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    ANUARIODEESTUDIOSMEDIEVALES44/2, julio-diciembre de 2014, pp. 733-768

    ISSN 0066-5061

    doi:10.3989/aem.2014.44.2.03

    NAVIGATION ATLANTIQUE DE TROIS GALRES CASTILLANESAU DBUT DU XVe SICLE DAPRSLEVICTORIAL :

    DE LA CHRONIQUE CHEVALERESQUE LHISTOIRE MARITIME1

    ATLANTIC NAVIGATION OF THREE CASTILIAN GALLEYSIN THE EARLY FIFTEENTH CENTURY AFTER THEVICTORIAL:

    FROM CHIVALROUS CHRONIC TO MARITIME HISTORY

    MICHELBOCHACAUniversit de La Rochelle - UMR 7266 LIENSs

    EDUARDOAZNARVALLEJOUniversidad de La Laguna - IEMYR

    1

    Ltude sinscrit dans le cadre du projet I+D n HAR 2009-08474,De mar a mar. Lospuertos castellanos en la Baja Edad Media, financ par le Ministerio de Ciencia e Innovacindel Gobierno de Espaa et dirig par Eduardo Aznar Vallejo.

    Rsum: Au-del de la figure cheva-leresque de Pero Nio et de ses faitsdarmes lors des oprations navalesconduites dans le golfe de Gascogne eten Manche en 1405 et 1406, Le Victoriallivre des informations sur la navigationdes trois galres castillanes envoyes parHenri III pour honorer les accords mili-taires avec la France. Le recoupement deces donnes parses et fragmentaires per-met de reconstituer une partie de luniversmaritime dans lequel navires et quipages

    voluent la fin du Moyen ge et quichappe habituellement lhistorien fautedcrits laisss par les gens de mer sillon-nant les mers du Ponant.

    Mots cls: galre ; navigation ; Atlantique ;bas Moyen ge.

    Abstract: Beyond the chivalrous figureof Pero Nio and its military exploitsduring the naval operations conducted inthe Bay of Biscay and English Channelin 1405 and 1406, the Victorialprovidesinteresting information on the navigationof three Castilian galleys sent by Henry IIIto honour the military agreements withFrance. The cross-checking of thesedispersed and fragmentary data allows toreconstruct a part of the universe in whichships and crews are evolving in the late

    Middle Ages and which usually escapesthe historian for lack of writings left bythe sailors crossing the seas of Ponant.

    Keywords: galley; shipping; Atlantic;Late Middle Ages.

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    SOMMAIRE

    1. Introduction. 2. Un exemple de navigation atlantique. 2.1. Les prparatifs dedpart. 2.2. La navigation dans le golfe de Gascogne. 2.3. Les oprations navalesen Manche et le retour en Castille. 3. Les galres de Pero Nio. 3.1. Des naviresde guerre entraperus au dtour de dtails techniques. 3.2. quipages et manuvredes navires. 3.3. Commandement de la flotte et direction des oprations militaires.4. Une plonge dans lunivers des marins castillans du dbut du XVe sicle. 4.1. Na-vigation et comportement la mer des galres. 4.2. Perception de lespace maritimeet de lenvironnement marin. 4.3. Des mers du Ponant difficilement praticables pourles galres. 5. Conclusion. 6. Bibliographie cite.

    1. INTRODUCTION

    LeVictorial, ou Chronique de don Pero Nio, comte de Buelna, at rdig par Gutierre Daz de Games, porte-enseigne (alferez) de ce noblecastillan. Connu par sept copies, dont la plus ancienne, datant de la deuximemoiti du XVe sicle ou du dbut du XVIe sicle, est conserve la Biblio-thque nationale de Madrid (Ms 17648), il a fait lobjet de quatre ditions encastillan, parmi lesquelles nous retiendrons celle de Rafael Beltrn Llavador2.

    Deux ditions en franais sont galement disponibles3. Sur le modle dunechronique chevaleresque,Le Victorialraconte les faits darmes de Pero Nio,comte de Buelna (1378-1453). Issu dune famille noble rpute, il fut levavec linfant Henri, dont la mre de Pero Nio fut la nourrice. Il servit ensuitepar les armes Henri III le Maladif (1379-1406). Celui-ci le chargea de menerdes oprations de police navale en Mditerrane occidentale en 1404-14054,avant de lenvoyer dans lAtlantique apporter laide militaire promise au roide France Charles VI. Pero Nio sillustra contre les Anglais en 1405-1406avant de revenir en Castille.

    Gutierre Daz consacre de longs dveloppements aux oprations mi-litaires sur mer auxquelles il a lui-mme particip, offrant ainsi un tmoignagede premire main. Plus qu la guerre, ltude sintressera aux aspects ma-ritimes du priple atlantique : navires, quipages, techniques de navigation,perception de lenvironnement marin5. Gutierre Daz nest pas un marin mais

    2 R. Beltrn (ed.),El Victorial. La 5e dition datant de 2005 sera prise pour rfrence. Pourle dtail des autres ditions castillanes voir: R. Beltrn (ed.),El Victorial, p. 150.

    3 A. de Circourt (d.),Le Victorial.4 M.T. Ferrer,Els corsaris castellans, pp. 265-338.5

    Lintrt du Victorialpour ltude de la navigation a t soulign par C. Martnez, Lanota marinera, pp. 15-43, et par J.-C. Cassard, chos ponantais dune navigation des galrescastillanes, pp. 237-239.

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    il sest familiaris avec le monde de la mer en servant sous les ordres de PeroNio. Prcis et bien inform, il rend compte de lunivers maritime dans le-quel il volue. Pour autant son tmoignage ne suffit pas pallier le manquedcrits provenant des gens de mer et, par sa raret, il souligne le dficit do-cumentaire plus accus pour les mers du Ponant que pour la Mditerrane6.Embarqu comme homme darmes7, cest un tmoin et non un acteur directde la conduite des navires au mme titre que dautres voyageurs, plerins8ouambassadeurs9, qui ont racont leurs traverses maritimes. Son rcit, centrsur les faits darmes de son matre, capte la vie en mer de faon slective etnest en aucune manire un journal de bord tel que laurait tenu un marin,

    lexemple de celui de Luca di Maso degli Albizzi10. Si ce ntait le dnoue-ment tragique du priple atlantique de la Querinaen 1431, ajout au fait quilsagissait dune nef marchande et non dune galre, la narration de Pietro Que-rini dune part, et celle de Cristoforo Fiorante et Nicol de Michiel dautrepart offrent des similitudes avec la relation de Gutierre Daz tant dans la formeque dans le contenu. Celle-ci sen dmarque cependant dans la mesure o ellenarre les aventures de trois galres castillanes armes en guerre et envoyesdans les mers du Ponant pour y mener des oprations militaires. Cette missiondonne la navigation un tour particulier sans pour autant estomper le contexte

    nautique plus gnral que tout navire croisant dans les eaux du proche Atlan-tique rencontrait la fin du Moyen ge.

    6 la faveur de sources abondantes et dtailles, les navires, les gens de mer et la naviga-tion en Mditerrane la fin du Moyen ge et au dbut de lpoque moderne ont fait lobjetde nombreux travaux. Le dsquilibre des connaissances avec les mers du Ponant, moins biendocumentes et, de ce fait, moins tudies, est en ltat des recherches tellement important quetoute comparaison un tant soit peu systmatique entre ces deux mondes maritimes bute surle foss historiographique qui les spare. Sauf lire lhistoire maritime atlantique au seul prismedes connaissances acquises sur la Mditerrane, il importe dabord de rsorber lcart et, pourcela, de multiplier les tudes de cas avant de pouvoir envisager des comparaisons. Dans cetteperspective, le souci dexploiter au mieux les informations fournies par Gutierre Daz nous aconduit nous centrer sur la navigation atlantique de Pero Nio dont ltude occupe lessentielde lespace du prsent article qui, tout en tant apprciable, nen est pas moins contraint pardes normes ditoriales. La place faite aux comparaisons en est donc rduite. Cela ne concernepas la seule Mditerrane, car il aurait fallu intgrer aussi les informations fournies par dautresrcits de navigation atlantique disponibles pour le XVe sicle. Nous nous en tiendrons donc leplus souvent des renvois bibliographiques.

    7 R. Beltrn (ed.), El Victorial, p. 119. Gutierre Daz pourrait avoir rempli les fonctionsdcrivain du bord, ce qui le plaait dans une situation privilgie pour conserver le souvenirdes faits et gestes de Pero Nio.

    8 A. Pouget-Tolu,Navires et navigation. En dpit de son titre gnral, cette tude traiteexclusivement de la navigation en Mditerrane daprs les rcits de plerins.

    9 M. Bochaca, Sea Travel at the End of Middle Ages, pp. 436-447. Idem,Navigation entrela France et lcosse, pp. 35-54. Idem, Un voyage par mer dAngleterre Bordeaux et retouren 1442-1443,pp. 369-388.

    10 M.E. Mallett, The Florentine Galleys, pp. 207-275.

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    LeVictorialfournit avecLe Canarien, dont il est contemporain11, undes plus anciens rcits de navigation atlantique conservs pour le bas Moyenge europen12. Mais ces deux expditions diffrent dans leurs buts et lesmoyens navals mis en uvre. Contrairement Jean de Bthencourt, Pero Niodisposait de galres et non de nefs. Ces dernires taient considres commemieux adaptes la navigation atlantique. Gutierre Daz souligne les dangersque les galres couraient. Pourtant, depuis le XIVe sicle des galres vni-tiennes, pisanes, florentines et majorquines saventuraient rgulirement horsde la Mditerrane pour rallier les ports de Flandre et dAngleterre. Les ga-lres ont surtout t tudies dans leur environnement mditerranen13. Leur

    prsence sur les mers du Ponant a retenu lattention un degr moindre etsouvent pour une priode plus tardive14. Au regard des tmoignages du Flo-rentin Luca di Maso degli Albizzi et des Vnitiens Pietro Querini, CristoforoFioravante et Nicol de MichielLe Victorialoffre un rcit de navigation atlan-tique un peu plus prcoce et donne la parole un Castillan, cest--dire unreprsentant dune autre nation la vocation maritime affirme.

    2. UNEXEMPLEDENAVIGATIONATLANTIQUE

    Alors que Gutierre Daz situe avec une relative prcision gogra-phique les dplacements par mer de Pero Nio entre la Castille, la France etlAngleterre, leur chronologie se rduit une succession de faits non dats.On peut cependant ordonner les oprations navales en quatre grandes phases.Les trois premires se droulent du printemps lautomne 140515: prparatifsde dpart, navigation dans le golfe de Gascogne, premier raid sur les ctesanglaises, tandis que la dernire a lieu de lt lautomne 1406 : second raidsur les ctes anglaises et retour en Castille.

