82 Briant Integral

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Centre de Recherches d'Histoire Ancienne Volume 43 Pierre BRIANT ROIS, TRIBUTS ET PAYSANS Etudes sur les formations tributaires du Moyen-Orient ancien Annales littéraires de l'Université de Besançon, 269 Les Belles Lettres, 95 Boulevard Raspail - Paris Vie 1982

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Centre de Recherches d'Histoire Ancienne

Volume 43

Pierre BRIANT

ROIS, TRIBUTS ET PAYSANSEtudes sur les formations tributaires du Moyen-Orient ancien

Annales littraires de l'Universit de Besanon, 269

Les Belles Lettres, 95 Boulevard Raspail - Paris Vie1982

LE MOYEN-ORIENT ACHMNIDE ET LA CONQUTE D'ALEXANDRE

SACES

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AleXandrie ESchai

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_ _ _ Limite extrme de l'empire

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Voie royale (d'aprs Hrodote)

Itinraire d'Alexandre500

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SOMMAIREIntroduction .

713

D'Alexandre le Grand aux diadoques: le cas d'Eumne de Kardia [1972-73] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Remarques sur 180i et esclaves ruraux en Asie Mineure hellnistique [1973]. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Villages et communauts villageoises d'Asie achmnide et hellnistique 09751. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La campagne d'Alexandre contre les Ouxiens (976). . . . . . . . . . . . . . . . . Contrainte militaire, dpendance rurale et exploitation des territoires en Asie achmnide (978/1979). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Colonisation hellnistique et populations indignes : 1. La phase d'installation (978). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Renforts grecs dans les cits hellnistiques d'Orient II 982) . . . . . Imprialismes antiques et idologie coloniale dans la France contemporaine : Alexandre le Grand modle colonial 09791. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des Achmnides aux rois hellnistiques: continuits et ruptures (Bilan et propositions) (979). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'levage ovin dans l'Empire achmnide (979)... Conqute territoriale et conqute idologique : Alexandre le Grand et l'idologie monarchique achmnide (980). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Communauts rurales, forces productives et mode de production tributaire en Asie achmnide (980). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Forces productives, dpendance rurale et idologies religieuses dans l'Empire achmnide (980). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Appareils d'Etat et dveloppement des forces productives' au MoyenOrient ancien : le cas de l'Empire achmnide (1981). . . . . . . . . . . . . . . . Sources grecques et histoire achmnide (1982). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Index (index gnral, index des sources) Table des matires . .

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137 161

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277 263

281 291 331

357 405 431

475 491 505 531

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"Ce sont les hommes qui produisent ce qui existe: on vit de ce qui est dans leurs bras, quand on en manque, la misre rgne"(Texte du Moyen-Empire gyptien 1

"Riche je suis, par ma grande lance, mon pe et le beau bouclier qui protge la peau. Avec lui, je laboure, avec lui je moissonne, avec lui je foule le doux raisin de la vigne, avec lui je suis salu comme matre de la gent servile. Ceux qui n'ont pas l'audace d'avoir lance et pe et le beau boudier qui protge la peau, ceux-l s'inclinent, ils tombent mes genoux, ils m'appellent leur matre, ils m'appellent Grand Roi". (Scho/ion d'Hybras le Crtois: Athne 15. 6951-69601

INTRODUCTIONLes textes prsents ici couvrent une dizaine d'annes de recherches (1971-19811 consacres aux Etats et socits du Proche et du Moyen-Orient sous les dominations achmnide et hellnistique [c, VIe-Ile sicle av.n..}, La plupart des tudes qui constituent le corps de l'ouvrage sont des communications prsentes des Colloques. Beaucoup d'entre elles ont t publies dans des recueils ou des revues peu accessibles. L'unit thmatique de ces textes et leur tat d'extrme dispersion m'ont paru constituer deux bonnes et simples raisons pour les rassembler dans un recueil, En est absent l'article le plus long paru dans DHA 2, 1976 III car je l'ai trs largement repris dans un autre livre 121. Faut-il prciser que la republication de ces tudes n'implique pas qu'elles soient exemptes d'erreurs ou de dfauts '! Du moins, leur publication dans une collection dsormais bien connue des historiens de l'Antiquit suscitera, je l'espre, de nombreuses discussions critiques. Les premires tudes (Actes 71, REA 1972 ct 1973) portent exclusivement (ou presque) sur la priode hellnistique. Y sont dj abords de front les problmes majeurs qui allaient tre scruts par la suite. Tout d'abord, bien sr, l'analyse dl' l'exploitation conomique qui pse sur les masses paysannes d'Asie (id l'Asil' Mineure Occidentale sleucide et attalide] ; une telle analyse, bien entendu, va bien au-del de la ncessaire tude juridique des statuts des paysans; elle ne peut tnmene sans rfrence permanente aux structures globales des Etats hellnistiques (qu'en mme temps elle permet de mieux comprendre 1 : d'o dans Actes 71 (p. 118119) la premire occurrence du "Mode de Production Asiatique" (avec beaucoup d., prudence et de rserve il est vrai]. Par ailleurs, les tudes 1972 et 1973 posaient directement ce qui allait devenir un axe privilgi des tudes venir: celui des continuits et ruptures. Le problme prcis qui y est abord est celui du passage d'un Etat unitaire fond sur la conqute (l'Empire d'Alexandre 1 des Etats monarchiques ns d.. cet empire 131. Le premier de ces articles traite galement du problme des continuits administratives entre l'Empire achmnide, l'Empire d'Alexandre et les royaumes des diadoques (REA 1972 : 44-49). Trs vite est apparue la ncessit de remonter trs haut dans le temps ..t donr d'inclure les donnes achmnides dans l'analyse et la rflexion (voir quelques mots

(1) Sauf les pages 214-221 qui traitent d'un problme ponctuel et qui sont reprisl'''' id dans h' recueil.

(2) Etat et Pasteurs au Moyen-Orient ancien, Editions de la Maison li!'!'! Sdenef'K del'Homnu- (Puri,,1 t't Cambridge University Press [sous-presse ; parution prvue pour janvier 19H21.(3) Voir galement ma thse: Antigone le Borgne. l..es dbuts dt lfll rurrlro (J' /.'s proIJ/i'nIf'N tI" l'Assemble macdonienne (Centre de Recherches d'Histoire Ancienne dl' Besanon, vol. 101. lA'''' Belles Lettres, Paris, 1973. Voir aussi Alexandre le Grend fColl. "Que suis-je 'l,. nO h221. 210 Nlilion.

PUF, Paris, 1977.

