87055224 Lucien Rebatet Codreanu Et La Garde de Fer

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1 Lucien REBATET Codreanu et la GARDE DE FER Choses vues et entendues en Roumanie herveryssen.com herveryssen.net

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  • 1Lucien REBATET

    Codreanuet la

    GARDE DE FERChoses vues et entendues en Roumanie

    herveryssen.comherveryssen.net

  • 2Le texte ci-dessous est constitu darticles que Lucien Rebatet afait paratre dans lhebdomadaire Je Suis Partout les 23 septembre, 21octobre, 28 octobre et 9 dcembre 1938. Nous prsentons ici ces arti-cles dans lordre chronologique. Afin de donner au texte plus de coh-rence et den faciliter la lecture, nous avons remont le passage surles juifs de Roumanie, qui se trouvait initialement la fin, changdeux titres de chapitres et supprim quelques redites dans lavant-dernier article.

    Diffrentes circonstances de ma vie ont voulu que la Roumanieest le pays tranger que je connais le moins mal, et surtout celui ojai le plus damis. Notre journal fut sans doute de toute la presse fran-aise celui qui a suivi le plus attentivement la longue crise roumainede lhiver dernier, et notre cher camarade Dauture en a t le plus lu-cide historien. Je ntais pas retourn en Roumanie depuis prs de cinqans. Je serais indigne mme deffleurer du bout de ma plume la ques-tion juive, si je navais brl de savoir ce qui saccomplit vraiment l-bas, au milieu du silence, des fausses nouvelles ou des congratulationsofficieuses les plus propres attiser une curiosit de journaliste. Jaidonc consacr mes vacances ce voyage. Gaxotte et Brasillachmavaient demand de le raconter ici. Je le fais avec dautant plus desatisfaction quil se passe en Roumanie des choses passionnantes, quejai pu les tudier loisir, que de pareils phnomnes politiques sontremplis denseignements fort actuels, et quenfin il nest jamais mau-vais de connatre la vrit sur un pays ami.

    La Roumanie selon la lgendeChaque nation a sa lgende. Celle de la France, pour les Rou-

    mains, veut, par exemple, que nous confondions rgulirement Buca-rest avec Budapest, quand nous nen faisons pas la capitale de la Bul-garie ; que lon ne voie jamais chez nous dofficiers en tenue parcrainte des bolcheviks et qu Paris lon ne mange dautres viandesque le cheval frigorifi. Ceci dit, les Roumains comptent du resteparmi les trangers les mieux renseigns sur nous.

    Il est dplorable que des voyageurs nemportent chez eux quedeux ou trois de ces truismes, comme cest le cas de beaucoupdAnglais et dAmricains. Mais jai appris, en faisant deux ou troisfois le tour de notre vieux continent, que la lgende dun pays ne doitpas tre rejete dun bloc, que pour absurde et caricaturale quelle soit,elle na pas t forge de toutes pices. Il est certain par exemple quenous sommes fort ignorants de la gographie, que la Rpublique aessay par tous les moyens de dtruire le prestige de nos uniformes etque le bourgeois parisien se nourrit mdiocrement, beaucoup pluschichement en tous cas que le bourgeois de Bucarest.

    La lgende roumaine en France a pour principale source les tu-diants du Quartier Latin et les souvenirs de quelques rgiments denotre arme dOrient, qui traversrent en 1918 et 1919 le pays dvastdcrit par M. Vercel dans Le Capitaine Conan. Il parat donc que lonvous demande dans les htels de Bucarest si vous dsirez un lit avecou sans femme, que les dames et les demoiselles de la socit sy dis-putent ltranger chaque dtour de rue, que si les hommes affichentune telle lgance et remplissent ce point les cafs, cest quils sonttous entretenus et rpugnent la plus petite tche. On cite encore vo-lontiers certains adages toujours attribus un moldo-valaque , telque : tre Roumain, ce nest pas une nationalit, cest une profes-sion.

  • 3Jespre ne pas surprendre outre mesure mes lecteurs en leur r-vlant quil y a en Roumanie des milliers de jeunes filles vtues dunoir le plus strict jusqu dix-huit ans, leves dans des couvents fran-ais, allemands ou dans des lyces de ltat avec une rigidit dont jecrois que la tradition sest perdue mme dans nos provinces ; quebeaucoup de fonctionnaires de Bucarest sont tenus quelque dix heu-res de bureau par jour ; que la prostitution est certainement moinsprospre dans cette capitale que dans des cits dapparence trs bou-tonne comme Lyon ou Amsterdam ; que je voudrais bien voir la ttede la France laborieuse si on lui appliquait la semaine de quatre-vingt-cinq heures couramment pratique pour le proltariat de cette fai-nante de Roumanie ; que la paysannerie roumaine, enfin, conserveintacte des traditions familiales bien brches dans notre Occident.Les Roumains stonnent de la libert de nos rues. Et il est exact, mafoi ! que nimporte quel square de Paris, lt, abrite des effusions quelon oserait se permettre dans lun des squares de Bucarest.

    Pourtant, cela ne fait point de doute, on respire trs vite en Rou-manie une odeur de corruption. Elle ne tient pas le moins du mondeaux choses de la chair, o les Roumains apportent sans doute une ar-deur de mridionaux, mais certainement beaucoup plus de sant quedes puritains insatisfaits. Cette corruption que la fable traduit si niai-sement, est bien plus complexe. Elle tient un mode de vie, des plisde lesprit, au frottement sculaire des Orientaux, des Turcs, des Pha-nariotes, des Slaves, des Juifs aujourdhui. La servitude, quelle soitexerce sur ltranger, comme jadis la Porte sur les Balkans, ou parune tyrannie autochtone, comme dans le cas du marxisme, est redou-table surtout parce quelle dtourne un peuple du travail, dont il naurapas le profit, pour lincliner au marchandage, aux trafics dinfluences, la qute des faveurs et des passe-droits. Bucarest, avec le remue-mnage fivreux de ses grandes artres, nindique point une race non-chalante. Aux champs ou dans les faubourgs, lallure du proltaire estbien plus souvent le trot que le pas. Cette hte constante du pauvrebougre loqueteux vers une nouvelle corve est mme une des imagesqui frappent le plus ltranger. Mais un dsordre subtil sinsinue danscette activit, et dtourne finalement de leur but beaucoup de ces ta-lents, beaucoup de ces rudes efforts. La Roumanie est pleinedentreprises, inacheves et confuses, que lon et menes au boutfacilement et beaucoup moins de frais, tant de capitaux que de sueurhumaine, avec un peu de discipline dans le travail et une probit aumoins relative des principaux excutants.

    Mais les Roumains en sont-ils entirement responsables ? Cenest pas la moindre des questions parmi toutes celles qui tiennent enhaleine aujourdhui ce pays.

    Quelques instantansUn voyageur a le devoir de fixer quelques aspects des pays quils

    traverse. La description reste encore lun des meilleurs moyensdexpliquer un pays. Le Bucarest, bien dessin, peine un peu troplittraire de M. Paul Morand, est certainement plus instructif et plusvrai quun tome dconomie politique et de dmographie.

    On sest endormi, si lon a pu, dans le rapide de Vienne Buca-rest, avec le souvenir de la correction silencieuse des nazis. Dj, Budapest, lassaut bruyant du train, maintes physionomies brunes,maintes femmes plus vives et plus coquettes, annonaient une autrelatitude. Mais les fonctionnaires avaient encore la roideur des vieillesadministrations la prussienne. En deux heures de promenade,

  • 4latmosphre solennelle et un peu lourde de la ville vous avait repris,la langue magyare vous avait trangement dpays.

    Le train stoppe au petit jour, au beau milieu de la steppe, dont lafertilit narrive pas masquer la sauvagerie. La Roumanie commencel. Cest aussitt un tohu-bohu duniformes, des casques pointesvoisinant avec des brets dalpins, des casquettes anglaises et les va-reuses blanches du gnral Dourakine. De longs gaillards dlurs etnarquois, en complets clairs, un chapeau de paille sur lil, envahis-sent les wagons. Ce sont les douaniers, les policiers qui sondent vosbagages, scrutent vos passeports page page, avec une ombrageuseminutie, puis, saccotant familirement la porte, vous flicitent sur lebon got de vos cravates, grillent une cigarette amicale et sloignentenfin regret en vous laissant comprendre que, malgr tout, on auralil sur vous.

    Un faquin minable trotte perdument sur les talons de ces sei-gneurs. Cest une espce de fonctionnaire, lui aussi, puisquil est pr-pos la remise en place de vos valises, et vous lui glissez quelquesleis. Mais en geignant lamentablement, il tend lautre main, sagrippe,semble prs des larmes. Un Roumain somptueusement vtu vient votre aide, lui donne la chasse. Le faquin sincline trs respectueuxdevant le boyard, dans un flot de paroles, mais ne lche pas pied. Ilnest pas impossible quun vrai procs sengage, bientt arbitr parune demi-douzaine de tmoins. Un petit trait retenir : la volupt de ladiscussion, propose de rien et de tout, pour lamour de lart. On laretrouvera sous mille formes, tout le long du chemin.

    La premire ville qui se dessine lhorizon se nomme, selon lgedes cartes et des guides, Grosswardein, Nagy-Varad ou Oradea-Mare.Elle est dailleurs blanche et rose, dans une aurole de poussire, avecune infinit de petites maisons semes sur un plan trs fantaisiste,comme le sont toutes les villes, sauf les saxonnes, entre Budapest et lamer Noire.

    Le train sest vid de tous les Hongrois de Budapest qui viennentl passer leurs vacances dans le reste de la famille. Diable ! la moitisont Juifs. Les manuels innombrables de lirrdentisme magyar ne ledisent pas.

    Par chance, nous avons un wagon roumain. Ce sont maintenant,avec les Autrichiens, les meilleurs de toute lEurope Centrale. Le ra-pide soutient une moyenne trs honorable, au moins gale celle deschemins de fer allemands. Les nouvelles locomotives, fabriques enTransylvanie, sont imposantes. Sur ce point capital, lquipement dupays a beaucoup progress. Le matriel est infiniment mieux tenu quechez nous. Des femmes de service saffairent, balai et plumeau lamain. Tous les trains que nous croisons sont bonds. Le ntre aussi.Les Roumains sont des voyageurs infatigables. Le budget des cheminsde fer ignore le dficit. Par malheur, sur cette ligne au trafic intense, ilny a encore quune seule voie, et il en est presque partout ainsi.

    Notre compartiment vient de se remplir de Roumains tout faitauthentiques : des officiers, une jeune femme qui professe dans unlyce, un magistrat. Au bout dun quart dheure, nous bavardons tousen franais du ministre Daladier, et aprs quinze kilomtres, surtoutaprs la Hongrie, il me semble que je me rapproche de chez moi.

    Les chefs de gare ont tous d sortir ce matin de chez le meilleurfaiseur, et arborent dimpeccables vestons sous de splendides cas-quettes rouges. Mais les cheminots sont efflanqus, crasseux, presqueen haillons. A lheure du djeuner, la morne table internationale deswagons-lits sgaye dune foule de hors-duvre, de poissons succu-lents, dun vin qui, enfin, nest plus prohibitif. Cest laccueil de lacuisine roumaine, plantureuse, pleine dimprvus, trop riche dpices

  • 5et de sauces pour nos estomacs du Nord, mais si rjouissante aprsquelques jours de rgime germanique.

