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170 [1] ALBéRIC P. 2004 - River backflooding into a karst resurgence (Loiret, France). Journal of Hydrology, vol. 286, p. 194 -202. [2] ALBéRIC P. & LEPILLER M. 1998 - Oxydation de la matière organique dans un système hydrologique karstique alimenté par des pertes fluviales (Loiret, France). Water Research, vol. 32, p. 2051-2064. [3] CHERY J.-L. 1983 - Étude hydrochimique d’un aquifère karstique alimenté par perte de cours d’eau (la Loire). Thèse, Orléans. [4] GONZALES R. 1991 - Étude de l’organisation et évaluation des échanges entre la Loire moyenne et l’aquifère des calcaires de Beauce, Thèse, Orléans. [5] LELONG F. & JOZJA N. 2008 - Fonctionnement du système karstique du Val d’Orléans, les acquis, les interrogations. Journées techniques de CFH-AIH, Orléans « Hydrogéologie et Karst aux travers des travaux de Michel Lepiller», p 107-116. [6] LEPILLER M. 2006 - Val d’Orléans. Aquifères et eaux souterraines en France, t. 1, p. 200 -214. BRGM, Orléans. P ar son débit moyen, le système karstique du val d’Orléans est l’un des plus importants de France. Sa genèse et son évolution sont liées à la dynamique d’un grand fleuve, la Loire, qui s’écoule sur un aquifère carbo- naté, où se développe la karstification [6]. Les limites géographiques du val d’Orléans sont bien identifiées, mais la délimitation du système hydro- géologique peut différer selon les auteurs (fig. 1) : le tronçon de plaine alluviale concerné s’étend sur une longueur de 40 km et une largeur de 4 à 7 km, de Sully- sur-Loire à l’est, où la plaine alluviale se rétrécit fortement, jusqu’à la confluence Loire-Loiret à l’ouest [4, 6]. étudié depuis longtemps, le système du val d’Orléans est défini par l’ensemble hydrogéologique interactif suivant : - un tronçon de la Loire et le cours du Loiret ; - la nappe des alluvions de la Loire, dont le lit majeur est fortement élargi à l’amont d’Orléans ; - l’aquifère des calcaires de Beauce, couvert par les allu- vions dans la partie aval, et séparé des alluvions par les sables et argiles semi-perméables de la formation de Sologne (Burdigalien) dans la partie amont. > Une hydrologie dominée par des pertes Des pertes massives de la Loire entre Châteauneuf-sur- Loire et Chécy constituent le principal phénomène (fig. 2). À ces pertes correspondent des résurgences diffuses ou ponctuelles qui jalonnent le Loiret (fig. 3). C’est à Félix Mar- boutin, en 1901, que revient la démonstration définitive de l’origine des sources du Loiret, à la suite d’injections de fluorescéine dans les pertes de l’Anche et de la Loire, distances de plus de 16 km. L’estimation du débit entrant, difficile de par la dispersion des pertes, a été effectuée par comparaison de débit moyen journalier entre Châteauneuf-sur-Loire et Orléans. Il est de l’ordre 15 à 20 m 3 /s. Ces valeurs sont cohérentes avec l’estimation du débit moyen de l’ensem- ble des exutoires alimentant le Loiret (6 m 3 /s) et la Loire (12 m 3 /s) [6] . La source du Bouillon représente moins de 16 % du débit total des exutoires du Loiret (fig. 3). En condition de basses à moyennes eaux du Dhuy, la surface piézométrique de l’aquifère karstique est presque partout située au-dessus de la ligne d’eau du Loiret : les orifices amont fonctionnent en exutoires. En condition de hautes eaux du Dhuy et de basses eau de l’aquifère karstique, les sources du Bouillon et de l’Abîme fonction- nent alors en perte, avec phénomène d’inversac [1] . > Les traçages éclairent les modalités d’écoulement La restitution de traçages des pertes de Loire (Jargeau) ou du ruisseau de l’Anche, suivie à différents exutoires échelonnés le long du Loiret, montre de fortes vitesses moyennes de transit : 100 à 140 m/h à la source du Bouillon (fig. 4), environ 200 m/h à la source de la Pie. L’accélération du transit vers l’aval du système, à partir de la source des Béchets, peut être rapprochée de la forte augmentation du débit apporté par les sources des Béchets, du Clou- seau, et de la Pie, qui constitue en basses eaux l’essentiel du débit du Loiret [5] . Ces vitesses sont peu dépendantes du débit du fleuve. > Dissolution sous l’effet de l’injection de matière organique Les données physico-chimiques caractérisent le transit souterrain [ 2, 3] . L’amplitude thermique maximale diminue fortement (16 °C pour la source du Bouillon contre 24 °C pour la Loire) ; l’alcalinité et la teneur en calcium s’accroissent ; l’azote sous forme de nitrate aug- mente faiblement (gain de 1 à 2 mg/l N) ; et surtout l’oxy- gène dissous chute (3,4 mg/l en moyenne contre 11 mg/l en Loire). L’accroissement de la minéralisation (+0,65 méq/l de HCO 3 -) provient de la dissolution des carbonates dans l’aquifère. En saison chaude toutefois, par l’activité de la photosynthèse, le CO 2 dissous disparaît des eaux de la Loire qui sont fortement sursaturées vis-à-vis de la calcite. Simultanément, aux exutoires, les teneurs en oxygène dissous très basses avoisinent l’anoxie. Ce déficit en oxygène n’est pas hérité de la Loire : de fortes concen- trations résultant de la photosynthèse sont observées aux entrées, notamment pendant les périodes d’eutro- phisation. On en déduit que l’acquisition de la charge carbonatée résulte de la production d’anhydride carbonique par l’oxydation de la matière organique, au sein du système. > Une ressource en eau vulnérable Trois communes du sud de la Loire et 80 % de la ville d’Orléans sont alimentées en eau potable par trois LE VAL D’ORLÉANS, UN AQUIFÈRE KARSTIQUE ALIMENTÉ PAR LA LOIRE Michel LEPILLER ( ) & Nevila JOZJA 74 Extrait de : AUDRA Ph. (Dir.) 2010 - Grottes et karsts de France. Karstologia Mémoires, n° 19, 360 p. Association française de karstologie

