’avaisméritéetouteseule,simplementparcequel’appelaététransférésursaligneunjouroùjem’étaisabsentéepourassisteràuneréunion.JohnaappeléKyliepourluifairesavoirquenousavionssignéavecleclientsurleprojetetelle a commencé les papiers en supposant, par erreur, que c’était sonclient.

Ilnel’apasdétrompée.Quandj’aifaitdespiedsetdesmainspourgravirleséchelons,Brad

atrouvéuncompromisenmedonnantunpeuplusd’argentenbonuset une leçon sur l’esprit d’équipe. Eh oui, John a perdu deux clientscette année.Mais il les a perdus parce que c’est un connard sournoisqui a été surpris en train de cancaner méchamment à propos d’unclientdevantunautreclient,pasparcequesaconcentrations’enressent.Quand j’ai eu besoin de prendre quelques jours pour aider ma mèrependant l’opérationdugenoudemonpère,Bradasuggéréque je luitransfèrelesdossiersdeplusieursdemesclientspouréviterquejesois«débordée».Ilnem’aclairementpasoffertlamoindreaide,mêmesijenel’auraisdetoutemanièrepasacceptée.

– Ça ne me dérange pas de l’aider si c’est ce dont il a vraimentbesoin,jecommenced’untonprudent.Mais…

– Evie. (Brad soupire en se levant de sa chaise et en s’appuyantcontre lemurdeverre transparentderrière lui.)Tusaisque jen’aimepas aborder le sujet,mais tu avais besoin d’une équipe autour de toiquandtuasessuyédesdifficultésavecFieldDay.

Jemeraidis.C’estparti.FieldDayaétél’undesflopslesplusimportantsdubox-officedeces

dernièresannées,j’étaisl’agentquireprésentaitl’acteurprincipaletquianégociépourluiunesommeexorbitante.C’estgrâceàmoiquelefilm

aobtenu le feu vert. Pensez àWaterworld etAmours troubles, ça vousdonnera une idée. Ç’a a été si terrible que le film et mon client ontrécoltéunetonnedeRazziesAwardsetsontdevenusl’objetdesragotsdumilieu. J’aimême entendu quelqu’un utiliser la formule « c’est unField Day » commemétaphore pour un film qui n’avait connu aucunsuccès.

Monlegs,MesdamesetMessieurs.Le pire, c’est que je défonçais tout avant cet épisodemalheureux.

J’étais l’agent le plus performant chez Alterman pendant les deuxdernières années que j’y ai passées, et je suis toujours dans la frangesupérieure chez P&D. Mais avec Field Day, ma réputation et maconfianceenmoienontprisungrandcoup.Jen’arrivetoujourspasàmedéfairede l’idéequec’est lapremièrechoseà laquellepensent lesgensdanslebusinesslorsqu’ilsmerencontrent.

Il semble se délecter d’avoir trouvé un moyen de pression aprèsavoirlâchésapetitebombe.Mais,commetoutbonsubalterne,jeneluiai jamais rappelé lesnombreuses fois où il a fait allusionaupotentieldufilmcomme«delarencontreentreDuoàtroisetAvengersdignedelamédailled’or».

Comme pour renforcer ses propos, Brad contourne son bureau ets’assiedaubord.

–UnemauvaisedécisioncommeFieldDayauraittuélaplupartdesagents, à plus forte raison un agent qui n’aurait pas encore fait sespreuves. Mais t’ai-je jetée dans la gueule du loup pour autant ?demande-t-il avec une expression qu’une tierce personne pourraitprendrepourdelasollicitudesincère.

Jeravaleunerépliqueacerbeparcequ’ilaraison,Bradestvenuàma rescousse. Ilm’a défendue quand les autres pensaient qu’il fallaitme licencier. Mais, depuis, il ne perd pas une occasion de me lerappeler.

–Non,vousm’avezdéfendue.

Je n’insiste pas en précisant que j’avais fait mes preuves à cemoment-là.J’étaisagentdepuisdéjàpresquehuitans.

–C’estvrai.Teséchecssontmeséchecs.Ettessuccès…?Ilsetaitenattendantquejecomplètelaphrase.–…sonttessuccès.–Voilàcequejevoulaisentendre!(Àcesmots,unfrissonderage

meparcourt.Ilcontournelebureaupourserasseoirdanssonfauteuil.)Tiens-moiaucourant,tupeuxyaller.Fermelaportederrièretoi.

Etmevoilàcongédiée.

Après ma dernière réunion de la journée, je retrouve Daryl etAmélia au Café Med pour le dîner. Il doit encore faire environ vingtdegrés sur la terrasse, mais Daryl a enfilé un énorme sweat beige etporte des lunettes noires même si le soleil s’est couché depuis plusd’uneheure.LosAngeles,quoi.

Le Café Med est un petit restaurant très sympa sur SunsetBoulevard,cequisignifiequ’ilestfréquentéparlesstars.Surletrottoird’en face,une femmeavance, juchée surdes talons compensésdedixcentimètres,vêtued’unkimonodesoie.Unevoituresegareaucoindelarue,lepare-brisearrièredécoréd’undioramadudésert.Nousavonsautantde chancesde voir une célébritédébarquer quede tomber surun homme vêtu d’un tutu et poussant une poussette pleine decannettesd’aluminium.

– Il paraît que tu as vu Brad aujourd’hui, me dit Amélia, avantd’ajouteravecungrandsourire:J’imaginequec’étaitl’éclate!

–Iltetraitetoujourstellementmal,renchéritDaryl.– Je ne sais pas. Il se comporte comme un connard avec tout le

monde, mais sous un angle différent à chaque fois. C’est un typeintelligent.Ilsaitcommentnousatteindre.

NouslevonstouteslesdeuxlesyeuxlorsqueStephesquivel’hôtesseavecunsourireetavanceendirectiondenotretable.

–Désoléepourleretard.(ElleaccrochesonsacaudosdelachaisevideàcôtédeDarylets’installe.)Lerendez-vousclientlepluslongdel’univers.

–Nousn’avonspasencorecommandé.(Jeluitendsunmenu.)Maislevinarrive.

–Alléluia,marmonneStephenjetantuncoupd’œilàlacarte.– Alors, vous vous êtes bien amusées vendredi soir ? demande

Daryl.–Oui,fais-je,entoutehonnêteté.–Çasignifiequetumepardonnesdenepasêtrevenue?Steph acquiesce frénétiquement, mais j’enfourne un morceau de

paindansmaboucheetfaisnondelatêtetoutenmâchant.–Jedoisyréfléchir.Darylfaitmined’avoirreçuuneballedanslapoitrine.J’ouvre la bouche pour raconter la soirée à Amélia et à Daryl

lorsquejeréalisequesiStephavingt-septansetMikevingt-septans…alors,Carteralemêmeâge…soitsixansdemoinsquemoi.

Sixans.Commesi elleavait ludansmespensées,Stephpose sonmenuet

lance:–Tuaseul’airdeplaireàCarter.Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pensé à la différence d’âge

pendantlafête,maisçamesemblemaintenantunfacteurrédhibitoire.C’estlogique.Je ne suis jamais sortie avec un mec plus jeune que moi. Et la

différenceentrevingt-septettrente-troisestsignificative.Nousn’allonspassortirensemble,biensûr,maisdansl’éventualitéoùjeluienverraisuntextoenl’imaginantnu,sixansfont-ilsdemoiunecougar?

Jeremercieleserveurquiposelabouteilledevindevantmoi,avantdemetournerversSteph.

–Seigneur,Steph.Jeviensderéaliserqu’ilatonâge.

–Qui est Carter ? demandeAmélia. Je n’ai jamais entendu parlerd’unCarter.

–C’estunamideMikeetSteph,jeluiexpliqueavantdeboireunegorgée de vin. Il est marrant. Daryl le connaît peut-être. Il bosse enÉcritureetAdaptationaudiovisuellechezCTM.

–CarterAaron?Jen’ai jamais travailléavec lui,mais j’aientenduqu’ilétaitbondanssondomaine.

– Il est bon, renchérit Steph avant de battre des cils dans madirection. Et « marrant » ? Il est sexy , Evie. Carter est superbe,intelligent, et c’est un garçon très bien qui pourrait même être assezbienpourtoi.

J’ignorelefaitqu’ellesous-entendquejesuiscompliquée.–Ilestjeune.Cequetuasoubliédementionner.–Ilavingt-huitans!– Ouf ! je grogne. (D’accord, j’ai seulement cinq ans de plus que

lui.)J’étaisdéjààl’écolequandilestné.–Àl’écolematernelle,répliqueSteph.–Cesontdesannéesimportantes.Jeme souviens demes vingt-huit ans, j’avais l’impression quemes

copains mecs étaient des Muppets coincés dans des corps adultes desexemâletentantd’évoluerdanslemonde.

–Ehbien,lesmecsdelacôteEstsontplusmatures,raisonneSteph.Améliaetmoiéchangeonsunregardsceptique.–Vingt-huitans,c’estl’âgequ’ondonneunefoisqu’onenatrente,

dit-elle.Jehochelatête.–Etçafaittroisansquej’aitrenteans.– Ce qui signifie que tu es au sommet de ta puissance sexuelle !

chantonne Daryl. Allez, détends-toi un peu. (Elle esquisse une petitedanseetmejetteunregardlourddesens.)Unmecplusjeune…

Jegrommelle.

– Honnêtement, Evie, dit Steph. J’ai l’impression que tu cherchestoujours une bonne raison pour ne sortir avec personne. (Ses motsrésonnentdansmonesprit,mêmelorsqu’ellecontinue.)Ilestmarrant.Vousvousêtesamusés.Pourquoinel’appelles-tupas?

–Jenecherchepasderaisonspournesortiravecpersonne.Jefroncelessourcils,offensée.–Etpourtant,s’immisceDaryl,c’estcequetufais.Tuescompliquée

ettufaistoujoursladifficile.JejetteàDarylunregardnoir.–Dixitlafillequiestaussicélibataire.–D’accord,mais écoute. (Amélia lèveunemain.) Je comprends ce

quetuveuxdiresurlaquestiondel’âge,maiscinqans,cen’estpassiterrible.Teposerais-tulaquestions’ilavaitcinqansdeplus?

Jemarmonne:–Arrêtedefairetamaligne,Amélia.Elleéclatederire.–Jepensequetudevraisl’appeler.–Vousnem’avezpasentenduequand j’aiditqu’ilbossaitaussien

tantqu’agent?Unagentplusjeune.Améliagrimace.–Etsinon,lanceDarylenenlevantenfinseslunettesdesoleil,tune

nousaspasditdequoivousavezdiscutéavecBrad.– Oh, il veut que j’aide John Fineman pour m’assurer qu’il ait

quelquechoseàfaire.(Jeris.)Dansqueluniversest-cequejevis?C’estJohnquim’amontrélesficellesquandj’aicommencéchezP&D.

Jejetteuncoupd’œilcirculairesurlaterrasse,pourm’assurerqu’iln’y a personne que nous connaissons, avant deme retourner vers lesfilles.

– Vous savez, c’est comme quand quelqu’un fait quelque chose demaletsemetàquestionner toutceque lesautresfont.C’est ceque jeressensausujetdeBradencemoment.

–Commequandquelqu’unaune liaisonetsedemandesoudainsil’autreestfidèle,ajouteDarylenhochantlatête.

–Peut-être. (Jehausse les épaules.)Quelque chose se trame, c’estsûr.

– Je sais qu’il demande qu’on envoie beaucoup de comptes derésultatdans sonbureau, ajouteAmélia. Jene comprendspas cequeça signifie, mais c’est suffisamment inhabituel pour que les filles desfinancesleremarquentetsemettentàbavarder.

– Pourquoi est-ce que ça me met mal à l’aise ? (J’attrape monverre.)JenefaispasconfianceàBrad,toutsimplement.

– Voilà exactement la raison pour laquelle tu devrais appelerCarter,insisteSteph.Soulagertonstresspardesorgasmes.

Mesamiesnem’aidentpasdutout.

Chapitre4Carter

MCetmoisommeslesdeuxseulespersonnesàseféliciterquejevive

à L.A. maintenant. Mon frère, évidemment, s’en fiche royalement etmes parents… eh bien, même au bout de deux ans, ils sont encoreviolemment opposés à mon choix. Que Jonah vive à Malibu ne lesdérangeaitpasparcequeJonahestjeune,qu’ilréalisesesrêvesetqu’iln’ajamaistort.MaisCarterdéménageantàBeverlyHills?Catastrophe.

J’appellemesparents le lundisoirpour leurassurerque jenesuispasmort.

–Bonnenouvelle,ditmonpère.Maistudevraisvoirtonfrèreplussouvent.Ilsesentseul.

–Jonah?(J’éclatederireenretournantmonfromagegrillédanslapoêle.)Crois-moi,cen’estpaslecas.

–Valevoir,renchéritmamèresurl’autreligne.Vousêtesvoisins.–Maman,ilvitàMalibu.C’estàuneheuredevoiture.Monpèretousse.– Et il y a une heure de trajet entre la maison et Brooklyn, mais

nousallonsvoirvostantestouslesweek-ends,ettusaiscequ’ellesontàBrooklyn?Desarbresdécorésavecdelalaine,Carter.J’aivuquelqu’unsepromeneravecunpaonladernièrefoisquej’ysuisallé.Quandjemesuis arrêté pour prendre un café, j’ai vu qu’ils vendaient aussi des

bobinesde fil.Du café etdesbobines.Qui apuavoir l’idéedemettrecesdeuxchosesensemble?

– D’accord, donc je vous inscris dans la colonne non pourThanksgivingàL.A.,dis-jeenposantmonsandwichsuruneassiette.Ilyaicideschosesbienplusbizarresqueducaféetdesbobines.

Unlongsilencesefaitavantquemamèrenereprennelaparole:–Jonahaditque tudormaischezMichaelChristopher,parceque

tun’avaispasd’appartement.Jemefrottelestempes.C’estbiensongenre.–Jonahraconten’importequoi.– Sois gentil, me réprimande-t-elle. Il a aussi dit que tu avais

rencontréunefille.Jecroquedansmonsandwich,mâcheetdéglutispourmedonnerle

tempsdemasquermonirritationcontremonfrère.–C’estuneamied’amis,Maman.Jel’airencontréeàunesoirée.–Tuasrencontrécettefilleenboîtedenuit?–Non,pendantunesoiréecostumée,pasuneraveparty.C’estune

amiedeMichaeletdeStéphanie,donc jenepensepasqu’elle soitunpurproduitd’Hollywood.

–TutirescetteconclusionparcequeMichaell’apprécie?demandemamère.

J’éclatederire.– Nous avons passé trois heures ensemble. C’est un peu tôt pour

quejevousracontesavie.Maisjeteprometsquec’estunefillebien.–EllevitàLosAngeles,Carter,grognemamère.Çanemeconvient

certainement pas. Je ne comprends pas pourquoi tu n’as trouvépersonne ici. Elle a sûrement de faux seins et ce… ce poison qu’ilss’injectentdanslefront.

–DuBotox?jedevine.–Oui.– D’accord, mais on va se calmer. Jonah vit à L.A., et je ne me

souvienspasdevousavoirentendu raconterde telles conneriesà son

propos.–Primo,surveilletonlangage.Deuxio,jenevoispresquejamaiston

frère, donc ce n’est pas une référence. (Elle soupire.) Ton frère atoujoursétéunrêveur.Tuesmonfilsresponsable.Appelle-le.

Jesoupire.–D’accord,Maman.Vunosemploisdutemps, trouverunmoment

poursevoirserapeut-êtreunpeucompliqué,maisjel’appellerai.–Voilàmongentilgarçon.

Dans ce milieu, ne pas avoir de nouvelles de quelqu’un pendantune semaine ne signifie rien. Nous sommes tous surbookés, avec destonnes de scripts, de livres à parcourir, de séquences d’audition àvisionner, de coups de téléphone à passer et de mails à lire. Onrepoussetoujourslemomentderappelerlesgens,etonlefaitselonunordredepriorités.

Unesemaine,cen’estriendutout.Je le rappelle àmes clients tous les jours. Je leur répète : pas de

nouvelles, bonne nouvelle. S’ils n’ont pas de nouvelles, ils n’ont pasessuyéderefus.Maisquandils’agitdevotrerêve,letempsaunetoutautre signification, et même les personnes les plus patientes peuventcraquer.

«Nem’auraient-ilspasrappelétoutdesuites’ilsavaientadoré?»«S’ilsmevoulaient,ilsm’auraientdéjàappelé,n’est-cepas?»La patience, c’est facile en théorie. Je devrais le savoir, parce que

même si j’ai dit à Michael Christopher que je ne comptais pas revoirEvie, jen’arrêtepasdepenseràelle.Jeudiaprès-midi, jen’aitoujourspaseudenouvellesetjecommenceàdevenirfou.

Jepenseàcequejeluiaiditenluidonnantmonnumérovendredisoir:«Jesaisquenoussommestouslesdeuxd’accordpouréviterdesortiravecdesgensdumilieu,maisnouspouvonsêtreamis.Laballeestdanstoncampetsituveuxcasserdusucresurledosdenospatrons,travailleravec

moiunpeu ou juste passer du tempsavec quelqu’un et concocterunplandiaboliquepourdominer lemonde sansaucuneattente romantique, tuasmonnuméro.»

Elleari,m’aébouriffélescheveuxunpeupluslongtempsquecelan’aurait été approprié pour une relation platonique, et puis elle estpartie.

Cequej’auraisdûdire,c’est:«Tumeplaisbeaucoup.Pouvons-nouséchangernosnumérosettrouverunmomentpoursevoirtoutnus?»

Mon téléphone sonne, je me précipite pour répondre en lecherchantàtâtonssousunepilededossiers.

–Allô?Jesuisàboutdesouffle.–Salut.(C’estMichaelChristopher.)Commentçava?Jemelèvepourfermerlaportedemonbureauaveclepied.–Trèsbien. Jen’ai pas eude sesnouvelles, si c’est la raisonpour

laquelletum’appelles.Encore.Ilsetaituninstant.–Portais-tulafameusecravatevendredisoir?Jemerassiedsdansmonfauteuilensouriant.–Dequellecravateparles-tu?–Tusaisdequellecravatejeparle.Lecrimecontrel’humanité.Je baisse les yeux versma chemise et lisse la fameuse cravate sur

mapoitrine.Ilmeconnaîttrèsbien,apparemment.– Oui. Cette cravate, c’est mon porte-bonheur. Et, bonus, elle

correspondaitaudéguisementHarryPotter.Ilgrogne.– Tu la portes aujourd’hui, n’est-ce pas ? Ça ne va pas du tout,

Carter.–Evienepeutpasrefuserdem’appeleràcaused’unecravate.– Écoute, je suis un mec et Stéphanie doit toujours trouver les

argumentspourmeconvaincredenepasporterunjoggingpouralleraurestaurant,donc jenevaispas te jeter lapierre.Maismêmemoi –

unmecnégligé–,j’aiconsciencequecettechosedevraitêtrebalancéeàla poubelle, histoire d’abréger ses souffrances. J’ai l’impression d’êtreagressévisuellementchaquefoisquetulaportes.

–Sansvouloirêtredramatique.Une boîte de trombones traîne à côté de mon ordinateur, j’en

attrapeunetledéformed’unairabsent.–Jenedispasquec’estlafautedelacravate,maisjepensetoutde

mêmequetunedevraispasporteruntrucquetuasmisenpremièrepourunecompétitiondemathlétisme 1,Carter.

– Quand j’ai gagné la compétition demathlétisme , je corrige enlançantletrombonedanslapoubelleetenlevantlesbrasensignedevictoire quand il tombe à l’intérieur. Pour ton information, je portaiscettemême cravate pourmon entretiend’entrée à l’université, le jourde l’examenduSATet le soir où j’ai couchéavecSamanthaRigby enpremièreannéedelicence.Lesobjetsdequalitésebonifientavecl’âge,commecettecravate.

–Tueslapersonnelaplussuperstitieusequejeconnaisse.– Je suis un homme compliqué. Mais tu t’impliques un peu trop

dans cette histoire, à mon avis. M’as-tu appelé seulement pour meharceler?

– Non, c’était juste pour le plaisir. J’étais au travail, en train deréfléchir à ce que Steph et moi allions faire ce week-end, quand j’airéaliséqueçafaisaitdéjàunesemainequevousétiezensembleetquenous n’avions pas encore organisé de soirée de couples. Et puis, j’aicommencéàpenseràcettecravate…

Jefaistournerunstyloentremesdoigts.–Michael.–Tusaisquejenefaisçaquepourt’embêter.Tuesmacinquième

roueducarrossepréférée.–Trèsdrôle.Mon téléphone vibre contre mon oreille. Je viens de recevoir un

texto. Ma mère m’a déjà appelé deux fois depuis l’autre jour – pour

savoir si j’avais contacté Jonah, j’en suis sûr –,mais je n’ai paspris lapeine de la rappeler. C’est mal, je sais, et si c’est elle qui m’écritmaintenant,j’auraideuxoptions:grandirunpeuetappelermonfrèreou apprendre à préparermes propres lasagnes.Mais je n’ai vraimentpasenvied’enarriverlà,parcequemamèreestlameilleurecuisinièredel’univers.

J’écarte le téléphone pour jeter un coup d’œil à l’écran, mais cen’estpaslenomdemamèresurl’écran.C’estceluid’Evie,ellem’adéjàenvoyéplusieursmessages.

–Jeterappelle,dis-jeàMichaelavantderaccrocher.

Quelques minutes s’écoulent, et je me demande si c’est tout cequ’elleavaitàmedire.

Elsa a travaillé chez Bradford en étroite collaboration avec moipendantquatreansavantmondépartpourL.A.Mescollègueslesplusvulgairesl’appelaientTheBoneCollector 2àcausedesapropensionàs’envoyerenl’airdanslecadredutravail.Jesignaleaupassagequejen’ai jamais couché avec Elsa et que je ne l’ai jamais appelée par cesurnom. Mais l’idée qu’elle parle de moi avec Evie me metparticulièrementmalàl’aise.

Jemeconcentreànouveausurlescénarioouvertsurmonbureau.Je lis. Je regarde mon téléphone. Rien. Une minute supplémentaires’écoule.J’aiparcourudesyeuxlamoitiédelapageet jen’aitoujourspas lamoindre idée de ce que ça raconte. Je jette un nouveau coupd’œilàmontéléphone.

Devrais-je lui en dire plus sur ma relation avec Elsa ? Ajouterquelquechose?

Probablement.Devrais-jeluiproposerd’allerboireunverre?Réfléchis,Carter.Montéléphonevibreencore.

Uneheureplustard,jen’aireçuaucunenouvelled’Evieetjeviensd’oubliersesmessagesquandsonprénoms’affichesurmonécran.

J’attendscinqminutes,puisdix.Rien.Merde.

Jeregardelatélé,presquedeuxheuresplustard,quandjefinisparrecevoiruneréponse.

Doncjem’apprêteimmédiatementàécrireàMichaelChristopher.

1.Compétitionsdemathématiquesquiselivrentàtouslesniveaux,del’écoleausupérieur.

2.JeudemotsavecletitredefilmTheBoneCollector(PhillipNoyce,1999)etlemotbonequi,enargotaméricain,signifie«sexemasculin».

Chapitre5Evie

–Tutesensnerveuse?

JelèvelesyeuxversDaryldepuislamachineàischio-jambiers,enpleineffort.

–Pourquoi?(J’écarquillelesyeux,effrayée.)Tuvasajouterplusdepoids?

Elle me dévisage sans ciller, puis jette un regard circulaire sur lasalledesportensoupirant.

–Oh.ÀcausedeCarter?– Oui, à cause de Carter, dit-elle en grognant. Je n’arrive pas à

croirequejesoisdevenuetaconfidentedepuisquetuvisunfeuilletonamoureux. Je suis moi-même en pleine traversée du désert, mais jepourraisprobablementréciterlatotalitédetestextosdemémoire.Quefais-jedemavie?

–Désolée.Etj’aiessayédenepastropyréfléchir.Genre,jemesuisconvaincueque jem’apprêtaisà sortiravecunvieuxpoteagent,pourquecesoitmoinsimpressionnant.

–Jen’arrive toujourspasàcroireque tu luiaiesproposédedîneravec toi. (Elle boit une gorgée d’eau.) En temps normal, tu te faisdésirermaiscettefois,tuascraqué.Tuvastellementcoucheraveclui.

Jeme bouche les oreilles. Bien sûr, j’ai envie de coucher avec lui,mais Carter et moi ne faisons que nous écrire depuis la semainedernièreet,àchaqueéchange,ilmeplaîtunpeuplus.Voilàpourquoijecommenceàavoir le trac.C’estbienbeaude flirter tantqu’ilestdel’autre côté d’un écran. Draguer est un jeu d’enfant quand on aplusieursminutespour réfléchir à la réponseparfaite, aussi drôlequespirituelle.Maisenfaceàface,jevaistoutgâcher,n’est-cepas?

Même si j’essaie de l’éviter, j’ai du mal à ne pas être cynique.Commechaquefillecélibatairedemonâgequejeconnais,desbarsauxclubsdelectureetautresactivitésintermédiaires,j’aiconnuunnombreincalculabledemauvaiscoupsd’unsoiretderendez-vousangoissantsissus des sites de rencontre. Personnellement, je préférerais mourirseuledansunemaisonpleinedechatsvêtusdepullsassortisplutôtquederetenterl’expérience.

Jem’efforce de ne pas penser à la pression quimonte sans arrêt,mais les signaux sont omniprésents. Les films, les livres et presquetoutes les chansons qui passent à la radio parlent d’amour. Sansoubliermonhorlogebiologiquepersonnelle,quineperdpaslecomptedes jours et des années. Mes parents, qui m’ont eue sur le tard,approchent de leur soixante-dixième année. Cela fait longtemps qu’ilsont pris leur retraite après leur carrière à Hollywood et quand ils nesontpasoccupésà fairedu jardinageouàélever leurshih tzu, ilsmeposentdesquestionssurmaviesentimentale.

Mais, bien sûr, j’entends toujours cette voix persistante qui mesuggèredenepas les écouter, de tout laisser tomber et d’acheterdeschats tout de suite. Le problème, c’est que je n’aime pas les chats. Jeseraipeut-êtreuneépousepitoyableun jour,mais jesuiscertainequejeseraisunedameauxchatsencoreplusdésastreuse.

–Evie?– Désolée. (Je soupire en poussant les poids par la force de mes

jambes.) J’étaisen traindemedemander comment jepouvaisdevenirunedameauxchatstotalementtimbréesansposséderunseulfélin.

–Ne raconte pas n’importe quoi. (Darylm’aide àme lever enmerappelantundétail.)Cen’estqu’unrendez-vous.Siçasepassebien,tume raconteras tous les détails salaces demain. Si c’est nul, tu rentrescheztoietnousplanifieronslemomentoùnousarrêteronsd’essayerdesortiravecdesmecspournousmarieretpayermoinsd’impôts.

–Çaira.(Jeprendsunegrandeinspirationenlaregardantprendremaplacesurlebanc.)D’ailleurs,commentçasepasseavectonnouvelassistant?

Daryléclatederireetrépètel’exercicesansmequitterdesyeux:–Éric?Disonsquejel’aideplusqu’ilnem’aide.–Ohnon.Parmi tous leschangementsétrangesquionteu lieuauboulotces

dernierstemps,lebossdeDaryll’aappeléedanssonbureaulundipourl’informer qu’elle aurait un nouvel assistant : le neveu de BradKingman. Quarterback d’UCLA souffrant d’une blessure récente, ÉricKingman mesure un mètre quatre-vingt-dix, il est sublime mais il n’apas inventé le fil à couper le beurre. Il lui a fallu deux jours pourcomprendre que les gens qui l’appelaient en demandant Daryln’avaientpaslemauvaisnuméro.

Jesouris.–Çanes’arrangepas,alors?–Jenediraispasça…(Elles’assiedethausselesépaulesavantde

se lever de la machine.) En résumé, le sèche-linge de son complexed’appartementsa surchaufféet toutes seschemisesont rétréci.Lavuedemonbureaus’estbeaucoupamélioréedepuis.

J’éclate de rire en me dirigeant vers le tapis de course. Monassistante, Jess, estunebénédictiondivineet je serais capablede tuerquiconquetenteraitdemelaprendre.

–Sexyounon,jen’échangepasavectoi.Darylhausselesépaules.– Il est mignon, il me fait rire mais quand la haute saison aura

commencé, jeprévoisde lebrûler surunbûchers’iln’est toujourspas

capablederépondreàunfichumail.JesuiscertainequeDaryls’ensortira.Sur l’indicedeperformance,

ellesetrouvedanslamoyenne,maiselleestbelleàcouperlesouffleetassezagréablepourquen’importequelleagenceaitenviedelagarder.

–Tuessibonnedanstondomaine,Evie.Tugèrestellementbienlestresset lesacteurs.(Daryl laisseéchapperun longsoupir.)Éricnesesouviendra probablement jamais de tout ce que j’ai essayé de luiapprendre cette semaine. Avec un peu de chance, Brad finira par serendrecomptequ’iln’estpasfaitpourcejob.

Toutcequej’espère,c’estqu’onnerejetterapaslafautesurDarylsiÉricfaituneconnerie.Parcequ’ilfautserappelerunmilliondedétailsàlafois,etlesimplefaitd’essayerd’endresserlalisteenpenséesuffitpour se sentir totalement submergé. Pour couronner le tout,l’organisation de P&D est un concentré d’excentricités. De petitesexcentricitésvraimentirritantes.

Par exemple, le service juridique refuse de lire les mails ou lescontratss’ilsnesontpasrédigésavecdeuxpolicesparticulières.

Jepenseaussiaudédainétrange–et injustifié–deJohnFinemanpourtouslesscénariosdontlepersonnagefémininseprénommeMaria.

Ouencore le fait queBradaun jour licenciédebut enblancuneassistantedontlestalonsclaquaienttropfortsurlesoldemarbre,prèsdesascenseurs.

Quandonestagent,ondoitgérerbeaucoupdechoses–flatterlesego,coordonnerlesprojets,rationaliserlesattenteset,surtout,générerdu profit –,mais on ne doit jamais laisser ses émotions peser dans labalance.

Daryl et moi nous laissons happer par nos pensées, j’attrape mesécouteurs. Soudain, je comprends. Je suis peut-être célibataire parcequejevisexactementmaviedecettemanière:ensupposantquejenedoisjamaislaissermesémotionspeserdanslabalance.

CarteretmoinousretrouvonsàEveleigh,unrestaurustiquefondésurleprincipe«delafermeàlatable»surSunset,àWestHollywood.Il est situé à équidistance entre nos deux bureaux, comme si nousallionssortirdutravailetdescendrelaruepourallerdîner.Etmêmesiunjeudeséductions’estinstauréparmessagesinterposés,j’auraisaiméconsidérer plutôt la possibilité qu’il s’agisse simplement d’un dînerdétenduentrecollègues,parcequejenesorspasdutoutdutravail.Ai-je l’aird’enattendre trop?Suis-je tropbienhabillée?Je suisdéjàentrain de concocter une explication crédible sur ma tenue de travail :une robe bustier en coton noir et des sandales dorées,mais quand jedonnemesclésauvoiturieret lèvelesyeuxsousl’auventrecouvertdevignes,jemeretrouvefaceàfaceavecCarterquiporteunechemiseetunpantalonfraîchementrepassés.Ilnevientpasnonplusdesortirdutravail.

Depuis la dernière fois que je l’ai vu, j’ai tenté de me convaincrequ’il ne serait pas aussi mignon que dans mes souvenirs. Ce qui meconviendrait, parce que je l’apprécie avant tout pour sa personnalité.Maisilestaussimignon,ilestmêmeencoreplusbeauavecsescheveuxbrunsdécoiffés,sonmentonbiendessinéetsesyeuxdouxethonnêtesderrière ses lunettes. Et lorsqu’il sourit, son charisme irradie lesalentours.

–Salut,Evil!dit-ilenmarchantversmoi.Jemesenstoutàfaitàl’aiselorsquejeluifaisuncâlin.Ilm’entouredesesbraset jefrissonneunpeuendevinantlaforce

desoncorpscontrelemien.–Jesuisheureuxdetevoir.Pasdepenséeslubriques.Pasdepenséeslubriques.–Moiaussi.Le câlin dure encore quelques instants, comme si nous étions de

vieuxamisquivenionsdenousretrouveraprèsunelongueséparation.Cen’estpasbizarre,nousnoussentonsenterrainconnu.

Je saisqu’il faut fairedeseffortspouravoirune relation.Mamèremel’atoujoursrépété,j’aiconsciencequel’équilibrepermettantàdeuxpersonnes de mener la même vie est fragile. Mais j’ai toujours penséque les efforts ne devaient pas surgir tout de suite. Avec le temps,ouais, je comprends qu’il faille faire des compromis une fois la phaselunedemielterminée,quandvousdevezvousavouerqueretrouverleschaussettes de l’élu de votre cœur traînant sur le canapé vous rendfolle. Ou que l’entendre avaler bruyamment du lait enmangeant descéréalesest irritant.Maisaudébut,êtreavecquelqu’undevraitêtrelachoselaplusnaturelleetlaplusagréabledumonde.

Je n’ai jamais ressenti ça avant, mais l’alchimie existe clairemententreCarteretmoi.Monsangsemetàbouillonnerquandjesuisprèsdelui,et jenepeuxpasm’empêcherdesourire.Ilsenttrèsbonetmetientserréecontreluiavantdes’écarterlégèrement.

Ilseredresseetmedévisage.–J’avaisoubliéàquelpointtuétaisjolie.–Moiaussi.Attendez,qu’est-cequejeviensdedire?–Waouh,j’aimequ’onmedisequejesuisjoli.Ilmeprendlamainetnousnousapprochonsdel’hôtesse.Samain

est grande, musclée, et je n’arrive pas à détacher mon esprit de lasensation de sa peau contre la mienne. Ce n’est donc pas un simpledînerentrecollègues.

Se tenir lamain est peut-être unemanière simple et innocente demontrer sa proximité avec quelqu’unou sondésir,mais les sensationsquimontentenmoidepuisnosdoigtsentrelacésmesemblenttoutsaufsimples.Onditqu’ilyaplusdeterminaisonsnerveusesdanslesdoigtsquedansleslèvres.Nousnousfrayonsunchemindanslasalle,jusqu’ànotre tableet jepourrais jurerque je ressens chaque centimètre carréde contact entre nous. Quand il lâche ma main pour me laisserm’installer,moncorpsseglaceinstantanément.

Il déglutit, et je suis fascinée par son cou et le mouvement de sapommed’Adam,etsonsourirequis’élargitprogressivement.

–Tuesbiencalme,dit-il.–Jesuiscontented’êtreici.Être si franche ne me ressemble pas, mais je n’arrive pas à m’en

empêcher.Mon filtre semble avoir cessé de fonctionner depuis que jesuissortiedemavoiture.

–Moiaussi,répond-ilavantdereportersonattentionsurleserveurquiénoncelesspécialitésetprendlacommandedesboissons.

– Je prendrai une vodka Red Bull, lance Carter. (Je ricane. LeserveurgrimaceetprendnotequandCarterl’arrête.)Non,cen’estpasvrai.Désolé.C’étaituneplaisanterie.Unprivatejoke.Pastrèsdrôle.JeprendraiuneIPApression.

Leserveurnerelèvepasl’humour.–StoneouLagunitas.–Lagunitas.LalanguedeCartereffleuresalèvreinférieure.Jesuisincapablededétournerleregard.Leserveursetourneversmoi.–UnverredePrestonBarbera.Lorsqueleserveurs’éloigne,Carterappuieuncoudesurlatable.–Tuasdebellesépaules.–Euh…quoi?Ildésignemarobe.–Tarobe.Tesépaules…Ils’éclaircitlagorgeetajoutecalmement:–Tuesjuste…resplendissante.Jemurmuredesremerciementsenbuvantunegrandegorgéed’eau

glacéepourapaiser lebouillonnementqui fait rage sous la surfacedemapeau.

–Alors,quoideneufàCarterland?Ilsouritensentantquejechangedesujet.

–Boulot.Éviterlesappelsdemesparents.Envoyerdesmessagesàunagentsublime.Tuvoislegenre.

Jerougisetdévieencorelaconversation:–Tuévitestesparents?–Ilsveulentquejefassedeseffortsavecmonfrère,c’estladernière

façonqu’ilsonttrouvéedemesignifierleurdésapprobationdepuisquej’aiemménagéici.

–Ohnon…Ilchasselesujetd’ungestedelamain.–Mamèreestcertaineque jevais finirSDFetacheterdescristaux

de méthadone à un type qui vit dans un carton sur Skid Row. J’aiessayéde luidireque j’habitaisun immeubleavecportieretque jenesavais même pas où se trouve Skid Row, mais elle n’est toujours pasconvaincue.

Leserveurapportenosverres,dupainetsortunpetitcarnetpourprendrelasuitedenotrecommande.

–MesparentsviventtouslesdeuxàBurbankmaintenant,j’expliqueà Carter lorsque le serveur s’éloigne à nouveau, donc je les voisplusieursfoisparmois.J’imagineaisémentl’inquiétudedemamèresijedéménageaisdel’autrecôtédupays.

–Oui,maismon frèreaemménagé ici àdix-huit anset çan’a faitaucunevague.

Jeprendsunmorceaudepain.–Jenesavaispas.– Jonahapris sonappareil photo et ses vêtements, et il est parti.

Unsoir,ilestalléàunefêtealorsqu’ilvenaitd’arriverets’estretrouvéàprendredesphotosquiontétépubliéesdansRollingStone.

–Tutemoquesdemoi.– Non. Ensuite, ç’a étéElle, puis People. Pour une raison étrange,

mesparentspensentque la foudrene tombequ’unefoisetque jesuisdestinéàéchouer.

J’aienviedeluirappelerquetouslesparentss’inquiètentpourleursenfants, surtout dans un endroit comme Hollywood, mais un détailattiremonattention.

–Attends,JonahAaronesttonfrère?–Euh…oui.(Ilécarquillelesyeuxetsefige,unmorceaudepainà

lamain.)Jet’enprie,dis-moiquetun’aspascouchéaveclui.J’éclatederire.–Non.Mais ilme semblebienquemonamieAmélia,oui. (Jebois

une gorgéede vin, en réfléchissant.) Je crois qu’elle l’a rencontré lorsd’unesoiréeVanityFair,quelquechosedanslegenre.

Cartersouritd’unairunpeuchagrin.–Jedevraispeut-êtreallerlavoirpourm’excuserdelapartdema

famille. (J’éclatede rireet il réalise cequ’il vientdedire.)Enfin,non,corrige-t-il, les sourcils froncés. Coucher avec un Aaron de sexemasculinestunprivilège.Lemeilleurcoupdetouteunevie.Jedevraisclarifier que… mais passons à autre chose. Ça se passe bien, autravail?

Jem’esclaffeenm’essuyantleslèvresavecmaserviette.–Trèsbien. Je suis en traindemonterundossier qui a toutpour

devenirjuteux.QuelquechosechezCartermepousseà laconfidence,contremon

instinct habituel, et je dois lutter pour ne pas lui donner tous lesdétails.

Mais il remarqueque jemeretiens,et ilestassezpolipournepasmetirerlesversdunez.Ileffleurelatable.

–Superstitieux?L’arrivéeduserveuravecnosentréesl’empêchederépondre.Il avale une gorgée de bière après avoir mangé une première

bouchéedesteak,puisilreposesonverresurlatable.– Pour répondre à ta question, je ne dirais jamais que je suis

superstitieuxparcequeçaportemalheur.Maisonm’asouventaccusé

de l’êtreet,àcequiparaît,c’est l’undemes traitsdepersonnalité lesmoinscharmants.

Jeluisourisenmangeantunpeudebrocoli.Ildéveloppe:– Je considèremesdéfauts commedesexcentricités . Il est possible

que jepossèdeune cravateporte-bonheur.Toucherdubois, c’est l’undemes trucspréférés. Je lancedu selpar-dessusmonépaulegauche.Je fréquente des puits à souhaits et je laisse toujours mon téléphonesonnerdeuxfoisavantderépondre.

–C’esttellementdérisoirequec’enestadorable.–Ettoi,alors?– Je suis certaine que mes amies te diraient que je déborde

d’excentricités.Carter s’installe confortablement sur sa chaise enme faisant signe

decontinuer.–Jemesuisdéjàillustréeparmondonpourmesouvenirdedétails

cinématographiquesabsurdes.– Je ne sais pas si ça compte, ça peut être considéré comme un

atout,vutontravail.Ilvafalloirquetutrouvesplusexcentrique,Evil.Jesouris.– Je suis incapable de manger à un buffet, un vrai problème

puisque la plupart des événements auxquels je suis invitée encomprennent au minimun un. C’est comme si je voyais dans chaqueinnocentecuillèrepourseservir lenombreincalculabledemainssalesqui l’ont touchée. Je regarde toujours le marathon de vingt-quatreheures de Christmas Story et je suis obsédée par la crème pour lesmains.

Ils’arrête,safourchetteàquelquescentimètresdesabouche.–Lapenséequivientdemetraverserl’espritn’aprobablementpas

grand-choseàvoiravecteshistoiresdecrèmepourlesmains.Jefaisminedeluidonnerunlégercoupdepied,mais il lebloque

entreseschaussures.

– Lorsque je suis au téléphoneouquand je suis assise face àmonbureau et que je réfléchis à quelque chose, j’ai tendance à attraperinstinctivementun tubedecrème.Plus l’appeldure longtempsetplusjemetartinedecrème.Àlafin,montéléphonemeglissedesmains.

–OK,c’estassezgénial.(Cartersefrottelesmainsenréfléchissant.)Jevaist’avouerautrechosepourquetunetesentespasmalàl’aiseàcausedetaphobiedesmicrobesoudetesmainspleinesdecrème: jesuis dans le brouillard tant que je n’ai pas bumon café dumatin. Jesais que les gens le répètent souvent, mais dans mon cas, c’est unemaladie.Jemesuisbrossélesdentsavecdelacrèmeàraserplusd’unefoisetmesuissoulagédanslaplanteenpotpréféréedemamère.

–Jenesaispassitufaisbiendem’avouerça.Carters’essuielaboucheavantdeposerlaserviettedevantlui.–Tonsourireestvraimenttrèsmalicieuxlà,Evil.Jemedésignedudoigt.–Moi?Tudevraisvoirletien.Ilsepencheenavant:–C’estparcequej’apprécietaprésence.Jeressenslemêmefrisson

deplaisirque lorsque je lisun tweetparfaitementorthographié,postéparl’undemesclients.

J’éclatederire,parcequejevoistrèsbiencequ’ilveutdire.–C’esttoujoursungrandplaisir.Il semordille la lèvre inférieure avant de la sucer sansme quitter

desyeux.JenepensaispasqueCarter étaitunepersonne trèsportée sur le

sexelesoiroùnousnoussommesrencontrés.Peut-êtreparcequejenemontrais pas mes épaules ou que nous étions tous les deux habilléscommedespréadolescents,maisc’esttrèsclairmaintenant.

Il sirote sabièreenobservant laglycinedupatioquidonne sur letrottoir. C’est un quartier très agité, mais l’ambiance s’est un peuapaiséecesoiretlesruessemblentpleinesdepromeneursquiflânent.

–Ilfaitsichaudàl’automne,dit-ilenportantsonverreàsaboucheencoreunefois.(Jeleregardeavaler,ensentantuneboufféed’anxiétémesubmergerparceque,putain,ilmeplaît.)Çamesurprendtoujours.

Jecroisqu’ilmeplaîtvraiment.–Ici,l’étéarrivetoujourstard.Lesmoisdejuinetjuilletsontplutôt

agréables. Mais l’été commence vraiment en août et dure jusqu’enoctobre.

Ilsetourneversmoiensouriant.–Jenesaispassijeparviendraiunjouràm’yhabituer.–Ç’aétédurpourtoidequitterNewYork?Ilsecouelatête.–Pasvraiment.J’yairéfléchipendantdesannées,maisj’aitoujours

hésité,parcequec’étaitunpeuleterritoiredeJonah.–Jepeuxcomprendre.–Maisquandmacarrièreaévolué,L.A.étaitlaseuleoptionviable.

(Ilfaittournersacuillèresurlatable,enlafixantd’unairabsent.)Ilyadequoi faireàNewYorkpour lesagentsartistiques– le théâtreesttrèsimportant,biensûr–,mais…jenesaispas…(Ilprendunegrandeinspiration, l’air encore plus contemplatif, avant de soupirer et de setourner vers moi en souriant à nouveau.) J’avais besoin de changerd’air. J’aime travailler en Écriture et Adaptation audiovisuelle, maisj’aimeraisbosserunpeuplusaveclesacteurs.Jeprendsmontemps.

Sa franchise me bouleverse de plus en plus. Il semble tellementfranc et direct, mais on sent chez lui une profondeur cachée. Pasétonnantqu’ilsoitbondanssontravail.

–Ettoi,as-tudéjàenvisagédequitterlaCalifornie?–Pasvraiment.(Jemegrattelenez.)Jesuisunebientropgrande

fandecinémapourpartir.–Oùas-tugrandi?Je désigne un point derrièremoi, comme s’il pouvait voir quelque

chosedelàoùilsetrouve.–PasàL.A.même.ÀSanDimas.

–LavilledeBilletTed 1!chantonne-t-il.Jerépondsenriant:–C’est ceque tout lemondemedit.Ehoui.C’estunepetiteville.

J’étaistellementringardeaulycée.Ilrenifled’unairsceptique.–Honnêtement.J’étaishyperringarde.–Tunepeuxpasmesurpasser:j’aifondéleclubdemagiedemon

lycée,lebiennomméClubduRassemblement.Jehochelatête:–J’étaislaprésidenteetl’uniquemembreduclubdemangasavant

quelesautresenfantsnesemettentàaimer.–C’estcool,lesmangas.–Pasàl’époque,crois-moi.Cartersepenche,clairementprêtàsortirl’artillerielourde:– Je ne suis sorti avec aucune fille jusqu’en terminale, parce que

j’aimaislescomédiesmusicalesetquelesfillespensaientquej’étaisgay.Lesmecsnemedraguaientpasnonpluset cen’étaitpasparcequ’ilspensaientquej’étaishétéro.Ilsmetrouvaienttroptimide.

– Mon premier concert, c’était Hanson. (Je m’arrête en ledévisageant.)Mapireangoisseseraitquequelqu’unposteunevidéodemoidansanttouteseulependanttoutelaperformance.

–Tuessaiesdemefairepeur.(Ilsortsontéléphoneetseconcentredessuspendanttrentesecondesavantdeletournerversmoi.)Regarde-moiça.

Carterdoitavoirquatorzeanssurlaphoto.Sonnezesttropgrandpoursonvisage.Sescheveuxontl’aird’avoirétécoupésparunparentnégligent.Ilrit,saboucheestpleinedemétal.

–Jepeuxrivaliser.Je sorsmon téléphoneetouvre lapageFacebookdemamère,en

trouvant facilement son post de jeudi dernier, une photo de moi entroisième.C’étaitbienavantquejefasseopérermamyopieaulaser,je

porte donc des lunettes aux verres plus épais qu’un cendrier et unecravateparcequejem’essayaisaustyleskateur.

Carterplisselesyeuxenregardantdeplusprès.–Turigoles,Evie?Tuesmignonnelà-dessus.Waouh,ilestaveugle.–Carter.–Quoi?Illèvelesyeuxetquelquechose–non,tout–enmoifond.Quandil

cligne des yeux, il conserve la même expression douce qui me faitchavirer.Ilfixemabouche.

–Quoi?répète-t-ilensouriant.Tusaisquej’espèret’embrasserplustard,mêmesitumemontrestoutetacollectiondephotosducollège.

Mon cœur se met à battre plus fort dans ma cage thoracique,commeuntambourdansunejungledéchaînée.

Jelâche:–Jesuisplusvieillequetoi.Il hausse les épaules comme si cette remarque était tout à fait

naturelle.–Etalors?–Nousfaisonslemêmemétier.Jeleregarderéfléchiruninstantetsemordillerleslèvresavantde

répondre:–Cen’estpeut-êtrepasidéal,maisçanemedissuaderapas.Moncœurvaéclaterdansmapoitrine.– Je suismariée àmon travail, c’est une information de notoriété

publique.–C’estparfait,parcequemoiaussi.Ce seracommesion trompait

nosboulots,ensemble, s’exclame-t-il,apparemmentravid’avoir trouvéunefailledanslaquelles’engouffrer.

J’aiconsciencedemapostureraidesurmachaise.Lafemmedelatable d’à côté nous dévisage sans aucune subtilité. Une alarme devoiture retentit quelque part dans la rue, le serveur récupère des

assiettessurlatablederrièremoi.JesensqueCartervoitcequejevois,sanss’inquiéterdemesréactions.

– Je suis assez nulle dans ce domaine.Mais j’ai un super-plan derepliaucasoùl’amournemesouriraitpas,ilinclutdespetitsanimauxvêtusdepulls,dontjeseraislamaîtresse.

Ilsouritd’unairchaleureuxet,peuàpeu,jesensquejedoisbaisserlesarmes.

–Çapeutêtrecool,çaaussi.Le silencequi suit ressembleàunénormegouffrequi s’ouvre sous

mespieds.Jedécidedesauter.–Çatediraitderentreravecmoiaprèsledîner?Je leprendsmanifestementdecourtet ilécarquille légèrement les

yeuxderrièreseslunettes.–Oui.

ParcequenoussommesenCalifornieduSudetquepersonnenesedéplacesanssavoiture,ouavecquelqu’undanssavoiture,Cartermesuit jusquechezmoi.Mon immeubleest situéàBeverlyGrove,ausudduSantaMonicaBoulevard,unquartierpleindemaisonstentaculaireset de vastes pelouses sur lesquelles sont disséminés des immeublesrécentsconstruitsdans lestyleArtdéco.L.A.estunevillecommeça :banlieueetvilleétrangementmêlées.

Jeleretrouvedevantlaported’entréeetessaiedesourirecommesic’étaittoutnaturel,maisçanel’estpasdutout.Ledernierhommequiestentréchezmoi,c’étaitmonpère.Avantlui,Mikequiestvenudînerchez moi avec Steph. Avant ça, je ne sais même plus. Probablementl’électricien.

Jesensquenousnesavonspasvraimentquoidirenil’unnil’autre.Latensionmonteentrenous.Ilpossèdececharismesexuelfaceauqueljenesuispassûred’êtreàlahauteur.Jenecessederejouerdansma

têtenotrecâlindevantlerestaurant,lasensationdesoncorpscontrelemien,toutenosetenmusclesfermes.

Je suis en partie soulagée que Carter ne soit pas du genre àbavarder dans une situation pareille. Allons-nous coucher ensemble ?Je sens que le sexe est imminent, mais je préférerais me fourrer untisonnierbrûlantdansl’oreilleplutôtquedemefieràmoninstinct.

Il pourrait me parler de la météo, des embouteillages ou de laprobabilité des séismes, ou de l’un de ces nombreux sujets deconversationstypiquementcaliforniensmaisilsecontentedemesuivrechezmoiets’arrêtedanslesalonpourregarderautourdelui.

C’estunjoliappartementetj’ensuisfière,mêmesijesuisrarementchezmoipourautrechosequepourdormir.Lebâtimentestmoderne,monappartementestun loftcomportantunsalon,unecuisineetunealcôve près de la fenêtre où j’ai disposé une table. Il y a un vase defleurs dessus, et on sent encore l’odeur subtile dementhe poivrée quiémanedelabougieposéeprèsdesplaquesdecuisson.JevoislesyeuxdeCarters’écarquillerenremarquantl’énormeécranplatquej’aihéritédemonpèrequandilestpasséaumodeécranplatobscène.

–Letypequivitenfaceest jongleur.(Jefaisungesteendirectiondelafenêtre.)Apparemment,c’estunhobbypourlequellesvêtementssontoptionnels.Jenevaispastementir:c’estplutôtsympa.

– J’allais dire que cet endroit est cool, mais ce détail le rendincroyable.Jepeuxt’assurerqu’aucundesappartementsquej’aivisitésnecomportaitdejongleurnudanslevoisinage.

–Iljonglesouventlematin…Le sous-entendu – passer la nuit ensemble ! – flotte entre nous. Il

avanced’unpas,enpassantdel’étapeExplorerl’Appartementd’EvieàlaphaseExplorerEvie.

Carterestseulementàquelquescentimètresdemoi,iltendlamainetlaposesurmahanche.Lesilencesefait.

Jedemande,nerveuse:–As-tusoif?

Les bruits des voituresmontent, un chien aboie bruyammentdanslevoisinage.

Cartersecouelatête.–Non,çava.–OK.Jememordsleslèvres.–Tuasfaim?Tuasbesoind’allerauxtoilettes?Ilrit.–Non.Mamaintremblelorsquejeprendslasiennepourleguiderdansle

couloir.–Evie?(Ilretiresamain.)Nouspouvonsresterlà.Jesecouelatêteetilmesuitsansunmotjusqu’àmachambre.Ils’arrêtesurleseuil.–C’estjusteque…jenepensepasquenousdevrions…(Il jetteun

coupd’œilaulitavantdemeregarder.)Pourl’instant.Jemurmurenerveusement:–D’accord.J’aijusteenvied’êtreici.Mesparentsm’ontdonnétous

lesmeubles du salon et je n’ai pas envie de penser à ça la prochainefoisqu’ilsviendronts’asseoirsurleurvieuxcanapé.

Ilplisselesyeuxetsourit.–Tuesétonnante.Il ledit commesi c’étaitunebonnechose.Commesi c’étaitgénial.

Nous nous dévisageons pendant quelques secondes. J’attends que lagênesedissipe,maisriennesepasse.

Carterlèvelesmainspourlesposersurmonvisageetmesourit.Oh Seigneur,mon cœur va exploser. Je n’ai clairement plus envie

d’épouserDaryl.– Ça va ? murmure-t-il, sa bouche à quelques centimètres de la

mienne.–Ouais.Ilsepencheetposeseslèvrescontrelesmiennes.

Jesuisincapable,jesuishonnêtementincapablededécrirecequejeressens en l’embrassant. La fermeté douce de ses lèvresm’émerveille,toutcommelecontrasteaveclespoilsrâpeuxdesalèvresupérieureetde son menton. J’imagine la sensation dans mon cou et plus bas,encoreplusbas.Sesmainssontmagnifiques,ilmeserrecontrelui,mecaresseledos.

Je suis parcourue par un courant électrique lorsque sa languetouche la mienne, qui se déchaîne lorsqu’il laisse échapper un petitgémissementdiscretetglisseunemainsurmes fesses.J’ai l’impressiond’êtreredevenueuneadolescente,parcequejen’arrivepasàmelasserde sa bouche. J’aimerais que ce baiser ne s’arrête jamais. Je voudraisqu’il m’embrasse de toutes les manières imaginables : multitude depetitsbisousoubaiserslangoureuxetprofonds.

J’ai l’impressionde l’embrasserdepuis toujoursetden’avoir jamaisreçu de vrai baiser avant ce soir. Il est plus grand que moi, je doismonter sur la pointe des pieds, tendre tout mon corps pourm’approcher de son visage. C’est comme si j’avais besoin de le sentircontremoidetouslesmoyenspossibles.

Lentement,sesmainsglissentsurmeshanches, ilmeguidevers lelit.

Ilm’allongesurlescoussins.Jecroisn’avoirjamaisressentiundésiraussi puissant. Le typededésir qui vous consume, où les baisers sontpresquetropexcitantsmêmesimoncorpsendemandetoujoursplus.

Carterestsurmoi,nousbougeonsensembleetjelesensdurcontremon entrejambe. Il attrapemes jambes nues et je remonte un genousur ma poitrine, en écartant les cuisses, pour qu’il se colle à moi. Illaisseéchapperunpetitgrognementavantdemurmurerquenoscorpss’emboîtent.

Lamanière dont il bouge, dont il se frotte àmoi,me donne déjàenvie de jouir parce que, Seigneur, ça fait bien trop longtemps. Noscorps s’emboîtent. Et si cette parodie de sexe me rend déjà folle,comment survivrai-je nue tout contre Carter, en lui laissant l’accès à

monintimité?Jesenslatensionetlachaleurentremescuisses,maisils’écarte.Jeluidemandederevenir,jel’attrapeparleshanches,maissamainsepose,chaudeetimmobile,surmacuisseetglissejustesousmaculotte.Ilgrogneenmesentanttrempéesoussesdoigts.

Je deviens frénétique, comme si on venait de me passer àl’essoreuse, et jedois serrer lesdentspourm’empêcherdepousseruncri.

Un gémissement étouffé m’échappe, il retient son souffle. Puiss’écartepourmeregarder.

– Tu es bien réservée,murmure-t-il enm’embrassant dans le cou.Quedois-jefairepourquetutedéchaînes?

Samain bouge et sa bouche glisse demon cou àma joue.Mêmequand jeme cambre, les yeux fermés, je sens que lesmouvements deson corps épousent lesmiens, ilm’embrasse partout, enmedisant dejouir,del’embrasser,deluidirecequej’aime.Quandj’ouvrelesyeux,ilmecontempletoujours.Ilsouritetsepenchepourm’embrasser.

–Jepeux?demande-t-il,leregardclairetsérieux.J’acquiesce. Le soulagement ressemble à une drogue qui brûle et

courtdansmesveines.Onvalefaire.Jedéfaismaladroitementsaceinture,sansplusmepréoccuperd’où

etquandnousallonscoucherensemble,etilrit,créantunepetitebulled’airchaudcontremeslèvres.Jecomprendsqu’ilneritpasdemoimaisàcausedeça,demafrénésiemaladroite.

Jecaressesonventreethalèteensentantsonsexe,excitéeà l’idéede le faire bander si dur, frissonnant à cause de cette sensation depouvoir.Ilbougeentremesmains,etjeglisseunejambeautourdeseshanches pour que nous puissions nousmouvoir ensemble, laisser noscorpsfaireletravailetnosbouchessedévorer.

J’avais oublié le sentiment fiévreux qu’on ressent quand on laissequelqu’und’autrenoustoucher,l’espoirdésespéréqu’ilnousferajouir.Maistrèsvite,jemerendscomptequ’ilyarriveraetilyarrive,avecla

main.Jem’efforcedenepasfermerlesyeuxquandl’excitationmonte,mais il me contemple avec une telle intensité que je dois serrer lespaupières pourme concentrer sur la sensation de ses doigts surmonclitorisetdesaqueuedansmamain…jem’abandonne.

Lesbruitsquiluiéchappentm’achèvent,sesgrognementscalmes,ilsemet à bouger plus vite, si dur dansmamain, la baisant avant dejouirdansungémissementdésespéré:sonsexevibreentremesdoigts,lefruitdesajouissancebrûlantesedéversesurmapeau.

Il rit encore en immobilisant mes hanches avec la main qu’il autilisée pour me caresser. Elle est trempée et l’intimité de ce geste –savoir qu’il sait ce que je ressens et qu’il vient deme faire jouir –meredonneenviedelui.

Nousrestonssilencieuxdansl’obscurité.Cartertrouvemaboucheetm’embrasseavecuneparessesatisfaite.–Çavatoujours?demande-t-ildesavoixrauque.–Ouais.Toi?–Jemesensautop,turigoles?Jen’auraipasàlefairemoi-même

plustard.Jecommenceàrire,maisilétouffemonhilaritéenm’embrassant.–Jecroisquej’aitachétondessus-de-lit.Désolé…Jem’écarteentâtantletissu.–Monlitdoitsedemander…maisquelleestcettesubstance?Il rit encore plus fort dans mon cou et juste au moment où je

commence àm’inquiéter deme comporter un peu trop comme…unecélibataire,illance:

–Lemienseposeraitlamêmequestion.– Tu es incroyablement sexy. Je ne peux pas croire que tu n’aies

couchéavecpersonnerécemment.– Et tu es sublime. Nous ne sommes pas célibataires à cause du

manqued’opportunités.J’acquiesceenleregardant.

–Onm’asuggéréquejefaisaisladifficile.Etquej’étaispeut-êtreunpeutropobsédéeparletravail.

Ilritencoreetsepenchepourm’embrasser.–Jepensequenousavonstouslesdeuxbesoind’autrechosedans

notrequotidien.

1.L’excellenteaventuredeBilletTedestunecomédiedescience-fictionaméricaineréaliséeparStephenHerek,sortieen1989.

Chapitre6Carter

Samedisoir,MichaelChristopheretmoiavonsétéchargésdefaireà

manger, ce qui signifie que Carter va préparer le dîner et Michaelempêcher Morgan de jouer avec les casseroles et les poêles. Il estinstalléàlatableetelles’amuseàluilancersesCheeriosdessus.

Stephentre,exhalantunebonneodeurd’herbecoupée,etunventd’air frais s’engouffrepar laportederrièreelle.Mêmesi c’est leweek-end,elleestpartie travaillerpourgérer lesdéboiresd’unacteurquiaatterrienprison.Çamerappellelaremarqued’Evie–elleestmariéeàson travail – et je sais que ce genre de choses, les soirées passées àbosser,lesdînersratés,sontexactementcedontelleparlait.

Ellenousregarde,impressionnéeparledîner,ets’assied:–Waouh. (Elle ne demandemême pas comment les plats se sont

matérialisésdevantelle.)Bontravail,Carter.– J’apprécie de cuisiner dans une vraie cuisine avec de vrais

ustensiles.Stephm’adresseunsourirecompatissanttandisqueMCmejetteun

regardnoir,envieux.–Donc,commentçava?demande-t-elle.– Je suis surbooké. Emil Shepard a été transféré dansma liste, ça

génèredelapaperasse,c’estpluscompliquéqueçaenal’air.

Ellegrimace.–OhSeigneur!Blakeperd-illatête?– C’est ce qu’on pourrait penser. Mais honnêtement, il a à peine

levé un sourcil. (Je hausse les épaules et découpe un morceau depouletpourledisposerdansuneassiette.)Ilapeut-êtreunecopine.LevieuxBlakem’auraitdéjàarrachélesjambesetm’auraitrouédecoupsavec.

– Il y a quelque chose dans l’air. Cette journée a été tellementmerdique. (Steph grimace en jetant un coupd’œil àMorgan.)Oups !Bouche-toilesoreilles,bébé!

NousattendonsdansunsilencetenduensedemandantsiMorganvasemettreàchantonner joyeusement«merdique».C’estdéjàarrivéavecbordel,enculéetconnard.

Cettefois,ellen’enfaitrien.Soulagée,Stephsetourneversmoi.–Comments’estpassétondîner?MC lève la tête. Je prends le temps de mâcher avec l’espoir que

monexpressionnemetrahirapas.Moncœursemetàbattreplusvitelorsque je repense à la nuit dernière. Cela fait des années que je n’aipasressentiunetellealchimieavecunefemme.

–C’étaitsuper.Elleestjuste…elleestpu…(Jejetteuncoupd’œilàMorgansansfinirmaphrase.)Géniale.Elleestgéniale.

–Génial,renchéritStephavecunsourire.Ellemedévisage en s’attendant à ce que je développe,mais je ne

saispasquoiajouter. J’aienviequemarelationavecEvieévolueet jepense que c’est possible. C’est pour cette raison que je n’ai pas voulucoucheravecelletoutdesuitealorsquej’enavaisvraimentenvie.

– Elle nem’a donné aucundétail, elle nonplus. (Stephplante safourchettedanssonpoulet.)Vousêtescruels.

– Suis-je censé te parler de notre premier baiser dans la salle delecturedePoudlard?

Sesyeuxs’illuminent:

–Vousvousêtesembrassés!–D’accord,machérie.(Michaelposeunemainsursonavant-bras.)

Onva s’efforcerdenepas effrayer le gentil garçon. Ilsnousdiront cequ’ils veulent quand ils en auront envie. Mais j’espère qu’ils sesouviendront des gens grâce auxquels ils se sont rencontrés quand ilschoisirontleurstémoinsdemariage.

–C’estcequiarrivequandonestvieuxetmariésavecunenfant?(Jeleursourisenretour.)Onn’aplusriend’autreàfairequejouerlesmèresmaquerellesaveclesautres?

Ilssepenchentenavanttouslesdeux,ens’exclamantàl’unisson:–Nousnesommespasvieux!–Nousavonsuneviesocialededingue!Morgan qui pense que l’exclamation de ses parents doit être

célébréefaitdesbullesavecsonlaitjusqu’àcequ’ildébordedesonbol.–Non,non,dis-je.Vousêtespleinsdejeunesse.Biensûr.Maisvous

êtesaussi…installés.–Installés?pouffeSteph.Jet’enprie.Nous–elledésignesonmari

et elle – sommes des fêtards. Nous sommes capables faire la fêtejusqu’auboutdelanuit.Crois-moi.

–Vousallezencoreparfoisenboîte?Jehochelatêted’unairencourageant.–Biensûr.Elledésignesonbrasdansungesteanodin,maisjesuisbientôttiré

de mon ahurissement en réalisant qu’elle me rappelle qu’elle a untatouageetquelesgenstatouésvontsouventenboîte.

– Ce club qui s’appelle Foxtail est super-cool. On devrait y inviterEvie.

–Ouonpourraitl’emmeneràOrchid,n’est-cepas,Steph?– Cet endroit est chouette, acquiesce-t-elle. Des cocktails maison,

n’est-cepas?Ouest-cedansl’autre…Elleclaquedesdoigtspourtenterdesesouvenirdunom.

–Aréole,complèteMichaelpourelle.Maintenant,cetendroit…(Ilsiffle.)Cetendroitestfouuuuuuuuuu.

Ilappuiesur lemotcommes’ilavaitdeuxsyllabes.Stephhochelatête.

Jedoisposerlaquestion:–Ya-t-ilvraimentunclubquis’appelleAréole?– Ohouais, c’est genre l’endroit leplus cooldeL.A.,dit-elle.Oh.

(Ellesemblesedécourager.)Non,moncœur, jecroisqu’ilnes’appellepasAréole. L’aréole est une partie du téton, n’est-ce pas ? Je penseplutôtquec’estAréola.

–Oui,cen’estpaspareil.–Aréola,renchéritMichaelenévitantmonregard.–Vousyêtesdéjàallés?–Nous?Voyons,lanceMCavecunepetitetouxquisignifiebiensûr.

Nous…ehbien…non.Onvoulaityaller,maisilsn’ouvraientpasavant21 heures. C’est ça, mon cœur ? 21 heures ? (Steph acquiesce enretirant un haricot écrasé des cheveux de Morgan.) Et c’est… c’estvraimenttard.Paspournous,maistusais,pourMorgan.

– Elle ne dort pas bien quand une baby-sitter la garde sinon,Seigneur , on passerait tout notre temps là-bas. (Steph esquisse unepetitedansesursachaise.)Ceseraitouf.

–Ouf,répèteMichael.Onfoutraitlebordel.–Aréole.(Jesouris.)Merveilleux.

Mon téléphone sonne sur le siège passager quand je bifurque surSantaMonicaBoulevard.Je l’ignore,en laissantpasserdevantmoiunconducteurpressédu lundimatin,etattendsque le feupasseauvertpourpouvoir avancerde cinqmètresavantqu’ilne repasseau rouge.Jenecesseraijamaisdem’étonnerqu’untrajetdehuitkilomètrespuissedurerpresqueuneheure.

Je suis sur le point de changer de radio quandmon téléphone seremetàsonner…encore…etencore.Jeluijetteuncoupd’œil,l’écranestcontrelesiège,etjecalculementalementcombiendetempsjevaisencorepasserdans lavoiture.EnCalifornie, il est illégald’utiliser sontéléphone au volant, j’enfreindrais donc la loi en lisant ou enrépondantàuntexto.Jesuissurlepointdemeconvaincrequejepeuxattendrequandilseremetàsonner.

Sansarrêt.Quandlefeupasseaurouge,jeglisseletéléphonesurmesgenoux,

déverrouille l’écran rempli de notifications : appels manqués etmessagesdeBecca.

Je compose son numéro en entendant la tonalité retentir via leBluetoothdemavoiture.

–Carter.– Salut. (J’accélère en traversant l’intersection.Mon cœur se serre

étrangement.)Quesepasse-t-il?–Aucune idée. (Quelqu’unparle etBecca répond.)OK. (Plus fort,

elle me dit.) Regarde tes mails. Nous avons rendez-vous à WestHollywood.Onseretrouvelà-bas.

Et elle raccroche. Ahuri, j’attends le prochain feu pour ouvrir maboîtemail et trouveunenotededeux lignesavec l’entêteofficielledeCTM,contenantuneadresseetuneheure:9heures30.

Aucun détail supplémentaire. Au lieu de continuer tout droit, jetourneàdroitedirectionLaCienega.

Après m’être garé dans un parking sous-terrain, j’émerge sur laterre ferme et fixe le gratte-ciel à la structure en verre et en fer. Ilressemble à tous les autres immeubles de bureau : pas de nomapparentnidelogosurlafaçade.

