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N°7 Des Citoyens pour demain Synthèse des premières Rencontres de l'éducation citoyenne Lille Nouveau Siècle 7 et 8 février 2004 Pour répondre aux enjeux, Pour que chacun soit acteur de sa propre vie et citoyen d'un monde solidaire Travail collectif Rédaction Didier MINOT Avec la collaboration de Kèmi FAKAMBI et de Julie BANZET

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Ce document rend compte des échanges réalisés au cours de premières Rencontres de l’éducation citoyenne, les 7 et 8 février 2004 à Lille. Ces premières Rencontres de l’éducation citoyenne ont rassemblé 500 participants autour des questions : comment préparer les citoyens de demain aux enjeux qui nous attendent ? Comment permettre à chacun d’être acteur de sa propre vie et citoyen d’un monde solidaire ? Les participants étaient très majoritairement des acteurs de terrain. Cette richesse d’expériences a donné un tour très particulier aux échanges en ateliers : échanges de pratiques et réflexion à partir de l’expérience vécue. Une grande convivialité aussi. Beaucoup de participants en ont retiré un sentiment de force collective et de sens retrouvé.

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N°7

Des Citoyens pour demainSynthèse des premières

Rencontres de l'éducation citoyenne

Lille Nouveau Siècle

7 et 8 février 2004

Pour répondre aux enjeux,

Pour que chacun soit acteur de sa propre vie

et citoyen d'un monde solidaire

Travail collectif

Rédaction Didier MINOT

Avec la collaboration de Kèmi FAKAMBI et de Julie BANZET

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.REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier particulièrement le Président du Conseil Régional du Nord-Pas de Calais et sa vice-présidente, Mme Ginette VERBRUGGHE, sans qui ces Rencontres n'auraient pas été possibles. Alors que le projet émergeait à peine, leurs encouragements et leur confiance ont permis à l'action de démarrer, puis de se réaliser dans de bonnes conditions.

Nous sommes également reconnaissants à la Ville de Lille, qui nous a aidé à assurer la communication et l'organisation matérielle, à l'Université catholique de Lille, qui a accueilli plus de dix ateliers dans ses locaux, à la mairie du quartier Moulins, qui a permis que la fête se déroule dans un cadre riche de tradition ouvrière, au Conseil Général du Nord, qui nous a accordé une subvention de 500 euros.

Nous remercions tous les animateurs d’ateliers qui ont investi de leur temps pour la préparation et ont assuré un bon déroulement des ateliers, et en particulier ceux qui ont pu rédigé à temps une synthèse essentielle à la mise en forme de ce document, Olivier LEVENT, Cécile LEROUX, Laurent OTT, Agnès LEGRIX DE LA SALLE, Françoise DEVILLERS, Jean Pierre DODET, le MDS, Céline BRAILLON.

Nous remercions enfin tous les bénévoles qui se sont mobilisés avant, pendant et après les Rencontres pour assurer un travail efficace et professionnel avec très peu de moyens. Cette mobilisation est le signe que RECIT peut promouvoir ce type de démarche de construction collective.

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.SOMMAIRE

DES CITOYENS POUR DEMAIN..................................................................................................1

.REMERCIEMENTS.........................................................................................................................2

.SOMMAIRE......................................................................................................................................4

.INTRODUCTION ............................................................................................................................5

.1ÈRE PARTIE: DES ACTIONS PORTEUSES D'ÉDUCATION CITOYENNE......................................................................................................16

.2ÈME PARTIE PRINCIPES, VALEURS, COMPORTEMENTS.......28

.3ÈME PARTIE UN PROJET D'ÉDUCATION CITOYENNE

............................................................................................................................................................44

.4ÈME PARTIE L’EDUCATION CITOYENNE COMME LEVIER DE TRANSFORMATION SOCIALE..................................................................................................60

.5ÈME PARTIE QUE FAIRE ENSEMBLE ? QUELLES ORIENTATIONS POUR RECIT ?..............................................................................................102

.CONCLUSION..............................................................................................................................114

.LES RENCONTRES, UN POINT DE DÉPART.......................................................................114

.ANNEXE LISTE DES EXPÉRIENCES PRÉSENTES À LILLE OU PARTICIPANT À RECIT......................................................................................................115

.QU'EST CE QUE RECIT ?..........................................................................................................118

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.INTRODUCTION

Ce document rend compte des échanges réalisés au cours de premières Rencontres de l'éducation citoyenne, les 7 et 8 février 2004 à Lille.

Ces premières Rencontres de l'éducation citoyenne ont rassemblé 500 participants autour des questions : comment préparer les citoyens de demain aux enjeux qui nous attendent ? Comment permettre à chacun d'être acteur de sa propre vie et citoyen d'un monde solidaire ?

Les participants étaient très majoritairement des acteurs de terrain1. Cette richesse d'expériences a donné un tour très particulier aux échanges en ateliers : échanges de pratiques et réflexion à partir de l'expérience vécue. Une grande convivialité aussi. Beaucoup de participants en ont retiré un sentiment de force collective et de sens retrouvé.

Le défi principal des Rencontres n'est pas celui d'un programme de la « bonne » éducation émancipatrice, mais celui d'une méthode qui montre à chacun les convergences à travers la diversité des approches. Les objectifs sont en effet complètement dépendants des manières de faire . Il ne s'agit pas de construire un nouveau parti, mais un mouvement pluriel où les différences sont reconnues comme telles et considérées comme une richesse.

1 Plus de 350 participants étaient porteurs d'une expérience ou animateurs de réseau, et appartenaient à 140 organismes locaux et 50 organisations régionales ou nationales

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Introduction

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Introduction

.1 Un contexte difficile et une nouvelle demande d'éducation citoyenne

Nous vivons aujourd’hui dans un contexte très difficile, qui menace la survie ou la créativité de nombreuses expériences. Les participants sont aux premières loges pour voir la dégradation de la situation des gens sur le terrain, avec le cortège de misères, de souffrances et de dégâts irréparables sur les générations futures. Mais dans ce contexte très difficile nous voyons ré émerger aujourd'hui un fort désir d'éducation émancipatrice.

1. Nous vivons une révolution scientifique, économique, culturelle, sociale

Au niveau mondial nous sommes confrontés à de multiples enjeux de survie de l'humanité et des sociétés ou nous vivons : révolution de l'information, mondialisation libérale, catastrophes écologiques majeures. Nombreux sont ceux qui pensent que nous allons droit dans le mur, et qu'il y a urgence. Les fondamentalismes religieux et les guerres sont alimentés par les écarts croissants entre les riches et les pauvres, le déséquilibre dans les droits et les libertés, la politique de domination des pays riches. Bien sûr, la politique d'affrontement que mènent les Etats-Unis, directement ou par alliés interposés, en Afghanistan, au Proche Orient, n'arrange rien et sème pour longtemps de nouvelles sources de guerre.

En France nous sommes dans un processus de crise et de bouleversements qui va en s'accélérant, avec la remise en question des fondements du rôle de l'Etat (sécurité collective, partage de la richesse, libertés publiques). Cette véritable révolution libérale instaure une nouvelle société et de nouveaux rapports sociaux. Ces changements ont été préparés depuis 20 ans par une longue série de défaillances et d'abandons, qui ont conduit à un rapport de forces globalement défavorable. Cette évolution renforce aussi la contre-éducation citoyenne. Faute de perspectives politiques, de plus en plus de citoyens se replient sur l'individualisme, sont rejetés hors de la cité, ou rejettent des institutions dévalorisées à leurs yeux.

L'Europe, en effet, a représenté un espoir majeur pour construire la paix et aller vers une société porteuse de valeurs qui lui sont propres. Son évolution depuis 15 ans en fait une zone de libre échange, vecteur d'un libéralisme dur tant dans les négociations internationales qu'envers les États membres. Il n'y a pas aujourd'hui de projet européen. La plupart des politiques rejetées par le peuple français (retraites, services publics, déclin de l'État) ont leur source dans des règlements européens adoptés de façon non démocratique.

Au niveau des représentations, les médias dominants, la publicité, le système scolaire et la politique spectacle cultivent le spectaculaire au détriment de l'information, l'émotion au détriment de l'analyse, la peur au détriment de l'espérance et de la responsabilité, le seul intérêt individuel au détriment de la coopération. Le système produit sciemment, avec de gros moyens, un conditionnement en profondeur des représentations, de notre imaginaire, des consciences. Il infantilise consciemment la société. La révolution de l'information permet ce travail de conditionnement bien au delà de ce qu'on pouvait faire dans le passé. Cette éducation à rebours sollicite et obtient souvent le consentement ou la résignation de ceux qui la subissent.

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Introduction

2. Une demande d'éducation pour comprendre, vivre autrement et réinventer le politique

Cette révolution scientifique, économique et politique suscite aujourd'hui chez une partie des citoyens une forte demande d'éducation citoyenne pour trois raisons : ⋅ - Nous avons besoin de réfléchir par nous-mêmes, de comprendre le monde, de bâtir de nouvelles représentations adaptées à la révolution de l'information qui se déroule, sans laisser quelques uns, et des irresponsables, le faire pour nous et décider à notre place.

⋅ - Pour résister au conditionnement de nos représentations, de nos imaginaires et de nos vies, nous devons trouver un art de vivre où la qualité d'être compte plus que la possession. Nous devons nous transformer nous-mêmes en travaillant sur nos qualités de relation et sur nos prises de responsabilité, à la mise en accord de l'individuel et du collectif.

⋅ - Face à l'urgence, nous devons réagir dans l'urgence. Mais nous savons bien que la solution n'est pas dans l'urgence. Nous avons besoin de réaliser une transformation en profondeur du politique, de notre rapport au politique, que nous devons inventer en marchant.

3. Éduquer aujourd'hui pour construire demain

Nous ne pourrons sans doute pas éviter tous les bouleversements qui s'annoncent. Mais de grands bouleversements ne sont pas la fin du monde et si nous nous donnons les moyens de le construire dès aujourd’hui, le monde de demain pourra être un monde solidaire.

Il est aujourd’hui indispensable de permettre aux citoyens d’être acteurs de leur propre éducation, de leur propre vie, afin d’inventer l’avenir, afin de construire un monde fraternel et solidaire.

Pour ce faire, nous nous battons à contre-courant, dans un rapport de forces inégal. Mais la grande multiplicité des actions locales crée d'ores et déjà un contre pouvoir éducatif face au système d'oppression, à la "barbarie douce" qui se met en place.

Il reste beaucoup à faire. Tous ne sont pas convaincus que le monde paisible et douillet où ils vivent touche à sa fin. Nous avons aussi à convaincre beaucoup de nos concitoyens de la nécessité et de la possibilité de se battre pour résister et construire, montrer qu'un autre monde est possible, qu'il y a une alternative.

4. L'éducation est l'affaire de toute la société

Quand on s'interroge sur ce qui fait ou défait un citoyen, on voit que ce ne sont ni l'école, ni l'éducation populaire qui forment ou déforment à elles seules les personnes. La responsabilité est partagée par les médias, les publicitaires, les élus, les parents, les producteurs de spectacle, les vendeurs de jeux vidéo, etc…. Ceux-ci pourraient avoir un tout autre rôle dans une optique de responsabilité partagée. La question de l'éducation des citoyens est globale. C'est l'affaire de toute la société. Elle concerne tous les âges de la vie.

La force de la réflexion commune engagée à Lille est de croiser une multitude d'entrées (l'école, la famille, l'éducation populaire, la consommation, les médias,.l’action publique…) afin de voir quelle part chacun peut prendre dans la construction d'une citoyenneté active.

5. La réalité des actions porteuses d'éducation citoyenne

Chacun de nous se bat à son niveau pour tenter de colmater des brèches, former quelques personnes, agir là où il le peut. Chacun s'efforce de faire sa part…

Or les grands rassemblements de ces dernières années nous ont appris que nous ne sommes pas seuls. Des millions d'initiatives de par le monde sont porteuses de solidarité et de partage. Au niveau interpersonnel, local, mondial, partout au sein des territoires locaux, partout dans le monde des hommes et des femmes résistent à l'exclusion, combattent l'injustice, suppléent aux carences des

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Introduction

politiques publiques par l'entraide et la solidarité2. Nous voyons que partout les résistances aux conditionnements sont fortes. La petite action que nous menons a beaucoup de sens car elle se situe dans ce grand courant mondial.

Toutes ces initiatives forment ceux qui y participent, leur montrent qu'un autre rapport aux personnes, au monde et aux choses est possible, leur fait expérimenter des projets, leur permet de se construire eux-mêmes. Par exemple un travail autour d'une cantine scolaire, pour y introduire le bio, peut être une formidable école de citoyenneté, comme à Alzen (Ariège).

La question qui nous est posée est : comment faire pour renforcer ce courant de création sociale, permettre à chacun d'être acteur ? Quelle démarche éducative facilite cette reprise de possession de soi-même ? Nous avons la conviction que c'est en s’aidant à construire, en s’aidant à faire qu'on pourra changer les comportements, car la critique ne suffit pas, pour nécessaire qu'elle soit. Une pédagogie active n’est possible que dans l'action.

2 Cette réalité n'est pas mise en valeur par les médias. Il faut se lever tôt le matin ou veiller tard le soir pour en entendre parler

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Introduction

.2 Ce qu’ont été les Rencontres de Lille

Vivre simultanément la force de la diversité et la convergence

Les premières rencontres de l'éducation citoyenne les samedi 7 et dimanche 8 février 2004, ont rassemblé à Lille, au Nouveau Siècle, 500 participants (480 ont payé leur participation), venus pour moitié du Nord-Pas de Calais, pour moitié des autres régions, autour de la question : comment préparer les citoyens de demain aux enjeux qui nous attendent? Comment permettre à chacun d'être acteur de sa propre vie et citoyen d'un monde solidaire ?

Les participants étaient très majoritairement des acteurs de terrain : plus de 350 étaient porteurs d'une expérience ou animateurs de réseau, et appartenaient à 140 organismes locaux et 50 organisations régionales ou nationales. Cette richesse d'expériences a donné un tour très particulier aux échanges en ateliers : échanges de pratiques et réflexion à partir de l'expérience vécue. Une grande convivialité aussi. Beaucoup de participants en ont retiré un sentiment de force collective et de sens retrouvé :

1. Quelques témoignages

Les rencontres ont été pour beaucoup de ceux qui y ont participé un grand moment. Nous avons reçu de nombreux témoignages de participants :

"Ce qui m'a marqué, dans ces rencontres, c'est de savoir qu'on va tous dans le même sens. Il y a une diversité énorme, mais cette diversité est en même temps une richesse. Alors que les médias présentent toutes les saloperies de la terre, on trouve ici des gens qui agissent en fonction d'un idéal, qui sont au service du bien commun. Cela fait chaud au cœur. Nous avons tous les mêmes objectifs. Pour notre part nous sommes une toute petite association, et en même tems nous sommes très grands parce que nous travaillons tous à peu près à la même chose"

"Enfin on n'est plus seul à se battre pour une société plus humaine".

"Les gens de mon atelier ont beaucoup apprécié ces 5 heures d'échanges, l'ouverture sur beaucoup de sujets, les réflexions contradictoires, la diversité des expériences"

"La méthode de préparation était bonne, avec le fait de s'écrire avant. Le mélange entre des gens très différents, le fait de se retrouver à plusieurs reprises ont été très intéressants. Au fil du temps le maillage marchait de mieux en mieux"

"Ces deux jours m'ont permis de renouer le lien entre vie professionnelle, vie militante et vie personnelle"

"Tous les trois, nous avons beaucoup apprécié ces deux jours extraordinairement bien remplis. C'était l'instant précieux où émerge de nulle part, et de toutes parts, une sorte d'intelligence collective, consciente de ses faiblesses mais aussi de sa force potentielle, et de ses responsabilités".

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Introduction

2. L'organisation des rencontres

Les trois temps des rencontres

Le déroulement a été guidé par une idée simple. Nous devons savoir dans quelle direction nous allons et attacher certaines balises sur notre chemin, ce qu'on peut résumer par «quels enjeux, valeurs, principes ?».

Ensuite nous devons préciser comment aller dans cette direction, et avec qui, ce qu'on peut résumer par "comment faire", sachant que la méthode détermine la fin.

Enfin quand nous savons mieux pourquoi et comment, nous avons besoin de savoir comment agir, à la fois par soi-même et au niveau des politiques locales, nationales, mondiales, ce qu'on peut résumer par la vieille question : "que faire ?"

Les rencontres ont respecté ce schéma. Les ateliers se sont réunis à trois reprises pour aborder successivement les questions des enjeux et des valeurs, des démarches et de la participation, des lieux et des actions nécessaires. A partir des conclusions et des questionnements tirés en atelier, les trois moments de plénière ont été aussi centrés sur ces questions.

Une multiplicité d'ateliers

L’essentiel des rencontres s'est déroulé sous forme d’ateliers. Le collectif avait décidé de laisser ouvertes les propositions d'ateliers, sans en limiter le nombre. 23 propositions d'ateliers ont été formulées, correspondant à une des dimensions de l’éducation citoyenne une démarche ou une question de l’éducation citoyenne. Il a été demandé à chaque participant de choisir un atelier pour l'ensemble des 3 séances.

La salle de 500 places et 13 des 23 salles d'ateliers ont été mises à disposition par le Conseil Régional. 10 autres salles d'ateliers ont été prêtées par la faculté catholique de Lille, située à 1km. Cela a permis de démultiplier les lieux et les possibilités de parole : chacun a pu être actif. Le revers de la médaille a été le temps pris par les déplacements, qui a amputé le temps de travail effectif des ateliers.

Chaque atelier a rassemblé de 8 à 32 personnes (moins de 20 en moyenne). Voici la liste des ateliers ⋅ Atelier 1: Approche globale de l’action éducative ⋅ Atelier 2 : Coéducation, coopération et citoyenneté⋅ Atelier 3 : Animation territoriale et éducation citoyenne⋅ Atelier 4 : Démocratie participative et éducation à la participation⋅ Atelier 5 : Comment s’éduquer à une économie plus solidaire⋅ Atelier 6 : Éducation au développement durable ⋅ Atelier 7 : Éducation à la citoyenneté politique⋅ Atelier 8 : Comment consolider les actions informelles⋅ Atelier 9 : Quelle éducation pour une consommation responsable ⋅ Atelier 10 : Échanges internationaux et compréhension du monde⋅ Atelier 11 : presse écrite et éducation à la citoyenneté⋅ Atelier 12 : Santé et citoyenneté⋅ Atelier 13 : Handicap et citoyenneté⋅ Atelier 14 : Culture et éducation citoyenne⋅ Atelier 15 : Lecture et écriture ⋅ Atelier 16 : Dialogue et parole dans les groupes⋅ Atelier 17 : Pratiques corporelles et éducation⋅ Atelier 18 : lien social, relations parents enfants et voisinage⋅ Atelier 19 : Construction de soi, action commune et citoyenneté

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Introduction

⋅ Atelier 20 : Image, son,TIC, outils d’éducation émancipatrice⋅ Atelier 21 : Méthodes actives et pédagogie de projet⋅ Atelier 22 : Jeu et risque, pédagogie de la confiance et de la liberté ⋅ Atelier 23 : enjeux de la culture scientifique et technique

Cette grande diversité d'approches a montré que l'éducation des citoyens dépend de multiples facteurs et pas seulement de l'école ni de l'éducation populaire. Chacun en définitive est co-responsable de sa propre éducation et de l'éducation de ceux qu'il côtoie.

Des débats en réunions plénières

Les réunions plénières suivaient chacun des temps d'atelier. Une synthèse rapide des points forts et des questions posées a été réalisée en dix minutes au début de chaque séance plénière. Un témoin a été invité à dire son point de vue en introduction et en conclusion de chaque temps de séance plénière.

Les débats sont souvent sortis du cadre fixé au départ pour aborder des questions fondamentales : à quels enjeux doit répondre une éducation émancipatrice ? Quels rapports établir entre les associations, le mouvement social, les forces politiques et les institutions ? Comment se situer par rapport à la crise du politique ? Faut il parler de principes ou de valeurs ? Quelle est la part du travail collectif et du travail individuel ? Quelles sont les attitudes éducatives nécessaires à une éducation réellement émancipatrice ? A quelles conditions l'action éducative s'adresse-t-elle à l'ensemble de la population ?

Le forum des rencontres

Un temps a été réservé le samedi soir, pendant une heure et demi, à la présentation, par tous ceux qui le voulaient, de leur action ou de leur réflexion. Trois vidéos, trois livres, des expériences ont été présentées. A noter, Bertrand Schwartz a animé un débat le samedi soir où il a présenté le bilan qu'il tire de 40 ans d'action éducative. Ce fut un grand moment pour les quarante personnes qui ont participé à ce débat sur l'évolution de l'éducation permanente aux emplois jeunes et à la médiation sociale. L’enregistrement de son intervention sera prochainement disponible sur le site de RECIT.

Les stands et les panneaux d'exposition des organisations

Vingt-deux organisations ont présenté leur action sous forme de stands ou de panneaux d'exposition (pédagogie Freinet, centre régional de documentation tiers monde, paroles d'habitants, Center for Innovation in Volontary Action, Yoranoo, etc…). Ces stands ont beaucoup plu aux participants. Ils ont favorisé les rencontres informelles et permis de mieux découvrir la multiplicité des actions menées par tous.

La fête

Enfin, pas de rencontre sans la fête et la danse. La ville nous avait prêté la salle Courmont, dans le quartier Moulins de Lille, quartier de tradition ouvrière et carnavalesque. La salle est une ancienne usine, haute et longue comme une cathédrale laïque. Accueillis par Mme ROUGERIE-GIRARDIN, présidente du conseil de quartier du Moulin, nous avons dégusté un remarquable repas tunisien et dansé pour accompagner le groupe de salsa-musique métisse.

3. La préparation collective et l'animation ont créé un état d'esprit commun

Comment la préparation et l'animation ont permis de créer un état d'esprit commun ? Trois éléments peuvent être soulignés

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Introduction

Un collectif de préparation à Paris et à Lille

Un collectif de préparation s'est mis en place à Paris et à Lille et a décidé de la forme, des thèmes retenus et de l'organisation, avec deux fois 3 réunions. Ce collectif a regroupé 25 associations et réseaux nationaux et 35 organisations de la région Nord-Pas de Calais. Il a permis de mobiliser largement, en tache d'huile, des organisations et des militants participant à des expériences locales, malgré la faiblesse des moyens de communication. Le bouche à oreille a davantage fonctionné que l'information officielle au sein des grands réseaux, car les rencontres n'avaient pas de notoriété au départ et l'information sur les rencontres était noyée au milieu de beaucoup d'autres.

La préparation des ateliers

Pour chaque atelier, des questions et 2-3 expériences ont été précisées pour chaque temps d'atelier par l'équipe d'organisation et ont été proposées à un petit groupe de 2 à 4 personnes ou à une structure tête de réseau. Ce dernier a été invité à amender et compléter ces propositions avec une note de présentation. Ces informations ont été diffusées avec l'invitation en novembre. Peu à peu le groupe s'est élargi en mobilisant des personnes porteuses d'expériences, par le bouche à oreille. Les inscrits aux rencontres, qui devaient préciser leur atelier, ont été intégrés au groupe de préparation et sollicités pour critiquer les questions et apporter leur expérience propre, ou d'autres qu’ils connaissaient.

Tous les ateliers n'ont pas réalisé la démarche, souvent par manque de disponibilité de l'animateur. Même si les modifications du programme initial ont été assez faibles,"cette démarche ouverte et de préparation fut très certainement, lorsqu'elle a été réellement mise en œuvre, l'un des aspects marquants et innovants de ces rencontres, en cherchant à faire vivre une cohérence avec les objectifs de contenu". Elle a contribué à susciter une dynamique collective enrichissante. Des cadres et des méthodes ont été proposés. Tout cela correspondait à une forte exigence en termes de démarche et de répartition du temps. "J'ai été très satisfaite de la préparation de l'atelier, simple, efficace, participative et productive".

Cette préparation a incité les animateurs d'ateliers à aller plus loin dans une réelle élaboration collective de l'atelier, la contrepartie étant le temps important investi pour cette étape. Par exemple, pour l'atelier 5 (économie solidaire), le MDS, qui préparait, a estimé avoir consacré entre 30 et 40h au minimum à la rédaction des écrits, aux contacts téléphoniques internes, à l'exploration et aux liens pour les témoignages, aux liaisons avec RECIT.

L'animation des ateliers

Plusieurs ateliers ont expérimenté des formes d'animation visant à favoriser l'expérimentation, la créativité ou la participation de tous

- L'atelier "démocratie participative" a commencé par un "brain storming silencieux" à partir des questions posées, puis un temps de restitution où chacun pouvait apporter ses réponses. Celles-ci étaient marquées sur des post-it et situées sur un grand tableau en fonction de leur proximité. Le système a été très favorable à la constitution du groupe en tant que collectif de réflexion. Mais il y avait trop de monde dans l’atelier (32 personnes), d'où l'impossibilité de traiter la matière de manière recueillie.

- Dans de multiples ateliers, des débats ont été appuyés sur des témoignages, soit après un ou deux exposés, soit en demandant aux participants disposant d'une expérience de dire en quoi celle-ci éclaire la question posée.

- Dans l'atelier "coéducation, coopération, citoyenneté", les animateurs ont proposé une méthode reposant sur un démarrage immédiat (après justification) en 9 petits groupes de 3, sans présentation des participants, avec des interviews successives au sein de chaque petit groupe. Le thème a été jugé trop vaste pour faire l'objet d'un travail efficace avec la méthode adoptée.

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Introduction

- Dans l'atelier "pratiques corporelles", les participants venaient d'horizons très différents (danseuse, kinésiologue, responsable d'association culturelle, pratiquante du tango, pompier, …). Chacun a fait pratiquer aux autres des exercices.

4. Les séances plénières, un résumé des questions de l'éducation citoyenne

Trois séances plénières ont suivi les temps d'ateliers, d'une heure et demi chacune, pour préciser de façon transversale les convergences dans les enjeux, les principes et valeurs, les comportements et les méthodes, et les actions. Un témoin apportait un point de vue plus large pour chacune des séances : Patrick Viveret (enjeux, principes et valeurs), Claire Héber-Suffrin (méthodes), Gus Massiah (actions). Un aperçu des travaux des ateliers était donné par un rapporteur chargé de dépouiller, avec l'aide d'une petite équipe, les 23 "fiches minutes" fournies par les rapporteurs d'ateliers dépouillées à l'heure du déjeuner ou du dîner. Ces restitutions ont permis de donner un aperçu des travaux d'ateliers, mais n'ont pas toujours débouché sur des débats construits autour des questions posées, parce que les participants avaient d'autres choses à dire.

Du point de vue de l'organisation globale, l’alternance plénières / ateliers s'est avérée donner un bon rythme de travail et a structuré convenablement le temps. Les interventions ont été riches, nombreuses, de qualité, comme en témoigne la synthèse qui suit, même si parfois on s'est égaré un peu longuement sur des questions qui paraissaient hors sujet (mais qui détermine ce qui est vraiment hors sujet ?). Ces séances plénières ont de fait constitué un bon résumé des questions de fond qui traversent un travail d'éducation des citoyens.

Les débats n'ont pas été assez cadrés et sont partis dans tous les sens, donnant l'impression de plusieurs débats entremêlés. Cette dérive très fréquente aurait pu sans doute être limitée par une meilleure préparation avec les animateurs et les intervenants : "Si la qualité des intervenants n’est pas contestable, on a pu s’interroger sur la demande précise faite par les organisateurs ; en effet, les interventions (notamment celle de Patrick Viveret) malgré l’intérêt du contenu, semblaient être peu mises en lien avec le thème annoncé (éducation à la citoyenneté), comme si chaque intervenant arrivait avec sa thématique ou son discours de façon un peu « plaquée ». Enfin, en ce qui concerne l’animation des plénières, on aurait peut-être gagné, du côté de la salle et des participants, à une animation facilitant ou recentrant la parole. On aurait peut-être pu ainsi limiter les inévitables prises de paroles hors sujet et faire rebondir le débat, au lieu de laisser se juxtaposer pèle-mêle les points de vue, chapelles, humeurs et autres interventions en tous sens. Ce rôle est évidemment très difficile à tenir et demande peut-être une certaine expérience, mais l'enjeu est de taille..."

On aurait sûrement gagné à prendre 15 minutes en petits groupes (du type 6 x 6, sur place) qui afin de rassembler les questions et de mûrir les points de vue.

A noter des aspects positifs ont été pointés :⋅ - La première synthèse sur les ateliers était pertinente (utile pour la suite du travail dans l'atelier Pédagogie projets) et la seconde a restitué une méthodologie riche d'expérience pédagogique

⋅ - L’apport de Claire Heber Suffrin dans les témoins était la plus en phase avec le sujet3

5. La capitalisation

Des fascicules par atelier ?

Il était prévu de noter les interventions au sein des ateliers et de mettre en perspective les principales idées, les analyses et les propositions, en s'appuyant sur le fil rouge que constitue l'enchaînement des questions posées. L'objectif était de réaliser pour chaque atelier un fascicule de 10 à 20 pages permettant de démultiplier la réflexion.

3 Extraits du bilan fait par le MDS

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Malgré de multiples rappels, seuls deux ateliers ont à ce jour réalisé ce travail. Deux autres sont en cours de rédaction, et certains autres ont produit un compte rendu plus succinct. Ce faible résultat peut s'expliquer par une série de raisons : ⋅ - La surcharge des rapporteurs. Beaucoup ont été repris par leur charge de travail dès le retour de Lille. Il eut été préférable de demander moins, mais dans un délai court.

⋅ - Cet objectif n'était pas clair pour tous les participants. La préparation avec les rapporteurs a été très légère : le simple envoi d'un document ne suffit pas. Une préparation préalable de vive voix est nécessaire. Dans certains cas les rapporteurs se sont succédés faute d'avoir négocié un engagement ferme avec une personne sachant à quoi elle s'engageait.

⋅ - Le statut d'une discussion en atelier est de vivre ensemble un moment de rencontre et de production commune. Les interventions demandent une grande attention dans les moments où l'échange est intense.

⋅ - La prise de notes est difficile et souvent n'a pas été faite complètement. Il serait prudent pour l'avenir de prévoir des binômes ou des petits groupes, qui se chargeraient de noter les interventions et de les analyser.

L'objectif doit cependant être conservé pour l'avenir. Les ateliers ne travaillent pas que pour eux-mêmes : leur production intéresse d'autres acteurs. Il est important de pouvoir la réutiliser.

Une restitution d'ensemble

Il était prévu que l’ensemble des conclusions des Rencontres fasse l’objet d’une publication à partir des débats en séance plénière et d'une lecture transversale des travaux d'ateliers, afin de préciser les convergences en termes d'enjeux, de valeurs et de méthodes, malgré la diversité des approches.

Le présent document répond à cet objectif. Il aurait été plus complet en y intégrant les réflexions de certains ateliers qui nous manquent, mais la richesse des débats, qui se recoupent, permet d'aborder la plupart des questions.

Des documents audiovisuels

Il avait été noté avant les rencontres que la forme écrite est irremplaçable, mais ne suffit pas (tout le monde ne lit pas). Chaque atelier avait été invité à réfléchir à d'autres formes de communication faisant appel à l'image (diaporama, prises d'image vidéo, interviews ou prises de son de débats, petits objets alternatifs).

Un enregistrement vidéo des séances plénières et de quelques séquences d'ateliers a été réalisé par Jean Winter, qui doit faire un montage d'une trentaine de minutes au cours de l'automne.

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1ère Partie Des actions porteuses d’éducation citoyenne

.1ÈRE PARTIE: DES ACTIONS PORTEUSES D'ÉDUCATION CITOYENNE

Nous avons choisi de donner en annexe la liste des expériences dont nous avons la trace, et de restituer ici, à partir des textes rédigés par ceux qui les mènent, 10 actions significatives. On trouvera sur le site de RECIT4 un répertoire plus complet de ces expériences.

4 www.recit.net

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1ère Partie Des actions porteuses d’éducation citoyenne

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1ère Partie Des actions porteuses d’éducation citoyenne

.1 Paris XVIIIème : l'heure des conteurs

- conter sa vie et en faire une histoire -

Être sur les listes du Service social c’est faire partie de ceux qui ne sont désignés que par ce qu’ils n’ont pas : les « sans » : sans domicile, sans travail, sans papiers, sans projet, sans sécurité etc. La démarche « Faire de sa vie une histoire » s’adresse à ces citoyens du 18ème arrondissement, non pas à partir de leurs manques et de leurs besoins mais à partir de leurs acquis, de leurs expériences

Dans le cadre de l’aide aux personnes en situation précaire le Secours Catholique propose des repas à coût réduit, deux fois par semaine. Une fois tous les 15 jours, une proposition intitulée « L’heure des conteurs » est faite à ceux qui le souhaitent. A ces citoyens qui se définissent eux-mêmes comme de seconde zone, il est proposé de prendre la parole et d’être interpellés en tant que témoins de leur époque, aptes à apporter leur contribution à la mémoire collective.

S’exprimer, c’est exister, s’exprimer dans un cadre précis devant un groupe, c’est être reconnu dans cette existence.

Les préalables incontournables : prendre le temps d’un apprivoisement mutuel, et pour l’accompagnateur répondre à l’attente légitime du groupe, se situer à sa juste place.

L'enregistrement des interventions laisse une trace visible de la mémoire du groupe. Mis par écrit, chaque texte est présenté à son auteur avant la séance suivante, pour être validé (et s’assurer qu’il n’y a pas eu erreur de transcription.). Celui-ci peut alors se réapproprier sa parole et donner (ou non) son accord pour qu’elle figure dans la production commune : le « livre d’or. » comme certains l’appelleront. Les textes sont illustrés : photos, poèmes, autres trésors personnels…

Au bout de 6 mois, chaque participant au groupe des conteurs (une quinzaine) est reparti avec un exemplaire du « livre d’or ». Pour la dernière séance, le groupe a pris l’initiative d’inviter les bénévoles à un apéritif festif pour les remercier de la préparation des repas. Plusieurs iront au micro. Cet acte posé « inverse » les statuts en leur permettant à eux, les conteurs, d’être du « bon côté » de la barrière : ceux à qui l’on dit merci.

Tout public peut souhaiter faire son histoire, mais quand cette histoire a connu des ruptures, des cassures (l’exil), retrouver un fil conducteur, réhabiliter le passé pour le transmettre, devient un objectif qui peut redonner sens à une existence.

Cette parole libérée a surpris les participants eux-mêmes : se côtoyer ne sous-entend pas que l’on se connaisse. L’Histoire de vie peut être une réponse à la honte sociale, c’est en cela qu’elle est une pédagogie émancipatrice : en créant l’opportunité d’être perçu (et de se percevoir) au-delà des apparences. Si le regard des autres condamne, ce même regard peut aussi restituer une dignité.