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(maladroits) l-dessus dans Actes 71 : 99). D'o l'tude de 1975 (JESHO) qui s'tend chronologiquement aux poques achmnide et hellnistique, sur un thme, il est vrai, particulirement propice au reprage des continuits : les communauts villageoises (thme dj abord largement dans Actes 71: 100-106, 114-1151. L'insertion sans rserve ni faux-semblants de la priode achmnide procde d'une ncessit absolue sur le plan scientifique. Trs tt en effet, ds l'Antiquit, Alexandre a t prsent comme un conqurant venu offrir et diffuser la civilisation (via la vie en cit) des peuples sauvages et barbares. Pour plusieurs raisons (analyses en partie dans DHA 2 (976) : 201209), le thme de la rupture (positive) apporte par la conqute macdonienne a t repris globalement par l'historiographie europenne contemporaine (DHA 5, 1979 et ASNP 1979: 1375-1385). Or, ces prjugs europocentriques ont ncessairement conduit des contre-sens qu'il importe encore maintenant de dmasquer: que l'on songe par exemple ce postulat des influences grecques dterminantes sur l'art achmnide (41, ou la thse prconue de la "stagnation achmnide" (La Pense 1981 : 11-13). Ce travail de remise en ordre n'est possible que si, sur chaque thme trait, on inclut les donnes achmnides et si l'on ne les rduit pas l'interpretatio graeca. Les rsultats les plus spectaculaires de cette mthode sont peut-tre les pages des DHA 1976089-194) consacres au dcryptage des textes classiques traitant des "brigands" du Zagros et de leurs rapports avec le Grand Roi puis avec Alexandre (p. 195209). La prise en compte des donnes achmnides (y compris videmment des donnes offertes oui et caches par les sources grecques) permet de restituer ces peuples dans leur complexit historique que tend leur arracher une tradition tout entire mobilise pour chanter les exploits du hroscivilisateur venu d'Europe 15). Bien entendu (s'il faut vraiment le prciser! l, mon propos n'est pas de nier l'importance historique d'Alexandre, mais bien plutt de le replacer dans une perspective globale qui permette de dgager la signification historique de la conqute macdonienne au regard de l'histoire du Moyen-Orient du 1er millnaire (ASNP 19791. Or, comment apprcier dans toutes ses manifestations, implications et consquences, la conqute et la prise de pouvoir des GrcoMacdoniens au Proche et au Moyen-Orient sans connatre de l'intrieur l'Empire achmnide ? Comment traiter srieusement des continuits et ruptures entre deux phases historiques A et B, si A n'est a priori que le faire-valoir de B et si l'on construit tout le raisonnement sur le postulat d'une rupture dcisive entre A et B ? Il est bien clair qu' son tour un tel postulat "justifie" le manque d'intrt pour A (DHA 5 (1979) : 2901. Pour que des progrs significatifs puissent tre enregistrs dans la

(41 Voir dj l-dessus mes rflexions dans ANSP 1979 : 1387, n.45. D'une manire plus argumente: C. Nylander, ..Achaemenid imperial Art". dans M. T. Larsen Ied. J, Power and propaganda. A symposium on Ancient Empires, Akademisk Forlag, Copenhagen 119791 : 345-359 ; M.C. Root, The King and Kingship in Achsemenid Art. Essays on the creation of an lconography of Empire (Coll. Acta Iraniea, Ille srie; Textes et Mmoires), diff. Brill 1979.(5) Sur l'interprtation du don et contre-don, voir l'appui apport par l'ethnologue J.P.Digard dans DRA 2 (976) : 268 et son article: "Les Nomades et l'Etat central en Iran: quelques enseignements d'un long pass d"'hostilit rglemeute", Peuples Mditerranens 7 11979) : 3753. L'ensemble du problme des rapports entre l'Etat achmnide et les peuples pasteurs du Zagros, d'Arabie et d'Asie Centrale est repris en dtail dans mon livre Etat et Pasteurs au Moyen-Orient ancien, ParisCambridge.

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recherche, il convient donc que le "classiciste " utilise avec prudence, mais avec audace (autre version: avec audace, mais avec prudence! Iles sources orientales et les travaux s'y rapportant (voir mon essai de JESHO 19791, de manire dpasser et ( terme) briser une spcialisation qui nat uniquement de l'expression grco-latine du vhicule textuel et non pas de l'objet proche-oriental des observateurs antiques. II me parat en effet que l'intervention croissante des c1assieistes dans le champ de l'histoire achmnide (ASNP 1979 : 1390-13911 ne peut tre rduite un phnomne de mode passagre (61. Elle est 'amplement justifie par l'importance que l'on doit reconnatre -contre l'avis de certains iranistes et c1assicistes mal informs ou ignorants- aux sources grecques depuis Hrodote jusqu'aux historiens d'Alexandre. La dmonstration peut tre mene parfois partir de l'examen de problmes ponctuels : par exemple la reconstitution de la marche d'Alexandre vers les Portes Persiques et vers Perspolis en passant par le territoire des Ouxiens dl' la montagne (DHA 2, 1976 : 214-221), qui permet de souligner l'importance du bassin dl' Fahliyun dans la Perside achmnide (Index 1978179 : 79-801, importance confirme d'une manire clatante par une rcente tude sur la rpartrtion des sceaux achmnides qui figurent sur les tablettes des fortifications de Perspolis (71. Mais les donnes offertes par les sources grecques sont parfois d'une ampleur bien suprieure : qui pourrait, par exemple, ngliger ou dvaluer l'apport d'Hrodote pour reconstituer les circonstances de l'avnement de Darius ou les structures satrapico-tributaires gnralises par le mme Darius 181 ? II est bien clair galement que la lecture critique des historiens d'Alexandre est absolument indispensable qui tente de reconstituer les institutions et les structures idologiques de la monarchie achmnide (voir Colloque de Cracovie [1980] ; 37-83). Faut-il rappeler galement qu'Hrodote (1.189 et surtout 111.107) et Polybe (X.281 nous offrent des informations irremplaables sur la politique de l'eau mene par les Grands Rois dans les territoires dl' leur Empire (Zamn 1980 ; La Pense 1981) ? Pour citer un exemple particulirement dmonstratif, on soulignera le prodigieux intrt des chapitres des Economiques du Pseudo-Aristote consacrs aux diffrentes sortes d'conomie et en particulier l'conomie royale "achmnido-hellnistique" (REA 1972: 46; Zamn 1980: 79-83) 18bis). C'est une singulire mthode que d'affirmer sans examen pralable dnu d'a priori que les auteurs grecs parlant de l'Empire achmnide parlent uniquement en ralit des socits grecques (Cf. Index 1978-79 : 58-(1). Une telle affirmation ne peut avoir le statut de conclusion que si elle vient l'issue d'un dcryptage16) Dans noe lude rcente Idj cite. 1979 : 3511 C.Nylander parle m'me de "the invasion of Iran by increasing numbers 01 classical seholars" dans les annes rcentes, La Ioree o(franKivt> de l'f'Xprf'KKion joue surtout contre la tendance des classicistes "hellniser" l'art irnprlal aehmnlde. C.Nylamlf'f ajoute d'ailleurs propos de cette "invasion": "in other respects ft welcome and creative developmentin Iranian schclarship". J'ajoute que les classicistes (au sena troit du terme! nf' sont pas avoir transmis une vision europocentrique : cf. ASNP; 1979: 14031407.(7))p!'{

!'4f'ul!'{

Voir R.T.Hallock. "The use of seals on the Persepolis Fortification Tablets". dans Ma"Guire-H.Il, Biggs Iedd.! : Seels and sealings in the Ancient Near-East [Bibliothece Mesopotamlca hl. Und-ne Publications 119771 : 127-133. CF. infra. p.491 sq. (Annale. ESC, 19821.nO

(8) Sur des tudes rcentes. voir mes remorques dans Abetrects lrenice, 3 f 19HOI.

167. 169, 189. I l):1.

197.220.[Sbis] Voir galement l'article rcent de M.Corsaro. "Oikonomia dei rf"P

oikonomi del san-epo ". A.*;NP

X/4 119801. p.1l63-1219.