    11 E. Aznar et al.(eds.),Le Canarien ; E. Aznar et al.(eds.),Le livre nommLe Canarien.12 Nous ne prenons pas ici en compte les Vies des saints du haut Moyen ge qui, tel Bren-

    dan, navigurent au cours de leurperegrinatio Christi, ni les sagas scandinaves.13 Faute de place nous reverrons aux tudes les plus significatives au fil de larticle.14 E. Fasano-Guarini, Au XVIe sicle : comment naviguent les galres, pp. 279-296.

    R. Gonzlez, Las galeras mercantiles de Florencia, pp. 125-149. Idem, Corso, comercio ynavegacin, pp. 61-95. R.S. Lopez,Majorcans and Genoese, pp. 1163-1179. M.E. Mallett, TheFlorentine Galleys. A. Ortega, Viajes a Flandes e Inglaterra, pp. 229-249. Idem,Navegacinmediterrnea por el Atlntico, pp. 45-60. A. Tenenti, C. Vivanti, Le film dun grand systmede navigation, pp. 83-86. U. Tucci, Sur la pratique vnitienne de la navigation, pp. 72-86.W.B. Watson, The Structure of the Florentine Galley Trade, pp. 1073-1091.

    15 R. Beltrn (ed.),El Victorial, pp. 39-48. P. Prtou,Nio, don Pero, pp. 586-587.

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    2.1. Les prparatifs de dpart

    en croire Gutierre Daz, Pero Nio se borne obir aux ordresdHenri III et ne semble pas prendre une part directe larmement des trois ga-lres dont le roi lui confie le commandement : il [le roi]en hte fit armer troisgalres Santander(p. 206)16; L il [P. Nio]trouva les galres armes debons marins et de rameurs, les meilleurs que lon ait pu runir(p. 207). Le roilui a fourni avant son dpart de la cour les choses ncessaires trs largementet comme il avait coutume de le faire : des armes, des arbaltes et beaucoupde couronnes. Il lui donna jusqu des arbaltriers de sa maison pour monter

    sur les galres(p. 207). Henri III rpond la sollicitation de Charles VI de luienvoyer suivant les traits de fraternit qui existaient entre eux, des secoursde galres, nefs et gens de guerre(p. 206)17. Laide militaire castillane, essen-tiellement navale, a pris des formes diffrentes : mise disposition dune flotteroyale pour un temps dtermin18ou envoi dune armadapaye par le roi deFrance19. Lexpdition conduite par Pero Nio relve du second cas. Henri IIIfournit trois galres armes et avitailles au dpart de la Castille et il facilitele recrutement des quipages, tant gens de mer quhommes darmes, dont ilpaye la premire solde. Son rle sarrte l, le roi de France assumant lentre-

    tien de cettefl

    otte durant les oprations. La Chroniquene livre aucun dtailsur les engagements financiers qui incombaient au roi de France20. Pero Nioprit sans doute une part plus active aux prparatifs que Gutierre Daz ne le dit. son dpart de la cour Henri III lavait pourvu de beaucoup de couronnes(p. 207), vraisemblablement employes pour payer lquipement des navireset/ou la premire solde.

    Le choix de Santander comme base de dpart est un fait conjonctu-rel : il [le roi] ordonna darmer la flotte Sville. Mais comme les galres deSville ne pouvaient arriver que tardivement cause de la distance, il en fitarmer trois Santander(p. 206). Le gros de la flotte de galres stationnait

    16 Afin dallger les notes les rfrences sont indiques dans le texte. Les numros de pagesrenvoient ldition dA. de Circourt et de Puymaigre, consultable en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1053820 [accs : 03/09/2011]

    17 G. Daumet,tude sur lalliance de la France et de la Castille.18 L. Surez,Navegacin y comercio en el Golfo de Vizcaya. Appendice, n X, 12 juin 1388,

    flotte conjointe de la Castille et de la France, paye moiti.19 Las Partidasdistinguent la flota, galres et nefs servant le roi sur le modle de lost te-

    rrestre, de larmada, groupe de navires rassembls pour loccasion.20 Fin 1405-dbut 1406, Pero Nio, qui avait dj dpens largent quil avait emport de

    Castille, ne russit pas se faire payer ses gages malgr ses protestations devant le conseil du

    roi de France. Il avait emprunt de largent des marchands pour lhivernage de ses galres(pp. 326-328). Faute de moyens financiers, il ne put aider Charles de Savoisy qui se retira delexpdition en 1406 (p. 387).

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    Sville21, mais Henri III savait quil pouvait en quiper dautres Santander22.Cet arsenal, de petite taille, comptait 4 nefs (emplacements couverts) contre17 pour celui de Sville23. Il ne pouvait pas offrir les mmes possibilits, dau-tant que les galres reprsentaient une faible part des navires atlantiques mo-bilisables24. Le choix de Santander tient aussi sa proximit avec les futursthtres doprations. Lenvoi de galres depuis Sville, outre lallongementdu voyage, ntait pas exempt de dangers. Bien quune trve ait t signeavec le Portugal en 1399, lhostilit persistait entre les deux royaumes25. Parailleurs, les corsaires anglais svissaient le long des ctes ibriques, en par-ticulier en Galice26. Paralllement aux trois galres de Pero Nio, la concen-

    tration de nefs sous les ordres de Martn Ruiz de Avendao tmoignait de laprpondrance de la cte cantabrique pour la mobilisation de voiliers (barcosmancos) au service de la politique navale du roi de Castille.

    Pero Nio ne sen remet pas au seul bon vouloir du roi et ne se can-tonne pas un rle passif. La prsence dun arsenal assurait lentrepriselappui dofficiers royaux. Une fois nomm, le commissaire royal enrlait leshommes darmes dont il avait besoin, sans tre soumis au contrle de lamiralou de toute autre autorit. Sa latitude tait plus rduite pour recruter marinset rameurs qui taient fournis par les officiers de larsenal. En revanche, il lui

    appartenait de nommer les patrons. Pero Nio choisit ses deux seconds parmises gentilshommes forms la guerre: il donna lune Fernando Nio, soncousin27, lautre Gonzalo Gutierrez de la Calleja28(p. 207). Le fait quil tait

    21 E. Aznar,La organizacin de la flota real de Castilla, pp. 323-325. Idem, La guerranaval en Castilla, pp. 167-192.

    22 L. Fernndez, Santander : una ciudad medieval, pp. 380-384.23 G. Braun, Civitates orbis terrarum, vol. II, pl. 9, Santander. Ldifice est en ruine mais

    les arcs des 4 nefs sont visibles.24 Archivo General de Simancas, Estado (Castilla), leg. 1, 2, n 122, 4 septembre 1484,

    dclaration de Pedro Garca de Argumedo, voisin du Port de Santa Mara, sur lorganisation desarmadas. une date inconnue, sans doute 1419 ou 1420, une armadade 20 galres fut quipepour soutenir la France contre lAngleterre, dont 16 de Sville et 4 de Santander. La campagnede Pero Nio en 1404-1405 montre que larsenal de Sville jouait un rle important dans lesoprations mditerranennes.

    25 En 1406, Pero Nio fait valoir cette trve pour dissuader Charles de Savoisy dattaquerquatre nefs portugaises devant lcluse (p. 372).

    26 La trve entre la Castille et lAngleterre expira le 24 juin 1404, ce qui permit aux Anglais,dont Harry Pay, de multiplier les attaques.

    27 Fils de Rodrigo Nio et cousin de Pero Nio qui lui confia le commandement dunedes deux galres lors de lexpdition en Mditerrane. J. de Vargas, Vida de don Pedro Nio,Appendice, n 5 et notes; A. Franco,LosNio, pp. 127-213.

    28 Lope Garca de Salazar crit dans le livre XXI de ses Bienandanzas e Fortunas : el

    linaje de la Calleja su fundamento fue de unas casas que son aerca de Santander, que llamanla Calleja, e de l suedieron los de la Calleja, que valieron mucho, pero siempre fueron obe-dientes a los dEscalante e los catavan mejora. E destos, del que ay mayor memoria que ms

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    regard dans cette contre comme un des seigneurs natifs, du chef de sa mre,qui tait de la maison de la Vega, lui permit de recruter des troupes : ilfit venirdes gens de terre et choisit les meilleurs arbaltriers quil put engager, et debons hommes darmes propres laider au fait o il tait commis(p. 207).Il est possible que Gonzalo Gutierrez de la Calleja, un bon gentilhomme du

    pays, lui ait servi sur place de relais. Lenrlement dquipage la guerre nediffrait pas de celui des hommes embarqus au commerce ou la pche29.Le nom et la renomme du matre de navire, tenus pour des gages du succsde lentreprise, permettaient de tirer parti des rseaux de relations fonds surla proximit gographique. On peut penser que ce sont des Cantabres qui ont

    fourni le gros des hommes embarqus par Pero Nio, tant gens de mer (marinset rameurs) que soldats, attirs par laventure et lespoir de butin.

    2.2. La navigation dans le golfe de Gascogne

    Rien nest dit des trois galres armes Santander, dont on neconnat pas mme les noms. Tout au plus peut-on glaner quelques dtailstechniques au fil de la narration de Gutierre Daz. Fidle aux ordres reus,Pero Nio navigue dabord le long de la cte cantabrique la recherche desnefs commandes par Martn Ruz de Avendao. Il les cherche en vain

    Laredo, Castro[Urdiales] et San Vicente[de la Barquera] (p. 208), alorsquelles taient Santoa, port situ juste en face de Laredo. Puis il se rend Pasajes, do il appareille pour la France. On peut sinterroger sur ces alleset venues et sur ce rendez-vous manqu avec Martn Ruz de Avendao enviolation des ordres donns par Henri III qui avait expressment commandaux deux capitaines de sattendre et de naviguer de conserve (p. 207). Lenarrateur donne le beau rle Pero Nio et rejette la faute sur le Biscayen.Il nest pas sans ignorer quil aurait t difficile de maintenir le contact en mer

    en raison de caractristiques nautiques diffrentes : encore que nefs et galresne puissent se tenir ensemble, puisque chaque nuit les galres cherchent laterre tandis que les nefs tiennent le large, moins quil ne soit convenu queles unes et les autres devront sattendre dans un mme port (pp. 206-207).Contrairement aux nefs, plus aptes naviguer en haute mer, les galres, dufait de leur faible tirant deau et de lutilisation des rames, serraient la cte

    vali fue Gonzalo Gutierrez de la Calleja, el que fue ome honrado. E fue criado de Juan Guti-rrez dEscalante e ovo mucho bien de l. Sur les lignages aristocratiques de Santander voir :J.A. Solrzano, Santander en la Edad Media.

    29 B. Arzaga, La pesca en el Pas Vasco, pp. 3-28. Eadem, Las actividades econmicas,pp.195-243.

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    de prs o elles rencontraient des eaux et des vents plus calmes30. Elles pre-naient plus volontiers un mouillage pour passer la nuit.