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1ère Partie Des actions porteuses d’éducation citoyenne

.2 Fives Lille - Paroles d'habitants le « diagnostic marchant »

- faire ensemble pour un mieux être-

Une équipe militante intervient depuis plusieurs années dans la quartier de Fives à Lille sous forme d’une démarche de projet avec les habitants de secteurs sensibles. Le processus de participation mis en œuvre met l’habitant en capacité d’agir et permet de favoriser l’apprentissage.

Réalisé dans la durée, avec les habitants et non pour eux, le processus a généré une « conscientisation » qui a amené les habitants à se constituer en comité d’habitants puis en association en différents lieux du quartier. Ces comités et associations d’habitants poursuivent des objectifs similaires en proposant des actions liées à la vie sociale (ateliers adultes, ateliers enfants, actions périscolaires, actions festives, etc…) C’est à partir des préoccupations partagées que des liens se sont tissés avec les groupes d’habitants issus de différents lieux du quartier.

« Le faire ensemble pour un mieux être » forge la force de « Paroles d’Habitants ». Cette mise en réseau est propice au développement d’un lien social car elle permet aux familles de s’identifier à travers la réalisation d’actions communes et de résoudre ensemble des problèmes auxquels elles sont confrontées, faire de sorte d’être dans une « culture de faire autrement ».

L’association a un double objectif : non seulement l’apprentissage et la participation des familles à la vie sociale et même au processus de décision mais aussi à la reconnaissance du rôle social joué par ces groupes d’habitants c’est à dire passer d’une indifférence à une reconnaissance institutionnelle. Il s’agit avant tout de charpenter et développer la mise en réseau de groupes d’habitants fragilisés, en permettant la reconnaissance, l’apprentissage, l’échange d’expériences, la construction d’une parole et le développement de pratiques collectives.

Le « diagnostic marchant » sur la propreté dans les cités, s’inscrit dans le processus engagé par le réseau « Paroles d’Habitants ». Ce diagnostic partagé entre les différents groupes de base et les représentants institutionnels est fait en marchant sur les cités, en ouvrant grands les yeux, en regardant et écoutant. Il permet aux habitants d’être entendu et de pointer les défaillances mutuelles mais aussi les forces permettant d’agir collectivement.

Le diagnostic représente le point de départ d’une démarche collective rapprochant les habitants et les institutions pour une mise en œuvre qui va s’échelonner sur plusieurs mois. Cette démarche va donc nécessiter de se retrouver sous forme d’ateliers collectifs, de hiérarchiser et retranscrire les problèmes constatés sous forme d’engagements opérationnels. Des réponses seront apportées en fonction des compétences de chacun soit par les habitants, soit par les institutions, soit par des actions conjointes.

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.3 Les éclaireurs de France

Des séjours de vacances ouverts aux personnes handicapées mentales

Les Eclaireuses, Eclaireurs de France, association de scoutisme laïque, a fait le choix voilà 70 ans d'ouvrir ses séjours de vacances à des enfants handicapés mentaux dans une démarche d'intégration, puis s’est élargie aux adultes handicapés mentaux.

"Notre démarche pédagogique et l'application de nos valeurs supposent quelques adaptations pour la mise en œuvre de nos séjours

La première d'entre-elles est la démocratie. Son objectif est de favoriser l'expression, l'écoute entre les participants et ainsi de mettre en place des projets ou des activités à la mesure de leurs capacités. C'est pourquoi nous organisons sur nos séjours des temps formels de conseils, de bilans et de propositions. Selon le public, ces temps peuvent prendre différentes formes : groupe autogéré, groupe animé par un vacancier ou un animateur, gestion plus individualisée….

Chacun de nous est porteur de sa différence, ainsi nos projets de vie en groupe, d'échange avec l'extérieur, de respect des cultures…permettent de faire vivre nos valeurs de laïcité et d'ouverture. Nos séjours tentent de s'intégrer à la population locale en organisant, par exemple, des spectacles, des activités communes entre nos vacanciers et les habitants : journée d'activité avec un CLSH communal, participation à une course à pied organisée par la ville…

Nos séjours reposent sur la mixité de l'équipe d'animation, des vacanciers. Dès lors nous privilégions les activités favorisant la participation commune des garçons et des filles. On ne peut pas parler de coéducation sans prendre en compte l'importance du respect de l'intimité et de la singularité de chacun.

Développer la prise de responsabilité en favorisant au quotidien la participation de chacun aux tâches de la vie courante, permet de mettre le vacancier au centre de la vie du séjour et ainsi d'être acteur de ses vacances. La participation aux choix des activités, à l'élaboration des repas, aux tâches ménagères, à la gestion du linge, de l'argent de poche…favorisent l'autonomie et la prise d'initiative de chacun.

Afin d'intégrer pleinement le public handicapé mental à nos méthodes de scoutisme, nous nous efforçons, quelques soit le handicap mental, de faire vivre aux vacanciers une vie en plein air, notamment en dormant sous tente et en organisant des activités autour des feux de camps.

Enfin, nous avons créé ce que l’on appelle les « Unités DEFI », qui sont des groupes accueillant des personnes handicapées mentales, dans une démarche de continuité, avec un projet annuel. Ces groupes se réunissent environ un week-end par mois pour mener des activités en lien avec leur projet mais qui a aussi pour but d’aboutir à la préparation d’un séjour d’été organisé par le groupe.

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.4 « Action Consommation » du Val d’Oise

Guide local de la consommation responsable

« Action Consommation » du Val d’Oise a réalisé un guide local de consommation responsable. Le guide est composé de 40 fiches abordant tous les domaines de la consommation, de l'alimentation aux loisirs et à l'informatique, et renferme une foule de conseils et d'idées utiles pour mieux conduire sa vie de consommateur.

1. Sensibiliser

Il s'agit d'abord de sensibiliser de manière générale le « consommateur-citoyen » à sa responsabilité et à son pouvoir face à l’acte d’achat ou de non-achat. En effet, au sein « d’Action Consommation, nous souhaitons dépasser la simple défense des intérêts des consommateurs (seul rapport « qualité-prix ») pour nous intéresser à la qualité globale (sociale et environnementale) des produits que nous consommons : de quelle manière sont-ils fabriqués, par qui, dans quelles conditions, comment sont-ils distribués ? L’acte de consommation peut être véritablement un acte politique dès lors que nous sommes informés et conscients des conséquences de nos choix. Nous aspirons également à une information neutre et objective, non influencée par la publicité, le marketing et les médias.

2. Inviter à agir

Nous invitons également les citoyens à agir auprès des institutions et des « politiques » pour faire évoluer les modes d’organisation et de production des entreprises. Pour cela, et parallèlement aux actions politiques et institutionnelles, nous pouvons poser des actes quotidiens concrets, conformes à nos utopies de vivre dans un monde plus juste et solidaire. C’est pourquoi, au-delà de la dénonciation, il s’agit également de proposer des alternatives concrètes qui ne pourront se maintenir et se développer que si les citoyens se tournent vers elles.

3. Pouvoir consommer autrement dans le Val d'Oise

Enfin il s'agit d’informer les citoyens habitant le Val d'Oise sur les alternatives locales réunies dans ce guide. L’un des obstacles à la consommation responsable est en effet le manque d’informations sur ce sujet.

Notre souhait est que ce guide fasse des petits ! et inspire les personnes souhaitant en réaliser dans leur région. Il reçoit un accueil très favorable car il permet à ceux qui n'ont pas le temps et les moyens d'agir seuls de trouver les informations nécessaires pour apprendre à consommer responsable

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.5 Une cantine Bio dans le Séronais (Ariège)

«Bien manger ensemble», ou le respect et la protection de soi, des autres et de l’environnement

La petite commune d'Alzen et la communauté de communes du Séronais ont connu un développement local participatif exceptionnel depuis 25 ans grâce au rapprochement des Ariégeois de souche et des néo ruraux. Entre autres projets, il s'y est mis en place un projet de cantine scolaire bio. Ce projet fédère parents, enseignants, éducateurs, agriculteurs, personnel de cantine et élus pour une amélioration des repas servis aux enfants et une réelle éducation à la santé et à l’environnement et une ouverture sur les producteurs locaux.

Le projet poursuit 4 objectifs : ⋅ promouvoir une alimentation de qualité respectueuse du consommateur, de l’agriculteur et de l’environnement

⋅ privilégier les produits locaux, les produits biologiques⋅ éduquer les citoyens de demain à la préservation de la santé, au plaisir de manger des produits nouveaux, variés et des repas équilibrés

⋅ développer la prise de conscience de notre responsabilité citoyenne vis-à-vis de la planète et de ses habitants.

Le projet s'est développé depuis 4 ans. Il lui a fallu laisser le temps de mûrir. D’abord un projet fédérant parents, enseignants, éducateurs, agriculteurs, personnel de cantine, et élus a été élaborer pour une amélioration des repas servis aux enfants et une réelle éducation à la santé et à l’environnement.

Une formation de toutes les catégories de personnel et une visite de lieux où de tels projets existent ont été organisées pour concrétiser le projet. Des repas biologiques, alternatifs, ont pu être servis à la cantine et les espaces de restauration ont été améliorés. Un véritable travail pédagogique et éducatif a été réalisé avec les enfants.

De nombreux changements et des actions dans la durée découlent de cette initiative. Les produits frais, les produits locaux et bio prennent une part de plus en plus importante dans les menus.

Le thème de l’alimentation, intégré dans plusieurs activités à l’école ou au centre de loisir, permet aux enfants de l’aborder de différentes manières pratiques et théoriques. Ce travail permet d’introduire les notions de commerce équitable, de développement local, de former un esprit critique face à la consommation, la publicité.

Le travail sur l’alimentation a été un moyen de développer des savoir-faire et des savoir-être en matière de communication de recherches aux autres (expositions, journal scolaire, site Internet), de participation orale en groupe (s’exprimer, écouter, faire des propositions..), Cela a aussi été l’occasion d’organiser un repas «restaurant » géré par les enfants et ouvert aux parents.

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.6 La maison des Babayagas : maison autogérée de femmes âgées

L'art de bien vieillir, une utopie réaliste

Autogérée, la Maison des Babayagas à Montreuil (93) sera une maison gérée et habitée par une vingtaine de femmes (regroupées en association) retraitées, autonomes, solidaires et citoyennes. Nous voulons construire un lieu, un mode de vie qui, jusqu'à notre dernier jour, quel que soit l'affaiblissement que l'âge apportera, nous permette de rester NOUS-MEME!

AUTONOMES: nous gèrerons notre maison nous-mêmes, n'acceptant d'aide extérieure que le moins possible et pour palier nos forces déclinantes, l'attention soutenue aux soins du corps - gymnastique, thérapies, massages - tout à la fois plaisir et exigence, y aidant grandement

SOLIDAIRES: c'est dans la vie collective que nous nous aiderons à bien vieillir ensemble et à mourir.

CITOYENNES: loin de nous enfermer en ghetto, nous serons ouvertes sur la ville, actives autour de nous autant que nous le pourrons, articulant vie sociale et vie culturelle :

- soutien scolaire, aide aux jeunes femmes, alphabétisation, transmission et échanges réciproques de savoirs et de traditions, initiation au S.E.L. etc...

- rencontre, concerts, cinéma, expositions, jours de réception conviviale interculturelle, intergénérationnelle et gastronomique

Pendant la journée, a Maison accueillera tout particulièrement les personnes âgées du quartier, femmes et hommes, qui, bien que souhaitant rester dans leur lieu de vie habituel, seront disponibles et désireront participer dans le même esprit à l'animation de la "Maison des Babayagas". Les Babayagas créeront du lien et du bien; œuvrerons à la cohésion sociale du quartier. Refusant le social martyr elles inventeront le social ludique. La vieillesse n'est pas forcément un naufrage.

En concevant et réalisant ce projet de vie, les « babayagas » expriment la volonté de s'approprier leur propre vieillissement en réunissant les conditions nécessaires pour satisfaire les aspirations individuelles aussi bien que collectives. L’initiative novatrice porteuse des valeurs de coopération, de partage, d’entraide, de solidarité,… se veut exemplaire. D’autres personnes disent souhaiter impulser un projet identique dans leur ville.

Grâce à la réussite du projet et leur expérience, ce groupe de personnes âgées veut pouvoir apporter des réponses pour améliorer le système inadapté et parfois inhumain de la prise en charge des personnes âgées dans des hébergements collectifs. La maison des babayagas voudrait être pilote d'un mouvement européen, la montée d'une population de grand âge bousculant tous nos vieux pays, interrogeant notre jeune Europe. La maison des babayagas, c’est aussi la volonté de changer le regard de la société sur les personnes âgées, de rompre avec la relation de dépendance qui se construit malgré elles entre les populations âgées et leurs enfants, en étant acteur de sa propre vie jusqu’à la fin.

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.7 Des Livres Et Vous,

La librairie tartinerie de Sarrant (32)

En créant la librairie-tartinerie de Sarrant, avec un objectif d’animation de la vie intellectuelle d’un territoire rural de proximité, Didier Bardy et Catherine Mitjana réalisent un projet de vie qui concilie leurs rêves respectifs (un lieu de rencontre, une librairie) et leurs professions (dans le domaine du développement local).

Installée dans une grande maison gersoise remise en état du village circulaire de Sarrant, la librairie-tartinerie est un lieu de rencontre - salon de thé, galerie, restaurant, librairie engagée, café, salle de projection et de conférence. Il a fallu tenir bon pour que l’idée de manger, lire et vendre des livres dans un même espace soit acceptée. La tartine et ses évocations liées à l’enfance ont finalement charmé tout le monde. La nourriture est importante pour casser une image trop « intello » de la librairie et créer un espace vivant et animé. Le « décalage » ainsi créé nourrit le concept adopté par Catherine et Didier du « loisir actif ».

Les livres et les produits alimentaires qu’on y vend sont choisis avec le plus grand soin et sont porteurs des valeurs qui fondent le projet (coopération, partage, solidarité, souci du long terme…). Le commerce oui, mais d’abord et surtout au service du lieu, et avec des partenaires qui portent les mêmes valeurs.

La volonté est aussi de développer dans ce lieu un rôle éducatif en ouvrant l’espace pour accueillir d’autres projets (ateliers de lecture, d’écriture, groupes de parole…) menés sur le territoire. La réussite du projet, porté par l’association LIRES (Lieu pour l’Initiative, la Rencontre et l’Echange à Sarrant) est en grande partie liée au travail en partenariat avec les acteurs locaux. La librairie-tartinerie jour un rôle fort dans la vie sociale et culturelle du territoire.

L’association LIRES a lancé une réflexion sur la place du livre en milieu rural en y associant de nombreux acteurs professionnels et institutionnels. La démarche a débuté par un diagnostic avec des acteurs rencontrés dans le champ culturel, social ou éducatif. Les témoignages ont nourri la réflexion pour organiser une rencontre « Lecture, développement local et lien social » qui a permis aux participants de préciser les enjeux, de réfléchir à la question des pratiques, et aux valeurs qui les sous tendent.

L’organisation de cette rencontre a permis de lancer une dynamique de travail en réseau et peut contribuer à l’émergence d’un projet de territoire partagé par un grand nombre de personnes.

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.8 L'association EVEIL à Chatou,

Pour des débats citoyens :"la citoyenneté c’est quoi ?"

Définir la citoyenneté, ce n'est pas simplement expliquer de quoi il s'agit, c'est déjà réfléchir à la place de chacun dans ce grand ensemble que l'on appelle la société et essayer de préciser quel rôle on voudrait y tenir en tenant compte de l'intérêt général. La citoyenneté, c'est déjà écouter l'autre.

L'association ÉVEIL développe pour les jeunes des programmes d'information sur des thèmes d'éveil à la citoyenneté en complément des programmes officiels.

A côté de programmes pluri-annuels d’interventions en milieu scolaire à l’échelon national, EVEIL a mené un projet de débats citoyens en 2003 avec 3 établissements scolaires partenaires (Paris/Villiers-le-Bel/Douai), intitulé « la citoyenneté c’est quoi ? » Des intervenants EVEIL, accompagnés d'une équipe de tournage vidéo, ont organisé une série de débats entre élèves sur ce que signifiait pour eux « être citoyen ».

Une question a guidé cette démarche pédagogique: Comment faire émerger une parole sur la citoyenneté chez de jeunes adolescents ? Tout l’enjeu et la difficulté de l’expérience était de parvenir à faire parler des jeunes, pour qui la prise de parole peut être un défi, en leur donnant l’occasion de s’exprimer en dehors du contexte formel des cours. Il s’agissait également d’éviter de plaquer nos propres attentes d’adulte et de faire émerger une parole autonome et spontanée.

Une étape importante dans la démarche a consisté à commencer par des entretiens individuels avant de lancer des débats. Pour libérer la parole, il est essentiel d’instaurer un climat de confiance, un climat propice à l’échange. En clair les animateurs doivent se faire accepter par les jeunes, puis essayer de cerner leurs préoccupations, les aider à formuler leurs attentes, à s’exprimer par eux même. Tout cela de manière à susciter un débat qui ne soit pas artificiel mais qui soit bien le reflet de leurs préoccupations et réponde à leur besoin d’être écouté et pris en considération par les adultes.

Les enseignants ont largement participé à la préparation du projet, apportant une contribution décisive. Les intervenants EVEIL ont ainsi pu s’appuyer sur ce qui avait été fait dans l’année, notamment sur les projets ou les travaux réalisés par les élèves.

Leur parole collectée et restituée a donné lieu à la réalisation d'un livre : La citoyenneté c'est quoi ? et d'une courte vidéo, Paroles de jeunes.

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1ère Partie Des actions porteuses d’éducation citoyenne

.9 « Réveillons la Démocratie »

A Gap et ses environs

La restauration d’un espace public démocratique est une tâche essentielle pour répondre à la crise politique. Celui-ci ne peut pas être confisqué par les hommes politiques. Réveillons la Démocratie se veut un embryon d’espace politique limité mais réel. Il se veut une « ecclesia » pour ce qui est de la discussion et de l’échange des arguments sur les problèmes de tout ordre qui concernent notre démocratie. Le fonctionnement est simple et strict.

L’intervenant principal présente la question en 20 mm. Puis le débat s’engage entre lui et l’assistance. Le débat peut avoir lieu entre les membres sans que l’intervenant principal intervienne, il n’y a pas de hiérarchie ou d’expert. Les séances durent deux heures, jamais plus. Réveillons la Démocratie n’est pas constitué en association loi 1901 car les participants ne le souhaitent pas. Personne n’occupe la position de président. Il existe un groupe d’une dizaine de personnes qui prépare les réunions. Le financement est assuré par des dons des personnes présentes (argent, timbres, enveloppes...) qui sont posées dans un chapeau ! Cela sert principalement à tirer les tracts et à faire des envois à ceux qui n’ont pas de courriel. Les thèmes sont définis par des propositions des participants.

Le travail du groupe de pilotage est essentiellement technique : contacter les intervenants, préparer les tracts, prévenir la presse et les radios locales, animer les réunions, faire les comptes rendus, trouver les salles, etc… La moyenne des présents aux débats est de 30 personnes.

Plus de 200 personnes de tout horizon fréquentent les réunions qui ont lieu deux fois par mois : une fois à Gap et l’autre dans un village environnant. Les thèmes traités vont de la démocratie à la crise de l’hôpital en passant par les régionales, les transports, les impôts, le contrôle démocratique des dépenses publiques, les partis, les syndicats, les femmes, l’aide humanitaire, ville et campagne etc...

Les effets de ce travail organisé de manière très simple sont nombreux. D’abord, la démarche joue un rôle important d’information des personnes et met en place une forme de « veille politique » (l’initiative a été lancée après le 21 avril 2001). On peut observer une redynamisation des citoyens qui trouvent un espace pour exprimer leurs espoirs, leurs craintes, mais aussi des propositions. Certaines personnes, qui ne l’avaient jamais fait auparavant viennent y exprimer un engagement fort par rapport à la politique. La présence des acteurs politiques leur permet de se rapprocher d’une démarche participative dans leur travail. Complété par l’organisation de repas citoyen, les réunions nourrissent un lien social de plus en plus fort .

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1ère Partie Des actions porteuses d’éducation citoyenne

.10 Centre de Documentation et d’Information participatif

Un espace de confiance et de liberté pour s’émanciper

Dans un CDI, de multiples actions qui contribuent à une éducation citoyenne sont possibles : la formation d’une équipe d’élèves capables de travailler comme de vrais professionnels, des ateliers d’écriture, de rédaction journalistique, de lecture collective et intergénérationnelles, des rencontres avec des journalistes (semaine de la presse) ou des écrivains.

Au travers des différents ateliers mis en place dans les CDI, on distingue des enjeux communs :⋅ La lecture et l’écriture peuvent se décliner à l’infini, au gré d’ateliers, de pratiques individuelles ou collectives, de formations, d’investissement et d’appropriation des lieux, c’est un lieu public qui appartient à la collectivité, aux usagers, ils en font ce qu’ils ont envie d’en faire.

⋅ Il se profile toujours une même volonté, celle de mener les élèves à l’autonomie dans leurs choix, leurs lectures, leurs recherches documentaires, leurs activités d’écriture… de les former à devenir des citoyens.

⋅ La découverte de la diversité des expressions culturelles et cultuelles au travers des différentes lectures, conduit les jeunes à l’apprentissage de la différence, du respect de l’autre, à la compréhension de la nécessité de bien vivre ensemble, à la tolérance…

⋅ Mettre des mots là où il y a nécessité, les élèves ont besoin d’explications, de modélisation, de compréhension du monde pour avoir moins peur de construire leur avenir, ils ne seront des citoyens à part entière que s’ils se sentent bien dans leur tête.

⋅ L’écriture peut devenir un instrument de médiation des questionnements des jeunes, médiation de la violence institutionnelle, de la violence sociétale, de la violence familiale… L’écriture se transforme en outil de communication entre pairs, avec l’institution ou la société ; elle peut être vecteur des sentiments, des ressentis ou tout simplement des informations.

Les enfants et les adolescents ont soif de connaissances, il est important de mettre à leur portée un grand nombre de possibilités de découvrir la lecture et l’écriture dans un autre lieu que la classe, où ils ne se sentiront pas en échec, où ils ne seront pas évalués mais plutôt valorisés et encouragés. C’est le rôle du CDI, quelle que soit son implantation géographique sur le territoire mais encore plus nécessairement dans les ZEP où y a souvent carence de livres à la maison dans les milieux défavorisés.

Il est essentiel que les enfants se sentent bien dans le lieu, qu’ils aient accès librement à tous les documents sans avoir besoin de demander la permission du professeur. Cela nécessite une formation systématique à la méthodologie de recherche, un élève doit devenir rapidement moteur de ses lectures, de ses recherches.

Le CDI est ainsi un territoire neutre au sein de l’établissement où, élèves, enseignants, personnels, se retrouvent utilisateurs ou acteurs sans priorité ni privilège

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1ère Partie Des actions porteuses d’éducation citoyenne

.2ÈME PARTIE PRINCIPES, VALEURS, COMPORTEMENTS

Tout groupe a besoin de se fonder sur des principes d’action communs, sur des valeurs communes. Mais à quel moment une valeur devient-elle universelle ? Quelles démarches et quels comportements sont en cohérence avec ces valeurs communes? On a pu constater que malgré leur grande diversité, les actions menées poursuivent un nombre restreint de finalités, d'attitudes et de méthodes.

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2ème partie – Principes, valeurs, comportements

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2ème partie – Principes, valeurs, comportements

.1 Des principes d'action communs, un socle de valeurs communes

La force de ce rassemblement venait de la diversité des organisations présentes, de la diversité des origines, des âges, des modes de pensée. Les actions et les valeurs sous jacentes, les cultures et les histoires militantes étaient très diverses.

Le débat autour des valeurs et des principes a été vif, certains "tenant pour les valeurs", d'autres préférant parler de principes d'action communs. Ce débat s'est développé à certains moments sur une opposition entre la laïcité et les "catho". A la réflexion il semble que les deux termes sont nécessaires et doivent être utilisés (on parle des valeurs de la République), à condition d'appeler "valeurs communes" celles qui sont universelles et non les convictions de chacun, comme si elles étaient partagées par tous.

1. Nous partageons des raisons d'agir

Les valeurs sont fondamentales du point de vue des comportements individuels, et tout groupe a besoin de se fonder sur des valeurs communes. La valeur, c'est à la fois ce qu'on mesure comme indicateur de la réussite d'une action. "Savoir qu'ils ont pour Dieu l'argent permet d'expliquer bien des choses"", disait Gandhi des anglais. C'est aussi ce qui a du prix, ce qui est vraiment essentiel. Il n'est pas possible d'agir ensemble sans des valeurs communes.

À quel moment une valeur devient-elle universelle ? A quelles conditions peut-on énoncer des valeurs qui fondent RECIT comme un groupe ouvert, mais pas ouvert à n'importe quelle idéologie ? Nous avons eu la possibilité d'avancer sur cette question, par notre diversité et nos convergences dans les pratiques. Mais pour cela chacun doit faire la part entre ce qui lui est spécifique et ce qui est commun à tous. Le débat nous aide à prendre conscience de nos convergences. Ce débat a été plus facile dans des petits groupes, où on a le temps de s'expliquer sur les différences des mots (ce qui est valorisé pour l'un peut désigner l'ennemi pour l'autre) et de s'appuyer sur les pratiques.

2. Des principes fondateurs communs

On a pu constater que malgré leur grande diversité, les actions menées poursuivent un nombre restreint de finalités. Ces principes d'action communs figuraient déjà pour la plupart dans la charte de principes de RECIT, mais les échanges ont permis de les compléter.

On peut résumer ces principes en 10 points :

- Respecter les droits de l’homme et la dignité humaine, lutter contre les discriminations, en dépassant l’égalité formelle pour aller vers une égalité effective de tous dans l'accès aux droits.

- Permettre à chacun de se libérer par rapport aux conditionnements imposés par la société afin qu'il puisse re-construire ses savoirs et ses représentations, prendre conscience de la situation du monde, être en capacité d'agir en tant que citoyen.

Mettre en oeuvre des logiques de coopération et de fraternité, et non de compétition et d’individualisme, l’égalité et la liberté ne trouvant leur sens que dans un contexte de fraternité.

- Développer la solidarité, mais comme une réciprocité et une co-responsabilité de chacun envers tous, (des relations interpersonnelles à une solidarité mondiale) et non comme une assistance.

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2ème partie – Principes, valeurs, comportements

- Consolider l'avenir de la démocratie et l'étendre à l'international, en réinventant des formes de citoyenneté active, de participation, de mise en réseau et de rencontre qui n'excluent personne, et assurent à chacun une place et une reconnaissance.

- Adopter individuellement et collectivement un autre modèle de développement afin de préserver les biens communs de l’humanité, nécessaires aux générations actuelles et futures, et assurer les conditions de poursuite de l’aventure humaine.

- Assurer à chacun, par des échanges équitables et une solidarité locale, nationale et mondiale, une égalité effective d'accès à l’éducation, à la santé, à la culture et aux services, biens communs de l'humanité, et aux richesses produites.

- Respecter les différences tout en cherchant des convergences sur l'essentiel, par l’écoute, la relation et la réciprocité, par une laïcité ouverte, où la diversité des raisons d'agir est considérée comme une richesse.

- Permettre à chacun de développer et d’épanouir ses potentialités, en particulier ses capacités de don, de relation, de partage, de non violence, et ce dès l’école, dans une optique de développement personnel et de promotion collective, et non de compétition de tous contre tous.

- Permettre à chacun de trouver une cohérence entre ses actes, son rôle dans la société et le sens donné à son existence, dans le respect de ses options et de son histoire personnelle, avec un équilibre entre identité et ouverture, entre culture propre et métissage.

3. Un socle de valeurs communes

A travers ces principes d'action communs, peut-on affirmer que nous partageons un socle de valeurs communes ? Cette question fait débat.

Le mot valeur est polysémique : il n'a pas moins de 12 sens différents, selon le Larousse (sens courant, économique, mathématique, juridique, musical, littéraire, linguistique,…). De fait, deux des sens s'opposent ici dans la discussion. Si valeur désigne "ce qui sert de référence ou de principe moral, et sert à établir une échelle de valeurs (hiérarchie entre des principes moraux)", personne ne défend l'usage du mot.

Si valeur désigne l'importance attachée à quelque chose, "ce qui est essentiel" pour une personne ou un groupe social, nous constatons que les 10 propositions qui précèdent résument une part importante de nos motivations et de nos raisons d'agir ensemble, et on peut parler dans ce sens là de valeurs communes comme de principes communs.

Cette convergence montre que des groupes très différents partagent les mêmes principes d'action et agissent dans le même sens. Ce constat permet de redonner de la force aux perspectives d'une laïcité ouverte, reposant sur l'action, ouverte à la pluralité des convictions et des histoires personnelles. Il délégitime ceux qui se présentent comme les seuls à mener des actions justes et nécessaires, au nom d'un système de valeurs, d'une idéologie, d'une philosophie ou d'une religion.

Ces convergences permettent aussi d'affirmer que la vision libérale, qui voit tout à travers l'intérêt individuel, l'argent, le pouvoir) est une vision du monde tronquée et inadéquate pour décrire la réalité. Nous devons réinvestir tous les lieux et les débats où le libéralisme, l'individualisme et le fatalisme imposent une fausse lecture du sens.

Chacun doit faire la part entre ce qui lui est spécifique et ce qui est commun à tous.

Pour autant, en effet, cette convergence ne prétend pas remplacer l'ensemble des convictions de chacun. Les histoires, les convictions, le langage du sens sont très différents selon les personnes, les groupes et les organisations. Les convictions philosophiques ou religieuses mettent l'accent sur tel ou tel aspect, avec un vocabulaire spécifique. Certaines sont historiquement opposées, les mots qui valorisent l'un peuvent désigner l'ennemi pour l'autre. Pourtant, face aux dangers qui s'annoncent,

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nous avons à agir ensemble5. Aussi nous pouvons dire que nous partageons des valeurs communes, mais que nous agissons ensemble au nom de valeurs différentes.

L'éducation doit pousser chacun dans sa propre logique. On revient ainsi au sens originel de valeur. Valoir, à l'origine, c'est "être vigoureux, bien vivant". Travailler sur les valeurs, dans une démarche éducative, permet à chacun (maître et élève, citoyen et responsable politique) de se situer dans la vie et pas seulement dans la survie. Le travail sur les valeurs doit permettre à chacun de choisir une vie parmi toutes celles qu'il pourrait vivre. Contrairement à ce que fait croire la société du spectacle, nous n'avons pas capacité à choisir toutes les vies (sans être présent à aucune). L'éducation émancipatrice permet à chacun d'être présent à sa propre vie.

Pour Patrick Viveret, cette force de vie est en rapport avec la mort. Chacun, pour accomplir sa vie, doit apprendre à choisir ce qui compte vraiment, ce qui a de la valeur pour lui, ce qui donne du sens. C'est ce sacrifice qui donne du prix à la vie.

4. Les fondements de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

Celles-ci ne sont rien d'autres qu'une déclinaison des valeurs fondamentales que sont l'égalité, la liberté, la fraternité, et des deux déclarations des droits de l'Homme (celle de 1789 et celle de 1948). Une relecture de ces textes à la lumière de la situation d'aujourd'hui conduit à se demander quelles précisions il faut y apporter dans la société mondialisée où nous vivons. Si un autre monde est possible, suffit-il d'appliquer la Déclaration de 1948 pour en jeter les bases ?

A l'heure où certains pays comme chez nous les dirigeants libéraux tendent à minimiser les droits de l'homme comment faire pour "rendre cette déclaration constamment présente à tous les membres du corps social, afin qu'elle leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous"6

Pourquoi ne pas faire avec d'autres, un travail de relecture des deux déclarations, dans une perspective éducative ?

5. Une autre vision du progrès

Ces réflexions contribuent à redonner un sens à l'idée de progrès. Alors que les idées dominantes sont passées d'un progrès porteur de promesses à un progrès porteur de menaces, le partage de nos pratiques permet d'envisager un progrès porteur de solidarité et de souci du long terme, vécu au plus près des groupes humains. Le progrès n'est ni dans un confort douillet, ni dans la marche sans contrôle de la technoscience, ni dans l'autonomie complète de chaque individu atomisé. Il peut être envisagé comme lié aux progrès de la conscience individuelle et collective. Cela revient à dire que les progrès du bien être, de la science et de la liberté de chacun ne trouvent leur sens que conjugués aux progrès de la conscience, de la solidarité et de la fraternité. Montaigne l'avait déjà dit il y a 450 ans7

Cette question de l'évolution du savoir est devenue une question centrale de nos sociétés. Il est suicidaire de laisser les forces d'argent, qui se disent elles-mêmes irresponsables par rapport au long terme, guider la recherche vers ce qui est rentable, source de domination et de pouvoir. Il n'est pas admissible que la majorité des chercheurs revendiquent une responsabilité totale sur le droit de

5 Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles / Au cœur du commun combat (Aragon, La rose et le réséda)

6 Préambule de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 17897 Rappelons : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" Ô mon professeur de français, que n'as tu appliqué ce sujet de dissertation à ta propre maison.

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chercher, et refusant de voir leurs responsabilités sociales et écologiques. L'éducation doit aussi apprendre à dominer le savoir à la lumière de principes supérieurs, et à penser autrement le progrès.

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.2 Attitudes et comportements en cohérence avec ces principes d'action

Les conditions d'un dialogue libérateur des potentialités humaines8

Quelles démarches et quels comportements sont en cohérence avec ces valeurs communes ? Parmi les points de convergence, nous avons noté "Permettre à chacun de trouver une cohérence entre ses actes, son rôle dans la société et le sens donné à son existence". Sur quelles attitudes, sur quelles postures repose une éducation émancipatrice ? Quelles sont les méthodes et les outils en phase avec cette volonté ? Nous avons intégré dans ce chapitre des éléments de réunions précédentes de RECIT.

1. La place du dialogue dans une pédagogie émancipatrice selon Paulo Freire9

Paulo Freire, pédagogue brésilien des années 60-70, a beaucoup travaillé et mis en pratique sur les conditions d'une éducation émancipatrice. Pour lui, si l’homme se définit par la relation, le dialogue est l’expression essentielle de cette relation. Si l’homme se définit par la parole, le dialogue permet l’échange de cette parole (la parole est prise ici comme une parole transformatrice, créatrice, à la fois langage et action). Prononcer une parole authentique, c’est déjà transformer le monde. La parole a deux dimensions, d’action et de réflexion. Si elle n’est que discours, elle est verbiage. Si elle n’est qu’action, elle est activisme. Or, « personne ne peut prononcer une parole véritable tout seul, et personne ne peut imposer aux autres sa parole en refusant la leur. ». Le dialogue est pour ces raisons une nécessité existentielle10.