Jenevoispasd’autreexplication,nouschangeonsdebureaux,ouquelquechosed’affreuxestarrivéànotreimmeuble…mais jen’airienentendu aux informations. Et Becca, calme, maîtresse d’elle-même etréactive à 99% du temps, ne décroche plus son téléphone. L’airclimatisé me frappe en plein visage quand j’entre, combiné avecl’adrénaline qui pulse dansmes veines, je sens mon instinct de New-Yorkaisseréveiller.

Ilreprendpossessiondemoi.Je marche dans l’imposante entrée de marbre en vérifiant encore

unefoismontéléphoneavantdeleglisserdansmapoche.Lecomptoird’accueil qui se trouve à quelques mètres de moi est surmontéd’énormes écrans exhibant les mots Price et Dickle, les logos et lesaffichesdefilmsdecertainsdesacteursqu’ilsreprésentent.

L’oxygènequittemespoumons.P&D vient de déménager. Est-ce ici que leurs bureaux ont été

transférés?Sur le côté, je remarque une petite table temporaire surmontée

d’une feuille de papier sur laquelle je lis CTM inscrivez-vous, derrièrelaquelle est installée une jolie blonde entourée par deux gardes enuniforme.

Nos bureaux vont-ils être transférés dans le même bâtiment queceux de P&D ? Lamise en scène est si étrange que je ralentis le pas,commesiundrapeaurougevenaitdes’agiterdevantmesyeux.

Jem’approchelentementdelatableetattirel’attentiondelabelleblonde qui porte une oreillette.Malgréma nervosité, je lui offremonplusbeausourire.

–Bonjour,çavavoussemblerétrange,mais…Ellerépond,levisagefermé:–VousbossezchezCTM?J’acquiesce.Ellejetteuncoupd’œilàsaliste.–Aaron.CarterAaron.Ellerenifle,feuillettequelquespages.–Vousvoilà,AaronCarter.(Ellemetendunbloc.)Voussaviezque

vousavezlemêmenomqu’unBackstreetBoy?–VouspensezàNickCarter.AaronCarterestsonjeunefrère.Mon

nomestCarterAaron,pasAaronCarter.Je sens qu’elle s’est déjà désintéressée demoi lorsqu’elle agite ses

cilssifauxqu’ilssemblentdéfierlesloisdelagravité.Jenepeuxpaslablâmer. Je ne suis pas censé connaître le nom du frère d’unmembredesBackstreetBoys.Saufque je le connais, parceque c’estune chosequej’aidûexpliquerdesdizainesdefoisdansmavie.

Jejetteuncoupd’œildiscretàsaliste.Jereconnaisquelquesnoms.Cameron du département Écriture et Adaptation audiovisuelle, SallydesDroitsétrangersetquelquesautresencore.

–Pouvez-vousmedirecequejefaisici?

–Remplissez ces formulaires, répond-elle endésignant leblocquejetiensàlamain.Rendez-vousaudeuxièmeétage.Oh,etsignezpourobtenirvotrebadge.

Ellemetendunbadgeavecmonnom,jesigneavecréticence.Ellem’adresse un vague sourire etmemontre la direction des ascenseurs.Un garde passe son badge pour que je puisse entrer par les portessécurisées et, une fois dans l’ascenseur, j’appuie sur le bouton dudeuxièmeétage.

JesorsmontéléphoneetenvoieunmessagerapideàEvie.

Après quelques instants, un tintement bruyant m’apprend que jesuisarrivéà l’étage supérieur.Quand lesportes s’ouvrent,une femmed’âgemoyenm’accueille,accompagnéed’autresvigiles.

D’accord…Onme demande dem’asseoir dans une salle. Je n’obtiens aucune

réponsedel’apparitrice,maisellem’assurequel’explicationnesauraittarder.Lasalleestspacieuse,trèslumineuse,occupéepardesrangéesde fauteuils confortables. Les immenses fenêtres donnent sur WestBeverlyBoulevard.

Des gens attendent déjà, je reconnais seulement quelques têtes.Personne ne semble savoir ce qui se passe. La salle se remplitlentement, mais reste pourtant plongée dans un silence lugubre.

Chaque fois que quelqu’un entre ou s’assied, en faisant grincer unfauteuilsurlesolouenémettantunquelconqueautrebruit,unfrissonparcourt l’assistance, puis plus rien. J’ai l’impression que nous avonstreize ans et que nous attendons d’être appelés dans le bureau duprincipal.

–Carter.Je me tourne pour voir Kurt Elwood, qui travaille aux Longs-

Métrages, avancer vers moi en passant une main dans ses cheveux,avecsonexpressionmaussadehabituelle.

– Il me semblait que j’avais vu ton nom en bas. (Je détaille satenue.)Çava,mec?

Sonteinttireverslevertetdesgouttesdesueurperlentsursalèvresupérieure.

Ilsortuncachetcontrelesbrûluresd’estomacdesapocheetl’avaleengrimaçant.

–Tusaisàquoiçamefaitpenser?Je suis son regard en étudiant la pièce. Tout le monde semble

confus,maispersonnenepanique.– Ça ressemble à un plan de licenciement. Ils nous sortent du

bâtiment, ils nous ôtent l’accès à nos dossiers via le systèmeinformatique.

–Quoi?Cettesuppositiondéclencheunventdepaniqueenmoi,jejetteun

nouveau regard circulaire dans la pièce. J’ai émis la possibilité qu’ondéménageait. L’entreprise recrute sans arrêt, je n’ai jamais pensé à lapossibilitéd’unplandelicenciement.

– Tu ne penses pas qu’ils pourraient faire un truc pareil ? LedépartementLongs-Métragesnegénèreplusd’argent.Lesgensnevontplus au cinéma. Le piratage tue nos profits.Même vous, les types dusecteurÉcritureetAdaptationvisuelle,vousn’êtespasensécurité,P&Destdirigépardesmonstres.(Ilmedévisage.)Quoi?Tucroisqu’ilsvontnousoffrirdescadeauxdedépartetnous laissernousenvolerversde

nouveauxhorizons?Non,ilsvontnousrecevoirindividuellementpourlimiterl’émotioncollective.Pourquoipenses-tuquetoutlemonden’estpas là ? (Il attrape un deuxième cachet, le fixe avant de l’enfournerdanssabouche.)Çafaitdeuxsemainesqueçaseprépare.

Jesuisdéchiréentreledésirdedétournerlesyeuxdumédicamentrose qui colore ses dents et le besoin d’en savoir plus. Tous lesévénements étranges, non expliqués,me reviennent enmémoire et jemedemandes’ilvoit juste.EmilShepardnesemblaitplustrèssatisfaitdeCTMdepuisunmoment.S’ilaeuventdecetteopération,alorsilapu demander à être transféré dans ma liste afin d’être libéré de sesengagements parmon licenciement. Il lui suffisait d’attendre pour neplusêtreliéparuncontrat.SiBlakeétaitaucourant,celaexpliqueraitcertainement son absence de réaction surprenante suite au départd’Emil.

Kurts’exclamesoudain:– Seigneur, j’ai quarante-deux ans. Personne ne veut d’un agent

d’âgemoyen,médiocrepar-dessuslemarché!Ilsveulentdesrequins!Je ne peux pas rivaliser ! Oh mon Dieu, grogne-t-il, je viens dem’acheterunbateau!

–Bon,respironsunboncoup.(J’espèreavoirréussiàmasquermonagitation.)Nousnesavonsmêmepascequisetrame.Netironspasdeconclusionshâtives.Pourquoinousamèneraient-ilschezP&Ds’ilsnouslicenciaient?Pourquoinepaslefairedansnotreproprebâtiment?

J’essaie de l’éloigner du reste du groupe. Il éclate de rire en medonnantunetapedansledos.

– JeuneCarternaïf etpleind’espoir.Tudevraispeut-êtreprendrel’undecescachets.(IlposelesderniersRenniedansmamain.)Écoute-moibien:àmidi,pluspersonnen’auradejob.

Chapitre7Evie

J e traverse le parking sous-terrain, mon téléphone coincé entre

l’épaule et l’oreille, tout en fouillant dansmon sac pour trouvermonbadge.Jesuisenretard,cetappeltraîneenlongueur,maissij’arriveàmeneràbienlanégociation,lejeuenvaudralachandelle.

– Parlons sérieusement une minute, dis-je dans le combiné enmettant enfin lamain surmonbadge.Vousobtenir un entretien avecTylernemeposeaucunproblème,maisvousallezmepromettrequeceserapourqu’ilrencontreunréalisateur.Ilneserapasderetouravantnovembre et en dehors de ses obligations professionnelles, il veutconsacrerunpeudetempsàsafamille.Silarencontrealieuselonmesconditions, je noterai la date dans mon agenda et organiserai cetteentrevue.

Je franchis les portes transparentes enme dirigeant droit vers lesascenseurs.

– D’accord. (Je passe mon badge sur la borne.) Consultez votreagenda.JedemanderaiàJessdevousrappelercetteaprès-midi.

MonassistanteJess,quiespionnenormalementtousmesappels,estauxabonnésabsentscematin.Étrange.

Lesportesdesécuriténes’ouvrentpas,jeglisseànouveaumacartedanslelecteur.Aucunelumièrenes’allume,pasdetintementnonplus.

–Àtrèsvite.Merci,Nev.Jerangemontéléphonedansmonsacettraverselaréceptionpour

atteindreleposteprincipaldesécurité,enjetantunvaguecoupd’œilàla table improvisée de l’autre côté, entourée de deux vigiles quiattendent,stoïques.

Jemepenchesurlecomptoirdemarbreetregardelevigilequejeconnaisbien.

–SalutJake,qu’est-cequecettetablefaitlà?Jakelèvelesyeuxetregardeendirectiondesascenseurs.–MademoiselleAbbey,votrecartenefonctionnepas?Jelaluitendsensecouantlatête.Lesverresdeseslunettesscintillentdanslalumièrelorsqu’ilbaisse

lesyeuxverssonécranavantdeseredresser:– Votre carte a été verrouillée. Je dois vous envoyer au deuxième

étage.–Verrouillée?Audeuxièmeétage?C’estl’étagedelaréceptionet

ducentredeconférencesdeP&D.Personnenetravaillelà-bas.– Je ne peux rien vous dire de plus,Mlle Abbey,mais vous n’êtes

pas la seule dans cette situation. Je vous accompagne jusqu’auxascenseurs.

Il contourne le bureau en faisant signe à un autre vigile qu’ilreviendradansuneminute.

–Jenecomprendspas.(Jesorsànouveaumontéléphone.)JevaisappelerAmélia,ellesauracequisetrame.

– Je crois que Mlle Baker est déjà arrivée, dit-il en passant sonbadge avant de me suivre jusqu’aux ascenseurs pour appuyer sur leboutondudeuxième étage.Ne vous inquiétez pas, je suis certain quetoutsepasserabien.

À l’intérieur de l’ascenseur, je manque lâcher mon téléphone enréalisant qu’il est resté en silencieux toute la matinée. J’ai reçu desmessages de Daryl et de Carter, un message de Steph. Un texto

étrange,toutenmajuscules,delapartdeJess:EVIE,QUESEPASSE-T-IL?

Mesmains tremblent quand je fermemon application sans lire lesautresmessagesetouvrelenavigateurInternetpouraller jeterunœilausitedeVariety,carquoiqu’ilsurviennedanscetteville,Variety–ouTwitter–enontvent toutde suite.Bien sûr, iln’yapasde réceptiondans l’ascenseur et la page Internet commence à peine à se chargerlorsquelesportess’ouvrentavecundingsonore.

Une voix résonne dans le silence. Abasourdie, je jette un regardcirculaire dans l’immense hall, une foule de personnes se tourne versmoi.

Unefemmemesourit:–Jevousenprie,asseyez-vous.Nousvenonsdecommencer.La réception, habituellement vide, a été remplie de chaises

occupées aux deux-tiers. En marmonnant des excuses, je glisse montéléphonedansmapocheetmehâtedetrouveruneplacevide.

–Bonjour,ditlafemmeavecunsourireéclatantetunpeuforcé.Elle a de longs cheveux roux qui ondulent jusqu’aumilieu de son

dos.Jenesaispasquic’est,maisellemefaitpenseràuneprésentatricetélé.Elleestsophistiquée,propresurelle,etressembleentoutpointaugenredepersonnequivavousdirequetoutvatrèsbien…ouquevousferiezmieuxdedécamperauplusvite.

– Comme vous avez tous pu vous en rendre compte, ç’a été unesacréematinée.Jem’appelleLisaetjetravailledansledépartementdesRessourcesHumainesdubureaunew-yorkaisdeCTM.

Attends.Elletravaillepourqui?Je suis sur le point de lever lamain pour lui demander ce qui se

passe quand je remarque une paire d’yeux verts familiers qui setournentversmoi,quelquesrangsplusloin.

Carter.

Quand j’ai vu son nom dans la liste de mes messages reçus, j’aisupposé qu’il allaitme demander si j’avais le temps de lui rouler despellesdanslavoiturependantl’heuredudéjeuner.Maisilestici,dansce repaire silencieuxde l’ahurissement ? J’essaie de comprendre,maismespenséestournentenboucledansmatêtecommeundisquerayé:LadéléguéeRHdeCTMsetrouvedanslelobbydeP&D.

Carterécarquille lesyeuxpourme faire comprendrequ’il estaussiperduquemoi,avantdesetournerànouveauverslafemme.

Quesepasse-t-il,putain?Jem’affale surmachaise,en fixant sescheveuxavantde regarder

autourdemoipourchercherdesvisagesconnus.JereconnaisDonald,du service Comptabilité. Rose, qui travaille avec moi au départementLongs-Métrages,etquelquesautres.Jedistingueunemassedesbouclessombresquidépasselesautrestêtes.Dieumerci:Jessestlà.JefinispartrouverDaryl,installéeaufonddelasalle.

Ellelèvelesmainsavecl’airdedireenfinet,vusonexpression,ellesemble aussi désorientée que moi. Elle désigne son téléphone aumomentoùdesbruitsdepasattirentnotreattentionvers lapersonnequiparle.

Lisatendunepilededossiersàunhommequisetientàcôtéd’elle.–Vousdeveztousêtreentraindevousdemandercequisepasse,

oualorsvousavezpeut-êtredéjàeulanouvelle:CTMetPrice&Dickleontfusionné.

Elle continue à parler,mais ilme faut plusieurs longues secondespour comprendre ce qu’elle dit, et quand lesmots font enfin sens, lebruit strident qui retentit dans ma tête ressemble à des pneus quicrissentlorsd’unfreinaged’urgence.

CTMafusionnéavecPrice&Dickle.Nousnesommesplusqu’uneseuleagence.Nous sommes une seule agence avec une masse salariale

démesurée.Monestomacestpleind’unacidequimerongelesentrailles.

Je jette un coup d’œil à Daryl, qui semble arrivée à la mêmeconclusion que moi, avant de regarder dans la pièce. Quelquespersonneshochentlatête,maispasbeaucoup.Laplupartdesvisages,dontceluideCarter,sontdevenusblêmes.

– Et si vous n’étiez pas au courant, continue-t-elle en regardantl’assistance,nevousinquiétezpas.Lanouvelleaétérenduepubliqueilyaseulementunedemi-heure.

Unedemi-heure.Je repense à tous les détails sortant de l’ordinaire au bureau ces

dernièressemaines,carjesaisquecetypededécisionneseprendpasdujourpourlelendemain.Quelquespersonneshautplacéesétaientaucourant, elles ont eu le loisir de développer une stratégie, de sepositionner. La grande question est : depuis quand se préparent-ils ?Laquestionencoreplusessentielleest:quisont-ils?Quisavait?

J’aienviedevomir.– Pour être parfaitement franche, nous ne savons pas encore

exactement comment va se dérouler la fusion, explique Lisa. Nousdevons attendre que les choses se calment avant de déterminercomment nous procéderons et comment la nouvelle structurefonctionnera.Maislanouvelleserabientôtconnue,nousvoulionsvousrassemblerpourvouscommuniquerl’informationenprivé.

Certainsgigotentsurleursiège.LetypeassisàcôtédemoiparcourtsonfilTwitter,probablementàlarecherched’informations.

– Comme beaucoup d’entre vous le savent, continue Lisa, P&D etCTM ont des bureaux à New York comme à Los Angeles. P&D estl’entreprise à l’origine de l’acquisition, c’est elle qui rapatriera dupersonnel des deux bureaux pour consolider la fusion, et seraégalementlibred’organiserdestransfertsdepersonnelàNewYork.(Àcesmots, j’ouvre la bouche, incapable deme concentrer sur la suite.)Voilàlesdétailsdontvousdiscuterezaveclesdirecteursdevosservices.Mais enbref – et c’est la bonnenouvelle –, si vous vous trouvezdans

cettepièce,c’estqu’ilyadegrandeschancesquevousayeztoujoursunjobdanscebureauouunautre.

…degrandeschancesquevousayeztoujoursunjobdanscebureauouunautre.

Çasignifie…c’estquelquechoseaumoins.N’est-cepas?Laplupartdesemployésprésentsontlaissééchapperunsoupirde

soulagement. Je jette un coup d’œil à Carter. Il continue à fixer Lisa,immobile.

– Pardon, vous pouvez développer ? marmonne-t-il, avant des’éclaircir la gorge pour continuer. Certains d’entre nous seronttransférésàNewYorketd’autresresterontici?Quandladécisionsera-t-elleprise?

Lisa se tourne vers lui et lui sourit comme s’il venait de lui poserunequestioninnocentedugenre:lesdistributeursautomatiquesdelasalledereposseront-ilsremplisdeCoca-ColaoudePepsi?

– Le choix des personnes qui restent ou qui sont transféréesappartientauxdirigeantsdevosdépartementsrespectifs.

Et le ton sur lequel elle prononce cette dernière phrase, avec uneindifférencepresquejournalistique,nefaitrienpourapaiserlapaniquequi monte en moi. Je glisse une main entre mes genoux pour lesempêcherdetrembler.J’ail’impressionquelesolvientdes’ouvrirsousmespieds.

Unbrouhahanerveuxcommenceàmonterdanslasalle.–Honnêtement,j’adoreraispouvoirvousdonnerplusdedétails,dit

Lisa en élevant la voix, mais comme vous pouvez l’imaginer, nouscommençonsàpeineàlesconnaîtrenous-mêmes.

Ducoinde l’œil, jevois lesépaulesdeCartersecontracter,satêtesebaisser.Ilsembleavoirlamêmeréactionquemoi:commes’ilsentaitle poids dumonde sur ses épaules et cherchait des yeux un récipientpouraccueillirsonvomi.

JeregardeDarylavecinsistanceenmedemandantsinouspensonstoutes les deux à la même chose : nous travaillons pour l’entreprise

acquéreuse.Noussommescenséesavoirunavantage,n’est-cepas?Cesoir,jevaisdévorerleplusgrospaquetdecookiesquejepourrai

trouver.

Peuaprès ces révélations,nous sommes rapidement congédiés.Onnous donne des documents et on nous dit où nous adresser pourobtenirplusd’informations.C’estcommesitouteslespersonnesréuniesdans cette salle qui sont surchargées de travail avec un programmepar-dessuslatête–commemoi–venaientd’êtreréduitesenuninstantàuneseuleetuniqueinterrogation:avons-noustoujoursunjobetdesresponsabilités ? Maintenant, nous attendons tous là, que lesresponsablesdéterminentcequisepasse.

CarterparledéjàenprivéavecLisa.JemarchedroitsurDaryl.–OùestAmélia?demande-t-elle,etjemerendssoudaincomptede

sonabsence.Jenel’aipasvuedepuislaveille.–Jenesaispas.Je fouille la salle du regard encore une fois. Amélia bosse aux

RessourcesHumainesdepuisplus longtempsqueDaryl etmoi– ilsnepeuventpaslalicencier.N’est-cepas?

–Attends.Quandjesuisarrivée,Jakem’aditqu’elleétaitdéjàlà.–Jeluiécris.(Darylpianotesursontéléphone.)Ellenenousaurait

pascachéça.Ellesefigeetjecomprendsimmédiatementàquoiellepense.– Si elle était au courant, elle n’aurait pas eu le droit de nous en

parler.LesépaulesdeDaryls’affaissent.– Quelle horreur ! (Elle joue avec l’élastique de sa tresse en

regardantautourd’elle.)Jereviens.JeviensdevoirpasserÉric,jevaislui demander s’il sait quelque chose. J’endoute,mais sononcle est lepatron,aprèstout.

Elleselèvepuiss’arrêtenetetchuchote:–ÀmoinsqueBradaitétéviré?–OhSeigneur…est-ce…serait-cepossible?Jen’arrivepasàfairetairelalueurd’espoirdansmavoix.– Pourquoi pas ? Ce serait inattendu, mais tous les coups sont

permis.Jereviensdansuneseconde.Une fois qu’elle a tourné les talons, Carter vient me parler. Mon

rythmecardiaques’accélère,encore.–Quesepasse-t-il,putain?Sesdoigtss’attardentsurmonbras,illeserreet,pendantquelques

secondespsychotiques,lasituationmesemblepresquecomique.–Aucune idée. J’ai bossé toute lamatinéeet quand je suis arrivée

aubureau,jenepouvaisplusentrer.Commetuaspuleremarquerenmevoyantentrericiàboutdesouffle,jeviensdedébarquer.MonamieAmélia travaille aux RH et nous sommes en train d’essayer dedéterminersiellesaitquelquechosemais…jenepensepasqu’ellesoitautoriséeànousdirequoiquecesoit.

–C’estn’importequoi.Fusionégaleréductiondeseffectifs.–Jesais.JemesensassezsûredemapositionchezP&D,maismalgrétoutes

lesvictoiresàmonpalmarès,l’échecdeFieldDayrevientaugalopdansmonesprit.

Laclimatisationdulobbysembleultra-méga-glaciale,jefrissonneetcroiselesbrassurmapoitrineenessayantdemeréchauffer.

–Jeteprêteraisbienmavestesinousn’étionspassoudaindevenusdescollèguesquisortentensembledanslasituationlaplusangoissantedel’histoiredel’univers.

Seigneur,jen’yavaismêmepaspensé.Nostéléphonessemettentàvibrerenmêmetemps.–Ehbien,voyonsvoir.J’aireçuunmaildePrice&Dickle.–Moiaussi.–Est-iltroptôtpourallerprendreunverre?

Une nouvelle carte magnétique à la main, je me dirige vers monbureauàl’étagedudessus,plongédansunsilencelugubre.

La cacophonie des imprimantes et des voix qui répondent autéléphone n’existe plus que dans mes souvenirs. Les appels sontdirectementenvoyéssurboîtevocale.Maisquepourraientbiendirelesemployéss’ilsrépondaient?

Onnousapriésdebienvouloirrevenirdemainpourlatransition–apparemment,lesmembresdeCTMn’ontaccèsniauxordinateursniàleursdossiers–maisceuxquidisposentd’unbureauchezP&Dontpumonter.Quepourrait-onfaired’autre?

La proposition de Carter a beau être attrayante, il est vraimentbeaucoup trop tôt pour commencer à boire. Même si personne nesemble travailler le moins du monde : il s’avère que les employés deP&Dn’ontplusaccèsàleursordinateurs,euxnonplus.Ilssesonttousréunis en petits groupes devant les bureaux, les gens chuchotent,nerveux,enregardantautourd’eux.

Qui pourrait les blâmer ? Les questions flottent dans l’air commedes bulles suspendues au-dessus des têtes, et les responsables quiauraientpuy répondre sonthorsdevue.Quiaunposte aujourd’hui ?Quienauraencoreundemain?

Je repense aux fusions dont j’ai eu vent ces dernières années. Lespiressontcellesquiontlieurapidement,sansqueladirectionaiteuletempsdeprévoirtouslesdétailsetdecréerunplanpourcombinerlesdépartements et gérer les effectifs surnuméraires. Mais j’ai remarquédes détails curieux ces deux dernières semaines, j’espère donc que leprojetnedatepasd’hieretqu’ilsontunputaindeplan.

Jejetteuncoupd’œilcirculaireetdistinguebeaucoupdenouveauxvisages dans les zones communes. La plupart des agences ontbeaucoup d’employés subalternes, parce qu’une grande partie dutravail consiste en coups de téléphone, mails, lettres, et à assurer lagestion de plannings. Cette nouvelle agence va en compter deux fois

plus et les employés rassemblés ici – en particulier ceux qui viennentd’être diplômés – le savent. J’imagine qu’ils sont tous censés rentrerchez eux, mais qu’ils restent pour avoir l’impression de posséder unesortedecontrôlesurlasituation,avecl’espoird’influencerlesdécisions.En outre, qui préférerait rester chez soi alors que de telles décisionssontentraindeseprendre?

Jetraverselecouloirsansparleràpersonne,déchiréeentrel’enviedefrapperàlaportedeBradpourexigerdesréponsesetdemecachersousmonbureau.Parchancepour lui, il est introuvable : sonbureauestfermé,vide,leslumièressontéteintes.

Danslesilenceagréabledemonproprebureau,jedécidedenepasallumer les lumièresetm’effondresurmachaisepour lapremière foisaujourd’hui.Jemedemandesijeferaismieuxdem’enfermericijusqu’àce qu’il soit temps de rentrer à lamaison ou de revenir demain pourapprendrequ’ils’agissaitseulementd’uneplaisanteriedemauvaisgoût.

Mais il y a peude chances. Je vois la tête blondedeDaryl par lafenêtre intérieure, faisantsonchemindansmadirectionavecAmélia–Dieumerci–sursestalons.

– Tu te caches ? Tu avais raison, dit Daryl en entrant dans monbureau.(Ellerefermelaportederrièreelle,grogneets’installesurmonpetit canapé en repliant les jambes sous elle.) Éric est à l’ouest. Il nesait rien. Sa seule inquiétude était de savoir si le distributeurautomatiquefonctionnaitencorepourqu’ilpuisseachetersesFritosauchili.Alerterouge:ilaréussiàlesachetertoutseul.

Amélias’assiedàcôtéd’elleenfermantlesyeux,s’installantcontrelescoussins.Ellesembleépuisée.

–Çava?Jakem’aditquetuavaispassélamatinéeici.Ellegrimaceenavouant:– Je regrettedene rienpouvoirvousapprendredeplus, les filles.

On a été quelques-uns à recevoir un coup de téléphone à 22 heureshier soir, nous disant que nous devions arriver le plus tôt possible ce

matin. Je suis arrivée à 5heures. Jene vous ai riendit à causede laconfidentialité,bla-bla-bla.

Elleenlèveseschaussuresets’étirelesjambes.– Mais, de toute manière, je ne sais rien de plus que vous.

Apparemment, P&D s’intéressait à CTM depuis un moment, mais lesassociés ne voulaient pas vendre. Ils ont dû changer d’avis. J’imaginequ’ilsontpasséçasoussilenceàcausedecequiestarrivéàFairmount,où lesagents lesplus influentsonteuventdecequi sepassaitetontpris la fuiteavantmêmeque la transactionsoit terminée. (Elle lève lementon versmoi.) Tu avais finalement peut-être flairé le truc, NancyDrew 1.

–Donc,sinoussommesencorelà,c’estquenousn’avonspasperdunotre travail ? (J’ai la tête qui tourne.) Savent-ils comment ils vontprocéder?

Ellesecouelatête.– Je suis sûre que oui, mais je n’ai pas vu les documents qui

expliquent comment tout va s’organiser. Nous aurons les détailsdemain.

Hum,c’estuncauchemar.–IlyaunarticledansVariety,ditDarylenlevantlesyeuxdeson

iPadavantdeletournerversnouspourquenouspuissionslire.

À la surprise de tous, lundimatin, la célèbre agence artistiquePrice & Dickle, grâce à l’expertise du groupe de Private-EquityWilliam Trainer, a fait l’acquisition de l’agence concurrenteCreativeTalentandMedia.Lanouvelleentrepriseconserveralenom de P&D et, d’après le PDG Jared Helmsworth, sera uneagence offrant un service complet. Dans son communiqué,Helmsworth explique : « Avec des bureaux situés à New York,LosAngelesetLondres, cette fusionoffriraànos clients l’accèsauxesprits lesplus finset lespluscréatifsdumilieu,avecplus

d’opportunités pour obtenir des contrats de contenu digital,télévision,cinéma, littératureet sport. »Leprixde l’acquisitionn’a pas été rendu public. Il semblerait que, dans les jours quiviennent,l’agencerestructuréesoitforcéedelicencierunepartiede ses effectifs, y compris des agents, mais quand Variety ademandédesdétailsauporte-parole,ilnousaétéréponduque« toute spéculation à ce stade serait prématurée ». Affaire àsuivre.

Nous nous affaissons dans nos sièges en nous plongeant dans nospensées,malàl’aise.

– Ce n’est pas comme si on apprenait quelque chose dans cetarticle,finitpardireDaryl.Donc,pourquoiest-cequejemesensencoreplusmal?

Améliafermelesyeux.–Voilàlaraisonpourlaquellemamèrem’aconseillédemetrouver

unmaririche.– Je ne pense pas que tu aies matière à t’inquiéter. Tu diriges

pratiquementtonservice.(JemetourneversDaryl.)Combiendetempsreste-t-ilsurtoncontrat?

– Un an et demi. (Elle sourit pour la première fois depuis uneheure.)S’ilsmeproposentuneindemnitéroyaledelicenciement,çameva.J’aibesoindevacances.Ettoi?

Chaque agence fait les choses différemment mais chez P&D, lescontrats à durée déterminée sont constamment renouvelés. Ça nepourraitpasêtrepire.

–Cinqmois.Unevagued’angoissemesubmerge.Mesamiesn’ontapparemment toujourspasapprisàbluffer,parce

queleursexpressionsaccentuentmanausée.Ilseraittrèsfacile,ettrèsbonmarché,demelicencier.

Améliasereprendrapidement.–Evie,tun’aspasàt’enfaire.Cen’estpaslemeilleurtiming,mais

toutsepasserabien.Tuesunepointure.– Mais Brad alors ? Il adorerait avoir une bonne raison de se

débarrasserd’unvagin.–Tuesunvagindanslequelilneseglissepas.J’éclatederireavantdegrogner.–Oualors il laisseraplaner ledoutepour les cinqprochainsmois

avant d’oublier de renouvelermon contrat. (Je glisse surmon siège.)Oh ! Sansmentionner le problèmeCarter. (Jeme frotte le visage.) Jefinisparrencontreruntypequimeplaît,hétérosexueletnevivantpaschezsamère,etvoilàqu’iltravailleici.

–Pardon?Darylécarquillelesyeux.Jehochelatête.–IlbossechezCTM,tutesouviens?Etondiraitqu’ilasurvécuàla

premièrevagued’épuration.Iltravailleavecnousmaintenant.Amélia me dévisage, l’air aussi amusée que choquée, mais Daryl

reprendrapidementsesesprits:– OK, commençons pas prendre une grande inspiration.

Respireeeeeez. Deuxièmement, ça va très bien se passer avec Carter,attendonsdevoir…

Daryl s’arrête net, et je sais exactement ce qu’elle allait dire :attendonsdevoirsituasencoreunjobdemain.

–Attendonsdevoircommentleschosessemettentenplace,choisit-elled’ajouteràlaplace.Ettroisièmement?Nousnesommesmêmepassûres que Brad travaille encore ici. Personne ne sait où il est, Kylie adisparu de la circulation, elle aussi. S’il n’est pas là, ton palmarès, àl’exceptiondequelquesaccidents,parlede lui-même.Ne tedévalorisepas.Jelesensbien.

Seigneur.Faitesqu’elleaitraison.

J’imaginequeCartera luiaussividéunebouteilledevin tout seulhiersoiretquec’est laraisonpourlaquellejen’aiaucunenouvelledelui.

Dumoins,c’estcequejemerépète.Inutile de dire que je ne suis pas la meilleure version d’Evie, ce

matin.Mamère,quilitreligieusementVarietyetDeadline,m’aappeléeaumoinsseptmillefoishier.J’aifiniparluirépondreenachetantmoncaféchezVerve,à6heures30,aprèsenvirondeuxheuresdesommeilagité.

–Evie,machérie.Jesuisenchemin.–Maman,non.Jenesuispaschezmoi.–Jeteretrouvequelquepart.Dis-moioù.Je soupire enm’asseyant à une petite table dans un coin. Je n’ai

même pas besoin de lui demander à quoi elle pense pour savoirexactementàquelleconclusionelleestarrivée.

–Jen’aipasenviequetuviennespourmecoiffer.Ma mère a été coiffeuse pendant presque trente-cinq ans, son

accomplissement ultime a étémarqué par les épisodes deDynasty en1984, quand elle a été personnellement chargée de la perruque deJoan Collins. D’après ma mère, un bon brushing résout tous lesproblèmes.

– Ça t’aidera à te sentir mieux, dit-elle, et j’entends le thèmemusical familier deGoodMorning America en fond sonore. (Selonmamère, rien de mieux pour arranger une journée difficile que descheveux propres, un massage du cuir chevelu et l’assurance queprocureune laquedequalité.) Jepourraispeut-être rafraîchirunpeuta coupe ? Tes cheveux ont tellement poussé et tu sais qu’ils onttendanceàfourcherauniveaudespointes.

–Çavaaller.Jen’aipasbesoind’unecoupedecheveux.Coupelescheveuxdepapa.Jedoisallertravailler.

Mêmesijenesaismêmepluscequelemot«travailler»signifie.

Montéléphonesonneencorequand jesorsduVerve,uncaféà lamain.Jedoisregarderdeuxfoisl’écranpourm’assurerquejelislebonnom.

Carter.–Allô?–Salut,dit-iletsijenemetrompepas,ilaaussilagueuledebois

etunbesoindésespérédecaféine.Commentçava?Letondesavoixmedonneenvied’éclaterderire.Ondoitressentir

lamêmechose:lecalmeavantlatempête.–Çava.Unpeu…fatiguée.–Nem’enparlepas,répond-ild’unevoixrauque.Jevoulaistedire

quejeseraichezP&Dcematin.J’imaginequetoutadéjàététransféré,les ordinateurs, les dossiers. Apparemment, ils s’en sont occupés cettenuit,aprèsnousavoirinformésdelafusionetdelapremièresériede…coupes.

–Waouh,çasemble…dur.–Bref, je voulais juste te le dire. Je sais qu’il s’agit d’une situation

inhabituelle,c’estlemoinsqu’onpuissedire.Mon cœur se met à battre un peu plus vite. Carter est tellement

sympathique.Çan’arrangerien.– Au moins je te verrai aujourd’hui alors. Comment les gens le

vivent-ilsdetoncôté?Stephm’aditquel’équiped’Altermanapaniquéensedemandants’ilsseraientoupasembarquésdanscetteaffaire.

–J’aiparléàMichaelChristopherhiersoiretplaisantéenluidisantquejem’installeraispeut-êtredanssachambred’amissij’étaislicencié.

J’aimerais lui faire un câlin. P&D est une petite entreprise,impitoyabledenotoriétépublique.

–As-tueuventdequelquechosedetoncôté?– Pas vraiment. J’ai reçu un mail hier soir, un résumé de ce que

noussavionsdéjà.Ilsoupire.–C’estcequejepensais.

–Ettoi?Çava?– J’ai connu des joursmeilleurs. (Il laisse échapper un petit rire.)

Enfin,j’imaginequej’aiencoreunjob.Contrairementàmonassistante.Cequiexpliquequ’ellen’étaitpasàlaréunionhier.

–OhSeigneur,Carter,jesuisdésolée.–Merci.Honnêtement,Beccaétaitgéniale. Jevaisêtreperdu sans

elle.Jenesaispascommentjevaism’ensortir.Je me sens mal pour lui, je sais dans quel état je serais si j’avais

perduJess,àplusforteraisonunjourpareil.–Maissurunenoteplusoptimiste,ondiraitquejevaisfinalement

rencontrerl’illustreBradKingman.Laterres’ouvresousmespieds.–Pardon?Qu’as-tudit?–BradKingman?– C’est le directeur de mon département, Longs-Métrages, et non

pasdeladivisionÉcritureetAdaptationaudiovisuelle.– Je sais, répondCarter. (J’imaginequ’il hausse les épaules.)Mais

c’estladirectivequ’onm’adonnée.JedoisrencontrerBrad.

1.Cfplushaut,note2.

Chapitre8Evie

Àdixheures,montéléphonesonne.Jegardelesyeuxrivéssurl’écran

en face demoi et soupire de soulagement lorsqu’après une deuxièmesonnerie,ilsetait.Jepenseouf,enterminantderédigerunmail.Jen’aienviedeparleràpersonneaujourd’hui.

Moinsd’uneminuteplus tard, on frappe àmaporte et je lève lesyeuxpourdécouvrirmonassistante,Jess,quisetientsurleseuil.

– C’est ce que je pensais, dit-elle en hochant la tête vers letéléphone.Malgré l’absencede lumière (elle désigne la fenêtre à côtédelaporte)j’étaissûrequetuétaislà.

– Je suis désolée, lui dis-je, l’air unpeu coupable. Est-ce que je tedécevraissijetedisaisquej’ailatrouille?

Elle rit en entrant dansmon bureau, puis ferme la porte derrièreelle.

– Pas du tout. Maintenant que nous avons à nouveau accès auxordinateurs, la plupart des gens sont sur LinkedIn ou font desrecherchesGoogletypeCommentsurvivreàunefusion.

J’appuiesur«envoyer»avantdeleverlesyeux.–Mêmesijenesaispaspourquoinousnouscachonstous.Personne

n’a vu Brad et, hier, la confusion était telle que je suis certainequ’aujourd’hui,çanepeutpasêtrepire!

Jess s’éclaircit la gorge, je plisse les yeux dans sa direction, lassetoutd’uncoup.

–Quoi?– Eh bien, la raison pour laquelle je t’ai appelée… (Elle grimace.

Lescréolesdoréespenduesàsesoreillesscintillentsousleslumièresdesnéons.Elle s’agrippeaudosde la chaise sur laquelleelle s’appuie.) Ilestici.Quandtun’aspasrépondu,ilm’aappelée.Ilveuttevoir.

–Brad?–Brad.Jemefaistoutepetitesurmachaise.–Mincealors.–Ilapassésamatinéeàrecevoirdesgens,ilsemblequecesoitton

tour.Commeilleditsibien:«Susàl’ennemi!»Jegrogne.Donc,ilreste.Pourdebon.

ToutlemondelèvelesyeuxenmevoyantmedirigerverslebureaudeBrad.S’ilreçoitdesgens,quisaitcequ’ilsontsubi?Soulagement?Colère?Larmes?Toutestpossible.

Jenemeposeplusdequestionssurmonapparence–untrèsbonpoint,çaarrivealorsquejeviensd’avoirtrenteans–maisavectouscesyeuxrivéssurmoi,j’ail’impressiond’êtreunmannequintrébuchantsurunpodium.J’auraisvraimentdûmettremonsoutien-gorgerembourré.

Je vois du coin de l’œil plusieurs têtes se tourner, leur attentions’arrêtesurquelqu’unauboutducouloir.Jesuisleursregards.

Carter.Ilporteuncostumegrisanthracitequisembleavoirétéfaitpourlui

par des elfes tailleurs magiques. Il met en valeur ses épaules, seresserre au niveau de la taille, épouse parfaitement son corps. Je tiresurl’ourletdemarobeenmesentantsoudainmalfagotée.

Ilmerejointenquelquesenjambées.–Salut.

J’essaiedenepasquitterlazonedesécuritéduregard:sacravate.Elleestbleueàpetitspoisvertsetjesaisdéjàque,sijelèvelesyeux,jeverraiàquelpointellemetenvaleurlacouleurdesesiris.

Ouaip…toutàfait.–Hey.Je sens le poids des regards sur nous. Pourquoi n’observeraient-ils

pas la catastrophe sur le point de se produire ? Si j’étais eux, je n’enrateraispasunemiette.Mêmes’ilsnesaventpasquej’aitenusonpénisdansmamain ilyaquelques joursetquemaintenant,apparemment,noustravaillonsensemble.C’estpeut-êtreévidentsurmonvisage…

Ou alors ils ne nous regardent pas du tout pour cette raison. Ilsnous regardent peut-être parce que Carter est le nouvel arrivantsublimeduservice.

Jeressensunmélangeétrangedepossessivitéetdemalaise.–JesuisenroutepourallervoirBrad.(Jesuisimpatientedemettre

un peu d’espace entre nous, dans ce bureau plein d’yeux curieux.)Commentças’estpassépourtoi?

– Je ne sais pas encore. Notre rendez-vous de huit heures a étédécalé.J’yvaismaintenant.Kylies’apprêtaitàm’accompagner.

C’est seulementà cet instantque je remarque l’assistantedeBrad,Kylie,quisetientàquelquesmètresdenous,occupéeàmaterleculdeCarter. Quand elle remarque mon regard, elle s’approche. Carter luisourit. Elle lui sourit en retour, ses joues et son cou rougissentlégèrement.

J’ai l’impression qu’on vient de m’asséner une gifle. Une étrangeprémonitionmevientsoudain.

Kylie s’éclaircit la gorge et avance vers nous avant de s’arrêterdevantlaportedubureaudeBrad.

– Vous pouvez entrer, dit-elle en souriant à Carter si longuementquec’enestbizarre.(Oualors,c’estseulementbizarrepourmoi,parcequejeladévisagecommesiellevenaitdecommettreuncrimedelèse-majestéenposantlesyeuxsurlui.)Ilvavousrecevoirtouslesdeux.

Interloquée,jedemande:– Pardon, Kylie a dit qu’il allait nous recevoir tous les deux ?

Genre…ensemble?–Oui.–Tusaispourquoi?Monesprit revientà la sensationdemamaindans lepantalonde

Carter.Sonspermesurma…Jesecouelatête.Bradnepeutpasêtreaucourant,mêmesi jene

voispasd’autreexplicationplausible.–Nan.(Ellenousregardeàtourderôle.)Ya-t-ilunproblème?–Aucunproblème.(Cartermefaitsigned’entrer.)Merci,Kylie.– Je vous en prie. (Elle lève le pouce dans sa direction avant de

chuchoter.)Tuvastoutdéchirer!C’estuneblague,putain.Avec une petite toux gênée, Carter baisse les yeux lorsque je lui

passedevant,etnousentronsensembledanslebureaudeBrad.Brad Kingman cultive une apparence d’inaccessibilité, vous savez,

quand on sent que quelqu’un pense être meilleur et bien plusintelligent,avecune longueurd’avancesur tout lemonde. Il faitaussicetrucquetouslesgenslesplusintimidantsfont:vousregarderdroitdans les yeux quand il vous parle. Quand vous parlez, si vous êtesassez important pour qu’il accepte de vous écouter, il vous donnel’impressiond’être lapersonne laplus fascinantedumonde.Maisunechoseestsûre:sivousouvrez labouche, ilvautmieuxpourvousquevous sachiez ce que vous allez dire. Si vous entrez dans son bureau,allezdroitaubut.Ilnediscutejamaisdelapluieetdubeautemps,etilnesoignecertainementpassonrelationnel.

Mais quand Carter passe la porte, un Brad Kingman que je n’aijamaisvuselèvepourlesaluer.

–Carter.(Il luioffreungrandsourireetcontournelebureaupourluiserrerlamain.)Ravideterencontrer,fiston.

Fiston?

Cartersembleabasourdi,maisilsereprendrapidement.–Ravidevousrencontrerégalement,dit-il, ledosdroit, lementon

levéenponctuantcesmotsd’unepoignéedemainénergique.Ilsemblecalme.Bien,ilafaitsespetitesrecherches.Brad lui donne une tape dans le dos et lui fait signe de s’asseoir

avantdes’intéresserfinalementàmoi.–Evie.Çaaétéunpeulafolieici,n’est-cepas?Iltireunechaisepourmoi,jesourispourleremercier.–Absolument.Brad revient derrière son imposant bureau en noyer et prend

quelquesinstantspournousregarderàtourderôle.–Vousvousêtesdéjàrencontrés?Jejetteuncoupd’œilàCarteretsouris,levisageblafard:–Oui,nousnousconnaissonsdéjà.–Ehbien,voilàdequoijeparletoujours,voilàuneéquipe.Carter,

sache qu’Evie est ma protégée. Si tu as la moindre question, si tu asbesoindequelquechose,Evieseral’interlocuteuridéal.Compris?

Lecomplimentmefaitrougir,maislamentioncondescendante–saprotégée–medéplaît.

– Absolument, répond Carter en me jetant un coup d’œil gêné.Jusque-là,ellem’aétéd’unegrandeaide.

Bradfrappesurlebureauetinclinesonfauteuilenarrière.–Bonà savoir.Maintenant, si j’essaiedememettre à votreplace,

j’imagine que vous êtes toujours un peu perplexes et que vous vousdemandezcequisepasse.N’est-cepas?

–Plutôtoui,faitCarteravecunpetitrire.–Jecomprends.Jecomprendstoutàfait.(Ilseredresseetposeles

mainsdevant lui.)Evie tediraque jecroisau travaild’équipe,Carter.Etici,chezPrice&Dickle,noussommesaussifortsquenotremaillonleplusfaible.Pasvrai,Evie?

Jerépondsàtraversmesdentsserrées.

–Toutàfait,Brad.– Ce qui signifie que tous nos joueurs doivent être capables de

gagner. Je vous ai fait venir tous les deux ensemble pour plusieursraisons. La première c’est – et ça reste entre nous – que je pense quevous êtes les meilleurs éléments dont nous disposons. J’ai beaucoupentenduparlerdetoi,Carter.C’estpourquoi je t’aiarrachéauxgriffesde la division Écriture et Adaptation audiovisuelle, tu es fait pour ledépartement Longs-Métrages. À vous deux, vous parviendrez àremettrecedépartementàflot.

Ilattrapedeuxdossiersdanslebasd’unepileetouvrelepremier.–Tuascommencéentantquecommisauxfinancesd’uneagenceà

NewYork?demande-t-il,etCarteracquiesce.Etqu’as-tu tirédecetteexpérience?

Cartersedécalesursonsiègeenmejetantuncoupd’œilavantdereportersonattentionsurBrad.Jen’étaispasaucourant.

Apparemment, ilyabeaucoupdechosesque j’ignoresur lui.C’estunepremièrepourmoi :apprendreàconnaîtreunpetitamipotentieldurant une séance de torture à peine voilée dans le bureau de notrepatron.

–Bien sûr, j’ai entendubeaucoupdepotins,avoueCarteravecunsourire. Certains agents se comportent comme si toute personne nefaisant pas partie d’une négociation n’existait pas et les ignorentroyalement.Parcebiais, j’ai surprisbeaucoupdeconversationsquinemeregardaientpas.

J’ai l’impression qu’il joue la carte de lamodestie pour une raisonquejenecomprendspas,qu’ilneveutpasdévoilersonjeu.Sijedevinebien,Bradlesaitaussi.

–Etc’esttout?demandeBrad.Carterhésite.–C’estunebonnemanièredevoircommentlesgenssupportent la

pression,enlesobservantdel’extérieur.Onapprendàfairelalistedesréactions,àanticiperquiseraapteàsauverlenavireencasdemerde.

BradsouritetparcequejeconnaisBrad,jesaisquelaformulationdeCarterluiaplu.Siç’avaitétémoi,aucontraire,ilauraitgrimacéetm’auraitréprimandée.Jemesensmalàl’aise.JesavaisqueCarterétaitcharmant, mais j’espérais secrètement que ç’avait à voir avec le désirque je ressens pour lui. Apparemment non, parce qu’il sait parler àBrad.

– Commencer en bas de l’échelle et la gravir inlassablement, ditBradenhochantlatête.

Cartersourit,etsoncharismesediffusedanslebureau.–Quelquechosecommeça.Bradprendquelquesnotesavantdesetournerversmoi.– Evie, de son côté, pourrait convaincre une grenade de ne pas

exploser.C’estunecompétencequetudoisacquérir,Carter.Beaucoupde gens ont la possibilité de devenir des agents corrects, mais il fautêtreunagentextraordinairepourrepérerletalentetencoreplusdouépourlegarderprèsdesoi.Ilyaeuquelquesaccidents…(Ilsetaitpourcréeruneffet.)Maislaplupartdutemps,elleasuprouverqu’elleavaitsaplaceau sommet.Bordel, elleamême formécertainsdesmeilleursagentsdecetteville.

Jememordslalangue.ÇaneressemblepasàBraddefaireautantdecompliments.Jemeprépareaucouperet.

–Maintenant,commejel’aidit,jepensequevousêteslesmeilleurs,mais jedoisêtrehonnête. Jene saispas sinouspourronsvousgardertouslesdeux…

–Pardon?Bradlèvelesmainsennousfaisantsignedelelaisserterminer.– Vos salaires sont similaires, c’est pourquoi je vous ai fait venir

ensemble, et je ne sais pas si P&D sera enmesure de renouveler vosdeuxcontrats.Dumoinspasici,àL.A.

Nousregardonsdroitdevantnous,abasourdis.Jememetsàrougir,mon ventre se noue. J’ai cinq ans de plus que Carter et je travaillecommeagentdepuismesdix-neufans.D’après l’aperçuque j’ai eude

ses qualités, Carter semble être un agent génial,mais il ne vit à L.A.quedepuisdeuxanset ildébuteenLongs-Métrages.Genre, ildébuteaujourd’hui. Dans quel univers notre valeur ajoutée est-ellecomparable?Parcequec’estunhomme?Quiauraitpupenserqu’unpénisavaitunetellevaleur?

–Brad…commenceCarter,l’airabattu.Jefermelespoingsetmeforceàprendreunegrandeinspiration.–Iln’estpasencoresûrquel’undevousseratransféré,ajoute-t-il,

mais jevaisêtrehonnête :c’estpossible.Nousallons tousdevoirnousmettre au travail et voir qui sera le meilleur atout pour la nouvelleéquipedeLongs-Métrages.

– Je ne comprends pas. P&D est l’une des agences les plusprestigieuses du pays. Pourquoi ne pouvez-vous pas nous garder touslesdeux?(Je jetteuncoupd’œilàCarter.)Brad, il suffitderegarderleschiffres,mesperformancesparlentd’elles-mêmes…

–EndehorsdetonéchecavecFieldDay,dit-ilenhochant la tête.(Jemeraidissurmachaise.Aborderlesujetmaintenant…qu’ilaillesefairefoutre.)Écoute,petite,lemondeducinémasouffreencemoment.Il y a de plus en plus de dépenses. On doit faire des coupes dans cegenre de circonstances, c’est la vie. Vous n’êtes pas les seuls à êtreaffectés.

Jejetteuncoupd’œilàCarter.IlfixeBrad.–Quandvousdites,«dumoinspasàL.A.»,commence-t-il,voulez-

vous dire que si l’un de nos contrats n’est pas renouvelé, il y a unechancequ’unpostenoussoitoffertàNewYork?

Bradhochelatête.– Il y a un poste à L.A., c’est certain. À New York, c’est une

possibilité. Idéalement, il y aurait deux postes ici, mais il est trop tôtpourlesavoir.Poursavoirquoiquecesoit,enfait.

Nous restons silencieux tous les deux. Je contemple un nœud quis’exhibesurleboisbrillant,parfaitementtravaillé.Ilalatailledemon

poing, mais n’occupe qu’une minuscule fraction de la surface del’énormebureaudeBrad.J’aimeraisappuyerdessuspourtirerlachassed’eauetfairedisparaîtrecetteconversationdanslestoilettes.

–Ceque je veuxque vous fassiez tous les deux à court terme,ditBrad en attirant à nouveau mon regard, c’est oublier cette situation.Vous disposez tous les deux d’un contrat que P&D honorera, et nousverrons pour la suite. Evie, il reste cinq mois sur ton contrat actuel.Carter, tu dois signer à nouveau dans six mois. Au moment durenouvellement,iln’yaurapeut-êtreplusqu’unposte.Maisvousn’êtespasencompétition.Pasexactement.

Lesmotspasexactementtombentcommedesbriques.– Consolidez votre carnet d’adresses, rencontrez les équipes

opérationnelles, tous lesdeux,continueBradavecune légèreté feinte.Parlezàl’équipedeNewYorkquinousrendvisite.Rassurezvosclientsetréfléchissezàunemanièredelesconserver–nousenreparleronsunpeuplustarddanslasemaine.(Ilsetourneversmoi.)Evie,jenepensepas que tu auras de problèmes pour garder tes clients, puisqu’ilsavaient déjà signé avec P&D, donc je compte sur toi pour que tumontreslesrouagesàCarter,quetuluiexpliquescommentontravailleici. Tu pourrais peut-être le présenter à tes collègues et à certains detescontacts.

Je suis au bord du malaise. Comme avec John Fineman, Bradm’obligeà transmettreunepartiedemescontacts,durementobtenus,àuncollègue.Etpasseulementàuncollègue:àCarter,monnouveaupresque-copainavecquijenesuispasexactementenconcurrencepourunposte.

–Biensûr.Ai-jevraimentlechoix?–Carter, reprendBrad, tuasassezdecharismepourséduirecette

ville tout entière et je pense que tu y parviendras. Écoute Evie,apprends-lui les ficelles, elle sait de quoi elle parle. (Il nous jette uncoupd’œil.)Dumoinspour l’instant. (Il se balance enarrière sur son

fauteuil.) Je suis persuadé que vous formerez une équipe formidable.Essayezdelevoirdecettefaçon.

Ilsourit,segrattelementonetnousdévisagedesesyeuxd’unbleuglacial.

BradKingmanvientdenouscongédier.

Danslecouloir,Carteretmoifixonslesol,lesmurs,lesbureauxauloin. On pourrait parler de cette situation pendant des heures. Mais,étrangement, j’aibeauavoirapprécié sa compagnie, sesbaiserset sonsexe, Carter est la dernière personne avec qui j’ai envie de parler detoutçamaintenant.

Je sens qu’il est tendu.Nous sommes tous les deux tendus,mais jedoisréfléchirunpeuparmoi-mêmeavantdel’aideràréfléchir.

Ilsiffledoucement.–C’estahurissant.–Jesuisd’accord.Jedoisdétournerleregarddesamâchoirecontractée.–Quand j’ai appris lanouvellede la fusion,maplus grandepeur

étaitde travailler avecmanouvelle copine.Ça complique tout.Tunetrouvespas?

Moncœursemetàbattreplusfortenentendantcesmots.–Etmaintenant,c’estcommesi…(Ilsecouelatêteenpassantune

main dans ses cheveux épais.) J’ai besoinde ce job. J’ai déménagé icipourcejob.

Jeluirappelle:–Mavietoutentièreest ici.JetravaillechezP&Ddepuiscinqans.

Jeréalisequecettesituationestvraimentdésagréablepourtoi,maisj’aiconstruitmoncarnetd’adressesàL.A.Jemesuistailléunecarrièreici.

Tuasassezdecharismepourséduirecettevilletoutentière,etjepensequetuyparviendras.

JerepenseauxparolesdeBradenserrantlespoings.BradveutqueCarter prenne possession de la ville : quel est mon rôle dans cettehistoire?

Cartermejetteuncoupd’œilet,pendantuninstant,jevoispasserdel’irritationdanssesyeuxverts.Maisellesedissipeaussitôt.

– Ce n’est probablement pas le moment d’en parler. (Il ferme lesyeux et prend plusieurs grandes inspirations.) Écoute. C’est la pirechosequiauraitpuarriverentrenous,etjem’enrendscompte.(Ilposesamainchaudesurmonavant-bras.)Maisnousallonsnousensortir,net’inquiètepas.

Sans raison apparente, sa tentative pour me rassurer m’énerveencoreplus.Cettesituationestmerdiquepourtouslesdeux,c’estvrai,maisjen’aipasbesoinqu’ilmedonnedesleçonsetmedisequetoutirabienalorsqu’iln’ensaitpasplusquemoi.Etsurtout,jen’aipasbesoinqu’ilme rassure après qu’on vient de lui faire comprendre qu’il est lefavoripourcejob.

Sans un mot supplémentaire, nous nous éloignons dans desdirectionsopposées : jemedirigevers la sallede repospourboireunverred’eautandisqueCarterpartverslestoilettes.

Jesaisquejedevraismangerlabarredecéréalesquej’aimisedansmonsaccematin,maismonestomacsembleavoirferméboutiquepourlajournée.

Pour nous accompagner pendant la transition, P&D a conviéquelques membres de l’équipe de New York. Et comme l’a suggéréBrad, j’ai rendez-vousendébutd’après-midiavecunagent seniorquej’ai déjà rencontré plusieurs fois, une femme que j’admireprofondément. Elle s’appelle Joanne Simms, c’est un véritable requin.Elle a commencé à la division Longs-Métrages, puis est passée audépartement de la TV et de l’Audiovisuel, mais elle connaît tout lemonde. Au premier abord, c’est la personne la plus adorable de

l’univers.Maisdèsquelesnégociationscommencent,ellesortlesdents.C’estmaKathyBatedeBeignetsdetomatesvertes.Sivousvoustrouvezsur sa place de parking, elle vous rentrera dedans sans y réfléchir àdeuxfois.Etellemettrapeut-êtremêmelefeuàvotrevoiture.

Sonbureautemporairesetrouveprèsdumienetdisposed’unevuemagnifique sur la ville et les montagnes. Ce bureau était occupé parTom Hetchum, le directeur juridique chez P&D. Tom n’est plus desnôtres.

Joanne me fait signe d’entrer et tandis qu’elle termine saconversationtéléphonique,jemetiensprèsdelafenêtreententantdecalmer mon cœur battant. J’adore la vue de L.A. de ce côté del’immeuble. Ça me rappelle le nombre de personnes qui y vivent, lamyriade d’opportunités dont elle fourmille, l’espace dédié à chacundanslamassedesimmeubles.Jenesuispasdugenreoptimiste,maisjene suis pas non plus exactement pessimiste. Je suis une personne dugenre attendons-de-voir-tant-que-nous-n’en-savons-pas-plus. J’attendstoujours avant de me former une opinion, mais quand j’ai fait monchoix,jenechangeplusd’avis.

Et maintenant, j’ai besoin que Joanne raccroche son téléphone etmedisequec’estdugrandn’importequoi,quetoutirabien.

Mais elle ne me dit rien de tout ça. La rencontre est plutôtprometteuse.Joanneestdrôle,elleadoreson travailetcequ’elle fait.Etc’estunefemmequinelaissejamaislesmecssemettreentraversdesonchemin.Exactementlegenredepersonnequej’aimeraisdevenir.

Nousparlonsdesalistedeclients,desmiensetdemespossibilitéspour l’élargir.Nousparlonsdesclientsdont j’hériterai sûrementaprèsle licenciementd’autresagents etde lamanièredont jepeuxgérer lapanique de mes clients à l’idée de devoir travailler avec un nouvelagent. Cette conversation a des airs de planification de long terme etmême si jen’auraipas la chancede travailler avec Joannepuisqu’ellebossedans ledépartementÉcritureetAdaptationaudiovisuelleàNewYork,savoirqu’ellemesoutientmerassureunpeu.

À la fin de l’entretien, jeme sensmille foismieux et je suis sur lamême longueur d’onde que Carter : je parviendrai à m’en sortir. Aumoins, je suis certaine d’avoir ma place ici, et qu’une personne hautplacéechezP&Denestégalementconsciente.

Lecouloirestcalmelorsquejequittesonbureau,etjeprofitedecesquelques instants paisibles pour m’asseoir et réfléchir à ce qui s’estpassécematin.J’aivuCartersedirigerverslebureaudeJohnFinemanun peu plus tôt, j’ai instinctivement envie de l’attendre. Je me senstellement mieux après ma conversation avec Joanne, j’ai envie dedonnerdel’espoiràCarter.Maisquandjelevoissortir,j’ailasensationquesonentretiennes’estpaspasséaussiagréablement.Sapositionestbienplus précaire que lamienne et je l’apprécie vraiment. Je n’ai pasenviequ’il soit transféréàNewYork, toutcomme jen’aiaucuneenvied’yallermoi-même.

–Commentças’estpasséavecJohn?Ilsouritsèchement.–C’estlapremièrefoisquejeparleautantpendantunentretien.J’éclatederire.–Johnn’estpasconnupourêtreunboncommunicant.J’étaisassise

àcôtédeluipendantundînerdeNoëletdisonsquejenecomprendspascomment ilpeutavoirautantdecontrats. Iln’estpasréputépoursa…sociabilité.(J’aiunpeul’impressiondemarquermonterritoire,eninsistant surma familiarité avec des gens qu’il vient de rencontrer. Jesais que je devrais jouer en équipe,Carter est le petit nouveau, aprèstout.Donc j’optepourdes encouragements.) Je suis sûr que tu as étégénial.Jepariequ’ilasuccombéàtoncharme.

Carterme dévisage pendant quelques instants et j’ai la très claireimpressionqu’ilsaitexactementcequejefais.

–Ondiraitqueças’estbienpasséavecJoanne.J’acquiesceensouriant.–Quandlarencontres-tu?–Unpeuplustardcettesemaine.

–Tuveuxsortirdéjeuner?Jepourraisteparlerdufonctionnementde l’agence. Et te raconter qui couche avec qui et où trouver du boncafé.

Ilclignedesyeuxsanssourire,regardeauloin.–Jepenseque jevaism’acheterunsandwichetparcourir tous les

mails que j’ai reçus. J’ai unmillion de choses à faire. Une autre fois,peut-être?

Jeconnais lesgens.Et je saisquandonmeremetgentimentàmaplace.

–D’accord.Ilsepincelenez.Etpuisillèvelesyeuxavecunsourirechagrin.–Àplustard?Il se tourne et s’éloigne dans le couloir. Sa posture change

immédiatement, ilredresse lesépaulesetsonculestsublimedanssonpantalon de costume. On tourne la tête sur son passage. Quelquesstagiaires fontdescommentaires, l’air surexcitéetadmiratif.Commesiune star de football américain venait de passer dans le couloir.L’enthousiasmequiasuivimarencontreavecJoannedisparaîtsoudainetjevoisexactementcequ’ellesvoient:assurance,charisme…

Concurrence.

Chapitre9Evie

–C omment fais-tu pour ne pas aimer les choux de Bruxelles ?

demande Amélia à Daryl en agitant sa fourchette devant la minedégoûtéedenotreamie.

Nousvenonsdenousretrouverenurgencepourunehappyhourdenourritureetnond’alcool.Jenesuispasdugenreàboirequandjesuisstressée.Enrevanche,j’aitendanceàmangercompulsivement.

Darylagitelamain,commesiunemauvaiseodeurémanaitduplat.– Ça a un goût de cul dans la bouche. C’est suffisant comme

raison?–J’adorelesgoûtsdeculdanslabouche.Jeprendssapart.Amélia me dévisage pendant un moment avant de me servir en

chouxdeBruxelles.–Heureusementquenoussommesentrenous.–Enparlantde ça, onaurait dû inviterCarter, lanceDaryl. Il est

mignonetildoitflipperautantquenous.Comme Daryl bosse au département Écriture et Adaptation

audiovisuelle, l’impact de la fusion n’est pas le même pour elle. Sonéquipe a subi des coupes,mais il est bien plus économique de garderDaryl quede la licencier avec indemnités.Ellene risque rienpendantaumoinsencoreunan.

Jesecouelatêteenavalantuneénormebouchéeetajoute.–Iln’enavaitpasenvie.Pour l’instant, je ne leur ai donné qu’un résumé en quelques

points:•Mecacherdansmonbureau,mortedepeuràl’idéed’êtrevirée.•AllervoirBrad.•Penserquejenevaispasêtrevirée.•Surprise!Iln’yaurapeut-êtrequ’unjobpournousdeux.• Et dans nous deux, il y a moi et le petit nouveau avec qui je

meursd’enviedecoucher.–Vousn’avezpas…tusais…(Darylfaitungestesexueltrèscru.)Il

yaquelquesjours?–Parlecommeunêtrehumainnormal,Daryl,lanceAmélia.– Préliminaires. Et c’était génial.Orgasmusmaximus. Mon dessus-

de-litetmoiavionshâtederecommencer.–Etdonc,commentçavasepassermaintenant?demandeAmélia.

Vous ne pouvez pas travailler ensemble et coucher ensemble, n’est-cepas?

–Vousn’allezpeut-êtrepasdutouttravaillerensemble,maisvouspouveztoujourscoucherensemble,non?raisonneDaryl.

–Super,saufquel’undenousvaseretrouverauchômagecommeun clochard. La possibilité d’être virée par sa faute n’est pas trèsaphrodisiaque.(J’attrapeunechipsetlamâcheenréfléchissant.)Nousdevonsnousvoirjeudipourparcourirnosnouvelleslistesdeclients.Etaprèsça, j’imaginequenousferonscommesinousallionstravailler icipourtoujours,mêmesil’undenoscontratsneserapasrenouvelé.BradasuggéréNewYorkmais…jenesaispas.

Darylpâlit.–Tudéménagerais?–BonDieunon.MaisP&Dabeaucoupderessources.Jenevaispas

commenceràm’inquiétermaintenant.–Carteraussiabeaucoupderessources,non?

Darylprononcecesmotsavecunclind’œiletAmélialuitopedanslamain.

Mon téléphone s’illumine sur la table, nous regardons toutes lestroislenomdeCarters’afficher.

–Ohmerde,murmureDaryl.C’estcommes’ilsavait…Je fixe l’écran sans décrocher. La sonnerie retentit pendant de

longuessecondes.Améliasoupire.–Tuveuxbienrépondreàtonfichutéléphone?Jel’attrapeetglisseledoigtsurl’écran.–SalutCarter.–Salut.Jemelèveetm’éloignedanslerestaurantendirectiondesfenêtres.–Commenttiens-tulecoup?J’éclatederireenpassantledoigtsurlavitre.–JesuisenpleinedégustationdumenudePostandBeam,doncça

va.Carterritaussi,etjeréaliseàquelpointnoussemblonsmalàl’aise

touslesdeux.– Écoute, j’ai réagi impulsivement quand tu m’as proposé de

déjeuner avec toi, j’ai probablement été un peu trop sec. Je sais quec’est fou,mais je n’ai pas envie que le boulot s’interpose dans ce quenousavonscommencé,tucomprends?

J’acquiesce sans savoir quoi répondre. C’est tellement compliquémaintenant.

–Jesais.Ettuembrassestrèsbien.– Toi aussi. (Il se tait un instant.) Tu penses qu’on est en

concurrencepourcejob?–Bradatoutfaitpourqu’onleprenneainsi.Mais jenesaispassi

nousy sommesobligés.Nousallonsbien trouverunmoyenpournousrendretouslesdeuxindispensables.

–Alors,n’arrêtonspasdecommuniquer.Sinoussommeshonnêtesl’unavecl’autre,toutirabien,n’est-cepas?

Jelance,d’unairenthousiaste:–Biensûr.Aprèsquelquesphrases,nousnousmettonsd’accordpourenparler

lelendemain.J’ai l’impression que nous sommes sur le pont du Titanic en plein

naufrageetquenousaffirmons : Il est insubmersible.Dieu lui-mêmenepourraitpascoulercebateau.

Date:14oct2015à5:03De : Bradley Kingman<[email protected]>À : Aimee Miller ; Dudley Thompson ; JohnFineman;TimothyBrown;AndrewMurphy;CarterAaron;EvelynAbbey;RoseMcCollough;AshtonGarciaObjet:DanPriceMarqué:TRÈSCONFIDENTIELChertous,J’aiapprishiersoirqueDanPricerompaitsoncontrat avec son agent chez Lorimac. Siquelqu’un pense pouvoir l’attirer dans nosfilets,tenez-moiaucourantetj’arrangeraiunerencontre.C’estunclientpotentielà5M$pournous. Evie gérait les crédits de ses scénarioschez Alterman il y a quelques années, donc jepenseàelle.Sivousavezlamoindreobjection,faites-lemoisavoird’ici9h.

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Date:14oct2015à5:07De : Carter Aaron<[email protected]>À:BradleyKingmanCC : Aimee Miller ; Dudley Thompson ; JohnFineman;TimothyBrown;AndrewMurphy;EvelynAbbey;RoseMcCollough;AshtonGarciaObjet:Re:DanPriceLaissez-moi l’opportunité de faire mes preuves,Brad.NousavonsdesamisencommunàNewYork.C.

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Date:14oct2015à5:08De:EvelynAbbeyÀ:BradleyKingmanObjet:Re:DanPriceJe serais ravie de travailler à nouveau avecDan. Nous nous entendions très bien à l’époqueetjesuiscertainedepouvoirleconvaincredenousrejoindre.Merci,Evie

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Date:14oct2015à5:08De:EvelynAbbeyÀ:BradleyKingmanCC:CarterAaronObjet:Re:DanPriceCarter et moi avons répondu en même temps. Ondirait que nous sommes tous les deux partantspour l’ajouter à nos listes. Ça me semblel’opportunité rêvée de tenter une stratégie dereprésentation en équipe. On en discute un peuplustardaujourd’hui?Evie

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Date:14oct2015à5:43De:BradleyKingmanÀ : Aimee Miller ; Dudley Thompson ; JohnFineman;TimothyBrown;AndrewMurphy;CarterAaron;EvelynAbbey;RoseMcCollough;AshtonGarciaObjet:DanPriceL’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.Bon timing, Carter. Joanne vient de m’appeler.Danaéténommél’HommeleplusSexydel’année2017 par People , la chose n’a pas encore étérendue publique. Ce serait énorme pour nous.Carter,KylieorganiseraunerencontreentreDanettoicettesemaine.Bonboulot.