    Attendant Pasajesjusqu ce que sleva un vent de terre bon pourfranchir la mer dEspagne et aller droit La Rochelle, les galres partirentseules pour la France (p. 208). De ce point de vue, la flottille se comportecomme des navires naviguant au commerce en appareillant du premier tempsconvenableselon lexpression consacre31. On peut imaginer que la dcisionappartenait aux matres des galres. Une fois en haute mer les conditions m-torologiques changent. Avanant tour tour la voile et la rame ou em-ployant conjointement les deux modes de propulsion, les galres affrontent

    de forts vents douest, sans doute accompagns de houles de mme secteur,qui menacent de les drosser la cte. Lle de R est enfin reconnue. Aprsles dangers et les privations de la traverse, elle apparat comme une terrepromise trs abondante en vivres, en vaches, brebis, pain, vin et fruits(p. 210)et sert damer pour gagner La Rochelle32. Gutierre Daz ntant gure prcisquant la chronologie, il est difficile de dterminer la dure exacte de la tra-verse Pasajes-La Rochelle (pp. 208-210).

    Utilisant La Rochelle comme base dopration, Pero Nio tente uncoup de main sur Bordeaux aussi tmraire que spectaculaire, bien dans les-prit de sa qute de renomme chevaleresque. Gutierre Daz consacre un long

    dveloppement ce raid dont leffet fut plus psychologique que militaire enmontrant que la capitale du duch dAquitaine ntait pas labri dune at-taque (pp. 266-269). Pero Nio se faufile avec ses trois galres dans les passesde la Gironde jusqu Royan puis Talmont. Renforc par des hommes darmesfranais et deux chaloupes, dont on peut penser quelles lui servirent de guide,il remonte lestuaire puis la Garonne, de nuit en saidant du courant de flot,et parvient au matin prs de Bordeaux sans se faire reprer. Mais au lieu defondre sur les bateaux ancrs devant Bordeaux en profitant de leffet de sur-prise, les hommes dbarquent avant la ville pourpiller plusieurs maisons qui

    se trouvaient sur les bords du fleuve (p. 267)33

    . Lalarme ayant t donneet ladversaire commenant sorganiser, Pero Nio prfre rembarquer ses

    30 E. Aznar et al.,Le Canarien, vol.I, pp. 119 et 216, notice duLibro del conocimiento :desde el Cabo Bojador hasta el Ro de Oro slo se cuentan unas 860 millas, que equivalenaproximadamente a 150 leguas () siendo tres das de navegacin para un barco o para unanave, pues las galeras, que navegan siempre costeando, hacen una ruta ms larga.

    31 M. Bochaca, M. Tranchant,Du golfe de Gascogne la Picardie, p. 141.32 B. Arzaga, M. Bochaca, Savoir nautique et navigation dans le golfe de Gascogne, pp.

    91-107.33 Lendroit exact de la descente terre est inconnu. Sagit-il du faubourg des Chartrons ou

    plus vraisemblablement, comme le suggre Guilhem Ppin, qui date lattaque du 26 septembre,de secteurs ruraux situs 3 4 kilomtres en aval de Bordeaux? Voir : G. Ppin, The FrenchOffensive of 1404-1407, pp. 14-15.

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    hommes plutt que daffronter les Anglo-Gascons, plus nombreux et connais-sant mieux le fleuve. La sortie de lestuaire faillit tourner au drame en rai-son des mauvaises conditions de mer et de vent qui empchent les galres deprogresser. Lune delles se met en travers des lames et menace de sombrer. cela sajoute la crainte dtre surpris dans cette mauvaise posture par uneflotte anglaise venant du large. On ignore si cette menace est relle ou si elleest mise en avant des fins de dramatisation du rcit. Les galres russissent se dgager et, longeant la cte saintongeaise, elles rallient La Rochelle saineset sauves.

    son retour La Rochelle, Pero Nio reoit le renfort dun gentil-

    homme franais, Charles de Savoisy, qui a arm en guerre ses frais deuxgalres (pp. 270-271)34. La recherche du butin comme ressource conomiquetait essentielle. Elle explique la participation volontaire de Charles de Sa-voisy lentreprise de Pero Nio comme plus tard ladjonction dquipagesnormands35. Sous couvert de la guerre avec lAngleterre et du service du roide France, ces particuliers arment des navires en esprant raliser des profitsgrce aux prises faires en mer sur lennemi.

    Cest une flottille de cinq galres qui appareille de La Rochellesous le commandement de Pero Nio. Longeant la cte du Bas Poitou, ellepasse devant Olron et Olonne36puis traverse lembouchure de la Loire pour

    mouiller Gurande (p. 271). Reprenant la mer, elle double Belle le et faitescale Brest. Pero Nio y rencontre Martn Ruz de Avendao et, selonGutierre Daz, une violente altercation oppose les deux hommes (pp. 273-274). Deux conceptions irrconciliables saffrontent. Elles pousent le cli-vage entre nobles et gens du commun quincarnent les deux capitaines etsarticulent autour du clich quelque peu manichen du service du roi et dela recherche dsintresse de lhonneur pour les premiers face la qute duprofit conomique personnel pour les seconds. On peut penser que la missiondAvendao tait diffrente de celle de Pero Nio. Au-del de lappui naval

    la France, elle visait protger les intrts castillans sur la route menanten Flandre en prvenant les attaques des Anglais37. Avendao ne pouvait pas

    34 En juillet 1404, une rixe opposa des coliers des serviteurs de Charles de Savoisy(v. 1390-1420), noble bourguignon, chambellan de Charles VI. Luniversit de Paris portaplainte mais ne put obtenir rparation. Le duc dOrlans protgeait C. de Savoisy et le Parle-ment jugea la plainte irrecevable. Le roi recouvra la raison en aot et la situation se retourna auprofit de lUniversit. Condamn payer une amende, C. de Savoisy partit en exil.

    35 E. Aznar,La guerra naval, p. 178. Des Catalans se joignent Pero Nio en 1404 lors desa campagne en Mditerrane.

    36 G. Daz inverse lordre des deux amers.37

    L. Surez,Navegacin y comercio, p. 87. Les Castillans appuyaient la France, mais leurprincipal objectif tait la ruine de la Hanse, allie de lAngleterre. Une fois ce but atteint, lesrelations franco-castillanes se refroidirent.

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    accompagner Pero Nio dans ses raids sur la cte anglaise. Non sans mau-vaise foi, Gutierre Daz fait mine dignorer les tats de service du capitainebiscayen qui stait illustr sur mer38. Lorsque les deux hommes se retrouvent Harfleur au dbut de lhiver 1405-1406, Pero Nio lui reproche nouveausa conduite (p. 315).

    2.3. Les oprations navales en Manche et le retour en Castille

    Appareillant de Brest, Pero Nio et Charles de Savoisy doublent

    la pointe Saint-Mathieu et dbouchent dans la Manche (pp. 271-273). Sur-prises par une violente tempte, les galres se dispersent et perdent le contact(pp. 276-278). Celle de Pero Nio trouve refuge lAber-Wrach39(p. 278),bientt rejointe par la deuxime galre de Charles de Savoisy (p. 279). Cher-chant Pero Nio de port en port les trois autres galres rallient peu peulAber-Wrach. Il faut nanmoins quinze jours pour que la flottille soit nou-veau runie au complet. On dplore des pertes humaines et des rparationssont ncessaires.

    Pero Nio reprend la mer et se dirige vers la Cornouaille. Il capturequelques barques de pche dont les hommes lui fournissent des indications(p. 281). Une descente terre lui permet de piller Saint-Yves et de capturerdans le port deux navires qui sont envoys Harfleur (pp. 281-282). Les An-glais tant sur leurs gardes, ils ne peuvent dbarquer Dartmouth (p. 283).Le refus de Charles de Savoisy de tenter un coup de force entrane un re-froidissement des relations avec Pero Nio. Finalement les deux hommes serconcilient (p. 287). Ils longent Plymouth mais ne trouvent pas dendroitfavorable pour dbarquer (p. 294). Il en est de mme devant Exeter (p. 295).Lexpdition a plus de chance avec lle de Portland qui est mise sac (pp. 296-299). Les galres longent ensuite la cte et reconnaissant les portsen faisant

    de brves escales pour se ravitailler et piller :Les gens des galres descendirent terre pour faire de leau etdu bois et voyant des troupeaux de vaches et de moutons, ils senemparrent et en turent pour leur provision. Ils sen allaient ain-si le long de la cte, brlant chaque jour et pillant beaucoup demaisons, emportant toffes et hardes ; et ils avaient de frquentesescarmouches avec les habitants de ce pays (pp. 299-300).

    38 E. Garca,El linaje Avendao, pp. 527-561. Martn Ruiz de Avendao, li plusieurs ami-raux de Castille, participa diverses expditions navales depuis Lanzarote jusqu la Flandre.

    39 Fleuve ctier du nord de la Bretagne.

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    Arrivs devant Poole, Pero Nio exerce un droit de vengeance contreHarry Pay, marin anglais originaire de cette ville, qui avait ravag la cte dela Galice et qui sen prenait aux navires castillans passant en Manche40. LesCastillans descendent terre pour brler la ville. Mal soutenu par Charlesde Savoisy qui tarde dbarquer ses hommes, ils lemportent nanmoins surles Anglais accourus en nombre. Le frre dHarry Pay figure parmi les morts(pp. 300-306).

    La flottille poursuit sa route jusqu Southampton mais les troupesdbarques sur lle de Wight doivent se retirer devant les hommes darmesanglais (pp. 312-314). Pero Nio se rsout alors rentrer en France et gagne le

    port dHarfleur (pp. 314-315). Une tentative de reprendre la mer avec lappuide trois baleiniers franais tourne court cause du mauvais temps. Aprs avoirsjourn Harfleur, Pero Nio dcide dhiverner plus lintrieur des terres, Rouen, o le clos des gales du roi de France lui permet de rparer ses navireset de les dsarmer en toute scurit41.

    Pero Nio passe lhiver 1405-1406 Paris, o il apparat la cour duCharles VI (pp. 317-363). Il retourne Rouen vraisemblablement au dbutdu printemps 1406 o il retrouve ses galres et ses quipages avant de gagnerHarfleur (pp. 363-364). La flottille, compose des trois galres castillanes, des

    deux galres de Charles de Savoisy et de deux baleiniers franais, longe lacte du pays de Caux et va mouiller au Crotoy en Picardie o elle complteson avitaillement (p. 366). Elle se dirige ensuite vers Abbeville en Ponthieu(pp. 367-368). Pero Nio et Charles de Savoisy, informs que les Anglaisse tenaient sur leurs gardes en Cornouaille, dcident dattaquer lautre ctedAngleterre quon appelle devers le nord(p. 369).