    Un coin dans les Karpathes, refuge ncessaire pour quelques se-maines contre les chaleurs tropicales de la plaine. Un Parisien trans-port ici nuitamment par avion aurait assez de peine y reconnatre lanotion classique du pays balkanique. Superbe route goudronne, villaspimpantes, Kyrielles de voitures amricaines. Horizon dadmirablesforts, dont nous avons presque perdu en France le souvenir. Ntaientles fiers -pics des cimes, le paysage serait presque trop peign, tropsuisse. Il faudrait aller chercher plus haut, vers le Nord, les Karpathesromantiques o lon chasse encore les ours. Sinaa, avec ses torrents,ses palaces, ses charmantes maisons roumaines (que le pays nest-ilconstruit tout entier dans ce style !), ses chteaux royaux aux cloche-tons germaniques sent un peu le dcor bien pousset, mais ce dcorest parfaitement russi.

    Une nuit de chemin de fer, et me voil lautre bout du monde,en pleine Dobroudja. Dadmirables paysages deaux couverts de n-nuphars et doiseaux bleus et roses de contes de fes prolongent leDanube linfini. Des minarets se dressent sur les villes. Puis voil ledsert, face la mer, une terre fconde, mais sinistre, couleur de cen-dre, sans cailloux, sans arbres. Une carcasse de cheval do des cor-beaux senvolent, pourrit vingt mtres de la voie. De petites garesmlancoliques poussent de loin en loin, et les Roumains ont eulheureuse ide de leur donner des noms prestigieux : Neptune, Ovi-diu. Il nen faut pas plus pour faire surgir de ces paysages lmentai-res, ces paysages de commencement du globe, toute une mythologiefarouche et grandiose. Ces flots sombres et puissants, ce sont bienceux du Pont-Euxin, battus par le trident des dieux irrits. Ovide mou-rut par l. Comme lon comprend les Tristes ! Mais ce souvenir, deux mille ans de distance, demeure un hritage vivant pour une na-tion qui apprit sa langue des lgionnaires.

    A quinze lieues de l, dans une anse de la mer Noire, Mangalia.Un demi-mtre de poussire sur une vague piste et sur toutes choses,sur les bourricots roussis, sur les arbres dont je ne sais plus le nom, surle fez des Turcs centenaires qui somnolent le long des trottoirs. Unemosque toute blanche, les effarants produits verts et visqueux, dessalmigondis de dix races, des femmes mongoles aussi pures quautemps des grands Khans. Et au milieu de cette pouillerie levantine, unpetit Deauville roumain, quatre ou cinq htels battants neuf, des villasdu style Le Corbusier, des dancings, et deux cents jolies Bucarestoisesen shorts et en pagnes fleurs, manucures et coiffes mieux quHollywood, le dernier hebdomadaire de Paris ou le dernier livre deMarcel Aym la main, vitant, avec un art miraculeux, de leurs or-teils vernisss, les pluchures du marchand de melons turco-grco-judo-armnien dont leur regard ignorera jamais lexistence.

    Bucarest enfin. Entre mille croquis, lesquels choisir ? Voici lagare, norme, fleurie, magnifiquement distribue, pourvue de tout leconfort imaginable, une vraie gare de capitale. Mais la sortie dbouchesur un terrain vague, bossel, sans un lampadaire, que termine unepalissade pourrie.

    De loin, Bucarest dcoupe sur un ciel blouissant une silhouette la Chicago avec ses gratte-ciel et ses buildings.

    Mais avant datteindre ces gants de la banque, de lassurance etdu ptrole, vous traverserez une immense bourgade, aussi tendue queParis, avec ses maisons de deux tages, ses rues o, sur cinquante m-tres, vous rencontrez le Petit Trianon, un chalet suisse, une faadehispano-mauresque, un cube nu de ciment arm, le tout pousant lesmandres dune paisible anarchie qui ne manque du reste point de

  • 6charme lorsquon a bien voulu sy habituer. Les chariots quatreroues des Barbares du Ve sicle y coupent la route dtincelantesPackard. Vous passez incontinent du macadam la fondrire, au pointque lon pourrait se demander si chaque habitant na pas fait cons-truire devant sa demeure le trottoir correspondant ses revenus. Cha-que pav reprsente un pot-de-vin. Cependant, le nettoyage de la voi-rie est bien assur. La malpropret ne commence en Roumaniequavec la misre absolue, avec la juiverie ou le sordide cosmopoli-tisme des ports du Danube et de la mer. Le Roumain est peut-tre leseul Mridional qui ait pour premier luxe de se laver, de blanchir et defourbir sa demeure. Lorsquil est sale, cest le signe quil crve litt-ralement de faim. Le cas, malheureusement, nest point si rare.

    A Bucarest, une controverse avec un chauffeur ou un cocher peutinspirer un Franais encore mal entran lOrient des idesdassassinat. Linstant daprs, il smerveille, il sattendrit devant lesplus belles et les plus riches librairies franaises qui soient au mondehors de Paris. Sauf le cas dincurable hypocondrie, il lui sera difficilede rsister la bousculade joyeuse de la Calea-Victoriai la plus fortedensit sans doute de jolies femmes, ou pour le moins de femmes at-trayantes de toutes les artres europennes aux cafs o les vieuxRoumains ne se rsignent pas enterrer les traditions du boulevardparisien de leurs vingt ans. Sur ce corso stendhalien , comme ditPaul Morand, tout le monde se connat plus ou moins, et cependant, cenest jamais la mesquinerie, la monotonie de la province. Les caviars,les vins blancs, les petits pts des bodegos achvent de nous rconci-lier avec Bucarest. Et lorsquon sest amuss jusqu la lassitude descontrastes incessants et capricieux de la ville, il reste le refuge de sesbeaux jardins, o la main de lhomme a guid la nature si discrte-ment. Le Franais qui vient Bucarest ne peut sy sentir entirement ltranger. Cest probablement une des raisons de ses impatiences, deses exigences. Il comprend tout trop vite, qualits et dfauts, etlaffabilit de chacun aidant, il se croit peut-tre autoris parler et trancher comme sil tait un peu de la famille . Ce qui ne veut pasdire quil soit toujours de bon conseil

    Un pope ceinture rouge, un dignitaire sans doute, lustr, panouide sant, la moustache en croc, jouant dune badine souple, sort dunrestaurant lgant entre deux bouffes de tango. Un tzigane de qua-torze ans ptri un accordon de bastringue, et il en fait un orgue. Cesvenatori (chasseurs) des bataillons de montagnes, portant le bret kakide nos rgiments de forteresse, ne pourraient-ils pas tre des conscritssavoyards ou auvergnats, peine un peu plus frustes ? Sur le seuil desa maison blanche et nette, o la camelote juive na pas encore vincles beaux objets rustiques, un paysan aux yeux noirs, ingnus et vifs,reconduit son auto une jeune bourgeoise tire quatre pingles, etlui baise la main avec une dfrence et une galanterie exquises.

    Mais il suffit pour le pittoresque roumain. Je dois mme dire, ensongeant tous ce que mon voyage ma rvl, que ce pittoresque najamais t moins de saison.

    Une esquisse de la grande RoumanieLa Roumanie, lpoque, saccoutumait sans grands heurts

    lindpendance, sous le sceptre dun vieil Hohenzollern fort mal as-sorti au temprament de ses sujets, mais qui cherchait leur bien avecsincrit. La Rpublique franaise tait le phare de cette monarchie.On pouvait se permettre, sans excs de dommages, de calquer les re-mous de sa politique, tant la vie tait facile sur un petit territoire re-gorgeant de tous les dons du ciel. Il nest pas trs difficile dimaginer

  • 7que cet t la flicit sans la plaie juive senvenimant danne enanne.

    Il est arriv depuis la Roumanie la merveilleuse et prilleuseaventure de passer, sans transition, au rang de septime puissance delEurope, possdant quarante mille kilomtres carrs de plus quelAngleterre, et pouvant, avant trente ans, galer la population de laFrance.

    Le sort affreux que la diplomatie des allis lui avait rserv en1916 valait une compensation. Gardons-nous bien, par le temps quicourt, de rechercher si cette compensation a t ou non excessive. Cequi est certain, cest que la Roumanie est, avec la Pologne, ltat leplus normalement constitu de tous ceux qui ont vu le jour Ver-sailles. La population, purement roumaine, quelle rassemble, est trshomogne. A ce propos, il nest pas inutile de rappeler que le Moldo-Valaque est aussi vide de sens que celui de Normando-Berrichon.

    Le Moldave est tout simplement le Roumain du Nord, plus grand,de complexion plus claire. Le mot valaque, sil tait employ, dsi-gnerait le Roumain du Sud et du Centre. On dit l-bas Oltnien et motentnien . Les Roumains de Transylvanie, de Bukovine, deBessarabie possdent, bien entendu, leurs traits particuliers, quilsconfrontent, quils revendiquent, mais ce ne sont que de menus d-tails. Ces Roumains se sont confondus aussitt avec ceux du VieuxRoyaume, parce que tous sont vraiment unis par une communautethnique millnaire surprenante, mais indiscutable. On a longuementsoupes la latinit des Roumains, parce quil paraissait inadmissi-ble dy ranger ces hommes dOrient. Mais la latinit nest pas plus uneaffaire de sang que le germanisme. Cest une communaut de langage,de penses. Les arrire-petits-fils des Daces et des lgions de Trajanont, bien entendu, subi une influence byzantine qui na pour ainsi direjamais effleur le Gallo-Romain. Mais, enfin, si cette influence avaitt toute puissante, elle aurait coul dans le mme moule tous leschrtiens dOrient. Le prestige dune langue latine a ciment un de cespeuples chrtiens aussi srement que les architectes romains le fai-saient pour les pierres de leurs aqueducs. La langue a rsist tout :invasions, asservissements, massacres, dispersions aussi. Sans vouloirmaventurer sur un terrain que je connais bien mal, les plus gravesdangers que cette langue a courus, me semble-t-il, elle les doit sesgrammairiens du sicle dernier. Les paysans emploient souvent unvocabulaire plus proche des origines que celui des professeurs. Quoi-quil en soit, elle a t le signe de ralliement de ces gens-l envers etcontre tout. Cest une histoire qui mriterait quelque respect pour saseule tranget. Elle a distingu les Roumains de tous leurs voisins,elle les a dots dune forme desprit qui leur permet beaucoup plusvite qu ses voisins, de sassimiler maintes choses dOccident. Quant vouloir en conclure quils jugent de tout comme un Beauceron, cestune autre affaire, et o lon aurait plutt des mcomptes.

    La Roumanie daprs-guerre a hrit, comme ses voisins, de mi-norits pesantes, mais toutefois beaucoup mieux rparties, avec certai-nes enclaves, telles les vieilles et importantes colonies hongroises etsaxonnes de la lisire des Karpathes dans les conditions les plus favo-rables, semble-t-il, une assimilation : fort loignes du noyau natio-nal, cernes par les majoritaires. La politique de Bucarest lendroitde ces minorits a t suffisamment souple pour devenir mme tout fait dbonnaire, ne surestimant point lexcs sa force, et favorisantpeu peu lexode vers lintrieur, notamment vers Bucarest, dunnombreux proltariat hongrois, ce qui est sans conteste la mthode laplus efficace. Au surplus, le paysan roumain est presque aussi prolifi-

  • 8que que le paysan polonais. Pour un petit Hongrois, il nat trois ouquatre petits Roumains en Transylvanie, ce qui cre des garanties etdes droits infiniment plus solides que nimporte quel pacte. Ilnapparat pas que le problme des minorits chrtiennes pourraitprendre l-bas la forme dune crise aigu et vitale pour ltat tout en-tier, comme cela vient dtre le cas chez les Tchques.