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interne des sources classiques et dl' leur confrontation systmutique aver la totalit des sources d 'origine aohmnide [inserlptions, monnaies, papyri .. .], Lorsque Cl' travail est men, on s'aperoit bien souvent en ralit que les informations offl'rtl'~ par les auteurs classiques sont d'un intrt considrable. Sans nier bien entendu la part du "mirage perse" 191 et de la rinterprtation, il apparat que certains textes grecs ne peuvent tre vritablement compris que par comparaison avec des textes achmnides (Col/oque de Cracovie [1980] : 51-(4), J'affirme galement qu,- l" fameux passage de l'Economique de Xnophon sur l'agriculture chez Il'~ Pl'r~l'~ n 'est pas seulement utilisable pour connatre l'idologie aristocratique d'un grand propritaire attique du IVl' sicle ; si on prend II' soin de le rapprocher dl'~ textes avestiques, des inscriptions royales et dl'~ monuments dl' Perspolis, on doit en eonclure au contraire qu'il nous restitue trs exactement II'~ ressorts fondamentaux dl' l'idologie aehmnide du roi protecteur des terres pt des paysans tributaires (/)HA 2

(19761: 187-189; Index 11178.79: ;'3-57; Table Ronde [198(lj : 24-27; L Pense 1981 : 16-17).Au terme dl' Cl'~ {>tudl'~ prliminaires, l'Empire achmnide apparat comme un Etal densment structur, dans lequel la centralisation des pouvoirs pst fortement marque (Index 1978-79: 80-841. Contrairement une ide reue dl' l'Antiquit et reprise par un courant dominant dl' l'historiographie contemporaine, la phase ar-hrnnide dl' l'histoire du Proche et Moyen-Orient n 'l'st pas une phase dl' stagnation, mais bien au contraire une phase dl' dveloppement trs notable dl's forcl's produetiVl'S qui ne s'explique pas par un progrs des techniques dl' production, mais bien plutt par la coordination sans prcdent des nergies physiques pt intellectuelles dl's peuples dl' l'Empire, une mise en valeur systmatique dl's territoires utiles (Zamlin 2:1, 1980; JESHO 1979), et par une exploitation rationnelle des Iorees productive humaines tL Pense 1981 ; Table Ronde 1980: 19-241. Cette interprtation d., eette priode diu- souvent "pr-hell{>nistique" (,4SNP 1979 : 1042-1(47) dl' l'histoire du Moyen-Grient conduit relativiser l'impact immdiat dl' la conqute d'All'xandre, y compris mme les consquences de sa politique d'urbani.ation et dl' colonisation (Actes 1971: 106-107, 118; KUo 1978; Index 1978-79: 85-86) : la p"'riod., dAlexandre apparat comme une priode de restauratlon, voire d'I'xten~ion du pouvoir imprial achmnide, dont le Macdonien entend se rclamer (Col/oque d Cracovie [19801; ASNP 1979). Cependant, eette relativisation de la conqute macdonienne ne doit pas mener un nouvel excs qui consisterait substituer une Ih"sl' monolithique du "miracle aehrnnide " une thse monolithique du "rniracle gree" 1101 : el' que l'on peut admettre en revanche c'est que la constitution d'un Etat imprial unitaire a ouvert une phase nouvelle de l'histoire des Etats et soei{>t"'s du Proche et du Moyen-Orient de l'Antiquit (ASNP 1979 : 1409-1412).

19) J'ai men

(~(.

travail dt' dcryptage dan If' Chapitre ler de mon livre EtHt

pt I)Hstf~urftl.

(10) Voir A,t.;NP 1979 : 1:WH-l:199 propos de!"! prospections archologiques en Huetrlane urientule et , sur eelles-ei, en dernier lieu J.-C. Gardin pt B. Lyonnet, "La pro!'\pt'elon archologique dt' la Hm-triuno orientale (1974-19781: premiers rauluue", M"NfJfJOtHmill XIII-XIV f197H-7C)J : ( 1)-1;)4. ct nWH remarques dans 'JH Pense 19H 1 : 21-22.

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Le choix d'un titre "tripartite" ne renvoie pas une analyse de type trifonctionnel des socits proches-orientales l'poque achmnide (cf. Index 1978/79 : 5461). Ce titre veut exprimer ce qui, du point de vue de l'auteur lui-mme, constitue la ligne directrice de ses recherches: savoir, l'analyse des processus d'exploitation tributaire des masses paysannes par une ethno-classe dtentrice du "monopole des armes" (Index 1978-79), en mme temps que le dmontage des idologies qui soustendent et masquent tout la fois ces processus d'exploitation : d'o la place accorde au dcryptage du systme idologique qui fait du Roi le protecteur-exploiteur des masses rurales paysannes et son articulation avec les structures idologiques propres chaque grand ensemble rgional et culturel de l'Empire (Table Ronde [1980)). Il s'agit l d'une recherche dont les premiers rsultats (Actes 71) n'ont cess d'tre questionns, prciss, rectifis et amplifis par la suite. C'est dans le cadre d'une analyse globale du fonctionnement des socits de l'Empire que l'on saisit le mieux le pourquoi et le comment des extraordinaires continuits entre les Achmnides et Alexandre (ASNP 1979: 14071414). Cette continuit est manifestement le rsultat d'une dcision mrement rflchie d'Alexandre, comme le montre en particulier la stratgie idologique qu'il met en oeuvre face Darius (Colloque de Cracovie [1980)). On soulignera en passant que le choix d'une telle stratgie implique ncessairement qu'Alexandre disposait d'informations prcises et tendues sur le Grand Roi, l'Empire et son fonctionnement global 1II1. Fondamentalement, le Macdonien entend mettre la main sur les profits tirs par le Grand Roi de l'exploitation des producteurs directs: c'est l l'un des aspects trs importants de sa politique d'urbanisation et de colonisation (Klio 1978). Dans l'Empire d'Alexandre comme dans l'Empire achmnide, le matre mot est le tribut, comme l'avaient parfaitement compris les Grecs. La dpendance rurale fonctionne avec le maximum d'efficacit au sein de la communaut villageoise (Actes 71 : 105-106, 114116 ; JESHO 1975 ; ZamAn 1980 ; Table Ronde Besanon [1980) : 4546 ; Index 1978-79 : 60-61). C'est dire aussi que cette rcupration des structures achmnides n'est pas seulement la consquence d'une dcision personnelle d'Alexandre. Ce n'est pas le gnie d'un homme ni l'ampleur des conqutes qui dcident brutalement de modifications apportes un mode de production dominant dans une formation conomique et sociale donne. Je veux dire par l que si l'historien ne doit pas nier le rle des grandes personnalits (en particulier dans le cadre des Etats monarchiques l, il ne doit pas non plus rduire l'explication l'intervention des personnages exceptionnels. Leur action en effet s'inscrit dans des cadres sociaux, conomiques, politiques, idologiques qui les suscitent et les dpassent trs largement, mme s'ils en comprennent (pragmatiquement au moins) le fonctionnement et la finalit globale (qui se confond d'ailleurs avec leur destine personnelle}. C'est en cela, mon avis, que la thse de la rupture macdonienne offre le plus le flanc la critique: supposer mme qu'il en ait conu le projet, Alexandre ne pouvait pas modier de fond en comble le systme achmnide ; quelles que soient les transformations apportes

(11) Voir Plutarque Alex. 5, 1-3. Il est certain que la lecture d'Hrodote a t plus importante en cela que la lecture cl 'Homre: voir les pages intressantes de O. Murray, "Herodotus et Hellenistic Culture"CQ 22/2 (1972) : 200-213.