Brad

Chapitre10Carter

J eudi après-midi,Michael Christopher s’installe à une table dans la

cour attenante au bâtiment de P&D. Le soleil brille dans le ciel bleusans le moindre nuage à l’horizon et il attend que je me calme engrignotant son sandwichaubeurrede cacahuète et à la gelée. Je faislescentpas.

Direquelasituationest«tendue»reviendraitàdirequ’UsainBoltest « rapide ». La plupart des dirigeants semblent ravis de la fusion,parcequeçafaitdeP&Dunconglomératénormeetmonstrueux,maisnousnouscomportonstouscommedesoiseauxangoissésennecessantde nous jeter des regards en coin comme si nous complotions nonseulement pour piquer le job du voisin mais aussi pour dévorer sespropresenfants.

La situationavecEvien’est guèreplus flamboyante.Nous sommespassésdesprémicesd’uneamitiéà l’unedesnuits lesplussexydemavie, puis à échanger des banalités lorsque nous nous croisons dans lecouloir au boulot. Après notre conversation de mardi soir, je pensaisquenousallionsfairefrontensembleetdiscuterdetoutcequisepasse,maiselleaété tellementdébordéepar les réunionsque je l’aiàpeinevuehier.Nitoutelasemaine,enréalité.

Et même si j’aimerais croire que nous démarrons sur un piedd’égalité avecBrad, je sais que cen’est pas le cas. Jene crois pasmetromper en pensant qu’il m’apprécie vraiment, et d’après ce que j’aientrevu, il existe une animosité de longuedate entre eux,mais elle apourtanttravailléavecluipendantdesannées.Sansoublierl’atoutquesescontactslocauxluiconfèrent.Jesensbienqu’elleetsescollèguesseserrent les coudes. Elle sort l’artillerie lourde, pour se rendreindispensable…

Maisn’avions-nouspasditquenouspouvionstravaillerensemble?– Veux-tu t’asseoir un instant et manger quelque chose ? dit

Michael.Jevaisdevoirprendreuncachetcontrelemaldestransportssijecontinueàteregarder.

Je sors les mains de mes poches et m’assieds à côté de lui sur lebanc. Il sort quelque chose d’un sac de papiermarron etme le tendainsiqu’unsachetdechips.

–Mange.Jebaisselesyeux.Sandwichàlageléederaisin,coupéentriangle.–Tum’aspréparéunpique-nique?Ilhausselesépaulesetmorddanssonsandwich.–Jesavaisquetun’étaispasdanstonassiette.–Merci.–J’imaginequ’iln’yapaseudechangement?Ensortantdutravail,jeudisoir,j’aidébarquécommeunfoufurieux

chezMichael et Steph pour leur raconter tout ce que je savais de lafusion, y compris l’entrevue où Brad a lancé sa petite bombe. Ils nesavaient pas quoi dire ni l’unni l’autre, et je ne peuxpas les blâmer.C’estunesituationdemerdesanssolutionévidente.Donc,aprèsavoirappeléEvie, j’ai décidéde rester chez euxpourunmarathonBuffy etj’aidévoréàmoiseulunetarteentièreàlacrèmedecoco.

–Riendenouveau.Jereposemonsandwichetappuielescoudessurlatable.

–JesaisqueBradn’aimepasEvie,ditMichael,etpourtantilnelalâchepasd’unesemellecommes’iljouaitunpetitjeupervers.

Çasemblebiendécrirelasituation.–IlaeuleculotdeparlerdeFieldDaydevantmoi.Pastrèsclasse.

(Jegrogneenposantlefrontcontrelatable.)Ellemeplaisaitvraiment,Michael. Non, au présent : elle me plaît. Je n’arrive pas à voir lasituationsousunjourpositif.

–Jesais,mec.Ilmetapotel’épaulecommepourmerassurer.Je me redresse en regardant en direction de la pelouse et des

voitures qui avancent dans la rue, un peu plus loin. Michael restesilencieuxpendantquelquesinstants,ilpianotesursacuisse.

– Il n’y a qu’une chose que tu puisses faire, dit-il finalement, et jeclignedesyeux.Tudoistedébarrasserd’elle.

–Medébarrasserd’elle?Ilacquiesceencroquantdanssonsandwich.–Fais-lapasserpourincompétente.Jesuisbouchebée.–C’estquoiceplandiabolique?Ellemeplaît!Il cligne des yeux avant de me dévisager longuement tout en

continuantàmâcher.Jecontinue:–D’ailleurs, Brad a commencé à l’écraser en s’assurant que j’avais

conscience qu’il me favorisait. Personne ne pensera qu’elle estincompétente.

Ilmefixe,leregardvide.J’explose:–Sansoublierquec’estaussitonamie,connard!Il enfourne une poignée de chips dans sa bouche avec un sourire

satisfait.–Seigneur,jeteconnaistellementbien.Tuastoutd’unboy-scout,

Aaron.Jevoulaisjustem’assurerquenousétionssurlamêmelongueurd’onde.

Jeledévisage.

–Heureusementquetuasapportéledéjeunerparcequ’autrement,tunemeseraisd’aucuneaide.

Ilritens’essuyantlaboucheavecuneservietteenpapierrose.–Écoute,Evieteplaîtettuluiplais.Vousêtesdouéspourrésoudre

les problèmes et si deux personnes peuvent trouver le moyen decoexister,c’estbienvous.Montrezàcestypesqu’ilsonttortetqu’ilsontbesoindevousdeux.N’est-cepascequefontlesagents?Persuaderlesautresdefairecequ’ilsn’ontenréalitéaucuneenviedefaire.

–C’estlittéralementl’opposédecequefontlesagents.As-tujamaisécoutétafemmequandelleparledesontravail?

–Peu importe. Fais ce que vous savez fairehabituellement. Sauvetonposteetrécupèrelafille.

Jeluienvoiemonsachetdechipsauvisage.–Tuesunimbécile.–Tucrois?Jeme lève, ramassemesdéchets et jette le tout dans la poubelle.

Sauve ton poste et récupère la fille.C’est peut-être un imbécile,mais jen’arrive pas à m’empêcher de me demander s’il n’a pas raison, cettefois.

Après ledéjeuner, jerentredans lebâtimentenfaisantdesadieuxtragiquesàMichaelChristopheretàcettebelle journéeensoleillée. Jecommenceàpeineàprendremesmarquesdansmonnouveaubureau,àmémoriserlesnomsetlespostes,àapprendreàquijepeuxmefieretquijedoiséviter.

Lebâtimentexhaleuneodeurdepeinturefraîcheetdeproduitsdenettoyage. En comparaison avec l’ambiance seventies funky de CTM,tout semble flambant neuf. Quand j’avance dans le couloir, unbrouhaha constantde voix,de téléphonesqui sonnent,de touchesdeclavierm’accompagnent.ÀNewYork,onentendaittoujourslebruitdesvoitures, même au douzième étage. C’était l’arrière-fond constant de

touteslesconversations,dumatinausoir.Onyétaittellementhabituésqu’en dehors d’un coup de klaxon particulièrement sonore ou d’unesirène, on oubliait aisément que nos bureaux se trouvaient en pleincœurdelaville.LebâtimentdeCTMétaitsituéàcôtéd’unecasernedepompiers, et le retentissement des sirènes qui s’allumaient et quis’éteignaient était devenu si fréquent que personne ne faisait deréflexion quand nous étions coupés en pleine phrase dans la salle deconférences.Ilsuffisaitd’attendrequelecalmerevienne.

Les locaux de P&D sont bien plus silencieux, et pourtant on al’impressionqu’ilyaplusdebruit.L’insonorisationdesfenêtresàdoublevitrage semble amplifier lemoindre son à l’intérieur. Et quand j’entredansmonbureau,jemerappelleencoreunefoisquejenepourraispasrêvermeilleurpointdevue.

Lebureaud’Eviesetrouvedel’autrecôtéducouloir,maisellen’esttoujours pas revenue. J’ai remarqué qu’elle aime accueillir ses clientsdanssoncoincanapéetsijemepenchepourjeterquelquechosedanslacorbeilleàpapiers,sanslefaireexprès,biensûr,jedisposed’unevueimprenable sur ses jambes, je vois la manière dont elle les croise, lamanièredontelle…

Monnouvel assistant, Justin, frappe à la porte avant de passer latête dans l’ouverture. J’en ai hérité d’un agent de P&D, victime de lafusion, et il me fait penser à un chien de la SPA qu’on viendrait derécupérerau refuge.S’il est encore ici, c’estqu’il aété considéréapte,mais nous n’avons pas encore trouvé notre rythme de travail. Il estnerveux, c’est le genre de mec qui utilise des smileys plutôt que desmotsdans sesmessagesetquidit «nous»pour se référeràceque jedoisfaire.

NousallonsrecevoirunappeldePatriciadechezFoxà11heures.Nousavonsundéjeunerà13heuresavecPeterduservicejuridique.NousdevonsdiscuterdecepointavecBrad.EtrienàvoiravecBecca.J’ai toutessayépourchercherunmoyen

de la faire réengager, mais on m’a répondu par la négative.

Apparemment,lesfusions,c’estunpeuaupetitbonheurlachance.Beccam’engueulaitenpermanenceetavaitraisonà98%dutemps.

Becca m’interpellait quand je ne l’écoutais pas et me criait dessusquand je laissais traînerdes tassesde café vides.Becca corrigeaitmesfautesdegrammairesurdesPost-it.Beccaetsonscénariodinguequejen’aijamaisréussiàdéchiffrer.Beccamemanque.

–Vousêtesderetour,meditJustinenentrantdansmonbureau.Comme la plupart des stagiaires et des assistants, Justin vient à

peine d’atteindre l’âge de boire de l’alcool et semble tout droit sortid’unepublicitépourTopmanouAbercrombie.

–Salut.Ouais.Je détaille mon bureau, les mains sur les hanches. Mes affaires

viennentd’êtredéballées.Ilsembletellementvide.–Votredéjeuners’estbienpassé?–J’aivuunami.–Nousavonseuplusieursvisites.(Ilbaisselesyeuxverssesnotes.)

Angela de la division Écriture et Adaptation audiovisuelle. Esther duservice juridique. Aimee de… (Il se fige et plisse les yeux.) Il y abeaucoupdefemmessurcetteliste.

– Écoute, dis-je en avançant vers la porte. (Je m’assure quepersonnenenousécouteetlarefermedoucement.)Sais-tuoùsetrouveEvie?

– Evelyn… Miss Abbey ? demande-t-il de manière formelle, etj’acquiesce.

Justinsortentrottinantetrevientenvironvingtsecondesplustard.–Jessm’aditqu’ellen’étaittoujourspasrevenuedesondéjeuner.–Jess?–Sonassistante.–Ahoui, c’est vrai. (Jeme sensperturbé, j’ai enviedevoirEvie le

plus tôt possible. Cet après-midi, nous avons rendez-vous avec Bradpourparlerdenos listesde clients, et jepréféreraisquenous fassionsfrontensembleplutôtquecommedesétrangersquines’adressentpas

la parole.) Pourras-tu me prévenir quand elle sera de retour, s’il teplaît?

–Nousavonsrendez-vousavecJoannedansenvironcinqminutes,merappelle-t-il.

Je reste silencieuxpendant quelques secondespourqu’il s’entendeparler,maisriennesemblelechoquer.

–MerciJustin.Jevaisyaller.Envoie-moiuntextosituvoisEvie.LesyeuxdeJustins’illuminent–jeluiaienfindonnéquelquechose

à faire – et je culpabilise soudain. Les fusions ne sont jamais faciles,mais être sous les ordres d’un supérieur qui ne sait pas sur quel pieddanser?Cedoitêtreunetorture.

– Absolument, lance-t-il, enthousiaste. J’ouvrirai l’œil et je vousenverraiunmessageàlasecondeoùelleseraderetour!Boncourage.(Il se tourne pour partir, mais s’arrête sur le seuil.) Au fait, si MlleAbbey ne refait pas surface d’ici-là, n’oubliez pas votre rendez-vousavecBradà14heures.

Commesijepouvaisl’oublier.

Je me rends dans le bureau de Joanne avec un optimisme defaçade. En temps normal, je déborderais de confiance enmoi. Je suisplein d’entrain, et travailler en équipe ne me fait pas peur. Bien aucontraire. En outre, jusque-là, tous les gens que j’ai rencontrés chezP&Dontétéaccueillants,enthousiastesetconvaincusdecequejepeuxapporteràlanouvelleentreprise.

Joanne travaillaitdans lebureaudeL.A.avantd’être transféréeàNew York il y a quelques années. D’après les bruits qui courent, elleaurait quitté la Californie parce que Brad est incapable de travailleravec une femme. Après l’avoir vu interagir avec Evie, je le croisvolontiers. JoanneestentréechezP&Denmêmetempsque lui, jemedemandes’ilafaitensortequ’elleparteousielleestarrivéeàcechoix

par elle-même. Hollywood est un monde d’hommes présomptueuxdotésdepetitesbites.

Malheureusement, ma bonne humeur ne dure pas. Il s’agissaitd’uneentrevueclassiquedestinéeà faireconnaissance,où il suffisaitàJoannedemeposerdesquestionsensebasant surmonportfolio, surcequ’elleavaitlusurInternetouentendudelabouchedeBrad.Mais,clairement, Joanne connaît Evie. Clairement, elle apprécie Evie. AlorsquejesentaisunesortedecomplicitéavecBrad,danslegenrerespectviril, ceque jen’appréciepasparticulièrement,une froideurglacialearégnésurmonentretienavecJoanne.Ellen’apascesséd’insistersurlachance immenseque j’ai de travailler avecEvie, deme répéter à quelpoint elle est géniale et respectée, à quel point je peux apprendred’elle.

Engros, le thèmede la journéeest « Evie est géniale » et il estàpeine13heures.

Leventreserré,jereçoisunmessagedeJustinaumomentoùjemedirige vers la salle de conférences. Il m’apprend qu’elle est arrivée, adéposésesaffairesdanssonbureauetnousattenddéjàdanslasalledeconférences.

Merde, c’est raté pour le front uni. Il est de plus en plus clairqu’Evieauneénormelongueurd’avance.Nonseulementelleestbelle,intelligenteetgénialedanssontravailmais lesseniors lui tressentdescouronnes.J’aibeaucoupdepainsurlaplanche.

J’arrivedevantlasalledeconf’etjelavoisàl’instantoùj’entre.J’aibeaul’avoirvuedesdizainesdefois,jesuistoujourssurprispar

sabeauté,commesi je l’oubliaischaque foisqu’ellequittemonchampdevision.Sescheveuxbrunssontremontésenchignon,elleporteunevestedetailleurajustéesurunchemisier.Jeremarquequ’elleamisunejupe et lorsque jem’assieds à côtéd’elle, il faut que je rassemble toutmoncouragepournepasposerlesyeux–oulesmains–sursesjambessous la table. J’imagine à quoi elle ressemblerait, allongée surl’immensetableoupeut-êtredeboutfaceaumurdefenêtres…

Concentre-toi,Carter.Penseàlarécompensefinale.En dehors de salutations impersonnelles dans le couloir lorsque

nous nous croisons, nous n’avons pas échangé un mot depuis notrebrève conversation téléphonique mardi soir. Bien sûr, c’est un peubizarre,étantdonnéqu’ilyaunesemaine,jeglissaismamaindanssaculotteetpensaisdéjààlaprochainefoisoùjelaverraisnue.

Bradn’est pas encore arrivé,nous sommes seuls,mais je chuchoteparprécaution:

– Je me demandais si tu accepterais de sortir avec moi ce soir.Dîner?Élaborerunestratégie.

Elle termine de noter quelque chose et lève les yeux vers moi.J’enviesonmasquedesérénitélorsqu’ellejetteuncoupd’œilcirculairedanslapièce.Jesuisproched’elle,maispastrop.Jen’empiètepassurson espace vital, mais j’essaie clairement de lui faire comprendre quej’aimeraisvraiment,vraiment,reprendre làoùnousavions laissénotrerelation.

–Dîner?répète-t-elle.(Jepeuxsentirlesbattementsdesoncœuràcette distance. Ses pupilles se dilatent imperceptiblement, nouscontinuonsànousdévisager.)Tuveuxdîneravecmoi?

J’ail’impressiond’avoirlaissétomberuneallumettedansuneflaqued’essence et même si je ne devrais pas, je rêve de me pencher pourl’embrasserdanslecou.

–Ouais.Situn’espasdéjàprise.Ellemejetteunnouveaucoupd’œiletjedéglutisenm’efforçantde

garderlesyeuxfixéssurlessiensetdenepasleslaisservagabonderendirection de sa bouche. Regarder sa bouche pourrait m’amener àmesouvenirdesabouche,cequipourraitm’amenerà imaginersaboucheend’autrescirconstances,cequiseraitunetrèstrèsmauvaiseidée.

Evie sort son téléphone pour consulter son planning, fronce lessourcilstoutenfaisantdéfilerlesheures.

–J’aiune réunionà17heures.Queveux-tudireparélaborerunestratégie?Élaborerunestratégiepourquoi?

Élaborerunestratégiepourseretrouvernustouslesdeux?Bradchoisitcemomentpourentrerdans lasalle. Ils’installe,pose

desdocumentsdevantluiavantdenousregarder.–Evie,Carter, comment ça va ?Vous vous entendezbien tous les

deux?J’imagine qu’Evie a la même réaction que moi et pense

intérieurementc’estquoicebordel?–Toutàfait,lançons-noustouslesdeux.Et je sens son pied effleurer légèrement lemien sous la table. Eh

oui,voilàexactementcedontnousavionsbesoin.Nouscontreeux.Unfront uni. Je réprime un sourire. Nous pouvons le faire, j’en ai lacertitude.

KylieentreetposeunepilededossiersdevantBrad. Ilchausseseslunettesavantd’ouvrirlepremier.

–OK,super,dit-ild’unairabsent.Sinousavionsrépondu:C’estn’importequoi,Brad.Àcausedevous,

noussommessurlesnerfs.Ilyaunesemaine,nousétionsàdeuxdoigtsdenous envoyer en l’air comme des fous,maismaintenant nous en sommesarrivésàchercherlesfaiblessesdel’autrepourlesexploiter,ilauraiteulamême réaction. Brad est vraiment un enfoiré. Je suis content qu’il aitmangéunebarredecéréalespourchiensàcaused’Evie.

– Nous allons parler de vos clients aujourd’hui, continue-t-il enfeuilletant lesdossiersetenparcourant les fiches client. Il enmanquesûrement quelques-uns, mais nous allons nous contenter des plusimportants pour l’instant. (Il lève les yeux vers moi.) Carter, tu vastravailleravecDanPrice,n’est-cepas?

Jehochelatête.–J’aidéjàcontactésonéquipe.Nousjouonsauchatetà lasouris,

maisjenedésespèrepasdelesavoirbientôtautéléphone.Jesensqu’Eviegigotesursonsiègeàcôtédemoiet ilyaquelque

chose dans sa posture… une raideur nouvelle. Son pied s’éloigne dumienet,ducoindel’œil,jelavoiscroiserlesbras.

Est-elle… en colère parce que j’ai obtenu de travailler avec DanPrice?

Moncœurseserre,lasériedemailsmerevientenmémoire.EviearéponduenproposantdebosseravecluietBradm’adonnélefeuvertsans tergiverser. À ce moment-là, c’était un simple enchaînement demails dans le brouillard hystérique post-fusion de ma boîte deréception,mais je commence soudain à penser qu’Evie a jugé quemaréponseétaitsournoise.

Ohmerde.Vraiment?N’aurait-ellepasfaitlamêmechose?Jecligneplusieursfoisdesyeuxenrevenantàmoi.Bradergote:–… j’imagine que tu attends encore des clients qui viendront de

CTM, y compris Emil et quelques autres, donc pour l’instant, jevoudrais que tu commences tranquillement, en te concentrant surl’objectif de rassurer tout le monde, de leur expliquer que rien n’achangé. Mais réussir à obtenir la signature de Dan serait un grandcoup.(Ilparcourtquelquesdocumentsavantdemeregarder,jehochelatêtepourluimontrerquej’écoute.Ilsereplongedanssalecture.)Lepremier des nouveaux joueurs de la liste de tes clients P&D sera JettPayne.Jetta jouédansquelques films indépendantsetdans les sériesMTVlespluspopulairesdecesdernièresannées.Sonpersonnageaététué dans l’épisode final lorsqu’on lui a offert un rôle plus importantdansune série encoreplus intéressante et, àmonavis, il va exploser.Ton expérience dans la télé te sera utile,mais discute avec Joanne àsonsujet:elleaaidébeaucoupd’acteursàpasserdumondedelatéléàceluiducinéma.

Ilmetendledossieret j’y jetteuncoupd’œilenprenantquelquesnotes.

Dan est un poids lourd du cinéma, Jett une étoile montante.Jusque-là,jesuisgâté.

–Ensuite,Carter, tu travaillerasavecJamieHuang, l’enfantchériedelatélé-réalité.

Ilestimpossibledenepaspercevoirdelamoqueriedansletondesa voix, mais je fais mine de l’ignorer. La télé-réalité est l’un desmarchés les plus importants dans la tranche des dix-huit à vingt-cinqans, et l’émissionde Jamie fait constammentpartieduTop5.Elle estomniprésentesurlesréseauxsociaux,cequinesignifiepasgrand-chosesi lesgensn’achètentpas cequevousachetez,maisd’après ceque j’aicompris, ses fans suivent ses conseils. L’undemesamis l’a rencontréebrièvement et elle lui a fait savoir qu’elle avait très envie de faire ducinéma.

–LemanagerdeJamies’appelleAllie…(Ilregardesesnotes.)AllieBrynn. Elle fait du bon boulot : Jamie est montée rapidement et abeaucoupdesuccèssurInternet,maiselleestbêtecommesespieds.

Evies’éclaircitlagorge–defaçonsignificative–,maisBradn’yprêtepasattention.

–Allies’occuped’elle,etl’essentieldesonjobconsisteàlapousseràfairecequ’onveutqu’ellefasse.

–J’aicompris.Je note le nom d’Allie. J’ai beaucoup travaillé avec desmanagers

parlepassé.Pourlaplupart,ilsmefacilitaientlavie.– Alex Young est l’un de nos plus gros clients, Carter, et je pense

qu’ilseraittrèsbienavectoi,continueBrad.Monrythmecardiaques’accélère.Alexestunchanteur-compositeur

dontl’albumBreakoutaeuunsuccèsretentissantauRoyaume-UnietilprometdedevenirunestarauxÉtats-Unis.

Mesmainstranspirent.–Jeteleconfieàcausedetonpassédanslethéâtreetlamusiqueà

New York. Tu travailleras en collaboration avec l’équipe musique, cequi n’est pas tellement de ton ressort, je te l’accorde, mais il est trèsdemandépourdesbandes-sonde longs-métrages.Personnellement, jepense qu’il ne faut pas se presser et que tu peux choisir trèssoigneusement les films sur lesquels tu lemettras. Tu aurasmoins declientsqu’Evieaudébut,maisAlexmettratalisteenvaleur.

Je lève les yeux du dossier d’Alex en direction d’Evie. Elle sembleimpressionnée. Nous pouvons le faire , je pense. Nous sommescomplémentairesetnouspouvonsleurvendrel’idéed’uneéquipe.Dansmes rêves les plus fous, nous deviendrions un sous-départementspécialiséànousdeux.Enfin,sitoutseréalisaitcommejel’entends.

– Demande à ton assistant de m’apporter ta liste actuelle – lesclientsquirestentaprèslafusion–pouractualisertesattributions.Ontravailleraàpartirdelà,ditBrad,etjehochelatêteenattrapantmontéléphonepourenvoyeruntextorapideàJustin.

–Evie,lanceBrad,etelleseredressesursachaise.Jesaisquetuasdéjà une liste très fournie et que tu travailles sur des contrats pourAdamElliott etSarahHill.C’est génial. (Il secoue la tête et ajoutedemauvaisegrâce.)Vraiment.Jesuisravi.

Super. Adam et Sarah sont des personnalités de premier plan, ilssontdéjà connusdans l’industriedu cinéma.Brad jetteun coupd’œilaudossierd’Evie,ouvertdevantlui.

–J’aimeraisquetut’occupesdeMarianIsaac.Je m’en veux de ma réaction. J’ai failli éclater de rire, parce que

mêmesiMarianrapportebeaucoupd’argentàl’agence,ceneserapasunepartiedeplaisirpourEvie.Marianestunmannequindevenuuneactrice très populaire, connue pour être un vrai cauchemar. Elle estexigeante,souventimpolieaveclesjournalistesetlesfans.Sescrisesdenerfsavecledernierréalisateurpourlequelelleatournésontdevenueslégendaires. Je ne suis pas surpris qu’un autre agent ait profité duprétextedelafusionpours’endébarrasser.

Evie acquiesce, l’expression indéchiffrable, mais je dois admettrequ’ellenesemblepasparticulièrementsurprise.Eviepourraitconvaincreunegrenadedenepasexploser,aaffirméBrad.C’estexactementcequ’ilvoulaitdire.

–Lorimacl’alaisséetomber,ajouteEvie.–C’estvrai,répond-ilavecunpetitrire.Elleleurafaitgagnertrois

millions de dollars l’année dernière, et ils l’ont quand même jetée

commeunevieillechaussette.–Quis’occupaitd’elleavant?– Chad, répond Brad avec un sourire sardonique. Il était ravi de

passerlamain.–Jen’endoutepas.Evieluilanceunregardentenduetj’aimeraissavoirdequionparle

pournepascontinueràmesentircommeunnoviceignorant.Maisjen’aiaucuneidéedequiestChad.Bradsepencheethochelentementlatête.–Jenedoutepasquetusauraslagérer.Ondiraituncoupdepoignard.Et je me sens de plus en plus mal parce qu’en plus de sa liste

actuelle,illuioffreungrosnomaveclapossibilitédesigneravecdeuxacteurssupplémentaires.Troisdecesclientsluirapporterontd’énormescommissionsàcoupsûr.

Pourquoiest-cequejemeculpabilisaisàl’idéedem’occuperdeDanPrice?

Bradseredresseetjetteuncoupd’œilàsapilededossiers.–Suivant:KeatonAvery.Jesuissûrquetutesouviensdelapetite

prisedebecqu’ilaeueaveccepaparazzil’annéedernière,doncjeveuxêtrecertainquesoignersonimageseratonobjectifnuméroun.

Son stylo se fige sur le bloc posé devant elle, mais elle resteimpassible. Keaton a joué dans un film nominé aux Oscars l’annéedernièreet ilprometdedevenir lanouvellecoqueluchedesfilmsd’artetd’essai.

Putain.–EtTrentVanh,ditBrad.Ilvientjustedeterminerletournagede

Dans l’œil du tigre. (Je m’appuie contre le dossier de ma chaise,fiévreux.Trenta remportéunEmmy l’annéedernière.) Ilespère jouerdans des films, donc nous devons lui trouver au plus vite un groscontrat.

Brad sort le dernier dossier du tas d’Evie. Je sens ma pressionartérielle augmenter d’au moins dix points en me demandant ce quipeutbienluirester.

–Etpourfinir,jeteconfieSeamusAston,leYouTuber.Seigneur. Je serre les poings sous la table. Evie pose les mains

devantelle.–IlsetrouvequeSeamusetJamievontjouerdanslenouveaufilm

deRidleyScott,doncvousallezdevoirvouscoordonner.Seamusadix-sept millions d’abonnés sur sa chaîne, il dispose du soutien desadolescents, commevous pouvez l’imaginer, et vient d’obtenir un rôledans l’un des films les plus prometteurs de l’année prochaine. Mais,continueBrad en se balançant sur sa chaise, il ne faut pas sementir,c’estunvraiconnard.

Jepense:Ettuensaisquelquechose.Aumême instant, Evie attrape son sac et en sort unpetit tubede

crème pour les mains. En dépit de la tension générale, je devine cequ’elles’apprêteàfaireetjedoismeretenirdesourirelorsquejelavoisdéverserlacrèmedanslapaumedesamainetcommenceràl’étaler.

–Pasdeproblème,dit-elle.Bradsourit.–Voilàune réponsequimeplaît, petite.Ravi que tuprennesmes

principesàcœur.Joueurd’équipe.Evie a pour réputation de garder son calme et d’être capable de

gérer des divas, mais je sens que quelque chose m’échappe. Bradsemblebien tropaimable, commes’il l’aidaitàgravir le sommetd’unemontagne. Soit il compte la laisser planter le drapeau, soit il projettedelapousserduhautdelafalaise.

–Jesaisquelabalancesembleunpeudéséquilibrée,m’explique-t-il.MaisEvieconnaîtlavilleetlemilieu.Commejel’aidéjàdit,c’estunechosed’attirer les talentsmais c’en est une autre de les garder sur ladurée.

Jeréponds:

–J’aicompris.Oui, Evie a plus de contacts et d’expérience dans le milieu

cinématographique, mais ça ne fait pas nécessairement d’elle unmeilleuragent.En toute logique, je saisquecequeditBrad fait sens.Maissacondescendancememethorsdemoi.

Laréunionsetermine,nouscommençonsàrassemblernosaffaires.Tout espoir s’est évaporé. Oui, nous pouvons travailler comme uneéquipeet,oui,nousavonsdescompétencescomplémentaires.Maisai-jevraimentenvied’êtreperçucommeceluiquiatoutàapprendred’elle,quibénéficiedesonexpérience?J’essaiedemecalmer,maismoncœursemetàbattreplusviteetjedoisévitersonregard.

Je m’attarde en faisant semblant de parcourir un dossier pourqu’EvieetBradsortentd’abord,maisjenesuispassurprisdelatrouverdanslecouloiraumomentoùj’émergedelasalledeconférences.Ellem’arrêted’unregardens’appuyantcontrelemur.Elleaunelongueurd’avanceetsembleenavoirconscience.

–Ehbien,c’étaitintéressant.Ellecroiselesbrassursapoitrine.–C’estunemanièredevoirleschoses.– À propos d’élaborer une stratégie lance-t-elle en regardant

ailleurs.Commejetel’aidit,j’aiunrendez-vousàdix-septheures,maisonpourraitseretrouverplustard.Çapourraitêtresympademettreleschosesàplat.

Putain.Mon cœur tambourine comme un marteau-piqueur contre mon

sternum,monventreestunabîmedeculpabilité.– En fait, j’avais oublié que j’avais dit à Michael que je garderais

Morgan ce soir. Elle doit apprendre à nager et je lui ai promis del’accompagneràlapiscineetdem’occuperd’ellejusqu’àcequ’ilviennelachercher.

–Oh,répond-elle,conscientequ’ils’agitd’unmensonge.(Elle sait.)Uneautrefoisalors.

–Biensûr.Evie a l’art de rester impassible en apparence, mais je vois son

regardsevoiler.–Tuescontentdetaliste?L’amusementquejedistinguedanssavoixmelaissepenserqu’elle

neleseraitpassielleétaitàmaplace.–Ouais.Enplusdespersonnalitésquej’amènechezP&D,j’auraide

quoim’occuper.Ettoi?–Ravie.(Ellesourit.)Enfindecompte,jesuissoulagéequetuaies

récupéré Dan Price. Je ne sais pas comment j’aurais trouvé du tempspourluietAdam,Sarah,Seamus…

Jem’immobiliseenretenantmapremièreréaction:lamettrefaceàsoncomportementpassif-agressif.J’échoue.

–Donc,tuétaisencolèreàcausedemonmailàproposdeDan?– Je n’étais pas en colère, réplique-elle d’un ton plat. (Elle était

clairement en colère.) J’ai juste trouvé ironique que tu m’appellesseulement quelques heures avant pour me dire qu’on ne devrait pascesserdecommuniquer.Etpuis,tufaisensortedemepiquerunclientqueBradpensaitmeconfier.

Est-ellesérieuse?Cette situation n’est agréable pour personne. Nous voyons clair

dans le jeu de l’autre, c’est du moins mon impression. Je donneraistoujoursmonpetitdoigtpourlabaisertoutelanuitmaisàcetinstant,oùEviemedévisage comme si j’étais un adversaire de l’autre côté duterrain, je décide de fermer cette porte pour en laisser une autreouverte. Je ne peux pas tout mener de front. Et si je ne peux pasobtenirlafille,jepeuxaumoinsessayerdesauvermonposte.

– Jene t’aipaspriseen traître, luidis-je. Je t’aimiseencopiedumail, n’est-ce pas ? C’était clair et net. Il n’y avait aucune arrière-pensée.

Suit unmoment de silence gêné avant qu’elle ne se tourne et nes’éloignedans lecouloirsansunmotsupplémentaire.Jecontinueà la

regarder longtemps après qu’elle a disparu, probablement dans sonbureau.

Justinarrivederrièremoi.–Comment ça s’est passé ?medemande-t-il en désignant la salle

deconférences.Jeluitapotel’épauleetsouris.– Super. En fait, j’ai pasmal de recherches àmener.Dis-moi, que

sais-tuàproposdeYouTube?Jecommenceàélaborerunplandansma tête tandisqu’ilbabille,

surexcité,etmêmesi j’ai l’impressiond’êtresournois,unestratégie faitsonchemindansmonesprit.J’aibesoindecejob.J’aibesoindetrouverunmoyenpour faireensortequeça fonctionne.Bradpensepeut-êtrequ’Evieestlabonnepersonnepourceposte,maisc’estseulementparcequ’ilnesaitpasdequoijesuiscapable.

Si jedois travailler jouretnuit, sans relâche,etapprendre toutcequejedoisapprendre–etplusencore–àproposdemalistedeclientsetdelasienne,c’estexactementcequejeferai.

HorsdequestiondeperdrefaceàEvil.

Chapitre11Evie

Date:Vendredi,30oct.à16:12De : Kylie Salisbury<[email protected]>À:CarterAaron;EvelynAbbeyObjet:SéminaireannuelBonjourEvieetCarter,Brad a demandé que vous soyez tous les deux enchargeduséminaireannueldudépartementàBigBear.Ilestfixépourleweek-enddu14au16janvier. Comme Evie le sait, je l’ai organiséces deux dernières années, donc faites-moisavoir quand vous aurez un moment pour qu’ondiscutetouslestroisduformat,desactivitésetautresdétailsimportants.Bienàvous,Kylie

J’ailucemailàpeuprèsseptfoisetjenesuistoujourspassûredel’avoirbiencompris.J’entredanslebureaudeDaryletluidemandede

confirmer que je n’ai pas halluciné. J’appelle Amélia pour qu’elle meconfirmequejenesuispasentraindemefairedesidées.

Le séminaire n’était-il pas annulé ? Pourquoi est-il reconduit etpourquoi des agents seniors sont-ils censés l’organiser ? Suis-je sur lepointd’avoiruninfarctus?

Apparemment, non. Et pour couronner le tout, Carter et moisommes chargés d’une tâche qui fait normalement partie desattributionsd’unassistant:organiserleséminairedudépartement.

Brad,c’estunsacrénuméro.PuisquelanouvellenevientpasdeBradlui-même,jenepeuxpas

deviner l’intention cachée,mais je suis certainequ’il y enaune. Il estpossible queKylie lui ait demandéunpeude répit,mais il est encoreplusprobableque ce soit samanièred’inaugurer lesHungerGames deP&D.

Jem’appuiecontrelaportedeDarylenmefrottantlevisage.–Çasignifiequejeseraiobligéedeluiparler.Ilyadeuxsemaines,jenem’enseraispasplainteparceque(soyons

honnêtes) j’avais envie de trouver le moyen de le déshabiller ànouveau.Maisaprèslesderniersrevirements–Allonsdîner,ohattends,tuasunemeilleure listequemoi, jen’aiplusenviededîneravectoi–, jecommenceàpenserque lameilleurestratégieconsisteraàréduirenoséchangesauminimum.

Ce qui… à ma grande surprise, n’est pas si difficile. Entre lesnouveauxclientset lesnouveauxcollèguesde travail,enplusdemonplanning habituel, j’ai été complètement submergée. Au cours de cesdeuxdernièressemaines,jesuisarrivéeautravailà8heuresetj’ensuisrepartie tous les soirs longtempsaprèsque lesbureauxs’étaientvidés,j’ai eu neuf déjeuners professionnels, sans compter les onze réunionsinformellesautourd’unverreenafterwork,quis’ajoutentauxrendez-vousclientpendantleshorairesdetravail.J’aiàpeinevuCarter.Saufquandjejetaisuncoupd’œilfurtifdanslecouloiraprèsavoirentendu

sa porte claquer, pour profiter de la vue de son cul moulé dans sonpantalondecostume…

Jem’accordeunecourtepauseentreundéjeunerproetunrendez-vous hors des murs de P&D, en espérant pouvoir attraper Carter auvol.Parceque les chancesque je lui tapedessusouque jeme jette àson cou sont à peu près équivalentes. Je décide alors de demander àDaryl,quimedoitunefaveurdepuislasoiréedeSteph,dejouerlerôledechaperonetdetémoinpotentiel.

Jesuisunesuper-amie.Nousnousarrêtonsdevantsaporteetjelèvelepoingpourfrapper

unefois,hésitante.En général, Carter ne ferme pas sa porte. Je le vois constamment

dansl’entrée,occupéàparleràdesgensouavecdeuxoutroisagentsdans son bureau. Nous travaillons différemment, j’ai tendance à allerdroitaubut,demanièreamicalemaisbrève,alorsqu’ilerreetbavardedans les locauxpourcroiser leplusdemondepossible.Tout lemondeaimeCarter.J’aiconsciencequecettesemaineestdifficilepourluiaussi,maisilsembletoujoursdisposerdequelquesminutespourdirebonjouràquelqu’un,s’arrêteretdiscuterdelapluieetdubeautemps.

Je réalise que nosmanières de travailler sont complémentaires, etmonventreseréchauffe.

Ne serait-il pas bien plus sympathique de collaborer, au lieu denousaffronter?

La situationne serait-elle pas bienmoins compliquée s’il ne s’étaitpas instantanément métamorphosé en connard menaçant etcompétitif?

–Arrête,meditDaryl,etjeclignedesyeux.–Arrêtequoi?–Arrêtedegigoterdans tous les sens.Tuescenséeêtre ladureà

cuire.Lesduresàcuirenetrépignentpas.Etnemefaispascettetête:n’est-ce pas exactement la raison pour laquelle tu m’as demandé devenir.

– OK, d’accord, d’accord. (Je ferme les yeux en invoquant monNinja intérieur.) Je suisUmaThurman dansKillBill. Linda HamiltondansTerminator2. SigourneyWeaver dansAlien – parce que, soyonshonnêtes, c’est dans ce film qu’elle s’est révélée. Les séquences danslesquelleselle…

–Veux-tubienteconcentreruneminute?Ils’écrie:–Entrez!Etjesuisunpeuperturbéeparlesondesavoix,profondeetcalme,

très différente de son intonation de tous les jours. Je me rappelle ladernièrefoisoùj’aientenducettenuance,dansmonlit,etj’aienviedefoncerlatêtelapremièredanslemurleplusproche.

Cette situation seraitmille fois plus simple si je n’avais pas autantenviedel’embrasserquej’aimeraislerouerdecoups.

J’ouvrelaporteetlèvelesyeux:ilestassisderrièresonbureau,lescheveuxemmêlés,leslunettesdetravers.Ilsembletoutchiffonné.

–Salut,Evie.Son expression est difficile à déchiffrer. De la surprise, peut-être ?

Delanervosité?Ilsembleunpeustressé.Tantmieux.Carterjetteuncoupd’œilderrièremoi,endirectiondeDarylquime

rentrededansquandjem’arrêtenet.–Mercideprévenir,dit-elleensefrottantlenez.Je devrais faire plus attention. Elle a dépensé beaucoup d’argent

pourcenez.– Nous n’avons pas été officiellement présentés, dit Carter, et il

s’approchedeDarylpourluiserrerlamain.CarterAaron.Lenouveau.–DarylJordan.Sagittaire.– Bélier, réplique-t-il avec un sourire espiègle. Nous sommes les

signeslespluscompatiblesduZodiaque.Dieutout-puissant.Darylsourit,charmée.

– Ravie de l’apprendre, ajoute-t-elle, dans la mesure où tu es lenouveauje-ne-sais-quoidemameilleureamie.

Jemetourneverselle,lesyeuxécarquillés.Traîtresse.– Je ne savais pas que tu t’intéressais à l’astrologie, dis-je en me

demandantàquijedoisjeterunregardnoir.Tulistonhoroscopetouslesjours,Carter?

Talunecompétitiveéclipsemonbonheurensoleillé,enfoiré.– Pas en cemoment, répond-il, à nouveau sérieux.Maismamère

est férue d’astrologie et elle avait pour habitude de nous lire notrehoroscopetouslesmatinsaupetitdéjeuner.Quandj’entendsquelqu’unyfaireallusion,çamerendunpeunostalgique.

Sombrec…–C’esttellementmignon.Daryl craque visiblement. Lui demander de m’accompagner était

une erreur. Je me demande s’il est encore possible de la pousserdiscrètementendehorsdelapièce.

–Malheureusement, je n’ai pas l’occasion de la voir aussi souventque je le voudrais, mais j’espère y aller bientôt pour les vacances.Quand il y aura un jour férié. Enfin… (Il replace ses lunettes sur sonnez, mais ne se recoiffe pas. Il nous fait signe de nous asseoir et seréinstallesursonfauteuil.)Jesuisécrasédetravail.Quoideneuf?

–J’imaginequetuaslulemaildeKylie.Ilsecouelatêteetsetourneverssonécran.–Ettuteplaisici?demandeDaryl.Tuastrouvétesmarques?J’entendsledouble-clicdesasourisetleregardeparcourirlemail.–Ouais, articule-t-il lentement. Jeme faisdes amis, j’apprends les

rouages.Lesgensétaientunpeuréticentsaudébut,maisjepenseavoirdépassé cette phase. Je commence à apprécier la dynamique del’équipe.

Commemoi,ilrelitlemessageplusieursfoisavantdeleverlesyeux.–C’estdusérieux?Jehausselesépaules.

–J’imagine.– Brad ne considère-t-il pas que nous avons assez de pain sur la

planchecommeça?–Ilveutnousempêcherdesortir latêtedel’eauoualors ilestime

queKylien’apassuffisammentbienbossécesdernièresannées.Cartermeregardeavecl’airdedésapprouver:–Elleesttrèscompétente,Evie.Daryl me pince le bras et, sérieusement, c’est quoi ce bordel ? On

était en train de se demander pourquoi Brad nous infligeait ça, alorspourquoisepréoccupe-t-ilsoudaindeKylie?

J’ignorelestentativesdeDarylpourm’intimerdegardermoncalmeettoiseCarter:

– Jen’endoutepas,mais les séminairesne sontpeut-êtrepas sontruc.

Ilritsèchementensecouantlatête,avantderelirelemail.–Tuasvraimentunedentcontreelle.Jedoisprendreunegrandeinspirationpourencaisserlaremarque.

Depuis deux semaines qu’il est ici, a-t-il déjà été témoin d’unealtercationavecKylie?Etpourquoi ressent-il lebesoinde ladéfendredevantmoi?J’aienvied’attrapersonagrafeuseetdelaluibalanceràla figure.Mais lesbonsagentsparviennentà semaîtriserpournepasperdre leur sang-froid, à moins qu’il soit vraiment nécessaire dedéchaînerlabête.Unagentgénialneperdjamaissonsang-froid,maisdéchaînelabêtesibesoin.

C’estunedifférencedetaille…etjedisposeencored’unemargedeprogressionpourêtretoutàfaitgéniale.

–OK,danscecas,dis-jecalmementenmedégageantde l’emprisedeDaryl.Jevoisbienquetuesdébordé.Jepeuxm’enoccuperseule,situpréfères.

Darylsecouelatête.–Evie,jenepensepasqu’ildéfende…–Jenesuispasdébordé,lacoupeCarter.

–Biensûrquenon.Etenentendant le tonavec lequel jeprononcecesmots, il rougit,

carjesous-entendsquesalisteestplusqueraisonnable.Je jette un coup d’œil à son bureau. Il est bien plus vivant

qu’auparavant. Les murs sont couverts de photos encadrées depaysages de la côte Est, de portraits de lui avec des clients, sondiplôme,unexemplairedupremiercontratqu’ilaobtenu.Uneplanteverte égaye la pièce et, à l’endroit où se trouve mon canapé, il adisposé une ottomane et deux fauteuils avec des coussins colorés. Cebureaudégageuneimpressiondechaleuretdeconfort,onaenviedes’y installer pour discuter, se faire des amis et peut-être signer uncontratoudeux.

Pourquoifaut-ilqu’ilaitl’airsisympathiquesoustouslesaspects?Jesaisqu’iln’ouvriraplus labouche,maintenantque j’ai lâchéma

petite bombe et queDaryl semble avoir abandonné l’idéede jouer lesmédiatrices.

–Bref, jecontinueavecautantdedésinvolturequepossible, j’étaissimplementvenuesavoirquandtuvoulaisdiscuterdel’organisationduséminaireavecKylie.

Ilselèveetmefaitsignedeleprécéder.

Aumoins,nousnedevonspastoutinventerdeAàZ.Kylienenousdonne aucune information vraiment intéressante : il s’agit d’unséminaire pour le département Longs-Métrages et ses équipesauxiliaires.Onboit,onprendpartàdesactivitésenéquipe,onboit.OnécouteBrad raconterdeshistoires ennuyeusesdont il est le héros. Engros,c’estunebeuveriegéanteavecdeuxoutroisjeuxaumilieu,cequinesemblepas trèscompliquéàmettresurpied,encoremoinsdans lamesure où il y aura des organisateurs sur place. Je commence à medétendre.

Je ne peux m’empêcher de remarquer que Kylie dirige toute sonattention sur Carter tandis qu’elle énumère les activités qu’elle avaitchoisieslesdeuxannéesprécédentes.Mais…jenepeuxpaslablâmer.Moinonplus, jen’arrivepasàdétacher lesyeuxdeCarter.Quoiqu’ilensoit,commeCarteralaisséentendrequej’avaisunedentcontreKylie–quelle idée,enfin !–, jem’efforced’avoir l’airaussipeuaffectéequepossible par l’attraction évidente qu’elle ressent pour lui. En tempsnormal, je poserais des questions et tenterais de détourner sonattention surmoi,maispuisque la situationest tout saufnormale – etquejesaisquetantqu’ilyaurasuffisammentd’alcooletdenourritureàcetévénement,personnenesesoucieradesdétails–, jenem’impliquepastrop.

ToutsembleassezsimpleetnoussommessurlepointderetournerdansnosbureauxrespectifslorsqueKyliechuchote:«Lesgars…»

Noustournonslatêtepourlaregarder.Elle prononce ces mots sur un ton d’excuse et regarde autour de

nouspours’assurerquepersonnen’écouteauxportes.–Ils’agitdesdispositionsgénérales,maisrappelez-vousquec’estLE

week-end préféré de Brad. Ajoutez à ça la fusion, le fait que lesnouveaux doivent s’acclimater à l’esprit de l’entreprise, il s’attendvraimentà…unévénementimportant.D’accord?

Sonmince sourirenous fait comprendrequ’elleest soulagéedeneplus en avoir la charge et qu’elle s’attend à un bain de sang si nousdéconnons.

Carterdoitlesentir,luiaussi,parcequ’ilm’arrêted’unemaindanslecouloir.

–As-tuletempsd’endiscuter?marmonne-t-il,malàl’aise.Jesaisquenosplanningssont surchargés,maisKylieaeu l’aird’insisteret jenesuis jamaisalléàunséminaireorganiséparBrad.Jepeuxdégagermonaprès-midisibesoin.Sic’estpossiblepourtoi,biensûr.

Jesecouedéjàlatête.

– Impossible. Je pars tôt pour retrouver un acteur en plateau. Jefiniraiauxalentoursde19heures. (Jeme taisenmedemandant si jevais regretter ce que je m’apprête à dire.) On pourrait peut-être seretrouveraprès?Àmoinsquetun’aiesdéjàprévuquelquechose.

– Çame va très bien. Je dégageraimon emploi du temps pour teretrouveroùtuveux.

J’imaginependantun instant luiproposerdevenirchezmoiavantderéaliserqu’ils’agiraitd’uneénormeerreur.

–Quepenses-tudeBOA,à19h30?Illenotedanssontéléphone.– 19 h 30. Je vais faire une réservation et on se retrouve là-bas.

Merci,Evie.

Carter est déjà installé quand j’arrive, l’hôtesse me conduit à latable.Ils’estchangé.Ilporteunechemiseblancheaucolouvertetunpantalon noir. L’effet est immédiat : parce qu’il ressemble à unepersonnenormale,ilestàlafoisplusdifficileetplussimpled’interagiraveclui.Plussimple,parcequejeneressenspaslebesoind’êtreaussicharismatiqueque lui, contrairementàceque je ressens tous les joursaubureau.Plusdifficile,parcequ’ilressembletellementàlaversiondeCarter Potentiel Boyfriend que ça me déchire le cœur. Je regrettetellementdenepaspouvoirrevenirenarrière.

Jem’assieds,dépliemaservietteetlaposesurmesgenoux.Nousremercionstouslesdeuxleserveurlorsqu’ilremplitnosverres

d’eau.Carter me surprend en déclinant toute proposition de cocktail…

donc,jefaisdemême.Leserveurénoncela listedesspécialitésetnousditqu’ilreviendra

unefoisquenousauronseuletempsdejeteruncoupd’œilaumenu.Le silence se fait. Le contraste entre ce dîner et le premier dîner que

nousavonspartagéestéclatant.Etplusnousrestonssilencieux,plusilsemblecompliquédetrouverquelquechoseàdire.

Un cocktail avec une bonne dose d’alcool aurait vraiment été lebienvenu.

Le soleil filtre à travers la fenêtre et je regarde en direction de larueenm’émerveillantducalmequirègnesurcecarrefour,àuneheureoùlesbureauxsontfermés.

Je lui jetteuncoupd’œilet lesurprendsentraindem’observer. Ildétourne les yeux et se concentre à nouveau sur sonmenu. Ses yeuxbrillentderrièreseslunettes.J’avaisoubliéàquelpointilsétaientvertsetàquelpointsaboucheétaitparfaite.

– Donc, dit-il, et je réalise que je viens d’être surprise en flagrantdélitàmontour.

–Donc.Ilme regarde bien en face,mais je n’ai aucune idée de ce qui lui

passe par la tête. J’adorerais posséder une bague permettant dedécoderlespenséesdeCarter.Undemi-sourireétireseslèvres.

–Commentçava?J’éclate de rire, son sourire s’accentue et devient un vrai sourire

hilare,charmant,ridicule,quin’arienàvoiravecsonsouriredansuncontexteprofessionnel.

–Onauraitdûcommanderàboire.Je suis tellement soulagée que sa franchise soit de retour que j’ai

enviedemejeteràsoncou.– Ouais, une bonne centaine de cocktails. (J’aligne nerveusement

ma fourchette et mon couteau sur la table.) Carter. Je suis vraimentcontentequ’onsesoitretrouvés.J’aimeraisqu’onrecommenceàzéro.

Ilacquiesceetboitunegorgéed’eau.– Moi aussi. Mais pas tout non plus. Nos débuts n’étaient pas si

terribles.Lesous-entendumefaitrougir.

– Je suis d’accord.Aubureau, la situation est inextricable,mais jesuis persuadée que nous pouvons être plus efficaces en travaillantensemble.

Ilsemblesoulagé,luiaussi,etilmeprendparlamain.–Jesuisd’accord.Çan’apasététopentrenous.– Et je pense qu’ils auraient vraiment tout intérêt à nous garder

tous les deux. Plus j’y réfléchis et plus je me rends compte qu’il y abeaucoupdepoidsmortsdans ledépartementLongs-Métrages…maisnousn’enfaisonspaspartie.

– Évidemment, je ne suis pas là depuis aussi longtemps que toi,renchérit-il en hochant la tête dans ma direction, et j’apprécie qu’ilreconnaissemonexpérience.Maisouais, jesuisd’accord.(Il sepencheen avant.) Nous sommes tellement complémentaires. Rose et AshtonseraientbienmieuxàNewYork.Ilsadorentlethéâtre,Broadwayseraitidéal pour eux. Ils choisiraient peut-être d’être transférés si on leurdonnaitlechoix.

–Exactement.Nous sommes d’accord sur un point, ce qui apaise un peu

l’atmosphère.Jesenslatendresserevenir,sonsourireestauthentique.Leserveurs’arrêtepourprendrenoscommandesetnousnouslâchonslamain.Unefoisqu’ils’éloigne,nousnousregardonsdanslesyeux.

– Il y a beaucoup de positif dans cette situation. J’adore ledépartement Longs-Métrages, tume plais. J’ai dumal à supporter lasituationmais,enmêmetemps,jesuisravidebosserchezP&D.

–J’ensuisheureuse.Ettumeplaisaussi.–Nousavonspasséuntrèsbonmomentladernièrefois,ajoute-t-il

enmereprenantlamain.Jenepensepastel’avoirdéjàdit.J’éclatede rire.Sesyeux s’écarquillentde surpriseetd’amusement

quandjeréponds:–J’enavaisunevagueidée.Ils’éclaircitlagorge.

– Je suis désolé si tu t’es sentie trahie lorsque je me suis portévolontairepourgérerlescontratsdeDan.

–Cen’estpasgrave. J’aimebeaucoupDanetnousavons travailléensembleparlepassé,maistalisteenaplusbesoinquelamienne.

Il fronce les sourcils et je réalise que j’ai parlé trop vite. Pourquoidois-jetoujoursêtredanslacompétitionavecCarter?

–Jeneledispaspourêtredésagréable.(J’aimeraisqu’ilmecroie.)Je suis honnête. Je pense que tu peux facilement le convaincre designer.Danestunmecsimple,ilsuffitdel’appeleretdeluidemandercequ’ilattend.

Ilretiresamaindelamienneetboitunegorgéed’eauensecouantlatête.Larupturedecontactbrisel’intimitédel’atmosphère.

– Dan m’en parlera quand il sera prêt. Et je sais comment iltravaille.Ilveutavoirl’impressiondetoutcontrôleretjen’aipasenvied’êtreinsistantenleharcelant.

Carter a des instincts merveilleux mais à cet instant, il a tort.Purementetsimplement.Danaimequ’onluicoureaprès.J’aitravailléavecluietjelesais:iln’aimepasêtreceluiquidécrochesontéléphonepourpasseruncoupdefil,ilveutêtreceluiquichoisitderépondreoupas.

–Jepensejustevraiment…–Seigneur,Evie,laisse-moifairemonjob,d’accord?lâche-t-il.J’ouvrelaboucheetlaisseéchapperquelquessonsindistinctsavant

demarmonner:–Biensûr.Je sens qu’il regrette immédiatement sa réponse. Mais il est trop

tard.Latensionestremontéedeplusieurscrans.Nos plats arrivent et nous nous penchons sur nos assiettes, en

mangeantensilence.Carterposesafourchetteaprèsquelquesbouchées:–Evie.–Non,sérieusement,toutvabien.

Je lui offremon plus beau sourire, parce que je n’ai vraiment pasenvie qu’il pense que j’essaie de l’influencer. C’est une situationimpossible:sijel’aide,jepeuxperdremonjob.S’ilnesebatpaspourobtenirunemeilleure liste,c’est luiqui leperdra.Etnousnepouvonspasrésoudrenosproblèmesennousembrassant,mêmesic’estcequejedésireleplusaumonde.

–Tuasraison.Çanemeregardepas.Faiscommetulesens.Carterhochelatêteetjedécidedelancerleshostilités:–Maintenant,parlonsdeceséminaire.

Ledîners’estpasséaussibienqu’onpouvaitl’imaginer.Nousavonsun plan solide pour l’événement de janvier, nous disposons tous lesdeuxd’unelistedechosesàréglerchacundenotrecôtéavantdenousrevoirpourenparler.Noussortonsensembledurestaurantet,defilenaiguille,CartermeracontequeMichaelaoffertunkitdemoulagesexyàStephpourleuranniversairedemariage.Ilvoulaitmoulersonpénispour qu’il devienne un jouet sexuel qu’elle pourrait mettre dans savalisechaquefoisqu’ellepartiraitenvoyage.Enouvrantlecadeau,ellea pensé qu’il essayait subtilement de lui dire qu’il avait un cancer etqu’ils’agissaitd’unmoyendesesouvenirdesonpénisaprèssamort.

Je ris si fort que Carter doitm’attraper par le bras pour s’assurerquejenevaispastomberàlarenverse.Jeluienveuxd’êtresidrôle,etjem’enveuxd’avoir tellementenviequ’ilme touche. Jen’arrivepasàmefaireàl’idéequecen’estpasprèsdesereproduire.

Nous nous écartons et continuons à marcher sur Sunset, endirectiondeDoheny.Ilfaitchaud,maislachaleurn’estplusécrasantecommedébutoctobre. Je lui jetteun coupd’œil, il prendunegrandeinspirationpoursecalmer.

–C’estjoli,n’est-cepas?Ilregardeendirectionducieloùscintillelalune.

–Jemedemandesijevivraiunjourdansunendroitoùl’onvoitlesétoiles.

–C’estpourçaquelesvacancesexistent.Ilsourit.–Lesvacances?Qu’est-cequec’est?J’éclatederire.–Jesais.J’imaginequ’onaurait intérêtànepas fairedeplanssur

lacomètecetteannée.Il me sourit d’un air doux et triste en même temps avant de

reprendrecontenance.Ildésignelacollineauloin.–Jevisàquelquesblocsdelà.Je regarde par-dessus son épaule dans cette direction. Son

appartementsetrouvequelquepartdanscequartier.Sonlit.Jenesuisjamaisalléechezlui.Enfin,biensûrquejen’ysuisjamais

allée :nousavonsvécuune relationquiaduréàpeineunweek-end .Même si cette histoire semble représenter un événement bien plusimportant dans ma vie amoureuse qu’elle ne l’a été en réalité. Jen’arrivepasàdécidersiçasignifieNeLaissePasTomberCeTypeouTaVieAmoureuseEstPitoyable,MaPauvre.

Entoutcas,cen’étaitclairementpasuneinvitationàallerchezlui,parcequenoussavonstouslesdeuxqu’ilnesepasseraplusrienentrenous,mêmesinousavonsconscienceque,dansd’autrescirconstances,nous nous serions jetés l’un sur l’autre à l’issue de ce dîner. Et étantdonnéquejesaisque…

noussommestouslesdeuxstresséscommejamais,Carterestdrôle,vraimenttrèsdrôle,Carteraunsuper-pénis,…lesexeseraitincroyable,jen’enaiaucundoute.Mais nous nous contentons d’échanger un bref câlin et nous nous

quittons sur le trottoir. Je le regarde disparaître en direction de lacollineplantéed’arbressanspouvoirdécidersinousavonsavancéousi

nousavonsfaitunpasdecôtécesoir.Devrais-jeluiêtrereconnaissantepour ce pas de côté ? Il réveille des émotions intenses en moi – laplupartsontpositivesmaisjesouffredelasituation–etquandilestsurladéfensiveetqu’ilréagitn’importecomment, j’aienviedel’étrangler.Il faut que nous tentions de tirer le meilleur profit possible de cettesituation.J’apprécieCarter,maisilestévidentquenousnefaisonspascemétierpourleplaisird’arriveràladeuxièmeplace.AvoirsignéavecAdam Elliott et Sarah Hill était un coup énorme pourmoi, et Carterdoit sentir la pression monter. Et, bien sûr, il a envie de s’assurer laprésencedeDandanssaliste.

Et de mon côté, je devrais peut-être essayer de faire preuve d’unpeuplusd’empathiepourquenoustrouvionslemoyend’êtreamis.

Comme si l’univers trouvait cette option totalement hilarante, aumomentoù jemontedansmavoiture, jereçoisunmaild’unémetteurVIP. Il vient de Dave Cyrus, mon contact spectacles chez HollywoodVine.

Date:Vendredi,30octobreà21:42De:DaveCyrus<[email protected]>À : Evelyn Abbey<[email protected]>Objet:DanPriceEvie,CemailpourtedemandersiDanvaatterrirdansta liste. C’est ce qu’on raconte, en tout cas.J’en saurai probablement plus, très bientôt,maissituasuneinfopourmoi,j’aimeraisêtresurlescoopetécrireunarticleHotBuzzquandilsignera.Tiens-moiaucourant.Dave

Jegrogneetlaisseretomberlatêteenarrière,enfermantlesyeux.C’esténorme.DaveaentendudirequeDanallait signeravecmoi.UnHotBuzz,çasignifieà lafoisunarticlepapierdansl’éditionimpriméedumagazinemensuel – avec une diffusion incroyable dans l’industriedu film–ainsiqu’unénormeéchodans l’éditionen ligne.Ce serait lapromorêvéepourDanetunemerveilleusecarotteàluiprésenterpourleconvaincrederejoindreP&D.

Je suis sûre à 98% que je pourrais appeler Dan à l’instant, luidemandercequ’ilcomptefaireetleconvaincrederejoindremaliste.

Maisjeneleferaipas.Parce que je ne suis pas du genre à planter des couteaux dans le

dosdesgens.

Date:Vendredi,30octobreà21:47De:EvelynAbbeyÀ:DaveCyrusObjet:Re:DanPriceDave, ça me tue de devoir te dire ça, mais uncollègue va signer avec Dan, et je ne peux pasutiliser cette info en âme et conscience pourlui saper son coup. Tu me ferais une énormefaveursituluioffraislamêmeopportunité.Ils’appelleCarterAaron.IlestnouveauchezP&Detnousavonseulachancedelerécupéreraprèslafusion,ilestgénial.Jeterevaudraiç[email protected]

_______________

Date:Vendredi,30octobreà21:59De:DaveCyrus<[email protected]>À : Evelyn Abbey<[email protected]>Objet:Re:DanPriceTut’adoucisavecl’âge?Je te taquine. Bien sûr que je vais contacterCarter. Envoie-moi un message quand tu aurasenviedeprendreunverre.Dave

Chapitre12Carter

C’estuneblague.

Jefixemontéléphone,laboucheouverte,dudentifricemecoulesurlementon et je reste immobile jusqu’à ce que l’écran se metteautomatiquementenveille.Aprèsavoircrachédanslelavabo,jerelislemail.Incroyable.DaveCyrusveutmeparlerdeDanPrice.

Jerépondsrapidementen luidisantque jesuisclairementpartantpour discuter et lui donner toutes les informations dont il a besoin.HollywoodVinebénéficiede laplus importantedistributionde tous lesquotidiens à Los Angeles. Approcher Dan avec un atout pareil megarantitquasimentdelefaireentrerdansmonéquipe.Ledébaucheretdécrochercegenredepresse,c’estexactementcedontj’aibesoinencemoment.Çapourraittoutchanger.

Evieavaitraison,ilesttempsd’agir.J’aifaittouteslesrecherchesimaginablesàproposdeDanPrice.Je

saisqu’ilveutavoirl’impressiondedirigermêmes’ilestentouréd’amisd’enfance qui influencent la plupart de ses décisions – une batailleconstanteet,d’aprèslarumeur,laraisondudésaccordqu’ilaeuavecsonagentactuel.Ilregrettelerôlequil’afaitconnaître,unjusticierquivoyagedans le temps,maisestassez intelligentpourne jamaisy faireallusionpendant ses interviews. Je sais aussi avecqui il est sorti, quel

typedemusiqueilapprécieetqu’ilnesaittoujourspasdifférencierlesinfinitifs des participes passés sur Twitter. En matière de casseroles,l’annéedernière,ilacouchéavecl’épousedelavedetteaveclaquelleilpartageait l’affiche, devenue aujourd’hui son ex-femme, et il a passéunesemainedansunbordeldeVegasàvingtans.Cependant, iln’estjamais en retard, il est toujours respectueux pendant les interviews etneposejamaisdeproblèmesurlestournages.

Ces détails peuvent paraître insignifiants, mais je ne gagne pasd’argent si mes clients ne travaillent pas, une tâche impossible sil’acteurenquestionestuncauchemaretquepersonneneparvientàlesupporter.

Noussommessamedi,maisjesuistoujourslepetitnouveau,cequisignifie quemême si les bureaux sont techniquement fermés, les joursde repos n’existent pas pour moi, week-end d’Halloween compris.Surtoutdepuisquej’aireçulemaildeDave.Jedoism’occuperdeDanPricemaintenant.

Jejetteuncoupd’œilàmamontre,ilestneufheuresetquelquesetj’ai assez de temps pour passer un coup de fil rapide à Dan avantd’aller bruncher avec le vice-président Développement chezParamount.Entempsnormal,jedemanderaisàJustindeprogrammerle coup de téléphone, mais ça ne peut pas attendre. La ligne sonneseulementunefois,unevoixrauquedécroche.

–TéléphonedeDanPrice.–IciCarterAaron…–Aaron,salut!C’estCaleb,lemanagerdeDan.–Caleb,jemesouviensdetoi.NousnoussommesrencontrésàNew

York,onabuunverredanscepetitbar…–…àBrooklyn,c’estvrai!Jem’ensouviens.Jet’aibattuaubillard

cesoir-là.–C’estvrai,espèced’arnaqueur.Jenesuismêmepassûrd’avoirle

couragederemettreça.

–Héhé.Il semble très content de lui, je sens que j’ai bien jouémon coup.

Caleb influenceénormément lesdécisionsdeDan, l’avoirdemoncôtéestdéfinitivementunplus.

–Écoute,Caleb,jemedemandaissijepouvaisparleràDan…–Ilestenplein tournage, répétitionet tout le tintouin,mais je lui

diraiquetuasappelé.Jesuissûrqu’ilenseraravi.Jebrandislepoingenl’air.– Génial. Fais-lui savoir que je suis libre tout le week-end, pas

besoind’attendrelundi.–Pasdeproblème.Évitelestablesdebillard,lance-t-ilenriantàsa

propreplaisanterie.Ilraccrocheetjesouris.

Quaranteminutespourparcourirdix kilomètresun samedi ?Quelenfer!

Il y a autant de voitures sur la route à New York, mais là-bas, ilexiste au moins des bus et le métro et on a aussi la possibilité demarcher.Tousleslieuxsontinterconnectés,etprendrelestransportsencommun est presque toujours plus facile que se déplacer en voiture.L’agglomération de L.A. compte trois cents kilomètres d’autoroutes etdix mille kilomètres de rues – je sais, j’ai cherché sur Google – etpourtant,ilyatoujoursdesembouteillages,oùqu’onaille.

CequisignifiebienentenduquejesuiscoincésurSunsetBoulevardlorsque mon téléphone sonne dans l’habitacle, via le Bluetooth. Jesursaute en pensant qu’il s’agit de l’appel de Dan que j’attends,maisc’estlenomdemamèrequiapparaîtsurl’écran.

Jedécrocheuniquementparcequ’ilvautmieuxnepastoutremettresystématiquementaulendemain.

–Salut,Maman.–Commentçava,moncœur?Tuesenvoiture?

–Oui.Jesuispartibruncheretilyadesembouteillages.Jenesaispas si je pourrai te parler longtemps, parce que j’attends un coup detéléphone important. Si j’ai un double appel, je serai obligé de leprendre.

–Unsamedi?–Unsamedi.Jesaiscequ’ellevaajouter.–Tunetravailleraispaslesamedisituavaisuntravailnormal.Jel’ignoreetmefrottelefront.–Est-ceJonahquivat’appeler?Jemefige,confus:–Non,pourquoim’appellerait-il?Ellemerépondparunsilenceetjeréalisetroptardqu’ellepense–

parcequec’esttonfrèreetquevousvivezdanslamêmeville,sansoublierquejet’aidemandédelecontacter–,maiselledit:

– Je n’ai pas eu de nouvelles de lui depuis une semaine et il neprend plus mes appels. Je tombe toujours directement sur samessageriequim’horripile.

Je me mets à sourire parce que son message vocal d’accueil estépouvantable:Ouais c’estJonah.Tusais cequ’il te resteà faire. Je suisheureuxdesavoirquemêmenotrechèremèrea,elleaussi,enviedelefrapperquandellel’entend.

–Jesuissûrqu’ilterappelleraquandilauraunmoment.Tupassestontempsàmerappeleràquelpointilestoccupé.

– Cette fois, c’est différent, dit-elle, l’air tendue. Il ne vient jamaisnous voir,mais il répond toujours au téléphone. Je l’ai appelé quatrefois sans arriver à le joindre et maintenant, son téléphone ne sonneplusdu tout, je basculedirectement sur sa boîte vocale. Tonpère esttellement inquiet…(J’entendsmonpère crierunpeuplus loin :Non,Dinah,jenesuispasinquiet!)