    Economiquement, la Roumanie nouvelle est une espce de chef-duvre. Du moins en a-t-elle tous les lments. On ninsistera jamaisassez sur la richesse providentielle de cette terre, et surtout surlquilibre parfait de ses richesses : crales, fruits, bois, vins, ptrole,minerais, des sites et des stations touristiques dune exploitation fa-cile, une incomparable voie fluviale, un dbouch vers la mer. Nesont-ce pas autant de promesses de la plus enviable destine ?

    Un Hohenzollern sur le trne (21 octobre 1938)Le fond du caractre roumain, chez les deux ou trois cents mille

    personnes jouant un rle effectif au milieu de limmense paysanneriede la nation, est fait dune trs grande vivacit critique, qui apparatbien comme un hritage latin. LOrient slave et surtout byzantin y aajout sa souplesse, son got de la cabale et de largutie, en mmetemps quune nuance de fatalisme. Si lon fait encore la part dunechaleur du sang propre tous les Mridionaux, on concevra que cepeuple nest pas trs aisment gouvernable. On le voit bien par sonhistoire mdivale, pittoresque et documente, avec ses soudards, sesPhanariotes malins, ses diplomates trop subtils, ses hros intrpides etmalchanceux, tel le paladin Michel le Brave, chef dune croisade con-tre les Turcs laquelle le Saint Empire et la papaut participaient, etpremier fondateur dune grande Roumanie qui ne devait pas lui survi-vre. Si ce peuple a connu durant des sicles les plus affreuses infortu-nes, sans doute le doit-il dabord sa tragique situation entre les deuxnormes empires russe et turc. Mais ses luttes intestines ont eu aussileur rle dans cette chane de malheur.

    Cest ce que comprirent les grandes puissances lorsquelles plac-rent en 1866 un souverain tranger la tte des principauts roumai-nes libres du joug turc et qui allaient bientt devenir royaume. LaRoumanie eut donc le souverain qui pouvait le moins lui ressembler,un Hohenzollern pur sang, fanatique de discipline prussienne, lim-posant et svre Carol Ier, dcrit dans ses mmoires avec un mlangesavoureux dhumour, de dfrence et deffroi rtrospectif par la feuereine Marie, qui tait tombe dix-sept ans, la pauvrette, sous lacoupe de ce feldwebel.

    Pendant son trs long rgne, Carol Ier fit son mtier avec persv-rance, conscience et mthode, au milieu des innombrables intrigues deses ministres. La Roumanie possdait un roi teuton, mais lidal detous ces politiciens, forms lcole de Droit de Paris, allait au radi-calisme franais, teint de cautle orientale. Elle pouvait du restesoffrir le luxe de crises ministrielle et de bagarres gouvernementalesans troubler le moins du monde lEurope non plus que le cours de sapropre existence.

    La petite Roumanie de 1900, peine plus vaste et peuple que laBelgique, possdait la plus belle princesse du monde. Elle dlguait Paris des tudiants nonchalants, intelligents, magnifiquement vtus etfort amoureux, des boyards pleins de faste et cultivs jusquau boutdes ongles, des violonistes de gnie, des potesses imptueuses, d-bordant de sentiments et de littrature, lexemple de la reine CarmenSylva. En somme, lancienne protge de Napolon III, la petitesur latine faisait bonne figure dans la socit, bien meilleure que

  • 9tous ces montagnards balkaniques, bosniaques, montngrins, mac-doniens, comitadjis de toutes les couleurs, aux mollets entours deficelles, nourris doignons et de lait caill, toujours prts brandirleurs ptoires pour rallumer lternelle et consternante questiondOrient . La Roumanie mprisait ces querelles de rustres etnintervenait quavec hauteur et sre dun rapide succs dans la liqui-dation de lempire turc. Elle regrettait la Bessarabie chaparde par laRussie, mais sans avoir la navet de la rclamer un tel voisin. Elleencourageait secrtement la renaissance en Transylvanie dun irr-dentisme vigoureux, provoqu par la brutale maladresse de la doublemonarchie.

    Les emprunts roumains faisaient le dsespoir de la bourgeoisiefranaise, dont le romantisme financier est jamais incorrigible. Maisen dpit dun budget pitoyable, de salaires ridicules, la vie restaitdouce dans les frontires du petit tat. La richesse naturelle duneterre tait encore une ralit lpoque. Les Roumains, pauvres ennumraires, vivaient sur ce capital du sol, assez obscurment, maisconfortablement.

    On connat le drame qui marqua pour lancienne Roumanie le d-but de la grande guerre. Le vieux Carol tait passionnment germano-phile, li la Triplice par un trait secret, sa nice Marie, son person-nel politique et toute la classe cultive du pays, francophiles avec r-solution. Carol fut dabord oblig la neutralit et en mourut au boutde deux mois, trop opportunment pour quon ne parlt pas sous lemanteau et, je crois, sans aucune preuve, dun mauvais caf.

    Deux ans plus tard, aprs les ardentes campagnes en faveur delintervention des Bratiano, des Ionesco, aprs des marchandages di-plomatiques o lon reconnat la patte dgotante de Briand, la Rou-manie entrait en guerre sur les instances pressantes du gnral Joffre.Les allis la prcipitait dans la lugubre aventure, sans lui avoir fourniaucun moyen ni aucun conseil militaires, pour desserrer, quelqueprix que ce ft, ltreinte allemande sur Verdun. Le roi Ferdinand,malgr son sang germanique, remplit avec dignit et courage son de-voir. Ltat-major roumain fit aussitt la preuve dune remarquableincapacit. Le paysan peine vtu, peine arm, sustent dun peu demas, se battit du mieux quil put devant Mackensen, Falkenhayn ettrente magnifiques divisions allemandes, sans compter les Bulgares,les Austro-Hongrois et les Turcs. Jai dj dit comment les Russescontemplrent le drame sereinement, larme la bretelle, en sacca-geant les arrires. Ce fut une horrible catastrophe, une boucherie surles champs de batailles, le typhus exanthmatique faisant plus de500.000 victimes, linvasion, le dmnagement du pays par les Russespuis les Allemands. Mais quand on dcouvre aujourdhui aux flancsdes Karpathes les croix blanches des cimetires militaires, on songeque si Verdun fut dgag lautomne de 1916, nous le devons un peuaux pauvres diables qui se firent hacher sous ces sapins. Si la Rouma-nie a doubl ses frontires, elle en a vers le prix avec le sang de sessoldats.

    Les juifs de Roumanie (28 octobre 1938)Mme sil ignore tout des chiffres des statistiques, le voyageur ne

    peut faire quelques centaines de kilomtres en territoire roumain sansdcouvrir le problme juif. Irait-il en Pologne quil arriverait vite unidentique rsultat. Il ny a pour ainsi dire pas dexemple de Franaisayant vcu dans le fameux triangle juif de lEurope centrale (Dru-mont avait pour cette figure gomtrique un mot beaucoup plus pr-cis) qui nait grossi trs vite les rangs de lantismitisme universel.

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    Il y aurait une uvre pie remplir : ce serait doffrir un circuitBudapest-Bucarest-Varsovie deux ou trois cents agents lectorauxdu Tarn et de lAude, maons, socialistes, peu importe, pourvu quilssoient bien de leur terroir. Vous verriez si M. Grumbach et M. LonBlum seraient rlus dans ces secteurs-l.

    Beaucoup de touristes, Bucarest, ne vont pas plus loin que la ruedes Lipscani, qui souvre dans la Calea Victoriei, et repartent stup-faits de la youtrerie quils ont frle. La descente des Lipscani est, eneffet, fort instructive. Cest une des citadelles europennes du calicotjuif. La surenchre des enseignes pendant par centaines au-dessus destrottoirs lui donne un air presque chinois. Le Juif, bondissant dunmonceau de camelote, vient nous agripper jusquau milieu du pav.Les seuls commerants aryens autoriss, dans cette voie bnie de J-hova, ce sont les aveugles qui vendent sur un tabouret au coin desportes des boutons et des lacets de souliers.

    Pourtant le Juif des Lipscani, qui dveloppe en souriant prudem-ment ses coupons aux pieds des plus jolies femmes de Bucarest, estdj frott, sr de lui, prt prendre de lair. Il porte des complets dedraps plus ou moins anglais et des cravates pois. Il est gonfldespoirs. Il les a inscrits sur sa boutique. La hantise de Paris y estsurprenante. Ces devantures bondes de soie artificielle se nommenten franais : Au monde lgant , La Vie Parisienne , Mongot , Au chic de Paris . Jai mme relev un Sicut Parisiani .M. Etoile du Matin et M. Joli-Garon, ou si vous prfrez M. Mor-genstern et M. Hubschmann, tirent leurs plans pour rejoindre le cousinde la rue du Sentier. Ce sont dj des Juifs amis de la France, prts pondre des rejetons dans toutes nos antichambres de ministres. Onverrait presque aussi bien chez nous au Village suisse qui avoisinelcole militaire, au march Saint-Pierre Montmartre, nimportequel carrefour de la rue Raumur. Le malaise encore un peu vague duchrtien dans les Lipscani tient la multiplicit de ces gestes crochusqui lui barrent le chemin. Cela suffit aux gens presss et de nez dli-cat. Ils ont tort.

    Bucarest, je lai dit, nest pas, pour sa latitude, une ville trop maltenue. Avec la misre quelle abrite, il sen faut cependant quelle soitpartout nette comme une place flamande ! Et les tziganes ont beau trede trs purs aryens blancs, lorsquil semparent dun coin de faubourg,les bouges o ils croupissent se font sentir de loin.

    Cependant, mme aprs toute cette pouillerie, quand on pousse unpeu plus loin que les Lipscani, jusquau quartier de Dudesti, il sembleque lon ait brusquement chang de monde. Lair est irrespirable. Uneespce de fivre perptuelle agite la poussire. Ce ne sont pas seule-ment les ventaires gluants des fabricants de beignets, les ignoblesrelents de graisse ou de carpes pourries qui nous lvent le cur, maisce chaos gnral qui droute, qui exaspre. Nul pittoresque, mais uneabominable sordidit, faite de tous les dchets dindustrie de notrepoque, qui viennent se briser, se rouiller l, et serviront encore auxtractations frntiques des cent cinquante mille Juifs du ghetto de Du-desti dont les visages terreux ou verdtres nexpriment que de vilssentiments. Comme par hasard, Dudesti est aussi le quartier de laprostitution et vomit la nuit tombantes dantiques et gigantesquesgarces, aux trois-quarts nues, serves de Juifs depuis un demi-sicle.

    Mais le couronnement du voyage, ce sera Cernautsi (Czernowitz).Dans cette capitale de la Bukovine autrichienne, le Juif forme les deuxtiers de la population, qui dpasse cent mille mes. Il est l le matrepour ainsi dire depuis toujours. Il a model la ville son image. Il en afait une norme porcherie. Jtais Cernautsi depuis plus de quatreheures, affam, reint. Jaurais prfr jener jusquau soir plutt que

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    dentrer dans une des horribles choppes Kascher . Je tombai enfinsur un humble bistrot chrtien, le seul, je pense, de son espce danstout Cernautsi, et qui sen prvalait sur son enseigne. Il se trouva quele fils du patron, que je ne compromettrai pas, jespre, car il a encorelge o la politique semble bien mprisable, tait un petit bachelierroumain aux yeux dlurs, parlant la perfection sept ou huit langues,dont le franais et le yiddisch. En mapportant les piments farcis et lefromage, ce gamin de dix-huit ans me dbitait du Rimbaud, du Ron-sard, du Shakespeare.

    Grce ce guide inespr, jai pu aller jusquau trfonds dughetto. Du pied, le plus naturellement du monde, sans y ajouter mmeun soupon dimpatience, dans les escaliers ftides, mon bachelierrepoussait des ribambelles de marmots. Nous entrions dans des repai-res o les Juifs font leurs excrments sur le plancher, dorment, man-gent et saccouplent dans la puanteur de leurs propres ordures.