Dans la conception d’une pédagogie libératrice des potentialités humaines, la réalité concrète de l’homme qui s’éduque est première, avant même le contenu à enseigner ou la réalité à transformer. Ce qui éduque, ce n’est pas d’abord ni seulement le contenu du programme, mais le type de relation humaine que l’on établit à l’occasion de l’échange provoqué par le sujet abordé.

Le dialogue doit donc commencer dès l’élaboration du programme éducatif. Il permet de comprendre et de prendre en compte les situations concrètes de vie des personnes en formation. Il permet ensuite de connaître la conscience qu’elles en ont, leurs divers niveaux de perception, perception d’elles-mêmes et du monde dans lequel elles vivent. C’est à travers le dialogue que l’on peut saisir les conditions structurelles dans lesquelles le langage et la pensée de l’autre prennent forme.

Le dialogue rentre ensuite en jeu dans le processus même de formation. C’est à travers le dialogue qu’une situation concrète cesse d’être subie comme inévitable et peut commencer à être analysée comme un problème à résoudre, un défi adressé à l’homme pour créer quelque chose de nouveau.

8 Cette partie reprend de larges extraits de l'intervention de Claire Heber-Suffrin pendant les Rencontres.9 Paulo Freire Pédagogie des opprimés La Découverte Réédition 1999 (épuisé) Voir aussi le débat de la réunion de RECIT sur ce thème du 11 ja,nvier 200310 Il analyse ensuite longuement les attitudes humaines que cela exige et entraîne : l’humilité, l’espérance, la confiance, l’amour…

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2. Ce sont des personnes, uniques et singulières, qui se libèrent à travers le dialogue et la relation

Pour Claire Heber Suffrin, la considération de la personne est essentielle dans la relation "Si on me parle comme à un public, à une population, on ne me parle pas". Nous parlons comme des comptables, des militaires ou des publicitaires : chiffres, "stratégie", "impact", "publics cibles". On dit "les défavorisés", "les exclus".

Mais dans la relation ce sont des personnes singulières qui parlent, questionnent, réagissent, avec leur histoire unique au monde, leurs espoirs ou désespoirs. On ne peut pas globaliser la relation de personne à personne. La prise de conscience individuelle se fait dans une relation différente pour chaque personne, quand l'individu devient conscient de ses capacités et de ses liens.

Bien entendu, la parole collective est essentielle : on ne peut pas parler à 10 000 personnes de façon singulière. Il faut alors des médiations, il faut organiser la participation. Bien sûr les situations collectives nécessitent pour être comprises une analyse qui globalise les situations individuelles. Mais cette approche collective ne doit pas conduire à en oublier certains.

3. Voir ce que les autres apportent, en quoi nous avons besoin d'eux

Pourquoi aller vers les personnes ? Quand je vais vers quelqu'un ce n'est pas parce que je me demande quels sont ses besoins. C'est parce que j'ai besoin de lui. Par exemple pour l'Auto École Marie Danielle Pierrelée ne pouvait pas construire son projet sans y associer dès le premier moment de la construction, pour l'imaginer, prendre la décision, organiser la mise en action.

L'autre est alors une personne attendue. Il sait qu'il est attendu et cela change son attitude. Il y a dans notre société des gens qui ne sont pas attendus, parce que nous ne sommes pas capables de voir ce qu'ils peuvent apporter, en quoi nous avons besoin d'eux, quelle vision du monde ils apportent et que nous n’avons pas. "La tolérance n'est pas une concession faite à l'autre, elle est la reconnaissance qu'une partie de la vérité m'échappe" (Paul Ricœur). Celui qui est dans l'illettrisme ou l'exclusion sait des choses que nous ne savons pas et c'est pour cela que nous avons aussi besoin de lui pour mieux comprendre le monde. Certains sont défavorisés du point de vue de la relation : on ne les appelle jamais défavorisés. Comment faire pour que l'autre soit considéré comme une chance pour autrui ?

4. Pour entrer en relation, devenir vulnérable

"Nous sommes fragiles, dans notre existence personnelle, par les relations d'affection qui nous mettent à découvert. Beaucoup de militants sont blessés par la violence des relations, des conflits et des incompréhensions lorsqu'ils pensent travailler pour le bien commun. Dans les moments difficiles, ce sont ces relations d'affection qui comptent. Ce qui nous tient et à quoi on tient, c'est aussi par là qu'on est fragile".

Il est important de trouver des lieux, des relations qui permettent de faire face à ces difficultés, de parler sans être jugés, de comprendre et de prendre du recul, pour faire face à cette fragilité. Ces temps d'échange sont des moments importants de formation humaine et de prise de conscience.

Dans la relation aux autres, il s'agit de passer de la fragilité individuelle, au besoin d'être relié aux autres, de recevoir d'eux. Je ne peux rien faire avec autrui si je ne me rends pas vulnérable. On entre alors dans une relation d'échange et de don, une sorte de butinage réciproque. Quand on entend la diversité des expériences qui se croisent au sein de RECIT, on se demande en quoi ce qu'ils font nous fait réfléchir sur notre façon d'agir, d'être au monde avec d'autres.

5. La réciprocité est fondamentale

Quelles règles du jeu éthiques, relationnelles, pédagogiques, cognitives ?

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L'éthique de réciprocité est fondamentale. On a besoin de recevoir, mais on a besoin de donner. Le don crée de la valeur. Philosophiquement, au delà des disparités sociales et des injustices, les humains sont égaux philosophiquement, ontologiquement. Nous sommes tous libres et égaux en droit, dans une parité profonde. La réciprocité du don crée de la parité (alors que l'aide sociale entretient de la disparité). Dans la relation pédagogique, celui qui transmet des savoirs apprend en même temps. Il doit réorganiser ses propres savoirs pour aider l'autre à les acquérir.

6. Travailler en réseau

Témoignage de Claire Heber-Suffrin : Au mois de septembre, lors d'un examen à l'hôpital, on a découvert que mes coronaires étaient complètement bouchées. "Vous risquez la mort subite". J'avais tenu parce qu'une toute petite artère, une de celles qu'on regarde de haut, dont on ne sait pas qu'elles existent, avait gonflé, gonflé et fait du réseau. J'ai ressenti vitalement que quand les gros sont défaillants, bouchés, c'est par les plus petits qu'on peut continuer à vivre. Le réseau je l'ai au cœur ! Mais quel réseau ? Le réseau, ce peut être la mafia. Ce peut être le cercle des meilleurs, qui excluent les autres.

Le réseau dans une optique de solidarité et de réciprocité, c'est de proche en proche la construction de liens pour échanger, s'entraider, réfléchir et vivre ensemble. Dans ce réseau on trouve l'hétérogénéité, la diversité par l'âge, les expériences, l'origine, les convictions,… Le réseau est une richesse et une chance à condition de continuer à travailler sur la parité, la réciprocité et la reconnaissance mutuelle. Sinon très vite s'instaurent des rapports de condescendance.

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.3 Logique de coopération et démarches de projet

L'éveil à la conscience politique conduit souvent, dans un premier temps, à un grand désarroi : comment résoudre ces immenses problèmes quand je suis si faible ? Le projet et la coopération donnent un pouvoir d'agir plus grand. Comme le dit Roland Gérard, "pour avancer il faut construire un projet qui repose sur du désir, de l'organisation et de l'énergie". Pour que les gens se mobilisent, pour qu'un groupe existe, il faut une ligne directrice, un projet réalisable.

Beaucoup d'expériences parlent de la valeur pédagogique des démarches de projet. Cette approche est très présente dans la démarche coopérative, dans l'action culturelle et dans le développement local. Mais elle a aussi été érigée comme point central du management participatif des entreprises. Quels poins communs et quelles différences ? A quelles conditions une démarche de projet est-elle émancipatrice ?

7. Quelle démarche de projet ?

Il y a projet et projet

Classiquement dans le monde du management on décrit la démarche en 5 phases : diagnostic, formulation d'un projet (concrétisé par une charte), programmation (et contractualisation), réalisation, évaluation. La méthode est dirigée par un animateur avec une évidence : chacun doit concourir à maximiser les profits. La participation sert à aller plus loin dans l'exploitation, puisqu'on ne vend pas seulement son temps, mais sa capacité de relations et d'initiative, son carnet d'adresses et parfois sa vie privée. Le projet est aussi une machine à exclure: à projet nouveau on prend les meilleurs, dans une organisation du travail où les sécurités ont disparu. Ceux qui sont un peu moins bons disparaissent. Ils sont exclus. On peut même définir les exclus comme ceux qui ne sont plus invités à participer à aucun projet11. Évidemment, on ne parle pas de la même chose quand on parle de projet partagé dans une perspective émancipatrice.

Pour cerner la réalité des démarches de projet on citera quelques exemples :

Les projets du collège Anne Franck au Mans. Chaque semaine les élèves participent l'équivalent d'une journée à un travail collectif réalisé pour des destinataires extérieurs au collège. Chaque semestre ils ont le choix entre des projets de nature très variée : culturels, techniques, artistiques, sociaux, scientifiques,…L'organisation est celle d'une véritable entreprise : délais, planning, répartition des tâches. Les compétences acquises sont évaluées et prises en compte dans le dossier scolaire.12

Le projet de territoire du Val de Drôme. L'ensemble des acteurs du territoire sont invités tous les six ans à définir ensemble un projet pour un territoire de 40 communes, en élaborant, des orientations à long terme (10 15 ans) et un programme d'action de trois ans. La première étape n'est pas de faire un diagnostic, mais de discerner ensemble quels sont les enjeux, de nouer de liens et mener un débat, en demandant à chacun de se mobiliser, face à ces enjeux, pour y répondre. Le diagnostic ne vient qu'après, pour voir avec quelles forces et faiblesses on peut répondre aux enjeux. Des commissions et des temps forts de participation associent les communes, les représentants de la

11 Voir sur cette analyse Le nouvel esprit du capitalisme Luc Boltanski et Eve Chiapello Galimard 1999 "La cité par projets" pages 154 à 23812 Cf Marie Danielle PIERRELÉE Pourquoi vos enfants s'ennuient en classe Pocket 2000

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société civile et les citoyens qui le souhaitent. Ces acteurs sont associés ensuite au pilotage du projet et à son évaluation, tous les ans et tous les 3 ans. Ce projet sert de base aux contrats que souscrit le territoire.13

Un projet répond donc à un besoin (exemple : à Grenoble… « Rendre vivant un nouveau quartier ») ou à un problème identifié et partagé. Cela part d'un besoin ou d'un désir de changement (L'auto-école : une école pour les jeunes exclus de l’Éducation nationale), d’une volonté collective de promotion (voir l’histoire du mouvement ouvrier). Le sens et l'énergie sont donnés par une projection dans l’avenir, une utopie créatrice, qui incite à modifier les choses.

La participation comme décision collective

Un tel projet doit être porté par un collectif participatif associant des personnes actrices (des enseignants et des parents d’élèves), des habitants ou des usagers qui prennent en main les affaires les concernant (les collégiens de l’auto-école), des acteurs organisés (associations du territoire)

Le mot participation peut avoir 4 sens différents 14: ⋅ • information (une information honnête qui accepte de donner des armes à la critique)⋅ • consultation (on demande un avis sur les projets),⋅ • concertation (on tient compte de l'avis des personnes consultées), ⋅ • participation aux décisions (on accepte de partager le pouvoir de décision).

Si elle se limite à la consultation, comme une technique de management, la participation conforte essentiellement l'autorité de celui qui consulte. La participation, au lieu d'apprendre la participation réelle, apprend une sorte de soumission.

L’expression libre de chacun est nécessaire pour aller petit à petit vers la structuration d’un projet. Mais la participation est un exercice difficile, car on doit veiller à ne pas donner uniquement la parole à ceux qui la prennent facilement. En particulier, hommes et femmes, représentants des diverses catégories sociales et professionnelles, personnes habituées à s’exprimer et personnes moins armées culturellement, jeunes et vieux, etc… doivent pouvoir participer au processus et être écoutées dans leur spécificité et dans leur apport à la réflexion commune. Aussi la question : qui parle ? est centrale : Comment prendre en compte de l’hétérogénéité des acteurs ?

Par le travail pédagogique, chacun doit faire prendre conscience à qu'il a une qualité d’expert, que son propre regard est irremplaçable, que sa parole compte. Faire venir les personnes « en difficulté » mobiliser les jeunes, cheminer avec eux nécessite des méthodes bien différentes des méthodes intrusives institutionnelles Il faut parfois créer l’événement pour rencontrer ceux qui ne sont guère mobilisables par la parole classique (exemple d'un bus de jeux sur un canton par le MRJC). Il faut, d’un travail coopératif et de lieux formalisés pour échanger.

Formaliser l’engagement en référence à un objectif commun

La formalisation des engagements réciproques est nécessaire. Cela passe ⋅ par un contrat collectif (auto-école) où les divers acteurs écrivent les règles, les contraintes, les limites….. et les répercussions si l’un ou l’autre « sort » du contrat.

⋅ par une charte de territoire où s'inscrivent les perspectives communes et l’engagement des divers partenaires pour la réalisation du projet..

Mais tout contrat n'est pas émancipateur. Le contrat n'est pas un engagement librement consenti entre deux personnes guidées par leur intérêt, mais un ensemble d'engagements réciproques pour

13 Pour plus de détails voir Didier MINOT Le projet de territoire Ecole des Territoires 2001 14 Voir la revue Territoires, 108 rue St Maur 75 011 Paris Tél 01 43 55 40 05:

• N° hors série octobre 1999 : les habitants dans la concertation locale

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réaliser une œuvre commune. C'est pourquoi il est essentiel que le contrat fasse référence à des finalités communes, enjeux, valeurs qui lui donne un sens.

Le projet créateur de sens.

Malgré des contextes très différents, tous les exemples répondent à une même philosophie : faire coopérer des acteurs, leur faire confiance, les inciter à agir ensemble. La démarche se révèle dans la durée extrêmement féconde pour faire émerger de la citoyenneté, dès lors que le projet est conduit de façon réellement participative.

La participation des citoyens et de acteurs organisés (associations, organisations diverses) à chacune des étapes est une manière nouvelle de décider ensemble, de résoudre les conflits de manière non violente. C'est quand la chaîne de participation s'interrompt qu'on déclenche la violence. La démarche de projet est porteuse de nouvelles formes de démocratie participative.

Parce qu'elle oblige à discuter des objectifs, elle redonne du sens au travail d'apprentissage et à l'action. Alors que les cours magistraux classiques, comme les procédures administratives sont dans des logiques d'offre, dans la démarche de projet, les participants sont amenés à se poser des questions et à adopter une démarche active de mobilisation de leurs savoirs et de leurs questions. Le projet est aussi créateur de sens.

8. La coopération autour d'un projet

Beaucoup d'expériences et de réseaux pratiquent des démarches de coopération autour d'un projet, d'un jeu, d'un travail à réaliser ensemble. C'est une des formes principales de la pédagogie active.

Le Pas de Côté, dans le Nord-Pas de Calais, est une association qui promeut la pratique de coopération entre les individus, les générations et les différentes composantes de la société. La démarche valorise les jeux coopératifs. Ce sont des jeux sans gagnant ni perdant : les joueurs ont à s'entraider pour parvenir à un but commun. Ils gagnent ou perdent tous ensemble... Délivrés de la tension liée à la peur de perdre ou au désir de gagner, ils explorent d'autres manières de "faire ensemble" : s'exprimer, argumenter, écouter, prendre des décisions, unir ses forces...

La coopération autour d'un projet permet de toucher du doigt un certain nombre de réalités fondamentales : expression, écoute réciproque, lien entre le savoir et le faire, complémentarité des rôles au sein de toute entreprise, exigence de qualité, élaboration d'un projet, travail avec de multiples participants.

9. Une méthode qui aide à dominer la complexité

La démarche de coopération aide également à dominer la complexité. Aujourd'hui, les solutions aux problèmes sont rarement binaires (oui ou non, plus ou moins). Ils sont le plus souvent ternaires et souvent multidimensionnels. Le travail coopératif, parce qu'il fait appel à la discussion de multiples coopérateurs ou partenaires, permet de dépasser les raisonnements manichéens et de dégager des solutions qui pèsent les multiples dimensions d'un problème15.

15 Pour plus de détails voir le colloque du CUEPP de Lille sur "Formation et complexité" (septembre 2003)

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.4 Vivre au présent et préparer un monde meilleur

En quoi l'éducation peut aider chacun à être heureux ? Toutes les entreprises qui ont voulu faire le bonheur des peuples ont connu un dérapage totalitaire. Quand nous parlons de donner à chacun les moyens de vivre son humanité, d'aller vers son épanouissement personnel et une participation à la construction d'un monde solidaire, nous ne pouvons pas faire l'économie de la question. Qu'est ce que le bonheur ? Une tension vers un monde plus juste, au mépris de sa propre vie, ou un épanouissement personnel, au mépris du malheur des autres, proches ou lointains ? L'insistance sur un pôle ou l'autre donne des positions tout à fait différentes.

10. Le bonheur comme art de vivre

Patrick Viveret a répondu à une question de la façon suivante : "pour moi, le bonheur, c'est l'art de vivre à la bonne heure, c'est à dire vivre intensément le rapport à sa propre vie, à la nature, à la société. On est à la mauvaise heure si on s'interdit la joie comme la tristesse. Le bonheur n'est pas un capital à conquérir, mais une qualité d'attention, de présence intensive. Le fait d'être constamment sous pression instrumenté par l'avenir interdit de vivre le présent comme un cadeau de la vie, au double sens du mot "présent". Alain dit "Etre heureux est le meilleur cadeau que nous puissions faire aux autres". Il faut rompre avec une vision sacrificielle de la vie. On est d'autant plus capables de transformation qu'on vit à la bonne heure. J'ai le droit d'être heureux même si les autres sont malheureux.

11. Le bonheur comme tension entre vie personnelle et préparation d'un monde meilleur

Jean Pierre Cavailié conteste cette dernière position. Pour ce faire il raconte une histoire : "A Marseille, dans le métro, il y avait une affiche "si un papier est par terre, c'est toute la propreté qui est par terre". Quelqu'un a rectifié en écrivant "si un être humain est par terre, c'est toute la société qui est par terre". "Nous aspirons tous au bonheur, et en même temps, cela fait partie des valeurs reçues, on a du mal à se penser heureux si d'autres sont malheureux. Mais si on attend que tout le monde soit heureux pour s'autoriser le bonheur, on peut attendre longtemps. Nous sommes condamnés à cette tension entre vivre notre bonheur maintenant et préparer quelque chose de plus grand."

Pour d'autres, l'important est de ne pas subir, mais de s'engager dans la lutte pour que le monde change, même à petite échelle. Ce n'est pas le succès qui importe, mais le fait de mobiliser sa créativité et son intelligence, et d'être dans la conviction que le monde changera tôt ou tard. En ce sens le bonheur de jouissance est différent du bonheur de participer à la croissance de l'humanité.

D'autres ajoutent enfin que toutes les grandes spiritualités insistent sur ce que les bouddhistes appellent le lâcher prise par rapport à tel ou tel enjeu immédiat. Le bonheur n'est pas dans cette optique un objectif, ni un capital à acquérir, mais quelque chose qui vient tout seul dans le don.

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12. La vision du bonheur varie avec la position sociale16

A la réflexion, il a manqué à ce débat une analyse en termes de classes sociales, car la vision du bonheur est différente selon les positions sociales. La question est éclairée par le livre récent de Christian Baudelot et Michel Gollac "Travailler pour être heureux"17. Une enquête réalisée auprès de 7000 personnes fait ressortir deux grandes conceptions du bonheur parmi les répondants. "Schématiquement, pour les uns être heureux c'est "avoir", pour les autres c'est "être" ou "faire". L'enquête montre que les deux positions sont présentes dans toutes les catégories sociales, mais les chômeurs, les ouvriers, et dans une moindre mesure les employés sont significativement plus nombreux à estimer que le bonheur est d'abord lié à la possession d'un travail, d'un foyer, d'une maison". Pour les catégories dites supérieures, c'est "être bien dans sa peau, faire, pouvoir, réussir". "Alors que les plus riches privilégient l'aisance financière, les catégories dotées d'un capital culturel étoffé donnent une place plus grande à la tranquillité, à l'affectivité, aux liens interpersonnels". En outre, ces derniers ont davantage de moyens de mettre en cause les conditionnements de la société de consommation, qui poussent plus à avoir qu'à être. Les auteurs concluent : "chacun désire ce qui lui manque".

Il n'est pas question de cristalliser une position où l'être et le faire seraient réservés aux classes dominantes et l'avoir à ceux qui manquent de l'essentiel. La passion d'amasser est aussi le moteur du libéralisme. Mais cette analyse montre qu'on ne peut pas développer un discours général qui ferait abstraction de ces différences liées aux situations et aux représentations sociales.

Certaines paroles sont inacceptables quand elles prêchent le renoncement et le dépassement de l'avoir à ceux qui dans nos sociétés développées manquent de l'essentiel (travail, logement, réseaux de relations). C'est exactement cela que Marx dénonçait quand il parlait de la religion comme de l'opium du peuple.

16 Ajout Didier Minot17 Christian Baudelot et Michel Gollac "Travailler pour être heureux" Fayard, décembre 2002

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.3ÈME PARTIE UN PROJET D'ÉDUCATION CITOYENNE

Quelle éducation répond à ces valeurs communes ? Quelle éducation émancipatrice, pour quelle libération, et pour quels citoyens ? La finalité est contenue dans les méthodes. On ne peut pas imposer la participation avec des méthodes autoritaires. On ne peut pas prétendre former des femmes chargées de famille avec des réunions à 7h du soir. Comment et avec qui travaillons-nous ?

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.1 Agir auprès de qui et comment ? Miser avec tous sur le positif

La question posée est celle des participants, et celle des démarches qui sont en lien avec ceux à qui on s'adresse. Quelles démarches pour quels types de participants ?

Il ne s'agit pas pour nous d'éduquer une élite, façon collège de jésuites, mais de développer une éducation pour tous et par tous, y compris avec ceux qui ne s'expriment pas dans les formes qu’on leur propose, sont déçus et exclus du système, se renferment sur eux-mêmes. Cette éducation peut s'adresser à tous, et pas seulement à ceux qui "sont nés avec une cuillère en argent ou un stylo dans la bouche"

13. Instaurer des espaces de confiance

Pour les 50% de citoyens qu’on dit passifs, la non-expression est parfois un moyen d’exprimer leur indécision, leur mécontentement, leur refus d'un discours qui prend les gens pour des imbéciles. On peut être actif en ne s’exprimant pas. Comment instaurer des espaces de confiance et restaurer une volonté de participation ? De nombreux éléments de réponse apparaissent à travers les pratiques et les réflexions menées : où sont les obstacles, les blocages ? Comment les dépasser ?

14. Permettre à chacun d’agir par lui même, de retrouver une qualité de sujet libre

L'objectif transparaît dans la méthode et les choix pratiques. Il n'est pas de transmettre des connaissances à des gens qui n'en auraient pas, ni de fournir des recettes et des outils à des personnes qui les absorberaient comme des buvards. Il est de permettre à chacun d’agir par lui même, de retrouver une qualité de sujet libre (et non d'objet ou de "public"), et d'agir avec d'autres, solidairement. Il est de favoriser une émancipation des personnes.

15. Lutter contre les aliénations

Nous sommes dans des situations d’aliénation, où la plupart des gens sont conditionnés par la vision d'eux mêmes que leur impose la société. Ils portent cette vision en eux-mêmes alors qu’elle leur est étrangère. Cette oppression ne touche pas que les pauvres ou les exclus, mais concerne toute la société. Il faut apprendre à chacun à se libérer d'attitudes de dominant ou de dominé. Pour certains cela veut dire reconnaître ses propres capacités, oser penser par soi-même. Pour d'autres, qui croient tout savoir, et nous en sommes souvent, cela veut dire apprendre à écouter, à respecter les autres et ne pas se croire porteur de la connaissance ou du salut du monde.

16. Miser sur le positif, la richesse de chacun

L'expérience montre le potentiel que peut avoir la valorisation des savoirs et une pédagogie qui s'appuie, comme le dit Marie Danielle Pierrelée18., sur les centres d'intérêt de chacun, ses questions, au lieu de dispenser un savoir uniforme. Cette pédagogie parie sur le positif, la qualité de l'être humain, la richesse qu'il a en lui, et non sur sa peur ou son intéressement. Cette pédagogie peut s’adresser à tous, et pas seulement à ceux qui ont été dès l’enfance, dans leur famille, habitués à manier des connaissances théoriques. En ce sens elle s’oppose à la vision libérale de l’éducation,

18 cf. Marie Danielle Pierrelée "Pourquoi vos enfants s'ennuient en classe" coll. Pocket 2000. L'analyse va bien au delà du collège et concerne toute la société.

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qui mise sur l’émergence « naturelle » de talents individuels et la sélection des soi-disant "meilleurs".

Cette approche passe par une démarche dans laquelle chacun doit pouvoir s'approprier le sens des mots, analyser les causes des phénomènes, trouver lui-même les réponses aux questions qu'il se pose, ce que nous appelons construire ses savoirs. Cela n'exclut nullement l'apport de connaissances, de concepts et de savoirs structurés, mais en réponse à des questions posées et dans le cadre d'une pédagogie active et du dialogue.

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.2 Une éducation qui libère le désir d'agir Travailler avec tous

Quelle stratégie pour travailler avec tous ? Beaucoup n'agissent pas et se résignent parce qu'ils ne comprennent pas pourquoi tout cela arrive. "La télévision dit des choses, les politiciens disent des choses, mais qu'y a t'il de vrai là dedans ?" La question est de faire toucher du doigt les réalités du monde à travers les situations vécues, et donner le désir d'agir. Beaucoup d'actions visent à donner des clés pour comprendre le monde, prendre conscience des causes des situations vécues et des outils pour agir, alors même que nous vivons dans un monde complexe, où de multiples partenaires travaillent ensemble ou s'affrontent. Mais il faut aller plus loin et se poser la question de la transmission de la capacité à transformer le monde, en sachant que ce sont ceux qui vivent les situations qui sont le mieux à même de les transformer.

17. Comprendre

Remonter aux causes, nommer les choses, avec une conscience critique

Dans les démarches d'éducation citoyenne, en réponse aux questions que chacun se pose, une des bases du travail consiste à donner les informations nécessaires pour comprendre. Il faut pour cela remonter aux causes des faits, des phénomènes, des événements. La question de l'enfant qui demande "pourquoi" doit être la nôtre, que nous soyons maître ou élève.

La réponse aux questions ne va pas sans une démarche critique. L'apprentissage d'une conscience critique est un combat permanent contre nos tendances à généraliser trop vite, à privilégier le pittoresque, le sensationnel, à raisonner de façon analogique. Les médias poussent en permanence à adopter ce regard superficiel. Cette recherche permanente implique un regard lucide et optimiste. Lucidité et espérance sont toutes deux nécessaires. Sans lucidité, l'espérance n'est qu'illusion. Sans espérance, la lucidité est vite une forme de désespoir19. La raison et le cœur sont complémentaires. Ils s'opposent à l'irrationnel et à la peur. La société hypertrophie les sentiments versatiles en déversant des images porteuses de sensationnel, d'horreur ou de pittoresque. Nous devons donc réhabiliter la raison.

Organiser la rigueur de la réflexion collective

La libération de la parole dans les groupes est nécessaire, mais elle doit s'accompagner d'une extrême rigueur dans la réflexion collective. Cela suppose une organisation de la prise de parole, pour que chacun puisse parler, en assemblée ou en petit groupe, un recueil des interventions qui assure à chacun que sa parole compte, et une mise en forme des comptes rendus qui fasse la part des positions de chacun.

Partir des savoirs et des questions de chacun, faire de l'ignorance une richesse

Un savoir n'est pas bon en soi. Des ingénieurs ont construit les camps. Un savoir a une valeur s'il répond à des besoins tout en respectant les valeurs universelles et en créant des liens entre les humains. Pour l’association « Parole d’habitants » à Lille, qui permet aux population défavorisée habitant les secteurs sensibles du quartier de Fives de s’exprimer sur leur milieu de vie, le « faire avec les habitants » repose sur la conviction que « tous les savoirs sont égaux en droit » et que les

19 cf les deux livres clés que sont "Le principe espérance",de Ernst Bloch, et "Le principe responsabilité", de Hans Jonas. C'est la conclusion du beau livre de Jean Chesneaux "Habiter le temps", Bayard Éditions Paris 1996

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habitants détiennent dans leurs mains une grande partie des solutions. Le savoir ainsi orienté est un bien commun de l'humanité, un patrimoine au service de tous, et non un bien marchand. Nous avons à nous battre pour qu'il en soit ainsi.

Nous avons aussi à trouver des moyens pour rendre accessible à tous des savoirs spécifiques, par exemple en biologie, en écologie, en géostratégie,… permettre à chacun de voir en quoi la tragédie grecque lui parle des drames qu'il vit.20

Et pourquoi ne pas faire de l'ignorance une richesse ? On sait en pédagogie que c'est aussi la conscience de l'ignorance qui permet de se poser des questions21. L'ignorance est une richesse comme conscience de son manque, comme invitation à apprendre et comme appel à autrui. Un des critères de la capacité devrait être de savoir dire qu'on ne sait pas.

18. Transmettre le désir d'agir

D'où vient notre désir d'agir ? D'où vient la prise de conscience qui fait un citoyen ? Comment la transmettre ? Plusieurs pistes apparaissent :

L'exemple et les rencontres

La transmission est toujours directe, à base de contact humain. Ce peut être l'exemple des parents, l'action éducative de proches, ou des rencontres qui peuvent s'avérer après coup décisives, qui changent le cours de la vie, qui donnent une ouverture sur une approche différente, qui font partager une vision, l'espoir d'une alternative.

Le temps de la jeunesse (enfance, adolescence) est particulièrement important pour enraciner de telles rencontres. Nombreux sont les jeunes qui veulent apporter leur pierre à la vie sociale, à des relations plus humaines. Loin de les développer, l'institution scolaire mais aussi beaucoup de parents, contrecarrent et refoulent ces aspirations par une éducation à la compétition dès le plus jeune âge22. On manque cruellement de témoins au contact des jeunes.

En organisant un réseau de rencontres entre professionnels et bénévoles autour de chantiers de préservation d’habitats naturels, l’association « Les Blongios » à Lille observe une acquisition de connaissances incroyables et une sensibilité plus forte sur la question de la protection des espaces sensibles par la vision du terrain.

La révolte contre l'inacceptable, les événements

Le refus de l'injustice est un facteur essentiel pour tous les témoignages. Il peut s'agir d'une injustice subie personnellement, ou subie par des personnes ressenties comme proches ou d’une injustice collective dont on est témoin, victime, à laquelle on est confronté. On réagit par rapport à son vécu personnel.

Voici pour exemple les circonstance qui ont donné naissance à l’association AFRICA à la cité des 4000 à La Courneuve: «En 1983, un enfant a été assassiné par un voisin dans la cité des 4000 parce que les pétards qu’il faisait sauter étaient trop bruyants. L’association a commencé d’exister à ce moment là de manière informelle. On était un groupe de jeunes, surtout des femmes d’origine algérienne, on avait des parcours un peu politique et on avait envie de faire du collectif, de ne pas être seules. En 86 puis en 87, deux autres jeunes ont été tués, l’un par un policier. C’était aussi le début des expulsions de jeunes algériens, Pasqua avait déclaré aux policiers « Tirez, je vous couvre ». Là on s’est mobilisées, on a organisé les gardes d’enfants, le repas du soir pour les maris, et on a

20 C'était l'ambition de Jean Vilar et du premier théâtre national populaire21 De même, pour que nos réseaux progressent, il est nécessaire que chacun sache dire ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas, afin de pouvoir échanger.22 Quand l'école s'est appuyée sur ces capacités à construire ensemble le bien commun (classes pilotes dans les années 50-60, pédagogie Freinet, école ouverte), on est parvenu à des choses étonnantes. L'école a donc une lourde responsabilité dans les progrès de l'individualisme et de l'esprit de compétition.

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occupé la préfecture ». Aujourd’hui AFRICA propose de nombreuses prestations de solidarité et de proximité aux habitants de la cité des 4000 (écrivain public, l'accompagnement social/médiation, la lutte contre les discriminations et le sexisme, les activités culturelles, les actions de prévention santé, les ateliers savoirs de base, l'accompagnement scolaire, universités populaires).

Les crises et les événements importants auxquels nous participons sont des moments où nous sommes amenés à nous positionner, à choisir notre camp, à adopter une attitude claire. Il ne s'agit alors pas d'un raisonnement froid et distancié, mais d'une nécessité, d'un choix qui engage toute la personne, autant le cœur que la raison.

Un regard optimiste sur les hommes et sur les choses.

La vie ne passe pas forcément là où on la voit passer. Elle passe là où on n'a pas l'habitude de regarder, parce qu’on n'a pas les outils pour bien regarder. Il faut changer de regard pour pouvoir travailler avec tous. Par exemple les élèves d'un collège ne sont pas tous des exclus, mais peuvent se trouver dans des situations de grande détresse. Un autre regard est nécessaire pour discerner leur besoin d'humanité. On rêve à ce que pourrait réaliser une école faite pour des humains par des humains, une école qui serait un laboratoire d'humanité pour toute la société.

On choisit de résister au nom d'une vision optimiste de l'homme, de l'avenir de la société. La critique de la société actuelle repose sur la confiance en la possibilité d'agir selon le bien commun, sur l'espérance qu'un autre monde est possible. De même, dans le domaine artistique, l'action culturelle repose sur une confiance dans les capacités d'expression de chacun.

La fréquentation de l'histoire, une vision historique des choses aide à acquérir ce regard optimiste. L'histoire désespère une vision naïve et linéaire du progrès, car rien n'est jamais acquis. Mais les pires des situations se redressent. On arrive toujours à s'en sortir au milieu du pire.

Une exigence de fraternité, de solidarité

Celle-ci découle d'une conception des relations entre les hommes où chaque existence interfère sur les autres, où "le sort de mon semblable ne m'est pas indifférent". Dès lors, "On ne peut pas rester les bras croisés à côté de quelqu'un qui va mal" (solidarité). Mais aussi, "on souhaite faire partager ce qui nous fait vivre" (expression artistique, ouverture culturelle, activités associatives)

Un souci de cohérence entre la pensée et l'action

Le souci de cohérence conduit à mettre ses actes en conformité avec ses conceptions. "Je l'ai fait parce que je ne pouvais pas faire autrement." C'est au nom de cette exigence de cohérence que de nombreux militants ont refusé des pratiques politiques faites de promesses et de passivité face à l'inacceptable. Cela ne signifie pas qu'ils aient renoncé aux principes.