J’inspireprofondément.–Maman,veux-tuqueje…

–Jeveuxquetul’appelles,mecoupe-t-elle,ets’ilnerépondpas,jeveuxquetuailleschezluipourt’assurerqu’ilvabien.

J’aienviedeluirépondre–honnêtement–quejen’aipasletempsd’aller à Malibu aujourd’hui. Mais j’appréhende cette conversationcomme un jeu d’échecs, en imaginant le coup suivant : elle pourraitrépliquer qu’elle n’avait pas non plus le temps deme porter pendantneufmois,mais qu’elle l’a fait quandmême. Ou qu’elle n’avait pas letempsde fairemes lessives, depréparermes repasoudenettoyer leschosesatrocesqu’elle trouvaitdans lasalledebains,maisqu’elles’estexécutéesansseplaindre.

Jepréfèretenterdefairediversion.–Ilestpeut-êtreenvoyage…–Carter.–OK, écoute. Je vais l’appelermaintenant et fusionner les appels.

Commeça,tupourrasluicrierdessusquandilrépondra.Jesuiscoincédans lesembouteillages,donc jecompose lenuméro

deJonah.Jetombetoutdesuitesursaboîtevocale.– OK, il ne répond pas, lui dis-je en rebasculant sur sa ligne. (Je

laisse tomber la têteenarrière.Jen’aipas le tempsd’allerchez luietde revenir pour honorer mon rendez-vous. S’il est en plein comaéthylique, je l’assassine.) Je vais repousser mon rendez-vous et jepasserailevoir.

–Merci,monchéri.–Pasdeproblème,Maman.–Tiens-moiaucourantdèsquetusaurasquelquechose,d’accord?

Ilyaunportailsécurisé,jevaist’envoyerlecode.–Super.Jemepasseunemainsurlevisageensoupirantprofondément.

Je parviens à décaler mon rendez-vous un peu plus tard dans lajournéesansproblème.J’aiplusieursheuresdevantmoi.

Malibu se trouve à environ quarante-huit kilomètres à l’ouest deBeverlyHills.Ilmefautuneheurepourarriver.Toutenconduisant,jepassedes appels et décidede la façondont je vais tuermon frère s’iln’estpasdéjàmortquandj’arrive.

J’emprunte Latigo Canyon, une route à deux voies qui serpente àtravers lescollinesrecouvertesdemaquisetd’oùonaperçoit l’océanàchaque virage. Les maisons sont énormes, la plupart ne sont pasvisibles depuis la route à cause des hautes clôtures et des grandsarbres.

J’arrivedans laruedeJonahet jem’arrêtepourentrer lecodedesécurité sur un clavier illuminé. Le portail métallique s’ouvre sur unlong chemin sinueux, jusqu’au sommet de la colline où se trouve unemaisonblanchesurmontéed’untoitenterrecuite.J’avaisoubliéàquelpointcettemaisonétaitostentatoire.Deuxétagesrecouvertsdestucdecouleur coquille d’œuf. Elle doit faire environ quatre cent cinquantemètres carrés. Mon appartement et ma place de parking pourraiententrerdanslesalondeJonah.

Je repère sonRangeRovernoir garédevant le garage. Il a plutôtintérêtàêtremort.

Labrisemarinemefouettelevisagequandjesorsdelavoiture.Uncheminmènejusqu’àunperronenbétonteintéetàuneénormeporteà double battant. Je toque deux fois enme retournant pour regarderderrièremoi.Maintenantquejesuisàproximitédelamaison,lejardinsemble bien plus négligé que ce à quoi je m’attendais. Une série dejarres, plantéesde fleursmortes, longentunepelousequi gagnerait àêtretondue.Toutestsilencieux.Ilesttôt,maispassitôtnonplus.Ladernière fois que je suis venu,de lamusiqueprovenait du jardinprèsde la piscine et des signes de vie de toutes sortes se manifestaientpartout. Des gens qui allaient et venaient, plusieurs voitures quientraient ou sortaient. Des jardiniers, un pisciniste et une femme deménage.Cettefois,jen’entendspaslemoindrebruit.

Comme je suis de nature anxieuse, un trait que j’ai hérité de mamère,jecommencesérieusementàm’inquiéter.

Jesuissurlepointderetournerdansmavoiturepourappeler…jene sais pas…quelqu’un, lorsque la porte s’ouvre derrièremoi. Le typequi avance sur le seuil estpluspetit que Jonah, trèsbronzé, il exhibeunemusculature impressionnante – le genre à travailler en extérieur.Torsenu,ilneportequ’unvieuxshortetal’airpaumé.

Jen’aiaucuneidéedequiilpeutêtre.–Salut,lanceletypeetagitantunepartdepizza.Tuesentrépar

leportail,doncj’imaginequetuasledroitd’êtreici.–Oui,jesuppose.(Jeregardeautourdemoipourm’assurerqueje

suisaubonendroit.)JesuisCarter,Jonahest-ilici?Ilcomprendsoudain,etsonvisages’illumine.– C’est toi le frère !Mec, vous vous ressemblez tellement tous les

deux!J’enlèvemeslunettesdesoleiletm’efforcedegardermoncalme.–Ilestlà?L’intrusregardederrièrelui.–Jecroisqu’ilcuvesurlaterrasse.Etilmefaitsigned’entrer.IlyabeaucoupdeblancdanslamaisondeJonah:solblanc,murs

blancs, escaliers blancsmais pas grand-chose en dehors de ça. À vraidire,iln’yapresqueplusdemeubles.

–Jenecroispasquetutesoisprésenté.Je suis l’inconnudans l’immenseentrée, quipourrait contenirmon

ancienappartement,monnouvelappartementetunegrandepartiedelamaison deMichael Christopher. Nous traversons la cuisine et nousdirigeonsverslaportedufond.Lemecàlapizzaetaushortdoitavoiràpeuprèsmonâge, ses cheveuxbruns sont friséset il souritd’unairarrogantque je lui feraisvolontiersdisparaîtred’unreversdemain.Sijedevaisdeviner,jedirais«acteur»lejouretserveurlanuit.

Ou…gigolo?

Enme trouvant dans lamaison de Jonah étrangement vide, aveccetinconnu,jeréalisequejeneconnaispassibienmonfrèrequeça.

–Jem’appelleNick,dit-ilens’arrêtantdevantlaportearrièredelamaison.Jonahestlà-bas.

Etbiensûr,levoilà,assissurunechaiselonguedansunjeanetunevestedecuir,prèsdelapiscinegéante.

–Merci.Jesorssurlaterrasse,méduséparlavuespectaculaire.Encoreune

fois,jecomprendspourquoiJonahaachetécettemaison.Ellesetrouveassez haut sur la colline pour qu’on puisse distinguer l’océan et on al’impression de se trouver au centre du monde. Il y a des palmierspartout,etl’espaceesttellementvaste.

Maisquandje jette finalementuncoupd’œilàmonfrèrequiavaitdisparudelacirculation,lesentimentquequelquechosenetournepasrond s’accentue. L’eau de la piscine est marron et quelques feuilleséparses tourbillonnent à la surface de l’eau. Les pots de fleurs sontvides:laterrasseaconnudesjoursmeilleurs.

– Salut. (Je crie presque parce que Jonah ne semble pas avoirremarqué ma présence.) Tu sais qu’il fait genre vingt degrés dehors,n’est-cepas?

Ilmejetteuncoupd’œilàtraversseslunettes.–Qu’est-cequetufaislà?–C’estmamanquim’envoie.Ellem’aditque tunerépondaisplus

autéléphone.Ilregardeànouveauailleurs.–Ouaip.Jenesaisplusoùjel’aifourré.Jem’assiedsàcôtédelui.– Tu n’en as pas besoin ? Pour… je ne sais pas, le travail par

exemple?Ilattrapeunebouteilledebièresurlatableenverreàcôtédeluiet

enboitunegrandegorgée.Iln’estpasencoreonzeheures.J’essaiedetenteruneapprochedifférente.

–Quic’étaitlegars?–Nick.Ilboitencoreunegorgée.–Ilm’adonnésonnom.Maisilvitici?–Ouais.Jemepenchepourm’appuyersurmescoudes.–Est-ce…est-cequec’esttoncopain?–Lecopaindequi?Ilplisselesyeux.–Ehbien…letien.Jonahsetournepourmeregarderenface,par-dessusseslunettes.– Mec, je me fiche de savoir avec qui tu couches. (Je hausse les

épaules.) Ce n’est pas comme si nous étions proches tous les deux.Mais, un jour, tu as découpé les élastiques de tousmes boxers parceque j’avais bu ton jus d’orange, tu as jeté mes vêtements quand j’aioubliélestiensdanslesèche-lingeettuseraiscapabled’écharpertoutepersonne qui foule le sol de chez toi en chaussures. La premièreconclusionquejesuiscenséentirerestquetuasuncolocataire.Vivreavec toi, est un véritable cauchemar. Que Nick soit ton petit copainsembleraitl’explicationlaplusplausible.

Ilserassied.–Lesgenspeuventchanger, tusais. Iln’estpassidifficiledevivre

avecmoi.–Enquelquesorte.Lesgenspeuventparfoisêtreinfluencéspardes

événementsoudespersonnes,maisfondamentalementilsnechangentpasquiilssontvraiment.

–Ettuesentraindedirequ’aufond,jesuisunconnard.J’yréfléchispendantquelquesinstants.–Ouais.Iléclatederire.–Tuesunenfoiré.

–Pourquoias-tuprisuncolocataire?(Enregardantautourdemoi,j’ai l’impressiondecommenceràavoirunepetiteidéesurlaquestion.)Toutvabien?

– Sommes-nous sur le point d’avoir une conversation grandfrère/petitfrère?

–Mamanenseraitravie.Jetegarantisqu’elledoitdéjàraconteràtous les voisins de New York que tu as été enlevé par un groupeterroriste parce que tu ne réponds pas au téléphone. Comptes-tu luifairesavoirquetuvasbien?

Il hausse les épaules et je glissemamain entremes genoux pourm’empêcherdelegifler.

–As-tu des ennuis ?Genre… tu as acheté un putain demanoir àMalibu.L’argentnepeutpasêtreleproblème.

–As-tulamoindreidéedecombiencettebaraquemecoûte?–J’aidumalàpayermonloyer,doncouais.(Jefaisunsignevague

delamain.)Maisjenepeuxmêmepasimaginerl’étendue…– Je ne pourrais même pas me permettre de payer ton loyer

maintenant.(Ilenlèveseslunettesdesoleiletlesbalancesurlatable.)Mec, êtremoi, ça coûte très cher. Jevis ici, j’organisedes soiréeset jedoismemontreraveclesbonnespersonnesetporterlesvêtementsquivontavec.Jemesuispeut-êtreunpeuemballé,maiscen’étaitpasunproblème tant que mes photos faisaient la une. Tu comprends ? Cen’étaitpasunproblèmetantquej’avaisdutravail.

–«Avais»?Jonah appuie la tête contre le dossier de son transat et laisse

échapperunlongsoupirlas.– J’ai bossé pour un designer – haute couture – et il n’a pas été

contentdemoi.Engénéral,jemefichequelesgensapprécientounonmontravail,c’estde l’art,c’estouvertàplusieurs interprétations.Maiscette fois… j’ai perdu mon self-control. Il y avait un autre shooting,mais je n’ai pas réussi à trouver la bonne lumière, j’ai fait quelquesretouches pour corriger les ombres et ça a alimenté les racontars des

magazinesfémininsetdessitespeople, lesgenssesontmisàdirequej’avais aminci le mannequin sur Photoshop et que je déconnais.Certainesblogueusesmodemesonttombéesdessus,enmecritiquant…etdisonsqueletempsaviréàl’orage.

Jeclarifie:– Donc, tu as fait un mauvais shooting et ton attitude de diva

merdiquet’aattirédesennuis.Il me lance un regard noir et remet ses lunettes. Je tente de le

rassurer:–Çavas’arranger.Je sors mon téléphone et, pour la première fois, je lance une

recherche Google sur mon frère. Après avoir parcouru les liens, jetombe sur l’article auquel il fait allusion : l’un des sites les plus trashparmilessitespeoplelequalifiedehasbeen,nullosetconnardarrogantdumondede lamode.C’est à cet instant que je suis ravi quemamèresoitincapabledechercherquoiquecesoitsurGoogle.

–Jenevoispascomment.Jonahselèveets’éloigneendirectiondelamaison.Jecontinue,sur

sestalons:–Dequelmontantdedettesparle-t-on?Il lance la bouteille vide dans la poubelle et ouvre le frigo pour

sortiruneautrebière, iln’yaqueçaà l’intérieur. Il s’assurequenoussommes seuls et ferme une série de doubles portes, nous enfermantdanssonénormecuisineblanche.

–Seulement les cartesdecrédit ?dit-il enarrachant l’étiquettedesabouteille.Àpeuprèscent.

–Mille?Monrythmecardiaques’accélèrebrusquement.–Et puis il y a lamaison. Et leRover. Jeme suis déjà débarrassé

desautresvoitures.–Seigneur.(Jemelaissetombersuruntabouret.)Maman…

–… n’en saura jamais rien, complète-t-il d’une voix ferme. Ce nesontpastesaffairesetcesontencoremoinslessiennes.

–Ellevoudrat’aider…Mais jem’arrête enpleinephrase, parceque je lis déjà la réponse

dans son regard. Elle ne peut pas l’aider. Nos parents vivent une viesimple,ilssontéconomes.L’échelledesdettesdeJonahdépassedeloinleurs capacités financières. Ils ne comprendraient pas. Si je ne voyaispasl’argentcouleràflotsenpermanenceenCalifornie,etsurtoutdansmonmilieu,jeneparviendraispasnonplusàcomprendre.

Je m’assieds et réfléchis un moment. Il y a bien une raison pourlaquelleJonahs’estfaitunnometmêmesijepensequ’ildevraitreveniraugenredephotosqu’ilprenaitavant–Seigneur,notremèrepossèdel’une de ses premières photos, un cliché en noir et blanc d’unepalissade derrière laquelle se couche le soleil, elle est accrochée au-dessusdelacheminéedepuissesdix-septans–,cen’estpascommeçaqu’ils’estfaitconnaître.

–Nousallonstrouverunplan.Il hoche la tête mais ne lève pas les yeux. À mon grand

étonnement,jesensuninstinctdeprotectioninconnumesubmerger.Lesgensadorentleshistoiresdecome-back.Jepeuxlefaire.–Apporte-moitonportfolio.J’aibeaucoupd’appelsàpasser.

AprèsplusieursheuresàhausserletonavecJonah,j’aieuenfinuneillumination.Jeluidemande:

–Quefais-tule17?Je ne sais pas comment je vais convaincre Evie d’accepter,mais je

m’ensoucieraiplustard.–Jetravaillemonbronzage.(Ilhausselesépaules.)Commehieret

avant-hier.–Avectavesteencuir?

Ilsebalancesur l’unedesesénormeschaisesdelasalleàmangerenfixantleplafond.

Je me penche pour lui donner une pichenette et rediriger sonattentionversmoi.

–Evieetmoisupervisonsunshootinglasemaineprochaine,et…–Evie?demande-t-ilensouriant.–Mec.La ferme.Écoute.J’aiun trèsbonamideNewYorkquiest

directeurartistiquechezVanityFair.Ilmedoitunefaveur,doncjesuisàpeuprèssûrqu’iln’yaurapasdeproblème.Dumoinsjel’espère.

– Pour un long-métrage ? demande Jonah, et j’acquiesce. (Il yréfléchit avant de retrousser son nez comme s’il avait senti unemauvaiseodeur.)Dequis’agit-il?

–JamieHuangetSeamus…(Jem’arrêteenpleinephrase.)Tumeposes sérieusement la question ? J’essaie de t’aider en prenant desrisques et… (Je réalise soudain que j’ai perdu la notion du temps.)Merde,oùestmontéléphone?

Jeletrouvesousuntasdephotographiesetlaisseéchapper,affoléparl’heure:

–Putain!Jedoisyaller.Jonahal’audacedeparaîtrecontrarié.–Quoi?Où?– J’ai déplacé un rendez-vous pour pouvoir venir ausculter ton

cadavreet,maintenant,jevaisêtreenretard.(Jefourremontéléphonedansmapocheetrécupèrelescléssurlatable,sousunautreporfoliogéant.)Prépare-toidumieuxquetupeuxetsois lààmidi levendredi17.Jedemanderaiàmonassistantdetetransmettrel’adresse.

Après une courte nuit à jouer à oncle Carter allant de porte enporteavecMorganpourdemanderdesbonbons,etundimanchepasséà tenterdeme remettredemesémotions et à fairedes recherches, jereçois un mail d’Evie qui me demande si j’ai le temps de parler du

séminaire, ce matin. La simple idée de la voir me fait frissonnerd’angoisse, et je ne parle même pas du fait que j’ai changé dephotographe sans la prévenir. Elle vamal le prendre. Seigneur, à saplace, je serais furieux. Jenecessedemedemanderàquoi jepensaisenproposantceplanàJonah,maisàvraidire,jen’aipaspensé.Jen’aijamaisétéaussilessivédetoutemavie.

Nous échangeons quelquesmails et nousmettons d’accord sur unhoraire,etmêmes’ilseraitplusfacileetrapidedes’envoyerdestextos,j’ailasensationqu’aprèsl’étrangeva-et-viententreintimitéetrépulsiondevendredisoir,elleessaiedemettredesbarrièresentrenous.

Le lendemain, mon ami de chez Vanity Fair m’appelle lorsque jesorsdemavoiture,alorsquejesuisdéjàenretard.J’extirpeundossierdemon sac, remplid’informationsetd’idéesque j’ai rassembléespourleséminaire,enpriantleSeigneurdesEx-Amants-Devenus-Rivauxquecela suffira à adoucir Evie et à la convaincre d’accepter que Jonahs’occupedesphotos.

Au bureau, Jess m’apprend qu’Evie m’attend dans la salle deconférences. Je la vois à travers le mur de verre transparent, la têtebaissée,lescheveuxdanslesyeux.Elleestoccupéeàprendredesnotesdansuncarnet.Sapeausansdéfautestlégèrementrosée,unteintquelesmaquilleurstententdereproduiresanssuccès.Sesyeuxbrunssontencadrés par de longs cils épais, ils scintillent. Evie dégage vraimentquelque chose.Onne la remarquerait peut-être pas dansune foule –c’estpeut-êtreintentionnel–,maisc’estmonrayondesoleilpersonnel.Petit,maispuissant.Discret,maispleind’assurance.J’aimeraispouvoirlui parler sans avoir l’impression que je ne peux plus respirer. Çam’aideraitàfeindrel’indifférence.

Elleboitun smoothiedont la couleurestassortieà labarrettequitrônedanssescheveux.

Ouh,jesuismal.

– Désolé pour le retard. (Je m’assieds en face d’elle.) J’ai eu unempêchement.

–Unempêchement?Ellefaittournerlapailledanssonverreenplastique.– Du boulot, je clarifie, légèrement irrité de devoir lui rendre des

comptes.Kyliem’aenvoyé lesdocuments fournispar l’organisateurdel’an dernier. Je les ai imprimés et j’ai ajouté quelques idées qui mesemblaientpertinentes.

Je place les documents sur la table en face d’elle, en évitant sonregardetenespérantqu’ellevachangerdesujet.Jesuiscertainqu’ellese demande pourquoi je suis soudain si serviable et plein d’entrain àproposdeceséminaire.

Je sensqu’ellemedévisage,qu’elleplisse lesyeuxen saisissant lesfeuilles de papier que je lui ai tendues. Elle les consulte, l’air épuisé.Elle n’a toujours pas dit unmot et tandis qu’elle se concentre sur lesdocuments, je fais mine de trier le reste de mes papiers et m’assurequ’elle a un stylo. Je suis bien plus empressé que je ne le suis engénéral.

Jelanceavecunenonchalancefeinte:– Au fait, je devrais le mentionner avant qu’on commence : j’ai

demandé un changement de photographe pour le shooting de VF lasemaineprochaine.

Ellelèvelesyeuxetfroncelessourcils,perplexe.–Pourquoi?Jemedemandesi jedoismentirounonetréalisequ’ilvautmieux

êtrehonnête–JepensaisquenouspourrionsengagerJonah.–Jonah,tonfrère?–Oui.(Jemegrattelessourcils.)Ilvitunepériodedifficileetjelui

aiditquejel’appuieraispourlejob.Ellereposeledossier.

– Tu penses qu’ils vont accepter un changement de dernièreminute?

Jemedétendsunpeu, soulagé que sa première réactionn’ait pasété la colère. Jem’essaie à sourire en espérant compenser le fait quemesmainsn’arrêtentpasdetrembler.

–Ilsontdéjàaccepté.Ellefronceencorelessourcils,puissesyeuxs’écarquillentet,alors,

jemerendscomptedecequejeviensdedire.Oh.Oh,merde.– Pourquoi l’as-tu décidé sans m’en parler ? demande-t-elle

lentement.Jesecouelatête.–J’aienvoyéunmessageàunamiquibosselà-bashierpoursavoir

sic’étaitpossibleet ils’estempressédemerappelerpourmedirequ’iln’yavaitpasdeproblème.

Eviemedévisagependantplusieursinstantschargésdetension.–Jepensequ’ils’agitd’unconflitd’intérêts.Bradserademonavis.Jesenslamenacedanssavoixetjetordslabandeencartonautour

demonmugdecaféenréfléchissantàuneréponseadaptée.–Jeluienparlerai.–Jenecomprendsvraimentpascommentonenestarrivéslà.(Elle

semble perplexe.) Tu m’as raconté que vous ne vous entendiez pasbien.C’est la première séancephotode Jamie et deSeamus.Tu veuxvraimentque…

–Quejem’entendebienavecJonahounonn’aaucuneimportance.C’estlabonnepersonnepourlejob.

–Alors,pourquoin’as-tupaspenséàluilasemainedernière?–Parcequejepensaisqu’ilétaitoccupé.– Comment pouvais-tu imaginer une chose pareille ? demande-t-

elleensecouantlatête.C’estdelachairàcanonpourtabloïdsdepuisdesmois.

La rougeurmonte dansmon cou. Evie connaissait la situation deJonahalorsque jen’en savais rien jusqu’à samedidernier. Jeme senshumilié.

–Noussommesd’accordsurlefaitquecequ’onracontedenousnereflètepastoujourslaréalitédenoscompétences.

Elle semordille la lèvre inférieure, l’air absorbéedans ses penséesmaissansrépondre.Evie:lecalmeavantlatempête.

–Çanemedérangepasque ton frèreprenne lesphotos, finit-ellepar dire. C’est toujours un photographe connu,malgré les racontars.(Ellesetaitetmedévisageintensément.)Maisas-tuprisencomptemaréactionsituchoisissaispourmoi?TureprésentesJamie.JereprésenteSeamus. C’est un énorme shooting pour Trick et on ne peut pasappréhenderuntelévénementàlalégère.

J’acquiesce pour lui donner raison, mais je pense que je n’ai passuffisammentinsisté,sij’encroissonexpression.

–Siçanetedérangepasqu’ilprennelesphotos,situn’asaucuneréservesursanotoriété,alorspourquoies-tuaussiirritée?

J’aimerais me frapper en plein visage à la seconde où ces motss’échappent de ma bouche. Evie ne me montre vraiment aucuneirritation . Je dois apprendre à contrôler mes pulsions : cettecombinaisondecompétitionetdedésirmerendcomplètementfou.

Soudain,ellerougit, l’air indignée–cequim’excitecurieusement–toutenrestantmaîtressed’elle-même.Ellecommenceàrassemblersesaffaires.

– Tu as raison. Ce qui est fait est fait. Je demanderai à Jess det’envoyer par mail les indications pour la tenue de Seamus ainsi quemonavis sur les documents que tum’as donnés aujourd’hui à proposdu séminaire. (Elle referme le dossier dans lequel elle a glissé lesfeuilles et se lève.) Justin pourra envoyer les modifications que tujugerasnécessairesàJess.

– Allons-nous nous parler par l’intermédiaire de nos assistantsmaintenant?jedemande,enlevantlesyeuxverselle.

–Çasembleêtrelameilleureoption,pourdesraisonsévidentes.Puisellefaitletourdelatableetquittelapièce.

Chapitre13Evie

–Evie,tuvastoutcassersitucontinuescommeça,s’écrieDarylen

posant lamainsurmacuissepourm’obligeràralentir lerythme.Quet’arrive-t-il?

Jelaisseéchapper,àboutdesouffle:–Carter.Je me lève, attrape ma bouteille d’eau et bois plusieurs longues

gorgées.Latranspirationdégoulinedansmoncou,touslesmusclesdemon corps sont en feu. Jemedonne à fond cematin, ça fait unbienfou.Jepréfèrem’épuiserà lasalledesportqued’envoyeruncoupdepoingsurleplexussolaired’uncollèguedetravail.

Je devrais probablement me sentir mortifiée, après tout, je suispartie enpleine réunionhier.Mais qu’il aille se faire foutre, lui et sesavant-brasparfaits,sonsouriresicraquantet,sadivadefrère.

Je suis à bout de nerfs, je rêve de le plaquer contre lemur et deplongerlamaindanssonpantalonàchaqueinstant.Cen’estpasunevie.

J’enaitellementmarre.–Sansvouloirappuyerlàoùçafaitmal,parcequetuasl’airàfleur

depeau,maispourqueleschosessoientbienclaires:Carterfaitpartiedelacatégoriedesconnards,n’est-cepas?

– Oui, Carter est à ranger dans cette catégorie maintenant. (Jem’essuie le front avec une serviette.) Et j’apprécierais que tu t’ensouvienneslaprochainefoisqu’ilteferaducharme.Terappelles-tulafoisoù tuvoulais tevengerdeBrantetoù jesuisalléeaumariagedetoncousinenjouantlerôledetafiancéelesbienne?Jet’aiembrassée,aveclalangue.C’étaitmamanièredeteprouvermonsoutien,Daryl.

Elleéclatederire.– Je suis tellement désolée, tu as raison. Mais, franchement, tu

aurais vraiment dû me prévenir qu’il était aussi sexy parce que… ehbien,bordel,Evie.Ilesthyperbaisable.

–Mercidem’enfoncer.–C’estunpeucrueldemapart,maisj’adorevousvoirinteragir.Je

savais que tu avais tendance à être autoritaire, mais qui aurait pudevinerquelesjeuxdepouvoirt’excitaienttantqueça?

–Lesquoi?Jetrébucheenavançantversleshaltères.–Tum’asentendue.– De quoi parle-t-on ? demande Amélia en soulevant ses haltères

toutennousdévisageantàtourderôle.Jesecouelatête,ellepasseàlamachineàsquat.Daryl s’accroche à la barre de métal et me lance un regard

ironique:–Evieestenpleindéni,elle tentede seconvaincrequ’elledéteste

Carter.–Ohhh.Moi,j’adoreCarter.(Améliaréattaquesesexercicesavecles

haltères.Ellesepencheenavantpuisseredresseencontinuant.)Ilestvenusignerdesfeuilletsfiscaux.J’aicruuninstantquelesfillesdesRHn’allaient jamais le laisser partir, ce qui en dit long. C’est un sacrécharmeur.

–Turéalisesquetuparlesdemonennemijuré,n’est-cepas?Quand elle termine l’exercice, Amélia m’aide à me positionner, la

barresurlesépaules,derrièremoncou.

–Tonennemijuré.Jen’encroispasunmot.–Tut’eslaisséeavoirparsoncharme,toiaussi.Ellemesourit.–Tais-toi et fais tes squats. (Elle sursautecommesiquelquechose

venait de lui passer par la tête.) J’oubliais ! Brad a signé un contratavecquelqu’un,tunedevinerasjamaisqui.

Jem’arrête,reposelabarresursonsupportetcroisesonregard.–S’ils’agitdeGabeVestes,jehurle.– Exactement. Gabe, avec qui Brad déjeunait juste avant que la

fusion devienne publique. Je ne sais pas exactement ce qui se passe,maismonpetitdoigtmeditqueBradauneidéederrièrelatête.

–Jesavaisquequelquechosesetramait.Bradaétéprisenflagrantdélit quand il a insinué qu’il n’avait aucun talent à l’époque où jebossaisencorechezAlterman.Jenevoispaspourquoiilsenterreraientsisoudainementlahachedeguerre.(Jem’écartedelamachineetmetournepourlesregarderenface.)Braddevaitêtreaucourantpourlafusion, et s’il savait qui serait mis à la porte chez CTM, il a senti lebesoindefaireami-amiavecGabe.

–Encoreuncoupbas,lanceAmélia.–Pourquoipenses-tuqu’ilademandéàcequecenesoitplusKylie

quiorganise leséminaire?demandeDarylens’asseyantsur lebancàcôtédenous.

Améliaréfléchit.–Ilapeut-êtred’autresprojetspourelle.(Ellenousoffreungrand

sourireavantd’ajouter.)Ilssontpeut-êtreamants.Jefrissonne,dégoûtée.–J’oseespérerqueKylieaunpeuplusdejugeotequeça.Tuvois,Carter?Jen’airiencontreelle,aprèstout.–Etmeilleurgoût.(Améliajetteuncoupd’œilàsamontre.)Jedois

filer. La réunionpour établir les fichesdepaie commencedansmoinsd’uneheure,etjenepeuxpasêtreenretard.

Unefilleintelligentepréserveraitlesbienfaitsdesaséancedesportmatinaleenprenantunpetitdéjeunerlégeretsain.Uneomelettepeut-être.Unebarredecéréalescomplètes.Unsmoothie.

Apparemment, je ne suis pas une fille intelligente. Jeme rue versSidecarDonuts et commande trois beignets au caramel beurre salé etunlattegéant.Maisjesuisassezintelligentepourlaisserdeuxbeignetssurmonbureauetenemporterunseulpourlaréuniondehuitheuresdanslasalledeconférences.

Café:OK.Sucreetcalories:OK.Aplomb:encoursd’acquisition.Monestomac,etmonaplomb,sontenchute librequand j’entreet

tombenez à nez avecCarter. J’espérais disposer de quelquesminutessupplémentairespourmepréparerpsychologiquement.Illèvelesyeux,mejetteuncoupd’œildiscretettenteunsourirequiressembleplutôtàunegrimaceavantdeseconcentrerànouveausursontéléphone.

Depuis hier, je ne sais plus comment me comporter avec lui. Jepréférerais, le concernant, ne pas me retrouver en tête à tête. Moncœur bat la chamade,mes parties intimes sont en alertemaximumetmes mains sont moites. C’est perturbant, putain. Pour couronner letout,jesuissoudaintrèsconscientedubeignetquejetiensàlamainetdu fait que Carter se contente d’une bouteille d’eau pétillante poursurvivreàlaréunion.Del’eau.Jeledéteste.

Ilestassisentredeuxchaisesvides,mais je faisminedenepas lesvoir et m’assieds volontairement de l’autre côté de la table. Que labataillecommence.

Je perçois le bourdonnement des néons au plafond. La pointe ducrayondeCartersemetàcrissersurlesfeuillesdesoncarnetlorsqu’illâchesontéléphonepourannoterdesidéesquisemblentfoisonnantes.Jepariequ’ilgriffonnel’alphabetouqu’ilénumèrelescoupsbasqu’ilaplanifiéspourlesmoisàvenir.

La salle se remplit, le reste des équipes du département arriveprogressivement.Lesréunionsmatinalessontlapirechoseaumonde:

aucun être humain normalement constitué ne peut supporter lacompagniedeBradàuneheurepareille.

Nous regardons tous en direction de la porte en entendant l’échodelavoixtonitruantedenotrepatronetvoyonsKylietrottinerderrièrelui pour ne pas se laisser distancer, malgré ses dix centimètres detalons. Avantmême deme saluer, Brad fixemon beignet et, sans unmot, il l’envoie balader dans la poubelle qui se trouve juste derrièremoi.

Ungémissements’étrangledansmagorge:–Qu…qu…?– Allons, Evie, dit Brad en tirant une chaise. (Il lève les yeux et

distinguemonexpressionhorrifiée.)Quoi?Tuesdéprimée?Crois-moi,tun’aspasbesoindeça.

Jenesaisquoirépondre.Unetempêtefaitragedansmapoitrine,lerougememonteauxjoues.

–C’étaitmonpetitdéjeuner.Il ne répond pas et se contente de s’asseoir en demandant

calmement à Kylie d’allumer le projecteur. J’entends Rose murmurerque c’est un connard, mais en dehors de ce murmure, le silence esttotal.

Kyliecouine:– Le service traiteur va arriver d’une minute à l’autre. Donc… tu

pourras manger quelque chose. Genre un fruit ou une barre decéréales…

Jen’aipasenvied’unfruitoud’unebarredecéréales,j’aienvieduputaindebeignetquej’avaisacheté.

Non, ce dont j’ai vraiment envie, c’est renversermon café brûlantsurBrad,MonsieurAmabilité.

Maisjenepeuxpasfaireçanonplus.Je baisse les yeuxpour reprendremes esprits et remarque que les

deux boutons du haut de ma chemise se sont ouverts, révélant mon

soutien-gorge rose. Je les referme rapidement en m’étranglant desurprise.

J’ai la claire impression que je me promène comme ça depuis unmoment. J’ai dû arriver la chemise ouverte dans la salle de conf’. Jeréaliseaprèscoupquej’aisentiunebriselégèresurmapoitrine.Carterse trouve là , bien en face demoi ; nous étions seuls il y a quelquesminutes.Ilatoutvu.Cequiexpliquesoncoupd’œiletsonpetitsouriresournois,cequijustifieaussil’assassinatquejeprojettedeperpétrersursapersonnedanslesheuresquiviennent.

Le sangmemonte aux tempes. Je toiseCarter avec tant dehainequej’espèrequ’ilenauramalauxpommettes.

La filleduservice traiteurentreenpoussantunchariotdébordantde fruits et de muffins au son d’avoine dépourvus de calories et desaveur. Je repenseàmondélicieuxbeignetetmedemandeceque lesgens penseraient de moi si j’allais le récupérer dans la corbeille. Jerepoussecetteidéeettentedemeconcentrer.J’aitellementfaimquejemeurs d’envie de tenter le tout pour le tout. Mais je finis parabandonner l’idée du sucre et du délicieux surplus de gras de monbeignet puisqu’apparemment, nous sommes tous soumis à la diète dequinquagénaireobsédéparladiététiquedeBrad.Super.

Biensûr,noussommesbientroppolispourprendrequoiquecesoità manger avant que Brad ne se serve lui-même. Et il ne semble pasavoirfaim.

Monventregargouillecommeunloupaffamé…donc,tantpispourlesconvenances.

Jeme lève etmedirige vers le chariot,dédaignant lesmuffinsquiressemblent à des briques pour empiler des myrtilles sur une petiteassiette. Quand je reviens à la table, Brad me dévisage comme si jevenaisd’enfreindreuneloicapitale.Roseréprimeunsourireetfixesesmains. Rose et moi n’avons pas toujours le même sens de l’humour,maisjesaisquecettefois,sijecroisesonregard,elles’esclaffera.

–Commençons. (Brad tapote une pile de dossiers devant lui et sepenche en arrière sur sa chaise en jetant un coup d’œil à Rose.)Commentças’estpasséavecTom,lundi?

–Bien,luirépond-elle.LecontratParamountestsigné.Toutroule.Ilhochelatête,satisfait:–Carter,commentsegoupilleleshootingpourVanityFair?Cartermeglisseunregardencoin.–Toutestprêt.–Quiprendlesphotos,déjà?Ilhésiteetfaitsemblantderegardersesnotesavantderépondre:–Ah,c’estJonah.JonahAaron.–Vousn’êtespasdelamêmefamille?demandeBrad,distrait.Sûrdelui.–Si.JonahAaronestmonfrère.BradlèvelesyeuxettoiseCarterpendantquelquessecondes.–C’esttonfrère,lephotographe?Etvoilà,voilàlemomentoùCartervarecevoirlaracléequ’ilmérite.

Jen’aipasexagéré.EngagerJonah,c’estdugrandn’importequoi.Etleplusgénial,c’estquejen’aurairienàvoirlà-dedansparcequeBradestsurlepointdesechargerdusaleboulotàmaplace.

L’incidentdubeignetestoublié, jemedétendsenregrettantdenepas pouvoir troquer les myrtilles contre du pop-corn, histoire deprofiterpleinementduspectacle.

Carterrougit.– Oui. Mon jeune frère. Mais je peux vous assurer qu’il a les

compétencesrequises.L’expression de Brad reste indéchiffrable, et j’ai l’impression

d’entendrelesgouttesdetranspirationroulerdanslecoudeCarter.Jeseraiscapabled’embrasserBrad.Maintenantquej’ypense,j’aioubliélafête des Patrons. Je me souviendrai de lui envoyer une carte l’annéeprochaine.

– Vous avez dû voir passer certaines de ses photos dans RollingStone, continue Carter. Je peux vous transmettre une liste derecommandationssivouslesouhaitez.

Silence. On croirait entendre les mouches voler, je fixe Brad enattendantl’explosion.Çaarrive…Encorequelquessecondes…

Maisilnesepasserien.Aucontraire,unsouriredigneduGrinchsepeint sur les lèvres de Brad, il dévoile toutes ses dents parfaitementblanchesdansunegrimacedecarnassier.

– C’est exactement de ça dont je parle ! lance-t-il en écrasant lepoingsurlatable.

Connard.–Carter sait fédérer les troupes et joue toutes ses cartes. (Brad se

penchesurlatablepourtoperdanssamain.)Jedoist’avouerquejenesuis pas surpris. Regardez-le bien, lance-t-il à l’assistance. Voilàcommentontravaille.

Jeglissesurmachaise,furieuse.Nousavionsdéjàunphotographe,doncjenevoispasvraimentdequoiparleBrad.Cartern’auraitpasdûfairelechangementsansmedemandermonavis,etillesait.QueBradlui passe enplusde lapommadeest horripilant.BradmetCarter surun piédestal, ce n’est pas son habitude. Il existe une loi non écrite àpropos des agents. Ils se distinguent avant tout par la quantité decontratsetdepublicitéqu’ilsgénèrent.Cetteannée, je serai l’agent leplusrenommédeP&D.

Mais visiblement, d’autres facteurs jouent aussi. Comme avoir unpénis.Apparemment,c’estessentiel.

L’ambiance devient soudain plus tendue autour de la table. Lesgens dans l’assemblée ne semblent pas apprécier… n’apprécient pasque le nouveau venu soit célébré comme un exemple, ou alors ilspartagentmonopinion:engagerunmembredesafamillepourréaliserdes photos de couverture est un choix plus que douteux. Mais,volontairement,jeneréagispas,refusantdecroiserlemoindreregard.Je prends une grande inspiration et bois une gorgée de café en

imaginantqu’ilbrûleCarteretnonmalangue.Montéléphonevibre,jejetteuncoupd’œilàl’écran.

Jecligneplusieurs foisdesyeuxsanscomprendre.BradacessédecomplimenterCarter, j’entendsmaintenant la voix nasale d’Ashton enfondsonore.

Carter laisse échapper un petit rire arrogant et secoue la tête englissantsontéléphonesurlatable.

Livide,jetapeunautremessage.

Bordel.Cartervient-ildemefaireundoigtviasmiley?Moncœurbatsifortquej’entendsàpeinecequ’Ashtondit.Jedois

ressembleràunlutteuràboutdesouffle.LeméprisquejeressenspourCarteràcettesecondesuppuredetousmespores.

Jenesuispastoutàfaitcertainedepouvoirqualifiercesentiment,parcequejenel’aijamaisressentiauparavant…maisçaressembleàdelahaine.

JeviensdedéclarerlaguerreàCarterAaron.

De retour dans mon bureau, je m’apprête à engloutir les deuxautresbeignetsavecundésespoirmanifeste.J’ouvresigrandlaboucheque j’en aimal auxmâchoires. Le café et lesmyrtilles ont disparu demonradarpersonnel,jevispourcesbeignets.

Maiscommejen’aivraimentpasdechance,Carterentreàl’instantoùj’avalelamoitiéd’unbeignetenuneseulebouchée.

– Salut Evil, dit-il sans quitter son téléphone des yeux. Jonaharriveraàonzeheuresvendrediprochain.Ça teconvient?(Il lève les

yeuxetsursauteenremarquantmes jouesdehamster.)Je…jevais telaisserunesecondepourrépondre.

Et il reste là, àme regardermâcherderrièremamain, les sourcilsrelevés, l’air amusé. Lapâte àbeignet est si épaissequ’ilme fautuneéternitépourdéglutir.Ilajouteavecunsouriremoqueur:

–Tudevaisêtremortedefaim.Quandj’airetrouvél’usagedelaparole,jeréplique:– Tu as dû remarquer que Brad a jeté mon petit déjeuner à la

poubelle.Iljetteuncoupd’œilausucreenpoudrequis’estéparpillésurmon

bureau.–Tuasbienfaitd’anticipercetteéventualité.Je me lève et marche lentement jusqu’à la porte en désignant

théâtralement Jess, assise devant son ordinateur, à côté des autresassistants.

Cartermesuitetregardedanssadirection.–Ouais?–Voilàmonassistante,Jess.Parle-luiduprogramme.IlregardeencoreàtraverslaporteensaluantJessdelamain,tout

enluioffrantunadorablesourire.–Commentvatachatte?Ellevientd’avoirdespetits,non?s’écrie-

t-il.Sonvisages’illumine.–Bien ! Les premières nuits ont été difficiles,mais on lui enlèvera

ses points la semaine prochaine. Merci d’avoir demandé de sesnouvelles.

Lorsqu’elle me jette un coup d’œil, elle ressemble à une bichesurprisepardespharesenpleinenuit.C’estuneblague.

–Donc,c’estbonpourtoi?Je tourne la têtedanssadirection. Ilestbeaucouptropprochede

moi. Je ne peux pas lui envoyer un coup de pied dans les couilles àcettedistance.Jemeredresseetreculed’unpas.

–Dequoituparles?– Peut-on commencer le shooting à 11 heures au lieu de midi la

semaineprochaine?(Ildétachelessyllabescommes’ils’adressaitàuneattardéementale,avecunairdefouinesournoise.)Jonahaun«truc»à15heures.

Je devrais faire ma difficile et insister pour qu’il aille poser laquestion à Jessmais, apparemment, le comité de soutien d’Evie vientd’imploseretjenepeuxpluscomptersurpersonne.

–Seigneur,tueschiant.Laisse-moiregardermonplanning.(Jemerassieds derrière mon bureau.) D’ailleurs, j’apprécie que tu medemandesmonavis,commetoujours.

Ilsoupire.–Çan’arienàvoiravecça,Evie.–Ahbon?J’allume mon ordinateur, tape mon mot de passe d’une main

tremblante.J’espèrequ’ilneleremarquepas.Ladernièrechosequejesouhaite,c’estqueCarters’aperçoivedel’effetqu’ilasurmoi.

Ilplongesesmainsdanssespoches.–Écoute, siBradavaitunproblèmeavec le faitqueJonahprenne

les photos, alors oui, on pourrait revenir là-dessus. Mais ça ne ledérangepas.

CartersaitaussibienquemoiqueBradaeutortdeluipassercettefaveur.MêmeunchienaveugleseraitenmesurededevinerqueCarteragitparnépotisme.

–BradKingmanest-ilvraimentunmodèled’éthique?–J’aimeraisjusteéviterdeperdremonjob.Maseuleerreuraétéde

nepastedemandertonaccordàl’avance,jel’aibiencompris.Peut-onpasseràautrechose?

Jeledévisageensilenceavantdefinirparrépondre:–Ai-jevraimentlechoix?Cette phrase doit produire son petit effet, parce que, pour la

premièrefoisdepuisquejeconnaisCarter,ilnetrouvepasderéponse

appropriée.– La semaineprochaine…vendredi ? jedemande, professionnelle.

(Carter acquiesce.) 11 heures, ça devrait le faire. J’ai dit à Seamusd’arriverà8heures30pourlemaquillage,histoired’êtresûrequ’iln’aitpasderetard.

Carterécarquillelesyeux.–C’étaitplutôtmalin.–N’aiepasl’airsurpris,s’ilteplaît.Çalefaitrire,maisilneprendpaslapeinedemecorriger.Au moment où il se tourne pour partir, Rose passe la tête par

l’embrasuredelaporteavantd’entrersanss’annoncer.–Tupréfèresquejevouslaisseou…luidemandeCarter.–Tupeuxrester.Çava.J’aibesoindevotreavisàtouslesdeux.Ohsuper.Onvaavoirdroitàlaminute«indiscrétion».Jejetteuncoupd’œilàCarter,sansparveniràsavoirs’iladéjàeu

affaire à elle ou non. Son expression est indéchiffrable, ce qui signifiequ’il doit savoir à quel point Rose est friande de ragots. Je crainstoujours que les conversations professionnelles tournent auxcomméragesetauname-droppingchaquefoisqu’ellefaitsonapparition. Je ne suis pas nécessairement contre les commérages ou le name-dropping mais il faut se poser des limites et choisir son public avecprécaution.Etlepublicapproprié,Seigneur,estconstituédepersonnesqui aborderont le sujet avec la bonne combinaison d’ironie et decrédibilité.

Mais au lieu de déballer une histoire de flirt ou un problème declients ou de harcèlement sexuel, Rose lâche un grief incroyablementpersonnelaumilieudemonbureau:

–Ashtonareçuunbonussupérieurdeseptmilledollarsaumien.J’écarquillelesyeux.Carter recule d’un pas, comme s’il tentait de disparaître dans un

troudesouris.–Commentlesais-tu?

Nousparlonsd’argent toute la journéeavecnosclients,maisnousnousconfionsrarementsurnosrevenuspersonnelsavecnoscollègues.Etc’estprécisémentpourcetteraison.Équitéetbonusnefontpasbonménage.

–Ondiscutaitdenosobjectifsdefind’annéehier.Tusais,aprèslafusion,toutlemondeperdunpeulatête.Quandonestretournésdansnosbureaux,onavaitreçunosprimes.J’imaginequecommeonparlaitd’argent, il s’est senti assez à l’aise pourmedonner lemontantde saprime.

–A-t-ilsignéavecplusd’acteursque…Ellemecoupeensecouantlatête.–Pareil.Noussommesàpeuprèsàégalité.(Ellejetteuncoupd’œil

àCarter.)C’estn’importequoi,hein?Jelance:–Inacceptable.TudoisenparleràBrad.Ouallerdirectementvoir

lescomptablesetleurdemanderdevérifierlesmontants.Rosehalète.–Jenepeuxpasfaireça!–Alors,tupeuxt’asseoirsurtesseptmilleballes.Jehausselesépaules.Ellegrogne:–Çacraint!–ParleavecBrad,lapressegentimentCarter.Carter,sinaïf.CommesiBradn’étaitpasdéjàaucourant.Ellelèvelesyeuxverslui,consternée.–Iln’enaurarienàfoutre.Jelèvelesmainsenl’air,exaspérée.–Honnêtement,Rose, si tues seulementvenuepour teplaindre–

alorsqu’iln’estpasenmonpouvoirdet’aider–,c’estquel’argentn’estpastamotivationprincipalepourcejob.

Ellefixelesolenhochantlatête.–Jesais.Jesais,c’estjustetellementfrustrant.

–Jecomprends,machérie,maistudoisdevenirtapropreavocate.Personnenevasebattrepourtoi.

Avec un petit sourire de remerciement, elle tourne les talons ets’éloigne.

Carters’écartedumur.–Waouh,Evie.Tuluiasdrôlementremontélesbretelles.Je le regarde, avec ses yeux verts derrière ses lunettes, ses joues

raséesdeprèsetsescheveuxvaporeux.C’estunebonnechosequ’ilsoitsibeau,parcequesonattitudenevapasluiattirerquedesamis.

–Tuauraispuajouterquelquechosesituavaisvoulu.Ilréfléchitquelquesinstantsethausselesépaules.– Est-elle sûre que c’est vraiment le cas ? Je n’ai jamais entendu

parlerdetellesdisparitésdesalaires.(Ilsembleréalisercequ’ilvientdedire.)Enfinsi,évidemment.Jesaisqueçaarrivemais…(Ilgrimaceenfaisantmachinearrière.)C’estnulpourelle.J’espèrequ’elleréclamerasondû.

Ilnepeutpasêtresérieux.– Ce n’est pas une erreur rare et mathématique de comptabilité,

Carter. Ces disparités de salaire sont un problèmequotidien. Çam’estdéjàarrivé.

– Vraiment ? Tu sembles toujours tout contrôler, j’ai du mal àimaginerquequelqu’unprennequelquechosequit’appartient.

Il s’approche encore d’un pas, s’appuie contremon bureau enmeregardant en face. Il est si proche qu’on pourrait croire que noussommesentraindeflirtermais,évidemment,cen’estpaslecas.

–Çaarrive tout le tempsdans lemilieu.Simplement, tune levoispas.Çanet’affectepas.

–Cen’estpasjuste.Jehochelatête.–Jesuisbiend’accord.–Alors,quepenses-tuquenousdevrionsfaire?

Je faismine de ne pas remarquer son regard qui se pose surmeslèvres un instant. J’ai l’impression que nous ne parlons soudain plusd’inégalitéssalariales.Jemurmure:

–Jenesaispas.Je suis de plus en plus convaincue qu’embrasser Carter serait un

pasdanslabonnedirection.Sesyeuxvontetviennentsurmonvisage,ilsepenche…Pendant un… deux… trois battements de cœur erratiques, j’ai

l’impressionqu’ilvam’embrasser.–On dirait que ta chemise ne veut pas rester fermée aujourd’hui,

chuchote-t-ilenhochantlatête.Jesursauteensuivantsonregardet,biensûr,lesdeuxboutonsont

sauté,luioffrantunevueplongeantesurmondécolleté.–Oh.Je le regarde, mais au lieu de s’approcher pour m’embrasser (je

pense toujours qu’il s’apprête à le faire), il s’écarte et me lance unregardindéchiffrableavantdequitterlebureau.

Chapitre14Carter

Chapitre15Evie

S i, jusque-là, j’étais en colère contreCarter,maintenant, jeme sens

humiliée. Depuis deux jours, je passe beaucoup trop de temps àrepenserauxquelquessecondespendantlesquelles ils’estpenchéversmoietm’aregardéecommesijen’étaispasl’ennemi.J’aidûavoirl’aird’êtresurlepointdetomberenpâmoison.

Après chaque échec amoureux, on a des regrets, on repense auxbonsetauxmauvaismoments.Oncroiseparfois l’autreparhasardenville parce que,même si Los Angeles est immense, c’est en réalité unmouchoirdepoche.Maistravailleravecsonex,c’estuneautrehistoire.Le croiserdans le couloir, le voirpendant les réunions, être forcéedepasserdutempsavec luidansunespaceminusculepourorganiserunséminaireensemble…

J’entredanslapetitesalledeconférenceslapremièreetm’assiedsàune extrémité du canapé, près des fenêtres. Ça me permet de voirarriver Carter dans le couloir – ce qui n’est pas une punition –,escortantl’organisatricedeCorporateFun.

Elleestassezlisse, joliesansl’être,maisCarter–parcequec’est lediable–débordedesensualité.Ilavancelesmainsdanslespoches,l’airnonchalant et sûr de lui, undemi-sourire aux lèvres. Est-ce que je nerésistepasàsoncharmeparcequemaviesexuelleestréduiteànéant?

Probablement. Ou est-ce juste sapersonnalité quime subjugue ? Sonpantalon noir moulant ses quadriceps lui va parfaitement, il le portebassur leshanches.Je jureque jedistingue la formedesabitesursacuisse. Sa chemise est bleue, avec de discrets motifs blancs, on diraitqu’elle a été taillée pour lui, elle lui va si bien. Quand il sourit pluslargement à l’organisatrice, tout son visage s’illumine et il redevientadorable.

Jesuisperdue, je lesaismaintenant.J’envisageavecamertumelesannées qui m’attendent, travaillant ici ou ailleurs, incapable de meremettre demon coup de cœur si douloureux pourCarter Aaron.Oupireencore,jel’imagineavecquelqu’und’autre.Jesuismaudite.

Jemelèveenlissantmajupequandilsentrent,jeserrelamaindela femme, Libby Truman, qui semble déjà amoureuse du rejeton deSatanetdesonvisagesistupidementparfait.Elleluitouchelebrasetglousseenluidisantàquelpointellel’atrouvédrôlesurlechemin.

Sur le chemin dans le couloir . Trente secondes, maximum.Impressionnant,sansnuldoute.

Nous nous installons, nous lui expliquons en détail ce que nousattendons et, honnêtement, on aurait pu se contenter d’en parler autéléphone.Nousavonsbesoindequelqu’unpourorganiserdesactivitésludiques pour un groupe de cinquante personnes sur deux jours. Desactivitésquia)nenous ferontpasgrimacer,b)éviterontdedéchaînernos instincts naturels carnassiers. Nous avons besoin d’alcool. Et c’esttout.Simplecommebonjour.

Maischaquefoisqu’ilsenontl’occasion,lesgensaimentsepointerdans les bureaux de P&D pour leurs rendez-vous. C’est pour cettemêmeraisonquejevoisLibbyjeterdescoupsd’œilincessantsàtraverslesmursdeverredelapièce:elleespèrecroiserunecélébrité.

Malheureusementpourelle, la seulepersonnequi semanifesteestJustin, qui passe la tête par l’embrasure de la porte au bout de cinqminutes.

–JettPayneestarrivé,ilnousattendàl’étage.EtKylievoulaitquevoussachiezqu’elleacommandétropdecapsulesdecafépourlasallecommune, donc vous pouvez récupérer une ou deux boîtes pour lesrapporterchezvous.

Carterselèveetsourit.–Merci,Justin.J’enrestebouchebée.–Tuascalédeuxrendez-vousenmêmetemps?Jeluisourisavecl’airdedirevatefairefoutre.– Il faut croire que oui. Désolé. (Il lance cette dernière phrase

commesic’étaitunpurhasardetqu’ilétaittropdésordonnépourbiengérer sonplanning. Il se lève, tend lamainà Libby.)Ravid’avoir faitvotre connaissance, Libby. Evie pourra voir le reste avec vous. Etassurez-vousqu’ellevalidevotrecartedeparking.J’aihâtedesavoircequevousaurezprévutouteslesdeux!

Libby,unpeuàboutdesouffle,s’exclame:–Çavaêtregénial!

À peu près une heure plus tard, j’en termine avec Libby, encontinuantàfulminer,etmedirigeversmonbureaupourjeteruncoupd’œilauplanningdurestedemajournéesurmontéléphone.

Je dispose de quarante-cinq minutes pour traverser la ville etretrouver Sarah Hill pour son rendez-vous chez le coiffeur. Nousvenons d’obtenir à Sarah un rôle dans l’adaptation d’une histoire defugue adolescente qui est devenue un best-seller, et la productioninsistepourquesescheveuxsoientd’uneteintespécifiquedebleu.Ileststipulé dans son contrat que son agent et le producteur doivent êtreprésents pour contrôler la qualité de la coloration. Ce qui signifie engros que je vais passer quatre heures dans un salon de coiffure, àm’efforcerdedistinguerlessubtilesdifférencesentrequinzenuancesdebleu.

JepassedevantlebureaudeCarteretm’arrêtenetenvoyantqu’iladéjàposédeuxboîtesdecapsulesdecafésursonbureau.

Quandj’étaisplusjeune,monpèreétaittrèssévère:l’exactopposédupèredeDarylquilalaissaitfaireàpeuprèstoutcequ’ellevoulait.Je n’avais pas le droit de sortir avec des garçons et,même quand j’aiatteint l’âge requis, les règles étaient strictes : je pouvais fréquenterautantdegarçonsquejevoulais,maisjen’avaispasledroitd’avoiruncopain, cequi signifiaitpasplusd’un rendez-vousavec lemêmemec.J’imagine qu’il voulait m’empêcher d’entretenir une relation tropsérieuseavecunseulgarçon,parcequ’unerelationsérieuseaugmentele risque d’avoir des relations sexuelles. Leur plan a fonctionné, dansles grandes lignes : à dix-sept ans, je n’avais toujours pas perdu mavirginité.J’enétaismêmeloin.

Etpuis j’ai rencontréKaiPaialua.Jemesuisarrangéepour levoirautantquejepouvais,loinduregardscrutateurdemesparents.Lesoirdubaldepromodeterminale,nousnoussommesretrouvésdansunechambre pendant une fête. Dans la pièce contiguë, des chansons deSantana tournaient en boucle, des accords de guitare tellementsensuelset…j’aieuenviedecoucheravecKai.Nousétionssurlepointde passer à l’acte, il avait baissé son pantalon et vérifiait la date depéremptiondupréservatifqu’ilgardaitdans sonportefeuilledepuis lapremière.Jesavaisquej’étaisàlacroiséedeschemins.Sijedécidaisdeme lancer,oncouchaitensemble, iln’yavaitplusderetourenarrièrepossible.Jepouvaisaussiremettremarobeetsauvermonhymen.

Nulbesoindepréciserquejen’aijamaisrevumavirginité.Devant le bureau de Carter, sur lequel sont posées d’innocentes

boîtes de capsules, je ressens le même mélange d’excitation et decrainte.Sijevaisjusqu’auboutduplanquiseformedansmonesprit,jeperdraimoninnocence.

Et donc, cinq minutes plus tard, j’intervertis les capsules qui necorrespondentplusdutoutàcequiest inscritsur lesboîtes.Et jesuisenroutepourlesalondecoiffure,l’airderien.

Mêmegoûtdélicieux…maisendécaféiné!

Vendredi,jepasselameilleurejournéedemavie,parcequec’estlejouroùlecerveaudeCarterAaronacessédefonctionner.

C’est un peu comme regarder un lion qui boite : il s’agit d’un faitassezinhabituelpourqu’onaitbeaucoupdemalàdétournerlesyeux.Il ne plaisantait pas lorsqu’il m’a avoué qu’il ne pouvait pas survivresans caféine. Apparemment, il est entré dans les toilettes et a fixé lemur,choquéquelesurinoirsaientdisparu,jusqu’àcequeJessémerged’unecabineetleredirigedanslabonnedirection.IlabégayépendantunappelconférenceavecSmashboxStudiosàproposdel’organisationdushootingphotodeVanityFairpourvendrediprochainet,ensuite,ils’estarrêtédanslehall,perplexe,avantd’entrerdanssonbureauetdes’asseoir pour boire la tasse de décaféiné que j’avais gentiment poséesursonbureau.

Jeme demande si je suis en train deme transformer enmonstre,parceque j’appréciechaquesecondedecespectacle.Quiorchestredetelscoupsbas?Ehbien,presquetoutlemondedanscemilieu.

Mais…jenemesuisjamaiscomportéeainsietquandjerepenseauxextrémitésauxquelles jesuisréduite, loindemes idéaux, laculpabilitécommenceàmeronger.

JecomposelenumérodeStephetremercieleCielqu’ellerépondeàlapremièresonnerie.

–Jesuisunepersonneabominable,dis-jeaulieudelasaluer.–Tupensesàquelquechoseenparticulierouc’estuneobservation

générale?Jeréfléchispendantquelquessecondes.–Unpeudesdeux.–Tuveuxm’enparleroudois-jetedétrompertoutdesuite?J’entendsdesvoixetdesbruitsdeverresetdecouvertsqui tintent

enfondsonore.Jesupposequ’elledéjeuneavecquelqu’unetqu’ellene

disposepasdebeaucoupdetemps.–Tuesoccupée?Jepeuxpasserettefairemesaveuxcesoir.– J’attends un agent pour organiser un casting. Et au fait, tu ne

devinerasjamaiscequem’aracontémonassistantecematin.Je me penche sur la droite pour voir Carter devant son bureau,

occupéàfixeruncrayond’unregardvide.–Quoi?–ElleacouchéaveclefrèredeCarterhiersoir.Jesursaute.–Non!(Jemeredresse.)Tonassistante.–Ouaip.–Seigneur,cettevilleestminuscule.Commentest-cearrivé?– Ils se sont rencontrés dans une soirée. Ils n’ont pas beaucoup

parlé,maiselleacomprisquiilétaitcematin.Honnêtement, si je ne détestais pas Carter Aaron, je lui enverrais

immédiatementunmessagepourpartager cette informationeten rireensemble.

Incapablederésister,jemepencheencorepourjeteruncoupd’œilendirectiondesonbureau.Cettejournéeestincroyable.

–Et?– Et… d’après ce qu’elle m’a dit, la famille Aaron mérite des

félicitations.Cequetupourraisvérifierpartoi-mêmesivousarrêtiezdetournerautourdupot.

Jegrogne.–Nem’enparlepas.Enparlantdesonfrère,nousavonsprévuun

shooting avec lui la semaine prochaine.Maintenant, je vais l’imaginerentraindebaiserAnna.

Stephéclatederire.–Passe-luilebonjourdesapart!–Mouais,jenecroispas.–D’accord.Alors,disàCarterquesoncostumeestpendudansma

salledebains.Ilenabesoinpourvendredi.

–Soncostume?– Il a emmenéMorgan faire la chasse aux friandises à Halloween

pour qu’on puisse sortir, et elle lui a vomi dessus. J’aurais dûl’engueulerparcequ’ill’alaisséemangerunpaquetentierdebonbons,mais j’ai eu droit à une soirée d’adultes et à une partie de jambes enl’airdansunechambred’hôtel,donc…

– Non,Madame J’en-Raconte-Trop, pas aujourd’hui. Neme parlepasde ta vie sexuelle et neme racontepasdes chosesmignonnes ausujetdeCarter.C’estlediable.

– Continue à te le répéter. Bon, l’agent que j’attendais vientd’arriver.Jet’adore,etarrêted’êtreunmonstre.

Pourquoi l’univers me fait-il endurer de telles choses ? J’étais entrainde jouirdevoirCarterenmanquedecaféineetd’efficacitéetonmerappellequecen’estpasunsaletype.Jeferaissûrementmieuxdem’avouerquej’aidéconnéetqueStephapeut-êtreraison:c’estmoiquisuisunmonstre.

L’angoissemontependantmondéjeuneravecAdamElliott.Àtableavec l’idole vieillissante favorite des Américains, je ne peux pas mepermettred’êtredistraite,mêmepasunpeu.

Cartern’estpasdanssonbureauquandjereviens,jenepeuxdoncpas passer aux aveux, je ne peuxmêmepas lui offrir la tasse de caféauthentiquequejeluiaiachetéechezJoeaprèsmondéjeuner.J’ouvremesmails et attrapemon tubede lotiond’unair absent.Maisau lieudemeconcentrer surmoncourrieroudeme laisser submergerpar laculpabilité,jerepenseàCarterquiaoubliéleprénomdeBradcematinquandilssesontcroisésdanslecouloir.C’étaitassezgénial.

Jem’enduislesmainsetmemetsunpeudecrèmesurlescoudes,levisage et les jambes quand jeme souviens que Jessiem’a raconté queCarterestsortide l’ascenseuraumauvaisétageets’estassisdevant lebureaud’EvanCurtisdudépartementjuridique.

Ilm’a fallu plus d’une demi-journée pour réaliser ce que je devaisfaire:remplacerlecaféetcracherlemorceau.Lekarmaestunegarce,

etjen’aipasintérêtàlalaissersevengerdemoi.Jetendslamainpourattrapermontéléphone,appelerJessettout

lui raconter, lui demander si elle est d’accord pour procéder àl’échangedescapsulesquandl’appelquej’attendaism’interrompt.

Quarante-cinq minutes de flatteries plus tard, on frappe à maporte.

–Entrez.J’ai les yeux fixés sur mon écran d’ordinateur quand la porte

s’ouvre.–Aufait,as-tureçulemailausujetdel’aud…bordel!halèteJess.Ellealesyeuxécarquillés.–Quoi?Quoi?Ellesecouelatêteetplaqueunemainsursabouche.–Evie.OhmonDieu.Jerevienstoutdesuite.Elle se rue hors de mon bureau et revient quelques instants plus

tardavecDarylsursestalons.Ellesfermentlaportederrièreelles.–Quesepasse-t-il?Pourquoimeregardez-vouscommeça?Darylcontientsonfourireavecdifficulté.–Qu’as-tufaitpourteretrouverdanscetétat,Garfield?– Je… quoi ? (Je m’apprête à attraper le miroir de poche que je

gardetoujoursdansmontiroirquandjecomprends.Mesmains,surtoutmespaumesetmespoignets,sontorange.)OhSeigneur.

–Turessemblesàuncônedesignalisation,ditDarylavantd’éclaterenfin de rire, en ajoutant avec difficulté : Tu me donnes envie demangerdesailesdepoulet.

–Seigneur,tuvaslafermer?Mes mains tremblent tellement que je manque faire tomber mon

miroirparterre.Mon visage est également orange. Un orange scintillant, presque

pailleté. Je ressemble à un marshmallow en forme de cacahuètechatoyante.

Darylselèvepourseteniràcôtédemoi.

–Quet’es-tumissurlevisage?–Rien!Jemefigeentendantlamainverslacrèmequej’aiutiliséeunpeu

pustôt.Non.J’ouvrelebouchonetsenslalotion.Non.Aulieudel’odeursubtilementvanilléeàlaquellejesuishabituée,je

remarqueunesenteurvaguementchimique.– Noooooon, je grogne, d’une voix rauque et sauvage. Je vais le

tuer.– Il a mis de l’autobronzant dans ton tube de crème ? murmure

Daryl,horrifiée…maisaussiunpeuimpressionnée.Jess sort en vitesse puis revient à la rapidité de l’éclair. Elle

contourne le bureau et s’agenouille à côté de moi en sortant unelingettedémaquillantedesonemballageplastique.

–OK,leplusgross’enva.Tuasjustel’airbronzée.Daryléclatederire.–Attendshuitheurespourvoir.–OhEvie,ques’est-ilpassé?Unevoixmoqueuseetgraves’élève,etnouslevonslesyeuxversun

Cartertoutsourires,appuyéauchambranledelaporte.Jessestàdeuxdoigtsdetomberàlarenverse,elleserattrapedejustesse.

–C’esttoiquiasfaitça!–Quiacommencé,àtonavis,ChefDécaf?Jegloussemalgrémoi.–Pardon?Il entre dansmon bureau et s’approche. Daryl et Jess s’éloignent.

Unchoixdictéparlasagesse.– Je suis rentré chezmoi à l’heure du déjeuner pourme faire un

caféparcequeceluidubureaunesemblaitpas faired’effet.Maisbiensûr, chezmoi , il n’y avait aussi que du décaféiné. Sur le parking du

supermarché, je n’ai pas réussi à me souvenir de l’endroit où j’avaisgarémavoitureetj’aimanquémefairearrêterparlevigileenessayantd’entrerdansuneautreAudiargentée.

Uneboufféedefiertémesubmerge.–Vraiment?Ilsouritensecouantlatête.–Vraiment.Pascool.Jetendslebraspourqu’illevoie.– Vous n’avez aucun droit d’entrer ici et de jouer à la victime,

Monsieur.–Jen’oseraispas.Il s’approche si près de moi que je sens la chaleur de sa peau à

quelquescentimètresdelamienne.Monhumeurjoyeusesedissipeetjesensl’intensitédesonregardlorsqu’ilregardemeslèvres.

Commes’ilallaitm’embrasser.Horsdequestion.Maisj’imaginequenoussavonstouslesdeuxque

çan’arriverapas.–Tumeplaisais,murmure-t-il.Une douleur naît entre mes côtes à ces mots, et ma réponse

m’échappeavantquejen’yaieréfléchiàdeuxfois:–Tumeplaisaisaussi.Ilmedévisagesansciller.–Evie…–Jesuis justecontented’avoircomprisqui tuétaisvraimentavant

decommencerunehistoireavectoi.

Au fond de la baignoire de Steph, remplie de bulles, je lance àl’attention de tout le monde, avec le plus de conviction dont je suiscapable:

–Jevaisletuer.

Nous sommes toutes ici, amassées dans la petite salle de bains deMichael et Steph :Daryl,Amélia, Jess, Stephet bien sûr,moi.Nue etlégèrementmoinsorange.

–Tout va bien se passer,ma chérie, ditDaryl enme tendant uneautreloofahàtraverslerideaudedouche.Maisnefaisriendedéfinitifcesoir.

– Vous devez admettre que c’était assez malin de sa part, lanceAmélia.Trouvercommentutilisertonfétichismedelacrèmehydratantecontretoi.

Jejetteuncoupd’œilàl’eautroubleautourdemoi.Lemaquillageaempêchélegrosdel’autobronzantdepénétrerlapeaudemonvisageet il est parti assez facilement. Mais mes mains et mes coudes sonttoujoursorange–unenuanceunpeuatténuéed’orange.

– Je n’ai pas de fétichisme. C’est un tic nerveux. Et il n’a pas eubesoinderéfléchirbien longtemps.Je luiaiparlédemon trucavec lacrème.Ilautiliséundétailquejeluiaiconfiécontremoi.Viltraître.