    Je voyais l non plus le Juif en casquette de Budapest, mais le Juifdans son uniforme rituel. Je distinguais sans peine le vieux Juif fidle toutes les traditions, portant le bonnet queue de renard, les bottes,le caftan et la lvite de soie, le petit Juif rabbinique un peu plus voludj, remplaant le bonnet par le chapeau de velours, et le Juif quiprfrera le ngoce, qui arbore encore la lvite, mais de fantaisie ,en bleu sombre, ou en gris marengo.

    Je reconnaissais sous ces dfroques tous nos Juifs peigns et la-vs. Ce bedeau de synagogue, tte dArabe ngrifi, ctait, ma foi !M. Herzog, dit Maurois. M. Bergson trottinait, une besace lchine,M. Tristan Bernard spouillait la barbe, M. Bader suait sous son bon-net crasseux, M. Jean Zay ctait un vendredi soir allumait dansune pnombre pestilentielle les sept branches du chandelier.

    En dpit de mes opinions bien arrtes sur la piti que peut rai-sonnablement inspirer le proltariat juif, une misre plus criardemarrtait par instants. Je dsignais mon guide un vieux vagabondplus bossu que M. Mandel, coiff dun chiffon gras, les loques dunpardessus pendant sur ses jarrets confondues avec celles de son fondde culotte : Celui-l ? me disait le bachelier. Il a un fils Paris, deuxautres au lyce, un magasin dans le centre. Il fait depuis des annes letrafic de toutes les devises de lEurope centrale.

    Dans le caf chic de Cernautsi, les Juifs cossus, vtus en bour-geois, retrouvaient empile sur les tables la presse juive du mondeentier : celle de Paris et celle de B, celle de New-York, celle de Bu-dapest.

    A Cernautsi, comme dans vingt autres de ses capitales, le Juifvraiment chez lui a demble reconstitu le ghetto. Il na pas t capa-ble dlever une ville. Il na pu concevoir quune norme bourgade,incohrente, htroclite, inacheve, comme la plupart de ses systmes,comme toutes ses rvolutions. Cela lui suffit largement. Ce nomadena pas le got de la demeure assise. Le gte le plus crasseux, le plusbourbeux lui sera toujours assez bon pour enterrer son or et attendre laprochaine tape.

    Il se fait plaisir la plus sale et la plus diabolique gueule quepuissent porter des paules humaines, avec ses papillotes huileusesmergeant dune coiffure toujours grotesque (comment dpeindrelespce de kpi de carton que les apprentis rabbins portent au sommetde leur crne ?), avec ltoupe de sa barbe et ses ternels habits noirs,taills dans la forme la plus laide, la plus ridicule. Et les plus repous-sants, les plus infernaux, ce sont encore ses prtres, ses rabbins quidistillent sous leurs bsicles la haine du chrtien, qui commandent latte de chaque communaut ltranglement conomique du chrtien.

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    Le cas dIsaac Leifer, le rabbin lhrone, na plus rien pour surpren-dre quand on a plong dans la Palestine de lEurope. Cest une uvrepie que de travailler lempoisonnement du goy.

    Une ville comme Cernautsi confirme par la ralit toutes les no-tions quelquefois plus ou moins abstraites de lantismitisme. La loide Nuremberg interdisant aux Juifs de prendre des servantes chrtien-nes ges de moins de quarante-cinq ans a fait sourire en France. On ya vu une vexation gratuite. Mais en Pologne, en Roumanie, on sait trsbien que les vieux Juifs choisissent dans les plus pauvres villages lapetite chrtienne la plus frache et quils linstallent chez eux nonseulement comme domestique, mais pour les besoins de leurs fils. Ilsviteront ainsi de se contaminer avec les prostitues des lupanars juifs, lusage des chrtiens.

    Jai toujours trouv fort puril de mesurer, la faon des nordi-ques, le degr de civilisation dun pays au nombre de ses baignoires etdes corbeilles papier de ses jardins publics. Mais Didesti, Cer-nautsi, dans cent autres ghettos de Bessarabie, de Pologne, des Car-pathes, il ne sagit plus de ngligences, de la salet qui accompagnepartout la faim. Cest la sanie juive qui pollue tout autour delle,lquivalent dans lordre matriel de la pornographie, de lescroquerie,des falsifications, du marxisme juifs dans lordre moral.

    Il est impossible de ne pas prendre vigoureusement le parti desmalheureux chrtiens obligs un pareil voisinage, par exemple deces beaux paysans roumains de la Bukovine, hauts et droits dans leurshabits blancs brods, avec leurs yeux calmes et sans dtours, que lonvoit dcharger les lourds sacs de bl devant lantre dun Louis Louis-Dreyfus de village qui jette quelques pices dans leur bonnet de peaude mouton.

    Cest le grand malheur de la Roumanie que davoir prs de deuxmillions de ces parasites dans tous les replis de sa terre. Jai dj ra-cont lhistoire de cette juiverie roumaine qui, par dessus le marchest dimportation rcente. Dans le Vieux Royaume du moins, les Juifs,jusquau dbut du dernier sicle, ne formaient que de minuscules co-lonies. Cest lorsque la Roumanie obtint de Constantinople la libertde commerce que les ghettos de Galicie et dUkraine lui dpchrentleurs premires vagues de conqurants, qui en moins de vingt ans ac-caparaient le march nouveau, et le gardaient !

    Je ne citerai quun seul chiffre. Sur 161 milliards de leis du reve-nu annuel de la Roumanie en 1936, les Juifs (10 % de la population)en dtenaient plus de cent milliards.

    Un pays qui vit sous un pareil servage ne peut pas tre en bonnesant. Depuis des sicles, le Roumain ne possde pratiquement riendun pays combl par la nature. A lorigine de toutes ses infortunes, detoutes ses plaies, il y a le Juif. Aprs la guerre, le gouvernement fitune rforme agricole qui depuis longtemps simposait : il partagea laterre aux paysans. Ces partages sont toujours dlicats. Une priodedadaptation doit suivre. Dans beaucoup de dpartements, la rformena t que dun profit insignifiant, parce que les trusts juifs se sontsubstitus aux grands propritaires. Ils assujettissent beaucoup plustroitement le paysan qui reste arrir dans son travail, qui voit sapauvre existence rgle par lagiotage international des grains.

    Le bakchich, la prvarication sont en Roumanie presque naturelsparce que ltat lui aussi possde trop peu. Le budget devrait tre tri-pl. Mais les Juifs aiment mieux soudoyer les percepteurs que depayer un impt en proportion de leur richesse. Le percepteur accepte,parce quil est lui-mme misrablement pay. Un agent de police deBucarest touche par mois lquivalent peu prs de cinq cents francs-Daladier. Il lui faut sassurer avec cela une tenue correcte. Il na plus

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    quun seul moyen de subsister : abuser de son uniforme. Il a donc faitde la grivlerie une sorte dinstitution. Il entre dans lauberge de sonchoix, il boit, il mange et se lve majestueusement. Il a trop demoyens dinquiter le patron pour que celui-ci ose lui prsenter unenote.

    Les grands tats occidentaux, la France et lAngleterre surtout,ont englouti dans les finances roumaines des milliards. Leurs par-gnants ont t chauds, et les citoyens roumains nen ont eu peuprs aucun profit. La juiverie a tout dvor. Elle se soucie peudquiper un pays o, comme ailleurs, elle ne se considre que de pas-sage. Il faut entendre le Juif roumain migr, n dans quelque sentinepuante de Galatz ou de Jassy, cracher son mpris sur ces infectsBalkans . Le Juif ne songe qu arracher la Roumanie le magot quilui permettra datteindre lOuest toujours convoit, Paris, New-York,la Californie.

    La Roumanie compte sur son territoire toutes les varits de lafaune juive : les sauvages de Bukovine et de Galicie, qui professentque le goy est un chien tte dhomme, les Juifs tignasses etlunettes dintellectuels, qui se glissent dans lenseignement, qui ontcolonis la mdecine et le barreau, les Juifs repus qui peuplent le casi-no de Sinaa, qui occupent en vainqueurs les palaces et les plages lamode, les paisses juives perles et fourrures, qui cherchent singerla charmante et voluptueuse dmarche des chrtiennes et ne sont quedune caricaturale obscnit.

    Tout cela, bien entendu, milite dans un marxisme plus ou moinsavr. Les horribles Juifs de Kichineff les pires selon les connais-seurs ! ont connu la rvolution de Lnine entre 1917 et 1919,lpoque du triomphe dIsral dans le bolchevisme. Ils sont tous de-meurs communistes militants. Les Juifs de Bukovine, de Transylva-nie, qui mouchardaient jadis les Roumains auprs de la monarchieaustro-hongroise, ont t dans la Petite Entente les auxiliaires fanati-ques de Bens et de Titulesco.

    Ai-je fait assez comprendre pourquoi le Roumain est antismitecomme il respire ? M. Lucien Romier, dans un livre par certains ctstrs juste, Le carrefour des Empires morts, a crit froidement quelantismitisme roumain tait un produit artificiel des Universits.Cest bien lexemple de ces erreurs monstrueuses desprits minents,renseigns, mais trop habitus une discipline mathmatique, qui serefusent certaines explications de la vie parce quelles leur paraissenttrop grossires. Je voudrais bien savoir auprs de quels professeurs lespetits aryens de Bukovine ont appris jeter des cailloux aux colpor-teurs juifs qui jouent l-bas le rle de Croquemitaine !

    Leffondrement du rgime parlementaire (21 octobre 1938)Comme lAllemagne de Weimar, comme lAutriche, lItalie,

    lEspagne, le Portugal et la France, la nouvelle Roumanie a vu depuisvingt ans se dtruire elle-mme la dmocratie parlementaire qui for-mait la base de ses institutions. Elle et pu sen accommoder encorependant un demi-sicle, dans son cadre restreint dautrefois, dans unepoque dquilibre conomique, et avec le correctif de sa dynastie.Mais la vieille patache na pas rsist la crise de croissance de ltat,aux problmes imprieusement concrets de toute lEurope daprs-guerre. Le rgime, en Roumanie, put encore laisser le champ libre quelques remarquables diplomates ce quil na mme pas permischez nous mais il ne put fournir un seul un seul administrateur. Cestpour cette raison que les Roumains sont aujourdhui si svres, avec je

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    crois une nuance dinjustice pour feu Jean Bratiano, qui fit la grandeRoumanie Versailles mais ne sut pas la cimenter lintrieur.

    Le systme lectif navait pas eu encore en Roumanie, au milieudune immense et trs simple population agricole, le temps dtre aus-si malfaisant que chez nous, de pousser aussi loin ses funestes racines.Les Roumains faisaient mme le seul usage mon sens raisonnable dela machine lectorale : savoir de mettre chaque urne sous la garde dequelques pistoleros rsolus, tout en ayant dispens au pralable leplus large budget de corruption. Je ne crois pas que le soucis dellecteur et du compte rendu de mandat ait jamais pes lourd sur laconscience dun dput de l-bas. Le parlementarisme roumain nagure t asservi au Nombre. Mais il a engendr lhgmonie des ban-des, des clans politiciens, grossis de leurs clientles de fonctionnaireset dagioteurs se disputant le pouvoir avec astuce et frocit.

    Lhistoire politique de la nouvelle Roumanie est celle de ces lut-tes puisantes et dgradantes, de ces batailles de gangs rivauxmettant en jeu le sort dune nation de vingt millions dhabitants. Jepasse sur les consquences : pugilats la Chambre, dgringolades deministres, scandales, prvarication tous les tages. Nous avons fait,sans nous vanter, aussi bien.