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terme par la prise de pouvoir de conqurants venus d'Europe, il n'en reste pas moins que, globalement, la dynamique sociale est reste la mme avant et aprs Alexandre. C'est en qualit de "dernier des Achmnides" (ASNP 1979 : 1414) qu'Alexandre a remport ses plus grands succs. C'est assez dire enfin que des progrs substantiels ne peuvent tre raliss -en ce domaine comme en d'autres- que par un dialogue dynamique permanent entre l'rudition et la rflexion thorique. Pour contester que la discussion sur le Mode de Production "Asiatique" puisse tre rduite des dbats d'exgtes et de marxologues, J. Chesneaux crivait fort justement : "Le marxisme est une mthode qui permet de tirer un meilleur parti de ces connaissances techniques : mais il ne nous dispense nullement des efforts d'rudition; bien au contraire, il les rend indispensables". En mme temps, ces "efforts d'rudition" -eux-mrnes suscits pour une part au moins par la rflexion conceptuelle (il' choix d'une piste de recherches n'est pas da au hasard]- ne prsentent de justification sociale et d'intrt scientifique que s'ils sont intgrs organiquement dans une interprtation historique qui dpasse la phase descriptive et empirique. C'est pourquoi le concept de Mode de Production Tributaire (ou asiatique) me parat trs opratoire pour tenter de comprendre la spcificit et la complexit des socits du Proche et du Moyen-Orient du Premier Millnaire tZamn 1980 ; La Pense 1981). En mme temps, les exemples achmnide et hellnistique amnent souligner le rle des appareils d'Etat {celui en particulier des appareils idologiques d'Etat 1 dans la structuration interne des socits et dans le fonctionnement du MPT en tant que mode de production dominant (et non pas uniquel (ASNP 1979: 1409-14141. Aucune analyse d'une socit ne peut tre mene de manire convaincante si on la rduit ce qu'on appelle encore parfois les "bases infrastruoturelles' : il est vident par exemple que dans la stratgie d'Alexandre le Grand, la main-mise sur la terre et sur les producteurs directs est lie organiquement la rcupration de l'idologie achmnide (Colloque de Cracovie [1980] ; cf. Table Ronde de Besanon [1980)). Choisir la voie d'une histoire interprtative, ce n'est pas cder la facilit ni au laxisme, contrairement ce que certains voudraient faire accroire. C'est au contraire prendre le risque de se tromper, c'est--dire aussi de nuancer et de rectifier au fur et mesure des dcouvertes de donnes nouvelles ou/et des progrs de la rflexion. C'est pourquoi le lecteur attentif ne manquera pas de relever dans ce recueil des interprtations diffrentes voire contradictoires, tant il est vrai que toute recherche historique est ncessairement volutive. Rien n'est plus dangereux ni plus strilisant que le dogmatisme et l'immobilisme, d'o qu'ils viennent.Toulouse, avril 1981 Pierre BRIANT

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D'ALEXANDI LE GRAND AUX DIADOQUES LE CASD'EU~INE

DE KARDIA

INTRODlJCfJON

A qui tente de comprendre la gense du monde hellnistique , il apparat rapidement que la priode des diadoques a revtu une importance exceptionnelle mais mal connue. Par sa position de relai ') entre la conqute pt-rmut.s de r.I1 voj"e! ;"1 ilia thCSI~ sur .l"ti~fJf.' Ir /lflr,i,/lC (it paratre lm 1973), Aopcndicc id deuaimc partir, II. B. 3. Il.

2. cr. )f. Launay, Recherclwe sur les arm,~ hdlhli8tiques, I, Patis (tIJ'lfI), l'. :152 :. Les crateurs des grandes colonies rnacdouiennc- sont Ah-xandre e t sce SUI'I:cll~t'Hr8 immdiats. _

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J)'ALEXANUHE LE

GHAND

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DIAUOQL1ES

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Asie : comment ceux-ci, par exemple, accueillirent-ils les rglements dicts la mort du roi I? Quels furent les rapports tablis avec les diadoques, alors que la plupart des Macdoniens avaient marqu, bien avant 323, leur dsir de rentrer en Macdoine 27 La gense ct les ractions de ces armes - nes en partie de la grande arme impriale - posent de passionnants problmes de psychologie collective 3. Malheureusement, la nature des sources anciennes ne permet pas de rpondre globalement ces questions. Tardives, lacunaires, elles s'intressent essentiellement au droulement des oprations militaires. Cc n'est qu' travers certains pisodes saillants de ces guerres et les carrires des protagonistes que l'on peut tenter certaines analyses partielles. Or, de tous les successeurs d'Alexandre, Eumne de Kardia est certainement celui dont la carrire est la mieux connue 4. Cette place privilgie dans l'historiographie ancienne tient, on le sait, l'admiration que lui porta son compatriote (ct peut-tre parent) Hironymos de Kardia, qui crivit une Histoire des successeurs d'Alexandre 5 Si cette uvre est perdue, sa teneur en est cependant connue, car elle fut l'origine des rcits de Diodore (Bibliothque, livres XVIII-XIX), de Plutarque (Eumne), de Cornlius Nel'os (Eumne), d'Arrien (Histoire des successeurs), de Polyen (Stra!., livre IV, chal" IV (Antigone) ct chal'. VllI (Eumne)) ct de Trogue-Pompe (Prol. Lib., XIII-XIV; Justin, Hist. phil., XIII-XIV) 6. Or, Hironymos fut non seulement un tmoin, mais aussi un participant de la geste ') d'Eumne 7, qu'il suivit1. Sur la stosie de la phalange Babylone, voir mon Antigone Ibid., 1. A i II. A; II. C. 1. 2. Cf. Diodore, XVII. 74. 3 (voir infra, p. 55-57). 3. Pour reprendre ici une expression qu'avait employe A. Aymard en traitant des institutions macdcuicnnos 1" Sur l'assemble macdonienne , R. . A. LII (1950), p. 135 tudes d'histoire ancienne, Paris (1967), p. 162). 4. Si l'on met part. la courte notice qu'y a consncr-o J. Kuerst (Il. E. l, s. v. EUIJlCIl('S [n? li), col: 2501), l'expos le plus minutieux est celui d'A. Vezin, Eumenes von Kordia, Ein Beitrag ZtU Geschide der Diadochenzeit, dise. Mnster i. 'V" 1f107 i cf, aussi Il. D. Wcat-

lake, Eumenes of Cardia. B. R. L. 37-1 (195.), p. 309-327. 5, F. Gr. If., n? 154 {I~ titre est incertain: cf. Jacoby F. Gr. II., II. C, p. 544), 6, La Quellenforschung de l'histoire de diadoques a donn lieu un grand nom ure de travaux. Citons : 'V, Nictzold, Die Ueberliejerung der Diadochengesehicltte bis zu Selacl von Ipsos, disa. Dresde, 1905 i R. Schubert, Die Quellen Zli Geschide der Diadochcn:eit, Leipzig, 1914 (dpass) i :M, J, Fontana, 11 Le Lotte l'er la eucceseione di Alessandro l\fagno dal 323 al 31$ " Alti Ace. Sc. LeU. Art, Paiermo, aer. IV, vol. XVIII, 1957-1958[19601 : tude des sources, p. 247-335. -- Malgr les efforts de Schubert (suivi en partie par M, J, Fontana) pour donner de l'importance . Dourie de Samos, la part dterminante de la tradition hicronymicnnc dans l'histoire d'Eumne ne peut Iuirc de doute (cf. mon Antigone, 2 e partie, pa.ssim). .