La nature de l'engagement, la génération, l'histoire, l'enracinement social, idéologique, la conception du monde et la réponse à la question du sens sont très différents pour chacun, mais on constate donc que des convergences apparaissent. C'est sur ces convergences, ces invariants qu'on peut asseoir l'action commune.

19. Libérer de la peur

La peur est d'abord un réflexe salutaire, commun à l'homme et aux animaux, en rapport avec l'instinct de conservation. Elle peut être une conseillère pour éviter des erreurs. Elle nous aide à mieux voir et à mieux agir. On a besoin d’elle pour grandir.

Elle peut aussi nous affaiblir, nous dominer, quand nous n'avons pas les moyens de trouver des issues (par manque d'informations utilisables, parce que nous sommes isolés, parce que le flux du stress est trop rapide). En liaison avec l'angoisse, les logiques de peur deviennent cumulatives, avec une interaction entre l'individu, la société et les médias. Le réflexe premier devient de plus en plus de s'assurer contre le risque, de se protéger de tout et des autres.

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Le refus de la mort et de toute forme de risques paralyse progressivement les sociétés développées. L’imprévu n’est plus toléré. Tout, jusqu’aux gestes infimes de notre vie quotidienne, devient institué à travers des normes. Le principe de précaution, par ailleurs un progrès fondamental, peut aussi conduire à cette paralysie s'il n'est pas raisonné.

Aujourd'hui, au niveau international comme au niveau national, le sentiment d'insécurité va grandissant. En particulier la mondialisation fait peur. Beaucoup ont peur parce que le monde leur devient inintelligible. La compréhension du monde est essentielle pour que chacun puisse contribuer à des choix raisonnés. Les grandes peurs amènent les grandes catastrophes.

L'enjeu d'une éducation émancipatrice est de prendre en charge la mondialisation, l'avenir de l’Europe, notre propre avenir politique dans une optique d'alternative à la peur. Pour cela, deux questions peuvent être formulées : ⋅ - De quoi avons-nous peur ? Quelle alternative proposer par rapport à un système qui fait de la peur un objet de spéculation ?

⋅ - Comment utiliser le principe de précaution pour qu'il conduise à agir à long terme, sans être le refus de toute forme de risques ? La lutte contre la peur appelle à une réflexion sur la place du risque dans le développement humain et dans l'éducation.

Une fois de plus, c'est dans la relation à l’autre qu'on peut dominer sa peur et en faire une alliée, parce qu'on n'est pas seul, parce que d'autres, qui ont trouvé des solutions nouvelles (ou connues) aux questions qui angoissent, sont là pour nous aider. Cela ne supprime pas la peur, mais permet de la dépasser.⋅ Pour faire reculer la peur collective, les logiques de liberté sont elles aussi cumulatives.

Par exemple, l’association « Vieillir Autrement » à Lille fait un travail qui fait reculer la peur en mettant en place des occasions de rencontre entre les habitants de cultures et d’âges différents, afin de créer des liens entre eux et que chacun soit une composante active de la société à laquelle il appartient.

20. Comment les individus se transforment-ils en citoyens ?

Comment réunir les conditions qui permettent à des habitants, des publics, des usagers, des assujettis passifs, de se transformer en citoyens acteurs de la vie dans leur collectivité ? Qu'est ce qui déclenche une prise de conscience ? Peut-on discerner des étapes ?

Redonner la pratique de la parole

Il ne s'agit pas seulement d'écouter mais d'entendre. Il s'agit pour les « responsables » de laisser réellement la parole aux habitants parce qu'ils ont droit à cette parole, parce qu’ils ont besoin de cette parole, et non pour être démocratiquement correct. Pour cela, les élus doivent prendre conscience eux-mêmes que les habitants, les personnes sont "experts en vie quotidienne" et ont quelque chose d'irremplaçable à dire sur leur vie, leur vision des choses et du monde. Cette parole est singulière. Elle ne rentre pas dans des réponses-type comme une enquête d'opinion.

La première expression est souvent soit violente, soit hésitante, soit négative. Beaucoup d'habitants ont du mal à formuler des enjeux, et formulent des revendications. Il faut du temps pour construire une parole. Il faut prendre le temps de faire connaissance, créer des espaces de parole dans le respect des préoccupations et du désir ou non de parler.

Un grand nombre d'expériences insistent sur ce besoin de lieux de parole et décrivent leur construction : la parole des jeunes filles entre 18 et 25 ans à « l'Écume du jour » à Beauvais, celle de jeunes enfants avec la « Boîte à Mots » à Lille ou avec « les enfants philosophes » dans les Hauts de Seine (92), celle des adolescents avec l’association « EVEIL23 » à Chatou (78), celle de personnes

23 Eveil à la citoyenneté des jeunes

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en situation précaire à « l’heure des conteurs » dans le 18ème arrondissement de Paris, celle de populations défavorisées d’un quartier de Lille avec « Paroles d’habitants »...

Permettre à chacun d'être actif et de réussir

La société rend les gens passifs, en tant que spectateurs et consommateurs. Il faut permettre aux gens de savoir ce qu'ils veulent pour eux-mêmes, et offrir des activités qui permettent à chacun d'être actif avec ses propres désirs, même s'ils sont individuels. Il faut proposer des démarches de projet dans lesquelles les gens peuvent être en situation de réussite. Il n'y a pas de participation possible pour ceux qui sont passifs dans leur vie quotidienne.

Pour développer des citoyennetés actives, en tant qu’animateur ou formateur, l’essentiel est donc d'abord de donner aux gens les moyens de réaliser leurs désirs, de mettre les individus en "auto expérience" en organisant le mouvement et en donnant les moyens de la réussite.

Le cheminement vers des questions collectives

Le fait d'agir développe des interactions, amène chacun à s'ouvrir aux autres, à communiquer. Le travail pédagogique des responsables politiques et associatifs est d'élargir les initiatives pour dégager les enjeux communs dans ces situations et faire évoluer la vision des gens sur le « global ». Pour cela, il faut remonter aux causes des questions qui se posent, et pouvoir les expliciter. On peut voir alors peu à peu se dégager une prise de conscience du caractère collectif des actions.

Pour accomplir ce travail, l’animateur ou le formateur doit déchiffrer les demandes pour poser des questions de fond. Cela suppose bien entendu qu'il se donne le temps de prendre du recul : lui-même doit réfléchir aux enjeux globaux dont est porteuse l'action menée, même si elle est très limitée.

L'invention créative est liée à la conjugaison des différences

Les questions rencontrées appellent l'invention de solutions nouvelles. Dans une démarche solidaire, par la coopération, à travers un projet commun, on peut dépasser les concurrences et mettre en oeuvre des solutions. Le troisième temps de la citoyenneté active est dans une démarche de création et de réalisation.

21. La transmission des valeurs dans ce processus

Des temps de réflexion collective sont nécessaires pour "poser les outils" et réfléchir au sens de l'action commune. Pourquoi agissons-nous ainsi ? Quels sont les enjeux ? Quelles sont les démarches en accord avec ces enjeux ? Quels savoir être, quels comportements, quelles postures sont en accord avec la société que nous voulons ?

Le travail d'animation de ces temps de réflexion collective est essentiel. Ce n'est pas un temps où l’animateur énoncerait une bonne parole qui serait ensuite commentée par le groupe. C'est un temps de recherche collective où chacun apporte sa vision des choses, discute et apprend à débattre.

Par exemple, à l'Écume du jour, des réunions sens, temps de réflexion collective sont organisés tous les mois avec équipe. On se dit les choses, en dehors du quotidien, y compris si on le souhaite nos peines, nos histoires, nos projets en cours, en dehors de l'opérationnel. cela permet de revenir au sens, de reconnaître les souffrances et les émerveillements, d'élaborer des pistes de solutions aux problèmes.

A travers ce processus, le rôle de l’animateur est fondamental pour la transmission des valeurs. C'est sa cohérence interne qui transmet le désir de s'engager. "On montre nos valeurs en actes" a dit un participant. On témoigne par ce que l’on est et non par ce que l'on dit. Un travail de l’animateur sur lui-même est donc nécessaire pour mettre en cohérence ses propres aspirations et ses actes. Cette nécessité de cohérence ne se limite pas à l'action formatrice. Elle concerne aussi sa vie et ses relations avec les autres.

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.3 Démarches et méthodes d'une éducation émancipatrice

En introduction au second débat des Rencontres, Rolande MILLOT a synthétisé l’analyse collective réalisée par les 23 ateliers sur les démarches et les méthodes. On observe une grande convergence des démarches et des méthodes dans les différents domaines d’action. On doit distinguer celles qui concernent les personnes, celles qui sont en rapport avec l’action et celles qui sont des caractéristiques d’ordre général.

22. Méthodes

Concernant les personnes : le pari de l’éducabilité de tous

Tout d’abord, tel un préalable, il faut faire le pari de l'éducabilité de tous. Cela veut dire instaurer des conditions conviviales et positives : un respect mutuel, un climat de confiance et aussi une écoute (écouter veut dire aussi entendre). Il faut du temps pour faire connaissance, pour que chacun puisse se situer dans le groupe et aussi vis-à-vis du projet, de l’action, prendre aussi le temps d'avoir un vécu commun.

Cela implique enfin d’aller trouver les gens là où ils sont, de partir des situations-problèmes qui sont les leurs, et pour lesquelles ils souhaitent un changement. Il faut s’appuyer sur le vécu et l’expérience de chacun, et pour cela créer des situations et des conditions qui garantissent à chacun la possibilité de s’exprimer.

Enfin il est nécessaire d’organiser la rencontre des personnes ayant le même projet, les mêmes préoccupations, mais aussi des personnes qui peuvent avoir des intérêts opposés ou des points de vue différents.

Concernant le projet et l’action

Quatre éléments de méthode ont été soulignés. Il faut d'abord instaurer des pratiques d’entraide, de partage. Puis s’appuyer sur le tutorat, le parrainage, l’accompagnement dans la mise en œuvre. Puis favoriser la confrontation constructive des points de vue. Cela nous amène à accueillir les inattendus, les situations informelles comme un enrichissement de la démarche, les "Plus" (ces plus-values non prévues de l'action), oser prendre des risques, à partir d’hypothèses, tenter, essayer, puis interroger les pratiques et faire l’analyse critique pour réorienter, réévaluer les objectifs.

Caractéristiques d’ordre général

Quatre conditions d'ordre général sont mises en avant :⋅ Nécessité de constituer une équipe (Il faut pour cela définir la responsabilité collective et individuelle à l'égard du projet et des décisions). Cela veut dire :

⋅ Responsabilité partagée, que certains ont appelé la collégialité⋅ Coopération et solidarité⋅ Une ouverture indispensable à la vie du quartier ou du territoire. Cela implique le partenariat, une mise en réseau, un décloisonnement (trans, inter, pluridisciplinarité)

⋅ L'hétérogénéité , sous toutes ses formes et tous ses aspects (culturelle, sociale, générationnelle, de compétences, etc…) est à la fois une richesse, un élément favorable à l’émergence de l’intelligence

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collective, une des conditions de renforcement du lien social, un élément favorable au vivre ensemble (découverte, connaissance de l’autre, tolérance…).

Mais elle doit être rendue positive par un projet commun, et par une animation qui règle les conflits de façon non violente. Elle ne peut être la simple juxtaposition des différences mais une richesse plus grande dans la coopération.

23. Les outils

Nombre d'ateliers ont souligné l’importance du faire. Il est indispensable de s'appuyer sur le faire. C'est avec le faire qu'on apprend.

L'apprentissage de la vie de groupe

Plusieurs points sont soulignés comme importants :

Connaissance du fonctionnement des groupes

Connaissance des techniques de gestion des conflits (comment gérer les conflits de façon non violente)

La pratique de la négociation : jouer des régulations successives

Il est en particulier important de favoriser des temps de travail en groupes de petite taille (de 3 à 5 personnes), pour permettre à tout le monde de parler, même les plus exclus et les plus handicapés en termes de relation, pour que la parole existe et que chacun puisse s'exprimer. On peut envisager des temps d'interrogation mutuelle, des temps d'approfondissement d'une question, de croisement d'expériences, de "digestion" d'un exposé.

Concernant le fonctionnement

Adopter des démarches de projet donc de réalisation, de production

Affronter la complexité

Travailler sur ses propres représentations

Situer le recours à l’information ou à l’expertise en réponse aux questions des participants et/ou aux besoins du projet

Établir des règles de fonctionnement, voire dans certains cas un contrat (même dans l’informel, cela est indispensable. L'exemple des cafés philo montre qu'il est nécessaire de fixer une règle du jeu précise, qui est rappelée à chaque séance.

24. Quelques pistes de mise en application

Toute une série d'outils ont été cités par les différents ateliers, qui visent à favoriser la participation de tous, aller vers une construction de la personne par l'estime de soi et vers la construction du groupe et son ouverture : ⋅ Techniques de communication interpersonnelle : écoute active et reformulation, participation active à un groupe, animation de groupes complexes

⋅ Connaissance du fonctionnement des groupes (analyse transactionnelle, analyse systémique, Gestalt, PNL, travail sur le développement personnel, l'inconscient des groupes,…)

⋅ Reconnaissance de la place du corps et du travail corporel (y compris dans les apprentissages)⋅ Réalisation de journaux d’expression par les personnes réellement concernées, journaux qui traitent des problèmes des gens, du projet…

⋅ Des pratiques d’expression et de distanciation telles que le théâtre ⋅ Les fêtes : fêtes de quartier, fêtes de groupe, temps forts pour marquer le coup⋅ Des rites, scellant l'identité d'un groupe

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⋅ Le jeu peut être un apprentissage au faire-ensemble et à la coopération⋅ Gestion de conflits (expression des divergences, objectivation, confrontations, débats).⋅ Méthodologie de projet participatif (enjeux, mobilisation, diagnostic, projet, programme, réalisation, évaluation).

⋅ Transposition pour un groupe de moyens de communication interactifs ou médiatiques : quotidien de l'école, radio locale émettant dans chaque salle, journal de classe ou de rue, fait avec eux, qui parlent de leurs problèmes,

⋅ Restauration du partage et de l'entraide dans les processus d'apprentissage,⋅ Création de lieux de parole structurants (cafés citoyens, forums),⋅ Éducation à la pluridisciplinarité et au travail en équipe,⋅ Échanges d'expériences et réflexion commune sur des pratiques,⋅ Petits groupes d'autoformation.

L'importance de la méthodologie de projet a été soulignée par de nombreux ateliers, en dépassant les demandes techniques. Il s'agit de se donner un temps suffisant de travail collectif pour faire un diagnostic partagé et élaborer un projet qui fera l'objet d'un contrat.

25. Des outils adaptés aux différentes situations

Le même outil peut jouer des rôles différents dans des situations différentes. Le problème est d'avoir des outils adaptés à une situation, aux objectifs qu'on poursuit, et en accord avec les valeurs qu'on défend. Sinon on tombe dans le technicisme, c'est-à-dire la croyance en une vertu magique de l'outil qui serait efficace par lui-même, comme la lanterne d'Aladin.

Il faut donc raisonner le choix des outils par rapport aux situations et aux objectifs. Pour cela il faut savoir dans quelle situation on est, l'essence même de l'analyse politique, et croiser celle-ci avec nos objectifs et nos convictions. Ce débat est au cœur de l'analyse politique depuis longtemps.

Par exemple, les forums sociaux locaux permettent de mobiliser tous les acteurs associatifs, sociaux, culturels, politiques,… autour d'une réflexion globale. Mais ils s'adressent le plus souvent aux militants déjà sensibilisés. Les événements, les fêtes, les manifestions culturelles locales, où on aborde de façon progressive des débats de fond, permettent de toucher un public plus large et de sensibiliser l'ensemble de la population.

Mutualiser les outils

Tous ces outils existent et sont très nombreux. Chaque réseau élabore des outils, ce qui est en partie logique puisque chacun a un abord différent. Comment mobiliser la floraison d'outils qui existent, et savoir sans tout essayer ce qui correspond à nos besoins ?

Il est possible de mutualiser certaines méthodes, de transposer (Par exemple le tour de ville du "diagnostic marchant" de l’association Paroles d’habitants est proche du tour de plaine des agronomes).

Beaucoup demandent des outils pour se prémunir contre l'incertitude. Or les outils ne sont rien sans des valeurs et une démarche. ("Il y a la recette, à la cuisine, et il y a le tour de main"). Les outils sont pertinents quand ils sont reliés aux valeurs du réseau et des citoyens à qui ils s'adressent. Par exemple au CRID24, les actions sont définies en référence à un mode de faire participatif qui est une des valeurs fortes du réseau. Il est donc important, au moment de choisir des outils, de se demander à quelles valeurs ils renvoient. Mais en retour l'usage et l’évaluation des outils et des méthodes révèle souvent des aspects nouveaux, enrichit la démarche et amène à réfléchir sur les principes d'action et les valeurs.

24 Centre de recherche International sur le Développement.

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Enfin tous les outils ne s'adressent pas aux mêmes types de participants. Un café citoyen s'adresse à ceux qui ont déjà une certaine habitude de la parole, du débat et de la "dispute", alors qu'une fête s'adresse à un public beaucoup plus large. La question des participants ouvre un espace d’imagination intéressant pour toucher les absents. Par exemple, les « opération-canapés » de l’association Yoranoo consistent à installer dans la rue certains jours de marchés un vieux canapé ou des poufs, quelques posters de présentation sur une thématique, puis d’inviter les passants à venir boire un café et discuter 5 minutes.

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.4 Une pédagogie critique sur elle-même

26. Le dialogue n’est pas naturel.

Pour les éducateurs, le dialogue nécessite une transformation profonde de leurs modes d'action habituels, l’abandon des mythes dont ils sont nourris dès l’enfance et qui sont très ancrés à l'intérieur d’eux-mêmes. Ce n’est pas si facile. Il faut "cesser d'être "au dessus" ou "à l'intérieur" comme des étrangers, pour être "avec" comme des "compagnons". Cela implique une attitude culturelle où ceux qui atteignent l’univers populaire viennent pour découvrir le monde avec le peuple et non pour l’enseigner ; pour découvrir les différences et s’appuyer sur elles ; pour créer ensemble une culture nouvelle sans aucune imposition de part ou d’autre et arriver à une sorte de métissage ou de synthèse culturelle. Cette démarche comporte le risque d'être pris par la peur de la liberté, du nouveau, celle de perdre son identité.

27. Une interrogation permanente du formateur ou de l’animateur sur ses pratiques éducatives

Cette action suppose des changements de comportements de la part de ceux qui se fixent d'animer ce travail d'éducation : ⋅ Se défier en permanence de la tendance au terrorisme intellectuel, à la manipulation, au savoir descendant, mais aussi à la séduction ou à l’affectif. L'ennemi ici est intérieur25.

⋅ Aller au devant des gens, ne pas les attendre au siège de l'association.⋅ Chercher des formes adaptées à la peur de s'exprimer des gens, à l'habitude de se taire. ⋅ Partir du concret de la vie quotidienne, et non des théories, pour montrer que quelque chose, même limité, est possible. Il faut partir du réel, mais aller à l'idéal (Jaurès), travailler à la fois sur le long terme, l'utopie, et sur le court terme, le concret.

Cela passe par un travail sur soi du formateur ou de l’animateur. C'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la pratique pédagogique26. C'est dans l'acte même de former, intimement, qu'apparaissent des obstacles à un dialogue privilégiant l'autre. Cet accueil de l'autre n'est jamais immédiat et plein. Ce travail sur soi est nécessaire pour limiter la force de l'ego, toujours renaissant, et aller vers l'épanouissement de l'autre contre soi-même, contre ce qui est le plus archaïque et régressif en nous. Cela passe par différentes démarches :

Un travail sur ses propres représentations est nécessaire en permanence pour s'observer, analyser ses propres comportements et savoir après coup comment on aurait pu mieux faire.

Des temps d'analyse collective du déroulement du groupe de travail avec tous les participants.

Un travail d'équipe, chose qui va de soi dans le domaine du développement local ou de l'éducation populaire, mais pas évidente en milieu scolaire ou de l'action sociale.

25 cf écrits de Patrick VIVERET26 Cf les réflexions de Gaston Bachelard sur les obstacles à la formation de l'esprit scientifique p13. In La formation de l'esprit scientifique Vrain 1986 Réédition

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.4ÈME PARTIE L’EDUCATION CITOYENNE COMME LEVIER DE TRANSFORMATION SOCIALE

Le travail d'éducation des citoyens se situe aujourd'hui dans un contexte très difficile, où il faut à la fois résister et construire. L'éducation n'est pas seulement une technique. Elle est nécessairement liée à un projet politique et à des enjeux de société. Une partie essentielle des Rencontres a porté sur les enjeux de transformation sociale auxquels peut contribuer une éducation citoyenne, et sur les lieux, les domaines de l'éducation citoyenne. A la question, quelles sont les dimensions de l'éducation des citoyens, de multiples réponses ont été apportées. Les ateliers proposaient une série d'entrées très diversifiées, proposées par les différents constituants de RECIT27

Tous les ateliers n'ont pas encore fourni de synthèse de leurs travaux. Nous restituons ici les éléments dont nous disposons sur 7 de ces entrées au travers des synthèses d'ateliers, des débats en plénières et parfois de travaux antérieurs de RECIT. D'autres dimensions de l'éducation citoyenne seront explicitées au fur et à mesure que les comptes rendus des ateliers nous parviendront. Il manque en particulier des dimensions essentielles comme l'ouverture internationale, le rôle de la culture. Ce document n'est donc pas définitif et représente une étape de la réflexion.

Alors que sur les principes et la démarche d'ensemble la convergence était évidente, les débats sur la stratégie ont fait apparaître de multiples oppositions et divergences. Dans la discussion, chacun était limité par le temps et a mis l'essentiel sur un point particulier. Certains ont insisté en pensant que l'autre n'était pas d'accord. De là naît le "malentendu"28. Cependant, à la relecture, la plupart des désaccords semblent résulter de l'affirmation de points de vue partiels, d'une insistance sur des points différents. Nous avons construit une synthèse des apports de chacun, forcément subjectives. Cette lecture n'est bien sûr pas définitive, et peut servir de point départ à de nouveaux débats.

27 Cf Introduction28 Patrick Viveret a rappelé que les désaccords sont le plus souvent féconds, et que le vrai danger est celui des malentendus

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.1 Construire une alternative au modèle de développement et de consommation

L'éducation au développement durable est en soi une énorme question. Les Rencontres n'ont pas abordé en séance plénière la question de la croissance ou décroissance, ni l'aspect économique (mondialisation libérale, échanges équitables…). Une réflexion complète sur ce thème reste donc à construire.

Plusieurs ont noté que le productivisme, prôné par les logiques de croissance, de compétition et de concurrence de tous contre tous, est dès à présent suicidaire. mais ce mode de développement est enraciné dans nos modes de consommation : ce que nous mangeons, comment nous voyageons. La question est à la fois individuelle et collective. Nous ne sommes pas démunis de moyens pour changer les choses.

28. Un risque mortel pour l'équilibre de la planète et la santé publique

Les atteintes à l'équilibre écologique de la planète sont déjà immenses. Le réchauffement du climat n'est plus discuté aujourd'hui. Les prévisions parlent d'un réchauffement de 4 à 6 degrés en quelques dizaines d'années. Un tel réchauffement, dans le passé s'est toujours traduit par une élévation de plusieurs dizaines de mètres du niveau de la mer29.

Le modèle de développement révèle chaque jour combien il représente un risque mortel pour l'espèce humaine. Le 12 février 2004, dans un rapport remis à Jean-Pierre Raffarin, 21 experts appelaient les pouvoirs publics à financer d'urgence la recherche sur les risques sanitaires liés aux pollutions, à l'heure où le nombre de cancers et de maladies allergiques ne cesse d'augmenter, soulignant notre ignorance des risques : dégradation de l'eau, de l'air, dommages aux sols, bruits, contamination des aliments, dangers chimiques ou radioactifs...

29. Changer de politiques et de comportements collectifs

En résumé, nous vivons les prémices d'une évolution mortelle pour notre civilisation, et, à terme, pour toute l'humanité. Dès à présent les plus faibles et les plus démunis sont les premières victimes de ces évolutions, qu'il s'agisse des peuples soumis aux guerres, aux famines ou aux plans d'ajustement structurel ou des plus démunis dans les pays riches. Les responsables connaissent ces prévisions, mais se voilent la face. "Notre personnel politique a deux grandes inspirations : l'autruche pour moitié, le chien crevé au fil de l'eau pour le reste, sans oublier le souci de ne pas déplaire à sa clientèle" dit Corinne Lepage30. Rappelons que les États Unis se sont opposés aux timides mesures de stabilisation des rejets de CO2 à Kyoto.

Des changements radicaux de comportements et de politiques sont nécessaires si nous voulons limiter l'ampleur des dégâts pour les générations futures et protéger le patrimoine des générations futures comme l’eau, l’air, la capacité des sols et des villes à permettre la poursuite de l'aventure humaine.

29 50 % de la population mondiale vit en dessous de 25 m d'altitude. Dans l'hypothèse d'un relèvement du niveau des mers de 80m, la moitié de la population mondiale devrait changer de terres, de villes et de pays. Cela veut dire que Paris deviendrait un site d'archéologie sous marine. On voit les conséquences géostratégiques incalculables d'une telle évolution.30 Corinne Lepage Ecologie : la révolution ou la mort. Le Monde du 18 mai 2003

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En effet ces évolutions sont directement liées à notre modèle de consommation de pays développés, à notre mode individuel de consommation dans la vie quotidienne. Comment changer ? "D'abord ne pas nuire", dit Yoranoo. Ensuite adopter une attitude critique par rapport à nos habitudes, nos achats et nos conditionnements. Nous devons chercher à construire ensemble en quoi l'éducation citoyenne peut contribuer à la construction d'une alternative au modèle de développement.

30. Promouvoir l'économie solidaire

Face à la domination, sous toutes ses formes, du modèle libéral, il est nécessaire de se réapproprier une citoyenneté économique. Les approches et pratiques qui relèvent de l’économie solidaire construisent des chemins pour agir dans ce sens. Néanmoins derrière la notion d’économie solidaire se dessinent des manières de faire, des registres d’action extrêmement variés.

“ J’aide des personnes en reclassement dans le cadre de plan sociaux, depuis quinze ans. J’ai un goût très prononcé pour l’aide aux porteurs de projet. Dans le cadre des plans sociaux, de nombreuses personnes essaient de rebondir sur un emploi salarié mais certaines autres créent leur propre emploi. J’ai eu écho de clubs d’investisseurs Cigales (dont d’autres parleront) qui ont un stand ici, et le fait d’aider des projets liés à l’épargne solidaire m’intéresse beaucoup. J’ai lancé le 17e ou 18e club de la région, à Lille. "

“ Si je remonte dans mon histoire, il y a Emmaüs et le défi de vivre grâce à la récupération des déchets des autres et d’essayer d’apporter à des personnes exclues de quoi vivre dignement ; puis un engagement syndical"

"J’ai abordé l’économie solidaire par l’implication dans les mouvements de jeunesse. Ça m’a amené à considérer les valeurs brassées dans ce cadre, et à me dire que je ne pourrais pas vivre sans les pratiquer au quotidien (par exemple, la solidarité). J’ai donc été rapidement amené à essayer de construire des utopies économiques et à les développer avec d’autres".

“ Je suis rentré dans l’économie solidaire par la défense de l’environnement. C’était au départ une volonté d’aller au-delà des actions associatives classiques de protection de la nature, qui, à mes yeux, s’attaquaient plus aux conséquences du fonctionnement économique de la société plus qu’à transformer cette société. On vit dans un monde qui est la conséquence de l’activité économique ; l’idée est donc de repenser les modes de production et de consommation, pour essayer de faire les choses sans appauvrir l’environnement. ”

Ce qui ressort de ces parcours, c'est que c’est d’abord par l’exemple, par le fait d’agir que nous participons à l’éducation sur l’économie solidaire. L’objet n’est pas ici de définir ce qui est ou non habilité à porter l’étiquette d’économie solidaire, mais d’enrichir nos regards et nos stratégies sur ce qui contribue à une économie plus solidaire, à travers la diffusion d'autres manières de faire dans les consciences et dans les actions.

Les informations et les échanges confirment qu’il y a de vrais espaces inoccupés (ou abandonnés) en matière d’éducation pour construire un regard citoyen sur l’économie. Ceux-ci ne sont que partiellement comblés par les initiatives existantes dans ce domaine, notamment autour du commerce équitable.

31. L’éducation a l’économie solidaire dans une politique territoriale : le cas de Lille31

Nous rendons compte un peu longuement de cette intervention car elle est très complète et montre de façon exemplaire les différents volets de l'action que peut avoir une collectivité.

31 présentation par Christiane BOUCHARD, adjointe à l’économie solidaire à la ville de Lille

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Une démarche de partage du pouvoir par la municipalité

En mars 2001, suite à la création d'une délégation à l'économie solidaire par la ville de Lille, un plan pluri-annuel de développement de l'économie solidaire a été mis en place.

Treize ateliers ont été montés sur l’ensemble des quartiers de la ville (et des villes associées) pour faire un diagnostic partagé pour se reconnaître sur certaines valeurs (utilité sociale, utilité collective, prise de décision démocratique…). Cela a conduit à constituer un réseau de 150 acteurs qui se reconnaissent dans ces valeurs et se sont réappropriés mutuellement les expériences.

A partir de là, ils ont, avec la ville, co-construit un plan d’action autour de quatre axes : ⋅ - permettre à d'autres acteurs de se mettre en réseau, sans instrumentaliser les acteurs, mais en leur donnant les moyens de s’organiser entre eux

⋅ - inventorier les démarches existantes en terme d’économie solidaire (en lien avec l’éducation et la formation)

⋅ - promouvoir l’innovation sociale et les expérimentations, en lien avec la réflexion autour d’un autre développement économique

⋅ - accroître la demande de biens et de services solidaires à l’échelle de la ville, tant à l’interne qu’à l’externe. Les municipalités en tant que telles sont aussi de grosses machines qui gèrent des marchés publics importants. Comment nous interrogeons-nous sur notre politique en matière économique ?

Ce plan a été co-construit pendant six mois (2001-2002), voté au conseil municipal de juin 2002 et mis en application avec la mobilisation des pouvoirs publics pour un co-financement à hauteur de 1,2 millions d’euros, pour soutenir l’ensemble du chantier.

Pour gérer le fonctionnement de ce plan, un comité de pilotage regroupe les financeurs (c’est classique), mais aussi les têtes de réseau, des représentants des associations élus par une commission extra-municipale. Là aussi, en matière de gestion démocratique, les décideurs n’ont pas forcément tout pouvoir de décision, puisque les acteurs sont également représentés.

Une stratégie de communication

Premier point : la lisibilité, la visibilité, la communication – comment fait-on comprendre la démarche ?

L’année dernière, les acteurs ont mis en place un événement public sur la grande place (la Ville n’a fait qu’accompagner), pendant un week-end, autour de quatre axes (consommer, produire, épargner et échanger). La notion de consommation est apparue fortement, autour du commerce équitable, mais aussi de la production biologique. De même la notion d’entreprendre autrement, avec un entreprenariat collectif un peu plus solidaire. Ça a été un événement fort, où plus de 10 000 personnes sont passées.

Autre mode de communication: la commission extra-municipale, au lieu de faire de simples compte-rendu aux membres présents, a missionné un journaliste qui en rend compte de façon journalistique, dans une publication renvoyée aux acteurs et constitue un outil de communication qui nous paraît plus efficace.

Autour de l’information en direction des jeunes (notamment), Artisans du Monde fait de la formation sur le commerce équitable, dans les écoles auprès des enfants, des jeunes, et dans les universités. Cela permet, à partir des enfants, d’avoir une autre approche du commerce équitable, et de réinjecter dans les politiques publiques (au niveau des centres de loisirs pilotés par la ville, des maisons de quartier et des centres sociaux) cette dimension du commerce équitable à l’échelle des structures et des associations.

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Des achats des services de la ville

Parallèlement, des produits du commerce équitable sont utilisés dans le cadre de la ville. Cela peut paraître dérisoire, mais en terme de changement dans le cadre des services, cela permet des changements de mentalité et de passer à l’acte, dans la durée.

Un soutien au développement de l'économie solidaire

Des modules de formation plus classiques (formations à l’entreprenariat dans le cadre des PLIE avec des publics en difficulté) sont en cours d'élaboration avec un module portant sur l’économie sociale et solidaire. Aujourd’hui, pour que l’économie solidaire ait toute sa place, il faut aussi faire la démonstration que c’est une économie à part entière et non simplement quelque chose pour “ faire gentil ” ou pour rester dans des attitudes de réparation.

Sous cet angle de l’accompagnement à la création d’entreprise, nous avons donné les moyens pour que deux couveuses s’implantent sur la ville de Lille, là encore pour apporter des outils d’accompagnement plus collectifs à la création d’entreprise. Ce droit à l’expérimentation est important : la ville soutient une pépinière des arts du cirque (la seule en France). La ville souhaite faire la démonstration qu’au niveau culturel, artistique, on peut créer de l’emploi, même si ce n’est pas facile.

Depuis un an et demi, une dizaine d’associations réfléchissent aussi à leur transformation en SCIC.

Un dialogue avec les représentants de l’économie classique

On ne vit pas dans un monde ex nihilo où les entreprises de l’économie sociale et solidaire existent à 100%. Il faut absolument qu’on arrive à travailler sur des systèmes “ tache d’huile ” d’essaimage et de mise en réseau, avec des structures proches. Par exemple le Centre des jeunes dirigeants réfléchit aussi à ce qu’il produit, comment et avec qui, aux prises de décision, et aux excédents produits. La ville souhaite organiser un travail avec ces réseaux.

32. Comment agir au niveau local et national ?

Le réseau national des villes de l’économie sociale et solidaire a pour objet, au niveau national, de promouvoir l'économie sociale et solidaire. En très peu de temps l’économie solidaire est passée au niveau des communes et des élus locaux de 3 élus à 300. Aujourd’hui, 300 élus municipaux portent cette thématique. L’avancée est déjà là.

L’économie solidaire est porteuse d'un autre modèle économique. Qu’on essaye de faire changer l’économie capitaliste, pourquoi pas, mais on se situe quand même dans le cadre d’un autre modèle.

- Il est possible d'aller vers les familles qui, aujourd’hui, acceptent de se réinterroger et de travailler avec elles pour faire évoluer.

- Les salariés licenciés sont prêts à innover. Des salariés de Metaleurop, par exemple, se sont regroupés en association (Chœur de Fondeurs) et ont adhéré à l’APES. Ces salariés qui travaillaient dans des grosses boîtes de la métallurgie, qui n’avaient pourtant pas forcément cette culture. Un travail est possible avec tous.