    Les succs et les victoires avaient t dabord assez quitablementrpartis entre les trois grandes factions des libraux (quivalentes peu prs de nos radicaux), de la Ligue du peuple, fonde par le gnralAveresco et des nationaux-tsaranistes, cest--dire nationaux-paysans,forts surtout en Transylvanie, o les patriotes jouaient leur rle classi-que de cocus, et les dmagogues socialisants celui des profiteurs. Maischacune de ces factions susait rapidement par ses propres conflits, parses tratres, ses dissidences ouvertes ou larves. Durant ces six ou septdernires annes, leffritement et lanarchie des partis condamnaient un trpas imminent des assembles parlementaires devenues tout faitinutilisables.

    Lheure du fascisme venait de sonner pour le pays. Dans de pa-reilles circonstances, lItalie avait vu lapparition des Chemises Noi-res, lAllemagne des Chemises Brunes, lEspagne verrait bientt lesPhalanges. En Roumanie, le fascisme surgit aussi des dcombres de ladmocratie. Il se nomma la Garde de Fer, et son chef tait Codreanu.

    Lascension et lclipse de CodreanuOn a trs prement discut des origines de Codreanu. Voici trs

    exactement sa gnalogie. Toute la branche paternelle est roumaine deBukovine, portant le sobriquet campagnard de Codreanu (le Forestier)et le nom trs roumain de Zela, que ladministration autrichiennetroqua en Zelinski lorsque le grand-pre Nicolas fut incorpor dans unrgiment polonais. Tous les prnoms de la branche sont roumains :Simon, Nicolas, Ion. Tout ltat civil de la famille fut rdig en rou-main sous la domination autrichienne. Tous les aeux, de ce ct-l,ont t de religion orthodoxe. Le pre de Codreanu a quitt tout jeunela Bukovine pour Jassy et demand sa rintgration dans la nationalitroumaine, quil a obtenue aussitt, comme par exemple un Lorrainabandonnant Metz pour Nancy aprs 1870. Si Codreanu tait, commeon dit, de pre polonais , il faudrait admettre quil ny a pas un seulroumain en Bukovine !

    La mre de Codreanu, Eliza Brauner, est la petite-fille dun Bava-rois, Adolf Brauner, fix en Roumanie il y a plus dun sicle, et mari une roumaine, Elisabeth Ceruca. Toute cette branche est devenueorthodoxe. Sur dix ascendants de Codreanu, il y a donc un seul tran-ger, son arrire-grand-pre. Codreanu peut bien se dire roumain de la

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    tte aux pied, infiniment plus roumain que tous les fils et petits-fils deGrecs si nombreux dans la politique de son pays.

    Que nous apprend, vue de lextrieur et dpouille de tous faitcontestable, la vie de Corneliu-Zelea Codreanu ? Par sa mre, il vientdu peuple. Son pre est un trs modeste professeur. Le petit Corneliu,tout enfant, est recueilli par M. Cuza, patriarche de lantismitismeroumain, qui le fait lever dans sa famille Jassy. Tous les chrtiensde Jassy hassent les Juifs qui pullulent autour deux. Codreanu, au-prs de Cuza, apprend raisonner cette haine.

    En 1920, la Roumanie vient dhriter de tous les Juifs de Buko-vine et de Bessarabie, grossis dun flot norme qui accourt plus oumoins en fraude de Galicie, dUkraine et de Crime. Les Universitsenvahies (830 Juifs pour 546 chrtiens la Facult de mdecine deJassy) organisent la raction.

    Le premier geste politique de Codreanu, qui a commenc sondroit, est pour prendre Jassy mme la tte de ce mouvementdtudiants. Ce nest pas un orateur habile, mais sa conviction est en-tranante. Il est grand, vigoureusement bti, avec un beau visage inspi-r et viril qui simpose aussitt. Il ne se contente pas de rosser lesJuifs. Il cre en 1924 le premier camp de travail de la jeunesse quelon ait vu en Europe, et fait construire par les tudiants une maisonpour leurs collgues pauvres.

    La mme anne, Codreanu fait ses premires armes davocat dansla dfense dun tudiant de ses amis. Un des tmoins de laudience estle prfet de police Manciu, un abominable salaud qui soumet la tor-ture les tudiants antismites. Il provoque Codreanu grossirement,jette sur lui ses flics qui le ruent de coups. Codreanu tire son revolveret, en plein prtoire, il tend Manciu raide mort. Le procs qui suitbouleverse la Roumanie. Des milliers davocats chrtiens se font ins-crire pour dfendre Codreanu. Il est triomphalement acquitt.

    Codreanu va terminer ses tudes en France. Trs pauvre, ilsembauche pour vivre prs de Grenoble dans une ferme, il y mnelexistence des paysans, il y apprend leurs travaux.

    A son retour en Roumanie, il se spare du vieux Cuza, thoriciendpourvu du sens de laction, qui a laiss son parti se scinder en deux.Codreanu fonde pour son propre compte la Lgion de larchangeSaint-Michel, avec douze camarades et les consignes suivantes, lafois morales et religieuses : guerre aux Juifs, croyance, travail, ordre,hirarchie, discipline, silence. Codreanu prend le titre de capitaine, le Capitan .

    Du monde des tudiants, la Lgion va se rpandre travers toutela Roumanie, en se mlant dabord la couche la plus solide de lapopulation, la paysannerie. Les lgionnaires organisent des caravanesde propagande, assistent les cultivateurs dans le labour ou la moisson,crent des coopratives pour concurrencer le commerce juif. En 1930,la Lgion prend le nom de Garde de Fer. Elle est dissoute deux foispar des ministres dmocrates, sans cesser de progresser. Le prsidentdu Conseil franc-maon Duca prononce la fin de 1933 une troisimedissolution. Les gardes, dcids un exemple, le tuent quelques joursplus tard sur le quai de la gare de Sinaa.

    Le prestige de Codreanu et de la Garde ne cesse de grandir. Lemouvement prend une part importante dans lviction du redoutableTitulesco, qui essayait denchaner la Roumanie une alliance russe.Il accomplit une immense tche morale et matrielle. Deux de sesmembres, Motsa et Marin engags dans les troupes nationalistes deFranco, trouvent une mort glorieuse sur le front espagnol. Leurs fun-railles Bucarest sont loccasion de crmonies bouleversantes.

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    A lautomne dernier, la Roumanie est en pleine priode lecto-rale. Les libraux se font forts de vaincre, comme ont vaincu jusquiciles partis qui avaient la police et les fonctionnaires en mains. Mais ilsnont pas compt avec la foi et lenthousiasme des codranistes. LaGarde, devenue le parti Tout pour le pays runit au milieu dunepoussire de soixante-treize partis 480.000 suffrages librement appor-ts, sur le mot dordre de lantismitisme et de lantimarxisme.

    LEurope entire est convaincue que la Roumanie va vivre desjours dcisifs. Au dernier moment, cependant, Codreanu scelle unealliance dconcertante avec les nationaux-paysans de M. Maniu, quidepuis longtemps penchaient gauche.

    Le roi Carol appelle alors au pouvoir le parti national chrtien deGoga et de Cuza. Le premier acte du nouveau ministre est pourdicter un statut trs complet et trs svre de la minorit juive, avecentre autres la rvision de toutes les naturalisations obtenues depuis laguerre, linterdiction aux Juifs de collaborer des journaux chrtiens,de vendre des produits manufacturs, doccuper des fonctions publi-ques.

    Linternationale juive pousse de New-York Prague des cris defureur. Elle organise une froce pression financire sur ce pays qui osesattaquer au peuple lu. Car dix-huit millions de chrtiens qui enten-dent tre chez eux sur leur propre sol, cest selon la loi dIsral laprtention intolrable dune bande de malotrus. Tandis que le mmenombre de youdis campant travers quatre-vingt tats, parmi un mil-liard et demi dtres humains, cela forme, parat-il, la voix du monde.La presse franaise tient dans ce concert juif un rle dune hypocrisieparfaitement rpugnante. Elle se donne les gants de dfendre le pauvreJuif contre loppresseur, et dans le mme temps, elle marge aux groscoffres-forts de Wall-Street et du Stock-Exchange, elle travaille avecvigueur au blocus du paysan roumain.

    Au bout de quarante-cinq jours, coup de thtre. Le roi Carol r-clame brusquement sa dmission M. Goga qui ne se relvera pas ducoup et mourra de chagrin quelques mois plus tard. Un ministre estconstitu sous la prsidence dun vieillard de soixante-dix ans, chef delglise roumaine, le patriarche Miron Cristea. La partie va-t-elle sejouer maintenant entre le roi et Codreanu ? Beaucoup le pensent. Maisle capitaine semble accepter la dissolution, la quatrime, de sa Garde,et annonce son dsir de faire retraite en Italie. Il ne part pas. Le bruitcourt dune ngociation entre limposante masse de la Garde et lesouverain. En fait de ngociation, on apprend bientt que Codreanu etla plupart de ses lieutenant ont t arrts. Un procs biscornu, o lonessaie de sauver la forme tout en la violant froidement chaque ins-tant, est intent au capitaine pour complot contre ltat. Codreanu,affaibli dessein par de longues semaines de cachot, sans air ni lu-mire, prsente une dfense assez maladroite, pour autant que les do-cuments permettent den juger (les comptes rendus daudience ont ttronqus par ordre dans tous les journaux roumains). Il est condamn dix ans de travaux forcs, et transfr immdiatement dans une minede sel, le bagne le plus svre et le plus pnible de toute la Roumanie.

    La monarchie constitutionnelle a vcu.Cette condamnation dpourvue de toute base juridique Codrea-

    nu devait tre fusill ou graci est le symbole du pouvoir personnelque le roi entend exercer dsormais.

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    Jugeons toujours de lextrieur, comme un journaliste parisien,qui ne connat les vnements que par les dpches dagences et parquelques informateurs bnvoles.

    Le roi fait plbisciter par la manire forte une nouvelle constitu-tion avant mme que le texte en ait t rendu public. Tous les partispolitiques sont dissous. Une pluie de dcrets rforme les cadres admi-nistratifs du pays. Le Parlement est congdi. Les coliers et les ly-cens sont groups obligatoirement dans linstitution nationale des Strajers (sentinelles, gardiens du pays), sur le modle des organi-sations fascistes dItalie et dAllemagne, ballilas, Hitlerjungend. Ltatde sige permanent est proclam. La plupart des postes de prfets etde maires sont confis des officiers. La censure est tablie. Des jour-naux importants sont suspendus plusieurs fois titre dexemple. Plu-sieurs milliers de Gardes de Fer sont arrts, jugs sommairement etemprisonns dans des camps de concentration.

    On note cependant avec surprise que ces manifestations du plusvigoureux absolutisme royal sont accueillies ltranger par les logesde toute la presse dite dmocratique. Le nouveau rgime roumain estsans doute dictatorial. Mais nous apprenons par la bouche des rpubli-cains franais les plus dtermins quil y a dictature et dictature, etque celle-ci sexerce dans le bon sens. Ainsi en dcide, par exemple,le dnomm Bur, qui tresse dans lOrdre une inquitante couronne Carol II.

    Lobservateur tranger, sduit tout dabord par les mthodes sim-plifies et nergiques du souverain roumain, consulte ses documentsdun peu plus prs. Il saperoit que le ministre Miron Cristea a d-but par diffrentes proclamations antijuives, mais quelles ont tcontredites peu de temps aprs par des assurances plus ou moins voi-les donnes aux mmes Juifs ; que les lois du ministre Goga nontsans doute pas avoir t abroges mais quelles ne paraissent avoirreu aucun commencement dexcution.