–Ouais,çanet’apastropdérangéenonplus,Evie.C’esttoiquiascommencé,merappelleAmélia.Sonêtredécaféinéest rentrédansunmurdevantmonbureau.

Jesorslatêtedurideaudedouche.–Vraiment?J’auraisvraimentaimévoirça.Monsourires’élargit,ellemedévisaged’unairsévèreenlevantun

sourcil.–Allez…jegémis,encraquantsouslapression.C’étaitducafé.J’ai

commencéavecducafé.N’oubliezpasqu’ilm’avoléDanPrice,engagésonfrèreentantquephotographesansmeconsulteretn’apasassistéànotre réunion commune avec l’insupportable organisatrice duséminaire.Jevoulaisqu’ilsachequejenecomptaispasmelaisserfaire.

–Doncquoi,ilariposté?ditcalmementAmélia.Sijenemetrompepasàtonsujet,tusongesdéjààdesreprésailles.

–Bien sûrqueoui.N’est-cepas, Jess ? Je vais avoirbesoinde tonaidepourourdird’immondesstratagèmes.

Ellemejetteuncoupd’œilducomptoirdelasalledebains.–Vais-jeêtreobligéedefairequelquechosed’illégal?–Hum…Jenesaispasencore.Ellelèvelesyeuxauciel.–Tedénonceras-tusijesuispriseenflagrantdélit?–Absolument.– J’aimerais affirmer devant témoins que je pense que c’est une

mauvaiseidée,maisd’accord,jesuispartante.–Tusais,entantqu’amiedeCarter,j’ail’impressionquejedevrais

intervenir,ajouteSteph.Jesecouelatête.–Tuveuxvoirl’étatdetabaignoire?Ellelèvelesmainspourm’empêcherdebouger.–Non,non.Pasnécessaire.(Elleregardepar-dessussonépauleen

entendantretentirlasonnettedelaported’entrée.)Jereviens.– Avant que j’oublie, renchérit Jess. Je venais dans ton bureau

aujourd’hui pour te demander si tu avais vu lemail de la compta. Ilsfont un audit, et j’ai besoin des exemplaires de tous tes rapports dedépense.

–Unaudit?répèteDaryl.–Ouais, explique Jess.Çaaquelque chose à voir avec la boîtede

PrivateEquityqui a appuyéP&Dpendant la fusion. J’imagineque lesinvestisseursontenviede regarder les comptesd’unpeuplusprès. Ilsveulentlesdossiersdetoutlemonde,mêmelesmiens.

– Ils font un bilan des comptes post-fusion. Rien d’étonnant,expliqueAmélia.

Des pas retentissent dans le couloir, je jette un coup d’œil enécartant le rideau : Steph entre dans la salle de bains suivie del’assistantdeDaryl,Éric.

Jehurleenmecachantderrièrelerideau.

–Qu’est-cequevousfoutez?–Jefermelesyeux,s’exclameÉric.Jedevaisdéposercescontratsà

Daryl.Et commepour illustrer le faitque sesyeux sontbien fermés, il se

cognecontreunmur.–Ici,s’écrieDarylentendantlebrasdanssadirection.Mercid’être

venu,Éric.–Maisqu’est-cequevousfichez,d’ailleurs?(Éricouvreunœilpour

regarderdanslasalledebains.)Uneréunionsecrète…dansunesalledebains?(Ilrefermelesyeuxenm’apercevantdanslabaignoireetmefaitunpetitsignedelamain.)Oh,bonsoir,MlleAbbey.

– On complote pour se venger de l’un des tiens, lui dit Daryl, unbouchon de stylo coincé entre les dents. (Elle le fait pivoter, s’appuiesursondosmusclépoursignerlesdocumentsenl’utilisantcommeuneécritoire.) Tu te demandes peut-être pourquoi Evie se trouvedans unbainorange.

–Jedoisavouer, répond-ilposément,que laquestionm’a traversél’esprit, mais Mlle Baker de RH est ici, donc j’ai pensé qu’il s’agissaitd’unesituationsepassantdecommentaire.

Améliahochelatête.–Boninstinct.–Quelqu’unamisdel’autobronzantdansleflacondecrèmed’Evie,

expliqueDaryl.(Éricneparvientpasàretenirsonhilarité.)Carter.Améliasefrottelevisage.–Daryl,nedonnepaslesnomsauxcivils…fais-jeunpeutropfort.–Détends-toi,memorigène-t-elle.Éric s’en fiche. Ilpourraitmême

avoir des idées à partager avecnous ! (Elle le fait encore tourner surlui-même pour lui rendre les documents signés.) Tu ne sais peut-êtrepas te servird’un téléphone,mais tuesungéniequandon temetunordinateur entre les mains. (Elle lui offre un grand sourire.) Sansvouloirt’offenser.

– Peux-tu créer un programme qui met automatiquement enrelationlesdépensesaveclesfactures?demandeJess,intéressée.

Daryllafaittaired’unsignedelamain.–Ennuyeux,Jess.Onparledesabotage…Ilhausselesépaules.– Je pourrais faire partie de l’équipeŒstrogènes. À quoi pensez-

vous ? Je pourrais effacer la cote de solvabilité de Carter. Créer unmandatd’arrêt?

Monventrepétilled’excitation.–Tupourraisfaireça?Illèvelementond’unairsexy.–Biensûr.Jepeuxfaireàpeuprèsn’importequoi.UnepiècepleinedefemmesfixeÉriclorsqu’ilprononcecesmots,le

prenantcomplètementausérieux.Finalement,Améliasebouchelesoreilles.–Çavamalfinir,c’estsûr!–Améliaaraison.Etj’apprécietespropositions,maisjeferaismieux

d’en rester aux frasques farfelues plutôt que de tirer avantage de toncerveaucriminel.

Stephlancel’unedesserviettesdeMorgandansmadirection,etlegroupesortde lasalledebainspourme laissermesécheretplanifierma revanche dans l’intimité. Je sors de la baignoire, lève les yeux etmalgrélabuéesurlemiroir, jevoisquelquechosequipendàlaportederrièremoi.

LecostumedeCarter.Jesourisàmonreflet.Frasquesfarfeluesdonc.IlmesurnommeEvil

,aprèstout.Sijepencheverslecôtéobscur,autantfaireçabien.

Chapitre16Carter

Celafaitdeuxjours,etjen’arrêtepasdepenseràcequ’Eviem’adit.

–Tucontinues,n’est-cepas?Jemens.–Non.MichaelChristopherlèvelesyeuxauciel.Ilestassisenfacedemoi,

àlaCrèmedelaCrêpe.–Si.(IlhochelatêtedansladirectiondeJonah.)Ilfaittoujoursça,

n’est-cepas?Jonahacquiesce.Jelesregardetouslesdeux.–Qu’est-cequejefaistoujours?–Tetortureràcausedecequequelqu’unaditoudelapossibilité

que – Seigneur… – tout le monde ne t’adore pas. Tu as toujoursfonctionnéainsi.C’estpeut-êtrelaraisonpourlaquelletufaisn’importequoiavecEvie.Ellenesemblepast’apprécier,donctut’assuresquecesoitenraisondetesactesplutôtquedetapersonnalité.

Waouh.Ilappuielàoùçafaitmal.–Non,elleaétéassezclairesurcepoint : je luiplaisais,maiselle

est heureuse d’avoir découvert qui j’étais vraiment avant d’aller troploin.Engros,quejesuisunconnard.

–Tun’espasunconnard,minaudeMichaelenagitantunecuillèredevantlesyeuxdeMorgan,pourfairediversion.Tuesjustestupide.

–Ne luimens pas,MC.C’est un vrai connard, dit Jonah, et je luilanceunregardnoir.

Endehorsdequelquesmessagespourorganiser leshootingphoto,Jonahetmoin’avonspasvraimentdiscutédepuisquej’aidécouvertsespetits problèmes d’argent. Je l’ai invité à se joindre à nous pour luiparler des détails de la séance photo pendant le petit déjeuner et luirépéter à quel point il est essentiel qu’il ne déconne pas. Jusqu’ici, ils’estcontentédefixersontéléphoneetdem’envoyerdesvannes.

J’angoisse à l’idéedes enjeuxque je laisse entre lesmainsdemonfrère.Bradpensequejel’aiengagéparcequej’aiunplansecret,cequisignifiequesiJonahdéconneetjoueàladiva,Bradsera forcément aucourant. Il n’y aura pas de retour en arrière possible. Le nouveaucontrat sera pour Evie, et jeme retrouverai dans un avion pourNewYork.

–Cen’estpasunconnard,ditStephàJonah.(Apparemment,elleaentendu la finde la conversation en revenantdes toilettes.) Pourquoipenserais-tuunechosepareille?

Entendre Steph etMCme défendreme fait chaud au cœur, maissoyonshonnêtes,jeméritequelquesréprimandesaprèscequej’aifaitàEviel’autrejour.

Jerenchéris:–Tuesbiensilencieuse.Toutvabien?–Ouais,juste…tusais.Letravail.Elletournecompulsivementsapailledanssonverre.Elle semble ailleurs, mais vu ce qu’elle mange, qui pourrait la

blâmer ? Son mari entame le Oh là là – un énorme plat de gaufressurmontées de Nutella, de fraises, de morceaux de bananes et demangue – alors qu’elle a commandé une omelette de blancs d’œufsavec des épinards sautés. Ensuite, elle file au yoga. Au yoga. Le pire

dans cette histoire, c’est qu’elle s’apprête à faire du sport le ventrepresquevide.

Je pense que je réalise seulement maintenant à quel point il estépuisantd’êtreunefemme.Tropminceoupasassezmince.Vousavezledroitdefairevotrejobàlaperfection,maisnevoushasardezpasàenmettre plein les yeux à un homme. Faites-vous entendre,mais nesoyezpasgarce.Souriez.Etpuis il y adesgens commeBradqui sontincapablesdejouerlejeu.

J’effleure mon verre d’eau du bout du doigt en regardant lesgouttesdecondensationretombersurledessousdeverre.Jouercejeu,mêmecontremongré,mefaitdéjàsuffisammentculpabiliser.

–Çavousestdéjàarrivéde fairequelquechosequivousasembléune bonne idée sur le moment mais qui vous a donné ensuitel’impressiondevousêtrecomportécommeunenfoiréfini?

Michaelrépondsanstarder:–Touslesjours.Jonahlèvelesyeuxdesontéléphone,commesimeséchecsétaient

leseulsujetdignedesonattention.–Qu’as-tufait?Jeplantemafourchettedansunesaucisse.–Rien.Laissetomber.–Allez, insiste-t-il.Au casoù tune l’auraispas remarqué, j’aiune

viedechiottesencemoment.Jesuisunputaind’enfoiré,alorstupeuxm’envoyerunos.

Ilmesurprend,honnêtement.– C’est juste une série de choses vraiment stupides qui se sont

télescopées. Et maintenant, j’ai légitimement peur d’aller travaillerlundi.

Stephtousse.–OK…faitJonah.–Voyonsvoir,paroùcommencer?J’imaginequejepourraisparler

dujouroùnotrepatronajetélepetitdéjeunerd’Eviedanslapoubelle

parcequec’estunenculésexiste.Jel’airegardéfairesansréagir.Oulafoisoù je l’ai laisséeassister àune réunion sans luidirequedeuxdesboutonsdesachemises’étaientouverts.Deuxboutonstrèsimportants,jeclarifie.

–Ellenem’enapasparlé,lanceSteph.Etsonexpressionestunpeuterrifiante.– À quoi ressemblent ses seins ? demande Jonah en revenant aux

sujetsimportants.Bellepoitrine?Avantquejepuissetendrelamainpourluienmettreune,Stephlui

donneunegifleetsetourneversMichael.–Tuétaisaucourant?– J’ai… appris que… quelque chose… d’inopportun avait eu lieu,

bégaye-t-il en choisissant ses mots avec précaution. Je lui ai dit quec’étaitmal.Trèsmal.

Il me lance un regard de reproche qui me laisse penser qu’ilpourrait me tuer dans mon sommeil si je prononçais un motsupplémentaire.

Stephgrogne.–JesavaispourJonahetlasituationgênanteliéeàDanPrice.Elle

m’a aussi raconté que tu avais filé pendant une réunion avecl’organisatriceduséminaire.

–Je…– Tout ça, c’était de l’ordre du professionnel. Mais cautionner le

sexismedeBrad?Jenesuispasfièredetoi,Carter.Ilestassezdifficilepour une femme d’être prise au sérieux dans unmilieu qui considèretoutepersonnedesexe féminincommeunobjet.Leshommespeuventse comporter comme si nous étions en 1960 et que toutes les femmesqui les entourent étaient leurs secrétaires. Evie doit être plusintelligente, plus rapide etmeilleure dans son domaine que toi, pourpotentiellement un salaire moins important et encore moins dereconnaissance,ettoutçaenfaisantbonnefigure.

J’aimeraismecachersouslatable.

–C’estexactementcequejeluiaidit,renchéritMichaelenhochantfrénétiquementlatête.Çanuitàsacrédibilité.Netel’ai-jepasrépété,Carter?Tudevraisavoirhonte.C’esttrèsdécevantdetapart.

– Je me suis senti pris à mon propre piège. Si j’avais dit quelquechose,n’aurait-ellepasétéencoreplusgênée?Enplus,elleauraitsuquejeregardaissesseins.

–Cequetufaisaiscertainement,ajouteSteph.–Ehbienouais.Parcequ’elleadesuperbesseins.Elletendlamain,pourmefrappercettefois.–Jenevoispasquelest leproblème,répliqueJonah.Riendetout

celanemesemblevraimentgênant.–Toi, tune fais rienpourm’aider, je contre-attaqueetme tourne

versSteph.Commejel’aidit,çavadeplusenplusloin.Jenesaispascomment tout a commencé. J’étais au supermarché pour acheter duvraicafépourlebureauet,l’instantd’après,jetombesurleprésentoirdesautobronzants.Enbref,jevaisfinirdansunfosséquelquepart.

– Attends…on parle de la fille de la soirée ? demande Jonah, labouche pleine de pommes de terre. (Mes pommes de terre.) La filleavecquitun’aspasréussiàallerjusqu’aubout?

Jeluijetteunregardglacial.–Quefais-tulà,toi?–Tum’asdemandédevenir,connard.Tuvoulaismefairelaleçonà

causedecettestupideséancephoto.Tuterendscomptequec’estmontruc,n’est-cepas?(Ilseredresse,signequ’ils’énerve.)Tupensespeut-êtrequejesuisarrivélàoùj’ensuisgrâceàtesconseils?

Jesuis irrité,mais je faisdemonmieuxpourmecontenir.J’aiuneréaction similaire à celle qu’Evie a provoquée en me conseillantd’approcherDanauplusvite.

– Rappelle-toi seulement que j’ai tout fait pour respecter tesobligations, et que j’ai fixé le rendez-vous à 11 heures, pour que çacadreavectonplanning.Lemaquillagecommenceà8heures30.Sois

là à 9 heures. Pas de retard. Et pas de conneries. Je me suis mouillépourtoi.J’aiimpliquéEvie.

–Bordel, je serai là,Carter. (Mon frère fourre son téléphonedanssapocheetselève.)Pourquoijoues-tutoutletempsaucon?

– Con ! s’écrie la petiteMorgan, et nous regardons Jonah se ruerhorsdurestaurant.

–Tantqu’onyest,lanceStephenregardantsamontre,moncourscommenceàdixheures.

Elle nous embrasse tous sur le front – Morgan à deux reprises –attrapesonsacdesportets’éloigne.

MichaelChristopherdécoupesagaufreetglissequelquesmorceauxdansl’assiettedesafille.MaisMorgan,quienaassezderesterassise,se déplace surmes genoux.Michael nous regarde, l’expression pleinedetendresse.Jesaiscequ’ilpense, ilveut lamêmechosepourmoi. Ilveut qu’on se retrouve le dimanche pour regarder nos enfants jouerensemble au petit déjeuner, il veut que nos femmes soientmeilleuresamies. Il ne faut pas être un génie pour deviner qu’il pense qu’Evieseraitlacandidateidéale.Jementiraissijeprétendaisquecen’estpasce que je veux, moi aussi. Je n’ai jamais été sur la même longueurd’onde queGwen,mais quelque choseme dit que je pourrais être enphaseavecEvie.Nouscommencerionsprobablementparnousécharpermais,quisait,çapourraitfairepartieduplaisir.

–Tufaistatêtedepapa.–Non,pasdutout.–Oh que si. (Je lève unemain pour dessiner un cercle autour de

sonvisage.)Tesyeuxbrillentettuassoudainl’airsentimental,commesitubrodaismentalementnosnomssurunkilt.

– Toutes ces histoires de sabotage ne vont pasm’aider à préparermontoastpourvotremariage.

– Désolé de briser tes rêves, mais je pense que ce bateau a faitnaufrage au moment où j’ai rempli son flacon de crème avec del’autobronzant,vendredidernier.

Michaelprendsonmugetmecontemple,contentdelui.–Àlafac,j’aioubliéqueStephavaitunchatpendantunesemaine

alors qu’elle était partie en voyage, et je suis toujours là. On ne saitjamais. D’ailleurs, tu sembles étrangement optimiste – si j’ose dire,joyeux–pourunmecquiaperdutoutespoir.Onpourraitpenserquetut’amusesaumoinsunpetitpeu.

Je fais non de la tête,maismon rythme cardiaque s’accélère et jeréalise qu’il a raison. Evie me découperait les couilles et me lesapporteraitsurunplateausiellepensaitqueçaluipouvaitluiconférerun avantage. Et même si ce n’est pas très tentant, l’idée que je doisgarder à l’esprit est la suivante : Evie est plus intelligente quemoi etmonadrénalinegrimpeen flècheà lasimple idéededevoirm’efforcerdetoujoursladevancer.

Siseulementjesavaiscommentfaire.

Obsédéparlaprochaineétape,jefermeàpeinel’œildelanuit.J’ail’impressiond’êtreunebombeàretardementlelendemainmatin.

Je ne sais pas à quoi m’attendre. Des sacs d’excréments sur monporche?Mefaireagresserdanslacaged’escalierpardesNinjasqu’elleaurait engagés ? Ces deux possibilités semblent peu probables et,pourtant, je regarde à travers le judas avant de partir, j’observe lesalentoursendescendant lesescaliersetvérifiequ’iln’yariensousmavoitureavantdedémarrer.

Reprendslecontrôle,Carter.J’essaiederirepourmedétendreenmettantlecontact.Lemoteur

rugit sans exploser. Les meilleures représailles seraient peut-être uneabsencedereprésailles.Vatefairevoir,Evie.

Ilyamoinsd’embouteillagesqued’ordinaire,etaprèsmadeuxièmetassedecafé,j’aiunpeureprismesesprits.

Justin est en arrêt maladie aujourd’hui, je discute avec desstagiaires dans le couloir. Kylie semble lessivée, mais je l’évite, en

m’arrêtant face à la machine à café de la salle de repos avant decommencerofficiellementmajournée.

C’estduvraicafé.Jevérifiedeuxfois.Ma porte est encore verrouillée, un bon signe. La lumière du

bureaud’Evieestallumée,maissaporteestferméeetsijefaisattentionànepasagitermesclésetàêtrediscret,c’estparcequejesuispoli,paseffrayé.

Rienn’achangé.Monordinateursetrouvelàoùjel’ailaissé;monagrafeuse est toujours sur le coin de mon bureau. Les mots MEURSCARTERMEURSnesontpasinscritssurlemurenlettresd’excrémentsoudesang.

C’estunevictoire.Je fermedoucement laporteetavanceàpasde loupendirection

demonbureau.Jemeconnectesurleserveurengrimaçant,maismonordinateurme semble fonctionner normalement, lui aussi. Je chercheune adresse et réponds à quelquesmails, attrape les documents dontj’ai besoin et me penche sur le côté, pour essayer de voir les jambesd’Evie.Peineperdue!

Jesuissurlepointdesortirquandmontéléphonesonne.–IciCarter.–Allô?Lavoixàl’autreboutdufilestétouffée.J’augmentelevolume.Jerépète:–Allô. IciCarterAaron.Allô ? (La voix est tellement faible que je

plisselesyeuxententantdemieuxentendre.)Désolé,laconnexionestmauvaise.Pouvez-vousmerappeler?Allô?

Lalignesedéconnecteetseremetàsonnerquelques instantsplustard.

–CarterAaron.–Carter.Jedevinequ’ils’agitdeCaleb.

CalebFerraz,lemanagerdeDanPrice.Nousnousratonssansarrêtdepuisdeuxsemaines.

– Caleb… il y a… Vous m’entendez ? Mon téléphone a unproblème. (Je hurle, fixe le combiné avant de le coller à nouveaucontremonoreille.)Pouvez-vousm’appelersurmonportable?

Jecroisentendre:–Impossible.Ondécolle.(Ilparleencoremaisjenesuispassûrde

biencomprendreoud’inventer lesensdesesparoles.)Dan…parler…voyage…semaines…

Putain.– Caleb, envoyez-moi un texto quand vous pourrez et nous

discuterons.Je pense qu’il me dit au revoir, mais je ne suismême pas sûr. Je

raccroche et compose le numérodeMichaelChristopher. Il répond etc’est à peu près la même chose. Je pense qu’il m’entend, mais je nepeuxpasenêtre toutà fait sûrparcequemoi, jene l’entendspas.Jeluienvoieunmessagepourluidirequejeluidonneraidesexplicationsplustard.

J’attrape les dossiers dont j’ai besoin, et sors, un peu déçu que laporte d’Evie soit toujours fermée. Pourquoi ai-je tellement hâte de lacroiser?Jesuiscertainqu’elleestfurieuseetqueladernièrechosequejeverraiavantdemourirserauneEviedecouleurorange,entraindem’étrangler.

CommeJustinestabsent,jem’arrêtedevantlaportedubureaudeKylie.Elleparleàuntypedubureaudetri,doncjesorsmontéléphoneenattendantqu’ellefinisse.

–Jevoulaism’assurerquetoutlecourrierarrivedirectementsurlebureaudeM.Kingman,d’accord?Ilaététrèsclairsurcepoint.

–Lecourrier.Compris,ditlegaminennotantquelquechosesurlapetitemachinequ’iltientdanslamain.Àplus,Ky.

Kylieattendquel’employés’éloigneetmesouritlargement.–Carter!Commentvas-tu?

–Trèsbien,ettoi?–Autop!Tuveuxqu’ondéjeuneensembleaujourd’hui?Je faismine d’être déçu alors qu’en réalité, je suis soulagé d’avoir

unebonneexcusepourrefuser:–Jevoisunclient.(Elle faitunemouesexy.Quelquechosemedit

que cette expression marche à tous les coups, en temps normal.) Jem’apprêtaisàpartir,mais jevoulais tedemandersiquelqu’unpouvaitjeteruncoupd’œilàmontéléphone.

–Tontéléphone?–Ilyaunproblèmeaveclevolumesonore.Ellemesuitdanslecouloir,attrapelecombinéetl’approchedeson

oreilleenaugmentantlevolumepuiselleledévisse.–Oh.(Jem’approche.)Ilyaduscotchlà-dedans.C’estbizarre.Ellel’enlèveavecprécautionetréassemblelecombiné.Jefixeleplastiquedanssamain.–Ouais.Bizarre.Ellecommenceàs’éloigner,puiss’arrêtesurleseuil.–Heureused’avoirput’aider.N’hésitepasàm’appelersitu,euh…

as besoin d’autre chose. (Elle se tait en entendant la porte d’Evies’ouvrir.)Ousituveuxqu’ondéjeuneensembleundecesjours…

Evie sort dans le couloir et s’arrête juste devant Kylie, en tendantl’oreille.

Avecunpetitsourire,jelancecalmement:–Salut,Evie.Kylies’éloignedanslecouloir.Elle s’appuie sur le chambranle et croise ses bras d’une couleur

normale(Dieumerci)sursapoitrineenmesouriant.–Jenevoulaispasvous interrompre.Ferme taporte laprochaine

fois.Jel’ignoreetluidis:–C’estamusant,montéléphonenefonctionnaitpas.Kyliem’aaidé

à comprendre pourquoi. On dirait que quelqu’un avaitmis du scotch

danslecombiné.Jemedemandebienquiçapourraitêtre.–Aucuneidée,faitEvieenhaussantlesépaules.Jeviensd’arriver.

Mais il y a pas mal de gens qui auraient intérêt à ce que tu teridiculises.

– Qu’est-ce que ça signifie ? (Je suis authentiquement offensémaintenant, je la suis quand elle s’éloigne en direction de la salle derepos.)Lesgensm’apprécient.Toi,tuleurfaispeur.

Elleattrapeunmugdansleplacardetsesertunetassedecafé.–OK,Carter.–Qu’est-cequetuveuxdire…?(Jem’arrêtenet.)Arrêteçatoutde

suite.Elle verse lentement la crème dans sa tasse et lève les yeux vers

moi.–Arrêterquoi?–Arrêtedeprétendrequeriennet’atteint.Arrêtedelancercesdéfis

puérils.–C’esttoiquim’assuivie,là.Indifférente,ellerangelacrèmeetsedirigeverslaporte.–Àplus.–Àplus.Sonrirediaboliqueretentitdanslecouloir.

Chapitre17Evie

Chapitre18Carter

Cesdernierstemps,çan’apasétéjolijolichezP&D.Lundi,ilyaeu

l’incident stupide du scotch. Mardi, j’ai ajouté une dose assez peuhoméopathiquede saucepiquanteDaveGhost Pepperdans le burritod’Evie et pas mal apprécié son petit grognement sexy et furieuxlorsqu’elle s’est ruéedans la sallede repospourboire ledemi-litredelaitqui traînaitdans le frigo.Ellem’arenvoyé l’ascenseurmercredienmouillant ma chaise de bureau pour que mon cul soit visiblementtrempépourlerestedelajournée.

Ellen’est pas venuedirectement aubureau jeudi, je n’ai doncpaseuleplaisirdelavoirrecouvertedespaillettesquej’avaisplacéesdanslesventilateursde savoiture,mais il faisait froidet je suis certainquelespaillettessesontbiencolléesàsapeaulorsquel’airchaudapulsé.Évidemment,aprèsça,j’étaistellementparanoàl’idéequ’elleaitpiégémonbureauque jen’ai rien touché sansunegrimaced’appréhension.Elleestpasséemesaluerà lafindela journée, lescheveuxencoreunpeuscintillants,justepourmevoircroquerdanslapommed’amourdeKyliequiétaitenréalitéunoignond’amourd’Evie.

Jemouraisd’enviedel’assassinerquandj’aiapprisqueSteveGainordu département Écriture et Adaptation audiovisuelle venait d’être

licencié.Riendemieuxqu’unedosederéalitépourremettreleschosesenperspective.

Nous sommes censés arriver au shooting de Jonah à 8 heures 30vendredi,maisàcausedemaparanoïaevilesque,j’arriveà8heuresetattends devant le studio fermé en frissonnant à cause du froid. Mavestemesembletropserrée,monpantalonaussi,etm’entourerdemesbrasnem’aideenrienàluttercontreletempshivernal.

Super. Mon comportement alimentaire compulsif dû au stresscommenceàavoirdesconséquences.

Lamoitiéde l’équipearrivequelquesminutesaprèsmoi,ycomprisle manager de Jamie qui, dès que nous entrons, commence à sedisputeravecledirecteurartistiquedeVanityFairetl’undesassistantsdeJonahausujetdelalumière.

– Salut Carter, lance Allie en s’excusant de ne pas m’avoir saluéavant.

Les traiteurs commencent àpeineà installer les victuailles surdestablesderrièremoi.

–Salut.CommeBradl’aindiquéquandilaplacéJamiedansmaliste,Allie

estcequ’onpourraitappelerunmanagerdeterrain.Alorsquecertainsmanagers (des hommes en majorité) se contentent de s’assurer queleurs clients ne posent pas de problèmes, Allie, elle, s’implique danspresque tous les aspects de la carrière de Jamie. Ça me simplifievraimentlatâche.

–ÀquelleheureJamieva-t-ellearriver?– Elle vient d’arriver. (Elle hoche la tête dans la direction de la

portequimèneàl’habillage.)Elleestlà-basavecsoncoach.–Super.–C’estcommeçaqueçamarche.(Ellesuitdesyeuxlestraiteursqui

commencentàdécharger les cartons.Elle tapote sur l’épaulede l’unedesresponsablesquivientdesortirunplateaudecookiesetpointedu

doigtlerestedelanourriture,encoreemballéedansdelacellophane.)Iln’yapasderaisindanslescookies,n’est-cepas?

La fille jette un coup d’œil à l’étiquette sous le plateau, puisconsulteunbloc-notes.

– Allergie alimentaire ? Je ne l’ai pas vu mentionnée sur lacommande.

– Actrice capricieuse, la corrige Allie, et le traiteur lui offre unsourirecompréhensif.

– Voyons voir, dit-elle en parcourant les documents avant detrouverlaliste.Nousavonsducafé,duthé,dessodas,desjusdefruit,deseauxcitronnées,desboissonsénergétiques,descookiesauxpépitesdechocolat,unassortimentdegâteaux,desbarresdecéréales…(Elleénonceune listequi semble infinieavantde sourireàAllie.)Les seulsraisinsserontdans lemélangedefruitssecs,et ilyaurauneétiquettedessus.

Allielèvelepoucedanssadirectionetsetourneversmoi.J’attrapeun cookie avant dem’arrêter net.Mon costumeme semble très serré,j’ai l’impression d’être pris dans un étau. Ai-je tant grossi que ça ?Distrait,jepalpemonventre.

–Jamiefaitdescapricesàcausedesraisins?Allieacquiesce.– C’est l’une des actrices les plus détendues avec qui j’ai travaillé

mais, Seigneur, elle est compliquée avec la nourriture. (Je lève unsourcil, et Allie esquisse un geste pour clarifier.) Ne t’inquiète pas, cen’estpasunedivaetellenecausejamaisd’ennuispendantlesséancesphoto,elleestjustevraimentcompliquéequand il s’agitdesonrégimealimentaire.

–Compliquédugenreàpéterlesplombs?– Borderline ? (Elle sourit.) Mais tu vois, c’est la raison pour

laquellejesuislà.(Sontéléphonetinte,ellepasseledoigtsurl’écran.)Je ne peux pas en dire autant de Seamus. Je m’occupe de Jamie,assure-toiqu’ilsecomportebienaujourd’hui.

– Seamus relève de la responsabilité d’Evelyn Abbey, pas de lamienne.

Jejetteuncoupd’œildiscretpourchercherEvilpar-dessusl’épauled’Allie,sanssavoirsijedevraisêtresatisfaitoudéçudenepaslavoir.

– Bonne chance, c’est tout ce que j’ai à lui dire. Il est tellementhabituéàcequ’onluipassedelapommadedepuislelancementdesachaîneYouTubequ’il ne supportepasqu’on luidisenon . Je sais quec’estlemaldenotreépoque,maisils’estlancésurlamêmeplate-formequecelleoùmafilledeneufanschargesesvidéosQu’ya-t-ildansmonsacàdos. Les gaminsd’aujourd’hui veulent être célèbres. Et quand tuleurdemandes«célèbrespourquoifaire?»ilss’avèrentincapablesderépondre. Savais-tu que pendant le premier shooting photo YouTubede Seamus, il a demandé sa propre lunette de toilettes et l’albumGraduation de Kanye en boucle, et quand il n’aime pas le choix descouleursduplateau,ilexpliquequ’ilreviendraquandonaurarepeint.(Allie jetteuncoupd’œildans lapièce.) Ilperdra lespédalesun jour,crois-moisurparole.

Jehochelatête,jeconnaistoutesceshistoiresetmêmepire.– Si tu as un avis aussi négatif sur lui, pourquoi as-tu encouragé

Jamieàacceptercerôle?Ellebaisselavoix.–ParcequeJamieabesoindecerôle,etencemomentSeamusest

en vogue. Qu’il paie cent dollars un réflexologue hipster pour luisoufflerde lafuméedemarijuanaauvisageetrééquilibrersesputainsdechakras, jem’en fous.Mais,aujourd’hui, ila intérêtà sepointer,àtenir ses engagements et à ne pas péter une durite. Et il feraitmieuxramenersafraisemaintenant.

J’éclatederire.– Je ne manquerai pas de faire part de tes impressions à ma

collègue.EtéloignecesraisinsdeJamie.–Aussitôtdit,aussitôtfait.(Allieverrouillesontéléphoneetleglisse

danssapoche.)Préviens-moiquandlephotographeseralà.

Je lui souris en réalisant que Jonah n’a toujours pas fait sonapparition.

–Biensûr.JemetourneetmanquerentrerdansEvie.Merde.–Oups,jen’avaispasvuquetum’épiais.–T’épier?(Elles’écarteavecunsourireamusé.)Oh,Carter.Tun’as

pasbesoindemoipourt’écouterparler.Commes’ils étaientdotésd’unpouvoirdedécisionautonome,mes

yeux la parcourent de haut en bas. Elle porte une robe-chemise sansmanches, les deux premiers boutons sont ouverts, découvrant sesomoplates et le haut de son décolleté. Je perdsmomentanémentmesmotsàcausedelavuedesesépaulesetdesapoitrine.Quandjecroisesonregard,ellegrimace.Jesaisquej’aiétéprisenflagrantdélit.

–Tun’aspasdeproblèmesdeboutonsaujourd’hui.–Tuvois ?Cen’étaitpas sidifficile.Tucommencesà comprendre

lessubtilitésdeceboulot,monvieux.Jemetournelorsqu’ellemepassedevant.Jem’écriedanssondos:–C’était simplementun choix entre les subtilités duboulot et une

absencetotaled’intérêt.Etl’absenced’intérêtagagné.Elle s’arrête et se tourne lentement dansma direction. Je sens la

sueur perler dans mon cou. Mon costume semble rétrécir encoredavantage. Instinctivement, je serre un peu plus le cookie dans mamain,mon téléphonedans l’autre,envoyant tousmes textos stupidesenvoyésàMichaelChristopherdéfilerdevantmesyeux.J’aipeurd’êtresitransparentquemespenséess’inscriventsurmonfront.

J’aipresquefourrémonnezdanslesseinsd’Eviedanssonbureau.Rappelle-moiquec’estlediable.Oui.Lediable.Rappelle-toi,Carter:c’estelleoutoi.–Ai-jeappuyélàoùçafaitmal?fais-je,nonchalant.

Elle contracte légèrement la mâchoire, si discrètement que cemouvement serait passé inaperçu pour quiconque n’aurait pasmémoriséchacundestraitsdesonvisage.

Saposturesedétendunpeu,sonexpressions’adoucit.–Commenttesens-tuaujourd’hui?Bien?Perplexe face à son changement de tactique, j’ai instinctivement

envie de protéger mes couilles. À la place, je me redresse et reculeimperceptiblement.

–Pourquoi?– Sans raison apparente. (Elle hausse les épaules.) Tu as l’air un

peu,jenesaispas…plusboudinéqued’ordinaire.Elleinsistesurlemotboudinéetj’ail’impressiondemebaladertout

nu.Sonregardinquisiteurm’effraie.Ellemeprendlecookiedesmains.– Es-tu déprimé ? (Elle le jette dans la poubelle et me sourit

tendrementenminaudant.)Carter,tun’aspasbesoindeça,crois-moi.Ilme fautuneminutepour comprendre làoùelle veutenvenir –

Commenttesens-tuaujourd’hui?Bien?Plusboudinéqued’ordinaire–etjecomprendssoudain:Evieafaitquelquechoseàmoncostume.

Je l’étranglerais sur-le-champ si j’avais une plus grande liberté demouvements dans cette veste étriquée. Je dois me contenter de laregarder s’éloigner dans le couloir d’un air triomphant, alors je sorsmon téléphone de ma poche, ouvre le post sauvegardé sur monnavigateuretappuiesur«soumettre».

Un…Deux…Elles’arrêtenetlorsquesontéléphonesonne.–EvelynAbbey.(Ellesetaitetfroncelessourcils.)Quoi?Non,ily

aerreur.Jenevendspasmavoiture.Jemebalanced’unpiedsurl’autre.Mamauvaisehumeurvientde

s’évaporer.– Non , répète-t-elle. Je vous l’ai dit, je ne vends pas… oui, c’est

mon numéro, mais je ne vends pas de voiture. Et encore moins à ce

prix.Elle raccroche, se tournepourpartir,mais son téléphone se remet

immédiatementàsonner.–Allô?…Non, ilyaerreur,quelqu’una juste…Non, jenevends

pas de voiture. Puis-je vous demander où vous avez trouvé cetteannonce?Craiglist…etTheTimes?(Ellesetournepourmedécocherun regardnoir.)Etquedisait l’annonce? (Silence.)TelsaModèleS…Milledollarsoumeilleureoffre?hurle-t-elleenraccrochant.C’esttoiquiasfaitça!

Àmontourdehausserlesépaules.–Faitquoi?Jenesavaispasquetuvendaistavoiture.Tantmieux

pour toi, tu pourras profiter des transports en commun de LosAngeles!

– C’est ça, Aaron, grogne-t-elle en revenant vers moi, un doigtmenaçant pointé dans ma direction. Plus de cadeaux, plus d’aide. Àpartirdemaintenant,tutedébrouillestoutseul.

–Tuesunpeunarcissique,non?Elle s’approche de moi et je sens son parfum. Ces effluves me

rendentnostalgiqueetm’étourdissentunpeu.– Fais ton job aujourd’hui, d’accord ? grince-t-elle. Assure-toi que

tonfrèrenefassepastoutfoireretqueJamieneralentissepasSeamus.

Aux alentours de 9 heures 30, Jonah n’a toujours pas fait sonentrée.À10heures,j’aifaitlescentpasavectantd’insistancequemesempreintes doivent être gravées sur le sol – j’ai peut-être aussi faitcraquerlescouturesdemaveste–quandilarriveenfin.

Enparlantautéléphone.Unetassedecaféàlamain,deslunettesnoiressurlenez.Evie,Dieumerci, se trouvedans levestiairedeSeamus,occupéeà

essayerdecalmerl’acteur.

–Qu’est-cequetufoutais,Jonah?(Jemarchedanssadirection.Letissucrisseentremescuissesàchaquepas.Froufroufrou.)Mercid’êtrepassénousvoir!

Illèvelesyeuxenbaissantunpeuseslunettes.–Détends-toi.Jerépète,furieux:–Détends-toi.(Jemetourneetpasseunemaindansmescheveux.

Les coutures de ma veste protestent.) Nous avons avancé l’heure durendez-vouspours’adapteràtonprogramme.

– Tu veux bien te calmer ? lance-t-il, visiblement agité. Monassistant a tout mis en place et j’ai déjà passé en revue la liste desphotosavecledirecteurartistique.Jevaisvérifierleslumièresetonvapouvoir commencer. À 11 heures, exactement comme c’était prévu.Fous-moiunpeulapaix.

Simon frère était doté d’une notice explicative, elle stipulerait :Adesproblèmesrelationnels.Àl’école,ilsebagarraitpresquetouslesjoursaveclesenfantsquisemoquaientdeluiàcausedel’appareilphotoquinelequittaitpas.Maintenantqu’ilestadulte,iln’enaplusrienàfairedecequelesgenspensentdelui.Tantqu’ilgagnedel’argent,toutvabien.C’estquelquechosequejen’aijamaispuconcevoir.Sonassistantle supporte,maiscequeJonahn’arrivepasàcomprendre,c’estqu’unjour, quelqu’un décidera qu’il n’en vaut plus le coup. Maintenant,l’équipe est en colère parce qu’ils ont dû attendre, les acteurs sontretournés dans leurs loges, plus ou moins furieux, les rédacteurs enchef tapent à toute allure sur leurs téléphones parce que lephotographe que j’ai demandé les met en retard et Evie, quand ellen’estpasoccupéeàaffirmerqu’ellenevendpassavoiture,promènesamouejetel’avaisbienditdepuisqu’elleestarrivéeà8heures30,sanslemoindresignedemonfrèreàl’horizon.

Dieumerci,j’aipostél’annoncecematin.LebonheurdevoirEvieàdeuxdoigtsdel’implosionestlaseulechosequim’aideàtenirlecoup.

Je suis dans le couloir à deux pas de la loge de Jamie quandj’entendsdescrisstridents.

–Quiaosémettreunraisindanscecookie!Jetoqueàlaporteentrouverteetpassematêteàl’intérieur.–Toutvabien?Jamie est en train de tenter théâtralement de se faire vomir au-

dessusd’unepoubelleetAlliesetientprèsd’elle,enluifrottantledos.–Ilyavaitunraisindanslecookie,meditAllieavantdesetourner

versJamie.Machérie,onauraittout intérêtàsecalmeravantquelesgensnecommencentàfairedescommentaires.Sijedoisdemanderauxmaquilleusesderetouchertonvisage,jevaisperdrelatête.

– Ce ne sont pas les cookies du service traiteur, n’est-ce pas ? jedemande en en prenant un pour l’examiner avant de me retourner.Nousavonstoutvérifié.Ondiraitquequelqu’unaajoutéunraisindanslecookie.Dansbeaucoupdecookies.Iln’yavaitpasderaisinscematin.

Jeregardeendirectiondelaporte.–Jerevienstoutdesuite.Jereposelecookieetcommenceàm’éloigneravantd’ajouter.– Allie, le photographe est arrivé. Peux-tu aider Jamie à se

préparer?Jesuisvraimentdésolé.–Carter,cesontdesraisins,pasdesamphétamines.Çaira.Jehochelatêteensouriantencoreunefoisd’unairnavréàJamie

avantdem’écarteretdefermerlaportederrièremoi.Jesuisfurax.Eviese trouveavecSeamuset sonassistantdanssa loge.Si j’avais

encoreundoutesursaculpabilité,ildisparaîtlorsquejelaregardeenface.Sesyeuxs’illuminent,ellesemetàrougir.

–Désolédevousinterrompre,jegrommelleenpassantlatêtedanslapièce.Evie?Jedoisteparler.

–Désolée,Carter,noussommesoccupés.Elledétourneleregardd’unairnonchalant.– Malheureusement, ça ne peut pas attendre. Vous voulez bien

nousexcuseruneminute,lesgars?

Avec un calme qui me surprend, j’attrape Evie par le bras et lapoussedansunpetitcouloirpuisdanslestudiod’enregistrementpourlemixageson,videendehorsdequelquescâbles,denéonsfluorescentsdans un coin et de l’équipement au fond de la pièce. Mon pantaloncrissependanttoutletrajet.

– C’est quoi ce bruit ? demande-t-elle avec un sourire, mais jel’ignore.

Mamaintrembletantjesuishorsdemoi.Horsdemoi…etexcité.Trèsexcité.Monpantalonesthyperserré.–Tuesimpossible,putain!– Qu’est-ce que tu fais ? dit-elle. Nous sommes sur le point de

commencerlesessaislumière.Laportese fermederrièrenous. Iln’yaquasimentpasde lumière

ici.Eviedégagesonbras.–Nousn’avonspasletempspourça.–Onpeutprendrecinqminutespourparler,putain.–Alorsvas-y,parle.–Voilàoùnousensommesarrivés?Allons-nouscontinuerànous

rendrelavieimpossible?–Oh,jesuisdésolée…(Elleplantesespoingssurseshanches.)J’ai

dumalà écouter tespleurnicheries après les soixante-quinze coups defildegensintéressésparl’achatd’uneTeslaimaginaire.

–T’ai-jejouéletourdel’autobronzantpourmevengerdetoietdetonplan sans caféineaubureau?Ouais.Est-ceque je regrette ?BonDieu, non. J’entends encore ton grognement frustré à l’autre bout ducouloir.

Elleavanceversmoi,arrogante.–Çadoit êtredurpourun typehabituéàplaireà tout lemonde.

Tu as tellement besoin de l’approbation des autres que c’en estpathétique…

–Çadoitêtreunepremièrepour toi,n’est-cepas?(Jemepencheenavant.)Prêterattentionàcequelesgenspensent?

–Jen’aipasbesoind’êtrelameilleureamiedetoutlemondepourbosser.

–Nicelledepersonne,d’ailleurs.Sonvisageestsiprochedemoi,sesyeuxlancentdeséclairs.– Va-t-on encore reparler de ça ? (Elle secoue la tête.) Carter,

regardelasituationdemonpointdevue.Personnenedemandejamaisàunhommed’êtresympaautravailpourgravirleséchelons.

J’ouvre la bouche pour répondre, puis la referme. Evie s’approcheencoreplus,elleestsiprèsdemoiqu’elledoitinclinerlatêtepourmeregarder. Nous pourrions nous enlacer. Je dois user de toutes mesforcespournepascontemplersoncorpsdanscetterobe.

–J’aiessayéd’êtresympa,Carter,etmevoilàobligéedemebattrepourgardermonboulot,un jobpour lequel jesuisplusquequalifiée,pour être honnête. Tu es peut-être celui que tout lemonde apprécie,mais je suis la personne qui soulève des montagnes. Alors, reste endehorsdemonchemin.

Ses mots résonnent dans la petite pièce silencieuse, et je suisabasourdi.LavéritédecequeStephaditsurlaconditiondesfemmesdanscemilieumerevientenpleinefaceetlepoidsdelaculpabilitémesubmerge,cequiestrisibleparceque ladernièrechosequ’Evieattenddemoi,c’estdelapitié.

–Bien.Ellenes’attendaitclairementpasàcetteréponse.–Bien?J’acquiesce.– Ouais. (Je m’éloigne de quelques pas pour m’appuyer contre le

mur.J’aibesoind’unpeudedistance.)Tuesbonnedanscequetufais.Moi aussi. Depuis le début, nous sommes d’accord sur le fait que cen’estpasleproblème.Bradalancécettecompétitiondemerde,etnousnous sommes fait avoir. Je ne savais pas que ça deviendrait unaffrontement sexiste, et je déteste ça. Vraiment. (J’avance à nouveauverselle.)Maistuprétendsquelesystèmenulàchierdevirilitétoxique

est laraisonpour laquelletutecomportessimalavecmoi, alorsquetu ne supportes simplement pas que les choses aient changé entrenous.

Ellenerépondpas,jemepencheenavant.– Alors, voilà le truc, Evie : si nous fonçons tête baissée, si nous

bossonscommeil lefautetsinousnousarrangeonspournepasnouscroiser,alorsnouspourronsêtredesimplescollègues.

Ellehausselesépaulesd’unairagressif.–OK.Çamesembleunebonneidée.–Collègues.C’esttout.Sesépaules s’affaissentunpeu lorsqu’elle comprendoù jeveuxen

venir.Moncœurbatsifortquej’ai l’impressionquemescôtessontsurle point de se briser. Je retire ma veste de costume pour relâcherl’emprise du vêtement sur moi. Evie m’observe retirer ma veste et lalaisser tomber à côté de nous, l’air fascinée, puis elle me regarde ànouveaudanslesyeux.

–Onsecroisedanslecouloir,onbavarde,ons’envoiedesmailsdeboulot. Et tout se passera bien. Tu n’as peut-être pas appréciél’explosiondespaillettesdans tavoiture,maisaumoins, tusavaisquejepensaisàtoiquandj’aitoutorganisé.(Jemetaispourdéglutir.)Aumoinsmaintenant,tusaisquejenepeuxpascesserdepenseràtoi.

Je n’arrive pas à croire que je viens de prononcer ces mots. Et jen’arrive pas à croire que je viens seulement de m’en rendre comptemaintenant. Sommes-nous vraiment à ce point immatures ? Seigneur,ondiraitbienqueoui.Aveccetaveu,lacagedanslaquellesetrouvaitmapoitrines’ouvre,jelaisseéchapperunlongsoupir.

–Voilà,dis-jecalmement,c’estmonaveuthéâtraldelajournée.Je m’attends à ce qu’Evie ricane, victorieuse, ou que s’ensuive un

silence gêné et abasourdi. Je ne pourrais donc pas être plus surprislorsqu’ellem’attireàelle,glisseunemaindansmescheveuxetposesabouchesurlamienne.

Je suis immédiatement, complètement , partant. Elle mordille malèvreinférieure,lasucejusteassezfortpourmettrelefeuauxpoudres.Je plaque mes hanches contre les siennes, et le soupir qu’elle laisseéchapperm’enflammecomplètement.

Jesuisenfeu.–Nousn’avonspasletemps.Elle murmure ces mots contre mes lèvres tout en montant sur la

pointedespiedsetenseplaquantcontremoi.Ellem’attrape lamain,pourquejelatouche.

Nousn’avonspas le temps.Samainestcommeunepinceautourdemon poignet, elle l’attire sur sa poitrine, sous sa robe, sur sa cuisse.Contre ma bouche, ses lèvres me semblent être une expériencespirituelle,elleparaîtsiexcitéequejenedoispasêtreleseulàpensertoutletempsausexe.

Mes doigts trouvent la dentelle de sa culotte, se glissent dessous.Ellehalète.Jelisdanssespensées:caresse-moi,fais-moijouir,vite.

Je ris d’excitation, ravi de sentir que je n’ai rien oublié d’elle. Soncorps, lamanièredontelle s’agite contremamain.C’est seulement ladeuxième fois que je la touche,mais nous voilà à nouveau connectés.Sa main glisse sur mon pantalon – qui est devenu un instrument detorture–,ellegloussedansmabouche.

– Je suis désolée, murmure-t-elle entre deux respirationsentrecoupées.

Jemefousdemonputaindecostume.Jemefousmêmedesamainqui relâche la pression et glisse dansmon dos. Ellem’attrape par lescheveux. Son cou est chaud, je sens son pouls sous mes dents.J’aimerais la mordre pour qu’elle jouisse et sorte du local avec unemarque,maisjeveuxaussiqu’ellequittecettepiècerassérénéeetquelefaitqu’elleait joui sousmesdoigts tout en s’agrippantàmesépaules,dansungémissementdiscret,soitnotrepetitsecret.

Après l’orgasme, je ralentis le rythmemaisn’éloignepasmamain.Eviealesyeuxfermés,levisagetournéversleplafond.Jelatienspar

mon bras libre, l’empêche pratiquement de s’effondrer et j’ai soudainl’impressionqu’elleestaussifragilequejesuisfort.

C’est ce que j’aime chez elle. J’aime la sentir sur des charbonsardents,prêteàriposter.

–Nousn’avonspasletemps,répète-t-elle.–Ehbien…Ellelèvelatêteetmeregardedesesyeuxunpeufous:–Ehbien.Evies’écarteetjeretiremamaindesaculotte,pourlalaisserpartir.

Elle vérifie les boutons de sa robe, la lisse, passe une main dans sescheveux.Jeramassemavesteàregret.

–Merci.Etpuisellesemordleslèvres.J’éclatederire,ellesemetàsourire.–Jet’enprie.Etmaintenant,onfaitquoi?Elleouvrelabouchepourparler,maisonfrappeàlaporteetnous

sursautonstouslesdeux,effrayés.–Carter!Jemefrappelapoitrine.Cen’estqueJonah,maisjeviensdeperdre

troisansd’espérancedevie.Jemepenchepourouvrirlaporte.Leslumièresducouloirentrent

danslapièce,jeplisselesyeuxdanssadirection.Ilprendunephotorapidedelascènedevantlui.–Noussommesentraindeprendredesphotossurécranvertavant

demettreenplaceledécor.(Ilafficheunpetitsourire.)Jepensaisquevousauriezenvied’êtreprésentstouslesdeux.

Jeluidemande:–Toutvabien?–Tupensesquejesuisunidiotfini?Je le dévisage en silence. Jonah lève les yeux au ciel et jette un

coupd’œilàEvie,derrièremoi.–Tudoisêtrelafem-meuhquilerendfou.

–Tudoisêtrelefrè-reuhinsupportable.Ilsourit,ravi.–L’amourdeCarterressemblepasmalàdelahaine,n’est-cepas?Evie éclate de son grand rire génial, et je me penche pour lui

donnerunepichenette.–Commentas-tudevinéqu’onétaitici?Jonah tourne les talons en riant et s’éloigne dans le couloir. Il

lance,par-dessussonépaule:–C’estl’endroitoùtoutlemondebaisedanscestudio.

Chapitre19Evie

Lesréunionsdulundimatinvontcommenceràposerproblème.

Carterestassisen facedemoi,penchésurune feuilledecalcul,àcôté d’Aimée. Non seulement j’ai le temps de remarquer que sescheveux sont un peu décoiffés sur son front, mais aussi qu’il les acoupés sur les côtéset…Cettevuemeplaît.Aujourd’hui, ilporteunechemise bleu pâle et je ne sais pas s’il l’a fait exprès, mais les deuxboutons du haut sont ouverts, m’offrant une vue imprenable sur sespectoraux.Malheureusement, je ne peux plus vraiment lui en vouloirpour le Désastre-de-la-Blouse-d’Evie-de-Fin-Octobre, parce qu’il esthorsdequestiondeluidirequejevoissesclavicules.Jenevoudraispasqu’il les recouvre. Il a remonté sesmanches, exhibe ses avant-bras etfait maintenant un truc fascinant : faire tourner son stylo entre sesdoigts.

D’avantenarrière.D’avantenarrière.Ilm’afaitjouiraveccesdoigts.D’avantenarrière.Mapoitrineseserre,maintenantquejeréaliseàquelpointjerougis

etàquelpointjem’emballe.Parcequequisaitcequ’ilyaentrenous?Nousn’avonspasreparlédecequis’estpassévendredi.

Quand Jonah nous a surpris, nous avons quitté le studiod’enregistrement en silence. Nous avons marché dans le couloir etcomprisquenousne servionsà rien : Jonahet sonéquipegéraient laséance photo d’une main de maître, et nous avons terminé pile àl’heure.

Après un échange de regards étonnés, Carter est retourné à savoiture,moiàlamienne,etnoussommespartischacundenotrecôté.Il nem’a pas appelée, je ne l’ai pas appelé et nous ne nous sommesplusregardésdans lesyeuxdepuis.Mais,heureusement,nousn’avonspasreprisnotresabotagepuéril.Ohnon.Jemeradoucisànouveauenpensantà lui, cequinepeutvouloirdirequ’unechose : j’aibaissé lesarmes. Il serait probablement plus sage de faire la liste de toutes lesmanièresdontilm’aoffensée,auniveaupersonneletprofessionnel.

1.Ilestbeaucouptropsexypouruncollègue.2. Ilne sait clairementpasboutonner ses chemises .Effacécarhypocrite.3.Il

Jelèvelesyeuxetfixed’unregardvidelesdoigtsquifonttournerlestylod’avantenarrière.

Jecontinuerailalisteplustard.JesuisaussilégèrementirritéeparKylie,etjem’enveuxparceque

je déteste le cliché des deux filles qui s’affrontent pour séduire ungarçon. Elle est assise en bout de table, près de l’accoudoir de Brad.Elleattendcommenoustousquelebossapparaisse,maisellen’essaiemêmepasdefairepreuvedediscrétionenjetantdesœilladesàCarter.Qu’elle entretienne ou non une liaison avec Brad, elle a clairementenviedecoucheravecCarter.Jesuis100%contreceplan,parceque,juste avant que je mette le feu à son pantalon trop serré, j’aimeraiscoucheraveclui.

Çam’aideraitpeut-êtreàl’oublier.–Comments’estpasséelaséancephotopourVanityFair?demande

Bradenentrantdanslasalle.Carteretmoisursautons.Nousnousexclamonsàl’unisson:–Super-bien!Bradplisselesyeux,etCartersourit.–Ças’estpassésansanicroche.J’acquiesce.–Aucunproblème.–Etpasdemalaise,ajouteCarterens’efforçantdenepassourire.Je fixe la table en me retenant d’éclater de rire. Le frisson

euphorique provoqué par l’allusion de Carter à notre petit jeu devendredi me donne envie de sauter sur la table et de commencer àregarderlachaîneYouTubedelarappeuseblackMissyElliott.

Ducoindel’œil,jevoisBradseredresser:–Ahouais?– Ils ont pris toutes les photos dont ils avaient besoin. Tout le

mondeétaitcontent,préciseCarter.–Pourmapart,j’étaistotalementsatisfaite.Cartertousse,etunsilencelourdenvahitlasalle.Glacial,Bradplisselesyeuxetnousscrutel’unaprèsl’autre,Carter

et moi, au moment où nous faisons un effort pour ne pas nousregarder.

–J’ailoupéquelquechose?–Rien,répondons-nousenchœur.–Jen’aipasenvied’ensavoirplus.BradsetourneversAshton.Lesautressedandinentd’unairgênésurleursiège,avecl’airdese

demandercequ’ilsontraté.Personnenes’intéresseàlaséancephoto,ces événements s’accompagnent toujours d’une dose raisonnable dedrames,maislesagentssontrarementencause.Noscollèguesontl’airde cochons à la recherche de truffes. Ils sont morts de curiosité ou

convaincus qu’ils savent quelque chose, mais personne ne sembleindifférent.Pasdanscemilieu.

Jejetteuncoupd’œilàKyliequifait lamouetoutencontemplantCarter.Ilsemblevoirlamêmechosequemoi,il ladévisageuninstantavantdereportersonattentionsursontéléphone.

Etjevoisqu’ilmeglisseunregardencoin,lesyeuxbrillants.– Ashton, dit Brad. As-tu des nouvelles de Joe Tierney chez

Paramount?– Il a été transféré chez DreamWorks la semaine dernière, fais-je

d’unairabsent,endétournantleregarddeCarter.Lesilencesefait.Unerèglenonécritestipulequ’onnepeutpascorrigersonboss.Ou

ondoitlefairebeaucoupplussubtilementqueça.Bradestlechefdelameute.Bradest lepremierà tout savoir.C’est la règle, commentai-jepul’oublier?

–Non. Je ne crois pas, dit Brad en baissant ses lunettes pourmefusillerduregard.Ilyrestejusqu’enmars.

Jegrimaceensecouant la têteetenm’enjoignantmentalementdelafermer.Ladernièrechosedontj’aibesoin,c’estdedonneruneautreraisonàBraddemedétester.J’ajoute:

–Ilestpartiplustôtqueprévu.Soncontrataétéécourté.J’essaie d’alléger l’ambiance avec un petit sourire mais Brad me

dévisagesanscillerpendantplusieurssecondes,totalementsilencieux.–Soncontrataété rompu.Quelle idée intéressante ! (La salleest

aussi silencieuse que grave.) Merci pour la clarification, dit-il enclignantdesyeuxendirectiondesesnotesetenygriffonnantquelquechose.

Mabonnehumeurs’évanouit.Qu’ai-jefait?

En dépit de notre flirt lors de la réunion de lundi, le reste de lasemaine, Carter et moi avons la tête dans le guidon, nous bossons

commedesfous.C’estlafindel’année,lemomentoùnousluttonstouspour finaliser les derniers contrats avant qu’Hollywood ne s’endormependantunmois,auxalentoursdeNoël.Ondiraitquechaquefoisquejesuisaubureau,Carterestenrendez-vousextérieur.Onnesecroisemêmeplusdanslescouloirsnisurleparking.

Pour être honnête, c’est mieux comme ça. Ce moment d’abandoninattendu,vendredidernier,nechange rienau fond, commeBradmel’aélégamment rappelé lundi.Quand j’y repense, j’ai raté ledébutdelaséancephotoparcequeCartermedonnaitduplaisiretj’aiperduunpeu de mon intégrité professionnelle en jouant sur les mots avec luidevanttoutledépartementLongs-Métrages.Sansparlerdenotrepetitjeudesabotage.Dieumerci,nousnoussommesarrêtésavantdeperdreunclient,oupireencore.

Je n’ai jamais fait passer un homme avant ma carrière. Certes,l’impact de cette décision me revient parfois à l’esprit : si vousprivilégiez toujours votre carrière, vous finirez par ne plus avoir quevotre carrière.Malheureusement,dans le casprésent, c’étaitmonmecoumonjob.

Vendredi après-midi, tout le monde se prépare pour la réceptionquivasuivre.Touslesans,ennovembre,Bradorganiseunesoiréechezlui.Cetteannée,lesfestivitéssontprévuespourcesoir,cequiajouteunpeu de peps à l’atmosphère générale. Dans le couloir, l’ambiance estdétendue, voire euphorique. Je perçois l’enthousiasme qui règne, lesoulagement face à la perspective de s’amuser et d’oublier lesrevirements de ces derniers mois. Malheureusement, il faut que jerappelle encore sept personnes et parcoure trois contrats avant depouvoirpartiretmejoindreauxréjouissances.

Après avoir fermé ma porte, j’appuie sur la barre d’espace pourrallumermonécrand’ordinateurettented’étoufferungrognementenvoyant les soixante-quinze nouveaux mails que j’ai reçus en moinsd’uneheure.

Uncoupdiscretretentit,etCarterpassesatêtedansl’embrasuredelaporte.

Moncœursemetàbattreplusfort,monventreseserre,unfrissonmeparcourtl’entrejambe.Ilm’aplusmanquécettesemainequejesuisprêteàl’admettre.

–Noussommestouslà,ensemble…Ilinclinelatêteetm’adresseunsourirehésitant.Jepréféreraisqu’ils’asseyeetqu’il…resteavecmoi.–Entre.Ils’exécuteenrefermantpresquelaportederrièrelui.Ilparcourtmonbureauduregardpendantquelquesinstants.–Commentvas-tu?–Bien.(J’ail’impressionqu’ilperçoitlaforcedesbattementsdemon

cœuràcettedistance.)Commentvas-tu?Carterhochelatête.–Bien.Tuvienstejoindreànous?–J’étaisenrendez-vousclienttoutel’après-midi,ilfautquejerègle

quelquesdétailsavantdepartir.–Tuveuxquejet’apporteunebière?Commepourme rappeler à quoi je vaisme confronter, la voix de

Brad retentit dans le couloir. Je grimace. La dernière chose dont j’aienvie, c’estd’êtreavecMonsieurEspritd’Équipequand je suis stresséeetquemato-dolistestaussigrandequel’ÉtatdeCalifornie.

–Çaira.Merci.Cartersoupireenjetantuncoupd’œilendirectiondelaporte.–D’accord.Ilserrelesdents.Mêmeirrité,ilestsuperbe.Attendez.Pourquoiest-ilirrité?–D’accord?(Jerépète,enimitantsontondevoix.)Quesepasse-t-

il?Ilmeregarde,etsonexpressions’adoucitunpeu.–Toutlemondeaterminésajournée.Maistoi,non.

– Je travaille, lui dis-je doucement. (Je suis surprise et heureusequ’il veuille que je sois avec lui,mais la sollicitude semble avoir laisséplaceàlacolère.)Jesuissousl’eau.

Çasemblel’irriterencoreplus.–Noussommestoussousl’eau.Maissituvenaisaveclesautres,tu

ne te sentirais peut-être pas aussi isolée. J’essaie de t’aider , Evie.Seigneur…

Jetentedemeconcentrersurmonécransanssuccès.Unetristessesourde me submerge quand je l’entends sortir de mon bureau pourprendrepartaudébutdesfestivités.

Jesuistentéedelesuivre,dem’énervercontrelui,maisunepetitevoixdansunrecoindemonespritm’intimedenepasnégligerletravailsi je veux resterdans le coup.Si jeme relâcheun instant, jeme feraidistancer.

La voie d’accès à la maison de Brad, bordée de petits lampionsscintillants,mesureprèsd’unkilomètre.Jesuisdéjàvenue.Uneannée,sa femme, qui est cadre chez Warner Bros., avait organisé uneréceptionpourunfilmdanslequell’undemesclientsjouait.Cesoir-là,malgré le champagne, les hors-d’œuvre et la musique live, j’avais vuBrads’isoleraveclacopinedemonacteur.

Brad a croisé mon regard quand il est sorti des toilettes et adescendu l’escalier. Il a tout de suite compris que je l’avais pris enflagrantdélit. Ils’agitde l’unedeschosescompromettantesque jesaissurlui,mêmesijen’enaijamaisparléàpersonne.

Règle numéro un : ne pas s’investir ni s’impliquer dans les viesprivéesdesesacteursoudesonpatron.

LespneusdemaPriuscrissentsurlegravier,et jem’arrêtedevantlamaison avant de tendre les clés au voiturier en le remerciant d’unsourire.

Des souvenirsde soirées,de trahisons etde la foliepure et simplequi régit les relations personnelles dans cette ville affleurent à monesprit quand j’entre par la porte d’entrée. En comparaison, mesproblèmes avec Carter sont insignifiants. L’équivalent de bataillesd’oreillersaubureau,quinousontpermisdegrandirunpeuetdenouscalmer.Mêmequandjefaismoncinéma–c’estlecasdeledire–,jelefaisdiscrètement.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est que je ne vois pas comment çapourrait s’arranger. Nous sommes tous les deux sur des charbonsardentset le termedenoscontratsapprochedangereusement.Perdrecepostemedévasterait,c’estuneévidence,maiscen’estpascommesij’allaisme réjouirnonplus siCarterétait licencié. J’appréciepeut-êtredeleregardersouffrir,maisjeneveuxpasqu’ilsoitmalheureux.

Parce qu’il te plaît, souffle la voix dans mon esprit. Il te plaîtvraimentbeaucoup.

Moncerveauestunconnard.La femme de Brad, Maxine, m’accueille dans l’entrée, prendmon

manteau et m’explique où trouver l’alcool et, avec beaucoup moinsd’emphase,lanourriture.Jem’efforcedenejamaisêtreponctuelleàcegenred’événement,mais jeteruncoupd’œilauxalentoursm’apprendquejesuisl’unedesdernièresàarriver.

Je cherche mes bouées de sauvetage du regard, Amélia enl’occurrence,quirépondparfoisprésenteàcesévénementsmondains.Iln’y a que cinquante personnes, mais le brouhaha des conversationsdonne l’impressionque l’espaceest saturé.Commed’habitude,Maxinea engagé un groupe pour donner un concert et a choisi le meilleurtraiteurdelaville.Leserviceestimpeccable.Lesflûtesdechampagnecirculentsansarrêtparmilesinvités,lafêtebatsonplein.Lesalonestimmense, il se trouve en face d’un jardin disposant d’une vueimprenable sur les collines d’Hollywood. Trois baies vitrées sontouvertes dans la nuit, mais des chauffages d’extérieur sont placésdehorspouréviterquelesinvitésaientfroid.

C’est magnifique. Tout est vraiment superbe. En de pareillesoccasions,j’aiconsciencedemachanceetdesaspectspositifsdecejob.C’estunmondedeprivilègesetd’excèset,chaquefoisque jeréaliseàquel point tout est facile pour nous, je me rends compte que je nedevrais pas me plaindre à cause des quelques connards qui existentmalgrétoutdanscemilieu.Lamajoritédes invitéssontdesgensbien.L’univers du cinéma n’est pas un jardin d’enfants, mais, malgré lesapparences, les agents ne sont pas desmonstres. Seuls le doute et laconcurrencenousdressentlesunscontrelesautres.Riend’autre.

Jedevraislesavoirdepuisletemps.Aucune trace d’Amélia. Je repère Carter parlant avec Brad de

l’autrecôtédelapièce,prèsdesportesouvertes.Jesaisqu’ilagrandiàNewYorketmedemandecequ’ilpensedesnatifsdeLosAngelesquifrissonnentquand la températurepasseendessousdedix-huitdegrésetportentdesmanteauxdefourrurepourallerdîner.Jemedemandeaussicequ’il ressentà l’occasiondecettecélébration, sanssesancienscollègues,danscettenouvelleentreprise.Laréorganisationaétélente,maislapremièrephasevientdeseterminer;lamajoritédescoupesontétéfaitesducôtédeCTM.

Ils’estchangéetaenfiléunechemisebleusaphir,qu’ilarouléesurses avant-bras. Une partie de son corps que j’ai envie de lécher oud’amputerselonlesmoments.

Je déteste l’idée que tout cela était inévitable. Je sens la tensionmonter entre nous quand il lève les yeux etme voitmarcher dans sadirection.Monventreseserre.

Sonexpressiontrahitsajoiedemevoirici,puiss’assombrit,etilseconcentre sur sa conversation avec Brad. Je n’ai pas songé un seulinstantquej’allais interrompreuneconversationprivéeentreCarteretleboss…parcequecen’étaitnullementmonintentionetqueBradnem’intéresse pas. Tout ce quim’intéresse, c’est parler avecCarter. Biensûr,ilnepeutpasledeviner.

Maisl’hésitationdanssonexpressionmefaithésiter,etj’esquisseundétour en direction du plateau de verres de vin. J’en attrape un, jesalueplusieurscollèguesetadmire l’immensesapindeNoëlde l’autrecôtédelapièce.

Chaque ornement est doré, les petites comme les grosses boules ;des chevaux, des traîneaux, des flocons de neige complètent ladécoration.Lesapinscintilledanslalumièredelapièce.

LavoixdeBradmeparvient.Ilfautcroirequ’ilnesaitpasparleràvoixbasse.

