6313

17
Frédéric Boyer Techniques de l’amour P.O.L 33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6 e

description

khvk

Transcript of 6313

Frdric BoyerTechniques de lamourP.O.L33, rue Saint-Andr-des-Arts, Paris 6e P.O.L diteur, 2010ISBN : 978-2-84682-454-5www.pol-editeur.fr7Jaiaimquelquundetoutesmes forces.Jesavaisquejelaimais.Maissije minterrogeais pour savoir ce que je savais quandjemedisaisquejesavaisqueje laimais, je ne savais rien. Ou je savais sans le savoir. Comme je sais que jai mal quand je souffre dune quelconque douleur et que je ne sais rien dire de ce mal quand je me demande ce que jai.Il y a longtemps que je voulais parler. Jai dcid de ne dire plus rien sinon avec la voix de Racine. Je nai pas de voix moi pourparlerdemoi.Etjignorejusquaux 8lieuxquipourraientmecacherdemon amour.Audbut,non,jenecriepas. Jappelle doucement. Je promets de ne pas crier. Mme mort. Est-ce que jai peur ? Je nenpeuxplusdavoirenviedavoirpeur. De cette peur faite denvie que mon amour ma fait connatre. Mon amour est comme deuxpaulesteintestrempesdefolie, deviolenceoudelarmes,oudesueur commeonveut.Decettesueurmagique qui a coul de lui sur moi. De mon amour jaiperdulammoiresanssavoirsimon cursaccordaitaveclesien.Jaiappris avecmonamourlapatiencedeschoses. Tant quun reste de sang coulera dans mes veines,jeseraichosesposesdanslavie trspeuobservessipeusollicites.Puis lamortemporteralerestedepatience avec la vie et les mots que je naurai jamais dits.Aprslamortqueseramonamour. Quelquechosedemoiprivjamaisde spulture.9Jtaisfaitpouraimer,pourfairede quelquunlepersonnageprincipalde mavie.Oui.Leseuletluniqueperson-nagedemesjours.Fe,champion,prin-cesse,super-hros.Jaipourquelquun toutrenvers,toutchang.Tantdechoses viennent.Tantdechosesvont.Etjaicru mon heure venue. Jai dit le cur a dtroites rives.Etjaiperuleminusculechantde mon cur.Quelquunfutlinstantdequelques nuitsmonmatre,monsoufe,mafaim, ma toute folie. Pour aprs coup tout dfaire. Etmavielalonguesestlaissparce quelquunemporter.Cequemonamour disait ne pas pouvoir aimer, quelquun ma permisdelaimer.Quelquunaordonn monamourtouteslesimpossibilitspos-sibleslamouraupointquilluiadonn aussi de pouvoir aimer ce que jamais amour naima.10Jaiaimquelquundecetamourde romance, de petite lle, dillusions perdues qui est le seul amour possible ici-bas. Gar-on manqu. Jai eu si grand dsir daimer et dtre aim que jai joui de ce dsir tin-celant,sichaud,sibrlant,bienavantde pouvoir lassouvir. Oh jai fui quelquun que jaimais. Je lai fui en laimant. Je lai fui en le possdant. Je lai fui, dit le roi David, sur des ailes de tourterelle.Toutes les fois que quelquun la voulu jelaifait,etjairponduavecmoncorps nucettefolieduciel.Sanstrejamais certain de la distance exacte qui me spa-raitdelamourmesurequilgagnaitsur moi.Lecorpsdrout.Jemesouviens decertaineschutesinexpliques,decer-taines nauses. De maux de tte et de vres foudroyantes.Chaquenuitjelaimais,etjavais latristessedevoirlanuitveniravecsa 11barque vide. Je naviguais attach. Lamour saccorde avec le dshonneur. Jai beau pen-ser aujourdhui ne pas penser que je pense quelquun ce rien mcrase. Je disparais. Je mefface. Je rpte comme la reine de Sha-kespeare : lorigine du rien de ma douleur il ny a rien. Et ce rien est lui-mme le rien demonamour.Quelquechosequejene connais toujours pas. Quelque chose que je nepeuxtoujourspasnommer.Amourest le nom que les gens lui donnent quand ils saiment.Jusqucequecelanaitplusde nom dans leur bouche. Quils couvrent cela dinjures.Laisse-toi,medisaitunevoix ancienne.Abandonne-toi.Jauraisvoulu protester,rpondrequejentaispasau courant de cette histoire, que ce ntait pas moi que