    Est-ce le secret du soupir de soulagement exhal par tous lesjournaux franais o les Juifs commandent ? Le procs de Codreanu ya t trait dans le mme style que celui dun banal gibier de courdassises. Paris-Soir, en veine de titres corss, a trouv cette formule : La fin dun gangster de la politique . Partout, laventure de laGarde est considre comme close, pour le plus grand bien, dit-on, dela Roumanie et des intrts que la France a chez son allie. La Rou-manie a retrouv son quilibre politique sous une poigne vigoureuse,et les journaux les moins suspects de philosmitisme impriment que lesouverain, dans sa sagesse et sa fermet, a sans doute permis sonpays lconomie dune rvolution qui menaait.

    Premire rencontre avec la Garde de FerJtais pour ma part, je dois le dire, un peu mieux renseign que le

    journaliste auquel je me substituais tout lheure. Je connais dassezprs et dassez longue date les Gardes de Fer de Paris, tous tudiants,qui ont leur cellule, leur cuib , dans un trs humble sixime duQuartier Latin.

    Quelques semaines aprs lincarcration de Codreanu, je tenaisdans mes mains une circulaire adresse tous les lieutenants de laGarde et prouvant bien que le mouvement ntait ni dcapit ni dislo-qu.

    Trois jours avant mon dpart, je recevais la visite dun jeuneRoumain, frachement dbarqu de Bucarest, et qui venait maffirmeravec des regards flamboyants que non seulement la Garde subsistait,

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    mais que la frocit et linjustice de la perscution entranait vers ellele pays entier.

    Ds mon arrive en Roumanie, je pouvais me convaincre sanspeine que la dictature y est une ralit de tous les instants, et quelespionnage officiel y tend un filet auprs de quoi les entreprises m-caniques de la Gestapo allemande sont une plaisanterie. Javoue que lasurvivance au milieu dun tel rseau dune quelconque Garde de Fermapparut pendant quarante-huit heures comme un mythe drisoire.Mais peine mtais-je confi quelques oreilles sres que lon meproposait dix pistes et autant de rendez-vous. Je passe sur des prip-ties propres me convaincre que si la police de ltat roumain est bienfaite, celle de la Garde la vaut. Un missaire choisi parmi les moinssurveills tait charg de me rejoindre le plus discrtement possible.Une voiture nous emportait aussitt dans le fond dun faubourg deBucarest, o un lieutenant de la Garde mattendait sous la lampe dunesalle manger loigne et soigneusement ferme. Il tenait la mainun petit livre. La vrit sur le procs de Codreanu.

    Si vous voulez une preuve de lexistence de la Garde, mettezcelle-ci dans votre poche. Ce bouquin vient de sortir de nos treizepresses clandestines. Il est tir trente mille exemplaires et il court lepays. Il y a trois ans de prison pour le lecteur qui se fait prendre.

    Ce garon, qui pouvait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans,rayonnait de cet enthousiasme serein, bouleversant toutes les notionsconnues du temprament roumain, le mme enthousiasme, la mmetranquille certitude que je voyais chez les lgionnaires de Paris un anplus tt, en plein triomphe lectoral de leur parti. Il tait dlgu parsa section aux fins de minstruire, et sans lcher un seul secret vrita-ble, il accumulait devant mois les documents dune activit fivreuseet mthodique, ce qui est encore une surprise, un fait trs nouveau enpays roumain.

    Cest entendu, me dit-il, beaucoup de nos chefs sont sous lesverrous. Mais ceux qui restent travaillent double. Trois des collabora-teurs immdiats de Codreanu, dont son ami Cantacuzne, se sont va-ds du train qui les conduisait la gele. Je sais trs bien o ils sont, etque la police ne les trouvera certainement pas. Nous tenons ponctuel-lement nos runions. Toutes nos liaisons fonctionnent. Nous sommesune arme. On ne fait pas arrter une arme par les gendarmes.

    Jadmirais, tout en mtonnant de linaction soudaine de Codrea-nu, entre dcembre et fvrier, lheure o il paraissait navoir quunmot dire, quun geste faire pour soulever toutes ses troupes etsemparer du pouvoir. Mais je rencontrais aussitt la discipline, lerefus de la critique, troisime phnomne invraisemblable en Rouma-nie.

    Notre capitaine est le plus intelligent de nous tous. Il a tout pe-s, nous navons qu obir et qu attendre. Sil sest mme refus chapper au bagne, cest quil le faut pour le parti. Les nouveauxadhrents affluent, nos cotisations grossissent tous les jours.

    Vous ne comprenez peut-tre pas que nous sommes avant toutdes chrtiens, que nous avons avant tout notre foi religieuse. En prisonaussi nous travaillons pour la Lgion, nous prions chaque jour ge-noux, une heure, les bras en croix.

    Et le terrible petit bonhomme, dautant plus troublant que sa voixtait paisible, ajouta en se levant :

    Nous serions plus indignes que des Juifs si, sachant ce que noussavons sur ltat de notre pays, croyant ce que nous croyons, nousnavions pas fait dabord le sacrifice de notre peau. Nous lavons djmontr un certain nombre de fois. Pour nimporte quelle mission, nous

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    serons cent, nous serons mille. Lordre donn, rien ne peut nous arr-ter. Si le roi Carol est en vie, cest parce que nous le voulons bien.

    Une dictature judo-monarchique ? (28 octobre 1938)Jai essay dans mon dernier article de suggrer brivement

    latmosphre de fanatisme que lon respire ds que lon a dcouvertun des innombrables nids de la Garde de Fer, exalte encore parles perscutions quelle subit. Je dis bien perscutions parce quecest le seul mot qui convienne cette furieuse offensive policire, ces arrestations massives, ces jugements de cours martiales, ces tortu-res mthodiques, sans parler de tous les fonctionnaires casss sur unsimple soupon. Jai pntr dans plusieurs de ces nids , jai puvoir quils taient anims dune vie prudente, mais active, quaucunedes lois prvues par lexcellent organisateur qua t Codreanu navaitsrieusement souffert. Mais nous avons tous lu ces reportages myst-rieux des journaux de Moscou, nous dcrivant avec orgueil la survi-vance du Rote Front au beau milieu de lAllemagne hitlrienne, delantifascisme en pleine Italie, dnombrant les cellules secrtes descommunistes, reproduisant les journaux clandestins. Les lgionnairestraqus de Roumanie ne sont-ils pas rays de la politique europenneaussi parfaitement que ces conspirateurs en cave de Milan ou de Ber-lin ?

    Je rpondrai simplement ceci. Si la Garde de Fer, pourchasse parune police adroite et brutale, dcime par les tribunaux, demeuraitrduite ses seules forces, quelle que ft son ardeur et le nombre deses militants (ils sont plusieurs centaines de mille), elle finirait par sedisloquer et, sinon par succomber, dans tous les cas devenir pourlongtemps ngligeable. Mais tandis que les marxistes italiens ou alle-mands sont noys dans des peuples aveuglment soumis un chef,presque tous les chrtiens du pays roumain sont sourdement rvoltscontre les oppresseurs de la Garde, et cette dernire trouve partout descomplicits, des encouragements plus ou moins avous. Je lcrisparce que jai pu en acqurir la certitude, aprs de longues investiga-tions.

    Il mest impossible de citer ici des noms. La police de M. Cali-nesco, ministre de lIntrieur du cabinet Miron Cristea, ferait payercher mon imprudence ceux qui les portent. Mais en six semaines,jai vu des hommes de toutes les classes, des personnages fort connus ltranger, qui ont illustr larme, luniversit, la politique roumai-nes, des officiers d peu prs tous les grades, des juristes, des profes-seurs, des employs, des tudiants, des mdecins, des petites gensaussi de la ville et de la campagne. Javais dj, avec certains dentreeux, dassez nombreux liens damiti. On a bien voulu mintroduireauprs des autres de faon ce quils naient rien me cacher. Jairencontr en tout et pour tout deux hommes satisfaits du nouveau r-gime roumain : un vieux magistrat et un jeune ingnieur, ce dernierlev dans des collges anglais do il avait rapport tous les poncifsgenevois et puritains, et qui dclarait, par ailleurs, indispensable ladignit humaine une nouvelle guerre du droit pour la dfense de laTchcoslovaquie.

    Parmi les autres Roumains, sans doute ny avait-il pas seulementdes codranistes. Mais je nen ai pas entendu un seul qui ne ft contrela politique du roi Carol un rquisitoire violent ou attrist.

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    Codreanu devant les politiciens.Je passe sur des manifestations charmantes, dune valeur senti-

    mentale quil ne faut du reste pas ddaigner : ces jeunes femmes quele courage et la belle figure de Codreanu ont enflammes, ces lycen-nes, ces collgiennes de quatorze ans qui ont linsigne de la Lgioncousu lintrieur de leur robe et peuvent vous rciter par dparte-ments les chiffres de tous les lecteurs du parti. Il y a autour de laGarde toute une posie fminine et juvnile qui nest pas son moindreatout. Mais ce nest videmment pas au milieu de ces gracieuses etfrntiques passions que lon peut trouver un commentaire raisonnable lactivit politique du Capitaine et aux malheurs qui ont fondu surlui. Il faut laisser parler dabord les Roumains qui nont jamais touvertement codreanistes, tout en layant beaucoup approch, con-seill, aid : danciens membres du parti Goga, des maurassiens (ilssont nombreux), des antismites militants de toute obdience ou mmedes Transylvains appartenant la droite des nationaux-paysans.

    Tous sont daccord sur les dons physiques de Codreanu, ses qua-lits dentraneur, de crateur mthodique, en mme temps quedaptre, enfin sur son patriotisme et son absolu dsintressement.Son sens politique est jug plus diffremment. Cest un jeune Tran-sylvain, ancien collaborateur de Goga, qui ma le mieux expliqu lasituation cruellement paradoxale de la Roumanie actuelle : un pays otous les partis de droite, cest--dire les plus vigoureusement monar-chistes, sont renis et brims par la volont du monarque lui-mme. Ilny a pas, en effet, un seul nationaliste roumain pour mettre en doutela ncessit de linstitution royale. Do lorigine de certaines des cri-tiques les plus svres adresses Codreanu.

    Codreanu a toujours t monarchiste. Il la affirm lui-mme sansquivoque : Au-dessus des nations, au-dessus de llite, se trouve lamonarchie. Je repousse la Rpublique. On a vu dans lhistoire de bonsmonarques, de trs bons, de faibles ou de mauvais. Mais la monarchiea toujours t bonne. Il ne faut pas confondre lhomme aveclinstitution en tirant de fausses conclusions. (Page 399 du livrePour les Lgionnaires.)

    Malheureusement, cette distinction est-elle la porte des innom-brables paysans qua conquis Codreanu ? Plusieurs monarchistes rou-mains ne le pensent pas. Ils craignent que, pour des esprits trs sim-ples, la personne du monarque ne soit insparable de linstitution,quils ne se dtachent de cette dernire lorsquils se mettent douterdu roi. Ces monarchistes nont aucune illusion sur les dfauts du roiCarol. Mais il regrettent que Codreanu ait trop souvent fait son procspubliquement.

    Un autre reproche, celui de dmagogie, me semble plus anodin,parce que je lai entendu dans la bouche de concurrents lectoraux ducapitaine. Codreanu y tait presque forc en portant la lutte sur tousles terrains, y compris le Parlement. Si la fin, en loccurrence, ne justi-fiait pas quelques moyens un peu gros, toute action politique seraitinterdite. Les quelques sacrifices oratoires de Codreanu psent bienpeu ct des promesses du plus conservateur de nos candidats. Lecapitaine na jamais cd un jour sur les principes de hirarchie so-ciale et de travail de son catchisme.