–Donc,tuestoujourspartant?–UntripgolfàVegas?demandeCarter.C’estlerêve.–Tuasde lasuitedans les idées.Avectoidans l’équipe,onneva

pass’ennuyer.UnséjourentremecsàVegas?Je lève les yeux au ciel et avance dans leur direction. Les choses

sont assez tendues comme ça et je sais que je devrais laisser tomber,maisj’ensuisincapable.

–Salutlesmecs!–Evie ! coasseBrad en se penchant pourm’embrasser sur la joue

commeilneleferaitjamaisaubureau.Carternem’embrassepassurlajoue,maisilmegratified’undemi-

sourire.–Salut,Evie.JeluirendssonsourireavantdemetournerversBrad.–Jeviensd’entendrevotreconversation,unvoyageentrecollègues

àVegas?Cool!Mon expression de bluff est bien en place. Je préférerais ne pas y

être forcée,mais je suis incapable de baisser la garde. Je suis prête àparier une grande partie de mon salaire qu’il ne l’a mentionné ni àRose, ni àAimée, ni au reste des filles. Les seuls vagins qu’ils veulentfréquenter dans ce voyage sont ceux qui se trémousseront à quelquescentimètresdeleursvisagesdanslesclubsdestrip-tease.

–Ouais, répondBrad, l’air légèrementdéçu,mais le cachantbien.(Ilestfortàcejeu-là,luiaussi.)Çatetente?

–Quandest-ce,déjà?Je lui souris en lui laissant l’opportunité de sauver la face et de

prétendrequ’ilm’avaitdéjàproposédevenir.–Lapremièresemainedemars.Ilsedandined’unpiedsurl’autre.Ildevaitsupposerquelesagents

desexe fémininquin’ontpasété invitésneseraientpas intéresséspardespartiesdegolfavecgueuledeboisàLasVegas.Enbonus?Nousserons à Los Angeles pour régler les problèmes qui se présenteront.Pour ceux dont les contrats seront renouvelés, en tout cas… et moncontratsetermineenfévrier.

CeluideCarterseracaducenmars.Intéressant.–Çadevraitlefairepourmoi.Je souris à Carter dont l’expression me dit qu’il a deviné que les

damesn’étaientpasconviées.J’aimeraisluifaireuncâlinpourluiprouvermareconnaissance.Ila

enfinprisconsciencedusexismedeBrad,maisilmériteraitaussiquejelui chantonne à l’oreille :Bien sûr que Brad n’a invité aucune de « sesfilles»,monchéri.

–Super!s’exclameBradenarrêtantunserveurpourluidemanderunwhisky sec. Au fait, j’ai pensé à toi. L’un demes amis produit unpodcastlocalquis’appelleYeah,HereToday.Tuenasentenduparler?

Jesecouelatête.–Non.–Ehbien,ilfaitunesériesurlesaccidentsdecarrièreetjeluiaidit

quetupourraisêtreuneexcellenteinvitée.Carter grimace ostensiblement. Il rougit, gêné. Pour ma part,

j’espèrequelesangnememonterapasauxjoues.Jemeforceàsourire.–Pourquoipas?

– Super, super, s’exclame-t-il en attrapant son verre. Je vousmettrai en contact. Tu te prends des coups, mais même au centièmedessous, tu arrives toujours à refaire surface. C’est ce que j’aime cheztoi,mavieille.Unplaisirdeparleravectoi,Carter.

Etsurcesmots,ilnoustapotetouslesdeuxl’épauleets’éloigne.Carter semble furieux. Son regardmemet dans tousmes états, il

me dévisage calmement de ses yeux verts d’une franchise sans faille.Êtreiciaveclui,danscecadremêlantletravailetleplaisir,estàlafoisagréableetdangereux.Nousformonsuneéquipesoudée:NouscontreEux.

Jenepeuxpasluirésisterquandilmeregardeainsi.Ilestsuperbe.Ses lèvres sont humides de bière, ses yeux pétillent, comme s’il étaitcapable de lire dans mes pensées les plus profondes et qu’il s’enamusaitbeaucoup.

J’aimerais bien parvenir à être comme lui, et je réalise soudain àquelpoint cen’estpasnaturelpourmoi. J’ai toujoursétébonnedanscequejefaisais,maisCarterestdécontracté,etjenepeuxpasimitersanonchalance. Il semble simplement… bien dans sa peau, dans sonesprit.Jedoistravaillerduravecchaqueclient,chaquecontrat,chaqueseconde pour garder la tête hors de l’eau. J’apprécie de pouvoir lerendrefouparfois,maisçanepeutplusdurer.

Pourtant…jesemblel’atteindreentantquepersonne.Je me mords les lèvres en envisageant la possibilité que Carter

puisseêtrepeut-être,luiaussi,unpeuobsédéparmoi.–Ondiraitquetuasl’espritailleurs.–Ahoui?Ilhausselesépaulesets’approche.–Ondiraitquetuhésitesentrem’embrasseretmefrapper.Cetteréponsed’unefranchiseimplacablemebouleverse,j’aidumal

àrespirer.–C’estuneluttequotidienne.Ilsembleravi.

–Vraiment? Jeplaisantais.Endehorsdevendredi, jepensaisqueturêvaisdemerouerdecoups,touslesjours.

–Oui,j’avaisunpeucetteidéederrièrelatête.–Siçapeut t’aiderà tesentirmieux, jevis lamêmechose.(Ilboit

unegorgéedebière.)Hélas,jepenchepluspourlesbaisers.Jedéglutisenm’efforçantdenepas luimontrermon trouble.Mes

épaules se contractent, je porte mon verre à mes lèvres pour fairepasserceréflexepourunfrissonàcausedufroid.

–Devrions-nousenparler?demande-t-ilcalmement.J’ouvre la bouchepour direoui, assurément,mais pas ici lorsqu’un

brasmincepasseautourdemataille.Jesursaute,Roseapparaîtàcôtédemoi,exhalantuneforteodeurdetequila.

–Evie!–Salut,Rose.Jesourislorsqu’elledéposeunbaisermouillésurmajoue.Aimée arrive sur ses talons, j’ai la sensation qu’elle surveille la

consommationd’alcooldeRose.–Salut,lesamis!Roses’approcheunpeuplus.–Tuesjustegéniaaaaale.Le mot s’étire, je sens le citron et la tequila dans son haleine

chaude.J’éclatederireenm’écartantdélicatement.–Oh,merci.–Non,vraiment.Tuesmonhéroïne.Je lève lesyeuxversCarteret ravaleunéclatde rire lorsque je lis

l’amusement sur son visage. Pour une fois, il ne semble pas ennuyéd’entendrequelqu’unmefaireuncompliment.

–Justetonhéroïne?demandeCarterenriant.–Monhérostoutcourt…– Rose s’est vraiment beaucoup amusée ce soir, renchérit Aimée

avecunsourireetunhochementdetête.Rose,machérie?Es-tuprête

àpartir?Jepeuxtedéposersurlaroute.Rose fait signe que non et regarde Carter très longuement, l’air

encoreplusivre.–Salut,Carter.Ilrit,sesjouesvirentaurougepivoine.–Salut,Rose.Ilglisseunemaindanssapocheetmeregardeànouveau.Quelque

chosesetendenmoi,jemesenscommedansuncarcan.Sonattentionestuneaffirmationclairedelaraisonpourlaquelleilestici…etdecequ’ilpense.

Jesuisfascinéeparceregard.–Evie,mechuchoteRoseà l’oreille, et je frissonneà causede son

haleinemouilléedansmoncou.Peut-onêtredessœursesquimaudes?La question me fait l’effet d’une douche glacée, et je m’écarte en

secouantlatête.–Jenevoispasvraimentcequeçaaàvoiravecmoi.Je lève les yeux versCarter sans savoir s’il l’a entendue. J’ai envie

d’ôter le verre desmains de Rose, de l’asseoir sur un canapé où ellepourrasedétendre,respirer,peut-êtredessoûler.

Quandjemetourne,jeheurtelapoitrinedeBrad.–JevoisqueRoseenestdéjààsacinquièmemargarita,ironise-t-il

avecunpetitrireentreréprimandeetfierté.– Quatrième, réplique Rose avant d’ajouter : Mais elles sont très

chargées.Sanspréambule,Bradlèvelementonverselleetluidemande:–Tuvastrouvertavitessedecroisière,Rosie.Monvisagevireàl’écarlatelorsquej’entendsleRosiepaternelet le

douteémissursesperformancesprofessionnelles.Enpleincocktail.Roserougit,elleaussietrépond:–Ohouais,Q3n’étaitqu’unaccroc.Elle regardeailleurs,endirectiondesportes, sirotesonverrealors

quelesilencesefaitentrenous.

–Eh bien, ça nem’a pas semblé être un accroc, continue Brad enrevenantàsamarotte.Lerestedel’équipesignedescontratsàdroiteàgauche. Ashton en a décroché trois cemois-ci. Carter a dégoté à JettPayneunrôlerécurrentdansunesérieNetflixetunpremierrôledansunfilmdeRidleyScott.Evies’occupedeSarahHillquivitsaplusbelleannéeet fait fureurparmi les adolescents. Jepenseque tu vasdevoiressayerdetrouvertaplacedanscetéchiquier.

– Si j’y arrive, dit Rose. (Je souhaiterais disparaître.) Parfois,j’observequelqu’uncommeEvieet jemedemande si je suis faitepourcejob.Biensûr,j’adoremonjob,d’accord?Mais…

Carter et moi nous jetons un coup d’œil avant de détournerrapidement le regard. Entendre ces mots nous fait mal au cœur. J’aienviededireàRosedesetaire.J’aimeraisluifairecomprendrequ’elleestalléetroploin,qu’ils’agitd’uneconversationprivée,qu’ellepourraitavoir avecmoi ou quelqu’unde compatissant,mais pas ici. Sept jourssursept–mêmelesjoursfériés–,Bradestlàpourgagner.Ilnevapass’inquiéter des apparences et l’apaiser. C’est un prédateur. Si vous luimontrezquevous saignez, il vouspoursuivra jusqu’à vousdévorer lesentrailles.

Unpeuimagé,maisvrai.– Il faut justeque tuparviennesàdéterminer si êtreune ratéeou

une dégonflée te convient, ajoute Brad sur un ton aussi calme quemenaçant.

Jeterminemonverredevinensachantquejevaisregretterl’avoirbusivite,mais lechocest telqu’iln’auraitpaspuenêtreautrement.Parcequej’aibesoindem’échapper,d’oublierqueBradpasseenrevuela fin d’année assez catastrophique d’une fille adorable etimpressionnable,enpleinesoirée.

J’attrape un autre verre sur un plateau et me détourne pourobserverlesapindeNoël,jefaisminedel’admireretm’éloignepourneplusentendreunmotdecetteconversation.

JesensqueCarterestsurmestalons, il s’arrête justederrièremoi,silencieux,tandisquenousreprenonsnotresouffle.

–Waouh,fait-ilcalmement,etjehochelatête.Quelquessecondess’écoulentencoreavantqu’ilnemurmure:–Evie?–Ouais?–C’estquoi,dessœursesquimaudes?Jepivotedanssadirection.Sonexpressionhorrifiéeestsiexagérée

quej’éclatederire.–Deuxfillesquicouchentaveclemêmemec.Si c’était possible, l’expression de terreur peinte sur son visage

s’intensifie.–Etcemecserait…moi.–Jesuppose.Mêmesijenesuispasdevenueunesœur.Ilredevientsérieux.–Seulementàcausedecirconstancesextérieures.–J’imaginequequanddeuxpersonnesnecouchentpasensemble,

c’estd’unemanièreoud’uneautreàcausedecirconstancesextérieures.–Oui, répond-il, à nouveaudétendu. (Il sourit, les yeuxpétillants

de malice, ses clavicules bien en valeur.) Mais ces circonstances sontentièrement différentes de celles qui font que je n’ai pas couché avecRose.

Jejetteuncoupd’œilàRosequiparletoujoursavecBrad,avecquinous l’avons abandonnée. J’aimerais continuer à plaisanter, resterlégèreavecCarter,maisc’estimpossibledanslamesureoùlapressiondutravailsemblenouspoursuivrepartout.Jen’ai jamaisété licenciée.Jenesaispascommentjeréagiraisfaceàcetteéventualité.

–Çava?J’acquiesce,groggy.–Parfois, jen’arrivepasàcroirequec’est legenredechoseque je

faispourvivre.Ilfroncelessourcils.

–Tun’adorespastontravail?Parinstinct,jerépondsavecprécaution.Pourquoilapersonneàqui

j’ai le plus envie deme confier est-elle aussi celle qui pourrait utilisermesétatsd’âmecontremoi?

– Je l’adore. J’adore participer à la création des films. J’adore lesclients et leur talent. C’est l’aspect politique que je ne supporte pas.L’équipe derrière le rideau est de plus en plus… désagréable. Je n’aipasenviededevenircommeça.

Ilposeunemainchaudesurmonépaule.Cettecaresseestlegestele plus intime qu’il peut esquissermaintenant, plus intime encore quem’embrasser. Je me rappelle que sa bouche s’est posée là. Je merappellequeCarteraimemesépaules.Jemesouviensdesesyeuxquis’enflammaientquandil lesavuesdénudéesdanscetterobe,pendantcerendez-vous,etvendredi,encoreunefois.

Ilsecontentedemetoucher,maisc’estcommes’ilmemassait.–Tun’espascommeça,Evie.Maisquandjelèvelesyeuxverslui,ilsouritunpeu,avecunairde

regret.Je sais que nous pensons lamême chose :Mais j’ai été comme ça

avectoi.

Chapitre20Carter

Aprèsdes journéesdedix-huitheuresetuneabsencepatentedevie

sociale, me voilà dans un avion pour New York. Nous sommes le 21décembre et les seules soirées de Noël auxquelles je sois allé à LosAngeles étaient des événements liés au travail. Cela fait-il demoi uncarriéristegénialouuncélibatairepathétique?

MichaelChristopheretStephenontorganiséune– sanscostumescette fois, malheureusement –, mais elle a coïncidé avec la soirée deParamount. Jonah m’a invité dans son nouvel appartement de WestHollywood,maisleseulsoiroùj’étaislibre,ilavaitrendez-vousavecunavocatexpertenfaillite.Nousavonsfiniparnousoffrirnoscadeauxàl’heuredudéjeuner,devantunfoodtruckenfacedemonimmeuble.

J’ai à peine vu Evie, mais il semble que nous ayons enterré demanière tacite la hache de guerre. Peut-être parce que je l’aimasturbée.Ouparcequejeluiaiditqu’elleavaitunegrainedepavotentre les dents avant une réunion un lundimatin. Ellem’a lancé unregard reconnaissant du genre tu n’es plus Satan. Pour une raison ouune autre, nos relations se sont apaisées et je lui suis tellementreconnaissantquej’aipresqueenviedepleurer.Jen’aijamaisétéaussiprisparunjobdetoutemavie,aussidésireuxdeprouvermesqualités

etdemerendreindispensable.CroiserEviedanslecouloirouentendresavoixarenducestroisdernièressemainesunpeuplussupportables.

Çan’aaucunsens, j’ensuisconscient.Savoixdevraitêtrecellequime rappelle que le temps presse, que la notification de salaire que jetrouve dans ma boîte de réception toutes les deux semaines n’a riend’éternel.Etpourtant,saprésencemerassérèneetmefaitdubien.Jesuisterrifiéàl’idéeque,quoiqu’iladvienne,elleneserapeut-êtreplusmacollèguependantlongtemps.Donc,j’enclenchelemodeautrucheetjen’ypenseplus.

Noëlarrivedansdeuxjours,jefaislesboutiquesavecmafamille.Lecentre commercial est bondé, mais l’ambiance de chaos de dernièreminutemetlesgensdebonnehumeur,malgrélafoulequiseruedanslesmagasins.

DorisetDoloressontmesdeuxtantesfavorites.Cesontlessœursdemonpère,des jumellesbiensûr,etmêmesiellessemblent identiques,ellesnepourraientpasêtreplusdifférentes.Depuistoujours,siDorisachaud, Dolores a froid. Si Doris a envie de burgers, Dolores veutmanger du poisson. Si l’une a envie de regarder une comédie, l’autreestd’humeuràregarderunfilmdescience-fiction.

– Pourquoi es-tu aussi taciturne, mon chat ? lance Doris, enignorantapparemment le faitque j’approchede la trentaine. (Ellemejette un coup d’œil de l’autre côté d’un portant de vêtements. Seslunettes sont si épaisses que ses yeux bleus semblent trois fois plusgros.)Àquoipenses-tu?

Doloreseffleuredespoloscoloréspliéssurunetableetlèvelesyeuxverssasœur.

–C’estungarçon.Ilnepenseàrien.Jefeinsdeluijeterunregardnoir.–Onsecalme,Dolores.LeschansonsdeNoëltournentenboucle,Dorisplisselesyeux.

–Regarde-le.Ilnetientpasenplace.Mamèreposeunemaindélicatesurmonépaule.–C’esttontravailquitestresse,monchéri?D’aprèsmaversiondesfaits,toutsepassebienautravail.Jenelui

aipasexpliquéquecesdeuxderniersmois, son filsa faitbronzerunefemmesanssonconsentement,achetédespaillettesdecontrebandeetde la sauce pimentée. Je ne lui ai pas parlé de mon boss et desdésagréments liés au fait de travailler avec Ron Burgundy 1 dans lavraievie.Jene luiaicertainementpasparlénonplusde lapossibilitéquejesoistransféréiciparcequelesabotageauquelEvies’estadonnéseraitunepâlecopiedesmoyensquemamèrepourraitdéployerpourquejesoiseffectivementmutéàNY.Etjeneluiaipasconfiénonplusquelafillequej’airencontréeàlafêteilyaplusieursmoisestdevenuemabulled’oxygèneetque j’aiunpeulemaldupays,à forced’êtresiloind’elle.

–Jemedemandejuste…(jedésignelapiledepolosdanslaquellefouilleDolores)quelgenredemonstremet lespilesdevêtementssensdessusdessouspendantlaséancedeshoppingpré-Noël.

Doloresmelanceunregardnoir.– Ne sais-tu pas combien de temps il faut pour plier l’une de ces

choses,DoubleD?J’aicommencéàsurnommerainsimestantesavantdesavoir,oude

comprendre, ce que ça signifiait. Ellesm’ont toujours trouvé hilarant,maisaprèsplusdevingtansà lescôtoyer,mamère,poursapart,netrouveplus lesDoubleD– les jumelles–amusantespourunsou.Ellejetteunregarddereprocheàmestantesquim’encouragentenriant.Jela suis vers une autre table en prenant garde de ne pas oubliermessacs.

–Monchéri,commence-t-elle.Raconte-moicequitechagrine.As-tudesennuis?Tusais,j’aivucetépisodedeLaw&Orderoùilsparlentdes dessous d’Hollywood. (Elle baisse la voix, et ses boucles d’oreillestintent tandis qu’elle inspecte les chemises.) Ils parlaient des

prostituées,desgangsetdesdealers. (Elleme regarde en écarquillantlesyeux.)Cen’estpasça,n’est-cepas?

–Non,Maman.Lesbas-fondsdeLosAngelessetrouventàl’opposédelàoùjevis.VerschezJonah.

Cettefois,c’estmoiqu’elleréprimandeduregard.– Maman, tout va bien. Je pensais à lui, justement. Je me

demandaiss’ilallaitpasserNoëltoutseul.Jesuisexcellentpourmanipulerlesgensetsi j’aiapprisunechose

engrandissantdans cette famille, c’estqu’iln’ya riendemieux,pourchangerlecoursd’uneconversation,quedelafairedériversurJonah.

Mamère fronce les sourcils etmême si elle devinemes intentions,sondésirdedéfendresonfilsquin’ajamaistortl’emporte:

–Tusaisàquelpointilestoccupé,explique-t-elleàmonintention,mais aussi pour que Dolores et Doris l’entendent. Il m’a dit que toutirait bien. Il ades amis. Je suis certainequ’il a étépris parun travailimportant,commec’estlapériodedeNoël,etc.

Jehoche la tête enne faisant aucun commentaire sur le planningdeJonah.L’ancienCarterauraitbalancétouslesdétailsàproposdeladescenteauxenfersdesonfrère,sesproblèmesd’argent,sesaventuresde banqueroute parce que, au moins pendant quelques minutes, jeseraislefilsprodigue.Maisjeressensunétrangeinstinctdeprotection.EnversJonah.Enfin,jecrois…serait-ilpossiblequejecommenceàbienl’aimer?

–Ilabeaucoupdepainsurlaplanche,c’estvrai.Ma mère repose une chemise particulièrement hideuse et me

dévisageavecunairscrutateur.– C’est normalement lemoment où tu dis dumal de lui et où tu

compteslesjoursquinousséparentdesadernièrevisite.–J’aipeut-êtregrandi.–Oualorstuparlespourneriendire.Et voilà la petite étincelle que j’adore chez elle. Ses reparties

cinglantes. Jemedemande jusqu’à quel pointmamère connaît la vie

deJonah. Ilsdiscutentsouventautéléphone–aprèstout,c’est luiquiluiaapprisl’existenced’Evie–,maisilrentrerarementàlamaison.Parailleurs, envisager quemes parentsmontent dans un tubemétalliquedelamortpilotépardesalcooliques(selonleurspropresmots)estpeuprobable.

J’aivingt-huitansetjesuispartidechezmesparentsilyadixans,maismamèrememanqueparfois,toutcommemonpèreetlerestedema famille loufoque. Jene suispas sûrquece soit le casdeJonah.Àmoinsqu’ilne lesprotège.S’il venaità lamaison,mamèredevineraitprobablement que sa vie est sens dessus dessous. Il préfère peut-êtreresteràleursyeuxleparfaitJonahdontilssesouviennent,plutôtquelapersonnequ’ilestdevenu.

–LosAngelesestjusteuneville…épuisante.Cette phrase est nulle. Mais elle doit exprimer ce que ma mère

pense,parcequ’ellehochelatêteenrepliantl’horriblechemise.–Assure-toijustedenepasdevenirépuisanttoi-même.Jem’installeàcôtédeDorissurlabanquettearrièrepourrentrerà

lamaison.Auboutdedixminutes,elles’endort,cequin’estpasgénialpourdiscuter,maisçamepermetdeparcourirmesmessagesetdememorfondre un peu sans que personne ne regarde par-dessus monépaule.

Inutiledemeleurrer :ouvrirmafenêtredeconversationavecEvieme déprime profondément. Ça me rappelle tout le temps qui s’estécoulédepuis l’époquelointaineoùnousavionsunfuturdevantnous.Je commence à relire certains de nosmessages enme demandant s’ilestpossiblequej’aieexagérél’humourd’Evie,sonintelligence,sonsex-appeal.

Mais non. L’Evie de ces messages est identique à celles de messouvenirs et à celle que je vois tous les jours – peut-être avec un peuplusdepanache.

Montéléphonesonnealorsquejeportelessacsdanslamaisonetjemefigeenvoyantlenomquis’affichesurl’écran.

ZachBarkerestl’undemesclientspasséduthéâtreaucinéma.Onlui a proposé un rôle dans un film d’action à la dernière minute,lorsque l’un des acteurs secondaires a dû être remplacé. Même si safemme Avya et lui vivent à New York en attendant la naissance d’undeuxièmeenfant, iladûserendreimmédiatementsurletournage.Cen’estpas lasituation idéale,maisd’aprèsceque jesais,Avyaadécidéderesterchezeux, le tempsque leur fils terminesontrimestred’écoleavantderejoindreZachenCalifornie,auxalentoursdeladateprévuepourl’accouchement.

–SalutZach,dis-jeenregardantlaneigequicommenceàtomber.TuesderetouràNewYork?

–JesuisencoreàLosAngeles.AvyaetJoshsontàNewYork.C’estpourçaquejet’appelle.

Monrythmecardiaques’accélèreetj’imagineplusieursdésastres.–Quesepasse-t-il?–Jasons’estcassélacheville.Jegrimace.JasonDover,lerôleprincipal.–OK,qu’est-cequeçasignifie?J’arriveauboutdel’allée.–Letournageestpresqueterminé,doncilspensentpouvoirtourner

lesdernièresscènesavecluietutiliserunedoublurepourlereste,maisilsontdûmodifierleplanningdetournageetjeneseraipasderetouravantdemain.

–Tuveuxquej’appellequelqu’unou…queveux-tuquejefasse?– J’ai une faveur à demander à Cartermon ami, pas Cartermon

agent.–Ouais,toutcequetuveux.Iléclatederire.–Turisquesderegrettercesparolesdansquelquessecondes.

–Jet’écoute.–J’étaiscenséêtrederetourhier,àtempspourmerendreaucours

d’accouchementd’Avyacesoir.–Auquoi?J’éclate de rire, et un nuage de condensation flotte dans l’air en

face de moi. Le petit jardin de ma mère a gelé, les vignes sontrecouvertesdeglaceetdeneige;desadolescentssesontregroupésaucoin de la rue à quelques maisons de là, la fraise d’un joint scintilledanslecrépuscule.

–Ouais…lâcheZachavantdeseremettreàrire.Jetel’avaisdit.Jefermelesyeuxetmepincelenez.–Non,non,aucunproblème.–Tuesunaffreuxmenteur.–Es-tusûrqueçaconvienneàAvya?Avya et moi nous connaissons depuis longtemps, avant même

qu’elle ne commence à sortir avec Zach, mais je n’ai pas envie de lamettremalàl’aise.

–C’estellequiasuggéréquetul’accompagnes.J’ouvre les yeux en contemplant le ciel nuageux, d’où tombe la

neige. J’adore interagir avec mes clients. C’est juste… une demandebizarre.

Comment pourrais-je refuser ? Je vais donc aller à un coursd’accouchement.

Sionm’avaitdemandéceque je comptais faire ce soir, j’auraispuénumérer un éventail varié de réponses : Xbox avec mes cousins,emballerdescadeauxavecDoubleD, relireencoreetencore lesvieuxmessagesd’Eviljusqu’àcequej’aieterminéunpotdeglaceenrejetantlafautesurmonpère.

Lapossibilitédeme retrouver avec la femmed’un autredansunesalle pleine de futuresmamans accompagnées par leur partenaire ne

meseraitpasvraimentvenueàl’esprit.Etpourtant,j’ysuis.Je retrouve Avya devant l’entrée et nous nous saluons d’un câlin,

nous échangeons quelquesplaisanteries et quelques commentaires surlamétéo.C’estunpetitpeuétrangeaudépart,parcequejenesaispasbienoù regarderni quoi dire, encoremoins comment faireun câlin àunefemmetrèstrèsenceinte.

Commetoujours,Avyabriselaglace.–Prêtàparlerdemonaccouchementparvoiebasse?s’exclame-t-

elle,sontapisdeyogaroulésouslebras.Jenesaispasquoirépondre.Avecunsourire,j’ouvrelaporteetlui

faissignedemeprécéder.Même si je ne connais rien aux cours d’accouchement, celui-là

semble plutôt prometteur. Il se tient dans une grande salle, et j’ail’impressiondetraînerenjoggingdanslesalond’unami.C’estunplus,quandonessaiedefaireleschosessimplement,j’imagine.

Lasimplicitésembleunthèmeporteur :gérer ladouleurdumieuxqu’on peut grâce à desméthodes naturelles sans juger quiconque – ycomprisvous-même–sivouschangezd’avisauderniermoment.Maissila sciencemoderne trouve un jour lemoyen de faire en sorte que leshommes expérimentent lemiracle de la naissance, je refuserai demeprêter à l’exercice. Si j’y suis obligé, je n’hésiterai pas à opter pour lapéridurale.Lapluspuissantepossible.

La prof s’appelleMeredith. Elle semble qualifiée, parle d’une voixdouce et marche d’un couple à l’autre pour ajuster leur posture,donnerplusd’amplitudeàuneposition,bougerunpiedicietlà.Nousfaisonsdes exercices d’étirement, les premiers à genoux, en balançantdélicatementnoshanchesdansune sortedemouvement circulaire, etjesuistellementreconnaissantàl’Universqu’Avyaetmoin’ayonsjamaiscouchéensemble,mêmeavantqu’ellerencontreZach.

– Très bien, lance Meredith en nous regardant. Cambrez le dos,roulezleshanchesenformedehuit.Ressentezlemouvement.D’avant

enarrière,d’avant enarrière.Appréciez cemouvementparcequequisaitquandvousressentirezunetelledétentelaprochainefois,n’est-cepas?

Avyamejetteuncoupd’œiletnouséclatonsderire.–Seigneur,Evien’enreviendraitpas.J’aideAvyaàsemettredanslaprochaineposition.– Evie, Evie, répète-t-elle doucement. Je n’ai pas l’impression que

Zachm’aitparléd’elle.–C’estunagentdeLosAngeles.–Mêmeagence?–Ouais.Enquelquesorte.C’estunelonguehistoire.–Tu sors avecun agent avec qui tu bosses ?Mavie est tellement

ennuyeuse… Dieu merci, j’ai obligé Zach à te demander de veniraujourd’hui.

–Jenesorspasavecelle.Montondevoixsembledireah,lesfemmes.– Barbant ! se plaint Avya en se penchant en avant. (Ses longs

cheveuxnoirsluicachentlevisage.)Alorspourquois’intéresserait-elleàcecours?Distrais-moi,Carter.

–EllebossaitchezP&Davantlafusion.(Avyahochelatête.)Il luiestdéjàarrivéd’accompagnerlafemmeetlefilsdel’undesesclientsàunséminaired’éveilàBeverlyHills.

–Laisse-moideviner : ilsontpayé l’équivalentde ceque coûteunmoisdeloyerdansleQueenspourqueleursenfantsjouentàdesjeuxbasiques,dutypepuddingoudesdraps?

–Despâtes,pourtouttedire.Commentas-tudeviné?–J’aiparticipéàun trucsimilaireavecJoshuaquand ilétaitpetit,

avecdesparachutes.–Desparachutes?– Nous avons adopté Joshua quand il était encore nouveau-né,

explique-t-elle, donc je n’ai pas vécu l’expérience de l’accouchementaveclui.D’oùceséminaire.(Ellesouritencore.)Nousavonsallongéles

bébés pour formerun grand cercle, et toutes lesmamans ont soulevéceténormeparachuteressemblantàunchapiteaudecirquepar-dessuseux, en le déployant au-dessus de leurs corps. Ça semble génial enthéorie,maislesenfantsétaientbientropjeunespouryprendreplaisir.En gros, tu agites ce parachute au-dessus de leurs visages pour leseffrayer. La moitié des bébés criaient, quelques-uns essayaient des’enfuiretlesautresétaienttropterroriséspourbouger.

– Seigneur. (Je me mords les lèvres en jetant un coup d’œil auprofesseur.Ladernièrechoseque jesouhaite,c’estque la femmed’unclient soit exclue de son cours d’accouchement parce que je la faisparler.)Jesuisdésolé,cen’estpasdrôle.

– Oh si, c’est à mourir de rire. En tant que parents, nous faisonsvivre les expériences les plus bizarres à nos enfants en pensant leurdonnerunavantagedanslavie.

Leprofesseurdemandeaux futuresmèresdesemettreenpositiondesquat–ondiraitqu’elles sontassises surdes toilettes–etexpliqueles bénéfices de cette position, y compris les effets sur le périnée etautresdétailssurlesquelsjesuisincapabledemeconcentrer.

–Commentvalepérinée?j’ajoute.Bien?Avya secoue la tête comme si elle n’arrivait pas à croire à ce que

noussommesentraindefaire.–Détendu.Merci.Maintenant,parle-moidecetteEvie.Jesoupireavantdetoutlâcher:–Pour faire court, EvelynAbbey estmonanciennepresque-petite-

amie-devenue-ennemie-jurée-devenue-alliée-hésitante que je voudraisvraimentséduire.

L’expressionravied’Avyamepressedecontinuer:– C’est une longue histoire très compliquée qui comprend des

premiers rendez-vous suivis d’une compétition féroce au boulot, pourunmêmeposte,etdusabotage.

–OK,c’estclairementmoinsdrôlequecequej’imaginais.

– Le truc, c’est qu’elle est drôle, belle, intelligente et très bonnedanscequ’ellefait,cequis’avèrerageant.Engros,onnousaditqu’unseul d’entre nous conserverait son job, ce qui nous a transformés enfous dangereux. Je l’écoute pendant une réunion, totalement fasciné,puisjem’immiscedanslaconversationetj’aienviedel’étranglerparcequ’ellemedistraitdemonbut.

–Ettonbutest…–Ladestructiontotale,biensûr.Nouschangeonsdeposition,Avyaestassisedevantmoi,entremes

jambes,ledosappuyécontremapoitrine.–Etmaintenant?–Maintenant,c’estlapersonnequejepréfèrelà-bas.–Avez-vous…Ellelaisselaquestionensuspenstoutenpratiquantsesexercicesde

respiration.–Euh…presque?Ilyaeuquelquescaressessouslesvêtementsqui

ontaboutiàdeschosessympathiques,situvoiscequejeveuxdire.Ellericane.–Etc’étaitbien?Putain.–Ouais.–J’imaginequetuaimeraisrecommencer.– Tu ne devrais pas te concentrer sur quelque chose de plus

intéressant?– Comment veux-tu que je me concentre alors que tu me parles

d’amourimpossibleetdenostalgielanguissante?–Tupeuxteconcentrerparcequ’àcestade,j’aibienpeurqu’ilyait

plusdechancespourquej’aboutisseàdeschosessympathiquesavecl’unede ces femmes – je désigne les futures mères qui nous entourent –qu’avecEvie.

–Pourquoi?Àcauseduboulot?Çamesembleêtreundétail.

– Pourtant, c’est un détail très important . Nous sommes tous lesdeuxmariésànosjobs.Desjobsquineserontpeut-êtrepluslesnôtresd’ici trois mois. Sans mentionner le fait que le séminaire de Big Beararriveàgrandspas.J’aienviedepasserdutempsavecelle,maisnousnous affrontons en permanence. Je n’ai pas envie que nous finissionsparnouspoignarder.Elleest tropautoritairepour survivreenprison,etjenesaispasdirenon.

–OK,donc lagrandequestion, c’est : serais-tuavecelle s’iln’étaitplusquestiondetravailoudequoiquecesoitd’autre?

–C’estunsiassezimprobable,Avya.–Tun’aspasréponduàlaquestion,Carter.–Serais-jeavecEviesiriennem’enempêchait?Probablement.(Je

megrattelajoueengrimaçant.)Non.Pas«probablement».Biensûr.–Alors,arrangeça.–Seigneur,pourquoin’yai-jepaspenséavant?– Carter, les femmes ne sont pas si compliquées, dit Avya en se

tournant vers moi, un sourire aux lèvres. Plus intelligentes ? Oui.Compliquées ? Pas tant que ça. Nous avons envie que les chosesévoluent,pasquetoutsoitparfait.

Cesoir,chezmesparents,jerepenseàcequ’Avyaadit.Évolutionetnon-perfection.Jenedoispasêtreparfait, jen’aimêmepasnécessairementbesoin

detoutrégleravecEvie,maisjepeuxaumoinsadmettrequejeregrettecertainsdemesactes.Jepeuxessayerd’êtreunpeuplussympa.

J’attrapemon téléphone sur le lit, là où il charge sur la table denuit.Jeparcours lesconversationsavantdetrouvercelleappeléeEvil,etjel’ouvre.

Je calcule mentalement l’heure dans ma tête, un peu après22heuresici,environ19heureslà-bas.Iln’estpastroptard.

Jeretiensmonsouffleenfixantmontéléphoneavecl’espoirdevoirapparaître les petits points indiquant qu’elle tape. Je finis par laisseréchapper un grand soupir et je vais reposer mon téléphone, quandsoudain,labulleapparaît.Monrythmecardiaques’accélère.

Voilà,j’aienviedevidermonsac.

Apprécie-t-elle l’euphémisme ? Est-elle d’accord avec moi ? Uneautre minute s’écoule. Les battements de mon cœur se répercutentdansmestempes.Finalement,montéléphoneseremetàvibrer.

Jesoupireetroulesurmonoreiller.Dieumerci.

Jeplaqueunemainsurmabouchepourétouffermeséclatsderire,carj’avaisoubliéquejeluiavaisparlédeça.Sommes-nousentraindeflirter?Est-cedecelaqu’ils’agit?Ellefaitallusionànosconversationsetjesuis…quoi?Charmé?Penseàquelquechosed’intelligent,Carter.

Jelesavais.

1.AllusionauhérosantipathiquedePrésentateurvedette:LalégendedeRonBurgundy,AdamMcKay(2004).

Chapitre21Evie

Quand je reprends le travail aprèsNoël, je suisunebouledenerfs.

Impossibledegardermoncalme,demeraisonner,c’estcommesij’avaisperdutoutcontrôlesurmesémotions.

Carter arrive à l’agence dans ce qui me semble être un nouveaucostume si j’en crois mes tendances de stalkeuse, et il est… d’unebeautéàcouperlesouffle.Sonpantalongrisanthraciteestcoupéslim,il s’arrête juste au niveau des chevilles et dévoile des chaussettes decouleurexubérante.Lesmecsont-ilsfiniparadopter,euxaussi,leflirtparlacheville?Jesuistoutàfaitpour.Ilporteunechemisevioletteàimprimésetsonapparencegénéraleestbientropbranchée,mêmedansunespaceoùtransitentlespoidslourdsd’Hollywood.

Jemetienssurleseuildelasallederepos,jel’observes’éloignerdel’ascenseur,complètementfascinée,etmarespirationsecoupelorsqu’ils’arrêtedevantmonbureaupouryjeteruncoupd’œil.

Évidemment,jen’ysuispas.Jel’appelle,etmoncœurselogedansmonvaginlorsqu’ilseretourneausondemavoix.Ilmesourit.

Seigneur!Jesuismal.–Jet’airapportéquelquechose.(Ilmarchedansmadirectionetme

tendunpaquetenveloppédansdupapiercellophane.Lescotchtientà

peineetlerubansembleavoirétéutilisécommepoignée.)Descookies.Delapartdemamère.

–Tum’asrapportédescookiesdeNewYork?J’attrapelepetitpaquetavecprécaution.Que ce soit ounonvolontaire,Carter semble se rendre comptede

cequecelasous-entend.–Je…Ilyenavaitbeaucoupenrab.(Ilmesouritdesonadorable

sourirepleind’autodérision.)Jet’aimisemalàl’aise,n’est-cepas?Mon cœur bat la chamade, je rougis, et la tentation de l’attraper

par le col et de l’embrasser clignote dans mon esprit comme unpanneauànéonsdeLasVegas.

–Non,c’estmignon.J’ouvre l’emballage avec précaution. L’odeur de chocolat et de

beurremechatouillelesnarines.–Carter ! s’exclameKylie, essoufflée parce qu’elle a couru. Je suis

heureusequetusoisdéjàlà.Ilsetourneverselle.–Jeviensd’arriver.Quoideneuf?–Bradvoulaitsavoirsituavaiseul’occasiondejeteruncoupd’œil

auxscénariosqu’ilt’aenvoyés.–Oh,pasencore.(Elleleprendclairementdecourt.)J’aivulemail

hiersoirseulement.Kylierit.–Ilvoulaitquejetelerappelle.Jeluiaidit,genre«Brad,ilyena

cinq!Laisse-luiunpeudetemps!»Carterrit,àl’aise,maismonpropresourireestcomplètementforcé.

Unseaud’eauglacéen’auraitpaschangéplusrapidement lecoursdecetteconversation.

Leproblèmen’estpasseulementqueBradn’envoiepasdescénariosàunagentquandilaentêteunacteurqu’ilreprésente.C’estjustequ’iln’enenvoiepascinq,àunseulagent.

J’essaie de rester calme. S’agit-il encore de complicitémasculine ?Commepourleweek-enddegolf?

Jeluidemande:–Bradt’aenvoyédesscénarios?–Ouais,ilveutfaireunretourauxscénaristesetm’ademandémon

avis.–Jevois.Jeposelescookiessurunetabletoutprès.– Brad souhaite aussi que Carter l’aide à décider comment les

attribueràl’équipe,ajoutegentimentKylie.Jememordslalèvreinférieurepourm’empêcherd’ouvrirlabouche

avec un air ahuri.Donc,maintenant je dois faire du charme àCarterpourqu’ildonneunrôleàmespropresclients?

Quand je suis certaine que je peux poser la question sans hurler,j’articule:

–JusteCarter?–Oui,justeCarter,répondKylieenhaussantlesépaules.Donc,nousyvoilà.Jenepeuxmêmepasdirequejesuissurprise.–J’aidel’expériencelà-dedans,renchérit-ilavecdélicatesse.ÀNew

York, j’ai bossé avec des dramaturges. Pour ce que ça vaut, j’ai aussil’œilpoursélectionnerlestalentspourlesrôles…

Je hoche la tête, enme forçant à sourire. Pourquoi Carter etmoinousentendons toujoursbienmieuxquandnousnesommespasdanslamêmepièce?Aprèsnotreéchangedetextos,j’étaisimpatientedelevoir. Maintenant, je ne sais même plus qui il est. C’est comme si ledestinnecessaitdenousmettredesbâtonsdanslesroues.

Iljetteuncoupd’œilrapideàKyliequinousobserveavecbeaucoupdecuriosité.

– Eh bien, fais-je, en ravalant mon orgueil, n’hésite pas si tu asbesoind’aide,OK?

Carter hoche la tête, mais je m’éloigne avant qu’il ait le tempsd’ajouterquoiquecesoit.

Jesuistellementencolèrequej’aidumalàmeconcentrer.Lepire,quand je m’énerve, c’est que je perds toute raison. J’entends Carterparlerautéléphone,laportedesonbureauouverte,etj’aienviedeluienvoyer une agrafeuse à la figure parce que sa voix me dérange.J’entendsBrad remercierKyliepour le caféqu’elle luiapportedans lecouloiretj’aimeraiscrier:«Sic’étaitunassistant,luidemanderiez-vousaussisouventdevousapporterdescafés?»

Et je suis tellement furieuse que lorsquemon portable vibre – untextodeCarter–,jeneprendsmêmepaslapeinedelelire.Jeretournemon téléphone quand j’en reçois un second, un troisième puis unquatrièmeetm’absorbedanslatâchederépondreàdesmails,rappelerdes gens et signer des contrats. En gros, la hargne me donne del’énergie et, si je n’ai pas cinq scénarios de folie dans ma boîte deréception,jepeuxaumoinsaffirmerquejesuisproductive.

C’estseulementquandjerentrechezmoi,bienaprès21heures,unverredevindelatailled’unaquariumàlamain,quejeliscequ’ilm’aécrit.

Le problème, quand on décide de stopper un cercle vicieux, c’estque c’est plus facile à dire qu’à faire. Je pourrais répondre à sesmessages,meconfieràlui,maisc’estdelatriche.Noussavonsquenouspouvonscommuniquer.Noussavonsquenousnousentendonsbienendehorsdutravail.Cequenousneparvenonsapparemmentpasàfaireencore,c’estinteragircommedesêtreshumainsrationnelsquandnoussommes ensemble au bureau et étant donné que 98% de ma vie –approximativement – tourne autour de mon job, je ne peux pasaccepter l’approche textos-mignons-en-dehors-du-travail de notrerelation.

Jerépondsdoncsimplement,avantd’allermecoucher:Jeressenslamêmechose.Reparlons-enentêteàtête,c’estdansces

moments-làquenousn’yarrivonsjamais.

Laviedoitsuivresoncoursetparcequenousavonsprisdes joursde congé pour voir nos familles pendant les vacances de Noël, nous

devons gérer unmillion de choses. Il faut prendre des nouvelles d’unnombre infini de producteurs, planifier la haute saison, appeler desmetteursenscèneetdesacteurs,lescajoler,élaborerdesplannings.

Çamedonneenvied’assommerBradquiadécidéquelami-janvierétait lemoment opportunpour le séminairedudépartement.Chaquejour qui passe sans dire un mot à Carter augmente mon état denervosité.J’ai l’impressionque laDécisiondeNewYorkdeBradsurgitcommeunnuagemenaçantau-dessusdenostêtes.

Big Bear se trouve à seulement deux heures de voiture de LosAngeles, mais parce que nous avions prévu d’y aller par nos propresmoyens, et que tout le monde travaille jusqu’à la dernière seconde,nousfinissonsparpartiràlapireheure,16heuresunvendredi.Jesorset m’étonne de voir mes collègues s’entasser joyeusement dans leslimousinesgaréesdevantl’immeuble.

Untrajetpleind’esbroufepourallerauséminaire:unesurprisedeBrad.

–Deslimousines!s’écrieRose.L’enfant intérieur qui perdure en moi comprend totalement son

excitationmêmesimonmoidetrente-troisansrestecynique.–Fautbienquejeprennesoindesmiens,n’est-cepas?lanceBrad,

magnanime,avantdemedonnerunetapedansledos.J’aibonespoirque ce séminaire soit le meilleur de la décennie. Ne me laisse pastomber,petite!

–EtCarter ! ajoute cedernieravecun rirenerveux,maisBradnel’entendpas.

Carter et moi échangeons un bref regard et même si nous neprononçonspasunmot,jesaisquenouspensonslamêmechose:Bradn’acceptepasd’augmenternotrebudgetpourledéjeuner,nousdevonsdonctousnouscontenterdesandwichsinsipides,etpourtantiljoueaugrandprinceetnousoffredeslimousinespourallerauséminaire?

Jess m’attrape par le bras au moment où nous nous apprêtons àpartir,enmetendantdesdossiers:

– Les factures de cette petite aventure, s’exclame-t-elle, à bout desouffle. Désolée de ne pas m’en être occupée avant, mais ils étaientdestinésàBradetj’aidûplusoumoinsmebattrepourlesobtenir.(Elleouvre la chemisedudessus.) Il yaquelques fournisseursdont lenomnemeditrien,doncjetteuncoupd’œilpourt’assurerquetoutestbienlà.Nousendiscuteronsàtonretour.

–Merci, Jess. (Jeprendsunegrande inspiration.Jemerépètequejepeuxlefaire.)J’auraistellementaiméquetuviennesavecnous.

–Ahah.Sansvouloir te fairede lapeine,nonmerci.Boncourageet… (elle jette un coup d’œil à Carter qui monte dans une voiture)amuse-toibien.

Ouais.M’amuser.AméliaetDaryl se tiennent sur le trottoir,ellesme fontdes signes

delamainavecdessouriresquisignifientbonnechance,tuvasenavoirbesoin. Je leur lance un regard qui veut dire : j’aimerais que voussouffriezavecmoi,pétasses,avantdemonterdanslalimousine.

Mêmes’iln’auraitpasété inutiledediscuterpourrégler lesdétailsde dernière minute pendant le trajet, Carter et moi sommes assischacun à une extrémité de la limousine. Andrew et Carter fixent leminibaravecl’airdesedemanderdanscombiendetempsilspourrontouvrir le champagne. Selon Andrew, cette durée correspondapproximativementautempsqu’ilnousfautpourdémarrer.

Pourma part, je chante alléluia et hurle intérieurement bon Dieuoui,parcequenousdevonsfaireensortequetoutel’équipes’amuseleplus possible, ce qui signifie qu’enivrer les gens immédiatement est lapremièreétape.

Uneflûtedechampagneà lamain, incapabledetravaillerdans lavoiture de peur d’êtremalade, jeme vois contrainte de prendre partauxpotins.

Timothysemoqued’EdRuizdechezAltermanpendantunmoment– apparemment, il a fait des trucs tordus pour lui voler un potentiel

client – et j’apprécie silencieusement cettehistoire, parcequ’Edestunenfoirétotal.

–Tun’aspasdéjàtravailléaveclui?medemandeAndrew.–Si,maispasdirectement.Et jem’en tiendrai là.Jenevaispas leur raconterqu’ilavomisur

mes chaussures dans un taxi à l’issue d’un dîner de boulot ou qu’il acouchéavecl’assistantedeKenAltermanetaconçuunetelleobsessionpour elle qu’il a gardé sa culotte dans un tiroir de son bureau. Je nerentrerai pas non plus dans les détails de la fois où il a rassuré unclientdesalisteenluiexpliquantqu’iln’yavaitaucunproblèmemêmes’ilavait«accidentellement»couchéavecunefillededix-septans.Edluiamêmeproposédel’aideràeffacerlespreuves.

Cancaner,c’estdrôle–necroyezpasquejen’adorepasça–maisjesuisrarement lapersonnequipartagedesanecdotesexcitantes.Donc,quand Andrew commence à nous raconter qu’il a vu une actrice trèsconnue dans un sex-club, totalement à poil, sur les genoux d’unréalisateurtoutaussiconnu,ettrèsvieux,jerangecettehistoiredanslapetiteboîteàbijouxdemamémoire.

Personne ne prend la peine de se demander pourquoi diableAndrewyétait,bienentendu.

Après que tout lemonde y est allé de sa petite anecdote, il nousreste encore une heure de trajet et le silence se fait, au moins troisd’entre nous s’endorment à cause du champagne. Kylie prend soncourage à deux mains et se rapproche de Carter, j’ai l’impressiond’assister à une parade de séduction d’oiseaux. Elle se déplace sur labanquette de sa place à côté de moi au fond de la limousine, ens’approchantlentementdelui,etsepencheenfaisantminedelirepar-dessussonépaule.Mais…enfin…illituncontrat,jeledevineenraisonde la facture légale du document et de la manière dont est placé letrombone.Cen’estpasunelecturefacile.Ils’agitd’unetiradedejargonjuridiquequi sedéversedans lespages commeuneviolente couléedeboue.

Kylies’étirecommeunchat,d’unemanièreunpeubizarre,etglisseunbrasderrièreellepourcollersapoitrineàsonépaule.

Cartersursauteets’écarteinstinctivement.Jerespireànouveau.– Salut, dit-elle en le regardant comme si elle s’admirait dans un

miroirdepoche.–Salut, répond-ilensouriantbrièvementavantdeseconcentrerà

nouveausurlesdocumentsqu’ilaposéssursesgenoux.–Cevoyaget’emballe?Ilacquiesce.–Ouais.Çadevraitbiensegoupiller.–TuasdéjàdormiauBigBearLodgeandSuites?–Nan.–C’estvraimentsympa.Barénorme,réceptiontrèscosy…grandes

chambres.Etmaintenant,êtretémoindecetéchangememetmalàl’aisepour

euxdeux,parceque,Seigneur,ellen’yvapasavecledosdelacuillère.Il lève lesyeuxetréaliseque je lesécoute, jedétournedonc leregardunpeutropvivementetdoisfairesemblantd’avoirunepoussièredansl’œilpourjustifiermonsursaut–cequin’estpaslecasetillesaitaussibienquemoi.

Quand je regarde à nouveau Carter, il s’est écarté de Kylie etmecontemple toujours, en sedemandant clairement jusqu’àquelpoint jesuis jalouse. Le sourire de Carter n’est ni arrogant ni taquin, il estauthentique. Du bonheur pur. Peut-être qu’arrêter de s’affronter neserapasimpossible,aprèstout.

Pourunefois,l’endroitestàlahauteurdesaréputation:l’hôtelestvraiment beau. Installé à flanc de montagne, l’édifice principalcomporteunénormebâtimenttypechalet,entourédequelquespetitescabanes de luxe. D’immenses pins jaunes encerclent la bâtisseprincipale et l’air est si pur que j’ai l’impression de respirer pour la

première fois depuis des lustres. Le bassin de Los Angeles est trèspollué,commechacunsait.Lavilleestcoincéeentre lesmontagnesetle front de mer, et même s’il y a beaucoup moins de pollution quelorsquej’étaisenfant,onoubliefacilementlasensationdel’airvraimentpur.

Jemesensassezoptimiste lorsquenoussortonsdes limousines,enplissantlesyeuxàcausedusoleil.Ilyapeudeneigecetteannée,maisjusteassezpournousdépayser.Etmêmesi leconceptdeceweek-endestinsupportable,l’endroitestbeauetpleindepromessesdebeuveries.

Bradnousarrêtedevant lagrandeentréedécoréeavecdesglandsdorésetuntapisrougeimpeccablequimènejusqu’àl’intérieur.

– Bienvenue au Septième Séminaire Annuel de la division Longs-MétragesdeP&D.

Nousapplaudissonspoliment: lesapplaudissementslesplusgênésqu’onpourraitimaginer.

– Merci d’avoir pris le temps de vous joindre à moi ce week-end,continue-t-il.Jeveuxremercierchacundevouspourvotreengagementenversnotreagenceetpourvotredévouementconstant.Ilvasansdirequecetteannéeaétéintéressante.

Legroupelaisseéchapperunpetitrire.– L’euphémismede ladécennie, n’est-ce pas ? ajoute-t-il en jetant

uncoupd’œilaugroupe.Maisriendetoutcelan’ad’importance,parcequeça,maintenant?C’estdeçaqu’ils’agit:avoirmonéquipeautourde moi, prête à montrer au monde comment nous travaillons. Nousn’avons jamais eu autant besoin de talents polyvalents – TV, films,réseaux sociaux – et ces partenaires exigent une équipe aussipolyvalente qu’eux pour les soutenir. C’est pourquoi je vous ai tousréunis, dans un endroit où vous pouvez apprendre comment vousépauleretdevenirimparables.Commentyarriverons-nous?

–Entravaillantenéquipe,s’exclamequelqu’un,etBradacquiesce.–C’estvrai.Pascommeuneentreprisescindéeendeux,enéquipe.

(Brads’arrêtepourjeteruncoupd’œilauxalentoursavantdemefaire

signe d’avancer.) Maintenant, viens, Evie. Tu as très bien bossé pourplanifiercetévénement.Dis-nousàquoinousdevonsnousattendrecesoir.Éblouis-nous.

Cartermeregardeenfronçantlessourcils.–Undînerdebienvenuesetiendradanslechalet.(Jejetteuncoup

d’œil à ma montre.) Dans environ trois quarts d’heure. Ce qui vouslaisse le temps de déposer vos affaires dans les chambres et de vousreposer.Lesvéritablesréjouissancescommencentdemainà10heures.

Àcôtédemoi,Bradhochelatête,enthousiaste.–Jesuisimpatient.Maintenant, jesensquevousavezhâtequeles

hostilités commencent !Allons récupérer les clés denos chambres, enéquipe!

Je lève les yeux et croise le regard de Carter. Son expression estmaussade,ilal’airdedésapprouver.

Bradmetapedansledosenmepoussantverslesportesd’entrée.–Ouvrelavoie,petite!Bonsangdebonsoir,ceweek-endvaêtreuniqueensongenre.

Quand nous nous séparons tous, clés en main, j’ai l’impressiond’être un agent de la CIA – je plisse les yeux pour voir dans quelledirection se dirige Carter (et aussi peut-être dans quelle direction vaKylie) en célébrant silencieusement le fait qu’ils empruntent deuxcouloirsopposés.

Jefaisroulermapetitevalisederrièremoijusqu’àlachambre207,àquelquesportesdecelledeRose.Àl’intérieur, toutestmagnifique,unénorme lit se trouve au centre de la chambre spacieuse dotée d’unbalcon avec une vue sur le lac à couper le souffle. Je félicitementalementKylied’avoirréussiàpasserunaccordsiintéressantaveccethôtel,etjesorspourmerepaîtredelavue.

Il ne fait jamais assez froid pour que le lac gèle, l’eau d’un bleuprofond lèchedélicatement les rochers recouverts de gel sur les rives.

Le feuillage des arbres est d’un vert intense, tacheté de blanc, etpendantun instant –un instantbref etpuissant –, je suis ravied’êtreici.

Je dispose de quelques minutes et en profite pour sortir lesdocuments que Jess m’a donnés. Son système d’archivage est engénéralparfait,maisquand je jetteuncoupd’œilaux fournisseursdeservice des séminaires auxquels elle a fait allusion, je comprends cequ’elleveutdire:jenemesouvienspasdelaplupartd’entreeux,moinon plus. Je m’apprête à lui envoyer un mot pour vérifier quelquesdonnées avecKylie quandmon téléphone semet à vibrer sur la tableavecunmessagequim’estadressé–uniquementàmoi–delapartdeBrad:

Jeprends trois profondes inspirations enpensantqu’est-ce que foutBradexactement?avantdetrouvermonsac,mesclés,etdemedirigeraurez-de-chaussée.

Étrangement, le dîner s’avère parfait. Du moins, après lesremerciementsdeBradetaprèsqu’ilm’ademandédevenirprèsdeluipour présenter le menu. Je me lève de mon siège, mais la tensionmonteenmoipuisqu’ilmetraitecommesonassistante,ouunesimpleorganisatrice.

– Je serai ravie de vous donner le menu, interrompt Carter encommençantàselever.

Bradsecouelatête.–LaisseEvielefaire.J’entendsclairementlemessagequeveutmefairepasserBrad:Tu

esmamarionnette.Tu t’exécuteras si tu veux continuer à avoir un joblundi.

Carterserassiedlentement,levisageécarlate.Jehochelatêtedanssa direction et souris, reconnaissante qu’il ait essayé, avant d’énoncerles plats. Salade. Viande. Pommes de terre. Haricots verts. Ça nenécessiteclairementpasd’explication.Carteraeuraisond’insisterpourquenousrestionsclassiquesvunotrebudgetlimité,carilsedoutaitquelacuisinedel’hôtelferaitleschosesbien.Nousavonsaussichoisiunvinblanc et un vin rouge, mais les stocks sont épuisés avant la fin del’entrée.

Heureusementqu’ilyalebar,n’est-cepas?Lescouteauxet lesfourchettestintentetcrissentsur laporcelaine,

les gensmâchent.Nous sommes installés sur plusieurs grandes tablesaucentred’unesalleauxalluresdecaverne,maispersonnenepeutmeblâmerpourcedétail,parcequedînericifaisaitpartiedesrequêtesdeBrad.Undîner,ensemble.Commeuneéquipe.

Unfeudeboiscrépitedansunecheminéedepierresiénormequejepourrais probablement tenir debout à l’intérieur. Sept serveurss’occupent discrètement de nous, sans trop insister. C’est l’Effet BradKingman. Pas besoin de savoir qui il est pour être légèrement terrifiéparlui.

Pendant le dîner, Carter est assis à ma gauche, je ressens uneimpression étrange à être dans une salle remplie de gens et de bruittoutenétantaussiconscientedesaprésence.Sonbraseffleurelemienlorsqu’il coupe son steak, lorsqu’il attrape son verre de vin, lorsqu’ilremetsaserviettesursesgenoux.Essaie-t-ildemetoucher?Plusjeboisde vin et plus mon cerveau crie OUI ! , et je commence à fairediscrètement demême, enmepenchant vers lui, en posantmon brasgauchesurlatablepourqu’ilpuisseyavoiraccèsplusfacilement.

Destrucssubtils.JesuisunNinjadelaséduction.JesuistellementconcentréesurcequeCarterfaitetdit,etsurson

incroyableparfum,quejesursauteenvoyantlesserveurscommenceràdébarrasserlesassiettes:j’aiàpeinetouchéàlamienne.

La fête continue sur la terrasse extérieure, où des lampeschauffantesscintillentàplusieursendroitsetoùdeslanternesenpapierencadrentlavuedulactoutproche.

IlestsuffisammentrarequeBradselaissealleraupointd’êtreivrependant cegenred’événements,maisquand il le fait, il se transformeen l’un de ces ivrognes qui semblent avoir un haut-parleur arrimé aubrasquitientleurverre.Vers22heures,lamajoritédugroupeaatteintun degré raisonnable d’alcoolémie, mais Brad n’est pas justediscrètementpompette,ilhurle.

Nevousméprenezpas :peudegensde cemilieu connaissentdesanecdotesplusintéressantesqueBradKingmanet,sobre,saboucheestaussiscelléequ’unetombevieillededeuxcentsans,doncnoussommestous intrigués, y compris ceuxqui ledétestent.Ce soir, il est vraimentsurunebonnelancée.

Voiciquelquesanecdotes:Safemmeapayésesfraisd’universitéenfaisantdustrip-tease.(Je

suis sûre que Maxine, la directrice exécutive du studio, serait ravied’apprendrequ’ilaracontécedétail.)

Ilavul’undesacteurslespluscélèbresdel’histoireducinéma(cinqAcademyAwardspourêtreexacte) « fourrer sa têtedans le culd’unestrip-teaseusedeVegas».

La première fois qu’il a rencontré l’un des producteurs les pluspuissants de l’industrie, ce dernier était tellement défoncé qu’il s’estendormisursasalade,avantdeseréveillerenprétendantqueriennes’étaitpassé.Ilaterminélerendez-vousavecdescarottesrâpéesdansles cheveuxetunpeude saucede salade sur la joue.Le filmdont ilsdiscutaientagagnéquatreAcademyAwardsetdeuxGoldenGlobes,etarapportéprèsd’unmilliarddedollarsdanslemondeentier.

Quelquesautresanecdotesplus tard, il estminuit, lebarextérieurferme etmon verre de vin est vide. Un serveurm’offre de le remplir,maisj’aitrouvél’excuseparfaitepourrentrerdanslebarintérieur,oùilfaitchaudetoùl’ambianceestpluscalme,pouravoirquelquesminutesàmoi.

Lebarmans’approcheetsepencheversmoi,l’airinterrogateur:–Quelestvotrepoison,mabelle?–Votremeilleur vin rouge. (Je lis l’étiquetteportant sonprénom :

Woody.)J’étaisaupinot,maisjecroisquelesstockssontépuisés.Woody sourit en révélant deux rangées de dents parfaitement

blanchesetrégulières…maisilluimanqueladentdedevant.C’estunparadoxe étrange, je suis instantanément fascinée. A-t-elle étéarrachée?Sioui,pourquoi?Commentunedentpeut-elleêtredansunétatsiterriblealorsquelesautressontparfaites?

Cesontleschosesauxquellesjepensealorsquejepourraisréfléchirà des répliques cinglantes quand Brad m’appelle « petite » ou « mavieille»etinsisteenprétendantquejouerenéquipesignifiequejedoisoffrirmacommissionàquelqu’und’autre.

–JevousserviraileRavenswoodzinalors,dit-ileneffleurantlebarde lamain. Ilne resteplusbeaucoupdechoix,maiscelui-làn’estpasmal.

Woody s’éloigne pour aller chercher une bouteille et je m’appuiecontrelebarenmedemandantsijepeuxéventuellementposermatêtelàetfaireunepetitesieste.

Levinmedonneenviededormir.Etmeremplitdetendresse,apparemment,parcequecesoir,Carter

estplutôt…–Commentçavaparici?Je me redresse, il est là, devant moi, qui s’approche et tire le

tabouretdebarleplusprochedemoi.Je dois faire un effort surhumain pour regarder son visage, le

regardhagard,plutôtquedem’absorberdanslacontemplationdeses

claviculessaillantes.–Jesuisépuisée.Etpompette.J’aijusteenvied’allermecoucher.– Moi aussi. (Il jette un coup d’œil en direction de la porte par

laquelle il est entré.) Mais je crains que la soirée ne fasse quecommencer.

Je me laisse légèrement aller contre lui et ris contre son épaule.Seigneur,ilsentbon.

– De jeunes chiens fous. Nous ne pouvons pas nous contenter dedisparaître.Parcequenoussommesleshôtes,toutça.

Iléclatederire.–Commentavons-nousréussiànousensortir?–Jen’enaipaslamoindreidée.Ilbaisselesyeux,dessineduboutdudoigtsurlecomptoir.–Bradpersisteàtetraitercommesonassistante.–Jesais.Jememordsleslèvresenregardantailleurs.–Evie,murmure-t-il.Jesuistellementdésolé.J’aicontribuéàcréer

cettesituationenl’ignorant.Jeneveuxpluscontinuerainsi.Enentendantcesmots,jemeraidisetrestesurladéfensive.Toutvabien.Tuesjustelepetitnouveau,Carter.JesupporteBraddepuisdesannées,jeconnaissestravers.Arrêtetesconneries,Evie.Jelaisseéchapperunpetitsifflementdevulnérabilitéenavouant:–D’habitude,çam’énervemais,ici,çamerendanxieuse.Jen’arrive

pas àm’ôter l’idée de la tête qu’il essaie vraiment dememettre à laporte.

Ilacquiesce.–Jevois.Jevois.Etjenesaispasquoifaire.Mapoitrineseserre.–Jenesupportepasd’avoirl’impressiond’êtreimpuissante.

Jenem’attendaispasàcequecesoitnotremoment.Danslesfilms,cesaveuxadoucissentlesgensouaucontrairelesendurcissent,maisilssont rarement confessés aussi calmement, leur impact n’en est pasmoindrepourautant.

J’aitellementattenducemoment.Carter se penche et me caresse la joue, puis il s’enhardit et

m’embrasse comme j’en rêve sans cesse depuis la fameuse nuit dansmonappartement.Cebaiserestdifférentdesbaisers furieuxdustudiod’enregistrement,brutauxetprécipités.Cesbaisersressemblaientàunetrahisonsecrèteetviolentedenosinstincts,nousenjoignantdenepaslefaire.

Mais ça. Nous nous goûtons, nous nous bécotons comme si nousétions en train de dialoguer. Ces baisers disent je suis désolé et quefaisons-nous? etpouvons-nous continuer toute la nuit ? Je ne remarquemêmepas queWoody a posémon verre sur le bar, parce queCarterm’ytientappuyée.

MaisjeremarquequandCarters’éloignedemoipoursortirunbilletdevingtdollars.

Je plaque une main sur ma bouche comme pour conserver lasensationdeseslèvrescontrelesmiennes.

–Tun’aspasàpayerpourmonverredevin.–J’aiintérêtàréglerl’additionpourqu’onpuissepartir.–Jecroyaisqu’onnepouvaitpasquitternotresoirée.–Tantpispourlafête.Jememetsàglousserd’unevoixaiguë,commeunefilleprépubère,

trèsexcitéeàl’idéequenouspartionstouslesdeux,ensemble.–Qu’as-tudit?jedemande,enfaisantmined’êtrescandalisée.–Tum’asentendu.Des rugissements de gens ivres nous parviennent, suivis du bruit

caractéristiquedequelqu’unquisejetteàl’eau.– Bain de minuit ! hurle Kylie, et un chœur de félicitations

masculinessuitcecri.

Carterregardetoujoursmabouche.–Salut.–Salut.Ilsourit.–Ilyadeuxgrandslitsdansmachambre.Mesyeuxscintillentetmonsourires’élargit.–Bien,maisj’aiunking-size.

Nousentronsdanslachambreenriant,àboutdesouffleparcequenous avons couru jusqu’à la boutique de l’hôtel pour acheter despréservatifs et donné beaucoup trop d’argent à l’adolescent ahuri quitravaille de nuit. J’ai l’impression d’être remplie de petites bulles oud’étoilesscintillantes:moncorpsentierestenéveil.

Quelquepart,malgrélenombredemoisquiontpasséetlejeuquenous avons joué, aucune gêne n’entrave nos gestes. Nous sommesensemble,noussourionsentredeuxbaisers,nousnousdéshabillons,àl’aisecommeuncoupleensembledepuisuneéternité,aussiexcitésquedespuceaux.Soncorpsest superbe, jenepeuxpasm’empêcherde letoucher, de l’apprendre par cœur comme si mes mains étaient unscannerenregistrantchaquedétailsurundisquedurexterne.Jedonnelapermissionàmoncerveaud’effacerautantdechosesquenécessaire,macapacitéàfaireduvélooudutricot,parexemple.LesmontsetlescreuxduventredeCartersontbienplusimportants.

–Est-cequ’onvatropvite?demande-t-ilens’arrêtantunesecondeaprèsavoirretirémonsoutien-gorge.

Jeris.–Seigneur,non.Il avance dans la chambre en me tenant contre lui et m’allonge

danslesdrapsfrais,enmontantsurmoi.Ilm’embrassedanslecou.–Pouvons-nousêtreamismaintenant?

Lasensationdeseslèvrescontremapeaunem’aidepasàformulerdesphrasesintelligibles,maisjedéglutis,m’efforcedemeconcentreretdemande.

–Est-cecequetuveux?Je prendrais cette question un peu plus au sérieux s’il n’avait pas

déjàdéfaitsaceinture.Laboucledemétalpendentrenous.–Desamis?– Oui, répond-il en me mordillant l’omoplate. Et non. (Il s’écarte

pourmeregarder.)Tuvoiscequejeveuxdire?–Jecrois.Je terminederetirer sonpantalonen faisantglisser l’étoffe surses

hanches,souriantlorsquesapeausecouvredechairdepouleàcausede l’air frais. Il l’enlèveet cene sontplusquedes jambesnues contredesjambesnues,poitrinecontretorse.

Ilditautrechosetoutcontremonépaule,contremesseins,toutendescendant le long de mon corps. Je me cambre lorsqu’il referme labouchesurmontétonetlaisseéchapperuncriquimesurprend.

Putain.Pourquoiavons-nousgâchéautantdetemps?Je pense brièvement que nous devrions être discrets, que bientôt

Rose sera seulement à deux portes de là, que quelqu’un que nousconnaissonsestpeut-êtredéjàrentrédanslachambrecontiguë,maisjen’entendsmêmepluslescrisdesbaigneursdeminuit,etlelacestjustedehors.