7. Cr. Diodore, XVIII.Rel'. Ri. anc.

.2. 1, 50. ' ; XIX.... 3.

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14-

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REVUE DES TUDES ANCIENNES

fidlement jusqu' la disparition du diadoque en 316 1 II eut ainsi accs aux archives d'Eumne 2. Malgr le parti pris favorable ce diadoque dont il fait preuve trop souvent 8, il crivit un rcit extrmement prcis, qui constitue (indirectement) notre meilleure source sur l'histoire de cette priode. En tout cas, plusieurs pisodes de la carrire d'Eumne permettent d'aborder l'tude de quelques-uns des problmes gnraux que j'ai mentionns tout l'heure: le problme de l'administration satrapique aprs la mort d'Alexandre, le problme de la place des Orientaux dans les armes des diadoques, le problme de l'attitude des soldats macdoniens face aux successeurs du roi, et mme le problme de la survie ou des survivances des coutumes ou institutions macdoniennes.

I. - EUMNE, SATRAPE DE CAPPADOCE (322) : LA MISE EN PLACE D'UNE ADMINISTRATION MACDONIENNE (Plutarque, Eumne, 3, 7).A l't 323, lors de la rpartition des satrapies Babylone, Eumne reut la direction d'une nouvelle et immense satrapie qui englobait non seulement la Cappadoce, de la Cilicie Trapzonte 4, mais aussi toutes les rgions insoumises 8, y compris la Paplagonie enleve la Petite-Phrygie 6. Mais cette satrapie restait conqurir 7. Un vieux noble perse, Ariarathe, y avait effectu depuis plusieurs annes des prparatifs d'une grande ampleur puisqu'au printemps 322 il put mettre en ligne 30.000 fantassins et 15.000 cavaliers s. Pour le combattre, Perdiccas avait mis la disposition d'Eumne une arme im1. Sur la carrire d'Hironymoa, voir F. Gr. tt., nO 154 (T) et commentaires de F. .Jacoby, Ibid. II. C, p. 544-545 j T. S. Brown, I/ieronymwof Cardia., A. Il. R. 53(19~ 7),

p.

6~696.

2. Cf. Plutarque, Eum., 16. 2. 3. Aspect justement mis en lumire par H. D. westlako, article citA, pculim. ~. Arrien Suecesscurs. F. Gr. ll., n? 156, F1 (5); Dexippe, F. Gr. lt., nO 100, F8 (3); Diodore, XVIII. 3. 1 i Plutarque, Eum. 3. 2 j Nepos, Eum. 2. 2; Justin, XIII. 4. 16. 5. Diodore Ibid. : la Paphlagonie, Ia Cappadoce et tOU9 )C8 territoires limitrophe. qu'Alexandre n'avait pas conquis ... a 6. Sur l'appartenance de la Paphlagonie la Phrygie helJespontique avant 323, voir Al. Baumbach, Kleinaeien unter Alexander dem Grossen, dise. Ienn, 1911, p. t"t" et 55. A Doter que la Pieidie fut peut-tre jointe galement la satrapie d'Eumne (cf. Diodore, Ibi.; et 53.1 i voir Ch. Lanckoronski-E. Petersen, Les villu de la Pamphylie et da la Pi,idie, II, Paris (1893), p. 17). 7. Plutarque et Nepos, cu. 8. Diodore, tu, 16. 2.

wc.

-"ts

D ALEXANDRE

LE GRAND AUX DIADOQUES

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portante et un trsor de 5.000 talents 1; au surplus, Antigone, satrape de Grande-Phrygie, et Lonnatos, charg de la Phrygie hellespontique, reurent l'ordre d'aider le Kardien prendre possession de son gouvernement 2. Le premier fit la sourde oreille 3 ; Lonnatos, de son ct, au printemps 322, prfra passer en Europe 4. Perdiccas rsolut alors de mener lui-mme les oprations contre Ariarathe. Celui-ci fut rapidement vaincu 5 et Eumne install dans sa sa trapie 6. C'est l que se place un passage important, mais nglig, de la Vie d'Eumne de Plutarque, certainement inspir d'Hirony mos de Kardia 7. Plutarque donne des prcisions utiles sur les mesures administratives d'Eumne et sur l'attitude que le nouveau satrape adopta vis--vis des Macdoniens et vis--vis des populations locales. Mais, avant d'en venir l'examen de la (' politique iranienne d'Eumne s, il est important de souligner la valeur du tmoignage de Plutarque sur l'organisation de la Cappadoce : (' Il [Eumne] remit les cits ses propres amis; il installa des phrourarques, laissa derrire lui les juges et les dioictes qu'il voulait, Perdiccas n'intervenant en aucune manire dans ces affaires D. Ce texte prend toute sa valeur lorsqu'on se souvient de la pauvret de notre documentation sur l'administration satrapique sous Alexandre 10. Il est donc particulirement tentant de tirer de ce texte des renseignements sur les modalits habituelles du passage de l'administration perse l'administration macdomenne. En effet, en 322, la Cappadoce, au regard de la puissance et1. Plutarque.

wc. Cil.

2. Ibid. 3. tu, 3. 3. ~. tu, 3. 3-5; Nepos, Ibid., 2, 3-4; Arrien, Suce., F. Gr. u., 154, Ft (9); Diodore, tu, 14, 4-5. 5. Diodore, tu, 16, 1-3 i Arrien, uu.; F9 (11) ; .Justin XIII. 6. 1 (avec une conuaion avec la campagne ultrieure d'Isaurie) ; Plutarque, Ibi., 3. 6: Appien, Mith., XII. 1. 8. 6. Plutarque, Ibid., 3. 6 Ich.08el"vu.a, "a.plimj). 7. Dans ce sens justement, voir G. T. Griffith, Alexander LM Great and an e:tperiment in government, P. C. P. S., 1964, p. 28, n. 1; cf. galement mon Antigone, 2 8 partie. Appendice au chapitre Il et chapitre IV, passim. 8. cr. infra, p. 49-73. 9. Ibid., 3. 7 : "al.et (lv ",6),.t .or tttu.oG . )(l'L6lim:p eF; &pxjj ~v tL"tL"pA~MO~ " Historia 15 (I%G), p. 142-1GG). 14. Cr. Plutarque, Eum. S. 3: l't/aulomne 321, Eumne rquisitionne des chevaux tians les haras royaux de l'Ida, ct en donne dcharge aux prposs (pinulltes). Les paradei.> 12:

paysans, leveurs et artisans de l'Empire doivent donc travailler pour le profit et le luxe du Grand Roi et de son peuple de soldats conqurants.2. [Conqute de la Chalde et soumission de l'Armnie]. Le rcit de la conqute de la Chalde et de la soumission de l'Armnie - tel qu'il nous est fait par Xnophon - est trs rvlateur d'une politique consciente qui vise enrler tous les paysans d'Asie dans le systme de la dpendance gnralise 13. Le roi d'Armnie avait contrevenu aux obligations que lui avait imposes Astyage: payer tribut, envoyer des contingents, ne pas possder de forteresses (...xat p(.1a"a (.11] ~!;ELV) 14. Tout le rcit de l'expdition en Chalde montre qu'aux yeux de Cyrus le contrle des points hauts est la condition premire du maintien de la domination perse. Ds son entre dans le pays, le roi lui-mme partit en expdition de reconnaissance pour voir o il construirait un fort 15. Avant l'attaque, il tint cette harangue ses troupes: Mes amis, ces montagnes que nous voyons sont aux Chaldens. Si nous nous en emparions, et si nous avions un fort (phrourion) nous sur leur sommet, les Armniens et les Chaldens seraient obligs, les uns et les autres, de se montrer raisonnables avec nous 16. Ds que le Chaldens furent mis en droute, Cyrus fit construire immdiatement un fort, car il avait constat que les postes d'observation des Chaldens se trouvaient dans une position solide et bien pourvus de points d'eau. Il donna ordre Tigrane d'envoyer quelqu'un auprs de son pre [roi d'Armnie] pour lui demander de venir avec tout ce qu'il y avait de charpentiers et de tailleurs de pierre 17. L'occupation des hauteurs contraignit les Chaldens faire la paix avec Cyrus, qui prsida lui-mme la , rconciliation' entre Armniens et Chaldens: l'un des articles essentiels du pacte prvoyait que les Chaldens pourraient travailler les terres du roi d'Armnie, et que les Armniens pourraient faire patre leurs troupeaux sur les pturages des Chaldens 18. Pour permettre aux uns et aux autres de travailler dans la scurit (asphals) 19, Cyrus dcida de conserver les hauteurs: Ds que le trait et t conclu, des deux cts on se mit avec ardeur construire une forteresse, la regardant comme commune aux deux peuples, et y porter tout ce qui tait ncessaire 20. En ralit, le pouvoir appartient au seul Cyrus qui, avant son dpart, munit la forteresse d'une garnison suffisante et de tout le ncessaire, et y laissa comme chef le Mde dont il jugeait que le choix serait le plus agrable Cyaxare 21. Ce pangyrique royal fait donc de Cyrus le restaurateur de la scurit et de la paix, et le bienfaiteur (vergte) des peuples vaincus par la force

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PIERRE BRIANT

des armes 22. Si nous analysons la ralit de la conqute, nous constatons qu'elle" est organise autour de deux principes complmentaires: monopole militaire des Perses (et des Mdes), renforcement de la dpendance tributaire des peuples conquis et/ou soumis: en effet, d'une part, les Perses contrlent dsormais tous les points hauts, et dfense est faite au roi d'Armnie de possder des fortifications: il a mme d fournir les artisans qui ont lev le fort! ~1 Par ailleurs, toutes les forces militaires sont mises au service de la Perse: un grand nombre de Chaldens sont levs comme mercenaires 24; le roi d'Armnie envoie lui-mme un contingent plus important que prcdemment: au total, Cyrus quitte le pays avec 4000 hommes supplmentaires (Armniens et Chaldens) 25. Cet enrlement massif avait pour consquence et pour objectif d'enlever aux uns et aux autres les moyens d'un soulvement contre la domination perse; grce la paix et la scurit offertes par les citadelles et garnisons perses 26, Armniens et Chaldens purent contribuer l'augmentation de la production agricole et pastorale. En effet, son entre dans le pays, Cyrus avait constat qu'une grande partie du territoire armnien tait dserte et inculte cause de la guerre 27. Le pacte entre Chaldens et Arm. niens devait permettre de cultiver les terres armniennes dpeuples et en friche, et d'utiliser les pturages des montagnes chaldennes 28. Cette extension des surfaces cultives allait grossir les revenus du roi d'Armnie 29. Mais, entretemps, Cyrus a doubl le montant du tribut d par l'Armnie 30. En d'autres termes, l'intensification de la production agricole et pastorale allait profiter en bonne part au conqurant lui-mme. L'ensemble du rcit rend bien compte que la prsence de garnisons perses constitue une condition premire du maintien de la domination politique perse et de la dpendance tributaire des peuples soumis - quel que soit par ailleurs le statut politique des peuples conquis (royaume' vassal', intgration etc...).3. [Conqute, fortifications et travail en Carie]. - On retrouve un schma identique dans le rcit de la conqute de la Carie opre par Adousios, Celui-ci se trouva face deux partis cariens, dont chacun tenait des forteresses 31. Grce sa rouerie diplomatique, Adousios russit berner les deux partis et prendre possession de leurs fortifications 32. Comme Cyrus en Chalde, Adousios est prsent comme le restaurateur de la paix, comme en fait foi le discours qu'il tient aux Cariens: Si je rtablis la paix entre vous, si j'assure aux uns et aux autres la scurit dans le travail des champs (l'at aO'CjJriEtaV pyri~EO'eat ri[J.CjJo"tpOthf'f'-Pari!ol 11f)()9t. p.:l:lU. n.IU,

(6) Fouilles de Doure-Europos (1922-2,1/. Paris 1926.

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d'un nombre croissant de Syriens dans la population: "Un afflux constant de sang indigne mtissait de plus en plus les vieilles familles macdoniennes", crit Cumont (p. XLIV 1qui poursuit: "Des alliances rptes avec les hritires du pays avaient produit une ligne qui tait arabe, aramenne ou mme perse plutt qu'hellnique". Dans le mme temps "les inscriptions nous montrent la noblesse de la colonie fort entiche de sa qualit et trs frue de sa gnalogie et de ses alliances" (p.XLVI. Il convient donc de ne pas accorder une importance hors de proportion au grand nombre d'anthroponymes grecs ou macdoniens, car "mme les indignes traduisirent souvent leurs noms dans une langue qui tait celle de l'aristocratie" (p.XLIVI. Au surplus, on voit "se multiplier les appellations smitiques. On voit ainsi combien l'lment indigne avait pntr jusque dans l'aristocratie de la colonie macdonienne. Le sang barbare dominait dans la noblesse plus encore que l'onomastique n'en tmoigne, car les descendants des premiers colons, mme si leur mre tait de la race autochtone, tenaient marquer leur supriorit en rappelant par leurs noms leur origine hellnique et (... ) les fils de Syriens tendent les imiter. Mais le type des personnages qui se sont faits peindre au premier sicle dans le temple des dieux palmyrniens est nettement smitique" (p.343). Il n'est pas question d'opposer brutalement les conclusions et observations de G. Le Rider et celles de F. Cumont. Rien n'indique avec certitude a priori que l'volution a t identique dans toutes les fondations grco-macdoniennes: par exemple, concernant les dieux orientaux, G. Le Rider oppose Suse et son "indiffrence officielle l'gard du panthon oriental" Sleucie du Tigre "o, partir du rgne d'Antiochos IV, ct des missions o figure la desse nicphore assise, on peut citer une autre srie montrant une desse (probablement la mme 1debout, coiffe d'un polos, et tenant une corne d'abondance... L'on en conclura que les cultes orientaux ont fait Sleucie du Tigre beaucoup plus tt qu' Suse partie du culte officiel" (p.2921. Par ailleurs, la documentation de Doura est bien postrieure celle de Suse/Sleucie : les 134 textes pigraphiques analyss par F. Cumont se rapportent la priode entre 6 av.n., et l'poque des Svres (cf.p.3391 ; sur les 9 papyri prsents, un seul (n? II date de la priode sleucide (195 av .n..] et aucun des autres n'est antrieur au 1er sicle av.n.., voire au 1er sicle de n.. (cf.chap.V}, En toute rigueur, les conclusions de F. Cumont -sur lesquelles on reviendra en dtail plus tard- ne s'appliquent qu' Doura parthe puis romaine (cf.p.XXV sq., L'une des erreurs de Cumont a t de gnraliser cet exemple, puisqu'il crivait : "Cette dcomposition intrieure... se reproduisit certainement dans beaucoup d'autres cits, et l'histoire de cette ville de l'Euphrate nous fait mieux comprendre quelle fut la destine des colonies grecques semes en pays smitique ou iranien". Qui plus est, Cumont n'hsitait pas prciser que cette volution fut rapide (p.XLV et XLVI).