    Une tempte les surprend alors quils traversent la Manche (p. 369).Ils paraissent devant Orwell, prs dIpswich (pp. 370-371) et essuient unenouvelle tempte (pp. 371-372). Aprs une escale force Lcluse (p. 372)la flottille croise devant Calais (p. 373) avant de rencontrer au large dAm-bleteuse une flotte anglaise commande par Harry Pay laquelle Pero Nio,contre lavis de Charles de Savoisy, livre bataille (pp. 374-379). Le manque devent donne dabord lavantage aux galres, avant que la brise ne se lve obli-geant Pero Nio rompre lengagement sans avoir eu le temps de remporterun succs dcisif. De retour au Crotoy, il y reste bloqu un mois par le mau-

    40 P. Prtou, Pay, Harry, pp. 619-620. J. Eddison,Medieval Pirates, pp. 131-135.41 Rouen () est bien fournie de toutes les choses dont les galres avaient besoin ()

    Le roi de France avait l, de lautre ct du fleuve, un arsenal qui contenait des galres et des

    tafores, qui sont de trs grandes galres emmenant sur mer chevaux et beaucoup de monde.Le capitaine fut log Rouen, dans un htel fort beau, et ses gens dans dautres auberges auxenvirons de sa demeure (pp. 316-317).

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    vais temps (pp. 386-387). Le dpart de Charles de Savoisy, court dargent42,est compens par le renfort de navires normands. Avec laide de Bretons ilpille lle de Jersey et signe son dernier fait darmes (pp. 388-408).

    En octobre 1406, Pero Nio quitte Brest pour la Castille o Henri IIIla rappel (pp. 409-410). Aprs un difficile franchissement des raz bretons(pp. 411-412), les trois galres se ravitaillent La Rochelle avant dentre-prendre la traverse du golfe de Gascogne. Elles rencontrent en mer deux nefsqui transportent une ambassade franaise en route pour la Castille. Ayant pris son bord les deux ambassadeurs, Pero Nio fait escale Pasajes avant degagner Santander o prennent fin ses aventures maritimes (pp. 424-427).

    3. LESGALRESDEPERONIO

    Lintrt du rcit de Gutierre Daz est de fournir des renseignementstechniques sur les galres, leurs quipages et la manire dont elles manu-vrent, enfin sur le commandement de larmada et sur la direction des opra-tions militaires.

    3.1. Des navires de guerre entraperus au dtour de dtailstechniques

    Comme en Mditerrane en 1404-1405, Pero Nio utilise des galrespour son expdition atlantique, navires de guerre par excellence dont le rleest cependant all dcroissant au cours du XVe sicle43. La galre mdivale,embarcation mixte combinant la propulsion la voile et la rame, reprsenteune volution de la navis longaantique44. Sa longueur ne pouvait excder 40mtres pour garantir la rsistance de la coque la flexion sous leffet des va-gues. La stabilit fut amliore par la rduction du nombre de files de rameursqui, de trois sur les galres antiques, passa deux sur les dromonsbyzantins

    42 La raison vritable semble autre. C. de Savoisy, rentr en grce, rapparat la cour deFrance en septembre 1406.

    43 D. de Valera,Epstolas de mosn Diego de Valera, n XXI, pp. 72-82 ; M. Jimnez deLa Espada,La Guerra del Moro a fines del siglo XV, pp. 171-212. Valera suggre une escadreforme par 2 caraques de plus de 500 tonneaux ou une de plus de 600, 2 nefs de 250 tonneaux,2 baleiniers de 60 ou 80 tonneaux, 6 caravelles latines et, pendant lt, 4 galiotes. la placedes galres, coteuses et qui ne peuvent servir en hiver, priode durant laquelle il est importantde surveiller les Maures, il propose dutiliser des caravelles en hiver et des galiotes en t,seules capables dintercepter les petits navires.

    44 L.M. Coin,Innovaciones tecnolgicas en los sistemas de navegacin, pp. 139-146.

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    puis une sur les galres occidentales mdivales. Le gain de stabilit com-bin lutilisation de la voile latine permit damliorer la marche la voileavec un vent portant.

    Le Victorialoffre une vision fugace et partielle des trois galres cas-tillanes. Elles ne sont aucun moment dsignes par leur nom, pas plusdailleurs que ne sont nommes et mieux dcrites les deux galres de Charlesde Savoisy ou les baleiniers franais qui apportrent un soutien Pero Nio.Gutierre Daz parle toujours de faon impersonnelle des galres, au mieuxde la galre du capitaine lorsquil veut dsigner celle de Pero Nio (p. 275).Sa narration livre cependant de temps autre des dtails techniques. Il faut

    rappeler quil nest pas marin et que son propos nest pas de dcrire les na-vires, la faon de les manuvrer et la vie bord. La direction du vent ou desvagues est en gnral indique par rapport la partie de la coque expose auxlments : la proue, la poupe, une des deux joues ou les hanches45. La premiretempte essuye lentre de la Manche en 1405 donne lieu quelques d-veloppements o apparaissent le tillac et les coutilles fermant les chambressitues sous le pont o les personnes non ncessaires la manuvre ont prisplace. Les bancs des rameurs et une chaloupe, dont on comprend quelle taitarrime sur le pont, sont emports par des lames, ce qui souligne le peu deprotection dont bnficiaient les rameurs avant les amliorations apportes ausicle suivant sur les galasses (pp. 277-279)46. Lors du retour vers la Castille,le passage mouvement des raz bretons en octobre 1406 oblige envoyer toutle monde sous le pont et fermer les coutilles (p. 412).

    La description du mode de propulsion est plus prcise. Lorsque lesconditions de mer et de vent le permettaient, les galres naviguaient la voilece qui conomisait les rameurs47. Trois types de voiles sont cits : btarde, mi-saine et artimon, mais on dduit de leur utilisation que les galres portaient deuxmts seulement. Il sagissait de voiles latines, de forme triangulaire, gres surdes antennes (p. 316). Les deux premires taient employes seules ou asso-

    cies lutilisation des rames. Gutierre Daz mentionne par deux fois lassocia-tion de la btarde avec la misaine, une combinaison qui semble correspondre de bonnes conditions de mer et de vent : on hissa les btardes et les misaines etlon marcha tout le jour au grand largue, faisant route vers louest(p. 208) ;Les

    45 Une forte brise qui venait du ct des nes prenant les galres par la proue (p. 268) ;le vent frachit et devint contraire, donnant mi-proue (p. 275) ; Et il en venait de si hautes[vagues] par la poupe, que quelques-unes entraient dans la galre (p. 278) ; le vent soufflantde louest par la joue des galres (pp. 275-276) ; Les vagues taient si fortes quelles frap-paient les hanches de la galre (p. 277).

    46 Pero Nio fait distribuer du vin aux hommes sur la coursive (p. 375).47 Le vent soufflant de louest par la joue des galres on hissa les voiles et on eut beau

    temps (pp. 275-276).

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    galres partirent de l et eurent mer calme et bon vent pour leur voyage. Ellesnavigurent sous la btarde et la misaine, par moments la rame(p. 280). Lesmentions de lartimon sont associes des conditions de fort vent. Cette voiletait employe seule, hisse sur le mt de misaine, aussi appel artimon sur lesgalres : alors le vent frachit et devint contraire, donnant mi-proue, on hissales artimons et lon tablit les gouvernails(p. 276) ;Ils guindrent les artimonset rentrrent les avirons. Le vent tait au sud-est, les galres lavaient en poupeetfilaient rapidement(p. 369). Les renseignements sur la manuvre des voilessont rares. Lors de la premire tempte subie en Manche en 1405, la formule :il ny avait pas de voile hisse plus haut que la taille dun hommeindique que

    lantenne tait calle bas, avec une possible rduction de la voilure par prisede ris, afin de garder le navire manuvrable tout en rduisant la composante degte et le risque denfournement par la proue (p. 277). En 1406, pour franchirles raz bretons alors que le courant tait contraire au vent, les patrons ont faithisser toute la toile possible et fait filer les coutes afin de forcer le passage auportant48. Sous voile, les galres taient gouvernes au moyen de deux rames la-trales, ou timones, places prs de la poupe et qui permettaient de les dirigermme avec peu derre, contrairement aux voiliers qui ncessitaient de la vitessepour que leur gouvernail dtambot soit efficace (pp. 276, 281).

    Les galres utilisent parfois simultanment les deux modes de pro-pulsion : ds laube jusqu lheure de vpres on fit force de rames et devoiles(p. 210). Mais cest lalternance qui semble le plus souvent de mise afindadapter la marche aux conditions mtorologiques :

    le vent soufflant de louest par la joue des galres on hissa lesvoiles et on eut beau temps. Le jour venu le vent se calma, onborda les avirons et lon rama jusquau soir ; alors le vent frachitet devint contraire, donnant mi-proue, on hissa les artimons etlon tablit les gouvernails (pp. 275-276);

    Les galres partirent de l et eurent mer calme et bon vent pourleur voyage. Elles navigurent sous la btarde et la misaine, parmoments la rame (p. 280).

    Les rames taient employes pour pallier labsence de vent : Lejour venu le vent se calma, on borda les avirons et lon rama jusquau soir(p. 276). Elles servaient aussi affronter des situations adverses. Les galresse dgagrent la force des rames de la cte gasconne (p. 209) et du golfedExeter (p. 295). La sortie de la Gironde fut particulirement laborieuse :

    48 Le vent tait trs fort en poupe et luttait contre le courant sur la proue () Toutes lesvoiles taient dehors, les poges files (pp. 409-410).

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    Le soir les galres retournrent Talmont et ne cessrent pas deramer toute la nuit, car il stait lev une forte brise qui venaitdu ct des nes prenant les galres par la proue () on fai-sait grande force pour gagner la haute mer () On resta ainsiluttant contre le vent et le courant pendant bien deux heures, etsans avancer beaucoup (pp. 268-269).

    Les efforts produits pendant une priode prolonge obligeaient m-nager des temps de repos pour les rameurs : Les galres sortirent du port aucommencement de la nuit. Pendant tout le premier quart elles firent rames

    pour gagner la haute mer ()et mouillrent ensuite jusquau quart de laube

    pour laisser reposer le monde(p. 275).Obliges de serrer la cte de prs pour bnficier de conditions demer et de vent calmes et tenues des haltes frquentes, les galres prenaientrgulirement un mouillage o elles se tenaient lancre (pp. 278, 366, 411).Ne pouvant entrer Pasajes cause de la nuit et du mauvais temps, ellesmouillentpar soixante brasses de fond et passrent toute la nuit empenne-ler des ancres et rafrachir les cbles49, car le grand vent les faisait chasser(p. 427). Une fois elles attendent sur un grappin(p. 275), employ aussi pourlabordage dun autre navire (p. 378).