Noussommesdansuneforteresse.La bouche de Carter est partout à la fois : il embrassemes seins,

suceun tétonen triturant l’autreduboutdesdoigts. Ilmecontemplede son regard un peu fou, croise le mien en descendant chaque foisplusbas,enenlevantmaculotteetens’installantfinalemententremesjambes.Ilhésiteuninstant,puisl’aviditésurpassetoutleresteetilmedévorecommesij’étaisledessertleplusexquisqu’ilaitjamaisgoûté.Jesens ses soupirset sesgémissements tout contremapeauet j’aimeraisne faire plus qu’un avec lui pour les sentir vibrer dans ma colonne

vertébrale, irradiermacagethoracique.Jemesensvide.J’aipeut-êtreprononcécesmotsàvoixhauteparcequ’ilenfoncesesdoigtsenmoiaumêmeinstant.

Le monde extérieur cesse d’exister pendant quelques secondes.L’idéeduséminairequisedérouledehorsmesemblepresquecomique,surréaliste. Le poids de l’universme retombe dessus quand je sens salangue surmon clitoris. La chaleurmonte dansmon dos, je l’attrapepar les cheveux,me cambre sous sesmains et tentede luidireque jesuisprès,siprès…

–Carter…Jegémisenl’attrapantencoreet,Seigneur,jejouis…jouis…sifort

et,putain,jenecomprendspaspourquoinousavonscessédefaireça.Aucunjobnevautlapeinedeperdreça.

Unevagued’airfraismecaresselapeau,Carterm’embrassecommesij’étaissonoxygène.Mongoûtsurseslèvres.J’aiencoreplusenviedelui,sic’étaitenvisageable.

Il attrape la boîte sur la table de nuit, tâtonne, l’ouvre les yeuxferméssanscesserdem’embrasser.

De mon côté, je suis incapable de fermer les yeux, ne serait-cequ’une seconde. Je suis incapable de m’empêcher d’enregistrer lesdétails que je rejouerai plus tard dans ma tête. La courbe de sonépaule,lamanièredontsonbrassefléchitlorsqu’iltendlamainentrenous,déroulelepréservatifavantdepressersonpéniscontremoi.

Le soulagement se peint sur son visage lorsqu’ilme pénètre.Monesprit est vide. Je n’arrive plus à penser à quoi que ce soit, je suissubmergéeparlasensationdesoncorps.J’auraisdumalàmesouvenirdemonpropreprénom.

Jelèvelesyeuxverslui,meconcentrantsursoncouetsagorge,sursatêterenverséeenarrièreetsurlemouvementdesapommed’Adamlorsqu’ilavalesasalive.

Il me recouvre complètement de son corps, je disparais sous lui,contemple sa bouche ouverte, me repais des petits soupirs qui lui

échappent.Ilvaetvient,enmetenantparleshanches,contractantlesbiceps et enfonçant lesmains dans lematelas lorsqu’ilmeprendplusviteetplusfortet,putain,c’esttellementbonquejemedemandesijepeuxrestericitoutleweek-end.

Nos peaux trempées de sueur, rougies par l’épuisement, glissentl’unecontre l’autre.Mesmusclesse tendentetserelâchent,ma jambeglissedesahancheetilm’attrapeparlegenou,pourmeprendreplusfort.

Jenereconnaispasmaproprevoixlorsqu’ellem’échappe,aiguëetsurprise,résonnantdanslachambresilencieuse.Mescrislefontbanderencore plus, il me prend plus fort, plus vite, et quand je me laissefinalement aller sous lui, le plaisir est si puissant qu’il m’atteint parsurprise. J’écarte les jambes, puis referme les genoux autour de seshanches,et il s’enflamme:sesbraset seshanchess’agitent, ilm’attirecontrelui,mepilonne,lesoufflecourt.Jemelaisseallercontrelui,enhaletant contre son épaule lorsqu’il prononcemon prénom, et oui, ets’il teplaît, etpuisnous jouissons tous lesdeuxenmême temps, sanspouvoirreprendrenotresouffle.Jemedemandesijepourraireprendremonsouffleunjour.

Son visage dans mon cou, Carter soupire de soulagement, entremblantcontremoi.

Iltentedesedégageretsiffleavantdemechuchoterdansl’oreille:–Seigneur.Jelaisseéchapperquelquesgrognementsluisignifiantmonaccord,

incapabledeconnectermoncerveauetmabouche.–Jecroisquej’aitrouvémareligion.Jeglousse.Jen’aipasenviequ’ilbouged’uncentimètre.Mesjambes

sont restées autour de ses hanches, elles glissent lentement, et ilm’embrasseensouriant,entredeuxsoupirs.Mesjambessontlisses,lessiennes sont recouvertes de poils doux, et la sensation de nos jambes

glissant l’une contre l’autre, la chaleur de son corps lourd contre lemien, la sensation de son sexe déjà dur à nouveau entremes jambesravivent quelque chose en moi, enflammant le désir d’en obtenirtoujoursplus.

Quandils’écarte,justeunpeu,lafaiblelumièredessinedesombressursonvisage.

–Jerevienstoutdesuite.–Neparspas.Ilritetm’embrassesurleboutdunez.–Jevaisenleverça.Oh.Lepréservatif.Aprèsunpetitgrognementdeprotestation, jelelaisses’éloigneret

sortir du lit. Il avance dans la chambre. Son corps ressemble à uneétude d’ombres et de géométrie : des lignes droites qui encadrent lesmusclesdesondos,destrianglessursesépaules,lacourbedesondos.

Jem’absorbedans la contemplationde ses épaules tandis qu’il estdedos.Ilattrapeunmouchoirdansuneboîtesurlacommodeetjetteletoutdansunecorbeille.

Dans la lumière douce, je le vois hésiter, prendre une grandeinspiration.

Carterseredresseetsetourneversmoi.Depuisqu’ilestsortidulit,j’ai froid et je tremble de peur qu’il s’éloigne, s’éclaircisse les idées etrevienneàlaraison.

–Tuasmal?Laseulechoseque jeressens,c’estdudésir.Jerépondsd’unevoix

rauque:–Non.Ilplisselesyeuxetmedévisagedel’autrecôtédelapièce.–Es-tuentraindepaniquer?Je n’arrive toujours pas à reprendre mon souffle et je réalise

soudain ce que nous venons de faire et à quel point j’ai envie qu’ilreviennedanslelitavecmoi.

–Paspourlesraisonsquetucrois.Ils’approche,puissefigetoutenmeregardant.–Est-cequetupaniques?– Un peu. (Il s’étire, se gratte le cou tandis que mon estomac se

dissoutdansmoncorps.)Jedois…Encoredel’hésitation.Mespoumonssontenfeu.–J’yaibeaucouppensé,m’explique-t-il.J’aitantrêvédetoi.Jesuis

amoureuxdetoi,Evie.Et tues finalement làavecmoi.Jen’aiaucuneenviededormir.

Jemeredresse, conscientequ’ilmeverramieuxgrâceà la lumièredelalunequifiltreparlafenêtrederrièrelui.Lesdrapstombentetjem’agenouille.

J’entends sa respiration se couper, mais je n’ai pas besoin de luidemanderdemerejoindredanslelit,luiassurerquetoutvabien,qu’iln’apasàs’inquiéter.Ils’approchedemoietsapeaudouceglissecontrelamiennequandilm’attireàluietmegrimpedessusunenouvellefois.

Chapitre22Carter

Jemeréveilledansdesdrapsdéfaits,sousunplafondquinem’esten

rienfamilier,aveclegenred’obscuritéartificiellequ’onnepeutobtenirqu’avecdesrideauxépais.Quelqu’unbougeàcôtédemoiet,pendantuninstantdepanique, jemesouviensdeKylie,deses lèvresbrillantesde gloss et de son irrespect total pour mon espace vital. Mon cœurs’arrête de battre et se remet à palpiter quand je reconnais Evieendormieàcôtédemoi.

Une décharge électrique me parcourt quand je me rappellecommentnoussommesarrivéslà,àquelpointnosbaisersm’ontdonnél’impression de me noyer et de ne plus jamais pouvoir revenir à lasurface.

Evieesttellementmignonneendormie.Mignonnen’estpeut-êtrepaslemotapproprié,maissonvisageestempreintd’unetranquillitéquejene lui ai jamais vue, comme si elle avait baissé la garde et que jepouvaistouchersapeauetsentirsesos.

Elleestsiprochedemoi–noussommespresquenezànez–quejedistinguetoussescils, jepeuxcomptersestachesderousseur.Elleestnue, ce qui me ravit, pourtant je ne peux pas m’empêcher de medemandercommentelleréagiraquandelleseréveilleraetverraquejesuisnu,moiaussi.

Sommes-nousencoreamisaujourd’hui?M’a-t-elleentenduquandjeluiaiditquej’étaisamoureuxd’elle?Je devrais être encore plus effrayé que je ne le suis. Il serait bien

plus facile d’admettre une bonne fois pour toutes quenous avons faitn’importe quoi. Mais mon esprit et mon corps confirment que je suisamoureuxd’Evie.Ledrapaglissédanssondos,sescheveuxbrunssontemmêlés sur l’oreiller. Nous avons couché ensemble quatre fois hier.J’étirelesjambes,contractelesabdominaux.J’aiplutôtl’impressionquenousavonsbaisévingtfois.

J’effleure samainplacée sous sonmenton, caressedoucement sonbras,ellecommenceàbouger.

Jeréalisesoudainquejen’aiaucuneidéedecequejevaisdireetjeferme les yeux, régule ma respiration pour qu’elle pense que je dorstoujours.Quelquesmomentsdesilences’écoulentavantquelacuriositéne l’emporte. Je me sens ridicule : je suis un homme adulte qui faitsemblantdedormirpouréviteruneconversationd’adultes.Jememetsà sourire et entrouvre unœil. Nous éclatons de rire tous les deux envoyantl’autrefaireexactementlamêmechose.

Ellemerepoussed’unemainsurmonvisage.–Tuesunimbécile.Lachaleurenvahitmapoitrine.– Je suis un imbécile ? As-tu vu tes cheveux ? Tu n’as pas fière

allure.Jetendslamainpourleslisser,elleritententantdes’échapper.–As-tuvulestiens?demande-t-elleavecunsourire.Jemefige,sérieuxuninstant.–Tupaniquesencore?Ellejoueavecsalèvreethésiteavantderépondre.–Unpeu.Ettoi?Jeluidislavérité.–Unpeu.–Veux-tu…quenousnousarrêtionslà?

Jemepencheetl’embrassesurlecoindelaboucheavantdecroisersonregard.

–Non…– OK, répond-elle en fixant mes lèvres. Veux-tu éviter cette

conversationenremettantça?Jegrimpesurelle,enm’émerveillantde l’étenduede lasurfacede

soncorpsque jepeuxcouvriravec lemien.Je regardeentrenous,oùses jambes sont passées sur mes hanches. Je me balance d’avant enarrière, lentement, et sens la manière naturelle dont je glisse sur sapeau,douceetdéjàmouillée.

Ellegrognedoucementetjeconnaisdéjàceson.Jemesouviensdel’avoirentendurésonnerdanslachambre.

Elle glisse lesmains surmon ventre, ses ongles se promènent surmes côtes, puis demes pectoraux àmes épaules. Ellem’attire par lecouetl’espaceentrenousdisparaît,mêmel’airnepourraitpaspasser.

Pendantun instant, jepensequ’il serait si facilede jouirainsi,nosdeuxcorpssemouvantl’uncontrel’autre,àlavitesseparfaite,commenous l’avons faitcettenuit-làdanssonappartement.Maiscen’estpascequejeveux.

Evie doit être sur la même longueur d’onde parce qu’elle a déjàtendu le bras en direction de la table de nuit et attrape la bande depréservatifsquej’aiposéelà.

Jelèvelesyeuxauciellorsqu’elleroulelelatexsurmonsexeetluijette un regard de reproche en écartant sa main. Je ne peux plusattendre.Nousnousenfonçons sous lesdraps, commedansune tenteblanche. Mon cœur bat plus vite et elle monte sur moi pour mechevaucher, s’empale et commence à se mouvoir avant de trouver lerythmeparfaitpourobtenircequ’ellecherche.

Elle s’appuie contrema poitrine en allant et en venant, encore etencore,etc’esttellementagréablequejel’attrapeparleshanchespourtenter deme distraire, redessine les contours de son nombril du boutdes doigts. J’accompagne ses mouvements et la pénètre, de plus en

plus fort, et sabouche s’ouvre, la têtede lit frappe contre lemur, lesressorts du matelas craquent. Elle a fermé les yeux, ses lèvres sontentrouvertes et je me demande pourquoi on a attendu si longtemps,commentonaréussiàlaissers’interposertantdechosesparcequeça,putain,c’estcequ’ilyademeilleuraumonde.

Ellerouledeshanches,dessinedepetitscerclesautourdemonsexeetjure,enlecaressantsensuellement.

Jeluidemandedansunsouffle,excitéàlavuedesestétonsquisedressent.

–C’esttoiquimebaises?Ellemerépondsansprononcerunmot,unpetithalètementdiscret

quiseperddanssespropresgémissementsquandelles’empaleencoreplus profondément sur mon sexe. Je la contemple, m’adapte à sonrythmeetsensmesabdominauxsecontracter,lapressionmonter.

Sescheveuxsonttrempésdesueursursonfront,ilsbouclentsursapoitrine et je pense qu’elle y est presque, elle aussi. Sesmouvementsperdentdeleurcohérence,elles’agrippeàmoi,devientfrénétique.

–Ouais?Jeposelesdoigtsprèsdessiensetlacaresse.–Ça…commence-t-elleàrépondrequandonfrappebruyammentà

laporte.Nousnousregardonsdanslesyeux,figés,incapablesderespirer.–OhmonDieu!Ai-jeverrouillélaportehiersoir?chuchote-t-elle.

Lesfemmesdeménagepourraient…Mais ce n’est pas le service de nettoyage, c’est un million de fois

pire, parce qu’aprèsun autre coup et ungrattement, nous entendonsretentirlavoixdeBrad.

Brad,notreboss,del’autrecôtédelaporte.–Evie?appelle-t-ilavantdeseremettreàfrapper.Jen’aijamaisagisirapidementdetoutemavie.Dansunerafalede

bras et de jambes, de draps et d’oreillers. Evie enfile unT-shirt et unpantalondejoggingàunevitessequimesemblesurhumaine.Pourma

part,jesuisnu,unpréservatifsurlabite,ettoujoursdurquandellemepousseendirectionduplacard.

– Une seconde ! s’exclame-t-elle avant de chuchoter : Je vais medébarrasserdelui.Resteicietnebougepas.

Son visage est empourpré, ses joues ont viré à l’écarlate et sontrecouvertesd’unefinecouchedesueur.Laraisonpourlaquelleellesetrouvedanscetétatsautetellementauxyeux.

Je lève unemain pour faire une objection, mais elle m’enferme àl’intérieur.Merde.

Jenevoispresqueriendelachambre,seulunpetitintersticelaissepasser l’air et la lumière. La situation est assez terrifiante, mais jechoisis d’être optimiste et de considérer la chose moins comme voilàcomment Brad pourrait me trouver nu avec un préservatif sur la bite etplusdanslegenrevoilàl’endroitd’oùvientl’oxygène.

Onditquequandonestprivéd’unsens, lesautres s’aiguisent.Çadoitêtrevrai,carnonseulementjeperçoisleparfumd’Evielorsqu’ellele diffuse dans la chambre – bonne idée – mais j’entends ses pasrésonner lorsqu’elle avancepourouvrir laporte, je l’entendsouvrir leverrouetjepeuxpresquesentirlemomentoùBradfaitirruptiondanslachambre,àmoinsd’unmètredelàoùjemetrouve.

–Brad,salut!(Evies’éclaircitlagorge.)Désolée,j’étaisentraindem’habiller. Ilest…(Elle se figeet je l’imagine jeteruncoupd’œilà samontreavantde luioffrirsonmeilleursourirepassif-agressif.)Waouh,iln’estpasencoreseptheures.Quepuis-jefairepourvous?

J’entendsdesbruitsétouffés,etpuisBradcrie:–Bear,reviensici!– Vous avez amené votre chien ? murmure Evie, et j’étouffe un

grognement.Bradaundogueallemandquiaàpeuprèslatailled’unchevalet,

s’ilaréussiàéchapperàBradetàentrerdanslachambre,quisaitcequ’ilytrouvera.Moi,parexemple.UneimagementaledeBradouvrant

lesportesduplacardetenmetirantparlapeaudesfesseshorsdelachambremesubmergebrièvement.

– Maxine l’a amené hier soir. Bear , crie-t-il encore, avant de sedécourager.Çaira,continue-t-ilpluscalmement:ilreniflejusteunpeupartout. Je voulais te demander ce que donnait le programmeaujourd’hui.Qu’as-tuprévu?

J’entends la voix étouffée d’Evie énumérer le programme et alorsquej’aimeraisêtrefurieuxàcausedelamanièredontilluiparle,ilyades choses plus pressantes. Bear a clairement compris que quelquechose ne tournait pas rond dans ce placard et il renifle la porte, sonnezetsesyeuxsombresapparaissentdanslapetiteouverture.

Je presse silencieusement Bear de s’en aller à l’instant exact où iltrouve quelque chose de plus intéressant et s’éloigne. Depuis que jen’entends plus la respiration lourde du chien et le bruit de seshalètementsqui résonnentdans leplacard, jepeuxmeconcentrersurlaconversation.

–Maisjenecomprendspaspourquoivousmeposezlaquestion,ditEvie.L’organisatricede l’événementielaétablietmonté leprogrammedetoutespièces,nousnoussommescontentésdedonnerlefeuvertetde choisir entre viande et poisson. Pour être honnête… (une pause)Brad,qu’est-cequ’ilfait?Ilfouilledanslapoubelle.

–Bear,sorsdelà!crieBradenclaquantdesdoigts.Qu’est-cequetumanges?

D’après le tintement de son collier, je pense que Bear est revenuversBrad.Ilcontinue:

–Jevoulaisaussiteparlerdetonassistante,dit-il.–Jess?–Pourquoiluias-tudemandéd’envoyerunmailàKylieausujetdes

fournisseurs ? Kylie n’a pas le temps de s’occuper de ces détails, etfranchement,toinonplus.

–Jevoulaisqu’ellevérifiecertainsdes…

–Tusemblesoublierquejesuislecoachetquec’estmoiquidécidedelamanièredejoueretdupland’attaque.EnvoietouteslesfacturesetlesreçusàKyliepourqu’ellelesarchive,làoùétaitcenséeêtreleurdestination.Jet’aimiseauxcommandesdecetévénementetc’esttoutcedonttudevraisd’inquiéter.Pas…

–Carter…interrompt-elle,etjecessederespirer.Mademi-érectionn’estplusunproblème.–Vousm’avezmiseauxcommandesavecCarter etpourtant je suis

la seule à devoir vous rendre des comptes. Et vous devez avoirconsciencequeçanefaitabsolumentpaspartiedemesattributions.

Il y a un long silence et j’ai peur de faire le moindre geste, decligner des yeux. Je me demande si les battements bruyants de moncœurs’entendentàtraverslaporteduplacard.

–N’as-tupasentenduceque j’aidithiersoir,Evie?répliqueBradd’unevoixglaciale.Àproposdutravaild’équipe?Del’équipequenousformons.

–Si,j’aiparfaitementtoutentendu.– Alors, tu devrais te donner la peine de réfléchir à ce que ça

signifie.Ilneteresteplusdejoker.– Quel joker ai-je utilisé jusque-là ? demande-t-elle, à court de

patience. Field Day, c’était il y a deux ans et une quinzaine deproducteurs ont été impliqués. J’ai rapporté plus d’argent quequiconquecetteannée,hommesetfemmesconfondus.

–Tujoueslacarteféministe,jevois.Tusaiscequej’enpense.Il se tait et, quelques instants plus tard, un claquement retentit,

j’entendslespattesd’unchienquis’éloignentetlaportequisereferme,lachaînequ’onremetàsaplace.

Evieouvreleplacardetuneboufféed’airfraismesubmerge.– Dieu merci, je m’exclame, une main sur le torse, en tentant de

calmer les battements de mon cœur. Qu’est-ce qui s’est passé ? C’estquoisonproblème?

Lesdentsserrées,Eviejetteuncoupd’œilàlaportefermée.

–Franchement,pendantun instant, j’aicruque j’allais lebalancerpar-dessus la rambarde du balcon. Juste le pousser un peu, il auraitrebondicommeuneballedetennis.

–Waouh.(Jemeredresse.)Jenesaispascequeçaditdemoi,maisjesuiscomplètementdetoncôté,Evil.

– C’est un enfoiré, murmure-t-elle. Un enfoiré. (Elle marche endirection du lit, attrape un oreiller et le balance contre le mur.)Heureusement,nousn’étionspasassezprochesdubalconpourque jepasseà l’acte.Et jesuis tropdugenreàculpabiliserpourêtreunbonassassin.

– Enfin, techniquement, c’est la gravité qui l’aurait tué, donc tuaurais juste dû déployer la force nécessaire pour le pousser dans levide.

Ellebalanceunautreoreiller.– Pourquoi est-il venu dans ma chambre ? Est-il allé taper à la

portedelatienneenpremier?Jesoupire.–Jesupposequenousconnaissonstouslesdeuxlaréponseàcette

question. Je teprometsque je serais intervenu si jen’avaispaséténuet…

Jedésignelepréservatifquisembles’êtreintégréàmabite.Elle grimace et je me dirige dans la salle de bains où je prends

quelquesinstantspourmerafraîchir.–Biensûr,ilalaissésonchien-chevaldétruiremachambred’hôtel,

continue-t-elle.Laprochainefois,ilvoudraque…(Ellesetaitavantdelaisseréchapperuncrihorrifié.)OhmonDieu.

Je sors la tête de la salle de bains. Evie est figée aumilieu de lachambre,fixantlesol.

–Qu’est-cequinevapas?Ellelèvelesyeuxdansmadirection,horrifiée.–Combiendefoisavons-nousbaiséhiersoir?

– Ah, voilà un sujet intéressant. (Je lui souris d’un air victorieux.)Tuviensderéaliserquetuascouchéavecl’ennemi?

–Non.(Elledésignelesol.)Beararenversélapoubelle.J’essaiededevinercombiendepréservatifsilamangés.

Sommes-nousdesassassinsdechien?Enfin…jepensequenon.J’aicherchésurGoogleetsiMorganapu

avalerunepiècedemonnaie-souvenirdelatailledesatrachée,quiestressortie intactede l’autre côtéde son tubedigestif,Bearn’enmourrapas.Jepense.

Evieestlégèrementmoinsconvaincuequemoietm’obligeàeffacermon historique pour que, dans l’éventualité d’une catastrophe, on nepuissepasutilisercettepreuvecontrenous.Jedisposeencored’unpeude temps avant notre première activité de team-building, j’en profitepour prendre une douche dans ma chambre avant d’ouvrir monordinateur pour consulter mes mails. J’en ai reçu un du directeurartistiquedelaséancephotodeVanityFairetj’aipeurdel’ouvrir.

Je ne devrais pas, parce quemalgré l’entrée de Jonah en diva etnotremomentd’égarement,quandavecEvienousnoussommessautédessus dans le studio d’enregistrement et de mixage-son, les photossont géniales. Tellement belles, en fait, qu’ils veulent engager Jonahpour une autre séance photo. Mon frère est peut-être un immenseconnardlaplupartdutemps,maisilaclairementassezdetalentpourcompensersoncomportement.

Ilest tôt,mais je tentemachanceen l’appelant. Ildécrocheaprèsquatre sonneries. J’entends le bruit d’une tondeuse au loin, donc jesupposequ’ildoitêtredehors.

Bonsigne.–Jonah,dis-je,surexcité.As-tuconsultétaboîtemail?Nousavons

reçulesépreuvesdeVanityFairet lesphotossontsuper.Ilsveulentteproposerunautrejob.

Le silence se fait à l’autre bout du fil. Je regarde l’écran de montéléphonepourm’assurerquenousn’avonspasétécoupés.

–Tum’asentendu,Jones?Ilsveulenttefairebosser.–J’aivu.Maisiln’ajouteriend’autre.– Tu as vu ? C’est tout ? Mec, c’est exactement ce que nous

voulions.Cequetuvoulais,dutravail.Pourcontinueràmenerletraindevieauqueltut’eshabitué.

–Jenesuispassûrquecesoitcequejeveux,répond-il.Fairedesséancesphotoavecdesacteurs.

Je suis bouche bée, je fixe le mur dema chambre d’hôtel sans levoir.

–Maiscen’estpascommeçaquetupeuxpayertesfactures?–Ouais,mais…Jesuisallédanscettegaleriel’autrejour,qu’unami

d’amidirige,etilyavaitdeschosesquimeplaisaientvraiment.Pasdesphotosdemodenidecinémamaisgenre,desphotosabstraitesetdesportraits.

–Tuveuxdirequetuveuxrevenirautypedephotosquetuprenaisaulycée?

Je suis perplexe. La raison pour laquelle Jonah est venu àHollywoodn’était-ellepasdedevenirunestar?J’aidumalàimaginercomment le fait de participer à des expositions médiocres puisseconstitueruneavancéepourlui.

– Tu te souviens de la photo quim’a permis d’obtenir une boursependant ma scolarité ? demande-t-il, et je sais exactement de quellephotoilparlepuisqu’elleesttoujoursaccrochéechezmesparents.

–Leslignesélectriques.C’estcequetuveuxfaire?–Quelquechosedanslegenre,par-ci,par-là.Jepourraiscontinuer

les séancesphotopourpayermes factures,mais faired’autres trucs àcôté.Êtreexposédansunegalerie,peut-être.

Je me rassieds dans mon fauteuil. Ce doit être la chose quiressemble lemoins à Los Angeles quemon frèrem’ait dite depuis ses

dix-huitans.–Qu’enpenses-tu?demande-t-il.Je reviens à moi et me rends compte que je n’ai toujours pas

répondu.–Ouais,Jones.Situpensesquec’estcequiterendraheureux,alors

tudevrais foncer.Etsi tupeuxfaire lesdeuxetcontinueràgagner tavie,ehbien,c’estencoremieux.Cequejesuisentraindetedire,c’estquetupeuxchoisir,grâceàVanityFair.

–Ouais.– On verra bien. (Mon téléphone bipe et je regarde l’écran. Un

appeldeCaleb,lemanagerdeDan.)Écoute,Jonah,j’aiunautreappeletc’estplutôtimportant.Jepeuxterappeler?

–Pasdeproblème.(Jepensequ’ilvaraccrocherquandilseremetàparler.)Oh,ehCarter?(Ilsetait.)Merci.

Ilraccroche.Je n’ai pas le temps dem’attarder sur cette nouvelle vulnérabilité

quemonfrère,d’ordinairesiprésomptueux,memanifeste,jerépondsàl’autreappelencommençantàfairelescentpas.

–Caleb,salut.–Salut.JesuisavecDan.Onpeutsedireunmot?–Absolument.J’entends de vagues bruits quand le téléphone change de mains,

puisDanrépond.–Carter,nousarrivonsenfinànousparler!–Dan,commentçava,mec?–Bien.Jeviensdefinirdelireunscénarioetilesttrèsmauvais.(Il

rit.) Tous ceux qu’on m’a proposés ces derniers temps sont mauvais,pourêtrehonnête.

LedernierfilmdanslequelDanajouéétaitunfilmd’actionàgrosbudget qui se déroule dans un navire pétrolier en plein naufrage. Etavant ça, il a incarné un policier tentant d’arrêter un cartel denarcotrafiquants et je suppose que les scénarios qu’on lui a envoyés

sontdesrépliquesdecequ’iladéjàfait.Jeprendsnoted’essayerd’enavoirlecœurnet.

–Querecherches-tu,exactement?JeparcoursmentalementlapiledescénariosgéniauxqueBradm’a

récemmentenvoyés.–Ceque jecherche,c’estunagentquicomprennequi jesuismais

aussi qui je peux devenir. Jared Leto a gagné un Oscar pour DallasBuyersClub,maisilaaussijouéleJoker.

– C’est aussi une rock-star. (Dan éclate de rire.) Il donne desconcertsplutôtsympas,situasl’occasiond’yaller.

– Exactement. Personne ne lui dit qu’il ne peut pas sortir de sonpersonnageduJoker.Mêmes’ilasouhaitél’interpréteretsicerôleététrèsimportantdanssacarrière.

–Ilaaussiletalentnécessairepourévoluer.–Ettupensesquemoi,non?–Jeneseraispasentraindediscuteravectoisic’étaitmonavis.Du

moinsentantqu’acteur.Mais jedoisêtrehonnête,Dan.Tuseraisunerock-stardemerde.

Ilritencore.–C’estceque jecherche.Unagentquim’obtient lesrôlesdont j’ai

besoinmaisaussiceuxque j’attends.Unagentquisauramedissuaderd’accepterdesrôlesquinefonctionnerontpas.

– Lécher des bottes n’a jamais aidé personne. Personne n’en tireprofit.

–Tupensesêtremonhomme?– Je suis certain d’être ton homme. Tu es une carrière, pas

seulementunrôle.–Alors,c’estparti,dit-il.Jedoisrepartirsurletournage,maisCaleb

s’occuperadesdétails.Faisonsdesfilmsensemble,mec!– Et gagnons des prix ! je réponds en récoltant un « Seigneur,

ouais»avantqu’ilnepasseletéléphoneàCaleb.Quandjeraccroche,jemedemandesijen’aipasrêvé.

Ilyaencorequelquesdétailsàfinaliser,maisjesuislenouvelagentdeDanPrintz.

Moi.Jepasseunemaindansmescheveuxetcontinueàfairelescentpas

avantd’attrapermontéléphone,prêtàappelerEviepourluiannoncerlabonnenouvelle,quandjem’arrêtenetetlelancesurlelit.

Je ne peux absolument pas raconter ça à Evie aujourd’hui. EllepensequeBradestentraindelapousseràdémissionner,etaprèsavoirassistéàleurpetitealtercationcematin,jesuisd’accordavecelle.Nonseulement je lui ai piquéDand’unemanièreassez louchemais je suiscertainque jepeux fairedes chosespour luiparceque j’ai accèsàunlotdescénariosgéniauxqu’Evien’apaseul’occasiondelire.

Montéléphonepèsedansmamain.Puis-jem’accorderunepériodede grâce de vingt-quatre heures avant d’annoncer à ma nouvellecopineunenouvelledévastatricepoursacarrière?

J’ouvre l’application calendrier et envoie à Justin un mot pourbloquer un rendez-vous mardi, après avoir confirmé les détails avecDan. Il vautmieux ne pas se précipiter. Je vais passermonweek-endici,reveniràLosAngelesetparleràEvieleplustôtpossible.

Les week-end de team-building sont régis par un objectif unique :faire passer un groupe d’adultes plutôt performants dans leur travailpourdes idiotspendantunepériodedequarante-huitheures,aunomdelafabricationcorporatedeliensenentreprise.Ceweek-endn’estenriendifférentdesautres.

Ce n’est pas que les jeux soient stupides en soi – ils sont mêmevraiment marrants – mais il est difficile de comprendre quelle en estl’utilité dans le monde réel. Vraiment, comment se battre contre unzombie dans une salle de conférences fermée à clé va-t-il m’aider àexpliqueràmoncollèguedemanièrecalmeetraisonnablequejeluienveuxd’avoirmangémonsandwich?

Le premier jeu est donc le bien nommé Zombie Escape. Un« zombie » est attaché au centre de la pièce et on lui donnegraduellement de plus en plus d’espace. Les autres membres del’équipesontcensésrésoudreplusieurspuzzlesavantquelezombienesoitlibéré.Lemeilleurmomentdecejeuaétélesacrificed’Ashtonparl’équiped’Eviepourobtenirtroisminutessupplémentaires.

L’organisatrice, Libby, leurdonnedesbonuspour avoir résoludesproblèmes de la vie courante mais leur rappelle que ce n’était pasexactement l’esprit du jeu. Mais soyons clairs : j’aurais fait la mêmechosedanslavieréelle.Ashtonestunconnard.

Nouvelleactivité,OfficeTrivia.Noussommesrépartisenéquipesetnous gagnons des points en répondant correctement à des questions.Audépart,lesquestionssontassezsimples,ellessontdestinéesàtesternoscapacitésd’observationetnotremémoire:àquelétagesetrouventlestoilettesmixtes?Dequellecouleurestlecanapédubureaud’Evie?

Vousvoyez?Simplecommebonjour.Mais quand l’exercice se transforme en une scène tout droit sortie

de Cards Against Humanity 1 , avec des questions comme « Quicorrespond leplusà ladescription :unmoment agréable, parfait pourundéjeuner » et que lamoitié du groupe crie «Rose ! », il est tempsd’arrêter.

Accessoirement,laréponsecorrecteétait:duyogadanslasallederepos.

J’ai du mal à m’empêcher de regarder Evie pendant toutes cesactivités, je m’approche de son équipe et trouve des excuses pour latoucher.Aprèsledéjeuner,quandtoutlemondeseretrouvepourunepromenadeautourdulac,sionavaitcherchémesempreintesdigitalessur Evie avec les techniques des experts, il n’y aurait pas un seulendroitsanstracesbleues.

La température est fraîche et, en bons petits soldats californiens,nous revêtonsnosvêtementsd’hiverachetés exprèspour cevoyageet

commençons la promenade. Je cours pour rejoindrema copine –macopine!–etluiprendsdiscrètementlamain.

Les jouesd’Evie sont rosesà causedu froidet jem’approcheaussiprès d’elle que je peux. Nous ne pouvons pas nous toucher aussilibrementquenouslevoudrions.

–Qu’est-cequetuveux?demande-t-elleensouriant.Alors que nous laissons s’accroître la distance entre le groupe et

nous,jeglisseunemainhorsdemapocheetattrapesonpetitdoigt.–J’avaisjusteenviedetetenirlamain.–Tuestellementmignon,semoque-t-elle.Maiselleserrequandmêmemondoigt.Et soudain… Bear traverse le groupe en courant alors que nous

marchons le longdu lac.Auboutd’unmoment, il s’arrêteauborddel’eauets’accroupit.

–Ohbonsang,jemurmureendonnantuncoupdecoudeàEvie.Ellesetournepoursuivremonregardetlaisseéchapperunsoupir.Les pattes arrière du chien tremblent, il se cambre et, si je jouais

auxdevinettes,jediraisqueBearadesproblèmesintestinaux.– Bear ! crie Brad. (Tout lemonde jette un coup d’œil discret au

chienquifaitsesbesoins.)Qu’est-cequetufous?Sorsdel’eau,elleestglacée!

Bearnebougepasd’unpouce. Il avanceunpeuplus, s’accroupit,gémitennouslançantunregarddésespéré.

Evie me jette un coup d’œil et l’horreur se peint sur nos visagestandisqueBradcontinueàvociféreretqueBearcontinueà…ehbien,faire ses besoins. L’assemblée se trouve au bord de l’eau comme s’ilsvoulaient être témoins de l’incident. Personne ne semble capable dedétournerleregard.

Je lâche la main d’Evie et marche vers l’avant du groupe, sur lepoint de tout avouer et de suggérer qu’on emmène Bear chez levétérinaire le plus proche, quand le problème se résout de lui-même.Bearaboiejoyeusement,seredresseavantdesauterdanslaneige.

– Eh bien, c’était décevant, lance Kylie. Je pensais qu’il allaitaccoucherouquelquechosedugenre.

Toutes les têtes se tournent vers elle, avec la même expressionconfuse,quandquelqu’unpousseuncri.

–OhSeigneur,Brad,ditRose.JepensequeBearadesvers.Nous regardons tous, parce qu’au point où nous en sommes,

pouvons-nousfaireautrechose?Quatrechosesvertpâleflottentsurlasurfacedel’eau.

JegrimaceenregardantEvieaumomentoùquelqu’undit:–Est-ceque…attendez,cesontdespréservatifs?

Inutilededireque jen’ai jamaisautantattendulafind’unvoyageque maintenant. Le séminaire a été agréable en soi – super, si oncomptedeuxnuitsethuitpréservatifs(dontseptutilisésjusqu’aubout)–maisdirequej’étaisdistraitseraitungrossiereuphémisme.Ceweek-end m’a paru un peu comme un test, mais en dehors de l’IncidentCapotes, comme nous avons décidé de l’appeler, et de la petitealtercation entre Brad et Evie dans sa chambre, ça a été un succèsretentissant.

Toutledépartementapliébagageetsavoureunedernièretassedecafé avant que les voitures n’arrivent pour nous récupérer. Le feucrépitedanslacheminée,lesvalisesattendent,rangéesenligneprèsdel’entrée,etjecomptelesminutesjusqu’àcequ’Evieetmoisoyonsseuls.J’ai envie d’être seul avec elle pour lui parler deDan, oui,mais aussipour discuter, digérer tout ce qui s’est passé entre nous et établirensembleunplanconcernantBrad.

Evieestautéléphoneavecleschauffeursetjemetrouveprèsdelacheminée, je la regarde aussi discrètement que possible. Brad et Kyliediscutentdansuncoin,j’entendsdesbribesdeleurconversation,mêmesijen’yprêtepasparticulièrementattention.J’aihâtedemetirerd’ici.

– Je ne sais pas, dit Kylie, je leur ai spécifiquement demandé quetout vous soit directement adressé. (Brad acquiesce.) Je ne vois paspourquoiilsauraientfaitautrement.Jeleuraidit,Brad.

–Jesais.(Ladouceurdansletondesavoixattiremonattention.)Lesgensonttropdepainsurlaplanche,jem’enoccuperai.

Je ne réalisais pas que je les dévisageais avant que Brad jette uncoupd’œilpar-dessusl’épauledeKylieetcroisemonregard.Merde.

IlcongédieKylieenluidemandantdevérifierquetoutlemondeestprêt,ets’approchedemoi.

–Carter, lance-t-il, les sourcils froncés, en jetantuncoupd’œilaubar.Tun’étaispaslàl’annéedernière,maispenses-tuqueceséminaireaétéunsuccès?

–Absolument.Evieméritedesfélicitations.Il s’appuiecontre lacheminéeetattrapedesbonbonsà lamenthe

dansunsaladieravantd’enenfournerplusieursdanssabouche.–Netesenspasobligéde lacouvrir, tusais.Siellen’apas faitce

qu’ilfallait,tupeuxmeledire.Jesaisquetul’aimesbeaucoup,Carter,etmoi aussi. Evie est une fille super.Mais elle a aussi une réputationdanslemilieu.

–VousvoulezparlerdeFieldDay.–Exactement.Et jen’aimeraispasquetusoismêléàunesituation

quipourraitmettreendangertacarrière.Surtoutparcequej’aimeraisquenousparlionsdurenouvellementdetoncontrat.

Jemeredresseetreculed’unpas.–Avectoutlerespectquejevousdois,Evieestl’unedes…Jesuiscoupépardeshourrasetdesapplaudissementsdanslehall

de la réception. Les voitures viennent d’arriver, une Evie souriantes’approchedenous.

– Il est temps de partir, dit-elle, et son sourire s’éteint un peu ennousregardant.Toutvabiendevotrecôté?

Bradluisouritdecesouriresiparticulier.–Nousparlionsjustementdudéroulementduweek-end.

–Ouais?Unsuccès,n’est-cepas?Ellenousoffreunsourirefier.– C’était incroyable. Je disais justement à Brad quemême si nous

avons tout planifié ensemble, tu m’as vraiment impressionné : gérertoutça,enplusdureste.

Sonvisages’illumine.–Merci.ElleregardeBradenattendantuneconfirmationquelconque.Qui,biensûr,nevientpas.–Ondirait qu’il est tempsde filer, dit-il platement. Je vous verrai

touslesdeuxdemain.Profitezdurestedevotrejournée.Le visage d’Evie se ferme et je sais que ses peurs viennent d’être

confirmées. Pour une raison que j’ignore, Brad s’attendait à ce qu’elledéconne.

Soudain, je comprends que l’animosité de Brad n’est pas dueseulementaufaitqu’Evieestunefemme.Ilnes’agitpasdesexisme.

Enfin,c’estpartiellementlecas.Evien’estpasfollequandelleparlede deux poids deux mesures. Brad n’essaie pas de se débarrasser detoutes les femmesde la boîte,même s’il les traite toutesmal.Donc sadentcontreelleneseréduitpasàcela.

Non.EviesaituntrucsurBrad.Resteàsavoirsielleaenconscienceounon.

1.CardsAgainstHumanityestunjeuaméricaindequestions-réponsesutilisantdesmotsoudesphrases volontairement offensantes ou politiquement incorrectes présentées sur des cartes àjouer.

Chapitre23Evie

Jemeconsidèrecommeunepersonneparticulièrementintuitive,mais

même un nouveau-né percevrait la tension entre Brad et moi. Lundimatin,iln’abordepaslesujetduséminaire.Ilnesemblemêmepasmeremarquer quand nous nous croisons dans le couloir. Et le souriresympathiquedeKyliesignifiantjet’aimevraimentbienquandmême!estencore plus éloquent que le silence glacial de Brad. Il n’est pasinhabituel d’avoir des relations tendues au travail, même – peut-êtremêmespécialement–avecsonboss,maisétantdonnéquej’aifaittoutce qu’il me demandait et plus encore, son comportement me laisseperplexe.

J’ai beau adorer le boulot d’agent et apprécier à leur juste valeurl’ampleurdes ressourcesdeP&D, jedoisadmettreque jecommenceàavoirdumalàtoutencaisser.

Carter etmoi avons baisé toute la nuit, vendredi et samedi, nousnous sommes envoyés en l’air samedi matin, bien sûr, et chez moi,dimanche, nous n’avons pas quitté le lit. Je me concentre là-dessusplutôt que sur le reste. Être enivrée de plaisir est certainement plusagréable que se laisser submerger par le stress au boulot. J’ail’impressiond’êtreunpersonnagededessin animé sepromenant avec

unhalod’étoilesautourde la tête,maisau lieud’avoirétéassomméeparuneenclume,j’aiétépilonnéeparlepénismagiquedeCarter.

Mardi matin, Rose annonce qu’elle quitte le milieu du cinéma,rentreenIowaetouvreunelibrairie.LaréactiondesautresconsisteenundiscretOkaaaaaay? qui traîne en longueur. Pas étonnant dans lamesure où il s’agit d’un virage à cent quatre-vingts degrés de sacarrière. D’ailleurs, personne ne se doutait que Rose lisait. Ou qu’elles’intéressait,mêmedeloin,auxlivres.

Elle annonce la nouvelle au milieu du couloir, devant seizeassistants et stagiaires bossant dans la zone commune. L’assistancesoupiredesurpriseetdedéception–lesstagiairesadorentRose,parcequ’elleleurracontetouteslesanecdotescroustillantesqu’elleconnaît.

Roseposeunemaintremblantesursapoitrine.–Jesais,dit-elle.C’estdifficilepourmoiaussi.Vousalleztellement

memanquer.De l’autrecôtéducouloir, je sens le regarddeCarter seposer sur

moi. Nos yeux se croisent, et nous devons faire un effort surhumainpournousretenirdesourire.

Çasignifiequ’ilyaunagentdemoinsàL.A.ÇasignifiequeBradpourraitpeut-êtrenousgardertouslesdeux.Montéléphonevibredansmamain–unappeld’unproducteurde

Sony–,attirantmonattention.Jemeprécipitedansmonbureaupourrépondre.

–Evie,lancelavoix.Ici,FrankNelson.–Frank,jesuisheureused’avoirdetesnouvelles.–Écoute, jesuissurlepointd’entrerenréunion,maisjevoulaiste

dire deux mots rapidement. J’ai un scénario sous le coude quej’aimeraisquetuproposesàTrentVanh.C’estuneénormeproductiondeMichael Bay et nous avons déjà signé avec Keira Knightley. Trentseraitl’acteurprincipal,s’ilestpartant.

Moncœurnebatpasdansmapoitrine,ilfaitdesloopings.–J’adoreraisyjeteruncoupd’œil.(Jerépondsaussicalmementque

possible.) Envoie-le moi avec les détails de l’offre et je te tiendrai aucourant.

–Super.Ilraccroche.Facile.Rapide.Àpointnommé.Cettepropositionpourraitchangerladonne.

–Entrez,s’écrieBraddel’autrecôtédelalourdeportedechêne.Je pénètre dans son bureau, lesmains encore tremblantes. Il lève

lesyeux,impassible.–Evie.–J’aiunesuper-nouvelleàtecommuniquer.Ilmepriedecontinuerendescendantseslunettessursonnezeten

croisantlesmainsdevantlui.– Frank Nelson vient de m’appeler pour offrir à Trent le rôle

principaldanslenouveaufilmdeBay.LaréactiondeBradserésumeenunhaussementdesourcilsetune

grimacediscrète.Ilyasixmois,ilseseraitlevépourmefaireuncâlin.Maistoutcequej’obtiens,c’est:–Bien.Bien.–Ilm’envoielescénario,etl’offre,aujourd’hui.Bradacquiesceensouriantimperceptiblement.– Très bien. (Il inspire brièvement, se penche en arrière sur sa

chaisepourmedévisager.)L’as-tuditàCarter?Mon cœur s’arrête et je deviens livide. Mon instinct m’incite à

répondreavecprécaution.Mepose-t-il laquestionparcequ’il saitquejecoucheavecCarter?OuparcequeTrentserabientôtdanslalistedeCarteretquejeferaimescartons?

–Jesuisvenuteledireenpremier.Jeleluidiraiquandjeleverrai.Bradsourit.

– Lui aussi est sur un gros coup, qui ne va pas tarder à seconcrétiser.T’ena-t-ilparlé?IladébauchéDanPrintzsamedi.

Je suis Alice, je traverse le miroir. Je suis Thelma qui fonce endirectiondelafalaise.

–Ahoui?Ahoui?Ahoui?Pourquoi ne me l’a-t-il pas raconté ? C’est précisément ce que je

voulaispourlui!Mesjouessontbrûlantes.Seigneur, jedoisêtretouterouge.Jedoisfilerd’icienvitesse.

Bradremetseslunettesavecunsourireauthentique,cettefois.–Donc,félicite-le.C’estunesuper-nouvellepournous.

Jeréagisdeseptmillemanièresdifférentesàcettenouvelle,ettoutse télescope dans mon corps. Confusion, surprise, colère, tristesse,inquiétude, culpabilité, bonheur. Je me laisse submerger par lesémotions.

Jem’enfermedanslestoilettes,m’assiedsetmeprendslatêteentrelesmains.

Réfléchis,Evie.Réfléchisàça.Pourquoinetel’a-t-ilpasdit?Jesaispourquoi:lasituationestcompliquéeetnotrerelationvient

justedepasserdustadeCoupe-GorgeàSexe-À-Tout-Va.Carter est-il vraiment ce mec ? Suis-je si aveuglée par mes

sentiments que je ne voismême pas qu’ilme baise tout enme volantmontravail?Moncerveauhurle,jemefrottelestempes.

Je sais que penser à unedifférence de traitement due àmon sexeest un réflexe pavlovien. Le plus triste, c’est que j’ai raison la plupartdutemps.Maisils’agitdeCarter.Jel’aivudanssesmeilleursmoments,danssespiresmoments,jeleconnais,n’est-cepas?

Jefermelesyeuxenm’enjoignantd’arrêterdedivaguer.Si la situationétait inversée, lui aurais-jedéjàappris lanouvelle ?

Peut-être,maisprobablementpas.Jevoudraisd’abordvoirlasignatureenbasdelapage.JevoudraisêtresûrequeDanPrintzdeviendramonclient,parcequelenombredefilmsdeMichaelBaydanslesquelsTrentjouera n’est pas si important. Dan Printz représente l’avenir. C’est lenouveau Brad Pitt, le nouveau Clooney. Ce type n’est pas une petiteétoile,c’estunsoleil.

Qu’est-cequeçaimpliquepourmoi?Après le départ de Rose, qui sait ? Mais ça signifie probablement

que jepasseà lasecondeplaceaprès legolden-boyetquecegolden-boyestmonpetitami.Puis-jeaccepterça?

Je ne trouve pas Carter dans son bureau lorsque j’arrête depaniquer.Jememetsà faire lescentpasdans lemien, répondsàdesmailstoutenmecalmantprogressivement.Ilestseulementmidiet j’aiune to-do list démesurée, mais quand je me demande par quoicommencer,riennemevientàl’esprit.

J’appelle Jess, lui demande de parcourir et de prioriser mamonstrueuselisted’appelsàpasseretmeconcentrelepluspossible.Letravailm’aideàrevenirsurterre.Commeaiguiseruncouteauoutaillerunehaie.

Jesss’arrêtedevantmaporte.–As-tueul’occasiondeparcourirlesfacturesduséminaire?Jegrimace.–Merde!C’estauprogrammeaujourd’hui.Mercidemelerappe…Les chaussures de Carter crissent sur le marbre quand il sort de

l’ascenseur, je saute sur mes pieds et me mets à courir dans sadirection.LeriredeJessmesuitdanslecouloir.

Jetrottinedanssadirection,luiattrapelebras.–Carter.

–Salut,FolleDingue,lance-t-ilenriant.Mais son expression redevient sérieuse, comme s’il savait que je

savais,etillèvelementonpourdésignersonbureau.Ilfermelaportederrièrelui.–Evie…– Je viens de parler avec Brad, lui dis-je, à bout de souffle. On a

offertunrôleàTrentdanslanouvelleproductiondeBayetilm’aparlédeDanet…

– J’allais te le dire, me coupe-t-il, et son expression d’affolementm’attriste.Jeviensdedéjeuneravecluietj’allais…

–Jenesuispasencolère,jerépondscalmementenl’interrompant.Jel’étais.Maisjemesuiscalmée.

Carters’assiedlourdementsursachaise.–Jesavaisquetulecourtisais.Et,pourêtrehonnête,j’aiditàDave

dumagazineVine de t’envoyer unmail pour rentrer en contact avectoi.

Ilfroncelessourcilsetdéglutit.–Ahbon?Quand?– Genre pendant ta deuxième semaine, peut-être ? (Je hausse les

épaules.) Dave pensait que Dan allait atterrir dans ma liste. Je l’aidirigéverstoi.

Ilsecouelatête,abasourdi.–Tun’avaispasàfaireça.–Lafusionvenaitdeseproduireettun’avaisquedepetitsclients.

Je voulais gagner, mais en jouant à armes égales. J’avais peut-êtresous-estimélamenacequetupouvaisreprésenter.Jenesaispas.Maisje suis ravie que tu travailles avec Dan. Je pense que vous vousentendreztrèsbien.Jenesuispasencolèreparcequetunemel’aspasdit.Jetelepromets.

Il semble perdre pied quelques secondes, puis demandecalmement:

–Jen’arrivepasàcroirequetuaiesfaitçapourmoi.

J’éclate de rire, ce qui le surprend, parce que mon rire ne passejamaisinaperçu.C’estunéclatderireretentissantàlaEvil.

–Commejetel’aidit,jevoulaistebattreàarmeségales.Il lève un sourcil taquin en m’entendant dire que je comptais le

battre.Monrythmecardiaques’accélèreet jesongesoudainqueDarylaraison.J’aimeêtreencompétitionaveclui.Quiauraitpuledeviner?Et, oh mon Dieu, nous en parlons comme des adultes, en personne.Nousenparlons.

–Enoutre,tumeplais.Imbécile.Iltendlebras,m’attrapeparleshanchesetm’attirecontrelui.–Jete«plais»,c’esttout?–Peut-êtreunpeuplus.Il grogne, se penche pourm’embrasser sur le ventre à traversma

robepuisunpeuplusbas.–Commentpuis-jeteconvaincredesigneravecmoi?–Continuecommeça.Et il m’embrasse, il s’excuse,me caresse les fesses, les cuisses – se

souvient–,ilplongelesdoigtsdansmescheveuxetjefermelesyeuxenlevantlatêteendirectionduplafond.

Jen’enai rienà fairedecebureau.Jen’enai rienà fairedecetteagence.

Jetiensàmesclients.Jetiensàcethomme.–Dann’apasencoresignélecontrat,maisilm’adonnésonaccord

autéléphone.Ilveuttravailleravecmoi.(Carterhésite.)Ilvoudraitqueje joue le rôle de manager, en plus d’être son agent. Tu sais que,légalement,jenepeuxpasfairelesdeux.CalebveutquejedéménageàNewYork.Jedoisvoirsiçapeutfonctionner.

J’acquiesce, mais il ne le voit pas. Mon silence ne semble pas legêner. Ilme serre un peu plus contre lui, pose son visage contremahanche. Mais il semble soudain se souvenir de quelque chose ets’écarte,levantlesyeuxversmoi.

– Si tu n’es pas en colère, pourquoi avais-tu l’air aussi paniquéequandjesuisarrivé?

Quand j’essaiede sourire,mon sourire ressembledavantageàunegrimace,doncjelaissetomberethausselesépaules.

– J’ai le sentiment que je ne vais pas rester ici encore trèslongtemps.

Ilmecontemple,silencieux.–QuelquechosenetournepasrondavecBrad.EntreBradettoi,je

veuxdire.Jeris.–Tucrois?–Non, sérieusement. (Carter se lève et regarde derrièremoi pour

s’assurer que saporte est bien fermée.) J’y ai pensé tout leweek-end.Pourquoiréagit-ilainsiavectoienparticulier?

Aucuneidée.Jehausselesépaules.–Sais-tuquelquechosesurlui?–Beaucoupdepetitsdétailsdésagréables.Maisriend’énorme.Rien

quej’aiepartagéavecquiconque.–Etillesait.(Ilsefrottelevisage.)Alors,vraimentjenecomprends

pas.

ParcequeCarterestapparemmentlemeilleurpetitamidumonde,ilm’emmèneprendreunpetitdéjeuneràl’heuredudîner.DevantmonénormepiledepancakesauGriddleCafe,nousdiscutonsde tout saufdu travail, interrompus fréquemment par les textos remplis d’emojisenthousiastes deMike et Steph. Nous leur avons envoyé un selfie denous un peu plus tôt : moi, louchant, les joues gonflées, tandis queCarterm’embrassesurlajoue.IlaécritJevousprésentemacopine,Evil,avantd’appuyersur«envoyer»danslaconversationdegroupe.

Jesupposequej’aireçulemessagequenousformonsuncoupleetquenousnesommesplusentraindecomploterlamortdel’autre.

Nous parlons de nos familles, parce qu’il y a une possibilité trèsréelle pour que nous les rencontrions bientôt, peut-être même pourqu’ils se rencontrent. Il me raconte qu’il a été fiancé une fois, qu’iladoraitcette fillemaispasassezpour toutabandonnerpourelle.Ellevoulait une vie ordinaire et Carter aspirait à briller. Nous parlons dufaitqueStephavaitraisonetquej’arrivetoujoursàtrouverdesdéfautschez les hommes avec qui je sors – Trop enthousiaste ! Pas assezenthousiaste ! – et du soulagement que je ressens en général en lesplaçantdanslacolonne«noncomestible».Enprétendantquec’estdeleurfauteetnondelamienne.NousparlonsdeDaryletd’Amélia,deleur importance dans ma vie. Du fait que je connais Daryl depuistoujoursetquej’aimeAméliapresqueautant.

– T’ont-elles vue depuis vendredi ? demande-t-il fièrement. Parcequesiellestevoyaientmarcher…

Ilmemimeentraindechanceler,lesjambesarquées,avecsesdeuxdoigtssur latable,et je luienvoieunefourchetted’œufsbrouillésà lafigure.

Ilramasselesœufsetlesmange.Ilestpossiblequejesoisvraimentamoureusedelui.–Désolé,dit-ilsoudainenmeprenantlamain.Çat’adégoûtée?–Quoi?Non.–Alors,pourquoisembles-tusurlepointdevomir?–Parcequejet’aime.Ilrit,ravi.–C’estterrible.–Je…neparspas,fais-jesoudain.–Partiroù?–N’importeoù.Ilselèvepoursepencherpar-dessuslatable.Seslèvresontlegoût

desiropd’érable,sonsouriremesembletellementfamilier.

Sontéléphonesemetàvibrer.Carter s’écarte en souriant, se rassied lentement avantde jeter un

coupd’œilàl’identitédelapersonnequil’appelle.Illèveundoigt,l’airdedirejusteuneseconde,etrépond.

–Salut,Dave.Endeuxsecondes,lesjouesroséesdeCarterdeviennentblêmes.–Quoi?Non,cen’étaitpasmoi.Absolumentpas.Ilsetaitensecouantlatête.–Putain,non.Ça…iln’amêmepasencoresigné.(Ilhochelatête.)

Juste au téléphone. Et c’était à toi de l’annoncer, une fois que jemeseraisoccupédespapiers.

Finalement,ilmejetteuncoupd’œiletmurmure.–OuvreVariety.Maintenant.Je fouille dansmon sac pour trouvermon téléphone et j’ouvre le

navigateur. La page se charge lentement, mais quand le contenus’affiche enfin, Carter a raccroché et attrape le téléphone que je luitends.

J’aidéjàluletitre.Je n’ai aucune idée de ce qui se passe,mais Carter semble sur le

pointdevomirsespancakessurlatable,etcen’estpasparcequejeluiaidéclarémonamour.

C’est parce que Variety vient d’annoncer que Dan Printz a signéavecCarter.

Jemurmure:–Quesepasse-t-il?Cartersecoue la tête, lisantetrelisant l’articleavantdemerendre

letéléphoneensifflant:–Meeeeeeeeeerde!Jeparcoursl’article.J’enailanausée.

L’hommeleplussexydel’annéequitteLorimac

Dan Printz à l’affiche du blockbuster Global , récemment éluL’Homme le Plus Sexy de l’Année par le magazine People , asignéavecl’agentartistiqueCarterAaron.Printz s’est révélé comme l’un des acteurs les plusincontournables d’Hollywood, après le succès au box-office deUnderaStonySky,oùPrintzjouelerôled’uncyborgmenaçantqui sauve une famille d’une corporation cherchant à éliminerleurs enfants qui sont des génies. À ce jour, le film a rapportéplusde750millions,àl’international.PrintzétaitreprésentéparJoelMeyerchezLorimac,quialancésa carrière avec Edge , produit par Universal et réalisé parGeorge Stan. Lorimac était en pourparlers avec Sony et FoxpourobteniràPrintzunrôledansplusieursfilmsàgrosbudget,mais d’après le porte-parole de Printz, ces contrats seronttransférésàCarterAaron,àcompterd’aujourd’hui.Aaron,originairedeNewYork,travaillepourlanouvellesociétéissuedelafusiondeP&DetdeCTM.

Jefixel’écran,abasourdie.–Pourquoiest-cedansVariety?C’estunequestionstupide,maisjecomprendsmaintenantpourquoi

Dave a appelé Carter. Dave était censé obtenir le scoop. Dave allaitécrireunarticleimportantdansl’éditionimpriméedeHollywoodVineenéchangedelaprimeurdelanouvelle.

–Aucuneidée.Sa voix est saccadée. Carter sort son portefeuille, pose à la hâte

deuxbilletsdevingtdollarssurlatable.Sesmainstremblent.Je me dépêche de le suivre quand il s’éloigne en direction de la

porte.Quelquesclientsseretournentpournousregarder.–Pourquoi…?

Tant de questions me passent par l’esprit. Pourquoi est-ce sortimaintenant?CommentVarietya-t-ilpuobtenirlescoop?EtpourquoiCarterest-ilmentionnéaussiclairement?

Ce n’était pas censé se produire, mais… Carter ne ferait pas ça,n’est-cepas?Ilsaitqueçanesefaitpas.

Ildoitlesavoir.C’estlarèglenumérounparmilesagents.–Lorimacsavait?Carterseruehorsdurestaurant.–Non, je ne pense pas. Enfin,Danne pouvait pas s’engager avec

moi avantd’avoir viré Joel,mais il lui anotifié sadécision la semainedernière et j’ai eu l’impression que Joel le cachait à Lorimac, certainque Dan reviendrait. Je n’apprécie pas Joel, mais ce n’est pas unebonnemanièrededécouvrir le pot aux roses.Putain. (Il lève le poingd’unairfurieux.)Putain!

Quitteruneagencen’estjamaisfacilepourunacteur.Leprocessusest très complexe. Surtout quand il s’agit de talents comme Dan, quiemportent plusieursmillions de dollars avec eux. Non seulement sondépartaffecteralesrésultatsdel’agencemaisilterniraleurréputation.CetteannonceestmauvaisepourLorimac,oui,maisellepourraitêtretout aussi dommageable pour P&D parce que l’article nous laisseentendre que nous sommes des connards sournois magouillant pourvolerdesacteurs:riendetoutcelan’auraitdûêtrerendupublicavantquenoussoyonssûrsque lesdirigeantsdeLorimacétaientauparfumetavaienteuletempsdepréparerleurpropredéclaration.

Mais,plusencore,çafaitdeCarterunsaleconsournois,parcequ’ilest mentionné spécifiquement et que P&D apparaît à peine dansl’article. L’article semble le désigner comme le responsable de cerevirement.Luietnonl’agence.

Jecoursderrièreluiententantdeformuleruneautrequestion:–Carter,pourquoi…Ilsetourneversmoi,écarlate.

–Jen’enaiaucune idée,putain,Evie,d’accord?Jen’enaiaucuneidée!

Ils’écarteetposelesmainssurmapoitrine.–OK!Seigneur.Il soupire et m’attire contre lui. Je suis encore abasourdie et me

laissefaireavecunpeuderéticence.–Jesuisdésolé,murmure-t-ilenm’embrassantdanslescheveux.Je

suis désolé. Je ne sais pas. Je n’ai aucune idée de ce qui vient de sepasser, bordel. J’ai dit à Dave qu’il aurait l’exclusivité. J’ai vu Danaujourd’huietnousnoussommesserrélamain,jeluiaimêmeparlédelapossibilitédel’annonceràtraversTheVine–ilétaitravi–,maisiln’apasencoresigné.Jen’ai jamaisparléàTedStatskydeVariety, jen’aiaucuneidéed’oùiltientsesinformations.

Jeluiprendslamainpourl’attirerversmavoiture.–Allonsaubureaupouréclaircirleschoses.Ilestpresque20heuresquandnousatteignonslecinquièmeétage,

mais toutes les lumières sontéclairéeset j’entends lavoixdeBradquiretentitjusqu’auxascenseurs.

Carter pâlit et me jette un coup d’œil avant d’avancer dans ladirectiondesonbureau.

Jelesuiset,mêmesijesuispresquesursestalons,jerestedanslecouloir. Je n’ai rien à voir avec cette crise en dehors du fait que jesoutiens Carter. Je suis prête à passer des coups de fil pour gérer lacrise.

LavoixdeBradtonne.– Qu’est-ce que c’est, Aaron ? Qu’est-ce qui se passe ? As-tu lu le

putaind’articledeVariety?– J’ai eu Dave au téléphone. (Carter tente de rester calme.) Ce

n’étaitpasmoi.Cen’étaitpasnous.C’estunefuiteextérieure.– Impossible ! crie Brad. Tu as voulumarquer ton foutu territoire

avec cet article ! Tu as écrit ton putain de nom avec une putain decalligraphiedefillettesurcette lettred’amourpourVariety.P&Destà

peinementionné,putain.C’estbieniciquetutravailles?Tufaispartiedemondépartement,oumerde?

–Biensûr,Brad.–Ehbien,pasd’aprèscetarticle!Pasdutout!Nousavonseudroit

àladernièreligne.Personnenelitlaputaindedernièreligne!Carter, avec raison, ne lui fait pas remarquer que tous les

collaborateursdeLorimaclirontcetteligne.–Je suis censé retrouverma femmece soirpourunévénementoù

elle va gagner un putain de prix, hurle Brad, mais voilà que je suisobligéderester ici–et j’essaiedecomprendrepourquoicettecalamitém’esttombéedessus.Seigneur,Carter,c’estunvraimerdier.

Jesaisque jenedevraispas– jesaisque jenedevraispas–,maisj’entredanslebureau.Moncœursegonfledecolère.

–Cen’étaitpasCarter,Brad.Jesuisavecluidepuisqu’iladéjeunéavecDan.

–DéjeuneravecDan?ditBradenseretournantversCarter.Donc,ilasigné?

–Ledépartementjuridiqueestencoreentraind’élaborerlecontrat,répond Carter en tentant de le calmer. Brad, nous sommesmardi. Ilm’adonnésonaccordautéléphoneilyatroisjours.Ill’areconfirméenpersonneenmeserrantlamain.JenesuispasassezstupidepourallervoirVariety–ouquiconque–avecunepoignéedemain…

Carterlaissesaphraseensuspens,parcequeBradnel’écouteplus.Ilmedévisageetjesuisprised’unesueurfroide.Cequejelisdanssonregardm’effraie.

Jelance,enm’efforçantderestercalme:–Est-cequevousvousfoutezdemagueule?–Jet’aiannoncélanouvelleaujourd’hui,grogne-t-il.Jet’aiparléde

DanPrintzaujourd’hui,Abbey,etvoilàcequetufais?Tuestellementjalouse que tu veux pourrir la vie de Dave, Dan, Carter et P&D enmêmetemps?

Carter recule d’un pas comme s’il venait de recevoir un coup depoing. Je tremble de tousmesmembres. Je serre les poings, puismeconcentrepourmedétendreetm’empêcherdefrapperBrad.

–Brad,c’estimpossible,commenceCarter.–Prenezunegrandeinspiration,Brad, je l’interromps,furieuse.Ce

n’étaitpasCarteretcen’étaitpasmoi.Illèvelementon,l’airdemedired’allermefairefoutre,etpouffe.–C’estbas,mêmepourtoi.Qu’est-cequeçasignifie,putain?Jemetourneetm’éloignesurmesjambestremblantes.–Vousavezperdu la tête,Brad.Rentrez chezvous. Lanuitporte

conseil.J’attendraivosexcusesdemainmatin.

Chapitre24Carter

A près avoir quitté le bureau de Brad, Evie marche calmement

jusqu’ausien,disparaîtàl’intérieurpendantunmomentpuisclaquesifortlaportequelestableauxsurlesmursducouloirtremblent.

Jefrappeàlaporteetpasselatêtedansl’embrasure.Ellealatêtebaissée,mais elle lève les yeuxdansmadirection.Des larmes coulentsursesjoues.

–C’estn’importequoi,Carter.J’entreenfermantlaportederrièremoi.–Biensûr.Jen’yaipascruuneseuleseconde.Ellesefrottelesyeux.Jedemande:–Quepuis-jefaire?– Tu as tes propres problèmes à gérer, répond-elle, d’une voix

étouffée. Je dois juste reprendre contenance avant de sortir d’ici etrentrerchezmoi.

J’aitoujourspenséqu’Evieetmoiétionsdeuxloupsdangereux,avecdesatoutsdifférentsquisecomplètent, formant l’équipeparfaite.Maismaintenant, je réalise que nous sommes les mêmes. Bien sûr, elle neveutpasléchersesblessuresdevanttémoin.

–Tum’appellesplustard?Elleacquiesceens’essuyantlevisage.

– Et dis-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. Je vais cesser depleurerdansuneminuteetjemeremettraienaction.

J’embrassesajouehumide.–Jen’endoutepas.Sur lecheminduretour, jepassequelquesappels.Dannerépond

pasautéléphone,Calebnonplus.J’envoiemonadresseàEviepuis jefaislescentpasjusqu’àcequeleportierlafasseentrerdanslehall,lesbraspleinsdeplatsàemporter.

– Je ne sais pas pourquoi j’ai acheté à manger, dit-elle en metendantun sacqui sent l’indien. (Elle inspireprofondément.)Cen’estpasvrai.Jevaisdevoirmangertoutça.

Jepose le sachet sur la tableet l’attirecontremoien l’embrassantsurlestempes.

–Tutesensmieux?Elleselaisseallercontremoi,poselajouesurmontorseetentoure

matailledesesbras.–Jemesensmal.Ettoi?–J’attendsdesnouvellesdeDanoudeCaleb.(Jeposemonmenton

sur sa tête.) Tu veux parler de ce qui s’est passé avec Brad ? Oumanger jusqu’à ne plus penser à rien ? Regarder un film ? Baisercommedesadolescentsquin’ontpasàs’inquiéterdeproblèmescommeletravailoulepaiementduloyer?

Elle me regarde en souriant, son premier sourire depuis lapublicationdel’articledeVariety.

–Maréponsepardéfautseralanourriture,maismaintenantquejecoucheavecquelqu’und’autrequemoi-même,jeferaispeut-êtremieuxderevoirmepriorités.

Jeluiprendslamainetlaguidejusqu’àlacuisine.–Et sioncommençaitpardiscuter, etpuisnouspourronsmanger

pendantquenouscouchonsensemble?– Si on allume la télé en même temps, je ne quitterai jamais cet

appartement. (Elle me regarde sortir deux assiettes.) Es-tu sûr d’être

prêtàmesupporteréternellement?Evie dispose la nourriture dans les assiettes, je vais chercher deux

bièresdanslefrigo.Puisjemesouviensqu’ellen’aimepaslabièreetluiapporteunverred’eauàlaplace.