1.3. Le cas d'UruklOrchoi L'exemple d'Uruk -quant lui- prsente de fortes spcificits: il convient de rappeler en particulier que "rien n'atteste la qualit de colonie ou de polis grecque trop aisment attribue Orchoi". Ce qui est sr, c'est que "des Grecs sont venus se fixer" et qu'ils s'y sont peut-tre constitus en politeuma l71 G.Kh. Sarkhisian (8) a(7) Voir A.Aymard, "Une ville de la Babylonie aleuoide d'aprs les contrats cuniformes" dans Etudes d'Histoire Ancienne, Paris 119671, p. 178-21J. (81 "Greek personnel names inUrnk and the Greeco-Bebyloniece prohlem ". AAH 22 (1974). p.495-503.

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dpouill plus d'une centaine de documents d'affaires d'Uruk sleucide ; les noms grecs sont prsents dans quinze contrats et dans deux inscriptions de construction ; ces noms grecs, au nombre de quarante-huit, dsignent soixante-neuf personnes. Ils commencent apparatre dans la priode 224-191. Sarkisian a distingu quatre tapes : 1 0) Dbut: les Grecs vivent probablement en colonie spare sous ses propres lois; 2) Rgne d'Antiochos III : rapprochement avec la classe dominante locale et intgration dans l'organisation urukite. Mariages mixtes. Adoption de noms grecs par des Urukites ; 3) Milieu Ile s. : arrive de colons grecs Uruk. Abondance de noms grecs chez les Urukites ; 4 Epoque arsacide : amenuisement du nombre de noms grecs, puis disparition quasi totale partir des annes 130.

II. ONOMASTIQUE, DMOGRAPHIE, MIGRATIONIl est connu depuis longtemps que l'utilisation des listes danthroponymes pose problme. Dans quelle mesure les noms grecs de Suse (et d'ailleurs) dsignent-ils rellement des migrants grecs (ou des descendants directs d'migrantal puisqu'aussi bien l'hellnisation se marquait (9) -ou pouvait se marquer 1101. pour les Orientaux par l'adoption d'un nom grec (parfois accol leur nom origineIl ? Par exemple, Uruk on voit mme un roi sleucide intervenir pour confrer un nom grec un haut fonctionnaire babylonien (1). De mme Doura-Europos o, selon F. Cumont, "des enfants d'indignes prennent des noms grecs que n'avait certainement ports aucun de leurs anctres". Dans ces conditions, prcise A. Ayrnard, "aucune hsitation n'est permise lorsque le porteur d'un nom grec a des ascendants babyloniens et se rattache l'un des grands anctres communs la plupart des habitants d'Uruk nomms par les tablettes... Tous les autres critres sont plus ou moins suspects." 1121

(9) Sur les problmes mthodologiques poss par l'tude de l'onomastique en Babylonic 8()U~ domination achmnide, voir en particulier R. Zadok dans Isral Oriental SlUdies VII 119771, p.89.91 Ivoir galement C.Cardascia, Les Archives des Murashu !Paris 1951), p., M. Sigrist dans Rev.Rib. 1977. p.459 et E. Lipinski dans Ribliotheca Orientalis XXXVII/l-2 09801. p.3121. Selon L.Rohert. OMS II, p.528, le grand nombre de noms macdoniens n'est pas l'effet "d'une simple mode" ; "ils ont essaim mon avis toujours par des descendants des Macdoniens".

no) Sur cette restriction, voir le cas d'Hanisa en Cappadoce tudi par L.Robert, Nomll indiKnell danlJl'Asie Mineure grco-romaine I, Paris (963), p.485 sq : l'onomastique d'Hanisn rvlf~ un milieu "ethniquement homogne "l'anthroponymie exclut une colonie grecque Hanlsa" fr.505) alors mme que l'hellnisation y est trs marque, ce qui d'ailleurs confirme leM vues exprimes ailleurs {voir note prcdente} selon lesquelles la diffusion d'une onomastique grco-macdonlenne est lie la diffusion d'un peuplement groo-macdonien.

{Ll] Aymard, p.206 et Sarkhisian, p.49B : il s'agit d'Annuballit.is d'Annisu, qui, dena une inscription. affirme que son second nom (Nikarchos] lui a t personnellement confr par Antloehos III.

1121 Aymard 201.

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1) Tout d'abord, bien qu'il en connaisse parfaitement les dangers (cf. par exemple 1,275), Launey recourt explicitement ou implicitement l'argument a silentio : affirmer que l'immigration grecque se tarit vers 200, c'est extrapoler partir d'une documentation qui devient muette. Si l'on suit au contraire maintenant les analyses de Sarkhisian (17), on observera que l'exemple d'Uruk conduit des conclusions radicalement opposes, puisque vers le milieu du Ile sicle av .n.., "les Grecs qui s'taient installs Uruk antrieurement furent rejoints par un renfort considrable". D'ailleurs, Launey doit bien admettre que cette date c.200 est loin d'tre gnrale, et il note ce qu'il appelle arbitrairement une exception, la Crte: "Il parat hors de doute que ,pendant la priode qui nous occupe, la Crte a possd une puissance dmographique considrable. Dans un monde qu'puise la dpopulation, la Crte chappe cette maladie; elle n'aurait pas fourni tant de soldats sans un fort excs de population" (l, p.2751. Sans doute, mais cette 'exception' crtoise n'est-elle pas due pour une part galement une abondance exceptionnelle de la documentation 1 Il est de mme insuffisant de faire rfrence la nostalgie des Crtois pour "la vie rude et libre" qu'ils menaient dans leur le pour conclure que leur migration tait presque toujours temporaire (18) ! Cette mme rgle gnrale pose au dpart amne Launey considrer comme inexplicable ce qu'il croit tre une dpopulation trs brutale de l'Etolie : "brutalit tolienne", commente Launey (I, p.298) en reprenant un strotype polybien, 21 D'autre part, nombre des explications couramment avances procdent d'une vision mcaniste des dplacements de populations: le 'sous-peuplement' ou le 'surpeuplement' de l'Europe ne doivent pas tre analyss du seul point de vue de la dmographie quantitative (ce d'autant que personne n'ignore les lacunes de la documentation), mais bien plutt du point de vue de la dmographie sociale. Je veux dire par l qu'il est absurde de raisonner comme si un 'trop-plein' de population en Europe tait attir -comme par gravit- par les vastes tendues d'Asie (considres comme l'espace vital de l'Europe 1). Si la Grce a fourni tant d'migrants l'poque archaque, ou avant et aprs Alexandre, ce n'est videmment pas en raison d'un surpeuplement absolu, c'est en raison d'une trs grave crise des rapports sociaux qui a touch de nombreux paysans et qui les a rendus disponibles pour l'migration. C'est pourquoi il convient de prendre avec beaucoup de prcautions le passage si souvent cit de Polybe (XXXVI.17.5.-8) parlant de l'oliganthropie gnrale en Grce: si tant de terres sont laisses incultes, ce n'est pas en raison d'un manque de bras ; en d'autres termes, les friches s'expliquent moins par une dnatalit que par la concentration des terres (9)... Le rapport direct entre crise socio-politique et migration avait dj t clairement expos par Isocrate Philippe (20). Or, le moins que l'on