je reconnaissais dans lamour.Et jai suivi quelquun. Nimporte quoi nimportequandnimportequi.Jenen saisrien.Rayonnementcrueldelesprit. Lammoiremanque.Soudainseretenir 12et se dtourner. Il sest donc pass quelque choseMaisoetquand ?Lamourplus vif que lclair effraie le neur que jtais. Etdtruitsurmagauchetoutunpande croyances dures. Le monde tait de cire. Je ne le savais pas.Jefermelesyeuxsurlesouvenirde quelquun. Je dois fermer les yeux car je ne verrais plus rien si je les gardais ouverts. Je passe du bleu du ciel dans un soir tranquille commeunabattoircegrandvolumeo ne changent jamais ni blanc ni noir. Cest si loin dj. Tout me revient. La faim comme lasoif.Corpssubtil.Soufelger.Corps solide et palpable. Jai sans doute vcu tout cequiltaitpossibledevivreenaimant quelquun et tout cela nest plus quun fan-tmedanslenoir.Etsouventcefantme cest moi.Lamour que je perscutais, a crit saint Paul, ma pourchass et son tour rattrap.13Jaiaimquelquunetmonamoura trac un cercle de lumire autour de lui. lintrieurlesombresnontplusdombres, lasouffrancenesouffreplus.Lesilence hurle. Et tous les rois de la terre sont nus.Jaiaimquelquunquiaviolmes lois.Forcesperdues.Jevismaiscenest plus moi qui vis en moi. Relire seul toute vitesse les vangiles. Des ocons de vapeur gele tombent de mes yeux. La premire loi est de sabstenir de juger lautre. Cest une loidamour,pasunemorale.Jedshabille lautre, il se retourne et montre son dos nu aveclaclsaillantequinedemandequ tre remonte pour obir et tre moi. Un petit ours mcanique qui joue du tambour.Quiarpandulamourdanslecur desindiffrents ?Quiadiffusenmoicet amour inconnu de mon cur ? Jai lu autre-foisdansleKmaStraquelesamants devaientcommencerparjouerauxdsou aux cartes, par compter les heures sur leurs doigts.Parcueillirdeseurs,parramas-ser de petits cailloux brillants au bord de la rivire. Fruits lunes vtements brods sang secretsmotssentiersfolies.Ilnyaplus quuneseulepersonnevivantedansluni-vers.Jyaicrucommeunsaintcroitsa passion et au nant.15Jaiaimquelquun.Quelquunnest plus.Ensilencemonmecourtlabme en le sachant. Ma folie furieuse poursuit la route que lon barre. Lamour fait des bonds lasurfaceettireleslarmesdequelques spectateurs rests sur la rive. Retour. Phares dans la nuit. Yeux gons et rouges. Toute batitude laisse des traces. Penses ottantes dansmonespritpourtoujours.Etbientt devenues nigmatiques. Restes de mystres que personne ne saura plus interprter cor-rectement. Souvenirs absurdes et mmoire morte. Comment as-tu pu laimer ? Quelle drle dide. Incomprhensible. Avoir tout 16abandonn commea.Poura.Surun coup de tte. Oui. Jai peur. Il y a quelquun encore. Je le sens sans le voir. Lamour na jamais pour amants que des ennemis. Oui lamour a toujours aim faire de son ennemi unamant.Jtaisaucentre,aucur.Je suisailleursetperdu.cetteplaceoles gens ne cessent de shumilier et de regret-ter. Got de cendre dans la bouche ds six heures du matin. Comme le lion du zoo qui ronge toujours la mme carcasse de souve-nirs. Il ny a pas damour. Nulle part. Il ny a que des techniques de lamour. Au cas par cas.Lamourdugenreoulamourabsolu, expliquaitDostoevski,conduitlafolie etaucrimedemasse.Cenestjamaispar amourquunemredfenestresonenfant ouquunamanttuesajeunematresse mais par haine de cet insupportable amour enlui,cetamoursiparticulierduproche quest lenfant ou la jeune femme passion-ne.Maisleplusproccupantdanscette situation nest sans doute pas de svertuer 17 faire passer pour vritable cet tat impr-cis et permable, qui a du reste toujours t reconnu et accept dans les faits, mais plu-tt de croire lexistence dune psychologie amoureuse.Sijesaislesraisonsquejaurais