– Jen’étais jamaisvenuechez toi. (Elle jetteuncoupd’œilautourd’elle.)C’estbienplusordonnéquetonbureau.

– À part Michael Christopher et Steph, tu dois être la premièrepersonneàymettrelespieds.

–Turigoles.– Disons que ces derniers temps, ma vie sociale a été assez peu

active.Elle prend une grande inspiration et sourit, comme si c’était

exactementcequ’elleavaitbesoind’entendre.–Ehbien,jeletrouvetrèscharmant.– J’aimapropre place de parking.Des plans de travail en granit.

(J’effleure la surface devant moi.) Cuisine en acier inoxydable, unechambre, un sol refait à neuf et une pomme de douche à sixparamètresdansunesalledebainsmoderne.Jenedispasçapourmelajouermaispourqueturécupèresmonbailsijeperdsmonjob.

Eviefroncelessourcilsenrepoussantlanourrituredesafourchette.–Jenepensepasquetudoivest’enfaire.Bradadumalàoublier

FieldDay.–J’aicomprisça.Çamesemblejustetellement…–Mesquin?finit-ellepourmoi.–Ouais, enfin, ce n’est pas comme si P&D avait perdu de l’argent

danscettehistoire.Lacommissionétaitlamême.Alors,pourquoiBradest-ilsiobsédéparcefilm?C’estcequejenecomprendspas.

– Je pense que c’est parce qu’il sait qu’il peut l’utiliser contremoi.Ça a tué la carrière de Mark Marsh, donc c’est comme unereconnaissance de dette que Brad peut ressortir chaque fois qu’il abesoindesesentirsupérieur.

–C’estnul.C’estcommedonneràquelqu’ununcarnetdecoupons«Massagesgratuitsdudos»surdupapierquadrillé.

Ellemesouritdanslegenretuesfou.–Cen’estpasvraimentça,enfait.– Mais tout le monde commet des erreurs. Parmi toutes les

personnalitésdetaliste,desacteursàlaproduction,danscombiendefilmsas-tuétéimpliquéed’aprèstoi?

Ellesoupireenregardantparlafenêtre.–Plusdecent,facile.–Exactement.Lesstatistiquesveulentqu’aumoinsl’undecesfilms

soitunéchec.–Donc?–Donc,fais-jeenattrapantlesamossadanslequelellen’afaitque

croquer,c’est laraisonpour laquelle jepensequ’ilyaautrechosequisetrameentreBradettoi.Sinon,c’estincompréhensible.

–Jenevoispascequeçapourraitêtre,répond-elleenhaussantlesépaules.IlnecessedeparlerdeFieldDay.(Elles’essuielaboucheavecsa serviette, puis repousse l’assiette.)Quoi qu’il en soit, çan’a aucuneimportance. Il suffiraqueBradmesoupçonned’avoirquelquechoseàvoir avec la fuitedeVariety , et ce sera fini. Pluspersonnene voudratravailleravecmoi.

–Maistun’esmêmepasmentionnéedanscetarticle.–Çan’aaucune importance.C’étaitpeut-être tonnom,maisDave

m’acontactéeenpremieret je luiaipassétoncontact.Toutlemondesait que Dave et moi nous connaissons depuis des lustres. Quoi qu’ilarrive,onaural’impressionquej’avaisuneidéederrièrelatête.(Ellesefrottelesyeux.)Seigneur,çacraint.Etçatefaitapparaîtrecommeunmanipulateur.C’estsurréaliste.

– Je sais. (Je l’attire contre moi.) Mais qui a pu donner l’info àVariety?C’estincompréhensible.Jen’enaiparléqu’àBrad.

–Danestentouréd’idiots.Sonmanagerestuntypesympa,maislerestedesonentourageestconstituédeconnardsdepremièreclasse.Je

ne seraispasétonnéed’apprendrequ’ilsont lâché l’informationàunefilleaveclaquelleilsavaientenviedecoucher.Ilsontpeut-êtreparléàlamauvaisepersonne.

– Et on fait quoimaintenant ? Je n’arrive pas à contacterDan ouCaleb.Daveadisparudelacirculationet ilvafalloirattendredemainpouressayerderaisonnerBrad.

Evieselèveetapportelesassiettesdansl’évieravantdemeprendrelamain.

–Nousverronsbien.Pourl’instant,j’aivulacuisine,lecomptoirengranit, la place de parking et le parquet. Tu pourrais peut-être memontrerlapommededoucheajustable?

– Il n’y a pas de télé dans la douche,Evil.Donc, si tu cherches àfaireplusieurschosesenmêmetemps,çanevapasêtrepossible.

Jepeuxentendrechacundemespasrésonnerdansmatêteetmonpoulsbattredansmesoreillesquandj’avancedanslecouloiravecEvie.

Jen’attendaispasdevisite,et jeréaliseseulementmaintenantquej’aurais dû vérifier sur ma check-list que tout soit en ordre chez moipour ma copine. Je soupire en trouvant ma chambre parfaitementrangée:dessus-de-litfraîchementlavé,drapsetoreillersbienmis.Monesprits’égareetjenepenseplusqu’àEviedanscelit,enrouléedanslesdrapsousansdrapsdutout,sesjambescontrelesmiennes.

Noussommessurlamêmelongueurd’onde,Evieadéjàenlevésonpull et commence à retirer son T-shirt. Nous nous dévisageons ensouriant, illuminés par la lumière des lampadaires, lorsque nousenlevonsnosvêtementsunàun.

–Ondevraitmettredelamusique,dit-elleensouriant.–Jepourraisfairedelapercussionvocale.–Non.Elle me pousse en arrière et grimpe sur mes genoux, en me

chevauchant. Ses baisers sont doux, sa langue glisse contrema peau.Elle me mordille dans le cou. Il y a à peu près deux cellules

fonctionnellesdansmoncerveauetjedoislesmobiliserpourtrouverletiroirdematabledenuit.

– Préservatif ? demande-t-elle, et je m’écarte en soupirantlorsqu’ellecontinueàm’embrasserdanslecou.

–Jecherche.J’ouvre complètement le tiroir et fouille à l’intérieur. Mes

mouvements deviennent plus frénétiques et je manque faire tomberEvieàlarenverselorsquej’attrapelaboîteavecunairdetriomphe.

Je la replace confortablement sur lematelas,monte sur elle et risdanssoncou.

–Désolé.Elle frétille sousmoi,m’entourantde ses jambes etde sesbras. Je

m’écarte un peu et, même dans le noir, je peux voir le bonheur sepeindre sur son visage.Nous avions besoin de cette occasion de nouslaisserallerpouroublier.

Je lui tends le préservatif et elle l’examine très attentivementpendantquelquesinstantsavantd’attrapermamainentrenous.

Et puis, en l’espace d’une seconde, je suis en elle, elle attiremonvisage dans son cou. Je n’arrive pas à savoir quelle partie d’elle j’aienvie de caresser d’abord,mesmains avides l’attrapent par les fesses,fort, pour pouvoir la baiser plus profondément. J’effleure son ventre,ses hanches, ses tétons. Elle se tortille et se cambre sous moi, en semouvant en rythmeet enm’éblouissant. Jeplonge lesmainsdans sescheveux, ses gémissements résonnent dans mes oreilles. Je suisémerveilléparlafaçondontjeperturbesarespiration.

Nousparvenonsàenleverlesdrapsauxquatrecoinsdulit.–Alors, le tourdupropriétaire t’aplu? je luidemande,unemain

derrièresongenou,sesyeuxbrunslumineuxfixéssurmoi.Je sens son rire se répercuter dansmon corps, elleme serre plus

étroitement contre elle et je souris dans la pénombre. Je ne me suisjamais autant amusé… vraiment jamais. Elle m’attire contre elle, enremontantlesjambesdansmondos,noshanchessejoignent,etjejouis

soudain, bien trop profondément en elle pour me sentir gêné par lapuissancedel’orgasme.

Jemeretireet rampeentreses jambes,elleplonge lesmainsdansmescheveuxetcriemonnom.Toutestpardonné.

Evieaun rendez-vousmatinalpourparleràTrentduscénariodeBay, donc elle rentre dormir chez elle. Un peu après minuit, jem’éloigne de son corps et m’habille. Je descends avec elle jusqu’à savoiture, prends son visage entremesmains et l’embrasse avant de lasupplierderemonterdansmonappartement.

– Encore une heure, dis-je contre ses lèvres. Une demi-heure. Dixminutes. Nous savons tous les deux que je le mérite. Pourquoi pasdebout,par-derrière?

Sa respiration se coupe, elle pose les mains sur ma poitrine ets’écarteimperceptiblement.

–Tuesundangerpublic.Jedoisyaller.Jepasseencoretroisheuresàréfléchir,totalementéveillé.Jefixele

plafond,aveclatêtequitourneaprèstoutcequiestarrivéaujourd’hui.Mes pensées sont désordonnées et je ne sais pas sur quoi me

concentrer : ma relation si géniale avec Evie, le fait que Brad aitapparemment perdu la tête, que je sois l’agent de Dan Printz, lapossibilité d’avoir perdu toute chance avecDave etHollywoodVine ouquequelqu’un–encoreinconnudenous–aitvendul’histoireàVariety,putain.

Seigneur,pourquoinepuis-jepastrouverlesommeil?Épuisé mais trop préoccupé pour m’endormir, je commence à

parcourirlesapplicationsdemontéléphone.MichaelChristophers’enorgueillitpeut-êtred’avoirvingt-sept,voire

dix-neuf ans, mais toutes les photos qu’il poste, partout, sont desphotosdeMorgan.Morganauparc,Morgandanslabaignoire,Morgan

jouant à se déguiser avec papa. J’en enregistre une où il porte undiadème,parcequeceserasacarted’anniversaire.

Je tombe surunpostdeBecca, sonpoucepointé versun tapisdecourse,suivid’unephotod’unbeignetetd’unpouceenl’air.Jerisdansl’obscurité.

Le post date d’il y a seulement un quart d’heure – il est encorerelativementtôt–doncjedécidedeluienvoyerunmessage,pourvoir.

Jesourisàmonécran.Seigneur,ellem’avaitmanqué.

Montéléphonesonnepresqueimmédiatement.

–Salut,toutvabien?dit-ellesansmelaisserletempsdelasaluer.Ilestgenretroisheuresdumatin.Jesaispourquoijenedorspas,maistoi?

–J’étaisunpatroninsupportable,enfait?Silence.Elletousse.–Es-tuivre?Jegrogne:–Siseulement.–OK,dis-moicequisepasse.–Juste…untasdevélosdanslatête.–Jedétestelegenredenuitoùonn’arrivepasàarrêterdepenser

etoùonsemetàquestionnertouteslesdécisionsqu’onaprisesdepuisl’adolescence.

–C’estàpeuprèsça.Dis-moicommentsepassetonnouveaujob?–Tusais,lamêmemerde,touslesjours.Monnouveaubossestun

imbécile.Maisbon,l’ancienl’étaitaussi,doncjenesuispasdépaysée.–Trèsdrôle.–Alors,qu’est-cequitepréoccupe?Travailouvieprivée?–Lesdeux.J’airencontréquelqu’un.–Sansblague.– Ouais. Elle est… elle est géniale. Tu l’apprécierais. On pourrait

dînerensembleundecesjours.– Waouh, Carter. Présenter ton nouveau coup de cœur à ton

ancienneassistance.C’estdusérieux.Jericane.– Je ne réalisais pas à quel point c’était sérieux avant cet instant

précis.–Alors,jet’aiaidéàmettreledoigtsurquelquechose?Parceque

lemoisprochain,c’estmonanniversaireettuconnaisl’adressedemonmagasindechaussurespréférées.

Jeris.–Certes.

– D’accord, va te coucher ou tu seras en rogne toute la journéedemain et je ne serai pas là pour t’apporter un café. Tiens-moi aucourant,d’accord?

–Ouais,merci,Becca.Tumemanques,tusais.–Tumemanquesaussi.Jeraccrocheetm’endorsenquelquessecondes.

Quandl’alarmeduréveilretentit, jesuisépuisé,mais jemelèveetmeforceàallercourir.

Ilfaitassezfroidpourdevoirmettreuneveste,labrumesurlamerestencoreépaisseà l’horizonet le soleiln’estpasassezpuissantpourtout dissiper. J’emprunte un itinéraire différent aujourd’hui, avec unelongueportionderouteaupiedd’unecollineetbeaucoupd’arbres.Ilyapasmaldevoituresdanscettezone,maisilestsuffisammenttôtpourquecenesoitpasgênant.

Je suis de retour à l’appartement en un temps record, je medouche,mechangeetprendsunpetitdéjeuneravantdesortir.

Quelquesmessagesm’attendent,dont l’undeMichaeletStéphanieproposantundînerdecouplesceweek-endetunautred’Evie,stresséeà l’idée d’aller à un rendez-vous au lieu de se rendre directement aubureauoùBradpourrait s’excuserauprèsd’elleet semettreàgenouxdevanttoutlemonde.

Jesuisunpeuinquietàl’idéequeçan’arriverapas,maisjefaisdemonmieuxpourladistraire,suggérerqu’ellem’envoiedesphotosdesesfesses.Jeluidisquejepeuxluidécrirecommentjecomptel’embrasserplustard,maisellenemordpasàl’hameçon.Sonanxiététranspire,etje ne supporte pas l’idée qu’elle doive passer par de telsmoments. Simonespritestsensdessusdessousàcausedecequis’estpassé,j’oseàpeineimaginercequ’elledoitressentir.

Je bois trois tasses de café et arrive au bureau, fébrile, avec unmonologueprêtpourBrad.

Je marche dans le couloir d’un air décidé, mon discours préparéavecprécaution tourneenboucledansma tête. Jem’arrêtedevant lebureaudeKylie.Derrièreelle,lapièceestplongéedansl’obscurité.

–Salut,Kylie.Bradest-ildéjàarrivé?Monventresenoue.Ellesecouelatêteenmesourianttimidement.

CettefillesupporteBradtouslesjours,quelquechosemeditqu’elleestpasséemaîtredansl’artdes’excuserpoursonboss.

–Iln’arriverapastoutdesuite.Putain.–Tusaisàquelleheureilseralà?J’anticipedéjàlemassacrequivaavoirlieusiEviel’intercepteetle

voitavantmoi.Kylietapesursonclavieretlèvelesyeuxversmoi.–Dansenvironuneheureetquelques.Ilauneréunionà11heures,

ilysera.–Peux-tumeglisserdanssonprogramme?Ellegrimace,puisfroncelessourcils.– Il n’a pas le temps aujourd’hui. Mais je peux lui dire que tu es

passé.–Tusais,jen’enaiquepourquelquesminutes.Jeluisourisavantdem’éloignerdanslecouloir.Latensionestpalpableaubureau.Toutlemondeaentenduparler

del’articledeVariery–etdesesrépercussions–etpersonnenesaits’ilfautmeféliciterougrimaceràcausedesconséquencesnégativesqueçapourraitentraîner.Jen’ensuismêmepassûr,moi-même.

Justinestinstallédevantsonbureauquandj’arrive.Ilmetendunepile de messages, mais je refuse de discuter de mon planning de lajournée. Je vais avoir besoin qu’il me mette en relation avec unepersonneaprèsl’autrejusqu’àcequetoutsesoitéclairci.

Justin tented’avoirDaveau téléphone.Sans surprise, il tombesurson répondeur. Parce que je ne suis apparemment pas encore assez

angoissé, je me connecte à mon ordinateur et lance une rechercheGoogle.Biensûr,l’infoestrelayéepartout.

– Hé, Justin ? (Je crie, et il passe la tête dans l’embrasure de laporte.)Peux-tumediresi tuvoisBradouEviearriver?Discrètement,d’accord?

Ilhochelatête.–Tuveuxquejefermelaporte?demande-t-il,surleseuil.Je secoue la tête et il s’éloigne enme laissantdansdes abîmesde

solitude.Le problème, quand tous les assistants sont réunis dans le même

bureau,c’estqu’ilsdeviennenttrèsbruyants.(Ilsnesontpasmoinsdeseize, on dirait une horde de chevaux sauvages.) Les téléphonesn’arrêtent jamais de sonner. Ajoutez à ça le bruit des claviersd’ordinateur,lessonneriesdestextos,beaucoupdeconversationsàcôtéde la fontaine à eau et mon absence totale de concentration, je suisincapabledefairequoiquecesoit.Dieumerci,àpeineuneheureplustard,onfrappeàmaporte.

C’est Justin, il jette un coup d’œil dansmon bureau puis regardederrièresonépaule,d’unaircomplice.

–M. Kingman vient d’arriver. Voulez-vous que je lui dise quelquechose?

–Non,jem’enoccupe.Merci,entoutcas.Je sauvegardemondocumentet, lesmainsmoites, je sorsdemon

bureau.Kyliemejetteuncoupd’œiletm’offreunsourirecompatissantqui,

jesuppose,signifiequeBradestd’unehumeurdechien.–Ilestdanssonbureau?Elle hoche la tête. Il lève les yeuxquand jem’éclaircis la gorge et

megratified’un regardàpeineplusplaisant que celui qu’il a lancé àEvie.

– Que puis-je faire pour toi, Aaron ? Jeme doute que je n’ai pasbesoinde t’expliqueràquelpointnettoyer tout tonmerdiermeprend

dutemps.–C’estdecelaquejevoulaisvousparler.J’entredanslapièce.Il enlève ses lunettes et les pose sur son bureau avant de se

redresser,attendantquejeparle.– Je sais que la situation semble désespérée et que la coïncidence

entrelemomentoùvousavezparlédeDanPrintzàEvieetlasortiedel’articletombeonnepeutplusmal,mais jepeuxvousgarantirqu’ellen’arienàvoiraveclafuite.

–Vraiment?– Oui. Nous avons eu nos différends par le passé, mais elle ne

mettrait jamais en danger son intégrité ou celle de quiconque. Elleconnaît les enjeux, commemoi, et vous respecte bien trop, ainsi quesonboulot,nosclientsetnoscontacts.

–Qu’est-cequisepasse,Carter,putain?(Bradsepencheenavant,les yeux plissés.) Pourquoi es-tu venu me dire ça ? Tu joues auchevalier servant pour la fille que tu baises ? C’est pour ça ? (J’aisoudainlecœurauborddeslèvres.)Tuveuxqu’onparledesmystèresdelavie,maintenant?

–Non,Brad.Jevoulaisjusteclarifier…Bradlèveunemainpourm’arrêter.–Laseulechosequiabesoind’êtreclarifiée,c’estque tu travailles

pourmoi.Etmaintenant,jeveuxquetufouteslecampdemonbureauetfassesexactementça–travailler.C’estlaraisonpourlaquellejet’aiengagé.Tesétatsd’âmenem’intéressentpas.Evieadéconné,point,etce n’est pas la première fois. (Il effleure son bureau de la main.)N’essaiepasdeluisauverlapeau.

Je repense au jour de la fusion et à ma joie d’avoir encore untravail. Jeme souviensdu soulagementque j’ai ressenti enapprenantque je n’allais pas être licencié.Dans cettemêmepièce, je comprendsquetoutvadetravers.NousavonsfaitexactementcequeBradespéraitquenous ferions, c’est-à-direnous sauterà lagorge, avec l’espoirque

seul l’un de nous deux survivrait au massacre. Je suis choqué decomprendreque jesuisapparemment leseulsurvivant.Jereprends laparole:

–Enfait…(plusjepenseàcequejesuissurlepointdefaireetplusjesensquec’estlachoselaplusnaturelleaumonde)…jenecroispasquejepuissecontinuerainsi.J’enaimaclaque.

Bradsursaute,abasourdi.–Nejouepasàl’imbécile,Carter.Réfléchis-ycesoir.Nejouepasau

hérospourregretterdemainunedécisionquetuauraspriseàlalégère.Quetusoislàounon,ellen’yseraplus.

Montéléphonesonnequand jesorsdubureau,mais je l’ignore.Jene prends pas la peine d’emporter quoi que ce soit avec moi, enmedisantque j’ai tout le tempsde récupérermesaffairesouque jepeuxdemander à Justin dem’envoyermes cartons… quelque part. Je suisbouleversé et je n’ai aucune idée de ce que je vais faire maintenant,maisaumoins,j’aireprislecontrôle.

J’empruntelesescalierspourparvenirauniveau2duparkingsous-terrainet j’ouvremavoiture.Jem’installeà l’intérieur.Montéléphoneseremetàvibreretjel’attrape,enpensantqueçapourraitêtreEvie.

Maisnon.

Chapitre25Evie

–Tunepeuxpascontinueràlelaissertetraiterainsi,lanceAmélia,

qui fait lescentpassur lenouveautapisdeDaryl.Jevousaiobservéset jen’airiendit jusque-làparcequec’esttonbossetqu’il fautparfoistendrel’autrejoue,maisçasuffit!Tudoisfairequelquechose.

Je ferme les yeux et appuie la tête sur le dossier du fauteuilmoelleux de Daryl. J’ai lu le scénario, vu Trent, déjeuné avec SarahHill, appelé environ septmille personnes, décidé qu’il vaudraitmieuxéviterBradavantd’être sûredeceque jeveux faire,puis j’aiquitté lebureau à 17 heures, pour la première fois depuis des années, pourvenirdirectementici.

Heureusement,j’aidesamiesprêtesàm’écoutermeplaindre,àmedéfendre et à me servir beaucoup de verres de vin. Il n’est que18heuresetj’ensuisàmontroisième.

–Que veux-tu que je fasse ? Il restemoins de quarante-cinq jourssurmoncontrat.Bradestunconnard,maisiln’ajamaisrienfaitdontje puisse me plaindre officiellement. Aller lui en parler maintenant,alorsqu’onestentraindememettresurledosunénormefauxpasquiva se répercuter sur l’image de l’agence,medonnerait l’air d’un bébéentraindechialer,incapabledesecomportercommeuneadulte.Horsdequestiondeluidonnercegenredesatisfaction.

Darylgrogne.– Malheureusement, je suis d’accord avec elle. Brad n’est pas un

imbécileetils’estefforcédenejamaisêtreprisenfaute.J’acquiesceenavalantunegorgéedevin,avantd’ajouter:–C’estunenvironnementdetravailhostile,clairement.Maisc’estle

lotd’Hollywood.Amélia se laisse tomber sur l’immense canapé blanc de Daryl et

donneungrandcoupdecoudedansl’undescoussins.–Noussommes trois fillesbrillantesquiavons réussi. Ildoitbieny

avoirquelquechosequenouspuissionsfaire.–Mongrand-pèreconnaîtdesgens,renchéritDaryl.Jelèveunsourcil.–Cequisignifie?Darylsouritinnocemment.–Meurtre?– Une fois encore, dit Amélia en fusillant Daryl du regard, tu vas

troploin.Onfrappeàlaporteetcommejen’aipasbougédepuisunmoment,

jemelèvepourallerouvrir.– Au moins, je pourrai manger trois repas par jour en prison et

m’offrirdepetitsplaisirsde fille?dis-jeen traversant le salon. J’auraiuntoitsurlatête.

– Tu as du mal à regarder la sérieOrange is the New Black sansavoir envie de vomir, me rappelle Amélia. Nous n’en sommes pasencoreàtetrouverunsurnomdeprisonnier.

J’ouvre laporte,surprisedetrouverÉric,deuxcartonsdepizzasàlamain.

– Salut. (Je m’écarte pour le laisser entrer.) Alors, tu te baladesavecdespizzasou…

– Je suis tombé sur le livreur de pizzas au rez-de-chaussée,explique-t-il en saluantAmélia avant de se diriger vers la cuisine. J’aipenséquejepourraisvouslesmonter.

– C’est adorable, le remercie Daryl en sortant des assiettes et ennous faisant signe de nous servir. Voilà comment mon film pornopréférédébute.

Je les regarde retourner dans la cuisine tous les deux avec unecuriosité accrue. Ils chuchotent. Amélia croise mon regard, avec lamême question en tête : est-ce qu’ils baisent ? J’observe Daryl et Ériclorsqu’ilsreviennent.

–Est-cequevous,hum,bosseztouslesdeuxcesoir?J’attrapeunepartdepizzaetmordsdedans.Darylacquiesceenmâchant,maisÉricrépond:– En fait, je suis content de te trouver ici, Evie. J’ai besoin de ton

aide.Jemedésigned’undoigtincertain.–Demonaide?IlhochelatêteetDarylexplique:–TutesouviensqueJessluiademandéàbrûle-pourpointdecréer

unprogrammemettantenrapportlesdépensesaveclesfactures?Jeplisselesyeux.–Plusoumoins.Ellefaitungestevaguedelamain.– J’ai trouvéque c’étaituneexcellente idée, vu l’enferqu’a été cet

audit. Éric a donc créé le programme le plus ingénieux dumonde. Ilpermetdecroisertouslesfraisetdelesattribueraubonclient,delesmettreenrapportaveclafactureappropriéeetlecomptedesdépensesdel’entreprise.

Je songe au temps qu’a duré l’audit et au miracle qu’un telprogrammepourraitreprésenter.

–Seigneur,c’estgénial.– Donc, je me suis occupé de tes comptes pour aider Jess,

m’expliqueÉric.C’estpourçaque…hum, jesuisvenu.(Il segratte lajoue.) Tu vois, il y a quelque chose qui cloche parce que nous avons

trouvédesfraissurtacartequinecorrespondentàaucunecommandeniaucunefacture.Jenevoulaispast’enparleraubureau.

–Queveux-tudirepar«necorrespondentpas»?(Jemeredresse.Mon euphorie alcooliséem’empêchede paniquer.) Surmes comptes ?Jen’ai pas euuneminute pour les parcourir cette semaine,mais Jessm’aparlédedépensesbizarres.

Éricsortsonordinateurdesonsacets’installesurlebar.– Voyons voir. (Il ouvre le programme.) OK, il y en a une de

septembre. Une dépense liée à une compagnie de traiteurs, on a vutellement d’anomalies qu’on a tout vérifié. La facture dit que tu asdépensécentvingt-troisdollarspourl’événementdeDebbie…

– Mais d’après les notes de Jess sur ton planning, l’interromptDaryl,cejour-là,tuétaisavecunclientpourunevoixoffetçan’aduréque deux heures. Il n’y avait aucun traiteur en plateau, parce que cen’étaitpasenplateau.Vousvousêtesvusaustudio.C’étaitquoi,l’autre,Éric?Lafacturedenettoyage?

–HollywoodLinen,répond-il.Jemefige.Cenommerappellequelquechose.– Exactement, dit Daryl. Et ce n’est pas un montant affriolant.

Aucun de ces montants n’est très important, genre cinquante dollarspar ici,deuxcentspar là,mais ilssontrécurrentsets’additionnent lesuns aux autres. Tu ne l’aurais probablement jamais remarqué si tun’avaispasdûfairetescomptespourl’audit.

–C’étaitquoilenomdel’entreprise,déjà?Jem’écarteducomptoirpourchercherdansmonsac.Les factures

duséminairequeJessm’afaitpassersonttouteslà.CellesqueBradm’aditd’ignoreretd’envoyerdirectementàKylie.–HollywoodLinen.–Ouais…jel’aitrouvée.(Jetrouvelemontantetlepointesurmon

relevé le plus récent.) Voilà, c’est effectivement ma carte qui a étédébitée. Il yaune facturepour lesnappesde la salleàmangeralors

que nous n’avons pas réglé les nappes pendant le séminaire. C’étaitinclusdanslesprestationsdel’hôtel.

Jem’assiedssur lecanapé,ouvreledossieretposelesfacturessurlatablebassedevantmoi.

–Peux-tumedonnerd’autresnoms?–Biensûr,lanceÉricencliquantsurlafeuilledecalcul.IlyaEver

Beauty…Jecherchedansmaliste,trouvelenometdessineunecroixrougeà

côté.Elledatededeuxjoursavantleséminaire.–OK.–Celebaby.– C’est un service de garderie ? je demande en cherchant sur la

liste.–Ouais,répondAmélia.Et voilà. Encore une croix rouge, pendant le séminaire. Inutile de

préciser que personne n’a eu l’idée d’amener son enfant pendant ceweek-end.

–RoarPR.–OK.Croixrouge.Putain?–Glamband.Amélias’approche,mevoittrouverlenometlecocher.– Bordel demerde. (Elle croisemon regard.)Ça fait beaucoupde

coïncidences.–Jepariequesijevérifietoutesmesdépenses,jetrouveraid’autres

fraisquinecorrespondentàrien.Jejetteuncoupd’œilàÉricenattendantqu’ilconfirme.Ilhochela

tête.–C’estcequejepense.Jemelève,memordilleunongleenavançantverslafenêtre.Mon

esprit ressemble à un jeu de Tétris, des petits blocs partout et un

compte à rebours, tandis que j’essaie de comprendre. Je me tournepourfairefaceàmesamis.

–Donc, ces entreprises facturent à P&Ddes services qui n’existentpas?

Érichausselesépaulespuisacquiesce.–Enfin…ouais.Horrifiée,jelâche:–Voussavezquejeneferaisjamaisça?Éricsursaute,commes’iln’avaitjamaispuimaginerquecesoitmoi,

etDaryletAméliasecouentlatêteavecinsistance.Moncœurbatlachamade.–Est-cequequelqu’unpeutfaireçatoutseul?– Ça demanderait beaucoup de travail, mais c’est clairement

envisageable, explique Éric. Ce doit être quelqu’un de l’entreprise.Quelqu’unquiaaccèsàplusieurs comptesdedépensesetquidisposed’assezdepouvoirpourempêcherlesgensd’yregarderdeplusprès.

LesproposdeCartersemettentàrésonnerdansmonesprit.Pourquoiréagirait-ilainsiavectoi,enparticulier?Sais-tuquelquechosesurlui?Alors,vraimentjenecomprendspas.Je laisse échapper un petit soupir et trois paires d’yeux se posent

surmoi.Jesuispresquesûrequ’ilspensenttouslamêmechose.

– Es-tu sûre que tu ne veux pas que j’appelle mon grand-père ?demandeDaryl,allongéeàcôtédemoisousunecouvertureéliméeetsale,àl’arrièredupick-upd’ÉricKingman.

Améliatendlamainpourluidonnerunepetitetapesurl’épaule.– Je jure que si on se fait prendre et que je dois appelermon ex-

maripourpayerlacautionparcequejesuisentréepareffractiondans

une propriété privée, je retrouverai ton vieux nez et je te l’enfonceraisurlevisage.

Daryllaisseéchapperunsoupireffaré.–Espècedemonstre!JeravaledeséclatsderireetDarylprendunegrandeinspiration.– En outre, nous sommes avec Éric, donc je ne pense pas que,

techniquement,onpuisseconsidérerquenoussommesentraind’entrerpareffraction,mais…

– Chhhh… lance Éric à travers la fenêtre intérieure du pick-uprestéeouvertealorsquenousnousapprochonsdupostedesécurité.

–Bonsoir,M.Kingman,ditlegarde.Nous restons toutes les trois complètement immobiles sous la

couverture,ententantdedeveniraussiminusculesetinvisiblesqu’ilesthumainementpossible.

–Jenepensepasquevotreonclesoitdéjàrentré.Maisvotretanteestlà.

– Merci, Jerry. Je demanderai à Tante Maxine de vous faireemballerlescookiesquevousadorez.Bonnesoirée.

Le pick-up se remet à avancer, lentement, sur l’allée interminablemenantàlamaisondeBradKingman.

Nousn’avonspasperdulatête.NoussommesjustecertainesquesiBrad est derrière tout ça, il ne conserve pas les dossiers de cesentreprisesfictivesaubureau.Jesuissurlepointdeperdremonboulot.ChezDaryl, enunedemi-heure, nous avons trouvéplusde cinquantemilledollarsenfacturesimaginairessurmoncomptededépenses.

Pas étonnant qu’on fasse l’objet d’un audit ! Brad a-t-il mangé àtouslesrâteliers?

JeremerciesoudainleCieldelaquantitédeviningéréquim’aideàconserver mon calme. Les pièces du puzzle s’assemblent enfin. Toutd’abord : je suis le bouc émissaire de Brad. Pas étonnant qu’il m’aitgardée,ensupposantquesijedécouvraissonpetitplanderetraite,lesaccusationsquejeporteraisseraientmoinscrédiblesdanslamesureoù

elles viendraient d’une employée mêlée à une sale affaire. Me faireporterlechapeauàcausedeDaveetCarter,c’estunechose,maisilesthors de question de me laisser accuser pour une fraude d’une telleimportance.

– La voie est libre, chuchote Éric à travers la fenêtre, à bout desouffle.Commentçavaderrière?

Nousrespironsplustranquillement.– La couverture sent la vidange et mon boss vole de l’argent via

mon compte de dépenses tout enme faisant porter le chapeau d’unesérie d’échecs de la boîte. Mais à part ça, tout va bien. Et toi ? Çaboume?

–Tudéconnes?chantonne-t-ildanslanuit.C’estgénial!–Maises-tusûrdevouloirfaireça?Tupourraistecontenterdete

garer,nousjeterdehorsetfoutrelecampd’ici.–Çanerisquepas.JenesupportepaslamanièredontBradtraite

Maxine, c’est juste n’importe quoi ! Sentez-vous l’adrénaline quimonte?(Ilhululedanslacabinedupick-up.)Susàl’ennemi!

Jemurmure:–Ondiraitqu’Éricestpartant.Améliaritàcôtédemoi.–Tucrois?Le pick-up s’arrête et Éric remonte la fenêtre avant d’éteindre le

moteur.–Trèsbien.Jevaisentrer.Lesfemmesdeménageneserontpaslà,

donc jepourrai laisser laported’entréeouvertesansquepersonnenes’en rende compte. Le bureau de Brad se trouve à l’étage, quatrièmeportesurladroite.Vousvoussouvenezduplan?

–Oui,confirmeAmélia.– Rappelez-vous que vous devez laisser àMaxine le temps deme

proposer d’aller grignoter un truc dans la cuisine. J’espère vousdégageraumoinsunquartd’heure.Çasuffira?

–Ilfaudrabien,ditAmélia.

Laportes’ouvreetlepick-uptanguelorsqu’Éricensort.–OK.(Ilfaitquelquespasavantdes’arrêter.)Est-cequ’ondevrait…

synchronisernosmontresouuntrucdanslegenre?– Si on chante « Swinging on a Star » pour se chronométrer, ce

serait commedansHudsonHawk, gentleman et cambrioleur avec BruceWillisetDannyAiello.

Améliamejetteunregardnoirdansl’obscurité.– Evie. En général, j’apprécie ces petites anecdotes

cinématographiques mais dans ce cas précis, je préférerais que tu lafermes.

–Vas-y,Éric!chuchoteDaryl.–OK,OK.J’yvais.Lebruitdespasd’Ériccrissantsurlegravierrésonnedanslanuit,il

frappeàlaporte.Tandisquenousattendons,Améliametapotel’épaule.–Cartersait-ilquetuesici?–Ah…non. Je ne lui ai pas parlé depuis cematin.Nous sommes

habilléescommedescambrioleusesetnousnouscachonsàl’arrièredupick-up du neveu demon patron. Il vautmieux que j’omette certainsdétailsquandjeluiraconteraimajournée.

Des voix attirent notre attention, nous nous raidissons, l’oreilletendue. La porte d’entrée s’ouvre et nous entendons une femmes’exclamer:

–Éric,monchéri!Quellesurprise!Moncœurbat très fort, j’écoute leursvoix s’estomperavantque le

silencenerevienne.Jesouffle:–C’estparti.Je sors de dessous la couverture et m’assieds lentement en

regardant les alentours pourm’assurer que nous sommes bien seules.Jesuislapremièreàémergerdelavoiture,penchéeenavant.Jejettedes coups d’œil angoissés autour demoi. LaMercedes deMaxine est

garéedel’autrecôtédel’alléemais,Dieumerci,iln’yaaucunsignedelaFerrarijauneettrèsvoyantedeBrad.

Amélia me suit, s’agenouille à côté de moi. Nous observons lamaison,Daryltombelourdementdupick-upsurlegravier.

–Doucement,murmureAmélia.–Désolée,répondDaryl.Onm’aviréeducoursdeyoga.Être ici sans lesvoiturierset les lumièresdeNoël, sans lamusique

festiveet lesvoixvenantde l’immensemaison,s’avèretrèsétrange.Lesilence se fait, le chant des criquets bruisse dans les buissons. Puis,quand nous nous approchons, un rire étouffé qui s’échappe de lamaison,nousparvient.

Merci,Éric.Un petit rai de lumière jaune se dessine sous le porche, nous

avançonstouteslestrois,enjetantdescoupsd’œilfurtifsdansl’entréeimposante.Lavoieestlibre.

Je regarde Amélia, pose unemain sur le bois glacé en grimaçantquand les vieilles charnières grincent. Je me demande si Éric l’aentendu, parce que je remarque qu’il parle plus fort, avec plusd’enthousiasme.

Unlargeescaliernousfaitface.JefaissigneàDaryletàAméliadepasserdevant,enm’attardantjusteassezpourrefermerdélicatementlaporte.Nosbasketssontpresquesilencieusessurlesmarchestandisquenousmontonslesescaliersenjetantdescoupsd’œildiscretsdetouslescôtésavantdetourneràdroiteenhautdesmarches.

Àcôtédemoi,Améliadésigneuneporteunpeuplusloin.Jehochelatêteetregardesamaingantéetournerlapoignée.

Laportes’ouvre.Mêmedans l’intimitéde son foyer, lebureaudeBradKingmanest

unepreuvede samégalomanie. Sonbureauest énorme, recouvertdelivres et de piles de documents. La lumière qui filtre par la fenêtreillumineplusieurs trophées de golf et tous les prix et les récompensesqu’il a reçus, jusqu’aux coupures de presse fièrement exhibées dans

cettepiècedédiéeàlacélébrationdesoi.Desphotosencadréessurlesétagères,ayant toutesunpointcommun:Bradest lastardechacuned’entreelles.

–Mêmecebureauestunconnardprétentieux, remarqueDarylenrefermantlaportederrièrenous.(Elleallumesalampedepocheetladirigepartout.)Ya-t-iluncoffre-fort?

Je suis son regard, puis dirige ma propre lampe en direction dubureau,enm’arrêtantdevantlasériedetiroirsverrouillés.

– Vous cherchez la clé du tiroir à documents et je m’occupe del’ordinateur?Jepeuxessayerdedevinersonmotdepasse.

Amélia accepte et commence à fouiller dans tous les coins. Elle etDarylregardentsousleslivres,lesdocuments,danslestiroirs,derrièretouslescadres,tandisquej’allumel’ordinateur.Ilfautentrerlemotdepasse.

JecommenceparlenomdeBrad,nometprénom,puisceluidesafemme,et toutes lescombinaisonspossibles. Je tente sonanniversaire,lenombred’Oscarsquesesclientsontgagnés,mêmedescombinaisonsdesonnomavecsonhandicapdegolf.(Oui,nousavonstous entendulesrécitsdesesexploitsauCountryClubcesdernièresannées.)Jefaischoublanc.

–Jecroisquej’aitrouvéquelquechose!s’exclameDarylenpassantlamainsousuntiroir.

Comme je suis coincée derrière le bureau, je me tourne pour laregarderetmanqueexploserdebonheurquandelleexhibeunepetitecléencuivre.

– Quel genre de personne scotche une clé sous un tiroir dans sapropre maison ? murmure-t-elle en s’approchant de l’armoire declassementetenglissantlaclédanslaserrure.

–Quelqu’unquiaquelquechoseàcacher,répondAmélia.Nous retenonsnotre souffle lorsqueDaryl tourne la clé. Le verrou

cliquette.

–Etquipensequepersonnen’auralescouillesdevenirfouillersonbureau,ajoute-t-elle.

–Dieumerci,lanceAmélia,salampetorcheàlamainlorsqu’elleseconcentre sur lesdocuments. Il faut trouverquelquechoseen rapportaveclesnomsdesentreprisesquenousavonsdécouvertes,lesnumérosd’identificationdeTVA,lessociétésd’hébergementWeb,lescomptesenbanque,n’importequoi.Siçasemblelouche,onprendunephoto.

Jemeremetsàlatâchefaceàl’ordinateur,déterminéeàtrouverlemotdepasse. J’essaie encorequelquesmots etphrasesque j’associeàBrad et quand rien ne fonctionne, jem’arrête pour réfléchir. Brad esttrop égocentrique pour choisir un mot de passe au hasard, ça doitvouloirdirequelquechose…

Soudain, une tempête se déclenche dansmon esprit et je tape lesmots:

BRADUPRISING

C’est le filmsur lequel il travaillaitquand j’étaisassistante,avec lepremierclientqu’ilapiquéàlaconcurrence.

Motdepassecorrect.Seigneur,quelconnard!Je fouille son disque dur pour trouver les documents associés aux

entreprises duprogrammed’Éric. J’ouvre sonGoogleDrive et chercheaussidedans.Aprèsquelquesessaisinfructueux,bingo.

Un document Excel avec le nom des entreprises et les numérosd’identificationdeTVA,àcôtédelacolonnedesmontantsfacturés.Etilaleculotdemefairelaleçonausujetdel’espritd’équipe.

–MonDieu!Je tourne la tête en entendant l’affolement dans la voix deDaryl.

Elle regarde par la fenêtre, horrifiée. Des phares remontent l’alléesinueuse.

–M…merde!dis-jeeninsérantlacléUSBd’unemaintremblante.Dépêche-toi!Tuastrouvéquelquechose?

–J’aiquelquesfactures,répondAmélia,enprenantdesphotossoussajupepourqueleflashnesevoiepas.C’estunsacréfoutoir.

DaryletAmélias’agitentdans lebureauenremettant lesphotosàleur place, en lissant le tapis et en essuyant les étagères avec leursmanchespoureffacerleursempreintes.

Je jette un coup d’œil par la fenêtre avant de me concentrer ànouveau sur l’écran.Combiende fois ai-je vu lamême scènedansunfilm en me disant les dossiers se transfèrent vraiment vite, c’est peuréaliste?

J’ensuisseulementà73%.Etjepaniquetotalement.La lumièredes phares entredans la pièce etBrad gare sa voiture

jauneàcôtédupick-upd’Éric.Allez,allez.–Tuasfini,Evie?Darylmetireparlebras,jetrembledetousmesmembres.–Ouais,juste…uneseconde.–Evie,ondoityaller!s’écrieAméliaenregardantparlafenêtre.Jesiffleentremesdents:–95%…–Dépêche-toi!Unbruitdeportièrequiseferme.Desvoixdansl’entrée.–Evie,viens!ditDaryl.– Voilà, j’y suis presque. Putain ! Comment se fait-il qu’une

personneaussiricheaitunordinateuraussilent?Qu’est-cequ’ilfaitdesonargent?

–Éric!Nous nous figeons en entendant la voix de Brad retentir dans

l’entrée.JelèvelesyeuxversDaryletAmélia,surleursvisagesilluminéspar

l’écrand’ordinateuret,pendantunesecondedepanique,jemedisque

sijelesaivues,ilyaunechancepourqueBradlesaitégalementvuesdel’extérieur.

Monattentionrevientàl’ordinateurquitintelorsqueletransfertsetermine,jefermeledriveettouteslesfenêtresaussivitequejepeux.

Darylavancejusqu’àlaporteetl’entrouvrepourentendrecequisepasseaurez-de-chaussée.

– Je pense qu’il est dans la cuisine, murmure-t-elle, et nousattendonsd’enêtresûres.

Le silence se fait, j’ouvre laporteetavanceàpasde loupdans lecouloir.

Duhautdesescaliers, jenevoisquelesoldemarbreétincelantdel’entrée. Aucun signe de Brad. La porte principale se trouve juste enbas des escaliers, si nous arrivons jusque-là, nous sommes sauvées. Jemefichedesavoirsinousdevronsmarcherjusquechezmoi.

J’articule : On peut y aller ? Amélia hoche la tête, Daryl niefrénétiquement.

J’ai descendu une marche quand j’entends la voix d’Éric retentirdanslamaison.

–Attends,OncleBrad,jevoulaistemontrermacicatrice!crie-t-il.Jemanque tomber à la renverse en tentant de revenir en arrière,

nousdisparaissonschacunedansunechambredifférente.–Éric,qu’est-cequit’arrive?Tutedrogues?– Je… ne… me drogue pas, balbutie Éric, écarquillant les yeux

quand il voit ma tête pointer par l’embrasure de la porte. (Il enlaceBradetmefaitsignedecourir.)Tum’asjustemanqué!

Jemeglissedans lachambred’amisendirectiondugarage.DaryletAméliasprintentderrièremoietglissentsurleparquet,merentrantdedans. Je m’écrase contre la fenêtre en laissant échapper un oufbruyant.

Lesvoixsetaisent.–Ilyaquelqu’unlà-haut?demandeBrad.–Non,répondMaxine.Noussommesseulscesoir.

Mon cœur bat à cent à l’heure, j’ai l’impression d’être faite decristal.

– Je suis sûr d’avoir entendu quelque chose. Je vais aller jeter uncoupd’œil.

–Maisnousétions sur lepointdegrignoterunbout !ditÉric.Tudoisavoirfaim.As-tuperdudupoids?

–Brad,onnevoitjamaisÉric.Viensdîneravecnous.Unmomentdesilence,puislespass’éloignentsurlesoldemarbre.

Je ferme les yeux en priant pour que Brad nemonte pas et ouvre lafenêtre.

–Qu’est-cequetufais?siffleDaryl.–Nousallonsdevoirsortirparlàetdescendrelelongdelatreille.–Laquoi?Commentpourrait-on…Amélial’ignore.–As-tuperdulatête?murmure-t-elle.Je regarde par la fenêtre. C’est haut,mais pas suffisamment pour

que nous soyons en danger demort. Et il faut vraiment qu’on se tired’ici.

– Venez. (Je passe une jambe sur le rebord de la fenêtre.) Faitescommemoi.

Jeposeunpiedsurletoitdugarageavecprécaution–hésitantaudébut, avec la peur de glisser – avant de m’agripper à la treille surlaquelle pousse une vigne. Ma plus grande appréhension disparaîtlorsque je tire sur la structure légère et que je sens qu’elle estfermementaccrochéeaumur.

– Allez, je les presse en continuant à descendre quand je vois lajambedeDarylsortirparlafenêtreetsoncorpsémergersurletoit.

Améliasuitjustederrière.Deretouràl’arrièredupick-up,nousnousallongeons,enfixantle

ciel sans parler, écoutant nos respirations laborieuses. Nous devonsattendre qu’Éric termine son dîner impromptu avec son oncle et satante,pourlaisserlibrecoursànotrefourirehystérique.

Carterarrivedevantmaporte,unpeunerveux,commes’ilpensaitqueboireunexpressoà22heuresétaitunebonneidée.

Il me passe devant, se dirige droit dans la cuisine et ouvre leplacardquicontientlesassiettes.

–Oùranges-tul’alcool?– Doucement… Au-dessus des plaques de cuisson, mais ne te fais

pasd’illusions.Iln’yaqueduBacardi,durhum,duwhiskyet…Jelaissemaphraseensuspensenlevoyantsortirunebouteillede

vodkadont j’ignorais l’existence,attraperunverre,yplongerquelquesglaçonsetseservirunénormeshot.

Ill’avaled’untrait.Jesuisarrivéeilyaseulementunedemi-heure,j’aienviedeluiraconternotrefolleaventureàlaBonnieandClydeetcequenousavonstrouvé,maisilsemblepréoccupé.

–Quesepasse-t-il?J’embrassesaboucheaugoûtd’alcool.–J’aidémissionné.Jem’écarte,abasourdie.–Pardon?–Tum’asbienentendue.J’aidémissionné.Jen’aiaucuneidéedece

que je vais faire de ma vie, mais j’ai dit à Brad qu’il ne fallait pluscomptersurmoi.

–Je…je.Waouh.–Jet’aime,mais jenel’aipasfaitpourtoi.(Ilécarquillelesyeux.)

Jel’aifait,parcequejenepeuxpassupporterl’idéedetravaillerdanscetteboîteuneminutedeplus,putain.Bradestuneordure.

–Ehbien,oui.Jem’éloigned’unpasetleregardeattraperànouveaulabouteille.–JesuisallévoirBradpourluiparlerdesonattitudeavectoi.Jegrogne.–Carter,tun’aspasàmedéfendre.

–Jesais.S’ilyaunechosedontjesuissûr,c’estqu’EvilAbbeyn’abesoindepersonne.Mais…jedevaisdirequelquechose.Jenepouvaispasnepaslefaire.Etsaréactionaétéinacceptable.

Ehbien. Ilmérite un baiser pour ça. Ça semble le calmer un peu,aussi. Je ne peux pas lui en vouloir d’avoir bu de la vodka. Il doitsécréterplusd’adrénalinequ’unchevaldecourse.

– De toute manière, disons qu’il n’a pas été très ouvert à laconversation,jem’yattendais…

–Sansblague.–Etj’airéaliséunechose.(Ilsecouelatête.)Jedétestetravaillerlà-

bas.J’adoreceque je fais, je t’aime,mais jedétesteP&D.C’estcommetravaillerenjouantauballonprisonnier.

J’éclate de rire et le pousse hors de la cuisine jusqu’au salon. Ils’assiedsurlecanapéetjel’imite,avantdem’asseoirsursesgenoux.

–Donc,noussommesdansunsacrémerdier,dit-ilenm’embrassantdanslecou.Maisj’aieudesnouvellesdeDanaujourd’hui.

IlsortsontéléphoneetmemontrelestextosdeDanPrintz.

RoarPR.Jemefige.–C’estBradquiavendulamèche.Carterécarquillelesyeux.–Pardon?Jem’étiresurlecanapéetattrapemasacoched’ordinateur.–Ehbien…j’aivécuunepetiteaventurecesoir.Jeposel’ordinateursurlatablebasse,l’allume,ouvreledocument

deJessettournel’écrandanssadirection.– D’accord, répond-il en jetant un coup d’œil à l’écran. Qu’est-ce

quec’estquetoutça?–Ilfautquejeteraconteunepetitehistoire.

L’ancien cadre de l’agence artistique Price&Dickle, BradKingman, a été arrêté mardi à Los Angeles pour fraude,détournementdefondsetvold’identité.D’après les procureurs, Kingman avait mis en place un réseaud’entreprises fantômes, qu’il utilisait pour fabriquer des faussesfactures qu’il soumettait à son agence pour des services quin’étaient jamais rendus. Ces entreprises fantômes allaient dumaquillage et de la coiffure aux promeneurs de chien et auxservicesdegarded’enfants.LeprocureurgénéralEmeryRidgeadéclaré:«LeFBIaobtenulesmailsetlescontratsdeventeprouvantqueKingmanutilisaitces identités volées et ces fauxnumérosd’identificationdeTVApoursoumettredesfacturesfrauduleusesetmasquersescrimes.Ce n’est pas la simple affaire d’un employé qui piqueraitquelques dollars dans la caisse. Kingman est accusé d’avoirblanchiprèsdedeuxmillionsdedollars.»

L’éditionpapierdeHollywoodVineest étaléedevantnousetDaryl,AméliaetStephlafixentensilence.NousnoussommesréuniespourleSuper Bowl et la télévision diffuse les publicités qui font l’admirationdesmasses,maisaucuned’entrenousn’estcapablederegarderailleursqu’endirectiondel’article,làsousnosyeux.

–Deuxmillionsdedollars,répètecalmementSteph.J’imaginequ’ilnes’agissaitpasseulementdedépensesentonnom.

– Il s’était juste concentré sur moi ces derniers temps. Les autresemployésqu’ilutilisaitétaientpartis.

–Etmaintenant,byebyeBrad,lanceDaryl.LelendemaindenotrepetitvoyagechezBrad,Éricestentrécomme

une fleur dans son bureau vide, a envoyé quelques mails au FBI enmettant enpièces jointes les documents que je lui avais transférés. Le

FBI ne saura jamais que j’ai eu quelque chose à voir là-dedans maisBrad,si.

J’aieudesdouzainesd’orgasmesincroyablesavecCarter,maisjenenieraipasquejenemesuisjamaissentieaussieuphoriquequelorsquej’aivuleFBIfaireirruptionànotreétagedansunsilencehorrifiéetseprécipiterdanslebureaudeBradpourquejusticesefasse.

Ils ont frappé à sa porte en ignorant les petits cris deKylie disantqu’ilétaitoccupé.Pour toutdire,deuxdesagentsont immédiatementidentifié Kylie, l’ont prise à part et l’ont emmenée dans la salle deconférencespourl’interroger.

Brad a ouvert la porte, le visage fermé, et m’a regardée dans lesyeux.J’ailevélementonetj’aisouri.

– M. Kingman, nous avons quelques questions à vous poser. (Lavoix de l’agent qui dirigeait l’opération a résonné dans le couloir.) Sivousvoulezbiennoussuivre,nouspourronsprocéderàl’interrogatoiredansunendroitunpeuplusdiscret.

JevoulaisqueBradrefuse.Jevoulaisqu’ilsluiposentlesquestionsici, devant moi. Mais j’ai apprécié l’observer partir devant les yeuxébahisdetoutelaboîte.Ils’estéloignédanslecouloir,entouréparlesforcesdel’ordre.

Lesportesdel’ascenseursesontreferméessurlui,etilestparti.Bye,Brad.J’aichoisidequitterP&Dlejourmême.–Maintenant, je dois déterminer ce que je vais faire, dis-je àmes

amiesenrepliantlejournaletenlerangeantdansmonsac.–TupourraisrevenirchezAlterman,proposeStephavecunsourire

pleind’espoir.–Tupourraisvenirtravailleravecmoi.Lavoixaretentiderrièremoi,etnousnoustournonstouteslestrois

enmêmetemps.Cartervientdefairesonentréeetilest…superbe.Lesjoues rouges d’émotion, il sort d’une réunion : costume bien repassé,

chemise au col ouvert, cravate défaite. Nous soupirons toutes àl’unisson.

Unsoupirunisson.– Ou bien, continue-t-il en avançant dans notre direction, je

pourraistravailleravectoi.(Il s’assiedsur le tabouretdebaràcôtédemoi.)Oualors,jenesaispas,onpourraitessayerdetrouverunmoyendetravaillerensemble.

Cartersortundocumentdesapoche.Ill’ouvreetlelissesurlebarpour que nous le parcourions. C’est un contrat entre Dan Printz etCarterAaron.JusteDan,justeCarter.

– J’ai obtenu 20% de 50 millions, dit-il avec un sourire. Si jecontinuais seul, je pourrais m’occuper d’un ou de deux clients. Çam’aiderait beaucoup si tu te joignais àmoi pour, disons,m’apprendrelesficelles.

Je le dévisage, les yeux embués de larmes, et il fait mine d’êtrechoquéparmaréaction.

–Est-ceoui?Allons-nousnousencanailler?Jesurprendsmesamiesenme jetantsurCarter,maispersonnene

se formalise. Nous savons toutes que j’ai travaillé toute ma carrièrepourça,pourcetteopportunitéunique.

Chapitre26Carter

C omme je l’ai découvert bien assez tôt, on ne peut pas gérer la

carrière d’une étoile montante depuis la cuisine de son appartementminusculedeBeverlyHills.

J’ai mis environ deux semaines à arriver à cette conclusion. Deuxsemaines pendant lesquelles Evie et moi avons partagé la joiedéshabilléedenepasêtreobligésd’alleraubureautouslesmatins,denepasêtresurveillésparunpatronetdepouvoirbaisersurlatabledela cuisinechaque foisqu’onenavait envie, sansmêmeêtreobligésdefermerlaporte.

Çaaétéépique.Mais on a dû finir par se rhabiller et décider comment faire

fonctionnertoutça.J’avaisbesoind’unendroitoùvoirDanetquelquesautresclients,unendroitpour…travailler.

EvieahésitéàretournerchezAlterman,maiselleétaitdéjàarrivéeàlaconclusionquesielleadorelesgensquitravaillentlà-basainsiquele poste, elle n’a plus envie de se confronter aux jeux de pouvoir quidominent les grandes entreprises. Par chance, Adam Elliott et SarahHill avaient signé avec Evie des projets P&D sans droit de suite et ilsembleraitquecesdeux-làsoientprêtsàlasuivren’importeoù.

Etboum,nousvoilàavecuneagence.

Nous encanailler signifie donc que nous allons avoir besoin d’unbureau.

C’est lemomentoù j’ai réaliséàquelpointEvieavaitdes contactsutiles.Ellem’adéjàaidéàtrouverunsuper-conseillerjuridique,etellenousadégotédesbureauxvidesàbasprixdans…untrèsjolibâtimentsituéjusteàcôtédeP&D.

Nous n’avons pas organisé de soirée d’inauguration officielle pourAbbey&Aaron,maislaconnexionInternetaétéétablielemardietj’aiobtenu le mot de passe du système de sécurité le lendemain, ce quinoussuffit.Nousavonsfaitrepeindretouslesbureaux,décorélesmursde laréceptionavec lesnouvellesphotosennoiretblancdeJonahetinstallélameilleuremachineKeurigdumarchédanslasalledepause.Nous n’avons pas besoin d’une myriade d’assistants, nous avonsseulementbesoindeBeccaetJess.

Becca et Evie se parlent trente minutes au téléphone et secomprennent toutdesuite,deviennent lesmeilleuresamiesdumondegrâce à l’énumération du Top-Dix-Des-Moments-Les-Plus-Embarrassants-De-La-Vie-De-Carter-Aaron. Evie lui propose un job etBecca,Dieumerci, l’accepte.Jesuisextatique.Jeseraientourépar lesdeux femmes qui m’insultent le plus, mais je ne serai plus jamaisdésorganisénienmanquedecaféine.

La première matinée dans notre bureau officiel est surréaliste,putain.Lecielestexactementidentiqueàceluidupremierjourquej’aipasséàLA–unbleupoudréavec justequelquesnuagesau loin–, jemegaredans legarage.Je tourneàdroiteau lieud’alleràgaucheetmedirigeversleBâtimentA,lelieudenosnouvellesaventures.

Je jetteuncoupd’œilàmonrefletdans laportevitrée.Cheveux :bien.Cravate:porte-bonheur,pasdetentatived’innovation.J’aijetéladernièrequej’avaisachetée.

C’est lami-mars,mais jesuis frappépar le fluxd’airglacialquandj’entre.Monsangbouillonne,monestomacestnouélorsquejetraversel’entréeausoldemarbre.

Dans le Bâtiment B – qui appartient à P&D –, il y a des écransgéants sur lesquels défilent des portraits et des posters des clients lesplus importants que l’entreprise représente.Mais dans le Bâtiment A,l’ambianceestplusfeutrée.Unesimpleplaquedoréefixéeaumurlistelesdifférentsbureaux,etnousvoilà :Abbey&Aaron, suite303.AlorsqueP&Dnécessitedesétagesetdesétagesdepersonneletunpostedecontrôleauquel ilmanqueseulementunscannerà rétines, ici, iln’yaquenousdeux,leconseillerjuridiquequenousavonsembauché,BeccaetJess,etavecunpeudechance,Steph,sionarriveàlaconvaincredenousrejoindre.

Jen’aipasvuEviedepuisquej’aiquittél’appartementcematin,etmes doigts fourmillent de désir. Je rêve de la toucher tout le temps.Nousnoussommestousretrouvéshierpourl’anniversairedeMorganàGriffith Park, encombré de food trucks et du plus grand châteaugonflablequej’aievudemavie.

Lespersonnesqu’Eviepréfèreaumondecôtoyantlespersonnesquejepréfèreaumonde.Lesvoirtousensemble–monfuturetmonpassé–medonne l’impressionque j’ai fait lebonchoix.MichaelChristopherestdéjàoccupéàplanifiermonenterrementdeviedegarçon.Cequi…n’estpasofficielnirien,mais…onnesaitjamais.

À la fin de la soirée, j’ai suivi Evie jusqu’à son appartement. Sesbaisers avaient toujours le goût du soleil et du gâteau d’anniversaire.Elle a gloussé lorsque j’ai fait l’inventaire de son corps pour voir s’ilavait aussi le goût de glaçage. Je suis parti ce matin un peu avant5heures,épuisécommeil le faut,en l’embrassantsur laboucheetenluidisantquejelaverraisaubureau.Encoreunechosegénialequejepeuxdiremaintenant.

Beccaest làquand je sorsde l’ascenseur,unsentimentétrangedenostalgiemêléeàdel’espoirmesubmerge.

– Voilà ton planning, lance-t-elle en me tendant plusieursdocuments.(Jesuisàpeinecapabledeleslire,maisjelesprendsavecjoie.)Tudoisrappelerquelqu’untoutdesuite.L’undesamisdeJamieHuangveut teparleretAllieBrynnsemble siexcitéequ’elleest sur lepointdefairedeschatons.

–Super.Evieest-ellearrivée?–Salledeconférences.(Elleplisselesyeux.)C’esttellementbizarre

deterevoircommeça,danstoncostume,avectonregardbrillantpost-caféine. C’est assez génial. Ou alors, je suis juste émue de travaillerdansunbureauavecunIn-N-Outenbasdelarue.

Jesouris.–Jesuisaussiplusqueraviquetusoislà.–Idem.(Elle jetteuncoupd’œilàsonbureauavantdemetendre

ducourrier.)Maintenant,auboulot.–Oui,Madame.Les bureaux sont silencieux lorsque j’avance jusqu’à la salle de

conférences.Laporteestentrouverte,jepasselatêtedansl’embrasuredelaportetoutenfrappant,attendantqu’Evielèvelesyeuxversmoi.

Elle est assise sur le rebord qui longe la fenêtre, illuminée par lesoleil,uncontratdevantelle.Elleestresplendissante,semblepleinedeconfiance, heureuse, et même si je ne compte pas recommencer mesattouchements sur notre lieu de travail, il n’y a presque personne ici.Nous pourrions revisitermon fantasme et nous embrasser là si on enavait envie, et être réprimandés par Becca, feignant l’horreur. J’aientendu que les tables des salles de conférences étaient trèsconfortables.

–Salut,toi,chantonneEvieenmefaisantsigned’entrer.J’aimerais pouvoir affirmer que je gardemon calme,mais je cours

presqueverselleenmepenchantpourdéposerun longbaisersurseslèvres.

–Salut.

Ellem’effleureletorseettouchemacravateavantdeleverlesyeuxavecunsourire.J’insiste:

–Cettecravatefonctionne.–J’aiunrendez-vousimportantaveclaParamountdansuneheure,

dit-elleenlalissantencore.Sielleestaussiefficacequetulepenses,tupeuxlaportertouslesjours,etjenemeplaindraipas.

–Jepeuxtelaprêterplustard.Elleteporterapeut-êtrechance.Ellesourit.–Pourquoipas?Jedésignelespagesdevantelle.–Es-tuprête?– J’ai un dossier de fou sous la main, il ne me reste plus qu’à

entendre leuroui.Au fait, tu es au courantqueSeamusa foncédansunphotographeàl’aéroporthiersoir?

J’écarquillelesyeux.–Foncé?–Genre,envoiture.JelaisseP&Dgérercelui-là,c’estleurproblème

maintenant.–Ilsontdupainsurlaplanche.Jesuisraviedeneplusdevoirm’y

coller.Ellereplacemacravateetlèvelementon.–Amen.– Que penses-tu de venir à New York avec moi cet été ? Il fera

chaudàcrever,maisc’est l’anniversairedemariagedemesparentsetj’ai envie que ma famille me fasse honte devant toi. Ça risque d’êtrecarabiné.

Evieinclinelatêteetmedévisagependantunmoment.–Tuveuxm’accompagneràBurbankceweek-end?Levolumede

latéléseratropfortetmonpèreteharcèleraentedisantqu’ildétestelesYankees.Mamèreteproposeradetecouperlescheveux.Tuvivrassûrementunmauvaismoment.

Elleplongesesyeuxdanslesmiens,etjesaissansavoiràluiposerlaquestionqu’ellen’ajamaisétéaussiheureuseousûred’elledetoutesavie.

– Nous devrons faire avec, je réponds en souriant avant del’embrasser.

REMERCIEMENTS

On nous demande souvent comment nous pouvons écrire si vite.Évidemment, être deux, ça aide, mais certains livres viennent plusfacilementqued’autres.WickedSexyLiar,parexemple,nousapresquecoulé des doigts. Dirty Rowdy Thing, aussi. Nous l’avons écrit enquelquessemaines.

Hélas,DatingYou/Hatingyou…n’apasétél’undeceslivres.Nous avons terminé la première ébauche en décembre 2015 et le

manuscritne ressemblait absolumentpasau livrequevous tenezà lamain. Nous avions une idée si claire de ce que nous voulions – deuxagentsd’Hollywood tombentamoureuxet sont contraintsde sebattrepour un job –, mais le livre que nous avions commencé à écrire necorrespondait pas à nos attentes. C’est un peu comme si nous avionstenté de faire une tarte aux cerises et qu’un pain de viande sorte dufour. Et soyons réalistes : se résoudre à manger un pain de viandequandonaenvied’unetarteauxcerises,c’estàpeuprèsimpossible.

C’est alors qu’Adam Wilson, Holly Root et d’innombrablescommentairessurledocumentWordsontentrésenjeu.Pourtoutdire,à certains moments, on aurait dit qu’on avait renversé une boîte decrayonsdecouleursur le livre.Notreéditeuretnotreagentontpasséautantdetempsquenoussurcemanuscrit.Nousespéronsqu’ilssaventque chaque fois que nous nous installons pour écrire, nous sommes

conscientesdelachancequenousavonsdebénéficierdusoutiend’uneéquipesiextraordinaire.

ErinBillingsService litchaquemotàpeuprèsseptmille fois,nousdonne son avis à partir des premières versions, les plus mauvaises,jusqu’àladernièremouturelaplusélaborée,etelleparvienttoujoursàdébusquer les scories dans les dernières pages. Sérieusement, Smister,tuesunerock-star.

Kristin Dwyer, nous te dédions ce roman parce que les aventuresque nous avons déjà vécues nous semblent surréalistes. Peux-tuimaginer celles qui nous attendent ? C’est le premier bébé livre quenous écrivons pour commencer cette nouvelle étape et nous sommestellement excitées pour tous les gens qui y ont participé. Continuonscommeça!!

MerciànotreéquipeGallery:CarolynReidy,JenBergstrom,LouiseBurke, PaulO’Halloran, TheresaDooley, Liz Psaltis,DianaVelasquez,Melissa Bendixen, la force de vente de Gallery qui se démène encoulissepourmettrenos livres sur les rayonnageset lespropulser surInternet. Tous nous remerciements également au merveilleuxdépartementgraphiquequiasibienrenduvisuellementcettenouvelleétapedanslatrajectoiredel’équipeCLo.Vousêtestousfantastiquesetnous espérons que vous viendrez dîner à la maison parce que nousavonspréparédeslasagnespourtoutlemonde.

Nousnepourrionsrienaccomplirsanslacommunautédesauteurset des lecteurs de romances. Honnêtement, la force et l’enthousiasmede ce groupe sont incroyables et nous sommes tellementreconnaissantes aux lecteurs, blogueurs, graphistes et à tous ceux quiprennentletempsdenousenvoyeruntweet,unmailouunecritique.Vous nous donnez l’envie de continuer. Nous adorons ce job et nousvousadorons.

Finalement, à nos maris, qui sont tous les deux patients etchanceux.Patients les joursoùlesmotsaffluent,etchanceuxles jours

oùcen’estpas lecasetoùnousdécidonsdepasser la journéeà fairedelapâtisserieàlaplace.Mercid’êtresifiersdecequenousfaisons.

PQ, on n’écrit pas des romans comme ça tous les jours, mais j’ail’impression qu’il a changé quelque chose entre nous, qu’il nous arendues plus fortes. Bon sang, c’est marrant. Continuons sur cettelancée.

Lo, ce livre, putain. Certains romans viennent plus facilement qued’autresetaveccertains,onal’impressiond’accoucher.Jesuissûrequenousavonstouteslesdeuxétéforcéesdemordredansunmorceaudecuir à cause de celui-là. Je t’aime comme Bella aime McFlurries, etquiconquenous connaissait en 2009 sait que ce n’est pasRIEN.Mercid’êtrelaLodemaC.Rendez-vousàlapremièreplace.

ÀPROPOSDESAUTEURSChristina Lauren est le nom de plume d’un duo d’écrivains, demeilleures amies, d’âmes sœurs – de jumelles de toujours ! ChristinaHobbsetLaurenBillingssont lesauteursdeBeautifulBastard etde lasérieBeautiful,entêtedeslistesdebest-sellersduNewYorkTimes,deUSA Today et à travers le monde. Dans la plupart de leurs romans,aussiromantiquesqu’empreintsd’unesensualitétorride,ons’embrasse.On s’embrasse beaucoup. On les retrouve sur le web –christinalaurenbooks.com–ousurTwitter–@seeCwriteet@lolashoes–,etsurFacebook:www.facebook.com/HugoNewRomance.

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