- Dans un contexte économique défavorable, c’est en partant du local qu’on fera avancer le national. Il faut faire la démonstration que les projets sont économiques viables et peuvent se développer. C’est par la confrontation et la mise en réseau des élus et des réseaux locaux qu’on fera avancer les choses (même si on est loin d’être sorti des problèmes).

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.2 Reconquérir les droits, lutter contre les discriminations

33. La reconquête des droits, une priorité

Une analyse en termes de besoins est nécessaire (le développement durable parle des besoins humains), mais elle n'est pas suffisante. Le politique est aussi le champ sur lequel nous nous battons pour la conquête de nos droits et pour l'égalité. On ne peut pas prétendre dialoguer et travailler ensemble au bien commun, sur la base de valeurs communes définies en termes très généraux, si par ailleurs les écarts de salaires, de reconnaissance et d'accès aux droits vont en augmentant.

Aujourd'hui nous avons à mener une lutte parfois défensive, pour conserver des acquis, et offensive, pour définir de nouveaux droits par rapport aux questions émergentes comme la bioéthique ou le droit au respect de la vie privée dans la société de l'information. Nos libertés individuelles sont gravement menacées par les lois qui ont été récemment adoptées en matière de surveillance électronique, par l'extension des pouvoirs de la police par rapport à la justice,etc.…

Par exemple, la nouvelle loi "Informatique et libertés" est en grave recul par rapport à celle de 1978. en particulier les maisons de disque pourront relever et traiter librement par elles mêmes, à l'insu des internautes, les informations relatives à leurs droits. Elles peuvent constituer de véritables casiers judiciaires privés et les mutualiser.

Face à cette évolution, c'est l'absence de réaction des citoyens qui menace à terme nos libertés. Sans mobilisation, sans information et sans éducation des citoyens sur la portée des mesures et des politiques qui se mettent en place, il n'y a pas de raison que la machine à décerveler 32 s'arrête. Ces reculs seront suivis d'autres plus graves si les citoyens ne réagissent pas.

Il est pour cela essentiel de redonner de la force aux mots, de retrouver l'utilité de choses que nous croyons acquises, mais qui sont le fruit de la lutte des siècles passés.

34. Lutter contre les discriminations

La confiance sociale ne va pas sans une lutte contre les discriminations. Les discriminations sont l'affaire de tous, et pas seulement de ceux qu'elles frappent. Les membres de l'atelier qui travaillait sur "Handicap et citoyenneté" ont soulevé la question, en souhaitant que la question du handicap soit traitée dans tous les ateliers, et non dans un atelier spécifique. Cette approche vaut pour toutes les discriminations. Le racisme ne concerne pas que les africains et les arabes, mais toute la société. Les chômeurs, les exclus, les femmes, font l'objet de discriminations qu'il s'agit de regarder en face et de refuser au nom de l'égalité des droits et du respect de la dignité de chacun.

Des pratiques éducatives participatives peuvent jouer un rôle essentiel dans ce changement des attitudes collectives. Citons par exemple le travail fait par l’association Advocacy France dans les Espaces Conviviaux et Citoyens à Caen et à Paris où se rencontrent des soignants et patients des services de soins en santé mentale, ainsi que des bénévoles, tous partageant la même préoccupation de rendre effective la représentation, tant individuelle que collective, des intérêts légitimes des patients des services de santé mentale. Ce lieu de vie et de convivialité appartient à ceux qui y

32 Le PDG de TFI, Patrick Le Lay, a bien compris la logique de cette machine à décerveler et explique comment elle est mise en œuvre à TF1 (In « Les dirigeants face au changement » Ed. Huitième jour) : « pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible »

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voient un espace de possible pour eux-mêmes et pour chacun d'eux dans la pensée d'un agencement collectif. Ces possibles individuels et collectifs apparaissent progressivement selon une démarche d'autogestion, de responsabilisation et de créativité, qui se réalise autour des valeurs de respect, de tolérance, d'acceptation, d'accueil, d'entraide et de solidarité.».

35. Redéfinir le bien commun pour tous, de façon participative

Le terme "bien commun" doit être bien précisé. Selon le dictionnaire, un bien peut être

- ce qui est conforme à un idéal, à la morale, à la justice,

- un droit ou une chose matérielle qu'on possède,

- toute chose créée par le travail et correspondant à un besoin individuel ou collectif

Il parait abusif, comme le fait le Larousse, d'assimiler le bien commun à l'intérêt général. L'intérêt général renvoie à intérêt ("ce qui importe") et sous-tend beaucoup moins qu'on peut agir en référence à un idéal, une utopie, une justice universelle. Travailler pour le bien commun pose la question de la responsabilité personnelle et de la solidarité dans l'espace public.

On parle aujourd'hui de biens communs de l'humanité pour parler de l'air, l'eau, l'éducation, la santé, la culture, afin de montrer qu'il s'agit d'un patrimoine commun appartenant à tous et non de biens privés soumis à la seule loi des échanges marchands.

Dire qu'une action politique vise le bien commun, c'est dire que l'ensemble des acteurs d'un territoire, d'un pays, de l'Europe, cherche à réaliser ce qui est conforme aux valeurs qu'ils partagent, à la morale et à la justice, et ce qui correspond aux besoins fondamentaux de la population (au sens du développement durable). Cela s'oppose à une action qui se met au service d'intérêts particuliers.

Mais souvent le bien commun se restreint à l'intérêt presque général de la majorité. Quand on définit un projet d'urbanisme, du bien commun de qui s'agit il ? S'agit-il du seul bien commun de ceux qui ont un logement, un travail, un accès au savoir administratif, ou du bien commun de tous ? Qui fait partie de la communauté pour laquelle on agit ?

Dans un passé récent, des politiques publiques prévues pour des personnes en détresse ont été détournées de leur but au profit des plus nantis (l'exemple de l'appartement HLM de Juppé reste dans les mémoires) Ces faits ont été dévastateurs.

Les bénéficiaires des politiques publiques aspirent à dire leur mot dans l'application des lois et la mise en œuvre des politiques. L'action de "paroles d'habitants" montre bien la possibilité d'une éducation progressive à prendre la parole pour contribuer à dire ce qu'est le bien commun.

36. Exclusion et exploitation

Les analyses étaient faites autrefois en termes d'exploitation : dans un cadre assez stable (l'usine ou le bureau) on nommait de façon assez simple un exploiteur, le patron, et un exploité, l'ouvrier. Une partie de la richesse produite par le travail du second était captée par le premier, de façon excessive. L'ouvrier dépossédé du fruit de son travail était aliéné (porté hors de lui-même) par un travail qui lui était étranger.

On raisonne aujourd'hui en termes d'exclusion. Est exclu celui qui n'est plus utile à la société, et se trouve rejeté de mille manières : chômage, expulsion de son logement, exclusion de la parole et du lien social. Le chômage, les ruptures familiales entraînent un repli sur soi, et conduisent à l'isolement et au rejet.

A ce changement, l'analyse a gagné en rigueur car le discours sur l'exploitation était sans doute trop manichéen. Mais on a fait comme si l'exploitation avait disparu, et on ne nomme plus les responsables. La précarisation du travail, la multiplication des petits boulots, l'internationalisation de l'économie remettent en cause les acquis des luttes sociales qui avaient limité l'exploitation et

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conduit au progrès social pour tous. Il faut reprendre l'analyse et conjuguer les deux approches, car il y a aujourd'hui à la fois exclusion et exploitation.

L'éducation citoyenne a un grand rôle à jouer pour cela. Elle permet de développer ce regard critique, de réapprendre à nommer les choses, avec une dimension éthique.

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.3 Vivre ensemble

Un enjeu souvent cité est de rétablir et développer la qualité du lien social fondée sur des individualités libres et responsables. Il s'agit avant tout de refonder le pacte démocratique (« Un autre monde est possible ») sur deux axes33:⋅ - au niveau du territoire, par des dynamiques locales qui développent la participation et le partenariat: interaction individu-société, dans une optique de partage et de réciprocité.

⋅ - par une reconnaissance de l'influence et de la valeur des personnes au sein de la communauté, et de leur interdépendance. La connaissance de soi-même et son acceptation permet de se relier à l'autre et de le reconnaître dans son intégrité.

Ce processus se construit dans une cohérence entre les valeurs affichées et les actions réalisées, une articulation entre actions individuelles et collectives.

Il est question de la redéfinition des valeurs humaines, de la qualité du « vivre ensemble »: quelle citoyenneté ? Comment faire pour que les Droits de l'homme soient une réalité pour tous ?

L'enjeu est aussi la prise de conscience par tous les citoyens de leur coresponsabilité dans les actes qu'ils posent et dans le débat public. Cette prise de conscience est liée à la valorisation de la place et de la parole de chacun. En d'autres termes, il faut garantir la citoyenneté à tous, et pas seulement à ceux qui détiennent les outils du pouvoir. Dans ce but, il est nécessaire de veiller à l'articulation entre l'économique et le politique34.

Mais le premier niveau de reconstruction du lien social est dans la reconstruction de l'estime de soi, des relations familiales et des relations de proximité.

37. Dans la famille

Les ruptures qui affectent les individus, les familles, les enfants sont nombreuses et largement diversifiées ; elles concernent :⋅ le déplacement des populations ; en zone urbaine, les individus connaissent une nouvelle forme de nomadisme ; les changements de logement, les accessions, mais aussi les décompositions et re compositions familiales sont l’occasion d’une interminable litanie de déménagements.35

⋅ éloignement des familles étendues ; les problèmes immobiliers, financiers familiaux et personnels entraînent l’éloignement fréquent vis à vis des parents, de la famille du milieu d’origine. De nombreux individus et parents se retrouvent aujourd’hui complètement isolés dans leur environnement immédiat, ou, à défaut, ne peuvent compter sur la présence que d’un seul parent, mais avec le risque que la responsabilité soit inversée.

⋅ instabilités des lieux et des types d’emploi ; c’est un lieu commun, mais on ne peut plus parler aujourd’hui ni de carrière, ni de parcours professionnel continu, au moins pour le plus grand

33 Extraits du compte rendu de l'atelier "pour une approche globale de l'action éducative" par Laurent Ott34 Cela pose la question des institutions : quelles sont les formes d'organisation collectives qui permettent de vivre ensemble une pratique de la démocratie. Si les forces économiques imposent leur point de vue au gouvernement (les intermittents), modèlent les représentations (en tant que propriétaires des télés), font les règlements à Bruxelles (poids de lobbies), la démocratie est comme voilée, vidée de son sens pour la majorité des citoyens, et ne joue plus son rôle d'éducation des citoyens.35 Pour information, dans une école de banlieue urbaine, près de la moitié des enfants ne réalisent pas un cycle complet dans l’école (5 ans).

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nombre. La période d’activité des individus est largement devenue discontinue avec des périodes d’inactivité, de reprise, de stages, aux fortunes diverses, etc.

⋅ instabilités institutionnelles des intervenants dans la vie de l’enfant : valse des intervenants sociaux et éducatifs dans la vie des enfants.

Jamais la vie des enfants comme celle des adultes d'aujourd'hui n'a tellement été placée sous le signe de la séparation.

38. Dans les quartiers et les territoires : un constat de dé liaison sociale en constante progression

Les débats ont montré à quel point la situation de déliaison sociale et éducative était actuellement en France préoccupante et en plein développement ; tel élu municipal de la Région Parisienne ne pouvait que témoigner de la faveur actuelle du « sauve qui peut individuel » des classes moyennes : ⋅ la fuite vers les zones urbaines dites préservées⋅ la recherche à tout crin du jeu des dérogations de secteur scolaire

Et même dans les milieux les plus défavorisés, l’époque porte à la recherche perpétuelle de la clôture sur soi, le refus de l’autre et le sécuritaire à bon marché ; les locataires des cités HLM réclament ainsi eux-mêmes les dispositifs de serrures et clôtures, de fragmentation des espaces collectifs en petits espaces fermés, de vidéo surveillance qui entravent pourtant leur vie quotidienne et renforcent leur solitude sociale !

Ces mouvements de repli et de concurrence des populations fragiles entre elles et à l’intérieur même de leurs groupes, ont de graves conséquences sur le fonctionnement des dispositifs sociaux et d’éducation populaire. La vie associative se replie ou se vide de sa substance, les centres sociaux se désertifient, se ghettoïsent, ou, au contraire deviennent des centres de loisirs pour classes moyennes. Le projet de mixité sociale, de rencontre et de développement de la dynamique collective et de la démarche associative semble en panne.

39. Les principes à développer

Face à une telle agression vis à vis de l’expérience élémentaire du vivre ensemble, les participants ont identifié deux principes d’action aujourd’hui nécessaires :⋅ la nécessité de défendre les droits des personnes et l’existence des équipements publics éducatifs et sociaux,

⋅ la nécessité de démocratiser ces lieux et institutions pour donner envie de les défendre et de les faire vivre.

Refonder le pacte social, citoyen et éducatif, en partant du local, en redonnant du sens aux mots et aux valeurs

Du coup, les actions sociales, même innovantes, se heurtent également à des écueils ; il faut reconvertir la population locale à l’idée que la vie en collectivité ne rime pas forcément avec le sentiment de se faire « avoir » ; faire comprendre que ce sentiment de concurrence de chacun avec tous, surtout dans les milieux les plus défavorisés, fait aussi partie du problème et renforce la solitude et l’inefficacité des réponses individuelles.

On ne s’étonnera donc pas que les valeurs énoncées au cours de ce travail en atelier n’avaient rien d’extraordinaire. Elles pourraient s’énoncer ainsi : accueil de l’hétérogénéité, mixité des âges, des origines, des cultures.

Il est urgent de re fonder le pacte social, citoyen et éducatif, en partant du local, en redonnant du sens aux mots et aux valeurs revendiquées. Il faut faire ce travail localement contre les orientations institutionnelles, car ces valeurs, inscrites dans notre Constitution, n'ont cessé depuis 20 ans d'être mises à mal par le système politique français et ses gouvernements successifs.

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Une illustration de cette nécessité de re fonder les valeurs, aura été apportée par la fréquence des récits d’expériences mettant en valeur une action éducative globale, qui s’appuie sur un environnement humain large et un décloisonnement vis à vis de la vie sociale, économique, voire même politique ou familiale.

Le travail « hors institution » apparaît à certains participants comme une nécessité pour opérer ce travail de re fondation de l’action éducative, sociale et citoyenne, comme si une « table rase » pouvait aider à comprendre le sens réel de l’action collective.

Une des valeurs les plus affirmées au cours de ces Rencontres aura été : « il faut convaincre les gens de re-prendre la maîtrise de leur vie, de leur environnement, de leur quartier ». Cette valeur a été abondamment illustrée d’expériences d’initiatives réussies ou en échec connues par les participants. ⋅ Une expérience de reprise en main d’une Maison de retraite par les personnes âgées elles mêmes et leurs familles, qui a abouti à la reconstruction de celle ci et la mise en place d’un projet social et éducatif ambitieux a conquis les participants ; ainsi même les personnes âgées (public souvent considéré comme individualiste) pouvaient trouver bénéfice à devenir actrices des structures et institutions qu’elles fréquentent !

En revanche, le débat en atelier s’est longtemps attardé sur la désespérance vis à vis de l’institution scolaire : que d’énergie déployée en vain et de toutes parts pour tenter d’ouvrir cette institution sur la vie sociale et la dimension de citoyenneté des enfants, des familles et des professionnels eux mêmes !⋅ Là aussi un exemple positif : dans le Gers, avec l’accompagnement des Francas, la communauté de communes de Saint Michel-Saint Médard a élaboré et mis en œuvre, avec les parents, les mouvements d'éducation populaire et les organismes sociaux un projet éducatif local qui pose des objectifs éducatifs globaux couvrant le scolaire, le périscolaire, les jeunes et la petite enfance d'une façon cohérente, avec des objectifs à long terme. Les écoles sont ouvertes et servent de base d'appui aux autres activités.

Ces expériences montrent qu'il est possible de se ré approprier collectivement et individuellement des lieux d’éducation, sociaux ou lieux de vie. Cet objectif prioritaire semble être poursuivi de plus en plus largement. Mais il est mis en danger par deux tendances lourdes des secteurs sociaux et éducatifs en France :⋅ le durcissement des relations d’autorité des institutions vis à vis des publics en déficit de citoyenneté : familles pauvres, enfants, ados, personnes âgées, etc.

⋅ la marchandisation et l’individualisation de la relation d’aide qui aboutit à la fermeture ou au démantèlement des institutions les plus collectives et leur remplacement par des « prestataires de services » liés à une logique marchande qui tiennent chaque usager dans une relation individuelle et dans la solitude.

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.4 Réhabiliter le politique comme une participation de tous à l'organisation de la société

40. Nul ne peut s’exonérer de l’éducation au politique

Notre époque se caractérise par une accélération exponentielle de l’accès à l’information (notamment par les médias et les technologies de l’information et de la communication électroniques et bien sûr par l’allongement de la scolarité. Pour autant, ceci cache de grandes disparités d’accès entre les personnes et ne dit rien sur les possibilités d’analyse et de mise en relation de la connaissance.

La politique (prise comme l’ensemble des pratiques, faits, du gouvernement d’un État ou d’une société organisée au service de l’intérêt général) n’échappe pas à ce flou ; il convient de l’inscrire également dans un parcours éducatif, qui donne le temps aux personnes de se former pour comprendre la société, qui offre à chaque génération la possibilité de faire l’expérience de la démocratie.

Aujourd’hui, on donne une très grande importance aux médias pour informer sur la vie politique, sur la chose publique. Nous avons besoin d’autres lieux intermédiaires de formations et de débat, comme l’École, les associations, les revues, les syndicats, les partis…

Il est nécessaire de réaffirmer les missions de l’École notamment celle de former des citoyens en capacité de lire le monde et de s’y engager. Cela nécessite notamment d’aider les personnes à croiser toutes les formes de connaissance et de les conscientiser aux grands enjeux de notre temps en favorisant l’analyse, le débat, l’expression.

Le tissu associatif, syndical, les partis politiques contribuent à faire vivre la question politique. Ainsi en développant ces structures intermédiaires entre l’individu, la société, l’Etat, on renforce le sentiment d’appartenance à une même humanité. Il s’agit pour ces corps intermédiaires d’être des traducteurs et des stimulateurs démocratiques en réhabilitant la dimension de transformation sociale. Ce sont de formidables espaces d’action mais également d’apprentissage des rouages de la démocratie participative et représentative.

Pourtant, aujourd’hui, on assiste à un rejet de la sphère politique (cf. les « affaires », le sentiment d’éloignement entre les populations et les élus l’incapacité, à trouver des solutions face à la crise sociale, la démagogie…). Il se traduit notamment par une démobilisation des citoyens devant les urnes, par la tentation du vote contestataire extrémiste (par exemple le premier tour de l’élection présidentielle, le 21 avril 2002). L'insuffisance d'éducation au politique est une des causes majeures de cette crise du politique.

De plus, les corps intermédiaires voient une baisse d’effectifs parmi leurs cadres. Cela rend d’autant plus difficile leur tâche de traduction et d’explication des décisions émanant des pouvoirs publics auprès des populations. Cela entraîne une difficulté pour se faire reconnaître en tant que corps organisé auprès des organismes et autres institutions comme relais d’élaborations et de propositions collectives.

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Si on refuse de tomber dans une société fondée sur les lobbies, le corporatisme, les baronnies territoriales ou le chacun pour soi, si on veut se donner les moyens d’oxygéner la démocratie en y participant individuellement ou collectivement, il convient de redonner du sens à l’éducation au politique et aux structures qui animent le dialogue entre pouvoirs publics et populations.

Face à une démocratie fragilisée régulièrement, face à un désintéressement des gens pour la chose publique, il est fondamental d’affirmer l’importance d’une éducation à la politique qui passe par une conscientisation aux questions du monde, par un dialogue entre le présent, le passé pour envisager l’avenir, par le temps du débat et de l’expérimentation.

S’intéresser à la politique et y participer est une façon pour chacun de se sentir responsable avec les autres du destin collectif.

Qu'est ce que la politique, qu'est ce que le politique ?

La politique, d'après le Larousse, a trois définitions :

- l'ensemble des options prises collectivement ou individuellement par le gouvernement d'un État ou d'une société dans des domaines relavant de son autorité".

- la manière d'exercer l'autorité dans un État ou une société

- La manière concertée de conduire une affaire

Le politique, d'après le Robert, c'est ce qui est politique, c'est-à-dire relatif à la société organisée

D'après ces définitions, chacun a une part de politique en lui, qu'il s'agisse de sa participation aux décisions comme citoyen qui vote ou beaucoup plus largement de sa participation à la société organisée.

41. Les raisons du discrédit du politique

On voit d'emblée que le politique est utilisé ici dans le sens restreint des institutions et des pratiques politiques. Les débats font ressortir que l'affaiblissement des institutions démocratiques est lié à plusieurs facteurs, qui se renforcent mutuellement : ⋅ La montée de la pauvreté et du chômage développent un sentiment d'insécurité qui va bien au delà des 10 millions de personnes qui vivent dans la précarité ou les petits boulots. Elle fait pression sur une part importante de la population, accentuant un sentiment d'abandon. La rupture partielle du contrat social qui en France unissait les citoyens à la République a entraîné une perte de confiance massive des citoyens les plus fragiles et les plus pauvres dans la sphère politique. Pour eux, la politique c'est "tous pourris". Plus de 50% des citoyens expriment leur défiance comme ils le peuvent, par l'abstention ou le vote populiste. Le gouvernement et les médias détournent ce sentiment vers la petite délinquance et désignent les pauvres et les étrangers comme boucs émissaires. Pour une partie des classes moyennes et populaires, la politique c'est "non à l'insécurité"

⋅ Le rôle des médias, et du média de référence qu'est la télévision, a changé les formes du débat politique. Le spectaculaire, l'anecdotique, les combats d'image l'emportent sur les analyses de fond et les programmes. Les idées populistes, qui vont dans le sens du poil, ont acquis de ce fait une audience extraordinaire et se sont enracinées, comme une éducation à rebours. Il s'agit de plaire, de

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ne pas déplaire au plus grand nombre, et tous les moyens sont bons. La politique est devenue la politique spectacle, qui privilégie l'apparence, le spectaculaire, le sensationnel et l'éphémère. Il faut pour cela de plus en plus de moyens, et seules les forces d'argent peuvent se la payer.

⋅ La mondialisation libérale, qui a déplacé le pouvoir vers les entreprises transnationales et vers les institutions financières, a vidé le rôle régulateur des Etats de sa substance et a obligé les gouvernements à s'aligner sur une même ligne d'accompagnement du court terme de décisions économiques qu'elles ne contrôlent plus. En particulier, en France, les gouvernements de gauche, qui incarnaient une espérance de justice et de progrès social, se sont résignés depuis 20 ans à accompagner l'évolution toujours plus libérale de l'économie et de la société. La politique apparaît dès lors dénuée de sens et tournée uniquement vers la conquête et la conservation du pouvoir.

⋅ Les traités européens successifs ont déplacé une part croissante des décisions vers l'Europe. 70% des lois votées par le Parlement sont des lois d'ajustement de notre législation aux règlements européens. En particulier la libéralisation des services publics, la réforme des retraites, la réforme de la sécurité sociale, le recul du budget de l'État résultent de décisions prises à Bruxelles par les chefs d'Etat et les gouvernements successifs. Les réformes libérales que nous refusons dans la rue sont liées aux orientations de l'Europe libérale.

⋅ Les scandales et les malversations politiques sont devenues la principale source de sensationnel pour la presse écrite, alors qu'elles ne concernent qu'une minorité d'élus et des pratiques séculaires de financement des partis politiques. Les affaires sont réelles, et doivent être condamnées. Elles révèlent l'absence de principes et la séduction qu'exercent les facilités du pouvoir. Mais la manière de les traiter est manichéenne et superficielle. La presse fabrique et entretient, pour vendre, ses propres indignations. Les effets de cette publicité sont dévastateurs car ils mettent dans le même sac tous les hommes politiques, toute la sphère politique et jouent comme un dénigrement de la démocratie elle-même.

⋅ Enfin, la démocratie représentative n'est plus jugée suffisante par les citoyens qui ont un niveau de formation plus élevé, qui agissent dans une association. On leur demande une attitude active dans leur entreprise. L’élévation régulière de leur « capital culturel » permet à ces citoyens d’être de plus en plus conscients de la pauvreté du discours politique actuel, et, plus fondamentalement des limites de notre système représentatif dans une économie mondialisée. Ils entendent se saisir des questions et participer activement à la préparation des décisions et au contrôle.

Conséquences de ce climat, beaucoup refusent, même à gauche, de rentrer dans le champ politique. La vie associative, les clubs et les actions humanitaires sont devenus le refuge de nombre de militants déçus de la politique. Le fonctionnement des partis offre peu de prise au renouveau. Les jeunes sont massivement en retrait d'une action dans la durée, même s'ils savent se mobiliser quand ils ressentent un danger (le 1er mai 2002 par exemple). Cependant, le discrédit de la classe politique n’est pas dû seulement à une dégradation des mœurs politiques ou à un quelconque désintérêt pour la chose publique mais résulte au contraire d’une exigence croissante de démocratie.

Ce discrédit du champ politique est dangereux car il conduit à la mise en cause de la démocratie elle-même. Cette remise en cause a déjà commencé, puisque le champ des décisions communes va en se rétrécissant. Elle peut aller plus loin demain. Un ami africain, négro mauritanien, exilé en France, nous a dit son admiration pour le degré de démocratie atteint par notre pays. Cette admiration était aussi une mise en garde "Battez vous pour cette démocratie, celle-ci vous protège aujourd'hui". Nous risquons d'avoir à reconquérir les droits que nous n'aurons pas su défendre, si les citoyens se désintéressent ou se résignent sans se battre.

Comment reconstruire le politique, avec quelles priorités ? Les positions n'étaient unanimes ni sur la définition du politique, ni sur les priorités, ni sur les options à prendre par rapport au rôle des partis, des associations et de la société civile, ou par rapport à la non-violence, au rôle des élites. Nous avons choisi de ne pas rester figés sur les différences. Celles-ci résultent parfois de points de vue

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incomplètement développés faute de temps d'expression. Chacun réagit sur ce qui lui paraît important, ou sur ce qu'il vient d'entendre. Nous avons choisi de proposer un texte de synthèse sur chacun des points du vif débat qui a traversé les Rencontres.

42. Comment reconstruire le politique ?

Comme nous l'avons vu, la révolution scientifique, économique et politique suscite aujourd'hui chez une partie des citoyens une forte demande d'éducation citoyenne pour trois raisons: ⋅ nous avons besoin de réfléchir par nous-mêmes, de comprendre le monde, de bâtir de nouvelles représentations adaptées à la révolution de l'information qui se déroule, sans laisser quelques uns, et des irresponsables, le faire pour nous et décider à notre place.

⋅ pour résister au conditionnement de nos représentations, de nos imaginaires et de nos vies, nous devons trouver un art de vivre, où la qualité d'être compte plus que la possession, et nous transformer nous-mêmes. Il s'agit de nous développer dans nos qualités de relation et de responsabilité, de mettre en accord l'individuel et le collectif.

⋅ Face à l'urgence, nous devons réagir dans l'urgence. Mais nous savons bien que la solution n'est pas dans l'urgence. Nous avons besoin de réaliser une transformation en profondeur du politique, de notre rapport au politique, que nous devons inventer en marchant.

La transformation du politique, un problème de stratégie

Transformer notre rapport au politique est un problème de stratégie, puisqu'il s'agit de savoir comment faire pour passer de la situation actuelle à un monde meilleur. Dans cette approche nous rencontrons un certain nombre de questions, qui doivent être discutées collectivement, de la façon la plus large possible: ⋅ quelles formes de pouvoir pour l'ensemble du politique (au sens large) ? ⋅ quelle évolution des institutions est-elle nécessaire ? ⋅ quelle régulation du savoir, de la technoscience, par le politique ?⋅ quels sont, quels peuvent être les acteurs de la transformation sociale ?

Pour répondre à ces questions, il faut se référer à une orientation d'ensemble, c'est-à-dire aux principes qui nous animent, et les confronter à la réalité.

Le politique ne se limite pas aux institutions politiques

Pendant longtemps, on a vécu sur une équation simple : il faut construire un parti pour conquérir l'État, pour changer la société. L'histoire nous a montré que cette équation n'est pas certaine. Il n'est pas suffisant, pour changer la société, de construire un Parti. L'exercice du pouvoir change souvent les hommes avant qu'ils n'aient changé sa nature. Nous avons aujourd'hui à reconsidérer la question. Quelles sont les organisations qui font changer la société, la font évoluer dans le sens d'une société solidaire ?

Tous ceux qui essaient de faire changer la société baignent dans le politique, sont des acteurs politiques. Le social, le culturel et le politique ne sont pas des mondes séparés, cloisonnés. Tous ceux qui mènent des actions directes pour faire prendre conscience, aider à consommer autrement, éveiller chacun à soi-même comme une personne en relation avec les autres, tous les acteurs de l'éducation émancipatrice contribuent au renouveau de la société Leur action a une dimension politique qu'ils doivent assumer. Les contre-pouvoirs ne sont pas contre la politique. Ils font partie des forces politiques, même s'ils critiquent la forme, les objectifs, la finalité du pouvoir en place.

En particulier les associations, les mouvements d'éducation populaire, les organisations du champ social et culturel doivent reconnaître la part de politique qu'elles portent en elles. Elles ne peuvent pas se placer en dehors du champ politique et l'observer, formuler des critiques comme si elles étaient sur une autre planète. Quelles seront demain les formes d'organisations et de communication

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qui permettront de "concourir à l'expression des suffrages"36 et en amont de proposer des choix adaptés aux enjeux. Quelles formes de pouvoirs, quelles formes reconnues nécessaires de contre-pouvoirs ?

Quelle évolution des institutions ?

Pour autant, comme l'ont rappelé un certain nombre de participants aux Rencontres, le travail dans les institutions est essentiel, irremplaçable. Il est contradictoire de revendiquer le droit de participer aux décisions et de laisser à d'autres la responsabilité des décisions politiques, celles du pouvoir politique, en les condamnant pour leur mollesse ou leur dérive.

Certains, qui sont membres d'un parti politique, témoignent qu'un travail y est possible. Pour eux, les partis sont tout à fait réformables. Il est possible d'y rentrer pour les améliorer et les transformer, en faire des pôles de résistance.

D'autres pensent qu'il ne faut pas sous-estimer la perversion du monde politique, qui trouve ses racines dans une évolution profonde de ses rapports à la communication et sa soumission aux forces économiques. Il faut réinventer un nouvel art de faire ensemble, en inventant des formes et des outils qui traduisent les principes et les valeurs d'une société solidaire. La démocratie participative doit être reconnue par les institutions. La société civile doit trouver sa place.

Mais tous sont d'accord sur la nécessité de nouvelles formes d'exercice du pouvoir. Il faut passer du "pouvoir sur" au "pouvoir de", du mot, "le pouvoir", au verbe : "que puis-je faire", au service du bien commun, de la restauration des droits, du lien social, de la lutte contre les discriminations, etc…. Sur cette base chacun de nous peut prendre des initiatives. Nous pouvons agir localement, avec des alliances entre collectivités, associations, intellectuels, opérateurs économiques locaux. Nous pouvons agir globalement comme citoyens du monde. Nous avons à reconstruire des institutions et des partis qui misent sur la participation de chacun. On partira sans doute des institutions actuelles, mais il faut en revoir les bases; les fondements et les statuts, car les finalités ne sont plus de réguler l'exercice du pouvoir. Elles sont de répondre à des enjeux nouveaux de survie et de vivre ensemble. La logique de projet doit inspirer les nouvelles institutions plus que la logique de procédure. Les actions de la société civile doivent être reconnues et légitimées.

43. Violence politique et non violence : la non violence n'est pas la fuite du conflit

La question est aussi celle de la violence dans l'exercice du pouvoir. La démilitarisation de la conquête pour le pouvoir a été un progrès historique de nos sociétés mais une fois arrivé au pouvoir, le militant non violent a-t-il le droit, pour la bonne cause, de devenir un dirigeant qui domine autrui, nie l'expression des minorités ? Tout cela, la démocratie le permet. Il faut inventer de nouvelles formes de démocratie qui modifient le mode d'exercice du pouvoir : prise en compte des positions des minorités (pour les suivre ou non), appel à la participation, démocratie de proximité, etc…

La question de la non violence fait débat. Pour les uns, le refus de la violence comme mode de règlement des conflits et des rapports entre les personnes est un des fondements de toute société démocratique. C'est aussi une condition pour établir des compétences relationnelles, établir des rapports d'équité. La non violence est une condition sine qua non d'une pédagogie émancipatrice.

Pour d'autres, l'éducation au politique ne peut faire abstraction de la violence symbolique que le politique porte en elle le plus souvent. Les citoyens doivent être préparés à affronter la violence, qui est même parfois physique.

Il y a accord sur le fait que le refus de la violence n'est pas le refus du conflit. Les grands de la non-violence (Gandhi, Martin Luther King) ont provoqué des conflits aigus, des boycotts, incité à la désobéissance civile. Si la non violence est effectivement un principe de base d'une éducation à la liberté, elle doit comporter une longue étude de la violence du politique et de celle qui est en chacun

36 Expression qui figure dans la Constitution "Les partis concourent à l'expression des suffrages"

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d'entre nous. Elle n'est pas non plus taire et rester passifs. Nous sommes invités à un non consentement actif face à toutes les situations qui détruisent l'humain, nient les droits, consacrent l'injustice.

44. Quel rôle pour les spécialistes, les technocrates et les intellectuels ?

Il y a un enjeu de masse. L’objectif n’est pas de former une élite mais d’éclairer et d’entraîner une prise de conscience de l’ensemble des populations pour pousser les élus à agir. Il s’agit d’éduquer nos hommes politiques.

En même temps, il convient de nuancer les jugements sur les personnages politiques et de ne pas les prendre comme des gens à part. Attention aussi à ne pas tomber dans une vision démagogique voire populiste en mettant sur le même plan les populations et les élus (vus comme des élites). N'oublions pas qu'ils sont désignés par les médias comme les boucs émissaires d'une situation dont ils sont loin d'être les seuls responsables.

Il est faux de penser que tout le monde doit devenir une élite ou qu’il ne faut pas d’élite. Nous avons besoin d'élus, de chercheurs, de scientifiques, de diplomates pour résoudre des problèmes complexes.

Une éducation des élus

Ce ne sont pas les populations qui vont assumer la responsabilité d’un accident sur un site communal par exemple, c’est le maire et c’est normal. Faire de la politique c’est prendre des responsabilités et il faut donner le goût de prendre des responsabilités au service de tous. La question serait aussi de savoir d’où ces personnes viennent. Derrière se joue un enjeu de promotion collective. Comment crée-t-on pour des citoyens des parcours d’accès à la prise de responsabilité en faveur d’une certaine vision du monde ? Il est en effet important d’avoir des gens formés pour conduire le pays. Cette formation ne peut pas être dissociée d'une éducation, c'est-à-dire d'une démarche d'approfondissement des enjeux et des cohérences nécessaires entre le souhaitable et le possible.