    3.2. quipages et manuvre des navires

    Le nombre dhommes dont Pero Nio disposait au dpart de San-tander sur ses trois galres, tant gens de mer que de guerre, est inconnu. In-dpendamment de renforts embarqus ponctuellement Royan et Talmontavant la remonte de la Garonne jusqu Bordeaux (p. 266), ou de lappointen hommes et en navires fourni par Charles de Savoisy, par des Normandset par des Bretons, on ignore si Pero Nio a cherch combler les pertes

    causes parmi les Castillans par la maladie, des accidents survenus en mer etdes morts au combat. Aprs avoir mis des marins bord des navires capturs Saint-Yves pour les convoyer jusqu Harfleur, il est priv de ces hommesdurant toute la suite du raid de 1405 sur les ctes anglaises (p. 282). Les a-t-ilrincorpors par la suite ? On entrevoit deux catgories de personnes borddes galres, elles mmes subdivises en plusieurs groupes. Il y a dabord lesgens de mer desquels dpendent la bonne marche des galres, tant la voilequ la rame, et qui incombe la navigation. Viennent ensuite les gens de

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    Lempennelage consiste placer une deuxime ancre sur un orinfi

    x au bout de lancreprincipale afin damliorer sa tenue. On filait aussi le cble de mouillage (rafrachissement)pour quil tire sur lancre le plus possible lhorizontale.

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    guerre : Pero Nio et ses gentilshommes, des hommes darmes et desarbaltriers50.

    On peroit un net partage des tches et des responsabilits. PeroNio, en gnral en accord avec Charles de Savoisy, dcide de lendroit oil veut aller : en 1405 ils rsolurent entre eux de traverser la mer et passeren Angleterre(p. 275). Par contre la conduite et la manuvre des navires in-combent aux gens de mer. Ils dcident du moment pour appareiller Pasajes(p. 208) et Saint-Malo (p. 275). lAber-Wrach les marins examinrent letemps et le vent. Les galres partirent de l, et eurent mer calme et bon vent

    pour le voyage(p. 280). Leur avis lemporte en mer lorsque, lentre de la

    Manche, les conditions mtorologiques se dgradent. Gutierre Daz rapportela scne :

    Les apparences du temps taient mauvaises. Le patron regardaitde tous cts, le visage blme, soupirant, consultant la boussoleet la carte marine51; il parlait tout bas avec les marins et ceux-cistaient dj fait lestes. Le capitaine les considrait et voyait danstout cela des signes de tourmente. Il appela les marins au conseilet leur demanda ce que signifiaient ces changements ; le pilote luidit: Seigneur, laissez tout soin nous autres qui avons faire labesogne ; il ne vous servirait rien de lapprendre(p. 276).

    Le savoir nautique des gens de mer est plusieurs fois soulign etsimpose au moment darrter un choix tactique qui conditionne la marcheou la scurit des galres. Cela avait dj t le cas lors de la traverse Pa-sajes-La Rochelle alors que les vents et les courants douest poussaient versla cte gasconne :Les avis furent divers ()on conclut quil fallait ramertoujours pour slever au large(p. 209). Lors des prparatifs de dpart deLa Rochelle,

    messire Charles et ses gens de mer dirent ensuite quil y aurait

    grand danger courir sur le cap dOuessant parce quils pour-raient donner en pleine mer au milieu de la flotte anglaise et quesi le temps devenait mauvais il en rsulterait beaucoup de pril ;

    50 J.M. Marchena,La vida y los hombres de las galeras de Espaa ; F.F. Olesa,La galeraen la navegacin y el combate.

    51 Les rfrences ces deux instruments de navigation sont rares dans les sources crites dela fin du Moyen ge. Les cartes marines servaient se reprer en mer au cours dune navigation lestime. Ici, partir dune position peu prs connue, le matre et le pilote valuent lespacedont ils disposent pour prendre la cape ou mettre en fuite devant la tempte, dfaut de pour-voir trouver refuge dans un port. Les roses des vents figurant sur la carte leur indiquent le cap

    suivre (rumbs en ancien franais, rumbosen castillan), partir duquel ils peuvent diriger lesnavires au moyen de la boussole et calculer leur position en estimant la route parcourue. Voir :P. Gautier Dalch, Cartes marines, pp. 9-32, et R.J. Pujades i Bataller,Les cartes portolanes.

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    que si le capitaine le trouvait bon il serait prfrable de longer lesctes de Bretagne et quensuite on aurait faire une moins longuetraverse (p. 270).

    Charles de Savoisy ne faisait quappuyer loption propose par lesmarins de son bord.

    Les gens de mer chargs de la conduite des galres sont dsigns souslappellation gnrale de marins (marinerosou mareantes). Ils se rpartissenten plusieurs groupes. Les matres, patrons (p. 276) ou comitres (p. 310)taient les officiers chargs dentretenir et de diriger les galres royales. Lanavigation incombait aux pilotes (pilotosou lem[an]es), dont la fonction allaitau-del de celle de timoniers (p. 276). La capacit dinterprter les signes at-mosphriques faisait partie des connaissances nautiques des patrons et des pi-lotes. Avant dappareiller de Brest : ils examinrent le ciel ; les signes taient

    favorables : le soleil se coucha bien et la lune tait nouvelle de cinq jours ;elle avait une des pointes du croissant tourne vers la mer (p. 275)52. lafin de lautomne 1405, les pilotes et les patrons appels au conseil par PeroNio insistrent pour aller hiverner en France au nom darguments techniques(besoins de rparations, arrive des temptes et du froid) (p. 310). Enfin lesquipages se composent de matelots (p. 275) et de rameurs (p. 282) qui

    apparaissent peu dans la chronique. Les premiers prparent les galres lors delappareillage de Brest : le soir mme les matelots mirent toutes les choses enltat quil fallait pour naviguer(p. 275). Certains dentre eux montent borddes deux nefs captures Saint-Yves pour les conduire Harfleur (p. 283).

    La vie bord des galres nous chappe pour une large part dansla mesure o elle ne sert pas le propos de lauteur. En mer, en dehors desmanuvres la voile ou la rame, le rythme quotidien est rgl par lesquarts ou guettes53. En raison de la place limite bord des galres etdu nombre dhommes embarqus, lavitaillement en eau et en vivres est une

    proccupation constante. Ainsi, lors du raid de 1405 sur les ctes sud-ouest delAngleterre, les galres partant de l [Portland]sen furent longeant la cte etreconnaissant les ports. Les gens des galres descendirent pour faire de leau

    52 Un savoir nautique empirique avait permis dtablir une correspondance entre les phasesde la lune et le rgime des vents : comme on tait au premier quartier de la lune et que lesvents de la partie du Ponant pouvaient devenir assez violents (p. 209) ; une grande temptese prparait. La lune est nouvelle et dj avance dans son quartier ; le vent se met louest nord-ouest (p. 276).

    53 On navigua ainsi jusqu la seconde guette (p. 208) ; vers le quart du matin (p. 209) ;les galres quittrent Talmont la seconde guette de la nuit (p. 267) ; Les galres sortirent du

    port au commencement de la nuit. Pendant tout le premier quart ellesfi

    rent rames pour gagnerla haute mer () et mouillrent ensuite jusquau quart de laube pour laisser reposer le monde(p. 275).

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    et du bois, et voyant des troupeaux de vaches et de moutons, ils sen empa-rrent et en turent pour leur provision(pp. 299-300)54. Au retour en France,Pero Nio et Charles de Savoisy firent un dtour par Jersey et Guerneseyavant de regagner Harfleur, au motif quil y avait beaucoup de troupeaux dontelles [les galres]prirent le ncessaire pour se fournir de viande(p. 313)55. En1406, la flottille, qui a appareill de Harfleur, fait escale au Crotoy en Picardiepour complter son avitaillement avant de slancer vers la mer du Nord. Onapprend quils y firent provision deau, de biscuit et des autres choses dontils avaient besoin, formule malheureusement vasive (p. 366)56. Le retour enCastille saccompagne dune escale La Rochelle o Pero Nio fournit ses

    galres de toutes les choses quelles avaient perdues en mer, et au temps destourmentes. Le capitaine se munit deau et de vivres(pp. 424-425)57.

    Gutierre Daz nest gure plus disert sur les avaries survenues pen-dant la navigation et les rparations de fortune effectues en mer pour pour-suivre la route. Une fois encore, cest au caractre exceptionnel de la premiretempte en Manche en 1405 que nous devons davoir quelques informations.En dpit dune propension lexagration de la part du matre de la galre deCharles de Savoisy il avait cru voir le tillac aller dessous et la carne venirdessus, et quune fois il avait vu les toiles entre le tillac la coques de la galre

    (p. 279), les mesures prises par ce dernier pour empcher que son navire,malmen par les vagues, ne fasse eau sont instructives. Il fit ceinturer la coqueavec des cordages pour maintenir en place des paillets ou prlarts poss surles planches disjointes du bord afin daveugler les voies deau. Une fois lescinq navires regroups lAber-Wrach, on se mit raccommoder les galreset les pourvoir de tout ce qui tait ncessaire avant de reprendre la mer(p. 280). On ne sait rien des travaux dentretien qui ne manqurent pas dtreeffectus Rouen pendant lhiver 1405-1406. En octobre 1406, dans le razde Saint-Malo, la galre de Pero Nio perd brusquement sa voile, on pense la misaine, qui se dchire et dont lantenne se brise. Cela oblige border enhte les rames, le temps de hisser la btarde pour rendre le navire nouveaumanuvrable (p. 410).

    54 Pero Nio envisage un dbarquement Dartmouth pour se ravitailler en eau (p. 283).55 Lors de lattaque contre Bordeaux, les Castillans enlevrent du btail, vaches et brebis,

    et en gardrent ce dont ils avaient besoin (p. 267).56 En 1406, avant dengager le combat contre laflotte dHarry Pay, Pero Nio fait distribuer

    du vin pour animer ses hommes, une exception que note Gutierre Daz : parce que sur les ga-lres on fait abstinence de vin, et quand on en boit, on en boit peu (p. 375).

    57 Pour plus de prcisions sur lalimentation bord des navires la fin du Moyen

    ge il faut se tourner vers la Mditerrane : M. Balard, Biscotto, vino e topi, pp. 241-254;U. Tucci,Lalimentazione a bordo, pp. 599-618 ; M. Scarlatta,Lapprovvigionamento alimentare,pp. 305-310.

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    3.3. Commandement de la flotte et direction des oprationsmilitaires

    Pero Nio, officiellement investi par le roi de Castille du comman-dement des trois galres, est le chef militaire de lexpdition, raison pour la-quelle Gutierre Daz le dsigne par le titre de capitaine58. aucun moment ilnest fait allusion des instructions donnes par le roi de France59. La prsence La Rochelle des deux galres de Charles de Savoisy, banni de la cour lan-ne prcdente, et le renfort que celui-ci apporte Pero Nio sont-ils une pu-re concidence ? Aux dires de Gutierre Daz, Charles de Savoisy se serait plac

    volontairement sous les ordres de Pero Nio sans pour autant tre la soldede ce dernier :

    Quant messire Charles, il tait si courtois chevalier, quil con-sentit reconnatre Pero Nio pour capitaine, et il lui dit de faireallumer le fanal de la poupe de sa galre suivant la coutume deschefs descadre, lassurant quil obirait aussi exactement queses propres galres (p. 271)60.