    Cest devant une bibliothque pleine des livres de Bainville, sousun portrait de Maurras ddicac mon interlocuteur, dont je nai pasbesoin de prciser davantage lardente et entire francophilie, quenous avons le plus longuement discut le germanisme de Codrea-nu.

    Codreanu, que je connais fort bien, que jestime infiniment,dont le martyre me navre, ma-t-on dit, a commis une faute lourde,

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    indiscutable. Il a dclar devant tmoins que, lui au pouvoir, la Rou-manie entrerait aussitt dans laxe Rome-Berlin. La circonstance att-nuante, cest quil a tenu ce propos peu de temps aprs le voyage devotre ganache de Delbos, les affreuses manigances moscovites de vo-tre Front populaire o nous redoutions de nous voir entrans. Il nenreste pas moins que Codreanu a violemment choqu ce jour-l lessentiments de la majorit des Roumains. Vous connaissez assez notrepays pour savoir le prestige spirituel que vous y conservez malgrtout. La petite Roumanie dautrefois, la grande Roumanie daujour-dhui, ont t faites dabord avec lappui de la France. Il serait tropingrat de loublier. Nous navons point un seul point commun avec lesAllemands. Codreanu a pch par une lgret fort impolitique. Mmesil a pu avoir un semblable projet, il ne devait pas le dvoiler. Il sa-vait trs bien quil serait aussitt en opposition avec ses plus solides,ses plus sages partisans. Le petit clan des lgionnaires admirateurs delAllemagne na jamais eu grande importance. Croyez bien que Co-dreanu a t, aprs cette gaffe, svrement et vigoureusement chapi-tr ! Mais il avait donn une arme ses adversaires. Les Juifs sensont servi chez vous surtout impitoyablement pour lcraser. Ici, ilslosent moins, car nous savons trs bien quoi nous en tenir. Les plusfroces adversaires de Codreanu, et Dieu sait sil en a, et de puissants,nont jamais pu apporter le commencement dune preuve ses rela-tions avec le Troisime Reich. Codreanu savait parfaitement quenacceptant le moindre appui de lhitlrisme, il condamnait la Garde. Ilnavait du reste aucun besoin de cet appui. Les finances de la Gardetaient florissantes, grce aux cotisations, quelques hommes qui ontsacrifi pour elle leur fortune, aux coopratives trs prospres queCodreanu installait partout. Quant la croix gamme, vous savez queCuza en avait linsigne de son parti vingt-cinq ans avant Hitler etquon la trouve dans nos plus vieux tapis.

    Mais les Juifs jugent tout daprs leur redoutable internationale.Il ne leur apparat pas que les chrtiens puissent pratiquer autrement.

    Tout ce qui prcde ma t confirm par nos meilleurs amis de laRoumanie, des chefs militaires, des hommes de lettres, des savants quicrivent notre langue couramment, qui nont jamais oubli le terribletrait de Bucarest que leur imposa lAllemagne. Je ne vois aucuneraison de les contredire pour croire les journalistes marrons, leschapps de ghetto, les faussaires et menteurs professionnels.

    Javais t trs surpris pour ma part, quaprs avoir dpens tantdnergie pendant des annes, Codreanu nait pas exploit avec plusde vigueur son succs lectoral de lautomne 1937. Je me demandaissi cette vue ntait pas celle dun tranger imparfaitement renseign.Mais je lai trouv confirme par un grand nombre de Roumains,nappartenant pas, bien entendu, la Garde, o la discussion nest paspermise. Il semble bien que, par deux fois, Codreanu ait laiss passlheure o il pouvait triompher la faon de Mussolini, en imposantsa politique au roi et la nation : avant la constitution du ministreGoga, et sa chute. La voie tait libre, ses troupes largement suffi-santes derrire lui, larme aux trois quarts acquises, la police trsbranle.

    Codreanu, lhomme qui abattit froidement le prfet Manciu, quifit mitrailler les tratres de son parti, a-t-il hsit la dernire minutedevant une effusion possible nullement fatale de sang ? Cela estvraisemblable. Il sy est joint aussi plusieurs fautes de tactique politi-que. Codreanu neut pas une confiance suffisante dans ses propresforces, dans la nouveaut de ce quil apportait. Logiquement, il et dsallier au parti national-chrtien de Goga, qui trouvait ainsi lappointdune immense masse populaire. Les codreanistes assurent quil devi-

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    na un pige, et la suite leur donne raison. Mais la prsence active ducapitaine net-elle pas justement vent ce pige ? Les partisans deGoga se demandent si Codreanu na pas rpugn partager le pouvoir.Bref, Codreanu, aprs une longue srie de succs, aurait marqu quel-que indcision. Aprs avoir imprim son parti un lan magnifique, ilaurait t surpris et plus ou moins drout par les intrigues des politi-ciens professionnels.

    Mais ses familiers eux-mmes reconnaissent quil y a eu sansdoute dans son attitude plusieurs inconnues. Et lhomme jouit toujoursdun si grand prestige que de nombreux Roumains, nullement fanati-ss, finissent par se demander sil na pas vu plus juste que tous lespatriotes impatients en se refusant une marche sur Rome peut-tre prmature, peut-tre difficile, et dont les objectifs seront atteintsavant peu, plus naturellement, sans aucun danger pour le pays.

    Monsieur Popesco Au bout de trois semaines de mon sjour en Roumanie, javais

    une notion suffisamment claire de ltat desprit du pays. Mais jeminquitais de la grande difficult, pour un journaliste consciencieux,de dmler la lgende et la vrit dans les propos violemment colorsque je recueillais partout sur le nouveau rgime. Je men ouvris unancien confident du roi en disgrce (le cas est si frquent quil ne peutconstituer un signalement !). Il sagit dun homme de premier ordre,qui a vcu dans les coulisses de quatre ou cinq tats, dun esprit euro-pen au sens que ce mot pouvait avoir il y a deux sicles. Il me fitcette rponse assez surprenante : Croyez tout. Car mme si ce quevous entendez est inexact dans la lettre, cest le reflet de turpitudes, descandales bien plus rpugnants encore que ce que le public connat.

    Je nai pas suivi ce conseil, et jcarterai de ce reportage maintesrvlations dun pittoresque effrayant, mais par trop incontrlables. Jeveux simplement indiquer la terrible impopularit du roi Carol parquelques anecdotes qui sont la monnaie courante des conversationsroumaines. Pour viter de frapper trop vivement les oreilles ennemies,on dsigne dhabitude le souverain sous le nom de M. Popesco , undes noms les plus rpandus l-bas, lquivalent de M. Martin cheznous.

    Dans lenthousiasme qui avait salu en 1930 le retour soudain de M. Popesco , dans les espoirs que lon fondait sur lui, on avait en-terr bien volontiers tous son pass. On sen souvient aujourdhui. Onrappelle, et cela semble malheureusement certain, quil fit parler pourla premire fois de lui, en abandonnant en pleine guerre la brigade dechasseurs dont il avait le commandement pour aller se cacher avec unefemme Odessa quoccupaient les troupes allemandes. On ne dissi-mule plus quil fut le premier responsable, par son divorce, par sescaprices, de la grave crise que la dynastie subit la mort de lhonnteroi Ferdinand.

    On assure que moins de huit jours aprs la mort de sa mre, il ainstall sa matresse, la Pompadour de ghetto Lupesco, dans la rsi-dence favorite de la dfunte souveraine, le charmant chteau de Bal-cic. Or, la reine Marie, qui fut si belle et si vivante, avait laffection detoute la Roumanie.

    Les brutalits policires fournissent naturellement des rcits atro-ces. En voici un au hasard. Lan dernier, Bucarest tout entier faisait desplendides funrailles aux deux lgionnaires tombs sur le frontdEspagne, Marin et Motza, beau-frre et chef dtat-major de Co-dreanu. Motza est devenu un hros national. La police nen a pasmoins perquisitionn chez sa veuve rcemment. Elle y trouve une en-

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    veloppe, le testament de Motza son fils, avec cette inscription : Amon fils, pour quil louvre quand il aura dix-huit ans. Les flics senemparent : Ce sont, dit Mme Motza, les dernires volonts dunhomme qui est mort en brave. Je ne veux pas vous les drober. Maisouvrez au moins ce pli pour que nous sachions ce quil disait. On larepousse, et lenveloppe est brle devant ses yeux.

    Sans doute, la grossiret, les basses vengeances des argousinssont seules en cause dans de pareilles scnes. De pareilles cruautssont fatales lorsquon laisse la police la bride sur le cou. Mais, jus-tement, lon reproche au rgime davoir institu cette tyrannie dunepolice au pralable mticuleusement pure . Limagination tou-jours bouillonnante des roumains se saisit de ces traits, vrais ou faux,et ce sont autant de nouveaux coups ports la personne royale.

    Le bagnardLe parallle est facile entre ce souverain qui a perdu ce point la

    confiance de son peuple, et le prisonnier aux cheveux ras, vtu delhabit de bagne. Toute la Roumanie sy emploie, et voici ce que lonpeut entendre au hasard de nimporte quelle rencontre o lon est srde ne pas tre trahi. Il est bien compris que je ne rapporte ces proposqu titre documentaire, tels que je les ai enregistrs et sans me per-mettre dapprciations personnelles.

    Codreanu a sans doute commis des erreurs. Mais le premier, il aos franchement dbrider les plaies roumaines, incrimin les vraiescauses des maux roumains : le scepticisme, la vanit mal place, lesaccommodements avec les formes multiples dune corruption ne sousle despotisme des Turcs et de leurs agents levantins, entretenue depuispar les Juifs, matres de tout le capital du pays, rmunrant partoutleurs esclaves.

    Beaucoup dhommes politiques, depuis la guerre, ont annoncdans dautres pays leur volont de faire une rvolution morale. Ce futla plupart du temps pour masquer leur lchet, linexistence de leursprogrammes. Codreanu, dans un pays de juristes, dorateurs ns, olon se paye incroyablement de mots, a prch lui aussi cette rvolu-tion, parce quen effet, aussi bien en France, en Belgique, en Espagnequen Roumanie, elle est le fond de tout. Mais ce chrtien mystique,que lon a souvent dcrit comme une sorte dillumin, est pass in-continent laction.

    Lorsque les Roumains de la bourgeoisie, fonctionnaires, officiers,journalistes, ont convenu en souriant de leurs dfauts, des concus-sions, des backchichs au milieu desquels ils se meuvent sans illusionsmais aussi sans rpulsion relle, et cela pour le plus grand mal de leurpays, ils concluent: Ah ! si vous connaissiez nos paysans ! Ils sontsobres, honntes, prolifiques, religieux, ils sont dix-huit millions. Lavraie Roumanie, cest eux. Mais les Roumains contemplent leurspaysans de loin, en touristes. Codreanu, lhomme de la fort , en-trana les jeunes bourgeois des Universits chez les laboureurs et lesptres, il leur fit partager leurs peines dans des croisades piques. LaGarde, telle que la conue Codreanu, ce nest pas seulement la des-truction dun parlementarisme vermoulu, la prise du pouvoir par unefaction plus jeune et plus hardie. Cest la raction contre cet aveugle-ment volontaire du citadin roumain, gourmet, coquet, mdiocrementscrupuleux, qui feint de ne pas voir, chaque dtour de rue, tant depauvres bougres haillonneux, tant de dbris misrables dune racebelle et saine ; qui veut ignorer tous les villages rongs par le scorbut,par des famines quasi chroniques, dsordres paradoxaux sur un des

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    sols les plus fertiles du continent. Il ne sagit pas seulement l de piti,mais de conservation dun prcieux matriel humain.