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[1] ALbéric P. 2004 - River backflooding into a karst resurgence (Loiret, France). Journal of Hydrology, vol. 286, p. 194 -202.[2] ALbéric P. & LePiLLer m. 1998 - Oxydation de la matière organique dans un système hydrologique karstique alimenté par des pertes fluviales (Loiret, France). Water Research, vol. 32, p. 2051-2064.[3] cherY J.-L. 1983 - Étude hydrochimique d’un aquifère karstique alimenté par perte de cours d’eau (la Loire). Thèse, Orléans.[4] GonzALes r. 1991 - Étude de l’organisation et évaluation des échanges entre la Loire moyenne et l’aquifère des calcaires de Beauce, Thèse, Orléans.[5] LeLonG F. & JozJA n. 2008 - Fonctionnement du système karstique du Val d’Orléans, les acquis, les interrogations. Journées techniques de CFH-AIH, Orléans « Hydrogéologie et Karst aux travers des travaux de Michel Lepiller», p 107-116. [6] LePiLLer m. 2006 - Val d’Orléans. Aquifères et eaux souterraines en France, t. 1, p. 200 -214. BRGM, Orléans.

p ar son débit moyen, le système karstique du val d’Orléans est l’un des plus importants de France. Sa

genèse et son évolution sont liées à la dynamique d’un grand fleuve, la Loire, qui s’écoule sur un aquifère carbo-naté, où se développe la karstification [6].

Les limites géographiques du val d’Orléans sont bien identifiées, mais la délimitation du système hydro- géologique peut différer selon les auteurs (fig. 1) : le tronçon de plaine alluviale concerné s’étend sur une longueur de 40 km et une largeur de 4 à 7 km, de Sully-sur-Loire à l’est, où la plaine alluviale se rétrécit fortement, jusqu’à la confluence Loire-Loiret à l’ouest [4, 6].étudié depuis longtemps, le système du val d’Orléans est défini par l’ensemble hydrogéologique interactif suivant :- un tronçon de la Loire et le cours du Loiret ;- la nappe des alluvions de la Loire, dont le lit majeur est fortement élargi à l’amont d’Orléans ;- l’aquifère des calcaires de Beauce, couvert par les allu-vions dans la partie aval, et séparé des alluvions par les sables et argiles semi-perméables de la formation de Sologne (Burdigalien) dans la partie amont.