    On retrouve cet ordonnancement au dpart de Brest : Les galres

    sortirent du port au commencement de la nuit. Pendant tout le premier quartelles firent rames pour gagner la haute mer, le fanal allum la poupe de lagalre du capitaine(p. 275) ; puis un peu plus tard au sortir du raz de Sein,

    juste avant que la tempte disperse les galres :Le capitaine ordonna de faire messire Charles et aux autresgalres le signal de venir lui pour tenir conseil. Il leur fut de-mand ce quil leur paraissait du temps et de ces pronostics. La

    58 Martn Ruiz de Avendao avait lui aussi t nomm capitaine par le roi de Castille

    (pp. 206 et 274).59 Pero Nio rencontre le conntable Charles dAlbret aprs son arrive La Rochelle alorsque la guerre avait repris avec lAngleterre (p. 210). Il attaque Bordeaux peu de temps avant ledclenchement de loffensive du duc dOrlans contre le Bordelais en 1405. Ce dernier concen-tre ses efforts sur Blaye quil assige en vain de dcembre 1406 janvier 1407 faute de pouvoirimposer un blocus fluvial. Durant lhiver 1405-1406 Pero Nio rencontre lamiral de France(p. 219). Il serait surprenant quil nait pas reu des instructions orientant ses choix stratgiques.

    60 Daprs Gutierre Daz, Charles de Savoisy fit construire et quiper ses frais deux ga-lres Marseille (p. 270). On imagine que cela sest produit aprs son exil de la cour en aot1404. Sa prsence La Rochelle en 1405 suppose une affaire rondement mene, dautant quilfaut ajouter le priple autour de la pninsule Ibrique. Sur le modle des accords entre chefs deroutes oprant sur terre, C. de Savoisy sassocie Pero Nio dont il reconnat la prminencedans le commandement des oprations. Celles de 1406 ayant t peu fructueuses, il fut dans

    lincapacit de suivre Pero Nio : Messire Charles tant puis dargent et ne pouvant pluspayer ses gens, tous sen allaient de faon quil lui fut impossible de partir avec le capitaine ()et Pero Nio de ne le pouvoir aider dans un tel besoin (p. 387).

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    conclusion fut de naviguer comme on avait commenc le faire,de tcher toute force daborder la cte dAngleterre, et si lonne pouvait y parvenir de virer de bord mais de suivre tous le fanalaussi longtemps quon le pourrait (p. 277).

    Lors du retour en Castille, ce fanal permet aux deux autres galres,qui avaient t disperses par la tourmente, de rejoindre celle de Pero Niopendant la nuit (p. 425). De jour, des bannires et des signaux permettaientde communiquer (p. 277)61. En 1406, trois baleiniers de France bien armsse joignent aux trois galres de Pero Nio que secondent les deux galres deCharles de Savoisy, qui agit toujours pour son compte tout en reconnaissant la

    prminence du Castillan (p. 366). Gutierre Daz prcise en revanche que lesFranais ont t retenus par Pero Nio et sont venus se mettre ses ordres.Pero Nio les a donc officiellement pris son service, selon des modalitsqui nous sont inconnues62. Lappoint des trois navires arms en guerre renfor-ait la flottille du point de vue numrique. Lassociation des galres avec desvoiliers rapides et manuvrables augmentait aussi son efficacit militairecomme le montra la rencontre avec la flotte anglaise dHarry Pay.

    Pero Nio dcide des actions de guerre. Les quipages doivent alorsmanuvrer les galres pour lui permettre de mettre en uvre la tactique mi-

    litaire arrte : dbarquement, conduite des troupes terre, rembarquement.Cela se vrifie en 1405 devant Saint-Yves :

    Le capitaine ordonna son monde de sarmer ; on jeta les plan-ches et tous descendirent terre avec le capitaine qui rangea bien

    61 En 1406, alors quil aperoit la flotte dHarry Pay encalmine au large dAmbleteuse,Pero Nio prend lavis des capitaines des autres navires : Le capitaine ordonna de hisser unebannire comme cest lusage sur mer pour appeler au conseil (p. 374). En 1406, la flottille seprsente devant Orwell la tombe de la nuit. Elle reste en mer pour ne pas tre aperue et unconseil se tient bord de la galre du capitaine, ce qui suppose la mise leau des chaloupes

    et un transbordement des capitaines (p. 371). Lors du retour en Castille, deux nefs transportantdes ambassadeurs franais se placent sous la protection de Pero Nio. Celui-ci fit alors hisserune bannire, et tous les navires se rallirent autour de sa galre (p. 426). Profitant du calme,les ambassadeurs passrent son bord pour dner. Ils ne purent regagner leurs navires car unfort vent stait lev.

    62 On peut douter que Pero Nio, qui avait alors du mal payer ses hommes, ait pris sa solde les quipages franais, dont on apprend plus tard (p. 388) quils sont normands. Sonrenom comme capitaine et lappt du gain ont pu inciter ces Franais armer en course ses cts. Ce sont eux qui conseillent Pero Nio de prendre son service les six baleiniersrencontrs devant Harfleur et dattaquer Jersey aprs avoir obtenu le renfort de seigneurs bre-tons (pp. 386-389). Pero Nio qui na plus les moyens de payer ses gens et qui a vu Charles deSavoisy se retirer de lentreprise pour les mmes raisons, oublie la compassion affiche lanneprcdente au motif que : les habitants de ces deux les [Jersey et Guernesey] sont pauvres et

    ne nuisent personne (p. 313). Gutierre Daz y puise la matire dune longue et dithyrambiquepope domine par la figure dun Pero Nio par des qualits du parfait chevalier (pp. 389-406).

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    sa troupe ; il mit en avant une pavesade et derrire elle les arbal-triers. Le capitaine et messire Charles runirent leurs gens et les dis-posrent dun commun accord. Il y eut un rude combat. la fin,les Anglais furent enfoncs et beaucoup dentre eux tus ou pris.Le capitaine ordonna que les bannires et les hommes darmesrestassent en bon ordre hors de la ville afin quils ne fussent passurpris si les Anglais venaient en plus grand nombre, et que les ra-meurs et les arbaltriers entrassent dans le bourg pour y faire bu-tin, les uns combattant et les autres pillant () Les trompettessonnrent, tout le monde se rembarqua (p. 282).

    Cest encore Pero Nio qui dcide de la manire de mettre le butin

    labri : Cette nuit le capitaine mit bord des nefs [prises Saint-Yves]des ma-rins et tout ce qui leur tait ncessaire et leur ordonna de se rendre en Franceau port de Harfleur(p. 283).

    Pero Nio consulte habituellement Charles de Savoisy sur la strat-gie suivre. Il se rend lavis de ce dernier qui, sur le conseil de ses marins,suggre de longer les ctes franaises pour gagner les raz bretons, cette routeconvenant mieux la navigation des galres et leur vitant le risque dunerencontre fortuite avec des nefs anglaises (p. 270)63. De mme, aprs le raidsur Saint-Yves, Pero Nio et messire Charles saccordrent sur lavis de senaller rangeant les ctes dAngleterre(p. 283). Il arrive parfois quun dsac-cord slve entre les deux hommes. En tentant de dissuader Pero Nio dedbarquer Dartmouth, au prtexte que les Anglais les y attendaient en forceet que lendroit ne se prtait pas une descente terre, Charles Savoisy irritaprofondment le capitaine castillan (pp. 283-284). La situation se reproduitdevant Poole :

    Le capitaine dit messire Charles quil serait bien de prendre terre cet endroit et daller piller et brler le bourg [de Poole]. MessireCharles rpondit :Monseigneur, mon avis est que nous ne descen-dions pas ici parce que outre quil y a beaucoup de bas fonds et

    de rcifs et que les galres ne pourraient approcher de terre, il setrouve dans ce canton beaucoup de gens darmes et darchers .Le capitaine dit :Nous descendrons dans les chaloupes par petitsgroupes, successivement, et pendant que les uns combattront lesautres dbarqueront(p. 301).

    63 En 1406, Pero Nio et Charles de Savoisy se concertent avant dentreprendre le deuxi-me raid : Le capitaine et messire Charles tinrent conseil () ils dcidrent de gagner lautrect de lAngleterre, quon appelle devers le Nord, parce que les populations de ces contrestaient sans mfiance, et quon pourrait prendre quelques villages avant quelles fussent aver-ties (p. 369). Alors que C. de Savoisy sest retir des oprations, Pero Nio tient conseil avec

    les patrons [de ses galres] et les matres des baleiniers, leur proposant de passer en Angleterre(p. 388). Il se range finalement lavis de Guillaume et Jacques Bouxires, deux matres debaleiniers normands, qui lui suggrent dattaquer lle de Jersey.

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    Pero Nio, faisant fi des conseils de prudence, fait dbarquer seshommes et engage le combat avec les Anglais qui se sont ports sa ren-contre. Il descend lui-mme terre pour diriger les oprations. Sans doutepiqu au vif par la bravoure dont fait preuve le Castillan et voyant laffairemal engage, Charles de Savoisy dcide de le rejoindre avec ses hommesdarmes. Son intervention dcide de la victoire. Les Anglais sont repousss etPoole livr au pillage (pp. 301-306). Gutierre Daz joue fond sur le contras-te des caractres. Afin de mettre en valeur la bravoure de Pero Nio, il opposesystmatiquement la fougue de celui-ci, toujours prompt aller reconnatrela moindre voile aperue lhorizon et engager le combat sil sagit dun

    ennemi, la prudence de Charles de Savoisy et celle des matres des galresplus cauteleux lapproche de voiliers en haute mer, sachant quils ont poureux lavantage du vent64.

    Les raids mens en 1405 sur les ctes mridionales de lAngleterreet en 1406 sur Jersey visent avant tout semer la terreur et la dsolation chezlennemi. Si lon excepte larraisonnement de barques de pche avant lat-taque sur Saint-Yves, les oprations militaires se droulent exclusivement terre, la mer servant de voie de circulation. Un seul affrontement en mer est mentionner, et encore la confrontation avec la flotte de Harry Pay tourne-t-

    elle rapidement court. Pero Nio a dlibrment cherch cette rencontre, maisses efforts sont vains.

    4. UNEPLONGEDANSLUNIVERSDESMARINSCASTILLANSDUDBUTDUXVe SICLE

    4.1. Navigation et comportement la mer des galres

    Compte tenu des routes maritimes que les trois galres castillanes ontsuivies au cours de leur priple atlantique, elles ont tour tour pratiqu unenavigation hauturire lestime et une navigation ctire vue comme celatait le cas pour tout navire qui frquentait les mers bordires de lEurope. Un

    64 En 1406, alors que Pero Nio remonte le long de la cte du pays de Caux, six baleiniersbien arms, ayant bon vent dans leurs voiles apparaissent. La premire raction des matresdes galres est de chercher labri de la terre, mais Pero Nio malgr lavis de ses marins, or-donna de sapprocher deux pour reconnatre quels gens ctaient (p. 387). Lpisode montreune procdure de salutation en mer selon les rgles de lart : Eux, apercevant les galres,amenrent leurs voiles, hissrent le pennon de France, et firent le salut, ce qui montra quils

    taient franais. Le capitaine leur rendit le salut. Non sans exagration Gutierre Daz insinue propos des galres de Charles de Savoisy que les pennons seuls valaient autant que les garni-tures dune galre ordinaire (p. 270).