Des spécialistes au service d'une démarche politique

Nous avons aussi besoin de chercheurs, de scientifiques, de diplomates pour résoudre des problèmes complexes. Mais dans le passé ceux-ci ont pris trop souvent le pouvoir à la place des forces démocratiques. Ce sont les technocrates de l'Inspection des Finances qui ont organisé le glissement de l'État, en France, vers le libéralisme. Les chercheurs portent une part de responsabilité dans les dérives de la techno science, au nom de la liberté de recherche. Au niveau local, les projets d'urbanisme sont rarement faits avec les habitants.

Aussi le recours à l'information ou à l'expertise doit se situer en réponse et en dialogue avec les questions des citoyens, des habitants, des usagers, etc…Chacun doit reconnaître que les habitants, les citoyens, ont aussi une expertise, tant sur leur quotidien que sur les choix généraux de la vie en société.

45. Elus et organisations : dépasser les antagonismes, tisser ensemble la démocratie participative.

La responsabilité commune des collectivités et des associations est de réaliser coûte que coûte l'exigence d'une réponse sérieuse aux enjeux, sur la base du bien commun. Il est de s'opposer à la politique spectacle et de construire une autre façon d'organiser comment vivre ensemble.

La vocation première de l'élu est d'être un animateur de cité et non un gestionnaire de fonds publics. Celle des associations est de contribuer à la préparation des décisions et de participer à l'éducation des citoyens au politique.

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Mais la parole des acteurs organisés et des personnes morales ne suffit pas. Comment les habitants, les citoyens de base, les personnes physiques, peuvent être invités à s'exprimer ?

Une égalité de tous les citoyens, mais des rôles différents

Restaurer le politique suppose de restaurer la légitimité de chaque citoyen à pouvoir discuter du tout et des questions le concernant. Ce principe de la révolution de 1789 est aujourd'hui remis en cause par une interprétation restrictive du principe de délégation ("faites moi confiance et je m'occupe de tout".) et par le véritable détournement du pouvoir opéré par le pouvoir économique à son profit. Le champ de la démocratie est de plus en plus restreint, et les questions essentielles sont traitées par l'exécutif, des experts et des lobbies à Bruxelles, en France par l'exécutif (les grands corps de l'Etat) en lien étroit avec le patronat.

Le champ politique s'est structuré de façon pyramidale (pour Alain Juppé, « faire de la politique sans être élu ce n’est pas faire de la politique »). Au sommet les élus se considèrent comme seuls légitimes car drapés dans la volonté populaire.

Il faut réaffirmer que fondamentalement, la légitimité à co-construire la société appartient à chaque citoyen. Il est nécessaire que des citoyens prennent des responsabilités au service de tous et soient habilités à prendre des décisions. Mais ce doit être pour un temps limité. La construction du politique pourrait se faire sur 3 axes complémentaires : ⋅ la représentation avec les élus politiques qui acceptent de prendre des responsabilités,⋅ la représentation des corps intermédiaires, associations, mouvements, institutions locales qui contribuent à la vie locale,

⋅ la participation des citoyens actifs qui souhaitent contribuer à l'organisation de la société.

La légitimité de tous est fondamentalement de même nature. Mais les premiers sont premiers parce qu'ils sont élus par le suffrage universel. Cela veut dire qu'un travail en partenariat est nécessaire, en respectant les règles du partenariat : ⋅ chacun reconnaît la compétence de l'autre⋅ chacun participe à la mesure de ses moyens et de sa disponibilité⋅ tous contribuent à un même objectif, qui est de répondre aux enjeux communs.

46. Les invariants d'une prise de conscience citoyenne

La comparaison des expériences pratiques d'éducation citoyenne montre des invariants dans les parcours vers une citoyenneté active. Quels sont les fondamentaux à acquérir pour aller vers une prise de responsabilité ? En faisant cette démarche, on s'aperçoit qu'on est en train de définir des éléments pour retrouver une nouvelle approche du politique.

Prendre conscience de la portée politique de nos actes quotidiens

On a tendance à voir la réhabilitation du politique sous l'angle des structures, de institutions et des hommes politiques. Mais la première étape est sans doute de prendre conscience que les actes que nous posons tous les jours ont une dimension politique. Nous avons les moyens de faire des choix, de prendre conscience d'un certain nombre de problèmes au plan local, national, international. Nous avons les moyens d'agir et de prendre des positions.

Une enquête récemment réalisée auprès des consommateurs37 révèle que pour la première fois les ventes de produits de grande consommation sont en baisse. Le chiffre d'affaires des grandes surfaces a chuté en volume. "On voit surgir des thèmes comme le refus des emballages inutiles, des doutes sur le bien fondé du toujours nouveau, des questions sur les valeurs éthiques des entreprises". Les alterconsommateurs représentent 25% des consommateurs, contre 11% seulement d'hyper consommateurs aimant la publicité. Cela signifie que nos comportements ne sont pas sans

37 Le Monde du 15 juillet 2004 : La distribution est désemparée face aux alterconsommateurs

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conséquence. Cette enquête ouvre tout un champ pour la réflexion : quelle éducation à une consommation responsable ? Le guide de la consommation responsable du Val d'Oise montre comment une action de ce type peut se démultiplier.

Ce qui est vrai de la consommation l'est aussi de nos actes de conduite automobile, de relations de voisinage, de choix de vacances. Nous pouvons agir efficacement par notre vie quotidienne, et par le bouche à oreille.

La nécessité d'un projet de société

Les raisons de la désaffiliation d'une citoyenneté active sont un manque de projet de société de la part des partis politiques, le sentiment d'impuissance que l'on ressent devant les problèmes économiques sociaux et le peu d'écho de la part des politiques à cet égard. D'où une protection corporative, individuelle ou l'intérêt individuel est privilégié sur l'intérêt collectif. Tant que l'homme politique s'adressera à des électeurs et pas à des citoyens, ceux -ci seront infantilisés et de moins en moins intéressés.

Pour cela il faut redéfinir les valeurs communes : la promesse d’un certain avenir du monde, avec des enjeux de survie du monde, de vivre ensemble, de bien commun et d’intérêt général, de participation du plus grand nombre. Derrière on trouve des principes de solidarité, de fraternité, de respect, de justice.

Le souhaitable et le possible, pour une transformation sociale dans la durée

La politique c’est être capable d’articuler le possible et le souhaitable. C’est un compromis entre une visée, un idéal et une réalité complexe dont il faut tenir compte pour l’améliorer et tendre vers cet idéal. Faire de la politique c’est s’engager dans des choix pour l’intérêt général au nom d’un idéal. Si la politique n’est pas œuvre de transformation sociale, à quoi sert la politique ? De plus, le propre du politique doit être le moyen et le long terme et non l’immédiat. Les problèmes sont globaux et les choix en politique ne peuvent se faire isolément.

Relier l'action locale à des enjeux globaux

Comment faire en sorte que le détail participe d’une action générale ? Il faut se battre contre le chacun pour soi, le phénomène NIMBY (Not in my back yard = pas dans mon arrière cours = pas de ça chez moi !). On ne peut pas se contenter de regarder le problème sous le seul angle local : un phénomène local (par exemple l’opposition locale à l’installation d’une déchetterie sur un territoire) a des causes et des conséquences qui dépassent ce territoire. Les solutions peuvent également être trouvées à un niveau plus large.

Il est toujours difficile d'articuler les deux niveaux : le local et le global. On doit chercher toujours une tension, un équilibre entre les deux.

47. Le rôle éducatif des "corps intermédiaires"

Comment organiser la prise de parole la plus grande et donner la parole au plus grand nombre ? Cependant, il convient de ne pas tomber dans la démagogie : comment fait-on pour écouter 10 000 personnes en même temps ? Il est nécessaire de s’organiser pour porter collectivement des réflexions, des positionnements. Cela pose la question de la reconnaissance de corps intermédiaires dont l'objectif est une éducation de tous au politique.

Tout le monde a quelque chose à dire. Chacun a des questions, des savoirs, une expertise de sa propre vie sur laquelle il peut s'appuyer. Mais spontanément les populations ne s’expriment pas, ce sont toujours les mêmes qui prennent la parole. Il faut réapprendre à parler. On a besoin pour cela de s’appuyer sur du concret. Par exemple, ATD Quart Monde a réalisé une action avec des populations en grande précarité. L’association a conduit ces personnes à une exposition sur l’environnement et l’eau. A partir des questions de l’eau au quotidien, les gens ont pu réfléchir et

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essayer de faire des économies d’eau dans leur consommation. Ensuite on reconstruit des choses, on amorce une démarche politique.

C'est souvent à partir d’un thème que les gens parlent. Pour qu'une éducation à la prise de responsabilité concerne le plus grand nombre, il faut dans un premier temps passer par la proximité avec les gens, par des rencontres interpersonnelles dans une certaine forme de convivialité.

Mais d’un autre côté, les organisateurs doivent prendre du recul en recueillant la parole « de la base » car cette parole est peut-être déjà aliénée. Les populations peuvent reproduire un certain discours (celui de la télévision par exemple). Il faut des intermédiaires capables de lire et déconstruire certains discours pour les reconstruire. Il y a un équilibre à trouver entre la parole de tous et celle des « experts ».

Comment aider chacun à pouvoir s'exprimer

Ceux qui ont le plus de capacité ne doivent pas se taire ; ils doivent faire partager leur intelligence aux autres. Il est intéressant de se frotter à des « experts »; cela permet de mieux comprendre les différents phénomènes, de faire naître des questionnements et de s’approprier les savoirs constitués, la chose publique, le monde... Cela nécessite des outils pour se former.

Il est important de donner le goût de débattre ensemble en incitant à s’exposer dans la cellule la plus sécurisée (famille) et dans des petits groupes. Certains parleront dans des groupes de 3, 5 ou 8 personnes alors qu'ils n'osent pas affronter une assemblée plus nombreuse.

Dans le cadre des CMEJ (conseils municipaux d’enfants et de jeunes), il s’agit de donner la parole aux jeunes et leur faire participer à la vie locale. Cela touche les enfants et les jeunes de toutes origines, de tous milieux. Le but est de prendre sa place dans la vie locale. On travaille sur les valeurs démocratiques, l’ouverture au dialogue, on apprend à vivre ensemble. On doit développer la capacité à produire de la pensée collective.

Des parcours de prise de responsabilité

Les jeunes militants font petit à petit l’expérience de la prise de responsabilité : dans la prise de décisions, la gestion d’argent, l’embauche de personnels et la responsabilité d’employeur, l’élaboration de dossiers, le travail de partenariats… qui conduisent au développement et à la conduite de projets. Cela nécessite bien évidemment un parcours balisé. On est dans une démarche de promotion collective. Certains mouvements comme le MRJC ou les éclaireurs offrent ainsi l’opportunité à des jeunes de prendre des responsabilités du local au national. On notera que cet apprentissage est plus difficile quand les responsabilités sont assurées par des cadres salariés et permanents.

48. Une politique forte de formation

L’éducation à la citoyenneté ne passe pas uniquement par la parole, mais aussi par des changements de comportements personnels et collectifs. Mais pour cela, il est nécessaire de travailler dans le temps. Cela passe par un travail de formation, qui est plus développé dans les mouvements d'éducation populaire que dans les partis politiques.

ATTAC s'est doté d'une politique de formation en week-ends de recherche formation, décentralisée au niveau des régions, pour réfléchir ensemble aux grandes questions d'actualité et mettre au point des outils à destination des échelons locaux.

Le MRJC a mis en place depuis longtemps des séjours éducatifs, des temps ludiques où on apprend à vivre ensemble, à découvrir un territoire, des acteurs… On peut citer des stages sur la démarche de diagnostic de territoire, des formations sur la création d’activité en milieu rural, l’installation agricole ou les liens Ecole et territoires, l’Europe, la dynamique des Pays, etc. Cela enrichit les réflexions et les projets. Il y a aussi des formations à l’analyse politique, philosophique, où on se pose des questions de sens.

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Mettre en place des aides régionales ou départementales à l'éducation citoyenne

Pourquoi ne pas faire valider une déclaration commune de l’ensemble des organisations associatives pour demander que des lignes budgétaires « éducation citoyenne » soient mises en place par les Conseils régionaux , avec un cahier des charges et des modalités de financement à établir ?

On dispose d'un exemple avec le Nord Pas de Calais. Le Conseil régional a initié en 2001 les Assises de la citoyenneté. Cette manifestation a mis en mouvement de nombreuses organisations. Il a repris à son compte une des demandes qui portait sur la mise en place de formations citoyennes. Mais les structures associatives impliquées dans la dynamique n'étaient pas préparées à répondre à des appels d'offre. D'où la question : comment s'organiser pour être opérationnel quand les propositions sont prises en compte ?

Il est essentiel que la formation puisse être assurée en continuité avec la réflexion. Un travail complémentaire serait nécessaire sur le cahier des charges et sur les modalités de financement.

49. Réinvestir les lieux où se joue l'éducation au politique

Dans l’éducation au politique, il y a l’inné (par l’héritage familial : engagement syndical, associatif, politique…) et l’acquis (par la formation à différentes périodes, les diverses rencontres). Il y aurait de moins en moins d’inné. Il faut concrètement favoriser les engagements individuels et surtout collectifs dans la durée et pas uniquement ponctuels (forme parfois de consumérisme) en promouvant de nouvelles pratiques politiques citoyennes.

Comment développer l’initiative citoyenne en essayant de s'adresser au public le plus large ? Il faut réinvestir les lieux où il y a du politique, sinon d’autres prennent la place, souvent pour le pire (propagande antisociale, engagements intéressés et partisans, non ouverture, non oxygénation des réflexions, professionnalisation de la fonction…).

Plusieurs pistes ont été évoquées (liste non limitative). Parmi elles :⋅ le travail inter réseaux qui peut apporter des dynamiques d’échanges de savoirs et de complémentarité

⋅ réinvestir l'école pour y impulser une logique de projet et une pédagogie active⋅ développer par un apprentissage un regard critique sur les médias et promouvoir les médias citoyens

⋅ travailler au sein des forums sociaux locaux pour montrer au plus grand nombre que d’autres façons de penser, de réfléchir et d’agir sont possibles

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.5 Bâtir une information au service de la liberté des citoyens

Ce qui se fait dans les débats citoyens permet de lire ou d’écouter les médias de façon différente.

Dans notre société de l'information, le rôle des médias est essentiel. Ce sont eux qui nous donnent une vision du monde qui nous entoure. Leur rôle éducatif est considérable. Or on est depuis plusieurs années dans un processus de formatage, de « décervelage ». Il faut réapprendre à interpréter, à décortiquer les images et à prendre du recul sur ce qu’on entend et on regarde. Comment favoriser l'émergence de médias au service des citoyens ? L'atelier consacré à la presse écrite a initié une analyse et un débat, qui doivent être étendus à l'audio visuel, incomplètement abordé à ce stade. Le groupe a fait plusieurs propositions qui sont restituées ici.

50. État des lieux : un instrument majeur d'aliénation et de conditionnement politique

Du côté des lecteurs, la fascination pour l'image

Le journal télévisé, média dominant, (tous les jours 25 millions de français regardent TFI38) est devenu pour le plus grand nombre le seul média pratiqué. Face à la presse écrite un certain nombre de citoyens ressentent un malaise croissant devant la baisse de la qualité de l’information. Du fait de son succès, dans un monde sans régulation, la culture de l’audio visuel a rejailli sur l’écriture des articles de journaux. Le choc de l'émotion, l'instantané, le simpliste ont pris le pas sur l'analyse, la raison, la prise en compte du temps, y compris pour un quotidien de référence comme Le Monde. Il suffit de se reporter aux articles des années soixante-dix pour prendre conscience de la dégradation.

Mais l’insatisfaction et la critique ne sont pas générales. Le malaise concerne une petite part de la population, et la majorité paraît être davantage dans une attitude de réception proche de la crédulité. Il faut, avec Jean Pierre Le Goff, chercher pourquoi la majorité est consentante de sa propre aliénation, pourquoi cette barbarie est si douce. Car si la presse agit ainsi, c'est que cela fait vendre.

Du côté de la presse écrite

L’évolution de cette presse peut donner le sentiment qu’il n’y a plus d’expression d’opinion manifestant des choix tranchés : l’Humanité est tiré à 50 000 exemplaires, Témoignage chrétien et Politis à 12 000. La presse écrite donne plutôt à découvrir un consensus mou qui ne contribue pas à l’émergence d’un réel débat, mais au contraire endort et démobilise.

Cette faiblesse de la presse écrite est aussi une faiblesse financière. La majorité des titres sont la propriété de groupes (Dassault, Lagardère, LVMH, Pinault etc…) qui ont acquis les journaux dans une perspective économique d’investissement, de rentabilité, et de maîtrise de l’opinion. Pour ses décideurs, l’objectif de la presse n’est pas de donner à lire, il est de vendre un produit, vendre du papier à partir de l’idée que l’on se fait de son lectorat. Par mimétisme, les médias deviennent les miroirs les uns des autres. Le rôle de la publicité est également loin d'être neutre. Il suffit de s’opposer aux intérêts des annonceurs pour tarir le robinet financier.

38 TF1 dont le PDG Patrick Le Lay explique franchement la finalité (In « Les dirigeants face au changement » Ed. Huitième jour) : « pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible »

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La presse, une marchandise

Pour toutes ces raisons, la presse écrite est en état de sous-capitalisation, ce qui la réduit à un état de survie minimum. Elle doit, pour survivre, caresser les lecteurs et les annonceurs dans le sens du poil, et fabriquer une information qui plaise à moindre coût39. Cela conduit à une grande similitude de traitement et les médias deviennent les miroirs les uns des autres.

De ce fait, soumise à des pressions productivistes, à la réduction du nombre de journalistes, la presse écrite n’a pas les moyens de travailler en diversifiant ses sources d’information. Dans une période de développement des technologies de l’information et des moyens de communication, la tendance est de faire des journaux en s’appuyant sur Internet plutôt qu’en allant voir les gens qui vivent les situations. On interroge par téléphone, on prend contact avec les services de communication des entreprises ou avec des élus qui savent bien communiquer, la facilité étant de reproduire le texte préparé par les élus, par la pratique du copier/coller.

Pour imiter la télévision (faire du sensationnel) la presse privilégie la dénonciation au détriment de l’enquête. Elle peut ainsi se faire l’écho de courants qui contestent l’ordre établi à condition que l'information soit préparée. Tout cela n’apporte pas la précision et la finesse que procure la rencontre avec les acteurs sur le terrain.

Puisqu'il s'agit de vendre un produit et non d'informer sur la réalité, on privilégie l'insignifiant, la télé-réalité, et non l'information. Certains en viennent à fabriquer l'information de toutes pièces (pratique du bidonnage40). On est loin de l'éducation des citoyens, toujours affichée comme le premier objectif41. Le statut de la vérité a changé.

Un conditionnement des représentations et de l'imaginaire

Ce mode de fonctionnement s'accompagne d'une une propagande qui conditionne les individus à la peur, à l'égoïsme et à la violence, à la consommation. Ce conditionnement est tel qu'il entraîne des ruptures fondamentales dans la transmission de la citoyenneté et des valeurs.

Les politiques de communication visent à influencer nos images intérieures, à modeler à notre insu nos représentations. La publicité, les fictions télévisées, les informations, renforcent les pulsions comme la violence, l'envie, l'intérêt individuel et met en exergue les événements violents, monstrueux, ou au contraire dérisoires.

Certaines réalités donnent lieu à une profusion d'images et d'articles (l'affaire Dutroux), alors que d'autres sont occultées (pas d'images du Rwanda). Ainsi s'instaure une barbarie douce42, qui viole les consciences et nous aliène plus profondément que si nous étions soumis à la violence physique. Cette aliénation, parce qu'elle annihile la conscience critique donne une vision fausse de la réalité du monde, de l'autre, et favorise la diffusion d'une culture de l'inégalité, du renoncement, de la guerre.

Ce mode de fonctionnement représente un grave danger pour l'avenir de la pensée et de la démocratie, d'autant plus grave qu’il suscite l'adhésion d'une majorité de la population. Il est essentiel de le dénoncer et de le combattre tant qu'il est encore temps.

Quelles propositions faire face à cette situation ?

51. Propositions

Le groupe a émis quatre séries de propositions sur lesquelles il souhaite continuer à travailler :

39 Et ce d'autant plus que le journal sera lancé dans une politique de croissance et d'absorption de titres tous azimuts40 Fabrication de toutes pièces d’un reportage ou d’une information41 Pour plus de précision, voir le fascicule n°4 de RECit "Presse écrite et éducation à la citoyenneté", issu de l’atelier correspondant des Rencontres42 Selon le titre de l'ouvrage de Miguel Benasayag

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L'éducation à la lecture et au regard critiques

Des outils pour "apprendre le journal ou la télé"

Un premier niveau d’éducation à la citoyenneté est de favoriser l'apprentissage de la lecture ou d'un regard critique. Plusieurs mouvements d'éducation populaire ont déjà beaucoup travaillé pour forger des outils permettant d'éduquer le regard du téléspectateur. Les CEMEA ont par exemple mis en place des outils pédagogiques d’analyse de l’actualité :

Le rapport à l’actualité et à l’information est essentiel dans le regard porté sur le monde par les jeunes. Il s’agit pour nous de faire prendre de la distance sur le flux d’informations qui sont diffusées quotidiennement et de démonter les mécanismes qui sous-tendent les grands rendez-vous médiatisés de l’infos que sont les journaux télévisés. : prendre conscience de la mise en scène de l’info, de la hiérarchisation des infos et de leur traitement, des rapports aux publics, tels sont les objectifs que les CEMEA et le CLEMI se sont donnés à travers la conception du DVD-ROM « Apprendre la télé, le JT ». Notre action se traduit alors par la mise à disposition d’outils de formation aux éducateurs, en vue d’une massification de ces usages critiques et distanciés.

Ces outils mis au point gagneraient à être largement diffusés et utilisés en dehors de la sphère scolaire pour sensibiliser les "téléspectateurs moyens".

L’Education Nationale, avec les CLEMI, suscite ce genre d’actions dans des campagnes annuelles comme la semaine de la presse à l’école, qui est l’occasion pour les enseignants d’organiser des lectures comparatives de traitement de l’actualité ou de certains dossiers. Elle favorise le contact de l’école avec les journalistes.

Quel est son effet sur les pratiques de lecture des jeunes ? Sur le développement de leur esprit critique et leur autonomie de jugement ? Ces actions sont trop ponctuelles pour qu'on espère transformer les futurs téléspectateurs en télécitoyens.

Apprendre à lire en faisant un journal

La rédaction d’un journal est par elle-même éducation à la citoyenneté. L’expérience démontre qu’apprendre à utiliser l’outil presse permet de rompre la fascination pour "le journal" et introduit la distance émancipatrice. La pédagogie Freinet a utilisé très tôt la presse comme outil d’émancipation, d’acquisition de connaissances, de maîtrise de l’écrit, de formation à une lecture critique et d’éducation à l’autonomie. Elle a montré la première combien il est formateur et émancipateur de passer de la narration de son expérience à la narration de l’expérience des autres. Ce faisant on devient un lecteur non malléable et plus exigeant. A l’heure d’Internet cette expérience n'a rien perdu de son actualité.

Le journal du forum social européen a été réalisé par le Lycée Suger de St Denis : des lycéens ont rédigé quatre quotidiens pendant la durée du FSE en libre participation. Ils ont bénéficié de subventions, d’une aide technique et se sont beaucoup investis eux-mêmes. La participation de trois catégories d’acteurs a permis la réussite de cette expérience : le proviseur, les professeurs et les élèves.

A signaler aussi, des expériences locales comme URBIS publié par l’agence d’urbanisme de Dunkerque, qui vulgarise des réflexions en matière de développement local, ou des expériences de journaux pour enfants (exemple l’expérience des Dernières Nouvelles d’Alsace…).

A Larrazet, village de 514 habitants dans le Tarn et Garonne, les habitants rédigent depuis bientôt 30 ans un journal trimestriel de 40 pages, le « Trait d’Union ». C’est une formidable expérience de dialogue communautaire et d’auto-pédagogie très bien documentée par un travail de recherche sur les « identités communales ».

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Faire pression sur les médias dominants

Tout le monde ne lira pas demain le journal de nos rêves. Il faut aussi dénoncer le fonctionnement des médias, faire prendre conscience à la masse des lecteurs, non lecteurs et téléspectateurs combien ils sont manipulés, conditionnés dans leurs représentations et leur compréhension du monde.

Courrier des lecteurs : réagir, ne pas oublier de réagir

Le courrier des lecteurs est souvent un espace de liberté, un espace de réaction qui fait contrepoids à la rédaction. Il donne à un journal une part de son identité par l’expression de son lectorat. Cet espace est à occuper sans retenue. C'est un moyen pertinent de faire connaître son point de vue, son questionnement, ses exigences, c’est le lieu qui reste au citoyen. Certaines revues (Télérama) en ont fait un espace interactif. Il n'est pas impensable que la presse écrite constitue un espace d’échange, un lieu de débats. Susciter des débats est de la responsabilité de la presse. L’éducation à la citoyenneté passe pour le public lecteur par la possibilité d’interpeller le journaliste sur son écrit.

A cet égard, il faut se battre pour obtenir que chaque article soit signé et que l’adresse électronique du journaliste soit précisée.

Participer aux sociétés de lecteurs

De la même manière, les sociétés de lecteurs sont des lieux où il est possible en direct d'interpeller les responsables du journal, de s'interroger sur les orientations, de faire des propositions. Sans se faire d'illusions sur le pouvoir réel des assemblées de lecteurs (les vraies décisions se prennent ailleurs) elles constituent des contre-pouvoirs parfois efficaces. On sait qu'il peut être très important de freiner des évolutions, d'obliger parfois les tenants de la libéralisation d'un journal à faire des compromis.

Une grève des téléspectateurs ?

Vis-à-vis des télévisions, on n'a pas trouvé la solution et la réflexion doit continuer.

L'atelier a proposé d'initier des actes de désobéissance civile : "aujourd'hui on arrête de regarder la télévision" au niveau local, national, mondial, en expliquant pourquoi et en posant des demandes précises, qu'il faut bien préparer. Des actes de cette nature (votations) ont eu lieu aux États-Unis au moment de l'élection de Bush. C'est possible en Europe.

Créer de nouveaux médias

Créer de nouveaux médias associatifs et militants

Il est aujourd'hui facile de faire des journaux, avec les moyens de communication actuels, dès lors qu'on dispose d'une capacité militante de traitement de l'information. Il faut pour cela constituer une alliance avec des professionnels, des militants, des associations, pour pouvoir dans nos associations, ou dans nos territoires, produire de nouveaux journaux, revoir les orientations de journaux existants. Il est possible de faire à coût modique de la qualité en terme d'éducation des citoyens, en remettant au premier rang l'information, et en se préoccupant d'aider à comprendre, de faire circuler les expériences, d'organiser des débats. Cet objectif peut être mis en oeuvre dès demain. RECIT peut y contribuer, être moteur.

Il faut travailler à la promotion de médias alternatifs sur nos territoires et davantage collaborer avec les associations de consommateurs (par rapport à la publicité par exemple). Ce thème mérite aussi plus de temps d’échange, par exemple avec Co-errances, une coopérative qui publie des revues qui « offrent un point de vue singulier, exigeant et précieux sur notre époque, qui partagent une même exigence de décloisonnement des disciplines, des savoirs, un même désir de restituer les

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évènements et l’actualité dans leur profondeur historique, qui sont des fabriques de débat publics, et surtout qui n’existent que pour et par les lecteurs. »

Pour demain, avec d'autres, créer un quotidien national indépendant

Le dernier journal créé qui ait survécu est Libération. Il a commencé de façon militante. Même si on critique Libé, aucun autre quotidien n'a tenu depuis. Mais les dérives actuelles laissent un espace important du côté des citoyens en manque d'analyses…

Il y a urgence à retrouver un journal qui informe (et pas seulement sur l’hexagonal ou l’européen), relate des faits en avertissant de leur vérification ou de leur vérifiabilité ou de leur véracité, mais aussi un journal qui prolonge les débats, les approfondisse par un travail d’investigation, d’exposé de positions contradictoires, en fasse apparaître les enjeux.

Nous avons la possibilité de tenter à nouveau l’aventure d’un quotidien indépendant des groupes financiers, parce que financé par des souscripteurs en nombre suffisant pour garantir l’indépendance financière du journal.

Savoir travailler avec les médias

Peut on faire pression sur les médias pour qu'ils informent mieux ? Ce n'est pas par hasard que seules passent certaines informations. Mais on peut quand même agir, en nouant de liens, en apprenant à informer et en faisant pression.

Se donner les moyens d'informer la presse

Les choses étant ce qu'elles sont, les journalistes sont souvent de bonne volonté, mais n'ont pas le temps de venir chercher l'information. Ils doivent privilégier l'image, mais ne connaissent pas le terrain. Ils ont un impératif de temps, et prendront ce qu'ils ont au moment de boucler. Il faut tenir compte de ces contraintes pour informer les journalistes. Il est possible de faire connaître les actions menées, les présenter sous forme succincte, en mettent en valeur l'essentiel. Nous disposons d'exemples nombreux, de réflexions, de nombreux contacts de personnes à interroger. Les journalistes sont aussi des citoyens, pas très libres, mais souvent désireux de bien faire leur travail. On peut anticiper les demandes d'information. On peut nouer des liens.

Apprendre à parler et à communiquer

Comment répondre à un journaliste lors d’une interview ou d'une action ? Ceux qui ont vécu cette expérience ont souvent rencontré des situations qui leur ont posé problème, avec le sentiment de s’être fait « piéger » : "Le journaliste a retenu le secondaire et non l’idée force", "J'ai du répondre à des questions imprévues". Il serait bon que des formations à la prise de parole, à "comment répondre en 4 minutes à une radio locale" soient proposées aux militants, aux élus et aux responsables d'associations. RECIT commence à travailler là-dessus. Des formations à la communication devraient favoriser un autre rapport aux journalistes et par conséquent un autre rapport des journalistes avec l’information.

Apprendre à écrire un article

De même, comment font des élus, des responsables de mouvements, des militants dans l’événement, quand ils ont à rédiger un article ? Il serait essentiel de proposer des formations sur le thème "écrire un article", afin que les idées et les propositions puisent être reprises, amplifiées. Il ne faut pas oublier qu'un article en influence d'autres.

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.6 L'ouverture internationale

Aujourd'hui, on ne peut pas comprendre le monde sans une conscience des réalités internationales. La mondialisation libérale sera peut être remplacée par une mondialisation solidaire, mais il est peu probable qu'on revienne à des ensembles cloisonnés comme aux siècles précédents. Comment préparer un monde solidaire à travers les actions citoyennes ? Quelle éducation à la compréhension du monde, aux comportements d'ouverture, à des relations de fraternité au niveau international ?

On peut discerner trois grands types d'actions :

52. Permettre à chacun de comprendre le monde

Comme on l'a dit, le monde a connu depuis 30 ans une énorme série de changements, qui bouleversent totalement les conditions de la vie et de la survie de l'humanité toute entière. Ces changements trouvent leur source dans la révolution technologique, qui a rendu possible l'essor des communications au niveau de toute la planète. La mondialisation des échanges pourrait mettre à la disposition des humains des richesses considérables. Mise au service d'un système absurde d'accumulation des profits, elle génère des conséquences dramatiques pour la majeure partie de l'humanité avec dans tous les pays du monde un accroissement de la pauvreté et des inégalités, des menaces sur l'écologie de la planète et l'espèce humaine, la marchandisation de l'éducation, de la santé et de la culture, un recul de l'État de droit, de la démocratie et des libertés. Chacun voit bien qu'à terme seules la reconnaissance des causes et des réponses appropriées peuvent dans la durée désarmer la violence. Or l'Europe, loin de promouvoir les bases d'un monde plus juste, est le plus ardent défenseur à l'OMC de la libéralisation des échanges, qui n'est rien d'autre que la loi du plus fort.

Ceux qui cherchent à comprendre le pourquoi des choses manquent cruellement d'informations et d'explications intelligibles, de débats et de liens avec les acteurs d'autres pays. Ils se posent des questions mais ni les médias, ni l'appareil éducatif, ni leurs proches ne leur fournissent d'éléments de réponse. C'est pourquoi le travail éducatif doit aborder ces questions, avec objectivité, en s'appuyant sur des faits et sur l'histoire contemporaine. Une de tâches de RECIT est de rendre disponibles les outils quoi existent, de désarmer les peurs et de favoriser les liens (voir par exemple le travail du CEDETIM et de RITIMO).

Travailler sur la politique étrangère de la France et de l'Europe

En particulier, il serait essentiel de sensibiliser les citoyens sur les positions réelles prises par l'Europe et par la France au plan international. Si les citoyens avaient un regard attentif sur les actions menées ou sur la passivité face à des situations internationales inacceptables, celles-ci ne seraient plus tenables. Par exemple la Mauritanie pratique l'esclavage depuis toujours envers les populations négro mauritaniennes. Cette situation s'est aggravée depuis 1989, avec des milliers de réfugiés. Les dirigeants du pays, qui organisent cet esclavage, sont soutenus par le gouvernement français, alors qu'ils bafouent les droits de l'homme. Ni le gouvernement, ni l'opposition ne rendent compte de cette situation.

Pour réhabiliter la politique, il faut aussi réhabiliter la politique étrangère en armant les citoyens.

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53. L'importance des échanges internationaux

Parmi les outils, les contacts et les échanges avec d'autres acteurs sont essentiels pour faire prendre conscience des situations. Partout dans le monde des actions sont menées pour changer le cours des choses, répondre à l'injustice, construire d'autres modes d'échanges et de vie.

Ces échanges internationaux ont une dimension d'éducation citoyenne, d'ouverture interculturelle, d'éducation au dialogue et à la tolérance. L’accent a largement été mis sur l'ancrage dans un territoire local par des actions de proximité, dans des espaces publics. Ces échanges sont complémentaires des actions locales et leur donnent une nouvelle dimension.

Un atelier a travaillé pour voir comment renforcer la construction de réseaux de relations humaines et soutenir des lieux de réflexion internationalisés, dans le cadre d'une coopération décentralisée ou locale. L'objectif était de savoir ce qui a déjà été fait et réfléchir aux moyens de rendre prioritaire l'accès à la culture et à la connaissance dans les politiques sociales et éducatives. Deux modes d'échanges ont été abordés :

Les échanges locaux de savoirs et de pratiques

Dans ces échanges, il ne s'agit pas d'apporter une aide, mais de s'ouvrir à un échange réciproque et solidaire, où chacun apporte à l'autre (qu'il s'agisse d'échanges de savoirs ou d'appui au développement). Pour cela la confiance est essentielle. Elle se construit dans le respect mutuel, l'humilité et l'écoute. Pour que le choc culturel conduise à une découverte et une prise de conscience, il est essentiel de casser les préjugés. Le partenariat interculturel est un outil important.