> une hydrologie dominée par des pertesDes pertes massives de la Loire entre Châteauneuf-sur-Loire et Chécy constituent le principal phénomène (fig. 2). À ces pertes correspondent des résurgences diffuses ou ponctuelles qui jalonnent le Loiret (fig. 3). C’est à Félix Mar-boutin, en 1901, que revient la démonstration définitive de l’origine des sources du Loiret, à la suite d’injections de fluorescéine dans les pertes de l’Anche et de la Loire, distances de plus de 16 km.L’estimation du débit entrant, difficile de par la dispersion des pertes, a été effectuée par comparaison de débit moyen journalier entre Châteauneuf-sur-Loire et Orléans. Il est de l’ordre 15 à 20 m3/s. Ces valeurs sont cohérentes avec l’estimation du débit moyen de l’ensem-ble des exutoires alimentant le Loiret (6 m3/s) et la Loire (12 m3/s) [6] . La source du Bouillon représente moins de 16 % du débit total des exutoires du Loiret (fig. 3). En condition de basses à moyennes eaux du Dhuy, la surface piézométrique de l’aquifère karstique est presque partout située au-dessus de la ligne d’eau du Loiret : les orifices amont fonctionnent en exutoires. En condition

de hautes eaux du Dhuy et de basses eau de l’aquifère karstique, les sources du Bouillon et de l’Abîme fonction-nent alors en perte, avec phénomène d’inversac [1] .

> les traçages éclairent les modalités d’écoulementLa restitution de traçages des pertes de Loire (Jargeau) ou du ruisseau de l’Anche, suivie à différents exutoires échelonnés le long du Loiret, montre de fortes vitesses moyennes de transit : 100 à 140 m/h à la source du Bouillon (fig. 4), environ 200 m/h à la source de la pie. L’accélération du transit vers l’aval du système, à partir de la source des Béchets, peut être rapprochée de la forte augmentation du débit apporté par les sources des Béchets, du Clou-seau, et de la pie, qui constitue en basses eaux l’essentiel du débit du Loiret [5] . Ces vitesses sont peu dépendantes du débit du fleuve.

> Dissolution sous l’effet de l’injection de matière organiqueLes données physico-chimiques caractérisent le transit souterrain [2, 3] . L’amplitude thermique maximale diminue fortement (16 °C pour la source du Bouillon contre 24 °C pour la Loire) ; l’alcalinité et la teneur en calcium s’accroissent ; l’azote sous forme de nitrate aug-mente faiblement (gain de 1 à 2 mg/l N) ; et surtout l’oxy-gène dissous chute (3,4 mg/l en moyenne contre 11 mg/l en Loire). L’accroissement de la minéralisation (+0,65 méq/l de HCO3-) provient de la dissolution des carbonates dans l’aquifère. En saison chaude toutefois, par l’activité de la photosynthèse, le CO2 dissous disparaît des eaux de la Loire qui sont fortement sursaturées vis-à-vis de la calcite. Simultanément, aux exutoires, les teneurs en oxygène dissous très basses avoisinent l’anoxie. Ce déficit en oxygène n’est pas hérité de la Loire : de fortes concen-trations résultant de la photosynthèse sont observées aux entrées, notamment pendant les périodes d’eutro- phisation. On en déduit que l’acquisition de la charge carbonatée résulte de la production d’anhydride carbonique par l’oxydation de la matière organique, au sein du système.