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    autre centre dintrt du rcit de Gutierre Daz est de livrer des informationssur la marche des galres en fonction des diffrentes conditions mtorolo-giques rencontres.

    En 1405, la traverse du Golfe de Gascogne pour rallier La Rochelledepuis Pasajes seffectue en droiture et impose une navigation lestime aprsavoir perdu la terre de vue65. Ainsi laube du deuxime jour : quand le jour

    parut, on ne voyait plus ni la France ni lEspagne(p. 209). dfaut de pouvoirse reprer visuellement par rapport la terre, les marins valuent approxima-tivement leur position en sondant les fonds marins. Pour cela ils recoupent lesinformations recueillies sur la profondeur (longueur de la ligne de sonde file)

    avec des donnes sur la nature des fonds en saidant dchantillons prlevsau moyen de suif ou de graisse dont la base du plomb de sonde tait enduite66.Dans le cas prsent, les soixante brasses de fond et la remonte de sable indi-quent quils se trouvent sur la plateforme continentale (mar de canto)67, trstroite le long de la cte gasconne, donc quils sont proches de celle-ci. Lamesure du temps de navigation au moyen dune horloge sable ou la courseapparente dun astre (soleil, lune, toile), la prise en compte du cap ou descaps suivis lorsquil y avait des changements de direction, enfin lvaluationempirique de la vitesse du navire et de sa drive potentielle en fonction de

    son allure68

    et des courants de mares permettaient au matre du navire ou aupilote de calculer approximativement la route suivie sur le fond par le navire etdonc destimer sa position gographique un instant dtermin. Le repragedans lespace pouvait se faire laide dune carte marine et/ou dun portulan69,

    65 B. Arzaga, M. Bochaca, Savoir nautique et navigation dans le golfe de Gascogne,pp. 91-107.

    66 On navigua tout ce jour sans savoir dans quels parages on se trouvait. Quand on jetala sonde, on toucha le fond par soixante brasses et lon reconnut que lon tait prs de la terreparce que la sonde ramena du sable. Sapercevant quon avait t dross sur la cte, on ne pensa

    qu gagner la haute mer, et pendant cinq jours on marcha ainsi sans oser se rapprocher de terre(p. 209). Ce quon y appelle les bancs de Flandre a reu ce nom parce que le fond de la merest l comme une suite de fosss. La mer les fait et dfait, les creusant tantt dun ct, tanttdun autre. Quand on jette la sonde dans un endroit on y trouve quatre ou cinq brasses et dansdautres cent ou davantage (p. 370). Les marins sondrent et trouvrent quils taient presque sec sur fond de roches (p. 412).

    67 R. Beltrn (ed.),El Victorial, p. 316.68 Lallure dun navire est la route suivie par rapport la direction du vent, depuis le prs,

    orze (p. 371) on disait aussi naviguer la bouline, du nom de lcoute permettant de borderla voile, jusquau vent arrire, en passant par le vent de travers ou largue.

    69 En 1405, lapproche de la premire tempte en Manche : Le patron regardait de touscts () consultant la boussole et la carte marine (p. 276). Il sinquite dautant plus quildoit affronter la situation bord dune galre, moins apte quun voilier taler un coup de vent

    en haute mer : le vent se met louest nord-ouest et nous donne mi-proue. Nous ne pouvonspas aller en Angleterre de ce voyage. Si nous retournons en France, nous tombons en travers duraz ; si nous marchons vers louest nous ne pouvons point trouver de ports ; si le temps fraichit

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    deux documents au demeurant peu prcis. Les marins faisaient aussi appel leur connaissance de lenvironnement maritime et littoral acquise par la trans-mission des anciens et leur exprience personnelle. Les matres des trois ga-lres castillanes taient rompus aux techniques de lestime : alors on calculadaprs le temps pendant lequel on avait fait route dans cette direction quelon devait tre hors de tous les dangers(p. 209). Leurs observations et leursprvisions taient correctes car : les galres mirent le cap vers le nord ()aubout de trois jours on aperut la terre de France ()Les galres abordrent lle de R(p. 209). Une fois la terre reconnue, ce sont les techniques de lanavigation ctire vue qui prvalent pour rallier La Rochelle.

    Ce deuxime type de navigation convenait mieux aux galres qui,basses sur leau et se dhalant surtout la rame, avaient plus de difficults queles nefs pour se dfendre contre les vents violents et les fortes houles de lAt-lantique. Avant de raconter la traverse du golfe de Gascogne en 1405, GutierreDaz rappelle combien le comportement la mer des galres est diffrent de ce-lui des nefs : encore que nefs et galres ne puissent se tenir ensemble, puisquechaque nuit les galres cherchent la terre tandis que les nefs tiennent le large (pp. 206-207). Au dpart de La Rochelle en 1405, le choix de longer les ctessaintongeaises, poitevines puis bretonnes sexplique aussi par des raisons mi-litaires afin dviter de rencontrer une flotte anglaise en haute mer qui, avec du

    vent et de lespace pour manuvrer, aurait dispos dun avantage tactique surles galres (p. 270)70. Cest loption qui prvaut :Ils partirent de La Rochelle,

    passrent devant Olonne et lembouchure de la Loire et touchrent la ville deGurande ()Naviguant ainsi de port en port le long des ctes de Bretagne,ils doublrent le cap de Samago71et entrrent dans le raz(pp. 271-272).

    Une fois les raz franchis et la Manche traverse, les galres longentla cte anglaise douest en est partir de la Cornouaille, mais cette fois-cipour se livrer au pillage72. La difficult est alors de trouver des endroits osapprocher de terre sans engager la scurit des galres cause des rcifs et

    des courants de mare, afi

    n de dbarquer des troupes sans rencontrer de tropforte opposition de la part de habitants du lieu. Lattaque de Saint-Yves, port

    encore, il nous faudra retourner en Espagne. Le trajet est long et dangereux, outre que nouspouvons rencontrer la flotte dAngleterre en chemin. Il y a donc pril partout (pp. 276-277).

    70 En 1406, Pero Nio engage le combat au large dAmbleteuse, profitant de ce que la flotteanglaise dHarry Pay est encalmine. Le retour du vent renverse la situation et met la galre dePero Nio en difficult. Elle est dgage par la manuvre hardie dun baleinier franais qui,jouant habilement avec le vent, percute et dsempare le baleinier anglais qui lavait prise enchasse, avant que les grosses nefs, plus lentes se mouvoir, aient pu intervenir (pp. 374-379).

    71 Pointe Saint-Mathieu ou Saint-Mah en ancien franais.72

    Les galres sloignrent de l [Plymouth] en suivant la cte (p. 295) ; Le lende-main, les galres partant de l [Portland] sen furent longeant la cte et reconnaissant les ports(p. 299).

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    situ au fond dun petit estuaire, est un succs bien que les galres entranespar le flot aient eu du mal manuvrer lors de lapproche, puis quitter leslieux malgr laide du jusant (pp. 281-283). Le dbarquement la planchesuppose quelles ont russi sapprocher suffisamment prs de la berge. Enrevanche, il fut impossible daborder sur la plage de Dartmouth solidementgarde par des hommes darmes anglais (pp. 293-284). Les galres sont repous-ses par des tirs de bombardes Plymouth et elles trouvent devant Exceter desroches trs hautes entre lesquelles il nexiste point de passage et personnenen connaissait. Poole, Pero Nio force le destin contre lavis de Charlesde Savoisy qui lui fait remarquer : quil y a beaucoup de bas fonds et de rcifs,

    et que les galres ne pourraient approcher de la terre(p. 301). Il passe outreet fait descendre ses hommes terre par petits groupes dans les chaloupes, lespremiers soldats dbarqus tenant la plage en attendant larrive de renforts.

    Prompt dcrire les situations adverses qui lui permettent de mettreen valeur les qualits de Pero Nio, Gutierre Daz ne dit rien des conditionsplus favorables que les galres rencontrrent dans les ports amis o elles firentrelche, que ce soit La Rochelle, Brest, Harfleur, Rouen ou Le Crotoy. De lamme faon, les pisodes de navigation par beau temps ne donnent pas lieu de longs dveloppements :

    Il [P. Nio] y resta [ Pasajes] jusqu ce que sleva un vent deterre bon pour franchir la mer dEspagne et aller droit La Ro-chelle. Le vent passa ensuite au nord-est, et les galres entrrenten haute mer ; on hissa les btardes et les misaines, et lon marchatout le jour grand largue, faisant route vers louest. Quand vintle soir le vent tomba ; on amena les voiles et on mit la main auxrames (p. 208).

    Le rcit de la navigation sans difficult majeure le long des ctesfranaises depuis La Rochelle jusquaux raz bretons tient en trois phrases

    (pp. 271-272). Gutierre Daz est en revanche plus prolixe lorsque les condi-tions de mer et de vent se dgradent ou que la violence des courants entravela progression des galres. On recense six pisodes de navigation difficile en1405 : la remonte le long de la cte gasconne (p. 209) ; la sortie de lestuaire dela Gironde (pp. 268-269) ; la tempte lentre de la Manche (pp. 277-278) ;lentre et la sortie de lestuaire lors de lattaque de Saint-Yves (pp. 281-283) ; latraverse du golfe dExeter (p. 295) ; la tentative manque de reprendre la merau dbut de lhiver (p. 316). Ils sont au nombre de cinq en 1406 : une tem-pte essuye sur les bancs de Flandre (p. 369-370) ; une deuxime face Orwell (p. 371) ; un mois de mauvais temps qui bloque les galres au Crotoy

    (p. 386) ; enfin, lors du retour en Castille, le difficile franchissement des razbretons (pp. 409-413) et une tempte au large de la Gascogne (p. 425).

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    Les moments prilleux lis un dchanement des forces de la na-ture, ramnent les hommes leur condition de chrtien. Langoisse pour lesalut de lme est exacerbe par la peur de mourir en mer et dtre priv dunespulture en terre consacre73. Il ny a alors dautre solution que de sadresseraux saints intercesseurs et de sen remettre la providence divine ainsi quonpeut le vrifier plusieurs occasions : en 1405, lors de la sortie de la Gironde :une galre se ft mise la cte, si Dieu navait voulu la sauver, et ce futun grand miracle de la ramener ()mais Dieu permit quelles [les galres]

    pussent doubler le banc des nes(p. 269) ; pendant la premire tempte enManche : tous les hommes de lquipage dsespraient de leur vie et priaient

    Dieu quil et piti de leurs mes(p. 278) ; ensuite devant Exeter :

    un vent de mer trs fort commena souffler et donnait en plein surles galres quil faisait aller par force vers les rochers. Il ne servait rien de ramer ; il ne restait plus qu invoquer la vierge sainte Mariepour en tre secouru. Les galres se virent en perdition. De plus, lecourant tait si rapide quil portait toujours au golfe ; mais il plut Dieu que ce courant, qui les menait au golfe par un ct, les en fitsortir par lautre, ce qui fut une grande merveille ; et tous rendirentbien des grces Dieu. Ensuite force de rames et contre le vent,ils sloignrent de la terre et entrrent en pleine mer.