    La Garde veut encore abolir le contraste si vite irritant entre lesofficiers ptaradants, caracolants, tincelants dors et de cuirs vernis,et ce lamentable proltariat militaire, ces malheureux conscrits affa-ms, sans semelles, loqueteux au point que trois culottes superposesnarrivent pas toujours leur couvrir les fesses, ces ordonnances in-nombrables, mises comme des vagabonds, roues de coups, dormanttrois heures par nuit dans les plus somptueuses villas sur un tas dechiffons, dvorant au hasard de leurs corves un morceau de mamaliga plie dans un vieux journal. Est-ce de la dmagogie quede dnoncer cela, que daffirmer quil ny a pas darme l o le sol-dat ne peut avoir la fiert de son uniforme et la foi dans la justice deses chefs ? Codreanu est peut-tre une sorte de mage. Mais dans cecas, il faut admirer bien plus encore le caractre prodigieusement pra-tique de tout son apostolat.

    Les deux grandes classes de la socit roumaine signoraient ? Illes fond, non pas dans des meetings drisoires, mais dans une tchecommune, relle. On montre Bucarest une maison que la Gardeneut malheureusement pas le temps dachever, o un ancien ministre,un ancien gouverneur de la banque nationale comme le professeurManolesco, lauteur dun des plus beaux livres que lon ait crits surle corporatisme de nos jours, apportait la brique et le pltre, aux ctsdun cordonnier ou dun paysan.

    Codreanu, sans cesse, veut aller aux besognes urgentes, indispen-sables au pays, tout en poursuivant son uvre spirituelle. De 1935 1937, plus de cent mille lgionnaires, rpandus travers toute laRoumanie, y construisent deux cents glises, dix mille maisons pourles indigents, relvent ou crent des centaines de ponts. Et sils nontpas pu difier les digues, tracer toutes les routes si ncessaires qui sontdans leurs programmes, cest que la gendarmerie, aux ordres des pr-bendiers des Travaux publics, dcharge ses mitrailleuses sur eux.

    A lantismitisme vigoureux mais dsordonn de la traditionroumaine, Codreanu substitue lantismitisme positif. Aux trusts rui-neux des Juifs, la Lgion oppose le monopole de ses coopratives,dont tous les bnfices vont la caisse du parti, qui vend bon mar-ch des produits excellents et connat un succs inou.

    La propagande marxiste sinfiltre chez les ouvriers. Le gouver-nement dpche des troupes, frappe au hasard. Codreanu, lui, prfreconqurir les grvistes, les gagner bientt la Lgion, et tuer le com-munisme dans luf.

    Voyez-vous, me disait un Roumain expansif et lettr dans unaccs de colre lyrique, quand je pense ce que lon fait subir un telhomme, je me dis les Iambes de Chnier : Toi, Vertu, pleure si jemeurs.

    Le Monarque et ses hommesQuels exemples, quelles uvres le roi peut-il opposer son pri-

    sonnier ? En fait de rvolution morale il a rpudi son pouse,compromis la couronne. Dans le pays le plus foncirement antismitedu monde, il a choisi une matresse juive, qui a peupl le palais de sesespions.

    On dplore lingrence dans les affaires dune poigne de politi-ciens qui entravent toute uvre srieuse ? Mais le roi est le premierhomme daffaires du pays. Il a dnormes intrts, notamment dans lesplus grandes usines mtallurgiques, Resitsa ; elles sont pleines deses cratures, le trs suspect Malaxa, le Juif Max Auschritt.

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    La spculation juive est matresse des capitaux. Elle a avili lamonnaie. Les entreprises chrtiennes sefforcent de la battre en br-che. Mais les hommes aux ordres de la Cour mnent la lutte contre lesfinanciers chrtiens. Le roi protge personnellement le spculateur juifMarmorosch, de la Banque Marmorosch-Blank, lun des plus grostablissements du pays. Afin de soutenir Marmorosch, il lui ouvre descrdits sur le Trsor public, la dernire fois pour deux milliards. Quel-ques semaines aprs, Marmorosch saute, laissant un passif qui ruinedes milliers dpargnants roumains, mais plaant en Suisse unenorme fortune.

    Cependant, un monarque peut tre sensuel lexcs, chrirlargent, mal choisir certaines de ses amitis, mais accomplir un grandrgne quand il trace la nation la voie politique qui est la meilleurepour elle, et quand il le sait. Des erreurs de jeunesse, si lourdes soient-elles, peuvent disparatre auprs de tels bienfaits. On ne dniera pas Carol II lintelligence. Il a certainement devin tout ce que la Garde deFer apportait de prcieux au pays. Sans lencourager, tout en donnantmme contre elle beaucoup de gages certains de ses ministres, il latolre pendant longtemps. Les meurtriers de lassassin Duca, parexemple, nont subi que des peines lgres. Le roi semble bien prtdutiliser cette force qui monte, entrane peu peu le pays, gagne lesrangs de larme, ne sarrte qu la tourbe des hauts fonctionnaires.

    Mais la juiverie a vu le danger. Si le roi et la Garde fascistesunissent, la Roumanie est nationaliste pour jamais, et en un tour demain, elle aura reconquis ses biens et sa libert sur Isral. Ici, nousentrons dans le domaine des conjectures. Mais cest la seule explica-tion satisfaisante ce drame confus. Un complot juif et maonnique,o Prague pourrait bien avoir jou son rle, o New-York, Londres etParis sont manifestement intervenus, va rompre les ponts entre le roiet la Garde.

    Toutes les armes sont bonnes. Il faut dire les choses telles quellessont : les Juifs, matres en corruption, tiennent le roi par largent et parles femmes. Ils ne ngligeront pas cet atout. Ils insinueront mme, dit-on, que le roi, parce que dernier des Hohenzollern rgnants, seraitdirectement vis par Hitler, ayant la Garde pour instrument ! Ils mena-cent le pays dun blocus financier qui pourrait compliquer, en effet, larvolution nationale de Roumanie. Ils auront bientt gain de causeauprs du roi.

    Nous revenons dans le domaine des vnements certains et con-trlables. Tandis que la Garde remporte sa victoire aux lections,quune transformation radicale de la politique roumaine parat immi-nente, le roi est dj rsolu ruiner tous les partis nationaux du pays.Sa manuvre, favorise, on le rpte, par les ttonnements de Co-dreanu, est habile. Pour discrditer les nationaux, le roi appelle aupouvoir les plus faibles, les partisans du Transylvain Goga. Il les lais-sera retourner leurs cartes, sr quils perdront. Goga est personnelle-ment un esprit minent, un homme intgre, un pote remarquable.Mais la posie ne remplace pas lexprience du pouvoir. Le premieracte de Goga est pour dicter un statut antismite, excellent en soi,mais prmatur, beaucoup trop catgorique, surtout pour un ministremal assis. Les Roumains, dabord merveills, dchantent bientt envoyant que le nouveau gouvernement fait comme les autres la chasseaux emplois, bouleverse inutilement les cadres de fonctionnaireschrtiens. Quelques louches personnages ont t imposs Goga. Unde ses ministres saffiche avec des potentats juifs. Enfin, un tratre, leborgne Calinesco, est au ministre de lIntrieur et organise un peupartout la besogne des agents provocateurs. Rien ne ressemble moins un gouvernement de rnovation.

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    Le roi peut donc renverser Goga sans heurter violemmentlopinion. Il est rsolu en user trs cavalirement avec les derniersdbris dinstitutions dmocratiques. Il exercera son pouvoir personnel,avec un conseil restreint. Rien ne devrait combler davantage les vuxde la Roumanie monarchique.

    Mais la Roumanie est aussi antismite, antimaonnique, et Co-dreanu lui a montr, matriellement et spirituellement, ses devoirs lesplus urgents. En abolissant les partis, en mettant fin lre des bavar-dages, le roi a certainement soulag la nation dun gros abcs. Lacampagne pour lhygine rurale quil fait entreprendre rpond desrieux besoins.

    Mais la Roumanie reconnat avec consternation, auprs de lui,quelques-uns des individus les plus funestes de son personnel politi-que. Imaginons un monarque gouvernant avec un Chautemps, un Sar-raut, un Reynaud, un Jouhaux. Le maon Calinesco Lintrieur et lInstruction Publique, est un petit tyran policier qui a promis au roi dele dbarrasser dans les trois mois de la Garde et qui emprisonne tourde bras llite de lenseignement, de larme, de la magistrature.Ralea, au Travail et aux Assurances sociales, est un communisant, ungermanophile de 1914, un insulteur de Mussolini dans le journal ex-trmiste Dreptea, dont il avait t le fondateur. Ghelmeciano, auxTravaux publics, a les mmes origines.

    Les rformes administratives aboutissent placer la tte desnouvelles divisions provinciales des rsidents royaux dont les attachesmaonniques et juives sont avres.

    Cest une fois de plus une bande, lourde de mfaits passs, etdautant plus redoutable quelle a, cette fois, tout le pouvoir dans sesmains.

    Quant la question juive, rien nindique mieux la politique tor-tueuse adopte par le nouveau rgime, dcalque sur les motions duncongrs radical franais. Il importe de donner quelques menues satis-factions au pays. Les lois de Goga ne sont pas formellement abroges.Mais lune des plus utiles, celle sur la presse judo-marxiste, est tour-ne avec une dsinvolture cynique. LAdeverul et le Dimneatsa, lesanciens journaux de Titulesco, ont tout juste eu la peine de changerleur titre, en Semnalul, et sont imprims dans le mme immeuble, ontgard tous leurs collaborateurs. Dix autres organes juifs prosprentavec la mme insolence.

    Les journaux nationalistes roumains ou trangers sont frocementproscrits. Mais les feuilles rouges de Prague, de Moscou, de Paris,Huma et Popu en tte, peuvent se rpandre librement. Dans la presseofficieuse, Blum est rgulirement cit comme une des voix les plusautorises de France.

    A quelques vagues manifestations dantismitisme verbal, succ-dent des assurances donnes aux Juifs et suivies aussi deffets. Lepatriarche Miron Cristea lui-mme se prte la manuvre. Les avo-cats, les fonctionnaires juifs destitus sont rintgrs avec paiementsdindemnits. Une liste de plusieurs centaines de mdecins juifs mar-rons, frapps dinterdit, est toutefois publie et donne une fire ide dela manire dont la profession tait protge. Mais linterdit, assure-t-on, est de pure forme et dans la majorit des cas, le droit dexercerpeut tre rachet facilement.

    Isral respire, et aprs sa verte colique de lhiver prcdent, re-trouve une arrogance accrue. Mais il sait manifester qui de droit sagratitude. Il nest pas une seule des quarante mille boutique juives deBucarest qui naffiche en belle place le portrait du roi Carol II.

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    Une Roumanie nationalisteLe roi Carol apparat ltranger de passage comme le seul sou-

    verain daprs guerre qui ait dcid dexercer le pouvoir personnelle-ment. On ne pourra pas lui ter le mrite de lnergie, symbolise danslducation virile quil a donne son fils, le vovode Michel, devenuun splendide gaillard. Mais tout considr, tout pes, le roi ne fait pasla politique que son pays rclame, qui est devenue vitale pour lui.

    Ses institutions pseudo-fascistes peuvent donner le change unjournaliste trs distrait. Jai dj dit deux mots de ces strasers ,sortes de ballilas en brets blancs et blouses bleues, qui doivent grou-per en principe toute la jeunesse des coles. Les Roumains font obser-ver ironiquement que les strasers ne sont quune copie des organi-sations de la Garde, qui avaient le mrite dtre