> une ressource en eau vulnérableTrois communes du sud de la Loire et 80 % de la ville d’Orléans sont alimentées en eau potable par trois

le Val d’orléaNs, UN aQUiFèreKarstiQUe aliMeNté Par la loire

Michel LEpILLER ( ) & Nevila JOZJA

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Maquette KDF FINAL.indd 170 19/04/2010 15:00:42

Extrait de : AUDRA Ph. (Dir.) 2010 - Grottes et karsts de France. Karstologia Mémoires, n° 19, 360 p. Association française de karstologie

Figure 4 - La source du Bouillon contient des conduits dont les dimensions peuvent atteindre 11 m de large et 9 m de haut. Les frères Le Guen effectuent les premières ex-plorations sur 770 m par -20 m de profondeur. L’association spéléologie subaquatique Loiret a porté le développement à 6 km, dont 4 topographiés. ces explorations permet-tent de mieux comprendre le fonctionnement de la partie aval du système, soumise aux diffluences et inversacs .

Figure 1 - carte des circulations karstiques du val d’orléans [d’après Ph. BoisMoreau, B. leclerc, 6].

> Figure 3 - La source du Bouillon est née de la réactivation, en 1672, d’un exutoire jusque-là délaissé par les eaux. L’indivi-dualisation de la source du Bouillon comme exutoire le plus amont du Loiret daterait du début de XVIII e siècle, et résulterait d’amé-nagements successifs du lit du dhuy vers le nord, de manière à protéger le bras d’eau ainsi créé à l’aval de la source contre la forte turbidité que la rivière apportait lors des crues.

Figure 2 - Perte en rive gauche de la Loire,Jargeau, Loiret.

Loire

Loiret

Dhuy

BionneOussance

Ruisseau

de L'Anche

ORLÉANS

G L A C I S D ' O L I V E T

Jargeau Châteauneufsur-Loire

Sandillon

Bellevue

LaPie

Le Bouillon

Ruisseaude Limère

Captage du Theuriet

Captage du Gouffre

Perte de la Ferme de Beauthieu

Forageabsorbant

Forageabsorbant

Gouffre de laVieille-Noue

Goule de l'Anche

Pertede la

Petite-Bruyère

PerteRésurgence des

Vernelles

Gouffre del'Ile Charlemagne

Gouffre deMontission

Source des Capucins

Pont-St-Nicolas Les Béchets

LesTacreniers

FORÊT D'ORLÉANS

L'Abîme

Saint Martin

Captage du Bouchet

La RigouillardeSt-Avit

Gouffre deMontauban

Sullysur-Loire

Chécy

Formation alluviale d'âge indifférencié

Aquitanien : calcaire de Beauce (perméable)Calcaire de Beauce sous couverture alluvialePerte impénétrablePerte pénétrable (grotte)

Émergence pénétrable (grotte)

Perte pénétrable (aven)

Perte-émergence impénétrable

Forage A. E. P. (Alimentation en Eau Potable)Forage absorbant

Vallée peu fonctionnelleLiaison mise en évidence par traçage

Burdigalien : formation sablo-argileuse de Sologneet de l'Orléanais (peu perméable)

0 5 km

Émergence pérenne impénétrable

Perte-émergence pénétrable

Avril 2000

Le LoiretSce de l'Abîme

Source du Loiret

Le Bouillon

Le Dhuy

ChâteauAncienrestaurant

500 m

Secrétariatdu parc

Parking

Sources du Parc floral - Orléans, LoiretTopographie et réalisation Philippe BOISMOREAU

Spéléologie Subaquatique Loiret

Levés compas et décamètreDéveloppement topographié 4 305 m

a; T

axil

J. M

uner

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P. B

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orea

u

captages à proximité du parc floral. Ils exploitent à faible profondeur l’aquifère alluvial et les calcaires karstifiés, et fournissent des débits spécifiques variant de 200 à 3 400 m3/h/m. Si le potentiel de production de la ressource karstique reste important, ce bilan très excédentaire vis-à-vis des besoins actuels moyens ne doit cependant pas masquer le tarissement rapide des résurgences lors des étiages de la Loire. Et du point de vue qualitatif, le

système karstique est très fortement vulnérable. La part de la Loire dans l’alimentation en eau potable exige un contrôle continu de la qualité des eaux du fleuve et le recours à une solution immédiate de secours en cas d’accident polluant grave sur le fleuve. La gestion de l’aquifère doit être optimisée pour envisager l’exploitation durable de la ressource.

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