On se situe le plus souvent dans des logiques de projet, où l'apprentissage est lié à l'autonomie. "Avec les jeunes nous sommes en autogestion encadrée". On doit accepter un certain droit à l'erreur et au malentendu, lié à l'écart culturel ("fonction de là d'où l'on vient") et à l'inexpérience. Il faut donner du temps au temps, dès lors que l'objectif est d'agir sur les mentalités et les représentations. Là se situe une difficulté fréquente : les objectifs sont souvent démesurés par rapport au temps dont on dispose et aux possibilités de travail de fond après l'échange.

Une action locale dans la durée

Le problème de ces échanges de pratiques est de transformer une prise de conscience en engagement dans la durée. Cette question est beaucoup plus large et concerne toutes les actions porteuses d'éducation citoyenne.

L'action ponctuelle ne se suffit pas à elle-même. Il faut aussi changer le regard collectif, sensibiliser le plus grand nombre par des actions visibles et ponctuelles, festives et conviviales, en vue d'une prise de conscience publique (susciter des débats, envoyer des messages). L'objectif est de changer le regard de tous. Multiplicité des formes d’action, investissement des lieux publics, festivals, repas partagés, sport, image/vidéo.

Pour cela, des actions dans la durée sont nécessaires, en vue d'un engagement local citoyen, à travers le partenariat, l’échange et la réciprocité. C’est une démarche pédagogique de longue haleine. L'action locale doit en particulier s'appuyer sur les savoirs et l'expérience des populations étrangères en France43. De multiples expériences locales ont développé depuis de nombreuses années cette approche.

Des échanges avec d'autres expériences d'éducation émancipatrice

Les initiatives porteuses d’une éducation émancipatrice sont nombreuses partout dans le monde. Certaines ont une grande avance en terme de réflexion et d'expérience. Par exemple, le projet de RECIT s'est précisé en particulier grâce à une rencontre avec l'IDH (Instituto de humanizaçào), à Porto Alegre, animé par des "enseignants populaires", militants "volontaires" (bénévoles) du mouvement Paulo Freire depuis 25 ans. Leur objectif est la mise en relation et l'émancipation.

43 de même (mais là on rêve carrément) que l’éducation internationale

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"Etre humain, c'est être en relation. Nous avons pour option de partir de la pratique et de la relation pour arriver à la connaissance, alors que dans l'école classique on part de la connaissance théorisée".

RECIT a participé à plusieurs manifestations, colloques et rencontres au cours de l'année écoulée: atelier participatif dans le cadre du Forum Social Européen de saint Denis, séminaire à l'UNESCO sur l'éducation émancipatrice (organisé avec Henryane de Chaponay), séminaire en Suisse sur "collectivités publiques et émancipation". Ces rencontres ont permis de développer les liens avec des acteurs de différents pays (Italie, Espagne, Belgique, Allemagne, Québec, Brésil, Mexique,…) et d'envisager des travaux en commun.

Participer aux rassemblements internationaux

On ne peut se contenter de travailler sur l'éducation citoyenne au niveau national ou local. Des lieux de réflexion internationalisés existent déjà, autour de différents réseaux. Ces réseaux sont aussi des réseaux de relations humaines. Il est proposé aux constituants de RECIT de participer activement à leur renforcement. On peut ainsi contribuer à faire ressortir la valeur que représente la qualité du lien social, l'indépendance de la culture et la citoyenneté participative pour une société et pour l'avenir de la planète.

Au delà, des actions doivent être entreprises au plan international. Le forum mondial de l'éducation se tient chaque année à Porto Alegre en juillet. RECIT a participé à sa déclinaison avec le Forum Social Européen. Ce rassemblement est très important, car il permet de nouer des liens et de dénoncer la marchandisation de l'éducation à l'échelle de la planète, en contradiction avec la charte universelle des droits de l'homme, qui énonce comme un droit fondamental le droit à l'éducation pour tous. Il est essentiel que ces rassemblements prennent conscience qu'il s'agit aussi de travailler sur la qualité de la démarche éducative et pas seulement à sa défense. Une autre éducation est possible. Les réseaux qui se constituent autour de l'éducation émancipatrice doivent investir ces lieux, y proposer des réflexions et des actions, nouer le débat dans ce sens, pour donner un sens au combat contre la marchandisation

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.7 L'ancrage dans le territoire Réinvestir les lieux où se joue l'éducation au politique

54. L'action locale, premier niveau d'action citoyenne

La première citoyenneté est une citoyenneté locale, ou culturelle. La majorité des expériences présentes à Lille ont une action locale. Les associations locales ont un rôle essentiel à jouer pour aider à l'émergence d’une citoyenneté active, et pour favoriser la participation des citoyens dans les projets de territoire. Mais pour cela elles doivent retrouver la visée de transformation sociale de l'engagement associatif et syndical et de l'éducation populaire.

Tous les ateliers se rejoignent pour mettre en valeur l'importance de l'ancrage local, celle des actions de proximité. Ce n'est qu'à partir de là que les réseaux peuvent s'élargir aux plans régional, national, international.

55. Eveiller les membres des associations à la dimension collective de toute action

Comme on l'a vu, trois étapes peuvent caractériser le processus éducatif qui permet à un habitant de se transformer en citoyen : devenir actif, s'éveiller à la dimension collective des actions, créer à partir de la rencontre des différences. Les associations locales en restent trop souvent à la première étape : elles offrent des activités à leurs membres, mais elles ne créent pas les conditions qui pourrait leur permettre de prendre conscience de la dimension collective des actions. Elles restent trop souvent cloisonnées et peu ouvertes sur le territoire, participant peu aux démarches collectives du territoire.

Le premier travail est à faire avec les responsables des associations locales, pour analyser la portée des actions menées.

Dans le Département de Meurthe et Moselle, le Conseil Général a mis en place une conférence permanente de l'éducation populaire qui réfléchit sur la portée des actions de participation et d'animation menées sur le terrain au regard des grands enjeux de l'éducation populaire. Cette conférence a organisé début 2003 un forum sur le thème "démarches participatives et animation jeunesse" qui a travaillé sur le sens des expériences locales et leur mise en réseau. Le résultat est que les associations locales sont plus conscientes de la portée de leurs actions, et sont donc en mesure de la transmettre aux adhérents.

56. Amener le maximum d'habitants à une prise de conscience

Comment, au delà des membres d'associations, amener le maximum d'habitants à faire l'analyse des dysfonctionnements de notre société, et des conséquences qu'ils peuvent avoir dans la vie de tous les jours ? La réponse à cette question ne résulte pas de l'application d'un outil, mais d'une démarche dans la durée.

Le foyer rural du Grand Clunysois s'est fixé pour but de sensibiliser et former l'ensemble de la population des villages de son territoire à faire l'analyse de la société. L'objectif est que la population dans son ensemble, et pas seulement les personnes déjà sensibilisées, prenne conscience collectivement des dysfonctionnements de notre société et des conséquences que cela peut avoir dans notre vie de tous les jours. La démarche se déroule sur plusieurs années, pratiquement depuis

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10 ans. En 2004, pour la deuxième fois en 5 ans, on a créé un événement, préparé de longue date en mobilisant les associations et toutes les forces vives de la société civile. Pendant 4 jours, une caravane a sillonné le pays, pour réfléchir sur la mondialisation, sur l'économie solidaire, et aussi pour faire la fête. Il s'agit aussi de faire reconnaître l'importance de l'éducation populaire, alors que le Conseil Général a coupé aux associations une partie des subventions. Si on montait une manifestation dure contre le Conseil général, avec le même contenu, beaucoup de gens ne suivraient pas. Il faut amener l'ensemble de la population à prendre conscience des écarts entre les mots et les actes, et à avoir un sentiment de révolte contre cette hypocrisie. Il faut faire cette démarche tous ensemble, avec des outils et des mots qui parlent à tous, car l'objectif est de mobiliser l'ensemble de la population, et pas seulement ceux qui ont une conscience politique.

Le projet de caravane qui sillonne un territoire pour « aller toucher chacun, lui montrer en quoi l’information le concerne, et l’aider à trouver les moyens de s’investir dans sa propre vie » est aussi celui de l’association «Yoranoo» à Paris et à Lyon, et celui de l’association «Eveil à l’initiative» dans le Tarn.

57. Participer aux démarches des territoires

Les territoires se sont depuis 10 ans organisés localement en associant les acteurs locaux dans des démarches institutionnelles, fixées par des lois successives. Comment les associations peuvent-elles y participer sans être instrumentées par ces démarches, qui deviennent vite des procédures ? Comment y faire valoir la dimension éducative de toutes les actions locales, pour que celles-ci soient porteuses d'émancipation ?

Il est important que les citoyens soient informés et aient accès à l’ensemble des données relatives à la politique de leurs territoires. Dans le cadre de la mise en place d’un Agenda 21 en Essonne, un observatoire a été monté afin de vérifier que les propositions ont bien été mises en place. Le problème est que cette initiative risque de ne pas se pérenniser en cas d’alternance politique. A chaque fois qu’une action se met en place, l’obligation de consultation devrait exister avec présentation des enjeux, des différentes propositions, des conséquences.

Les comités de quartier, les conseils de développement (pays, agglo), les conseils et commissions des communautés de communes, les agendas 21, les forums sociaux locaux constituent des espaces incontournables pour un débat sur l'éducation citoyenne. En effet, c'est là que se prennent les orientations d’un territoire. Mais une association locale peut difficilement y faire entendre sa voix. C'est pourquoi il faut se regrouper, se mettre en réseau.

Plus on s'éloigne de la proximité, plus ce sont les acteurs organisés du territoire et de la vie sociale qui prennent le pas sur les petites associations et les habitants. Plus la mise en réseau est nécessaire.

Pourtant les associations sont souvent refermées sur leur mission propre "J'ai tant à faire avec les besoins locaux" dit le Secours Populaire. "Nous sommes peu nombreux et avons du mal à animer notre réseau " dit le réseau d'échanges de savoirs.

58. Travailler en réseau pour réfléchir et agir ensemble, s'exprimer, se former

Pour résister et faire valoir un point de vue qui reflète celui des habitants il faut se doter d'un projet commun fort qui servira de "fil rouge" dans les discussions avec d'autres instances.

Par exemple l'association inter-quartiers de Roubaix regroupe plusieurs comités de quartier, avec des commissions par thèmes, des enquêtes, des temps forts. Elle s'est dotée d'un projet commun dans une expression commune qui lui permet d'être présente dans le conseil d'agglomération. Des temps de formation-action viennent renforcer la démarche.

Cela est possible parce que l'A.I.R. dispose d'un accompagnement qui a fortement organisé la démarche dans la durée (les premiers comités de quartier sont nés en 1977 des luttes urbaines de l’Alma) Une Charte pour la démocratie participative a fixé en 1999 les relations entre la

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Municipalité, l’A.I.R et les Comités de Quartier. Des moyens ont été accordés. Les journaux des Comités de Quartiers offrent un espace de parole aux habitants pour influer sur les politiques publiques, avec une charte de la presse associative de quartier.

Comme on le voit, la mise en réseau permet de faire circuler les expériences et les idées, de réfléchir ensemble, de se former, de s'exprimer, de monter des actions communes. La continuité dans le temps doit être longue (il faut 10 ans pour instaurer une réelle culture de participation). La mise en réseau a aussi une dimension conviviale. Elle suppose une relation "régulière, suivie et joyeuse" avec des moments symboliques, des rites et des fêtes.

Pour chaque démarche, il faut bien repérer le niveau pertinent d'intervention et d'accompagnement. L'action territoriale n’est pas formatrice par simple magie, c’est la qualité de l'accompagnement qui est décisive.

Ce travail de mise en réseau peut se réaliser à plusieurs échelles de territoire. Il peut s'appuyer sur les lieux de socialisation familiers, comme l'école, les centres de loisirs, les espaces de vie des habitants. A un second niveau il est possible de s'organiser à une échelle plus large (commune, intercommunalité, pays ou agglomération), avec une interaction entre les démarches ascendantes (remontée des besoins, démarches participatives) et descendantes (information, consultation, concertation…).

Les exigences, les propositions, ne doivent pas aller à sens unique (les élus, les autres) mais nous devons nous demander comment nous pouvons, nous aussi, faire évoluer nos propres fonctionnements et comportements.

A l'heure des réseaux d'information et d'échanges virtuels, la rencontre humaine reste le fondement d'un lien social fort. L'action locale permet des rencontres directes qui constituent un rempart contre l'anonymat et le cortège de méfiances, des peurs, des exclusions de toutes sortes qui lui sont liées.

59. Des forums sociaux locaux pour tous, afin de développer l'éducation citoyenne

Aujourd'hui, en France, beaucoup d'acteurs montent des forums sociaux locaux. Se situant dans la ligne des forums sociaux mondiaux et européens, ils constituent des temps de rencontres qui regroupent de multiples acteurs locaux, au delà du cercle habituel des militants locaux. Cependant, le succès rapide de la formule risque de conduire à deux dérives :⋅ se limiter à des séries de conférences où « ceux qui savent » font connaître leurs travaux à « ceux qui ne savent pas », qui n'ont pas de culture politique, etc...

⋅ en rester à des débats entre personnes déjà sensibilisés44. La liberté de parole, sans organisation de la participation de tous, conduit souvent à des joutes oratoires entre initiés.

Des FSL qui s'adressent à tous

Il est essentiel que les FSL s'adressent à tous, dans le même esprit de fraternité et de convivialité que celui des forums sociaux mondiaux. L'objectif est de mobiliser, au niveau d'une ville ou d'un bassin de vie, toutes les catégories de citoyens, y compris ceux qui ont pour habitude de se taire, et les militants qui travaillent au sein des différentes composantes du mouvement social (associations, ONG, mutuelles, coopératives, entreprises d'économie sociale, citoyens volontaires) afin de : ⋅ • permettre aux habitants, organisés ou non, et aux acteurs, de s'exprimer, d'exprimer ce qu'ils vivent et ce qu’ils ont "sur la patate", de formuler des critiques et des propositions,

⋅ • rendre visibles les actions déjà menées par chacun pour répondre aux besoins et contribuer à la transformation sociale, en dégager la portée globale et susciter leur mise en réseau,

⋅ • développer de nouveaux espaces d'échanges et susciter sur quelques thèmes qui concernent particulièrement le territoire, un courant de débats et de réflexion, d'information et de formation communes,

44 Voir ci-dessus l'intervention de François Bonnetain, du Foyer rural du Grand Clunysois

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⋅ • impulser une dynamique locale permettant aux citoyens qui le souhaitent d'être acteurs, d'avoir prise sur le monde qui les entoure,

⋅ • mener des actions communes à tous ou partie des participants, mises en oeuvre par ceux qui les proposent.

Comment faire en sorte que les FSL soient des temps d'éducation citoyenne ?

Pour cela, il faut partir des questions de chacun, de son « expertise en vie quotidienne », avec des temps en petits groupes pour que ceux qui n'ont pas l'habitude de la parole puissent s'exprimer. Les apports de savoirs structurés doivent découler des questions que les participants se posent et faire appel aux propres savoirs des citoyens.

Il est possible de promouvoir au sein des forums sociaux locaux des démarches (travail en groupe, écoute réciproque et méthodes de délibération) qui permettent de faire de ces rassemblements des lieux d'éducation citoyenne. Ils peuvent aussi permettre de faire le lien du local à l'international et de l'international au local, montrer ainsi la portée globale de toute action, même individuelle.

Il est essentiel pour cela que RECIT mette à la disposition des forums sociaux locaux des outils, simples dans leur présentation, qui favorisent cette approche.

60. Partir de la vie quotidienne pour en montrer la portée globale

Le temps des forums sociaux locaux est souvent comme un feu d'artifice qui n'a pas de suite. Il est très difficile de faire participer les gens à partir de préoccupations mondiales ou européennes. Il est essentiel que les participants aux FSL prennent conscience du lien entre les problèmes qu'ils vivent localement et les choix mondiaux ou européens. Par exemple, si la poste locale ferme, si les productions fermières ne sont plus possibles pour les petits agriculteurs, cela est lié à des directives européennes, à un traité signé il y a 18 ans45.

Autre dimension : la plupart des gens ne voient pas que leur vie quotidienne a quelque chose à voir avec l'avenir de la planète, ils n'en ont pas conscience. L'éducation à l'environnement, à partir de choses simples, (dépenses d'eau, tri sélectif, pollution et usage de la voiture), le commerce équitable, la qualité de l'alimentation permettent de faire des liens et de réfléchir au monde que nous laisserons à nos petits enfants.

Là aussi, les outils existent. Il serait intéressant de les mettre à disposition des forums sociaux locaux et de tous ceux qui veulent impulser ces réflexions. Ce lien est essentiel pour donner envie aux citoyens de participer à la politique locale, pour donner cette dimension aux projets locaux.

61. Réinvestir l’école, y impulser une logique de projet

Il faut réinvestir les lieux publics tels que l’École. Même s'il est dur de faire évoluer les choses en son sein il faut s’y investir. Elle semble davantage portée à fabriquer des agents économiques qu’à former des citoyens. La concurrence, la réussite individuelle sont avantagées par rapport à la réussite collective et la responsabilité partagée. Il faut redonner du sens à l’école ainsi qu’à l’éducation tout au long de la vie.

On est au coeur du politique quand on parle d’économie. Le MEDEF investit les établissements scolaires et peut y faire des ravages. D’autres organismes comme la fédération des CIGALES sont présents pour présenter des alternatives, porter par exemple des projets d’économie solidaire qui vise à développer chez des jeunes le goût d’entreprendre pour la solidarité. Là se jouent des projets de société très différents. Pouvoir discuter de ces questions à l’école est un enjeu énorme.

L'important à l'école est d'allier le plaisir et la rigueur, avec un haut niveau d'exigences pour tous et toutes. Les pratiques pédagogiques doivent être pensées et surtout pratiquées en référence aux

45 L'Acte Unique, signé à Luxembourg et ratifié par les parlements nationaux en 1986, entré en vigueur le 1er juillet 1987, et les règlements européens qui en ont découlé

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valeurs d'une éducation émancipatrice. En particulier la coopération est porteuse de beaucoup de choses.

Les écoles ouvertes et coopératives ont fait la preuve de leur efficacité. Elles permettent de travailler avec d'autres et de penser globalement l'éducation, ce qui est un changement considérable. Il est vraiment désolant que les efforts de rénovation de l'école se soient heurtés depuis 80 ans à un mur institutionnel. Les évaluations n'y font rien. Elles ne sont pas entendues. On sait aujourd'hui que l'école ne bougera que sous la contrainte extérieure. C'est pourquoi il faut de battre pour défendre les structures coopératives (Brest, Bordeaux, saint Martin de Valence,…) qui existent mais sont menacées, les faire connaître et promouvoir les idées dont elles sont porteuses.

Il existe aussi des progrès possibles au sein des écoles classiques. On peut faire progresser les logiques de projet, le travail en équipe, les liens avec l'extérieur par un combat de tous les jours. De nouveaux dispositifs au collège permettent aux enseignants d’aborder tout au long de l’année des thématiques globales comme l’environnement ou la citoyenneté. Pour que ces démarches soient efficaces et porteuses de sens, les enseignants ont besoin d’être accompagnés par ceux qui traitent ces thématiques dans la pratique, sur le terrain, donc par les associations. Il est important de réinvestir l’école.

62. Des projets éducatifs locaux associant tous les acteurs

Plusieurs expériences rendent compte de la mise en place de projets éducatifs locaux (P.E.L.).

Elles montrent la fécondité d'un travail en réseau de l'ensemble des acteurs éducatifs d'un territoire. Lorsque la méthode de projet est appliquée à la démarche éducative : énoncé des enjeux éducatifs liés à un territoire, à un centre de loisirs, etc…, diagnostic participatif des forces et faiblesses pour répondre à ces enjeux, objectifs à long et moyen terme, stratégie de mise en œuvre, programme d'action, suivi de la réalisation. De nombreux partenaires sont cités comme essentiels dans cette démarche : famille, écoles, loisirs, centres sociaux, associations.

Cette démarche doit être co-pilotée dès l'origine par les différents partenaires (on ne peut exclure le risque de voir une institution prendre le pas sur les autres). Une démarche participative est nécessaire à toutes les étapes et doit être organisée à travers des outils. Elle suppose un esprit d'écoute et de respect des spécificités et des missions de chacun.

Les projets éducatifs locaux permettent d'interroger les politiques de les remettre en question en les replaçant face à leurs finalités. Ils permettent aussi de mutualiser les risques.

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.8 En complément : Quelques réflexions proposées mais non développées

Les fiches émanant des ateliers font également ressortir des propositions pour lesquelles nous manquons d'éléments complémentaires. Ces propositions sont évoquées ici parce qu'elles peuvent être reprises le cas échéant par d'autres groupes pour les développer.

Plusieurs ateliers ont proposé par ailleurs un programme d'action complet. On voit se dessiner des programmes qui cultivent les différentes entrées, les différents lieux de l'éducation citoyenne :

63. Les relations parents-enfants, "premier réseau"

Deux ateliers ont souhaité qu'on développe une réflexion sur l'éducation dans la famille, qui est le premier lieu éducatif, le premier réseau : changer les images et les représentations, développer des actions collectives de parents, reconnaître le statut de l'éducation familiale, changer l'image des travailleurs sociaux.

64. Refonder les pratiques éducatives à l'école

Plusieurs ateliers abordent la nécessité de refonder les pratiques éducatives à l'école : apprentissage à l'autonomie, à la participation au participation au collectif revalorisation du travail manuel, physique, ouverture sur le monde. Certains parlent de "réinventer l'école". Pour cela, on peut s'appuyer sur des exemples comme l'auto école de Saint Denis ou sur la démarche d'éducation communautaire mise en place depuis 30 ans à la Villeneuve de Grenoble, sur les ouvertures que donnent les projets éducatifs locaux, sur les démarches émancipatrices (Freinet, …)

65. Faire passer les acquis du travail en réseau sur l'éducation au développement durable

L'atelier consacré à ce thème a proposé de témoigner auprès des autres acteurs sur l'importance du travail en réseau mené en ce domaine. Le groupe propose de diffuser des articles dans les gazettes ou les lettres des membres du réseau.

Une diffusion plus large devrait être facilitée par la création depuis juin dernier d'une ONG pour promouvoir au niveau mondial l'éducation à l'environnement et au développement durable, ONG dont Roland Gérard assure la présidence.

66. Défendre une action culturelle qui concerne le plus grand nombre, tout en menant des actions de qualité

L'action culturelle est souvent le premier vecteur de l'éducation citoyenne. Un travail dans la durée serait nécessaire pour reprendre les très nombreuses réflexions qui existent déjà sur ce sujet, avec une profondeur historique qui remonte au moins à la Libération.

Il a été proposé de poursuivre les Rencontres de l'éducation citoyenne par une réflexion à différents niveaux de territoire, associant différents mouvements sur les objectifs concrets, et débouchant sur des actions communes, expérimentales, évaluables.

67. Agir dans la proximité, la mixité sociale, et l'inter-générations

Plusieurs ateliers montrent que chacun peut agir à son niveau, dans les relations familiales, professionnelles, amicales. L'enjeu est dans l'attention aux autres (écoute, regard) la capacité

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4ème partie – Faire de l’éducation citoyenne un levier de transformation sociale

d'accueil, le relais dans son entourage des valeurs, A noter également l'importance des liens intergénérationnels.

Deux ateliers ont travaillé sur cette question et devraient fournir des éléments de réflexion sur les attitudes, méthodes et expériences pouvant éclairer d'autres pratiques.

68. Des lieux d'échanges culturels autour du livre

En particulier il est proposé de développer des lieux d'échanges culturels autour du livre, qui permettent une recherche de sens. Une démarche éducative en ce domaine repose sur la reconnaissance de l'autre comme citoyen et la mise en place de l'accompagnement nécessaire pour qu'il accède à l'autonomie.

La réflexion de l'atelier lecture écriture a débouché sur un colloque, les 25 et 26 juin 2004, à Sarrant sur le thème "lecture, développement local et lien social" où se sont retrouvés plus de 120 personnes (acteurs sociaux, éducatifs et culturels).

69. Développer les pratiques corporelles dans toute démarche éducative

Les pratiques corporelles apprennent par le vécu des changements de représentation du corps, de d'écoute, d'autonomie, d'expérience de la relation, qui peuvent être transposées dans la vie. Il est proposé que toute rencontre, toute formation ou colloque comporte un moment de conscience personnelle passant par le corps. 46

70. Rendre chacun acteur de sa propre santé

A partir de l'objectif de rendre chacun acteur de sa propre santé, plusieurs pistes avaient été proposées : ⋅ former les citoyens à trier les informations suivant leur validité,⋅ créer des associations d'usagers de santé, travailler avec les associations de malades et de soignants⋅ limiter le pouvoir des lobbies pharmaceutiques par la loi (séparation des pouvoirs)⋅ créer des liens avec les élus locaux⋅ créer un réseau Internet des expériences significatives.

Un groupe de travail se remet en place animé par Marie France Daniau, en coopération avec La Vie Nouvelle.

A noter que comme pour l'école, les choses ne bougeront que si la santé devient l'affaire de toute la société à tous les niveaux.

71. Faire prendre en compte la dimension du handicap par toutes les politiques

Pour que les personnes en situation de handicap soient considérées et se considèrent comme des citoyens comme les autres, il faut continuer à sensibiliser, informer, discuter pour changer les représentations, mais aussi faire exercer des droits, interpeller, agir au quotidien. Mais cette question concerne toute la société et pas seulement les personnes qui connaissent un handicap.

46 Voir la synthèse de l’atelier sur le site

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

.5ÈME PARTIE QUE FAIRE ENSEMBLE ? QUELLES ORIENTATIONS POUR RECIT ?

Ce dernier chapitre reporte les chantiers et actions concrètes qui ont été proposés par les ateliers et que RECIT doit mettre en place pour construire ce projet éducatif global.

La démarche esquissée ici ne trouvera sa pleine efficacité que si elle est partagée par d'autres acteurs, reconnue par les institutions et transcrite dans l'action publique et celle de la société civile. L'éducation citoyenne peut alors redevenir, comme le fut l'éducation populaire à ses débuts, un outil de transformation sociale et d'émancipation.

Quelles actions permettent d'aller dans ce sens ? Face à cette question, nous avons vu que plusieurs approches sont complémentaires : ⋅ D'une part, c'est la prise de conscience individuelle, et son adéquation avec la mise en oeuvre au niveau de l'action locale, qui fera levier pour une prise en compte et une transformation à l'échelle mondiale par un jeu d'écho amplificateur.

⋅ D'autre part, l'action politique est nécessaire, tant dans l'action locale qu'au niveau global, pour que l'éducation citoyenne devienne une priorité des politiques publiques et de l'action internationale. Il faut créer les conditions qui permettent l'essor des expériences, leur diffusion et rendent légitimes les pratiques émancipatrices, leur accordent les moyens publics, humains et réglementaires nécessaires.

⋅ En amont, il y a la nécessité de valoriser et faire connaître les initiatives, car dans la société de l'information, telle est la condition pour peser sur les choix politiques et susciter de nouvelles expériences. Il faut créer et entretenir un rapport de forces dans l'opinion.

Il ne suffit pas de susciter des expériences novatrices, qui montrent le chemin, mais restent en nombre limité. Il faut aussi travailler à la transmission des acquis et à la transformation de ce qui existe, en améliorant la qualité des actions menées. Il est également souhaitable de collaborer avec les grandes institutions (fédérations d'éducation populaire, éducation nationale, collectivités,…).

Enfin nous devons mener une réflexion prospective pour anticiper sur l'évolution de la société et des besoins d'éducation émancipatrice. Le monde change vite, il se bouleverse. On ne peut se contenter de réagir aux événements. Pourquoi ne pas faire des "scénarios de l'impossible" dans le domaine de l'éducation citoyenne (montrer où conduit le pire à échéance de 30 ou 50 ans et ce qu'il faudra faire alors) ?

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

.1 Travailler en réseau ouvert et non institué

La question était posée à tous les ateliers : que peut faire RECIT pour contribuer à promouvoir une éducation émancipatrice ? Quel peut être son rôle ? Quels sont les écueils à éviter ? Ce chapitre restitue l'essentiel des réponses, en y ajoutant les avis exprimés en séance plénière.

72. Orientation d'ensemble

Ne pas figer les choses

La force de RECIT est de ne pas établir de priorités, de ne pas se spécialiser et de pouvoir aborder la question de la citoyenneté de façon globale. Il faut aller doucement dans la structuration, et ne pas figer les choses, se hâter lentement de construire du réseau, sans déterminer de ligne politique, mais des principes fondateurs (ce qu'on a fait). Cela ressemble à un forum social spécialisé sur l'entrée éducative.

RECIT peut devenir un creuset pour une véritable réflexion sur l'éducation dans la vague alter mondialiste, qui doit nous permettre d'oser, de résister, de changer les représentations.

De même, il n'est pas opportun de privilégier un thème parmi tous les thèmes abordés aux Rencontres et de se spécialiser. Cela pourrait s'avérer contre-productif voire source de bureaucratie, ce qui est aujourd'hui un danger réel pour beaucoup d'organisations spécialisées. RECIT peut en revanche accompagner chacun des secteurs dans sa démarche pour y apporter un point de vue plus global.

Un lieu convivial et libre de parole

La dimension conviviale, le dialogue et l'esprit de liberté de parole des Rencontres sont des éléments essentiels pour pouvoir progresser ensemble. L'intérêt de RECIT est dans sa capacité à rompre l'isolement, le cloisonnement des cultures de réseau.

Au delà, RECIT peut être à l'initiative, à tous les échelons, pour créer des lieux de parole, de création, des espaces de liberté. Il faut trouver pour cela un équilibre entre les pratiques, la réflexion, le débat et l'action.

Des relations plus suivies avec les grands réseaux associatifs, les collectivités et les syndicats

La force de RECIT est dans la diversité de ses participants. En un temps relativement bref beaucoup de réseaux et d'associations locales nous ont rejoint, porteuses d'expériences d'éducation citoyenne. Cette dynamique s'est développée malgré la faiblesse des moyens de l'organisation. Cependant de très nombreuses expériences locales et des pans entiers des mouvements d'éducation populaire ne sont pas encore présents, et un certain nombre de réseaux institutionnels (des grandes associations de consommateurs par exemple). Les collectivités sont très peu présentes. Les syndicats pas du tout. Pourtant le rôle des uns et des autres est fondamental et ne peut être ignoré. Il est normal qu'un réseau aussi vaste ne se bâtisse pas en un jour. Mais l'effort de contact doit être poursuivi et amplifié.

Aider au renouveau de la réflexion sur l'éducation populaire

La réflexion entreprise conduit à réhabiliter l'éducation populaire. Le terme "éducation citoyenne" est utilisé pour parler du contenu de l'éducation populaire. Ce terme désigne une démarche d'éducation tournée vers le peuple, mais aussi une catégorie d'organismes reconnus et labellisés, une direction de ministère, deux mouvements historiques (celui ouvert à la fin du XIXème siècle par la création de la Ligue de l'enseignement et celui impulsé après 1945).

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

De nouveaux venus, comme ATTAC, se définissent comme un mouvement d'éducation populaire tourné vers l'action. Leur poids oblige chacun à réfléchir. Quand les instances politiques appellent au renouveau de l'éducation populaire pour répondre à la crise de la citoyenneté, ils indiquent la démarche rendue plus urgente par la crise de la démocratie représentative. Cette réflexion concerne aussi les grands réseaux d'éducation populaire, qui cherchent tous à retrouver le sens de leur action. Dans la mesure où tous participent à RECIT, le réseau peut aider à renouveler la réflexion sur l'éducation populaire en y amenant du sang neuf.

Des actions communes pourraient être entreprises avec différents mouvements d'éducation populaire, afin de faire des projets communs et avancer dans une concertation.

Quelles alliances ?

RECIT n'est pas dans la mouvance d'un parti ou d'une organisation particulière. C'est un lieu de regroupement ouvert à tous ceux qui partagent la charte de principes. L'action du réseau se situe nettement, depuis sa création, dans la perspective de ces valeurs communes, qui ont été confirmées et enrichies lors des Rencontres. Les ateliers ont travaillé sur les causes qui empêchent d’aller vers ces valeurs, et cela amène à des positions critiques par rapport aux évolutions dominantes de la société et dans le monde. L'appel lancé par RECIT en juin 2004 va dans le même sens. Nous nous situons clairement dans la perspective qu'un autre monde est possible, ajoutant que pour construire un autre monde, promouvoir un autre mode de développement, lutter contre les discriminations, vivre ensemble, réhabiliter le politique et s'ouvrir à une conscience mondiale, il faut une autre éducation.

Nous devons pouvoir accueillir au sein de RECIT des personnes et des mouvements qui n’ont pas fait complètement l’analyse des causes premières de ce qui nous amène à réagir sur tous ces points, ou avec qui nous ne partageons pas la totalité des idées, dès lors qu'elles adhèrent à la charte. L’association ne doit avoir qu’un seul langage, mais peut accueillir en son sein des différences, des hésitations, des interrogations, des divergences.

Vis à vis des financeurs publics ou privés, Comment se positionne RECIT ? Implicitement, pour être subventionné par l'État, il faut présenter aujourd'hui un discours lisse, qui laisse des « points aveugles », des zones d’ombre. On peut parler du chômage, mais il ne faut jamais parler des causes du chômage. On peut parler de l’exclusion mais ne parler ni de ses causes, ni des conséquences. La situation n'est pas la même avec certaines collectivités. L'État peut avoir demain d'autres orientations. Le fait pour RECIT d’avoir un budget modeste et de miser sur la mobilisation de bénévoles favorise son indépendance et sa liberté de parole et d’action.

73. Un réseau ouvert et non institué

RECIT s'est crée autour de cette conviction que de nombreux acteurs locaux et mouvements travaillent à leur manière à l'émergence d'une société solidaire, d'un monde à finalité plus humaine, et contribuent à un même projet avec des valeurs convergentes malgré leurs différences. Ils peuvent se renforcer en se rapprochant, et rendre visible la réalité de l'éducation citoyenne.

Pour avancer dans la mutualisation expériences et des réflexions, un travail en réseau est indispensable. Celui-ci doit rester ouvert et non-institué "Ne retombons pas dans l'institutionnel institué en reproduisant les fonctionnements classiques des fédérations". Un réseau donne de la force et permet de mutualiser. Comment se mettre en équipes pour faire jouer notre intelligence collective ? Notre projet est une boussole pour travailler en réseau.