    En 1406, lors du retour vers la Castille, les trois galres sont un mo-ment en perdition devant la pointe Saint-Mathieu :

    Alors dans la peur quils avaient de mourir, les hommes faisaientvux et promesses, les uns saint Jacques de Galice, les autres sainte Marie du Finistre, les autres frre Pero Gonalez du Puy,les autres saint Vincent du Cap. Il plut Dieu de les entendre. Lecap fut doubl (p. 412).

    Ces brves informations permettent dentrevoir lunivers religieuxdes marins et des hommes darmes embarqus avec eux. De faon classique,la Vierge et saint Jacques jouent plein leur rle de saints protecteurs ma-

    jeurs74. Toujours au chapitre des mentalits, on peut citer lclipse du soleilaperue lors du dpart de Harfleur en 1406 qui, interprte comme un mauvaisprsage, terrorisa les quipages (p. 364).

    73 C. Treffort,Le corps du noy et le salut de son me, pp. 113-121.74 E. Ferreira, Galicia en el comercio martimo medieval, pp. 229-231. Linvocation de la

    Vierge en gnral ou travers les cultes qui lui sont rendus localement, notamment Finisterre

    (glise Santa Mara das Aras), mais aussi celle de saint Jacques en font les principaux protecteursdes navires galiciens auxquels ils ont donn leur nom. Une dvotion particulire leur tait rendue,raison pour laquelle les marins se tournaient en priorit vers eux dans les moments de danger.

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    4.2. Perception de lespace maritime et de lenvironnement marin

    Bien que Gutierre Daz ne soit pas un marin, son rcit donne un aper-u suggestif des mers du Ponant quil a sillonnes. Les nombreux toponymeset repres spatiaux dont il fait tat dnotent la perception relativement prcisequil avait des lieux quil frquenta en suivant Pero Nio dans son expdition.On ignore quelle connaissance il en avait avant de sy rendre et quel fut lap-port de lexprience vcue, tant par lobservation personnelle quau contactdes marins quil ctoya.

    Le cadre politique et gographique est pos travers des noms qui

    voquent les royaumes : Castille, France et Angleterre (pp. 208-209). Espagnepeut avoir un sens gnral renvoyant lHispanie romaine, mais aussi dsignerla Castille en tant que royaume le plus important, matrice de la nation espa-gnole. Certaines entits rgionales composant ces royaumes sont clairementidentifies lexemple de la Gascogne (p. 208), du duch de Guyenne (p. 210),de la Bretagne (p. 270), de la Normandie, de la Picardie (p. 366) et de la Flandre(p. 370). En Angleterre, il distingue le pays de Cornouaille (p. 281), le Pays deGalles et ses Marches (p. 307), ainsi que la cte devers le nord par opposition celle de Cornouaille (p. 369). Une nbuleuse de villes et de bourgs, dont laplupart sont des ports, dlimitent en pointill les contours de lespace maritime

    dans lequel Pero Nio et ses compagnons voluent : San Vicente de la Barquera,Santander, Laredo, Castro Urdiales et Pasajes sur la cte nord de la Castille(p. 208) ; Royan, Talmont, La Rochelle (p. 208), Olonne, Gurande (p. 270),Brest (p. 272), Saint-Malo, Harfleur, Rouen, Camiers, La Fosse--Cayeux,Le Crotoy, Abbeville et Nieulay le long de la cte atlantique de la France. Demme que Bordeaux et Blaye (p. 266), Calais est peru comme une possessionde lAngleterre (p. 369), tandis que Lcluse et Bruges relvent de la Flandre.En Angleterre, il sagit principalement de Saint-Yves (p. 281), de Dartmouth(p. 283), de Plymouth (p. 294), de Poole (p. 300), de Southampton (p. 310) et

    de Douvres (p. 369). Des les jouent le rle damers en avant de la cte, ainsiR, Olron, Ouessant et Belle le entre La Rochelle et la pointe Saint-Mathieu(p. 270), Batz et le Mont Saint-Michel dans la Manche (pp. 410-411). Ce sontparfois des possessions avances de lennemi bonnes piller, condition dedjouer la vigilance de leurs habitants et de trouver un lieu de dbarquement :Portland (p. 296), Wight (p. 311) ou les petites les qui tiennent la Bretagnebien quelles soient du domaine dAngleterre. Ce sont quatre les, dont deuxgrandes et fortes et deux petites ; on les appelle Chausey, Aurigny, Guerneseyet Jersey la Grande(p. 312). Estuaires et embouchures des fleuves servent derefuge en pays ami, lexemple de lAber-Wrach et de la Seine. Chez lennemi,

    ils se transforment en voies dinvasion souvent dun accs difficile en raison descourants et des vents : Gironde, bras de mer conduisant Saint-Yves.

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    Gutierre Daz est parfois imprcis dans la restitution orthographiquede toponymes franais et anglais quil corche au point den rendre certainsmconnaissables : Samago semble tre le Saint-Mah de lancien franaisou Saint-Mathieu en franais moderne (p. 272) ; Chita parat correspondre Saint-Yves sur la cte nord-ouest de la Cornouaille, moins quil ne sagissedu port voisin de Saint-Erth (p. 281). Quelques passages sont obscurs : aprsla pointe de Saint-Mathieu (Samago) et le raz de Sein, larrive Brest faitsuite la mention du passage du raz Blanchard (p. 273). Inexactitude im-putable lauteur ou au copiste ? Gutierre Daz commet des erreurs mani-festes. Il parle des rochers du Casquet situs entre les les dAurigny et de

    Guernesey propos dcueils lentre du golfe dExeter (p. 295), et prendSouthampton pour Londres, sans que lon sache sil commet cette confusion dessein ou non (p. 308)75.

    Il a en revanche une bonne connaissance des grands ensembles mari-times sur lesquels il volue. La mer dEspagne (pp. 208, 277) correspond augolfe de Gascogne, tandis que le canal de Flandre, cest--dire la Manche,commence au sortir des raz bretons et se prolonge jusqu la tour de Lamuaen Flandre(pp. 273, 366, 369). Les seuils et les frontires qui marquent leslimites entre les principales dominations politiques sont perus avec justesse :Pasajes se trouve l o se sparent la Gascogne et la Castille, ce qui est assezexact (p. 208). Royan et Talmont sont bien deux villes franaises qui sontsitues sur la rive [de la Gironde], du ct de La Rochelle, la rive oppose,du ct du Mdoc, et son vis--vis partir de Blaye tant sous dominationanglaise (p. 266). En Manche, les littoraux tenus par les Anglais et les eaux surlesquelles lexpdition est susceptible de rencontrer des ennemis sont valusavec le plus grand soin. Au droit du cap de Sangate, il note que l commenaitle pays de Calais, tandis que La Fosse Cayeux et Le Crotoy sont en Picar-die, rgion tenue par le roi de France (p. 366). De mme, ils passrent entreCalais et Douvres, deux possessions de lAngleterre(p. 369).

    Gutierre Daz ne se limite pas situer gographiquement les faitsrapports. Il agrmente sa chronique de dtails sur la topographie des loca-lits et sur la vie des populations littorales (activits conomiques, murs etcoutumes). Il est souvent bien inform et a eu loccasion de vrifier in situses informations. Il crit propos de lle de Wight : Cette le est riche. Ondit quil y habite bien quinze mille hommes, et que la plupart sont archers ;et de fait en ctoyant la terre, on y dcouvrait beaucoup de monde(pp. 311-

    75 Il sagit peut-tre de soutenir la comparaison avec lamiral Fernando Snchez de Tovar

    qui, avec lamiral franais, Jean de Vienne, mena trois raids dvastateurs sur les ctes sud delAngleterre en 1374, 1377 et 1380. Lors du dernier, Castillans et Franais remontrent la Ta-mise jusqu Gravesend.

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    312). La mobilisation des liens fut efficace car elle empcha tout dbarque-ment. La prsentation dHarfleur, avec un luxe dtails sur le site portuaire,la topographie urbaine et lconomie locale (pp. 314-315), et la descriptiondes abords maritimes du Crotoy (pp. 367-368) sont des modles du genre.Gutierre Daz possde une assez bonne connaissance de la Bretagne. Audtour de dtails et danecdotes qui donnent vie au rcit on dcouvre unesprit curieux, capable de capter laltrit des mondes avec lesquels il entreen contact, mme sil livre ses informations en vrac, sans les hirarchiser.Il a peru la distinction entre Bretons bretonnants et gallots (pp. 284-285)et, en mme temps, il est au courant de lexistence dune le de larchipel

    dOuessant sur lequel les femmes ne peuvent pas accoucher (p. 271) et peutnarrer les faits darmes de Guillaume du Chastel (pp. 284-286). Mme silfait tort de la Baie de Bourgneuf un port, du moins il sait quon y chargedu sel (p. 388).

    4.3. Des mers du Ponant difficilement praticables pour les galres

    Gutierre Daz rend parfaitement compte de la navigation des galresen fonction de ltat de la mer et des conditions de vent quelles rencontrent,notamment dans des conditions mtorologiques difficiles. Il a compris leseffets favorables ou adverses de la double dynamique de leau et de lair. Plu-sieurs secteurs dangereux sont parfaitement dcrits, ce qui laisse penser quiltient ses informations de marins autant que de sa propre observation. Il crit propos des bancs de Flandre que :

    cette mer est trs dangereuse et ce quon y appelle les bancs deFlandre a reu ce nom parce que le fond de la mer est l commeune suite de fosss. La mer les fait et dfait, les creusant tanttdun ct, tantt dun autre. Quand on jette la sonde dans un en-

    droit on y trouve quatre ou cinq brasses et dans dautres cent oudavantage (p. 370).

    Les raz bretons quil franchit par deux fois lont profondment mar-qu. Il possde une bonne connaissance de la disposition gnrale et de ladangerosit des lieux :

    Ils doublrent le cap de Samago [Saint-Mathieu] et entrrentdans le raz qui a vingt lieues de long. Ce raz est trs dangereux.On croirait que la mer y bout gros bouillons, comme leau dunechaudire place sur le feu ; non pas quelle soit chaude cepen-dant, mais la mer y est telle quelle ny fait que des tourbillons.Par gros temps le pril est extrme en cet endroit, et le navire qui

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