(17) Art.cit., p.497-8; 501-2.(l8) Voir l-dessus les justes remarques critiques de P.Brul, La piraterie crtoise hellnistique, Besanon-Paris (1978), p.162-3.

(9) Voir justes remarques en ce sens d'Edo Will, op.cit., p.514-5. (20) Cf. Klio 60/1 (19781, p.78-79.

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puisse dire, c'est que les cits de la Grce hellnistique continuent d'tre traverses par les luttes de classes, dont tmoigne par exemple la frquence du slogan du "partage des terres" : que l'on songe la crise sociale qui secoue l'Etolie en 206/4 1211 0u celle que connat la Botie entre 213 et 188 (22), ponr ne citer que deux cas parmi d'autres. Bref, la chute du taux de reproduction supposer qu'elle pat tre prouvene pourrait pas tre considre elle seule comme une preuve. Deux lments, mon sens, sont dterminants en ralit pour comprendre la dynamique de l'migration grecque en Orient :-

- d'une part, dans les cits d'Europe et d'Asie Mineure 1231, la prsence d'une masse de population (appauvrie, exile, dchue des droits politiques, proscrite... 1 prte (rsigne, contrainte... ) tenter l'aventure de l'migration dfinitive outremer;

- d'autre part, en Orient, la volont politique des rois de continuer faire appel l'immigration grecque. Qu'il y ait eu des migrations "sauvages" ne saurait faire de doute. Mais, d'une faon gnrale, lorsqu'un roi (ou une cit) avait besoin d'un contingent de colons, il s'adressait une cit 1241 ou un chef. L'enrlement d'un contingent de colons ne devait pas tre trs diffrent du rassemblement d'une troupe de mercenaires effectu par un xnologue royal (251. Des isols n'auraient jamais pu s'tablir en squatters sur des terres royales ou sur des terres civiques: c'est le roi qui concde des lots de terres (26), c'est lui aussi qui concde des exemptions d'impts aux nouveaux colons (27), etc ... En bref, c'est la conjonction des deux ralits (population grecque prte l'exil, appel royal) qui cre la dynamique des flux d'migration en Orient, beaucoup plus que les taux de natalit et de mortalit en Europe et dans les cits micrasiatiques. L'un des textes les plus remarquables est le dcret bien connu d'Antioche de Perside (Bushir?) qui nous apprend l'arrive dans la cit d'un contingent de

(21) Polybe XIII.l2.

(22) Id. XX.6.1.3 ; cf. M.Feyel, Polybe et l'histoire de la Botie au Ile s.eu.n.., Paris 1942.(23) A propos de l'origine sociale des colons venus de Magnsie Antioche de Pereide [voir el-dessous],

cr.

les remarques d'Edo Will, RPh LIlI (1979), p.322 : .....On peut se demander si des conditions sociales particulires. que nous ignorons, ne lui firent pas accueillir avec faveur cette ponction opre Mur son corps civique". Ed. Will parle "cl 'un ramassis de proltaires, pour lequel la dportation en Perside reprsentait en fait une promotion conomique et sociale".(24) Le meilleur exemple est le dcret analys ci-dessous. A propos des relations entre Antiochos et Magnsie, voir les remarques d'Edo Will, loc.cit. sur les interprtations proposes par W.Orth. Koniglicher Machtsanspruch und stdischer Freihe, Mllnchen 1977.

1251 Voir aussi le texte cit par Ferguson, HeUenistic Athen, London (1911), p.112, n.I. (26) Sur le kleroe, cf. Cohen, Seleucid colonies, Chapter IV ("Tbe distribution of the kleroe"]. Cf. aussi Klio 60/1 (978), p.66, n.71. A propos du texte de Julien (Misopognon 362cl. on verra en dernier lieu la discussion de J.Gascou,KAHPOI A1JOPOI llIFAO 77 (977), p.235255. (27) Cf. Klio 60/1 (1978), p.65 et n.58 ; Cohen, Colonies 63-64.

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Magntes du Mandre. Cet exemple prsente un intrt d'autant plus grand qu'il se rfre non pas une premire installation, mais un renfort envoy dans une cit neuve pleinement constitue. Le texte porte en effet: "Auparavant, Antiochos Ster ayant eu coeur d'accrotre notre ville qui porte son nom, et ayant envoy une ambassade chez eux au sujet de l'envoi de colons (peri apoikiasl, ils ont vot des rsolutions belles et glorieuses, et aprs avoir fait des voeux et des sacrifices, ils ont envoy des hommes en nombre suffisant et distingus par leur valeur, dans leur zle pour contribuer augmenter le peuple d'Antioche" (281. Ce texte suscite quelques rflexions dans le cadre du thme qui nous occupe ici : - les migrants ne viennent pas seulement de Grce d'Europe: les cits d'Asie (pour ne pas parler des les) ont fourni galement un courant d'migration important; Strabon (29) nous apprend par exemple qu'Antioche de Pisidie a t peuple par des colons venus de Magnsie du Mandre. Lors de la fondation de Laodik du Lykos -par Antiochos 1 ou Antiochos II - on connat la prsence non seulement de Macdoniens, mais aussi d'un contingent envoy par les villes d'Ionie (30). Il est galement probable que la colonie grecque de Suse installe par Seleucos 1 est venue d'Ephse (3]) ; - mme les cits les plus loignes, les plus "excentriques" (par rapport la Mer Hellnique] ont pu maintenir voire renforcer leur population d'origine grecque. Il est mme probable qu'un contingent athnien s 'est tabli dans cette cit des bords du Golfe Persique (321 ; - lorsque, pour une raison ou une autre (33) (pidmie, tremblement de terre ou volont stratgique du roi), une cit a besoin de renforts, on voit qu'il n'est pas question de faire appel la population indigne. Ici, comme lors de la fondation, l'initiative du peuplement/repeuplement est venue du roi. "Ces textes -commente L.Robert (34)_ sont caractristiques de la volont des Sleucides de crer des villes grecques, et d'installer des citoyens de vieilles villes grecques en Phrygie, et en Pisidie et jusque dans la rgion du Golfe Persique ", En effet, les cits grecques constituant l'un des supports essentiels de la domination du roi, il est logique que

(28) OGIS 233, lignes 1420; traduction L.Robert, Laodice, P.330. (29) XII.8.14:""