Mais RECIT est constitué aussi de personnes morales, c'est-à-dire de réseaux, de collectivités qui ont aussi accumulé une expérience, chacun sous un angle particulier. RECIT doit mutualiser avec ces réseaux qui font la même démarche et s'attaquent aux mêmes enjeux.

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.2 Mutualiser et valoriser les expériences

Beaucoup dans le réseau disposent d'une expérience précise. Le travail en réseau permet de tirer parti ensemble des enseignements et de les mutualiser, afin de tirer parti des savoir faire et des éléments de réussite ou d'échec. La mutualisation correspond au besoin de se relier les uns aux autres, d'enter dans le butinage réciproque avec la question " en quoi ce qu'ils font nous fait revoir notre façon d'agir, d'être au monde avec d'autres". Cet échange est fondamental pour oser entreprendre, se lancer dans une action émancipatrice, en surmontant ses peurs, ou pour échanger entre acteurs confirmés.

74. Collecter et mutualiser des expériences par thème (histoires d'actions collectives et des histoires singulières)

Plusieurs ateliers ont proposé de prolonger leur travail en organisant la collecte et la circulation des expériences correspondant à leur champ de réflexion. A noter que nombre d'associations du réseau peuvent faire circuler des expériences non présentées à Lille. On pourrait aussi créer sur le site des rubriques "çà marche".et "comment çà marche".

Avantage de procéder par thème : les expériences sont évaluées avec un regard confirmé, par des pairs, et les échanges permettent d'échanger entre praticiens (comme lors des ateliers de Lille)

75. Les rendez vous de l'éducation citoyenne

Les rendez-vous de l'éducation citoyenne permettent de se rencontrer et de parler autour d'une pratique, de dégager sur place des enseignements (un atelier a repris le terme "rendez-vous de la curiosité") Il s'agit de faire connaître d'autres pratiques, donner des idées, mutualiser les pratiques, créer des liens.

Cela permet de transmettre des histoires d'actions collectives, d'échanger avec les acteurs de l'expérience, de mettre en exergue des histoires singulières. C'est souvent l'occasion pour les acteurs de faire le point sur leur action, d'aborder ensemble et avec un regard extérieur les questions qu'il se posent sur l'avenir du projet.

76. Observer les actions et mutualiser les acquis

Une réflexion plus approfondie est nécessaire pour "faire parler" les expériences en termes de sens, de méthodes, de représentations, et de réussite et en tirer des références.

Par exemple la ville de Lille a mené un projet éducatif global. La réussite est évaluée pour chacun à la mesure de ses potentialités, le projet vise la restauration de l'équité, des démarches de co-éducation sont mises en œuvre. La méthode de suivi permet de tirer rapidement parti des actions menées et de s'en inspirer pour la suite du programme.

L'objectif est d'analyser les actions, déjà menées ou expérimentales, nouvelles, pour dégager des enseignements à portée plus vaste, des méthodes et des outils transférables et des exemples significatifs (porteurs de sens et d'une histoire), pour pouvoir essaimer.

Par exemple, autour de questions comme le maillage culturel, les buts et les méthodes d'une action culturelle qui permet à un maximum de gens de faire l'analyse des dysfonctionnements de la société et de leurs causes.

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77. Trois méthodes d'observation

Pour cela trois méthodes ont été évoquées :⋅ constituer des petits groupes ou des binômes de confrontation des pratiques en acceptant de mettre sur la table le déroulement réel des expériences, y compris les aspects moins reluisants, et de se remettre en question.

⋅ Par exemple Regards d'habitants et parole et Progrès vont constitué, sur l’année à venir, un petit groupe où chacun est observant et observé

⋅ Cela suppose que le groupe soit dans une attitude de recherche commune qui exclue tout jugement sur les expériences. Dans la pratique les groupes ne peuvent pas être trop hétérogènes en termes d'expérience et de niveau de questionnement.

⋅ Constituer un groupe de lecture des récits d'expériences permet de relier les pratiques et la réflexion. Cela suppose qu'on puisse choisir des expériences références et dire en quoi certaines pratiques sont plus intéressantes que d'autres.

⋅ suivre quelques expériences dans la durée, avec un regard extérieur, afin de tirer parti des actions menées. Le plus souvent ce travail est en même temps un appui à l'équipe d'animation du projet pour l'aider à voir clair dans sa pratique. Elle peut aussi peut associer des acteurs à la réflexion.

⋅ Par exemple l'équipe de la Maison Robinson s'est dotée, de 2001 à début 2004, d’une psychanalyste qui voyait l'équipe toutes les semaines pour faire le point sur les pratiques et les difficultés. Ce travail était à la fois une évaluation permanente et un appui à l'équipe.

78. La pratique même de RECIT est une expérimentation

En matière d'animation, les ateliers des Rencontres ont expérimenté des méthodes qui doivent être évaluées et capitalisées.

79. Poursuivre la réflexion, organiser de nouvelles Rencontres

Il y a besoin de constituer un corps conceptuel, sorte de recueil des données, des analyses et des interprétations sortant de ces Rencontres.

Chaque atelier a été l'occasion de confronter des expériences et des réflexions. De percevoir des convergences et de cerner des désaccords. Il est important de reprendre certaines des questions qui ont été posées, pour aller plus loin sur certains aspects, creuser les désaccords, et élaborer une problématique utile à d'autres, à partir des exemples.

On peut penser à des réflexions communes qui prolongent les ateliers ou sur des questions de fond comme la notion de pouvoir, les fondements de l'action collective.

On peut aussi envisager un travail sur des outils, par exemple des jeux coopératifs.

Si on va trop vite on court deux risques : soit tomber dans un consensus mou et superficiel, soit figer les contradictions alors que celles-ci peuvent n'être que le résultat d'un expression qui insiste sur un aspect des choses.

De nouvelles Rencontres : oui, mais selon quelle périodicité ? Plusieurs groupes ont évoqué de nouvelles Rencontres. Mais faut il organiser des Rencontres nationales chaque année, avec deux ou trois Rencontres régionales ou plus espacées afin de ne pas sur-solliciter les acteurs.

Développer de formations de formateurs avec d'autres

Il faut des lieux pour des études de cas, pour réaliser un tâtonnement expérimental.

Développer des formations pour diffuser les méthodes en s'appuyant sur les pratiques, ou des projets de formations réalisées et co-gérées par les membres de RECIT. Ces formations doivent comporter des phases de terrain et de travail avec des acteurs, et reproduire les approches qu'on veut promouvoir.

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

80. Des mises en réseau régionales

Les acquis des Rencontres ne peuvent fructifier que par une réflexion décentralisée. Il est possible dès maintenant, dans certaines régions, d'organiser une mise en réseau et des réflexions régionales, comme l'a entrepris le Nord-Pas de Calais. Il ne s'agit pas de monter des structures lourdes, mais de permettre aux réseaux régionaux de s'interconnecter et de créer des synergies.

Un réseau, pour quoi faire ?

Mais un réseau pour quoi faire ? Michel Joncquel a proposé des pistes pour le réseau Nord Pas de Calais.

Monter un réseau, c'est se donner les moyens de :

coproduire, faire ensemble

organiser des Rencontres régionales (qui peuvent constituer un point de départ)

alerter, se révolter, se mettre en résistance, combattre

partager nos informations, nos réflexions, nos expériences, butiner, capitaliser, mutualiser, pour s'enrichir mutuellement et ne pas réinventer l'eau tiède

Cela fait référence aux outils, aux méthodes, aux références aux expériences à organiser. Il ne s'agit pas de copier des modèles mais de transposer en tenant compte du contexte et des acteurs du territoire.

observer et être observé pour échanger, accepter les critiques et les admirations et progresser ensemble

se former ensemble. Il s'agit d'une auto formation, d'une formation ou d'une déformation réciproque

faire la fête et bien d'autres choses à inventer

Des groupes de parole locaux

Il est proposé de développer des groupes de parole locaux (20), groupes informels de 10 à 20 personnes, qui s’organisent par eux-mêmes pour mieux comprendre le monde, développer la cohérence entre leur pensée et leur action, et organisent pour cela des temps d’autoformation, de réflexion commune.

81. Quelques idées d'actions locales⋅ - Construire des relais locaux pour rencontrer des initiatives sur le terrain et les faire connaître, se développer sur un plan national, voire international.

⋅ - Créer des lieux d'échanges et d'initiative dans des espaces ouverts (cafés citoyens, librairies, bibliothèques, maisons de quartiers, marchés, fêtes et animations diverses autour de thèmes...)

⋅ - Développer des actions où la mise en situation permet à chacun d'appréhender la réalité de l'autre (perceptive, culturelle, corporelle, spatiale...)

⋅ - Aller à la rencontre de toutes les organisations dans un objectif de croisement des pratiques⋅ - Développer les échanges réciproques de savoirs entre les différentes structures⋅ - Répertorier et analyser les initiatives afin de permettre un développement des compétences et des pratiques sur le plan social élargi (témoignage, information, relais...)

⋅ - Trouver dans le champ des pratiques de l'économie solidaire des moyens pour mener certaines actions;

⋅ - Intervenir dans les écoles et lieux de rencontre des jeunes pour sensibiliser les citoyens de demain.

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

.3 Démultiplier et faire connaître l'éducation citoyenne

L'éducation émancipatrice est réalisée aujourd'hui par des milliers d'expériences et d'acteurs partout sur le territoire. Ce travail donne une réalité à une société solidaire, malgré un contexte très difficile. Comment faire connaître plus largement cette réalité ? Comment agir dans la durée pour s'aider mutuellement dans notre action ? Comment appuyer, accompagner les actions qui vont se développer, échanger les expériences et les méthodes ?

RECIT s'est créé autour de cette conviction que tous ces mouvements travaillent à leur manière à l'émergence d'une société solidaire, d'un monde à finalité plus humaine, et contribuent à un même projet avec des valeurs convergentes malgré leurs différences. Ils peuvent se renforcer en se rapprochant.

Les Rencontres ont permis de donner une réalité au réseau et de faire connaître des centaines d'expériences. Mais il faut aller plus loin. Il faut rendre visible ce qui est en train de mûrir un peu partout, qui est encore dominé par la grande machine du libéralisme mais émerge peu à peu. Nous devons pour cela nous servir des médias et accepter de rentrer dans leur mode de fonctionnement : fournir des exemples, de l'image, des idées simples. Mais nous devons le faire en essayant de choisir nos interlocuteurs, le type d'émissions, les rubriques de journaux, et en apportant des analyses et du sens en même temps que l'exemple. Cela implique un travail de préparation en amont.

Faire reconnaître les expériences alternatives d'éducation par les médias.

Il faut mieux valoriser, faire connaître, diffuser ce qui existe : outils, méthodes...

En particulier un travail est à faire sur les moyens d'information existants, par exemple dans la presse pour enfants.

Former aux techniques journalistiques les associations membres de RECIT.

82. Le site, un outil pour tous les membres du réseau

Le site est à la fois un outil interne, pour faire circuler les réflexions et les expériences, et un outil externe, pour faire connaître l'importance de l'éducation citoyenne.

On attend du site qu'il site permette de revenir sur les questions posées par les ateliers, d'échanger entre participants, de faire réseau entre les différentes entrées de l'éducation citoyenne en témoignant par exemple de la prise en compte du handicap dans l'ensemble des réflexions. Mais il ne se substitue pas aux mails (tous ne vont pas sur Internet) ni aux échanges de courrier et aux discussions directes. Restreindre à l'outil Internet peut conduire à confisquer la débat au profit de des activistes informatiques

Le site doit contribuer à récapituler les pratiques et restituer l'histoire de la pratique collective.

Des pages sur le site qui soient des lieux d'expression critique sur des questions essentielles pour l'éducation citoyenne. Par exemple on peut envisager de mettre en place une page d'expression critique sur l'information, de débat sur la reconnaissance des personnes en situation de handicap par l'ensemble des approches développées au sein de RECIT, ces pages étant alimentées par les groupes de travail correspondants.

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

Le site est en place et peut déjà faire connaître les expériences, les réflexions, les outils, l'importance de l'éducation citoyenne, l'histoire du mouvement éducatif, la globalité de l'éducation. Nous invitons les lecteurs à aller sur www.recit.net.

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

.4 Contribuer à faire de l'éducation citoyenne une priorité des politiques publiques (État, collectivités, Europe)

83. Des propositions comme des pierres d'attente

Aux Rencontres de Lille de nombreuses propositions ont été formulées : "RECIT ne peut rester en dehors des actions menées pour alerter, résister et construire cet autre monde possible, avec l'approche "éducation émancipatrice : il représente une force par la largeur de son rassemblement. Il a quelque chose à dire sur l'éducation et l'éducation populaire, la consommation, le lien social, etc... à partir de sa réflexion et de son approche globale".

Qu'est ce qui fait qu'une proposition est reprise ? Nous croyons souvent que les propositions doivent être très finement travaillées. Nous espérons séduire les dirigeants avec des propositions tellement bonnes techniquement que ceux-ci vont spontanément les appliquer. Mais ce n'est pas parce que c'est inapplicable que l'éducation nationale freine les classes coopératives. C'est parce que cela heurte des intérêts puissants au sein de l'institution. Cela veut dire que nous devons établir autour de chaque proposition un rapport de forces, nouer des alliances. Nous avons tous vu telle mesure inapplicable car idéaliste devenir soudain la solution miracle. C'est pourquoi les propositions de ces Rencontres, même si toutes ne seront pas immédiatement réalisées, sont posées là comme des pierres d'attente

Mais sans attendre que ces propositions soient adoptées par un "bon gouvernement", ces propositions peuvent être reprises par des initiatives prises à l'échelon local. C'est pourquoi il est important de nouer des liens plus étroits avec les pouvoirs locaux, c'est-à-dire les Régions les Départements, les villes et les territoires.

Les nouvelles pratiques sont en effet soumises une difficulté plus importante : la nécessité de passer à la bonne échelle, de l'action de témoignage à la transformation sociale effective, du local au global. La question se pose pour le commerce équitable, par exemple, mais aussi pour toutes les actions novatrices. Et inévitablement se pose la question de la fidélité aux valeurs fondatrices, de la possibilité de travailler avec des forces plus puissantes qui ne partagent pas toujours les mêmes valeurs et peuvent nous instrumenter.

84. Une demande des collectivités face à la crise de la citoyenneté

Dans son introduction Ginette Verbrugghe disait son attente par rapport aux réflexions des Rencontres "Nous avons engagé depuis un certain nombre d'années de actions qui ont débouché en 2001 sur les Assises de la citoyenneté. Un travail est engagé avec les grandes fédérations mais aussi avec les petites structures, afin de favoriser la convergence des pratiques et l'émergence de projets concrets. Aux assisses régionales de la citoyenneté, nous avons beaucoup discuté de la formation des militants. Nous avons mis en question nos politiques publiques pour les faire évoluer. Nous sommes très preneurs de propositions qui permettent aux Villes, Départements et Régions de jouer un rôle de déclencheur des initiatives citoyennes."

La même demande a été formulée par Patrick Kanner (ville de Lille et Conseil général du Nord)

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

"Nous attendons de vos travaux qu'ils enrichissent nos propres réflexions afin d'enrichir la réponse publique aux initiatives portées par les réseaux partageant les mêmes valeurs de progrès"

Au delà des formules de bienvenue, cela traduit une vraie demande des collectivités. Face à une cirse de la citoyenneté, comment répondre et restaurer du lien social, trouver une nouvelle manière de vivre ensemble ?

La réponse de la Meurthe et Moselle

Le Conseil Général de Meurthe et Moselle a mis en place depuis 1999 une politique départementale d'éducation populaire de la jeunesse, présentée dans un film lors du temps de forum des Rencontres. Cette politique s'est concrétisée par des contrats de territoire, qui apportent un soutien à des projets territoriaux d'éducation populaire. Un collectif local réalise un diagnostic jeunesse territorial partagé et un plan d'action dans la durée. Cette politique a permis de développer de nombreuses actions porteuses d'éducation citoyenne.

Cependant, l'abstention qui s'est révélée le 21 avril 2002 a révélé, pour le plus grand nombre, l'absence de paroles échangées dans la vie quotidienne. "L'abstention massive a exprimé un refus et une protestation contre la montée générale des incertitudes et de l'insécurité, mais aussi des frustrations profondes et la douleur de ceux qui se sentent écrasés, méprisés, rejetés par le système. Les personnes en difficulté ont de plus en plus de mal à se débattre dans des problèmes individuels". Dans la réponse à apporter les actions d'éducation populaire tiennent une place centrale, aussi bien pour les jeunes que pour les citoyens tout au long de leur vie. Le conseil général a décidé en 2003 de mettre en place une politique plus large, amplifiant les actions déjà engagées auparavant. Une conférence permanente de l'éducation populaire a été constituée pour réfléchir enjeux fondamentaux de l’éducation populaire et aux actions qui en découlent. Le programme qui en est sorti vise à restaurer la parole et restaurer le "vivre ensemble" : des rendez vous des acteurs de l'éducation populaire chaque trimestre, deux forums des initiatives locales, un appel à expériences sur l’éducation citoyenne, une lettre des acteurs de l'éducation populaire, un film montrant les actions sur le terrain ont été mis en place pour restaurer la parole et multiplier la circulation des expériences47. Le premier travail de RECIT, lors de sa création, a été d'accompagner le Département de Meurthe et Moselle dans cette démarche.

Cette politique départementale pose les bases d'une réponse aux questions posées par d'autres collectivités.

85. L'appel aux collectivités pour une relance de l'éducation citoyenne

Lors des Rencontres de Lille, plusieurs intervenants et ateliers ont soulevé ce problème et demandé que RECIT travaille à faire reconnaître l'importance de l'éducation citoyenne et ses besoins de financement. ⋅ Lancer un appel signé par toutes les organisations pour dénoncer la disparition des crédits budgétaires nécessaires aux actions porteuses d'éducation citoyenne et demander que la formation à la citoyenneté devienne un volet important de l'action publique.

⋅ Formuler des demandes précises qui incitent les institutions publiques à prendre en compte toutes les composantes des nouvelles pratiques et pas seulement l'écume.

En effet, les nombreuses organisations présentes, qui réalisent des actions sur le terrain sont aujourd'hui en danger, comme beaucoup d'autres actions porteuses d'avenir (recherche, action sociale, santé, création culturelle, sport, protection de l’environnement, formation

47 Une publication "Vivre et agir ensemble. 100 action d'éducation citoyenne" a été publiée en 2003 par le Conseil Général 48 rue du Sergent Blandan 54 000 Nancy

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5ème partie – Que faire ensemble ? Quelles orientations pour RECIT ?

professionnelle…)..Le gouvernement diminue ses aides, revient sur ses engagements, durcit la réglementation, asphyxiant les associations et poussant à la marchandisation de leurs actions.

La question a été longuement discutée à la réunion générale du 30 mars, qui survenait le surlendemain des élections régionales et a discuté des priorités de RECIT. Sur la base de ce débat, un appel a été lancé le 17 juin 2004. Celui-ci s'adressait aux Régions et aux territoires locaux, aux Départements et aux citoyens. Plus de 450 personnes ont signé cet appel, qui a été envoyé à l'ensemble des présidents et vice-présidents de Région en charge des questions de citoyenneté, d'aménagement du territoire, de développement local, etc… 7 réponses ont déjà été reçues au cours de l'été, toutes favorables à la démarche, qui devraient déboucher sur une politique de contacts et de travail en commun avec certaines d'entre elles. La même démarche devrait être faite auprès des Départements en septembre 2004.

L'appel invitait "tous ceux et celles qui travaillent à l'éducation des citoyens (école, université, famille, éducation populaire, mouvements pédagogiques, éducation à l’environnement, économie solidaire, mouvements de consommateurs, syndicats, mouvements de jeunes, développement social, mouvements citoyens, associations de solidarité nationale et internationale,…) à se mobiliser aux niveaux local, régional, national, international, et à signer largement cet appel".

86. Réfléchir à l'articulation entre les expériences de terrain et les politiques publiques

Beaucoup reste à faire pour répondre aux ouvertures qui apparaissent depuis début 2004. Quelles démarches promouvoir ? Comment traduire dans des politiques publiques les orientations des Rencontres ? Sur quels exemples s'appuyer, au delà de la région Nord-Pas de Calais et du Département de Meurthe et Moselle ?

Un travail complémentaire est à faire pour répondre à ces questions, au niveau national, mais surtout au niveau de collectifs régionaux à constituer en fonction des demandes. Il faut pour cela s'entourer de compétences nouvelles, d'éclairages nouveaux, d'intelligences individuelles et collectives, travailler avec d'autres groupes défendant des valeurs proches, pour produire une réflexion et des propositions sur le plan politique, utiliser un langage qui parle au plus grand nombre, en éliminant les termes codés de nos expressions publiques.

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.CONCLUSION

.LES RENCONTRES, UN POINT DE DÉPART

Beaucoup attendent de l'éducation citoyenne qu'elle permette aux citoyens d'inventer de nouvelles manières d'être, responsables et porteuses d'espoir, dans un monde qui change très rapidement.

Les Rencontres de Lille ont amorcé des réponses à ces questions, et surtout engagé un processus de mobilisation. Elles l'ont fait à partir des pratiques mais aussi de la mobilisation de réseaux, de collectivités et de plates-formes locales.

Les nouvelles pratiques permettent l'émergence de nouveaux modes de pensée et de nouvelles propositions. Celles-ci foisonnent dans le réseau qui se constitue. L'enjeu est de savoir les valoriser, en tirer des éléments plus théoriques et des propositions. Ces propositions de ces Rencontres ne seront pas immédiatement réalisées. Mais elles sont posées là comme des pierres d'attente, comme des phares qui éclairent notre action.

Ces Rencontres ont permis de préciser les contours d'une orientation commune, d'expliciter les principes qui nous animent. Les principes que nous avons énoncés renvoient à une conception d'ensemble des rapports sociaux, de la justice, de l'égalité et des valeurs républicaines. A travers cela nous disons que le libéralisme n'est pas fatal. La déclaration universelle des Droits de l'Homme reste une référence. Elle permet de concevoir une régulation par les droits de notre société et du monde.

Cette démarche se situe dans la ligne des forums sociaux. RECIT est né à Porto Alegre. Le rassemblement de Lille apparaît avec le recul comme un forum social éducatif, c'est-à-dire une nouvelle forme de rassemblement, intermédiaire un colloque et une foire exposition, qui s'appuie sur les pratiques de centaines d'acteurs de terrain. Par rapport aux débats politiques classiques, cette forme de forum introduit du désordre, de la vie, du foisonnement. Les expériences, par leur diversité et leurs valeurs, montrent que la résistance et la lutte ne sont pas dépassées, et que la création est au cœur de la résistance active.

Cette perspective, que nous nous traçons à notre petite échelle, est aussi celle que se posent les promoteurs des forum sociaux mondiaux et européens. A ce niveau là aussi, il devient essentiel de définir des méthodes d'appui aux actions de terrain, d'organiser le travail de forums sociaux locaux et de relier les expériences dispersées. Nous espérons que ces réflexions pourront contribuer à éclairer une démarche plus globale.

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.ANNEXE LISTE DES EXPÉRIENCES PRÉSENTES À LILLE OU PARTICIPANT À RECIT

Nous avons inclus ici les expériences portées par des participants inscrits qui pour diverses raisons n'ont pas pu participer aux Rencontres, mais sont membres de RECIT ou font partie des destinataires des informations

"Ecrans mômes", démarche pédagogique des CEMEA"Jeunesse et Territoire" à Sânon, un projet éducatif local participatif"Réveillons la Démocratie", action de formation citoyenne à Gap après le 21 avril 04-05Action Éducative (sensibilisation formation) autour d'un film sur La consommation responsable "A

nous de choisir"AIR, Association Interquartiers de RoubaixAppel à dessin sur les thèmes de «l’éco-logis» pour les CE et de «l’éco-ville» pour les CMAppui aux projets éducatifs locaux (PEL) par les Francas 32APTE, éducation aux médias pour tousARBRATEXTEArtisans du Monde à Lille : 40 sensibilisations au commerce équitable en 2003- 2004Association AIRE, Association Internationale pour un Revenu d’Existence, expérience à préciserAssociation Bol d'air, accompagnement de personnes âgéesAssociation d'aide à des réfugiés de BosnieAssociation des dyslexiques de France (APEDYS 62)Association graines de saveurs, re-découverte des goûts dans l'alimentation et la réflexion sur la

consommation citoyenneAssociation J2Pà Paris, participer au développement social et solidaire du quartierAtelier de Travail Urbain : une expérience au service des quartiersAtelier ECLER (E crire, C ommuniquer, L ire, E xprimer, R éfléchir) Les compétences de base de

la communicationAteliers d'écriture par le comité de promotion, d'action et de prévention (CPAP)Ateliers sur l'éducation citoyenne avec les bibliothèques municipales au LibanBallon d'oxygèneBudget participatif de la ville de BobignyCafé citoyen à Pévèles (59)Café des idées à IvryCafé des parents Paris 11èmeCafé-livre dans l’OrneCafés Interculturels à RennesCDI ParticipatifChange de Plaisir (78), échanges culturels et chantiers de solidarité par des jeunesChantier de solidarité internationale et d’insertion sociale des jeunes par AICSF (Association

Internationale Culture Sans Frontières) dans le 20ème arrondissement à ParisChorale à ATD Quart MondeCollectif Citoyen Pour les Impôts sur le RevenuCollège coopératif Anne FranckConception et édition de contenus à finalité citoyenne, culturelle et éducative par les CEMEA :

DVD "apprendre la TV"Conseil de Quartier dans la ville d’EVRYConseil municipal de jeunes à Gap et le développement d’un réseau sur PACA

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Coopération entre enseignants, élus et parents sur l'école dans le pays de MormalCPIE du Val d'AuthieCréation en danse contemporaine avec des groupes amateurs intergénérationnelsDanse CréationDémarche éducative Attac SommeDes Livres Et Vous, la librairie-tartinerie de Sarrant (32)Développer le goût d’entreprendre pour la solidarité chez les jeunesDiagnostics participatifs des projets éducatifs locaux (PEL) par les FrancasDIDDACTICA, comment développer une citoyenneté active dans l’urbanisme et la vie des

quartiers par l'architectureEchange de solidarités nouvelles pour le logement à BoulogneEcole de la militance à MarseilleEcole des citoyens du 4ème [arr de Paris]Ecole Freinet de Mons en Bareuil : de l’expression et la création aux apprentissages en pédagogie

Freinet à l’école primaire (REP), de 2 à 11 ans … pour former des citoyens cultivésÉcole Professionelle Ouvrière Agricole (Auj "Normalisée")Ecoles éco-citoyennes : une éducation pour le développement durable de la planèteEducation communautaire à la Villeneuve de GrenobleEn Vie, Théatre de l'oppriméEspace Convivial et Citoyen Advocacy, vers une utopie créatrice et émancipatrice de santé mentaleEVEIL organiser des débats citoyens avec des jeunesExpériences d'économie solidaire APESExploration : un projet de jeune (12-16 ans) en autonomieFestival Images mouvementéesFormation et action citoyenneFormation nationale MRJC sur la politique avec des jeunes rurauxGroupe citoyenneté – Habiter la démocratie locale (Rodez)Groupe d'alphabétisation destiné aux parents d'élèves dans une école maternelleGuide de la consommation responsable Val d'OiseHistoires de vie, l'heure des conteurs : des dynamiques singulières et collectivesImplication des habitants dans les projets concernant leur cadre de vie (territoire et mieux vivre

ensemble)Intermèdes - la maison robinsonJardiniers du présent : projet de vie pour seniors, afin de rester citoyens solidairesJournalisme de quartier par InternetL’Assemblée régionale de citoyens par Lille monde (2005)La boîte à mots de l'ADNASEALa Cardabela, chantiers ouvertsLa maison des Babayagas : l'art de bien vieillir, une utopie réaliste !L'auto école St DenisLe petit café, maison de l'amitié par le comité Solidarité Défense (92)Le Viel Audon, un village coopératif dans les gorges de l'ArdècheLes Assises Régionales de la citoyenneté par le CR Nord Pas de Calais (2001)Les Blongios, nature en chantiersLes enfants philosophes : groupe de parole d'enfants sur la philosophieLes petits débrouillards, une découverte de la démarche scientifiqueLudothèque ludambuleMaison de l'économie solidaireMaison des écrits Echirolles, travail sur les histoires de vie de parents d'élèves d’origine étrangèreMédiation famille école à TrappesObservatoire de la réussite scolaire Stains

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Ouvrir les jeunes sur le monde et restaurer le lien social à LagnyOXALIS Bauges, construire une synergie entre développement économique, évolution personnelle

et respect de l'environnementParoles d'habitants, le diagnostic "en marchant" (diagnostic collectif du territoire par les habitants,

élus et techniciens)Particip citoyenne dans le SéronaisPôle local d’économie solidaire ChevillaisProjets éducatifs locaux des FrancasPromotion de la coopération dans les relations humaines avec le Pas de Côté (Lille)Réfléchir sur son alimentation : « Pour un monde de saveurs », AuvergneRéseau d’échanges de savoirs du rû Marivel, "accompagner nos enfants"Réseau de cinéma itinérant par Cinéligue NPCRéseau d'échanges de savoirs à SartrouvilleRéseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement des Parents -Colline-ACEPP NPCRéseau d'éducation populaire à la citoyenneté internationale et planétaire (REPCIP)Réseau Initiative et CitoyennetéSciences animéesSéjours de vacances ouverts aux personnes handicapées mentalesStarting block, association d’éducation citoyenne dans le Nord Pas de Calais TéATr'éPROUVèTeThéatre amateur à la Flasen (Nord-Pas de Calais)Travailler en réseau informatique avec des enfants en "échec scolaire" au Val FourréUn travail sur la parole au sein de l'Écume du jour : réseau d’échanges réciproque de savoirs et

bistrot associatifUne cantine Bio dans le Séronais (Ariège) : «Bien manger ensemble», ou le respect et la protection

de soi, des autres et de l’environnementUniversité du citoyen de MarseilleUniversité Populaire à la cité des 4000Université populaire et citoyenne de RoubaixUniversité Rurale de Hte MarneVieillir autrement, faire reculer la peur en mettant en place des occasions de rencontre entre les

habitants de cultures et d’âges différentsYORANOO : aller toucher chacun, lui montrer en quoi l’information le concerne, et l’aider à

trouver les moyens de s’investir dans sa propre vie

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.QU'EST CE QUE RECIT ?(réseau des écoles de citoyens)

RECit (réseau des écoles de citoyens) est né en octobre 2002 d’une prise de conscience : face aux immenses problèmes du monde, du local au global, on a besoin de citoyens capables d'inventer un avenir incertain. Or, la transmission de la citoyenneté aux nouvelles générations ne se fait plus que très partiellement. Une contre éducation permanente est développée par l’éducation, la publicité, la marchandisation de toutes chose. Beaucoup d'instances font l’apologie de l’intérêt individuel, de la violence et de la compétition, ce qui prépare de très graves problèmes pour l'avenir de la démocratie.

La question fondatrice de RECit a été : « Comment répondre aux enjeux qui nous attendent et construire un monde à finalité humaine ? Comment chacun peut être acteur de sa propre vie et citoyen d’un monde solidaire ? » RECit constitue aujourd'hui un réseau d'échanges, de recherche et d'action commune, largement informel, qui permet à chacun de sortir de son isolement et de se situer dans un mouvement d'ensemble. Une réflexion transversale y est menée pour mieux mettre en accord les pratiques avec les principes d’actions et les valeurs communes. Les deuxièmes Rencontres de l’éducation citoyenne auront lieu les 17 et 18 septembre 2005 à l’ENFA de Toulouse.

87. Quelle éducation émancipatrice ?

*Nous appelons « école de citoyens » toute instance, que ce soit ou non son objet principal, qui permet à chacun d’être acteur de sa propre vie et citoyen d’un monde solidaire. Pour cela, nous estimons que chacun doit pouvoir :⋅ Comprendre les grands enjeux du monde d’aujourd’hui, du mondial au local⋅ Approfondir les principes communs qui fondent l’action collective ⋅ Acquérir des comportements en accord avec ces valeurs (lucidité, écoute, participation, partage, respect des différences,…) afin de pouvoir construire et participer

⋅ Développer des méthodes, des outils, des savoir faire pratiques (s’informer, animer, monter un projet, communiquer,…)

Les membres de RECIT s’appuient sur des principes communs, qui s’expriment par une charte acceptée par tous les adhérents : (laïcité, dignité, bien commun, souci du long terme, unité et diversité, réciprocité, coopération, démocratie participative, etc…), à travers les raisons d’agir de chacun et la diversité des actions.

88. Principales réalisations

Les premières rencontres de l'éducation citoyenne, organisées en février 2004 à Lille avec l'appui du conseil régional du Nord-Pas de Calais, ont rassemblé 500 participants et 150 organisations venues de toutes les régions de France et 150 expériences porteuses d'éducation citoyenne. Ces initiatives se révèlent largement convergentes au niveau des valeurs et des méthodes.

En juin 2004, un appel pour une relance de l'éducation citoyenne a été lancé aux nouvelles collectivités pour que l'éducation citoyenne fasse partie des premières priorités des exécutifs régionaux et départementaux Cet appel a reçu 800 signatures et a débouché sur des relations avec plusieurs conseils régionaux.

Un site et une collection de publications (6 numéros à ce jour) ont été mis en place pour valoriser les réflexions menées sur différents thèmes et les expériences les plus significatives, mutualiser les expériences, diffuser des supports pédagogiques et des éléments de compréhension des situations ou nous nous trouvons

89. Chantiers actuels :

Quatre chantiers principaux sont en cours à ce jour :

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Constitution de collectifs régionaux et locaux pour se soutenir mutuellement, mettre en synergie les différentes actions et mutualiser les expériences, donner du sens et du contenu politique à l'action de chacun. L'objectif n'est pas de monter une nouvelle organisation, mais de travailler en complémentarité avec les réseaux existants.

Echanges et mutualisation, groupes de réflexion/action: organisation de temps d’échanges entre différents acteurs sur des questions posées, à partir des pratiques (ateliers, RDV de l’éducation citoyenne, échanges réciproques d’expériences,…) pour mutualiser des méthodes, outils, unir les efforts.

Participation à des rencontres pour connaître et faire connaître la réalité d’une éducation porteuse d’émancipation et ouverture vers l’international, avec la mise en place d’un programme de collaboration avec des réseaux brésiliens, québécois…

Développement de la dimension internationale des échanges, avec les liens développés avec des réseaux brésiliens, québécois, africains, pour mener une réflexion commune sur les pratiques des uns et des autres malgré la distance de la langue et de la distance.

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