dire,silaissantlesterriblesdguisements, sijepouvaisicifaireparlerunautreque moiquiseraitencoremoi,quelsecretme seraitarrach ?Simplementquelquechose dinconnuquelonauraitfaitentrerdans moncurdetoutespartsouvert.Ilnya rien de secret au fond de moi. Sinon quel-quesvieuxmessagesdelaviecommeun pome dans le noir. Il nest pas temps que nousparlionsencore.Cetempsnevient jamais et nous brisons son attente en brisant lesilencequenousnosonsplusentendre. Carsanspresquemavertircetvnement revientdelombreenmembrassant.Ai-je eu de mon cur si peu de connaissances ? Jaitroplongtempspensquelexistence 18tait trop chre pour la perdre en paroles. Maislexistencecommelcriturenetient qularptitiondunephrasevoleun autre. Quelle erreur dans ma vie a pu pro-duire un trouble si pressant ? Et dont mon curdoittreencorepouvant.Trahir lautrequejaimaisquilaparolemelie. Trahirmesenfants,mesamis.Devenir lautre que je ne voulais pas tre. Ou lautre que jtais et dont jaurais voulu me garder. Pourmesauverjaiouvertunevoiedans la voix hypothtique dun autre plus ancien quemoi.Jaiouvertenluilechampo jevoulaiscourir.Etquemafaitmoice tempsnouveauojecourssanssavoiro je vais rebours quand jeparle avec cette voix-l ?Quelquun a fondu sur moi. Je nai pas pulenempcher.Etjaitardlaimer impuissantdepuislongtempsfairecon-cidermonamouraveclapparitionde sonsujet.Certainesrencontresmefont 19prendreconsciencequejenairienvcu, rienprouv,etquejenaiaucuneexp-rience. Que je navais fait jusque-l aucune rencontre.Jefaiscequejenaimepas.Et jenefaisjamaiscequejaime.Selamen-tait encore laptre Paul, dit littralement le ftus avort, dans une lettre adresse ses amisromains.ETSILAMOURTAIT UNDICTATEUR ?ai-jepensmon tour. Tous ceux que jaime ressembleraient soudaindepathtiquesbourreauxdont le plaisir suprme serait de me faire dire et signier linstant mme tout lamour que jai pour eux.Les messagers, ajoute le Kma Stra, sontlesmeilleursamants.Longtemps jenairiencompris.Dequelsmessagers pouvait-ilsagir ?Messagersinattendus pleinsdumanqueetdelasolitudede lexistence.Pochesvides.Etpersonnene mappelle.Oumessagerssecretsremplis despromessesinaccessiblesdescorps.Jai 20tantaimquelquun.Ricanements.O estpasstoutcetamour ?Quelmessager melapprendra ?Lamoursavancepas muets dans la nuit. Fantme sous le lit des enfants. Plus tard, lamour est ce revenant dans lexistence simple et placide des gens. Illusiontonnantequiestaussiaposte-riori,crivaitProust,ungenreinluctable et douloureux de la connaissance.Jaiperduetjergne.Jenattendsle retourdepersonne.Pourtantjaiaim quelquun toujours l dans le silence autour demoi.Jaivoululesuivresachantquil ntait plus l. Ce qui nous a spars est la seule chose que nous partageons encore.Soupirs.Techniquesdabandon. Labandondemeuretoujourslintrieur de la volont (Mme Guyon, je crois). Une sorte de travail sur soi est donc ncessaire. Combiendentrenousontpensquil faudraitrussirunsoirremplacerlide mme damour par autre chose pour accep-terdaimersonprochain ?Travauxforcs. Lamourmeurtdavoiraimer.Lesgens qui saiment vivent dans un arbre creux que lafoudreabrl.Lamoursebatjusquau sang.Ilestpauvredechezpauvre.Les oiseaux emportent ses chaussures. Lamour naime pas les diamants, pas les roses, pas les virgules, pas les voyages, pas la morale, paslesromans.Lamouraimelesnum-rations,lesphotographies,lesuperu,les vampiresquiboiventdansnosveines,les trous dans la haie, le chiffre 9, lAncien Tes-tament et une rivire borde de bambous. Lamour dit quil ny a pas dordre particu-lier suivre pour sembrasser, senlacer, se mordre ou se lcher. Il y a diffrentes mor-surespossibles,rappelleencoreleKma Stra.Morsurecache :nuageetserpent. Morsure ouverte : bijou et corail.